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GARE ! Comédie 15 personnages * Auteur : Philippe Laperrouse *Sur les 15 personnages, 10 peuvent être indifféremment hommes ou femmes. 4 autres sont des hommes, 1 autre est une femme. Philippe Laperrouse 5, allée de l’Ardelière 69290 Grézieu-la-Varenne [email protected]

GARE - Le Proscenium · Le cadre unique de la pièce est un hall de gare. Pas d’équipement (sauf mention du contraire) Préambule. (Au milieu de la gare, le chef de gare tourne

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GARE !

Comédie

15 personnages *

Auteur : Philippe Laperrouse

*Sur les 15 personnages, 10 peuvent être indifféremment hommes ou femmes.

4 autres sont des hommes, 1 autre est une femme.

Philippe Laperrouse

5, allée de l’Ardelière

69290 Grézieu-la-Varenne

[email protected]

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Note de mise en scène :

Décor

Le seul décor de la pièce est un hall de gare. La pièce peut être jouée sur une

scène quasiment nue, sauf certaines scènes qui nécessitent des chaises et une

table. Une sorte de « poubelle publique» est également nécessaire à l’acte 1.

Personnages

« L’ancien » chef de gare.

« Le nouveau » chef de gare.

Joséphine, l’employé à tout faire.

Un jeune homme (noté JH), voyageur un peu perdu.

Un journaliste.

Deux groupes de 5 personnes (une troupe de comédiens engagés pour ‘peupler’

une gare peu fréquentée) :

- Le groupe A qui observe le tableau des départs

- Le groupe B qui observe les arrivées de trains

Dans chaque groupe, les membres sont désignés par un numéro de 1 à 5 (A1,

A2…A5, B1B2… B5). Ils peuvent indifféremment hommes ou femmes.

Costumes modernes

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AVERTISSEMENT

Le texte suivant a été téléchargé depuis le site

http://www.leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur.

En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir

l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès

de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la

France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut

faire interdire la représentation le soir même, si l’autorisation de

jouer n’a pas été obtenue par la troupe.

Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs

homologues à l’étranger) veille au respect des droits d’auteur et

vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori.

Lors de sa représentation, la structure de représentation (théâtre

MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit

produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces

règles entraîne des sanctions (financières entre autres) pour la

troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une

obligation, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le

public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Le cadre unique de la pièce est un hall de gare. Pas d’équipement (sauf mention du contraire)

Préambule.

(Au milieu de la gare, le chef de gare tourne en rond autour d’une table, la secrétaire est

assise sur une chaise - bloc-notes sur les genoux - en attente des instructions de son chef. La

secrétaire a un air nunuche durant toute la scène)

Le chef de gare : Vous savez ce que c’est qu’une gare Joséphine ? Je parle d’une vraie

gare !

Joséphine : Euh… oui, chef …c’est un endroit où on prend le train, chef…

Le chef : C’est un endroit où des trains arrivent et dont d’autres partent. C’est

donc un endroit où il y a donc des gens, beaucoup de gens avec plein

de bagages, certains reviennent chez eux, d’autre s’en vont en

vacances ou se déplacent pour travailler.

Joséphine : Oui, chef.

Le chef : Et une gare, Joséphine, voyez-vous… c’est un des derniers bastions de

la démocratie. Vous savez pourquoi, Joséphine ?

Joséphine : Euh… non, chef …

Le chef : Non, vous ne savez pas. Eh bien, je vais vous le dire. Dans une gare,

tous les voyageurs sont égaux entre eux avec leurs petites valises. Il n’y

a pas de voyageurs plus égaux que d’autres. Vous en connaissez

beaucoup des lieux comme ça ?

Joséphine : Euh… non, chef…

Le chef : Et ici, dans la gare de Filou-en-Artois, qu’est-ce que vous voyez

Joséphine ?

Joséphine : Rien. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de trains qui partent ou

arrivent.

Le chef (tape le poing sur la table) :

Eh bien, c’est ça qui n’est pas normal Joséphine ! Il n’y a peut-être pas

beaucoup de trains, mais il faut que cette gare vive. C’est pourquoi je

la remplis de voyageurs !

Joséphine : Ah ! J’ai compris, chef ! C’est pour ça que vous engagez une bande de

comédiens !

Le chef : Voilà ! On y est, Joséphine. Nous allons avoir deux groupes de 5

comédiens. L’un, que je vais appeler groupe A, au pied du tableau

d’affichage des départs. Ils joueront le rôle de voyageurs sur le départ.

Ce sont ceux qui regardent en l’air (il mime). Vous avez remarqué

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Joséphine que dans toutes les gares, il y a toujours une partie de la

population qui regarde en l’air…

Joséphine : Oui, chef !

Le chef : Eh bien, moi, je veux avoir des voyageurs qui regardent en l’air. Et de

l’autre côté, nous aurons le groupe B, composé de cinq comédiens

dont le rôle sera d’attendre l’arrivée des trains en regardant au loin (il

mime). Il y en a aussi dans toutes les gares de ce nom.

Joséphine : Chef ! J’ai compris ! Nous créons comme qui dirait un petit monde où

vivraient deux populations : ceux qui regardent en l’air et ceux qui

regardent au loin !

Le chef : Parfait Joséphine ! Exécution !

(Rideau. On enlève la table et la chaise)

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Acte 1.

(Côté cour 5 personnes se postent devant le tableau des départs. Ils regardent en l’air dans sa

direction. C’est le groupe A. Cinq autres personnages un par un entrent et se postent côté

jardin, devant le quai des arrivées. Ils regardent au loin. C’est le groupe B. Chaque membre

des groupes est nommé par une lettre et un chiffre. Exemple : A2 ou B4)

Scène 1

(Lumière sur le groupe A)

A1 : Encore en retard, évidemment !

A2 : Vous prenez le train pour Saint-Benoit ?

A1 : Oui, pas vous ?

A2 : Non, il est toujours en retard.

A3 : Vous ne prenez que des trains à l’heure ?

A2 : J’essaie, mais c’est compliqué.

A4 : On se demande pourquoi il n’y a jamais de trains qui partent en avance ?

A1 : Ça vous conviendrait vous, d’arriver un quart d’heure après le train qui est parti 20

minutes en avance ?

A5 : Moi, je ne sais pas encore quel train je vais prendre, j’hésite et vous ?

A3 : Moi, je préférerais l’avion, mais je n’en vois pas sur le tableau ?

A5 : C’est parce que c’est une gare … c’est pour les trains … ils sont mis les avions

ailleurs…

A3 : Ah bon ? Ce n’est pas très commode, ça pourrait être au même endroit.

A2 (à A3) : Vous faites quoi comme job ?

A3 : Oh pas grand-chose, c’est pour ça que j’ai le temps de prendre le train.

Scène 2.

(Une personne qui attend un voyageur –groupe B- se détache du groupe et se glisse dans le

groupe de ceux qui regardent en l’air, ceux-ci l’observent avec suspicion)

A1 : Qu’est-ce que vous faites là ?

B1 : J’attends Gérard, ça vous dérange ?

A2 : Vous voyez bien que vous n’êtes pas au bon endroit. Les voyageurs qui regardent au

loin en attendant quelqu’un, c’est là-bas !

A3 : Oui, ici, ce sont les gens qui regardent en l’air, en observant le tableau des départs.

A4 : C’est vrai ça, on ne peut pas à la fois regarder au loin et regarder en l’air.

A5 : Allez ouste du balai !

(B1 rejoint son groupe)

Scène 3.

(Lumière sur le groupe B)

(Les gens du groupe B papotent)

B2 (à son voisin)

Le train de Gatignolles est en retard.

B3 : Je m’en fous, moi j’attends celui de moins quart.

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B2 : Il arrive d’où ?

B3 : Je ne sais pas, mais il y en a toujours un qui arrive à moins quart.

B4 : Vous pourriez attendre aussi le train de Gatignolles avec moi. Il arrive à moins cinq. Il

faut se montrer solidaire entre nous, sinon on ne va pas s’en sortir.

B3 (à B5) :

Et vous, qui attendez-vous ?

B5 : Moi, rien.

B4 : Alors, vous pourriez attendre ailleurs.

B3 : Ici, c’est très spécialisé, c’est l’attente de trains.

B5 : Vous êtes marrant… qu’est-ce que je peux attendre d’autre qu’un train ?

B4 : Moi, j’attends une promotion…

B2 (à B5) : Vous attendez tous les jours ?

B5 : Oui, mais pas le dimanche, je n’attends rien du dimanche.

B1 : Laissez-le ! Il a le droit de ne pas travailler le dimanche ! Un peu de tolérance !

B4 : Oh, vous ! Ce n’est pas parce que vous attendez Gérard que vous êtes plus important

que les autres !

B2 : B1 a raison, il s’est fait virer de la population de ceux qui regarde en l’air, soi-disant

parce qu’il ne sait pas lever les yeux. Soyons plus tolérants que ceux qui regardent en

l’air.

B3 : Oui, moi je me méfie d’eux. Ce sont des gens bizarres, pas très civils, regardez-les, il

passe leur temps à se marrer.

B2 : Non, ils ne rigolent pas. C’est une espèce de rictus… le rictus agacé des gens dont le

train n’est pas encore affiché au départ.

Scène 4

(Lumière sur le groupe A)

(Les gens qui attendent les départs discutent entre eux)

A4 (à A3) :

Pourquoi rigolez-vous ? Vous trouvez ça marrant de regarder le tableau des départs ?

A3 : J’aime bien quand les lettres défilent à toute vitesse. On a tous un petit frisson. On se

demande sur quoi ça va s’arrêter.

A2 : Chut ! Un peu de sérieux, on n’est pas au tirage du loto !

A1 : Pourquoi ils ne mettent pas le numéro des voies ?

A5 : C’est comme ça ! Ça dépend des jours ! Certains jours, ils n’ont pas envie que l’on

prenne le train !

A4 : Vous restez quand même à regarder en l’air, même quand rien n’est affiché ?

A5 : Oui, parce que parfois, ils mettent un numéro de voie furtivement, il faut être rapide

pour l’apercevoir. C’est un vrai métier. Vous avez un pro devant vous.

A4 : Observateur de panneaux en gare ! Je ne savais pas que ça existait.

A1 : A5 a raison. Regarder en l’air ne s’improvise pas. Tenez regardez A2, il n’y parvient

pas. Je me demande même si ce n’est pas un espion.

A3 : C’est fréquent, les autres nous envoient des espions, un de ceux qui regardent au

loin… On en a déjà viré un, tout à l’heure ! ….. Tiens en voilà un autre qui s’approche,

prenons l’air de rien.

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A4 (à B4, l’espion supposé) :

Qu’est-ce que vous attendez, vous ?

B4 : La diligence pour Orléans.

A3 (se tourne vers son groupe) : Qu’est-ce que je disais ? Un espion !

A5 : La dernière diligence est partie il y a un siècle et demi, vous n’avez pas de chance !

A1 : Allez, ouste de l’autre côté !

Scène 5

(Lumière sur le groupe B)

(B4 revient dans son groupe)

B1 (à B4):

Ils vous ont chassé vous aussi ?

B4 : Oui, mais je m’en fous, je vais continuer à attendre Georgette ici.

B2 : Votre belle-sœur ? Celle qui est décédée l’an dernier ?

B5 : Laissez-le attendre Georgette, moi je n’attends personne, on sera au moins deux à

attendre pour rien !

B4 : Tiens, ils nous ont encore envoyé un espion à leur tour.

(A4 arrive, il regarde de manière ostentatoire en l’air)

B1 : À quoi vous voyez ça ?

B4 : Il marche en canard.

B2 : On le fusille tout de suite ?

B4 : Non, on va jouer le coup plus finement. Laissez-moi faire (il se tourne vers A4)

B4 : Bonjour ! Qu’est-ce que vous attendez ?

A4 : Madeleine.

B4 : Et toc ! Je vous ai piégé ! Il n’y a pas de Madeleine à attendre. Avouez plutôt que vous

êtes quelqu’un qui attend le départ d’un train.

A4 : Vous vous méprenez. Je prie le ciel de me la renvoyer.

B2 : Elle est partie ?

A4 : L’an dernier, on était en train d’attendre le train pour Boudinot-les-Bains et d’un seul

coup, elle s’est enfuie avec un type qui partait pour Saint-Robert-les- Boulloches.

B3 : C’est ballot !

B5 : Vous feriez mieux de retourner chez ceux qui regardent en l’air, le train suivant pour

Saint-Robert est peut-être annoncé au départ. Vous pourriez la rejoindre.

A4 : Oui, mais à Saint-Robert, ils ont pu prendre une correspondance pour n’importe où.

Si vous voyez un train qui arrive de n’importe où, je compte sur vous.

Scène 6

(Lumière sur le groupe A)

A1 : Tiens ! Le train pour Tarporon a un quart d’heure de retard.

A3 : Comme on ne sait pas à quelle heure il devait partir, on n’est pas très avancé !

A4 : De toute façon, je crois qu’ils sont en train de chercher un volontaire pour le

conduire. Personne ne veut aller à Tarporon.

A5 : Je vous demande pardon ! J’aurais besoin d’une poubelle pour jeter mon papier. Je

n’en vois qu’une et elle est squattée par ceux qui regardent au loin.

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A4 : J’en étais sûr. Ils s’approprient tout le terrain.

A1 : Bientôt, il nous faudra aller attendre le départ des trains, ailleurs.

A2 : Oh ! Vous avez vu, ils ont mis un train avec un horaire de départ.

A3 : Pas de panique, c’est celui qui est parti hier.

A5 : Bon, je vais négocier pour la poubelle !

A1 : Je vais avec vous !

A4 : Soyez ferme !

Scène 7.

(Lumière sur le groupe A)

B1 (A5 se positionne devant lui) :

Vous voyez bien que vous me gênez pour regarder au loin!

A1 : C’est pour la poubelle, il n’y en a qu’une pour toute la gare. Il faudrait partager.

B1 : Non.

A5 : C’est injuste, la poubelle est près de vous alors ceux qui regardent en l’air mangent

beaucoup plus que ceux qui regardent au loin.

B1 : Et alors ?

A1 : Nous produisons donc plus de papiers d’emballage !

B4 : Qu’est-ce qu’ils font là, ceux-là ? Qu’est-ce qu’ils attendent ?

B1 : La poubelle.

B5 : Ils ont de la chance, moi je n’attends rien. Une poubelle, c’est mieux que rien.

B1 (regarde au loin): Ah voilà, Gérard !

B5 : Non ! Là-bas, c’est la femme du chef de gare !

B2 : Qu’est-ce qu’elle fait ?

B5 : Elle attend Julien, son amant.

B3 : Elle pourrait attendre avec tout le monde.

B4 : Non, elle a une dispense.

B3 : De qui ?

B4 : Du chef de gare.

A1 : Alors… pour la poubelle, on fait comment ?

B3 : On pourrait instaurer un tour de rôle. Nous l’aurions de 8 heures à minuit. Et vous de

minuit à 8 heures.

A4 : Euh… non, il n’y a pas de trains qui partent la nuit ! Donc on n’est pas là.

B2 : Vous n’avez qu’à être là ! Instituez un tour de garde nocturne, chacun prendrait un

quart. Vous auriez alors accès à la poubelle !

B3 : Ou alors, cessez de grignoter des barres de chocolat, ce sera profitable pour votre

santé.

A1 (à A4) :

Venez, il n’y a rien à en tirer.

Scène 8.

(La lumière revient sur le groupe A)

A2 (à A4) :

Alors ?

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A4 : Ils ne veulent rien savoir.

A3 : J’ai une idée : on va se mettre à attendre le départ des trains à l’arrivée des trains,

comme ça on pourra utiliser la poubelle.

A2 : Vous trouvez ça commode de regarder au loin en regardant en l’air ?

A4 : Il faut trouver autre chose pour les emmerder.

A1 : J’ai encore une idée : on va prendre un train qui arrive. On passera forcément devant

eux et on pourra donc utiliser la poubelle.

A5 : Euh… Oui, mais pour prendre un train qui arrive, il faudrait commencer par prendre

un train qui part.

A4 : Il y a bien celui de Trouffignon-sur-Bedaine, ça fait trois jours qu’il est affiché comme

partant dans une demi-heure.

A2 : Certes, mais peut-on un jour revenir de Trouffignon-sur-Bedaine ?

A4 : Attendez, je crois qu’il envoie un émissaire.

B2 : Si je comprends bien, vous voudriez l’accès à la poubelle ?

A1 : Et comment !

B2 : Bon ! Les copains sont d’accord, vous venez nous aider à attendre trois heures par

jour et vous avez droit à la poubelle pendant le même temps : trois heures par jour.

A3 : C’est un peu délicat, nous ne sommes pas conformés pour regarder au loin. Les

syndicats vont râler !

B2 : Mais si, mais si ! Vous faites des histoires ! Penchez-vous un peu… Eh bien, vous

voyez, ce n’est pas difficile, il suffit de se conformer à nos coutumes pour vivre avec

nous. Envoyez-nous un volontaire.

A2 : Bon, c’est d’accord ! A5 dévouez-vous ! Vous, vous penchez bien !

(A5 part en se penchant en avant.)

Scène 9.

(Lumière sur le groupe B)

B1 : Bienvenu étranger ! Ne craignez rien. Nous, nous savons accueillir les étrangers !

B2 : Oui, vous verrez ! Attendre des arrivées, on s’en fait un monde, mais ce n’est pas

tellement difficile !

A5 : L’ennui, c’est que je n’attends personne. Moi, j’étais parti pour prendre le train pour

Borglou-les-trois-Rivières.

B3 : Ce n’est pas grave, moi non plus, je n’attends personne. Ce n’est pas comme B3, il

attend Melanie Dugenou depuis trois jours.

B4 : Oui, mais il parait qu’elle a changé de nom. Si ça se trouve, elle est déjà passée.

B1 : Bon ? Il est sympa A5, on pourrait lui trouver quelqu’un à attendre.

B5 : Moi, je peux proposer l’oncle Bernard, il arrive deux fois par an.

A5 : J’étais surtout venu pour la poubelle.

B2 : C’est vrai qu’on n’en a pas tellement besoin.

B1 : Oui, mais c’est symbolique. On ne peut pas rendre un symbole. Il faudrait faire un

débat.

B5 : Bon, si vous pouviez vous taire, moi j’aime bien attendre en silence.

A5 (Toujours penché ) : Euh… je me sens mal !

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Scène 10

(Lumière sur le groupe A)

A2 : Je me demande si c’est une bonne idée de leur avoir envoyé quelqu’un.

A4 : Il y a des dangers à se mélanger entre groupes. L’an dernier, il y a une voyageuse qui

regarde au loin qui est tombée amoureuse d’un type qui regarde en l’air.

A3 : On se demande où regardent les enfants.

A1 : Tiens ! Voilà notre compatriote qui revient.

A3 : Alors ?

A5 : Eh bien, à force de marcher penché en avant, j’ai vomi. Dans leur poubelle. Du coup,

ils veulent bien nous la céder.

A1 : Charmant ! Vous auriez pu vous retenir !

A4 : Regardez tous, ils ont mis un train qui arrive parmi les trains qui partent !

A1 : Quelle bande de nuls !

A3 : On ne va pas le dire aux autres, ça leur ferait trop plaisir !

Scène 11.

(La lumière se reporte sur le groupe B)

B2 : Tiens un train arrive qui n’était pas annoncé !

B3 : C’est normal, c’est le train de Mouzinot.

B4 : Ce n’est pas grave, personne ne le prend jamais. Donc personne n’attend le train de

Mouzinot.

B6 : Il le garde quand même ?

B1 : Oui, c’est pour Marius, le conducteur qui est de Mouzinot. Il vient faire ses courses

par ici.

B3 : S’ils suppriment la ligne, Marius va se mettre en grève.

B1 : Ça dégraderait le climat social. Ce serait dommage.

B2 : La poubelle commence à sentir ! Je vais la remettre au milieu de la gare !

(Il s’exécute)

Scène 12.

(La lumière se reporte sur le groupe A)

A1 : Ah, tiens voilà, le train consensuel !

A4 : Qu’est-ce que c’est que ça ?

A2 : C’est le train qui va jusqu’au bout du quai, puis qui revient tout de suite.

A3 : Oui, c’est nouveau ! Comme ça, tout le monde est content, ceux qui attendent des

départs et ceux qui attendent des arrivées.

A2 : Moi, je le prends jamais, il ne fait pas d’arrêt devant le distributeur de boissons.

A4 : Bon, moi, je vais peut-être rentrer, ma femme m’attend !

A1 : Elle attend les départs aussi ?

A4 : Elle vient de temps en temps.

A3 : C’est le grand amour entre vous ?

A4 : Oui, puisque nous regardons ensemble dans la même direction, mais si je rentre trop

tard, elle va lever les yeux au ciel !

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Scène 13.

(Lumière sur groupe B)

B3 (au téléphone) : Salut, Norbert ! Non… c’est vrai ???? C’est incroyable ! Il faut que j’en

parle autour de moi. (Il clôt la conversation)

B1 : Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

B3 : C’est mon cousin Norbert ! Il attend les trains à la gare de Gaffouilles- les-Deux-

Clochers. Le train de Romignon vient d’arriver chez eux au lieu d’arriver ici. Il dit que

ce n’est pas la peine de l’attendre.

B2 : Ce n’est pas possible ! Ils se sont gourés ? Quelle bande de cons !

B5 : C’est nul ! Ça me rappelle le coup de Troussi-les-Bains, le chauffeur de la locomotive

avait oublié les wagons. Il n’a jamais osé retourner les chercher.

B4 : C’est un cas très rare de train qui ne part pas et qui n’arrive pas non plus.

B1 : En même temps, personne n’attendait quelqu’un du train de Romignon.

Scène 14 :

(Lumière sur groupe B. Joséphine entre)

B2 : Voilà Joséphine ! Elle a sûrement un message du chef de gare.

Joséphine :

Le chef veut plus d’animation. Je dois annoncer un grand train en provenance de

Barcelone et il dit qu’il faut que vous vous remuiez les fesses pour donner

l’impression d’accueillir du monde.

(Joséphine prend une voix de haut-parleur)

Joséphine :

Votre attention, s’il vous plait. Le train en provenance de Düsseldorf… euh non…je

me suis gourée… de Barcelone est annoncée voie B. Veuillez reculer du bord du

quai !

B3 : Pourquoi elle dit ‘voie B’, de toute façon, il n’y a qu’une voie.

B2 : Tais-toi et fais comme moi !

(Le groupe B accueille les « voyageurs »s virtuels en trépignant avec de grands gestes de la

main. Le groupe se précipite avec de grands cris de joie vers les « voyageurs » arrivant en

disparaissant en coulisse. Pendant ce temps, Joséphine est allée vers le groupe A)

Joséphine :

Le chef a dit que vous dormiez. Je dois annoncer un grand train au départ. Préparez-

vous.

A3 : Mais, il n’y a jamais de train qui part…

A5 : Tais-toi, on va en faire partir un !

Joséphine (voix de haut-parleur)

Attention ! Attention ! Le train en partance pour New-York est prêt à partir sur la voie

B. Les voyageurs sans billet ne peuvent monter dans les wagons.

B4 : Vite ! Vite ! Tous à New-York ( Tout le groupe disparait en coulisse !)

(Rideau)

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ACTE 2

(Au lever de rideau, seuls sont présents ceux qui attendent les départs)

Scène 1

A1 : Ou ils sont passés les autres ?

A3 : Ils ne viendront pas puisqu’aucun train n’arrive aujourd’hui, à part celui de Marius

évidemment.

A2 : On va être tranquilles puisqu’aucun train ne part non plus.

A1 : Bon, alors qu’est-ce qu’on vient faire ici ?

A5 : On regarde le tableau, c’est le job ! La mission doit primer sur toute autre

considération !

A3 : Je crois quand même que le train de Fousses-sur-Pignon va passer, mais il ne

s’arrêtera pas. On peut l’attendre si vous voulez !

A4 : C’est vrai ça, il y a des gens pour attendre les trains qui partent, des gens qui

attendent les trains qui arrivent, mais personne pour attendre ceux qui ne font que

passer.

A2 : Quand même, les autres pourraient venir, on ne va tout de même pas faire leur non-

job à leur place !

A5 : Tiens, voilà le train de Marius.

A1 : Il arrive tôt aujourd’hui.

A4 : Remarque, comme il ne prend aucun voyageur, il fait un peu ce qu’il veut.

A5 : Ce n’est pas possible ! Il y a un type qui descend du train de Marius ! Merde alors. Je

croyais que c’était interdit. Il a l’air bizarre.

A3 : Et il n’y a personne pour l’attendre !

A2 : J’appelle les autres ! Allez le bloquer !

A5 : J’y vais.

A1 : Je viens de voir Marius. Il dit que c’est un sénégalais.

A4 : Un sénégalais ? Restons unis. On ne sait jamais.

A3 : Jamais quoi ?

A4 : Je ne sais pas

Scène 2

(Le groupe B arrive, certains sont encore ensommeillés)

B1 : Je n’y crois pas, Marius a transporté quelqu’un !

(A5 arrive avec l’individu)

A1 : Je croyais que c’était un sénégalais.

Le journaliste:

Blanc. Je suis un sénégalais blanc.

B3 : Et qu’est-ce qui nous vaut le plaisir de votre visite ?

Le journaliste :

Je suis journaliste, je rédige un article sur les gens qui attendent le départ ou

l’arrivée des trains. Vous voulez bien m’aider ? J’ai quelques questions à vous

poser.

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B4 : Pour un journal sénégalais ?

Le journaliste :Non, ça n’a rien à voir.

B5 : Bon, je suis le plus ancien. Installons-nous dans la salle d’attente.

(Le groupe des A et des B disparaissent, le journaliste et B5 s’installent autour d’une table au

milieu de la scène)

Le journaliste : Alors cher … cher… Comment doit-on vous appeler au fait ?

B5 : B5… On s’appelle tous par une lettre et un chiffre.

Le journaliste : Ah bon ! Vous pourriez adopter votre nom de famille, c’est pratique. C’est

comme ça qu’on fait au Sénégal.

B5 : Non ! Le quai d’une gare, c’est un des derniers endroits où chacun est égal à

chacun. Il ne faut pas rompre cette harmonie. Donc, il faut s’appeler pareil.

Le journaliste : Très bien. Alors, cher B5. D’où tenez-vous cette passion pour l’attente des

trains ?

B5 : Figurez-vous que mon grand-père figure déjà dans le film des frères Lumière

sur l‘arrivée d’un train en gare de la Ciotat, ça vous crée une solide vocation.

Le journaliste : Tiens donc ! Ma grand-mère y figurait aussi.

B5 : Une gare, finalement, c’est le seul endroit où on sait encore attendre

convenablement. D’ailleurs nous sommes dans la salle réservée à cette

activité. Nous avons ici des spécialistes de haut niveau. Tenez, je vais vous

montrer quelqu’un. (Il appelle) : B4 ! Viens voir !

(B4 arrive)

B5 : Regardez B4… Une de nos recrues de l’hiver. Il a une expérience folle : dix ans

d’attente dans les bureaux de la CAF, six ans dans ceux de Pôle Emploi…. Ça

vous forge une compétence. C’est notre vedette. Notre avant de pointe !

Le journaliste : Très impressionnant !

B5 : Nous avons des échecs malheureusement. Par exemple, le petit B26 qui est

parti avec sa mère dès qu’elle est descendue du train.

B4 : Mais nous avons aussi nos héros : B0, mort d’émotion, l’an dernier, dans les

bras du chef de gare, la première fois qu’il a vu un TGV s’arrêter le long du

quai.

(B1 arrive à son tour)

Le journaliste: Et qu’est-ce qui vous a fait choisir l’arrivée des trains plutôt que le départ ?

B1 : Ce n’est pas du tout la même chose. Lorsqu’un train entre en gare, c’est la fin

de quelque chose. C’est comme Noël. Quand vous étiez enfant, vous

l’attendiez impatiemment et le 26 décembre vous sentiez comme un grand

vide. Comme un fantasme qui se réalise. La seule manière de s’en tirer, c’est

d’attendre le train suivant.

(A2, A4 et A3 entrent)

A3 : Euh… Désolé, mais on a aussi des trucs à dire au journaliste. !

A4 : Moi, j’ai préféré observer les départs. Il y a plus d’émotion : des gens qui

pleurent, qui s’embrassent, se reverront-ils un jour ? C’est une vraie

dramaturgie.

A2 : Moi, j’aime bien les jeunes qui partent à la neige, skis sur l’épaule en

éborgnant tout le monde.

Page 15: GARE - Le Proscenium · Le cadre unique de la pièce est un hall de gare. Pas d’équipement (sauf mention du contraire) Préambule. (Au milieu de la gare, le chef de gare tourne

A3 : Moi, j’observe la mine dépitée de ceux qui arrivent en courant pour voir leur

train s’éloigner sans eux. J’aime les réconforter en les berçant doucement

dans mes bras.

A4 : Bref, c’est la vie. Parfois triste, parfois joyeuse, parfois fuyante !

Le journaliste : Mais quand vous voyez tous ces trains prêts à partir, n’avez-vous jamais eu

envie de vous embarquer ?

A3 : Non, de toute façon, les informations du tableau d’affichage sont toutes

fausses.

Le journaliste : Comment ça : toutes fausses ?

A2 : Vous êtes à Filou-en-Artois. Ici, le chef de gare fait ce qu’il veut. On n’est pas à

la gare de Lyon.

Le journaliste : Qu’est-ce que c’est que ce fonctionnaire qui n’obéit à personne ?

A3 : Il fait exprès de tromper les voyageurs pour qu’ils lui parlent. Chez lui, sa

femme ne lui parle plus… depuis qu’elle connait Julien… Vous comprenez…

Le journaliste : Donc, le chef de gare est …

A5 : Non, on n’emploie pas ce mot ici.

Le journaliste : C’est curieux, je n’ai jamais vu un fonctionnement pareil. Et comment fait-on

pour bosser avec vous ?

B1 : Vous pensez bien qu’il y a des tests. Attendre, ça s’apprend. Taper du pied ou

regarder sa montre comme un imbécile en espérant que le temps passera plus

vite, tout ça, c’est sévèrement sanctionné.

Le journaliste : Comment est-on affecté du côté des départs ou des arrivées ?

B3 : C’est comme dans une équipe de foot. Il faut adapter le joueur en fonction de

sa morphologie. Pour jouer du côté des départs, il faut être plutôt grand pour

déchiffrer le tableau des trains.

A4 : Pour jouer dans la cour des arrivées, il faut être physionomiste pour

reconnaitre éventuellement un voyageur qui descend d’un train.

Le journaliste : Et ça sert à quoi de reconnaître un voyageur ?

A4 : À rien, mais ce n’est pas le problème. Quand vous attendez un train, il faut

vous attendre à tout. C’est professionnel. J’ai même reconnu Johny Halliday

un jour.

A2 : Oui, enfin sauf que ce n’était pas lui.

(Le chef de gare entre)

Le chef : Qu’est-ce que vous faites tous là ? Et pendant que vous papotez… qui c’est qui

attend les trains ? À quoi elle ressemble ma gare, si personne n’attend les

trains ! Allez ouste ! Au boulot ! Vous le journaliste, suivez-les sur le terrain.

Désormais, je vous nomme stagiaire.