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Gaston Bachelard, L’élément terrestre
« Au cours des dernières causeries consacrées aux rapports des grands systèmes d’images
poétiques avec les quatre éléments matériels eau, feu, air et terre ; j’ai eu plusieurs fois
l’occasion de dire que. L’élément terrestre était vis-à-vis des trois autres éléments dans une
situation spéciale. L’eau le feu et l’air sont des éléments dynamiques, ils déterminent dans
l’imagination naïve et dans l’imagination des poètes une physiologie qui doit expliquer la vie de
la terre entière. Dans cette vue on devrait donc entreprendre une série de leçon sur la biologie
imaginaire de la terre. Et l’on étudierait successivement les images dynamiques qui nous
montrent la terre animée et par l’eau et par le feu et par l’air.
Par exemple combien nombreuses sont les images où les courants souterrains sont donnés
comme les veines de la terre, où l’eau est donnée comme le sang de la terre, Léonard de Vinci le
dit très nettement « l’eau qui source dans la montagne est le sang qui maintient la montagne en
vie ». La poésie du volcan, les rêves des feux souterrains, la chaleur du sein terrestre sous le
blanc manteau des neiges, voilà des participations du feu à la vie terrestre, qui donne une
accumulation d’images bien faciles à classer. Le monde infernal apparaitrait alors comme une
extension du monde du volcan. L’air lui-même a son rôle dans une physiologie imaginaire
de la terre, les vents sont enfermés dans les grottes et il n’est pas rare qu’on donne au vent une
origine souterraine et ce n’est pas là l’enseignement d’une lointaine mythologie, pour un
Lamartine « un léger souffle surpris à l’entrée d’une caverne est le témoignage d’une douce
respiration de la terre », on dira que ce n’est la qu’une image de poète mais cette image nous la
comprenons et elle ne nous fait pas sourire, elle réveille en nous un archétype, oui, du fond
même de notre psychisme nous aimons à dire que tout respire, que la terre respire, les
sciences peuvent bien multiplier les systèmes rationnels et les preuves expérimentales,
elle ne nous dérange en rien dans cette cosmologie primitive qui donne aux quatre
éléments leurs fonctions essentiels.
Mais entre ces images composées par lesquels l’air, l’eau, le feu viennent animer la terre il y a
encore à considérer l’élément terrestre considéré en soi pour grouper les innombrables
images de la matière. Alors les problèmes de la beauté de la matière se multiplient. Par
exemple tout psychisme bien analysé montrera une partialité pour le Crystal, un autre
psychisme aimera mieux la masse polie du métal. Ainsi du Crystal au métal se jouent des
dialectiques de la lumière qui suivent d’infini détours, en cette occasion nous sentons bien que
le Crystal c’est l’élément terrestre qui s’imprègne de lumière, l’élément terrestre qui travaille la
lumière. Toujours la terre a besoin d’une valeur étrangère. Le « terreux » est peut-être le
qualificatif le plus péjoratif parce que la terre est laissée à sa propre nature. Ainsi les plus
simples images de la matière, les qualifications les plus communes s’établissent dans un règne
de valeur. Sous son aspect terreux, la terre est vraiment la terre morte des alchimistes, la
matière noirâtre et immonde qu’on rejette après les longues transmutations. Combien
l’alchimie devient plus claire quand on comprend qu’elle est une doctrine des valeurs plutôt
qu’une science de la matière. On voit alors se dérouler un vaste système d’analogies, on
découvre le lien d’une symbolique qui conjoint les valeurs esthétiques et les valeurs
morales. Faute d’étudier cette dimension de beauté et de moralité associés, l’historien des
sciences peut donner de l’alchimie une peinture profondément inexacte. C’est juger à courte vue
que de décrire l’alchimiste comme un simple chercheur d’or, c’est manquer à voir la moralité de
la pierre philosophale, de la pierre de sagesse. Au contraire quels sensibilités d’imaginations
ajoute-t-on aux images de transmutations de la matière quand on les met au centre des
dialectiques alchimistes, entre le bien le mal, la vie et la mort. En fait la valorisation quel qu’en
soit l’objet ne peut avoir d’élan que si elle prend d’abord un recul, la valeur doit surgir dune
antivaleur. Pour savoir faire les métaux pensait l’alchimiste il faut savoir les détruire.
Déclaration que l’on comprend fort mal si l’on se borne à la traduire dans la dialectique moderne
de l’analyse et de la synthèse, on aurait une meilleure mesure du drame alchimiste si l’on se
reportait à la dialectique platonicienne de la vie et de la mort. Et c’est ainsi que l’on vivra au sens
plein du mot les images de la mortification des substances, on mortifie les substances pour
les régénérer, on les mortifie en leur rajoutant une substance de mort, un sel de matière morte,
en particulier, une pincée de poudre de momie. Comme pour l’eau de jouvence comme pour le
phénix qui renait de ses cendres, nous voyons donc que la matière terrestre est soumise
intimement aux conflits de la vie et de la mort. Elle peut être poison ou quintessence
rénovatrice.
Faut-il rappeler l’énorme songe de la vie cosmique de la vie des métaux, songe qui ne
quitte pas l’imagination des hommes. Des siècles durant on a cru à la vie minérale a une sorte
de végétalisme souterrain qui donne la croissance au filon et aux arborescence métallique. Les
mines épuisées on les recouvrait de terre, un peu comme une lente végétation elle redonnait une
mine riche et rénovée. L’art lui-même et la vie matérielle enfin arrivée à la maturité. Transmuter
le point mort c’est simplement aider la vitalité métallique pour qu’elle atteigne la floraison. Sans
doute de telles vues cosmologiques n’ont plus court dans les explications scientifiques, mais on
ne raie pas facilement une image par une idée. Dans les temps scientifiques, certaines images
paraissent avoir honte de se montrer elles se cachent mais n’en restent pas moins vivante, et
subitement viens un poète qui les rénove qui leur rend leur valeur d’image invincible. Dans
l’alchimie du verbe elles éclatent dans leur éternelle jeunesse. Dès lors si nous ne franchissons
pas les censures de la nationalité, liront nous avec profondeur des récits comme la nouvelle de
Hoffmann, les mines de folin, liront nous avec sincérité tout Novalis ?
Lire avec sincérité, n’est-ce pas, amis lecteurs, donner sincèrement ton imagination native,
ton imagination sincère en écho, en reflet a l’imagination du poète. Jadis j’ai beaucoup lut
mais j’ai fort mal lut, j’ai lut pour m’instruire, j’ai lut pour connaitre pour accumuler des idées et
des faits. Et puis un jour j’ai reconnu que les images littéraires avaient leur vie propre, que les
images s’assemblaient dans une vie autonome et dès cette époque j’ai compris que les grands
livres méritaient une double lecture qu’il fallait les lire tour à tour avec un esprit clair et une
imagination sensible, seule une double lecture nous donne la complétude des valeurs
esthétiques, seule une double lecture peut relier les valeurs esthétiques vivant au foyer de
notre inconscient et les valeurs de l’expression exubérante du riche langage poétique.
Enraciné dans une poésie des éléments, l’instinct poétique trouve alors une prodigalité sans fin,
les fonctions de sublimation, que beaucoup de psychanalystes tiennent en suspicion
deviendront alors parmi les fonctions les plus salutaires du psychisme humain. Le poète
est le vrai médecin de la vie parlé. Mais pour que la poésie ait toute sa bienfaisance et soit
psychiquement salvatrice il faut quelle suive la dynamique précise des images naturelles.
Dans les prochaines conférences, en suivant la poésie du travail des matières terrestres nous
auront bien des exemples de la valeur dynamique de la poésie. »
Source : http://www.youtube.com/watch?v=RUnYSy27Pc4