11
GALOX.INA « J®INTÉL » Le 3 novembre 1916, j ' ai fait à l ' Académie des Inscriptions e t Belles-Lettres une communication qui est ainsi enregistrée dan s les Comptes rendus, p . 463-464 : « M . Antoine Thomas résume une étude philologique, destiné e aux Mémoires de l'Académie et dans laquelle il expose l ' origine et l ' extension géographique de certains mots français, provençaux , espagnols, catalans, italiens, etc ., qui sont synonymes du françai s jointée » et désignent le contenu des deux mains jointes e n forme de coupe . Les plus anciens, ambosta (Lyonnais, Dauphiné , Savoie, Suisse romande, Piémont, Catalogne, Aragon, Asturies) e t galo,cina (Normandie, Champagne, Franche-Comté, Belfort), s e rattachent à des types pré-latins sur la famille linguistique des - quels on ne peut que faire des conjectures ; un autre, répandu sur - tout clans le Massif Central (Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, Dor- dogne, etc .) parait reposer sur un type gaufcta., dérivé du haut allemandgau.ft, qui a le même sens D . Je ne m ' occuperai ici que de galoxina, mais je tiens à rappele r que, depuis 1916, le mystère qui enveloppait ambosta a ét é éclairci par M . le professeur Jacob Jud, de Zurich, dont je ne sau - rais trop m ' applaudir d ' avoir provoqué les recherches par ma com- munication . Voici en quels termes j ' ai signalé cette découverte à l ' Académie , dans sa séance du 26 janvier 1917 (Comptes rendus, p . tr i-25) : « M . Thomas communique à l ' Académie, au nom de M . Jaco b Jucl, privat-docent à l ' Université de Zurich, une étymologie nou- velle du mot ambosta, qui signifie « jointée » et qui occupe actuel - lement un domaine considérable, morcelé entre le Nord de l ' Italie , la Suisse romande, le Sud-Est et le Sud-Ouest de la France, et l a plus grande partie de l 'Espagne . M . Jud le rattache à la langu e celtique, qui a possédé le substantif *bosta « creux de la main » , encore vivant dans le breton boz et dans le gaélique bas, et qui s e BULL . DU CANGE . 1928 8

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GALOX.INA « J®INTÉL »

Le 3 novembre 1916, j 'ai fait à l 'Académie des Inscriptions e tBelles-Lettres une communication qui est ainsi enregistrée dan sles Comptes rendus, p. 463-464 :

« M. Antoine Thomas résume une étude philologique, destiné eaux Mémoires de l'Académie et dans laquelle il expose l ' origine etl 'extension géographique de certains mots français, provençaux ,espagnols, catalans, italiens, etc ., qui sont synonymes du françai s

jointée » et désignent le contenu des deux mains jointes e nforme de coupe. Les plus anciens, ambosta (Lyonnais, Dauphiné ,Savoie, Suisse romande, Piémont, Catalogne, Aragon, Asturies) e tgalo,cina (Normandie, Champagne, Franche-Comté, Belfort), serattachent à des types pré-latins sur la famille linguistique des -quels on ne peut que faire des conjectures ; un autre, répandu sur-tout clans le Massif Central (Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, Dor-dogne, etc .) parait reposer sur un type gaufcta., dérivé du hautallemandgau.ft, qui a le même sens D .

Je ne m ' occuperai ici que de galoxina, mais je tiens à rappele rque, depuis 1916, le mystère qui enveloppait ambosta a étééclairci par M . le professeur Jacob Jud, de Zurich, dont je ne sau -rais trop m 'applaudir d ' avoir provoqué les recherches par ma com-

munication .Voici en quels termes j ' ai signalé cette découverte à l ' Académie ,

dans sa séance du 26 janvier 1917 (Comptes rendus, p . tri-25) :« M . Thomas communique à l 'Académie, au nom de M . Jacob

Jucl, privat-docent à l 'Université de Zurich, une étymologie nou-

velle du mot ambosta, qui signifie « jointée » et qui occupe actuel -lement un domaine considérable, morcelé entre le Nord de l ' Italie ,la Suisse romande, le Sud-Est et le Sud-Ouest de la France, et l aplus grande partie de l 'Espagne . M. Jud le rattache à la langu eceltique, qui a possédé le substantif *bosta « creux de la main » ,encore vivant dans le breton boz et dans le gaélique bas, et qui s e

BULL . DU CANGE . 1928

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9 ;

ANTOINE TITO NI AS .

trouve en moyen irlandais sous les formes boss et bass . Le type

ambosta est composé avec *bosta, auquel s ' ajoute le préfixe ambi- ,pour marquer la réunion des deux mains . M . Thomas se ralli e

sans hésiter à l ' opinion de M . Jud . 11 insiste sur l ' intérêt de cett e

étymologie, qui jette un jour nouveau sur l'extension du celtiqu e

dans la péninsule ibérique à une époque très reculée et témoign e

de l 'extraordinaire vitalité de certains éléments linguistique s

communs à la Gaule et à l'Espagne a .

h)epuis lors, M . Jud a publié, dans la Revista de /ilolog/a espa-

iola t , un article intitulé, : rlcerca de a ambuesta n y a alntuerza

ou il a traité à fond cette question au point de vue roman 2 . Et, dès

le 14 novembre 1919, M . J, Loth a signalé un terme irlandais ,

imbus, attesté au x" siècle, qui représente l ' ancien celtique ara-

bosta .Je reviens à,alo.rina, mot dont personne, à ma connaissance ,

n'a parlé avant moi . Il se rencontre à plusieurs reprises dans u ntraité de médecine conservé par deux manuscrits du ixe siècle :Paris, Bibi . nat ., lat . 11219, fol . 104-170 ; Londres, Brit . Mus . ,Arundel 166 3 . Voici les exemples que j 'y ai relevés ; je les cited ' après le manuscrit de Paris, le seul que j ' aie vu de mes yeux, oùle traité est intitulé : Incipit liber nzedicinalis de omni cahore ho -minis Terattpētica 4 .

XXXIII ifol . 118 d ) . Ad renes purgandum : . . . furforis galoxina .1 .XLIII (fol . 122 b ) . Potio ad guttam, ad ficum : ebreulso 5 radice mun-

data galo.rinas .m.

LXXXVI (fol . 142ab ) . Confectio oximellis : . . . rad[ices] de apio mi-nute capulatas galon na . . . 6 .

1. T. ''II (1920), p . 339-350 . L'auteur croit que le français boisseau remonte a uceltique `bosta, opinion qui me parait peu vraisemblable .

2. Analyse dans les Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions, p . 437 ; text ede la lecture dans Revue celtique, t . XXXVII, p . 311-314 .

3. Une copie du ms . Arundel 166 se trouve dans les papiers du D' Darember gconservés ù la Bibi . de l'Académie de médecine de Paris sous le n° 440 (voi rA . Boinet, Calai. des mss . de la Bibi . de l'Académie de médecine, Paris, 1908,p . 60a Le D' Daremberg a mentionné ce recueil, sous le titre de Liber therapeu-licus, dans son Hist . des sciences médicales (Paris, 1870), t. I, p . 247, n . 1 (relativ eau mot cariola, .

4. Forme altérée de Therapeutica .5. Ce nom de plante, glosa par hederæ dans une note interlinéaire ajoutée a u

xvr (devis, . se trouve aussi au fol . 122° (hebreulso radicis) et au fol . 122b (ebreulsoman{ipulum] t .) .

0 . Cette recette est transcrite, avec d'antres, dans le ms . Bibi . nat ., lat. 11218

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GAI.oXINA a ,mtxrr t, 31 .

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LXXX.VII (fol . 1431 . Oximel qui facia act coleram recipit heec : aqu asestaria .vat,, umblone t pennas galosinas .u . . .

Un autre exemple se trouve dans le Liber niedicinalis du ms .I3ibl . nat . 10251. (ix°-x° siècle), dont j'ai parlé en dernier lieu dan sle Bulletin Du Cange, III (1.926), p . 52 ; on y lit, au fol . 72" :

Chsrbrlu& silYlpltcetn ad cannes hua-tores deponendas (sic) : sat[is ]galosinas ,n .

Je puis citer encore la recette suivante, qui est transcrite dan sle ms . Bibi . nat ., lat . 11218 que L . Delisle attribue au ix° siècle ,fol . 124 v° :

Pocio ad apostema : mane prima (sic) accipe lardo ttncias tres, rafan oradices nitidas rotellas galosinas .in,, et rnitte eas in vino calido .

Enfin, il faut reconnaître le mène mot, sous une forme con -tractée, dans tuie formule analogue du rns . Bibi, stat ., lat . 11219 ,déjà cité, où on lit, au fol . 222° :

Polio contra apostomarn 3 :

ratant) radices gallonias

Pour déterminer le setts précis do galoxina, etc ., il. faut faireappel it un texte anglo-normand do la fin du xrli" siòelo, lo traité.de Gauthier de I3iblesworth pour apprendre Io français, dont o upossède au moins quatorze manuseri.tO. On lit dans l'éditio nqu'en a donnée Th, Wright (A volume o f rolxalaulrtrr,'es, Liverpool ,1857), p . 14.7 (d'après lo ans . Arundel dtt 13t'itisli Museum) :

Deus raeyns ensemble, vodes ou pleins ,Sonna apeles les galeyns .

L'éditeur a ajouté eu note cotte intéressante vtu'iaute, cutprunté cau ms . Sloane 513

Amedious les rnayns, voiles ou ployns,En Frauns apellom [lire : apelle omj les ployas .

(aussi du ix° siècle), où on lit, au fol . 123" : a rad, de apis minutate caculata (sic )l;alosina s .

1 . l'orme non relevée da nom du houblon ; of. l'art . ttueit.o do Du Cange ,2, Je ne connais pas cc mut, quo le scribe coupe en doux (clisi biir~ne) .3 . Le nt final est representci par une barre au-dessus do l'a ,ti, Cf . P . Meyer, dans .Romania, L . MII, p . 500-503 .

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ANTOINE T1IOMA5 .

La forme romanisée du type latin galoxina a dû être an-

ciennement *galueisne, et se simplifier, par la suite, en *galuisn e

ou *galeisne, d 'où plus récemment, *galuine, *baleine . Les manus-crits de Gautier de Biblesworth traduisent en anglais par thepsene ,

thespone ou par goupynes, ce qui confirme le sens précis du mot 1 .

B . de Roquefort a enregistré galeyne dans son Glossaire de la

langue ronzane, t . I (1808), p . 659, et l'a traduit verbeusement

par a faisceau, brassée, poignée, gerbe, fagot » . Il ne cite qu ' unexemple, emprunté à un manuscrit dont il était possesseur et qu i

est parvenu àla Bibliothèque nationale, où il porte aujour d ' hui le n° 1

du fonds français (anciennement 6701) . C 'est une traduction de l a

Bible, faite en Angleterre au début du xiv° siècle 2 . Le mot galeyne

y est employé au fol . 57 e pour rendre le latin nzanipulunz (Deu-

teron, 24, 19) : a Quando znessueris segetem in agro tuo et ohlitusmanipulant reliqueris » — « et tu ubliaunt averas deguerpiz t agaleyne a . B . de Roquefort aurait pu se contenter du mot actue l

javelle pour traduire l ' ancien motgaleyne, et c'estjavelle qu'a em-ployé avec raison Lemaistre de Sacy pour traduire le latin nzanu-pulunz dans ce passage . Selon son volume, la javelle peut forme rune poignée, une jointée, voire une brassée .

Galoxi,za a survécu (en se romanisant, bien entendu), jusqu ' auxv e siècle, dans la langue usuelle d'une région très éloignée de l aNormandie et de l 'Angleterre, à savoir la partie orientale du dé-partement de la Creuse .

Dans les coutumes de Clairavaux 3 , rédigées en 1270, l 'art . 64est ainsi imprimé par Louis Duval 4 :

Tout horns que vend blat huez ditz luecs, fors que a l'ueps de las bes-tias de sous hontes, deu laydas, so es assaber une gualaeinhe dei quar-tal del nuench .

L 'éditeur a singulièrement méconnu le sens de cette phrase :1° en glosant gualveinhe par « droit, amende » et en ajoutant qu egalvanus, d'après Du Cange, signifie « receveur' u ; 2° en glosant

1. Ct. les articles GowPEN et YEeSEN du New English Dictionary ; ajouter Roma -nia, t . XXXVI, p . 447 ; t . XXXVII, p . 182 .

2. Voir S . Berger, la Bible française au moyen âge (Paris, 1884), p . 230 et suiv.et p . 324-325 .

3. Gant. de La Courtine, arr . d 'Aubusson .4. Chartes communales . ., de la Creuse (Guéret, 1877), p . 45 .5. Ce n'est pas Bu Cange, mais Carpentier, qui a inséré dans le Glossariunc me-

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GALOXINA tt dOINTiE P .

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meuch par « noix a . II est certain que gualveinhe signifi e« jointée n, et que nueuch est une faute de scribe pour nzueuch ,a muid a . Au lieu de gualveinhe, il vaut mieux imprimer : gua-lueinlze ; peut-être mémo faut-il corriger gu- en gh-, car le g pri-mitif devant a devient j dans cette région et le son j y est souven tnoté par le groupe gh t .

Parmi les nombreux actes transcrits dans le Cartulaire d'Évaux 2,il y en a cinq échelonnés de 1420 à 1428 et tous relatifs à la mêm eparoisse, où figure, plus ou moins évolué, la mesure dénommé e

primitivement galoxirza .

1420, septembre 25 . — Pierre Mornat, de Floyrat 3 , paroisse d eDomeran a , . ., a cogneu et confessé a devoir . . . a . . . Frere Guilhaume Be-raud, prieur de Toul 5 . . . une quarte seigle, mesure de Jarnage°, une ge-

lenne moins . . ., sur tout son heritage assis et situé and . lieu de Fleurat . . .(fol . 113 v o) .

1426, septembre 25 . — Guilhaume Raganault, de Boufl'eys 7 . . ., ungseixtier de seigle, mesure de Jarnage, quatre gellines (sic) moins . . .(fol . 115) .

Même date . — Peyl Aupageys, de Floyrat . . ., une quarte de seigle ,mesure de Jarnage, de laquelle quarte de seigle led . Peyr doit lever un ejalenne . . . (fol . 104) .

Même date . — Jehan Beau, de La Poyadc s , et Pierre, son Emre . . ., ungsextier de seigle, mesure de Jarnage . . ., quatre jalennes moins . . .(fol . 147) .

1428, novembre li . — Jehan de la Villese°, dernorant ìi Baull'ex . . . a

dix et infimx latinitatis un article ainsi conçu : « * GALvANUS, florsun] qui redite sexigu, Gall . Receveur . Comput . ann . 1373 . ex Tabul, S . Petri Insul . : Primo procapensis Galvani, cunlis dc mandats capituli pro qurtdam ieformationc faciende ,occasions decimæ cujusdam . Vide supra in Gablum » . Bu réalité, Galvani est le gé-nitif du nom de personne Galvanos, on français Gauvain .

1. Le texte publié par L . Duval est très incorrect, vu que l'original de 1270 es tperdu, et que la confirmation des coutumes primitives, qui date de 1364, ne nousn été conservée que dans un terrier de 1485 .

2. Ch .-1 . de cant, de l'arr . d'Aubusson . — Ce cartulaire appartient aux arch .dép . de l'Allier, qui ont bien voulu en autoriser le transport aux Archives natio-nales, où j'y ai pris des extraits à la fin de 1919 .

3, Fleurat, comm. de Domérot.4. Domérot, cant . de lamages .5. Toula-Sainte-Croix, cant . de Boussac, arr . de Guéret.6. lamages, ch.-1 . de cant . de l'arr . de Guéret.7. Beaufaix, comm . de Domérot.8. La Pouyade, comm . de Domérot .9. La Villette, comm . de Saint-Silvain-Bas-le-Roc ou de Nouzerines, cant. de

Boussac,

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ANTOINE THOMAS .

esté condempnés a randre et payer . . . ung sextier seigle, mesure de Jar-nage . . ., reservé que led . Jehan doit prendre de chascune quarte une ge-lengne raisonnable. . . (fol . 108 v°) .

De galoxina a été tiré, avec le suffixe -sua, destiné à mieuxmettre en relief l'idée de contenu, un nouveau substantif *galo,xi-

nata, qui ne figure pas, sous sa forme primitive, dans les textes la -

tins qui nous sont parvenus, mais qu ' il est facile de reconnaîtr edans un soi-disant galasnzata, qui a mis en défaut la critique deshistoriens de la ville de Noyon . J 'ai la plus grande reconnaissanc eà mon confrère et ami Abel Lefranc de m'avoir entretenu jadis —je parle de longtemps, car c 'était à un des dimanches de GastonParis — de cette question, pour la solution de laquelle je ne pu salors que le renvoyer à l 'article GALONEE de Godefroy, si insuffi-sant qu ' il soit, ne prévoyant pas qu ' il me serait réservé la joie devoir de mes yeux, le 6 juin 1916, le mot galoxina clans un ma-nuscrit du lx° siècle, mais en ajoutant que, vraisemblablement ,galusmata devait étre lu : galusniata, Le vraisemblable, aujour-d'hui, est certain i .

Le type 'galoxinata est abondamment représenté en ancienfrançais .

1 0 En Normandie . — Dans ses Études sur la condition de la

1 . Voir A . Lefranc, Hist . de la ville de Noyon et de ses institutions . . . (Paris, 1887 ,75' fasc. de la Bibliothèque de l'École des hautes études), p . 170 . L'auteur dit dan sla note 6 : « Sézille, dans ses Nouvelles Annales, à la date 1203, dit que cette me -sure est mal connue . Elle signifierait, selon lui, une bassinée par demi-muid .Toutes nos recherches sur ce point ont été vaines N . La charte de 1203, où figurele mot, présente un si grand intérêt que le lecteur me saura gré de la lui mettr esous les yeux telle que l'a publiée M . Lefranc (op . laud ., pièces j'astif ., n' 30, p . 208 -209) ; il va de soi que j'y fais la correction indiquée .

Lettre de Jean, châtelain de Noyon, sur la mesure du sestérage des grains .Ego, Johannes, castellanus Noviomensis et Thorotensis, omnibus qui presen s

scriptum inspexerint, notum facio quod cum, de mensura sesteragii Noviomensi saccipienda, esset contentio, tandem in inquisiLione bonorum virorum hoc positumest, ut sicut temporibus patris mei bene memorie, Johannis castellani, accipieba-tur, ita deinceps accipietur . Inquisitum est igitur quod temporibus ipsius galus-niata de dimidio modio frumenti solebat accipi et de tremesio dupliciter accipie-batur ; et si plus vel minus mensurari contingebat, ad rationem galusniate vel plu svel minus accipiebatur. Et quoniam iterum discordia super hoc posset exoriri, que -dam mensura enea loco galusniate assensu et voluntate mea formata est, ad qua mmensurabitur et in perpetuum tenebitur . Et ut hoc ratura permaneat, presensscriptum meo feci sigillo roborari .

Actum anno Domini millesimo ducentesimo tertio (Livre Rouge, fol . 18 r' .) .

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GALOXINA (( JOINTÉE » .

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classe agricole . . . en Normandie au moyen cZge (Évreux, 1851) ,p . 568, L . Delisle a relevé parmi les e mesures et poids divers » ,une mention de « la gallesnie », qu ' il appuie de la citation sui-vante : e Debet xiiij asquet[os] cum xiiij gallesnies salis albi ; Lib .rnb . Troarni, fol . 125 r° l » . Il est évident qu ' il faut lire : gallesnies ,et rapprocher cette mesure de sel de galoxina, appliqué aussi a usel, dans le texte cité ci-dessus . Sur ce cartulaire de Troarn (ch .-1 .de cant ., arr. de Caen, Calvados), qui date du mn° siècle, voi rH . Stein, Bibliogr . des cartulaires, Paris, 1907, n° 3954) .

Dans un aveu du 21 mai 1426, relatif à Saint-Germain-des -Angles (cant . nord d'Evreux, Eure), on lit : a En payant une gal-lenee de farine a deux mains » (Arch . nat ., P . 294 4, cote 396) .Une copie de cet aveu porte galleure (ibid ., P . 308, fol . 21 v°-22 r°), forme fautive, que Godefroy (qui n 'a pas d 'art . GALLONEe )a malencontreusement recueillie, en définissant vaguement pa r

sorte de mesure » . Un autre aveu pour le même fief, du 9 oc-tobre 1453, porte correctement gallenee(ibid ., P . 294 4 , cote 415) .

2° En Picardie . — Godefroy a cité, comme exemple unique d eson article GALVINIE, et sans définition, un acte de 1215 publié pa rV. de Beauvillé (Ree . de doc. inédits concernant la Picardie ,4° partie, Paris, 1881), p . 40 . C ' est un accord entre l 'évêqu e

d 'Amiens et son maréchal, Thibaud de Poulainville, conclu par

l 'entremise de Pierre de Sarton, chanoine d 'Amiens . Voici un ex -trait plus complet que celui de Godefroy, où je corrige en u le c'du mot qui nous intéresse :

On li demanda [à P . de Sarton], quant li vesques n'estoit mie aAmiens, se mesires Tiebaus pooit manoir en le maison le vesque, o uprendre avaine à son cheval par son droit ; che ne seut il mie . Et si di tsire Pierres que des galuinies des prouvendes d'avaines, lesqueles galui-

nies mesires Tiebaus demandoit, k ' il n ' en savoit nient .

Dans un accord conservé en original au Trésor des chartes ,

daté de juin 1266 et passé entre l ' évêque de Laon, d ' une part, e t

les maire et jurés de la ville, on lit le passage suivant :

Gum discordia esset inter nos ., . super puigneiis et , joloneiis (sic) quas

1 . Godefroy cite cet exemple dans son art. Geu.esuIE (c'est le seul) avec cettedéfinition : s mesure pour le sel s, et en renvoyant par erreur i; Du Cange .

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100 ANTOINE THOMAS .

nos diebus sabbatis (sic) Lauduni, in foro et extra, per servientem nos-trum capere volebamus de porris et caulibus et oignonnis et nucibus . . .que ad vendendum adportabantur, dictis majore et juratis dicentibu secontra quod dictas puigneias et joloneias (sic) non poteramus capere . . . ,concordia facta est, quad nec nos de cetero capiemus . . . puigneias cli-quas nec jaloneias (sic) de quibuscumque rebus { . . .

3" En Champagne . -- Carpentier a inséré à la fin de l ' art . GALo

de Du Cange (bien qu ' il n 'y ait aucun rapport) l 'extrait suivant delettres patentes du roi Jean (décembre 1363) qui transcrivent, e nles confirmant, des lettres de l 'évêque de Langres (Li août 1358) ,d 'après le Ree . (les Ordonnances, t . III (publié en 1734), p . 657 ,art . 13, où Secousse a joint au texte un commentaire extrêmemen tconfus :

Oppressoient nosdiz ventiers les marchans estrainges amenans ouvendanz sel en nostredite ville, en exigeant excessivement les debite sacoustumées pour les chevaux, chers et cherrettes, géloinie ou me-sure 2 . . .

A la suite de cette citation, Carpentier a été bien inspiré d ' im-primer (mais en renvoyant sans raison à son art . * JALOTUS) cetextrait de la convention passée, le 22 mai 1461, entre le prieur etles habitants de Saint-Blin (ch .-1 . de cant . de l 'arr . de Chaumont ,Haute-Marne), confirmée par le roi Charles VIl au mois de sep-tembre suivant, et publiée clans le Ree . des Ordonnances, t . XV(1811), p . 69-100 (art . 3, p . 73) 3 :

A chacune beste trahant (Carp . imprime : traihant) qui sera à (aire le sdites corvées, une geloingnye d ' avoine 4 .

1. Layettes du Trésor des chartes, t . IV, art . 5183, p . 178-179 . Le même texte ,d'après une transcription conservée dans le registre ß du Trésor, u été publié pa rCarpentier dans son art . * JeeoNEI,e inséré clans le Glossnrircnt de Du Cange .

2. Un peu plus bas (comme le remarque Carpentier), p . 659, art . 11, on lit : gd -loingnie et gélonngnie . Voir dans Godefroy, art . Gi :Loxe , la fin de citation que j enéglige ici pour faire court, malgré son intérêt .

3. Carpentier cite (comme il va de soi) le registre JJ 198 du Trésor des chartes ,source du nec . des Ord .

-t. L'éditeur, le comte de Pastoret, fait cette remarque exacte, sinon profonde :a On trouve quelquefois galoingnie, gelonngnie, geloinie : mesure de capacité pourles choses sèches s . Godefroy, art . cité, ne donne que les quatre derniers mots enrenvoyant au Bec . des Ord. et au registre du Trésor .

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10 1GALOXI\ A (( JOINTßß )) .

4° En GAtinais . — Carpentier a été mal inspiré en ramenan tà un nominatif masculin sing . en -us un mot qu'il a trouvé àl 'ablatif pluriel dans un texte latin de 1360, copié sous le n° 522dans le registre .13 89 du Trésor des chartes, dont il a donné l ' ex-trait suivant :

Dictus Johannes ruerai deprehensus saisitus de quatuor jalognci .s, ve rcirciter, avenæ l .

Ce texte est relatif (ce qu'il a omis de dire) à la petite ville d eP oiseaux (Puttlicolis in Vas/ino), ch.-1 . de cant . de l ' arr . de Pithivier s

(Loiret) . Il est, clair que le rédacteur a voulu latiniser en jale -gneiss le français jalon iee, réduction d 'un plus ancien jalogniee .Le copiste a écrit jalotineus, au lieu (le jaloi;neiis, à l'ablatif plu -riel ; c ' est cette leçon qu ' il faut rétablir . La date complète est :

anno Domini nillesimo trecentesimo se.raÿesimo, mense fèbruarii,

c ' est-à-dire : « février 1361 (nouv . style) u 2 .5" En Flandre et clans la région wallonne . — Carpentier a bi-

zarrement rattaché à l'art . GOLENA, inséré clans le Glossar•iunz d e

1)u Cange, sans bonnes raisons, par les Bénédictins, les deux ex -

traits suivants, tout en reconnaissant lui-même qu ' il n 'y a aucunrapport de sens, et (lue dans ces deux extraits il s 'agit d 'une petit e

mesure, et non d 'un petit lac :

Si prent on doti mui de bleit mesurer quatre golenécs, teles que l i

mesureres les porca prendre (Redit . comitat . Hannon . ann . 1265 . ex

Cam. Comput . lnsul .) .Le septieme fiefvé est lung des fourriers avec ung autre, et eux deu x

ensembles (sic) doivent délivrer l ' avaine aux chevaux, et par ce moien su rchascune prouvende doivent avoir une èollenéc d ' avaine (Recognit .

Ms . 24 . feud . Gamone.) .

1. Le texte ajoute que le coupable portait cette qunntit, d'avoine in suo gramio

(faute pour gremio) .

2. Il n'y a pas lieu de faire élut du mot jaglonnée, relevé par Carpentier dan s

une lettre de rémission de 1408, relative au Gùtinnis, et rattache pur lui au bas -latin jaloneia (Godefroy, qui pille (,rpcnticr, traduit ù tort para botte de foin ,de paille n), car ce mot est synonyme de a jonchée d'erbe n (comme le dit le docu-ment mcme où il figure), et il dérive de ju luel a glaïeul s, comme jonchée dériv e

de jonc ; voir G . Paris, ,Mélanges linguistiques, p . 340, in-8e . Je crois étre d'accor davec le maitre en considérant jaglonnéc comme une forme dissimilée de *jagloléc ,

mais le rattachement de jaghecl au latin jaculune, qu'il propose, me parait impos-sible ; j'y vois simplement une urétnthi:se de glaiuci, c'est-à-dire le latin gladio -

lum .

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ANTOINE 'rnOJIAS .

Godefroy reproduit ces deux exemples (en abrégeant le second )

en tête de son art . GALONEE, où l'on trouve, en outre, un exempl ede Valenciennes, daté de 1457 (Iceluy bled tel que à la prisee de s

galenees de la huge de le halle "1 ), un exemple des poésies de Frois -

sart, on a golonnees est pris au figuré (Quant Fortune ensi me de-

part De ses biens a golonnees), et un exemple de 1717, tiré descomptes de la châtellenie de Mortagne-du-Nord, cant . de Saint-

Amand, arr . de Valenciennes (Un hotteau contient douze l;olle-

nces) .L 'hésitation entre gal- et gol- rappelle ce que l 'on a pu re-

marquer ci-dessus dans le texte de Laon, où l 'on trouve concur-remment /al- et /ol-, et le sens convient bien à celui de *n.aloxinatatel que je l'ai établi, malgré l 'altération de la forme 2 .

Ce serait sortir du cadre de ce Bulletin que d 'énumérer lesnombreuses formes, toutes explicables par les lois phonétiques ,que le type *tialoxinata a prises dans le domaine considérabl equ'il occupe aujourd'hui . Ces formes sont répandues clans presqu etoute la Normandie (voir les dictionnaires de Decorde, Delboulle ,A. et E . Duméril, Fleury, Guerlin de Guer, Joret, Maze, Moisy ,Robin, etc .), dans une faible partie de la Lorraine (voir le diction-naire de Labourasse pour Les Vouthons, Meuse, p . 333, art . .l 'nou-GNEIL, Et celui de M . Mathis, encore inédit, que me signale Ch . Bru-neau, pour Fraize, Vosges), clans toute la Franche-Comté (voir le sdictionnaires de Boillot, Contejean, Dartois, Roussey, Tissot) e tclans le territoire de Belfort (voir le dictionnaire de Vautheri npour Châtenois), sans parler du domaine wallon, dont il a ét équestion ci-dessus .

Mais ce que le lecteur voudrait sans cloute connaître, c'est l 'ori-gine du mot galoxina . Je dois avouer que toutes mes recherche sà ce sujet, poursuivies depuis près de trente ans, ont échoué . A

1. Cf . l'art . GoLtEE L d'Hécart, Die"t . rouchi-transcris, 3' M. (Valenciennes, 1834) .2. Cf. d'ailleurs Grandgagnage, Diet . étym . de la langue wallonne, art . GORLI E

(I, 238), où on lit comme définition : s ce que les deux mains jointes contiennen tde grain s, et GOLENPIE (II, 599) . Mon collègue M. J . Haust nie signale guindyc e tgorleye, qui se font aujourd'hui concurrence dans la Hesbaye . Le g explosif initialest surprenant, dans la Hesbaye comme à Namur, car on attendrait un dj ; s'agit-ild'un emprunt au wallon occidental, ou d'une variante du type étymologique? E ntout cas, en patois paumais (près de Virion, dans le Luxembourg), on a régulière-ment djinoliye (métathèse de *djiloniye) : s jointée, grosse poignée, petite brassée a(communication de J, Haust) .

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GALOXINA tt JOINTIìE » .

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priori, le mot semble contenir comme premier élément le préfix egermanique ga- (allemand actuel ge-), apparenté étymologique-ment au latin cam ; mais le radical lac- demeure inexpliqué, ca ron ne peut pas mettre en cause l ' allemand loch u trou, ouverture » ,qui ne rendrait pas raison du x de galoxina . D 'autre part, consi-dérer l ' initiale gal- de notre mot comme un radical, et l 'apparen-ter aux mots énumérés dans les articles GALO de Du Cange e tGALLÈTA de Meyer-Liibke, ne me parait qu 'un piètre expédient'] .

Antoine TrIORIAS .17 octobre 1925 ,

1 . Mon confrère Antoine Meillet m'écrivait, à la date du S juin 1916 : a Je nevois rien en germanique qui puisse expliquer galoxina. Je ne suis pas très germa-niste ; mais j'ai peine à croire que ce mot soit germanique » . — Vers la même date ,mon confrère J . Loth attirait mon attention sur l'irlandais moderne glas ou glees ,qui a le sens de a poignée », et qui comporte un diminutif glaicin, a petite poignée ,petit faisceau » . Il ajoutait : « L'irlandais glas remonte sûrement à *glakso, pour unindo-européen *glapso . Il est très possible qu'il ait existé un vieux celtique insu-laire *glaksinù, qui. est bien près de votre galoxina . Je crois que *glap-, à cóté de*galop, n'offre aucune difficulté » .