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Jacques-Antoine Malarewicz Gérer les conflits au travail Village Mondial La médiation systémique en entreprise 2 e édition

Gérer les conflits au travail

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Jacques-Antoine Malarewicz

Gérer les conflitsau travail

VillageMondial

La médiation systémique en entreprise

2e édition

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Du même auteur

Aux Éditions Village Mondial

Systémique et Entreprise

, 2000.

Réussir un coaching grâce à l’approche systémique

, 2003.

Affaires de familles. Comment les entreprises familiales gèrent leur muta-tion et leur succession,

2006.

Aux Éditions Robert Laffont

Le Couple, quatorze définitions décourageantes donc très utiles

, 1999.

Repenser le couple

, 2001. Également au Livre de Poche, 2002.

Le Complexe du petit prince

, 2003.

La Femme possédée. Sorcières, Hystériques et Personnalités multiples

, 2005

Aux Éditions ESF

En collaboration avec J. Godin :

Milton H. Erickson, de l’hypnose clinique à la thérapie stratégique

, 1986.

Traduction avec J. Fleiss :

Milton H. Erickson : L’hypnose thérapeutique

, 1986.

Codirection avec J.-C. Benoit :

Dictionnaire clinique des thérapies familiales systémiques

, 1988.

La stratégie en thérapie ou l’hypnose sans hypnose de Milton H. Erickson

, 1988.

Cours d’hypnose clinique

, 1990.

Quatorze leçons de thérapie stratégique

, 1992.

Guide du voyageur perdu dans le dédale des relations humaines

, 1992.

Comment la thérapie vient au thérapeute

, 1996.

Supervision en thérapie systémique

, 1999.

Aux Éditions Privat (Toulouse)

Itinéraire d’une absence, de Groddeck à Balint, l’émergence de la psycho-somatique

, 1979.

Aux Éditions Albin Michel

En collaboration avec M. Reynaud :

La Souffrance de l’homme

, 1996.

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La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions des-tinées à une utilisation collective. Toute représentation oureproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé quece soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit,est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les arti-cles 425 et suivants du Code pénal.

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Copyright© 2009 Pearson Education France

ISBN : 978-2-7440-4044-3

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Sommaire

Introduction 7

1 Définitions 9La place de la médiation dans notre société 9La place de l’activité professionnelle dans notre société 13Conflit et crise 14Qu’est-ce que l’approche systémique ? 14Qu’est-ce qu’un changement ? 19Les ressorts les plus fréquents dans toute période de crise 21

2 Quelques situations de médiation 37Problèmes entre deux personnes 38Problèmes entre un groupe et une personne 39Problèmes entre deux instances 40Problèmes de chantage 41La prise d’otages 43Problèmes de conflit social 43La question du transfert de compétences 45

3 Le travail avec la demande 49Identifier le contexte dans lequel émerge la demandede médiation 50

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6 Gérer les conflits au travail

Identifier clairement l’origine et les spécificités decette demande 56Identifier les attentes et les demandes cachées 58Contractualiser l’intervention 62

4 L’état d’esprit du médiateur 65Le recadrage systémique 67Les problèmes déontologiques du médiateur 77

5 Les outils du médiateur 87La question du consensus 87Rester, à tout moment, maître du contexte 90Introduire des nuances 104Utiliser des techniques dans la communication 109Utiliser des objets de médiation ou des objetsmétaphoriques 123Affecter des tâches 128Élaborer en groupe la stratégie de médiation 132Mettre en place une logique d’apprentissage 132

6 La gestion par les problèmes 139Une anticipation créatrice 139Les différents types de problèmes 142La mise en place de cette stratégie 146

7 Trois exemples de médiation 1491. Un chef de service bouc émissaire 1492. Un conflit opposant deux directeurs régionaux 1523. Une logique de disqualification 156

8 Conclusion 165

9 Bibliographie 167

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Introduction

’il est un lieu où la sagesse trouve difficilement saplace, c’est bien dans l’entreprise. La sagesse supposeun certain détachement par rapport à des enjeux

immédiats, elle se déploie dans la durée et sait donc s’orga-niser – pour employer déjà un vocabulaire fonctionnel –dans le temps. Surtout, le sage connaît la valeur des rituels,il en comprend la richesse et sait tirer profit de la dramati-sation de certains gestes, notamment grâce à l’utilisationdes symboles. D’ailleurs, dans la sphère religieuse, les saintssont réputés servir de médiateurs entre Dieu et son peuple,ils représentent donc cette sagesse, c’est-à-dire la capacitéde faire la part des choses entre la responsabilité de chacunet l’exigence du Créateur.

Toutes choses qui sont bien difficiles à imaginer dans lecontexte de l’entreprise, là où le temps et la durée n’exis-tent plus si ce n’est en termes de productivité, là où lesrituels se réfèrent essentiellement à des données financiè-res et économiques et là où les procédures prétendent, àelles seules, résumer et organiser la réalité. C’est ce qui faitque le contexte professionnel n’est souvent pas capable deprévoir le recul nécessaire afin de dépasser les inévitables

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points de friction qui apparaissent et se développent dansn’importe quel groupe humain. Dans la majorité des cas, cecontexte n’est pas assez souple et trop avare de temps pourpermettre, en lieu et en temps, que cette sagesse puissefaire entendre sa voix, de manière spontanée, sans avoir àêtre formalisée par la direction des ressources humaines.

C’est ainsi que l’activité de médiateur se développe,dans la recherche d’une neutralité qui puisse s’imposer del’extérieur et avec des moyens qui ne se résument pas à dela bonne volonté. Car la sagesse ne suffit pas pour éviter ourésoudre des conflits, il faut également avoir une connais-sance et une expérience approfondies de l’entreprise et deses modes de fonctionnement. Pour aborder en détail lescaractéristiques de cette pratique, il me faut d’abord poserquelques définitions, en précisant d’emblée les spécificitésde l’approche systémique, avant de passer en revue lessituations de médiation les plus fréquemment rencontréesdans le contexte professionnel. Nous verrons que la ques-tion du travail sur la demande est déterminante pour lasuite de l’intervention du médiateur. C’est avec un certainétat d’esprit qu’il aborde également son rôle. Il s’agira doncde le décrire avant de passer en revue les outils dont dis-pose le consultant pour permettre aux différents protago-nistes de dépasser la crise qu’ils connaissent. Enfin,quelques exemples viendront illustrer les différentesnotions qui auront été décrites jusque-là.

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1Définitions

vant d’entrer dans le vif du sujet, quelques défini-tions et quelques éclaircissements sont nécessairespour mieux situer les enjeux de la médiation,

notamment dans la dimension systémique de sa pratique.

La place de la médiation dans notre sociétéLa notion de médiation est relativement nouvelle dansnotre société. Chaque fois qu’un conflit, surtout lorsqu’ilest porté sur la place publique, tend à se prolonger et à nepas être résolu par des voies « normales », une personneréputée neutre va être sollicitée afin d’intervenir pourrésoudre la situation conflictuelle. Ainsi, la médiatisationappelle facilement la médiation. Ces deux termes, qui ontpourtant la même racine, s’ils sont employés dans unmême contexte, décrivent des mécanismes qui s’opposentdans la mesure où la médiatisation exacerbe facilement lesenjeux d’une crise, alors que la médiation est censée lesapaiser.

Cette évolution s’explique de plusieurs manières.D’abord, nous vivons dans une société où le niveau du

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seuil de perception de la souffrance a sensiblement baissédepuis quelques dizaines d’années. Cela signifie que, trèsrapidement, ce qui n’était auparavant ressenti que commeune frustration, une déception ou une conséquence de lafatalité, est maintenant perçu de manière douloureusecomme une injustice qui demande elle-même à être apai-sée et surtout « corrigée » par la désignation d’un responsa-ble qui doit être puni. De plus, l’individualisme renforce cemécanisme et tout un chacun s’arroge la possibilité derevendiquer ou de garder tel ou tel droit, tel ou tel avan-tage, surtout lorsque ces droits ou avantages sont réputésêtre acquis. Mais un avantage peut toujours sembler êtreacquis alors que – malheureusement ou heureusement – lescontextes changent et évoluent, ce qui peut les rendrecaducs. Ces avantages sont alors facilement dépassés car ilsne peuvent être compris que si l’on tient compte de l’envi-ronnement dans lequel ils ont été négociés et obtenus.

Le besoin de réparation s’est accentué, et les procéduresvisant à trouver une compensation face à ce qui est de plusen plus facilement vécu comme un préjudice se multi-plient. L’appareil législatif s’est progressivement centré surla victime, ce qui, pour chacun, rend les droits plus appa-rents que les devoirs. La victimisation tend de plus en plusà définir l’identité de l’individu au détriment du sentimentd’altérité. Il est devenu plus évident et plus facile d’existerdans la souffrance que dans l’absence de plainte, et dans lasolitude de la souffrance que dans le lien avec l’autre.

La complexité de notre monde a démultiplié les occa-sions et les possibilités de conflits ; cette complexités’accompagne d’une judiciarisation de la vie publique, pri-vée et professionnelle. Comme par ailleurs les conditions

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Définitions 11

de travail sont, à bien des égards, de plus en plus difficiles,les désaccords deviennent de plus en plus fréquents. Cesconditions de travail se sont dégradées à la fois d’un pointde vue matériel et relationnel. L’instabilité professionnelle,les incertitudes sur l’avenir, des relations teintées deméfiance, l’exigence de rentabilité, l’anonymat des modesde management, les restructurations incessantes, tout celacrée une atmosphère où les intérêts financiers supplantentceux des personnes. Il est devenu de plus en plus difficilede se définir socialement par rapport à une activité profes-sionnelle dont bien des dimensions paraissent pénibles,dévalorisantes et appauvrissantes avant d’être rejetées.

On a pu penser, pendant un certain temps, que le stresset l’agressivité se « géraient » facilement, on a pu penserqu’il suffisait de les « organiser » pour qu’ils posent moinsde problèmes et que leurs effets soient moins dommagea-bles pour les personnes. On a même pu penser que ce stresset cette agressivité pouvaient être utiles non seulementpour l’individu, puisqu’ils faisaient partie de l’ensemble desmodes de relations à son environnement, mais égalementpour l’entreprise elle-même. Ainsi, l’agressivité commer-ciale des vendeurs a été utilisée pour doper les chiffresd’affaire, et le stress « naturel » des managers a pu être lar-gement mis à contribution pour les rendre constammentdisponibles. Mais si l’appréhension subjective de la souf-france s’est modifiée dans le sens que j’ai indiqué, chacunse sent plus rapidement pris dans un conflit entre, d’unepart, la nécessité de travailler et, d’autre part, ce qui sem-ble acceptable en termes de conditions de travail. Se posealors cette alternative : « craquer », dans l’impossibilité de

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résoudre cette équation, ou bien faire en sorte que ceconflit éclate au grand jour et soit même médiatisé.

Comme la tertiarisation de la vie professionnelle exa-cerbe les enjeux interpersonnels, nous sommes de moinsen moins en contact avec des produits manufacturéscomme au temps du développement industriel, et de plusen plus avec d’autres individus, notamment des clients ausens large du terme. Mais il est bien plus facile de manipu-ler la matière inerte que les êtres humains, il est bien plusfacile de déplacer, modifier ou transformer des objets quedes personnes. Il n’est plus possible de gérer une entrepriseen s’appuyant uniquement sur des liens hiérarchiques ; ilest devenu indispensable de savoir lier des relations pari-taires1 ou transversales2 qui exigent de toutes autres com-pétences que le simple fait de donner des ordres ou de s’ysoumettre. De ce point de vue, en ce qui concerne les com-pétences managériales, nous nous trouvons à un niveau decomplexité nouveau pour lequel de nombreux dirigeantsn’ont pas été formés ou auquel ils ne sont pas nécessaire-ment sensibilisés.

1. Les liens de parité peuvent être définis comme des liens qui relientdes personnes exerçant la même fonction dans une même lignéehiérarchique, par exemple toutes les infirmières d’un même servicehospitalier.

2. Les liens transversaux concernent des personnes qui, dans deslignées hiérarchiques différentes, se situent à peu près sur le mêmeniveau de responsabilité et qui ont entre elles des liens de complé-mentarité fonctionnelle. C’est le cas, dans un hôpital, entre unmédecin, une responsable infirmière et un cadre administratif que,par exemple, un problème concernant un patient met « naturelle-ment » en lien.

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La place de l’activité professionnelle dans notre sociétéLes plus jeunes des salariés de l’entreprise n’attendent pasde leur activité professionnelle les mêmes choses que leursaînés. Il s’agit là d’une évolution récente et probablementprofonde de la relation au travail dans notre société. Cetteévolution a des conséquences importantes sur la nature desliens qui régissent l’activité professionnelle. Lorsqu’on yjoint l’individualisme dominant, les conflits non seule-ment deviennent plus nombreux mais changent de nature.Ils sont plus nombreux car le sentiment d’altérité n’est pro-bablement pas aussi partagé qu’à d’autres époques. Il en estde même pour le sentiment d’appartenance. Celui-ci tendà s’effriter au bénéfice soit d’un individualisme radical, soitd’une insertion dans un groupe ou un clan, notammentdans le partage des mêmes intérêts extra-professionnels.Cet individu a une tendance croissante à s’enrichir – lefameux « développement personnel » – dans ce qui l’inté-resse par le biais de ses loisirs bien plus que par ce qui luipermet de gagner sa vie. Les entreprises ne s’y sontd’ailleurs pas trompées, en cherchant à « récupérer » cettenotion de développement personnel. Ainsi, ces jeunessont devenus plus exigeants pour eux-mêmes ; là encore,ils sont bien plus facilement enclins à faire valoir leursdroits que leurs devoirs et ils n’envisagent pas de conduireleur « carrière » professionnelle dans une seule et mêmeentreprise. Les conflits changent de nature car ils se jouentde plus en plus souvent sur des problèmes de reconnais-sance. Ce besoin de reconnaissance, en tant qu’individuplus qu’en tant que membre d’un groupe, désorganise les

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liens sociaux dans l’entreprise. C’est ce qui fait, par exem-ple, que les syndicats ne sont pas toujours les mieux placéspour défendre les intérêts des employés.

Conflit et criseDans quelle situation un médiateur va-t-il être amené àintervenir ? Autrement dit, quel est l’objet de son travail ?S’agit-il nécessairement d’un conflit ? Ce terme évoqueune certaine violence et connote l’existence de prises deposition émotionnelles tranchées et affirmées. Aussi,j’emploierai ici plus facilement le terme de crise, lequelévoque des dimensions qui me semblent plus utiles et pluspertinentes eu égard aux enjeux qui se développent dansces situations. Toute crise aménage des possibles, commeune main qui reste un temps ouverte avant de se refermerde nouveau dans une rigidité appauvrissante. De même,d’un point de vue processuel3, la crise constitue une étapeentre deux phases successives, elle ne marque pas une finmais, tout à l’inverse, une progression vers de nouvellesconfigurations. Cette crise est donc porteuse d’alternatives,elle ouvre vers d’autres possibles.

Qu’est-ce que l’approche systémique ?En réalité, nous devrions plutôt nous demander ce qu’estl’approche systémique et communicationnelle. En effet,cette approche s’intéresse tout autant à ce qui se joue

3. Je reviendrai bientôt sur l’opposition entre procédure et processus(voir p. 19).

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pour le groupe, avec sa logique et ses finalités, qu’àl’ensemble des interactions qu’entretiennent toutes lespersonnes qui font partie de ce groupe. La définition laplus simple que l’on puisse donner du système est celle-ci : un ensemble d’éléments en interaction, dans la pour-suite d’un ou de plusieurs objectifs. Ces éléments sontsoit des personnes, soit des sous-systèmes eux-mêmesconstitués d’individus : tout dépend de l’importance dugroupe et de l’échelle adoptée pour « lire » le système.Par exemple, une entreprise de trente personnes peut êtrevue à la fois comme un ensemble constitué de ces trenteéléments, comme un ensemble où coexistent deux sous-systèmes – les cadres et les employés – ou encore commela juxtaposition de cinq sous-systèmes – la direction, leservice commercial, le service financier, la fabrication etle service après-vente. Ainsi, tout système obéit à desrègles de fonctionnement, ce que j’appellerai ici sa logi-que. En même temps, il est bien plus que la somme deséléments qui le constituent, notamment dans la com-plexité des interactions qui relient ces mêmes éléments.Il y a donc une logique et des interactions, lesquelles relè-vent d’une analyse de la communication.

Lorsqu’un outil comme la systémique est appliqué à lamédiation, il est donc à la fois question du système danslequel se joue cette médiation et de la compréhension rela-tionnelle du conflit. Avant d’aborder plus précisément ladéfinition du conflit, il me faut d’abord rapidement définirce qu’est la logique d’un système, c’est-à-dire ses règles defonctionnement. Deux termes peuvent résumer ce quesont ces règles : le paradoxe et l’homéostasie.

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Un paradoxe est une affirmation, constituée elle-mêmede deux propositions qui s’annulent mutuellement, ce quifait qu’un paradoxe est à la fois vrai et faux. Le paradoxe leplus omniprésent, en ce qui concerne les groupes humains,fait que certaines situations peuvent être lues et comprisesà la fois comme des problèmes et des solutions. Dans cetterencontre entre deux logiques contradictoires émerge leparadoxe. C’est lorsque ces situations génèrent des souf-frances, pour tout ou partie des personnes qui y sont impli-quées, qu’il est question de problème. Mais, à une autreéchelle, en prenant un autre point de vue, ces situationsportent également en elles-mêmes la résolution d’unconflit qui se situe à un autre niveau. Autrement dit,l’approche systémique va partager le champ de la média-tion en deux territoires : le premier va concerner la répara-tion, au sens où il est question d’agir sur la souffrance,tandis que le second va se jouer autour de l’homéostasie dusystème, qu’il me faut à présent définir.

L’homéostasie est un terme un peu barbare qui désigne lapropension que montre tout système humain à tenter derester, dans toute la mesure du possible, autour d’une zoned’équilibre assimilable au non-changement, ce qui permetà ce système de ne pas avoir à remettre fondamentalementen question ses propres modes de fonctionnement. À cettefin, tout système définit pour lui-même ce que l’on appelledes règles d’homéostasie, c’est-à-dire des mécanismes derégulation qui lui permettent de s’adapter à son environne-ment, et même de se suradapter, afin d’éviter autant quepossible une révision plus ou moins drastique de ses habi-tudes. Ainsi, paradoxe et homéostasie vont de pair ; cesdeux notions peuvent résumer à elles seules toute la com-

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plexité devant laquelle le systémicien va chercher àdéployer ses techniques.

Voilà donc ce qui concerne le système en tant que sys-tème, mais il faut également se donner les moyens d’abor-der une situation de crise sur un plan relationnel etcommunicationnel, et c’est là qu’intervient la notion deprocessus. Je partirai de la constatation que l’entreprise estun système où les individus interagissent selon des règles àla fois précises et floues. Cela signifie que la précision esttoujours illusoire ; autrement dit, les procédures qui don-nent le sentiment de définir ces règles se révèlent constam-ment incapables de résumer la complexité des liens quilient les individus entre eux. Par exemple, la mise en placed’un projet d’entreprise repose sur un ensemble de règlesécrites qui ne représentent finalement qu’une part infimede ce qui se joue effectivement à propos du projet. Une dis-tance considérable s’installe entre ce qui est annoncé et cequi est vécu, et cette distance entraîne de l’incompréhen-sion, de la frustration et des conflits. Toute la richesse de lacommunication n’est pas toujours en mesure de corrigercette distorsion, elle peut même l’aggraver. De fait, la com-munication n’est pas une activité fiable. Mais cetteabsence de fiabilité permet aux consultants de travailler,surtout lorsqu’ils sont en mesure d’exploiter des outils quipermettent de mieux appréhender l’abîme qui existe entrece qui est demandé et ce qui est compris.

Les systémiciens ont pris l’habitude de dire que « lacarte n’est pas le territoire », c’est-à-dire que toute procé-dure n’est qu’une pâle représentation d’une réalité bienplus complexe qu’ils décrivent alors en termes de proces-sus. Le processus désigne donc la rencontre de la procédure

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et de l’humain, en ce que ce dernier introduit, dans ce qu’ila lui-même prévu et qu’il n’est pas en mesure de contrôler,sa propre complexité, à savoir sa subjectivité, ses émotions,ses attentes et ses peurs, son histoire, ses habitudes bonnesou mauvaises. En ce sens, la complexité inhérente à toutprocessus est ce que l’homme s’impose à lui-même tout ense berçant de l’illusion qu’il est fondamentalement clair,précis et « sérieux ».

À partir de tout ce que j’ai pu expliquer à propos del’analyse des systèmes, il est légitime de se poser la questionde sa spécificité dans la médiation et donc de ce qu’elleintroduit dans ce type d’intervention. La systémiqueapporte d’abord des problèmes ! En effet, elle peut singuliè-rement complexifier la tâche du consultant dans la mesureoù ses outils lui permettent d’appréhender la complexitédes situations, dans la mesure également où son analyse dela situation peut l’amener à proposer un mode d’interven-tion radicalement différent de celui pour lequel il a été sol-licité. Dans la vision d’ensemble qu’elle apporte, lasystémique permet d’établir des liens entre des événementsqui ne semblent avoir aucun rapport entre eux, elleapporte de la cohérence dans le désordre apparent et stig-matise la confusion dans ce qui semble rationnel.

C’est également une approche qui permet de mettrel’accent sur deux points essentiels : le travail sur lademande et la question du changement. Le travail avec lademande fera l’objet du Chapitre 3, nous y reviendronsdonc largement. Quant à la question du changement,comme elle va se manifester à travers l’ensemble de monpropos dans cet ouvrage, il me faut d’abord lui donner uncontenu plus précis.

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Qu’est-ce qu’un changement ?Nous devons en premier lieu opérer une distinction entresolution et changement : une solution n’est qu’une réponseà une situation donnée et à un moment spécifique du deve-nir de cette situation ; elle ne correspond pas à un change-ment mais plutôt à une prise de position purementopportuniste, sinon anecdotique. Elle ne se constitue pasdans la durée et ne s’inscrit pas dans l’évolution de l’entre-prise ou de la structure. Seul un apprentissage, plus exacte-ment un apprentissage d’apprentissage, à savoir un deutéro-apprentissage, pour employer le terme technique, permet lamise en place d’un véritable changement.

À propos de la médiation, toujours dans une perspec-tive systémique, il s’agit ainsi d’apprendre aux protagonis-tes l’apprentissage du dépassement de la crise. On auracompris que lorsqu’il est ici question de protagonistes, ceterme recouvre bien plus d’éléments – c’est-à-dire de per-sonnes – que ceux qui sont immédiatement impliqués dansle problème tel qu’il se présente. En fait, dans la plupartdes cas, c’est tout le système qui doit apprendre à appren-dre à dépasser la situation de crise, ce qui explique qu’unemédiation entraîne souvent des conséquences sur l’ensem-ble du groupe et dépasse largement le périmètre de la crise.

Quant au changement, il n’est pas possible d’en donnerune seule définition ou d’en restreindre la portée à uneseule dimension. Le changement est davantage en rapportavec un processus qu’avec un ensemble de prises de posi-tion qui pourraient correspondre à une procédure spécifi-que. Là encore, il est impossible de le décrire sans yintroduire la complexité de l’humain. Ainsi, tout change-

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ment inclut des dimensions émotionnelles ; il est d’autantplus pertinent qu’il semble spontané pour ceux qu’ilconcerne et qu’il semble provenir de la marge de la struc-ture ; il remet facilement en question ce qui paraissaitimpossible jusque-là et il y a toujours un « bon moment »pour qu’il émerge. De nombreuses conditions déterminentdonc cette émergence et une bonne dose d’intuition estnécessaire, de la part des dirigeants, pour mettre en mouve-ment ce processus de manière efficace. Face à la com-plexité de tout système, le changement est donc lui-mêmecomplexe.

Selon cette définition « systémique » du changement,ce n’est souvent qu’à distance de l’intervention du consul-tant que les résultats de son action peuvent être évalués etce ne sont pas nécessairement ceux qui ont fait appel à luiqui sont le mieux en mesure de le faire. Ils doivent d’abordprendre du recul avant de comprendre ce qu’ils ont apprisde nouveau, dans leurs réactions, face à des situations dumême ordre que celles qui ont motivé leur démarche.Cette prise de distance nécessaire pose la question de l’éva-luation de la médiation et de sa compréhension d’autantplus que, face à tout processus de changement, les mécanis-mes homéostasiques ne manquent pas de se mobiliser pourremettre en question ce qu’une intervention extérieurepeut prétendre vouloir changer.

Fondamentalement, toute crise correspond bien évi-demment à une souffrance, mais la souffrance est un senti-ment subjectif même si elle est vécue comme une donnéeobjective par ceux qui la ressentent. C’est ce qui faitqu’une même situation peut ou non générer de la souf-france selon le contexte dans lequel elle intervient.

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Au-delà de cette définition subjective de la souffrance, ilest possible d’avancer l’hypothèse que c’est d’abord dans lecaractère itératif d’une même situation que s’installe unsentiment pénible. En systémique, on parlera plutôt de larépétition d’une séquence relationnelle. Il en résulte unvécu d’impuissance et de découragement ; l’entourage sesent lui-même mis en échec et toutes les voies de recourshabituelles paraissent elles-mêmes impuissantes. Parconséquent, résoudre une crise, c’est introduire un change-ment dans la répétition d’une séquence relationnelle spéci-fique. Par ailleurs, nous verrons que bien des crises serépètent parce qu’elles sont utiles à certains niveaux de lastructure.

Les ressorts les plus fréquents dans toute période de criseOutre des données immédiates et spécifiques à chaquesituation, une période de crise prend sa source dans desmécanismes relationnels récurrents. Ces éléments ne sontpas simplement « explicatifs » au sens où ils résumeraient,à eux seuls, toute la logique qui se déploie dans ces situa-tions. De même, il ne suffirait pas de les corriger ou de lesneutraliser pour que tout s’arrange et redevienne commeavant. Ce sont plutôt des éléments qui sont à la fois desprétextes et des « dynamiseurs » de crise : c’est la raisonpour laquelle j’utilise le terme « ressort ». En fait, ces élé-ments mettent en place et développent des processus qui senourrissent eux-mêmes, autrement dit ils s’autovalident :ils portent dans leur propre logique à la fois une origine etun devenir. Nous allons le voir, la plupart de ces éléments

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sont assez répandus et donc banals, il est donc facile deconcevoir que n’importe quel système puisse très facile-ment entrer en crise.

L’incompétence relationnelleLe premier de ces éléments concerne tout simplement lacompétence managériale des responsables et des diri-geants. L’incompétence managériale équivaut souvent àune incompétence relationnelle car la grande majorité desproblèmes qui se posent dans l’entreprise peuvent recevoirune explication relationnelle. Autrement dit, c’est dansleur façon de conduire leurs relations avec leur entourageque ces responsables et ces dirigeants vont également êtrecompétents et non pas seulement dans l’application desconnaissances théoriques qu’ils ont pu acquérir durant leurformation initiale. C’est donc dans le quotidien immédiatdes liens qui se constituent entre les individus que se joueégalement le devenir de l’entreprise.

Malheureusement, cette compétence relationnelle nes’acquiert pas toujours dans les cours de management, ellese construit dans la rencontre entre une certaine prédispo-sition et une bonne expérience ; il convient égalementd’ajouter à cela l’impérieuse envie de se bonifier constam-ment sur ce plan. Il m’est donc impossible d’en décrire lesmultiples dimensions si ce n’est en résumant – très sché-matiquement –, par trois qualificatifs, l’impression qui sedégage des personnes qui présentent cette compétencerelationnelle : elles sont présentes, qualifiantes et imprévi-sibles. Leur présence à l’autre donne à chacun le sentimentd’être un interlocuteur privilégié, elles savent témoigner

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de la reconnaissance de manière juste et rigoureuse tout ensachant se trouver là où elles ne sont pas attendues.

En s’éloignant de cet « idéal », ici très rapidementdécrit, un dirigeant peut paraître incompétent dans sesrelations avec les autres, il peut donner à ses subordonnésle sentiment de se disqualifier, même et surtout de s’auto-disqualifier, c’est-à-dire de s’obstiner dans des façons d’êtresans chercher à changer ses propres comportements. Cetteautodisqualification peut avoir des conséquences impor-tantes sur le devenir d’une structure, en portant un discré-dit sur toute la chaîne hiérarchique et en détournant lesenjeux managériaux vers des conflits de personnes.

Tout un chacun peut être soumis au mécanisme décritpar Peter selon lequel, dans une structure pyramidale, cha-cun monte immanquablement vers son niveau d’incompé-tence. Mais cette « pétérisation » peut elle-mêmeparticiper de plusieurs logiques. D’abord, l’accession à despostes de responsabilité de plus en plus gratifiants conduitaux limites de la compétence strictement professionnellede l’individu. Voilà pour le plus apparent. Mais il est doncégalement possible que la « pétérisation » soit due à unproblème de compétence relationnelle. Elle peut semblervolontaire même s’il s’agit d’une prise de position parfaite-ment irrationnelle ; la conduite des entreprises ne répondpas seulement, loin de là, à des logiques uniquementrationnelles.

Les problèmes de reconnaissanceLa non-satisfaction des besoins de reconnaissance expli-que, dans notre société, la majeure partie des crises quipeuvent éclater. Ainsi, toutes les études qui cherchent à

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identifier les éléments qui motivent les employés d’uneentreprise démontrent que le critère le plus classique, c’est-à-dire la rémunération, a tendance à s’effacer devant lebesoin de reconnaissance. Il s’agit cependant d’une ques-tion, là aussi, très complexe.

D’abord, on ne peut recevoir de la reconnaissance quesi on en donne ; de même, on n’en donne que si on enreçoit. Autrement dit, cette reconnaissance circule dansun double flux, à la fois vertical, selon une logique hiérar-chique classique, mais également horizontal, dans les liensde parité et les liens transversaux que j’ai décrits plus haut.Le premier flux est plus facile à identifier alors que lesecond se joue à un niveau très subjectif. De plus, les élé-ments de reconnaissance, c’est-à-dire ce qui fait que cha-cun peut avoir le sentiment d’exister un peu plus dans leregard et l’action de l’autre, sont à la fois universels et spé-cifiques à chaque individu.

Nous sommes tous plus à même d’identifier les élé-ments de reconnaissance dont nous avons besoin que ceuxque nous sommes susceptibles de donner aux autres. C’estce qui fait que nous avons également tendance à donneraux autres les éléments de reconnaissance que nous atten-dons d’eux, alors qu’ils ne leur conviennent pas nécessaire-ment. Une des compétences les plus importantes de toutdirigeant est, précisément, de savoir identifier les élémentsde reconnaissance que les autres sollicitent, tout en ayantlui-même, légitimement, le droit d’en espérer certainsautres.

Les entreprises ont appris, notamment pour s’attacherla fidélité de leurs cadres, à être très inventives en ce quiconcerne les éléments de reconnaissance qu’elles leur

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donnent. Cette préoccupation se manifeste par uneintrusion de plus en plus marquée dans la sphère privéede ces cadres. La confusion entre la vie professionnelle etla vie privée est évidente quand il est question, par exem-ple, de fournir des services qui concernent le quotidien dela famille de ces employés4. Évidemment, ces initiativesne suffisent pas à « épuiser » la demande de reconnais-sance car, à côté et au-delà de ces éléments universels,chaque individu a des besoins ou des attentes bien spéci-fiques. Par exemple, une femme divorcée peut avoir lesentiment de ne pas être reconnue si son patronyme dejeune fille n’est pas utilisé, alors qu’une autre aura lemême sentiment si son nom d’ex-épouse est abandonné !Dans l’un et l’autre cas, chacune donnera une valeur dif-férente à la prise en compte de sa vie privée dans le cadreprofessionnel. Ce sont donc là des éléments très spécifi-ques à chaque individu.

Ainsi, la notion de reconnaissance est cardinale dansnotre monde en général, et dans celui de l’entreprise enparticulier. Ce n’est pas simplement une question de fiertéou d’amour-propre mais, bien au-delà, une manière de sesentir exister en tant qu’individu.

Le mode d’exercice du pouvoirComment définir le pouvoir ? En fait, l’approche systémi-que permet de passer d’une approche directe de cettenotion à une approche indirecte. Dans l’approche directe,le pouvoir que peut exercer une personne sur une autre

4. Par exemple, lorsque des services de blanchisserie, de coiffure oude garde des enfants sont proposés au sein de l’entreprise.

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revient à lui donner un ordre, à lui enjoindre d’accomplirune tâche ou de se soumettre à telle ou telle prise de posi-tion. Alors que, selon une définition indirecte du pouvoirque peut exercer un individu sur un autre, il sera toujoursquestion d’un contexte particulier. Autrement dit, d’unpoint de vue systémique, tout pouvoir correspond au faitde définir un contexte pour l’autre. Il n’y a pas de liens quine soient définis par un contexte, donc le pouvoir, ou plu-tôt la prise de pouvoir, est inévitable.

Mais les problèmes commencent dans l’appréhensionsubjective de cette prise de pouvoir par ceux-là mêmesqui la « subissent ». Dans un contexte imposé par unautre, un individu peut vivre plus ou moins bien ce quilui paraît être une intrusion rapidement intolérable dansce qu’il ressent et dans ce qu’il vit. D’une manière géné-rale, toute prise de pouvoir est moins bien vécue qu’il y aquelques décennies, notamment chez les plus jeunes quiacceptent mal ce qu’ils vivent facilement comme uneemprise de l’autre sur leur sphère personnelle et mêmeprivée. Tout se passe comme si, sur ce point, la sensibilitégénérale s’était exacerbée et que, de nouveau, ce quin’était précédemment vécu que comme l’exercice « nor-mal » de l’autorité était devenu synonyme d’atteinte àl’intégrité de la personne.

Le pouvoir devient violent, plus exactement il est res-senti comme étant violent, lorsqu’il ne respecte pas la per-sonne selon des critères que tout un chacun est en droit dedéfinir. Il est manifeste que dans des entreprises où règne leprofit immédiat au bénéfice d’entités éloignées et anony-mes, là où les disparités sociales s’accroissent constam-ment, cette violence est de plus en plus présente.

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La question des dettesLorsqu’on se plonge dans l’intimité de certaines relations,la question des dettes permet parfois de mieux comprendrela genèse de certaines crises. De quoi s’agit-il exactement ?Un mécanisme de dette se met en place chaque fois qu’unepersonne rend un service à une autre personne. Qu’elle leveuille ou non, la personne qui bénéficie de ce service estprise dans ce mécanisme. Il s’agit là d’une situation extrê-mement banale qui ordonne facilement les relations inter-personnelles dans un groupe. Cela s’appelle avoir debonnes relations avec les autres ou, plus cyniquement, selivrer au clientélisme. En réalité, dès qu’un processus dedette s’installe, il lie et relie les différents protagonistesselon les articulations de la logique suivante :

• Supposons que A rend service à B. Le second contractedonc une dette vis-à-vis du premier ; qu’il le veuille ounon, qu’il le reconnaisse ou non, cette dette existe. Aest donc en droit, à un moment qu’il choisira, pour uneoccasion spécifique, de réclamer son dû.

• Ce qui va être demandé en retour ne sera probable-ment pas de même nature que le service rendu initiale-ment, ne serait-ce que parce que les intérêts de chacundivergent de ceux des autres, ce qui est parfaitementlégitime.

• Cependant, une escalade s’installe facilement entre leservice rendu et ce qui sera demandé en retour à cha-que fois que quelque chose sera négocié entre les deuxpersonnes. Autrement dit, ce qui est demandé enretour porte une charge émotionnelle plus importanteque le service rendu initialement. L’implication de la

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personne n’est pas la même et, à mesure que ce méca-nisme se déploie dans le temps, la logique des dettessuccessives renforce manifestement la relation.

• Enfin, et c’est probablement le plus important danscette logique de la dette, celle-ci est tout autant atta-chée à la fonction qu’à la personne. Cela signifie que si,pour une raison ou pour une autre, B disparaît, celui quiva lui succéder – je l’appellerai C – hérite des dettes deson prédécesseur, ce qu’il ignore dans la plupart des cas.Ainsi, C va avoir à régler, à un moment ou à un autre,les dettes de B, et va se trouver pris dans une relationdont il ne mesure pas toutes les conséquences ni toutesles implications.

Dans les processus de dettes, c’est généralement ce der-nier point qui pose problème. Autrement dit, un conflitpeut survenir entre deux personnes soit parce que l’uneignore qu’elle est en dette vis-à-vis de l’autre, soit parcequ’elle refuse de prendre en charge cette dette qu’elle areçue en héritage sans en être nécessairement conscienteet donc sans l’avoir acceptée. Dans l’un et l’autre cas, leressentiment peut aboutir à un conflit dans ce qui est vécucomme une véritable malhonnêteté. Ainsi, ce mécanismeest d’autant plus « efficace » qu’il est caché et qu’il aboutit,dans cette escalade, à une augmentation du ressentimentet à l’apparition d’une souffrance relationnelle dont l’ori-gine n’est pas toujours facile à identifier.

Par exemple, un dirigeant qui s’éloigne de l’entrepriseva laisser des dettes – selon la définition que j’ai donnée duterme – que son successeur va ignorer ou dont il n’acceptepas d’assumer les conséquences. Tout se passe comme s’il

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héritait d’un terrain miné par son prédécesseur. La per-sonne qui prend la responsabilité de rompre la chaîne desdettes se met en situation difficile vis-à-vis des autres, ellese montre alors ingrate ou, pire encore, incapable dedemeurer loyale vis-à-vis d’engagements qu’elle n’a pas priselle-même.

La prévalence des liens de protectionÀ première vue, cela peut paraître illogique, mais les liensde protection, lorsqu’ils ont tendance à s’imposer dans ungroupe, peuvent facilement générer des situations de crise.Plus exactement, dans la mesure où ces liens de protectionprévalent dans une partie du groupe, ils provoquent desscissions, mettant dès lors cette partie « hors jeu » parl’enkystement relationnel qui en résulte. En effet, les indi-vidus qui appartiennent à ce sous-ensemble ont tendance àse refermer sur eux-mêmes, dans le confort apparent et laconnivence qu’assure la protection. Ils s’échappent ainside la règle du jeu commune et des tensions peuvent alorsapparaître entre ceux qui restent fidèles aux valeurs del’ensemble du groupe et ceux qui donnent le sentiment deles trahir. Les crises qui en résultent prennent facilementune dimension identitaire et territoriale entre ceux qui res-tent fidèles et ceux qui trahissent, entre ceux qui respec-tent les lois de la communauté et ceux qui obéissent à leursintérêts les plus immédiats.

Par exemple, lors du rachat d’une entreprise par uneautre, les membres d’un des services de l’entreprise rache-tée peuvent se désolidariser de ce processus, se sentantmenacés ou éprouvant la crainte de disparaître ; ils vontavoir tendance à augmenter l’importance de leurs liens

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extra-professionnels, et il est même possible que le nombredes arrêts maladies croisse de manière significative. Ainsi,à partir de ce qui se produit dans ce service, l’ensemble del’entreprise rachetée ne va plus répondre aux attentes quel’acquéreur peut avoir envers elle, sa survie peut être miseen péril. Les liens de protection, plutôt d’autoprotection,ainsi exacerbés, provoquent une situation de crise dansl’ensemble de la structure.

Les boucs émissairesPour ne pas avoir à se remettre en question dans son fonc-tionnement, un groupe, ou le responsable d’un groupe,peut être tenté de s’assurer les services d’individus qui ontde bonnes capacités de victimes de façon à mieux en fairedes boucs émissaires par la suite. Dans cette rencontre trèsparticulière, où chacun trouve son compte, la structure oula personne qui « victimise » permet à la victime poten-tielle de renouveler un même scénario, une mêmeséquence relationnelle. Cela signifie que, de manière ité-rative, un membre de ce groupe peut devenir le boucémissaire de l’ensemble et donc être accusé de « dysfonc-tionner », pour mieux être rejeté, avec sur les épaules tou-tes les fautes que les autres ne veulent pas assumer ouauxquelles ils ne sont pas capables de se confronter.

En ce cas, l’histoire de l’entreprise se conjugue autourde la succession des crises de rejets, et ce n’est qu’avecl’émergence d’un nouvel état d’esprit, ou l’arrivée d’unnouveau dirigeant, qu’un médiateur est sollicité. Nousnous trouvons alors devant la remise en question de lalogique homéostasique qui prévalait jusque-là, même sicette logique n’est pas toujours apparente pour ceux qui y

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participaient en toute bonne foi. Les crises qui engendrentdes boucs émissaires ont une valeur de rituel, dans leurdimension sacrificielle et expiatoire. En cela, elles sontmanifestement utiles et le médiateur ne peut éviter d’entenir compte dans son analyse de la situation.

L’irrationalité dans les entreprisesComme je l’ai déjà mentionné, la conduite des entreprises,c’est-à-dire celles des hommes qui en sont responsables, estloin d’être toujours rationnelle. Si cela était le cas, lesconsultants et donc les médiateurs auraient beaucoupmoins de travail. Comment comprendre l’importance decette irrationalité ? Il me semble que quatre facteurs seconjuguent ici pour aboutir à des prises de position ou àdes décisions qui échappent visiblement à tous les critèresqui permettent d’affirmer le professionnalisme des acteursimpliqués dans ces situations. Là où le bon sens – tout sim-plement – devrait prévaloir, ce sont des comportementsplutôt influencés par des pulsions suicidaires qui peuventêtre décrits.

Le premier facteur se constitue dans la rencontre, biensouvent contradictoire, entre des intérêts collectifs et desconsidérations individuelles et personnelles. Bien évidem-ment, dans l’entreprise, chacun est supposé agir en fonc-tion de l’ensemble en même temps qu’il défend, ce qui estlargement légitime, ses propres prérogatives. Mais lorsquele particulier prend manifestement le pas sur le général,lorsque les querelles de personnes obèrent des décisionsqui concernent l’ensemble du groupe, l’irrationnel s’ins-talle et la crise n’est alors que le symptôme de ce dysfonc-tionnement.

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Le deuxième facteur concerne la gestion de la com-plexité du fonctionnement de l’entreprise. Cette com-plexité ne peut se résumer à la taille de la structure ; il fautprendre en compte, plus intimement, ses modes de fonc-tionnement et, plus exactement encore, la prévalence desprocédures sur les processus. Par définition, les procéduressont écrites, elles sont rigides et ont tendance à proliféreret à envahir tous les domaines d’activité de l’entreprise. Àvrai dire, elles sont à la fois nécessaires et nuisibles, incon-tournables et dommageables. Comme je l’ai déjà précisé,un processus est une procédure qui aménage une placeimportante à la dimension humaine de son application,elle intègre en elle-même une souplesse et une manière de« mode de vie » qui lui permettent de s’adapter à des cir-constances qui ne sont pas nécessairement prévisibles. Ence sens, la mise en place et le respect des processus intè-grent la complexité du fonctionnement des groupeshumains. Lorsque les procédures dominent dans le fonc-tionnement d’une entreprise et qu’elles prétendent résu-mer et contenir l’ensemble des possibles – c’est-à-diretoute la réalité –, elles finissent par produire bien plus decomplexité qu’elles n’en gèrent. Tout se passe alors commesi, dans l’apparente simplification qu’elles semblent appor-ter, les procédures ne faisaient que repousser encore plusloin la résolution de problèmes qu’elles créent elles-mêmes. En réalité, elles prennent le pouvoir au détrimentdes hommes qu’elles sont supposées servir. Toute l’énergiede ces hommes est captée par le respect des procédures, audétriment de celle qui serait utile pour les faire évoluer enleur donnant, précisément, une dimension processuelle.

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Le troisième facteur concerne des erreurs manifestes decommunication, au sens premier du terme, c’est-à-dire tousles dysfonctionnements qui peuvent s’installer à propos desmoyens qu’utilisent les responsables pour faire connaître, àleurs pairs ou à leurs subordonnés, les décisions qu’ils pren-nent. Plus largement, cette question devient cruciale dansles entreprises où la succession des dirigeants et des projets,où les bouleversements managériaux incessants, ou encoreles périodes d’incertitude qu’ouvrent les rachats ou lesfusions, fragilisent les processus de communication et leschaînes de décision. Ordres et contre-ordres se suivent,l’incohérence devient la règle et la rationalité perd, iciaussi, tous ses droits.

Le quatrième et dernier facteur me semble dû à la par-faite méconnaissance de la dimension relationnelle, pourne pas dire humaine, dans la conduite des entreprises.Cette méconnaissance est largement répandue : ellegénère au mieux des erreurs, au pire des catastrophes, maisn’est jamais anodine et le médiateur est souvent là pourapporter au moins une once de bon sens, de ce point devue, lorsqu’il intervient. De fait, cette méconnaissance estle sujet principal de cet ouvrage.

L’ignorance des processus de deuilLa perte, l’abandon et la mort ont ceci en commun qu’ilsnécessitent un travail de deuil. Or ce travail de deuil, pourêtre pleinement satisfaisant, même et surtout dans l’entre-prise, doit pouvoir se faire à dimension humaine. Il faut,pour y parvenir, que deux conditions au moins soient rem-plies : le respect de la durée et la prise en compte de ladimension rituelle dans ce travail de deuil.

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Dans la grande majorité des cas, le monde de l’entre-prise se montre incapable d’intégrer ces deux dimensionsdans son fonctionnement. Pourtant, il ne peut prétendre yéchapper, non seulement pour des raisons tout simple-ment humaines, mais aussi parce que ses objectifs de ren-tabilité, qui sont a priori légitimes, ne peuvent êtreraisonnablement remplis lorsque ces éléments ne sont pasrespectés. Autrement dit, l’absence de travail de deuilporte atteinte à la rentabilité de l’entreprise à moyen etlong terme. En ce qui concerne le court terme, cette igno-rance ne pose bien évidemment pas de problèmes, commebien d’autres dimensions humaines du management, maispeut-on penser que la fuite en avant que permet la fétichi-sation du court terme puisse être vraiment supportableencore longtemps ?

À l’évidence, la prévalence des exigences économiqueset boursières immédiates accélère le « temps », jusqu’à ceque la durée soit manifestement réduite à la portioncongrue. Dans une même entreprise, lorsqu’on accumuletoutes les situations qui correspondent à une perte, la non-prise en compte de la logique du travail de deuil aboutit àune déshumanisation de l’activité professionnelle. Quatresituations doivent ici être évoquées : le départ d’un diri-geant – qu’il soit prévu ou non –, la perte de l’identité del’entreprise, notamment en cas de rachat ou de fusion,l’abandon – pour des raisons souvent commerciales – d’unproduit qui constituait jusque-là l’essentiel de cette mêmeidentité et enfin la succession, souvent déraisonnable, desprojets d’entreprise. Il n’est pas rare que dans une mêmestructure ou dans un même service, se superposent, parexemple en l’espace d’une année, au moins deux de ces

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situations5. L’accumulation de deuils non faits, c’est-à-direessentiellement non ritualisés, provoque un sentiment defrustration dont l’origine n’est généralement pas identifiée,sauf lorsqu’il s’agit de la succession de projets. En ce cas, lesintéressés comprennent facilement qu’il n’est humaine-ment pas possible de s’engager et de s’investir dans un nou-veau projet avant d’avoir « traversé » le deuil de ceux quin’ont pas abouti, surtout lorsqu’ils se sont succédé à unrythme soutenu.

Il s’agit, là encore, d’un processus dont il faut savoirtenir compte dans l’apparition de crises et de conflits, ense donnant les moyens de comprendre que ce qui est nou-veau n’est accepté qu’avec la ritualisation de ce qui a étéperdu. En ce cas, la médiation peut s’apparenter à un tra-vail de deuil, et l’on peut parfaitement employer ce terme,même s’il appartient manifestement au vocabulaire« psy », sans rencontrer les résistances que l’on pourraitcraindre. Le médiateur est alors amené à mettre en placelui-même les rituels qui font défaut dans l’entreprise, cequi est souvent une condition nécessaire avant le dépas-sement de ces crises.

5. J’ai développé cette question du travail de deuil dans le cadre pro-fessionnel dans mes ouvrages Systémique et Entreprise et Réussir soncoaching grâce à l’approche systémique.

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l n’est pas possible, dans le cadre d’une entreprise,d’en rester à la seule approche personnelle desconflits. Autrement dit, l’idée que seul le caractère de

tel ou tel individu explique l’émergence d’un conflit n’estpas satisfaisante. En ce cas, la résolution du problèmedevrait théoriquement passer par la remise en question dece que l’on appelle généralement la personnalité de cer-tains protagonistes, mais aboutit à une position réductrice.Il est beaucoup plus intéressant de considérer que toutconflit est le symptôme d’un dysfonctionnement dans legroupe. La principale réponse doit donc se situer à unniveau managérial et/ou organisationnel.

La réponse managériale concerne les liens profession-nels et notamment ceux qui regardent la hiérarchie ; laréponse organisationnelle suppose l’introduction d’unchangement, plus ou moins étendu, dans la conceptionstructurelle des liens qui prévalent dans l’entreprise. Nousallons maintenant voir comment ces réponses peuvent êtreconstruites en fonction de la « présentation » de la crise.

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Problèmes entre deux personnesCes conflits sont les plus fréquents dans le contexte del’entreprise étant donné la personnalisation des relationsdans le monde professionnel et la montée du sentimentd’individualisme. Chacun, en tant que personne, se vitplus facilement qu’auparavant comme lui-même responsa-ble de son propre bien-être. Chacun s’arroge alors la possi-bilité de revendiquer des droits qui ont pour particularitéde toujours être légitimes, et qu’il estime être mal respectésou bafoués. C’est essentiellement sur des liens de parité etdes relations de complémentarité fonctionnelle6 que sejoue cette revendication car, par définition, l’absence dehiérarchie y aménage plus facilement des zones de conflit.

Cependant, lorsqu’un conflit éclate entre deux person-nes à un niveau de responsabilité donné, se pose toujoursla question du rôle et de la compétence de la hiérarchie oudes individus, eux-mêmes garants de ce niveau de respon-sabilité. Ainsi, même si un conflit oppose deux individus,il n’est pas possible d’en rester uniquement à l’analyse dece qui se joue entre eux. C’est ici que l’approche systémi-que est utile car elle permet d’élargir la focale et de ren-voyer à d’autres instances leurs propres implications dansle conflit. Ainsi, un problème interpersonnel est toujoursle symptôme d’une souffrance « systémique », c’est-à-direrelevant de l’ensemble du groupe.

Nous verrons que la tendance du groupe est toujours defocaliser sur le particulier pour ne pas remettre en questionle « fonctionnement » du général. Nous verrons qu’il est

6. Voir la définition de ces deux types de liens p. 14.

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difficile d’avoir une lecture et, a fortiori, une action centri-fuge alors que tout concourt à la présentation centripètedes problèmes.

Problèmes entre un groupe et une personneDans ce type de situation, soit la personne est en charge dugroupe, auquel cas il s’agit probablement d’un problème decompétence relationnelle et/ou d’autorité, soit la personnefait partie intégrante du groupe, sans qu’elle bénéficied’une position hiérarchique particulière, et il s’agit alorsvraisemblablement d’un problème lié au processus du boucémissaire.

Dans le premier cas, la remise en question « ouverte »et publique des compétences de la personne qui portel’autorité correspond à la transgression d’un tabou surlaquelle il est souvent difficile de revenir. Il est impossiblede l’ignorer et cette difficulté est d’autant plus grande quela transgression est ancienne, violente et partagée par ungrand nombre de personnes. Cela signifie que lorsque cettelimite est franchie, il devient évident, pour ceux qui ne larespectent plus, qu’ils ont plus de droits que de devoirs. Eneffet, il leur paraît assuré que leur action leur donne desdroits nouveaux car ils ont le sentiment de remplir unetâche légitime et même de se substituer à leur hiérarchie.Ils sont alors tentés de ne pas s’arrêter en chemin et deremonter encore plus haut, dans leur remise en question dufonctionnement de la structure. C’est donc une situationprofondément bouleversée que va alors devoir prendre encharge le médiateur, d’autant que le fait de faire appel à lui

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augmente encore le sentiment d’insécurité du groupe etentame la confiance envers les dirigeants.

Dans le second cas, le processus du bouc émissaire estprobablement ancien et s’est répété longuement dans letemps avant de devenir effectivement insupportable pourtout le monde, ce qui explique le recours à une personneextérieure. Là également, certaines limites ont souvent étéfranchies, notamment en termes de violence. Alors que cetype de problème peut rester longtemps anodin ou ne pastransparaître à l’extérieur du groupe, l’ancienneté duconflit et sa montée en puissance débordent ses frontièreset font craindre un processus de contagion vers d’autresinstances, par mimétisme ou « exportation » active. Nousverrons que le fait de convertir une personne en boucémissaire est toujours le signe d’une souffrance de l’ensem-ble du groupe.

Problèmes entre deux instancesLorsque les logiques qui sous-tendent le fonctionnementde deux instances sont en contradiction les unes avec lesautres, un conflit risque d’éclater entre elles. À l’évidence,chaque sous-groupe se constitue sur un territoire à partird’une fonctionnalité bien précise. Là où le sentimentd’appartenance est très fort, les conflits peuvent ne passimplement concerner des personnes mais, précisément,des groupes ou plutôt des sous-groupes. Ici, ce sentimentd’appartenance déborde, au moins pour un temps, les inté-rêts particuliers de chacun ; il fait prévaloir la logique dugroupe restreint au détriment de l’ensemble de la structure.Ce fonctionnement en « baronnie » se rencontre essen-

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tiellement dans des entreprises de haute technologie et derecherche ou dans celles qui ont été soumises à des rachatsou à des fusions successives. Dans ces contextes-là, il setrouve toujours de fortes personnalités, adeptes du clienté-lisme, pour revendiquer une autonomie pour leur terri-toire, soit parce qu’elles constituent la matière première dela structure, soit parce que la succession des propriétairesentraîne un réflexe de repli facilement compréhensible.Nous nous trouvons alors devant un problème d’organisa-tion, au sens général du terme. C’est alors l’ensemble dufonctionnement de l’entreprise qui est alors questionné autravers de ce conflit.

Problèmes de chantageLa question du chantage mobilise, chez la personne qui lepose, des éléments facilement irrationnels. Ici, les élé-ments affectifs sont donc déterminants, ils motivent desprises de position qui dépassent généralement des enjeuxstrictement professionnels même s’il n’est pas toujoursfacile de faire la part des choses. En effet, ce contexte pro-fessionnel joue alors un rôle de bouc émissaire dans lamesure où d’autres interlocuteurs se dérobent ou sontabsents – conjoint(e), famille, parents, amis –, dans lamesure également où des désaccords ou des conflits peu-vent facilement y éclater, dans la mesure enfin où l’atmos-phère générale de l’entreprise se prête à ce type decomportement. En effet, le chantage se manifeste plus faci-lement dans des entreprises où prévalent les liens affectifs.Lorsque les prises de position émotionnelles définissent enprofondeur la logique managériale, l’exacerbation affective

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des liens peut aller jusqu’au chantage. Il est alors facile –pour l’énoncer trivialement – de ne pas se sentir aimé, dene pas se sentir reconnu et de revendiquer cette reconnais-sance comme on revendique habituellement son existencedans l’entreprise.

Ce chantage peut aller jusqu’aux menaces de suicide,dans une escalade qui est d’autant plus dangereuse quel’entreprise est généralement mal préparée pour affronterce type de situation. La personne se met visiblement enavant, jusqu’au sacrifice ultime, elle cherche à impliquerson contexte professionnel ou telle ou telle personne dansla hiérarchie en exigeant réparation pour ce qu'elle estimeêtre un préjudice inacceptable. Souvent, c’est donc un sen-timent de non-reconnaissance qui est à l’origine du conflitavant que d’autres éléments n’interviennent. L’escaladedans la violence est la règle à mesure que l’incompréhen-sion s’installe et que différentes instances sont mises enéchec.

Il est souvent difficile d’établir une frontière préciseentre les conséquences d’un éventuel harcèlement moralet les manifestations d’une personnalité fragile où s’impo-sent facilement le sentiment de persécution et la tentationde la victimisation. La dimension irrationnelle du chan-tage rend délicate la « gestion » de ces situations comptetenu du fait qu’il est souvent difficile de prévoir les réac-tions de certaines personnes dans des structures où laparole, et plus généralement la négociation, ne sont pasvalorisées et où les passages à l’acte sont, tout à l’inverse, leseul moyen de se faire reconnaître.

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La prise d’otagesLa prise d’otages constitue une situation bien spécifique,notamment parce que la ou les victimes vont parfois avoirtendance à s’attacher à leurs agresseurs ou vont chercher ànouer une alliance avec eux. C’est ce que l’on appellemaintenant le syndrome de Stockholm, après qu’en 1973,dans cette ville, quatre membres du personnel d’une ban-que, pris en otage pendant six jours dans les suites d’uncambriolage, se sont progressivement « attachés » à leursassaillants. Cette logique se construit sur l’idée – largementinconsciente – que s’allier avec un ennemi peut permettred’éviter des représailles ou des brutalités de sa part. Entreautres conséquences, il en résulte que les personnes quisont à même de « sauver » les otages peuvent devenir elles-mêmes des ennemis ; leurs actions sont alors mal perçues etne reçoivent ni l’assentiment ni la collaboration des victi-mes. Celles-ci en arrivent à penser qu’elles peuvent êtredavantage mises en danger par leurs « sauveteurs » que parleurs assaillants.

En ce cas, la situation du médiateur se complique dufait qu’il se trouve face à une alliance – en bonne partieinconsciente – qui rapproche paradoxalement les« vraies » victimes et leurs assaillants, faisant des sauve-teurs des personnes hostiles. Nous nous trouvons devantune situation de triangulation sur laquelle j’aurai l’occa-sion de revenir plus longuement.

Problèmes de conflit socialÀ l’évidence, de très nombreux éléments interviennent encas de conflit social. Lorsqu’un médiateur entre en scène

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dans une telle situation, son mandat lui aménage unemarge de manœuvre qui se situe dans les dimensions uni-quement relationnelles de ce conflit. Il n’a aucune compé-tence pour juger de la validité de telle ou telle position oude telle ou telle proposition qui concernent, par exemple,des enjeux économiques ou financiers. Dans la plupart descas, il est alors plutôt un « facilitateur » qu’un négocia-teur ; il sert effectivement d’intermédiaire entre des partiespour lesquelles le dialogue est interrompu.

« L’utilité » du médiateur, dans un conflit, est forte-ment associée à l’identité de la personne ou de l’instancequi fait appel à lui au tout début de son intervention. Ilpeut rester longtemps dépendant de ce lien et être « mar-qué » par une alliance, de nature historique, qui ne luiconvient pas nécessairement et qui peut le handicaperdans son travail. Ses prises de position risquent d’être malinterprétées ou déformées, il peut être mis et enfermé dansune alliance qui lui retire de facto toute dimension demédiation. Il n’est plus un tiers autonome, mais une« créature » fermement associée à celui ou à ceux qui l’ontinitialement mandaté pour résoudre le problème. Il fautfaire preuve d’une grande vigilance et d’un professionna-lisme accompli pour trouver et affirmer une position quilaisse une marge de manœuvre suffisante.

La position du ou des syndicats est bien évidemmentdéterminante et les conflits idéologiques viennent souventse mêler aux conflits de personnes. C’est ici que la connais-sance de l’historique du conflit est à la fois un avantage etun inconvénient. C’est un avantage dans le sens où cethistorique permet de mieux comprendre l’enlisement duproblème, mais un inconvénient car la connaissance de la

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variété et la richesse de l’ensemble de ces informationspeuvent être décourageantes. Encore une fois, c’est bienparce qu’il est extérieur à la structure que le consultantpeut apporter un autre regard sur l’ensemble d’un passé quiobnubile facilement ceux qui l’ont vécu. Sa naïveté lui estalors très utile.

Il n'en reste pas moins que le principal obstacle auquelpeut se heurter un médiateur, dans ce contexte, est cequ'on peut appeler la « culture du conflit ». De l'aveumême de certains syndicalistes, ceux-ci ont parfaitementidentifié le fait qu'ils existent surtout dans le conflit et que,dès lors, l'émergence et le maintien d'un désaccord avecleurs interlocuteurs habituels leur permet de gagner unelégitimité étroitement liée à leurs possibilités de négocia-tion. Toute situation de conflit, qu'ils peuvent appeler deleurs vœux de manière plus ou moins consciente, est doncbienvenue. Elle peut même rencontrer « en face », c'est-à-dire au niveau des responsables de l'entreprise, une volontéd'en découdre et la recherche d'un rapport de force. Il n'estpas déraisonnable de considérer que, paradoxalement, unaccord sur l'utilité d'un conflit peut sous-tendre un désac-cord sur son contenu. Le médiateur est ainsi confronté àune situation encore plus complexe que ne le laissent pen-ser les apparences. Il doit aller au-delà de cet accord tacitequi ne fait que prolonger un désaccord dont, par ailleurs,les conséquences peuvent être néfastes pour la structure.

La question du transfert de compétencesNous sommes au centre d’une décénnie où, 45 % descadres des fonctionnaires de l’État et 40 % des employés

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des collectivités territoriales vont prendre leur retraite, etil en est de même dans le secteur privé. Pour des raisonsdémographiques, il existe un « trou » générationnel entreles seniors, issus du baby-boom qui a suivi la SecondeGuerre mondiale et qui vont quitter l’entreprise, et lesjuniors qui seront amenés à les remplacer. Plus exacte-ment, l’équivalent d’une demi-génération manque àl’appel : les cinquante-cinq/soixante ans sont immédiate-ment suivis par des trente-cinq/quarante ans7, autrementdit une différence d’âge d’une dizaine d’années les sépare.

À cette différence d’âge, ou probablement à cause decette différence d’âge, vient s’ajouter une appréhensiondifférente de ce qu’attendent de leur activité profession-nelle un senior et un junior. Le premier est attaché à desvaleurs comportementales dans le travail, il accorde unegrande importance à la culture d’entreprise et lui restedonc très attaché. Le second supporte mal l’autorité, ilreste facilement inquiet de l’équilibre qu’il peut garderentre sa vie professionnelle et sa vie privée et n’hésite pasà refuser les promotions qui peuvent lui être proposées enconsidérant qu’il deviendrait ainsi trop dépendant de sonemployeur. En ce qui concerne la trajectoire profession-nelle, le senior a eu tendance à superposer ses expériencesde travail pour mieux progresser dans une même entrepriseou un même secteur d’activité. Son cadet va plutôt juxta-poser ses différentes expériences, sans leur donner néces-sairement une cohérence sinon celle qui dérivedirectement du fait qu’il reste centré sur lui-même, met-

7. Cela est dû à la baisse sensible de la natalité entre le milieu desannées 1970 et le début des années 1980.

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tant en avant des valeurs très individualistes, ne s’impli-quant qu’à très court terme dans son travail en yrecherchant un profit immédiat. Son ambition est de deve-nir bien plus un expert dans un domaine d’activité qu’unmanager formaté par la culture d’une entreprise.

Pour toutes ces raisons, les conflits d’intérêts entre cescadres en partance et ceux qui sont normalement appelés àleur succéder vont se multiplier et poser de sérieux problè-mes aux entreprises. Ces conflits d’intérêts risquent degénérer des crises, des conflits ou – pour le moins – dessituations d’incompréhension. Cela rend nécessaire uneréflexion approfondie sur les stratégies d’intégration desjeunes dans l’entreprise, voire la mise en place de procédu-res de transfert des compétences et des responsabilités quis’apparentent à une démarche de médiation.

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oute intervention s’appuie, bien évidemment, surune demande. Mais les conditions de cettedemande, c’est-à-dire les « où, quand, comment »

de sa mise en place déterminent la suite. Autrement dit,les tout premiers moments, les toutes premières interac-tions, définissent l’ensemble de l’intervention. Commedans un hologramme, l’ensemble du processus est déjàcontenu dans les conditions de son amorce, c’est direl’importance de cette phase initiale.

Une des premières difficultés du médiateur est de rester,autant que possible, maître de cette phase liminaire de sonintervention, notamment pour se sentir libre par rapport àl’instance qui lui demande d’intervenir. Cette alliance està la fois incontournable et dommageable. Elle est incon-tournable parce que, à l’évidence, il faut bien quequelqu’un fasse appel à lui, mais elle est dommageable carce lien risque de restreindre le champ de ses manœuvres.Comment éviter, dans la mesure du possible, cet écueil ? Illui faut d’abord identifier rapidement les principaux élé-

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ments du contexte dans lequel il lui est demandé d’inter-venir. Ces éléments vont lui permettre de déterminer quipeut être son meilleur interlocuteur, lequel n’est pas néces-sairement la personne qui prend ce premier contact.Ensuite, le véritable travail avec la, ou plus exactement lesdemandes, peut alors être réalisé avant que son interven-tion puisse enfin être contractualisée.

Identifier le contexte dans lequel émerge la demande de médiationAfin de mieux définir le contexte dans lequel il intervient,le médiateur doit prendre connaissance et analyser, le plusrapidement possible, les trois éléments suivants : l’organi-gramme de l’entreprise, l’équilibre entre personne et orga-nisation et enfin ce que j’appelle la « petite musique » dela structure qui prend contact avec lui.

Le premier interlocuteur du consultant va déjà pou-voir l’éclairer sur l’organigramme de l’entreprise. Il estparfaitement en droit de s’enquérir de cet ensemble dedonnées, car il a besoin de savoir à quel niveau situer lesdifférentes responsabilités. Cependant, tout organi-gramme n’est qu’une représentation emblématique del’entreprise. Cet emblème, comme le blason que les sei-gneurs avaient appris à arborer sur leurs drapeaux, donnehabituellement une image gratifiante et cohérente del’entreprise, mais il s’agit souvent d’une représentationfigée et donc dépassée des relations qui président à sonfonctionnement. Un organigramme est gratifiant d’abordparce qu’il donne à penser qu’une réflexion, plus ou moinspoussée, a été menée pour apporter une congruence entre

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le type d’activité de l’entreprise et son fonctionnementdans le quotidien. Il convient ensuite de se plier à certai-nes règles pour obéir à des conventions largement répan-dues et apprises dans les écoles de gestion. Les modèlesorganisationnels sont peu nombreux et les entreprisespeuvent difficilement éviter de s’y référer. Cependant, unorganigramme est également une représentation figée etpauvre de la complexité de la vie de l’entreprise ; il pré-sente le grave inconvénient de rester dépendant d’unelogique essentiellement procédurière et non processuelle.En fait, dans la grande majorité des cas, dès qu’il est posé,il devient caduc. Un organigramme est rarement réactua-lisé en fonction de la mobilité des personnes ou pour tenircompte des événements importants qui ponctuent le quo-tidien de la structure comme, par exemple, un change-ment de politique commerciale ou la mise en place d’unprojet important. L’organigramme est donc souvent unereprésentation métaphorique de l’entreprise, il renvoie àun idéal qui ne peut être atteint. Autrement dit, il s’agit làd’une pratique incontournable mais personne n’est dupede sa congruence réelle par rapport au quotidien et à lacomplexité du fonctionnement de l’entreprise.

L’équilibre entre personne et organisation correspond àune façon de comprendre le fonctionnement de l’entre-prise. Il s’agit d’évaluer l’importance relative que prennentsoit les personnes – dans leur spécificité et leur dimensionindividuelle –, soit le respect des règles organisationnellescommunes. Lorsque les personnes prennent le devant danscette prise de pouvoir, cela entraîne soit des conflits entreles personnalités les plus fortes, soit de longues phases denégociation où il s’agit d’atteindre un consensus rarement

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satisfaisant. La conduite du groupe devient chaotique,rythmée par des confrontations plus ou moins violentes,des protestations de préséance ou des luttes territoriales. Lemanagement se trouve soumis à des facteurs qui n’ont pastoujours des liens évidents avec l’objet de l’entreprise. Ilest préférable que des règles organisationnelles simples etprécises définissent la conduite de l’entreprise, règles quidoivent bien évidemment correspondre aux valeurs dugroupe. Leur mise en œuvre permet de contourner les don-nées individuelles qui deviennent facilement des impéra-tifs individualistes, si elles ne sont pas contenues par unerègle du jeu commune. Par exemple, les rôles fonctionnelset opérationnels doivent correspondre à des règles organi-sationnelles plutôt qu’aux goûts et aux inclinaisons de cha-cun ; ainsi, un directeur général qui préfère se rendreconstamment sur le terrain se heurtera immanquablementà ceux dont c’est précisément le rôle.

Ce que j’appelle la petite musique de l’entreprise corres-pond à ce qui détermine spécifiquement son modede management. De manière assez générale, ce mode demanagement est défini à la fois par la mentalité de ses diri-geants – ou, mieux encore, par un seul dirigeant –, parl’histoire de l’entreprise et par ce qu’elle produit. À l’évi-dence, le ou les dirigeants d’une entreprise définissent cemode de management. Cependant, il n’est pas ici questiondu noyau dur de ce management, c’est-à-dire de ce quipeut en être dit officiellement et ouvertement. Il ne s’agitpas de la « ligne officielle du parti », mais du niveau plusintimement relationnel de ces modes de management. Demême, je ne me réfère pas aux valeurs « officielles » del’entreprise, celles qui sont mises en avant pour apporter

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une cohésion au groupe et, en réalité, rester dans le politi-quement correct. Ce sont toujours les mêmes termes quireviennent : il est question d’efficacité, de réactivité,d’esprit de solidarité et de coopération, de sens des respon-sabilités et de développement des compétences. Tout celaest enrubanné d’un humanisme bon teint auquel il sembledifficile d’échapper. Il s’agit là d’un ensemble de valeurs quine résistent pas bien longtemps aux exigences économi-ques et aux lois du marché ou à celles de la productivité.

L’histoire ancienne ou récente de l’entreprise est conte-nue dans sa situation présente. Plus exactement, ce n’estpas tant à l’histoire au sens premier du terme – c’est-à-direen tant que succession d’événements et de faits – que jefais allusion, mais à tous les ressentis, à toutes les émotionsqui sous-tendent les moments les plus difficiles de cettehistoire. Ces éléments-là restent longtemps présents,même avec les années et au-delà de l’horizon génération-nel. Ils nourrissent la véritable mémoire du groupe bienplus que certains faits dénués de toute dimension affective.Ainsi, un conflit ou une crise rappellent tous les conflits ettoutes les crises qu’a pu connaître une entreprise et per-mettent même d’anticiper ceux qui ne sont pas encoreapparus. Il en est de même pour chacun d’entre nous, carce qui nous imprègne et nous marque, c’est d’abord la répé-tition des mêmes types d’événements.

Par exemple, dans une entreprise dont la croissances’est faite essentiellement à partir de rachats et/ou defusions, la tendance sera au développement d’un mode demanagement marqué par la disqualification. En effet, cetteentreprise existe « grâce » à l’incompétence de certainsautres, grâce à leurs échecs. Son surcroît de compétences

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trouve sa légitimité dans le fait que d’autres n’ont pas su,ou n’ont pas pu, en avoir suffisamment au bon moment.Cette logique va encore se complexifier par le fait que cer-tains des membres de la ou des entreprises rachetées vontfaire partie du groupe des dirigeants de l’entité actuelle.Autrement dit, l’histoire et la succession des échecs vontrester inscrites dans les relations, en ce que les mêmes logi-ques relationnelles se prolongent en touchant un pointessentiel, c’est-à-dire les conditions de son existencemême, marquant ainsi le style de management.

Ce que « produit » l’entreprise, au sens large du terme,infiltre également peu ou prou son mode de fonctionne-ment. Cela signifie que les connotations relationnellesattachées au savoir-faire de l’entreprise ont toujours ten-dance à modéliser les relations entre les membres del’entreprise. Quelques exemples peuvent illustrer cettelogique et les analogies qui en découlent. Ainsi, « l’entre-prise-hôpital » sait générer de la protection pour ses clientsnaturels, c’est-à-dire les patients et, dans une certainemesure, pour leur entourage. Cette protection les soulageface à la souffrance du corps et de l’esprit, et les aide àmieux vivre l’injustice qui accompagne toute maladie, sur-tout lorsqu’elle rend possible ou imminente une issuefatale. Mais cette protection, ce que « produit » doncl’hôpital, a également tendance à pénétrer les relationsentre les membres du personnel, elle en vient à définir lesliens dans les équipes de soins. Il en résulte, par exemple,qu’un problème d’alcoolisme sera plus « sérieusement »pris en charge, paradoxalement, dans un milieu industrielque dans un milieu hospitalier. En effet, la protection quiprévaut parfois entre les soignants ne permet pas d’aborder

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ce type de souffrance : on n’en parle pas, on ne la dénoncepas, on préfère l’ignorer.

De même, dans un organisme public comme l’ANPE,chargé de la prise en charge des demandeurs d’emploi etdont la tâche consiste à définir au mieux une adéquationentre les compétences professionnelles d’un individu et lesexigences d’un futur employeur, la question de la forma-tion est donc très importante. Mais cette question devientfacilement celle qui préoccupe les employés de ces agen-ces : ils savent parfaitement utiliser les compétences qu’ilsont acquises auprès de leur clientèle en les transposant,pour eux-mêmes, dans leur propre trajectoire profession-nelle. C’est ce qui fait que ces agences sont d’excellentsclients pour les cabinets de consultants, en ce que lesmembres de leur personnel sont facilement « inquiets »pour leur propre formation et en viennent à accumuler desconnaissances dans une démarche d’excellence qui ressem-ble parfois à une fuite en avant. Il leur paraît évident qu’ilest utile et même nécessaire de faire appel à des compéten-ces extérieures puisque c’est ce qui constitue leur propreidentité.

Un dernier exemple enfin : une entreprise de sécuritéqui commercialise à la fois du matériel et des servicesd’intervention auprès de ses clients aura tendance à mana-ger, pour elle-même, de manière très particulière, la ques-tion du changement. Dans son mode de gestion desproblèmes de management, elle va facilement attendre latoute dernière extrémité avant de réagir et de mettre enplace de nouvelles modalités de fonctionnement. Le faitest que l’entreprise agit avec elle-même comme elle agitavec ses clients : elle gère l’urgence et donc se gère dans

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l’urgence. Tout se passe comme si elle en avait besoin pourexister, et ce besoin va donc se jouer également à l’inté-rieur de l’entreprise, comme si l’urgence la nourrissait nonseulement dans son activité commerciale mais égalementdans son organisation interne.

Ainsi, lorsque dans une large mesure, une entreprisefonctionne de la même façon pour ses clients externes etles membres de son personnel, elle risque de dysfonction-ner et de se scléroser en se repliant trop sur elle-mêmeplutôt que de rester ouverte sur son environnement. Mal-heureusement, il est parfaitement impossible de définir« objectivement » cette mesure ; elle varie selon les cas etles situations.

Il importe donc, pour le médiateur, de connaître autantque possible tout ou partie de ces éléments et notammentcette « petite musique » de l’entreprise. Ces éléments peu-vent lui permettre de mieux identifier une des origines pos-sibles des conflits. En effet, beaucoup d’entre eux se jouentdans cette souffrance autour d’un fonctionnement dont leslimites, entre l’intérieur et l’extérieur, restent floues et maldéfinies.

Identifier clairement l’origine et les spécificités de cette demandeLe médiateur doit donc rester attentif à identifier quel est,pour lui, le meilleur interlocuteur, c’est-à-dire celui qui esteffectivement le mieux à même de définir les enjeux quiordonnent la situation, car le « démarcheur » n’est pasnécessairement le « décideur ». Pour mieux comprendrequel est ce décideur, c’est-à-dire la personne qui possède au

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mieux la définition des enjeux, le médiateur doit donc res-ter curieux du fonctionnement de l’entreprise et des modesrelationnels qui ont le plus fréquemment cours.

Il n’est pas rare que la démarche envers un profession-nel, en vue d’une demande de médiation, fasse l’objetd’une délégation. Autrement dit, la personne qui est effec-tivement à l’origine de la démarche peut facilement se« cacher » derrière une autre. En effet, demander unemédiation peut être ressenti comme un aveu d’échec, oupeut être considéré comme un engagement vers un com-promis, comme s’il s’agissait déjà de lâcher prise et des’avouer vaincu. Il est alors tentant de ne pas en prendreimmédiatement la responsabilité et de faire endosser cettedémarche par une autre personne.

De même, il est possible qu’une demande de médiationsoit incomplète au sens où seule une partie du problèmepeut être initialement exposée au médiateur. C’est proba-blement le cas le plus fréquent, sans que la bonne foi despersonnes puisse nécessairement être mise en doute. Il estnormal de se focaliser sur ce qui « fait mal » lorsqu’on souf-fre d’une situation. Là encore, la curiosité est indispensablepour aller au-delà de ce qui est annoncé, un peu plus loinque ce qui est expliqué. C’est là que les outils de l’approchesystémique sont d’un grand secours car ils permettent demieux appréhender les tenants et aboutissants de toutesituation de crise. Nous en verrons des exemples ultérieu-rement.

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Identifier les attentes et les demandes cachéesIl est plus pertinent de parler non pas d’une seule demandemais d’une pluralité de demandes. Parmi ces demandes,certaines sont manifestement énoncées, d’autres restentcachées. Les premières reflètent ce que l’on peut appeler la« ligne officielle du parti », les secondes concernent la tra-jectoire personnelle de chaque individu dans l’entreprise.De même, les attentes ne sont jamais simples : elles sonttoujours plurielles et ne sont pas nécessairement énonça-bles. C’est ce qui fait que nous nous trouvons, encore ici,face à des situations complexes. Un conflit ou une crisedramatisent tout un ensemble de prises de position etgénèrent de nombreuses réactions émotionnelles. Il estdonc des attentes « normales », celles qui relèvent d’unelogique organisationnelle, lesquelles renvoient à laconduite générale du groupe, et d’autres qui concernentdes logiques plus individuelles.

La ligne officielle du parti va dans le sens d’une résolu-tion claire et rapide des problèmes. Elle se conjugue à par-tir et autour du modèle du fonctionnement hiérarchiquede l’entreprise, ce qui justifie amplement la démarcheenvers un consultant ou un médiateur. La ligne officielleest toujours imprégnée de « bonnes intentions », elle estdifficilement réfutable et ne peut donc être remise en ques-tion. Ainsi, le contenu de la ou des demandes officiellesoffre peu de surprises. Elles en reviennent constamment àsouhaiter le retour à un ordre « normal », notamment dansle respect de ce que décrit l’organigramme. Ainsi, cesattentes sont toujours politiquement correctes, elles peu-vent facilement être anticipées et obéissent à des règles

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toujours identifiables. Ces demandes, pour autant, ne sontpas à négliger, d’une part parce qu’elles justifient la néces-sité d’une aide externe (elles permettent donc d’entrerdans la forteresse homéostasique), d’autre part parcequ’elles vont permettre au médiateur de formaliser ladimension contractuelle de son intervention.

Les attentes normales mettent en avant la souffranceque provoque et qu’exacerbe la crise, elles s’inquiètent soitde la « fixation » de la crise, soit, a contrario, de son exten-sion. Sa fixation, c’est-à-dire sa prolongation dans le temps,risque d’aboutir à transformer une partie du système enbouc émissaire ; son extension fait que la crise prend unevaleur de modèle jusqu’à ce que s’étende, bien au-delà desprotagonistes initiaux, le champ des remises en question. Ilarrive également que la demande de médiation obéisse àun principe de précaution, auquel cas le champ d’action dumédiateur est bien plus important, car il peut alors mieuxintervenir sur les éléments qui « expliquent » cette crise,au sens où j’ai déjà eu l’occasion de le définir.

En parallèle à ces demandes « officielles », il existe tou-jours d’autres attentes : ce sont donc les demandes« cachées ». Celles-ci obéissent à des intérêts individuelset personnels. Ces attentes sont celles qui, précisément, nepeuvent pas être énoncées car elles contreviennent géné-ralement aux objectifs de l’ensemble du groupe. Elles doi-vent être identifiées, autant que possible et aussirapidement que possible, sans être nécessairement énon-cées – et donc dénoncées – par le médiateur. Le médiateurlui-même risque soit de se trouver disqualifié, soit – ce quiest bien plus grave – d’être transformé en bouc émissairepar tout ou partie du groupe, auquel cas il devient totale-

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ment impuissant et n’est plus en mesure d’introduire unquelconque changement dans la structure.

Quelles peuvent être ces attentes cachées ? Tout dépendd’abord de la personne en question, de l’identité et de lafonction de celle qui « porte » cette demande et ensuite dutype de situation auquel le médiateur se trouve confronté.Pour toutes ces raisons, il m’est bien évidemment impossi-ble d’établir une liste exhaustive de ce type d’attentes. J’enprésente cependant les plus fréquentes ci-après.

Disqualifier une personne ou la hiérarchieToute crise porte en elle la possibilité de disqualifier la oules personnes qui ont la responsabilité du groupe danslequel elle éclate. Il est possible que cette disqualificationporte sur une personne précise (sans que cela soit immé-diatement apparent) ou que ce mécanisme puisse prendred’autres proportions, atteignant une partie de la structureou certaines des fonctions qui y sont exercées, notammenttel ou tel niveau hiérarchique de l’entreprise.

Une crise peut être l’occasion de faire apparaîtrel’incompétence d’un individu. Nous l’avons vu, l’incompé-tence relationnelle peut être facilement évoquée dans cegenre de situation, et peut concerner l’une ou l’autredimension du management. Ainsi, cette attente peut setrouver incluse dans la demande de médiation. Toutse passe alors comme si, dans l’esprit de certains, un desbénéfices de la crise pouvait être de mettre à l’épreuve telleou telle personne, dans l’espoir qu’un échec servirait leursintérêts personnels. Une épreuve et une mise en échecdont le médiateur devient le complice et le metteur enscène, bien évidemment, involontaire. Il est facile de com-

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prendre que dans ces conditions, son propre échec est lui-même souhaité.

Modifier l’organisation de l’entrepriseIl arrive que le besoin de changement que la crise faitémerger soit encore plus « massif », encore plus fondamen-tal. Au-delà de la disqualification des personnes ou d’ungroupe de personnes, c’est alors tout ou partie de l’organi-sation de l’entreprise qui doit ou devrait être remise enquestion. De nouveau, l’un ou l’autre des protagonistespeut avoir vu d’un bon œil l’éclatement de cette crise etmême sa non-résolution.

À l’évidence, la vie de l’entreprise ne se déroule pascomme « un long fleuve tranquille » ; ce type de situationn’est pas rare. En l’occurrence, nombre de personnes peu-vent éprouver le sentiment de se faire instrumenter, aupremier rang desquelles le médiateur, qui ne sert alors qu’àmettre à plat une bonne partie de l’organisation, sans quecela corresponde nécessairement à son mandat tel qu’il estexplicitement posé.

Aboutir à des « passages à l’acte »Le passage à l’acte, c’est-à-dire le fait de prendre et d’appli-quer une décision relativement inattendue et brutales’apparente à ce que j’ai déjà décrit comme étant davan-tage une solution qu’un véritable changement. Autrementdit, la médiation est alors totalement vidée de sa dimen-sion pédagogique. Généralement, cette décision survienten dehors de l’intervention du médiateur ; elle peut aussiêtre présentée, non sans abus, comme une conséquenceplus ou moins éloignée de cette intervention. Dans tous les

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cas, elle s’apparente à une prise de pouvoir qui bouscule lestermes du contrat que le consultant a pu établir avecl’entreprise.

Par exemple, le licenciement d’un des protagonistes dela crise peut survenir alors que tout laissait à penser qu’iln’était pas question de se séparer de cette personne ; ouencore, un accord peut s’établir, là aussi contre touteattente, entre des protagonistes qui ne semblaient pas pou-voir envisager un quelconque rapprochement. Il peut alorsapparaître que les possibilités, voire les conditions de ces« passages à l’acte » étaient déjà présentes avant mêmel’intervention du médiateur. Cela peut correspondre auxintérêts de la structure, mais on peut aussi déduire de cette« instrumentalisation » que les modèles de managementde l’entreprise en question n’obéissent pas à des règles declarté ou qu’ils relèvent plus de l’improvisation que d’unepolitique mûrement réfléchie.

Contractualiser l’interventionChaque fois qu’intervient un consultant, son action doitêtre définie par un contrat. Je ne mentionne pas ici lecontrat du point de vue administratif, mais du point de vuede sa dimension relationnelle. Il s’agira de ce que sur quoile consultant peut s’engager, en quelque sorte le contratmoral qui peut s’établir entre lui-même et la structure danslaquelle il intervient.

Il doit d’abord être bien clair qu’en aucun cas le média-teur ne peut être lié par une obligation de résultat. Commechaque fois qu’un consultant s’engage dans une entreprise,ses obligations concernent d’abord les moyens qu’il va

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mettre en œuvre et non pas le résultat de son intervention.En effet ce résultat est, d’un point de vue systémique,comme je l’ai déjà mentionné, impossible à évaluer demanière objective et définitive par ceux qu’il concerneimmédiatement. Le client, au sens large du terme, est lui-même partie prenante dans le résultat de la médiation ; ilne peut se situer à l’extérieur du processus dont il est undes acteurs. S’il se plaçait dans la position d’évaluer ce pro-cessus, il deviendrait alors à la fois « juge et partie », iljugerait en fait lui-même sa propre attitude, ce qui abouti-rait à un paradoxe intenable. Je l’ai déjà relevé à plusieursreprises, nous sommes ici dans le domaine de la com-plexité, et les intérêts immédiats, manifestes ou cachés, dela ou des personnes qui interviennent dans le processusdéterminent le résultat final.

Pour le médiateur, l’intérêt principal de la contractua-lisation de son intervention réside dans le pouvoir qu’il ade définir lui-même le cadre de son travail. Autrement dit,il doit rester – autant que possible – maître du « où, quand,comment » de sa démarche. Il ne peut prétendre en définirtoutes les dimensions mais il doit faire au mieux pour sau-vegarder sa liberté. Ce n’est pas son seul intérêt qu’il cher-che ainsi à protéger, mais les possibilités de changementqu’il juge pertinentes de mettre en œuvre. Son expérienceet ses compétences doivent lui permettre d’identifier ceschangements dans un constant va-et-vient entre les atten-tes et les demandes de ses différents clients. Nous allonsmaintenant voir comment le consultant s’efforcera à maî-triser le contexte de son intervention, car il doit s’agir là deson premier souci.

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’état d’esprit avec lequel le médiateur va intervenirpeut être résumé de la manière suivante : il seconsidère lui-même comme un observateur/acteur

qui doit permettre aux différents protagonistes du conflitde dépasser les enjeux immédiats dans lesquels ils (se) sontenfermés depuis un certain temps.

Le médiateur est donc à la fois un observateur et unacteur, et d’égale manière. S’il est plus un spectateur qu’unacteur, il ne s’engage pas dans son travail de médiateur, ilreste en dehors des enjeux de l’entreprise ; s’il est plus unacteur qu’un spectateur, il devient partie intégrante decette entreprise. Selon l’opinion commune, le médiateurdoit rester plus un spectateur qu’un acteur, mais l’approchesystémique lui permet de ne pas rester neutre. Cette non-neutralité ne porte pas, bien évidemment, sur le fait qu’iln’a pas à prendre position pour l’un ou l’autre des protago-nistes ; elle se joue à un autre niveau. Elle signifie qu’ils’engage effectivement dans les enjeux relationnels qui sedéroulent dans l’entreprise. En effet, comment pourrait-il

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montrer, illustrer et commenter lui-même ce qu’il veutapprendre à ses interlocuteurs, s’il reste obstinément et fri-leusement en dehors du jeu relationnel stérile qu’il prétenddénoncer ? S’il n’est pas capable lui-même de s’engagerdans la mêlée, de se « mouiller », comment peut-il atten-dre de ces mêmes interlocuteurs qu’ils apprennent de nou-velles façons d’être ensemble, dans des logiquesrelationnelles constructives qui leur permettent de résou-dre leurs conflits ?

Outre cette implication dans l’action, le médiateur doitavoir un certain goût pour les paradoxes, savoir égalementêtre attentif aux multiples dimensions de la communica-tion interhumaine, ne pas se satisfaire des résultats les plusapparents ou encore savoir constamment accepter ses pro-pres limites. Tous ces éléments vont infiltrer et influencerconstamment l’ensemble de ses interventions. Ainsi, l’étatd’esprit du médiateur est particulièrement déterminantlorsqu’il est question de l’approche systémique car celle-cine se résume pas simplement à un catalogue de techniques.

Dans l’aide qu’il peut apporter à ses interlocuteurs afinde dépasser les enjeux dans lesquels ils sont pris, le média-teur doit se poser trois questions. Les réponses à ces troisquestions vont lui permettre de « tisser » son fil rouge, ellesvont déterminer l’ensemble de ses prises de position. C’està partir d’elles qu’il va être en mesure d’introduire deschangements dans la situation à laquelle il est confronté.Ces questions introduisent ce que l’on appelle en systémi-que un recadrage, c’est-à-dire qu’il est toujours question dela même situation mais qu’elle est analysée sous un anglenouveau pour prendre, dès lors, une apparence différente.Nous verrons ensuite, toujours à propos de la position du

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médiateur, ce que peuvent être les problèmes déontologi-ques qui se présentent éventuellement sur son chemin.

Le recadrage systémiqueLe recadrage systémique permet de situer le problème dansl’ensemble de la structure et non pas seulement entre lesprotagonistes immédiats de la crise. Ce recadrage va doncprendre la forme de trois questions que j’étudie ci-après.

À quoi sert l’impossibilité apparente de collaborer ?Cette première question va nous permettre de retrouver lanotion d’homéostasie. Je rappelle que tout conflit survientdans un contexte spécifique, lequel obéit à certaines règlesde fonctionnement dont la plus immédiate est la recher-che de cette homéostasie, c’est-à-dire la mise en œuvre derègles de fonctionnement qui tentent de maintenir unéquilibre, un statu quo qui éloigne la structure d’une remiseen question drastique de ses règles du jeu. Autrement dit,il s’agit de changer le moins possible pour ne pas avoir àchanger brutalement, au risque de disparaître. Bien que lechangement soit impossible à éviter, ne serait-ce que parceque l’environnement change inéluctablement, tout groupehumain a tendance à s’enfermer dans l’illusion qu’il peutêtre capable de s’adapter aux changements qu’apporte cetenvironnement, il se donne l’impression de pouvoir chan-ger tout en ne remettant rien en question. C’est ce qui faitque tout système définit pour lui-même des règlesd’homéostasie et, parmi celles-ci, la chronicisation d’unconflit, l’enkystement et le maintien d’une zone de tensionpeuvent permettre à l’ensemble d’éviter une remise en

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question radicale et insupportable. Ainsi, un conflit peutégalement être utile, c’est-à-dire qu’il peut être à la foisgénérateur de souffrance et pertinent pour l’équilibre del’ensemble du système.

À la question de savoir à quoi peut servir la non-réso-lution d’un conflit, la réponse la plus immédiate peut doncêtre : « à maintenir l’homéostasie du groupe ». Bien évi-demment, cette réponse n’est pas immédiatement utile, carelle est théorique et imprécise, éloignée de la réalité quoti-dienne. Il faut se donner les moyens d’aller plus loin dansl’intimité de cet équilibre. En effet, le non-changement etdonc le maintien de la crise sont toujours intéressants pourune personne ou pour une structure, et cette utilité se con-jugue habituellement sur la base des logiques suivantes :

• La crise rend utile une personne ou une structure. Cesont notamment les services des ressources humainesqui peuvent y trouver la justification de leur rôle dansl’entreprise. Cependant, la frontière entre utilité etincompétence peut être facilement franchie, et il estrisqué pour cette fonction de voir se prolonger unecrise qui peut s’avérer synonyme d’échec pour elle.

• Cette crise focalise l’attention du ou des dirigeants surune ou plusieurs personnes. Elle détourne donc l’atten-tion d’autres instances. Nous ne sommes pas loin alorsde la logique qui engendre les boucs émissaires.

• Elle disqualifie une personne ou une structure. Commeje l’ai déjà mentionné, directement ou indirectement,une crise peut mettre en échec telle ou telle personne.

• Elle justifie le fait qu’on puisse faire appel à un ou plu-sieurs intervenants extérieurs qui, dans leur propre

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échec, deviennent eux-mêmes les boucs émissaires dugroupe. En ce sens, tout consultant joue plus ou moinsce rôle sans en avoir toujours conscience.

Dès qu’il est en mesure de mieux identifier l’une oul’autre de ces logiques, le médiateur sait mieux d’où peu-vent venir les résistances qu’il risque de rencontrer. Mais ildevient également celui qui empêche de « tourner enrond » autour des mêmes problèmes, dans la répétition desmêmes séquences interactionnelles.

Comment font les intéressés pour ne pas collaborer efficacement ?Les réponses à la question « Comment font-ils pour ne pascollaborer ? », sont bien plus importantes que celles quicorrespondent à l’interrogation « Pourquoi ne collaborent-ils pas ensemble ? ». D’un point de vue systémique, laseconde question renvoie essentiellement, encore une fois,à l’homéostasie du système, alors que les réponses à la pre-mière ouvrent très immédiatement sur une logique de non-changement, donc de changement. Autrement dit, le« pourquoi » renvoie au passé, le « comment » s’insèredans le présent. Dans une large mesure, le passé est ledomaine de la subjectivité, donc celui de la discussion etde l’argumentation, alors que travailler sur le présent per-met de rendre plus objectives les prises de position de cha-cun. Nous sommes alors dans le hic et nunc, dans l’ici etmaintenant des interactions entre le médiateur et les diffé-rents protagonistes.

Et c’est précisément dans ces interactions que va sejouer – en bonne partie – l’avenir de cette intervention.En conséquence, ce qui va intéresser le médiateur, ce sont

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les « techniques » qui vont être employées pour tenter dele mettre en échec. Le terme technique est ici important : ilmarque le fait que le maintien de l’homéostasie met en jeudes compétences, et une compétence peut ou non êtremise en œuvre, elle peut être remise en question pour lais-ser place à d’autres capacités.

De fait, dans les premiers temps de toute médiation, lesprotagonistes « montrent » comment ils font pour ne pass’entendre, pour ne pas se comprendre. Ils montrent leurs« armes » sans en avoir pleinement conscience, ils fontétalage de leur puissance et chacun s’appuie sur le senti-ment qu’il a raison contre les autres. Il est même possiblede considérer, dans certains cas, qu’il s’agit de découragercet intervenant externe qui prétend leur apprendre à vivreensemble. Dans un second temps, les mêmes « techni-ques » vont être utilisées avec lui, bien qu’il soit manifes-tement sollicité pour résoudre les problèmes. Il ne reçoitdonc pas toute l’aide dont il a besoin, et cette mise enéchec parfois programmée peut prendre des aspects variés.Par exemple, les techniques employées peuvent être –parmi bien d’autres – les suivantes, des plus manifestes auxplus subtiles :

• Refuser de participer au travail de médiation. Il s’agitlà, bien évidemment, de la forme de résistance la plusspectaculaire, qui vise à créer un nouveau rapport deforce en le déplaçant sur l’outil choisi pour résoudre unpremier conflit. Cette fuite en avant ne fait qu’accroî-tre l’importance de la crise et risque d’aboutir à unerupture violente. Ce sont ici souvent des mécanismesde victimisation qui prévalent.

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• Ne pas respecter une partie des règles du jeu définiesdans la médiation. Il peut être très facile de ne pasaccepter certains des éléments du cadre qui structure lamédiation. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un l’un oul’autre ne tient pas compte des horaires fixés ou du lieude la réunion. Cette mauvaise volonté en revient àremettre constamment sur le tapis une négociation surle cadre du travail plutôt que sur son contenu.

• Disqualifier l’outil. Il est également très facile de mettreen échec ce type d’intervention en ne rentrant pasdans sa logique. Ce ne sont pas seulement ici les moda-lités de la négociation qui sont remises en question,mais leurs résultats. Tout se passe comme si la média-tion perdait de son sens dans le fait qu’elle n’est pasacceptée, malgré les apparences. À vrai dire, il s’agitd’un simulacre de travail qui ne peut être mené à sonterme.

• Court-circuiter l’intervention du médiateur. Il peutarriver qu’un dirigeant mette en place, sans en informerle consultant, des processus parallèles de résolution decrise. Par exemple, d’autres personnes sont sollicitées,des décisions déterminantes sont annoncées brutale-ment, comme celle d’interrompre le travail. Dans tousces cas, le médiateur est plus ou moins ouvertementdésavoué et sa présence prend l’apparence d’un alibi ; ilcomprend alors que le seul fait d’avoir fait appel à luiintéressait ses interlocuteurs et que ceux-ci n’accep-taient pas d’entrer dans la logique de changement qu’ilpouvait proposer.

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• Ne pas partager toutes les informations. Lorsqu’unepersonne pratique la rétention d’informations, elle nepartage pas avec le médiateur des éléments qui peuventêtre pertinents pour lui dans le cadre de son interven-tion. Il marche sur une seule jambe et n’a pas lesmoyens d’intervenir, encore une fois sans en avoirnécessairement conscience.

• Utiliser la disconfirmation. Dans la disconfirmation, unindividu revient sur une affirmation ou une prise deposition antérieure, il nie ce qu’il a avancé, ne recon-naît plus ce à quoi il s’est engagé. Il est pour le moinsdésagréable de subir cette dérobade, comme si plus rienn’était alors digne de confiance. Cet individu se disqua-lifie lui-même pour mieux disqualifier la relation avecl’autre, il ne se reconnaît plus lui-même comme uninterlocuteur fiable et retire à l’autre toute reconnais-sance. Il s’agit là d’une manœuvre qui déstabilise dura-blement, sinon définitivement, le terrain de discussionet remet en cause la confiance nécessaire dans tout tra-vail de ce type.

• Recourir à ce que l’on appelle en systémique la conno-tation positive, autrement dit la flatterie. Il existe biendes façons de connoter positivement un consultant. Parexemple, on peut initialement lui faire comprendrequ’il a été chaudement recommandé par un autre clientmais il s’aperçoit que ce n’est pas le cas ; il peut aussirecevoir l’assentiment massif des personnes avec les-quelles il travaille et s’apercevoir qu’en fait il n’estabsolument pas suivi dans ses prises de position. Cesconnotations positives visent à endormir sa vigilance,

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elles cherchent à l’anesthésier et à le rendre dès lorsmoins incisif dans ses prises de position. Le médiateuréprouve alors trop facilement le sentiment d’arriver en« terrain conquis » et peut penser, un certain temps,qu’il est au summum de sa pertinence et qu’il est mani-festement l’homme de la situation.

Ce sont là des manœuvres, des techniques donc, quivisent à mettre en échec le processus de changement etnon pas la personne du médiateur en tant que telle, mêmesi le consultant peut parfois éprouver certaines difficultés àprendre ce recul nécessaire.

Comment le médiateur peut-il être « utilisé » pour permettre la prolongation du conflit ?La stratégie de non-changement la plus efficace, c’est-à-dire celle qui assure au mieux l’homéostasie du système,consiste à inclure dans le système la personne qui présentea priori la menace la plus immédiate. Le médiateur est alorsnon seulement mis en échec, mais il participe lui-même àcet échec en étant en quelque sorte « internalisé » dansl’entreprise.

Cette dimension de la logique homéostasique des systè-mes pose, bien évidemment, la question des médiateursinternes dans l’entreprise. Ainsi, d’un point de vue systé-mique, ces derniers sont particulièrement fragilisés par leurstatut, ils sont par conséquent plus facilement « manipula-bles » qu’un intervenant externe8. Peu ou prou, ils entrentdans la logique hiérarchique de l’entreprise à laquelle ilsappartiennent, c’est-à-dire dans des rapports de force tou-

8. La même question se pose d’ailleurs pour les coachs internes.

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jours déterminants pour leur carrière dans la structure.Ainsi, ces rapports de force risquent de les distraire dans laconduite de leur intervention. Même s’ils sont considéréscomme des fonctionnels « purs » qui interviennent dansde l’opérationnel « pur », ils ne peuvent totalement échap-per aux règles homéostasiques de l’ensemble de l’organisa-tion. Les médiateurs internes restent soumis à des lois quiles dépassent, ils dépendent toujours d’un responsable quilui-même dépend d’un autre responsable, et ainsi de suitejusqu’aux niveaux les plus élevés de l’entreprise. C’est sur-tout dans la maîtrise du cadre de leur intervention, telleque je vais la définir plus avant, qu’ils éprouveront le plusde difficultés à mettre en place leur intervention. Nousverrons l’importance de cette étape.

Bien évidemment, les médiateurs n’ont pas toujoursimmédiatement conscience de se faire inclure dans lesrègles de non-changement de l’entreprise. Nous sommes icidans le domaine de la manipulation et leurs interlocuteursn’ont pas eux-mêmes toujours l’intention consciente departiciper à cette manœuvre et de l’organiser. C’est la logi-que du système dans lequel ils se trouvent qui les amène àagir de cette manière. Ces stratégies peuvent rester long-temps cachées et n’apparaître que très tardivement dans letravail du médiateur. En voici les principales :

• « Détourner » le médiateur. Le médiateur est inclusdans une alliance sans en avoir immédiatementconnaissance. Les non-dits, voire les secrets, renforcentcette mise en place. Les manœuvres qui peuvent êtreemployées sont habituellement le reflet de la natureperverse9 des relations qui définissent les liens dansl’entreprise. Le fait de placer et d’enfermer obstinément

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le médiateur dans un jeu d’alliances qui lui est étranger,en cherchant à lui faire prendre parti pour les unscontre les autres, bien évidemment sans qu’il l’accepteou sans qu’il en ait l’intention et la volonté, le rendfacilement inopérant. Il se trouve ainsi piégé, pieds etpoings liés, dans un scénario dont il ne peut dès lorsprévoir la suite.

• Amener insensiblement le médiateur à prendre parti. Ilsort alors de sa neutralité, mais c’est une sortie qu’il nechoisit pas, il n’en détermine pas le contexte ni surtoutles conséquences, d’où l’intérêt de choisir soi-même lesconditions de son « interventionnisme » et de sonimplication dans la structure. Il subit un mécanisme,souvent faute de l’avoir « organisé » lui-même.D’autres techniques que la mise en alliance « sauvage »existent pour amener le médiateur à prendre parti pourl’un ou l’autre des protagonistes. Par exemple, le fait deproposer au médiateur de prolonger son interventionbien au-delà des termes du contrat initial peut l’entraî-ner à prendre des positions qui lui étaient étrangères aumoment de son analyse première de la situation. Demême, la poursuite et la mise en place d’un consensusqui ne s’appuie que sur la stratégie du gagnant-gagnantrisquent d’aboutir, là encore, plus à une solution provi-soire qu’à un véritable changement. Au terme d’unmarathon plus ou moins épuisant à mesure que se pro-longe l’intervention, chacun peut se montrer satisfait,en ayant le sentiment que la médiation a fait prévaloir

9. Au sens où l’on peut parler de « perversion » chaque fois qu’unobjet ou une personne sont détournés de leur fonction.

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sa propre vision de la situation, mais il s’agit là d’uneimpression qui résiste mal au temps. Plus ou moinsrapidement, le conflit peut resurgir, cette fois-ci avecune acuité redoublée, lorsque la frustration domine denouveau.

• Fidéliser le médiateur. Lorsqu’un médiateur accepted’intervenir plusieurs fois dans une même entreprise,surtout lorsqu’il est invité à mettre en œuvre les mêmesoutils ou la même approche, il perd progressivement saliberté d’action, il abandonne petit à petit une partiede son champ d’intervention. Il a alors tendance à uti-liser les mêmes recettes, les mêmes schémas d’analyse,en ayant le sentiment que ses procédures vont se mon-trer efficaces à chacune de ses interventions. Le consul-tant pense connaître une entreprise qui, en réalité, esten constant mouvement. Nous retombons ici dans laquestion de l’« internalisation » de l’intervenantexterne, et cette fois-ci le mécanisme est en quelquesorte « rampant ». Les conséquences viennent d’en êtredécrites. Cette interdépendance se construit insensi-blement et peut s’expliquer par des raisons qui sontd’une certaine manière étrangères à l’outil lui-même,notamment sur un plan commercial.

Dans toutes ces situations où nous relevons l’utilisationde techniques par les interlocuteurs du médiateur, celui-cin’apporte plus de plus-value en termes de changement caril participe lui-même à des logiques homéostasiques qui ledépassent et il n’est plus en mesure de les analyser. Ildevient bien plus un acteur qu’un spectateur. Cela montre,encore une fois, que ce sont les clients eux-mêmes qui sont

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les plus actifs dans la remise en question de l’action desprofessionnels qu’ils sollicitent.

Les problèmes déontologiques du médiateurUne règle ou une position déontologique est une limitequ’une profession détermine pour elle-même dans sa pra-tique, face à ce qui lui semble être une remise en questioninacceptable de ses valeurs éthiques. Une des libertés dumédiateur est donc de refuser d’intervenir là où ces posi-tions déontologiques lui semblent être remises en ques-tion. Dans la plupart des cas, ce sentiment resteparfaitement subjectif et s’affine avec l’expérience,comme dans toutes les professions. Ces règles déontologi-ques relèvent donc en partie de l’appréciation de chacun,d’autant plus que l’activité de consultant et de conseiln’est pas réglementée comme peut l’être celle de médecinou d’avocat10. Quatre situations me semblent devoirmobiliser une réflexion sur la déontologie du médiateur.

L’inadéquation de l’outil avec le problème tel qu’il est présentéIl peut arriver qu’un médiateur, sollicité pour intervenirdans une situation donnée, ait à refuser le mandat qu’onlui propose. S’il estime qu’il existe une inadéquation mani-feste entre le problème et l’outil, il se doit de ne pas s’enga-ger plus avant dans la mise en place de cet outil. Ce nesont pas nécessairement des considérations éthiques, au

10. Cependant, les principales associations de coachs et de médiateursont fort opportunément défini des règles déontologiques.

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sens le plus noble du terme, qui le déterminent alors mais,plus simplement, le fait que son travail n’apporterait pasune plus-value suffisante eu égard au problème posé ouqu’il répondrait à une demande qui ne correspond pas àson champ d’action. Ainsi, le rôle du consultant consisteégalement à évaluer la pertinence de chaque technique,cela signifie aussi qu’il doit être en mesure d’offrir à sesclients une large palette d’outils afin de répondre à leurdémarche. Il peut ainsi être amené à les réorienter vers unautre type d’intervention.

Chaque outil a ses propres limites, et chacun d’entreeux y trouve les frontières qui le différencient des autres.Ainsi, une médiation ne peut pas correspondre, par exem-ple, à un travail de cohésion d’équipe, à un team building ouencore à un bilan de compétences. C’est ici qu’intervientl’importance du travail sur la demande tel que je l’ai définiau chapitre précédent. Nous avons vu que cette premièreétape vise précisément à « déblayer » le terrain et à éclair-cir le flou qui accompagne certaines sollicitations auprès deconsultants.

Les phénomènes de mode sont généralement assezdommageables en ce qu’ils amènent des clients, plutôt malinformés, à recourir trop systématiquement à des outils qui,sous prétexte qu’ils sont en vogue, sont supposés endosserdes situations qui les dépassent ou qui ne correspondentpas aux objectifs qu’ils sont capables d’atteindre. À l’évi-dence, c’est ce qui se produit pour le coaching, et la média-tion est soumise au même risque.

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La question du harcèlementQu’il s’agisse d’un harcèlement de nature psychologique,physique ou sexuel, dans la mesure où ces distinctions peu-vent être facilement faites, le médiateur qui en identifiel’existence dans les premiers temps, et a fortiori au cours deson intervention, se trouve de nouveau confronté à unelimite de sa pratique. En effet, le législateur a lui-mêmedéfini un cadre auquel tout professionnel a l’obligation dese soumettre : le harcèlement est un problème avant toutlégal et non pas seulement professionnel. Ainsi, lorsqu’ilprend connaissance de tels faits, et que ces faits lui sem-blent raisonnablement avérés sans qu’il ait besoin de semettre dans le rôle d’un inspecteur de police, le médiateurne peut accepter de gérer des éléments qui le dépassent etqui l’empêcheraient d’être effectivement pertinent tout aulong de son intervention.

Cela signifie qu’il ne peut être là pour résoudre, d’unemanière quelconque, un problème de harcèlement ; celacorrespondrait plutôt à un « arrangement » qu’à une priseen compte effective de la situation. Il ne peut accepterd’en atténuer les effets ou de participer, même indirecte-ment, à des négociations, même avec l’accord des intéres-sés. Le médiateur doit renvoyer cette information à qui dedroit, c’est-à-dire aux instances légales, dans l’entreprise ouparfois en dehors de l’entreprise, avec la pleine collabora-tion de la personne qui est victime de ce harcèlement.C’est d’ailleurs là que se situe fréquemment le problème dumédiateur.

Soit la ou les victimes répugnent elles-mêmes à seplaindre ou à faire en sorte que la question devienne publi-

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que, soit les faits ne sont pas suffisamment avérés pour jus-tifier, vus de l’intérieur de la structure, une suite judiciaire.Dans le premier cas, des considérations hiérarchiques outout simplement le fait de ne pas prendre le risque d’unlicenciement, ce qui est parfaitement compréhensible,aboutissent à une autocensure des intéressés. Dans lesecond cas, notamment vis-à-vis de ce qui peut être consi-déré comme un harcèlement moral, la subtilité des moyensemployés pour déstabiliser un employé brouille la situationet ne permet pas toujours de se forger une idée précise dece qui se joue entre la personne et son entourage profes-sionnel. Encore une fois, dans toute la mesure du possible,c’est la loi qui doit prévaloir, puisqu’elle existe. Le média-teur est d’abord un citoyen avant d’être un professionnel.En tout état de cause, chaque situation est spécifique et ilne peut être question de définir une règle générale endehors de ces quelques considérations.

La gestion des rumeurs, des secrets et des non-ditsLes situations où interviennent des rumeurs, des secrets etdes non-dits sont également délicates car nous sommes ici,très immédiatement, de nouveau dans le domaine desmanipulations et des prises de position émotionnelles.Certaines distinctions doivent cependant être introduitesà propos des problèmes que ces trois éléments posent aumédiateur.

Les rumeurs courent de telle manière qu’il est souventimpossible d’en définir l’origine, a fortiori d’en identifier lesauteurs et souvent d’en connaître l’ampleur. Il s’agit doncd’une « arme » qu’il est difficile d’évaluer, car elle a tou-jours un rôle, elle vise un objectif même si elle se construit

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et se développe de manière désordonnée et spontanée.Dans une situation de médiation, cet objectif consistegénéralement à disqualifier l’outil ou le médiateur en tantque personne ; il s’agit parfois de mettre en échec paravance certains de ses choix ou certaines de ses prises deposition. Dans la grande majorité des cas, chaque fois quecela est possible, il est souvent préférable d’ignorer lesrumeurs. En effet, chacun sait que les dénoncer ou simple-ment en parler revient à leur donner de l’importance, etmême parfois à en accréditer plus ou moins directement lecontenu. En vertu du vieil adage selon lequel « il n’y a pasde fumée sans feu », même les commenter, c’est déjà parti-ciper à leur propagation. Dans certaines situations, danscertaines entreprises – celles dans lesquelles ce sont mani-festement les rumeurs qui ont pris le pouvoir en tant quevecteur privilégié de transmission des informations –,lorsqu’il s’avère impossible d’imposer une vision moins« destructrice » de la communication, le consultant peutêtre amené à refuser de s’engager plus avant dans un travailoù il n’est pas en mesure de trouver sa place. Il a besoin,comme tout un chacun, d’être respecté pour intervenirefficacement, il a besoin de pouvoir « bénéficier » d’un cli-mat de confiance qui lui permette d’éviter d’être constam-ment sur la défensive, auquel cas il n’est d’aucune utilitépour son client.

Les secrets posent un problème plus délicat. Par défini-tion, un secret dont on ignore l’existence n’a aucun effet,il ne pose aucun problème puisqu’il ne « circule » pas etque personne ne peut y être soumis. Un « vrai » secret estune information dont une personne prend connaissancesans pour autant être supposée la connaître ; générale-

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ment, cette même information va être propagée de lamême manière, auprès d’autres personnes : « Je vous disceci, mais faites comme si vous ne saviez pas ! » Effective-ment, la plupart des secrets sont des « secrets de polichi-nelle » soit parce que l’imagination, en l’espèce, est assezpauvre, soit parce que le contexte dans lequel se propageune information qualifiée de secrète lui donne un contenuqu’il est facile de deviner. Dans tous les cas, ce partageenferme le « détenteur » dans un paradoxe selon lequel ilest supposé savoir tout en ne sachant pas, ou encore ne passavoir tout en sachant. Autrement dit, l’esprit se trouveparalysé entre deux positions radicalement opposées. Nonseulement l’information indûment partagée provoque ceteffet, mais elle s’accompagne d’une alliance implicite avecla personne qui la donne, ce qui exacerbe le sentimentd’impuissance. Il s’agit donc là d’un moyen très efficacepour rendre inopérant un consultant.

La suite dépend, bien évidemment, de la teneur decette information, de sa proximité avec les enjeuxde l’intervention du médiateur et de l’identité de la per-sonne qui la transmet. D’une manière générale, chaque foisque cela est possible, un secret ne doit pas être gardé :l’information qu’il contient doit pouvoir dès lors se propa-ger « à l’air libre », en toute transparence. Pour cela, larègle générale, que confirment encore une fois certainesexceptions, s’articule en deux temps. Le médiateur doitd’abord avertir la personne qui a partagé avec lui ce secretdu fait que la forme de cette information ne pourra pas res-ter « en l’état », c’est-à-dire qu’il ne pourra pas faire« comme s’il ne savait rien ». Il lui importe ensuite detrouver la bonne personne, le bon interlocuteur, pour la

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partager sans « dénoncer » nécessairement l’origine decette information. Il est ici important de ne pas oublier –j’y reviendrai plus longuement –, que le premier client duconsultant est l’entreprise, et non pas tel ou tel membre dupersonnel. S’il accepte, sans la dénoncer, l’alliance que luipropose une personne, à partir d’un secret partagé, lemédiateur « trahit » ce premier client en servant dès lorsdes intérêts personnels au détriment de ceux qui concer-nent l’ensemble du groupe.

Les non-dits correspondent à des informations qui nesont pas immédiatement partagées avec le médiateur,l’exact inverse du secret « par omission » : ce qui peut êtreimportant n’est pas révélé, ce qui peut être utile n’est pasdonné. Les non-dits restreignent l’action du consultant, ilspermettent de ne pas lui donner les moyens de son action,soit par oubli dans les meilleurs des cas, soit pour lui rendrela tâche plus difficile, soit encore pour garder un pouvoirsur tout ou partie de son intervention. S’accorder le droitde « ne pas dire », c’est monnayer l’information, lui don-ner un statut privilégié et en faire un enjeu particulier.Même si l’une des tâches du médiateur consiste à allerchercher l’information et qu’il sait qu’il s’agit là d’uneoccasion d’exercer un pouvoir, il doit pouvoir faire autrechose que rester dans la méfiance, passer son temps à véri-fier ce qu’on lui dit ou encore se demander où sont les piè-ges qui lui sont tendus.

On voit ainsi que le fait de partager ou non une infor-mation correspond à une arme relationnelle ; il s’agit defermer ou d’ouvrir l’accès à tel ou tel fait pour définir sonpropre territoire, pour le défendre ou pour constituer desalliances. Les rumeurs, les secrets et les non-dits accompa-

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gnent donc « naturellement » le médiateur, ne serait-ceque parce qu’une situation de crise les rend inévitables :ces « techniques » nourrissent les conflits et les perpétuentdans le temps. Il est donc « normal » que le médiateur ensubisse les conséquences, mais il doit pouvoir compter surla relative collaboration de ses interlocuteurs. Si ce n’estpas le cas, le professionnel peut estimer qu’il se trouverejeté aux limites déontologiques de sa pratique et il doit sesentir libre d’en tirer toutes les conséquences.

Un changement important au cours de l’intervention du médiateurDans certains cas, au cours de son intervention, le média-teur peut voir évoluer d’une manière significative et déter-minante son contexte de travail. Le cadre initial, celuidans lequel a pu être défini son contrat, devient par consé-quent obsolète. Le médiateur peut alors être placé devantune alternative difficile : soit renégocier les conditions deson intervention, soit y mettre fin d’une façon unilatérale.Dans l’un et l’autre cas, le professionnel peut opposer unelimite déontologique à la poursuite de son travail car ilpeut avoir le sentiment de ne pas être en mesure d’attein-dre les objectifs qui lui ont été fixés initialement.

À l’évidence, dans une situation de crise, par essencedifficile et conflictuelle, les passages à l’acte ne sont pasrares et peuvent se faire sans qu’aucune information ne leslaisse présager et sans que le médiateur en soit préalable-ment informé. Ainsi, par exemple, une décision détermi-nante peut être prise et annoncée sans avoir été discutée,des éléments nouveaux peuvent être introduits dans lanégociation, ou encore certaines personnes peuvent pren-

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dre l’initiative d’intervenir « en parallèle » dans le proces-sus en cours. Dans tous ces cas, la disqualification dumédiateur peut être soit intentionnelle, soit relever de sapropre sensibilité et des expériences du même type qu’il adéjà vécues. Toutes ces situations remettent en questionson rôle et parfois même son existence dans l’entreprise. Ilse trouve alors dans l’impossibilité de se servir des outilsqu’il possède, soit par manque d’informations, soit du faitd’une mise en rivalité qui peut lui sembler déloyale, soitencore parce que des objectifs nouveaux et souvent nonnégociés viennent s’imposer. Dans ces conditions, il estalors préférable pour le consultant de quitter le terrain, carc’est en cela qu’il est un véritable professionnel.

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vant de passer en revue les différents outils dont lemédiateur va pouvoir se servir, il me paraît impor-tant de préciser qu’il est d’abord lui-même son pre-

mier instrument de travail. Nous retrouvons làl’implication dans l’immédiateté des interactions surlaquelle j’ai déjà insisté.

Nous verrons que le médiateur dispose de nombreuxoutils, qu’il va employer en fonction de ses goûts, de sonexpérience et de son style. Il n’y a donc pas une seule façond’intervenir face à une situation donnée, une seulemanière d’utiliser les instruments qui vont être maintenantdécrits. Mais avant d’entrer dans le détail de ces techni-ques, il me faut d’abord « évacuer », sous un éclairage sys-témique, la question incontournable de ce qu’est unconsensus.

La question du consensusLa notion de consensus est effectivement liée à toute situa-tion de médiation. Il paraît établi que le but du médiateurest d’amener chacun des deux protagonistes, afin de

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dénouer une situation de crise, à « lâcher » une partie deses revendications ou de ce qu’il estime être ses droits.Dans ce compromis se construit le consensus. De fait, cedernier risque d’être d’abord vécu comme une frustration,une frustration réciproque et donc commune. Vu sous cetangle, tout consensus n’aménage pas une sortie suffisam-ment « solide » au conflit et celui-ci risque de réapparaîtreplus ou moins rapidement. Cette première appréhensiondes objectifs de la médiation peut être traduite par le faitque chacun se trouve dans l’obligation d’abandonner quel-que chose dans une logique du perdant-perdant. Il s’agitdonc d’aller au-delà du consensus.

À cette représentation – en quelque sorte trop négative– est venue se substituer la notion de gagnant-gagnant.Dans une négociation bien menée, chacun devrait pouvoirtrouver ce qu’il n’avait pas auparavant, chacun devraitaccéder à une nouvelle « richesse » soigneusement, cachéejusque-là au fond des méandres de la complexité de toutesituation. Dans une atmosphère baignée par le New Agequi impose l’ardente obligation de « positiver » et de neconsidérer les choses que sous leur aspect heuristique,l’idée qu’il devait être facile de gagner immédiatement etfacilement est devenue une évidence.

Or, ces deux représentations ne rendent compte quetrès imparfaitement de la complexité d’une situation demédiation. Il faudrait pouvoir affirmer que chacun devraità la fois perdre et gagner. D’un point de vue systémique,l’enjeu de toute négociation ne se situe pas au niveau où ilse présente, autrement dit les protagonistes perdent néces-sairement sur la première définition de la discussion etpourtant ils peuvent gagner, mais en passant à un autre

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étage de la construction. Le but du médiateur est d’amenerles personnes sur des enjeux qu’ils ne soupçonnent pasnécessairement lorsqu’ils entrent en négociation ; il endéplace ainsi constamment les objectifs.

C’est dans le fait que tous les protagonistes sont obligésde perdre de vue leurs enjeux immédiats, ceux auxquels ilsont pris l’habitude de se cramponner, qu’ils se rapprochentles uns des autres. Dans ce rapprochement, ils peuventapprendre à définir ensemble de nouveaux buts. D’unemanière théorique, cette logique se déploie autour d’unesuccession de triangulations11 qui mettent chacune enrelation les deux interlocuteurs avec des objectifs succes-sifs, soit dans la confluence, soit dans la divergence. Lemédiateur organise ces différentes étapes, dans l’alternancedes frustrations et des collaborations. Il s’engage lui-mêmedans ces triangulations en permettant, par exemple, auxdeux parties de se rapprocher dans une alliance dont il estla « victime », facilitant ainsi un nouvel accord. Seloncette perspective, il s’agit de perdre à un niveau pourgagner à un autre.

Ainsi, le consensus est lui-même soumis à une dynami-que constructive qui ne s’arrête pas avec l’intervention duconsultant. Puisque chacun est à la fois perdant etgagnant, cela signifie que se met en place une logiquede négociation qui efface en bonne partie la nécessité derecourir à des crises pour affirmer ses propres prérogatives.

11. Cette notion sera plus longuement décrite dans la suite de ce cha-pitre.

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Rester, à tout moment, maître du contexteLe médiateur travaille d’abord avec une situation, ensuiteavec l’ensemble des relations qui ordonnent cette situa-tion, et seulement en troisième lieu avec les personnes quiinteragissent entre elles pour constituer ces relations. Voilàl’ordre hiérarchique de ses interlocuteurs et cette logiquelui commande de rester avant tout maître du contextedans lequel il intervient. Bien évidemment, sa maîtrise nepeut être totale, elle est plus ou moins limitée selon les cas.Il se trouve cependant dans l’impérieuse nécessité de savoir– au mieux – où il va et, en conséquence, pour revenir àune notion dont j’ai déjà souligné l’importance, il a besoinde se donner les moyens d’identifier les logiques homéosta-siques auxquelles il se trouve confronté. Quels sont alors,plus précisément, les points sur lesquels il doit porter sonattention ?

Prendre des initiatives et les garderL’ensemble des techniques que le médiateur va mettre enœuvre pour garder la maîtrise du contexte doit lui permet-tre, autant que possible, de rester maître des initiatives parrapport au processus qu’il met en place. Il ne s’agit pas,pour lui, de prendre et de garder le « pouvoir pour le pou-voir ». Ce n’est pas une question de lutte d’influence entredes personnes mais, pour le médiateur, l’occasion de mon-trer son professionnalisme. C’est bien parce que les intéres-sés eux-mêmes ne sont pas les meilleurs garants duchangement que le consultant doit prendre cette fonctionet cette responsabilité. Il va se donner les moyens des’accaparer ce pouvoir parce qu’il est extérieur au système,

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parce qu’il peut avoir une lecture qui englobe l’ensemblede la situation, surtout dans sa dimension paradoxale,parce qu’enfin il n’est qu’un prestataire de service éminem-ment volatil dans la structure.

C’est donc une logique de changement qu’il sert, d’unecertaine façon malgré les personnes qui sont immédiate-ment impliquées dans la situation. Il les contourne, plus oumoins manifestement, afin d’introduire de nouvelles don-nées tout en répondant à la demande officielle de ceux quile mandatent. Dans toute négociation, c’est d’abord etavant tout la personne qui est capable de prendre le plusfacilement et le plus rapidement des initiatives qui aug-mente ses chances de voir son analyse s’imposer. Le média-teur négocie donc avec des négociateurs, il part del’hypothèse que ces derniers ont besoin d’apprendre soit ànégocier autrement, soit à modifier leur appréhension de lasituation. Pour y parvenir, il doit lui-même se montrercapable de conduire l’ensemble des interactions. C’est ceque nous allons considérer maintenant.

Clarifier constamment les différents contextesQu’est-ce qu’un contexte ? Un contexte est une situationspécifique elle-même définie par un moment et une durée,un lieu spécifique, des interlocuteurs particuliers dont lesmandats sont manifestement cohérents les uns avec lesautres, et enfin un ou plusieurs objectifs précis et claire-ment énoncés. Cette situation, ainsi déterminée, ne peutêtre confondue avec une autre, dans la mesure où chacunde ses éléments constitutifs fait l’objet au mieux d’unaccord préalable, au pire d’un consensus évident. Si l’un deces éléments tombe dans le flou, c’est l’ensemble de la

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situation qui perd de sa spécificité. De plus, celui ou cellequi parvient à introduire ce flou – encore une fois mêmepar rapport à un seul élément –, se donne le pouvoir soitd’introduire un autre contexte, soit d’en mélanger plu-sieurs. Ainsi défini, il peut paraître évident que, dans denombreux cas, un contexte n’est jamais « pur ». Simple-ment, ce qui est déjà beaucoup, il est de loin préférabled’identifier et d’anticiper ces dérives plutôt que d’enméconnaître ou d’en subir les conséquences. Je prendrai icideux exemples que chacun a pu connaître.

Il est fréquent que des informations importantes soient« partagées », à l’initiative de l’un ou l’autre des interlocu-teurs, après qu’une réunion s’est terminée, lorsque les diffé-rents protagonistes se serrent la main en se quittant. Ils’agit là d’une « manœuvre » banale qui cependant bous-cule une convention habituellement admise : ce qui estdéterminant se partage dans l’espace de la négociation,c’est-à-dire dans les limites d’un contexte et non pas dansses marges, là où s’installent des disparités qui peuvent êtredommageables pour l’objectif de cette réunion. En ce cas,les moyens de la discussion, c’est-à-dire les informationsqui la nourrissent, sont inégalement répartis et il peut enrésulter une mise en échec de cette discussion. De même,lorsque des éléments professionnels sont abordés au coursd’un repas, il est manifeste que se mêlent deux contextesbien différents. A priori, un repas répond à la nécessité dese nourrir. De plus, comme il s’agit d’un service rendu parun tiers, en l’occurrence le restaurateur, la question finan-cière intervient également : celui qui règle la note metl’autre en dette. Cette dette, même et surtout de manièreimplicite, peut produire ses effets sur le plan professionnel.

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Ici, le lieu ne correspond pas à un contexte de travail et lesobjectifs d’un repas sont manifestement associés avec ceuxqui relèvent d’une activité professionnelle. Il n’échappe àpersonne que cette confusion des contextes est banale etlargement acceptée, mais elle risque d’aboutir à des prisesde position qui résultent davantage de la manipulation quedu professionnalisme de l’un ou l’autre des interlocuteurs.

Bien évidemment, le médiateur ne peut prétendre res-ter maître de l’ensemble des contextes qui se juxtaposentet coexistent dans une même entreprise. Sa « durée devie » dans la structure est très courte. De ce point de vue,son ambition peut uniquement s’appliquer à ce qui leconcerne directement, c’est-à-dire le contexte de sonintervention et, partant, les différentes articulations de sapropre trajectoire dans l’entreprise. C’est à la fois beaucoupet peu. À ce propos, il me semble important d’insister icisur la question de l’identité des différents « clients » dumédiateur. Ils sont en effet plusieurs.

Le premier de ses clients est l’entreprise, c’est-à-direl’entité sociale qui le rémunère. Son deuxième client est lapersonne, ou la structure, qui a pris contact avec lui pourlui demander d’intervenir. Le troisième client est la ou lesrelations qui posent problème, c’est-à-dire ce qui se joueentre les différents protagonistes. Lorsque cette hiérarchie,qui définit l’ordre de ses priorités, reste claire dans la têtede l’intervenant, il est capable d’éviter bien des désagré-ments, bien des déboires. En effet, tout bouleversementdans cette hiérarchie entraîne un mélange de contextesqui risque de lui faire perdre toute initiative dans la pour-suite de ses objectifs.

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L’idée que l’entreprise est le premier client du média-teur paraît évidente. Cependant, cette position peut êtredifficile à tenir car, par définition, l’entreprise ne parle pas,elle ne se défend pas ; ses intérêts se trouvent à laconfluence de multiples lignes de forces qui sont loin d’êtretoutes apparentes. Il s’agit d’une entité sociale qui appar-tient, en même temps, à tout le monde et à personne.C’est, en quelque sorte, une fiction. En réalité, affirmer quel’entreprise est la première cliente du consultant corres-pond avant tout à une prise de position déontologique.Assez fréquemment, le fait de s’en tenir à cette position vamettre le médiateur en difficulté avec certains des mem-bres de l’entreprise qui défendent leurs propres intérêtsavant ceux de l’entité qui les emploie. Une variante decette position consiste à considérer que les actionnairesde l’entreprise – lorsqu’ils existent – pourraient se préva-loir de cette prérogative. Tout dépend alors de leurs rôleseffectifs dans le contrôle de la gestion de l’entreprise. Iln’en reste pas moins que c’est d’abord et avant tout lesintérêts de l’entité sociale qui le rémunère que le média-teur défend.

L’antériorité de son premier interlocuteur doit égale-ment être prise en compte. Elle est importante mais pasnécessairement déterminante. Dans la plupart des cas,cette antériorité correspond à un rôle fonctionnel au seinde la structure. Il arrive cependant que ce soit le responsa-ble lui-même qui fasse appel au consultant : dans ce cas, ilest évident qu’une confusion peut s’installer entre les inté-rêts de la structure et ceux de son responsable12. Dans tousles cas, ce premier interlocuteur reste une référence àlaquelle il peut être important de revenir ; ici, le profes-

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sionnalisme du médiateur réside dans le droit qu’il sedonne de définir les conditions de son recours à cet inter-locuteur.

Enfin, pour ce qui concerne le dernier client, l’idéequ’une relation conflictuelle puisse avoir ce statut permetau consultant d’échapper à une trop grande « personnalisa-tion » de son intervention, c’est-à-dire au fait que le ou lesindividus en question puissent eux-mêmes penser que ceprofessionnel est d’abord et avant tout à leur service, ce quin’est pas le cas. C’est avec une relation que le médiateur vatravailler, avec des outils relationnels qu’il va tenter defaire évoluer la crise ou le conflit. Il est donc logique deconsidérer que l’« objet » de son intervention et les instru-ments qu’il va employer sont de même nature, tout entenant compte que bien d’autres dimensions participent àce processus.

Être capable, à chaque instant, de gérer le « où » et le « quand » des négociationsPlus avant dans son intervention, l’un des principauxenjeux, pour le médiateur, est de définir le « où » et le« quand » des rencontres qu’il va avoir avec les uns ou lesautres. Ces éléments peuvent paraître symboliques oumême anecdotiques, mais ils sont omniprésents dans tou-tes les situations de crise car chacun tente de retrouver desréférences qui le confortent dans ses propres prises de posi-tion. L’art du médiateur est de savoir également « manipu-

12. Cette confusion est particulièrement évidente dans le cas desentreprises familiales.

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ler » cette dimension symbolique ; il ne fait en cela quesuivre les tendances et les désirs de chacun.

Le lieu où se déroule une rencontre n’est manifeste-ment pas neutre. D’ailleurs, aucun lieu ne relève totale-ment de la neutralité compte tenu du fait qu’il ne s’agit pasd’une localisation uniquement dans l’espace, mais égale-ment dans le temps. Ainsi, une histoire et des souvenirspeuvent être attachés à chaque territoire, bien souvent demanière cachée et secrète. Certaines personnes dévelop-pent des croyances, plus ou moins proches de la supersti-tion, à propos de ce qu’elles ont déjà vécu dans un endroitspécifique. De même, le choix de tel ou tel lieu peut sefaire en fonction d’une logique d’alliances qui peut avoirdes conséquences sur le devenir de la négociation. Pourtout cela, il est préférable que le ou les lieux soient nou-veaux pour les protagonistes. Ils sont alors, au moins enpartie, libérés de tout a priori et le médiateur peut ici exer-cer ses choix pour faire en sorte de rester maître ducontexte « spatial » dans lequel les négociations vont êtreconduites sous sa responsabilité. Ils sont alors effective-ment neutres, c’est-à-dire exempts de toute connotation,positive ou négative.

Dans une situation de crise, les différents protagonistessont eux-mêmes extrêmement attachés à la question dutemps et donc à la gestion de la durée. Ce sont là desenjeux très importants. Chacun a tendance à « jouer lamontre », soit en espérant ainsi mieux identifier le bonmoment pour telle ou telle prise de position, soit en espé-rant que cela donnera le temps de la réflexion à lui-mêmeou aux autres, soit encore en anticipant qu’un élémentnouveau est susceptible d’intervenir dans la négociation.

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De même, il arrive fréquemment que chacun considère quec’est l’autre qui doit faire le premier pas ou « lâcher » –voire « craquer » – sur un point spécifique : il est hors dequestion de donner le sentiment de lâcher prise avantl’« adversaire ». Chaque phase de la crise est alors reliée àla surveillance très attentive du calendrier et même del’horloge. Dans cette course pour la lenteur, parfois ponc-tuée d’accélérations brutales, chacun évite donc de perdrela face. À l’évidence, cette stratégie – parfaitement symé-trique entre les protagonistes – ne fait que renforcer lemaintien de la crise et aboutit à une escalade dans le res-sentiment, l’incompréhension et souvent la colère.

Lorsqu’il est amené à intervenir, le médiateur se trouvesouvent confronté à une situation d’urgence. Cetteurgence n’est jamais satisfaisante ; elle est parfois incon-tournable, mais réserve facilement de mauvaises surprises.L’urgence correspond à une exacerbation émotionnelle etdonc à une grande instabilité de la situation : le médiateurrisque d’en subir lui-même les conséquences car il peutalors se faire rejeter très rapidement par les uns ou lesautres. Par conséquent, lorsque cela est possible, il nel’accepte pas, et sa première attitude consiste à temporiser,c’est-à-dire – selon une expression facilement employée –à « donner du temps au temps ». Son rôle consiste ainsi,dans un premier temps, à dédramatiser la situation afind’ouvrir de nouvelles perspectives qui ne soient pas uni-quement définies par le calendrier. D’autres considérationspeuvent alors être introduites et ouvrir la négociation surdes dimensions jusque-là inexplorées.

En se rendant « maître des lieux » et « maître dutemps », le médiateur prend lui-même possession des deux

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terrains sur lequel les protagonistes tentent d’exercer leurpropre emprise. Ces derniers se détournent ainsi souventdu contenu même de leur désaccord et s’attachent bienplus au « décor » de leurs contacts qu’aux enjeux qui lesdivisent. Ces désaccords, qui peuvent se prolonger trèslongtemps, permettent de n’en rester qu’aux apparences.Cependant, de part et d’autre, cette « obstination » obéit àune règle bien établie qui stipule que la personne qui tientle cadre d’une négociation pèse d’un plus grand poids queson adversaire sur l’issue de leur discussion. Et c’est bienparce qu’il est lui-même parfaitement imprégné de cetterègle que le médiateur doit prendre le pouvoir sur cecadre ; il permet ainsi plus facilement aux protagonistes dela crise de se focaliser sur ce qui les divise plutôt que sur lesconditions matérielles de leur négociation. Tout se passecomme s’il existait entre eux un accord secret aux termesduquel s’attacher aux apparences permet de ne pas aborderle principal. Nous voyons encore ici dans les conséquencesdes processus homéostasiques qui régissent toutes les situa-tions de crise.

Gérer attentivement le « comment » des négociationsOutre le « où » et le « quand », le « comment » est égale-ment important. Il s’agit des moyens que le médiateur vautiliser, à la fois pour prendre contact avec les différentsprotagonistes de la crise et les faire se rencontrer. Il s’agitdonc de l’ensemble du processus de construction de lamédiation pour tout ce qui concerne les conditions quivont présider aux contacts entre, d’une part, le médiateuret les protagonistes et, d’autre part, les protagonistes eux-mêmes. À ce stade, il n’est pas encore question du contenu

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de la négociation qui, dans la plupart des cas, ne relève pasprimordialement de la compétence du médiateur lui-même.

Selon les situations, le médiateur prendra d’abord con-tact avec une partie ou avec l’ensemble des acteurs13, dansd’autres cas il s’effacera pour privilégier les autres liens. Lemédiateur doit se donner les moyens de choisir quelles per-sonnes seront impliquées dans telle ou telle rencontre àchaque étape du processus de médiation. En quelque sorte,il doit distribuer les rôles et décider du moment où chaquepersonne va entrer en scène. Pour être pertinente, cette« mise en scène » doit obéir à quatre règles bien précises.

La première règle est qu’il faut toujours respecter la hié-rarchie, a fortiori lorsque celle-ci se disqualifie elle-même ;la deuxième est qu’il est préférable d’aller du plus simple auplus complexe plutôt que l’inverse ; la troisième règle sti-pule qu’il existe un lien inversement proportionnel entrele nombre d’informations que possède un individu et sacapacité d’agir et donc d’être « intelligent » ; enfin, la qua-trième règle attire l’attention sur le fait qu’il faut se garder,en tant qu’intervenant extérieur, de renforcer les mécanis-mes qui ont prévalu dans l’émergence de la crise.

13. Il me semble important de préciser que, toujours dans une appro-che systémique, l’audit n’est pas le meilleur moyen d’établir cesliens, loin de là. Si les audits sont très intéressants pour les consul-tants, essentiellement en termes commerciaux, ils le sont beau-coup moins en ce qui concerne une logique de changement. Ils nefont que multiplier la masse des informations que le consultantpeut alors facilement accumuler ; nous verrons un peu plus loinque cela est parfaitement « contre-productif » dans la mise enplace d’une stratégie pertinente.

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Plusieurs raisons font que le médiateur se doit de tou-jours respecter la structure hiérarchique des entreprisesdans lesquelles il intervient. En premier lieu, c’est biensouvent à l’initiative de cette hiérarchie qu’il doit sa pré-sence : comme je l’ai déjà mentionné, elle est un de sesclients. De plus, les structures professionnelles ne peuventexister dans le flou, en l’occurrence sans reconnaître desdifférences dans les compétences de chacun pour mieux lesmettre en complémentarité. Ensuite, laisser de côté la logi-que hiérarchique, c’est prendre le risque de la disqualifier,c’est-à-dire, souvent, de renforcer une des causes de lacrise. Enfin, le mandat du médiateur ne consiste pas à« toucher » à l’organisation de l’entreprise, mais à interve-nir dans une situation qui relève d’une certaine formed’organisation. Il est éventuellement possible qu’on luidemande ensuite son avis sur ce qui pourrait être modifiédans cette organisation actuelle, mais cela dépasse alors lecadre de son travail de médiation. Autrement dit, lemédiateur doit respecter la configuration de l’entreprisetelle qu’elle existe le jour de son arrivée et il ne serait pascorrect qu’il outrepasse cette limite.

Il est tentant, pour un professionnel, d’avoir une atti-tude qui consiste à vouloir simplifier les situations dans les-quelles il intervient. Concrètement, cela donne parexemple de « grandes messes » où tous les acteurs de lacrise sont rassemblés. L’idée est de « mettre tout lemonde » dans une même salle pour observer ce que celadonne. Le but plus ou moins avoué de ces réunions généra-les est de parvenir à mettre en évidence une plate-formed’accords minimaux. Malheureusement, ces grandes céré-monies aboutissent souvent à une exacerbation des frustra-

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tions et des désaccords, car plus les membres d’un groupeont l’occasion de revendiquer ouvertement et publique-ment des demandes et des désirs, moins ils accepteront deles lâcher ultérieurement. Pour un intervenant, c’est faireainsi preuve d’une grande naïveté que de croire que sonrôle consiste à simplifier les situations auxquelles il seconfronte. Bien au contraire, il est préférable de partir dusimple pour aller vers le complexe. Autrement dit, il fautsavoir décider à quel type de complexité on va se confron-ter plutôt que de subir celle que les autres savent parfaite-ment bien organiser eux-mêmes, surtout lorsqu’ils sesentent en danger. Tout se passe comme si chaque individuvoulait rester jalousement le seul gardien de son propre ter-ritoire, même si son organisation peut paraître incompré-hensible et impénétrable pour les autres. N’importe quipeut constater qu’il faut déployer des efforts considérablespour simplifier une situation, alors qu’il est beaucoup plusfacile de la complexifier. Là aussi, le médiateur doit pou-voir garder l’initiative et organiser lui-même la complexitéà laquelle il se confronte ; cela peut lui éviter le décourage-ment et la « noyade » dans un flot d’informations qu’il neparviendrait pas à canaliser.

En effet, plus un professionnel se perd dans les détails àpropos d’une situation, plus il prend le risque d’être inopé-rant. Encore une fois, le surcroît d’informations l’enfermedans une complexité qu’il peut mal maîtriser, d’autant plusque la majorité de ces informations ne seront pas utiles à laconduite de son intervention. Une information n’est paspertinente tout simplement parce qu’elle n’a aucun lienavec les origines, le développement ou la résolution éven-tuelle de la crise, ou parce qu’elle a manifestement un

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caractère anecdotique, ou encore parce qu’elle correspond,comme je l’ai déjà indiqué, à un secret.

De fait, un grand nombre d’informations conduit leprofessionnel à « construire » des hypothèses qui devien-nent monstrueuses s’il se met dans l’obligation de rassem-bler des éléments qui peuvent relever de logiquescontradictoires ou opposées. Il est difficile de traduire dansle concret des hypothèses monstrueuses. Celles-ci « des-cendent » difficilement sur le terrain, elles restent abstrai-tes et trop « intellectuelles » et, surtout, elles sontillusoires en termes de changement. Ainsi, plus le nombred’informations que recueille un médiateur est important,moins il se trouvera en mesure de transformer cet ensembleen quelque chose de pertinent pour son client. Il fautsavoir élaborer avec peu d’éléments et se limiter à l’essen-tiel, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu plus tôt, à ce quirelève du travail avec la demande. Il s’agit moins d’accu-muler le maximum d’informations que d’identifier, aussirapidement que possible, où se trouvent les bonnes. Dansla logique systémique, une bonne information est celle quiéclaire les stratégies homéostasiques du système, celle quipermet de mieux identifier les « techniques » qu’emploietelle personne pour mieux assurer le non-changement.

De la même façon qu’il faut apprendre à se méfier d’unsurcroît d’informations, il faut également savoir prendre dela distance avec les personnes qui sont manifestement prê-tes à en donner plus que de raison, à en partager plus qued’utile ; tous ces éléments ainsi livrés indistinctementvalorisent davantage ceux qui les divulguent que le travaildu médiateur. Il s’agit là d’une excellente « technique »pour paralyser l’intervenant. Ce n’est pas nécessairement

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l’intention de ces personnes mais, en l’occurrence, les plusgrands pourvoyeurs d’informations ne sont pas lesmeilleurs alliés du médiateur. Dans une logique systémi-que, ce ne sont pas les informations en tant que telles quiintéressent le médiateur, mais tout ce qui se joue entre lesindividus, entre les personnes.

J’ai passé en revue, dans le premier chapitre, les princi-paux ressorts explicatifs de la plupart des crises. Nousavons vu que, dans la répétition de certaines séquencesrelationnelles, des situations de souffrance peuvent pren-dre naissance et se renforcer. Il importe que le médiateurpuisse « diagnostiquer » le plus rapidement possible l’exis-tence et l’importance de ces mécanismes dans une situa-tion donnée afin d’éviter de les reproduire lui-même avectout ou partie des protagonistes. Ainsi, par exemple, s’il setrouve confronté à une situation où les mécanismes dereconnaissance font gravement défaut et s’il n’est pas lui-même spécialement attentif à cette dimension de la rela-tion, il donnera rapidement le sentiment de ne pas com-prendre la souffrance de ceux avec lesquels il travaille etsera même vécu comme quelqu’un qui exacerbe cette souf-france. De même, si le médiateur œuvre dans une entre-prise qui a connu de nombreux bouleversements dans sonhistoire récente – comme le départ d’un dirigeant charis-matique et le rachat par la concurrence –, et s’il n’est passuffisamment attentif à toutes les dimensions d’un travailde deuil, il risque de ne pas appréhender l’essentiel desenjeux relationnels qui prévalent alors dans cette entre-prise, même s’ils ne sont pas toujours clairement énoncés.Ces dimensions de la relation sont immédiatement perçuesà l’intérieur de la structure car elles sont synonymes de

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souffrance, et le médiateur est instantanément jugé sur sacapacité à comprendre ce qui dysfonctionne entre les per-sonnes et à adapter son propre comportement à ce dysfonc-tionnement. Nous voyons là encore l’importance desrésultats du travail avec la demande et la nécessité d’iden-tifier, aussi rapidement que possible, ce qu’est la « petitemusique » de la structure.

C’est donc en respectant la hiérarchie et les personnes,notamment dans ce qui a pu provoquer leurs souffrances, enprogressant du simple au complexe et en se limitant àl’essentiel en termes d’informations que le médiateur vaconstruire son intervention. Il va organiser ses rencontres enfonction de ces lignes de conduite, même et surtout si cen’est pas nécessairement ce qui lui est proposé ou indiqué.

Introduire des nuancesCertaines situations de crise se présentent – ou sont présen-tées – souvent de façon simple, voire caricaturale. Elles serésument alors à la confrontation, plus ou moins frontale,entre un bon et un méchant, entre une personne compé-tente et une autre qui ne l’est pas, entre ceux qui posent pro-blème et ceux qui cherchent l’apaisement et tentent derésoudre la crise. Ces contextes semblent simples et, de partet d’autre, il est fréquent d’entendre des discours parfaite-ment manichéens du type : « J’ai raison, les autres onttort ! ». Tous les cas de figure se rencontrent, mais l’issuesemble toujours évidente : le médiateur est invité à donnerraison à ceux qui ont raison et tort à ceux qui ont tort. Ilarrive cependant que la situation paraisse plus complexe :une accumulation de faits ancienne et indéchiffrable, un

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historique laborieux et chaotique, ainsi que des récitscontradictoires viennent facilement obscurcir l’esprit duconsultant et le rendent complètement impuissant. Dansces deux types de situations extrêmes, l’une est trop simple,l’autre trop complexe.

En tous les cas, le médiateur doit être en mesure d’allerau-delà de ce qu’on lui présente, bien au-delà d’une simpleconfrontation duelle ou, à l’inverse, d’une situation totale-ment inextricable. Son chemin sera celui de la complexité,mais – j’ai déjà insisté sur ce point – d’une complexité qu’ildécidera lui-même et dont il conduira l’installation, ledéveloppement et la résolution. C’est grâce à sa lecture dela situation qu’il peut apporter des alternatives. Nousavons vu que l’analyse que permet l’approche systémiquemultiplie le nombre des acteurs qui interviennent dans laconstruction et le maintien d’une situation, a fortiori unesituation de souffrance. Qu’ils soient proches ou lointains,qu’ils agissent directement ou indirectement, ces acteursparticipent à l’homéostasie du système, c’est-à-dire à unniveau de complexité qu’ils ne perçoivent pas eux-mêmes,alors qu’ils y participent immanquablement.

Les nuances sont la traduction la plus immédiate decette complexité et c’est par elles que le médiateur vaprendre en main la dimension « explicative » de son inter-vention. Afin d’introduire ces nuances, le médiateur vautiliser des techniques bien spécifiques.

Recadrer les faits et les situationsNous avons déjà rencontré cette notion de recadrage. Jerappelle que dans le recadrage un même fait, une mêmesituation, sont abordés ou décrits d’une manière nouvelle

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et souvent paradoxale. Il s’agit de réinventer la réalité enlui donnant une tonalité qu’elle n’avait pas jusque-là.Lorsqu’un recadrage est bien conduit, il amène ceux qu’ilconcerne à réévaluer, de manière souvent significative,leur propre appréhension de la réalité. Autrement dit, cequ’ils vivent est comme avant, tout en étant différent ; ilsexpérimentent immédiatement une situation paradoxaleau sens où ils se trouvent à la rencontre de deux vérités, dedeux analyses incompatibles entre elles. Cette situation esttout autant fascinante que déstabilisante. Le recadrage doitdonc être utilisé avec prudence et retenue ; il doit servir àenrichir la discussion et non à l’obscurcir.

Dans son travail de médiation, le consultant peut avoirfacilement l’occasion de recadrer telle ou telle prise deposition ou tel ou tel fait, s’il en perçoit la dimension para-doxale notamment en termes de changement. En effet,nombreuses sont les prises de position ou les faits qui peu-vent être décrits de la façon suivante : « Je change, mais jene touche à rien ! », ou encore : « Je fais tout pour que lasituation évolue mais il est hors de question que je cède surquoi que ce soit ! ».

Faire émerger des alternativesLes alternatives découlent généralement des recadragesque je viens de mentionner. Elles en constituent la dimen-sion concrète et objective et sont d’autant plus pertinentesqu’elles sont proposées par les intéressés et non pas « sim-plement » par le consultant. En ce cas, bien évidemment,ils y adhèrent bien plus facilement que lorsqu’il s’agitd’avoir à accepter la vision d’une autre personne. C’est encela qu’il importe que ces alternatives « émergent » d’elles-

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mêmes ; il est de loin préférable qu’elles deviennent évi-dentes sans avoir à être « forcées » ou encore moins impo-sées par le médiateur. Les recadrages que peut faire cedernier préparent cette émergence, ils en constituent lapremière étape en modifiant l’appréhension que chacunpeut avoir de la situation.

Ces alternatives peuvent concerner l’un ou l’autre desdivers aspects de la négociation, aussi bien sur sa forme quesur son contenu. Elles impliquent donc plus ou moins lesprotagonistes du conflit, d’abord de manière lointaine,avant de les amener à changer radicalement leur positionsur tel ou tel point de leur négociation.

Par exemple, dans un conflit social, chacun de son côté– aussi bien le syndicat majoritaire que la direction – peutfaire d’un point précis le prérequis sur lequel l’autre doit« céder » avant que toute autre discussion puisse être envi-sagée. Ainsi, le syndicat exige la réintégration d’unemployé sanctionné alors que la direction attend d’abord,de son côté, la levée du piquet de grève placé à l’entrée del’usine. Le temps peut être long avant qu’une avancée aitlieu si l’une et l’autre partie restent bloquées sur ces prére-quis. Face à un tel blocage, le médiateur peut faire en sortede laisser volontairement « pourrir la situation » jusqu’à ceque les deux parties se mettent « paradoxalement »d’accord pour porter leur divergence sur un autre point.C’est sur cette nouvelle divergence que peuvent alors por-ter les négociations, cette fois-ci avec de meilleures chan-ces d’accord. Ainsi les protagonistes, à condition qu’ils serendent compte qu’ils s’enferrent dans une impasse, touten étant dans l’impossibilité de lâcher prise de peur de per-dre la face, portent leur conflit sur un nouveau point.

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Immanquablement, ce dernier a de bien meilleures chan-ces de connaître une issue positive dans la mesure où cha-cun est également conscient qu’une porte de sortie doitêtre trouvée. L’essentiel du rôle du médiateur est d’amenerles uns et les autres à obéir à cette logique en s’engageanteux-mêmes sur ce nouveau terrain de discussion, là où leprofessionnel pourra effectivement les aider.

Il est évident que la manière de poser une questionappelle un certain type de réponse. Cela restreint le champde manœuvre de la personne qui doit prendre position,mais il s’agit là d’une des bases de la communication. Tousles enfants savent qu’il y a une bonne façon de demanderune autre part de gâteau de manière à effectivement l’obte-nir. Au cours d’une négociation, le médiateur peut doncêtre amené à poser la même question sous des angles diffé-rents, avec des énoncés différents ou dans des contextesdifférents. De cette manière il multiplie les ouvertures etles points de vue, il introduit des alternatives et met enévidence d’autres façons de considérer une même situa-tion. Par exemple, lorsqu’il s’agit de faire des propositions,ce qui correspond à une phase banale dans un processus denégociation, le médiateur va d’emblée introduire des alter-natives nouvelles à partir des propositions que peuventavancer une personne ou un groupe d’individus.

AnticiperEn fait, tout un chacun se trouve constamment dans l’anti-cipation, nous avons facilement tendance à l’oublier. Letemps et la durée sont toujours présents, sans que cela soitmanifeste. Chacun ne fait que prévoir les conséquences, àmoyen et long terme, de ses propres prises de position et de

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celles des autres. En même temps que chacun anticipe, il atendance à faire valoir ce qui se joue dans le court terme.Cette stratégie permet de ne pas dévoiler sa vision de l’ave-nir. Ainsi, l’anticipation est facilement niée tout en étantprésente, et c’est l’immédiat qui est donné en pâture àl’adversaire pour le détourner – ou tenter de le détourner –des véritables enjeux qui doivent rester cachés.

Le médiateur doit constamment garder à l’esprit le jeuque chacun peut entretenir avec les implications futures dela négociation pour lui-même et pour l’autre. Il doit pou-voir situer, pour les uns comme pour les autres, les consé-quences de cette négociation sur l’ensemble de la flèche dutemps. Cela ne signifie pas que son rôle consiste à dévoilerl’ensemble de ces enjeux, mais il doit être en mesure d’entenir compte et de les utiliser sans toujours avoir à lesénoncer – ou à les dénoncer – ouvertement. C’est unebonne façon pour lui d’intégrer le temps et la durée dansson intervention en exploitant, de sa propre initiative, ceque chacun peut mettre dans l’avenir. Ainsi, les nuancesque peut apporter le médiateur ne concernent pas unique-ment la forme et le contenu d’une négociation mais égale-ment toutes les projections qui peuvent en être faites dansle futur.

Utiliser des techniques dans la communicationAu-delà de la maîtrise du contexte, le médiateur va mettreen œuvre des techniques qui pourront, pour chacuned’entre elles, prendre une importance différente selon lescas et qui concernent des enjeux communicationnels.C’est alors, dans l’extrême précision des techniques, que

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peut se jouer l’avenir d’une négociation. Il s’agit bien detechniques, c’est-à-dire d’un ensemble de prises de positionqui s’acquièrent par l’étude et l’expérience. En ce sens, unbon médiateur ne peut qu’être également un bon commu-nicateur. Je présente ci-après quelques-unes unes de cestechniques.

Observer attentivement le comportement non verbal des différents protagonistesOn oppose habituellement le langage verbal (ou digital)au langage non verbal (ou analogique). Cette oppositionest tout à fait artificielle car ces deux formes de communi-cation sont en fin de compte étroitement mêlées. Cepen-dant, comme toute notre éducation nous amène à penserque la communication interhumaine se fonde essentielle-ment – sinon exclusivement – sur le langage verbal, noussommes tentés de négliger la seconde forme de communi-cation. En effet, cette éducation privilégie la transmissiondes informations verbales et écrites : c’est donc par cemême type d’informations que l’on évalue ce que l’onnomme l’intelligence. Le silence paraît même synonymed’absence de communication, alors qu’il est manifestementchargé de sens. Voici les principales caractéristiques de cequ’on appelle le langage non verbal, lorsqu’on le sépare arti-ficiellement du langage digital :

• Il s’agit d’un savoir que chacun possède et qu’il acquiertau cours de son enfance, notamment grâce au jeu. Sim-plement, nous ne sommes pas conscients d’utiliser, àchaque instant, cette somme de connaissance : c’est unsavoir caché dont l’usage est effectivement spontané.

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• Ce que l’on appelle l’intuition trouve en grande partiesa source – avec l’expérience – dans ce savoir. Le termeintuition provient d’ailleurs du latin intueri qui signifie« observer attentivement ». C’est ainsi que cette obser-vation nous en apprend bien plus que ce que nous pou-vons comprendre dans la communication verbale.

• Le non-verbal, dans le cours de l’interaction, précèdesouvent le verbal. La plupart des gestes illustrent laparole, mais ils l’illustrent dans l’anticipation, commesi le corps mettait bien plus rapidement en scène ce queles mots peuvent transmettre. De ce point de vue, il esttout aussi important d’observer que d’écouter.

• Nous montrons bien plus que nous ne parlons. Dans ce« plus », il y a tout autant un aspect quantitatif quequalitatif. En effet, les informations non verbales quechacun peut communiquer sont bien plus nombreusesque les mots qu’il peut prononcer. De même, la ges-tuelle est dite analogique car non seulement le geste estprésent ou absent, mais il se situe en outre dans unelarge gamme d’amplitude. De nombreuses étudesdémontrent d’ailleurs un déséquilibre considérableentre ces deux formes de communication du point devue de la richesse des informations émises.

• Le décryptage des éléments non verbaux ne sert pas àidentifier des preuves mais révèle des indices qu’il fautsavoir utiliser. Un geste ne démontre rien, il ne fait quedésigner une piste, une orientation qui doit être explo-rée. Ainsi, lorsqu’une personne énonce : « Je vais vousdire ce que j’en pense ! », en mettant sa main devant sabouche, cela ne signifie pas qu’elle ne va pas dire la

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vérité, mais cela peut être compris comme le faitqu’elle hésite entre plusieurs positions, cela constituealors l’indice d’une ambiguïté. Face à cette attitude, ilpeut être pertinent de dire à cette personne : « Il estprobablement difficile pour vous d’y voir clair en cemoment. » Cette proposition va vraisemblablement luipermettre d’énoncer plus clairement cette ambiguïtéet, surtout, lui donner le sentiment qu’elle est comprisemême dans son ambiguïté !

• Chaque élément non verbal est à prendre en considéra-tion en fonction de trois ordres de facteurs : indivi-duels, contextuels et culturels. Cela signifie quel’analyse d’un geste doit tenir compte des habitudes dechaque individu, de la situation immédiate dans lequelse trouve cet individu et, enfin, de sa culture et de laculture, si elle est différente, de la personne qui conduitcette analyse. Le lien entre un geste et sa compréhen-sion n’est jamais linéaire, il doit être établi dans la rela-tivité qu’imposent ces trois ordres de faits. Nous noustrouvons dans le domaine de la complexité, là oùl’observateur lui-même n’échappe pas à la subjectivitéque lui imposent ses propres habitudes et sa propre cul-ture. Toute classification des gestes, tout ce qui se pré-sente comme une espèce de dictionnaire est doncdénué de fondement et même dangereux car cetteapproche donne à penser qu’il suffit d’établir un lienunivoque entre un geste et son interprétation, entreune position corporelle et la réalité de ce que ressent oupense la personne.

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Deux techniques permettent d’acquérir rapidement descompétences nouvelles, et souvent déterminantes, à partirde l’utilisation du langage non verbal. La première estmaintenant facilement disponible, souple et faciled’emploi : il s’agit de la vidéo. Nous sommes loin de lalourdeur des premiers magnétoscopes et les progrès techni-ques, notamment la digitalisation des images, permettentde tirer rapidement profit de la dimension analogique desinteractions. Aussi bien dans un contexte didactique quedans le travail quotidien, la vidéo est un outil très enrichis-sant. Sa banalisation actuelle fait qu’il est devenu faciled’en proposer l’usage à la plupart des clients et nous nesommes plus à l’époque où la méfiance, voire la crainte, enrestreignait la diffusion. L’usage de la vidéo pose un seulproblème : le temps nécessaire à l’exploitation des imagesne peut être réduit. Il faut savoir passer de très nombreusesheures devant un écran pour apprendre à débusquer cor-rectement les multiples informations qui d’ordinaire sontperçues « inconsciemment », et ne sont donc pas nécessai-rement exploitées. Ces heures-là constituent un excellentinvestissement ; elles seront amplement récupérées carelles permettent d’affiner les interventions qui seront faitesultérieurement. Bien évidemment, tout le matériel ainsirecueilli reste couvert par le secret professionnel et il s’agitde se donner les moyens d’en protéger la diffusion auprèsd’autres personnes.

L’usage du second outil revient, en quelque sorte, àdevenir soi-même une caméra vidéo : il s’agit en effet deprendre l’habitude de ne pas fixer du regard la personne quiparle et d’observer attentivement les autres interlocuteurs.Ce n’est pas une habitude facile à prendre, car elle contre-

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vient aux règles habituelles de la politesse et il est tentantde se mettre à la place de celui qui est ainsi « lâché ». Maisle médiateur est un professionnel, il est en droit d’exploiterdes techniques même si elles l’éloignent manifestement dece qui peut se passer dans un salon avec des amis. Lesenjeux ne sont évidemment pas les mêmes, les circonstan-ces sont différentes et chaque profession développe ses pro-pres outils. Les interlocuteurs du consultant acceptentd’ailleurs rapidement cette nouvelle « règle du jeu » ; cha-cun, à tour de rôle, en comprend notamment les implica-tions puisqu’il reste « observé » aussi longtemps que lesautres. Je n’ai jamais entendu un quelconque client enfaire le reproche à un professionnel qui démontre ainsi,précisément, qu’il est un professionnel !

D’une manière générale, la position corporelle est à lafois le reflet, par définition interne, d’un état émotionnelqui n’est pas toujours apparent, et son changement est leprérequis nécessaire avant l’accession à une nouvelle prisede position. Autrement dit, un individu aura beaucoupplus de facilité à changer d’avis sur tel ou tel point d’unediscussion s’il adopte d’abord un autre contexte corporel.Tout se passe comme si un lien dynamique reliait constam-ment le corps et l’esprit : il est illusoire de vouloir les sépa-rer et dommageable de travailler sans utiliser cetteinteraction. C’est avec les individus dans leur globalitéqu’il faut apprendre à communiquer.

Ainsi, l’art du médiateur peut consister à chercher àobtenir, d’une personne avec laquelle il discute, un chan-gement corporel significatif avant de prétendre pouvoiraccéder à d’autres évolutions. C’est la raison pour laquelleil a besoin, comme je l’ai signalé précédemment, de gérer

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l’espace dans lequel il intervient, de manière à exploitercette dimension de la négociation.

Prenons maintenant quelques exemples. Au coursd’une négociation entre deux personnes, l’une fait une pro-position. La seconde la refuse verbalement, mais son non-verbal peut montrer qu’elle hésite, même un court instant.C’est cette hésitation, que l’individu ignore avoir montrée,dont le médiateur va se servir plus ou moins rapidement,plus ou moins directement, en énonçant par exemple :« Peut-être avez-vous encore besoin de réfléchir ? », ouencore : « Il est possible que vous ayez besoin d’autres élé-ments avant de vous prononcer ? ». Il est probable que lapersonne va se sentir comprise par le médiateur, et va doncmieux accepter ses interventions ou même sa présence.Même si cette « compréhension » ne provient que d’unbon usage du langage non verbal, elle peut être très utiledans une négociation.

Dans un autre cas, lorsque deux personnes qui sont enconflit adoptent, à un moment bien précis, la même posi-tion corporelle, cela peut signifier qu’elles sont en accordsur un élément de la discussion sans être en mesure de lereconnaître « officiellement », c’est-à-dire verbalement. Ils’agit cependant d’un élément dont le médiateur peut tirerparti en insistant, par exemple, dans les discussions qu’ilmène, sur le ou les éléments de la négociation qui peuventcorrespondre à cet accord analogique.

Enfin, dans une négociation, la position relative desinterlocuteurs les uns par rapport aux autres est très impor-tante, car ces positions permettent plus ou moins facile-ment de « surveiller » le ou les autres protagonistes. Cettesurveillance, essentiellement visuelle, permet de recueillir

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les réactions de chacun et d’anticiper ses prises de position.La personne qui est le mieux à même d’exercer ce contrôlea une longueur d’avance sur les autres. Il importe donc,pour le médiateur, là encore, de rester maître de ce quin’est pas loin d’être une véritable chorégraphie – dans ladistribution, dans l’espace – de ces rôles.

Analyser les situations en termes de triangulationToute situation peut être lue comme étant le déploiement,parfaitement plat, d’un ensemble de triangulations. Autre-ment dit, au-delà de toutes les conventions hiérarchiques,au-delà de tous les discours officiels, les liens entre les per-sonnes correspondent également à un ensemble de trian-gles dont chacun des sommets est occupé par un individu,une notion ou un projet. Ici, dans ce jeu des alliances, tousles individus ont en quelque sorte la même valeur, ils occu-pent des places équivalentes : c’est la raison pour laquellej’utilise l’image d’un déploiement parfaitement « plat »,qui ne montre aucune aspérité, aucune inégalité.

En effet, les relations humaines ne peuvent se résumerà la confrontation de deux personnes, car ces deux person-nes médiatisent toujours leurs relations autour d’un troi-sième terme. En ce sens, le médiateur n’est lui-même qu’unnouveau terme dans des triangulations qui existent déjà.Autrement dit, dans une relation, nous ne sommes jamaissimplement deux, mais trois. Encore me faut-il préciser queces « trois » se déclinent comme la confrontation de« deux et un ». Ainsi, dans ce triangle s’instaure unealliance entre deux termes face au troisième et cettealliance peut être changeante et instable. À des momentsdifférents, selon les circonstances, un même individu peut

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être soit en alliance avec un autre, soit lui-même l’objetd’une coalition des deux autres contre lui.

Dans une situation de crise et de conflit, par définition,ces alliances sont soit obstinément figées soit, au contraire,manifestement instables. Il arrive que cette crise rigidifie lechamp relationnel ou qu’elle soit le symptôme de la répéti-tion de la même instabilité. Mais il y a toujours une souf-france et c’est cette souffrance qui motive la demande demédiation.

Dans le premier cas, chacun reste sur ses positions, cequi est le propre d’un conflit qui s’enlise et se rigidifie. Maischacun se fige dans une même opposition parce que lecontexte relationnel assure lui-même cette « rigidifica-tion ». Par exemple, à l’entour des deux personnes qui sonten conflit, des alliances solidement et anciennement liéesparalysent les issues du conflit. C’est ainsi tout un « blocrelationnel » qui peut assurer la perpétuation du problème,de manière plus ou moins active, plus ou moins intention-nelle. En ce cas, la stratégie du médiateur peut consister àidentifier, dans un premier temps, tout ce réseau d’alliancesavant de les modifier, de les rendre inopérantes ou de lescasser l’une après l’autre. Le médiateur part d’abord de lapériphérie de la crise pour en aborder ensuite, progressive-ment, le cœur. À l’évidence, il est parfaitement vain des’attaquer d’emblée au plus « chaud » de la crise, ce qui neferait que renforcer l’ensemble des alliances périphériquesen les rendant encore plus « efficaces ». L’une des difficul-tés pour le médiateur est que la plupart de ces alliancespeuvent être cachées : il n’en perçoit donc pas facilementles tenants et les aboutissants. Il est même susceptible decheminer longtemps sur un terrain semé d’embûches où ses

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prises de position peuvent l’amener à commettre des mala-dresses.

Dans le second cas, l’instabilité des alliances perpétuece même conflit selon un certain nombre de configurationsqui se répètent immanquablement avec le temps. Ce nesont plus les mêmes alliances qui se retrouvent et se figent,mais le jeu des alliances qui est incessant. En l’occurrence,le consultant pourra avoir comme stratégie d’amener cesalliances à se manifester plus clairement car il est toujoursplus facile d’intervenir sur un terrain stable et bien connu.Il aura ainsi la possibilité de les « travailler » selon la pre-mière configuration.

Le jeu des alliances caractérise donc la forme du conflitet son devenir. Ici, tout est possible, même et surtout lesalliances « contre-nature ». Par exemple, il est parfaite-ment possible d’imaginer que les prises de position d’unsyndicat servent dans les faits des instances auxquelles ellesont le sentiment de s’opposer14.

Mettre en place des alliances et des coalitions tournantesLa mise en place de ces alliances et de ces coalitions cons-titue le stade pratique de la lecture des situations en termesde triangulation. C’est donc le médiateur qui va se donnerles moyens de décider, autant que possible, ce que serontces alliances. Comme pour ce que nous avons vu des situa-tions complexes, il est de loin préférable d’organiser ce jeu

14. De même, dans une famille, un des deux parents peut rechercherune alliance avec un ou plusieurs enfants du couple « contre »l’autre parent, surtout s’il est question de délinquance.

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plutôt que d’avoir à en subir les conséquences. La maîtrisedu contexte passe également, d’un point de vue communi-cationnel, par la maîtrise des alliances, par leur anticipa-tion et donc surtout par leur « utilisation ».

La non-neutralité du médiateur signifie qu’il va lui-même s’inclure dans ce jeu des alliances : il s’agit d’organi-ser cette implication plutôt que d’avoir à la constater ou àla subir. Il est évident que ce type de travail peut être con-sidéré comme relevant de la manipulation. Mais le média-teur se trouve face à des situations dans lesquelles il est lui-même constamment manipulé, d’une manière ou d’uneautre, directement ou indirectement. Il ne faut pas se voi-ler la face et s’installer dans une position de censeur quicache souvent une grande hypocrisie : toute communica-tion est manipulatoire. Le problème de la manipulation neréside pas dans son existence – elle est toujours présente –mais dans le ou les objectifs de ceux qui y ont recours.Dans ce jeu des alliances, le médiateur va faire en sorte quela négociation progresse, il va pouvoir ainsi mieux intro-duire de nouvelles alternatives, de nouvelles configura-tions ou les recadrages que j’ai déjà mentionnés.

La coalition, qui correspond à l’alliance de deux person-nes ou de deux entités contre une troisième, marque unstade plus offensif de la « simple » alliance. Elle manifesteouvertement un désaccord et se joue sur tel ou tel point dela négociation. Les coalitions doivent pouvoir être égale-ment mises en place par le médiateur. Encore une fois, ilest préférable d’organiser plutôt que d’avoir à subir, mêmes’il s’agit de manœuvres apparemment négatives.

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Utiliser le questionnement circulairePrenons un conflit entre deux personnes dont un tiers estle témoin. Si ce témoin se donne la peine de ne plus tenterde comprendre pourquoi ces deux individus sont enconflit, mais plutôt comment ils font pour rester en désac-cord, sa vision sera totalement transformée. En allant plusloin, si ce même observateur demande à chacun des deuxprotagonistes d’identifier comment l’autre fait pour entre-tenir ce même désaccord, chacun verra plus facilement soninterlocuteur comme quelqu’un qui développe des compé-tences bien particulières que comme un adversaire ou unennemi. C’est sur cet ensemble de constatations ques’appuie la technique du questionnement circulaire.

Celle-ci consiste à s’adresser à une personne en luiposant des questions qui concernent les liens et les rela-tions de deux autres personnes, dont l’une au moins estprésente. Cette manière de conduire un entretien est ditecirculaire pour deux raisons. La première est qu’il ne s’agitpas de demander directement à un individu ce qu’il penselui-même de tel fait ou de telle prise de position, maisd’amener un tiers à prendre lui-même position sur les rela-tions de deux autres personnes. La seconde raison résidedans le fait que cette même façon de procéder est alterna-tivement employée avec tous ceux qui sont présents etimpliqués dans la même interaction.

Par exemple, devant trois interlocuteurs A, B, et C, laquestion adressée à B peut être celle-ci : « D’après vous,quelle a été la réaction de A lorsque C a partagé avec luitelle ou telle information ? » Ce même type de question vaensuite être posé aux deux autres personnes – si elles sont

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présentes – de manière à ce que chacun soit impliquédirectement et indirectement dans le recueil d’informa-tions. Ici, chaque mot est important, car cet énoncé neporte pas sur ce que telle personne « pense » d’une situa-tion, mais plutôt sur la vision qu’elle a de la façon aveclaquelle l’un et/ou l’autre agissent dans un contexte donné.Alors qu’il est toujours facile de contester ce qu’une per-sonne « pense », c’est-à-dire une prise de position subjec-tive, il est bien plus difficile de discuter un acte ou ungeste, parce qu’ils sont manifestes et, dans une largemesure, irréfutables.

Il est parfaitement normal que le recours au question-nement circulaire surprenne ceux à qui il s’adresse, carchacun se sent plus à l’aise dans l’appréhension linéaired’une situation que dans une indirectivité15 qu’il maîtrisemal et dont il ne perçoit pas nécessairement les implica-tions. En d’autres mots, chacun préfère dire « directe-ment » ce qu’il pense plutôt que d’avoir à entendrel’analyse d’une autre personne sur ses propres faits et ges-tes, notamment dans leurs dimensions relationnelles, quisont toujours plus intimes que la « simple » description. Deplus, il est illusoire de considérer que tout un chacun diteffectivement ce qu’il pense, même et surtout lorsqu’ill’annonce !

Il s’agit donc là d’une forme assez inhabituelle deconduite d’entretien car elle n’est pas avant tout centréesur le recueil d’information, mais sur la mise en évidence

15. L’indirectivité, par opposition à la directivité, désigne le fait d’uti-liser une technique qui ne semble pas, pour la personne à qui elles’adresse, rechercher immédiatement un résultat spécifique.

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des modes relationnels entre des individus présents. Cetoutil se révèle très intéressant et efficace dans un travail demédiation. En premier lieu, le questionnement circulairepermet à chaque interlocuteur de montrer son intérêt pourles autres. Souvent, celui ou ceux dont les réactions sontrapportées observent attentivement la personne qui lesdécrit. Ensuite, cette technique met clairement l’accentsur ce qui se joue entre les protagonistes bien plus que surce qu’ils se disent, comme si l’acte était bien plus enga-geant que la parole. Enfin, dans la mesure où chacunrépond facilement aux questions posées, les différentsacteurs d’un conflit montrent qu’ils se connaissent parfai-tement et qu’ils sont en mesure de prévoir et d’anticiper lesréactions de leurs « adversaires ». Ce n’est donc pas l’igno-rance de l’autre qui perpétue les conflits mais, tout àl’inverse, sa parfaite connaissance, de même que ce n’estpas l’incompréhension qui domine mais la constante anti-cipation des prises de position de l’autre.En réalité, chacun privilégie, à partir de ce qu’il observedans son environnement, les informations qui le confortentdans ses croyances et donc dans ses attentes. Nous avonsgénéralement tendance à rechercher la confluence plutôtque la divergence, la confirmation plutôt que la remise enquestion. Notre cerveau tend à construire une appréhensioncohérente de la réalité selon ses propres points de référence.En conséquence, dans un conflit, chacun va voir chez l’autrece qui l’intéresse de façon à pouvoir continuer à penser quece dernier est responsable de la crise, et que c’est donc cetautre qui doit en premier lieu changer pour la résoudre.L’utilisation du questionnement circulaire met en évidencecette logique tout en la dénonçant. Dans les différentes

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triangulations qu’il met en place et qu’il caricature parfois, lequestionnement circulaire apporte de nouvelles lectures dela situation. Il participe également au travail de recadrageque j’ai évoqué auparavant.

Utiliser des objets de médiation ou des objets métaphoriquesLe médiateur doit être en mesure de se situer à un niveauanalogique. Cela signifie qu’il refuse de s’empêtrer dansl’immédiateté des situations avec lesquelles il travaille, etqu’il est capable d’interposer, entre la réalité du terrain etla représentation qu’en a chacun, une autre réalité, ou plu-tôt une virtualité, c’est-à-dire une représentation analogi-que. Cette analogie est moins impliquante, elle peut êtremanipulée facilement et permet de rester à une distanceraisonnable. En fait, toute l’intervention du professionnelcorrespond à cette virtualité puisqu’il crée une réalitémédiane, à la fois vraie et fausse, à la fois immédiate etlointaine, à la fois familière et étrangère. Il met ainsi unedistance entre ce qui est perçu et la réalité, entre la repré-sentation que chacun peut avoir de la situation et ce qui sejoue effectivement sur le terrain.

Alors que le conflit se présente comme opposant deuxpersonnes, sa résolution passe par une triangulation, c’est-à-dire par la mise en place d’un média, un entre-deux quisoit un terrain commun et qui devienne ostensiblement unlieu de rencontre pour ces deux personnes. À l’évidence, lemédiateur est lui-même le tiers qui est supposé s’interposerentre deux autres personnes, même si son rôle consiste àorganiser la médiation et non pas à la porter. Il introduit et

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enrichit une logique différente de celle qui prévalait jus-que-là, mais il n’en est pas la personnification car s’ill’était, il apporterait des solutions. Or, il doit introduire desapprentissages, plus exactement la capacité d’apprendre àapprendre. Il rend le conflit inutile plus qu’il ne le résout.L’art du médiateur consiste donc à créer ces médias ; de cepoint de vue, il triangule la relation en introduisant unnouveau terrain commun qui n’est pas un terrain de désac-cord. Ce terrain de désaccord est d’ailleurs tellement bienconnu par les deux protagonistes qu’il n’est pas raisonna-ble, pour le médiateur, de s’y aventurer.

En ce qui concerne l’emploi des outils de médiation,c’est l’inventivité qui s’avère indispensable. Cette inventi-vité est spécifique à chaque situation car il est importantde ne pas céder à la tentation d’utiliser toujours les mêmestechniques et, en l’occurrence, de recourir aux mêmesobjets dans des situations différentes. Comme je ne peuxici être exhaustif quant à ce qui pourrait constituer uneliste de ces objets, je me limiterai à quelques exemples.

Le premier objet de médiation peut tout simplementêtre un tableau noir, ou un paper-board. Cet espace viergeva servir de lieu de projection sur lequel le médiateur pro-posera aux différents protagonistes de représenter, enmême temps ou successivement, la situation telle que cha-cun peut la décrire. Sur ce lieu de projection, de manièreanalogique, il se peut qu’un processus de changement semette progressivement en place, sous la houlette attentivedu médiateur, dans les représentations successives que vafaire de la situation chacun de ceux qui se trouvent face autableau. De cette façon peut se mettre en place une logiquede collaboration d’autant moins « dangereuse » qu’elle se

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déploie dans un espace analogique, c’est-à-dire dans uneréalité qui ne semble pas immédiatement engager la res-ponsabilité de chacun. Créer cette virtualité, c’est poser unpremier pas, un premier contexte, vers la mise en placeplus concrète d’un changement qui s’appliquera cette fois àla réalité immédiate. Outre le tableau, nombre d’objetspeuvent bien évidemment être utilisés dans un processusde médiation. J’en prendrai simplement un exemple quin’épuise pas, loin de là, l’éventail des possibilités qu’ouvrel’inventivité que doit savoir déployer tout consultant.

Il s’agit de trois objets que l’on peut proposer à deuxpersonnes en conflit. Ces objets peuvent servir de supportsmétaphoriques à ce que sont des relations problématiquesentre deux individus. Il s’agit d’une boule de ficelle, deciseaux et d’un boulier. Voici la signification qui leur estattachée. La boule de ficelle symbolise ce que peut être unerelation symbiotique où l’un s’attache constamment laproximité de l’autre. Dans cette extrême proximité, cha-cun est dans l’incapacité de trouver l’autonomie dont ilpeut avoir besoin ; dans cette interdépendance, le ressenti-ment risque de s’accroître jusqu’à éclater de manière plusou moins violente. Cette symbiose peut être longtempsacceptée, et même souhaitée, avant de devenir insupporta-ble, généralement plus pour l’un que pour l’autre. Parexemple, ce qui était vécu comme de la protection devientalors manifestement un objet de désaccord, ce qui pouvaitun temps rapprocher éloigne à présent.

Avec les ciseaux, nous entrons dans une autre versionde ce que peut être une violence fondée sur la frustration.En effet, cet instrument permet à l’un de couper toutemanifestation de compétence chez l’autre. Il s’agit donc

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d’une relation profondément disqualifiante puisque l’undes deux protagonistes n’existe que dans l’abaissement del’autre. Toute velléité d’autonomie est ici également refu-sée, niée ou repoussée. Tout se passe comme s’il devenaitimpossible pour l’un de grandir parce que l’autre ne lui enreconnaît pas le droit. Dans cette « castration », parfoislonguement répétée et qui n’est pas seulement symbolique,les motifs de désaccord s’accumulent et finissent par éclaterà un moment ou à un autre.

Enfin, le boulier donne une représentation immédiatede ces relations où tout est compté, tout relève d’un calculprécis et même obsessionnel. Il s’agit d’une autre forme deproximité, d’une autre version de l’étouffement. De fait,c’est la pseudo-égalité qui prévaut dans ce type de relation.Le seul accord qui réunit les deux personnes, pour untemps, se fait sur la poursuite d’un même idéal d’équilibre,sur la mise en œuvre d’un monde parfaitement juste oùrègne une parité absolue. En ce sens, il s’agit de la mise enœuvre d’une interdépendance solide mais parfaitementthéorique. Compte tenu de ce que ni l’un ni l’autre n’ontla possibilité d’imaginer avoir le sentiment de « perdre »par rapport à l’autre, toute l’énergie de chacun des deuxprotagonistes se focalise sur le constant calcul de ce qui estdonné par rapport à ce qui est gagné. Chacun marquel’autre « à la culotte », chacun évalue à tout instant cequ’il peut revendiquer et accueille avec compréhension lesrevendications de l’autre. Là également, l’apparition de lacrise correspond à la remise en question, souvent unilaté-rale, de ce fragile équilibre.

Ce sont là des sens que les protagonistes partagent assezfacilement, sans être nécessairement obligés d’employer les

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mêmes mots. Ainsi, il devient aisé de comprendre qu’undésaccord ou un conflit constituent avant tout des modesde relations qui relient, qui assurent un lien entre deuxpersonnes. Concrètement, ces objets sont proposés auxdeux acteurs d’un conflit, et chacun est invité à désignerl’objet qui, selon lui, représente le mieux la relation telleque l’autre la définit, c’est-à-dire l’impose effectivement. Àpartir du choix de chacun, une confrontation peut être« organisée » par le médiateur non pas entre les personnes,mais entre des représentations, des objets. Évidemment, defaçon plus ou moins consciente et rapide, chacun va asso-cier à ces objets des situations concrètes, des événementsou des éléments de discussions. Mais, encore une fois,l’important est que ce travail se fasse de manière indirecte,sans aucun jugement qui porte sur les personnes, sans quecela aboutisse à la désignation d’un coupable qui ait à por-ter toutes les responsabilités. En effet, les protagonistescomprennent souvent qu’ils participent tous deux, d’égalemanière et avec un égal déploiement d’énergie, au main-tien de leur conflit. Ils prennent conscience du caractèreprofondément homéostasique de leur désaccord et ildevient plus difficile qu’auparavant de perpétuer cet accordtacite que masque le conflit.

Ainsi, la médiation par les objets permet d’aller au-delàdes mots, au-delà des explications et des justifications ;c’est bien parce que la parole est souvent épuisée, en cequ’elle a atteint ses limites, en ce qu’elle paraît impuissanteà faire évoluer les choses, que la matière objective et mal-léable de l’objet apporte de nouvelles alternatives et desouvertures significatives. Lorsque des objets sont introduitsdans une négociation, bien souvent les protagonistes se

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sentent soulagés car ils perçoivent rapidement l’intérêt decette médiation « analogique ». Ils prennent cela commeun jeu tout en percevant la pertinence de cette démarche.Ils s’y livrent en espérant chacun que l’autre se dévoileraplus rapidement et en tirera des conclusions pour l’avenir.

Affecter des tâchesLe rôle du médiateur ne consiste pas seulement à créer uncontexte spécifique pour en rester maître autant que possi-ble, comme nous l’avons vu. Il n’est pas simplement làpour expliquer les tenants et aboutissants d’une crise oupour promouvoir des alternatives en recadrant tel ou telélément de la situation avec laquelle il travaille, par lerecours à certaines techniques, certaines paroles ou cer-tains objets. Il va en outre demander tout simplement auxpersonnes avec lesquelles il est en contact de « passer àl’acte », c’est-à-dire de faire certaines choses. Il va ainsicréer une autre forme de collaboration en proposant auxprotagonistes d’accomplir ce que j’appellerai ici des tâches.

Le fait d’attribuer des tâches présente de nombreuxavantages. De nouveau, ces tâches, en elles-mêmes, créentun espace de médiation entre les deux interlocuteurs. Ellesleur donnent la possibilité de s’abstraire pour un temps deleurs conflits habituels pour se focaliser sur d’autres enjeux,et de déployer leurs capacités homéostasiques par rapport àde nouveaux objectifs. Plus précisément, ces tâches sont detrois types, en fonction des buts que le médiateur va leurassigner.

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Les tâches qui aboutissent au non-changementLe premier but poursuivi par le consultant concerne, bienévidemment, le changement, au sens le plus général duterme. Ici, le chemin va passer par une manière de détourqui est la mobilisation de la spontanéité de ses interlocu-teurs. Mais comment provoquer cette spontanéité ? Ceténoncé est paradoxal, puisqu’il s’agit d’amener une ou plu-sieurs personnes à considérer qu’elles sont seules à déciderd’une prise de position tout en les conduisant, précisé-ment, sur le chemin de cette prise de position.

C’est essentiellement dans la contrainte que s’élaboreet se construit la spontanéité. Par réaction, par oppositionaux contraintes qui leur sont posées, la plupart des indivi-dus mettent en place ce qu’ils n’auraient pas envisagé defaire jusque-là, en dehors de toute pression. En réalité, ilsne font que réagir à ces contraintes tout en s’attribuant àeux seuls l’initiative de leur réaction. L’être humain estainsi fait qu’il cherche constamment à prendre des initiati-ves et à les garder, et pour y parvenir, il utilise toute unegamme de techniques. C’est ce qui fait surtout – cela sem-ble légitime – que chacun cherche constamment à déciderde ce qu’il fait. À l’évidence, nous sommes tous enclins àaccomplir ce que nous décidons mais si une autre personnedécide pour nous, nous avons tendance à nous écarter decette obligation pour adopter des positions qui nousétaient étrangères jusque-là.

Ainsi, si l’on demande à une personne de faire cequ’elle fait déjà, celle-ci va avoir tendance à désobéir, toutsimplement pour garder l’initiative, en quelque sorte paresprit de contradiction, jusqu’à changer son comporte-

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ment. Cette réaction aboutit donc à une position para-doxale qui est – parfois – le meilleur moyen d’amener unepersonne à abandonner une façon d’être : on lui demandeprécisément de ne pas changer et de s’obstiner dans lamême voie ! Pour cette raison, les changements qui semettent en place spontanément, en réaction à des tâchesqui correspondent à du non-changement, peuvent se révé-ler plus solides et pertinents que ceux qui correspondent àce qui peut être acquis dans la confrontation et, souvent,dans la frustration.

Dans une situation de médiation, lorsque le médiateurutilise cette technique, tout ou partie des protagonistes dela crise peuvent s’attribuer l’initiative de ce qui est unchangement significatif dans les termes de la négociation.Bien évidemment, la mise en place de cette logique n’estpas toujours gratifiante pour le médiateur, mais il s’agit làd’un détour parfois nécessaire vers des prises de positionheuristiques. Le fait de donner des tâches visant le non-changement objective donc, encore une fois, la dimensionparadoxale de la médiation systémique.

Les tâches qui impliquent le contexteD’autres tâches vont chercher à impliquer l’entourage desprotagonistes de la crise, c’est-à-dire leur contexte. Ils’agit de dépasser les limites habituelles d’un conflit, debriser les cadres habituels de la crise pour lutter contreson enkystement. Là encore, de nouvelles formes de rela-tions peuvent être créées et d’autres alliances sont sus-ceptibles de se former.

C’est surtout lorsqu’il se trouve face à une logique debouc émissaire que le médiateur a besoin de s’appuyer sur

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d’autres instances dans l’entreprise. Il doit pouvoir faireéclater le consensus qui s’est établi grâce à cette logique enimpliquant, d’une autre manière, de nouvelles personnesdans l’ensemble des interactions.

Par exemple, lorsqu’un conflit oppose deux personnes,le médiateur peut leur demander de prendre contact,ensemble ou séparément, avec telle ou telle instance dansl’entreprise de manière à ce qu’elles recueillent d’autresavis ou modifient leur appréhension de la situation.

Les tâches qui « excluent » le médiateurEnfin, avec le troisième type de tâches, une logiqued’alliance va être mise en place entre les protagonistes dela crise contre le médiateur et, bien évidemment, de sapropre initiative. Il les amène ainsi à collaborer, sur sonpropre dos, ce qui leur évite d’en rester à leurs seulsconflits. Si l’une ou l’autre des tâches évoquées n’est pasfacile à accomplir, les deux interlocuteurs pourront donc serapprocher dans une logique d’alliance face au consultant.

Lorsque le médiateur se place lui-même à l’un des som-mets d’une triangulation, il prend apparemment le risquede se trouver victime d’un rapprochement qu’il construit,mais il conduit également les membres de cette alliance àse rapprocher l’un de l’autre. C’est en ce sens qu’il créeentre eux une nouvelle forme de collaboration. En effet,on ne collabore jamais mieux que contre un adversairecommun, contre une même loi ou une contrainte partagée.Cette contrainte, qui prend la forme de tâches, vient del’extérieur, et c’est en ce sens qu’elle peut être intéressantepuisqu’elle ne concerne pas directement les enjeux del’entreprise.

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Élaborer en groupe la stratégie de médiationLe médiateur lui-même peut ne pas être seul dans saconfrontation avec une situation de crise. Il peut avoirrecours à d’autres personnes : des pairs, des confrères ou descollègues, pour imaginer, tester ou mettre en place les prin-cipales articulations de son intervention. Il se donne alorsles moyens de modéliser les problèmes auxquels il estconfronté. Sur tel ou tel point technique, il peut s’entourerd’experts et prendre lui-même des conseils sur des pointsqui dépassent ses propres compétences.

Il est même possible d’envisager soit que cette logiquede collaboration serve de modèle face à la logique dedésaccord qui prévaut dans le conflit, soit qu’elle permetted’associer les protagonistes de ce même conflit à l’élabora-tion de cette stratégie d’intervention. Dans l’un et l’autrecas, en réponse à l’impossibilité de construire, une métho-dologie différente se met en place dans l’éclatement desbarrières qui opposent ceux qui savent « comment faire » àceux qui sont incapables de collaborer. C’est ainsi toute lalogique de médiation qui se transforme en modèled’apprentissage.

Mettre en place une logique d’apprentissageTout le travail de médiation ne consiste pas à apporter – jepourrais même écrire « importer » – des solutions. Aucunchangement pertinent ne peut s’appuyer simplement sur lamise en œuvre d’une solution. Par sa démarche, le média-teur cherche à impulser une nouvelle logique, une logiqued’apprentissage. En ce sens, il est un pédagogue quis’appuie sur le moyen et le long terme et non pas seule-

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ment sur la résolution immédiate d’un problème. Pour queces apprentissages soient acceptés et intégrés, certainesconditions doivent être remplies.

Désapprendre avant d’apprendreIl n’est pas possible d’apprendre sans avoir auparavantdésappris, c’est-à-dire sans avoir abandonné des certitudes,des croyances, des habitudes et des réflexes qui, jusqu’alors,permettaient de décoder certaines situations avant d’agirface à elles. Il est également impossible d’intégrer la nou-veauté sans avoir oublié ce qui constitue une partie dupassé. Autrement dit, il s’agit peu ou prou de lâcher « laproie pour l’ombre », de laisser de côté ce qui est acquis etqui a manifestement atteint ses limites, pour ce qui n’estpas encore bien défini. Le risque est évident, la peur estjustifiée et partagée par tous les protagonistes d’un conflit,mais elle doit être dépassée.

Nous avons vu que le recadrage constitue la premièreétape de ce « désapprentissage ». Cela dit, dans l’esprit dumédiateur, d’autres éléments interviennent encore.

Ne pas faire perdre la faceChacun de nous se construit une image de lui-même, dansune large mesure à partir du regard de son entourage, géné-ralement de manière positive, en cohérence avec certainescroyances et en poursuivant des objectifs spécifiques. Cetteimage est elle-même le reflet de ce que l’on appellel’amour-propre, c’est-à-dire ce que chacun de nous penseêtre acquis et satisfaisant dans l’estime qu’il se porte à lui-même. Cet amour-propre est toujours menacé lorsqu’ils’agit de changer, compte tenu du fait que, par peur de

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l’incohérence qui pourrait s’installer entre ce qui est mon-tré et ce qui est anticipé, le jugement des autres devientmenaçant.

Ainsi, notamment lorsque l’orgueil s’en mêle, pour nepas avoir à « perdre la face », tout changement est repousséet refusé. Cette crainte est exacerbée en cas de conflit, caril s’agit surtout de ne pas lâcher prise davantage quel’autre, ou avant l’autre. Dans toute négociation, il estabsolument crucial de tenir compte de cette susceptibilité.Cette dimension psychologique est au moins aussi impor-tante que le contenu immédiat des discussions dans laconstruction d’un nouvel accord, celui-ci ne pouvant seconstituer que sur un « lâcher prise » équitable entre tousles protagonistes.

Une personne qui a le sentiment de perdre la face sedévalorise tout autant à ses propres yeux qu'au regard desautres. Cela correspond donc à une double blessure quilaisse place au ressentiment, c'est-à-dire à l'installationprogressive d'un besoin de vengeance. Cette vengeance,plus ou moins violente, permet la réaffirmation d'unamour-propre manifestement malmené. Ainsi, cette per-sonne sera dans l'impossibilité d'aller au-delà de la résolu-tion du conflit, elle restera « en arrière » dans l'incapacitéde tirer profit des résultats d'une négociation dont ellen'est pas satisfaite, même si elle en accepte les termes. Enfait, elle vit comme un échec ce qui semble être une réus-site. Elle s'en veut à elle-même de ne pas avoir été capablede le reconnaître ouvertement, elle en veut aux autres del'avoir mise dans une situation d'autant plus douloureusequ'elle n'est peut-être pas la première de ce type.

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Comment éviter que ce mécanisme se mette enplace ? Pour cela, le médiateur doit être attentif à certainséléments :

• D'abord un historique de la situation doit être tracé,notamment pour toutes les potentialités de ressenti-ment qu'ont pu comporter des accords antérieurs.

• Il doit ensuite évaluer, pour chaque personne, sondegré de susceptibilité, c'est-à-dire le niveau d'exigencequ'elle pose dans ses besoins de reconnaissance.

• Ces éléments de reconnaissance doivent donc être par-faitement identifiés.

• Ils doivent être confrontés aux éléments de reconnais-sance des autres acteurs de la crise.

• Le médiateur peut dès lors, plus facilement, construireun échange de reconnaissance entre l'ensemble de cesacteurs. Il s'agit de faire en sorte que les personnes enconflit deviennent également, de manière progressive,des pourvoyeurs de reconnaissance.

• Autrement dit, le rôle du médiateur ne consiste passeulement à résoudre un conflit mais aussi, bien au-delà, son ambition est d'en prévenir le retour. Il fait ensorte que l'échange de reconnaissance concerne lesprotagonistes de la situation, ce qui les installe dansune dynamique de collaboration pour le futur.

Proposer des objectifs relationnels à partagerUn apprentissage n’est intéressant que dans la mesure où ilsert « officiellement » de lien entre les personnes car,même s’il concerne apparemment des éléments concrets,

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tout apprentissage comprend une dimension relationnelleplus subjective à définir, mais déterminante pour la suite.

Ainsi, pour être effectivement intégré dans le quoti-dien, cet apprentissage doit être relié à des objectifs rela-tionnels communs. Il ne s’agit pas d’en rester simplement àla mise en place de procédures facilement identifiables,mais de souligner d’emblée la dimension processuelle duchangement, c’est-à-dire ses conséquences sur l’implica-tion de chacun des acteurs en tant qu’individu. C’est danscette implication personnelle que le changement devientapprentissage. Il disparaît, en quelque sorte, en étant inti-mement mêlé, par cette intégration, aux interactions quo-tidiennes. La communication interpersonnelle devientalors le reflet des nouveaux apprentissages contemporainsde la médiation.

La tâche du médiateur consiste donc à mettre d’embléeen évidence cette dimension relationnelle des change-ments qui peuvent se mettre en place. Il leur permet ainside se perpétuer plus facilement dans l’avenir, tout enimpliquant immédiatement chacun des acteurs dans laréussite de son action.

Définir des processus d’évaluationChaque fois qu’il est question de définir des objectifs,même s’ils restent parfaitement subjectifs, il faut se donnerles moyens de les évaluer. Ces objectifs deviennent alorsune occasion de reconnaître de nouvelles compétences enles intégrant dans une historicité, bien au-delà du simplefait, du simple événement que peut constituer une média-tion. C’est une bonne façon de respecter aussi bien les per-sonnes que les changements qui leur sont demandés.

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Il s’agit d’imaginer d’emblée une suite, avec la partici-pation active de la hiérarchie, afin de prolonger dans letemps les apprentissages nouveaux. Il n’est en rien néces-saire que le médiateur y participe lui-même, car ce serait làune façon de ne pas faire confiance à ses clients. Il doits’effacer après être intervenu. Ainsi, il faut trouver labonne mesure entre l’oubli de ces apprentissages dans lequotidien et leur mise en valeur dans la reconnaissancequ’ils peuvent apporter.

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6La gestion par les problèmes

l peut paraître surprenant d’accoler les deux termes« gestion » et « problème ». Ils sont apparemmentantinomiques, car toute bonne gestion est supposée

s’appuyer sur la clarté, la simplicité et viser, par avance, larésolution des conflits et des désaccords. Or gérer c’est pré-voir, et prévoir c’est également anticiper l’apparition deproblèmes.

Une anticipation créatriceJe propose ici l’idée que gérer peut donc correspondre aufait, non seulement de prévoir l’apparition des problèmesmais également d’en anticiper l’utilité jusqu’à les voir nonpas uniquement comme source de désagrément, mais aussicomme autant d’occasions d’aller de l’avant. En effet, dansune logique systémique, comme nous l’avons vu jusqu’àprésent, les problèmes sont inhérents au fonctionnementdes groupes humains, ils en font intimement partie et par-ticipent à l’équilibre des systèmes. Bien évidemment, tous

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les problèmes ne sont pas nécessairement des conflits.Cependant, l’évolution de notre sensibilité nous donne deplus en plus facilement le sentiment que les situationsde désaccord génèrent de la souffrance.

Ainsi, ce que j’appelle la « gestion par les problèmes »correspond à une forme de management qui s’ordonneautour de l’anticipation d’un certain nombre de crises.Puisque ces crises sont inévitables, il faut savoir les utiliserplutôt que les subir. Puisque les situations conflictuellessont incontournables, il s’agit par avance de les recadrerdans une vision heuristique. Nous nous trouvons de nou-veau face à une illustration de la dimension paradoxale dufonctionnement des groupes humains : nous posons l’hypo-thèse que les problèmes ont une utilité qui peut elle-mêmeêtre anticipée.

Alors que les situations à problèmes peuvent générerune attitude défensive – voire souvent passive –, a contra-rio, le fait d’anticiper les problèmes et de les qualifierouvre de nouvelles alternatives pour le groupe concerné.Même si l’anticipation des problèmes ne peut prétendreles éviter totalement, car la réalité est bien plus complexeque toute théorie, cette démarche a l’avantage de corres-pondre à une logique d’« apprentissage permanent » ; ellepeut être utile face à l’émergence inéluctable de conflitsou de désaccords et peut éviter le recours à un interve-nant extérieur. Ici, ces conflits et ces désaccords sonttotalement intégrés dans la marche de l’entreprise, ils nesont pas subis mais utilisés.

Comment élaborer une gestion par les problèmes ? Ladémarche consiste à identifier, nommer et donc anticiper,pour un temps donné et à la suite d’une discussion commune

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du groupe, certains des problèmes qui peuvent se poser dansune organisation, en donnant par avance, à chacun d’eux,une valeur spécifique. Ainsi, dans un contexte donné, ildevient possible de constater que toutes les situations decrise n’ont pas la même valeur, la même utilité, et mêmequ’elles se complètent dans une logique qui mérite d’êtredécrite avec précision. À l’évidence, anticiper les problèmespermet également d’anticiper les solutions.

Les différents types de problèmesIl me faut maintenant être plus précis et identifier ces dif-férents types de problèmes selon la valeur qu’ils peuventprendre dans la marche d’une entreprise et dans le quoti-dien des interactions. Je n’en présenterai ici que des exem-ples. L’important est donc d’en rester à une visionconstructive de ces situations et de les envisager dans leurensemble, c’est-à-dire en faisant en sorte qu’elles soientcomplémentaires les unes avec les autres.

Les problèmes qu’il est utile de ne pas résoudreCertaines situations, génératrices de problèmes, sont utilespour un groupe car elles permettent aux membres qui leconstituent de rester soudés autour et à partir d’un pointcommun dont la disparition, par définition, peut être malressentie. Autrement dit, résoudre un problème, c’est-à-dire le dépasser, peut être également négatif pour ungroupe si plus rien n’en relie dès lors les individus.

Certains problèmes ont donc pour « avantage »d’apporter une dimension fédératrice à ceux qu’ils concer-nent. Cet effet est comparable à ce qui se joue autour de la

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plupart des projets d’entreprise, même et surtout s’ilsn’aboutissent jamais. Il est même possible de considérerqu’il n’y a pas grande différence entre se lancer dans lamise en œuvre de ces projets et se donner des problèmesqui ont pu être évités jusque-là, et que l’une des consé-quences de ces deux démarches est la possibilité de fédérer,pour un temps, un groupe d’individus. La dynamique quisous-tend la gestion par les problèmes peut permettre, enquelque sorte, de recadrer une situation extrêmementbanale pour beaucoup de structures – à savoir ce que l’onpeut attendre d’un projet –, jusqu’à y voir l’opportunité dese trouver confronté à des crises qui n’avaient pas été anti-cipées jusque-là. Ces crises servent donc à maintenir lacohésion du groupe, dans la poursuite de la résolution desproblèmes qu’elles engendrent. Chacun trouve la possibi-lité de rester en contact avec les autres dans une conni-vence qui est d’autant plus grande que le problèmecomporte une dimension affective importante.

Les problèmes qu’il est utile de résoudreÀ l’inverse des problèmes précédents, et en complément,il est des problèmes qui doivent recevoir une solution, carles personnes qui prennent part à leur résolution sontalors en mesure d’acquérir une plus grande confiance enelles-mêmes, soit du point de vue individuel, soit dupoint de vue du groupe. À l’évidence, c’est la capacité àaller au-delà des difficultés, la possibilité de relever avecsuccès des défis qui mobilisent les mécanismes de recon-naissance.

Il doit donc être facile de parvenir à dépasser ces crises-là. D’ailleurs, dans la majorité des cas, le fait même d’en

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anticiper une fin immédiatement accessible accélère leurrésolution. C’est ainsi que des cercles vertueux peuvent semettre en place et entraîner l’ensemble du groupe dansune dynamique de réussite et de progrès.

Les problèmes intéressants d’un point de vue relationnelLes contextes auxquels nous faisons face mettent claire-ment en évidence des situations de souffrance relation-nelle. En me référant à ce que j’ai exposé au premierchapitre, je vais succinctement rappeler ce que peuventêtre ces types d’interactions. Il s’agit donc de crises quimettent en évidence soit des logiques de boucs émissaires,soit les effets pervers de la protection, soit encore lesincompétences de certaines personnes. La mise à plat deces situations, dans l’anticipation, et donc « à tête repo-sée », permet de dédramatiser par avance les conflits quiont de bonnes chances de survenir. Il ne s’agit pas de leséviter, mais de les aborder sans y mettre une trop fortecharge émotionnelle ou même passionnelle, avec un risquede passage à l’acte.

Ce qui peut avoir été vécu jusque-là comme la répéti-tion pénible des mêmes schémas interactionnels prendalors la dimension d’une espèce de jeu, au sens positif duterme. Cela permet aux acteurs de « métacommuniquer »sur leurs relations, c’est-à-dire de communiquer sur leurpropre communication et donc sur leurs propres habitudes.Ils prennent ainsi une distance vis-à-vis d’eux-mêmes et deleurs comportements, et c’est dans cette distance que peutse calmer le jeu interactionnel.

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Les problèmes qui tournent autour de la reconnaissance et de la confianceDans n’importe quel groupe humain, et surtout en ce quiconcerne le milieu professionnel, les questions de la recon-naissance et de la confiance ne sont jamais définitivementréglées : les problèmes qui tournent autour de ces notionsont tendance à se répéter et à prendre parfois un aspectviolent.

Ainsi, poser clairement les situations qui exaspèrent lesattentes de chacun en termes de reconnaissance et deconfiance permet de maintenir une certaine tension etdonc également une certaine vigilance dans le groupe surces questions. Loin d’être niés ou ignorés, ces élémentssont alors clairement intégrés dans la marche de l’entre-prise, ils reçoivent une attention qui se situe à mi-cheminentre l’ignorance et la dramatisation.

Les problèmes qui font de l’extérieur le bouc émissaireIl est des problèmes, généralement insolubles, qui rejettentvers l’extérieur du groupe toute l’agressivité qu’il est capa-ble de manifester. C’est la raison pour laquelle j’utilise icila notion de « principe de bouc émissaire ». Dans ces situa-tions, une triangulation peut se constituer entre deux ins-tances internes au groupe et un troisième terme qui lui estextérieur, ou entre le groupe et deux instances qui lui sontexternes. Dans tous ces cas, l’alliance « naturelle » qui seconstitue à l’intérieur du groupe contre des éléments exté-rieurs apporte, là également, l’occasion de rapprocher desmembres qui pourraient éventuellement être en conflit ouen désaccord.

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Il est donc préférable que ces problèmes restent insolu-bles, ce qui est assez facilement le cas. Ces situations struc-turent le groupe autour d’un « ennemi commun », à partird’une même impuissance qui, paradoxalement, peut aug-menter les compétences de chacun en interne. Leur antici-pation formalise des situations banales car tous les systèmessont en contact, au travers de leur environnement, avecdes instances qui leur posent problème et qui les gênentdans leurs activités. Ces instances sont des boucs émissai-res « naturels » qu’il s’agit de mieux utiliser.

Les problèmes qui introduisent l’ironie dans le groupeEnfin, certains des problèmes qui surgissent régulièrementsur le devant de la scène méritent d’être traités d’une autremanière encore. Comme un rituel auquel chacun s’habitueprogressivement, ils s’imposent et deviennent ainsi indis-pensables car non seulement ils renforcent la cohésion dugroupe, mais ils introduisent également une vision ironi-que du fonctionnement de ce groupe. Comme si le fait dene plus se prendre trop au sérieux et de lâcher prise parrapport à certaines exigences, qui paraissaient évidentesjusque-là, permettait de rendre plus acceptable la répéti-tion des mêmes erreurs et des mêmes échecs. Cette répéti-tion « volontaire » permet de rire de la situation plutôtque de s’en plaindre. L’obstination n’est plus nécessaire-ment une impasse et il est même possible de changer d’avissans perdre la face.

En prévoyant ce type de problème, il devient possiblede partager l’autodérision que certains ressentent et cetteironie allège un fardeau qui tend à devenir de plus en pluslourd à mesure que s’impose le sentiment d’impuissance.

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L’humour peut ainsi s’introduire dans le management,même s’il s’agit là d’une attitude qui ne s’apprend pas etqui relève, à l’évidence, du style de chacun.

La mise en place de cette stratégieVoyons maintenant comment cette anticipation – assezparticulière – peut être mise en place de manière trèsconcrète à partir d’un exemple spécifique.

En début de mandat, alors qu’il vient d’être nommé auposte de directeur, le responsable d’une administrationcentrale demande à un consultant d’intervenir – demanière parfaitement classique – auprès de son comitéde direction pour un travail de cohésion d’équipe. Enl’occurrence, essentiellement parce qu’il s’agissait d’uneprise de poste dans un contexte administratif, le consultanta considéré qu’il était opportun de proposer un travail degestion par les problèmes.

Cette équipe, outre le directeur, comprend un adjoint,un secrétaire général et six chefs de service situés au mêmeniveau hiérarchique. Dans cette organisation, ces derniersdépendent directement du secrétaire général. Après avoirdivisé en deux cette équipe, de manière aléatoire, le con-sultant demande à chacun des groupes de travailler sur laliste des problèmes qu’ils peuvent anticiper en distinguanttrois catégories. Le fait de mettre en concurrence deuxéquipes permet d’éviter – au moins en partie – le risqued’autocensure, tout en augmentant le nombre des proposi-tions.

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Pour chacune de ces catégories, après qu’elles ontété mises en commun, le résultat de leurs réflexions a été lesuivant :

• Les problèmes qui ne doivent pas être résolus :

1. Le projet déjà ancien de fusion de deux services.

2. Le conflit d’autorité entre le secrétaire général et leDRH sur la question des procédures de recrute-ment.

3. La question de la meilleure utilisation possible dubudget formation.

• Les problèmes qui peuvent être résolus :

1. La clarification du rôle du secrétaire général.

2. L’externalisation du service informatique (déjà bienavancée).

3. La mise en place d’un projet « qualité ».

• Les problèmes insolubles à cause d’une instance exté-rieure au service :

1. La question du budget.

2. Les demandes d’ouvertures de postes.

3. La mise en œuvre d’un ancien projet de déménage-ment du service dans une autre ville.

Même si l’analyse de l’ensemble de ces problèmes a misen évidence quelques incohérences, même si tout lemonde n’était pas d’accord sur le fait de classer tel ou telpoint dans l’une ou l’autre des catégories, l’essentiel desenjeux qui traversent cette direction depuis de nombreusesannées ont pu être passés en revue. Le fait d’établir unedistinction entre problèmes solubles et insolubles a étél’objet d’une discussion très animée. Chacun a bien senti

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qu’en prenant position sur telle ou telle question délicate,il s’engageait implicitement soit à en faciliter la résolutionsoit, au contraire, à en retarder l’issue favorable. Certainsenjeux pouvaient être importants et il pouvait être difficileet délicat d’abattre ses cartes en la présence d’un nouveaudirecteur. Ce dernier a pu ainsi, dès son arrivée, identifierla nature des résistances qui s’étaient déjà levées ou quipouvaient apparaître face à chacun des points étudiés.

Par ailleurs, l’accord s’est rapidement et facilement faitsur les problèmes dus à la « mauvaise volonté » de l’ins-tance faîtière. Ses incohérences, ses manquements enmême temps que sa toute-puissance ont été unanimementdénoncés et commentés. Cela s’explique à la fois, commeje l’ai déjà indiqué, par le fait qu’il est toujours utile d’avoirdes boucs émissaires à l’extérieur d’un groupe, mais égale-ment parce que les questions financières sont récurrenteset toujours émotionnellement chargées.

Ainsi, quant à l’approche anticipée de chaque pro-blème, les avantages et les inconvénients ont été discutés,et donc anticipés, les uns après les autres. Une autre jour-née de travail autour des mêmes questions a été prévueenviron six mois plus tard, et il s’est avéré que l’anticipa-tion de certains « points chauds » dans le fonctionnementde ce service avait effectivement « accéléré » l’intégrationdu nouveau directeur et permis d’avancer dans de nou-veaux projets qui n’avaient pas pu voir le jour précédem-ment.

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7Trois exemples de médiation

travers trois exemples, je vais à présent résumer etillustrer à la fois certaines des notions qui ont étéabordées jusque-là. Bien évidemment, chaque

situation est différente et exige la mise en place d’une stra-tégie spécifique.

1. Un chef de service bouc émissaireM. Dupont, responsable de la maintenance sur l’un dessites d’une entreprise industrielle, est violemment remis enquestion par son équipe. Celle-ci lui reproche des mala-dresses, son comportement autoritaire ou encore le hautniveau de ses exigences. M. Dupont est un autodidacte quia gravi progressivement les échelons hiérarchiques. Cha-cun lui reconnaît volontiers une grande rigueur profession-nelle et son sens des responsabilités, mais c’est égalementce qui explique, pour une bonne partie, les reproches quilui sont adressés.

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Cette contestation a été relayée par les syndicats : destracts circulent régulièrement mais n’entraînent aucuneréaction, aucune prise de position de la hiérarchie deM. Dupont. En effet, ce dernier n’est jamais soutenu parson N + 1, qui le disqualifie même constamment, contrai-rement à ce qui se produit avec le N + 2, qui a tendance àprotéger M. Dupont. Autrement dit, ce responsable de lamaintenance est l’objet d’un conflit entre ses deux niveauxhiérarchiques immédiats. Cependant, ce conflit est peuapparent ; il reste manifestement caché et noyé par les pro-blèmes qui se posent au niveau de l’équipe. Ainsi,M. Dupont fait office de bouc émissaire à la fois par rapportà ce qui se joue entre ses deux responsables et au regard desrapports de forces qui traversent son équipe. Il est doncpossible de faire l’hypothèse que ses problèmes arrangentbien sa hiérarchie, car cela leur évite de se confronter àleurs propres désaccords.

À l’évidence, M. Dupont est le bouc émissaire idéal. Ilen a – en quelque sorte – les capacités car son caractère n’estpas facile, il est exigeant et « hors normes » en tant qu’auto-didacte. Bien que pris en tenaille entre une hiérarchie quine s’accorde pas sur lui et une équipe qui le remet en ques-tion, il semble résister et donne le sentiment de supporterrelativement bien cette situation jusqu’à ce que, à sademande, le directeur des ressources humaines de la struc-ture entre en contact avec un consultant pour envisager untravail de coaching. Ce consultant souhaite d’emblée rencon-trer en même temps, comme il en a l’habitude, M. Dupont,son supérieur hiérarchique et le DRH afin de mieux cernercette demande16. Il comprend mieux alors la complexité dela situation et considère qu’un travail de médiation serait

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plus approprié que l’utilisation du coaching. Reste à définiroù peut se situer ce travail : entre M. Dupont et son équipeou entre ses deux supérieurs hiérarchiques ?

Le N + 1 pourrait se montrer hostile à un travail surl’équipe de M. Dupont car il ne souhaite pas le voir monteren qualification et le conflit entre les deux hiérarchiquesrisquerait d’éclater au grand jour. Par ailleurs, interveniravec ces deux derniers ne correspond à aucune demandede leur part. De plus, comme je l’ai indiqué, il est mêmeprobable qu’ils ne souhaitent pas que les choses s’arrangententre eux. Comme à chaque fois qu’un individu joue lerôle de bouc émissaire, chacun s’arrange de cette désigna-tion et le consultant se trouve devant une situation où sontravail sur la demande ne fait que complexifier sa propreposition. Décidant de… ne rien décider lui-même, ildemande à rencontrer le DRH. Celui-ci partage la mêmeanalyse et devient donc un allié précieux pour la suite.

Ils en arrivent à la conclusion qu’il est plus pertinent deproposer un travail de médiation entre les deux supérieurshiérarchiques de M. Dupont que de s’attaquer directementau problème de ce dernier avec son équipe. Pour y parve-nir, il fallait encore trouver un autre appui. En l’occur-rence, le directeur du site, sollicité par le DRH, s’estmontré tout à fait favorable à cette démarche. Il est alorsdevenu possible de focaliser le changement sur ce niveauhiérarchique puisque la pression venait d’en haut et que lesdeux personnes en question pouvaient difficilement sedérober. Il s’est avéré que cette médiation ne concernait

16. Voir, sur ce point : J.-A. Malarewicz, Réussir un coaching, VillageMondial, 2003, p. 54.

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pas seulement M. Dupont, loin de là, et que de nombreuxdésaccords restaient en suspens. En fait, les problèmes pro-fessionnels entre les deux hiérarchiques « cachaient » detout autres enjeux. Il est apparu que l’un était l’amant del’épouse de l’autre et que cette situation alimentait depuislongtemps des rumeurs persistantes, ce que le consultantignorait jusque-là.

Ainsi, l’entreprise était elle-même devenue l’otage deces conflits conjugaux, les syndicats avaient été « instru-mentalisés » par le N + 1 et M. Dupont, à l’extrémité decette logique, comme une espèce de paratonnerre, avait enmême temps focalisé sur lui toute l’agressivité de ces diffé-rents intervenants. Sa relative marginalité et son caractèreentier avaient fait le reste. De plus, en raison de fautes pro-fessionnelles graves du N + 1, le directeur et le DRH ontalors assez rapidement pris la décision de déclencher uneprocédure de licenciement à son encontre.

Dans cet exemple, la demande initiale n’est pas celled’une médiation. En l’occurrence, le coaching deM. Dupont n’aurait fait que renforcer son statut de boucémissaire. Il était préférable de démêler l’écheveau desalliances ouvertes et cachées qui aboutissaient à cettesituation jusqu’à ce qu’éclatent manifestement au grandjour les manipulations de chacun.

2. Un conflit opposant deux directeurs régionauxDans une entreprise industrielle de taille nationale, deuxdirecteurs commerciaux régionaux, M. Martin et M. Durand,sont en désaccord depuis plusieurs années quant à la réparti-

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tion territoriale de leur compétence. Ils se disputent sanscesse leurs zones d’influence, directement ou indirectement,et se livrent constamment à une espèce de guérilla dont lesmultiples rebondissements alimentent la chronique locale,régionale et nationale de l’entreprise.

Comme souvent dans ce type de situation, chacun asoigneusement tissé autour de lui un réseau d’alliances quilui permet d’affirmer ses prérogatives face à l’autre. Unemême ancienneté dans cette entreprise apporte, à l’uncomme à l’autre, une légitimité comparable. Ainsi,l’influence de M. Martin équilibre parfaitement celle deM. Durand auprès des instances dirigeantes de l’entrepriseet notamment auprès du comité de direction. Il en est demême en ce qui concerne les proches du directeur com-mercial, qui se voit lui-même entouré d’une équipe où lespartisans de l’un et de l’autre sont de force égale. Les autresresponsables régionaux sont unanimement satisfaits de lanon-résolution chronique de cette querelle car elle obnu-bile une bonne partie des membres de l’équipe du siège etles laisse dans une relative quiétude. Sur le terrain, les dif-férents représentants souffrent manifestement de cettesituation mais ne sont pas en mesure de faire remonterl’information car leur système de rémunération les rendtrès dépendants du responsable régional. Il leur est difficilede se plaindre auprès d’une personne qui a un tel pouvoirsur leur fiche de paye.

Ainsi, il est devenu impossible pour la direction natio-nale de transiger, à la fois parce que la situation est figéedans ce réseau d’alliances et parce que ces décideurs sonteux-mêmes pris dans cette paralysie. Autrement dit, lasituation qui prévaut au niveau régional n’est que le symp-

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tôme d’une règle du jeu qui concerne l’ensemble del’entreprise. Ce qui revient constamment dans la « petitemusique » de cette structure est la logique qu’impose leclientélisme, c’est-à-dire le fait que chacun noue autour delui des dettes qui privilégient à la fois les relations les plusproches et le court terme. Les responsables régionaux ontsu être d’excellents commerciaux, non seulement pour dif-fuser les produits de l’entreprise mais également pour se« vendre » eux-mêmes à leurs proches, avec un égal bon-heur d’un côté comme de l’autre.

La situation est réellement devenue problématique lors-que ces querelles ont fait perdre à l’entreprise un clientimportant, lui-même irrité par les tergiversations de sesinterlocuteurs et les changements continuels dans lesnégociations qu’il avait à conduire avec son fournisseur.C’est à ce moment-là que les services d’un médiateur ontété envisagés au niveau du comité de direction. Dès qu’ilsont appris la nouvelle, aussi bien M. Martin queM. Durand se sont empressés de proposer chacun leur pro-pre candidat, reproduisant ainsi à un autre niveau encoreleur lutte d’influence. La situation aurait pu longtemps res-ter incertaine mais l’arrivée d’un nouveau DRH a rapide-ment réglé le problème. Sa naïveté, dans le bon sens duterme, a mis fin aux hésitations de son prédécesseur, lequeln’avait pas osé froisser les susceptibilités de chacun des res-ponsables régionaux.

La complexité du jeu d’alliances qui s’était, au fil desannées, noué dans cette structure autour de ce problèmepouvait décourager n’importe quel intervenant extérieur àl’entreprise. Le consultant sollicité a rapidement eu le sen-timent que s’intéresser à un seul cheveu de la tête de

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M. Martin ou de M. Durand reviendrait à « toucher » àtoute l’entreprise et à sa hiérarchie, de haut en bas. Il lui adonc semblé que la question était mal posée et que préten-dre poser un arbitrage entre ces deux responsables régio-naux équivalait à s’attaquer au symptôme plutôt qu’à lacause profonde du problème. En effet, la collusion généralequi avait abouti à l’enkystement de ce conflit entre deuxpersonnes constituait un obstacle à la résolution même dece conflit.

Profitant du fait que le DRH avait déjà pris une déci-sion importante en décidant seul la désignation d’unconsultant, ce dernier a rapidement sollicité une entrevueavec le directeur des ressources humaines pour lui présen-ter deux propositions d’une tout autre nature. La premièreconsistait à conduire un travail de cohésion d’équipe avecle comité de direction et la seconde à préconiser un coa-ching pour le PDG de l’entreprise. Dans l’esprit du consul-tant, ces deux actions devaient être conduites en parallèlepar deux intervenants différents.

Le travail de cohésion visait à aider cette structure àchanger sa « petite musique », pour sortir d’une logique declientélisme et entrer dans celle de la confrontation. Ils’est trouvé que plusieurs membres de ce comité de direc-tion devaient assez rapidement prendre leur retraite. C’estainsi qu’en l’espace de neuf mois, quatre des huit responsa-bles de l’entreprise ont été renouvelés en faisant appel àdes personnes nouvelles dans la structure. Ce « sang neuf »a profondément changé l’état d’esprit de la direction, neserait-ce que dans la mesure où cette arrivée massive a faitse manifester des clivages, des oppositions et des désac-cords restés sous le boisseau. À l’évidence, cette période de

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confrontations n’a pas été facile mais elle a permis, enquelque sorte, de professionnaliser le comité de direction.

Par ailleurs, le coaching du dirigeant, pendant dix-huitmois, a permis d’accompagner cette profonde évolution, enharmonie avec celle de l’instance dirigeante. Il s’agissaitégalement de donner une dimension plus professionnelleau dirigeant en l’amenant, par exemple, à choisir un nou-veau directeur commercial, lequel a pu facilement prendrela décision de trancher lui-même le différend entre lesdeux directeurs régionaux. Libre de toute compromissiondans le jeu des alliances qui prévalait jusque-là, il a mis enplace une redistribution nationale des prérogatives territo-riales de chacun et a réglé le problème de manière élé-gante, c’est-à-dire sans donner de préférence à l’un oul’autre des acteurs du conflit. Ceux-ci ont pu penser qu’ilsne perdaient pas la face et ils ont pu se rapprocher,confrontés à ce qu’ils estimaient être un excès de pouvoirde leur nouveau responsable. Les habitudes prises dans lepassé récent de l’entreprise ne pouvaient que leur donnerce sentiment. Mais, pour n’importe quelle structure, il estmoins dommageable que ses membres aient à trouver leurplace dans une atmosphère où règne l’autorité que face àson absence totale.

3. Une logique de disqualificationUn conflit éclate entre la responsable locale d’un servicepublic, que j’appellerai ici Mme Martin, et son équipe.Cette équipe a demandé à rencontrer la direction régio-nale qui a accédé à sa demande. Lors de cette entrevue, lesmembres de l’équipe ont fait part de leur souhait de voir

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partir leur supérieure hiérarchique. Le responsable du ser-vice des ressources humaines de cette direction régionale aalors tenté de mettre en place une réunion – dite « réunionde conciliation » – supposée réconcilier cette équipe avecsa responsable, mais celle-ci a refusé d’y participer. C’est àce moment-là qu’un consultant a été sollicité, par le res-ponsable RH, afin de mettre en place un travail de média-tion. Jusqu’à ce point, le mot « disqualification » peut, à luiseul, résumer cette situation :

• Mme Martin est disqualifiée par le fait même qu’elle estouvertement remise en question par son équipe, maiselle l’est également parce que sa hiérarchie, c’est-à-direle niveau régional, a accepté de rencontrer son équipesans qu’elle soit présente.

• En refusant d’assister à une réunion provoquée par leniveau régional, la responsable locale a disqualifié sapropre hiérarchie, probablement en réponse à la dis-qualification dont elle avait été victime précédem-ment.

• Les liens entre le régional et le local posent donc pro-blème. Il n’est pas normal qu’une responsable soit« court-circuitée » par ses subordonnés, avec l’aval dela plus haute hiérarchie.

• Plus spécifiquement, la fonction RH montre qu’elle n’apas été capable, jusque-là, de gérer cette crise en lais-sant s’installer une apparente improvisation. Aucuneréflexion approfondie ne semble dicter la politique duniveau régional. C’est donc l’ensemble de ce niveauqui, de ce point de vue, est disqualifié.

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• Le médiateur lui-même peut se sentir pris dans ce quel’on appelle un double lien : il est en tort quelles quesoient ses prises de position. En l’occurrence, si leconsultant échoue, il sera bien évidemment en échec,mais s’il parvient à un résultat qui semble satisfaisant, ildisqualifiera lui-même l’instance qui lui a demandéd’intervenir, c’est-à-dire la direction régionale. Lemédiateur est en situation de participer lui-même à lalogique de disqualification qui prévaut dans la struc-ture, tout en se donnant pour tâche de la dénoncer.

Comme en écho à cette disqualification générale,l’équipe locale est donc, jusque-là, maîtresse du jeu, ce quin’est pas normal, quelle que soit la légitimité de sa reven-dication, au sens où une instance dirigeante doit se mon-trer capable d’anticiper et de résoudre les problèmes quiéclatent dans sa sphère d’influence. Que peut-on dire decette équipe ? La notion d’équipe n’est pas toujours trèsclaire. Ainsi, certains dirigeants considèrent qu’ils ne fontpas partie de l’équipe dont ils sont responsables, alors qued’autres s’incluent naturellement dans ce groupe. D’unpoint de vue systémique, le dirigeant d’une équipe fait par-tie intégrante de cette équipe : le lien hiérarchique s’effacederrière la dimension fonctionnelle. Autrement dit,lorsqu’un consultant travaille avec une équipe, il ne voitqu’une seule tête, c’est-à-dire un groupe de personnesqu’aucune hiérarchie ne structure.

Dans cette situation, il n’est pas longtemps possible deconsidérer que cette équipe parle, agit, réagit et prend posi-tion comme peut le faire une personne. Des lignes de for-ces, des individualités et des luttes d’influences laparcourent. Ainsi, l’idée qu’un groupe s’oppose à une per-

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sonne, comme deux individus peuvent le faire, n’est pasacceptable. Il est plus correct d’énoncer qu’une personneest en conflit avec un sous-système de l’ensemble. Ce sous-groupe peut se soumettre à des individus dont les compé-tences relationnelles sont plus développées que celles desautres ou relever d’une logique syndicale.

Voici les objectifs qui ont animé les différentes prises deposition du consultant :

• Identifier ses interlocuteurs les plus utiles.

• Respecter la hiérarchie. Lorsqu’il intervient dans unestructure, un consultant se doit de respecter la règle dujeu qui a prévalu jusque-là et que résume l’organi-gramme, même de manière très grossière.

• Se placer dans une logique de qualification. Face à unesituation comme celle-ci, le médiateur doit se montrercapable de qualifier les divers niveaux hiérarchiques.

• Rester maître des différentes articulations de son inter-vention en décidant notamment qui il rencontre, dansquel ordre et à quel endroit.

• Définir les triangulations qui se sont nouées autour decette situation.

Les différentes prises de position du médiateur ont étéles suivantes, à partir du moment où a été pris le premiercontact téléphonique :

• Il a demandé à rencontrer, avec le responsable RH, ledirecteur régional de la structure. De cette manière leconsultant qualifie à la fois son premier interlocuteur,celui qui a fait une démarche envers lui, et le responsa-ble régional. Il va chercher là où elles se trouvent, aumoins théoriquement, les personnes qui sont le plus à

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même de prendre des décisions pour la suite. Au coursde cette entrevue ont pu être définies les attentes dechacun, lesquelles ne correspondaient qu’à un catalo-gue de bonnes intentions, ce qui est parfaitement nor-mal et prévisible. Surtout, il est apparu que le directeurrégional est une personne qui fuit systématiquementtout risque de confrontation. Il n’aime pas cela, ne lecache pas, le revendique même ; il s’est toujours appuyésur la fonction RH pour régler ce genre de problème,sans vraiment soutenir ceux qu’il faisait « monter aufront ». Depuis plusieurs mois, la situation s’est ainsidégradée et rien n’a été fait pour anticiper les effetsdévastateurs de ce conflit en termes de disqualification.

• Le consultant a ensuite demandé à rencontrer le direc-teur régional avec Mme Martin, la responsable locale.Il avait besoin de les voir ensemble, d’une part pourévaluer ce qu’étaient leurs relations, d’autre part pourleur expliquer le détail et les objectifs des étapes sui-vantes de sa propre démarche, afin de mieux les y asso-cier. Il lui a semblé qu’il était inutile de rencontrercette responsable d’équipe seule, car il est probablequ’elle aurait uniquement montré une attitude de vic-time, aussi bien par rapport à sa hiérarchie que vis-à-visde ses subordonnés.

• Il a ensuite réuni toute l’équipe, c’est-à-direMme Martin et l’ensemble de son service. Bien évi-demment, il s’est trouvé devant une situation très ten-due et très lourde. L’objet de cette rencontre n’étaitsûrement pas de faire émerger un accord mais d’identi-fier la nature exacte des relations entre Mme Martin et

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son équipe et, plus précisément encore, ce qu’était lelien de chaque membre de son équipe avec la responsa-ble. Le médiateur ne cherche pas à recueillir des faits –souvent anecdotiques –, auquel cas il aurait vu chaquepersonne séparément : là, il avait besoin d’accumulerdes informations de nature relationnelle. La premièrepartie de cette réunion lui a notamment permis d’iden-tifier le sous-groupe de personnes qui était le plus actifet le plus vindicatif dans la remise en question deMme Martin. Ainsi, il a pu mieux construire des allian-ces et des triangulations dans l’ensemble de ce groupe.

Dans la seconde partie, le médiateur a donc demandéque l’équipe de Mme Martin se réunisse pendant uneheure et demie, afin d’avancer des propositions. Celles-ci devaient être soumises le lendemain au directeurrégional, par une délégation qu’ils avaient à désigner.Naturellement, il voulait aller au-delà de la simplerevendication qui consistait à souhaiter le départ deleur responsable. Pour prévenir cette radicalisation etpour « cadrer » en quelque sorte sa démarche, leconsultant leur a demandé de réfléchir aux trois typesde demandes qu’ils pouvaient faire :

1. Nos demandes réalistes.

2. Nos demandes irréalistes.

3. Nos demandes les plus acceptables.

Il s’agissait de les amener à différencier trois types depropositions, des plus réalistes aux plus improbables,pour mieux rester dans ce qu’il est « raisonnable » denégocier dans une telle situation. Il importe que cha-cun se sente respecté dans cette crise et donc que

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personne ne soit manifestement disqualifié. Lorsqu’on apu d’abord rêver et ensuite cauchemarder, il devientplus facile de retomber sur terre et, en l’occurrence, deprésenter des propositions qui pourront constituer unterrain de discussion acceptable pour toutes les parties.

Dans ce même mouvement, le groupe s’est scindéentre les plus radicaux et les plus conciliants, ce quicorrespond à la dynamique de n’importe quel groupehumain dans ce type de conflit. Il ne s’agissait plusalors d’une simple, quoique violente confrontationentre Mme Martin et son équipe, mais de la mise enplace d’une situation plus complexe où de nouvellesprises de position ont pu émerger.

Avec l’ensemble des réponses qui ont été données à cesdifférentes questions sont apparus bien d’autres aspectsdu management général de l’entreprise qui ne concer-naient pas seulement les compétences de Mme Martin.Tout s’est passé comme si la logique introduite par lemédiateur avait ouvert de nouveaux horizons à certainsmembres de son équipe et comme s’il était devenu pos-sible de dépasser ce conflit immédiat. Ces différentespropositions ont été soumises au directeur régional etau responsable RH.

• Le consultant a demandé à revoir le directeur régional,cette fois-ci seul. Il lui a alors conseillé de s’engagerdans une démarche de coaching. Il s’agissait pour lui dene pas répondre simplement à la demande de résolu-tion de conflit mais d’aller au-delà, vers un des élé-ments qui était à l’origine de ce problème, c’est-à-dire

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l’incompétence de ce responsable régional pour seconfronter à des situations difficiles.

• Tout le monde avait besoin de ne pas perdre la face. Ledirecteur régional avait une décision à prendre,Mme Martin ne devait pas donner le sentiment decéder face à son équipe et certains des membres decette équipe devaient pouvoir penser que leur mobilisa-tion n’avait pas été inutile. Autrement dit, il fallait uncompromis qui aménage, pour chacun, une « porte desortie » acceptable.

Il a été décidé, d’un commun accord entre le directeurrégional, le responsable des ressources humaines etMme Martin, que celle-ci serait détachée de sa fonctionpendant un an afin de lui permettre de suivre une forma-tion spécifique à la gestion informatique de la conduite deprojets. En réalité, elle aspirait depuis longtemps à cetteformation, qui correspondait à son caractère et à ses goûts ;elle se savait mal à l’aise dans le management d’uneéquipe. Elle avait accepté cette responsabilité àcontrecœur, par fidélité envers l’ancien directeur général,et attendait une bonne occasion pour s’en décharger. Cettesolution la satisfaisait donc pleinement. Le directeur régio-nal a su tirer profit de son coaching et a même préconisé cetoutil à la personne qui a remplacé Mme Martin.

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Conclusion

l est toujours possible d’identifier des raisons qui peu-vent permettre de mieux comprendre les tenants etaboutissants d’une crise, la souffrance est d’autant

plus manifeste qu’elle est de moins en moins bien acceptéeet les contraintes économiques imposent l’efficacité dans larecherche d’une résolution rapide des conflits. Mais au-delà des enjeux apparents qui expliquent ces crises, au-delàdes souffrances qui les accompagnent, au-delà surtout dusimple fait de résoudre immédiatement un conflit, s’imposetoujours la complexité du fonctionnement des groupeshumains. C’est même, plus simplement encore, l’humainqui est complexe.

Un dirigeant ne peut prétendre intégrer cette dimen-sion dans le management d’une entreprise, sans avoir àaccepter de se frotter aux conséquences et aux exigencesde cette complexité, c’est-à-dire les incertitudes, les anglesmorts et les surprises qu’imposent tous les paradoxes eux-mêmes issus de la rencontre des intérêts collectifs et indi-viduels.

C’est cette complexité que l’approche systémique cher-che à prendre en compte. Elle apporte à la fois une lecture

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qui se déploie à plusieurs niveaux, des plus personnels auxplus groupaux, des plus évidents aux plus cachés et des pos-sibilités d’action qui elles-mêmes tentent de donner auxdifférents acteurs d’une crise le recul qui leur est nécessaireafin de mieux reprendre le contrôle de ce qui les a dépassésjusque-là.

Ainsi comprise, cette approche ne postule pas – etn’accepte donc pas – la prévalence du groupe sur l’indi-vidu, ni un relativisme absolu qui aboutirait, comme on apu parfois lui reprocher, à donner une même valeur, enl’occurrence, à toutes les explications possibles d’un con-flit. En fait, un des principaux intérêts de l’analyse par lacomplexité des groupes humains est de permettre de mieuxéclairer des choix, loin de toute simplification souventsynonyme de violence, de mieux établir des priorités, par-fois au détriment de contraintes économiques, et de mieuxintroduire une éthique dans le management, ce dont beau-coup d’entreprises ont besoin.

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Jacques-Antoine Malarewicz

Ressources humaines

Malaise entre un dirigeant et son équipe, affrontement entre deux unités de direction, conflit social relayé par les médias, blocage culturel, voire générationnel... autant de sources de stress et de difficultés en entreprise. Pas toujours manifestes, ces conflits peuvent se traduire par une crise larvée, dans laquelle se répètent des schémas relationnels générateurs de souffrance.Pratique en plein développement, la médiation est bien adaptée pour aborder ces situations dans leur diver-sité. L’approche systémique permet ici de proposer une analyse globale des enjeux relationnels et de déceler les « demandes cachées ».Faisant l’inventaire des situations qui requièrent l’inter-vention du médiateur ainsi que des ressorts de la crise, Jacques-Antoine Malarewicz s’appuie sur son expérience professionnelle pour définir une méthodologie de travail : identification de la demande et de ses conséquences, posi-tion du médiateur et utilisation par les parties prenantes, outils, déontologie, gestion par les problèmes et applica-tion à des cas réels.Très pratique, cet ouvrage constitue une excellente initia-tion à la gestion de conflits par la médiation. Il servira de support de réflexion aux décideurs et responsables de ressources humaines ainsi qu’aux médiateurs extérieurs.

Jacques-Antoine Malarewicz est médecin psychiatre, consultant en entreprise et formateur.Il intervient également comme coach auprès de dirigeants et d’équipes de direction.Spécialiste de l’approche systémique, il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence dans ce domaine, en particulier de Systémique et entreprise, Réussir son coaching grâce à l’approche systémique et Affaires de famille, chez Village Mondial.

Gérer les conflitsau travailLa médiation systémique en entreprise2e édition

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47 bis, rue des Vinaigriers75010 ParisTél. : 01 72 74 90 00Fax : 01 42 05 22 17www.pearson.fr

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