G. de Religion Condensé Obs

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Religous war

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  • Longtemps en Europe, aimer sa religion a signifi dtester violemment celle des autres et mme ne pas accepter son existence. C'est ainsi que jusqu'au 17e sicle, en France, le mot religion ne s'emploie qu'absolument: Furetire dans son dictionnaire note (1670) que dans "un sens abusif on dit la Religion Mahomtane, la Religion des Gaures & des Bramins, des Bonzes". Un seul absolu tant concevable et concidant avec une religion, on trouvait lgitime l'limination violente des autres.

    Avant 1850, pas de guerres de religion... En Asie du Sud, les mots et faits familiers, religion, guerre, guerre de religion, assurs dans notre histoire, sont nouveaux, imports au 19e s. par les Anglais et en partie enracins au 20e s. Cela vaut aussi pour Inde, tat, hindou(isme) et musulman; mme l'histoire est une discipline inconnue. Si faire l'histoire de l'Inde est aujourd'hui une activit lgitime, elle porte souvent sur des ralits projetes dans le pass. Personne au 10e ou 15e s. ne se sait Indien, hindou, etc. D'o la difficult de prsenter les guerres de religion aux Indes, en Asie du Sud. Supposer que les catgories de notre histoire fonctionnent universellement, attitude trs partage, relve de la navet ou de l'arrogance. Avant 1850, il n'y a pas de communaut religieuse qui lie tous ceux qu'ensuite on a nomms hindous ou musulmans. Les musulmans d'ici ignorent ceux de l-bas: personne ne les nomme musulmans. Seuls les trangers descendants des quelques milliers de conqurants devenus les dirigeants de ces "pays", Turcs, Iraniens et Arabes installs entre 11e et 18e s. sont des musulmans. Les autres, des indignes jamais nomms musulmans, portent les noms de leurs castes plus ou moins converties l'islam. Ainsi les Mos passent l'islam au 13e s. sans renoncer au mode de vie hindou: mme musulmans, ils sont des Mos. Il en va aussi pour l'hindouisme, mot anglais du 19e s.; il n'y a pas de communaut hindoue: mot et ide manquent. On vnre par tradition une forme d'un dieu dans le principal cadre de vie, la caste; elle a son temple, son plerinage, sa forme d'un culte qui sans glise shivate, vishnouite ne dpend d'aucune institution transversale. Mme si deux castes vnrent des formes du mme dieu, elles le font sparment. Deux temples shivates voisins n'ont pas de lien institutionnel, ne sont pas vous aux mmes populations. Aucun livre n'est commun toutes les castes hindoues. Les tiquettes bouddhiste (avant le 13e s.), shivate, vishnouite, trop larges, ne mordent pas sur la ralit religieuse. En plus il y a les multiples sectes, mme dans les religions minoritaires, janisme, mazdisme, christianisme, etc.: l'miettement est de rgle. Il faut ajouter les diverses pratiques religieuses de ceux qu'au 19e s. on nomme tribus. En fait la religion ancre dans la ralit sociale, dans les milliers de castes, n'en dborde pas. De plus, elle est peu doctrinale sauf pour quelques intellectuels brahmanes, etc.; la religion est une manire de vivre ensemble et d'entrer en relation avec les autres. Aucune caste ne peut vouloir imposer une autre sa pratique religieuse sauf y perdre son identit, ce qui est fondamental. La guerre de religion est impossible parce que la catgorie religion manque et qu'aucune communaut ou institution n'existent au-dessus des castes, ni religieusement ni politiquement. Faire la guerre pour imposer sa foi d'autres n'a pas de sens politiquement. Dans les guerres de religion en Europe, politique et religieux se confondent. Le roi, l'empereur soutenant une foi participent ces guerres. De plus, dans l'antiquit et en Europe depuis la fin du Moyen ge, il y a les tats. Aux Indes avant la fin du 19e s., les tats, la liaison forte entre roi et tat, la continuit entre roi et territoire n'existent pas. Un royaume est de fait, il tient par la force du rja, du sultan; faiblit-elle, le fils, le voisin, sont-ils vainqueurs, le royaume peut disparatre: il n'existe pas sans roi qui le dfend contre ses ennemis internes et externes. Les dynasties royales existent, non les pays, les tats ou les nations. Le souverain n'est jamais roi de X, il est seulement roi. Avec sa prtention territoriale universelle dans un tat de guerre permanent, au gr des victoires et des dfaites, il agrandit s'il le peut son royaume. Tel empire qui s'tend sur un continent a plus tard la taille d'un canton. Si en 1707, l'empire d'Aurangzeb (r. 1658-1707) s'tend sur presque toutes les Indes, le dernier "empereur" rgne avec le mme titre sur son palais de Delhi. De fait, on ne nomme jamais les pays: ils n'existent pas. Les guerres d'Europe n'ont jamais exist aux Indes: pas de guerre entre tats aux frontires dfinies (par Grotius vers 1630), dclare et termine par un trait de paix,

  • opposant des militaires uniforme distinctif et pargnant les civils, pas de guerre o l'on dfend des valeurs. Faute de religion et d'tat, il ne peut y avoir de religion d'tat. Dans un royaume o vivent des castes aux religions diverses aucun roi n'est en mesure de faire une guerre de religion: le roi les soutient toutes avec plus ou moins d'quit. Aurangzeb le musulman fonde des mosques et parfois finance un temple pour ses sujets hindous employs en nombre dans l'administration et l'arme. De tels rois ne peuvent faire la guerre au nom d'une foi sans s'aliner le soutien des populations. Et ils ne la font pas. Aujourd'hui on transforme politiquement ces souverains en hros de la cause hindoue ou musulmane. ... mais de la violence religieuse. Si avant 1850, il n'y a pas de guerres de religion en Asie du Sud, la violence religieuse a bien exist au niveau des ralits propres cet espace. La rputation de tolrance de l'hindouisme est un mythe invent aux Indes au 19e s. pour l'opposer au jihad de l'islam et la croisade du christianisme: l'hindouisme serait tolrant, non proslyte. Des historiens occidentaux et indiens, comme D. Jha, ont montr qu'il s'agit de mythes fondateurs de l'identit de l'Inde (la moiti des Indes) hindoue. La non violence est un autre mythe de plus attach au nom de Gandhi. Or, bien souvent on confond les belles paroles et leurs consquences car les slogans de Gandhi ont dclench dans les socits indiennes une violente motion: son assassinat, les tueries qui ont accompagn la partition sont les consquences directes des belles paroles de leaders dpasss. Ces mythes sont parfois repris en Occident o l'ignorance de l'Inde voire "l'indoltrie" sont communes. Ainsi le bouddhisme et le janisme fonds sur le dsir de sortir du monde valorisent l'origine des formes de non violence; rapidement institus, ils deviennent des religions du monde: castes et sectes adoptent le bouddhisme et le janisme en tant que religion finalit mondaine; sauf Ashoka, les rois bouddhistes pratiquent une varit locale de Realpolitik et ne sont pas moins violents que les autres. Il y a loin des tres d'exception (le Bouddha, l'auteur du Yoga-Stra, Shankara) la pratique sociale de ces religions. Ainsi en 1634 l'arme du Dala Lama envahit le Bhoutan et affronte celle d'un autre lama la Bataille des Cinq Lamas. Sur l'Antiquit et mme le premier millnaire, le peu que l'on connat ne contredit pas les idologies brahmanistes bien connues. Or en leur sein la violence est valorise; il n'y a pas de vie sans violence: il faut violemment combattre le mal et le dsordre toujours actifs, au prix mme de l'humanit. Dans la Bhagavad-Gt et le Mahbhrata, le machiavlique Krishna et les dieux incarns mnent une guerre d'anantissement de l'humanit. Le roi doit poursuivre la guerre divine dans son royaume et tre violent pour combattre le mal. De plus sa vocation est universelle: il doit faire la guerre ses voisins, absorber leur royaume ou mourir la guerre, un devoir suprme. La paix tant un aveu de faiblesse, les rjas l'unisson de ces conceptions jusqu' leur domestication par les Anglais guerroient par devoir, par statut, par plaisir, ms par la vengeance, le prestige. La guerre est religieuse dans son principe sans tre une guerre entre religions: le roi shivate tue s'il le peut son rival, un autre roi shivate, bouddhiste etc. La violence religieuse touche les deux principales ralits sociales des Indes, la jti 'caste' (le groupe dont on hrite) et la 'secte' (le groupe que l'on choisit) lie la confrrie. On connat surtout les violences des sectes et des confrries. Soit le plerinage de la Kumbhamela prs de Hardwar: le moment fort est un bain purificateur dans le Gange. Les plerins en tirent un bnfice maximum Kankhal, un village proche o il faut pntrer dans l'eau au moment calcul par les astrologues. Mais la plage et le fleuve sont trop petits pour la foule. La ferveur accompagne donc une intense rivalit entre les milliers de plerins et leurs confrries; les sant, leurs chefs, discutent pour savoir qui profitera de l'endroit et du temps propices. Les disputes peuvent dgnrer en combat, en bataille. En 1266 les samnyasis 'renonants' shivates battent les vishnouites. En 1760, pour les mmes raisons, la bataille entrane la mort de quelque 18 000 plerins surtout vishnouites. La victoire des shivates est dcisive; depuis, ils pntrent les premiers dans le fleuve sacr. Les conflits de prsance n'ont pas disparu Hardwar: en 1998, il faut l'tat d'urgence. Selon nos critres, il ne s'agit pas d'une guerre, mais de violence: il n'y a pas d'armes constitues, de gnraux et de soldats.

  • En marge naissent des ordres guerriers. Depuis le sultanat de Delhi (13e s.) jusque vers 1830, des yogins ou samnyasis s'organisent en confrries guerrires. Aprs 1771 leurs armes affrontent les Anglais, parfois avec succs. B. Chattopadhyay dans Anandamath 'Le monastre de la flicit' (1882) conte leur histoire rendue pique. S'agit-il d'une guerre religieuse? Ces yogins plerins qutent en route leur nourriture auprs de grands propritaires. Mais aprs 1765, la multiplication des taxes dues l'East India Company, les mauvaises rcoltes, la dsorganisation mnent la famine. Les yogins quteurs reoivant moins des propritaires appauvris se retournent contre les Anglais. La composante conomique de la guerre est donc indniable. Toute la population pense que ces yogins disposent de 'pouvoirs magiques': yogins hindous et fakirs musulmans sont trs craints tout en se croyant invulnrables; le yoga de cette poque est trs loign du yoga du 21e s. : on ne dsire pas un corps harmonieux et la paix intrieure. Aprs 1830, ces ordres guerriers - moins structurs que nos ordres militaires - peuvent encore provoquer des meutes. Des rois ont t fanatiques. Membres d'une secte, ils perscutent, parfois violemment, les autres sectes de leurs royaumes. Kulothunga II Cola (r. 1133-1150), roi d'un vaste empire dans le sud de l'Inde actuelle, est un ivate intolrant. Tous les dirigeants religieux doivent signer la formule: "Il n'y a pas de plus grand dieu que iva" et souscrire cette profession de foi sauf risquer les coups, la prison, la mort. Cette perscution systmatique est ponctuelle. C'est aussi de violence royale dont sont victimes les janas via les sectes shivates. Cela dpasse les violences verbales profres usuellement par les diffrents matres. Au Tamilnad, dans le Periyapurnam 'La Grande Histoire' (12e s.), texte encore lu, le dbat oppose des janas et Sambandar le shivate qui russit convertir le roi de Madurai: il s'ensuit l'empalement de quelque 8000 janas. Des fresques dsormais caches racontent l'vnement au temple de Minaksh Madurai. Tout cela racont religieusement est difficile tablir historiquement. Il est clair que les violences perptues au nom de l'amour de Dieu ne sont pas rares dans l'histoire des Indes. Elles portent sur les autres sectes et sur les proches coreligionnaires : dans le Periyapurnam, le sang qui coule est celui des pieds du pre que coupe le fils, celui du saint qui se mutile pour gurir la blessure de la statue. Il ne s'agit pas de tuer des hrtiques, mais de faire couler le sang ce que Shiva semble apprcier. Beaucoup des saints commettent des actes d'une extrme sainte violence. Si les janas sont des victimes de choix, leur non-violence idologique ne les empche pas d'tre violents dans le monde. Dans le livre o P. Dundas rapporte leurs perscutions Madurai, il discute (p. 206-208) des querelles entre bouddhistes et janas et l'on voit un janisme intolrant: les victimes en position de force ne sont pas accommodantes. Si les sikhs du 17e-18e s. sont souvent des victimes, c'est que leur rvolte est politique: ils veulent l'autonomie dans leur territoire majoritaire, le Panjab que les Moghols et leurs voisins Afghans veulent maintenir sous leur coupe. Les sikhs ne sont pas seulement des martyrs: vainqueurs, ils sont tout aussi violents. La non-dissociation du religieux, de l'conomique, du politique et du social, trs caractristique du monde indien l'poque, permet aujourd'hui des lectures diffrentes.

    Aprs 1850, le choc de la modernit. Vers 1800 les Anglais s'imposent et leur prsence bouleverse l'ancien ordre des choses. Incarnant des catgories modernes et efficaces, ils sont incapables de saisir la complexit des socits et des religions du monde indien; les analysant avec leurs catgories (encore les ntres!), ils les imposent d'abord dans les faits puis dans les esprits de leurs collaborateurs indignes qui, nourris en anglais d'ides europennes, duqus dans des Colleges, mnent ensuite le combat de la dignit nationale indienne: le nationalisme politique alimente cet espoir puis, avec Gandhi, le diffuse dans les socits indiennes peu prpares ces notions trangres. Dans le domaine religieux, les Anglais promeuvent religion et community: dsormais il y aura les musulmans (leurs favoris: ils pensent les connatre) et les hindous, l'tiquette colle sur tous ceux qui jusque l n'avaient pas de nom. La plupart du temps ils ne les comprennent pas, voire les mprisent: ils sont le lourd fardeau de l'homme blanc selon R. Kipling. Il faut du temps pour que ces communities se forment. La politique judiciaire (corpus lgislatifs pour chaque groupe) et administrative (les recensements aprs 1871 o chacun doit s'tiqueter), puis les slogans politico-religieux aprs 1920 contribuent leur naissance.

  • L'incomptence et l'impritie des leaders indiens et anglais, le climat de peur, de vieilles rancurs cristallisent dans les annes 1930-40. C'est le temps o la guerre de religion est possible s'ajoutant l'ancienne violence religieuse: le processus de partition des Indes est sanglant. Les sikhs, bons serviteurs des Britanniques, ayant le tort de n'tre ni musulmans ni hindous, sont des victimes par excellence et leur foyer, le Panjab, est divis entre les nouveaux tats. La monte en puissance des communauts et la dcouverte de l'histoire accompagnent le dveloppement du proslytisme violent et la relecture communaliste de l'histoire. On impute la violence passe aux communauts qui pourtant n'existaient pas. Les "hindous" parlent des invasions musulmanes. Mahmud qui pille le temple de Somnath vers 1026 devient le type du musulman intolrant et violent. L'pisode oubli est ressuscit par les Britanniques en 1842 pour se gagner les bonnes grces des hindous. Le caractre meurtrier et destructeur des guerres, notamment vers 1000-1030, 1192-1210 et 1398 celles des armes turques et mongoles, est certain. Mais en aucun cas il ne s'est agi d'invasions musulmanes: les nouveaux venus, peu nombreux, viennent piller. Installs Delhi vers 1200 (le sultanat de Delhi), il veulent rsider sur place pour mieux exploiter les pays. Certes ils sont musulmans mais ils n'ont pas voulu imposer l'islam aux Indes o les conversions mal connues (les soufis ?) ne touchent que 25% de la population. Souvent les derniers conqurants, comme les "Moghols" de Babur (1526), se battent contre les conqurants prcdents, d'autres musulmans. Seuls les derniers arrivs, peu au fait des ralits indiennes, sont violemment destructeurs, surtout quand ils ne font que piller sans sjourner, sans s'indianiser, comme Tamerlan (1398), l'iranien Nader Shah (1738: il emporte le trne du paon dtruit vers 1747), l'afghan Ahmad Durrani (1761). La religion des vainqueurs intervient marginalement dans les destructions: les musulmans dtestent le culte des idoles et la reprsentation humaine. La rpulsion de certains sultans envers les idoles et les idoltres de l'Hindoustan est avre. Brn (973-1051) lui consacre un chapitre de son 'Livre de l'Inde': les idoltres sont les gens ignorants... les seuls croire ces fables . Des statues sont dtruites par Firz Tughluq (1300-88) dans un accs d'orthodoxie. Son excration des idoles est telle qu'il les fait excuter. Bbur est choqu par les statues jana Gwalior : Ces idoles sont montres compltement nues sans mme rien pour cacher leur pudenda... j'ai ordonn qu'on les dtruise . Les Bouddhas de Bmiyn sont la cible des canons du roi afghan Muhammad Nadir (1880-1933). Ces tmoignages nombreux demeurent des exceptions. Les faits sont bien documents par les chroniqueurs. Contrairement aux brahmanes qui regardent toujours le ciel, les sultans font rdiger les chroniques o ils ne cachent pas leurs guerres. C'est cela qui est nouveau : les guerres du monde sont dsormais connues car ces guerriers aiment la guerre et s'en glorifient. Ils n'ont pas comme nous la guerre honteuse. Ces chroniques crites en persan, traduites en anglais, sont aisment accessibles. Au 19e s., le nationalisme hindou s'en nourrit, imagine un paradis hindou paisible que suivent les barbaries musulmane et anglaise. L'histoire, imaginaire, nourrie d'un sentiment d'infriorit, de souffrance et de ressentiment, vise expliquer et aussi recouvrer la dignit. La communaut hindoue se ralise dans la dnonciation du pass rcent et l'exaltation du pass lointain et les musulmans resserrent les rangs quand ils ralisent que la dmocratie va leur faire perdre leurs derniers avantages. En conclusion, soulignons la grande prudence qu'il faut pour approcher l'histoire indienne. Les "Indiens" - pas seulement - ont t autres que nous. L'universalit et l'exemplarit prtes aux valeurs europennes nous portent penser trop vite que les autres relvent du mme sur le mode exotique. Il n'en fut rien. S'agissant des "guerres de religion" en Asie du Sud, on dcouvre entre autres choses la relativit de l'universalit.