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Génération Participation de la Société de Consommation à la Société de Participation,Thierry Maillet

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Consommer et voter ne suffisent plus, l'individu veut participer pour se sentir utile avec : Blogs, Associations, Démocratie Participative, Actionnariat Populaire…Consommateurs autant que citoyens, les Français sont désireux d'être écoutés avant d'acheter et l'individualisme forcené de la consommation traditionnelle est rejeté.Les entreprises co-créent leurs nouveaux produits avec leurs consommateurs. Initiée par les plus jeunes qui sont nés avec internet et le téléphone portable, la Génération P est en marche. C'est une classe de valeurs que partagent aussi bien les adolescents que les Seniors.Les marques ne devront plus promettre mais être éthiques et modestes, car les consommateurs-citoyens seront toujours les mieux informés.

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Thierry MAILLET

M21 Editions

GénérATIon PArTIcIPATIon

DE LA SocIéTé DE conSoMMATIon à LA SocIéTé DE PArTIcIPATIon

deuxième édition

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ISBn: 2-916260-07-2Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

pour tous pays.

copyright © M21 Editions 2007

M21 EditionsParis

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L’auteurAprès une expérience de journaliste (Le Matin de Paris et Le Figaro en

1978-1979) et doté d’une double formation en droit et gestion (MBA aux états-Unis en 1986), Thierry Maillet débute dans la grande consommation (Kraft Ja-cobs Suchard en 1987-1988). Une expérience d’expatriation en Espagne pendant les années de l’adhésion à l’Europe (1988 – 1992) lui permet de se convaincre de l’efficience d’une société dont tous les membres avancent dans une direction commune.

à son retour en France, et jusqu’en 2003, Thierry Maillet co-dirige la socié-té de conseil Marketing Intelligence. Dès la fin des années 1990 il est reconnu comme un expert de l’interaction entre consommation et citoyenneté et de son impérieuse prise en compte par les entreprises. Thierry Maillet tient une rubrique hebdomadaire sur le sujet à la radio BFM et livre tous les mois ses analyses dans la presse spécialisée.

Thierry Maillet équilibre ses activités entre le conseil aux entreprises, l’en-seignement et la recherche. Il travaille auprès d’entreprises sur leurs enjeux marketing les plus actuels tout en enseignant à l’Université carlos III de Ma-drid et dans différentes écoles en France et en Belgique. Il mène parallèlement un travail de recherche en histoire des entreprises à l’école des Hautes études en Sciences Sociales à Paris. Intervenant régulier lors de conférences en France comme à l’étranger sur les sujets liés à l’industrie du luxe, à la grande consom-mation et à la distribution, Thierry Maillet tient une chronique sur les ruptures du marketing dans l’hebdomadaire Le nouvel économiste.

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Allons-nous vers une société de participation, dont l’émergence serait en-couragée par la génération des jeunes actuels que l’on pourrait appe-ler la génération P, la Génération Participation ? c’est la thèse que sou-

tient Thierry Maillet dans ce livre, avec une conviction nourrie d’un parcours personnel aux aller et retour intéressants entre l’action (dans l’univers de la consommation, pour l’essentiel) et l’observation (dans le journalisme d’abord, à l’occasion d’une thèse d’histoire ensuite). Après l’élection présidentielle où les débats sur la démocratie participative ont joué un tel rôle, cette thèse trouve une actualité accrue. Un quatrième chapitre nouveau, consacré à la politique, a d’ailleurs été ajouté à la présente édition.

Si Thierry Maillet a su anticiper ainsi la montée de ces thèmes, c’est qu’il aime réfléchir et s’exprimer avec générosité plutôt qu’avec rigueur coincée. Au-delà du politique, on décèle chez lui une personnalité amoureuse du commerce, que ce soit du commerce des biens ou du commerce avec les autres. Un profil qui n’est pas si courant en France et qui l’a amené à voyager, à travailler à l’étranger, à s’investir dans Internet, véritable mine d’informations et de connaissances dont il fait un large usage.

La technologie est ainsi présente dans son livre, à la fois comme outil de travail et comme thématique de référence, bien des phénomènes humains et sociaux qui sont analysés se comprenant en résonance avec les comporte-ments des internautes. Au sein de l’innovante collection animée par Malo Girod

PréfacePar Philippe Lemoine

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de l’Ain, le livre de Thierry Maillet apparaîtra sans doute comme un livre « low tech ». L’éditeur nous a effet habitué à des ouvrages plus spécifiquement cen-trés sur l’analyse des enjeux de la technologie. Un des derniers nés, l’excellent Darknet par exemple, est un vrai livre d’aventure qui entraîne le lecteur dans les antres de la création et dans les bas-fonds de la résistance où se pense l’Internet libertaire de demain, là où l’on espère se soustraire aux contrôles d’Hollywood pour permettre à l’imaginaire de chacun d’utiliser à fond la Toile.

La thématique de « génération P » est en fait celle de l’échange. Si l’acteur parle de participation, c’est qu’il pressent que nous entrons dans une société où il n’y a plus un soleil autour duquel tout graviterait mais une multitude de soleils qui croisent leurs rayonnements, où il n’y a plus des intermédiaires inu-tiles mais de nouvelles intermédiations à valeur ajoutée, où il n’y a plus d’uni-versalisme abstrait mais des différences, du métissage, des interpénétrations de culture, de la créolisation, bref plus vraiment un univers mais un cosmos. ces trois phénomènes – pluralité de soleils, nouvelle intermédiation, cosmos chao-tique – débouchent sur une appropriation différente de notre vaisseau spatial terrestre. nous nous sentons collectivement responsables et c’est cela qui per-met cette nouvelle circulation des dynamiques que Thierry Maillet appelle la participation.

La société de consommation à laquelle est consacrée la première partie de l’ouvrage était une société mono-soleil. Le centre de l’énergie restait la logique industrielle classique, avec l’usine qui produit et le marketing qui vend et tente de créer le désir maximal pour une offre. L’auteur analyse la sophistication crois-sante de ce schéma de base avec les différentes étapes que sont la croissance quantitative des Trente Glorieuses, la contestation de l’uniformité en 1968 et la montée du thème de la segmentation, le rejet de cette hyperfragmentation avec une société qui paraît éclatée en une multitude de tribus. Dès lors qu’In-ternet offre aux personnes les outils leur permettant de surfer sur la Toile, de comparer des offres, de scorer des comportements d’entreprise, les chaînes de valeur s’inversent. Dans plusieurs formes de services, le consommateur laisse la place à un « consom’acteur ». Il n’y a plus un soleil mais une multitude de soleils.

L’analyse des transformations de l’intermédiation est engagée dès la pre-mière partie mais se déploie dans la seconde partie du livre consacrée aux dommages collatéraux. ceux-ci sont de deux types. Mentaux : désillusion, désenchantement, marchandisation. écologiques : amenuisement des matiè-res premières, pollution, co2. c’est en fait la critique d’un mode de production « push » que conduit l’auteur. Au début de la troisième partie, en cherchant les leviers de la participation, il esquisse une description des nouveaux ressorts « pull » de l’intermédiation, tels qu’ils se déploient dans l’hypermonde. ce point est largement développé dans la dernière partie où Thierry Maillet explore les

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différentes dimensions des bouleversements de l’intermédiation : la technolo-gie d’abord, l’économie ensuite, la consommation et le marketing (points d’an-crage de l’auteur) et la politique enfin.

La transformation de la notion même d’univers est présente en filigrane tout au long du livre. on peut regretter que, parlant de la jeunesse d’aujourd’hui, l’auteur ne se soit pas plus intéressé à l’hétérogénéité croissante des jeunes générations. à côté des tentations de repli et de communautarisme, le courant dominant dans la jeunesse est celui de la valorisation des différences et de la volonté de participation au maelström du mélange et du métissage. La « world-music » est adaptée au « peer-to-peer », dont le livre rappelle qu’il représente 85 % de la bande passante. Au-delà de la musique, Internet sert une vaste envie de décloisonnement, illustrée par l’exemple du mariage dont le Web serait à l’origine dans 12 % des cas, aujourd’hui, aux états-Unis. L’émergence de ce mon-de-cosmos est pour l’auteur celle d’un hypermonde, d’une avancée dans l’ère du numérique qui ne serait plus celui d’un univer de la physique mais d’un univers du vivant « dans lequel les limites floues évoluent chaque jour par l’effet du réseau » (rené Passet, cité par l’auteur).

ce dernier phénomène conjugué à la multiplication des soleils et aux ren-versements de l’intermédiation, débouche sur une autre vision des enjeux de notre Terre-patrie, de notre vaisseau spatial terrestre. Se référant notamment à Ulrich Beck, Thierry Maillet fait de l’écologie un des référents majeurs qui doi-vent guider l’action, au moment même où les idées de participation et de dé-mocratie directe paraissent de moins en moins des chimères.

L’apparition des nouveaux comportements permet d’imaginer une autre cir-culation des dynamiques. L’hypermonde n’est pas un monde d’identités fixes. comme le disait déjà Andy Warhol, « les magasins deviendront des musées et les musées des magasins ». Tous les jours, nous voyons ces logiques d’ambi-guïté, de métamorphose, d’existences plurielles se multiplier autour de nous. Dans un des passages les plus intéressants mais qui aurait pu être beaucoup plus développé, au début de la troisième partie, Thierry Maillet indique « qu’en empruntant à la démarche orientale qui considère le mouvement, connu, plus important que la destination, par essence inconnue, Internet a ouvert le chan-tier de la rénovation des idées ».

Plusieurs pistes sont imaginables, en arrière-plan de ce constat. Dans le li-vre Génération P, j’ai cru en déceler trois. La première est de s’intéresser à des démarches non programmatrices, ouvertes aux autres, comme l’illustrerait la montée de la valeur féminine dans l’analyse d’Alain Touraine à laquelle se réfère l’auteur. La seconde piste est de se détourner définitivement d’une notion de fi-nalité et de s’inscrire ainsi inexorablement dans les dangers de ce que Friedrich nietzsche appelait la « volonté de puissance ». c’est ce qu’évoque le livre en mentionnant cette nouvelle science passerelle qu’est la mimétique, nouvelle

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façon d’imaginer le vivre ensemble de demain. Approche dont un brillant livre de Jean-Michel Truong avait montré que, conjuguée à l’intelligence artificielle, elle déboucherait sur une conception de l’avenir « totalement inhumaine ». La troisième piste esquissée dans Génération P consiste à imiter le comportement modeste dont les entreprises citoyennes s’inspireront de plus en plus et à se détourner de ces enjeux du futur trop globaux et trop angoissants, pour revenir cultiver son jardin secret. c’est un peu la leçon que nous propose sans doute Thierry Maillet en revenant à la fin, par une sorte de volte-face inattendue, vers son domaine personnel de référence, le marketing.

Aussi est-ce à chaque lecteur de Génération P d’imaginer une autre piste, celle que personnellement je privilégierai comme étant celle de l’espoir. Le livre fournit abondamment les matériaux permettent à chacun de bricoler son che-min vers l’espérance. n’est-ce pas d’ailleurs logique dans un livre sur la partici-pation ? à chaque lecteur d’imaginer, de penser et d’agir !

Philippe Lemoine Président-directeur général du Groupe LASEr

Président du Forum díaction Modernités Membre de la commission nationale de líInformatique et des Libertés

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Sommaire

Génération participationDe la Société de consommation à la Société de Participation

Préface par Philippe Lemoine 11

chapitre 1 : La désillusion de la société de consommation : un état d’esprit communément partagé 69

chapitre 2 : L’amenuisement des ressources naturelles. Les conséquences reconnues de la consommation sont un défi imminent 85

1ère Partie : Les limites de la société de consommation 27

chapitre 1 : L’emergence de la société de consommation (1945-1973) 29

chapitre 2 : Des besoins de produits aux désirs de marques (jusqu’en 1985) 37

chapitre 3 : De la démocratisation inachevée à la différenciation (1985-1995) 45

chapitre 4 : De l’illusion du luxe à la dictature de l’émotion (1995-2005) 53

2ème Partie : Les dommages collatéraux 65

Introduction générale 22

Introduction à la seconde Edition 21

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4ème Partie : La génération participation 153

chapitre 1 : La participation est technologique 159

chapitre 2 : Les entreprises s’ouvrent à la participation 179

chapitre 3 : Le marketing devient participatif 199

chapitre 4 : La politique est participative 215

remerciements 245

Index alphabétique 249

3ème Partie : Les leviers de la participation 101

chapitre 1 : L’apport des progrès de la science 107

chapitre 2 : Le basculement des valeurs féminines 119

chapitre 3 : L’importance d’une éducation en amélioration constante 127

chapitre 4 : Le levier d’une ouverture à l’autre 137

Le vidéo-blog participatif associé au livre 247

conclusion générale 237

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“Pour mes trois fils. Seule la compréhension du passé permet d’éclairer le présent et d’imaginer l’avenir”.

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introduction à la nouvelle édition

Quel joli mois de mai 2007 quand toute la France a semblé prise de fièvre pour discuter et débattre de son avenir alors qu’il lui était juste deman-dé d’élire son nouveau président de la république. La France a montré

une soif d’avenir que nous décrivions déjà dans les mêmes termes, douze mois plus tôt, dans la première édition de ce livre. rarement les preuves d’une telle pugnacité et d’une telle soif de construire un avenir commun n’auront été sou-tenues par ceux que de nombreux commentateurs continuaient à présenter, à tort, comme de vieux habitants1.

Il a donc été décidé d’ajouter à ce présent ouvrage, un chapitre dédié à la démarche participative en politique, démarche qui a pris tout son sens durant la campagne de l’élection présidentielle de 2007.

La France compte parmi les nations à la population la plus jeune et la plus dynamique d’Europe2, désireuse d’une construction participative comme nous l’écrivions déjà il y a près de trois ans3. ce serait une triste erreur de conclure cette soif de débat et d’implication par la politique du surplace et du rien-faire qui a déjà coûté de si nombreuses années de frustration à la France.

1 Donald rumsfeld, le secrétaire d’état américain à la Défense, évoquait la « vieille Europe » en 2003.

2 Hervé Le Bras, Les Quatre Mystères de la population française, Paris, odile Jacob, 2007.

3 Thierry Maillet, « La Génération Participation », Influencia, septembre 2005.

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Introduction générale

Quel joli mois de mai 2005, quand toute la France a semblé prise de fièvre pour discuter et débattre de son avenir alors qu’il lui était juste demandé de se prononcer sur une nouvelle constitution européenne. cette mobilisation po-litique et citoyenne était un indicateur supplémentaire d’un mouvement pla-nétaire nourri par les nouvelles technologies. Les individus veulent s’impliquer d’une manière grandissante dans le débat public aussi bien que dans les émo-tions collectives. Après les mobilisations mondiales d’aide et d’assistance lors du tsunami en Asie du Sud-Est à l’hiver 2004 et d’émotion à l’occasion du décès du pape Jean Paul II au printemps 2005, les demandes d’engagement au-delà de la seule consommation vont aller croissantes et les univers économique et politique doivent s’adapter.

ces demandes d’engagement correspondent à une volonté de participation des individus à l’évolution de leur propre société. D’une position de spectateurs repliés sur leur seule vie privée, les individus sont en attente d’une forte implica-tion dans la vie collective grâce à la formidable expansion des nouvelles techno-logies, au premier rang desquelles Internet et le téléphone mobile.

La participation avait été initialement mentionnée dans une perspective fi-nancière dès 1968 par le général de Gaulle, alors président de la république. L’idée était de bâtir un lien entre le capital et le travail en les associant pour permettre aux salariés de recueillir une participation aux fruits de leur travail. à la même époque, des élus locaux avaient imaginé l’idée d’une démocratie parti-cipative pour associer au mieux les citoyens à la vie de leur cité. ces deux idées avaient ensuite été supplantées par des perspectives considérées plus moder-nes.

La participation financière avait été jugée ringarde en regard de l’actionna-riat populaire consolidé par la puissance des marchés financiers. De son côté, la participation locale était délaissée à l’heure de l’Europe et des conquêtes so-ciales et politiques estimées plus importantes. ces deux attentes ne devaient toutefois pas être complètement oubliées dans l’esprit des Français.

La consécration de la participation à l’échelle de la consommation a ressusci-té cette vieille idée, pas morte, dans les univers politique et financier. Le vote par l’Assemblée nationale, le 11 octobre 2006, d’une loi sur la participation a relancé cette idée proposée la première fois par le général de Gaulle près de quarante ans plus tôt. La promotion de l’idée de démocratie participative par la candidate du Parti socialiste lors de la présidentielle de 2007 en France illustre aussi la va-lorisation de l’idée de participation dans l’univers politique.

ces constatations peuvent paraître insuffisantes prises isolément, mais, ana-lysées de façon coordonnée, elles donnent une vue compréhensible de l’évolu-tion actuelle. La société de la consommation de masse conçue et pensée avant-

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guerre et qui a pris forme après-guerre est arrivée à un tournant.

Son virage est nourri par les quatre leviers de la participation que sont la science, les valeurs féminines, l’éducation et enfin la volonté affichée des pou-voirs publics et de la société civile d’encadrer l’ouverture du monde.

La rapidité des changements vécus ces dernières années a consacré l’amorce d’une connexion permanente grâce à l’Internet et au téléphone mobile. L’ir-ruption puis la prolifération de ces deux technologies complémentaires de la convergence annoncent des évolutions futures radicales. En effet, il semble possible d’affirmer avec le professeur rené Passet que nos sociétés passent de l’univers du physique à l’univers du vivant4. cette évolution dégrade progressi-vement l’importance donnée au bien pour conforter celle attachée au lien5. Le déclassement progressif du bien, et de son affichage, valorise en contrepartie l’intensité des relations interpersonnelles. La participation est de plus en plus visible dans des lieux et des moments très différents. Les coordinations spon-tanées semblent guider le mouvement à la place des syndicats traditionnels durant les mouvements syndicaux. Et sur Internet les relations personnelles ga-gnent en importance comme en atteste le succès des sites de rencontres et de réseaux sociaux.

« L’espace des flux et le temps intemporel sont ainsi les fondements maté-riels d’une nouvelle culture : la culture de la virtualité réelle où le simulacre est la réalité en gestation6. »

La présence la plus visible et la plus emblématique de la participation est aujourd’hui dans le débat politique, mais elle est tout aussi réelle dans les autres univers de la vie en société.

La participation : sésame de la politique ou gadget électoral ?

La participation a surgi dans le débat public par le biais de Ségolène royal qui a lancé le mouvement en faisant connaître les réalisations issues de la démocra-tie participative dans sa région Poitou-charentes. Avant l’été 2006, la candidate du Parti socialiste aux élections présidentielles lançait son blog Désir d’avenir avec cette annonce :

« ce site est un forum participatif. Il est à vous si vous avez envie de partici-per aux décisions qui nous concernent. Pour avoir commencé à expérimenter la démocratie participative en région Poitou-charentes que je préside, j’ai acquis

4 rené Passet, entendu dans l’émission présentée par nicolas Demorand, « Les matins de France culture », France culture, 30 mai 2005.

5 Bernard cova, Au-delà du marché : quand le lien importe plus que le bien, Paris, L’Harmattan, 1995.

6 Manuel castells, La Société en réseau, L’ére de l’information, Paris, Fayard, 1998.

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la conviction que les citoyens, lorsqu’un problème est vécu ou lorsqu’un progrès est espéré, sont des experts légitimes de la question posée. »

Les journalistes spécialisés ont cherché à comprendre le phénomène. Deux interprétations semblent se dégager.

La première analyse est proche du courant dit républicain. Elle voit dans la participation un artifice plus qu’un courant de fond. Dans une chronique parue le 7 septembre 2006 dans Le nouvel économiste, Jean-Luc Mano craint qu’à trop donner la parole aux individus, il n’y ait un risque de déviance vers une politique des sondages et de renfort de la dictature d’opinion. Selon le journaliste politi-que, la démocratie participative amplifierait la démocratie d’opinion plus qu’elle ne la ferait évoluer. ne doit-on pas prendre dans ce cas au pied de la lettre sa dernière phrase qui craint que la participation des hommes politiques ne cache « leur propre misère intellectuelle ou leur refus de s’exposer ».

Pourquoi ne pas croire alors avec Jacques Julliard, éditorialiste au nouvel observateur et défenseur de la deuxième gauche, que la participation peut au contraire dynamiser la vie politique ? Pourquoi ne pas croire avec lui que la pro-position de Ségolène royal n’est pas seulement une astuce pour gagner, mais l’annonce d’une mutation pour reprendre le titre d’un livre publié en 2006, La Participation politique, crise ou mutation7.

En poursuivant dans cette logique, la réflexion politique apparaît alors na-turellement comme le prolongement d’un comportement individuel qui monte dans la société de la consommation depuis quelques années et qui se diffuse fortement à d’autres univers.

La participation : évolution naturelle de la consommation ou rupture radicale ?

La participation apparaît comme un mouvement d’autant plus fort qu’elle est présente dans la consommation qui reste le méta-système (le système do-minant qui influence tous les autres) et que les leviers technologiques existent dorénavant pour lui donner sa pleine mesure. L’idée de convergence élaborée par les Américains8 consacre ainsi la participation comme l’élément moteur de la rencontre entre le consommateur et le citoyen.

« nous sommes les habitants de la cité autant que du supermarché », constatait l’essayiste Pascal Bruckner en 2002.

D’une société de la frustration des années 1950 à la société de l’abondance

7 Bruno Denis, La Participation politique, crise ou mutation, La Documentation française, Paris, 2006.

8 Henry Jenkins, convergence culture, new-York, nYU Press, 2006.

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de la décennie 1970, la société de la consommation a été valorisée à ses débuts9 et ensuite fréquemment critiquée compte tenu des excès qu’elle a suscités. L’exemple le plus emblématique est l’obésité et le risque que cette maladie des temps modernes, considérée comme une épidémie par le corps médical, repré-sente pour la santé publique10.

Lorsqu’un corps social en vient à générer les constituants de sa propre auto-destruction, n’est-il pas judicieux de s’interroger sur son évolution future avant que la situation ne soit prérévolutionnaire comme le soutiennent certains com-mentateurs11 ?

La génération de la participation : le révélateur du changement

La compréhension des bouleversements actuels passe par l’analyse du mo-dèle dominant de notre passé récent, la société de consommation. Les phéno-mènes en cours ne pourront être bien interprétés qu’à la lumière de l’évolution probable de la société de consommation, comme le suggère aussi le philosophe Gilles Lipovetsky dans La Société de déception12 : « Un jour viendra où la culture consumériste n’aura plus le même impact, la même importance dans la vie des hommes. » Il est donc indispensable de chercher à mesurer les modalités d’évo-lution de la société de consommation depuis les années 1950.

Les limites de cette société seront ainsi proposées dans une première partie. nos sociétés occidentales ont construit leur développement par l’accumulation de produits rapidement transformés en marques désirables puis progressive-ment indispensables selon les oracles de la publicité et du marketing. cette dé-viation de la satisfaction de besoins réels au sortir de la seconde guerre mondia-le vers ce qu’un professionnel de la télévision a appelé La Dictature de l’émotion13

a généré un nuage d’effets collatéraux dommageables.

La deuxième partie cherchera donc à illustrer les conséquences les plus nui-sibles de cet emballement consommatoire. Les deux principaux dommages col-latéraux sont respectivement d’ordre politique et environnemental. La désillu-sion de la société de consommation est souvent décrite par les individus comme une perte ou un manque de sens. Paradoxalement certains commentateurs ont même vu dans la chute du mur de Berlin en 1989 et l’accession des ex-pays du bloc communiste une fin de l’Histoire qui aurait finalement peut-être plus per-turbé que rassuré les occidentaux. Le second dommage causé par les excès de la consommation est dorénavant admis par toutes les autorités. c’est l’ame-

9 Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, Paris, Fayard, 1979.

10 Supersize Me, film de Morgan Spurlock, 2004.

11 Marc Ferro, « La révolution est-elle en cours ? », Marc Ferro, « La révolution est-elle en cours ? », Enjeux-Les échos, mai 2005, et Gérard Mermet, « … on est dans une situation prérévolutionnaire », in Le Parisien libéré, 6 juin 2005.

12 Gilles Lipovetsky Gilles Lipovetsky, La Société de déception, Paris, éditions Textuel, 2006.

13 �avier couture, �avier couture, La Dictature de l’émotion, Paris, éditions Louis Audibert, 2005.

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nuisement des ressources naturelles, qui est une conséquence directe d’une consommation débridée. ces deux grandes familles de dommages collatéraux ne laisseraient pas d’inquiéter si nous n’arrivions pas à déceler des perspectives encourageantes.

La troisième partie présente les quatre indicateurs qui guideraient les so-ciétés occidentales vers la société de la participation. Il s’agit de la science, de l’éducation, de l’affirmation des valeurs féminines et enfin de l’interconnexion croissante des pays comme des organisations qui révèlent, plus que tout, une volonté d’ouverture aux autres. ces quatre leviers sont déjà à l’œuvre d’une ma-nière simultanée pour conforter une évolution entamée depuis l’accélération de la diffusion d’Internet soit le début du xxie.

La présentation de l’avènement de la société de la participation est au cœur de la quatrième partie. Le quotidien de la génération P est conforté par l’instal-lation d’une technologie de la connexion qui nourrit les échanges de chaque individu avec autrui.

La génération P est une classe de valeurs plus qu’une classe d’âge qui adresse un clair message aux deux univers, économique et politique. Le moment est venu de changer la pratique de notre relation avec les pouvoirs. La technique le permet, notre éducation nous y autorise et l’ouverture aux autres nous le faci-lite. n’attendons plus et changeons.

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Partie 1 :Les Limites de la Société de consommation

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Le 20 juillet 1969, neil Amstrong foulait le sol de la Lune en déclarant : « Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’Humanité. » Se rendait-il compte, l’astronaute américain, que son exploit était la plus magistrale

illustration des vingt-cinq années écoulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?

Un développement aussi rapide durant une période de temps aussi courte est un moment d’exception dans l’histoire de l’humanité. Appelée Trente Glo-rieuses en France par l’économiste Jean Fourastié, ces années ont aussi été de forte croissance pour la France malgré de nombreux conflits militaires.

rurale et déclinante au sortir de la guerre, la France se découvre urbaine et ouverte sur le monde trois décennies plus tard. 1968, l’année qui ébranla le monde selon le titre du livre de Mark Kurlansky14, annonce la fin de la période bénie qui s’éteint définitivement dans les déserts d’Arabie après la guerre du Kippour et le quadruplement des prix du pétrole. Le 15 août 1971, le Président nixon décrète la fin de la convertibilité du dollar en or et ouvre une période d’instabilité monétaire qui donne le coup d’envoi de la financiarisation crois-sante de l’économie.

1968 a déclenché une rupture forte qui se concrétise à la suite du premier choc pétrolier : le passage, en 1975, d’une économie de l’offre à une économie de la demande. Durant les Trente Glorieuses, la priorité de la reconstruction a donné le pouvoir aux producteurs pour imposer ses produits. Les événements

14 Mark Kurlansky, Mark Kurlansky, 1968, l’année qui ébranla le monde, Paris, Presses de la cité, 2005.

L’émergence de la société de consommation (1945-1973)

chapitre 1

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generation participation

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successifs depuis 1968 assurent la suprématie de l’alliance du consommateur et du distributeur, en mesure de dicter leurs besoins aux fabricants.

cette période évoquée aujourd’hui avec mélancolie a aussi converti chaque citoyen en consommateur, en faisant souvent primer une démarche mercantile sur toute autre considération.

Des méthodes de production héritées de la Seconde Guerre mondiale

Au début de la société de consommation était l’Amérique ; honnie, critiquée et pourtant tellement avant-gardiste. Alors que l’Europe sombrait, une armada industrielle d’une terrible efficacité se mettait en place de l’autre côté de l’At-lantique. En 1942, le seul objectif était de produire et encore produire les tanks, avions et bateaux qui allaient vaincre, à moindre coût15, les armées japonaises et nazies.

Les usines américaines étaient devenues de formidables machines à fabri-quer. Leur reconversion civile allait être possible grâce à la faveur accordée à la production de masse. Les autorités américaines souhaitaient la reconversion la plus rapide et efficiente pour remettre le pays sur le chemin de la croissance. Pratiquer une démarche volontariste permettait de conjurer la mémoire mal-saine de la crise de 1929.

répondre à la quantité de besoins insatisfaits tant aux états-Unis et encore plus en Europe allait permettre aux usines de tourner à plein régime. L’unique objectif de la société devenait la satisfaction des besoins des consommateurs. La classe moyenne prit corps durant cette période, et le plus grand nombre ac-céda à des conditions de vie ignorées jusque-là.

L’espérance de vie atteignit des sommets et les pouvoirs d’achat furent mul-tipliés par quatre. La qualité de vie des pays développés devint enviée par tous, et le monde des possibles semblait sans limites autres que scientifiques. Mar-cher sur la lune devenait réalité.

L’objectif qui avait été de favoriser une production de masse fut largement atteint. Toutefois, l’importance du seul produit allait se révéler insuffisante. Pour reprendre le mot de l’essayiste espagnol Vincent Verdu16, le capitalisme de consommation prenait son envol et la marque deviendrait son transmetteur dans le monde d’hyper-concurrence à venir.

15 Pour les Américains, les pertes humaines en Europe Pour les Américains, les pertes humaines en Europe se sont élevées à 350 000 contre 20 millions pour l’Union soviétique où l’homme remplaçait les machines…

16 Vincent Verdu Vincent Verdu, Le Style du monde, Paris, éditions du Seuil, 2005.

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Le marketing, outil de motivation de la consommation de masse

Vendre et séduire étaient nouveaux pour les ingénieurs qui dirigeaient les entreprises à l’issue de la guerre. En 1948 l’American Association of Marketing proposa la définition d’une nouvelle technique destinée à répondre aux atten-tes des consommateurs. « Le marketing est l’activité de l’entreprise destinée à diffuser des biens et services au consommateur. »

Aux Etats-Unis, les fameux « Master of Business Administration » allaient connaître leur heure de gloire et s’imposer comme le moteur indispensable pour la formation des futurs dirigeants. cet enseignement fut utile en son temps pour former vite et bien des étudiants désarçonnés par les nouvelles exigences des entreprises de la production de masse. En Europe, les écoles de commerce développaient un enseignement similaire et identitaire. Sans être toujours ca-pables de tisser un lien aussi fort avec les entreprises pour forger les concepts qui y seront appliqués demain. cette moindre allégeance se révélera peut-être un bien car leurs diplômés et futurs dirigeants seront moins enfermés dans des carcans de réflexion prêts à l’emploi. L’université apprend à douter et les écoles de commerce enseignent des certitudes.

Durant les années 1960, les plus connues des business schools n’en furent pas moins le creuset des dirigeants de la plupart des entreprises de la société de consommation. Dès 1964, un professeur de Harvard, neil H Borden, livrait dans un article resté célèbre, « The concept of Marketing Mix », les clés de la bonne gestion du marketing. c’étaient les fameux 4 P (production, prix, place pour dis-tribution et promotion). Les quatre critères déterminés par neil H Borden de-vaient permettre à une entreprise de répondre de manière aussi complète que cartésienne aux attentes des consommateurs.

Très vite, ces nouveaux diplômés allaient adapter les usines aux attentes des consommateurs pour produire, qui des denrées alimentaires, qui des produits d’hygiène-beauté, qui des ustensiles de cuisine. Tous ces objets ont constitué l’intérieur traditionnel d’une famille de la classe moyenne américaine puis euro-péenne à partir des années 1955-1960.

Un auteur américain17 appela cette élaboration le « standard of living » en complément du « cost of living » (coût de la vie). cette notion décrit qualitative-ment ce qu’une famille de la classe moyenne devait posséder dans sa maison mais aussi à quel voisinage ou quartier elle se sentait obligée d’appartenir. Les contraintes sociales étaient tout aussi fortes en France à cette époque, comme nous le rappellent les ouvrages de François Mauriac et les volontés d’y échap-per, illustrées par le succès de Bonjour Tristesse de Françoise Sagan en 1954.

17 Marina Moskowitz, Standard of Living : the Measure of Middle class in Modern America, John Hopkins University Press, Baltimore.

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communication ou domination ?La communication de masse est indispensable pour convaincre les individus

de consommer, c’est-à-dire « d’achever pour détruire » comme le précise le dic-tionnaire de l’Académie française. Jusqu’à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, les publicités restaient plus descriptives que séductrices, explicatives que pro-jectives.

à partir de 1945, le changement de style fut brutal. Durant la Seconde Guerre mondiale, la communication avait été largement utilisée par les deux camps pour convaincre les populations civiles de la justesse de leur combat. ce sont les armées américaines qui surent en tirer le meilleur profit. La communication fut utilisée pour accélérer l’acceptation par les populations libérées de l’arrivée des armées américaines et ainsi en faciliter la progression.

Un exemple intéressant est donné par l’historienne américaine Mary Louise roberts18, de l’Université du Wisconsin. Sa thèse concerne l’utilisation nouvelle du photojournalisme dans la communication militaire. Le photojournalisme fut inventé par des photographes dès la guerre d’Espagne, en 1936. ces hommes souhaitaient se rendre au plus près de la réalité des conflits afin de prouver que la photo pouvait être aussi explicite qu’un long article. Ils souhaitaient exercer leur métier dans les mêmes conditions que les reporters de guerre.

Engagés dans les mêmes unités que les militaires, ils couraient des risques réels pour adresser à la presse écrite des photos prises sur le vif. Le plus fameux fut robert capa dont le cliché mondialement diffusé est la photo floue qui il-lustre le débarquement des troupes anglo-américaines le 6 juin 1944 sur les cô-tes de normandie. Il créa ensuite avec Henri cartier-Bresson la célèbre agence de photos Magnum. robert capa mourra en 1954 durant la guerre d’Indochine en sautant sur une mine. comme sa femme était elle-même décédée à Madrid pendant la guerre d’Espagne, le photojournalisme avait payé cher l’acquisition de ses lettres de noblesse.

Selon Mary Louise roberts, le photojournalisme a aussi été utilisé en Europe pour convaincre les populations qui allaient être libérées de l’attractivité de l’ar-mée américaine. Et au-delà, de l’Amérique elle-même.

En utilisant la technique de l’analogie naturellement associée à la commu-nication, l’armée américaine espérait que l’attractivité affichée par le corps des hommes allait, naturellement, entraîner une perception de la supériorité des valeurs. Mary Louise roberts a pu montrer combien les photos des GI’s libéra-teurs valorisaient les corps et la posture. Les hommes, toujours séduisants et bien vêtus, avaient systématiquement le – beau – rôle du libérateur, aidant et protecteur. En se réappropriant les techniques du photojournalisme, les ima-ges jouaient sur la séduction pour vanter les mérites et la virilité des militaires

18 Mary roberts, « Le Mythe du GI viril », séminaire de l’EHESS, Paris, janvier 2006. Mary roberts, « Le Mythe du GI viril », séminaire de l’EHESS, Paris, janvier 2006.

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américains et ainsi convaincre les femmes de leur supériorité physique – donc morale – par rapport aux Allemands.

Si la démarche poursuivie fut un formidable succès commercial, elle fut plus discutable au plan politique. Les Américains étaient auréolés d’une image si positive en Europe et au Japon que leurs produits allaient admirablement s’y vendre, du chewing-gum aux cigarettes en passant par les jeans. Engagée, dès cette époque, dans un combat politique contre le communisme de l’UrSS, l’ar-mée américaine souhaitait aussi gagner le combat des idées. Mais la conscience politique ne bascula pas aussi rapidement et il fut longtemps préférable d’avoir tort avec Jean-Paul Sartre que raison avec raymond Aron.

Les techniques de prise de vue du photoreportage avaient été efficaces grâce à leurs mérites de mémorisation et d’identification. Les photos prises sur le vif pendant la guerre sont restées gravées dans les mémoires et le mythe de l’ima-ge qui ne ment pas s’est imposé.

Les images allaient prendre une force inouïe pour prolonger un monde dans lequel le mouvement (the move), la vitesse (the speed), la domination, deve-naient, par la force de la seule photo, les représentations les plus positives du moment.

cette technique de la représentation allait être transposée dans les années 1950 à travers des publicités aussi mondialement célèbres que le cow-boy Marl-boro ou l’american way of life de coca-cola.

Le désir19 d’une marque allait dorénavant supplanter le besoin d’un produit comme élément moteur d’une consommation transformée en représentation valorisante. « L’affirmation identitaire des individus est un problème moderne », suggérera logiquement le sociologue Jean-claude Kauffman.

Les agences de publicité seront le véhicule de la transmission de cette pro-jection identitaire. Elles occuperont naturellement la place centrale de la mé-diation dans la cité de la consommation. Les industriels et les consommateurs les encourageront à jouer un rôle de passeur et d’éducateur mais les agences s’engageront sur le chemin abrupt d’une valorisation normée des marques au profit des seules entreprises.

Société et marque : une même normalité

L’obsession d’appartenance et de similitude des citoyens de la classe moyen-ne était réelle. Le souci de la ressemblance était visible dans les centres com-merciaux le samedi après-midi et dès le lundi matin avec les fameux hommes d’affaires. c’étaient les insectes laborieux pour reprendre le mot d’une très res-pectée spécialiste de la mode. Fondatrice du premier bureau de style mondial,

19 Jean Mouton, Jean Mouton, Le Marketing du désir, Paris, éditions d’organisation, 2000.

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Françoise Vincent-ricard20 décrivait des hommes, jamais des femmes. Ils avaient noué une cravate similaire autour de la même chemise blanche. Ils portaient tous un costume sombre et emportaient le même attaché-case. Issus de quel-ques écoles de formation, ils habitaient dans les banlieues « comme il faut », et ils allaient effectuer des missions identiques pour les mêmes types d’entre-prise.

Les révoltes de l’année 1968 ont dénoncé cette éducation de la similitude. Auparavant, ces employés avaient été amenés à considérer la promotion de leur marque comme l’élément moteur d’une mission qu’ils considéraient messiani-que. Leur volonté d’appartenance et d’identification pour eux-mêmes les avait conduits à les reporter sur leurs futurs consommateurs.

Le modèle d’identification et de reproduction qu’ils suivaient a été excellem-ment analysé par les plus grands sociologues et philosophes.

à l’origine, était la volonté de la distinction qui s’exprime par les marques puis dans un deuxième temps par une obsession d’identification des acteurs. ce mode de fonctionnement a ensuite cherché à se reproduire pour mieux se rassurer.

L’identification, soit la prédiction de l’ostentatoire a été présentée, dès le xixe siècle, par le remarquable sociologue américain Thorstein Veblen21 : « La consommation est un moyen de se distinguer socialement par les marques. »

consommer n’était déjà plus répondre à des besoins effectifs, selon le phi-losophe français Jean Baudrillard22, car la consommation permet de se projeter vers une image connue et partagée par tous. c’est la valeur-signe résumée dans cette phrase : « Je suis ce que je consomme. »

Le modèle de la reproduction identitaire proposé par Pierre Bourdieu23 a il-lustré l’obligation d’appartenance. c’était l’époque des papas renaultistes ou citroënistes et des mamans Ariel ou Persil.

La conjonction de ces trois valeurs de distinction, d’identification et de repro-duction allait intensément nourrir les premières années du marketing de masse. Les images utilisées projetaient les consommateurs vers des marques idéalisées et représentatives des modes obligatoires de vie et de pensée. « rouler plus vite, laver plus blanc », comme l’écrit avec humour l’universitaire américaine Kristin

20 Françoise Vincent-ricard, Françoise Vincent-ricard, raison et passion, Paris, éditions Textile, Art et Langage, 1993.

21 économiste américain de la fi n du �I� économiste américain de la fin du �I�e siècle, fondateur du courant de pensée sur la consommation ostentatoire à partir de ses observations sur les comportements des acheteurs.

22 Jean Baudrillard Jean Baudrillard, La Société de consommation, Paris, Denoël, 1970.

23 Pierre Bourdieu Pierre Bourdieu, Les Héritiers, Paris, éditions de Minuit, 1964, et La reproduction, Paris, éditions de Minuit, 1970.

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1 l’emergence de la societe de consommation (1945-1973)

ross24, était la nouvelle frontière d’une France en marche dans les années 1960.

L’imaginaire de la société de consommation a été façonné par les marques et il a déteint sur la société dans son ensemble. La consommation reproduisit le modèle de domination avec son corollaire, une forte pression sociale en faveur de l’appartenance.

La respectabilité de chacun ne serait plus jaugée selon ses origines ou son savoir mais selon les éléments visibles de son niveau de vie, synonyme de statut social et donc de niveau dans la nouvelle échelle des valeurs de la société fran-çaise.

De 1945 à 1975, la démarche industrielle aura finalement été de promouvoir l’individu contre le collectif en jouant sur un échange schizophrène entre frus-tration et vanité, envie et fierté, jalousie et possession. L’obsession de la norma-lité allait toutefois devenir étouffante pour un grand nombre et la volonté de dépasser les limites s’est exprimée.

Le but inavoué était de retarder le changement qui commença finalement durant cette année 1968, l’année qui ébranla le monde.

24 Kristin ross, Kristin ross, rouler plus vite et laver plus blanc, Paris, Flammarion, 2005.

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En France, 1968 avait été l’année d’un triple basculement dont les trois ef-fets sont visibles dans la suprématie de plus en plus affichée du consom-mateur. Le pouvoir économique passa du producteur au distributeur et

ce rapport de force modifia en profondeur les modes de fonctionnement des entreprises25.

La recherche de la satisfaction maximale du consommateur devint aussi l’al-pha et l’omega du discours managérial. Satisfaire le consommateur en l’empor-tant sur la concurrence obséda les nouveaux dirigeants. La fréquente utilisation d’un langage guerrier révéla les excès de cette nouvelle orientation.

Enfin, quelques mois après les révoltes de mai, l’introduction de la publicité à la télévision confirmait la faveur dévolue à l’image sur le papier et le recul de la primauté de l’écrit.

cette nouvelle priorité accordée à l’image accéléra la diffusion des émotions consacrées par les grands rendez-vous planétaires. Les Jeux olympiques et la coupe du Monde comme les mariages des célébrités n’auraient pu avoir un tel retentissement sans la télévision. L’obsession pour le sport et les « people » n’a atteint une telle dimension que grâce à la boîte noire fédératrice.

c’est d’ailleurs la télévision qui requiert ces grands rendez-vous. Les chaînes en viennent à susciter, voire à fabriquer, ces grands événements pour proposer une audience maximale à leurs clients annonceurs.

25 Frank cochoy, Frank cochoy, Histoire du Marketing, Paris, La Découverte, 1999.

Des besoins de produits aux désirs de marques (jusqu’en 1985)

chapitre 2

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Une nouvelle ère de relation progressivement moins dominatrice, plus consensuelle et émotionnelle allait commencer autour de la désormais fameu-se lucarne allumée tous les soirs dans les foyers français. « Le poids des mots ; le choc des photos », annonçait Paris-Match dans sa publicité.

Est-ce qu’Internet a arrêté cette envolée de la place prépondérante de l’ima-ge au profit d’un retour de l’écrit ? certains aimeraient y croire.

Si les révoltes étudiantes marquèrent la fin d’une époque politique, leurs conséquences économiques allaient être perçues bien au-delà des campus uni-versitaires.

Le distributeur, le nouvel homme fort de l’économie

Journaliste économique et futur membre du comité économique et moné-taire, Jean Boissonnat aimait à rappeler qu’en 1956, à Limoges, il y avait 26 épice-ries dans la seule rue principale. ces magasins de l’agglomération ont tous été remplacés par quelques hypermarchés, eux-mêmes aux mains de cinq entités financières.

La hausse du pouvoir d’achat permettait l’adoption du mode de vie améri-cain et c’est toute l’Amérique qui franchissait l’Atlantique. Le nouveau mode de vie des Français ne pouvait être équitablement réparti entre une américanisa-tion moderniste et le maintien de traditions bien « de chez nous ». Les Françai-ses avaient découvert cet american way of life avec ravissement dans la presse féminine. Les hommes avaient envié les voitures des Américains depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les pavillons pullulaient dans les nouvelles ban-lieues et avec eux centres commerciaux et hypermarchés. L’Amérique était en-trée, en force, par la grande porte. Tel un torero porté par les aficionados après une corrida réussie.

La sublimation de l’image et le mythe américain allaient progressivement être écornés par la distribution. Son exigence d’information et de qualité fourni-rait au consommateur une quantité de connaissance qui le conduisit progressi-vement à relativiser l’influence de la publicité.

Les producteurs ne pouvaient plus considérer avoir le monopole de l’infor-mation. Ils devaient apprendre à la partager avec le distributeur et le consom-mateur. Le balancier de l’information penchait de nouveau en faveur du com-merçant par rapport à l’industriel. L’économie de l’offre passa définitivement à une économie de la demande comme le définit Lionel Stoleru26.

Apprendre à consommer allait être le fait du distributeur et ce sont ces der-niers qui en tirèrent le meilleur profit. Leur réussite personnelle s’afficherait plus

26 Lionel Stoleru Lionel Stoleru, Le Monde du 11 décembre 1999.

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1 des besoins de produits aux desirs de marques (jusqu’en 1985)

tard dans les classements des plus grandes fortunes. Dans chaque pays, ce sont des distributeurs qui ont trusté les premières places. Les héritiers de Wal-Mart aux états-Unis ou les fondateurs d’Auchan, de carrefour ou de cora en France ont été les principaux bénéficiaires de ce basculement du pouvoir, et donc des marges, en faveur de la distribution. Tous les pays européens abritent des réussi-tes remarquables : El corte Inglés en Espagne, c&A aux Pays-Bas, Ikea en Suède, Aldi en Allemagne. Toutes ces riches enseignes ont été créées récemment par des familles plus que par des entités financières et elles symbolisent la formida-ble croissance de la distribution depuis les années 1970.

Le consommateur de mieux en mieux informé et donc éduqué n’accepterait plus une consommation massive et identitaire comme frontière ultime et suf-fisante.

Le consommateur, obsession de « l’homo economicus »

Les entreprises ont pourtant continué à activer le levier du désir en investis-sant dans la motivation de l’envie plutôt que dans la recherche de la satisfaction de besoins encore insatisfaits. Les travaux sur la détermination de ces besoins existaient, mais la facilité de céder à la tentation de la rentabilité immédiate l’emporta.

Un glissement sémantique s’opéra. Les entreprises n’évoquaient plus les be-soins objectifs des consommateurs mais leurs attentes subjectives. Il était plus facile de jouer sur des désirs plus ou moins justifiés que d’étayer la persistance de besoins insatisfaits chez les consommateurs. La proposition la plus fameuse reste la pyramide des besoins du psychologue américain Abraham Maslow27.

Les cinq catégories de besoins sont classées en commençant par les indis-pensables : se nourrir et se reproduire. Viennent ensuite les besoins de sécu-rité et de logement. La quête d’appartenance (se marier, travailler) est placée au troisième niveau de la pyramide par Abraham Maslow. L’estime de soi est au quatrième niveau et l’ultime besoin correspond à la réalisation personnelle de chacun (self-actualization en anglais). Au fur et à mesure de la progression des besoins, leur interprétation devient logiquement plus subjective.

La démarche sociologique centrée sur l’individu est peut-être complexe et difficile à traduire en termes de produits ou services pour les entreprises, mais elle existe. Pourtant les entreprises ont préféré développer une relation centrée sur le désir. c’était aussi l’option retenue par les plus grands professeurs des business schools dont la première, Harvard. Le département marketing de cette université apparaît comme un des creusets de la réflexion sur la commercialisa-tion des biens de consommation durant la seconde moitié du xxe siècle.

27 Abraham Maslow, « A Theory of Human Motivation », in Psychological review, 1943 et www.maslow.com.

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Après les 4 P de neil H. Borden, deux professeurs avancent successivement dans la traduction théorique de l’évolution du marketing, tel que pratiqué par les entreprises.

Dans un article de 1975 intitulé « Marketing Myopia28 », Theodor Levitt met en garde les dirigeants d’entreprise contre leur exclusive préoccupation de la production. cherchez à comprendre la demande du consommateur pour éviter un conformisme ambiant dévastateur, suggère Theodor Levitt. cette légitime ambition allait nourrir la volonté des entreprises de toujours se démarquer. Les firmes ont donc recherché une différenciation subjective plutôt que la satisfac-tion objective de besoins insatisfaits.

Philipp Kotler, un autre professeur de Harvard et peut-être l’auteur le plus lu en marketing, appuya les propos de son confrère en proposant la nouvelle règle des 4 c.

En lieu et place du Produit il substitua justement le consommateur, puis il remplaça le Prix par le coût pour attirer l’attention sur la rentabilité effective du produit. Il jugea la distribution insuffisante, à quoi il préféra la convenience ou praticité en français pour consacrer le temps du consommateur. Philipp Kotler estima enfin que la Promotion était réductrice et il donna toutes ses lettres de noblesse à la communication.

ces travaux des professeurs de marketing orientèrent dès lors les entreprises à privilégier les attentes des individus en multipliant les occasions de consom-mation.

Les sociologues furent alors sollicités. Leur rôle fut d’analyser le comporte-ment des employés29 et des consommateurs. Un cabinet français, le ccA, in-venta les socio-styles30. Ils furent ensuite repris dans le monde entier. cette mé-thode d’analyse cherchait à appréhender les consommateurs par sous-groupe d’appartenance en fonction de leur mode de vie et non plus seulement de leurs moyens financiers, de leurs origines, de leurs lieux de vie ou de leur âge.

L’école française du marketing confirmait sa pertinence pour étudier, dans un style plus introspectif, la finalité du marketing et sa relation avec le consom-mateur.

Finalement les dirigeants d’entreprise eurent une réaction naturelle. Tâchons de sublimer, pensaient-ils. nous arriverons à vendre un produit assez banal et identique pour tous à l’aide de la publicité. Maslow était enterré au profit de l’icône publicitaire. Soyons créatifs plutôt qu’inventifs.

28 Theodor Levitt, « Marketing Myopa », Harvard Business review, Boston, septembre 1975.

29 Michel crozier, Michel crozier, La Société bloquée, Paris, éditions du Seuil, 1970.

30 Bernard cathelat Bernard cathelat, Socio-Styles Système, Paris, éditions d’organisation, 1990. www.lecca.com

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1 des besoins de produits aux desirs de marques (jusqu’en 1985)

L’excitation du désir par les marques allait continuellement activer la société de la consommation. La valeur d’image de la marque se superposa à la valeur d’usage du produit. Jacques Séguéla31, le publicitaire français qui conduisit, avec d’autres, François Mitterrand à la victoire, proposa la marque star. c’était appli-quer aux marques les recettes gagnantes du cinéma et du music-hall.

La popularité croissante des stars du cinéma et de la musique nourrissait l’imaginaire collectif des Français. De Marilyn Monroe à catherine Deneuve en passant par Brigitte Bardot, d’Elvis Presley aux Beatles en passant par Johnny Hallyday, autant de célébrités qui occupaient une place croissante dans l’esprit des individus. La starisation de ces personnages de légende inspira les entrepri-ses au point de les détourner puisque presque tous servirent d’icône publici-taire. catherine Deneuve vanta (vendit) le parfum n° 5 de chanel et les rolling Stones le coca-cola.

La population attendait des stars ; ce fut tout le talent de Jacques Séguéla d’avoir su y répondre avec des marques. Les voitures citroën dévalaient la Gran-de Muraille de chine ou s’envolaient d’un porte-avions de la Marine nationale.

La valorisation des marques devint une démarche moins onéreuse que la re-cherche scientifique. Les investissements publi-promotionnels paraissent tou-jours plus rentables à court terme.

La poursuite de ce modèle s’acheva à la fin des années 1980 sur les récifs des nouveaux supermarchés plantés à la sortie des villes. Les distributeurs récla-maient des baisses de prix, pas des films publicitaires dignes d’Hollywood.

1968 : l’autre révolution : la publicité arrive à la télévision fran-çaise

L’année 1968 restera, pour le monde entier, celle des révoltes étudiantes. Pour la petite histoire de la publicité française, ce sera l’année du big-bang.

Le premier spot publicitaire fut diffusé le 1er octobre 1968 pour le fromage Boursin : « Du pain, du vin, du Boursin. » Les autres marques présentes étaient : les tricots Bel, le beurre Virlux, le lait en poudre régilait et les téléviseurs Schnei-der. Le transfert de l’image fixe (affichage et presse écrite) vers la télévision al-lait ouvrir pour les entreprises une ère nouvelle dans leur relation aux consom-mateurs, néanmoins sans en garantir le succès. Hormis Boursin, les marques précitées disparurent ou déclinèrent.

Les entreprises purent accroître la sublimation de leur produit et fournir à l’acheteur une connaissance approfondie de ses vertus pour, in fine, augmen-ter sa charge d’identification émotionnelle. Dès le début des années 1970, une

31 Jacques Séguéla, Jacques Séguéla, Demain il sera trop star, Paris, Flammarion, 1992.

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des premières campagnes marquantes fut « Votre argent m’intéresse » de la BnP. Une campagne d’affichage sous forme de teasing eut un impact national majeur. cette affiche était placardée en septembre 1981 sur les murs de France : « Demain j’enlève le haut. Demain j’enlève le bas. » L’afficheur Avenir souhaitait démontrer l’efficacité de son média par rapport à la télévision avec son slogan : « L’afficheur qui tient ses promesses. » L’idée centrale de l’agence de publicité rScG était de montrer un très joli mannequin en trois temps. Tout d’abord, de face et en maillot de bain, puis deux jours plus tard de face mais avec son seul bikini, et enfin le dernier visuel tant attendu était le même mannequin… nu et de dos. cette campagne tint la France en haleine. La publicité avait démontré son efficacité grâce à sa puissance d’émotion et de rassemblement.

L’attribution de la publicité télévisuelle aux seuls industriels a été une déci-sion surprenante. Les distributeurs devaient rester cantonnés dans une dimen-sion locale et réserver leur communication à la seule presse quotidienne régio-nale qu’aucun pouvoir politique ne veut jamais se mettre à dos. ce petit calcul politicien, bien malthusien, se révéla contre-productif.

cette interdiction de la publicité télévisuelle octroya aux chaînes de dis-tribution un pouvoir régional tant financier que politique démesuré. Leurs in-vestissements publicitaires décuplèrent, de sorte que les distributeurs eurent quasi droit de vie ou de mort sur la presse quotidienne régionale. Leur influence fut tout aussi importante sur les hommes politiques, via le chantage à la créa-tion d’emplois, plus ou moins encouragé par la presse de la région qui subissait l’autre chantage, financier.

L’autorisation de la publicité pour la distribution à la télévision aurait-elle changé quelque chose à ce rapport de force ? Difficile à dire car le basculement de pouvoir était à la fois sociologique (la hausse de la classe moyenne), géogra-phique (la forte croissance des périphéries des grandes villes) et démographique (le baby-boom).

L’interdiction de la publicité télévisuelle fut d’une efficacité nulle face à la croissance des surfaces de vente. En Île-de-France, la banlieue représentait près de quatre fois les habitants des vingt arrondissements parisiens (8 millions contre 2 millions) dans les années 1970 contre un nombre équivalent voire moin-dre au sortir de la guerre. Les nouveaux modes de vie devinrent à la portée de tous et tous voulurent décrocher la lune.

Qui plus est, en luttant contre l’autorisation de la publicité pour les distribu-teurs, les industriels scièrent la branche sur laquelle ils étaient assis. Dès 1973, carrefour lança sa propre marque, les produits blancs, et, depuis cette date, les marques des distributeurs n’ont cessé de croître.

Dans certaines catégories de produits, les marques de distributeurs, moins chères, atteignent maintenant 70 % de part de marché. Elles ont pratiquement

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exclu les marques des industriels qui n’ont d’autre solution que de devenir les sous-traitants du distributeur malgré les risques attachés à cette relation exclu-sive et captive.

Au départ, les fabricants ne crurent pas à ces produits à marque distribu-teurs persuadés de l’attirance de leurs propres créations. cette présomption de supériorité est révélatrice du sentiment français de la moindre dignité du com-merce par rapport à la production.

Finalement, les années 1970-1980 furent sûrement les plus brillantes de la publicité française, mais elles ressemblaient à son chant du cygne32. La sophis-tication croissante du consommateur contraignait les entreprises à penser leur marketing dans le sens du Toujours plus33. L’approfondissement des relations en-tre producteurs et acheteurs amena les entreprises à classer les consommateurs selon des groupes différents et à s’adresser à chaque groupe pris isolément.

Appelée segmentation, cette démarche réduirait les efforts de démocratisa-tion et de rassemblement initialement proposés avec talent par les publicitai-res.

32 Jacques Séguéla, Jacques Séguéla, ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité …. elle me croit pianiste dans un bordel, Paris, Flammarion, 1979.

33 François de closets, François de closets, Toujours Plus, Paris, Grasset, 1982.

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La recherche de la démocratisation de la consommation avait été le noble combat des distributeurs et des producteurs. Des centres Leclerc à renault en passant par Moulinex et Prisunic, toutes ces entreprises cherchaient à

vendre au meilleur prix. « Le chic pas cher », suggérait Prisunic.

ces marques étaient devenues les vecteurs démocratiques d’une consom-mation de masse. cette démarche s’étiolait progressivement au regard de la sa-turation des marchés et de la banalisation des produits. La forte concurrence et la pression de la distribution imposèrent aux fabricants une segmentation ac-crue de leurs clients pour permettre à chacun d’afficher sa réussite individuelle.

cette nouvelle direction était nécessaire puisque, à l’inverse, vendre le même produit à tous les consommateurs permettait aux distributeurs de tirer les prix vers le bas et par conséquent de réduire les marges.

Les entreprises allaient approcher leurs consommateurs comme les mem-bres de tribus et leurs marques devaient apprendre à adhérer, à partager les va-leurs des communautés chères au sociologue Michel Maffesoli34. ce fut la mode des tribus de consommateurs affublés des noms les plus étranges. chaque spé-cialiste affichait sa découverte comme les chercheurs en biologie une nouvelle molécule.

Se distinguer, ne plus ressembler au voisin, afficher sa différence. Bernard

34 Michel Maff esoli Michel Maffesoli, Le Temps des tribus, le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Paris, Hachette, Livre de poche, 2000 (1re édition, 1988).

De la démocratisation inachevée à la différenciation (1985 – 1995)

chapitre 3

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Arnault35 a compris avant tous les autres cette volonté d’affirmer sa supériorité matérielle. Le président du premier groupe de luxe dans le monde eut l’intuition de substituer à la qualité objective des produits une image indéfinissable mais tellement porteuse de sens et d’argent, le luxe. était-ce néanmoins nécessaire d’insister sur ce qui diffère plutôt que sur ce qui rassemble, au risque de creuser les écarts plutôt que de chercher à les combler ?

« Le luxe, c’est ce qui est cher ! Le chic c’est une philosophie, une attitude », dira plus tard (trop tard) le couturier Jean-Paul Gaultier36.

Toujours plus

La concurrence est devenue intense et quotidienne sur les linéaires des hy-permarchés.

50 000 références en France pour 750 produits achetés annuellement par une famille moyenne composée de deux parents et de deux enfants. 35 000 références pour 18 produits achetés en 21 minutes dans les supermarchés amé-ricains. Les statistiques sont brutales. Le plaisir et la découverte liés aux courses ont disparu sous la pression d’activités alternatives. Sport, tourisme, informa-tique, culture sont les nouveaux dadas des Français et ont remplacé ce qui est devenu une corvée, les courses hebdomadaires. En 2001, 47 % de la population française déclarait ne plus aimer faire ses courses.

La valeur accordée au produit diminua logiquement au fur et à mesure de sa banalisation.

Inéluctablement, producteurs et distributeurs devinrent aussi concurrents et chacun essaya d’établir une relation directe avec le consommateur. à partir de cette scission, les entreprises développèrent un marketing direct pour construi-re une relation exclusive avec le consommateur. Pendant que les marques cher-chaient à faire rêver avec leurs mailings sur papier glacé, les distributeurs je-taient leurs catalogues de produits à prix réduits dans les boîtes à lettres.

La lutte entre producteurs et distributeurs continuait à s’attiser. En 1988, An-toine riboud alors président de BSn (futur Groupe Danone) refusa une réduction de prix demandée par les centres Leclerc pour les produits Gervais-Danone. Leur président, édouard Leclerc, cessa alors de passer commande. Trois semaines plus tard et après avoir été contraint de mettre au chômage technique une usine de 300 employés dans la région de Grenoble, Antoine riboud téléphona à édouard Leclerc pour lui proposer une rencontre. Le distributeur venait d’imposer sa loi à

35 Le démarrage de l’industrie du luxe date du rachat du groupe Boussac par Bernard Arnault Le démarrage de l’industrie du luxe date du rachat du groupe Boussac par Bernard Arnault en 1984.

36 Le Point du 16 février 2006.

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1 de la démocratisation inachevée à la différenciation

l’industriel qui retint la leçon. Dorénavant, les producteurs devraient rechercher la diffusion maximale de leurs produits pour minimiser leurs risques. L’interna-tionalisation devenait la référence pour tout industriel fournisseur d’une distri-bution devenue en une dizaine d’années oligopolistique.

Durant les années 1960-1970, battre la concurrence avait été le principal sou-ci des industriels. Le pouvoir considérable, presque déséquilibrant, de la grande distribution imposait aux fabricants l’internationalisation et la course à la taille critique. La vague des fusions-acquisitions trouva ici son point de départ. cette nouvelle contrainte bouleversa profondément l’organisation des entreprises.

La guerre est déclarée

Peter Drucker37, le plus grand professeur américain de management, affir-mait que l’innovation et le marketing sont les deux fonctions essentielles de l’entreprise. Peu l’écoutèrent et le langage belliciste fit son apparition dans la presse économique. conquête de marché, lancement tactique, avancée straté-gique, la symbolique privilégiait l’action aux dépens de la création. La mise en place obsessionnelle d’une organisation sans faille entraînait un réel déséqui-libre collectif et le ferment des interrogations existentielles de millions d’em-ployés quelques années plus tard.

Les dirigeants d’entreprise préférèrent poursuivre leur optimisation organi-sationnelle et financière, ignorant les dommages collatéraux générés. Le coût humain et environnemental de cette marche forcée allait se révéler particuliè-rement élevé, chômage de masse et violence décuplée dans les centres urbains. Tout à leur guerre, ces patrons ne firent pas cas non plus de l’entrepreneur Gary Hamel38 lorsqu’il écrivait que « les entreprises ne doivent pas être dirigées par des managers mais des révolutionnaires ».

Le recours abusif aux trop fameux conseils en stratégie et organisation il-lustra cette démarche moutonnière. Les « insectes laborieux » de Françoise Vincent-ricard avaient peu grandi. Ils appliquaient à leur méthode de travail leur manière de s’habiller, singulièrement triste et répétitive. cette orientation pseudo-scientifique donnée à l’entreprise dans un univers qui aurait dû rester profondément créatif allait souvent conduire à une sophistication illusoire de la consommation.

Durant les années 1970, le recours à la publicité avait ennobli les marques dans une dimension onirique de rassemblement et de partage. La marque était souvent comparée à un substitut de la religion, le nouvel opium du peuple, pré-tendaient ses détracteurs, mais sa fonction de rassemblement ne pouvait lais-ser indifférent.

37 www.peter-drucker.com. www.peter-drucker.com.

38 Gary Hamel, Gary Hamel, La révolution en tête, Paris, éditions Village Mondial, 2001, www.garyhamel.com.

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à partir des années 1980, il fallait vanter l’exception pour mieux se distinguer, pour mieux communautariser ou tribaliser la consommation. La marque perdait sa volonté de valorisation du groupe au profit de l’accentuation de la différence de chaque individu.

Dorénavant vous n’alliez plus en vacances à l’hôtel, mais le tour-opérateur vous proposait de vivre une expérience en découvrant un nouveau concept de loisir. Prendre un repas devenait une dégustation et l’on vous offrait des anima-tions pendant la journée. comme si le fait de vous laisser seul avec vous-même était interdit, ou trop risqué pour la marque. Les marques allaient dénaturer leur capacité d’intégration en acceptant leur vulgarisation incontrôlée. Les produits allaient être de plus en plus copiés et les marques attaquées. L’accélération de l’ouverture de points de vente sous la forme de magasins en franchise accentua ce phénomène de banalisation des marques. Le coup ultime fut porté par l’ob-session de tout dirigeant marketing de suivre la fameuse tendance. combien de marques se sont perdues en dédaignant leur caractère propre pour essayer de coller aux prédictions ? La société de la consommation a aussi son cimetière aux éléphants.

L’émergence des copies, la rapide implantation de la franchise et l’impor-tance croissante accordée aux tendances avaient dénaturé les premiers aspects positifs d’intégration par les marques.

De la démocratisation rêvée à la segmentation subie

La publicité ne pouvait plus concevoir les produits pour le plus grand nom-bre. Il lui fallait trouver un autre moteur. ce fut les tribus.

Il y a une vingtaine d’années, l’essayiste américain Douglas copland décou-vrait la génération �39. cette appellation décrivait les Américains nés entre 1960 et 1980 et qui avaient du mal à se situer dans une société dominée par les ba-by-boomers. Ils n’avaient participé à aucune lutte majeure, ni le Vietnam ni les droits civils, et ils se sentaient dénués de toute spécificité.

ces « Bobos » étaient les bourgeois-bohèmes qui s’installèrent dans les nou-veaux quartiers anciennement industriels, devenus branchés et citadins dès le milieu des années 1980.

Se voyaient-ils rebelles, les grands enfants de mai 1968 ? David Brooks40, le journaliste du new York Times, leur rappelait qu’ils étaient simplement une nou-velle tribu en phase avec leur temps. non, Sir, ce ne sont pas des révoltés et en-

39 Douglas coupland, Douglas coupland, Génération �, Paris, robert Laffont,1993.

40 David Brooks, Bobos in Paradise, new York, Touchstone Book, 2000.

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core moins des révolutionnaires. Ils boivent du thé bio mais roulent en 4 x 4. Ils partent à Bali pour se ressourcer et regardent les émissions d’actualité sur leur nouvel écran plasma dans leur loft. Les Bobos correspondent finalement à une nouvelle convention qui cherche à surfer sur le mythe de la contre-culture.

ce serait dorénavant la mosaïque des générations pour reprendre le titre du livre publié en 2000 par un spécialiste français du marketing41. Des Momos, ces mobiles moraux, aux nonos, la presse42 énuméra ces catégories qui font croire au vulgum pecus que le marketing, mon Dieu, est compliqué.

La limite de cette démarche était de circonvenir l’avenir des marques à un concept en phase avec des attentes présupposées de groupes d’individus ran-gés par catégorie. Hier réponse à un besoin, le produit devenait séduction en 1975 et il n’était plus que concept au début des années 1990.

Ton shampoing, ma voiture, son parfum, leur maison de campagne, lui et ses chaussures. L’univers publicitaire pensait poursuivre aisément cet échange schizophrène : « Promettons le groupe pour que le consommateur s’achète une bonne conscience bien qu’il produise un comportement égoïste. »

Les marques furent écartelées entre volonté d’affichage et sentiment d’ap-partenance. Les entreprises souhaitaient établir des relations fortes avec leurs consommateurs et, en même temps, elles craignaient d’être déconsidérées en s’affichant comme trop proches.

à partir des années 1990, les industriels lancèrent des nouveaux produits ou marques aussi inattendus que surprenants pour outrepasser les limites de la banalisation. Ford s’était trompé avec le lancement de la voiture mondiale : une Escort identique pour tous. Les dirigeants de la multinationale américai-ne croyaient que les embouteillages et le coût croissant de l’essence détour-neraient de l’automobile les conducteurs des pays développés. Pratique et pas cher, aurait dû être leur principal objectif. Il n’en fut rien. Le beau, le différent, l’inattendu et le séduisant étaient espérés par les consommateurs. Le design allait prendre toute son importance pour valoriser au mieux le produit ou le service proposé.

Faith Popcorn était la nouvelle gourou et le cocooning son leitmotiv. Se sentir bien chez soi comme à l’extérieur devenait notre nouvelle frontière.

Ikea changea notre relation à notre espace intérieur et renault eut une idée de génie en appelant son monospace l’Espace. c’était promettre l’identification absolue entre les attentes de protection et d’évasion. Le succès dépassa les es-pérances.

41 Jean-Luc Excousseau, Jean-Luc Excousseau, La Mosaïque des générations, Paris, éditions d’organisation, 2000.

42 « Le marketing dans tous ses états », « Le marketing dans tous ses états », Le nouvel observateur du 6 octobre 2005.

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Les magazines de décoration proliférèrent. Leurs homologues de l’évasion suivront quelques années plus tard. Après le repli sur soi, vive les voyages.

Le téléphone portable a aussi su modifier notre relation au temps. Partir ne devint rien d’autre que visiter une ville conseillée par les guides ou profiter du soleil en hiver. Toujours en alerte, toujours branché grâce au portable. Internet profita de cette folle connexion.

cocooning ou évasion, à l’intérieur ou l’extérieur, ici ou là-bas, le plus impor-tant restait l’affichage de ses possessions. Qui possède vaut, était la croyance au début des années 1990. Est-ce que cela a vraiment changé ?

chacun croyait atteindre sa nouvelle frontière grâce à ces innovations. or nous ne faisions qu’adhérer au groupe.

Le luxe dota les marques d’un contenu complémentaire qui permit de rassu-rer des consommateurs anxieux. ce qui au début était qualité pour soi devint finalement ostentation affichée pour les autres et l’industrie du luxe explosa au milieu des années 1980. c’était l’époque des Golf GTI, des cartes Gold et des sacs Vuitton. La montée en puissance de cette industrie du luxe consacrait la réussite affichée. Dorénavant, ne serait-ce pas « afficher pour devenir » grâce aux produits de luxe ?

En abandonnant la recherche d’une démocratisation maximale et en cessant de considérer la consommation comme un moyen mais une fin, les promoteurs du marché du luxe allaient finalement rendre un bien mauvais service à la so-ciété.

Le luxe est une démesure salutaire, comme le souligne le philosophe Thierry Paquot43, car il transforme le futile en indispensable. Si le superflu est nécessaire pour soi, pour son équilibre personnel, son affichage obligatoire poussa de nom-breux individus à le considérer comme une nécessité. L’exemple du Japon est édifiant : 80 % des jeunes filles ont acheté un sac Louis Vuitton car elles « doi-vent » le posséder. L’uniforme scolaire est devenu uniforme de marque, c’est-à-dire une vie effectivement uniforme.

Sensualité et praticité : pour de nouvelles relations avec le consommateur

Le marketing devait progressivement s’émanciper d’une approche tradition-nelle en s’ouvrant à des réflexions sensorielles et fusionnelles pour permettre à l’individu de mieux s’épanouir. Si le consommateur ne souhaitait pas seulement achever pour détruire, il devenait urgent de lui proposer autre chose.

43 Thierry Paquot, Thierry Paquot, éloge du luxe, Paris, Bourin éditeur, 2005.

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Deux courants complémentaires apparurent. Le premier, conceptuel, à l’op-posé de l’autonomie, poussait au rapprochement. c’est la pensée fusionnelle dé-diée aux échanges et aux rencontres, l’enfant d’une internationalisation positive. Dès le milieu des années 1990, cette volonté de rapprochement faisait une large place aux valeurs féminines, d’écoute, de partage et d’émotion.

Il s’agissait de dépasser le marketing de projection pour s’ouvrir aux autres. Le but était de ne pas rester dans une relation de dépendance exclusive à l’égard des marques dominantes de l’univers occidental. Le courant fusionnel a permis d’initier des tentatives de rapprochement dans des univers aussi différents que la musique ou l’alimentation.

De la world food à la world music les échanges s’accélérèrent et trouvèrent en Internet le moteur de leur relation.

construit sur un mode horizontal et de partage, l’Internet véhicule les va-leurs féminines de l’échange. La combinaison de la technologie et des valeurs de partage installa dans la durée cette idée fusionnelle.

Le second courant de pensée est dédié à la commodité. ce constat a ouvert un champ d’étude important pour une école de réflexion issue de l’observation des moments de la vie. Ses spécialistes recommandent une lecture complémen-taire du marketing en accordant à la praticité et au mouvement toute la place requise.

Les quêtes de sens et de plaisir étaient encore insuffisamment satisfaites puisque certaines enquêtes évaluaient à 50 % les consommateurs qui s’en-nuient en faisant leurs courses. Pour ces chercheurs, la recherche de la satisfac-tion ne réside pas obligatoirement dans le pourquoi mais plutôt dans le com-ment. Les marques peuvent abandonner leurs ambitions dans leur relation avec le consommateur. Elles y gagneront de l’adhésion et de la proximité à répondre concrètement aux attentes pratiques de leurs acheteurs, nous disent ces spé-cialistes.

Deux consultants français, François Bellanger et Bruno Marzloff, se sont ré-vélés à la pointe des réflexions sur la mobilité. Ils font maintenant autorité sur le sujet, tant en France qu’à l’étranger.

nous sommes loin des socio-styles. Il ne s’agissait pas de comprendre préa-lablement les modes de vie et de pensée. Au contraire, nous disent-ils, l’exigence de déplacement imposée par la société influence durablement nos modes de vie. Le sociologue Bruno Marzloff le mentionna dans un entretien au journal L’Usine nouvelle en 2003 : « Le mouvement s’accélère, voire se précipite. La vi-tesse fuit à toute allure. »

Les entreprises vont devenir des facilitatrices plutôt que des conceptrices. La

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SncF adhéra à cette idée avec son slogan pour le TGV : « Prenez le temps d’aller vite. » Son site Internet, voyages-sncf.com, allait bientôt devenir le premier site marchand français.

De son côté, Air France continue à vouloir représenter une certaine image du voyage aérien. « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre » est une magnifique campagne de publicité qui projette néanmoins la marque vers le haut.

Il est important de relever qu’aujourd’hui les principales industries s’atta-chent à capter la première ressource du consommateur, son temps. En 1997, le tourisme est devenu la première industrie mondiale et l’industrie du cinéma est le deuxième poste d’exportation des états-Unis. Et sûrement le premier en in-fluence.

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La France des années 1995 n’était plus rassembleuse. L’ascenseur social était en panne – comme l’avait si bien diagnostiqué le candidat chirac, et com-me l’a si mal résolu le Président chirac. Les entreprises étaient obligées de

poursuivre une segmentation croissante des marchés pour continuer à croître. La conséquence de cet effort contenait en son sein sa propre contradiction.

Hier le gouvernement et les entreprises poursuivaient l’objectif de pourvoir au bien commun que mettait en scène la publicité. ce n’était plus le cas et la segmentation insistait sur les différences.

Les entreprises furent soumises à une demande croissante d’identification de la part des différentes communautés de consommateurs. cette quête de res-semblance obligeait les entreprises à rester en phase avec l’air du temps. Les dirigeants devinrent les suiveurs de leurs consommateurs plutôt que des anti-cipateurs. Toutefois cette course-poursuite entre consommateurs branchés et industriels isola chacun plus qu’il ne les rapprocha.

La confirmation de l’individu-roi déboucha ensuite logiquement sur une forte demande de lien.

à partir de cette période, les professionnels du marketing engagèrent une réflexion sur leur métier pour proposer des méthodes alternatives.

Le publicitaire Jean-Marie Dru proposa la méthode de la disruption44. L’objec-

44 Jean-Marie Dru, « Disruption : bousculer les conventions et reconquérir le marché », Paris, Jean-Marie Dru, « Disruption : bousculer les conventions et reconquérir le marché », Paris, Village mondial, avril 1997

De l’illusion du luxe à la dictature de l’émotion (1995 –2005)

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tif était de rompre avec les conventions publicitaires pour aider les entreprises à reconquérir leurs consommateurs. Son application avec succès fut relative car les outils proposés ne pouvaient se concevoir au-delà de la publicité tradition-nelle. or le consommateur commençait justement à désirer une autre forme de relation avec les marques.

La démarche de la transversalité fut ensuite imaginée par Michel Hébert, un autre publicitaire. Fondateur de l’agence de publicité Jump, sa transversalité45 influença durablement la profession.

Sa réflexion suggérait d’associer tous les métiers de la communication et du marketing pour mieux comprendre le consommateur et ainsi s’adresser à lui dans les meilleures conditions.

Michel Hébert se rendit vite compte des obstacles liés à sa volonté de faire travailler de manière complémentaire et satisfaisante des métiers différents. La transversalité reste néanmoins une des pistes d’évolution les plus sérieuses et qui sera confortée par la centralité nouvelle d’Internet dans le fonctionnement des agences de communication46.

Les entreprises doivent effectivement tisser des relations fortes avec leurs consommateurs pour éviter de disparaître, comme le rappelle Jean-noël Kap-ferer47 dans un ouvrage récent. Le niveau élevé d’éducation du consommateur exige néanmoins que cette relation soit dorénavant empreinte d’honnêteté et non pas fondée sur la seule émotion.

Du consomexpert au consom’acteur

« Demander à un consommateur ce qu’il veut c’est comme regarder dans un rétroviseur. »

cette phrase est issue des travaux de la première société américaine d’étu-des de marché sur les nouvelles technologies, Forrester. Le constat est sympto-matique de la difficulté croissante des entreprises à comprendre les nouvelles attentes de leurs clients, surtout dans une industrie où le rythme d’innovation est si rapide.

L’explication de cette difficulté est à chercher du côté de l’intelligence du consommateur. Depuis soixante ans, le consommateur apprend les techniques de marketing et de vente. Les experts de la société de conseils McKinsey ont ré-vélé qu’un consommateur moyen américain était soumis en 1960 à 1 500 mes-

45 Michel Hébert, Michel Hébert, La publicité est-elle toujours l’arme absolue ? Plaidoyer pour une communication efficace, Paris, éditions Liaisons Sociales, 1997. www.jumpfrance.com.

46 Entretien avec Michel Hébert, 1 Entretien avec Michel Hébert, 1er février 2007.

47 Jean-noël Kapferer, Jean-noël Kapferer, ce qui va changer les marques, Paris, éditions d’organisation, 2005.

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sages publicitaires quotidiens, 3 000 en 1990 et 5 000 en 2000. En Europe le chiffre est plus proche de 2 000 messages publicitaires quotidiens.

Le consommateur est devenu expert, selon le mot de Michel Hébert en 1997 dans son livre La publicité est-elle toujours l’arme absolue ?.

La courbe d’apprentissage du consommateur ne fait que croître, et le seul dé-sir de marque ne peut plus suffire. Les entreprises veulent apporter un contenu supplémentaire à leur relation en simplifiant la vie de leurs consommatrices. La femme est toujours en charge de la gestion de l’intérieur des familles françaises à plus de 80 %. Ses besoins vont être un peu mieux pris en compte pour amélio-rer ses tâches ingrates et ennuyeuses.

Le groupe Unilever fut à la pointe de cette démarche. Anthony Bergmans, son président, déclarait au Monde en 1999 : « Demain nous ne vendrons pas des pro-duits, mais des services. » En cherchant à s’appuyer sur l’expertise du consom-mateur, le groupe anglo-néerlandais voulait construire une relation intelligente et relativement éducative. La lessive « analyse » le degré de saleté du linge et la brosse à dents électrique facilite, voire encourage l’hygiène dentaire. ce sont quelques exemples de produits avec une réelle innovation. ces nouveautés ne garantirent pas le succès du groupe anglo-néerlandais rattrapé par les difficul-tés liées à la gestion d’un portefeuille de marques trop large.

Le consommateur allait vouloir être acteur de sa propre consommation. De consomexpert il devenait consom’acteur48.

Les tenants de l’altermondialisme dans leur revue Politis, avec le « Guide du consom’acteur », comme les professionnels du marketing, dans le numéro anniversaire de la revue Marketing Magazine, ont utilisé ce néologisme. L’uti-lisation consensuelle de cette expression reflète le rôle politique que certains voudraient voir endosser par le consommateur. Pourtant la consom’action n’est pas nouvelle et elle existait dès la fin du xixe siècle en France et aux états-Unis selon la chercheuse Marie-Emmanuelle chessel.

Des femmes issues des classes aisées se regroupaient dans des ligues d’acheteuses pour adopter une consommation responsable. ne pas acheter le dimanche pour ne pas obliger les employés à travailler. S’obliger à acheter les vêtements à un certain prix pour ne pas léser les ouvrières.

« Depuis au moins un siècle, il existe des consommateurs (minoritaires) qui réfléchissent aux conséquences de leurs actes (et pas seulement à leurs pro-pres intérêts économiques). certains s’expriment avec leurs pieds (ils n’achè-tent pas, comme d’autres ne votent pas) et c’est un mode d’expression parmi d’autres49. »

48 « Du produit de consommation au produit intelligent », « Du produit de consommation au produit intelligent », Marketing Magazine, juin 2001.

49 A. chatriot, M.E chessel, M Hilton, A. chatriot, M.E chessel, M Hilton, Au nom du consommateur : consommation et politique en

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Pour Marie-Emmanuelle chessel, le relâchement des formes de contestation politique ou syndicale a pu pousser la consommation à devenir un mode d’ex-pression politique. Le consom’acteur d’hier et d’aujourd’hui cherche une sorte de « troisième voie » qui lui permette, sans remettre en cause le système, d’agir à la marge pour le réformer.

cette volonté nouvelle affichée par le consom’acteur suscitera toutefois une réaction mitigée des entreprises. certaines vont accepter de partager le pouvoir avec le consommateur et, au-delà, avec l’ensemble de ses partenaires, les stake-holders selon la terminologie américaine.

ces interlocuteurs privilégiés sont au nombre de quatre : les clients, les sa-lariés, les fournisseurs et les actionnaires. chacun doit recevoir un traitement équilibré et adapté selon les règles prévues par la gouvernance d’entreprise, l’éthique et le développement durable. Les Japonais avaient déjà engagé les en-treprises dans cette direction au début des années 1990 avec la qualité totale. Le respect des stakeholders conduit à définir les règles de la relation de l’entreprise avec ses différents intervenants.

La grande majorité des dirigeants a toutefois continué d’actionner le seul levier du désir et de l’émotion.

Moi d’abord ou no Logo

La confrontation devenait inévitable entre des entreprises fortes de leurs cer-titudes et qui ne voyaient dans le consommateur qu’un acheteur par rapport à un citoyen qui se voulait de plus en plus acteur et responsable dans ses achats.

L’invasion croissante de l’ostentation et du luxe avait contribué à un isole-ment croissant des consommateurs. certains crurent pourtant voir dans ce rejet commercial une demande d’autonomie libératrice. Le sociologue Jacques Paitra valorisa « la société de l’autonomie » dans son livre publié en 2000. Et il identifia dans cette autonomie individuelle une source d’épanouissement.

Des éditeurs multiplièrent les publications et des titres de presse furent lan-cés dont le plus emblématique reste Psychologies. ces succès incitèrent le men-suel d’analyse Enjeux-Les échos à revenir sur ces dix années de l’invention de soi. ce fut le numéro du « Moi d’abord »50.

Le sociologue Gilles Lipovetsky craignait légitimement « un individu, tout entier concentré sur son être et sur son mieux-être, happé par le temps présent [qui] ne croit plus aux grands messages de l’histoire ».

Europe et aux états-Unis au xxe siècle, Paris, La Découverte, 2005.

50 « Moi d’abord », « Moi d’abord », Enjeux-Les échos, juillet-août 2005.

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1 de l’illusion du luxe à la dictature de l’emotion

La conclusion de l’enquête d’Enjeux-Les échos suggérait finalement la ques-tion essentielle : « D’où vient que cet individualisme si porteur de bienfait est de plus en plus perçu dans nos sociétés comme une menace ? »

La crainte d’une autonomie finalement vécue comme un repli sur soi allait générer l’émergence de nouveaux regards sur la consommation : comment les marques peuvent-elles perdurer si la consommation ne fait plus rêver ?

Le résultat fut une perte de repères. La plus fameuse interpellation reste le « no Logo » de la canadienne naomi Klein51.

c’est de cette période que datent des termes aussi sophistiqués que marke-ting sensoriel, marketing émotionnel, marketing événementiel ; jusqu’au mer-chandising expérientiel appelé aussi le merchanfeeling.

Tous ces vocables poursuivaient un même objectif : réanimer une relation de plus en plus distante entre les marques et les consommateurs. Il devenait aisé de comprendre certains consommateurs, estimés à 25 % en France, que l’on voyait devenir alter52 puis se détourner des marques. Ils rejoignaient la vision la plus tranchée d’un professeur de marketing qui se demandait, en 2004, dans un article du quotidien Le Monde si les marques ne devenaient pas « fascistes » [sic] ?

« … Une véritable économie des marques qui flirte de plus en plus, à notre insu, avec ce qu’il faut bien appeler le fascisme53 ».

cette vision hostile aux marques allait rendre plus difficile la prétention des publicitaires à faire aimer celles-ci54. En position de faiblesse comment pour-raient-elles affronter l’hyper-consommateur ?

L’hyper-consommateur55 existe-t-il ?

« consommer reste un état d’esprit », selon Edwina Ings-chambers en char-ge de la mode au Financial Times. La journaliste suggéra cette vision dans un reportage publié le 30 octobre 2004 à l’issue d’une journée de séminaire avec un bureau de style.

51 naomi Klein, naomi Klein, no Logo, Arles, Actes Sud, 2002.

52 éric Fouquier, éric Fouquier, « Alter versus Hyper : Mouvements dans la société des consommateurs ». cette étude a été conduite début 2004 : www.thema-sa.fr.

53 Benoît Heilbrun, « Les marques deviennent-elles fascistes ? », Benoît Heilbrun, « Les marques deviennent-elles fascistes ? », Le Monde, 24 avril 2004.

54 Kevin roberts, Kevin roberts, Lovemarks, Paris, éditions d’organisation, 2004.

55 Gilles Lipovetsky Gilles Lipovetsky évoque l’hyperconsommation dans son dernier livre, Le Bonheur paradoxal, Paris, Gallimard, 2006.

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Les entreprises raffolent de ces journées de réflexion car elles sont avides des tendances proposées par les bureaux de style. c’est leur indispensable nourri-ture. Elle est nécessaire pour leur permettre de continuer à étonner le conso-mexpert.

Toutefois, interroge Frédéric Beigbeder, à quoi servent les tendances si la société de l’hyper-consommation ne produit que du vide ? Des spécialistes en vinrent donc à réclamer un marketing de la frustration56 pour stopper « le blues du consommateur » [sic]. convaincus que la surabondance de l’offre confond plus qu’elle n’éclaire, se rendaient-ils compte qu’ils avaient été à l’origine de ce même blues ?

ce n’était pourtant pas l’avis d’éminents, mais un peu inconscients, publicitai-res57. Ils refusèrent l’encadrement de la publicité à la télévision pour les enfants malgré les chiffres alarmants sur la croissance de l’obésité. Au nom d’une hypo-thétique liberté d’entreprendre et de communiquer, leur position corporatiste renvoyait à leurs pairs qui voulaient éviter le bannissement de la publicité sur le tabac. Et encore, il y a vingt ans, les enfants n’étaient même pas concernés !

Une étude universitaire américaine publiée à l’été 2007 démontrait pour-tant la capacité d’influence de la publicité sur les enfants entre trois et cinq ans qui préférèrent à plus des deux tiers les aliments proposés dans des boîtes Mc-Donald’s par rapport aux mêmes aliments dans des sachets neutres. Les pro-fesseurs de médecine qui ont réalisé cette étude insistent sur l’importance de diminuer l’exposition des plus jeunes enfants à la publicité pour « les produits hautes calories et à faible valeur nutritionnelle, ou d’interdire tout marketing visant directement les jeunes enfants58 ».

L’obésité est pourtant reconnue comme « un des défis majeurs de santé au xxie siècle » par les autorités sanitaires en Europe et aux états-Unis. Une épidé-mie qui touche 300 millions de personnes, a déclaré l’oMS.

Les statistiques enfoncent le clou et un récent ouvrage craint que, pour la pre-mière fois dans l’histoire de l’homme, la génération de nos enfants vivra moins longtemps que la nôtre. Les médecins conviennent que ces chiffres alarmants apparaissent comme un effet secondaire du développement économique59. « La spectaculaire progression de la prévalence de cette maladie est avant tout envi-

56 Georges chetochine, Georges chetochine, Le Blues du consommateur, Paris, éditions d’organisation, 2005.

57 Hervé Brossard, président de l’Association des agences conseils en communication, et Hervé Brossard, président de l’Association des agences conseils en communication, et christophe Lambert, président de la commission juridique de l’AAcc (www.aacc.fr), « La publicité et l’alimentation des enfants », Le Monde du 7 août 2004.

58 Thomas robinson, « Eff ects of Fast Food Branding on Young children’s Taste Preferences », Thomas robinson, « Effects of Fast Food Branding on Young children’s Taste Preferences », Arch. Pediatr. Adolesc. Med., 2007. Une interprétation française sur http://consottisier.blogs.liberation.fr/marie_dominique_arrighi/2007/08/mcdo-un-nom-enc.html.

59 . Arnaud Basdevant, « obésité : la France sur la voie des états-Unis », . Arnaud Basdevant, « obésité : la France sur la voie des états-Unis », Le Monde du 20 janvier 2006.

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ronnementale et comportementale », indique le professeur Arnaud Basdevant, chef du service de nutrition de l’Hôtel-Dieu à Paris et spécialiste reconnu de cette maladie.

De fortes disparités sociales se cachent derrière les chiffres de l’obésité. Sa prévalence atteint 6,5 % des enfants de cadres et de professions libérales contre 23 % des enfants d’ouvriers et de chômeurs », relève le professeur Basdevant dans l’article du Monde précité.

Aux états-Unis les dernières enquêtes publiées ne sont pas pour rassurer. Plus d’un tiers des adolescents américains et près de 14 % des adultes âgés de moins de cinquante ans sont en mauvaise santé et d’ici à cinquante ans, les Américains verront leur espérance de vie réduite de deux à cinq ans en raison de leur excès de poids60.

Bien que l’obésité puisse apparaître clairement comme une déviance acti-vée par le seul levier du désir, les industriels de l’agroalimentaire continuent à jouer un jeu dangereux et à terme coûteux. Une première réglementation leur a été imposée pour limiter leur publicité et les obliger à verser une nouvelle taxe destinée à financer des campagnes de d’information nutritionnelle à titre préventif.

La prise de conscience est encore à venir dans les médias.

Le président du premier média français, TF1, a eu ce mot tristement fameux à l’été 200461 : « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective “business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider coca-cola, par exemple, à vendre son produit (…). or, pour qu’un message publi-citaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. ce que nous vendons à coca-cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…). rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. c’est là que se trouve le changement perma-nent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise. »

La dictature de l’émotion62 s’imposait et tous y cédèrent. Des industriels aux médias en passant par les agences de publicité, rares étaient ceux qui voulaient bien voir les dommages collatéraux dont l’obésité et le porno-chic sont de biens tristes exemples. Se rendaient-ils compte que, s’ils n’en mourraient pas, ils en seraient tous affectés ?

60 . études publiées dans le . études publiées dans le Journal of the Medical Association de l’Université de l’Illinois.

61 . Patrick Le Lay, cité dans . Patrick Le Lay, cité dans Les Dirigeants face au changement, Paris, éditions du Huitième Jour, 2004.

62 . �avier couture, . �avier couture, La Dictature de l’émotion, op. cit.

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La dictature de l’émotion

« c’est par l’émotion plus que par le travail que se fait la vie en commun » nous dit Daniel Mothé63 dans son livre Les révolutions invisibles. Il ajoute, pour mieux nous convaincre : « L’autonomie des individus ne les individualise pas pour autant et la nécessité du lien est tout aussi forte. » Hier la télévision rem-plissait cette fonction de forum social. De librement choisie elle était peut-être devenue obligatoire, mais au moins elle remplaçait, à l’échelle du pays, la place du village.

cette relation fonctionna aussi longtemps qu’une offre alternative ne vienne la bousculer. L’introduction d’Internet dans un nombre croissant de foyers chan-gea complètement la donne.

Le réseau des réseaux concluait une très brutale évolution qui prit moins de cinquante ans. Jusqu’aux années 1960, le village restait le centre de la vie de la plupart de Français encore majoritairement ruraux. ce fut ensuite le règne du Métro-Boulot-Dodo. Les vies étaient cadrées entre les centres commerciaux, les stations-service et les gares de banlieue. Aujourd’hui le monde est au cœur de notre vie grâce à Internet. La mondialisation a été jugée formidable pour la minorité des sachants qui en bénéficient mais elle reste une périlleuse aventure pour la majorité des Français.

Aux états-Unis les internautes américains passent déjà près de deux fois plus de temps sur Internet, avec une moyenne de trois heures par jour contre 1,7 heure devant la télé64. En Angleterre, les hommes sont aussi crédités d’une utilisation d’Internet supérieure à la télévision (2 heures 40 contre 2 heures 20).

Les Français consacrent encore 3 heures 20 par jour en moyenne à la télévi-sion. cette durée reste supérieure à leur utilisation d’Internet, mais elle a déjà commencé à progressivement diminuer. Les Français sont déjà les deuxièmes plus importants producteurs de blogs dans le monde après les états-Unis et parmi les plus connectés en Europe.

Dès lors la télévision peut apparaître comme un espace de rencontre sinon dépassé, pour le moins questionnable. Le journaliste Jean-claude Guillebaud65 la considère toujours comme une nouvelle église au sein de laquelle la domination du politically correct est permanente.

La télévision serait pourtant déjà entrée dans une nouvelle ère en n’étant plus « qu’un grand juke-box où le concept de rendez-vous s’érode », prétend, à

63 Daniel Mothé, Daniel Mothé, France : les révolutions invisibles, Paris, calmann-Lévy, 1998.

64 Stanford center for the Quantitative Study, novembre 2005 (www.stanford.edu/group/siqss)..

65 Jean-claude Guillebaud Jean-claude Guillebaud, La force de conviction : à quoi pouvons nous croire ?, Paris, éditions du Seuil, 2005.

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l’opposé, Jean-claude Missika, un autre spécialiste des médias66.

La téléréalité ne serait pas alors une évolution dégoûtante mais au contraire la dernière tentative pour les chaînes de conserver un lien avec une audience de-venue « téléspect’actrice » comme le furent en leurs temps les consom’acteurs.

Les opinions de ces deux spécialistes se complètent plus qu’elles ne diver-gent. Jean-claude Guillebaud, journaliste et essayiste, regrette le temps d’une télévision éducative et rassembleuse. à l’opposé, Jean-claude Missika, réagit en tant que consultant dans l’univers des médias et il préfère conceptualiser les nouvelles formes d’expression de l’image. Au risque d’oublier qu’une large frange de la population n’y a jamais accès ou tardivement.

Les deux opinions complémentaires n’en peuvent mais devant l’accapa-rement croissant de la télévision par les marques. Les groupes de luxe et de beauté confortent leurs relations avec Hollywood. LVMH a pris une participation dans un nouveau studio de production. L’oréal annonce un programme à long terme de placements de produits dans les films.

Procter & Gamble, le leader mondial des biens de consommation a dévoilé, au printemps 2006, ses premiers showmercials. Le groupe américain a franchi une étape avec la série télé conçue autour du produit.

La télévision cesserait dès lors d’être le forum de la vie civile en devenant pro-gressivement un simple support complémentaire pour les marques. à l’image de la presse écrite, la télévision verra s’affronter les chaînes gratuites qui diffuse-ront un minimum d’information et un maximum de productions à connotation publicitaire et les chaînes payantes du câble ou du satellite qui, contre une faible redevance, fourniront au « téléspect’acteur » un programme plus élaboré.

La télévision devient déjà un écran de cinéma à domicile pour son utilisateur qui peut s’en réapproprier entièrement l’usage. Les ventes de DVD représen-taient trois fois les entrées en salle en 2005 (2,7 milliards contre 900 millions d’euros).

Les nouvelles technologies permettent une autonomisation croissante des individus à laquelle la sphère marchande cherchera toujours à résister.

Les marques ont dorénavant le choix d’imposer leur offre en émouvant ou de convaincre en éduquant.

66 Jean-Louis Missika, Jean-Louis Missika, La Fin de la télévision, Paris, éditions du Seuil, 2005.

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« Les deux mamelles du marketing, les promesses bienfaitrices et le dis-cours de rêve véhiculés par la publicité ont apparemment épuisé les réser-ves de crédibilité dont elles bénéficiaient. »

cette synthèse est proposée par Anne-catherine Husson, directrice édito-riale d’un site de référence sur le développement durable pour les entreprises, novethic.com67.

Les marques qui réussissent sur Internet (e-Bay, Google) laissent déjà au consommateur la réappropriation de leur usage. ce sont des sociétés qui se veu-lent modestes en cherchant à s’effacer derrière leur utilisateur.

Leur finalité est d’être perçue comme des facilitatrices au service du consom-mateur. Il semblerait donc aujourd’hui urgent pour les marques et les entrepri-ses des secteurs traditionnels de s’interroger. Entre besoin et désir, quel choix faisons-nous et comment l’exprimerons-nous ?

Le consommateur restera-t-il un roi comme le suggérait un dossier de The Economist68 ou deviendrait-il un tyran comme le laissait entendre un éditorial du quotidien Les échos69 ?

Séduire ou expliquer, vendre ou convaincre, imposer ou faciliter, les entrepri-ses seront amenées à décider.

67 www.novethic.com, « le centre de ressources sur le développement durable appliqué à www.novethic.com, « le centre de ressources sur le développement durable appliqué à l’entreprise ».

68 « The consumer is king », The Economist, 16 avril 2005.

69 « Le consommateur, roi ou tyran », « Le consommateur, roi ou tyran », Les échos, 21 janvier 2005.

de la 1ère partie

conclusion

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Imprimé en Slovénie par Europe Still et Euroteh.

conception / Execution Montage : Studio caramia

www.studiocaramia.fr

Dépôt légal novembre 2007