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GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

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GESTION DES RELATIONS SOCIALES

Dr Joao de SOUZA

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Les relations de travail ou relations professionnelles ou relations sociales

L’expression relations de travail — ou relations professionnelles — désigne le système dans

lequel les employeurs, les travailleurs et leurs représentants, ainsi que le gouvernement par

voie directe ou indirecte, échangent leurs points de vue et conjuguent leurs efforts pour fixer

les règles de base de la conduite des relations de travail. Cette expression désigne aussi un

champ de recherche voué à l’étude de ces relations. Il s’agit d’un legs de la révolution

industrielle, dont les excès ont conduit à l’émergence de syndicats pour représenter les

travailleurs et au développement de régimes collectifs de relations professionnelles. Tout

système de relations de travail ou de relations professionnelles est à l’image des interactions

entre ses principaux acteurs: l’Etat, l’employeur (ou des employeurs ou une association

d’employeurs), les syndicats et les travailleurs (qui peuvent adhérer ou non aux syndicats et à

d’autres organismes se proposant de les représenter). Les expressions «relations de travail» et

«relations professionnelles» sont également employées à propos de diverses formes de

participation des travailleurs; elles peuvent aussi englober la relation individuelle d’emploi

entre un employeur et un travailleur aux termes d’un contrat de travail écrit ou tacite, bien que

cette relation soit habituellement qualifiée de «relation d’emploi». L’usage de ces expressions

varie considérablement selon les époques et les endroits et reflète en partie l’évolution qui

caractérise ce domaine. Toutefois, on convient généralement qu’elles comprennent la

négociation collective, diverses formes de participation des travailleurs (comme les comités

d’entreprise et les comités d’hygiène et de sécurité) et les mécanismes de règlement des

différends collectifs et individuels. La grande diversité des systèmes de relations

professionnelles dans le monde suppose d’assortir les analyses comparatives et les

classifications de certaines mises en garde au sujet des risques de généralisation et d’analogies

trompeuses. Traditionnellement, on distingue quatre types de gestion en milieu de travail:

dictatoriale, paternaliste, institutionnelle, participative; ce chapitre traite principalement des

deux derniers types.

Tout système de relations professionnelles met en jeu des intérêts à la fois privés et publics.

L’Etat en est également partie prenante, mais son rôle va de l’interventionnisme à la passivité

selon les pays. La nature des rapports entre le monde syndical, le patronat et le gouvernement

en matière de sécurité et de santé est révélatrice de la situation globale des relations

professionnelles dans un pays, une branche d’activité, et vice versa. Un système de relations

professionnelles sous-développé tend à l’autoritarisme, l’employeur dictant des règles sans la

participation directe ou indirecte des salariés qui se bornent à accepter un emploi aux

conditions offertes.

Tout système de relations professionnelles comporte à la fois des valeurs de société (liberté

syndicale, sens de la solidarité au sein du groupe, recherche du profit maximum) et diverses

techniques (méthodes de négociation, organisation du travail, consultation et règlement des

différends). Par tradition, les systèmes de relations professionnelles sont classés par modèles

nationaux, mais la validité de cette façon de voir s’estompe devant la diversité de plus en plus

marquée des pratiques dans les pays et la montée en puissance d’une économie mondiale,

aiguillonnée par la concurrence internationale. Certains pays sont connus pour avoir des

modèles de relations professionnelles de type coopératif (Allemagne, Belgique), tandis que

d’autres ont des modèles qualifiés de conflictuels (Bangladesh, Canada, Etats-Unis). Divers

systèmes ont également fait l’objet d’une distinction sur la base de leur régime centralisé de

négociation collective (par exemple, les pays nordiques, bien qu’ils tendent à s’en éloigner,

comme on le voit en Suède), la négociation par branche sectorielle ou industrielle

(Allemagne), ou la négociation par entreprise ou par établissement (Etats-Unis, Japon). Dans

les pays qui sont passés d’une économie planifiée à une économie de marché, les systèmes de

relations professionnelles sont en période de transition. Par ailleurs, de plus en plus d’études

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analytiques portent sur la typologie des relations individuelles d’emploi en tant qu’indicateurs

des types de systèmes de relations professionnelles.

Même les descriptions classiques des systèmes de relations professionnelles ne sont pas du

tout figées, car ces systèmes évoluent et s’adaptent aux nouvelles situations, qu’elles soient

d’ordre économique ou politique. La mondialisation de l’économie de marché,

l’affaiblissement de l’Etat en tant que réelle force agissante et le déclin du pouvoir syndical

dans bon nombre de pays industrialisés constituent autant de sérieux défis lancés aux

systèmes traditionnels de relations professionnelles. Le progrès technologique a modifié le

contenu des tâches et l’organisation du travail; ces changements, en retour, influent

profondément sur la capacité d’épanouissement des régimes collectifs de relations

professionnelles et sur leur orientation. Le schéma traditionnel — horaires de travail

communs pour tous les salariés dans un même lieu — cède graduellement la place à des

horaires plus variés et à l’exécution décentralisée des tâches en divers endroits, y compris à

domicile, avec moins de surveillance directe de la part de l’employeur. Les relations d’emploi

dites «atypiques» méritent de moins en moins ce qualificatif puisque les effectifs de la main-

d’œuvre précaire ou occasionnelle continuent de grossir. Par ricochet, cette situation exerce

une pression sur les systèmes établis de relations professionnelles.

Des formes nouvelles de représentation et de participation des salariés sont en train de donner

une dimension supplémentaire au tableau des relations professionnelles dans un certain

nombre de pays. Tout système de relations professionnelles établit les règles de base,

formelles ou non, qui déterminent la nature des régimes collectifs de relations

professionnelles, ainsi que le cadre de la relation d’emploi individuelle entre un travailleur et

son employeur. Du côté patronal, de nouveaux acteurs viennent compliquer la situation,

notamment les bureaux de placement temporaire ou agences d’intérim et les sous-traitants

fournisseurs de main-d’œuvre qui peuvent avoir des responsabilités envers des travailleurs

sans exercer pour autant de contrôle sur les conditions d’exécution du travail, ou sans avoir la

possibilité d’assurer la formation à la sécurité. De plus, les employeurs des secteurs public et

privé sont régis par une réglementation distincte dans la plupart des pays; il existe souvent des

écarts considérables entre ces deux secteurs pour ce qui est des droits et de la protection des

salariés. En outre, le secteur privé est exposé à la concurrence internationale, qui n’influe pas

directement sur les relations professionnelles dans le secteur public.

Enfin, l’idéologie néolibérale, qui privilégie la conclusion de contrats d’emploi individuel au

détriment des conventions collectives, constitue une autre menace pour les systèmes

traditionnels de relations professionnelles. Ces systèmes sont nés de l’émergence de la

représentation collective des travailleurs, le passé ayant démontré qu’isolés, ceux-ci sont en

position de faiblesse par rapport à l’employeur. L’abandon de toute représentation collective

risquerait de rétablir une notion largement répandue au XIXe siècle selon laquelle chaque

personne est libre d’accepter un travail dangereux, et que c’est là une question de libre arbitre.

La mondialisation croissante de l’économie, le rythme accéléré des changements

technologiques et, partant, l’appel à une flexibilité accrue des institutions de relations

professionnelles lancent à ces dernières de nouveaux défis dont dépendent leur survie et leur

prospérité. En fonction de leurs traditions et de leurs institutions actuelles, les parties à un

système de relations de travail peuvent réagir très différemment à des pressions identiques,

exactement comme les gestionnaires peuvent choisir une stratégie établie en fonction des

coûts ou, plutôt, une stratégie axée sur la valeur ajoutée pour affronter une concurrence accrue

(Locke, Kochan et Piore, 1995). Le degré de participation des travailleurs ou le rôle de la

négociation collective dans un système de relations professionnelles influe sans aucun doute

sur l’approche des gestionnaires face aux problèmes de sécurité et de santé dans l’entreprise.

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Par ailleurs, une autre constante demeure, celle de la dépendance économique du travailleur

individuel par rapport à l’employeur; cette réalité qui sous-tend leur relation comporte de

graves conséquences potentielles en matière de sécurité et de santé. On considère que

l’employeur a l’obligation générale de garantir un milieu de travail sûr et salubre, de former

son personnel et de lui fournir l’équipement nécessaire pour qu’il puisse effectuer son travail

en sécurité. Réciproquement, il incombe au travailleur de se conformer aux règles de sécurité

et de santé et d’éviter de se blesser ou de blesser autrui dans l’accomplissement de ses

fonctions. Tout manquement à ces obligations ou à d’autres prescriptions peut aboutir à des

conflits, dont le règlement repose sur le système de relations professionnelles. Les

mécanismes de règlement des différends comprennent les règles qui régissent non seulement

les arrêts de travail (grèves, ralentissements de travail ou grèves perlées, grèves du zèle, etc.)

et les lock-out, mais encore les mesures disciplinaires et le licenciement des salariés. De plus,

dans de nombreux pays, les employeurs sont tenus de cotiser à divers organismes de

prévention, d’assurer la surveillance de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail, de

déclarer les accidents du travail et les maladies professionnelles et, indirectement,

d’indemniser les travailleurs victimes d’un accident du travail ou d’une maladie

professionnelle.

La gestion des ressources humaines

La gestion des ressources humaines est définie comme «la science théorique et pratique qui

traite de la nature de la relation d’emploi et de la totalité des décisions, actions et enjeux qui

ont trait à cette relation» (Ferris, Rosen et Barnum, 1995; voir figure 21.1). Elle englobe les

politiques et les pratiques formulées par l’employeur qui envisagent l’utilisation et

l’administration du personnel comme une ressource commerciale dans la stratégie globale de

l’entreprise visant à améliorer la productivité et la compétitivité. Cette expression est

fréquemment employée pour désigner une conception de l’administration du personnel qui

met l’accent sur la participation des salariés, normalement dans une organisation non

syndiquée (mais pas toujours), afin d’encourager les travailleurs à améliorer leur productivité.

Cette discipline, qui a vu le jour à l’époque de la première guerre mondiale, s’est constituée à

partir de la convergence des théories scientifiques sur la gestion, des travaux portant sur

l’assistance sociale et la psychologie du travail; elle a considérablement évolué depuis lors.

Actuellement, elle met en valeur les techniques d’organisation du travail, les méthodes de

recrutement et de sélection du personnel, l’évaluation du rendement, la formation, le

perfectionnement professionnel et l’organisation des carrières, ainsi que la participation

directe du personnel et la communication. La gestion des ressources humaines est présentée

comme une solution de rechange au «fordisme», le type classique de la production à la chaîne

où les ingénieurs sont chargés de l’organisation du travail et où les tâches assignées aux

travailleurs sont fractionnées et étroitement délimitées. Les formes courantes de participation

du personnel comprennent des systèmes d’incitation à l’initiative et aux suggestions, des

enquêtes sur les attitudes, des programmes de valorisation du travail, le travail en équipe et

d’autres formes de responsabilisation du même ordre, des programmes de qualité de la vie au

travail, des cercles de qualité et des groupes de travail spéciaux. Le cas échéant, une autre

caractéristique de la gestion des ressources humaines consiste à lier, individuellement ou

collectivement, le salaire au rendement. Signalons que l’un des trois objectifs définis par le

Comité mixte OIT/OMS de la santé au travail est «l’adoption de systèmes d’organisation du

travail et de cultures d’entreprise susceptibles de contribuer à la sécurité et à la santé au travail

et de promouvoir un climat social positif et le bon fonctionnement de l’entreprise» (BIT,

1995b). C’est ce que l’on appelle la recherche d’une «culture de la sécurité» dans l’entreprise.

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Figure 21.1 La gestion des ressources humaines: une valeur ajoutée aux personnes et aux

organisations

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L’exemple d’un programme de gestion de la sécurité au travail illustre certaines théories de la

gestion des ressources humaines sur le plan de la sécurité et de la santé des travailleurs.

Comme l’ont expliqué Reber, Wallin et Duhon (1993), cette approche a beaucoup contribué à

la diminution des absences dues aux accidents. Elle consiste à déterminer quels sont les

comportements sûrs et les comportements dangereux, à enseigner aux salariés à les

reconnaître et à encourager ceux-ci à observer les règles de sécurité en leur fixant des

objectifs et en les informant des résultats. Le programme fait largement appel à une technique

de formation consistant à montrer aux travailleurs les méthodes sûres et correctes par des

montages vidéo ou des démonstrations. Ils ont alors la possibilité de s’exercer afin de changer

de comportement et sont régulièrement informés des résultats. De plus, certaines entreprises

décernent des prix et des récompenses aux salariés qui adoptent un comportement respectueux

de la sécurité et y participent activement (au lieu de se contenter d’avoir moins d’accidents).

La consultation du personnel est aussi un élément important du programme.

Les répercussions de la gestion des ressources humaines sur la pratique des relations

professionnelles continuent de prêter à controverse. C’est particulièrement vrai des

programmes de participation du personnel qui sont perçus par les syndicats comme une

menace. Dans certains cas, des stratégies de gestion des ressources humaines sont menées

parallèlement à la négociation collective; dans d’autres, la gestion des ressources humaines

s’inscrit dans une perspective visant à supplanter ou à entraver les activités des organisations

indépendantes qui défendent les intérêts des travailleurs. Des partisans de la gestion des

ressources humaines soutiennent que, depuis les années soixante-dix, la fonction de gestion

du personnel dans la gestion des ressources humaines a évolué; autrefois simple soutien des

relations professionnelles, elle occupe maintenant une place de premier plan qui revêt une

importance cruciale pour l’efficacité d’une organisation (Ferris, Rosen et Barnum, 1995). La

gestion des ressources humaines étant un outil à la disposition de la direction pour mener sa

politique de personnel plutôt qu’un élément de rapprochement entre l’employeur et les

représentants choisis par les salariés, elle n’occupe pas une place prépondérante dans le

présent chapitre.

Les articles de ce chapitre décrivent les principales parties à un système de relations

professionnelles et les principes fondamentaux qui en charpentent l’interaction: la liberté

syndicale et le droit de représentation. Le corollaire naturel de la liberté syndicale est le droit

de mener des négociations collectives, phénomène qu’il faut distinguer des arrangements

concernant la consultation et la participation des travailleurs non syndiqués. La négociation

collective a lieu entre les représentants choisis par les travailleurs et ceux de l’employeur; elle

aboutit à une convention conclue d’un commun accord et liant les deux parties et peut porter

sur une gamme étendue de sujets. D’autres formes de participation des travailleurs, les

organismes consultatifs au niveau national, les comités d’entreprise et les délégués à la

sécurité et à la santé dans l’entreprise sont également des éléments importants de certains

systèmes de relations professionnelles; ils sont donc étudiés dans ce chapitre. La consultation

peut prendre diverses formes et se dérouler à différents niveaux: national, régional, branche

d’activité, entreprise. Les représentants du personnel qui siègent aux organismes consultatifs

peuvent avoir été choisis ou non par les travailleurs, et rien n’oblige l’Etat ou l’employeur à

donner suite aux souhaits exprimés par ces représentants ou à se plier aux résultats de la

consultation. Dans certains pays, la négociation collective et la consultation coexistent, mais

elles ne peuvent alors fonctionner convenablement que si l’on a pris soin d’en harmoniser les

dispositifs. Dans les deux cas, le droit à l’information en matière de sécurité et de santé et le

droit à la formation revêtent une importance cruciale. Enfin, ce chapitre tient compte du fait

que, dans tout système de relations professionnelles, des différends peuvent survenir, qu’ils

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soient individuels ou collectifs. Les questions de sécurité et de santé peuvent mener à un

conflit en matière de relations professionnelles et entraîner des arrêts de travail. Après une

analyse du rôle de l’inspection du travail dans les relations professionnelles, le chapitre se

termine par la description des modes de règlement des différends en matière de relations

professionnelles, dont l’arbitrage, la médiation ou le recours aux tribunaux ordinaires ou aux

juridictions du travail.

Les acteurs du système de relations professionnelles

On identifie habituellement trois acteurs en tant que parties à un système de relations

professionnelles: l’Etat, les employeurs et les représentants des travailleurs. Il faut maintenant

y ajouter les forces qui dépassent ces catégories: les accords d’intégration économique

régionaux, multilatéraux et autres passés par les Etats et les multinationales en tant

qu’employeurs qui n’ont pas une identité nationale, mais peuvent être considérées comme des

institutions du marché du travail. L’impact de ces phénomènes sur les relations

professionnelles étant encore mal connu à bien des égards, l’analyse portera surtout sur les

acteurs traditionnels, en gardant à l’esprit les limites d’une telle démarche dans une société de

plus en plus mondialisée. En outre, il faudrait affiner l’analyse du rôle de la relation d’emploi

individuel dans les systèmes de relations professionnelles et l’impact des nouvelles formes de

travail.

L’Etat

Depuis toujours, l’Etat a exercé une action sur l’ensemble des relations professionnelles, fût-

ce indirectement. Source de la législation, il influence inévitablement l’apparition et le

développement de tout système de relations professionnelles. Les lois peuvent entraver ou

faciliter, directement ou indirectement, la création d’organisations représentant les travailleurs

et les employeurs. La législation établit aussi un niveau minimal de protection des travailleurs

et fixe «les règles du jeu». Par exemple, elle peut accorder une protection plus ou moins

grande aux délégués à la sécurité et à la santé, ou aux salariés qui refusent d’exécuter un

travail qu’ils ont des motifs valables de considérer comme trop dangereux.

Par l’orientation qu’il imprime à son administration du travail, l’Etat pèse aussi sur le

fonctionnement du système de relations professionnelles. S’il fait appliquer efficacement la

loi grâce à l’inspection du travail, la négociation collective peut prendre le relais au point où

s’arrête le droit. En revanche, si l’infrastructure étatique permettant de faire valoir des droits

ou contribuant au règlement des différends entre employeurs et travailleurs est faible, les

parties devront elles-mêmes créer d’autres institutions ou mettre au point d’autres

arrangements.

L’attention que l’Etat porte à la mise en place d’un mécanisme — judiciaire ou autre — de

règlement des différends peut également influer sur la tournure des relations professionnelles.

La simplicité d’application des droits reconnus aux travailleurs, aux employeurs et à leurs

organisations respectives peut se révéler tout aussi importante que les droits proprement dits.

En effet, la décision d’un gouvernement de créer des juridictions spécialisées ou des instances

administratives pour trancher les différends collectifs ou individuels peut signaler la priorité

accordée à ces questions dans la société.

Dans de nombreux pays, l’Etat joue un rôle direct dans les relations professionnelles. Dans les

pays qui ne respectent pas les principes de la liberté syndicale, ce rôle risque de se résumer à

dominer purement et simplement les organisations d’employeurs et de travailleurs ou à

s’ingérer dans leurs activités. L’Etat peut tenter d’invalider les conventions collectives quand

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il y voit un obstacle à ses objectifs de politique économique. Il faut toutefois admettre qu’en

règle générale le rôle de l’Etat dans les pays industriels tend à promouvoir des relations

professionnelles ordonnées en établissant le cadre législatif indispensable, y compris un

minimum de protection pour les travailleurs et des services mis à la disposition des parties en

matière d’information, de conseil et de règlement des différends. Cela peut aller de la simple

acceptation des institutions de relations professionnelles et des parties prenantes à l’incitation

active de ces institutions. Dans quelques pays, l’Etat participe activement au système de

relations professionnelles, y compris aux négociations tripartites à l’échelle nationale. Depuis

plusieurs décennies en Belgique et, plus récemment, en Irlande, les représentants

gouvernementaux siègent avec ceux des milieux patronaux et syndicaux pour conclure un

contrat ou pacte national portant sur une vaste gamme d’enjeux sociaux et de problèmes liés

au travail. Autre exemple: le système de relations professionnelles en Argentine et au

Mexique compte depuis longtemps un mécanisme tripartite de fixation du salaire minimum.

L’intérêt de l’Etat à agir de la sorte réside dans sa volonté d’orienter l’économie nationale

dans un certain sens et de maintenir la paix sociale pendant la durée du pacte; ces accords bi-

ou tripartites créent le «dialogue social» tel qu’il est pratiqué en Australie (jusqu’en 1994), en

Autriche, en Belgique, en Irlande et aux Pays-Bas, par exemple. Les avantages et les

inconvénients de ce que l’on appelle l’esprit «corporatiste» ou «néocorporatiste» en matière

de relations professionnelles ont été largement débattus au fil des ans. Elle-même dotée d’une

structure tripartite, l’Organisation internationale du Travail prône de longue date une

coopération tripartite soutenue, où les «partenaires sociaux» jouent un rôle important dans

l’élaboration des politiques gouvernementales sur de nombreux sujets.

Dans certains pays, l’idée même de voir l’Etat intervenir comme négociateur dans des

négociations du secteur privé est impensable; tel est le cas en Allemagne ou aux Etats-Unis.

Abstraction faite de sa fonction législative, l’Etat se limite, en général, dans ce type de

systèmes, à aider les parties à conclure une entente, par exemple en offrant des services

volontaires de médiation. Actif ou passif, l’Etat n’en demeure pas moins un partenaire

incontournable dans tout système de relations professionnelles. De plus, chaque fois qu’il est

lui-même l’employeur ou qu’il s’agit d’une entreprise publique, l’Etat participe bien entendu

directement aux relations professionnelles avec les salariés et leurs représentants. Dans ce

contexte, la motivation de l’Etat ressortit à son rôle de prestataire de services publics ou

d’acteur de la scène économique.

Enfin, l’impact des accords d’intégration économique régionaux sur les politiques de l’Etat se

ressent également dans le domaine des relations professionnelles. Les Etats membres de

l’Union européenne ont adapté leurs pratiques aux directives concernant la consultation des

travailleurs et de leurs représentants, notamment les directives en matière de sécurité et de

santé. Des accords commerciaux multilatéraux, comme l’accord de coopération dans le

domaine du travail conclu dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain

(Canada, Etats-Unis, Mexique) (ALENA), ou les accords relatifs à la mise en œuvre du

Marché commun du cône sud (Argentine, Brésil, Chili, Paraguay, et Uruguay auxquels se

joindra bientôt la Bolivie) (MERCOSUR), contiennent aussi parfois des clauses ou des

dispositifs relatifs aux droits des travailleurs qui, avec le temps, peuvent avoir des

répercussions indirectes sur les systèmes de relations professionnelles des signataires.

L’Organisation internationale des employeurs (OIE)

L’Organisation internationale des employeurs (OIE), dont le siège est à Genève, regroupait, en

1996, 118 organisations centrales nationales d’employeurs de 116 pays. La structure particulière

des organisations affiliées peut différer d’un pays à un autre, mais pour pouvoir adhérer à l’OIE,

elles doivent toutes satisfaire à certaines conditions: être l’organisation la plus représentative des

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employeurs (des employeurs exclusivement) de leur pays, être une organisation libre, entièrement

indépendante, sans contrôle ou ingérence extérieurs d’aucune sorte; soutenir et défendre le

principe de la libre entreprise. On trouve parmi les membres de l’OIE des fédérations et des

confédérations patronales, des chambres de commerce et d’industrie, des conseils, des

associations. Les organisations régionales ou sectorielles ne peuvent en faire directement partie,

pas plus que des entreprises particulières, quelles que soient leur taille ou leur importance. L’OIE

peut se présenter ainsi en porte-parole de l’ensemble des employeurs, et non de tel ou tel secteur

ou de telle ou telle entreprise.

La principale activité de l’OIE, au demeurant, est de défendre les positions patronales sur les

problèmes du travail et les questions sociales au niveau international, c’est-à-dire principalement

au sein de l’OIT — institution des Nations Unies chargée de ces questions — où elle a un statut

consultatif. L’OIE a également le statut consultatif (catégorie I) auprès du Conseil économique et

social des Nations Unies, où elle intervient lors de l’examen de problèmes qui intéressent les

employeurs.

L’OIE est l’une des deux organisations que les entreprises ont constituées pour représenter leurs

intérêts au niveau international. L’autre, dont le siège est à Paris, est la Chambre de commerce

internationale, qui se préoccupe principalement des questions économiques. De structure très

différente, les deux organisations se complètent. Leur coopération est régie par un accord qui

définit leurs compétences respectives; elle est favorisée par les bonnes relations qu’entretiennent

leurs représentants et, dans certains cas, par la présence en leur sein des mêmes organisations.

Bien des questions chevauchent les mandats de l’une et de l’autre; elles sont traitées de façon

pragmatique, sans nulle friction. Sur d’autres sujets, les entreprises multinationales, par exemple,

les deux organisations agissent de concert.

par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de BIT, 1994)

Les employeurs

Les employeurs — au sens de fournisseurs de travail — font habituellement l’objet d’une

distinction dans les systèmes de relations professionnelles en fonction de leur appartenance au

secteur privé ou au secteur public. D’un point de vue historique, le syndicalisme et la

négociation collective ont d’abord pris leur essor dans le secteur privé, mais ces dernières

années, le phénomène s’est répandu aussi dans de nombreux milieux du secteur public. La

situation des entreprises appartenant à l’Etat — dont le nombre diminue de toute façon dans le

monde entier — en tant qu’employeur varie selon les pays (ces entreprises continuent à jouer

un rôle clé en Chine, en Inde, au Viet Nam et dans de nombreux pays africains). En Europe

centrale et orientale, l’une des gageures du postcommunisme a résidé dans la constitution

d’organisations indépendantes d’employeurs.

La situation dans le secteur privé se résume comme suit:

Les employeurs ont des intérêts communs à défendre, des causes précises à faire avancer. Les

buts qu’ils poursuivent en constituant des organisations déterminent le caractère de celles-ci:

chambres de commerce ou d’industrie, associations économiques, organisations patronales

(pour les problèmes du travail et les questions sociales) [...] Pour ce qui touche au domaine

social — droit du travail, négociation collective, salaires et conditions de travail, sécurité et

santé au travail, mise en valeur des ressources humaines, les employeurs se regroupent, pour

coordonner leur action, dans des organisations de type patronal de nature toujours volontaire

[...] (BIT, 1994a).

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Certaines organisations d’employeurs ont été constituées initialement en réponse à la pression

exercée par les syndicats en vue de négocier, mais d’autres s’inscrivent dans le droit-fil des

guildes médiévales ou autres, fondées pour défendre des intérêts commerciaux particuliers.

Les organisations d’employeurs sont définies comme des associations patronales structurées

dont la mission est de défendre et de représenter les employeurs affiliés, de les conseiller et

d’en renforcer la position au sein de la société en général en ce qui concerne les questions de

relations professionnelles, par opposition aux questions économiques [...] Contrairement aux

syndicats qui sont composés d’individus, les organisations d’employeurs sont composées

d’entreprises (Oechslin, 1995).

Comme l’a constaté Oechslin, trois fonctions principales (avec un certain chevauchement)

sont en général communes à toutes les organisations d’employeurs: la défense et la promotion

des intérêts de leurs membres, la représentation dans la structure politique et la prestation de

services à leurs membres. La première fonction se traduit en grande partie par des pressions

exercées sur le gouvernement pour le convaincre d’adopter des politiques favorables aux

intérêts des employeurs et par des actions visant à influencer l’opinion publique, surtout au

moyen de campagnes dans les médias. La fonction de représentation peut s’exercer dans la

structure politique ou les institutions chargées des relations professionnelles. La

représentation politique est présente dans les systèmes où la consultation des groupements

d’intérêts économiques est prévue par la loi (par exemple, en Suisse), où des conseils

économiques et sociaux assurent la représentation patronale (par exemple, en France, dans les

pays francophones d’Afrique et aux Pays-Bas), et où il y a participation à des forums

tripartites tels que la Conférence internationale du Travail et d’autres activités de l’OIT. De

plus, les organisations d’employeurs peuvent exercer une influence considérable au niveau

régional (en particulier dans l’Union européenne).

Le mode de représentation dans le système de relations professionnelles dépend étroitement

du niveau de la négociation collective dans un pays donné. Ce facteur détermine aussi en

grande partie la structure de l’organisation patronale. Si la négociation est centralisée au

niveau national, cela transparaîtra dans la structure interne et le mode de fonctionnement de

l’organisation patronale (banque centrale de données statistiques et économiques, création

d’un système d’assurance mutuelle en cas de grève, fort sens de la discipline au sein du

groupe, etc.). Même dans les pays où la négociation a lieu au niveau de l’entreprise (comme

aux Etats-Unis ou au Japon), l’organisation patronale peut procurer à ses membres de

l’information, des lignes directrices et des conseils. Bien entendu, la négociation sectorielle

(comme en Allemagne où, cependant, certains employeurs se sont récemment dissociés de

leurs associations) ou multisectorielle (comme en France ou en Italie) influe aussi sur la

structure des organisations patronales.

Quant à la troisième fonction, «il n’est pas toujours facile de tracer une ligne de démarcation

entre les activités de soutien des fonctions susmentionnées et celles qui sont entreprises dans

l’intérêt des membres», fait observer Oechslin (1995). La recherche illustre parfaitement cette

situation, car elle peut servir à des fins multiples. Dans le domaine de la sécurité et de la santé,

les employeurs appartenant aux diverses branches d’activité peuvent utilement partager des

données et de l’information. Souvent, des concepts nouveaux ou des réactions à des

développements novateurs dans le monde du travail sont le produit d’une vaste réflexion au

sein des organisations patronales. Ces groupes offrent aussi à leurs membres de la formation

sur de nombreux sujets concernant le management et mènent une action sur le plan social, par

exemple en favorisant la création d’habitations pour les travailleurs ou en soutenant les

activités communautaires. Dans certains pays, les organisations patronales aident leurs

membres en cas de saisine des tribunaux du travail.

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La structure des organisations d’employeurs dépend non seulement du niveau de la

négociation, mais encore de l’étendue du pays, du système politique et, parfois, des traditions

religieuses. Dans les pays en développement, le défi principal réside dans l’intégration des

membres qui forment un groupe très hétérogène pouvant comprendre des petites et moyennes

entreprises, des sociétés d’Etat et des filiales de multinationales. La force d’une organisation

patronale correspond aux ressources que ses membres sont disposés à lui consacrer, qu’il

s’agisse de cotisations et de contributions, ou de savoir-faire et de temps.

La taille d’une entreprise est un facteur déterminant de l’approche en matière de relations

professionnelles, l’employeur dont la main-d’œuvre est peu nombreuse étant plus susceptible

de recourir à des moyens informels pour traiter avec ses travailleurs. Les petites et moyennes

entreprises, dont les définitions varient, se trouvent parfois au-dessous du seuil légal qui

commande la participation des travailleurs. Quand la négociation collective se situe au niveau

de l’entreprise, il y a beaucoup plus de chances d’en constater l’application concrète dans les

grandes entreprises; quand elle se déroule aux niveaux sectoriel ou national, ses effets se

feront généralement sentir là où, historiquement, les grandes entreprises dominent le marché

du secteur privé.

En tant que groupes d’intérêts, les organisations patronales — comme les syndicats — sont

aux prises avec leurs propres problèmes pour ce qui est du leadership, de la prise de décisions

interne et de la participation des membres. Toutefois, les employeurs ayant tendance à être

individualistes, il est encore plus difficile pour les organisations patronales de maintenir la

discipline parmi leurs adhérents. Comme le signale van Waarden (1995), «en général, les

associations patronales comptent des ratios de densité élevés [...] Pourtant, les employeurs ont

beaucoup plus de mal à se plier aux décisions et aux règlements pris par leurs associations

parce que cela empiète sur la sacro-sainte liberté d’entreprise». Les tendances constatées dans

la structure des organisations patronales correspondent dans une large mesure à celles du

marché du travail — pour ou contre la centralisation, pour ou contre la réglementation de la

concurrence. Van Waarden poursuit: «quand bien même la pression en faveur d’une flexibilité

accrue se maintiendrait dans ‘l’après-fordisme’, cela ne rendrait pas pour autant les

associations patronales superflues ou moins influentes [...] Elles continueront de jouer un rôle

important en coulisses pour la coordination des politiques relatives au marché du travail,

comme conseillères des entreprises ou des associations sectorielles qui pratiquent la

négociation collective». Elles peuvent aussi assurer une fonction de solidarité; par l’entremise

des associations patronales, les petits employeurs ont accès à des services de conseils ou à des

services juridiques qui seraient, sinon, hors de leurs moyens.

Dans le secteur public, les employeurs ne se considèrent comme tels que depuis peu. A

l’origine, les gouvernements estimaient que la syndicalisation des fonctionnaires était

incompatible avec le service de l’Etat souverain. Par la suite, ils ont opposé un refus aux

appels à la négociation collective, sous le prétexte que le pouvoir législatif, et non

l’administration publique, était le véritable trésorier-payeur et qu’il était donc impossible à

l’administration de conclure une convention. Cependant, ces arguments n’ont pas empêché

des grèves (souvent illégales) de fonctionnaires dans bien des pays; ils ont été peu à peu

abandonnés. En 1978, la Conférence internationale du Travail a adopté la convention (no 151)

et la recommandation (no 159) sur les relations de travail dans la fonction publique, portant

sur le droit des fonctionnaires de s’organiser et sur les procédures de détermination de leurs

conditions d’emploi. La négociation collective dans le secteur public est à présent entrée dans

les mœurs dans de nombreux pays développés (Australie, France, Royaume-Uni), ainsi que

dans plusieurs pays en développement (par exemple, dans de nombreux pays francophones

d’Afrique et des pays d’Amérique latine).

Page 12: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Le niveau de représentation de l’employeur dans le secteur public dépend en grande partie du

système politique du pays. Dans certains pays, la représentation est centralisée (comme en

France), tandis que dans d’autres elle correspond aux divers paliers de gouvernement (comme

aux Etats-Unis où l’une des parties à la négociation peut être le gouvernement fédéral, un Etat

fédéré ou une municipalité). L’Allemagne présente un cas intéressant: les milliers de

collectivités locales ont formé un front commun représenté par un seul agent négociateur

chargé de traiter avec les syndicats du secteur public dans tout le pays.

Les employeurs du secteur public faisant partie de l’Etat, ils ne sont pas assujettis aux lois

exigeant l’enregistrement des organisations patronales. La désignation de l’agent négociateur

dans le secteur public varie considérablement d’un pays à un autre; ce peut être une

commission de la fonction publique, le ministère du Travail, le ministère des Finances ou

n’importe quel autre organe gouvernemental. Les positions adoptées par un employeur du

secteur public pour traiter avec ses employés tendent à s’aligner sur l’orientation politique du

parti au pouvoir. Cela peut aller d’une prise de position donnée dans la négociation au refus

catégorique d’accorder aux fonctionnaires le droit de se syndiquer. Bien que la fonction

publique devienne un employeur beaucoup moins important dans de nombreux pays, on

constate malgré tout une ouverture croissante de la part des gouvernements pour entreprendre

des négociations et des consultations avec les représentants des salariés.

Les syndicats

Selon la définition classique, un syndicat est «une association permanente de salariés ayant

pour but de maintenir ou d’améliorer leurs conditions d’emploi» (Webb et Webb, 1920). Les

origines du syndicalisme sont aussi anciennes que les premières tentatives d’action collective

concertée au début de la révolution industrielle. Toutefois, le syndicalisme moderne a vu le

jour vers la fin du XIXe siècle lorsque les gouvernements ont commencé à reconnaître

l’existence légale des syndicats (auparavant, ceux-ci étaient perçus comme des coalitions

illégales entravant la liberté du commerce, ou comme des groupes politiques hors la loi). Les

syndicats incarnent la conviction que les travailleurs ne peuvent améliorer leur situation qu’en

unissant leurs forces. Les droits syndicaux sont nés de luttes économiques et politiques dans

lesquelles des sacrifices individuels ont été consentis dans l’immédiat au profit de gains

collectifs à long terme. Les syndicats ont souvent une action importante dans la politique

nationale et influent sur l’évolution du monde du travail aux niveaux régional et international.

Pourtant, leurs rangs se sont clairsemés ces dernières années dans plusieurs pays (en

Amérique du Nord et dans certains pays européens), et leur rôle est contesté par plusieurs

observateurs (voir figure 21.2). Toutefois, il ne s’agit pas d’une tendance uniforme dans le

monde entier: les effectifs syndicaux augmentent dans la fonction publique de nombreux pays

et on assiste à un renouveau du syndicalisme dans des endroits où les syndicats étaient

inexistants ou les activités syndicales sévèrement restreintes (par exemple, en Corée, aux

Philippines, dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale). L’épanouissement des

institutions démocratiques va de pair avec l’exercice des libertés syndicales, comme le

montrent à l’évidence le Chili et la Pologne dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix.

Dans plusieurs pays, on peut également constater un mouvement de réforme interne et de

réorientation du monde syndical pour diversifier les effectifs et attirer un plus grand nombre

de personnes, notamment les femmes. Seul le temps dira si ces efforts et d’autres facteurs

seront suffisants pour faire contrepoids aux tendances à la «décollectivisation», qualifiée aussi

d’«atomisation» des relations professionnelles, qui accompagne la mondialisation croissante

de l’économie et la poussée de l’individualisme idéologique.

Page 13: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Figure 21.2 Taux de syndicalisation, 1980-1990

Dans les systèmes contemporains de relations professionnelles, les fonctions remplies par les

syndicats et les organisations d’employeurs sont, pour l’essentiel, les suivantes: défense et

promotion des intérêts des membres; représentation politique; prestations de services aux

membres. La fonction de représentation des syndicats comporte un autre aspect, le contrôle de

leur légitimité qui dépend en partie de leur capacité à maintenir la discipline dans leurs rangs,

par exemple lorsqu’il s’agit de déclencher une grève ou d’y mettre fin. Pour les syndicats, le

défi permanent consiste à renforcer leur représentativité, c’est-à-dire le nombre de leurs

membres exprimé en pourcentage de la main-d’œuvre recensée dans le secteur structuré. Les

membres des syndicats sont des individus dont les cotisations, appelées contributions dans

certains systèmes, alimentent les activités syndicales (les «syndicats maison», financés par les

employeurs, et les syndicats financés par les gouvernements, comme c’était le cas dans les

anciens pays communistes, ne sont pas pris en compte ici, car seules les organisations de

travailleurs indépendantes sont de véritables syndicats). En règle générale, l’affiliation est une

question de choix personnel et volontaire, bien que certains syndicats qui ont réussi à négocier

des clauses d’exclusivité ou de sécurité syndicale soient tenus pour les représentants de tous

les travailleurs visés par une convention collective donnée (par exemple, dans les pays où les

syndicats sont reconnus comme les représentants des travailleurs au sein d’une unité de

négociation définie). Les syndicats eux-mêmes peuvent s’affilier à des fédérations ou

confédérations au niveau d’une branche d’activité ou aux niveaux national, régional ou

international.

Page 14: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Les syndicats sont structurés selon divers schémas: par métier ou occupation, par branche

d’activité, parfois même par entreprise ou selon qu’ils rassemblent des cols blancs ou des cols

bleus. Il existe aussi des syndicats interprofessionnels qui groupent indifféremment les

travailleurs de plusieurs métiers ou branches d’activité. Même dans les pays où les fusions de

syndicats industriels et de syndicats interprofessionnels sont à l’ordre du jour, la situation des

travailleurs agricoles ou ruraux favorise souvent la mise sur pied de structures spéciales pour

ce secteur. En outre, un syndicat est souvent divisé en unités territoriales et en sous-unités

régionales et, parfois, locales. Dans certains pays, le mouvement ouvrier a été le théâtre de

scissions autour de lignes idéologiques (politique de parti), voire de convictions religieuses,

que l’on retrouve ensuite dans la structure même du syndicat et chez ses adhérents. Le

personnel de la fonction publique tend, pour sa part, à préférer une représentation syndicale

distincte des salariés du secteur privé, mais cette règle connaît des exceptions.

Les syndicats peuvent avoir le même statut juridique que les autres associations, mais sont

parfois assujettis à des règles spéciales. Dans un grand nombre de pays, les syndicats sont

tenus de s’enregistrer et de donner certains renseignements de base aux autorités (nom,

adresse, identité des dirigeants, etc.). Dans certains pays, ces exigences vont au-delà des

simples formalités administratives et constituent une ingérence; dans les cas extrêmes de

négation des principes de la liberté syndicale, les syndicats ont besoin de l’autorisation du

gouvernement pour exercer leurs activités. En tant que représentants des travailleurs, les

syndicats sont habilités à contracter des obligations au nom de leurs membres. Certains pays

(dont les Etats-Unis) exigent préalablement la reconnaissance des syndicats par l’employeur

pour toute négociation collective.

La représentation syndicale varie grandement d’un pays à un autre et à l’intérieur d’un même

pays. Dans certains pays d’Europe occidentale, par exemple, elle est très élevée dans le

secteur public, mais assez faible dans le secteur privé, surtout dans le tertiaire. Les taux de

syndicalisation des cols bleus dans cette partie du monde sont variés: élevés en Autriche et en

Suède, bas en France où, pourtant, le pouvoir politique des syndicats est bien supérieur à ce

que le nombre de leurs adhérents laisserait penser. Il existe une certaine corrélation positive

entre la négociation centralisée et la syndicalisation, mais elle n’est pas absolue.

En tant qu’associations volontaires, les syndicats établissent leurs propres règles, d’habitude

sous la forme d’un acte constitutif et de statuts. Dans une structure syndicale démocratique,

les membres choisissent leurs dirigeants syndicaux par scrutin direct ou par l’entremise de

délégués à une assemblée générale. Les règles qui régissent l’administration interne d’un petit

syndicat très décentralisé au sein d’un groupe professionnel donné seront généralement très

différentes de celles qui prévalent dans un grand syndicat centralisé interprofessionnel ou de

branche. Le syndicat doit répartir les tâches entre ses dirigeants, les délégués syndicaux

rémunérés et les autres, et coordonner le travail. Les ressources financières dont dispose un

syndicat varient aussi en fonction de son effectif et de la facilité de perception des cotisations.

L’instauration d’un système de prélèvement des cotisations syndicales à la source et de

versement direct au syndicat simplifie grandement ce problème. Dans la majeure partie de

l’Europe centrale et orientale, les syndicats qui étaient dominés et financés par l’Etat sont en

train de se transformer et d’être rejoints par de nouvelles organisations indépendantes; tous

luttent pour prendre leur place et fonctionner avec succès dans la nouvelle structure

économique. Les salaires extrêmement bas (et, partant, les faibles cotisations syndicales) qui

sont versés dans cette partie du monde et dans les pays en développement où les syndicats

sont encadrés par les gouvernements font qu’il est difficile d’y bâtir un mouvement syndical

fort et indépendant.

Page 15: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

En plus de leur importante fonction de négociation collective, les syndicats mènent une action

politique qui, dans de nombreux pays, constitue l’une de leurs principales activités. Elle peut

prendre la forme d’une représentation directe, un certain nombre de sièges leur étant réservés

au parlement (par exemple, au Sénégal) ou dans des organismes tripartites qui participent à

l’élaboration de la politique économique et sociale nationale (par exemple, en Autriche, en

France et aux Pays-Bas), ou encore dans des organes consultatifs tripartites en matière de

travail et d’affaires sociales (par exemple, dans de nombreux pays d’Amérique latine et dans

certains pays d’Afrique et d’Asie). Dans l’Union européenne, les fédérations syndicales ont

une nette influence sur l’élaboration de la politique sociale. Cependant, les syndicats font

évoluer les choses en exerçant leur pouvoir (au besoin appuyé par la menace de grèves) et en

faisant pression sur les décideurs politiques au niveau national. Les syndicats ont, certes,

réussi à obtenir une protection accrue de la loi pour tous les travailleurs dans le monde entier;

pourtant, d’aucuns pensent qu’il s’agit là d’une victoire à la Pyrrhus qui saperait, à long

terme, leur raison d’être. Souvent, les objectifs et les enjeux de l’action syndicale sur le plan

politique dépassent de loin les seuls intérêts du mouvement syndical; ce type de situation a été

parfaitement illustré par la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et par la solidarité

internationale exprimée par des syndicats dans l’ensemble du monde, non seulement en

paroles mais aussi en actes concrets (par exemple, en organisant avec l’aide des dockers le

boycottage du charbon importé d’Afrique du Sud). Il va de soi que le caractère offensif ou

défensif de l’action syndicale sur le plan politique dépend largement de l’orientation

prosyndicale ou antisyndicale du gouvernement en place. Il dépend aussi des relations des

syndicats avec les partis politiques; certains syndicats, notamment en Afrique, ont pris part à

la lutte pour l’indépendance de leur pays et entretiennent des liens très étroits avec le parti

politique au pouvoir. Dans certains pays, le mouvement syndical entretient traditionnellement

des rapports privilégiés avec un parti politique (Australie, Royaume-Uni), tandis qu’ailleurs

les alliances se font et se défont au fil du temps. Quoi qu’il en soit, le pouvoir des syndicats

dépasse souvent ce que le nombre de leurs adhérents pourrait laisser supposer, surtout quand

ils représentent les travailleurs de la fonction publique ou d’un secteur économique clé

comme les transports ou les mines.

Outre le syndicalisme proprement dit, on a assisté à l’émergence de nombreux autres types de

participation des travailleurs visant à assurer une représentation directe ou indirecte des

salariés. Ils coexistent parfois avec les syndicats; d’autres fois, ils constituent le seul mode de

participation ouvert aux travailleurs. Les fonctions et les pouvoirs des représentants des

travailleurs aux termes de ces arrangements sont décrits dans l’article «Les formes de

participation des travailleurs» du présent chapitre.

La troisième fonction principale des syndicats — fournir des services à leurs membres —

s’exerce essentiellement sur le lieu de travail. Un délégué d’atelier dans une entreprise se

trouve sur place pour veiller à ce que les droits reconnus aux travailleurs en vertu de la

convention collective et de la loi soient effectivement respectés et, si ce n’est pas le cas, pour

prendre les mesures qui s’imposent. Le travail du délégué syndical est de défendre les intérêts

des travailleurs face à la direction, ce qui justifie sa fonction de représentation. Cela peut

consister à présenter une réclamation individuelle en matière disciplinaire ou au sujet d’un

licenciement, ou à coopérer avec la direction aux travaux d’un comité mixte de sécurité et de

santé. Hors du lieu de travail, de nombreux syndicats offrent d’autres types d’avantages,

notamment des modalités préférentielles de crédit et la participation à des programmes

sociaux. La salle de réunion du syndicat peut également servir à des manifestations

culturelles, voire à des cérémonies familiales réunissant un grand nombre d’invités. La vaste

gamme des services qu’un syndicat peut offrir à ses membres reflète sa créativité, les

ressources dont il dispose, ainsi que son milieu culturel.

Page 16: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Visser fait observer ce qui suit:

Le pouvoir des syndicats dépend de divers facteurs internes et externes. Nous pouvons établir

une distinction entre le pouvoir organisationnel (quelles sources internes de pouvoir les

syndicats peuvent-ils mobiliser?), le pouvoir institutionnel (sur quelles sources externes de

soutien les syndicats peuvent-ils compter?) et le pouvoir économique (quelles forces du

marché font le jeu des syndicats?) (Visser, 1995).

Selon Visser, les facteurs qui contribuent à une forte structure syndicale sont la mobilisation

d’un nombre important et stable d’adhérents bien formés qui paient leurs cotisations (cet

effectif correspondant à la composition du marché du travail, pourrait-on ajouter), la capacité

d’éviter la fragmentation de l’organisation et les dissensions d’ordre politique ou idéologique,

ainsi que la mise sur pied d’une structure organisationnelle garantissant une présence dans

l’entreprise tout en centralisant le contrôle des fonds et la prise de décisions. Ce modèle, qui a

jusqu’ici bien réussi au niveau national, peut-il s’adapter à la mondialisation croissante de

l’économie? C’est le défi que les syndicats ont à relever.

Les fédérations internationales du travail

Le mouvement syndical international sur le plan mondial, par opposition aux niveaux régional et

national, est formé d’associations internationales de fédérations nationales de syndicats. A l’heure

actuelle, il existe trois internationales syndicales qui sont animées par des tendances idéologiques

distinctes: la Confédération internationale des syndicats libres (CISL); la Fédération syndicale

mondiale (FSM); la Confédération mondiale du travail (CMT), relativement petite et, à l’origine,

chrétienne. La plus importante, la CISL, comptait, en 1995, 174 syndicats affiliés dans 124 pays et

représentait 116 millions de syndiqués. Ces groupes font du lobbying auprès des organisations

intergouvernementales sur des questions de politique économique et sociale et militent en faveur

d’une protection des droits syndicaux fondamentaux dans le monde entier. On peut les qualifier de

force politique qui appuie le mouvement syndical international.

La force du mouvement syndical international réside dans les associations internationales de

syndicats organisés habituellement autour d’un métier, d’une branche d’activité ou d’un secteur de

l’activité économique. Appelés Secrétariats professionnels internationaux (SPI) ou Unions

internationales de syndicats (UIS), ils peuvent être indépendants, affiliés ou contrôlés par les

organisations internationales. Traditionnellement, ils sont organisés par secteur, mais aussi, dans

certains cas, par catégorie professionnelle (par exemple, les cols blancs) ou par employeur (du

secteur public ou du secteur privé). C’est ainsi qu’en 1995 il y avait en fonction 13 SPI dont les

vues étaient alignées sur celles de la CISL et qui étaient répartis dans les secteurs suivants:

bâtiment et bois; chimie, mines; énergie; activités commerciales, professionnelles, techniques et de

bureau; enseignement; spectacles; alimentation, agriculture, restauration; industries graphiques;

journalisme; métallurgie; postes et télécommunications; fonction publique; textile, confection et

travail du cuir; transports. Les SPI se concentrent surtout sur des enjeux particuliers aux branches

d’activité — conflits de travail et salaires et, aussi, application des dispositions en matière de

sécurité et de santé. Ils assurent, à leurs syndicats affiliés, des services d’information, d’éducation

et de formation. Ils contribuent également à coordonner la solidarité internationale entre syndicats

de différents pays et ils représentent les intérêts des travailleurs dans divers forums régionaux et

internationaux.

L’action des SPI est illustrée par la réponse syndicale internationale à la catastrophe de Bhopal, en

Inde (fuite de méthylisocyanate, qui a fait des milliers de victimes le 3 décembre 1984. A la

demande des syndicats nationaux indiens qui lui sont affiliés, la CISL et la Fédération

internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l’énergie, des mines et des industries

Page 17: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

diverses ont envoyé une mission d’enquête à Bhopal pour étudier les causes et les effets de ce

dégagement accidentel de gaz. Cette mission a permis d’établir un rapport contenant des

recommandations pour prévenir ce genre de catastrophe et une liste de principes de sécurité; ce

rapport a été utilisé par les syndicalistes de pays industriels comme de pays en développement et a

servi à l’élaboration de programmes de base visant à améliorer la sécurité et la santé au travail.

Source: Rice, 1995.

LES DROITS D’ASSOCIATION<="" article="">

Breen Creighton

Le rapport entre les droits d’association et de représentation et la sécurité et la santé au

travail

La consultation et la participation ne peuvent se révéler efficaces que dans un milieu où le

droit des employeurs et des travailleurs de s’associer librement et le droit de leurs

organisations respectives de pouvoir représenter efficacement les intérêts de leurs adhérents

jouissent d’une reconnaissance et d’un respect adéquats. Très concrètement, on peut donc voir

dans le droit de s’organiser un préalable fondamental de toute stratégie efficace en matière de

sécurité et de santé au travail, aussi bien à l’échelon national et international que sur le lieu de

travail. Cela étant, il convient d’examiner plus attentivement les normes internationales du

travail en matière de liberté syndicale, tout en ayant à l’esprit la manière dont elles

s’appliquent à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et à

l’indemnisation et la réadaptation des victimes. Les normes en matière de liberté syndicale

appellent une reconnaissance appropriée, en droit et en pratique, du droit des travailleurs et

des employeurs de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier, et la

reconnaissance correspondante du droit de ces organisations, dès qu’elles sont constituées, de

formuler et de mettre en œuvre librement leurs programmes d’action.

Les droits d’association et de représentation soulignent aussi la nécessité d’une coopération

tripartite (gouvernements, employeurs et travailleurs) dans le domaine de la sécurité et de la

santé au travail. Pareille coopération est préconisée dans les activités normatives de l’OIT, par

exemple:

en enjoignant aux gouvernements de consulter, à l’échelle nationale, les organisations

représentatives des employeurs et des travailleurs sur la définition et la mise en œuvre

d’une politique en matière de sécurité et de santé au travail (par exemple, l’article 4 de

la convention (no 162) sur l’amiante, 1986, et les articles 1 et 8 de la convention

(no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981);

en recommandant la consultation et la coopération concernant les questions de sécurité

et de santé au travail au niveau de l’installation (par exemple, l’article 9,

alinéas f) et g), de la convention (no 174) sur la prévention des accidents industriels

majeurs, 1993);

en demandant la participation des employeurs et des travailleurs à la définition et à la

mise en œuvre d’une politique en matière de sécurité et de santé en milieu de travail

(voir en particulier les articles 19 et 20 de la convention (no 155) sur la sécurité et la

santé des travailleurs, 1981, et le paragraphe 12 de la recommandation (no 164) sur la

sécurité et la santé des travailleurs, 1981).

Page 18: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

L’OIT et les droits d’association et de représentation

Le «droit d’association en vue de tous objets non contraires à la loi aussi bien pour les salariés

que pour les employeurs» faisait partie des méthodes et principes stipulés à l’article 41 de la

première Constitution de l’OIT (art. 427, 2) du Traité de Versailles). A présent, ce principe est

expressément reconnu dans le Préambule de la Constitution comme l’un des préalables

fondamentaux de la justice sociale, elle-même considérée comme le préalable fondamental

d’une paix universelle et durable. Une reconnaissance expresse est également accordée à ce

principe et à celui du tripartisme au paragraphe I de la Déclaration de Philadelphie, annexée à

la Constitution en 1946. Cette confirmation constitutionnelle de l’importance du respect des

principes de la liberté syndicale contribue à asseoir l’un des fondements juridiques du pouvoir

de la Commission d’investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale et du

Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du BIT d’ouvrir une information

concernant les allégations de violation des principes de la liberté syndicale.

Dès 1921, la Conférence internationale du Travail adoptait la convention (no 11) sur le droit

d’association (agriculture), laquelle dispose que les Etats la ratifiant s’engagent «à assurer à

toutes les personnes occupées dans l’agriculture les mêmes droits d’association et de coalition

qu’aux travailleurs de l’industrie». Cependant, cette convention est muette au sujet des droits

à accorder aux travailleurs de l’industrie avec lesquels les personnes occupées dans

l’agriculture doivent être traitées sur un pied d’égalité! Les tentatives amorcées dans les

années vingt en vue d’adopter un instrument plus général portant sur la liberté syndicale se

heurtèrent à l’intransigeance des employeurs et des gouvernements, qui exigeaient que le droit

de constituer des syndicats et de s’y affilier fût obligatoirement assorti du droit corrélatif de ne

pas s’y affilier. La question a été rouverte tout de suite après la seconde guerre mondiale et

réglée par l’adoption de la convention (no 84) sur le droit d’association (territoires non

métropolitains), 1947, de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit

syndical, 1948, et de la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation

collective, 1949.

Les conventions nos 87 et 98 figurent parmi les plus importantes et les plus ratifiées de toutes

les conventions internationales du travail: au 31 décembre 1997, la convention no 87 avait été

ratifiée par 121 Etats, la convention no 98 par 137. Ensemble, ces deux conventions énoncent

ce que l’on peut considérer à juste titre comme les quatre éléments clés de la notion de liberté

syndicale. Elles sont tenues pour le point de référence de la protection internationale de la

liberté syndicale, comme le dénotent par exemple l’article 8 du Pacte international relatif aux

droits économiques, sociaux et culturels, et l’article 22 du Pacte international relatif aux droits

civils et politiques. Dans la structure de l’OIT, elles forment l’assise des principes de la liberté

syndicale élaborés et appliqués par la Commission d’investigation et de conciliation en

matière de liberté syndicale et le Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration

du BIT, bien que, d’un point de vue technique, la compétence de ces organes dérive de la

Constitution de l’Organisation plutôt que des conventions. Elles sont aussi au cœur des

délibérations de la Commission d’experts pour l’application des conventions et

recommandations et de la Commission de l’application des normes de la Conférence

internationale du Travail sur l’application des conventions et des recommandations.

Il faut comprendre qu’en dépit de leur rôle de pivot les conventions nos 87 et 98 ne sont

nullement les seuls instruments normatifs qui aient été adoptés sous les auspices de l’OIT

dans le domaine de la liberté syndicale. Au contraire, depuis 1970, la Conférence

internationale du Travail a adopté quatre autres conventions et quatre autres recommandations

Page 19: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

qui traitent de manière plus approfondie des divers aspects des principes de la liberté

syndicale ou de leur application dans certains contextes précis:

la convention (no 135) et la recommandation (no 143) concernant les représentants des

travailleurs, 1971;

la convention (no 141) et la recommandation (no 149) sur les organisations de

travailleurs ruraux, 1975;

la convention (no 151) et la recommandation (no 159) sur les relations de travail dans

la fonction publique, 1978;

la convention (no 154) et la recommandation (no 163) sur la négociation collective,

1981.

Les principes de la liberté syndicale

Les éléments fondamentaux

Les éléments fondamentaux des principes de la liberté syndicale énoncés aux conventions

nos 87 et 98 sont les suivants:

«les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans

autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de

s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces

dernières» (art. 2 de la convention no87);

dès qu’elles sont constituées, les organisations d’employeurs et de travailleurs ont le

droit «d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs

représentants, d’organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme

d’action» (art. 3, 1) de la convention no87). De plus, les autorités publiques doivent

«s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice

légal» (art. 3, 2) de la même convention);

«les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de

discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi» (art.

1, 1) de la convention no 98);

«des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises

pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de

procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les employeurs

et les organisations d’employeurs, d’une part, et les organisations de travailleurs,

d’autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi» (art. 4 de la

convention no 98).

Toutes les garanties données par la convention no 87 sont subordonnées à la condition

énoncée à l’article 8, 1): «dans l’exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente

convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus [...]

de respecter la légalité». Cette disposition est elle-même subordonnée à la condition suivante:

«la législation nationale ne devra pas porter atteinte ni être appliquée de manière à porter

atteinte aux garanties prévues par la présente convention» (art. 8, 2)).

Il convient également de signaler qu’en vertu de l’article 9, 1) de la convention no 87 il est

permis, mais pas obligatoire, de déterminer la mesure dans laquelle les garanties prévues par

cette convention s’appliqueront aux forces armées et à la police. L’article 5, 1) de la

convention no 98 est identique, tandis que l’article 6 dispose que: «la présente convention ne

traite pas de la situation des fonctionnaires publics et ne pourra, en aucune manière, être

interprétée comme portant préjudice à leurs droits ou à leur statut».

Page 20: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Le droit de s’affilier

Le droit des travailleurs et des employeurs de constituer des organisations de leur choix et de

s’y affilier est la clé de voûte de toutes les autres garanties inscrites dans les conventions

nos 87 et 98 et les principes de la liberté syndicale. Ce droit n’est assujetti qu’à la réserve

énoncée à l’article 9, 1) de la convention no 87. Autrement dit, il n’est pas permis de priver

quelque groupe de travailleurs que ce soit, hormis les membres des forces armées ou de la

police, du droit de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier. Il s’ensuit que

le refus ou la limitation du droit des fonctionnaires, des travailleurs agricoles, des enseignants,

etc., de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier est incompatible avec les

dispositions de l’article 2.

Toutefois, le règlement d’un syndicat ou d’une organisation patronale peut limiter les

catégories de travailleurs ou d’employeurs habilités à s’affilier. L’important est que cette

limitation résulte du libre choix des membres de l’organisation et ne soit pas imposée de

l’extérieur.

Le droit d’association prévu à l’article 2 n’est assorti d’aucun droit corrélatif de ne pas

s’associer. On se souviendra que les tentatives faites antérieurement visant à adopter une

convention générale sur la liberté syndicale ont échoué en raison de l’intransigeance des

délégués employeurs et de certains délégués gouvernementaux qui exigeaient que le droit de

s’associer comportât automatiquement son corollaire, à savoir le droit de ne pas s’associer.

Cette question a été soulevée à nouveau lors des débats sur les conventions nos 87 et 98. A

cette occasion, un compromis a permis à la Conférence internationale du Travail d’adopter

une résolution déclarant que la mesure dans laquelle les dispositifs de sécurité syndicale

(notamment les arrangements en matière de monopole syndical d’embauche («closed shop»),

de versement d’une cotisation de solidarité pour les travailleurs non syndiqués («agency

shop») ou de prélèvement des cotisations à la source sont permis ou s’appliquent relève de la

pratique et de la réglementation de chaque Etat. Autrement dit, les conventions ne sauraient

être interprétées comme autorisant ou comme interdisant le monopole d’embauche et les

autres clauses de sécurité syndicale, bien que ces mesures soient tenues pour inacceptables

quand elles sont imposées par le pouvoir législatif, et non adoptées d’un commun accord par

les parties (BIT, 1994b; 1995a).

La question la plus délicate concernant l’article 2 est la suivante: jusqu’à quel point confirme-

t-il la notion de pluralisme syndical? En d’autres termes, le pouvoir législatif peut-il, sans

contrevenir à l’article 2, limiter directement ou indirectement le droit des travailleurs (ou des

employeurs) de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier en appliquant des

critères administratifs ou législatifs?

Cette question soulève deux ensembles d’intérêts contradictoires. D’une part, l’article 2 vise

indiscutablement à protéger le droit des travailleurs et des employeurs de choisir

l’organisation à laquelle ils souhaitent s’affilier et de ne pas s’affilier aux organisations dont

ils ne partagent pas les vues politiques, confessionnelles ou autres. D’autre part, les

gouvernements (et en vérité les syndicats) peuvent soutenir que la multiplication excessive

des syndicats et des organisations patronales à laquelle l’exercice illimité du libre choix risque

d’aboutir n’est pas propice à l’épanouissement d’organisations libres et efficaces, ni à

l’établissement et au maintien de procédures de relations professionnelles ordonnées. Le

problème se posait de manière particulièrement aiguë à l’époque de la guerre froide, lorsque

les gouvernements cherchaient souvent à restreindre, pour des motifs idéologiques, le choix

des syndicats auxquels les travailleurs pouvaient adhérer. Cette question demeure très délicate

dans de nombreux pays en développement où les gouvernements, pour de bonnes ou de

Page 21: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

mauvaises raisons, veulent empêcher ce qu’ils jugent comme une prolifération excessive des

syndicats, en imposant des restrictions quant au nombre ou à l’importance de ceux qui

peuvent exercer leur activité dans un milieu de travail donné ou dans un secteur précis de

l’économie. Les organes de contrôle de l’OIT tendent à adopter une attitude assez restrictive:

ils autorisent le monopole syndical quand il résulte du libre choix des travailleurs dans le pays

en question et admettent l’adoption de critères «raisonnables» d’enregistrement, mais ils

désapprouvent fermement tout monopole imposé par voie légale et tous critères

«déraisonnables» d’enregistrement. Ce faisant, les organes de contrôle de l’OIT se sont

exposés à d’innombrables critiques, en particulier de la part de gouvernements de pays en

développement qui les accusent d’adopter une approche eurocentriste pour l’application de la

convention; ce reproche renvoie au fait que les préoccupations typiquement européennes en

matière de droits de la personne sont réputées incompatibles avec les coutumes de

nombreuses cultures non européennes où l’intérêt général de la collectivité l’emporte sur celui

des individus.

L’autonomie des organisations et le droit de grève

Si l’article 2 de la convention no 87 protège le droit fondamental des employeurs et des

travailleurs de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier, l’article 3 peut être

considéré comme son corollaire logique, qui protège le libre fonctionnement des organisations

dès qu’elles sont constituées.

L’article 3, 1) précise clairement le droit d’élaborer, d’adopter et d’appliquer les statuts et

règlements administratifs des organisations et de tenir des élections. Cependant, les organes

de contrôle ont accepté qu’il soit permis aux autorités publiques d’imposer des conditions

minimales visant la teneur ou l’administration des statuts et règlements «dans le but de

protéger les droits des membres en assurant une bonne gestion et en prévenant des

complications juridiques qui pourraient surgir en cas d’obscurité ou d’imprécisions des statuts

et des règlements» (BIT, 1994b). Toutefois, si l’application de ces conditions est trop

compliquée ou restrictive, il est probable que celles-ci seront déclarées incompatibles avec les

exigences de l’article 3.

Depuis des années, les organes de contrôle ont constamment affirmé que «le droit de grève est

un corollaire indissociable du droit d’association syndicale protégé par la convention no 87»

(BIT, 1994b):

La Commission [d’experts] est d’avis que le droit de grève est un des moyens essentiels dont

disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et pour défendre leurs

intérêts économiques et sociaux. Ces droits se rapportent non seulement à l’obtention de

meilleures conditions de travail ou aux revendications collectives d’ordre professionnel, mais

englobent également la recherche de solutions aux questions de politique économique et

sociale et aux problèmes qui se posent à l’entreprise et qui intéressent directement les

travailleurs.

C’est l’un des aspects les plus controversés de toute la jurisprudence concernant la liberté

syndicale; ces dernières années surtout, il a fait l’objet de critiques vigoureuses de la part des

membres employeurs et gouvernementaux de la Commission de l’application des normes à la

Conférence internationale du Travail (voir, par exemple, Conférence internationale du

Travail, 80e session, 1993: Compte rendu des travaux, no 25, pp. 10-12 et pp. 58-64;

Conférence internationale du Travail, 81e session, 1994: Compte rendu des travaux, no 25, pp.

92-94 et pp. 179-180). C’est pourtant un point solidement ancré dans la jurisprudence sur la

liberté syndicale. Ce droit est clairement reconnu à l’article 8, 1) d) du Pacte relatif aux droits

Page 22: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

économiques, sociaux et culturels et a été approuvé par la Commission d’experts dans son

Etude d’ensemble de 1994 sur la liberté syndicale et la négociation collective (BIT, 1994b).

Toutefois, il faut bien comprendre que le droit de grève, tel qu’il est reconnu par les organes

de contrôle, n’est pas inconditionnel. Tout d’abord, il ne s’applique pas aux groupes de

travailleurs pour lesquels il est permis de limiter les garanties énoncées à la convention no 87,

à savoir les membres des forces armées et de la police. Par ailleurs, il a été décidé que le droit

de grève peut être légitimement refusé aux «fonctionnaires publics agissant comme organes

de la puissance publique» et aux travailleurs assurant des services essentiels, c’est-à-dire ceux

«dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population,

la vie, la sécurité ou la santé de la personne». Cependant, toute restriction visant le droit de

grève des travailleurs de ces deux catégories doit être assortie de garanties compensatoires,

«par exemple de procédures de conciliation et de médiation, aboutissant en cas d’impasse à un

mécanisme d’arbitrage recueillant la confiance des intéressés. Il est impératif que ces derniers

puissent participer à la définition et à la mise en œuvre de la procédure, qui devrait par

ailleurs présenter des garanties suffisantes d’impartialité et de rapidité; les décisions arbitrales

devraient avoir un caractère obligatoire pour les deux parties et, une fois rendues, pouvoir être

exécutées rapidement et complètement» (BIT, 1994b).

Il est également permis de restreindre temporairement l’exercice du droit de grève «dans une

situation de crise nationale aiguë». Sur un plan plus général, il est possible d’imposer d’autres

conditions préalables comme la tenue d’un vote sur le déclenchement d’une grève,

l’épuisement des procédures de conciliation et ainsi de suite, qui restreignent l’exercice du

droit de grève. Toutefois, toutes ces restrictions doivent être «raisonnables» et ne pas

restreindre considérablement les possibilités d’action des organisations syndicales.

Le droit de grève est souvent qualifié d’ultime carte de la négociation collective. Si l’article 3

est interprété de manière à le protéger, il semble alors raisonnable de présumer que cet article

doit aussi protéger la négociation collective proprement dite. Les organes de contrôle ont

effectivement adopté ce point de vue à plusieurs reprises, mais en général ils ont préféré

fonder leur jurisprudence concernant la négociation collective sur l’article 4 de la convention

no 98 (pour une analyse plus détaillée de la jurisprudence de l’OIT sur le droit de grève, voir

Hodges-Aeberhard et Odero de Dios, 1987; Ben-Israel, 1988).

L’autonomie des organisations d’employeurs et de travailleurs est également traitée aux

articles 4 à 7 de la convention no 87 et à l’article 2 de la convention no 98. L’article 4 dispose

que ces organisations «ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie

administrative». Cela ne signifie pas qu’il ne soit pas possible d’annuler leur enregistrement

ou de les dissoudre, par exemple lorsqu’elles commettent des fautes graves en matière de

relations professionnelles ou lorsqu’elles ne sont pas gérées conformément à leurs statuts; cela

signifie que, le cas échéant, toute sanction de cet ordre doit être imposée par un tribunal

dûment constitué ou par tout autre organe approprié, et non par décision administrative.

L’article 5 protège le droit des organisations de constituer des fédérations et des

confédérations ainsi que celui de s’y affilier, et le droit de toute organisation, fédération ou

confédération de s’affilier à des organisations internationales de travailleurs et d’employeurs.

De plus, selon l’article 6, les garanties énoncées aux articles 2, 3 et 4 s’appliquent aux

fédérations et aux confédérations de la même façon qu’elles visent les organisations du

premier niveau, et l’article 7 prévoit que l’acquisition de la personnalité juridique par les

organisations d’employeurs ou de travailleurs ne peut être subordonnée «à des conditions de

nature à mettre en cause l’application des dispositions des articles 2, 3 et 4».

Page 23: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Enfin, l’article 2, 1) de la convention no 98 dispose que «les organisations de travailleurs et

d’employeurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes d’ingérence des

unes à l’égard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres, dans leur

formation, leur fonctionnement et leur administration». En pratique, il paraît peu probable que

des syndicats veuillent ou puissent effectivement entraver le fonctionnement interne des

organisations d’employeurs. En revanche, il est tout à fait concevable que, dans certaines

circonstances, des employeurs ou leurs organisations cherchent à s’immiscer dans les affaires

internes d’organisations de travailleurs — par exemple, en les finançant partiellement ou

intégralement. Cette éventualité est expressément évoquée à l’article 2, 2):

Sont notamment assimilées à des actes d’ingérence au sens du présent article des mesures

tendant à provoquer la création d’organisations de travailleurs dominées par un employeur ou

une organisation d’employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des

moyens, financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle

d’un employeur ou d’une organisation d’employeurs.

La protection contre les actes de discrimination antisyndicale

Pour que les garanties énoncées aux conventions nos 87 et 98 s’appliquent concrètement, il

convient que les personnes qui exercent leur droit de constituer des organisations de

travailleurs et de s’y affilier soient protégées de toutes formes de discrimination ou de

représailles et qu’elles n’en soient pas victimes à la suite de leur décision. Cette logique est

reconnue à l’article 1, 1) de la convention no 98, lequel dispose en effet que «les travailleurs

doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à

porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi». L’article 1, 2) précise:

Une telle protection doit notamment s’appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but

de:

a) subordonner l’emploi d’un travailleur à la condition qu’il ne s’affilie pas à un syndicat ou

cesse de faire partie d’un syndicat;

b) congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son

affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de

travail ou, avec le consentement de l’employeur, durant les heures de travail.

Les actes de discrimination antisyndicale commis à ces fins comprennent le refus d’embauche

et le licenciement, ainsi que d’autres mesures: «transfert, mutation, rétrogradation, privations

ou restrictions de tous ordres (rémunération, avantages sociaux, formation professionnelle)»,

qui peuvent causer un très grave préjudice au travailleur qui en est victime (voir aussi les

articles 5 a), b) et c) de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, ainsi que BIT,

1994b, paragr. 212).

Ainsi, il doit non seulement exister une protection complète contre toute discrimination

antisyndicale au sens de la convention no 98, mais, en vertu de l’article 3, il faut aussi disposer

de moyens efficaces pour appliquer ces garanties:

Les normes législatives sont insuffisantes si elles ne s’accompagnent pas de procédures

efficaces et rapides, et de sanctions suffisamment dissuasives pour en assurer l’application.

[...] L’obligation faite à l’employeur de prouver que la mesure alléguée comme antisyndicale

était liée à des questions autres que syndicales, ou l’établissement d’une présomption en

faveur des travailleurs constituent des moyens complémentaires pour assurer une protection

Page 24: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

efficace du droit syndical garanti par la convention. Une législation qui permet, en pratique, à

l’employeur de mettre fin à l’emploi d’un travailleur à condition de payer l’indemnité prévue

par la loi pour tous les cas de licenciement injustifié [...] n’est pas suffisante au regard de

l’article 1 de la convention. La législation devrait également prévoir un mécanisme efficace

de mise en œuvre des moyens de réparation, la réintégration du travailleur licencié avec

dédommagement rétroactif constituant le remède le plus approprié aux actes de discrimination

antisyndicale (BIT, 1994b).

La négociation collective

La garantie énoncée à l’article 4 de la convention no 98 est interprétée comme protégeant à la

fois le droit d’engager une négociation collective et l’autonomie des parties à la négociation.

Autrement dit, le fait de refuser à des employeurs et à des travailleurs le droit d’entreprendre

une négociation collective s’ils le désirent est incompatible avec l’article 4; toutefois, il n’est

pas contraire à la convention de refuser ce droit aux membres des forces armées et de la

police, car «la convention ne traite pas de la situation des fonctionnaires commis à

l’administration de l’Etat». Non seulement les parties doivent être libres d’engager une

négociation collective si elles le veulent, mais encore, il faut leur permettre de mener la

négociation comme elles le jugent bon et de parvenir à une entente qu’elles auront elles-

mêmes négociée sans ingérence des autorités publiques — sous réserve de certains critères

liés à «des raisons impérieuses d’intérêt national économique» (BIT, 1994b) et de conditions

raisonnables quant à la forme, à l’enregistrement, etc.

Toutefois, l’article 4 n’est pas interprété comme protégeant le droit des syndicats d’être

reconnus aux fins de la négociation collective. Les organes de contrôle ont souligné à maintes

reprises que pareille reconnaissance était souhaitable, mais ils se sont abstenus de passer à

l’étape suivante: ils n’ont pas déclaré que le refus de reconnaître un syndicat ou l’absence

d’un mécanisme pouvant obliger l’employeur à reconnaître le syndicat auquel les salariés sont

affiliés constituaient des violations de l’article 4 (BIT, 1994b, 1995a). Ils ont motivé cette

interprétation en indiquant que la reconnaissance obligatoire amputerait la négociation

collective du caractère volontaire prévu à l’article 4 (BIT, 1995a). On peut répliquer à cela

que le droit apparent de pratiquer la négociation collective est inévitablement compromis si

les employeurs sont libres de refuser d’y participer, nonobstant leur droit de négocier s’ils le

désirent. Par ailleurs, l’idée de permettre aux employeurs de refuser de reconnaître les

syndicats dont leurs salariés sont membres semble assez difficile à concilier avec le devoir de

«promouvoir» la négociation collective qui est manifestement l’objet principal de l’article 4

(Creighton, 1994).

L’application des principes de la liberté syndicale à la sécurité et à la santé au travail

Les normes internationales du travail relatives à la sécurité et à la santé au travail consacrent

le concept de participation bi- ou tripartite dans trois contextes principaux: 1) formulation et

mise en œuvre d’une politique nationale; 2) consultation entre employeurs et travailleurs sur

le lieu de travail; 3) participation conjointe des employeurs et des travailleurs à la formulation

et à la mise en œuvre d’une politique sur le lieu de travail. La participation effective des

employeurs et (surtout) des travailleurs dans ces trois contextes dépend donc absolument

d’une reconnaissance adéquate de leurs droits d’association et de représentation.

Le respect du droit de constituer des organisations et de s’y affilier est manifestement un

préalable fondamental des trois formes de participation conjointe. La consultation et la

participation au niveau gouvernemental sont possibles uniquement s’il existe des

organisations puissantes et efficaces pouvant être considérées comme représentatives des

Page 25: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

intérêts de leurs membres. Cela est indispensable à la fois pour faciliter la communication et

pour amener le gouvernement à prendre au sérieux les opinions exprimées par les

représentants des employeurs et des travailleurs. A fortiori, la consultation et la participation

dans l’entreprise ne constituent une proposition réaliste que si les travailleurs ont le droit de

former des organisations et de s’affilier à celles qui sont en mesure de représenter leurs

intérêts dans les discussions avec les employeurs et leurs organisations, de fournir des

ressources pour soutenir les représentants des travailleurs, d’intervenir utilement dans les

échanges avec les services publics d’inspection du travail, etc. Théoriquement, les

représentants des travailleurs devraient pouvoir exercer leurs fonctions dans l’entreprise sans

qu’il soit nécessaire d’entretenir des liens avec une organisation de niveau supérieur, mais les

rapports de force dans la plupart des entreprises sont tels que les représentants des travailleurs

ont peu de chances de pouvoir exercer leurs fonctions avec efficacité sans le soutien d’une

telle organisation. En tout état de cause, il faut au moins que les travailleurs puissent se faire

représenter et faire valoir leurs intérêts de cette façon s’ils le souhaitent.

Le libre fonctionnement des organisations d’employeurs et de travailleurs est également un

préalable fondamental à toute participation significative, et ce, à tous les niveaux. Par

exemple, il est indispensable que les organisations de travailleurs aient le droit de formuler et

de mettre en œuvre, sans ingérence extérieure, leurs politiques en matière de sécurité et de

santé au travail, aux fins de la consultation avec le gouvernement concernant: 1) les questions

telles que la réglementation des matières et des procédés dangereux; 2) la formulation de la

politique législative relative à la réparation des accidents du travail ou à la réadaptation des

travailleurs accidentés. Cette autonomie est d’autant plus importante dans l’entreprise que les

organisations de travailleurs ont besoin d’établir et de maintenir la capacité de défendre les

intérêts de leurs membres dans les discussions avec les employeurs en matière de sécurité et

de santé au travail, notamment sur les points suivants: droits d’accès aux lieux de travail pour

les dirigeants syndicaux ou les spécialistes de la sécurité et de la santé; recours aux autorités

publiques et à leur aide dans les situations dangereuses; dans certaines circonstances,

lancement d’une action syndicale afin de protéger la sécurité et la santé de leurs membres.

Pour être efficace, le libre fonctionnement requiert aussi que les membres et les dirigeants des

syndicats bénéficient d’une protection suffisante contre toute forme de discrimination ou de

représailles motivée par leur affiliation syndicale ou leurs activités syndicales, ou parce qu’ils

seraient à l’origine de poursuites judiciaires en matière de sécurité et de santé au travail ou

qu’ils y auraient participé. Autrement dit, les garanties contre la discrimination énoncées à

l’article 1 de la convention no 98 sont tout aussi pertinentes dans le cas de l’activité syndicale

relative à la sécurité et à la santé au travail que pour toutes les autres formes d’activité

syndicale comme la négociation collective, le recrutement, etc.

Le droit d’engager une négociation collective en toute indépendance est aussi un élément

capital de la participation effective des travailleurs en matière de sécurité et de santé au

travail. Les garanties énoncées à l’article 4 de la convention no 98 sont importantes dans ce

contexte. Toutefois, il convient de répéter qu’elles ne s’étendent pas au droit à la

reconnaissance aux fins de la négociation. D’un autre côté, des dispositions comme celles

contenues à l’article 19 de la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs,

1981, peuvent être perçues comme imposant quasiment la reconnaissance syndicale dans les

questions relatives à la sécurité et à la santé au travail:

Des dispositions devront être prises au niveau de l’entreprise aux termes desquelles:

«[...] c) les représentants des travailleurs dans l’entreprise recevront une information

suffisante concernant les mesures prises par l’employeur pour garantir la sécurité et la

Page 26: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

santé; ils pourront consulter leurs organisations représentatives à propos de cette

information, à condition de ne pas divulguer de secrets commerciaux;

d) les travailleurs et leurs représentants dans l’entreprise recevront une formation

appropriée dans le domaine de la sécurité et de l’hygiène au travail;

e) les travailleurs ou leurs représentants et, le cas échéant, leurs organisations

représentatives dans l’entreprise seront habilités, conformément à la législation et à la

pratique nationales, à examiner tous les aspects de la sécurité et de la santé liés à leur

travail et seront consultés à leur sujet par l’employeur; [...]».

En pratique, il serait très difficile d’appliquer ces dispositions sans accorder une certaine

reconnaissance officielle au rôle des organisations de travailleurs. Par conséquent, cette

situation met une fois de plus en relief l’importance d’une reconnaissance adéquate des droits

d’association et de représentation, comme condition préalable de la mise au point et de

l’application de stratégies efficaces en matière de sécurité et de santé au travail, tant au niveau

national qu’à celui de l’entreprise.

LA NÉGOCIATION COLLECTIVE ET LA SÉCURITÉ ET LA SANTÉ

Michael J. Wright

La négociation collective est le processus par lequel les travailleurs, en tant que groupe,

négocient avec leur employeur; elle peut avoir lieu à divers niveaux (entreprise, branche

d’activité ou niveau national). Traditionnellement, cette négociation porte sur les salaires, les

avantages sociaux, les conditions de travail et un traitement équitable. Elle peut aussi avoir

trait à des questions qui ne touchent pas directement les travailleurs occupés dans l’entreprise,

comme dans le cas de l’augmentation des pensions des travailleurs retraités. Il est plus rare

que la négociation collective déborde vraiment le cadre du milieu de travail et porte, par

exemple, sur la protection de l’environnement.

Dans une très petite entreprise, les travailleurs en tant que groupe peuvent négocier

collectivement avec leur employeur. Ce genre de négociation collective officieuse existe

depuis des siècles. Néanmoins, de nos jours, la négociation collective est surtout le fait

d’organisations de travailleurs ou de syndicats.

La convention (no 154) de l’OIT sur la négociation collective, 1981, en donne une définition

très générale à l’article 2:

[...] le terme [...] s’applique à toutes les négociations qui ont lieu entre un employeur, un

groupe d’employeurs ou une ou plusieurs organisations d’employeurs, d’une part, et une ou

plusieurs organisations de travailleurs, d’autre part, en vue de:

a) fixer les conditions de travail et d’emploi; et/ou

b) régler les relations entre les employeurs et les travailleurs; et/ou

c) régler les relations entre les employeurs ou leurs organisations et une ou plusieurs

organisations de travailleurs.

La négociation collective permet de faire progresser le niveau de vie et d’améliorer les

conditions de travail, d’où son importance. Même si la sécurité et la santé au travail sont

régies par la législation nationale de presque tous les pays, la négociation collective constitue

souvent le mécanisme d’application pratique de ces lois sur les lieux de travail. Ainsi, la

Page 27: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

législation peut prescrire l’établissement de comités d’hygiène et de sécurité ou de comités

d’entreprise, mais laisser à l’employeur et à l’organisation de travailleurs le soin d’en

négocier les modalités d’application.

Malheureusement, la négociation collective est contestée par des employeurs autoritaires et

des gouvernements répressifs, et ce, dans des pays développés comme dans des pays en

développement. Elle existe rarement dans le secteur non structuré ou dans les petites

entreprises traditionnelles. Par conséquent, la majorité des travailleurs dans le monde ne jouit

pas des avantages d’une réelle négociation collective dans un cadre où les droits des

travailleurs sont garantis par la loi.

Historique de l’action syndicale en faveur de la sécurité et de la santé au travail

Il existe une longue tradition d’action collective des organisations de travailleurs en faveur de

la sécurité et de la santé au travail. En 1775, le chirurgien anglais Percival Pott a dressé le

premier constat connu de cancer professionnel — le cancer de la peau chez les ramoneurs de

Londres (Lehman, 1977). Deux ans plus tard, la guilde des ramoneurs danois ordonnait que

l’on permette aux apprentis de prendre un bain tous les jours: c’est là la première intervention

connue d’une organisation de travailleurs pour prévenir le cancer professionnel.

Toutefois, la sécurité et la santé furent rarement au cœur des premières luttes ouvrières, du

moins d’une manière explicite. Les travailleurs exerçant des métiers dangereux étaient

accablés de problèmes plus pressants, comme les salaires de famine, la durée exténuante du

travail et les pouvoirs arbitraires des propriétaires d’usines et de mines. Le nombre des

accidents et des décès témoignait bien des dangers quotidiens qui guettaient les travailleurs,

mais la santé au travail n’était pas un concept très bien compris. Les organisations de

travailleurs étaient faibles et constamment en butte aux attaques des propriétaires et des

gouvernements. A l’époque, elles avaient pour seul souci de chercher à survivre. En

conséquence, les revendications des travailleurs au XIXe siècle ont rarement pris la forme de

campagnes pour des conditions de travail plus sûres (Corn, 1978).

Malgré tout, il est parfois arrivé que la sécurité et la santé viennent se greffer sur d’autres

revendications lors des premières luttes ouvrières. Au XIXe siècle, vers la fin des années

vingt, les ouvriers du textile aux Etats-Unis ont commencé à se mobiliser pour obtenir une

réduction de la durée du travail. La main-d’œuvre était surtout composée de femmes, comme

les dirigeantes des syndicats embryonnaires qui allaient devenir les associations ouvrières

féministes de la Nouvelle-Angleterre. Elles avaient fait de la journée de 10 heures pour

laquelle elles militaient une question de bien-être général. Mais, lors de leurs dépositions

devant l’Assemblée législative du Massachusetts, des travailleurs dénoncèrent aussi les effets

de journées de 12 à 14 heures de travail, dans des filatures mal aérées, et firent état d’une

«terrible maladie insidieuse» qu’ils attribuaient à la poussière de coton et à la mauvaise

ventilation; ces témoignages figurent maintenant parmi les premiers constats de byssinose.

Les travailleurs, hommes et femmes, n’obtinrent pas vraiment gain de cause, que ce soit

auprès des propriétaires d’usines ou du législateur (Foner, 1977).

D’autres actions syndicales engagées à l’époque portaient davantage sur les effets des risques

professionnels, plutôt que sur leur prévention. Au XIXe siècle, de nombreux syndicats ont

créé des programmes d’assistance sociale à l’intention de leurs membres, notamment sous

forme de prestations versées aux invalides du travail ou aux survivants. Au Canada et aux

Etats-Unis, les syndicats de mineurs sont allés plus loin en ouvrant des hôpitaux, des cliniques

et même des cimetières pour leurs membres (Derickson, 1988). Pendant que les syndicats

tentaient de négocier de meilleures conditions de travail avec les employeurs, en Amérique du

Page 28: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Nord, la plupart des mouvements de revendication en faveur de la sécurité et de la santé au

travail avaient lieu dans les mines et s’adressaient au pouvoir législatif des Etats ou des

provinces (Fox, 1990).

En Europe, la situation a commencé à changer vers la fin du XIXe siècle, avec l’apparition

d’organisations de travailleurs plus puissantes. En 1903, les syndicats français et allemands de

peintres lancèrent une campagne contre les risques de la peinture au plomb. En 1911, le

syndicat allemand des ouvriers de fabriques établit un programme énergique d’hygiène du

travail, avec publication de documents à vocation pédagogique sur les risques chimiques; sa

campagne pour l’adoption de mesures de prévention du cancer du poumon provoqué par les

chromates se solda par des changements dans les méthodes de production. Au Royaume-Uni,

les syndicats allèrent en justice pour représenter leurs membres qui demandaient réparation et

luttèrent pour l’amélioration de la législation et de la réglementation. Leurs interventions

mirent en évidence l’interaction entre la négociation collective en faveur de la sécurité et de la

santé et le système d’inspection du travail dans les usines. En 1905, par exemple, les syndicats

déposèrent 268 plaintes auprès de l’inspection du travail britannique (Teleky, 1948). Dès

1942, la Confédération patronale suédoise (SAF) et la Confédération suédoise des syndicats

(LO) ont conclu un accord national sur le milieu de travail, relatif aux services locaux de

sécurité et d’hygiène. Cet accord a été revu et élargi à plusieurs reprises; c’est ainsi qu’en

1976 la Fédération des salariés de l’industrie et des services (PTK) s’est associée aux deux

premières parties à l’origine de cet accord (Joint Industrial Safety Council of Sweden, 1988).

L’Amérique du Nord restait à la traîne. Certains grands employeurs ont officiellement institué

des programmes internes de sécurité au tournant du siècle (voir Brody, 1960, pour une

description de ces programmes dans la sidérurgie, ou encore le complaisant Year Book of the

American Iron and Steel Institute for 1914 (AISI, 1915)). Ces programmes étaient très

paternalistes et misaient davantage sur la discipline que sur l’éducation; ils partaient souvent

du principe que les travailleurs étaient eux-mêmes responsables des accidents du travail. Des

catastrophes, comme le grand incendie à la Triangle Shirtwaist Company où 146 personnes

perdirent la vie à New York en 1911, conduisirent les syndicats à faire campagne pour

améliorer la situation et aboutirent à l’adoption d’une législation plus efficace en matière de

protection contre les incendies. Il fallut toutefois attendre l’arrivée de syndicats puissants dans

les années trente et quarante pour voir la sécurité et la santé figurer au nombre des grandes

revendications ouvrières. Ainsi, en 1942, la constitution adoptée par le Syndicat unifié des

travailleurs de la sidérurgie d’Amérique (USWA) lors de sa fondation prévoyait que chaque

section locale devait établir un comité de sécurité et d’hygiène. Vers le milieu des années

cinquante, des comités paritaires de sécurité et d’hygiène avaient été créés dans la plupart des

mines et des manufactures syndiquées et dans de nombreuses autres entreprises du bâtiment et

des services; la majorité des conventions collectives comprenaient une section sur la sécurité

et l’hygiène.

La convention collective entre la Bethlehem Steel Corporation et le Syndicat unifié des

travailleurs de la sidérurgie d’Amérique (USWA)

La convention entre la Bethlehem Steel Corporation et l’USWA est un exemple caractéristique

d’accord conclu dans une grande entreprise syndiquée de l’industrie manufacturière aux Etats-

Unis. Les conventions collectives de la sidérurgie contiennent depuis plus de cinquante ans des

dispositions sur la sécurité et la santé. Bon nombre des dispositions négociées par le passé

accordaient aux travailleurs et au syndicat des droits qui ont ensuite été garantis par la législation.

Malgré cela, elles demeurent inscrites dans le texte de la convention: elles protègent ainsi les

travailleurs contre toute modification de la législation et permettent au syndicat de soumettre toute

Page 29: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

infraction à un arbitrage impartial, au lieu d’aller en justice.

La convention conclue avec la Bethlehem Steel Corporation est entrée en vigueur le 1er août 1993

et doit prendre fin le 1er août 1999. Elle concerne 17 000 travailleurs répartis dans six

établissements; le document compte 275 pages, dont 17 sont consacrées à la sécurité et à la santé.

L’article 1 du chapitre sur la sécurité et la santé engage l’entreprise et le syndicat à coopérer en

vue d’éliminer les accidents et les risques pour la santé. L’entreprise est tenue de garantir la

sécurité et la salubrité des lieux de travail, de se conformer à la législation fédérale et à celle des

Etats, de fournir gratuitement aux travailleurs l’équipement de protection nécessaire; elle doit

également informer le syndicat sur la sécurité des produits chimiques et les travailleurs sur les

risques des substances toxiques et les moyens de prévention technique. Pour comprendre les

risques potentiels, le service central de sécurité et de santé du syndicat a droit à toute information

«pertinente et essentielle» dont dispose l’entreprise. Cette dernière doit surveiller l’atmosphère des

lieux de travail et les autres facteurs environnementaux à la demande du coprésident syndical du

comité de sécurité et de santé de l’établissement.

L’article 2 institue des comités paritaires de sécurité et de santé dans l’établissement et au niveau

national, en établit le règlement, impose la formation de leurs membres, garantit à ces personnes

l’accès à toutes les parties de l’établissement pour faciliter leurs travaux et fixe les modalités de

leur rémunération dans l’exercice de leurs fonctions. L’article prévoit aussi le règlement des

différends relatifs à l’équipement de protection, oblige l’entreprise à informer le syndicat de tous

les accidents potentiellement invalidants, institue un système d’enquête paritaire sur les accidents,

oblige l’entreprise à rassembler certaines données statistiques sur la sécurité et la santé et à les

transmettre au syndicat, et établit un vaste programme de formation à la prévention à l’intention de

tous les salariés.

L’article 3 autorise les travailleurs à se retirer d’une situation de travail comportant des risques

supérieurs à ceux qui sont «inhérents à l’exploitation», et prévoit un mécanisme d’arbitrage pour

régler tout litige portant sur le refus de travailler dans ces circonstances. En vertu de cet article, un

travailleur ne peut faire l’objet d’aucune mesure disciplinaire pour avoir agi de bonne foi et en

fonction de faits concrets objectifs, même si une enquête ultérieure révèle qu’en réalité le risque

n’existait pas.

L’article 4 précise que le rôle du comité est consultatif et que, dans l’exercice de leurs fonctions

officielles, les membres du comité et les dirigeants du syndicat ne sauraient être tenus pour

responsables des accidents ou des maladies.

L’article 5 précise que l’alcoolisme et la toxicomanie sont des états pathologiques qui se soignent

et instaure un programme de réadaptation.

L’article 6 établit un grand programme de prévention des émanations de monoxyde de carbone qui

constituent un grave danger au cours de la première transformation du fer et de l’acier.

L’article 7 prescrit la remise de bons aux travailleurs pour l’achat de chaussures de sécurité.

L’article 8 dispose que l’entreprise préservera le caractère confidentiel des dossiers médicaux, sauf

dans certaines circonstances limitées. Il précise en outre que les travailleurs peuvent consulter leur

dossier médical et le communiquer au syndicat ou à leur médecin traitant. Les médecins de

l’entreprise sont tenus pour leur part d’informer les travailleurs de toute constatation médicale

Page 30: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

grave.

L’article 9 instaure un programme de surveillance médicale.

L’article 10 établit un programme d’enquête et de prévention des risques liés aux terminaux à

écran de visualisation.

L’article 11 prévoit la nomination, dans chaque établissement, de délégués à la sécurité; ces

délégués sont choisis par le syndicat, mais payés par l’entreprise.

De plus, une annexe de la convention impose à l’entreprise et au syndicat de réviser, dans chaque

établissement, le programme de sécurité du matériel roulant sur rails (ce type de matériel sur rails

fixes est en effet la cause première des décès par traumatisme dans la sidérurgie américaine).

La négociation collective

On considère généralement la négociation collective comme un processus formel qui se

déroule à intervalles réguliers et qui se conclut par une convention écrite entre l’organisation

de travailleurs et l’employeur (ou les employeurs). De telles négociations supposent une série

de demandes ou de propositions, suivies de contre-propositions et de longues délibérations qui

débouchent éventuellement sur la signature d’une convention collective, d’un protocole

d’entente, de déclarations conjointes ou de codes de bonnes pratiques établis d’un commun

accord.

Cependant, on peut aussi considérer que la négociation collective est un processus continu de

règlement des problèmes au fur et à mesure qu’ils se posent. Ce genre de négociation a lieu

chaque fois qu’un délégué d’atelier rencontre un cadre pour régler un différend ou un grief,

chaque fois qu’un comité paritaire de sécurité et d’hygiène se réunit pour discuter des

problèmes qui se posent dans l’établissement, chaque fois qu’une équipe paritaire patronale-

syndicale étudie un nouveau programme d’entreprise.

C’est cette souplesse qui est le gage de la pérennité de la négociation collective. Formelle ou

non, la négociation repose toutefois sur une condition préalable: pour qu’elle aboutisse, les

représentants respectifs des deux parties doivent être investis du pouvoir de négocier, de

conclure un accord et de le faire respecter.

La négociation collective est parfois envisagée comme une épreuve de force au cours de

laquelle un gain pour une partie équivaut à une perte pour l’autre. L’employeur verra, par

exemple, dans une hausse salariale une menace pour ses profits et dans un accord de non-

licenciement une entrave à sa liberté de manœuvre. Si la négociation est assimilée à une

épreuve de force, le pouvoir relatif ou pouvoir de marchandage des parties devient l’élément

déterminant le résultat. Pour l’organisation des travailleurs, ce pouvoir se traduit par la

capacité d’arrêter la production au moyen d’une grève, d’organiser le boycottage du produit

ou du service de l’employeur, ou d’user d’autres moyens de pression, tout en s’assurant de la

loyauté de ses membres. Pour l’employeur, le pouvoir réside dans sa capacité de résister à ces

pressions, de remplacer les grévistes dans les pays où cela est permis, ou de tenir bon jusqu’à

ce que les travailleurs soient contraints de reprendre le travail aux conditions arrêtées par la

direction.

Bien évidemment, dans la grande majorité des cas, les négociations collectives sont

couronnées de succès et se terminent sans arrêt de travail. Néanmoins, c’est précisément la

Page 31: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

crainte d’un arrêt de travail qui incite les deux parties à parvenir à un règlement. Ce genre de

négociation est parfois appelé négociation de positions: au départ, les parties exposent leurs

points de vue respectifs, puis elles lâchent du lest et progressent jusqu’à ce qu’un compromis

soit trouvé, selon le rapport des forces en présence.

Il existe un second modèle dans lequel la négociation collective est qualifiée de recherche

mutuelle d’une solution optimale (Fisher et Ury, 1981). On présume alors qu’un accord bien

négocié permettra aux deux parties d’y trouver avantage. Une augmentation de salaire, par

exemple, sera compensée par une amélioration de la productivité. Un accord de non-

licenciement pourra inciter les travailleurs à être plus efficaces puisque leur emploi ne sera

pas menacé. Ce genre de négociation est dit «à la satisfaction des deux parties» ou «gagnant-

gagnant». L’important, c’est que chaque partie comprenne les intérêts de l’autre et trouve les

solutions les plus avantageuses pour tous. La sécurité et la santé au travail sont souvent tenues

pour un sujet idéal de négociation au profit mutuel des parties, car toutes deux ont intérêt à

éviter les accidents du travail et les maladies professionnelles.

En pratique, les deux modèles ne s’excluent pas, chacun ayant son importance. Les

négociateurs chevronnés chercheront toujours à comprendre leurs vis-à-vis et à trouver les

points sur lesquels une convention intelligemment négociée pourrait bénéficier aux deux

parties. Toutefois, il est peu probable qu’une partie sans pouvoir de marchandage puisse

atteindre ses objectifs. Il restera toujours des domaines où les parties percevront différemment

leurs intérêts et où le meilleur remède restera le maniement de la carotte et du bâton. La

négociation de bonne foi réussit le mieux lorsque chaque partie craint le coup de bâton de

l’autre.

Le pouvoir de marchandage demeure important même dans les négociations sur la sécurité et

la santé. Ainsi, une entreprise sera moins disposée à réduire son taux d’accidents si elle peut

en faire porter les coûts par la collectivité. S’il est possible de remplacer facilement et à bon

compte les travailleurs accidentés, sans avoir à leur verser des indemnités substantielles, la

direction peut être tentée de se dispenser d’améliorer la sécurité, qui peut coûter cher. C’est

particulièrement vrai dans le cas des maladies professionnelles à longue période de latence:

l’installation de moyens de prévention technique est onéreuse, mais leur utilité ne se

manifeste pas avant de nombreuses années. En conséquence, le syndicat aura

vraisemblablement plus de succès si les travailleurs peuvent bloquer la production ou faire

intervenir un inspecteur de l’Etat lorsque les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord.

Le cadre juridique

Les conventions internationales du travail de l’OIT, qu’elles portent sur la liberté syndicale et

la protection du droit syndical, sur le droit d’organisation et de négociation collective ou sur la

sécurité et la santé au travail, reconnaissent le rôle des organisations de travailleurs. Ces

instruments établissent un cadre international, mais seules la législation et la réglementation

nationales garantissent dans la pratique les droits des travailleurs.

Naturellement, le fondement juridique, le niveau et même les modalités de la négociation

collective varient selon les pays. La législation de la plupart des pays industriels comporte un

système de réglementation de la négociation collective. Même dans l’Union européenne, la

réglementation diffère grandement, passant d’une approche minimaliste en Allemagne à un

cadre beaucoup plus élaboré en France. La portée légale des conventions collectives n’est pas

non plus la même partout. Dans la plupart des pays, la loi oblige les parties à se conformer

aux conventions collectives qui les lient. Par contre, au Royaume-Uni, les conventions sont

considérées comme dépourvues de caractère obligatoire, et leur application dépend de la

Page 32: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

bonne foi des parties, renforcée par la menace d’un arrêt de travail. Ces écarts devraient se

réduire au fur et à mesure des progrès de l’unification de l’Europe.

Le niveau de la négociation est lui aussi très différent. Aux Etats-Unis, au Japon et dans la

plupart des pays d’Amérique latine, la négociation se fait dans chaque entreprise, bien que les

syndicats essaient souvent de négocier des conventions «types» avec tous les grands

employeurs d’une branche. A l’autre extrême, l’Autriche, la Belgique et les pays nordiques

ont tendance à centraliser fortement la négociation; la plupart des entreprises sont régies par

une convention-cadre négociée entre des fédérations nationales représentant les syndicats et

les employeurs. Les ententes sectorielles portant sur des branches d’activité ou des

professions particulières sont courantes dans certains pays, notamment en Allemagne et en

France.

Les pays francophones d’Afrique tendent à suivre l’exemple de la France et à négocier par

branche d’activité. C’est aussi le cas dans certains pays anglophones en développement,

tandis que dans d’autres, plusieurs syndicats négocient au nom de différents groupes de

travailleurs d’une seule entreprise.

Le niveau de la négociation détermine en partie la portée de la convention collective. En

France et en Allemagne par exemple, la convention collective vise habituellement quiconque

entre dans la profession ou la branche d’activité où elle s’applique. Par contre, aux Etats-Unis

et dans d’autres pays où la négociation se déroule au niveau de l’entreprise, la convention

collective s’applique uniquement aux établissements qui ont reconnu le syndicat comme agent

négociateur.

La mesure dans laquelle la loi nationale facilite ou entrave la syndicalisation et la négociation

collective est un facteur encore plus important pour déterminer la portée de cette négociation.

Dans certains pays, par exemple, les salariés du secteur public ne sont pas autorisés à négocier

collectivement. Dans d’autres, les syndicats du secteur public connaissent une croissance

rapide. Il s’ensuit que le pourcentage des travailleurs régis par des conventions collectives

varie énormément selon les pays: il culmine à près de 90% en Allemagne et dans les pays

nordiques, et tombe à moins de 10% dans de nombreux pays en développement.

Le cadre juridique influe également sur la manière dont la négociation collective s’applique à

la sécurité et à la santé au travail. Par exemple, la loi américaine sur la sécurité et la santé au

travail confère aux organisations de travailleurs le droit à l’information sur les produits

chimiques dangereux et autres risques dans l’établissement, le droit d’accompagner un

inspecteur du travail et un droit limité de participation aux poursuites en justice intentées par

le gouvernement contre un employeur pour infraction aux normes.

De nombreux pays vont plus loin. La plupart des pays industriels imposent aux entreprises de

mettre sur pied des comités d’hygiène et de sécurité. La province de l’Ontario, au Canada,

exige la nomination de délégués à la sécurité et à la santé par les travailleurs dans la plupart

des lieux de travail, ainsi que leur formation aux frais de l’employeur. La loi sur le milieu de

travail adoptée par la Suède dispose que chaque section locale d’un syndicat nomme des

délégués à la sécurité. Ces délégués ont de larges droits à l’information et à la consultation,

mais, surtout, ils sont habilités à suspendre l’exécution de tout travail dangereux en attendant

la décision de l’inspection du travail.

Ces lois renforcent la négociation collective en matière de sécurité et de santé au travail. Les

comités paritaires obligatoires de sécurité fournissent un mécanisme à l’usage de la

négociation. La formation donne aux représentants syndicaux les connaissances dont ils ont

Page 33: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

besoin pour participer efficacement aux travaux des comités. Le droit d’interrompre tout

travail dangereux incite les deux parties à éliminer les sources de danger.

L’application des conventions et de la législation du travail

En l’absence d’un mécanisme d’application, les conventions collectives n’ont à l’évidence

qu’une valeur limitée. La grève est un des moyens dont disposent les organisations de

travailleurs pour réagir à une violation présumée de la part de l’employeur; de son côté,

l’employeur peut décréter un lock-out et priver les membres de l’organisation de travailleurs

de leur emploi jusqu’à ce que le différend soit réglé. Cependant, la plupart des conventions

collectives conclues dans les pays développés reposent sur des modalités d’application moins

conflictuelles. De fait, maintes conventions collectives interdisent tout simplement la grève ou

le lock-out pendant toute la durée de leur validité (clauses de non-recours à la grève et

obligation de paix sociale). D’autres conventions restreignent l’exercice du droit de grève et

de lock-out à des situations spécifiques; par exemple, les contrats négociés aux Etats-Unis

entre le syndicat unifié des travailleurs de l’automobile et les grands constructeurs

automobiles permettent le recours à la grève quand les conditions de travail ne sont pas sûres,

mais non pour régler des questions concernant les salaires ou les avantages sociaux pendant la

durée de la convention.

L’arbitrage est un mécanisme d’application courant dans les pays développés; les conflits sont

renvoyés devant un arbitre impartial choisi d’un commun accord par l’employeur et

l’organisation de travailleurs. Dans certains cas, les conflits peuvent être tranchés par le

système judiciaire — tribunaux ordinaires, tribunaux spéciaux du travail ou commissions

spéciales. Aux Etats-Unis, par exemple, tout litige concernant l’interprétation de la

convention est habituellement soumis à l’arbitrage. Cependant, si la partie déboutée refuse de

se conformer à la décision de l’arbitre, la partie ayant obtenu gain de cause peut s’adresser

aux tribunaux pour la faire appliquer. Un organisme quasi judiciaire, la Commission nationale

des relations professionnelles (National Labor Relations Board), connaît des plaintes relatives

aux pratiques de travail déloyales, comme le refus de négocier de bonne foi de la part d’une

partie. Dans de nombreux autres pays, ce sont les tribunaux du travail qui remplissent ce rôle.

La négociation collective aujourd’hui

La négociation collective est un processus dynamique dans tous les systèmes de relations

professionnelles où elle est pratiquée. En Europe, la situation évolue rapidement. Les pays

nordiques se caractérisent par des conventions collectives globales sur le milieu de travail qui

sont négociées au niveau national et intégrées dans des lois très élaborées. La syndicalisation

est très forte; les conventions collectives et la loi prescrivent la création de comités d’hygiène

et de sécurité et la nomination de délégués à la sécurité dans la plupart des lieux de travail.

Les autres pays européens ne disposent pas de mécanismes de négociation collective aussi

pointus en matière de sécurité et de santé et le taux de syndicalisation n’y est pas aussi élevé.

Les Etats membres de l’Union européenne sont appelés à harmoniser leur législation nationale

aux termes de l’Acte unique européen et de la directive-cadre concernant la sécurité et la santé

(Hecker, 1993). Les syndicats cherchent à coordonner leurs efforts, principalement à travers la

Confédération européenne des syndicats. Certains signes montrent qu’en définitive la

négociation nationale sera remplacée, ou plus vraisemblablement complétée, par des

conventions au niveau européen, quoique cette perspective suscite une forte résistance des

employeurs. Le congé parental est le premier exemple de ce type de négociation à l’échelle

européenne. En matière de sécurité et de santé, le GMB, syndicat des employés municipaux,

de la métallurgie et des industries diverses, au Royaume-Uni, a proposé la constitution d’un

Page 34: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

ambitieux fonds paneuropéen du milieu de travail, qui s’inscrirait dans la lignée des fonds de

ce genre établis dans les pays nordiques.

En Europe centrale et orientale, ainsi que dans les anciens pays membres de l’Union

soviétique, les choses changent encore plus rapidement. Sous le régime communiste, la

réglementation en matière de sécurité et de santé était très étendue, mais rarement appliquée.

Il existait certes des syndicats, mais ils étaient placés sous le contrôle du parti communiste.

Dans les entreprises, les syndicats tenaient lieu de services de relations professionnelles

contrôlés par la direction, sans aucune négociation bipartite. Les nouveaux syndicats

indépendants ont précipité la chute du communisme; parfois, leurs revendications portaient

sur les conditions de travail ou des mesures sanitaires aussi élémentaires que la fourniture de

savon dans les douches pour les mineurs de charbon. Aujourd’hui, les anciens syndicats ont

disparu ou luttent pour se reconstituer. Quant aux nouveaux syndicats indépendants, ils

s’efforcent de se départir de leurs réflexes d’organisations politiques habituées à affronter le

gouvernement pour devenir des organisations pratiquant la négociation collective et

représentant leurs membres sur les lieux de travail. Les mauvaises conditions de travail qui,

souvent, ne cessent de se dégrader vont demeurer une question importante.

Prônant la participation, le perfectionnement permanent et la formation continue des

travailleurs, le système japonais encourage effectivement la sécurité et la santé, mais

uniquement lorsque celles-ci font explicitement partie des objectifs de l’entreprise. La plupart

des syndicats japonais n’existent qu’au niveau de l’entreprise; les négociations se déroulent

dans un système de consultation permanente (Inohara, 1990). Des comités d’hygiène et de

sécurité sont établis en application de la loi de 1972 sur la sécurité et l’hygiène du travail, telle

que modifiée.

Les conventions collectives aux Etats-Unis comportent des dispositions assez détaillées sur la

sécurité et la santé, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la sécurité et la santé sont des

enjeux importants pour les syndicats nord-américains, comme c’est le cas pour leurs

homologues dans tous les pays industriels. Toutefois, la législation comporte de nombreuses

lacunes par rapport à celle d’autres pays, ce qui force les syndicats à négocier des droits et des

protections qui sont déjà garantis par la loi ailleurs dans le monde. Par exemple, les comités

paritaires d’hygiène et de sécurité constituent un important mécanisme de négociation et de

coopération au jour le jour entre les travailleurs et les employeurs, mais rien dans la loi des

Etats-Unis sur la sécurité et l’hygiène en matière d’emploi n’exige la formation de tels

comités. Par conséquent, les syndicats doivent négocier pour obtenir leur création, et comme

le taux de syndicalisation est faible aux Etats-Unis, la majorité des travailleurs n’ont pas accès

à ces comités. La protection juridique étant peu importante et peu claire, bon nombre de

syndicats américains ont dû par ailleurs négocier dans leurs conventions des clauses

interdisant toutes représailles contre les travailleurs qui refusent de travailler dans des

conditions présentant des risques imminents et sérieux pour leur vie ou leur santé.

Au Canada, la législation diffère d’une province à une autre, mais elle est généralement plus

contraignante que celle des Etats-Unis. Les syndicats n’ont pas à négocier pour obtenir la

création de comités d’hygiène et de sécurité, mais ils peuvent le faire pour les élargir ou leur

donner des pouvoirs accrus. La loi mexicaine impose aussi la constitution de comités

d’hygiène et de sécurité.

Dans les pays en développement, la situation varie. Les organisations de travailleurs du

Brésil, de l’Inde et du Zimbabwe, entre autres, accordent de plus en plus d’importance à la

sécurité et à la santé, en organisant des campagnes pour améliorer la législation et en

recourant à la négociation collective. Ainsi, le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU)

Page 35: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

s’est battu pour que le Code national du travail — y compris les dispositions sur la sécurité et

la santé — s’applique aussi dans les zones franches d’exportation (voir encadré). Dans bien

des régions du monde, les syndicats sont très contrôlés, voire carrément interdits, et la grande

majorité des travailleurs des pays en développement n’appartient à aucune organisation et ne

bénéficie pas de la négociation collective.

L’action syndicale au Zimbabwe

Afin de faire modifier la législation et d’améliorer les conventions collectives, le Congrès des

syndicats du Zimbabwe (Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU)) a lancé une campagne

nationale en faveur des droits des victimes d’accidents du travail, qui conjugue des mesures à

prendre au niveau national et dans les entreprises.

Depuis 1990, la législation du Zimbabwe prévoit l’établissement de comités de sécurité, la

nomination de délégués à la sécurité et à la santé au travail et de surveillants de la sécurité dans

tous les lieux de travail. Le ZCTU insiste pour que les délégués soient élus par les travailleurs. Sa

campagne nationale comporte trois revendications:

1. Travail en sécurité. Il s’agit de déterminer les risques sur les lieux de travail au moyen

d’enquêtes sur les accidents et de négocier pour obtenir de meilleures conditions.

2. Participation des travailleurs et des syndicats aux questions de santé des travailleurs. Les

travailleurs doivent pouvoir élire leurs propres délégués à la sécurité et à la santé, obtenir des

informations, par exemple des fiches de données de sécurité et des rapports d’inspecteurs du

travail, participer aux enquêtes et à l’établissement de rapports sur les accidents et les lésions

professionnelles (comme c’est le cas en Suède).

3. Réparation et prestation de soins adéquats aux victimes d’accidents de travail. Ce point

s’étend à la révision des barèmes d’indemnisation.

4. Sécurité de l’emploi pour les victimes d’accidents du travail. Les représentants syndicaux ont

négocié le droit des victimes d’accidents du travail de retrouver un emploi et de bénéficier de

mesures facilitant leur placement.

Pour le ZCTU, le programme de formation visant à accroître la participation réelle des travailleurs

à la sécurité et à la santé dans l’atelier est une étape cruciale dans la prévention des accidents. La

formation des représentants des travailleurs a consisté en visites des lieux de travail et en

préparation de rapports sur tous les risques identifiés; ces rapports sont d’abord communiqués aux

travailleurs avant d’être remis à la direction aux fins de discussion. Une fois en fonction, les

délégués syndicaux à la sécurité et à la santé participent aux inspections et veillent à ce que les

accidents soient déclarés. Il s’agit là d’une mesure particulièrement importante dans des secteurs

qui, sans cela, seraient inaccessibles, comme l’agriculture.

Le ZCTU exige également l’imposition de sanctions plus élevées aux employeurs reconnus

coupables d’infractions à la législation relative à la sécurité et à la santé.

par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de Loewenson, 1992).

L’avenir de la négociation collective

Les organisations de travailleurs et la négociation collective devront relever des défis

importants au cours des années à venir. Pratiquement, toute la négociation collective a lieu

Page 36: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

dans les entreprises, les branches d’activité ou encore au niveau national. Or, la

mondialisation de l’économie ne cesse de progresser. En dehors de l’Europe, les organisations

de travailleurs n’ont pas encore mis au point des mécanismes efficaces de négociation

transfrontalière. La négociation collective multinationale est un objectif prioritaire des

fédérations internationales du travail. Le meilleur moyen de la promouvoir passe par des

structures syndicales internationales plus fortes et plus efficaces, de solides clauses sociales

dans les accords sur le commerce international et des instruments internationaux adaptés à la

situation, comme ceux qu’a mis en place l’Organisation internationale du Travail. Par

exemple, la Déclaration de principes tripartite de l’OIT sur les entreprises multinationales et

la politique sociale contient des dispositions précises sur la négociation collective, ainsi que

sur la sécurité et la santé au travail. De nombreux syndicats nouent des liens directs avec leurs

homologues d’autres pays pour coordonner leurs négociations et se prêter assistance. Les

relations entre les syndicats de mineurs des Etats-Unis et ceux de la Colombie en sont un bon

exemple (Zinn, 1995).

Les progrès technologiques et l’évolution rapide de l’organisation du travail risquent de

balayer les conventions collectives en vigueur. Les organisations de travailleurs cherchent à

mettre en place une forme de négociation continue pour faire face aux changements qui

affectent les lieux de travail. Elles ont pris conscience depuis longtemps des liens qui existent

entre le milieu de travail et l’environnement. Certains syndicats ont commencé à intégrer les

enjeux de l’environnement dans les conventions collectives et dans les programmes éducatifs

qu’ils organisent à l’intention de leurs membres. C’est le cas, par exemple, du syndicat des

industries manufacturières-sciences-finances (Manufacturing-Science-Finance (MSF)) au

Royaume-Uni, qui propose un accord modèle sur l’environnement.

L’un des buts fondamentaux des syndicats est de mettre les droits de l’homme et le bien-être à

l’abri de la concurrence économique — afin d’empêcher une entreprise ou une nation

d’appauvrir ses travailleurs et de les forcer à travailler dans des conditions dangereuses pour

s’assurer un avantage concurrentiel. La négociation collective est primordiale pour la sécurité

et la santé. Pourtant, les organisations de travailleurs, essentielles à la négociation collective,

sont en butte à des attaques dans de nombreux pays, qu’ils soient développés ou en

développement. Seules leur pérennité et leur vitalité permettront à la plupart des travailleurs

de jouir d’un meilleur niveau de vie et de meilleures conditions de travail; sinon, ils

s’enfonceront dans le cycle de la pauvreté, des accidents et des maladies.

LA COOPÉRATION BI- ET TRIPARTITE AU NIVEAU NATIONAL EN MATIÈRE

DE SÉCURITÉ ET DE SANTÉ

Robert Husbands

La coopération entre les travailleurs, les employeurs et le gouvernement pour l’élaboration et

la mise en œuvre de mesures de sécurité et de santé au travail, au niveau national ou régional,

est chose courante dans un grand nombre de pays. Il est fréquent également que les groupes

d’intérêts et les spécialistes participent à ce processus. Cette coopération est très poussée et

elle a été institutionnalisée dans plusieurs pays par la création d’organismes de consultation et

de collaboration. Ces organismes sont en principe très bien acceptés par tous les acteurs du

marché du travail pour lesquels la sécurité et la santé au travail constituent une préoccupation

commune et qui attachent une grande importance au dialogue entre les partenaires sociaux, le

gouvernement et les autres parties intéressées.

Page 37: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

La forme des institutions qui ont été mises sur pied pour faciliter cette coopération varie

considérablement. Une approche consiste à établir des organismes consultatifs ad hoc ou

permanents pour conseiller le gouvernement sur les questions relatives à la politique de

sécurité et de santé au travail. Techniquement, le gouvernement n’est pas obligé de suivre les

recommandations qui lui sont faites mais, en pratique, il lui est difficile de ne pas en tenir

compte.

Une autre approche veut que les partenaires sociaux et les autres parties intéressées coopèrent

activement avec le gouvernement au sein des institutions publiques chargées de mettre en

œuvre la politique de sécurité et de santé au travail. La participation des intervenants non

gouvernementaux dans les institutions publiques responsables de ces questions passe

normalement par la représentation des organisations d’employeurs et de travailleurs et, dans

certains cas, d’autres parties, au conseil d’administration de l’institution; parfois, la

participation s’étend à la gestion et même à la réalisation des projets. Dans la plupart des cas,

les représentants en question sont nommés par le gouvernement sur recommandation des

parties représentées; dans d’autres, les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le

droit de nommer directement leurs représentants. Les organes au niveau national (ou de la

région, de l’Etat ou de la province) sont normalement dotés de structures ou de dispositifs

intéressant la branche d’activité, l’entreprise ou l’établissement.

Les conseils sur l’élaboration des politiques et des normes

La constitution d’organismes consultatifs chargés de conseiller le gouvernement sur

l’élaboration des politiques et des normes est sans doute la forme la plus courante de

coopération. On en trouve des exemples très divers — de la version modeste nécessitant peu

de ressources, aux approches plus institutionnalisées qui en appellent de plus considérables.

Les Etats-Unis sont un bon exemple d’un pays retenant une approche restrictive. Au niveau

fédéral, la Commission consultative nationale de sécurité et d’hygiène du travail (National

Advisory Committee on Occupational Safety and Health), établie en vertu de la loi de 1970

sur la question, est le principal organe consultatif permanent. Cette commission comprend des

représentants des employeurs et des salariés, des spécialistes de la sécurité et de l’hygiène du

travail, ainsi qu’un représentant de l’intérêt général qui assure la présidence. La Commission

est chargée de faire des recommandations au secrétaire au travail et au secrétaire à la santé et

au bien-être. En pratique, toutefois, la Commission ne s’est pas réunie souvent. Ses membres

ne sont pas rémunérés et le secrétariat au travail finance, sur son budget, les services d’une

personne chargée du secrétariat général et, au besoin, d’autres services de soutien. Les frais de

fonctionnement de cette commission sont donc très modiques, bien que les contraintes

budgétaires actuelles menacent même ces services de soutien. Un organe permanent similaire,

le Conseil consultatif fédéral de la sécurité et de la santé au travail (Federal Advisory Council

on Occupational Safety and Health), a été établi en juillet 1971, aux termes du décret-loi

11612; il a pour mission de conseiller le secrétaire au travail sur les sujets concernant la

sécurité et la santé des travailleurs fédéraux.

La loi de 1970 sur la sécurité et l’hygiène du travail prescrit aussi l’établissement de comités

consultatifs spéciaux pour aider à l’élaboration des normes. Ces comités sont nommés par le

secrétaire au travail et se composent de quinze membres au maximum, dont un ou plusieurs

sont désignés par le secrétaire à la santé et au bien-être. Chaque comité doit comprendre un

nombre égal de représentants des organisations de travailleurs et d’employeurs. Le secrétaire

au travail peut aussi nommer un ou plusieurs représentants des organismes responsables de la

sécurité et de l’hygiène dans les Etats fédérés, ainsi que des experts, par exemple des

représentants des organisations professionnelles de techniciens ou de spécialistes de la

sécurité et de la santé au travail, ou d’organisations nationales de normalisation. On recourt

Page 38: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

abondamment à ces comités qui demeurent parfois en exercice durant plusieurs années pour

remplir leur mandat. Les réunions peuvent être fréquentes, selon la nature des travaux à

accomplir. Bien que les membres de ces comités ne soient en principe pas rémunérés, le

secrétaire au travail leur rembourse leurs frais de déplacement sur une base raisonnable et paie

les services de soutien comme par le passé. Des comités ont ainsi été constitués pour élaborer

des normes sur l’agriculture, les poussières d’amiante, les substances cancérogènes, les

émissions des fours à coke, les risques de contamination cutanée, l’étiquetage des produits

dangereux, les contraintes thermiques, les installations des terminaux maritimes, le bruit, la

sécurité et la santé des dockers, l’emploi sur les chantiers navals, le montage des structures

d’acier, etc.

D’autres comités spéciaux du même type établis aux termes de lois analogues relèvent du

secrétaire au travail. C’est notamment le cas des comités établis en application de la loi

fédérale de 1977 sur la sécurité et la santé dans les mines. Malgré tout, les coûts liés à la

constitution et au fonctionnement de ces comités restent plutôt modestes: frais administratifs

réduits; infrastructure légère; participation bénévole des intervenants externes; dissolution du

comité dès la fin de son mandat.

D’autres pays ont adopté des formes plus élaborées et institutionnalisées de consultation.

Ainsi, aux Pays-Bas, le Conseil du milieu de travail est l’organisme supérieur établi en

application de la loi de 1990 sur le même sujet. Sur demande ou de son propre chef, le

Conseil donne des avis au ministère des Affaires sociales et de l’Emploi et fait part de ses

observations concernant les nouveaux projets de loi; il peut aussi proposer une nouvelle

politique ou une nouvelle mesure législative. Il est également appelé à se prononcer sur

l’octroi des subventions et des bourses de recherche sur le milieu de travail, sur les

autorisations d’exemption, sur la formulation des directives gouvernementales et sur la

politique de l’inspection du travail. Le Conseil comprend huit représentants des organisations

centrales d’employeurs, huit des organisations centrales de travailleurs et sept des organismes

gouvernementaux. Seuls les représentants des employeurs et des travailleurs ont le droit de

vote et la présidence du Conseil est confiée à une personne indépendante. Le Conseil se réunit

tous les mois. Il a établi une quinzaine de comités de travail sur des sujets spécifiques; de

plus, des groupes de travail ad hoc sont constitués au besoin sur des questions plus précises.

Les experts externes jouent un rôle important au sein des comités et des groupes de travail;

ces organes préparent des rapports et des documents qui sont examinés lors des réunions du

Conseil et forment souvent la base des positions que celui-ci adoptera par la suite. Le Conseil

présente des recommandations générales qui sont publiées. Le plus souvent, les parties

essaient de parvenir à un consensus; les opinions dissidentes sont transmises au ministre des

Affaires sociales et de l’Emploi. Plus d’une centaine de personnes participent aux travaux du

Conseil et à ceux de ses organes affiliés; le Conseil mobilise d’importantes ressources

administratives et financières.

D’autres organismes consultatifs de moindre envergure existent aux Pays-Bas et traitent de

questions plus spécifiques de sécurité et de santé au travail. On peut notamment citer la

Fondation pour le milieu de travail dans le bâtiment, la Fondation pour les soins de santé en

agriculture, la Commission pour la prévention des catastrophes causées par les substances

dangereuses et la Commission de l’inspection du travail et de la politique d’application.

Parmi les autres pays dotés d’organismes consultatifs bipartites, tripartites ou multipartites

chargés de faire des recommandations sur les politiques et les normes de sécurité et de santé

au travail figurent le Canada (Comités spéciaux sur la réforme législative et l’établissement

des normes, au niveau fédéral; Forum pour l’action en matière de santé et de sécurité au

travail, en Alberta; Comité directeur mixte sur les substances dangereuses utilisées en milieu

Page 39: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

de travail, en Ontario; Comité consultatif pour la prévention des dorsalgies, à Terre-Neuve;

Comité de sécurité et de santé au travail, à l’île du Prince-Edouard; Conseil consultatif sur la

sécurité et la santé au travail, au Manitoba; Conseil de la sécurité et de la santé au travail, dans

la Saskatchewan; Forum pour la sécurité dans la foresterie, en Colombie-Britannique). On

peut aussi ajouter le Danemark (Conseil du milieu de travail); la France (Conseil central pour

la prévention des risques professionnels et Commission nationale de l’hygiène et de la

sécurité du travail en agriculture); l’Italie (Commission consultative permanente pour la

prévention des accidents du travail et la santé au travail); l’Allemagne (Conseil consultatif

auprès de l’Institut fédéral de la sécurité et de la santé au travail); et l’Espagne (Conseil

général de l’Institut national pour la sécurité et la santé au travail).

L’application de la politique

Dans plusieurs pays, des organismes bipartites, tripartites ou multipartites collaborent aussi à

l’application de la politique. Il s’agit habituellement d’instances publiques qui regroupent des

représentants des employeurs et des travailleurs et, dans certains cas, d’autres personnes ou

groupes d’intérêts, et qui élaborent la politique et la mettent en œuvre. Normalement, ces

organismes sont d’une taille beaucoup plus importante que les comités, commissions ou

conseils consultatifs et sont responsables de l’application de la politique gouvernementale; ils

gèrent souvent des budgets importants et disposent d’un nombreux personnel.

La Commission de la sécurité et de la santé (Health and Safety Commission (HSC) du

Royaume-Uni), établie aux termes de la loi de 1974 sur la sécurité et l’hygiène au travail, est

un bon exemple de ce genre d’organisme. Elle s’assure que des mesures adéquates sont prises

pour garantir la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs, protéger la population contre

les risques professionnels, contrôler l’entreposage et l’utilisation des explosifs, des produits

hautement inflammables et autres substances dangereuses, et limiter l’émission de substances

nocives ou sensibilisantes en milieu de travail. Cette commission relève du secrétariat d’Etat à

l’éducation et à l’emploi, mais rend également compte à d’autres secrétariats d’Etat —

commerce et industrie, transports, environnement et agriculture. Elle est composée de

9 personnes, toutes nommées par le secrétaire d’Etat à l’éducation et à l’emploi: un président,

3 membres nommés après consultation de l’organisation d’employeurs la plus représentative,

3 membres nommés après consultation de la principale centrale syndicale, et 2 membres

nommés après consultation d’associations d’autorités locales.

La commission est assistée de plusieurs organismes subsidiaires (voir figure 21.3), dont le

plus important est la Direction de la sécurité et de la santé (Health and Safety Executive

(HSE)), organe statutaire distinct dirigé par trois personnes nommées par la commission avec

l’approbation du secrétaire d’Etat à l’éducation et à l’emploi. Cet organe est chargé de

l’exécution des tâches de la commission, notamment l’application des normes établies en

vertu de ladite loi de 1974 sur la santé et la sécurité et exerce d’autres fonctions qui lui sont

déléguées par la commission. Les autorités locales assument aussi des responsabilités

relatives à l’application de certains volets de la législation en matière de sécurité et de santé.

De plus, plusieurs comités consultatifs bipartites, tripartites ou multipartites, selon le cas,

assistent la commission dans ses travaux. Ces comités sont organisés soit par sujet d’étude:

substances toxiques, agents pathogènes virulents, substances dangereuses, modifications

génétiques, santé au travail, émissions dans l’environnement, installations nucléaires et

rayonnements ionisants, soit par branche d’activité: agriculture, céramique, construction,

enseignement, fonderies, santé, pétrole, papier et carton, imprimerie, transports ferroviaires,

caoutchouc, coton et textiles. Les comités par sujet à caractère multipartite comptent de 12 à

18 membres et un président; ils comprennent souvent des experts ainsi que des représentants

des organisations centrales de travailleurs et d’employeurs, du gouvernement et d’autres

Page 40: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

groupes d’intérêts. Pour leur part, les comités par branche d’activité sont surtout bipartites et

comprennent une dizaine de membres représentant en nombre égal les organisations centrales

de travailleurs et d’employeurs, la présidence étant assurée par un représentant du

gouvernement. La HSC et le HSE disposent de ressources considérables. En 1993, ils

employaient 4 538 personnes et avaient un budget de 211,8 millions de livres sterling.

Page 41: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA
Page 42: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

LES FORMES DE PARTICIPATION DES TRAVAILLEURS

Muneto Ozaki et Anne Trebilcock

L’expression participation des travailleurs est très large et englobe diverses formes de

participation à la prise de décisions, habituellement au niveau de l’entreprise. Elles s’ajoutent

à d’autres formes de participation dans la branche d’activité et au niveau national, par

exemple au sein des organismes de coopération tripartites. Les modalités de la participation

des travailleurs diffèrent grandement selon leurs fonctions et leurs pouvoirs, qui vont de la

simple suggestion d’un employé à la cogestion de certaines activités par les représentants des

travailleurs et la direction. Les mécanismes utilisés pour stimuler la participation des salariés

varient tellement qu’il est impossible de les passer ici tous en revue. Nous nous limiterons aux

principales formes de participation qui ont suscité de l’intérêt ces derniers temps,

particulièrement dans le domaine de l’organisation du travail; on peut y ajouter l’exemple

historique de l’autogestion telle qu’elle était pratiquée par les travailleurs dans l’ancienne

Yougoslavie. Particulièrement pertinents de nos jours, les comités mixtes de sécurité et de

santé sont examinés comme une forme particulière de participation des travailleurs dans le

contexte plus large des relations professionnelles.

L’idée de la participation des travailleurs est née en Europe, où la négociation collective se

déroule habituellement par branche ou par industrie; auparavant, cette situation laissait

souvent un vide sur le plan de la représentation des travailleurs au niveau de l’entreprise ou de

l’établissement, vide que les conseils d’usine, les comités de travailleurs, les comités

d’entreprise, etc., ont comblé. De nombreux pays en développement ont également adopté des

dispositions législatives en vue de se doter de comités d’entreprise ou de structures similaires

(Pakistan, Thaïlande, Zimbabwe, par exemple) pour promouvoir la coopération entre la

direction et les travailleurs. Les relations entre ces comités et les syndicats et la négociation

collective ont donné lieu à nombre de négociations et à un travail législatif important.

L’article 5 de la convention (no 135) de l’OIT concernant la protection des représentants des

travailleurs dans l’entreprise et les facilités à leur accorder, 1971, reflète cette situation:

«lorsqu’une entreprise compte à la fois des représentants syndicaux et des représentants élus,

des mesures appropriées devront être prises [...] pour garantir que la présence de représentants

élus ne puisse servir à affaiblir la situation des syndicats [...].»

La participation directe

Les travailleurs peuvent participer directement à la prise de décisions, ou indirectement par

l’entremise de leurs représentants — syndicats ou représentants élus. A compter des années

quatre-vingt, la participation directe des travailleurs s’est développée, pour peu que l’on

comprenne la participation comme un moyen d’influer sur le travail ou sur la façon dont il

doit être exécuté. Ainsi, les travailleurs peuvent «participer» à des décisions concernant le

travail même quand l’établissement n’est pas doté d’un organe établi à cet effet, un cercle de

qualité par exemple. En conséquence, un simple exercice d’enrichissement des tâches peut

constituer une forme de promotion de la participation directe des travailleurs.

La participation directe peut intervenir sur le plan individuel — par exemple, dans le cadre de

programmes de suggestions ou d’enrichissement des tâches. Elle peut aussi se faire en groupe

— comme dans les cercles de qualité ou des groupes analogues restreints. Le travail en équipe

constitue en soi une forme de participation directe de groupe. La participation directe peut être

intégrée dans la prise de décisions concernant le travail de tous les jours, ou se faire en dehors

Page 43: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

du quotidien, notamment en cas d’adhésion volontaire à un cercle de qualité qui se démarque

de la structure de groupe utilisée habituellement. La participation directe peut aussi revêtir un

caractère «consultatif» ou «délibératif». Dans une étude, la Fondation européenne pour

l’amélioration des conditions de vie et de travail s’est penchée de manière relativement

approfondie sur cette facette particulière de la participation directe (Regalia et Gill, 1996). La

participation consultative encourage les travailleurs à s’exprimer à titre individuel ou collectif,

et elle leur en donne les moyens, mais il appartient à la direction d’accepter ou de rejeter leurs

propositions. La participation délibérative confie aux salariés certaines responsabilités

traditionnelles de la direction, comme c’est le cas pour le travail en équipe ou les groupes de

travail semi-autonomes dans lesquels certains pouvoirs sont délégués aux travailleurs.

Les comités d’entreprise et structures similaires; la cogestion

L’expression comités d’entreprise désigne des organes de représentation des travailleurs,

d’ordinaire au niveau de l’établissement, mais aussi à des niveaux supérieurs (société, groupe

de sociétés, branche d’activité, Union européenne). La relation avec les syndicats est souvent

définie par la loi ou précisée dans la convention collective, mais il arrive parfois que des

tensions persistent entre ces institutions. Le recours aux comités d’entreprise, parfois appelés

conseils d’entreprise, conseils d’usine, comités de travailleurs, comités de coopération, etc.,

est très répandu; c’est une pratique bien ancrée dans plusieurs pays européens, notamment en

Allemagne, en Belgique, au Danemark, en France et aux Pays-Bas; sous l’impulsion de la

directive 94/45/CE de 1994 sur les comités d’entreprise européens, on peut s’attendre à ce

qu’elle se développe encore au sein des grandes entreprises de cette région. Plusieurs pays

d’Europe centrale et orientale, dont la Hongrie et la Pologne, ont adopté des lois qui

favorisent l’instauration de comités d’entreprise. Ces comités existent également dans certains

pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie; par exemple, la réforme du droit du travail

entreprise en Afrique du Sud après l’abolition de l’apartheid porte en partie sur l’instauration

d’un régime particulier de comités d’entreprise, parallèlement aux structures syndicales.

C’est l’Allemagne qui offre le meilleur exemple des prérogatives qui peuvent être accordées

aux comités d’entreprise, bien qu’à certains égards il s’agisse d’un cas unique. Weiss (1992)

décrit les comités d’entreprise dans ce pays comme une forme de représentation

institutionnalisée des intérêts des travailleurs dans un établissement. Le comité d’entreprise

jouit de droits à l’information, à la consultation (comme dans tous les pays) et à la cogestion

(ce qui est beaucoup plus rare). La cogestion est la forme la plus poussée de participation; elle

prévoit la participation aux dispositions sur la sécurité et la santé au travail et l’adoption

officielle d’un plan visant à concilier les intérêts des parties et d’un «plan social» dans

l’éventualité d’une modification importante dans l’établissement, comme la fermeture d’un

atelier. Les droits de cogestion s’étendent aussi aux directives concernant la sélection et

l’évaluation du personnel, la formation en cours d’emploi et les mesures touchant les

travailleurs à titre individuel — classification, mutation et licenciement, par exemple. Le

comité d’entreprise allemand est habilité à conclure des conventions à son niveau et à porter

plainte s’il estime que la convention n’est pas respectée. Au nombre des questions relevant

obligatoirement de la cogestion figurent notamment: la prévention des accidents et la

protection de la santé, le règlement interne de l’entreprise, l’organisation du temps de travail,

la détermination des taux de rémunération au rendement, le mode de paiement et les principes

généraux régissant les congés. Pour toutes ces questions, l’employeur ne peut agir sans le

consentement du comité. Le comité d’entreprise est également habilité à décider de saisir la

commission d’arbitrage de l’établissement de toute question visant à faire appliquer les

dispositions prises. Comme l’explique Weiss (1992), le rôle du comité est de participer à

l’application des décisions après que l’employeur les a prises. Le droit de consultation permet

au comité d’influer sur les décisions de l’employeur, mais l’absence de consultation n’a pas

Page 44: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

pour effet d’invalider celles-ci. Voici quelques-uns des sujets pour lesquels la consultation est

obligatoire: la protection contre le licenciement; la protection contre les risques techniques; la

formation; la préparation d’un plan social.

Le comité d’entreprise doit observer les principes de la coopération avec l’employeur et

préserver la paix dans l’entreprise (aucun arrêt de travail); il doit aussi coopérer avec les

syndicats en place et avec l’organisation d’employeurs compétente. Il doit mener ses activités

en toute impartialité, sans discrimination fondée sur la race, la religion ou la croyance, la

nationalité, l’origine, l’activité politique ou syndicale, le sexe ou l’âge des salariés.

L’employeur fournit au comité d’entreprise les installations et les moyens financiers

nécessaires et est responsable de ses actions.

En Allemagne, les comités d’entreprise sont élus par les travailleurs manuels et les employés

dans des élections distinctes. Bien qu’il n’y ait aucun lien juridique entre les représentants

élus au comité d’entreprise et les délégués syndicaux, en pratique il s’agit souvent des mêmes

personnes. En Allemagne et en Autriche, une représentation particulière est garantie aux

travailleurs handicapés, aux jeunes travailleurs et aux stagiaires. Les membres du comité ne

sont pas rémunérés, mais les dépenses qu’ils sont appelés à faire dans l’exercice de leurs

fonctions leur sont remboursées. A l’expiration de leur mandat, les membres retrouvent le

même niveau de rémunération et de classification et jouissent d’une protection spéciale contre

le licenciement. Ils doivent bénéficier du temps libre nécessaire aux activités du comité et aux

cours de formation. Toutes ces garanties sont conformes à l’article 1 de la convention (no 135)

de l’OIT concernant les représentants des travailleurs, qui dispose qu’ils «bénéficient d’une

protection efficace contre toutes mesures qui pourraient leur porter préjudice, y compris le

licenciement, et qui seraient motivées par leur qualité ou leurs activités de représentants des

travailleurs [...]».

Dans de nombreux pays, les modèles de comités d’entreprise sont moins ambitieux et ne

confèrent que des droits à l’information et à la consultation. L’établissement d’un comité

d’entreprise ou d’un comité de travailleurs, surtout lorsque le syndicat est faiblement implanté

dans les ateliers, offre au personnel une bonne occasion de se faire entendre sur le lieu de

travail.

Les cercles de qualité et le management total de la qualité

Les cercles de qualité et autres activités de groupe se sont rapidement implantés dans un grand

nombre d’entreprises de quelques pays d’Europe occidentale (notamment en France et au

Royaume-Uni) au début des années quatre-vingt, comme cela s’était produit un peu plus tôt

aux Etats-Unis. Ils s’inspirent des programmes de «qualité de la vie au travail» (QVT) ou

d’«humanisation du travail» qui ont été lancés au début des années soixante-dix. Ils se sont

répandus beaucoup plus tard dans d’autres pays occidentaux (Allemagne) et sont encore très

peu nombreux, semble-t-il, dans les pays où les groupes de projet paritaires sont la formule la

plus courante pour traiter de l’organisation du travail, comme en Suède. A l’époque, leur essor

reposait sur la conviction que la capacité du Japon de fabriquer à bas coût des produits

innovants de haute qualité était due à ses méthodes de gestion des ressources humaines; les

cercles de qualité étaient l’élément caractéristique le plus visible et le plus facilement

transposable du modèle japonais. On s’attend généralement à ce que les cercles de qualité

produisent deux effets: d’une part, améliorer la qualité et la productivité et, d’autre part,

susciter chez les travailleurs le sentiment de participer aux décisions, ce qui entraîne une plus

grande satisfaction au travail et l’amélioration des relations professionnelles. Le Japon a misé

surtout sur le premier aspect, alors que l’Amérique du Nord et l’Europe ont privilégié le

second. On constate également des différences structurelles: au Japon, les animateurs de ces

Page 45: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

cercles sont normalement nommés par la direction, mais en Allemagne, ils sont souvent élus.

A l’heure actuelle, les programmes de QVT s’emploient surtout à améliorer la productivité et

la compétitivité (Ozaki, 1996).

Dans certains pays où ils ont été expérimentés à grande échelle dans les années quatre-vingt,

notamment en France et au Royaume-Uni, les cercles de qualité n’ont pas donné les résultats

escomptés et se sont révélés relativement inefficaces, d’où une certaine désaffection à leur

égard. De nombreux cercles ont disparu quelques années à peine après leur création; bien

d’autres existent encore sur le papier, mais sont en fait moribonds. Cet échec tient à plusieurs

facteurs: les cercles tendaient à court-circuiter les voies hiérarchiques normales; la direction

n’exerçait aucun contrôle sur les membres; les cercles fixaient leurs propres objectifs sans

tenir compte des priorités de la direction; le manque d’enthousiasme, voire l’hostilité, des

cadres intermédiaires; l’absence d’engagement durable de la part de la haute direction; le

champ d’action des cercles était restreint à des questions professionnelles d’ordre mineur.

La constatation de ces défauts a débouché sur l’élaboration de la théorie du «management

total de la qualité» (TQM). Certains principes du TQM ont une incidence sur la participation

des travailleurs: tous sont tenus de participer au processus d’amélioration des activités de

l’entreprise, et la responsabilité de la qualité incombe aux personnes qui, de fait, contrôlent la

qualité de ce qu’ils font. Le TQM favorise donc l’élargissement du champ de compétence

professionnelle et l’enrichissement des tâches qui conduisent aux groupes de travail semi-

autonomes. Elle facilite aussi la coordination horizontale dans l’entreprise, entre autres, par

des équipes de projet spéciales, multifonctionnelles ou interdépartementales.

Les groupes de projet paritaires

La constitution de groupes de projet paritaires pour étudier les meilleures façons d’introduire

des changements technologiques et organisationnels en misant sur les efforts communs des

cadres et des travailleurs est une caractéristique constante des relations professionnelles dans

certains pays, comme la Suède. Un groupe de projet paritaire est normalement composé de

membres de la direction, de délégués d’atelier et de travailleurs de base, qui sont aidés par des

experts de l’extérieur. La direction et le syndicat intéressés constituent souvent des groupes de

projet paritaires distincts chargés de quatre sujets: nouvelle technologie, organisation du

travail, formation et milieu de travail. Le modèle suédois est un exemple remarquable de la

participation directe des travailleurs dans l’atelier, qui s’insère dans un système de relations

professionnelles solidement établi. On retrouve également ce système dans d’autres pays,

notamment en Allemagne et au Japon.

Le travail de groupe en semi-autonomie et le travail en équipe

Le travail de groupe en semi-autonomie et le travail en équipe sont deux formes de

participation directe des travailleurs d’un atelier aux décisions concernant le travail, et ce, à

l’intérieur de la sphère de production, contrairement au groupe de projet paritaire qui est une

forme de participation hors de la sphère de production. La principale différence réside dans le

degré d’autonomie dont jouissent les membres de l’équipe ou du groupe pour organiser leur

travail. Le travail de groupe en semi-autonomie est un modèle très répandu en Scandinavie,

quoique ces derniers temps, on revienne à une approche plus traditionnelle; il est également

expérimenté ailleurs en Europe.

Les expériences de travail de groupe en semi-autonomie sont généralement sur le déclin, mais

le travail en équipe se répand rapidement dans tous les pays occidentaux. Le degré

d’autonomie accordé à l’équipe et sa structure varient considérablement d’une entreprise à

Page 46: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

une autre. Dans de nombreux pays, le chef d’équipe est habituellement nommé par la

direction, mais dans quelques-uns (Allemagne), il est souvent élu par ses collègues. Bien

souvent, la création des équipes modifie substantiellement le rôle des cadres qui voient leurs

responsabilités grandir. Ils conseillent les membres de l’équipe et facilitent la communication

verticale et horizontale, mais ils perdent leur fonction de surveillance proprement dite. Les

employeurs manifestent un intérêt grandissant pour le travail en équipe, parce qu’il stimule

généralement l’amélioration des compétences des travailleurs et élargit l’éventail des tâches

que ces derniers sont capables d’accomplir, permettant ainsi une plus grande souplesse dans

les processus de production. Toutefois, cette formule est parfois critiquée par les travailleurs

qui y voient un moyen de les amener à travailler plus «de leur propre chef», en substituant la

pression de leurs collègues à celle exercée naguère par la direction.

La représentation des travailleurs dans les conseils de surveillance; les salariés

actionnaires

Certains commentateurs considèrent les formes d’actionnariat ouvrier et de représentation des

salariés au conseil d’administration de l’entreprise comme des manifestations de la

participation des travailleurs. En Allemagne et dans les pays nordiques, entre autres, les

travailleurs participent indirectement, c’est-à-dire par leurs représentants, aux conseils de

surveillance des sociétés. Les représentants des travailleurs sont intégrés dans la structure

traditionnelle du conseil d’administration de la société, dans lequel ils sont en minorité

(malgré leur nombre parfois élevé, comme c’est le cas en Allemagne). Cette formule ne

comporte pas nécessairement une participation à la direction active de l’entreprise, mais les

représentants des travailleurs ont le même statut que les autres membres du conseil.

Autrement dit, ils doivent d’abord et avant tout se soucier des intérêts de l’entreprise et

respecter le secret des délibérations comme les autres membres du conseil d’administration.

Néanmoins, le fait de siéger au conseil peut donner accès à une meilleure information et

plusieurs syndicats veulent obtenir le droit d’être représentés dans les conseils

d’administration des entreprises. C’est un phénomène que l’on constate aujourd’hui en

Europe orientale et occidentale ainsi qu’en Amérique du Nord, mais qui demeure plutôt rare

ailleurs.

Détenir des actions d’une société à responsabilité limitée représente un autre mode de

participation des travailleurs: ils parviennent parfois à réunir suffisamment de capital pour

acheter une entreprise qui, autrement, serait contrainte de fermer ses portes. Cette situation

s’explique ainsi: un travailleur qui s’associe financièrement à une société se donnera

beaucoup de mal pour qu’elle réussisse. Ce type de participation comporte d’importantes

variantes: la forme (droit au rendement des capitaux investis ou droits de contrôle); le degré

(montant des dividendes et date de paiement); les raisons qui motivent cette participation

financière. De toute manière, cette pratique a surtout cours en Europe et en Amérique du

Nord. Cependant, si on tient les coopératives pour une variante de ce type de participation, la

notion de travailleurs actionnaires est alors beaucoup plus répandue dans le monde. Il serait

intéressant d’étudier si, et dans quelle mesure, l’actionnariat ouvrier a une incidence sur la

sécurité et la santé au travail.

Les comités d’hygiène et de sécurité et les représentants des travailleurs

L’instauration de comités d’hygiène et de sécurité et la nomination de délégués constituent

une forme particulière de participation des travailleurs (pour le modèle danois, voir encadré)

prescrite par la législation de plusieurs pays (par exemple, en Belgique et dans plusieurs

provinces canadiennes, au Danemark, en France, aux Pays-Bas et en Suède). Les petites

entreprises — dont la définition varie selon le pays — en sont habituellement exemptes, mais

Page 47: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

à l’instar des grandes entreprises et de leur propre chef, elles mettent souvent sur pied des

comités d’hygiène et de sécurité. De plus, dans nombre de cas, les conventions collectives

prévoient la création et la désignation de délégués (Canada, Etats-Unis).

Danemark: la participation des travailleurs à la sécurité et à la santé

Le Danemark est un bon exemple de pays où de nombreuses institutions jouent un rôle en matière

de sécurité et de santé au travail. Voici les principales caractéristiques des relations

professionnelles dans ce pays.

LA NÉGOCIATION COLLECTIVE: négociation de conventions par lesquelles les syndicats et les

employeurs fixent les salaires, les conditions de travail, etc. Il convient de signaler les points

suivants:

les délégués d’atelier sont élus par les travailleurs aux termes des conventions collectives; ils

jouissent d’une protection légale contre le licenciement et assurent la liaison entre les travailleurs

et la direction pour ce qui touche aux conditions de travail;

la convention collective sur la coopération et les comités de coopération dispose que les

travailleurs à titre individuel et les groupes de travailleurs reçoivent des informations en temps

utile pour pouvoir faire connaître leur avis avant qu’une décision soit prise; elle prévoit

l’établissement de comités de coopération;

un comité de coopération doit être mis sur pied dans toutes les entreprises employant plus de

35 travailleurs (25 dans la fonction publique). Il s’agit de comités paritaires chargés de promouvoir

la coopération dans les opérations quotidiennes. Ils doivent être consultés sur l’introduction de

nouvelles technologies et sur l’organisation de la production; ils jouissent de certains droits de

cogestion en ce qui concerne les conditions de travail, la formation et les données personnelles;

la convention collective nationale sur les conflits du travail (de 1910) confère aux travailleurs le

droit (rarement exercé) de cesser le travail pour des motifs d’absolue nécessité («vie, bien-être ou

honneur»). D’autres conventions collectives contiennent des dispositions sur la formation et les

syndicats se chargent aussi de la dispenser.

LA LOI-CADRE: la loi sur le milieu de travail est l’instrument qui permet aux entreprises de

résoudre elles-mêmes les questions relatives à la sécurité et à la santé, sous l’égide des

organisations patronales et syndicales, avec les conseils et sous le contrôle de l’inspection du

travail (art. 1 b)). La législation établit un système complet, qui part de l’établissement et remonte

au niveau national, pour favoriser la participation des travailleurs:

les délégués à la sécurité sont obligatoirement élus dans les entreprises qui emploient au moins 10

travailleurs; ils jouissent de la même protection contre le licenciement et les représailles que les

délégués d’atelier et ils ont droit au remboursement des dépenses encourues dans l’exercice de

leurs fonctions officielles;

le groupe de sécurité est formé du délégué à la sécurité et de l’agent responsable du service. Ses

attributions sont les suivantes:

surveiller les conditions de travail;

inspecter les équipements, outils et matériaux;

déclarer tout risque qui ne peut être évité ou éliminé immédiatement;

arrêter au besoin la production pour prévenir un danger grave et imminent;

Page 48: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

veiller à ce que le travail soit exécuté en toute sécurité et à ce que des instructions

adéquates soient données;

enquêter sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

participer aux activités de prévention;

coopérer avec le service de santé au travail;

assurer la liaison entre les travailleurs et le comité de sécurité.

Les membres du groupe de sécurité ont droit à la formation et à l’information nécessaires.

Un comité de sécurité doit être constitué dans toute entreprise qui emploie au moins 20

travailleurs. Dans les entreprises comptant plus de deux groupes de sécurité, ce comité est formé

de travailleurs élus parmi les délégués à la sécurité, de deux agents responsables de services et

d’un représentant de l’employeur.

En voici les fonctions:

il planifie, dirige et coordonne les activités en matière de sécurité et de santé;

il est consulté sur ces sujets;

il coopère avec les autres entreprises qui effectuent des travaux sur le même lieu de travail;

il coopère avec le service de santé au travail de l’entreprise;

il surveille les activités des groupes de sécurité;

il fait des recommandations pour la prévention des accidents et des maladies.

LE CONSEIL DU MILIEU DE TRAVAIL (ARBEJDSMILJØRÅDET): les organisations

d’employeurs et de travailleurs participent à la définition et à l’application des politiques de

prévention au niveau national. Composition du Conseil: 11 représentants des organisations

représentant les travailleurs manuels et non manuels, un représentant du personnel de maîtrise, 10

représentants des organisations d’employeurs, plus un médecin du travail, un technicien et des

représentants gouvernementaux sans droit de vote. Voici ses fonctions:

il est consulté sur les projets de loi et de règlements;

il peut, de son propre chef, soulever toute question de sécurité et de santé;

il présente tous les ans des recommandations sur la politique du milieu de travail;

il coordonne les activités des conseils de sécurité des professions;

il contrôle les activités du fonds pour le milieu de travail.

LE FONDS POUR LE MILIEU DE TRAVAIL (ARBEJDSMILJØFONDET): est géré par un

conseil tripartite. Sa mission première est l’information et la formation, mais il s’occupe aussi du

financement des programmes de recherche.

LES CONSEILS DE SÉCURITÉ DES PROFESSIONS (BRANCHESIKKERHEDSRÅDENE): 12

conseils examinent les problèmes propres à leur profession ou à leur branche et conseillent les

entreprises sur les mesures à prendre. Ils sont également consultés sur les projets de loi. Ils

comptent un nombre égal de représentants des organisations d’employeurs et des responsables de

services d’une part, et des organisations de travailleurs, d’autre part.

LES AUTORITÉS GOUVERNEMENTALES: en outre, le ministère du Travail, l’inspection du

travail, et l’Institut danois du milieu de travail qui en dépend, offrent divers services et conseils

dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail. Les conflits collectifs du travail sont

entendus par les tribunaux du travail.

Page 49: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de Vogel, 1994)

Souvent, les conventions collectives viennent renforcer les pouvoirs que la loi garantit et

confère aux délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé. Les relations entre, d’une part,

ces comités et ces délégués et, d’autre part, les syndicats et les comités d’entreprise, leur

élection ou leur nomination, leurs tâches, leurs fonctions et leur influence varient selon les

pays. En tant que forme de participation des travailleurs dans le domaine spécialisé de la

sécurité et de la santé, les comités et les délégués peuvent contribuer à l’amélioration des

conditions de travail et des relations professionnelles. Les critères les plus propices à leur

succès sont les suivants: faire partie intégrante du programme de sécurité et de santé mis en

place par la direction; obtenir des informations suffisantes; faire participer le personnel

subalterne à leurs activités pour assurer la continuité; s’appuyer sur un programme

gouvernemental efficace en matière d’inspection du travail. Quand les employeurs offrent des

services de santé au travail ou disposent de spécialistes de la sécurité, une relation fructueuse

avec ces intervenants peut aussi favoriser le succès des comités d’hygiène et de sécurité. Une

enquête menée dans des entreprises au Royaume-Uni a révélé que «les comités consultatifs

paritaires, dont tous les représentants des salariés sont nommés par les syndicats, ont permis

de réduire considérablement le nombre des accidents du travail, en comparaison avec celui

des accidents du travail survenus dans des établissements où la direction décide seule des

dispositions relatives à la sécurité et à la santé» (Reilly, Paci et Holl, 1995). Selon ces auteurs,

les comités consultatifs paritaires jouent un rôle important même lorsque les représentants des

salariés sont nommés d’une autre façon. Toutefois, selon d’autres études, les comités

d’hygiène et de sécurité ne comblent pas vraiment les attentes qu’ils suscitent, et ce, pour de

multiples raisons: manque de soutien de la part de la direction; participants mal informés ou

insuffisamment formés; faible représentation des travailleurs, etc.

Les représentants des travailleurs peuvent être nommés par la direction (c’est le cas dans de

nombreuses entreprises non syndiquées), désignés par le syndicat (Royaume-Uni) ou élus

directement par les travailleurs au niveau de l’entreprise ou à un niveau supérieur

(Danemark). Un système parallèle sera utilisé pour les représentants des travailleurs dans un

comité mixte de sécurité et de santé qui, tout en étant bipartite, ne sera pas toujours paritaire.

Les institutions générales de représentation des travailleurs sont souvent complétées par des

structures spéciales de représentation en matière de sécurité et de santé (Espagne). Le

mécanisme choisi correspond souvent aux autres institutions de relations professionnelles en

place dans un pays: en France, par exemple, les salariés membres des comités d’hygiène, de

sécurité et des conditions de travail sont désignés par un collège constitué par les membres

élus du comité d’entreprise et les délégués du personnel; en Allemagne, les membres désignés

par le conseil d’entreprise sont choisis parmi ceux qui siègent aux comités d’hygiène et de

sécurité. Les comités d’entreprise aux Pays-Bas peuvent déléguer leurs pouvoirs à un comité

chargé de la sécurité, de la santé et du bien-être. Un lien solide, sinon une identification, entre

les représentants syndicaux et les délégués à la sécurité et à la santé est habituellement jugé

souhaitable (Irlande, Norvège, Québec (Canada), Suède), mais lorsque la syndicalisation est

faible, on court le risque de priver de très nombreux travailleurs du droit de faire entendre leur

voix sur ces questions. La théorie selon laquelle les comités d’hygiène et de sécurité ont un

effet d’entraînement et peuvent stimuler une participation accrue des travailleurs dans d’autres

domaines reste donc encore à prouver.

Normalement, les délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé bénéficient des droits

suivants: droit d’accès à l’information sur la santé, la sécurité et l’introduction des nouvelles

technologies; droit d’être consultés sur ces questions; droit de participer à la surveillance des

conditions de travail; droit d’accompagner les inspecteurs (parfois appelé «droit de

circulation»); droit de participer aux enquêtes après accident; droit de présenter des

Page 50: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

recommandations à la direction en vue d’améliorer les conditions de travail. Dans certains

pays, leurs pouvoirs sont plus étendus et comprennent le droit de codécision, celui de

demander des inspections et des enquêtes sur les accidents, et celui d’étudier les rapports

présentés au gouvernement par la direction. Et surtout, certains délégués des travailleurs ont le

pouvoir d’ordonner l’arrêt d’une opération présentant un risque imminent (intervention

également appelée «red-tagging» ou «alerte rouge» en raison du panneau indicateur installé

sur place), comme au Danemark, en Finlande, en Norvège et en Suède. Dans certains cas,

notamment en France et dans certaines provinces du Canada, ils participent directement à

l’application des règlements d’hygiène et de sécurité. La consultation préalable du comité

paritaire est parfois obligatoire avant qu’un employeur puisse apporter des modifications

importantes aux conditions d’hygiène, de sécurité ou de travail (en France et aux Pays-Bas).

En Belgique, les services de santé interentreprises relèvent d’un comité paritaire. En Italie, le

rôle du comité englobe la promotion de la prévention; en Grèce, les comités peuvent, avec

l’accord de l’employeur, demander l’opinion de spécialistes sur des questions d’hygiène et de

sécurité.

Dans l’exercice de leurs fonctions, les délégués des travailleurs à la sécurité et à la santé sont

nécessairement protégés contre la discrimination ou les représailles. Ils ont au minimum droit

à un peu de temps libre, sans perte de salaire, et aux moyens nécessaires (dont la définition

est souvent controversée) pour exercer leurs fonctions. De plus, pendant qu’ils sont en

fonction, certains sont en particulier protégés contre toute mise à pied pour raisons

économiques (compressions de personnel), ou bénéficient d’une protection supplémentaire

contre le licenciement (Belgique). Bien souvent, ils ont droit à une formation spécialisée

(Danemark).

L’influence que peuvent avoir les délégués des travailleurs et les comités paritaires d’hygiène

et de sécurité dépend évidemment non seulement des droits et des devoirs prescrits par la loi

ou la convention collective, mais encore de la façon dont ils sont mis en pratique. D’autres

facteurs interviennent, qui influent sur la participation des travailleurs en général. Les

délégués et les comités paritaires ne remplacent ni une application effective des normes de

sécurité et de santé par le gouvernement, ni ce que l’on peut accomplir par la négociation

collective. Toutefois, «la plupart des observateurs estiment qu’en la matière les comités

[paritaires d’hygiène et de sécurité dûment autorisés] offrent un cadre réglementaire plus

efficace que l’inspection du travail ou les programmes fondés sur la responsabilité civile»

(Kaufman et Kleiner, 1993). Quoi qu’il en soit, la tendance va nettement dans le sens d’une

participation accrue des travailleurs aux questions de sécurité et de santé, du moins dans la

législation et les conventions collectives des grandes entreprises. Lorsqu’ils fonctionnent bien,

les comités paritaires d’hygiène et de sécurité peuvent constituer un excellent outil

d’identification des problèmes et de sensibilisation aux risques et sont donc dotés du potentiel

voulu pour réduire la fréquence des accidents du travail, des maladies professionnelles et des

décès attribuables au milieu de travail. Leur efficacité dépend toutefois d’un grand nombre de

facteurs inhérents aux différents systèmes des relations professionnelles et de l’approche

stratégique adoptée dans le milieu de travail à l’égard de la sécurité et de la santé.

Evaluation

Schregle (1994) fait observer ce qui suit:

En pratique, aucune de ces formes de participation des travailleurs n’a donné les résultats

escomptés, et ce, pour de multiples raisons. En particulier, les syndicats et les employeurs

n’ont généralement pas la même idée de la participation. Alors que les travailleurs désirent

exercer une influence tangible et concrète sur les décisions de l’employeur, au sens d’un

Page 51: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

partage du pouvoir, les employeurs se réclament catégoriquement des droits ou des

prérogatives de la direction, qui dérivent du principe de la propriété privée, à savoir le droit de

diriger l’entreprise selon leurs propres critères et l’exclusivité du pouvoir de décision; tout au

plus reconnaissent-ils aux travailleurs le droit d’exprimer leurs opinions sans lier la direction.

Tout cela a pour effet de semer la confusion autour des notions de consultation, de

participation des travailleurs, de participation des travailleurs à la gestion, de codécision, de

cogestion, etc.

Il n’en reste pas moins que sur la plupart des lieux de travail du monde, il y a très peu de

véritable participation des travailleurs dans l’entreprise. Le premier niveau de participation et,

certes, le préalable à toute participation, est l’accès à l’information, suivi de la consultation.

En Europe, des recherches ont révélé des écarts considérables dans le degré d’application de

la directive du 12 juin 1989 sur la sécurité et la santé pour ce qui est de la participation des

travailleurs; peut-être la participation connaîtra-t-elle un regain de vie sous l’impulsion de la

directive 94/45/CE du 22 septembre 1994 sur les comités d’entreprise européens. D’autres

régions sont caractérisées par une forte non-participation, mais on nourrit toujours de grands

espoirs dans le renforcement des mécanismes de participation des travailleurs dans

l’entreprise.

La manière traditionnelle d’envisager la participation des travailleurs en tant que moteur

d’une plus grande coopération entre travailleurs et direction est loin d’être satisfaisante sur le

plan de la sécurité et de la santé. Que les relations professionnelles soient conflictuelles ou

marquées par une volonté de coopération ne fait pas vraiment avancer le débat. Comme le

signale Vogel (1994):

[...] de toute évidence, le problème de la participation des travailleurs ne se limite pas aux

formes institutionnalisées de participation à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise. Le

fondement de la participation réside dans la reconnaissance des intérêts distincts en jeu, ce qui

donne lieu à des interprétations spécifiques [...] La légitimité essentielle de la participation

doit être trouvée en dehors de l’entreprise, dans l’exigence démocratique qui refuse

d’admettre que l’autodétermination des individus doive se limiter aux règles de la

représentation politique, et dans l’idée que la santé est un processus social réfléchi par lequel

les individus et les collectivités développent leurs propres stratégies d’épanouissement et de

défense.

En définitive, les divers modèles de participation des travailleurs ont des fonctions différentes

qui rendent difficile une analyse comparative de leurs retombées respectives. Toutefois, la

portée de la négociation collective s’amenuisant, il faut s’attendre à un recours accru à des

dispositions prises sur l’initiative de la direction en faveur de la participation des travailleurs.

LA CONSULTATION ET L’INFORMATION EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ET DE

SANTÉ

Marco Biagi

La participation des travailleurs aux questions de santé et de sécurité

La participation des travailleurs à l’organisation de la sécurité dans les établissements

industriels peut être planifiée de bien des manières, suivant la législation et la pratique

nationale. Cet article ne traite que des dispositions prises en vue de la consultation et de

l’information et non des formes connexes de participation des travailleurs. Les autres aspects

Page 52: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

particuliers ayant un lien avec la consultation et l’information (par exemple, la participation

aux inspections ou aux activités de formation, la demande d’inspection) sont abordés dans

d’autres articles du présent chapitre.

L’idée que les employeurs et les travailleurs doivent travailler ensemble pour améliorer la

sécurité et la santé au travail se fonde sur plusieurs principes:

1. Les travailleurs peuvent contribuer à la prévention des accidents du travail en décelant

et en signalant les risques potentiels, et en avertissant des dangers imminents.

2. La participation sensibilise les travailleurs et les encourage à coopérer pour

promouvoir la sécurité.

3. Les idées et l’expérience des travailleurs sont considérées comme une contribution

utile à l’amélioration de la sécurité.

4. Les gens ont le droit de participer à des décisions qui auront des répercussions sur leur

vie professionnelle, en particulier sur leur santé et leur bien-être.

5. Essentielle à l’amélioration des conditions de travail, la coopération entre les deux

parties devrait reposer sur une participation paritaire.

Ces principes ont été énoncés dans la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des

travailleurs, 1981, de l’OIT. L’article 20 de cette convention prévoit que «la coopération des

employeurs et des travailleurs et/ou de leurs représentants dans l’entreprise devra être un

élément essentiel des dispositions prises en matière d’organisation et dans d’autres domaines

[...]» liés à la sécurité et à la santé au travail. En outre, le paragraphe 2, 1) de la

recommandation de l’OIT (no 129) sur les communications dans l’entreprise, 1967, précise

que:

[...] les employeurs et leurs organisations, de même que les travailleurs et leurs organisations

devraient, dans leur intérêt commun, reconnaître l’importance, dans les entreprises, d’un

climat de compréhension et de confiance réciproques, favorable à la fois à l’efficacité de

l’entreprise et aux aspirations des travailleurs.

Ces textes partent de l’idée que les employeurs et les travailleurs ont un intérêt commun à

établir un système d’autoréglementation dans la prévention des accidents du travail; de fait, ils

s’intéressent davantage à la sécurité qu’à la santé au travail, parce qu’il est plus simple de

prouver que le travail est à l’origine des accidents et donc plus facile d’obtenir réparation.

C’est également pour cette raison que, dans de nombreux pays, les délégués à la sécurité ont

été les premiers représentants des travailleurs sur les lieux de travail à voir leurs droits et leurs

devoirs définis par la loi ou des conventions collectives. Aujourd’hui, il n’existe

probablement aucun autre sujet des relations professionnelles et de la gestion des ressources

humaines à propos duquel les partenaires sociaux soient aussi désireux de collaborer.

Cependant, dans certains pays, les syndicats n’ont pas investi suffisamment de ressources

dans leurs initiatives sur la sécurité et la santé pour faire de cette question un enjeu important

des négociations ou de la surveillance au jour le jour de l’application des conventions.

Les droits en matière d’information et de consultation dans les instruments de l’OIT et

de l’Union européenne

L’obligation générale de l’employeur d’informer les travailleurs et/ou leurs représentants sur

les questions de sécurité et de santé et de solliciter leur avis au moyen de consultations est

énoncée à l’article 20 de la convention (no 174) de l’OIT sur la prévention des accidents

industriels majeurs, 1993. Cet article dispose que:

Page 53: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Dans une installation à risques d’accident majeur, les travailleurs et leurs représentants

doivent être consultés selon des procédures appropriées de coopération, afin d’établir un

système de travail sûr.

Plus précisément, les travailleurs et leurs représentants doivent:

a) être informés de manière suffisante et appropriée des dangers liés à cette installation et de

leurs conséquences possibles; b) être informés de toutes exigences, instructions ou

recommandations émanant de l’autorité compétente; c) être consultés lors de l’élaboration des

documents suivants et y avoir accès: i) rapport de sécurité; ii) plans et procédures d’urgence;

iii) rapports sur les accidents.

Ces droits de consultation et d’information permettent donc aux travailleurs de «discuter avec

l’employeur de tout danger potentiel qu’ils considèrent susceptible de causer un accident

majeur» (art. 20 f)).

De façon plus générale, la convention no 155 de l’OIT fixe des règles qui concernent la

sécurité et la santé des travailleurs et le milieu de travail, et contient des dispositions efficaces

au niveau de l’entreprise (qu’elles soient régies par la loi ou par la négociation collective,

voire par des pratiques locales ou internes), comme l’article 19 c): «les représentants des

travailleurs […] recevront une information suffisante concernant les mesures prises par

l’employeur pour garantir la sécurité et la santé; ils pourront consulter leurs organisations

représentatives à propos de cette information, à condition de ne pas divulguer de secrets

commerciaux». Il est également précisé, à l’alinéa e) du même article, que «les travailleurs ou

leurs représentants [...] seront habilités [...] à examiner tous les aspects de la sécurité et de la

santé liés à leur travail et seront consultés à leur sujet par l’employeur; à cette fin, il pourra

être fait appel, par accord mutuel, à des conseillers techniques pris en dehors de l’entreprise».

La recommandation 164 complète la convention no 155 et précise, au paragraphe 12, que des

droits de consultation et d’information en matière de sécurité et de santé devraient être

accordés à divers organismes participants: délégués des travailleurs à la sécurité; comités

ouvriers ou conjoints de sécurité et d’hygiène; autres représentants des travailleurs. Ce texte

énonce également des principes importants influant sur la nature et le contenu de

l’information ou de la consultation. Ces pratiques devraient avant tout permettre à ces groupes

spécialisés de représentation des travailleurs de «contribuer au processus de prise de décisions

au niveau de l’entreprise en ce qui concerne les questions de sécurité et de santé»

(paragr. 12, 2) e)).

Il ne suffit pas de reconnaître ces droits et d’en parler de manière abstraite; les travailleurs et

leurs représentants devraient, aux termes du paragraphe 12, 2):

«a) recevoir une information suffisante sur les questions de sécurité et d’hygiène, avoir la

possibilité d’examiner les facteurs qui affectent la sécurité et la santé des travailleurs et être

encouragés à proposer des mesures dans ce domaine;

b) être consultés lorsque de nouvelles mesures importantes de sécurité et d’hygiène sont

envisagées et avant qu’elles ne soient exécutées, et s’efforcer d’obtenir l’adhésion des

travailleurs aux mesures en question;

c) être consultés sur tous changements envisagés quant aux procédés de travail, au contenu du

travail ou à l’organisation du travail pouvant avoir des répercussions sur la sécurité ou la santé

des travailleurs.»

Page 54: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Le principe selon lequel «les représentants des travailleurs […] devraient être informés et

consultés préalablement par l’employeur sur les projets, mesures et décisions susceptibles

d’avoir des conséquences nocives sur la santé des travailleurs [...]» (recommandation (no 156)

de l’OIT sur le milieu de travail (pollution de l’air, bruit et vibrations), 1977, paragr, 21, 2)),

traduit l’idée d’une «politique efficace de communication» énoncée en termes généraux au

paragraphe 3 de la recommandation no 129, qui prescrit que «des informations soient

diffusées et que des consultations aient lieu entre les parties intéressées avant que des

décisions sur des questions d’intérêt majeur soient prises par la direction». Pour rendre ces

méthodes efficaces, il faut donc «prendre des mesures nécessaires pour former les personnes

qui utiliseront ces méthodes de communication» (paragr. 6).

En relations professionnelles, la méthode participative dans le domaine de la sécurité et de la

santé est corroborée par d’autres textes de droit international. A cet égard, la directive

89/391/CEE offre un bon exemple de l’introduction de mesures visant à encourager

l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs des Etats membres de l’Union

européenne. L’article 10 dispose que l’employeur a l’obligation de prendre les mesures

appropriées: 1) pour que les travailleurs et/ou leurs représentants reçoivent, conformément

aux législations et/ou aux pratiques nationales, toutes les informations nécessaires concernant

les risques pour la sécurité et la santé, les mesures de protection et de prévention (premiers

secours, lutte contre l’incendie, évacuation des travailleurs, risque de danger grave et

immédiat); 2) pour que les employeurs des travailleurs des entreprises ou établissements

extérieurs intervenant dans son entreprise ou son établissement reçoivent des informations

adéquates concernant les points susmentionnés. De plus, «les travailleurs ou les représentants

des travailleurs ayant une fonction spécifique de protection de la sécurité et de la santé des

travailleurs» doivent avoir accès à l’évaluation des risques et aux mesures de protection, aux

rapports sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dont ont été victimes des

travailleurs, et à l’information provenant tant des activités de protection et de prévention que

des services d’inspection et organismes compétents pour la sécurité et la santé.

L’article 11 de cette directive établit un lien entre consultation et participation. En réalité, les

employeurs ont l’obligation de consulter «les travailleurs et/ou leurs représentants et [de

permettre] leur participation dans le cadre de toutes les questions touchant à la sécurité et à la

santé au travail. Cela implique la consultation des travailleurs, le droit des travailleurs et/ou de

leurs représentants de faire des propositions, la participation équilibrée, conformément aux

législations et/ou pratiques nationales». L’article poursuit ainsi:

Les travailleurs ou les représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière

de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs participent de façon équilibrée,

conformément aux législations et/ou pratiques nationales, ou sont consultés au préalable et en

temps utile par l’employeur [...]

Ces droits ont pour objectif de couvrir tout le champ des mesures susceptibles d’influer

fortement sur la sécurité et la santé, comme la désignation des salariés chargés de pratiquer

certaines interventions (premiers secours, lutte contre l’incendie et évacuation des

travailleurs), ainsi que la planification et l’organisation d’une formation adéquate en matière

de santé et de sécurité pendant toute la durée de la relation d’emploi (dès l’embauche et y

compris toute mutation, sans oublier l’introduction de nouvelles technologies et la mise en

service de matériel nouveau).

Le choix est clair: non au conflit, oui à la participation aux relations professionnelles dans le

domaine de la sécurité et de la santé. Tel est le sens de la directive 89/391/CEE, qui va au-

delà de la simple logique du droit à l’information. Le système repose sur une véritable forme

Page 55: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

de consultation, puisque l’action d’informer doit avoir lieu «au préalable et en temps utile» —

autrement dit, non seulement avant que les décisions soient prises par l’employeur, mais assez

tôt pour permettre aux travailleurs et à leurs représentants de les commenter et de présenter

des propositions.

La directive emploie également l’expression ambiguë «participation équilibrée», qui ouvre la

porte à diverses interprétations. C’est une notion plus large (ou du moins différente) que celle

de la consultation, mais pas au point de constituer une forme de partage du pouvoir de

décision qui empêcherait les employeurs de prendre des mesures qui n’auraient pas été

approuvées au préalable par les travailleurs ou leurs représentants. De toute évidence, il s’agit

d’une forme de participation qui dépasse la simple consultation (autrement, le titre de l’article

11 «consultation et participation» n’aurait aucun sens) sans aller nécessairement jusqu’à la

prise de décisions conjointe. La notion reste dans le vague; elle englobe de multiples formes

de participation des travailleurs, qui varient considérablement d’un Etat membre à un autre

dans l’Union européenne. Quoi qu’il en soit, la directive n’impose nullement l’obligation

d’instaurer une forme particulière de participation équilibrée.

Dans les textes de l’OIT et des CE, l’information semble être un concept selon lequel la

direction informe de sa décision l’organisation représentant les travailleurs, par écrit ou dans

le cadre d’une réunion, tandis que la consultation appelle la création de comités paritaires

dans lesquels les représentants des travailleurs sont non seulement informés par la direction,

mais peuvent également exprimer leur avis et attendre une justification de la décision en cas

de divergence d’opinions. Ces notions diffèrent assurément de la négociation (lorsqu’un

accord à caractère obligatoire, au niveau de l’entreprise ou interentreprises, est conclu à

l’issue de discussions dans un comité de négociation) et de la cogestion (lorsque les

travailleurs ont un droit de veto et que les décisions exigent l’accord des deux parties).

Dans le cas d’entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire, la directive

94/45/CE du Conseil de l’Union européenne du 22 septembre 1994 prévoit la création d’un

comité d’entreprise européen ou d’une procédure en matière d’information et de consultation.

Les informations «portent notamment sur des questions transnationales qui affectent

considérablement les intérêts des travailleurs» (art. 6, 3)). L’avenir nous dira si cette

disposition sera appliquée aux fins de la sécurité et de la santé.

Le rôle des représentants des travailleurs dans l’évaluation des risques et l’amélioration

du milieu de travail: tenue des dossiers

La nature dynamique de la consultation est également soulignée dans l’article 11, 3) de la

directive 89/391/CEE, selon laquelle les représentants de travailleurs exerçant une fonction

spécifique dans ce domaine «ont le droit de demander à l’employeur qu’il prenne des mesures

appropriées et de lui soumettre des propositions en ce sens, de façon à pallier tout risque pour

les travailleurs et/ou à éliminer les sources de danger».

Dans ses dispositions relatives à la gestion du risque, la directive attribue indiscutablement

des responsabilités précises aux employeurs, mais encourage aussi une plus grande

participation des travailleurs et de leurs représentants aux consultations concernant les

stratégies de la direction en matière de sécurité et de santé. Les employeurs doivent évaluer

les risques et présenter leurs systèmes de prévention sous forme de plan ou de déclaration.

Dans tous les cas, ils sont tenus de consulter les travailleurs et/ou leurs représentants ou de les

faire participer à la conception, à la mise en œuvre et à la surveillance de ces systèmes. Il est

néanmoins indéniable qu’en conférant des droits de participation pertinents aux travailleurs

cette directive adopte par la même occasion une approche «d’auto-évaluation». D’autres

Page 56: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

directives des CE exigent, entre autres, la consignation des résultats des mesures et des

examens, et affirment le droit d’accès des travailleurs à ces dossiers.

La recommandation de l’OIT no 164 prévoit, au paragraphe 15, 2):

Les employeurs devraient être tenus d’enregistrer les données relatives à la sécurité, à la santé

des travailleurs et au milieu de travail jugées indispensables par l’autorité ou les autorités

compétentes et qui pourraient inclure les données concernant tous les accidents du travail et

tous les cas d’atteintes à la santé survenant au cours du travail ou ayant un rapport avec celui-

ci et donnant lieu à déclaration; les autorisations et les dérogations se rapportant à la

législation ou aux prescriptions de sécurité et d’hygiène ainsi que les conditions éventuelles

mises à ces autorisations ou à ces dérogations; les certificats relatifs à la surveillance de la

santé des travailleurs dans l’entreprise; les données concernant l’exposition à des substances

et à des agents déterminés.

Dans le monde entier, on s’accorde à reconnaître que les employeurs doivent établir des

dossiers sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, par exemple, ou encore

sur l’utilisation ou l’existence d’une surveillance biologique ou environnementale.

La législation et la pratique nationales

Dans certains systèmes de relations professionnelles (Italie), la loi ne confère aux

représentants des travailleurs aucun droit spécifique à l’information et à la consultation dans

le domaine de la sécurité et de la santé au travail, bien que ces droits soient souvent inscrits

dans les conventions collectives. La législation italienne accorde aux travailleurs le droit de

contrôler eux-mêmes l’application des normes relatives à la prévention des accidents du

travail et des maladies professionnelles, ainsi que le droit d’effectuer des études et d’adopter

des mesures appropriées pour garantir la sécurité et la santé au travail. Dans d’autres systèmes

(Royaume-Uni), pour que l’information sur les questions de santé et de sécurité soit divulguée

comme le prévoit la loi, il faut d’abord nommer des délégués à la sécurité. Pour cela, il faut

qu’il existe une organisation syndicale reconnue dans l’entreprise. Si l’employeur refuse le

statut requis à une organisation syndicale reconnue ou lui retire sa reconnaissance, les droits

de consultation et d’information ne peuvent être exercés.

Ces cas nationaux posent la question de savoir dans quelle mesure la participation réelle des

travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé dépend de l’adoption de dispositions

légales. Un certain encadrement juridique paraît certes utile et semble donner les meilleurs

résultats quand la législation prévoit l’élection de représentants des travailleurs et leur confère

des droits suffisamment forts pour leur permettre d’exercer leurs fonctions indépendamment

de la direction, tout en permettant une certaine diversité au niveau de l’organisation de la

participation dans différents secteurs et sociétés.

En règle générale, les systèmes de relations professionnelles s’appuient sur la loi qui impose

d’informer et de consulter les représentants des travailleurs sur les affaires de sécurité et de

santé. Lorsque des comités paritaires composés de membres de la direction et de représentants

des travailleurs sont formés, ils sont investis de pouvoirs considérables. En France, par

exemple, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut proposer des

mesures préventives; un employeur qui refuse de s’y conformer doit justifier sa position.

Pourtant, dans la pratique, les délégués à la sécurité semblent parfois plus efficaces que les

comités paritaires parce qu’ils dépendent moins de l’existence d’une relation de coopération.

Page 57: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Grâce à diverses formes de participation représentative, les travailleurs bénéficient

généralement des droits que leur reconnaissent les conventions et les recommandations

internationales du travail susmentionnées (ainsi que les directives des CE, le cas échéant), en

particulier dans les pays industrialisés régis par les principes de l’économie de marché. Les

délégués à la sécurité ou les membres des comités d’entreprise ont le droit d’être informés et

consultés par l’employeur au sujet de toutes les questions concernant les opérations de

l’entreprise et l’amélioration des conditions de travail, y compris la sécurité et la santé. Ils ont

le droit de consulter tous les documents pertinents que l’employeur est légalement tenu de

conserver, ainsi que toutes les déclarations y relatives et les résultats de toutes les recherches.

Au besoin, ils peuvent également en obtenir copie.

L’efficacité des droits à l’information et à la consultation

Certains aspects (comme le recours à des experts, le déclenchement d’une inspection ou la

participation à une inspection, et la protection contre les représailles) ont une forte incidence

sur l’efficacité des droits à l’information et à la consultation sur la sécurité et la santé, mais il

existe en outre des facteurs généraux qu’il ne faut pas négliger. Premièrement, la taille de

l’entreprise: les dispositifs de contrôle sont moins efficaces dans les petites unités dont les

syndicats et d’autres formes de représentation des travailleurs sont pratiquement absents. De

plus, ce sont les petits établissements qui sont les plus susceptibles de ne pas respecter les

obligations légales.

Deuxièmement, quand les délégués à la sécurité font partie de l’organisation syndicale

officielle du lieu de travail, les améliorations attendues ont plus de chances d’être mises en

œuvre.

Troisièmement, les dispositions relatives à la consultation et à l’information sur la sécurité et

la santé font ressortir le climat de conflit (Italie, Royaume-Uni) ou de coopération

(Allemagne, Japon, pays nordiques) qui prévaut dans les relations professionnelles. Et, en

général, la collaboration entre employeurs et travailleurs favorise la divulgation de

l’information et la consultation.

Quatrièmement, il ne faut pas sous-estimer l’esprit d’initiative de la direction. La consultation

et l’information sont plus efficaces que les droits reconnus par la loi lorsqu’elles sont

imprégnées d’une culture d’entreprise qui les favorise. Selon leur attitude à l’égard de la

formation, leur engagement à diffuser l’information et leur empressement à répondre aux

questions, les employeurs sont à même de créer un climat d’affrontement ou de collaboration.

Il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur la loi pour garantir aux représentants des travailleurs

une totale indépendance afin qu’ils aient les mains libres pour intervenir dans ce domaine,

mais le succès des dispositions relatives à l’information et à la consultation repose en grande

partie sur la volonté des deux parties.

Enfin, le succès de toute représentation des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la

santé au travail dépend essentiellement de la prise de conscience de la population en général.

Cette forme particulière de participation exige que tous les travailleurs en comprennent la

nécessité et y attachent l’importance voulue. Les données dont on dispose montrent que les

travailleurs considèrent la sécurité et la santé comme l’une de leurs principales préoccupations

professionnelles.

Les sauvegardes concernant l’usage de l’information

Page 58: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

En règle générale, un délégué à la sécurité est réputé commettre un abus de confiance s’il

divulgue une information quelconque ayant trait aux procédés de production d’un employeur

ou à d’autres secrets professionnels. En outre, il est tenu à la discrétion au sujet de toute

information qui lui est confiée et dont l’employeur indique le caractère confidentiel. La

convention no 155 de l’OIT en tient dûment compte et dispose que les représentants des

travailleurs dans l’entreprise pourront consulter leurs organisations représentatives à propos

de l’information relative à la sécurité et à la santé au travail, «à condition de ne pas divulguer

de secrets commerciaux» (art. 19 c)).

Dans certains systèmes (Grèce), les représentants des travailleurs siégeant dans des comités

d’entreprise sont tenus de ne pas communiquer à des tiers les informations reçues qui revêtent

une importance primordiale pour l’entreprise et nuiraient à sa capacité de concurrence si elles

venaient à être divulguées. Les représentants des travailleurs et l’employeur sont censés

décider ensemble de ce qui peut être divulgué. Dans d’autres systèmes (Luxembourg), lorsque

les représentants des travailleurs sont en désaccord avec l’employeur quant à la classification

confidentielle de l’information, ils peuvent en référer à l’inspection du travail, qui tranchera.

Dans certains pays, l’obligation de garder le secret est uniquement implicite (en Italie, par

exemple). Par ailleurs, en l’absence de dispositions précises à cet égard (comme au Royaume-

Uni), les représentants des travailleurs ne peuvent prétendre obtenir des renseignements

relatifs à la santé d’une personne (sauf si celle-ci donne son consentement), ni d’information

susceptible de nuire à la sécurité nationale ou à l’entreprise de l’employeur. Enfin,

l’obligation de respecter la confidentialité (en Suède, par exemple) n’empêche pas forcément

les délégués à la sécurité de transmettre l’information reçue à l’organe exécutif de leur

organisation syndicale qui, lui aussi, est légalement tenu de garder le secret.

LA FORMATION ET LES RELATIONS PROFESSIONNELLES

Mel Doyle

Tout programme ou toute politique d’ensemble concernant le développement des ressources

humaines devrait comprendre un élément de formation, que ce soit dans l’entreprise, dans la

branche d’activité ou au niveau national. La formation pourra d’autant plus facilement être

mise en œuvre que l’on offrira un congé-éducation payé (voir encadré). Lorsque des

dispositions à cet effet ne sont pas inscrites dans la législation nationale (comme elles le sont

dans les Codes du travail de la France et de l’Espagne, par exemple), les représentants des

employeurs et des travailleurs devraient négocier l’obtention d’un congé pour recevoir une

formation appropriée à la sécurité et à la santé au travail.

Page 59: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Points importants de la convention (no 140) de l’OIT sur le congé-éducation payé, 1974

Objectif de la norme

Promouvoir l’éducation et la formation pendant les heures de travail, avec versement de

prestations financières.

Obligations

Tout Etat signataire qui ratifie la convention doit formuler et appliquer une politique visant à

promouvoir l’octroi de congé-éducation payé à des fins de formation à tous les niveaux,

d’éducation générale, sociale ou civique et d’éducation syndicale.

Cette politique doit tenir compte du stade de développement et des besoins particuliers du pays et

doit être coordonnée avec les politiques générales relatives à l’emploi, à l’éducation, à la

formation et à la durée du travail.

Le congé-éducation payé ne doit pas être refusé aux travailleurs en raison de leur race, de leur

couleur, de leur sexe, de leur religion, de leur opinion politique, de leur ascendance nationale ou

de leur origine sociale.

Le financement des arrangements relatifs au congé-éducation payé devra être assuré de façon

régulière et adéquate.

La période de congé-éducation devra être assimilée à une période de travail effectif pour

déterminer les droits à des prestations sociales et les autres droits découlant de la relation de

travail.

par la rédactrice de ce chapitre (texte tiré de la convention internationale du travail no 140, 1974)

Tout accord négocié devra préciser les questions qui feront l’objet de la formation et arrêter

les dispositions administratives, financières et organisationnelles. La formation à la

prévention devrait englober les points suivants:

la législation en matière de sécurité et de santé et les moyens de sa mise en

application;

l’attitude des employeurs envers la sécurité et la santé;

l’attitude des travailleurs envers la sécurité et la santé;

les problèmes relatifs à la sécurité et à la santé et les moyens d’améliorer les pratiques

dans ce domaine.

Toute formation comprend deux éléments principaux: le contenu et les méthodes. Ces

éléments seront déterminés en fonction des objectifs de la formation et des aspirations des

participants et des formateurs. En l’occurrence, la formation se proposera de contribuer à

l’amélioration de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail; son contenu sera donc axé sur

les moyens pratiques d’atteindre cet objectif. Cette approche appelle une évaluation des

problèmes de prévention qui se posent aux travailleurs, à savoir:

les risques liés à la sécurité: soulèvement, transport et pose de charges, machines,

chutes, échelles;

Page 60: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

les risques d’atteinte à la santé et les problèmes de salubrité: fatigue oculaire, produits

chimiques, bruit, poussières, douleurs, etc.;

les questions de bien-être: installations sanitaires, premiers soins, logement.

Cette approche méthodologique permet de traiter systématiquement les questions: chaque

problème est décrit et on examine comment et par qui il a été détecté, les mesures prises, le

résultat obtenu.

Elle permet d’identifier les «bonnes» et les «mauvaises» pratiques de sécurité et de santé au

travail, ce qui peut donner lieu, du moins en théorie, à une action commune de la part des

employeurs et des travailleurs. Cette méthodologie ne porte des fruits qu’une fois satisfaite

une forte demande d’information: textes de loi, règlements et normes, renseignements

techniques sur la prévention, élimination des risques ou solution des problèmes, notamment

les mesures prises ou les accords conclus entre d’autres syndicats et d’autres employeurs,

ainsi que les solutions et les stratégies de remplacement.

Toute activité de formation réussie nécessitera l’utilisation de techniques actives

d’apprentissage fondées sur l’expérience, les qualifications, les connaissances, l’attitude et les

objectifs des participants. L’expérience et les connaissances sont examinées, les attitudes

analysées et les qualifications étoffées et perfectionnées grâce à un travail collectif. Les

participants sont incités à mettre en pratique dans leur milieu de travail les connaissances

acquises au cours de leur formation. Ainsi, résultats concrets et contenu pertinent demeurent

au cœur de l’activité de formation.

Le formateur et les stagiaires doivent se poser les questions suivantes quant aux méthodes

d’apprentissage et au contenu de la formation: qu’avons-nous appris qui puisse s’appliquer à

notre milieu de travail? La formation accroît-elle nos qualifications et nos connaissances?

Nous aide-t-elle à travailler plus efficacement dans notre milieu de travail?

Le formateur devrait se poser ces questions au stade de la planification, de la mise en œuvre et

de l’évaluation de tout programme de formation; la méthodologie encourage les participants à

avoir les mêmes exigences au cours de leur formation.

Cette méthode, souvent désignée par l’expression «apprentissage par l’action», fait largement

appel à l’expérience, à l’attitude, aux qualifications et aux connaissances des participants. Il

faut toujours ramener les objectifs d’une formation à des résultats concrets, et cette méthode

devrait donc en faire partie intégrante. Ainsi, les activités énumérées au tableau

21.1 pourraient être intégrées dans des programmes de formation à la sécurité et à la santé.

Tableau 21.1 Les activités pratiques — formation à la sécurité et à la santé

Activité Compétences connexes

Identifier les risques Analyse critique

Echange d’information

Examen de l’information

Résoudre les problèmes Analyse critique

Echange d’information

Travail collectif

Elaboration de stratégies

Trouver l’information Utilisation des ressources

Compétences en matière de recherche

Page 61: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Réutilisation de l’information

Modeler les comportements Analyse critique

Réévaluation des attitudes

Argumentation efficace et débat

constructif

La formation à la sécurité et à la santé au travail permet de sensibiliser les travailleurs et les

employeurs aux enjeux dans ce domaine et peut servir de point de départ à une action

commune et à un accord sur la façon de surmonter les problèmes. Concrètement parlant, de

bonnes pratiques en matière de sécurité et de santé permettent non seulement d’améliorer le

milieu de travail et éventuellement la productivité, mais d’encourager également les

partenaires sociaux à avoir une attitude plus positive à l’égard des relations professionnelles.

L’INSPECTION DU TRAVAIL ET LES RELATIONS PROFESSIONNELLES

María Luz Vega Ruíz

Le rôle clé que joue l’inspection du travail dans l’évolution des relations professionnelles est

incontestable. De fait, l’histoire du droit du travail est calquée sur celle du système

d’inspection du travail. Avant la création des premiers de ces services, les lois du travail

n’étaient que de simples déclarations d’intention qui n’entraînaient aucune sanction en cas

d’infraction. Le droit du travail est véritablement né au moment où un organe spécifique a été

chargé de faire appliquer la réglementation et, partant, de donner effet à la loi en appliquant

des sanctions.

Les premières tentatives nationales visant à établir un système d’inspection du travail étaient

axées sur la création d’organismes qui intervenaient, à titre gracieux et en réaction à la nature

particulière du libéralisme économique, pour protéger les femmes et les enfants occupés dans

l’industrie. L’expérience révéla rapidement qu’il fallait instituer un organe de coercition

véritablement habilité à protéger l’ensemble de la population active. La première loi instituant

un corps d’inspection officiel dans les fabriques a été adoptée au Royaume-Uni en 1878, au

motif que les modalités relatives à la nomination d’agents honoraires n’avaient pas été

respectées et que, par conséquent, les mesures de protection n’avaient pas été appliquées.

Cette première loi conférait aux inspecteurs des fabriques les pouvoirs suivants: accès sans

restriction aux fabriques, liberté d’interroger les travailleurs et les employeurs, obtention de

documents sur demande et pouvoir de régler les litiges et de constater les infractions.

Au cours des années suivantes, l’évolution des diverses réglementations a eu pour effet de

réaffirmer l’autorité des inspecteurs en tant qu’agents de l’administration, en distinguant et en

supprimant finalement leur fonction de juges. La notion d’inspecteur, fonctionnaire rémunéré,

mais aussi intervenant dans le système de relations professionnelles, a alors fait son

apparition: par sa présence sur les lieux de travail, ce serviteur de l’Etat incarne directement

l’action gouvernementale et lui donne un visage humain. A cette fin, l’inspection du travail a

été convertie en un organe chargé de la mise au point et de l’application de la législation; en

fait, elle est devenue le pilier de la réforme sociale.

Cette double fonction (stricte surveillance et observation active des faits) caractérise les

origines de l’activité d’inspection au sein des institutions juridiques. D’une part, l’inspection

du travail s’appuie sur des textes de loi clairs et précis qui doivent être appliqués; d’autre part,

l’articulation et l’exercice correct de ses fonctions la conduisent à interpréter la lettre de la loi

par l’action directe. Non seulement l’inspecteur doit connaître la lettre de la loi, mais encore il

Page 62: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

doit en maîtriser l’esprit. Il doit être sensible au monde du travail et posséder une

connaissance approfondie tant des règlements que des procédés techniques et des méthodes de

production. L’inspection est donc un instrument de la politique du travail, mais aussi une

institution créative axée sur le progrès qui est essentiel à l’évolution même du droit du travail

et des relations professionnelles.

L’évolution du monde du travail a eu pour effet d’approfondir et de renforcer le rôle de

l’inspection du travail en tant qu’organe de contrôle indépendant au cœur du système des

relations professionnelles. Parallèlement, les transformations du monde du travail ouvrent de

nouvelles perspectives et créent de nouvelles formes de relations internes dans le microcosme

complexe qu’est le lieu de travail. L’idée originelle d’une relation paternaliste entre

l’inspecteur et les personnes faisant l’objet de l’inspection a vite cédé le pas à une action plus

participative de la part des représentants des employeurs et des travailleurs, l’inspecteur

incitant les parties intéressées à prendre part à ses activités. C’est pourquoi la législation de

nombreux pays a confié à l’inspecteur du travail le rôle de conciliateur dans les conflits

collectifs.

En même temps que le rôle de l’inspecteur du travail mandaté par l’Etat s’affirmait, les

percées du mouvement syndical et des organisations professionnelles suscitèrent chez les

travailleurs un intérêt plus vif à l’égard de l’inspection du travail et les poussèrent à y

participer activement. Après diverses tentatives des travailleurs pour obtenir leur intégration

dans l’inspection (par exemple, en cherchant à créer des postes de travailleur-inspecteur

comme il en existait dans les pays communistes), le statut indépendant et objectif de

l’inspection du travail a fini par l’emporter lorsqu’elle a été instituée en organe étatique formé

de fonctionnaires. Néanmoins, les représentants des travailleurs et des employeurs n’ont pas

perdu leur volonté de participation au contact de la nouvelle institution: l’inspection du travail

est certes un organe indépendant, mais elle est devenue aussi un acteur qui occupe une place

privilégiée dans le dialogue entre les deux parties.

Dans cette perspective, l’inspection du travail s’est développée progressivement et

parallèlement à l’évolution économique et sociale. Par exemple, la tendance des Etats au

protectionnisme durant le premier tiers du XXe siècle a entraîné des modifications importantes

du droit du travail, un nombre considérable de diplômés ayant rejoint ceux qui avaient déjà

été embauchés comme inspecteurs. Une des conséquences immédiates de ces développements

a été la création d’une véritable administration du travail. De même, l’apparition de nouvelles

formes d’organisation du travail et la pression des forces du marché sur la fonction publique à

la fin du XXe siècle ont évidemment eu des répercussions sur l’inspection du travail dans

nombre de pays.

Conçue à l’origine comme un corps de contrôleurs chargés de faire respecter la loi,

l’inspection du travail a révisé ses propres activités au fil des années et s’est transformée en

un mécanisme utile et bien intégré, réceptif aux besoins technologiques des nouvelles formes

de travail. De même, le droit du travail s’est adapté aux nouveaux besoins de la production et

des services et s’est étendu à des règlements de caractère technique. D’où l’apparition de

sciences connexes comme la sociologie du travail, l’ergonomie, la sécurité et la santé au

travail, l’économie du travail, etc. Ces nouvelles disciplines débordent le cadre purement

juridique et l’inspecteur joue un rôle dynamique dans l’application véritable de la

réglementation sur le lieu de travail, non seulement en imposant des sanctions, mais aussi en

conseillant les représentants des travailleurs et des employeurs.

Généraliste ou spécialiste?

Page 63: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Les Etats ont adopté deux modes d’organisation de l’inspection du travail: l’inspection

générale (qui a vu le jour en Europe continentale) et l’inspection spécialisée (née au

Royaume-Uni). Sans débattre de leurs avantages respectifs, ces deux systèmes ont chacun leur

propre appellation qui témoigne de deux points de vue très différents. Selon le mode

généraliste (ou unitaire), l’inspection est effectuée par une seule personne, aidée de diverses

institutions techniques, car ses tenants partent de l’hypothèse que l’expertise générale d’un

inspecteur unique a de meilleures chances de déboucher sur une solution logique et cohérente

des divers problèmes liés au travail. L’inspecteur généraliste est un arbitre (au sens de ce mot

dans la Rome antique) qui, après consultation des organismes spécialisés pertinents, essaie de

régler les difficultés et les problèmes que présente un lieu de travail précis. Il règle

directement les conflits de travail. Pour sa part, l’inspection spécialisée agit directement par

l’entremise d’un agent avant tout technicien chargé de résoudre des problèmes spécifiques

dans un champ d’action plus restreint. Parallèlement, les questions relevant des relations

professionnelles proprement dites sont laissées à des mécanismes bipartites ou parfois

tripartites (employeurs, syndicats, autres organismes gouvernementaux), qui tentent de régler

les conflits par le dialogue.

Malgré leurs divergences, les deux tendances ont ceci de commun: généraliste ou spécialiste,

l’inspecteur du travail demeure l’incarnation vivante de la loi. Dans le système généraliste, la

position centrale lui permet de déterminer les besoins immédiats et d’apporter des

modifications en conséquence. Le cas de l’Italie illustre particulièrement bien cette situation:

la loi habilite l’inspecteur du travail à prendre des mesures exécutoires pour compléter la

réglementation générale ou pour lui substituer des règles plus spécifiques. Dans le cas de

l’inspection spécialisée, l’inspecteur connaît à fond les problèmes et les normes techniques et

peut donc évaluer les éventuels manquements aux obligations légales et à la prévention des

risques, et proposer des solutions de rechange applicables sur-le-champ.

Le rôle actuel de l’inspection du travail

Outre ses fonctions de surveillance, l’inspecteur joue un rôle central et devient souvent le

pilier des institutions sociales dans le domaine du travail. Non seulement il exerce un contrôle

général des obligations légales concernant les conditions de travail et la protection des

travailleurs, mais encore, dans nombre de pays, l’inspecteur du travail surveille l’exécution

d’autres obligations — services sociaux, emploi de travailleurs étrangers, formation

professionnelle, sécurité sociale, etc. Pour être efficace, l’inspection du travail devrait être

dotée des caractéristiques énoncées dans la convention (no 81) de l’OIT sur l’inspection du

travail, 1947: nombre suffisant d’inspecteurs, indépendance, formation et ressources

appropriées, et pouvoirs nécessaires pour procéder aux inspections et imposer des solutions

afin de remédier aux défectuosités constatées.

Dans de nombreux pays, l’inspection du travail est également chargée de régler les conflits de

travail, de participer à la négociation des conventions collectives à la demande des parties, de

prendre part aux activités de collecte et d’analyse des données socio-économiques, de rédiger

des mémoires et, dans son domaine d’expertise technique, de conseiller les autorités du travail

et de remplir d’autres fonctions d’ordre purement administratif. L’élargissement et la

multiplicité de leurs tâches découlent du fait que les inspecteurs sont considérés comme des

experts en relations professionnelles ayant en outre des connaissances techniques spécifiques.

Cela reflète également une vision particulière du cadre de l’activité de l’entreprise, selon

laquelle l’inspection du travail est tenue pour l’institution idéale aux fins de l’évaluation et de

la solution des problèmes qui se posent dans le monde du travail. Toutefois, ce caractère

multidisciplinaire se heurte dans certains cas à l’écueil de la dispersion. On peut se demander

si les inspecteurs du travail, tenus d’assumer de multiples responsabilités, ne courent pas le

Page 64: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

risque de favoriser les activités de nature économique ou autre, au détriment de celles qui

devraient constituer l’essentiel de leur mission.

La principale controverse au sujet de la délimitation des fonctions typiques et prioritaires de

l’inspection du travail porte sur la fonction relative à la conciliation dans les conflits de

travail. Le contrôle et la surveillance composent assurément la majeure partie de l’activité

quotidienne d’un inspecteur, mais, de toute évidence, le lieu de travail n’en demeure pas

moins le siège des conflits de travail, qu’ils soient individuels ou collectifs. On peut se poser

la question de savoir si toutes les activités de contrôle et d’évaluation de l’inspection du

travail ne constituent pas, jusqu’à un certain point, un traitement «palliatif» des conflits

proprement dits. Prenons par exemple le cas de l’inspecteur qui demande l’application des

dispositions légales sur le bruit. Dans bien des cas, son intervention fait suite à une plainte

déposée par les représentants des travailleurs qui considèrent que le nombre élevé de décibels

nuit à leur rendement. En conseillant l’employeur, l’inspecteur propose une mesure visant à

résoudre un conflit individuel né des relations de travail quotidiennes. L’employeur peut

adopter ou rejeter la solution proposée, sans préjudice de l’action en justice qui pourrait être

intentée contre lui. De même, l’inspecteur qui se rend sur un lieu de travail pour vérifier si un

acte de discrimination antisyndicale a été commis entend diagnostiquer et, si possible,

éliminer les divergences internes qui opposent en l’occurrence les parties.

Dans quelle mesure la prévention des conflits diffère-t-elle de leur règlement dans les activités

quotidiennes de l’inspecteur du travail? La réponse n’est pas aisée. L’imbrication de toutes les

sphères qui composent le domaine des relations professionnelles fait que l’inspection du

travail est non seulement l’incarnation de la loi, mais encore une institution qui occupe une

place névralgique dans le système des relations professionnelles. Un service d’inspection qui

examine l’ensemble du monde du travail sera en mesure de garantir de meilleures conditions

de travail, un milieu de travail sûr et, par conséquent, de meilleures relations professionnelles.

LES CONFLITS COLLECTIFS PORTANT SUR LA SÉCURITÉ ET LA SANTÉ

Shauna L. Olney

Ces dernières années, la législation, les instruments internationaux et les études sur la sécurité

et la santé au travail ont mis en lumière l’importance de l’information, de la consultation et de

la coopération entre les travailleurs et les employeurs. Prévenir les conflits plutôt que les

régler, voilà le mot d’ordre. D’aucuns prétendent que, dans le domaine de la sécurité et de la

santé au travail, les travailleurs et les employeurs partagent des intérêts communs et que les

conflits peuvent donc être évités plus facilement. Et pourtant, il continue d’en surgir.

La relation d’emploi est tributaire d’intérêts et d’objectifs prioritaires divergents, ainsi que

d’enjeux en évolution constante, y compris en matière de sécurité et de santé. Il ne manque

donc pas d’occasions de désaccord susceptibles de dégénérer en conflits de travail. A

supposer que l’importance de la sécurité et de la santé en général soit largement reconnue, la

nécessité de prendre des mesures spécifiques ou leur mise en œuvre constituent des motifs

potentiels de discorde, surtout lorsqu’elles exigent un surcroît de temps ou d’argent ou

entraînent une baisse de la production. Lorsqu’on parle de sécurité et de santé, il y a peu

d’absolus: ainsi, la notion de risque «acceptable» est relative. De nombreux enjeux appellent

un débat pour trouver le juste milieu, en particulier compte tenu du fait qu’il faudra peut-être

traiter des situations complexes avec une aide technique limitée et sans preuves scientifiques

concluantes. De plus, les perceptions fluctuent continuellement au gré des nouvelles

technologies, de la recherche médicale et scientifique, de l’évolution des comportements

Page 65: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

sociaux, etc. Ce domaine comporte donc un fort potentiel de divergences d’opinions et de

conflits.

Le règlement équitable et efficace des conflits est essentiel dans tous les secteurs des relations

professionnelles, mais peut-être davantage encore dans celui de la sécurité et de la santé. Les

conflits peuvent être résolus à un stade précoce lorsqu’une des parties porte à la connaissance

de l’autre des faits pertinents, que ce soit conformément aux procédures établies ou en dehors

de celles-ci. On peut également recourir à la procédure interne de plaintes, ce qui exige

d’habitude la participation de différents échelons de la hiérarchie. La conciliation ou la

médiation permettent parfois de régler le différend ou encore un tribunal ordinaire ou un

arbitre peuvent imposer une solution. Dans le domaine de la sécurité et de la santé,

l’inspecteur du travail a également un rôle important à jouer dans le règlement des conflits. Il

arrive que certains litiges mènent à un arrêt de travail qui, dans le cas de la sécurité et de la

santé, peut être tenu ou non pour une grève au sens de la loi.

Les catégories de conflits

La sécurité et la santé peuvent donner lieu à divers types de conflits. Bien que le classement

par catégorie ne soit pas toujours évident, il importe souvent de définir le conflit avec

précision pour déterminer les mécanismes de règlement qui seront appliqués. Les conflits sont

soit individuels, soit collectifs, selon leur origine ou selon la personne habilitée à les

déclencher. En règle générale, un conflit individuel concerne un seul travailleur, alors qu’un

conflit collectif touche un groupe de travailleurs, habituellement représenté par un syndicat.

Une distinction supplémentaire est souvent faite entre conflit de droits et conflit d’intérêts. Un

conflit de droits (également appelé conflit juridique) porte sur l’application ou l’interprétation

de droits conférés par la loi ou par une disposition inscrite dans le contrat de travail ou la

convention collective, tandis qu’un conflit d’intérêts porte sur la création de droits et

d’obligations, ou sur la modification de ceux qui existent. Les conflits d’intérêts surviennent

principalement en rapport avec la négociation collective.

Si le caractère — collectif ou individuel — du différend détermine parfois la procédure de

règlement, c’est d’habitude l’interaction entre les catégories qui importe: les conflits de droits

collectifs, d’intérêts collectifs et de droits individuels appellent d’ordinaire un traitement

différent. Le présent article porte uniquement sur les deux premières catégories, mais il ne

faut pas oublier que certaines étapes sont communes au règlement des conflits collectifs et à

celui des plaintes individuelles.

Le conflit est qualifié de collectif ou d’individuel selon que la loi permet au syndicat de

contester le point en litige. Dans un certain nombre de pays, le pouvoir de négocier en matière

de santé et de sécurité ou autre n’est dévolu qu’à un syndicat dûment enregistré auprès des

autorités publiques ou reconnu comme représentant un pourcentage donné des travailleurs

intéressés. Dans plusieurs pays, ces préalables s’appliquent également au pouvoir de soulever

des conflits de droits. Dans d’autres, il faut que l’employeur accepte de son plein gré de

négocier avec le syndicat pour que celui-ci puisse intervenir au nom des salariés.

Un syndicat peut être en mesure d’engager la procédure de règlement de l’un des droits

lorsque des obligations en matière de santé et de sécurité touchant le milieu de travail dans

son ensemble sont en question, notamment si l’employeur ne se conforme pas à des

dispositions conventionnelles ou légales établissant un niveau de bruit maximum, ou exigeant

des précautions particulières en ce qui concerne les machines, ou la fourniture d’équipements

de protection individuelle. Des conflits juridiques peuvent également survenir quand, par

exemple, l’employeur s’abstient de consulter le comité de sécurité ou de santé (ou le délégué

Page 66: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

à la sécurité) ou de transmettre des informations comme la loi ou la convention collective l’y

obligent. La convention étant par définition collective, tout manquement présumé est

considéré dans certains pays comme un conflit collectif, en particulier quand cela concerne la

mise en œuvre de dispositions d’application générale comme celles qui ont trait à la sécurité

et à la santé, même si, en réalité, un seul travailleur est touché immédiatement et directement

par l’infraction de l’employeur. Un conflit occasionné par une violation des dispositions

légales peut être qualifié de collectif lorsque le syndicat intervient au nom de tous les

travailleurs intéressés et qu’il est autorisé à le faire en raison de cette violation.

Les conflits d’intérêts collectifs en matière de sécurité et de santé peuvent revêtir bien des

formes. Ce type de conflit peut découler des négociations entre le syndicat et l’employeur au

sujet de la création d’un comité de sécurité et de santé ou des responsabilités de celui-ci, de

l’introduction d’une nouvelle technologie, des mesures spécifiques concernant les matières

dangereuses, de la protection de l’environnement, etc. Les négociations peuvent donner lieu à

des déclarations de principe générales relatives à la sécurité et à la santé, à des améliorations

spécifiques ou à des limites précises d’exposition. Lorsque les parties se retrouvent dans une

impasse en cours de négociation, le traitement des points de désaccord est considéré comme

une extension de la liberté de négocier collectivement. La convention (no 154) de l’OIT sur la

négociation collective, 1981, a souligné l’importance de concevoir des organes et des

procédures de règlement des conflits de travail de telle manière qu’ils contribuent à

promouvoir la négociation collective (art. 5, 2) e)).

La procédure de règlement des réclamations

L’expression procédure de règlement des réclamations désigne généralement une procédure

interne prévue par la convention collective pour aplanir les différends concernant l’application

ou l’interprétation de la convention collective (conflits de droits). Cependant, des procédures

semblables sont souvent établies même en l’absence d’un syndicat ou d’une convention

collective, afin de régler les problèmes et les plaintes des travailleurs, car elles sont perçues

comme un moyen plus équitable et moins coûteux de mettre fin aux conflits que le recours à

la justice (McCabe, 1994). Normalement, la convention collective prévoit que la plainte sera

examinée selon une procédure à plusieurs étapes en remontant la voie hiérarchique de

l’organisation. Par exemple, un conflit sur la sécurité et la santé peut d’abord être soumis au

chef immédiat. S’il n’est pas réglé à ce stade, le chef et le délégué à la sécurité et à la santé

ont alors la possibilité d’entreprendre une enquête, dont les conclusions sont remises à un

cadre ou, peut-être, au comité de sécurité et de santé. Si aucune solution n’est trouvée, un

cadre supérieur peut alors intervenir. Il est possible qu’il faille épuiser plusieurs recours

internes avant de faire appel à la procédure externe. La convention peut ensuite prévoir

l’intervention d’une tierce partie, sous forme d’inspection, de conciliation et d’arbitrage,

sujets qui seront abordés plus en détail ci-après.

Adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1967, la recommandation (no 130) sur

l’examen des réclamations souligne l’importance d’une procédure de règlement dans le cas

des conflits de droits, qu’ils soient individuels ou collectifs. Il y est précisé que les

organisations de travailleurs ou les représentants des travailleurs dans l’entreprise devraient

être associés aux employeurs pour établir et mettre en œuvre des procédures d’examen des

réclamations dans l’entreprise. Ces procédures devraient être rapides, simples et ne comporter

qu’un minimum de formalisme. Lorsque les procédures internes sont épuisées et qu’aucune

solution acceptable pour les deux parties n’a été trouvée, la recommandation prévoit d’autres

mesures pour parvenir à un règlement final, dont l’examen conjoint du cas par les

organisations de travailleurs et d’employeurs, la conciliation ou l’arbitrage, et le recours à un

tribunal du travail ou à une autre autorité judiciaire.

Page 67: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

La conciliation et la médiation

La convention collective ou la loi peuvent exiger que les conflits collectifs soient soumis à la

conciliation ou à la médiation avant de recourir à d’autres procédures de règlement. Même

sans être forcées de recourir à la conciliation, les parties peuvent volontairement demander à

un conciliateur, un médiateur ou à une autre tierce partie neutre de les aider à aplanir leurs

divergences en vue d’arriver à un accord. Certains systèmes de relations professionnelles

distinguent, du moins en théorie, la conciliation et la médiation. En pratique, la différence

n’est pas évidente et il est difficile de tracer une ligne de démarcation bien nette entre les

deux. Le rôle du conciliateur est de rétablir la communication si les pourparlers ont été

interrompus, d’aider les parties à trouver un terrain d’entente pour parvenir à un règlement et,

peut-être, d’établir certains faits. Toutefois, le conciliateur ne fait aucune proposition formelle

pour résoudre le conflit (bien qu’il se cantonne rarement, en pratique, à un rôle aussi passif).

Le médiateur est tenu de proposer les conditions d’un règlement, mais les deux parties

demeurent libres d’accepter ou de refuser ses propositions. Dans beaucoup de pays, il n’y a

pas de véritable distinction entre la conciliation et la médiation: médiateurs et conciliateurs

s’emploient les uns comme les autres à aider les parties au litige à trouver une solution, en

usant de la stratégie la plus appropriée en l’espèce, tantôt passive, tantôt interventionniste.

La conciliation est l’une des procédures les plus répandues et elle est tenue pour l’une des

plus efficaces en matière de règlement de conflits d’intérêts. En cours de négociation

collective, on peut envisager la conciliation comme un prolongement des négociations avec

l’aide d’une tierce partie neutre. Un nombre croissant de pays recourent aussi à la conciliation

dès les premières étapes du règlement des conflits de droits. Le gouvernement peut offrir des

services de conciliation ou constituer un organisme indépendant à cet effet. Dans certains

pays, les inspecteurs du travail prennent part à la conciliation.

La recommandation (no 92) de l’OIT sur la conciliation et l’arbitrage volontaires, 1951,

préconise l’établissement d’organismes de conciliation volontaire, gratuite et rapide, «en vue

de contribuer à la prévention et au règlement des conflits de travail entre employeurs et

travailleurs» (paragr. 1 et 3). La conciliation vise à garantir l’exercice réel du droit de

négocier collectivement, objectif repris à l’article 6,3 de la Charte sociale européenne, adoptée

le 10 octobre 1961.

L’arbitrage

L’arbitrage consiste en l’intervention d’une tierce partie neutre qui, bien que ne faisant pas

partie de l’appareil judiciaire établi, est autorisée à imposer une décision. Dans plusieurs pays,

la quasi-totalité des conflits de droits se rapportant à l’application ou à l’interprétation de la

convention collective sont réglés par voie d’arbitrage exécutoire, parfois après l’échec de la

conciliation obligatoire. Dans de nombreux pays, l’arbitrage est facultatif et volontaire, tandis

qu’il est obligatoire dans d’autres. Lorsque l’arbitrage est imposé afin de résoudre des conflits

d’intérêts, il se limite d’habitude à la fonction publique ou aux services essentiels. Ailleurs,

toutefois, notamment dans certains pays en développement, l’arbitrage des conflits d’intérêts

est plus généralisé.

La question de l’arbitrage fait l’objet de la recommandation (no 92) de l’OIT sur la

conciliation et l’arbitrage volontaires, 1951. Comme dans le cas de la conciliation, cet

instrument porte sur les conflits qui sont soumis volontairement à l’arbitrage et recommande

aux parties de s’abstenir de recourir à la grève ou au lock-out pendant la durée de l’arbitrage

et d’accepter la décision arbitrale. Le caractère volontaire de l’acceptation des conclusions de

l’arbitre est également souligné dans la Charte sociale européenne. Si l’une des parties ou les

Page 68: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

autorités publiques peuvent engager la procédure d’arbitrage, celui-ci est alors réputé

obligatoire. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations

de l’OIT a déclaré que, dans le cas des conflits d’intérêts, l’arbitrage obligatoire va en général

à l’encontre des principes énoncés dans la convention (no 98) de l’OIT sur le droit

d’organisation et de négociation collective, 1949, parce qu’il porte atteinte à l’autonomie des

parties à la négociation (BIT, 1994b). De plus, toute décision arbitrale définitive liant les

parties intéressées risque d’être considérée comme limitant de manière déraisonnable le droit

de grève si le conflit n’a pas été soumis volontairement à l’arbitrage. La commission a indiqué

que pareille interdiction limite considérablement les moyens dont disposent les syndicats pour

promouvoir et défendre les intérêts de leurs membres, ainsi que leur droit d’organiser leur

activité et leur programme d’action, et n’est pas compatible avec l’article 3 de la convention

(no 87) de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 (BIT, 1994b,

paragr. 153).

Les autorités de l’administration du travail

L’administration du travail assume dans la plupart des pays des responsabilités variées, dont

l’une des plus importantes consiste à inspecter les lieux de travail pour s’assurer qu’ils sont

conformes à la législation sur l’emploi, notamment en matière de sécurité et de santé. Il n’est

pas nécessaire qu’un conflit de travail éclate pour qu’un inspecteur intervienne. Toutefois,

lorsqu’un conflit résulte d’une infraction présumée à la loi ou à la convention, l’inspecteur

peut jouer un rôle important dans la recherche d’une solution.

L’administration du travail remplit habituellement une fonction plus active dans les conflits

portant sur la sécurité et la santé que dans les autres. Le rôle de l’inspecteur dans les conflits

est parfois défini dans les conventions collectives ou dans la législation relative à la sécurité et

à la santé, au droit du travail, à la réparation des accidents du travail ou à une branche

d’activité. Dans certains pays, le délégué à la sécurité ou le comité d’hygiène et de sécurité

sont habilités à porter plainte contre l’employeur auprès de l’inspecteur du travail, d’un autre

fonctionnaire de l’administration du travail ou d’un préposé à la sécurité et à la santé.

L’inspecteur peut être appelé à intervenir si une partie allègue que la réglementation en

matière de prévention n’est pas respectée. L’administration du travail peut également être

tenue d’intervenir en raison de sa compétence en vertu des régimes d’indemnisation des

travailleurs.

Les inspecteurs peuvent être investis du pouvoir d’ordonner des améliorations, des

interdictions ou des arrêts de travail, d’imposer des amendes ou des sanctions, voire

d’entamer des poursuites. Le cas échéant, l’action en justice sera intentée devant une instance

civile ou pénale selon la nature de l’infraction, la gravité des conséquences, la connaissance

préalable des conséquences éventuelles, et la répétition de l’infraction. Normalement, la

décision d’un inspecteur peut faire l’objet d’un recours auprès de son supérieur hiérarchique,

d’un organe spécialisé dans le domaine du travail ou de la sécurité et de la santé, ou d’un

tribunal. Il peut exister des mécanismes distincts de recours administratif ou judiciaire pour

les différentes branches d’activité (par exemple, les mines).

Adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1947, la recommandation (no 81) sur

l’inspection du travail encourage la collaboration entre les inspecteurs du travail et les

représentants des travailleurs et des employeurs. En 1989, le Conseil des Communautés

européennes a adopté la directive 89/391/CEE sur la sécurité et la santé des travailleurs, aux

termes de laquelle les travailleurs et leurs représentants ont le droit de faire appel à l’autorité

compétente en la matière s’ils ne sont pas convaincus que les mesures prises par l’employeur

garantiront la sécurité et la santé au travail. Conformément à la directive, les représentants des

Page 69: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

travailleurs doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations pendant les visites

effectuées par l’autorité compétente (art. 11, 6)).

Les tribunaux ordinaires et les tribunaux du travail

Comme les conflits juridiques portent sur des droits ou des obligations qui existent déjà, leur

règlement est régi par le principe général implicite selon lequel, en dernier ressort, ils relèvent

de la compétence des tribunaux ou des arbitres et ne doivent pas être réglés par un recours à

l’action directe, comme la grève. Certains pays laissent aux tribunaux ordinaires le soin de

trancher tous les conflits de droits, qu’ils portent ou non sur les relations professionnelles. En

revanche, dans beaucoup de pays, les tribunaux du travail ou certains tribunaux spécialisés

sont saisis de conflits de droits. Ils connaissent des conflits de droits en général ou de certains

types de conflits en particulier, par exemple les plaintes pour mesures disciplinaires ou pour

licenciement injustifié. Ces organismes judiciaires spécialisés, compétents en matière de droit

du travail, répondent à la nécessité de disposer de procédures rapides, peu onéreuses et sans

formalités superflues. Les retards et les frais qu’entraîne le système judiciaire ordinaire sont

jugés inacceptables lorsqu’il est question d’emploi, question d’une importance capitale pour

la vie d’une personne et qui concerne souvent une relation qui doit être maintenue après le

règlement du conflit. Il arrive que les tribunaux ordinaires et les tribunaux du travail se

répartissent la juridiction en matière de conflits de droits collectifs. Par exemple, dans certains

pays, le tribunal du travail peut uniquement trancher les conflits collectifs qui portent sur la

violation présumée d’une convention collective, les violations de la loi relevant des tribunaux

ordinaires.

Les tribunaux du travail sont souvent composés des représentants des travailleurs et des

employeurs et d’un juge indépendant. Il existe aussi des tribunaux du travail formés

uniquement de représentants des travailleurs et de représentants des employeurs. Par cette

composition bi- ou tripartite, on veut s’assurer que les membres du tribunal ont une bonne

connaissance des relations professionnelles et que, par conséquent, les questions pertinentes

seront examinées à fond et résolues en fonction des réalités du monde du travail. Ainsi, les

décisions rendues par le tribunal inspireront d’autant plus confiance et seront d’autant plus

convaincantes. Les représentants des travailleurs et des employeurs peuvent s’exprimer à

égalité pour trancher le conflit, ou encore agir uniquement à titre consultatif. Dans d’autres

pays, des juges sans lien avec les parties tranchent les conflits juridiques collectifs.

Dans quelques pays, les tribunaux du travail règlent les conflits collectifs portant sur le droit

et sur les intérêts. Le principe évoqué à la section «L’arbitrage» vaut aussi pour les tribunaux:

la nature volontaire de la négociation collective est mise à mal dès que le recours à la voie

judiciaire est imposé pour régler un conflit d’intérêts.

Les arrêts de travail

Un arrêt de travail concerté peut être décidé pour toutes sortes de raisons. Le plus

couramment, cette mesure est comprise comme un moyen de pression pour amener

l’employeur à accepter certaines conditions, en cas d’impasse de la négociation collective.

L’arrêt de travail est tenu pour une grève dans la plupart des pays et considéré normalement

comme un moyen légitime à la disposition des travailleurs et de leurs organisations pour

promouvoir et protéger leurs intérêts.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (adopté le 16

décembre 1966) reconnaît à l’article 8, 1) d)) que le droit de grève est un droit fondamental.

La Charte sociale européenne, à l’article 6, 4)) associe le droit de grève au droit de

Page 70: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

négociation collective et déclare que les travailleurs et les employeurs disposent du droit

d’action collective dans les cas de conflits d’intérêts, sous réserve des obligations dérivant de

la convention collective. La Charte internationale américaine de garanties sociales (adoptée à

Bogota le 30 avril 1948), article 27, reconnaît aux travailleurs le droit de faire grève; le droit

de grève est donc un élément intrinsèque de la liberté syndicale, au même titre que le droit de

négociation collective. La Commission d’experts pour l’application des conventions et

recommandations et le Comité de la liberté syndicale, qui relèvent du Conseil

d’administration du BIT, reconnaissent que le droit de grève est inhérent aux principes

généraux de la liberté syndicale énoncés dans la convention (no 87) de l’OIT sur la liberté

syndicale et la protection du droit syndical, 1948, bien qu’il ne soit pas expressément fait

mention du droit de grève dans le texte de la convention. Selon la Commission d’experts,

«l’interdiction générale des grèves limite considérablement les possibilités qu’ont les

syndicats de promouvoir et de défendre les intérêts de leurs membres [...] et le droit qu’ont les

syndicats d’organiser leur activité» (BIT, 1994b, paragr. 147).

Dans certains pays, le droit de grève est reconnu au syndicat. Les grèves qui ne sont pas

organisées ou autorisées par lui sont considérées comme «non officielles» et illégales. Dans

d’autres pays, au contraire, le droit de grève est un droit individuel bien qu’il soit

généralement exercé par un groupe, auquel cas la distinction entre grève «officielle» et «non

officielle» importe peu.

Même dans les pays où le droit de grève est reconnu en principe, certaines catégories de

travailleurs ne peuvent s’en prévaloir, par exemple les membres de la police ou des forces

armées, ou encore les hauts fonctionnaires. Il arrive aussi que ce droit soit assujetti à certaines

restrictions d’ordre procédural, par exemple l’obligation de donner un préavis ou de tenir un

vote sur la grève. Dans plusieurs pays, les parties doivent s’abstenir de déclencher une grève

ou d’imposer un lock-out tant que la convention collective est en vigueur, cette interdiction

étant absolue ou visant certaines questions réglementées dans la convention. Souvent,

l’obligation de «paix sociale» est expressément inscrite dans la législation ou dans les

conventions collectives, ou reconnue implicitement par les décisions judiciaires. Dans

beaucoup de pays, l’exercice du droit de grève est rigoureusement limité, voire carrément

interdit, dans les services essentiels. Cette restriction aux principes généraux de l’OIT est

permise à condition que soient tenus pour essentiels uniquement les services dont

l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie,

la sécurité et la santé de la personne (BIT, 1994b, paragr. 159).

Dans le cas des conflits qui portent sur la sécurité et la santé, il faut établir une distinction

entre ceux qui concernent la négociation de certains droits (par exemple, la définition des

fonctions précises d’un délégué à la sécurité aux fins de la mise en œuvre d’une politique

générale en la matière) et ceux qui ont trait à des situations de danger imminent. La législation

ou les conventions collectives accordent généralement aux travailleurs le droit d’arrêter le

travail en cas de situation dangereuse ou quand ils croient qu’une telle situation existe. Ce

droit s’exerce souvent sous la forme d’un droit individuel du travailleur ou des travailleurs

directement exposés au risque. Il existe de multiples formules pour justifier un arrêt de travail.

La conviction de bonne foi qu’il existe un danger peut suffire, ou bien il faudra peut-être en

démontrer objectivement la réalité. Les avis divergent sur le point de savoir qui court un

risque: le travailleur menacé d’un danger imminent peut arrêter de travailler, ou encore ce

droit peut avoir une portée plus étendue et comprendre le danger pour autrui. En général, les

arrêts de travail collectifs par solidarité (grève de solidarité ou de sympathie) ne sont pas

prévus dans la législation ou les conventions collectives (et peuvent donc être déclarés

illégaux), bien qu’en fait ils existent. Il arrive aussi que le pouvoir d’ordonner l’arrêt des

Page 71: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

opérations soit dévolu aux délégués à la sécurité dans l’établissement, qui peuvent les

interrompre jusqu’à ce que l’administration du travail rende une décision finale.

La convention (no 155) de l’OIT sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, dispose en

son article 13 que les travailleurs devront être protégés contre toutes conséquences injustifiées

s’ils s’écartent du danger lorsqu’ils ont un motif raisonnable de croire qu’il existe un risque

imminent et sérieux pour leur sécurité ou leur santé. L’article 8, 4) de la directive 89/391/CEE

du Conseil des Communautés européennes comporte une disposition analogue — en cas de

«danger grave, immédiat et qui ne peut être évité». Souvent, le droit d’interrompre le travail

en raison d’un danger imminent est inscrit dans la législation sur la santé et la sécurité. Dans

certains pays, ce droit trouve place dans la législation du travail, et l’arrêt de travail imposé

pour des raisons de sécurité n’est pas tenu pour une grève; partant, il n’est pas nécessaire de

suivre la procédure qui doit précéder une grève et l’obligation de paix sociale n’est pas

transgressée. De même, lorsque l’employeur interdit l’accès du lieu de travail pour se

conformer à une ordonnance d’arrêt de travail ou lorsqu’il a un motif raisonnable de croire

qu’il existe un risque imminent pour la sécurité ou la santé, cette action patronale n’est

généralement pas tenue pour un lock-out.

LES CONFLITS INDIVIDUELS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ ET DE SANTÉ

Anne Trebilcock

Les types de conflits

Un conflit individuel survient quand il y a désaccord entre un travailleur et son employeur sur

un aspect de leur relation d’emploi. Un conflit individuel est un cas typique de «conflit de

droits», puisqu’il porte sur l’application des conditions énoncées dans la loi ou dans un accord

en vigueur, qu’il s’agisse d’une convention collective ou d’un contrat de travail individuel

verbal ou écrit. Le montant du salaire versé ou le mode de paiement utilisé, l’horaire de

travail, les conditions de travail, les congés, etc., sont des sujets possibles de litige. Dans le

domaine de la sécurité et de la santé, le conflit individuel peut porter sur l’utilisation de

l’équipement de protection individuelle, le paiement d’une indemnité supplémentaire pour

l’exécution de tâches dangereuses, ou prime de risque (cette pratique est maintenant

condamnée en faveur de l’élimination des risques), le refus d’exécuter un travail présentant un

danger imminent et l’observation des règles de sécurité et de santé.

Un conflit individuel peut être déclaré par un travailleur qui fait valoir ses droits, réels ou

présumés, ou qui conteste la mesure disciplinaire ou le licenciement imposé par l’employeur.

Lorsque le litige est identique sur le fond aux plaintes déposées au nom d’autres travailleurs

individuels ou qu’il soulève une question de principe importante pour le syndicat, le conflit

individuel peut aussi mener à une action collective et, quand l’enjeu réside dans l’obtention de

nouveaux droits, le conflit individuel peut se transformer en conflit d’intérêts. Par exemple, le

travailleur qui refuse d’accomplir un travail qu’il estime trop dangereux risque une sanction

disciplinaire, voire le licenciement; si le syndicat juge que ledit travail expose les autres

travailleurs à un danger constant, il s’attaquera peut-être à cette situation en déclenchant une

action collective, arrêt de travail compris (par exemple, une grève légale ou sauvage). Il est

donc possible qu’un conflit individuel aboutisse à une action collective et devienne ainsi un

conflit collectif. De même, le syndicat peut voir dans le litige une question de principe qui,

s’il n’y est pas fait droit, le conduira à formuler de nouvelles exigences, ce qui se soldera par

un conflit d’intérêts lors de futures négociations.

Page 72: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

Le règlement d’un conflit individuel est en grande partie tributaire de trois facteurs: 1) la

portée de la protection juridique accordée aux travailleurs dans le pays; 2) le fait que le

travailleur soit protégé ou non par une convention collective; 3) la facilité avec laquelle le

travailleur peut faire respecter ses droits en vertu de la loi ou aux termes d’une convention

collective.

Les conflits pour cause de représailles ou de licenciement

Malgré tout, certains droits individuels sont universels dans la plupart des pays, quelles que

soient la durée de l’engagement ou la taille de l’entreprise. Au nombre de ces droits figure

normalement la protection des travailleurs contre les représailles lorsqu’ils exercent une

activité syndicale ou lorsqu’ils dénoncent aux autorités une violation présumée de la loi par

leur employeur; dans ce dernier cas, il s’agit de la protection accordée à la personne «qui tire

la sonnette d’alarme» et divulgue certaines informations. Dans la plupart des pays, la loi

confère à tous les travailleurs une protection contre la discrimination fondée sur la race ou le

sexe (y compris la grossesse) et, dans bien des cas, la religion, l’opinion politique,

l’ascendance nationale ou l’origine sociale, l’état matrimonial et les responsabilités familiales.

Ces motifs énumérés dans la convention (no 158) de l’OIT sur le licenciement, 1982, sont

considérés comme ne constituant pas des motifs valables de licenciement; la convention en

ajoute d’autres: l’affiliation syndicale ou la participation à des activités syndicales; le fait de

solliciter, d’exercer ou d’avoir exercé un mandat de représentation des travailleurs; le fait

d’avoir déposé une plainte, ou participé à des procédures engagées contre un employeur en

raison de violations alléguées de la législation, ou d’avoir présenté un recours devant les

autorités administratives. De toute évidence, ces trois derniers motifs non admis sont

particulièrement pertinents pour la protection des droits des travailleurs à la sécurité et à la

santé. La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de

l’OIT a mis en relief la gravité des mesures de représailles, notamment sous forme de

licenciement, contre un travailleur qui aurait dénoncé la non-application, par son employeur,

de règles en matière de sécurité et d’hygiène du travail alors que l’intégrité physique des

travailleurs, leur santé, leur vie même pouvaient être mises en danger. Lorsque des droits

fondamentaux ou l’intégrité physique ou la vie des travailleurs sont en jeu, il serait

souhaitable que les modalités de preuve (renversement de la charge de la preuve) et les

mesures de réparation (réintégration) soient de nature à permettre aux travailleurs de dénoncer

les pratiques illégales sans crainte de représailles (BIT, 1995c).

Cependant, pour ce qui est du maintien en emploi du travailleur, les deux déterminants

principaux des droits de cette personne sont, d’une part, le mécanisme d’application de la loi

dont elle dispose pour faire valoir ses droits et, d’autre part, le type de contrat de travail aux

termes duquel elle a été embauchée. En général, plus la durée de l’engagement est longue,

meilleure est la protection. Ainsi, un travailleur en période d’essai (quelques mois dans la

plupart des pays) sera peu protégé contre le licenciement, voire pas du tout. Il en va de même

du travailleur occasionnel (embauché à la journée) et du travailleur saisonnier (engagé pour

une période limitée, chaque année à la même époque). Le travailleur bénéficiant d’un contrat

de travail de durée déterminée sera protégé pendant la durée du contrat, mais en règle

générale, sans droit de reconduction. Par comparaison, la situation des travailleurs embauchés

aux termes d’un contrat de travail de durée indéterminée est la plus sûre, mais ces travailleurs

peuvent quand même être licenciés pour des raisons particulières ou, plus généralement, pour

ce que l’on qualifie de «faute grave». De plus, leurs postes peuvent être supprimés lors d’une

restructuration de l’entreprise. Vu les pressions croissantes pour la flexibilité du marché du

travail, la tendance la plus récente de la législation régissant les contrats de travail accorde

plus de facilité aux employeurs désireux de «dégraisser l’effectif» au cours d’une

restructuration. En outre, de nouvelles formes de relations de travail hors du cadre traditionnel

Page 73: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

employeur-salarié sont apparues; or, dans ces cas-là, le travailleur individuel sans statut risque

d’être peu protégé par la loi.

Les conflits nés du refus d’un travailleur d’exécuter un travail dangereux

Un conflit individuel peut souvent découler du refus d’un salarié d’exécuter un travail qui, à

son avis, présente un risque imminent; il doit avoir des motifs raisonnables de croire à

l’existence de ce risque et agir de bonne foi. Aux Etats-Unis, le travailleur doit avoir des

motifs raisonnables de croire que l’exécution du travail constitue un danger imminent de mort

ou de lésion corporelle grave. Dans certains pays, ce droit fait l’objet de la négociation

collective; dans d’autres, il découle de la loi ou des interprétations des tribunaux.

Malheureusement, ce droit important n’est pas encore universellement reconnu, bien qu’il soit

énoncé en tant que principe fondamental à l’article 13 de la convention (no 155) de l’OIT sur

la sécurité et la santé des travailleurs, 1981. Même quand ce droit est inscrit dans la loi, les

salariés qui l’exercent peuvent redouter des représailles ou la perte de leur emploi, surtout

s’ils ne sont pas soutenus par un syndicat ou des services d’inspection du travail efficaces.

Le droit de refuser un travail dangereux est normalement assorti du devoir de signaler

immédiatement cette situation à l’employeur et, parfois, d’informer le comité paritaire de

sécurité. Tant que le problème n’est pas réglé, l’employeur ne doit (ré)affecter à ce travail ni

le travailleur qui a refusé de l’exécuter ni une autre personne à sa place. Si l’employeur passe

outre à cette interdiction et qu’un travailleur est victime d’un accident, l’employeur peut être

légalement passible de graves sanctions civiles et pénales (comme en France et au

Venezuela). Au Canada, le travailleur qui refuse d’accomplir un travail dangereux et le

délégué à la sécurité ont le droit d’être présents lorsque l’employeur entreprend une enquête

sur place. Si le travailleur refuse toujours d’exécuter le travail après que l’employeur a pris

des mesures correctives, une inspection gouvernementale accélérée peut être effectuée.

L’employeur n’est pas en droit d’exiger que le salarié exécute ce travail, jusqu’à ce que

l’autorité gouvernementale rende sa décision à la suite de l’inspection. De plus, l’employeur

est censé donner au travailleur une autre affectation, de manière à ce que ce dernier ne subisse

pas de perte de salaire. Quiconque est désigné pour exécuter le travail à la place du salarié qui

a refusé de l’accomplir doit être mis au courant du refus de celui-ci.

La reconnaissance du droit de refuser un travail dangereux constitue une exception importante

à la règle générale voulant que, d’une part, l’employeur attribue le travail et l’employé

l’exécute et, d’autre part, que l’employé n’abandonne pas son poste et ne refuse pas de se

conformer aux instructions de l’employeur. La justification conceptuelle du droit de refus

réside dans l’urgence de la situation et dans la présence d’intérêts d’ordre public visant à

sauver des vies (Bousiges, 1991; Renaud et Saint-Jacques, 1986).

La participation à une grève

La participation d’un travailleur à une grève pour protester contre des conditions de travail

dangereuses est une autre source de conflit individuel. Le sort du travailleur dépendra de la

légalité de l’arrêt de travail et de la mesure dans laquelle le droit de grève est garanti en

l’espèce. Il ne s’agit pas seulement de la situation du droit de grève en tant que droit collectif,

mais aussi de la façon dont le système juridique interprète la décision de se retirer du travail.

Dans bon nombre de pays, faire la grève constitue une rupture du contrat de travail par le

salarié. Que cette rupture soit pardonnée ou non dépend du rapport de forces entre le syndicat

et l’employeur et, éventuellement, le gouvernement. Le travailleur assuré d’un solide droit de

grève théorique, mais susceptible d’être remplacé de façon temporaire ou permanente,

Page 74: GESTION DES RELATIONS SOCIALES Dr Joao de SOUZA

hésitera à en faire usage par crainte de perdre son emploi. Dans d’autres pays, la loi interdit

explicitement le licenciement pour participation à une grève légale (Finlande, France).

Les moyens de régler un conflit

Les moyens permettant de régler un conflit individuel sont généralement les mêmes que ceux

dont on dispose pour régler les conflits collectifs. Cependant, les divers systèmes de relations

professionnelles abordent chacun la question sous un angle différent. Dans certains pays

(Allemagne, Israël, Lesotho et Namibie), les tribunaux du travail ont compétence pour

résoudre les conflits collectifs et individuels. Les tribunaux du travail au Danemark et en

Norvège connaissent uniquement des conflits collectifs, les plaintes des travailleurs

individuels étant du ressort exclusif des tribunaux civils ordinaires. Dans d’autres pays,

notamment en France et au Royaume-Uni, des mécanismes spéciaux sont réservés au

règlement des conflits entre les travailleurs individuels et leurs employeurs. Aux Etats-Unis,

les individus ont le droit d’intenter des poursuites pour discrimination illégale dans l’emploi

devant des organes distincts de ceux qui sont saisis de pratiques de travail déloyales.

Cependant, en milieu de travail non syndiqué et malgré les critiques des praticiens du monde

du travail, l’arbitrage des conflits individuels à l’initiative de l’employeur est favorablement

accueilli. En milieu de travail organisé, le syndicat peut donner suite au grief d’un travailleur

protégé par une convention collective qui, habituellement, renvoie le conflit à l’arbitrage

volontaire. La capacité d’un individu d’obtenir gain de cause est souvent tributaire de l’accès

à des procédures équitables, rapides et d’un coût abordable, ainsi que de l’appui d’un syndicat

ou d’un service d’inspection du travail compétent sur lequel il peut compter.