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Liaison Sehdacs n°19 - 2010 Quand l’homme retrouve son instinct de Gaspard sous Paris ([email protected] ) p. 91 Gilles THOMAS LES CARRIÈRES COMME ULTIME REFUGE à l’instar de toute mère-nourricière (en quelque sorte le retour à la matrice intra-utérine évoqué par la psychanalyse) Sans parler des malandrins se réfugiant dans les sous-sols du château de Vauvert au XIII e siècle, l’on a tous en mémoire l’illustration d’une troupe poursuivant des insurgés qui se réfugièrent dans les carrières de gypse de Montmartre pendant les journées de juin 1848. À défaut de retour à la matrice intra-utérine, c’est un peu le retour à la mère nourricière, et surtout protectrice. Protection que recherchèrent différents personnages au cours de l’histoire. Illustration provenant justement de L’Illustration (numéro double 279-280) qui traite de l’Insurrection de juin 1848 ; ici la « poursuite des insurgés dans les carrières de Montmartre ». Ainsi lors de la disparition de Marat, c’est en direction de ces mêmes carrières de Montmartre que certains se tournèrent, et commença d’ailleurs à apparaître le vocable de Mont-Marat pour identifier cette butte géologique témoin. En effet, fin 1789 Marat, recherché par la Commune et le Châtelet suite à l’affaire Joly, se réfugia d’abord chez un prêtre, puis un hôtelier. Traqué et réclamé de « prise de corps », il gagna donc les carrières de Montmartre pour y trouver un refuge, et il y resta quinze jours. « J’y fus heureux » déclara-t-il après son arrestation le 12 décembre à Paris. Plus tard, de la même manière mais dans la catégorie supérieure, au moment de la fuite de Louis XVI, le bruit se répandit que le Roi était lui aussi caché dans les carrières de Montmartre ; décidément, mais comme on ne prête qu’aux riches… Quand les « caves » de l’Observatoire ne cessaient d’éveiller des soupçons Sous l’Observatoire se trouvent comme chacun sait des carrières (dénommées très souvent caves dans les textes), qui ont été agencées de manière à pouvoir y installer des appareils scientifiques. Ce lieu avait été retenu pour l’organisation et le déroulement d’expériences scientifiques, car en plus d’une température et une hygrométrie constantes et stables, caractéristiques propres aux carrières pour peu que l’on s’éloigne des entrées, il est facilement accessible et isolable. De tels aménagements avaient d’ailleurs été pensés dès la conception des projets pour l’édification d’un observatoire parisien digne de ce nom.

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Gilles THOMAS

LES CARRIÈRES COMME ULTIME REFUGE à l’instar de toute mère-nourricière

(en quelque sorte le retour à la matrice intra-utérine évoqué par la psychanalyse) Sans parler des malandrins se réfugiant dans les sous-sols du château de Vauvert au

XIII e siècle, l’on a tous en mémoire l’illustration d’une troupe poursuivant des insurgés qui se réfugièrent dans les carrières de gypse de Montmartre pendant les journées de juin 1848. À défaut de retour à la matrice intra-utérine, c’est un peu le retour à la mère nourricière, et surtout protectrice. Protection que recherchèrent différents personnages au cours de l’histoire.

Illustration provenant justement de L’Illustration (numéro double 279-280) qui traite de l’Insurrection de juin 1848 ; ici la « poursuite des insurgés dans les carrières de Montmartre ».

Ainsi lors de la disparition de Marat, c’est en direction de ces mêmes carrières de

Montmartre que certains se tournèrent, et commença d’ailleurs à apparaître le vocable de Mont-Marat pour identifier cette butte géologique témoin. En effet, fin 1789 Marat, recherché par la Commune et le Châtelet suite à l’affaire Joly, se réfugia d’abord chez un prêtre, puis un hôtelier. Traqué et réclamé de « prise de corps », il gagna donc les carrières de Montmartre pour y trouver un refuge, et il y resta quinze jours. « J’y fus heureux » déclara-t-il après son arrestation le 12 décembre à Paris.

Plus tard, de la même manière mais dans la catégorie supérieure, au moment de la fuite de Louis XVI, le bruit se répandit que le Roi était lui aussi caché dans les carrières de Montmartre ; décidément, mais comme on ne prête qu’aux riches…

Quand les « caves » de l’Observatoire ne cessaient d’éveiller des soupçons

Sous l’Observatoire se trouvent comme chacun sait des carrières (dénommées très souvent caves dans les textes), qui ont été agencées de manière à pouvoir y installer des appareils scientifiques. Ce lieu avait été retenu pour l’organisation et le déroulement d’expériences scientifiques, car en plus d’une température et une hygrométrie constantes et stables, caractéristiques propres aux carrières pour peu que l’on s’éloigne des entrées, il est facilement accessible et isolable. De tels aménagements avaient d’ailleurs été pensés dès la conception des projets pour l’édification d’un observatoire parisien digne de ce nom.

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Pendant la Révolution, les Sans-culottes furent méfiants vis-à-vis de ce bâtiment ci-devant royal. Cassini raconte que les Révolutionnaires « pensaient que nos télescopes étaient des canons braqués sur Paris ». L’Abbé Devic, historiographe de Cassini, rapporte que « le 16 juillet 1789, sur les 6 heures du matin, l’Observatoire fut investi par 300 hommes armés […]. Il fallut descendre dans les caves et Cassini s’y rendit escorté de plus de cent individus de la bande et des commissaires du District. […] Cassini les conduisit dans toutes les galeries souterraines, surtout celles où il y avait de l’eau et plusieurs protestèrent. Ils arrivèrent enfin à la grille qui sépare les caves des carrières de Montrouge, mais personne ne voulut la franchir ». Suite à cette visite, Cassini demanda à être officiellement dégagé de cette garde des caves. Des scellés furent apposés suite à la demande du 29 octobre 1789, et Cassini remit les clefs de ces sous-sols au secrétariat du District. Ces scellés ne furent levés que le 7 Prairial an IV (27 mai 1796), lorsque le Bureau des Longitudes prit possession des souterrains.

Bien que les autorités du Bureau municipal et de l’Inspection des carrières aient été les seules compétentes, de nombreux contrôles de ce type continuèrent d’y avoir lieu pendant cette période éminemment troublée. Le 22 juin 1791, l’inspecteur des carrières Guillaumot, chargé de la visite du Sud de Paris, avait pourtant remis un rapport « dont le résultat détruisait toute inquiétude ».

Le 31 juillet 1793 eut lieu une nouvelle perquisition « en la maison Nationale de

l’Observatoire » à dix heures du matin, « en vertu d’un ordre du Comité de sûreté générale de surveillance de la Convention nationale en date du vingt neuf précédent ».

Cette perquisition fut faite sur dénonciation qui affirmait que le citoyen Roland, ex-ministre, était caché dans la maison de l’Observatoire. Douze hommes armés avaient été requis. Furent interrogés la citoyenne Méchain, qui en l’absence de son mari, « concierge 1 de

1 Il convient dans le cas de l’Observatoire de ne pas confondre portier (ou suisse) et concierge, dont le premier fut Claude Antoine Couplet (1642-1722), et le dernier Méchain. Le concierge était l’académicien chargé des

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la ditte Maison nationale » assurait les fonctions de gardienne et surveillante de l’établissement, et le citoyen Cassini, directeur de l’Observatoire. Il fut demandé à ce dernier, « si chez lui ou dans quelque autre endroit de la vaste maison de l’Observatoire et dans les caves souterraines l’Ex-ministre Roland ne seroit pas enfermé ». Ce à quoi le citoyen Cassini répondit que « quant aux caves de l’Observatoire il en avoit remis les clefs depuis trois ans à la section et qu’il ne lui étoit plus possible d’y descendre ». Perquisition fut alors entreprise, mais en vain. Condorcet, ou la dernière carrière d’un intellectuel en politique

Mais qui dit carrières, ou catacombes, ne parle pas forcément que de Paris intra-muros ; même motif, même punition quant aux carrières de la banlieue. L’on va donc constater que si actuellement certains considèrent les anciennes carrières souterraines du « Grand Paris » comme l’un des derniers espaces de liberté de notre mégapole parisienne, car les estimant à tort comme « un territoire en dehors des lois » 2, ce fut vraiment le cas pour Condorcet. Lorsqu’il devint un hors-la-loi pourchassé sous le règne de la Terreur révolutionnaire, ce sont des carrières souterraines qui représentèrent vraiment pour lui son ultime espace de liberté, car son véritable dernier refuge.

Le 5 germinal An II (25 mars 1794), Condorcet, comprenant qu’il a été condamné à

mort par le Tribunal révolutionnaire, s’enfuit de Paris. Il espère alors trouver assistance auprès de ses plus anciens amis les Suard, qui habitent une grande demeure à Fontenay-aux-Roses (à environ 10 kilomètres de la Barrière du Maine).

En cette fin d’après-midi du 25 mars, il arrive chez eux mais ne les trouve pas, car ils sont partis pour Paris le matin même. Condorcet passe alors sa première nuit d’errance à la belle étoile quelque part dans la plaine de Montrouge. Le dimanche 26, il revient frapper à la porte des Suard, mais ceux-ci ne sont toujours pas rentrés. Il lui faut alors chercher à nouveau où passer la nuit. Or nous sommes fin mars, les nuits sont encore froides et les aubes glaciales, et Condorcet vient déjà de passer une nuit à la belle étoile assez légèrement vêtu. En effet, d’après le procès-verbal de la levée du corps établi lorsqu’on le découvrira mort trois jours plus tard, il y est ainsi décrit vêtu « d’un habit dit carmagnole et pantalon de peluche grise, d’un gilet de soie rayé, vert fond gris mêlé, d’une chemise assez fine et non marquée, d’un gilet de flanelle sous sa chemise, bas gris de coton, chapeau rond à haute forme, bonnet de coton, cravate de soie noire, souliers à cordon et à double couture ». Dans le but de se dépenses d’entretien de l’établissement et le garde des instruments et machines. Alors que le portier dont les gages apparaissent dans les Comptes des Bâtiments du Roi à partir de 1685, est vraiment chargé de la garde de la porte d’entrée de l’enclos de l’Observatoire. L’entrée principale était alors sur le chemin du faubourg Saint-Jacques, un peu au delà et en dehors de la barrière ou fausse porte Saint-Jacques ; la loge du portier était à droite en entrant. Sur la rue de l’Observatoire existait une seconde porte, appelée porte de la rue d’Enfer, à laquelle elle conduisait par la rue des Anges ; elle était gardée par un second portier qui était logé dans un petit bâtiment construit contre le mur nord-Ouest. « MMrs de Cassini l’y avaient établi pour la sûreté de l’Observatoire, sans qu’il en coutât un sol au Roi, en affectant seulement au dit portier le privilège de montrer l’Observatoire aux curieux qui y entrent par cette porte ; tandis que le portier du Roi qui garde la porte du côté de la rue Saint-Jacques a le privilège de montrer aux curieux qui entrent de son côté. MMrs de Cassini ont aussi établi à leurs frais un troisième portier à l’entrée du corps du bâtiment où auparavant tout le monde entrait sans avertir et pénétrait jusque dans les appartements ». (Archives de l’Observatoire D.1.13 État de l’Observatoire en 1783). En novembre 1784, suite à plusieurs vols de plomb dans la propriété de l’Observatoire (des contrebandiers s’introduisaient dans l’enceinte, et de là dans Paris, par des brèches dans les murs de la cour et du jardin), l’administration rappela alors le rôle des portiers : « ils doivent fermer les portes au pêne dès la tombée de la nuit et à la grosse clef à partir de onze heures ». À cette époque, ils n’ont plus d’autre fonction que la police de l’intérieur de l’Observatoire. 2 Leur fréquentation est au moins légiférée par l’arrêté du 2 novembre 1955 que tout un chacun connaît. Mais que celui-ci découle de la loi de sécurité intérieure du 3 avril 1955 qui instaurait un couvre feu à cause des événements d’Algérie, peu le savent.

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cacher, mais aussi peut-être afin de ne pas passer une nouvelle nuit à l’extérieur à souffrir du froid, Condorcet se serait abrité, selon madame Suard dans une « des carrières de pierre qui sont sur la route de Fontenay-aux-Roses », où il se serait blessé à la jambe.

Ce n’est que le lendemain matin (7 germinal, ou lundi 27 mars vieux style) qu’il vit enfin monsieur Suard. Mais étant devenu un hors-la-loi donc non fréquentable, Condorcet repartit vers les onze heures afin de pas faire courir un risque considérable aux Suard. En effet, selon l’article VIII du décret du 23 ventôse An II (13 mars 1794) qu’avait fait voter Saint-Just, « les prévenus de conspiration contre la République qui se seront soustraits à l’examen de la justice sont mis hors la loi » ; en clair, s’ils sont pris, ils devront être exécutés sans jugement sur simple constat de l’identité. Et selon l’article XI du même décret « quiconque les recèlera chez lui ou ailleurs sera regardé et puni comme leur complice » (en quelque sorte comme une conséquence du durcissement de la loi des Suspects, en fait un décret voté le 17 septembre 1793).

À 14 heures, Condorcet entre dans une auberge à Clamart-le-Vignoble où, tenaillé par la

faim, il aurait imprudemment demandé une omelette d’une douzaine d’œufs (décidément, sinon la gourmandise, du moins la faim aura mis un terme à plus d’une cavale ; ce n’est pas notre bon roi Louis le seizième qui aurait dit le contraire). Sans cette commande inconsidérée, son visage défait, sa barbe de plusieurs jours auraient certainement suffi pour susciter la suspicion des Jacobins locaux. Mais comble de malchance, le cabaretier Louis Crépine 3 (ou Crespinet) est le commandant de la Force armée de Clamart.

Sur cette « Carte topographique et statistique des environs de Paris donnant la population de chaque Commune, avec des notes sur ce qu’il y a de plus curieux à y voir », par Maire Géog. (1825), les carrières sont matérialisées par des roues à quatre rayons. La ville de Clamart (à l’extrême gauche) y est alors bien réputée pour ses vignes et ses arbustes (collection BHVP ; photo Franck Albaret).

Condorcet est alors arrêté, et à la suite d’un interrogatoire devant les huit membres du

Comité de surveillance au cours duquel il déclara s’appeler Pierre Simon, il fut conduit à Bourg-Égalité (aujourd’hui Bourg-la-Reine) en charrette. Le 29 mars 1794, il est retrouvé

3 Selon la Société historique et culturelle des Amis de Clamart, l’établissement de Louis Crépine aurait été sis 7, rue Chef de Ville à Clamart.

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mort dans sa cellule à 16 heures. Il sera alors inhumé dans la fosse commune du cimetière de Bourg-Égalité. Ce cimetière ayant disparu depuis fort longtemps, nul ne sait plus où Condorcet repose... en tout cas surtout pas au Panthéon, comme le crurent certains lors du transfert et des obsèques solennelles de Monge, Grégoire et Condorcet au Temple dédié aux Grands hommes la Nation reconnaissante. En 1989, pendant la cérémonie de Panthéonisation des trois victimes de la Terreur que furent l’Abbé Grégoire, Gaspard Monge et Condorcet, il fut rarement précisé, sinon jamais, que dans le cas de ce dernier ce ne fut jamais qu’un simulacre de transfert auquel on assista.

La valse hésitation de LaValette… lorsqu’il se fit la « valise »

À l’égal de notre gardien léonin affecté à la porte d’entrée du temple des catacombes de Paris (dont le modèle original est sculpté sur une paroi de grés à Belfort), le Lion agonisant de Lucerne est également un des monuments extrêmement connus qui évoque une résistance tragique. Taillé à même la roche, il a été « élevé » pour rendre hommage aux Gardes suisses morts héroïquement au cours de la prise des Tuileries en 1792. Mark Twain disait qu’il s’agissait « du plus triste et plus bouleversant morceau de roche au monde ».

Né à Paris en 1769, Antoine Marie Chamans de LaValette est le fils d’un commerçant

aisé. S’il est connu pour avoir participé à la prise des Tuileries le 10 août 1792, il s’engagea ensuite dans la légion des Alpes. Promu au grade de capitaine, il fut aide de camp du général Bonaparte en 1798, et le suivit dans sa campagne d’Égypte. Non seulement il épousa la cause de Napoléon Bonaparte, mais également Émilie Louise de Beauharnais, la nièce de Joséphine, entrant via ce lien du sang dans la famille de l’Empereur.

Il ne manque plus en dessous de ces deux portraits, que la plaque avec un numéro que tiendrait notre ami LaValette, pour avoir sa « photo » officielle (face et profil) de « repris de justesse » !

La protection de Napoléon lui permettra de devenir Directeur général des Postes en

1804, tâche énorme puisqu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’organiser la première Poste d’État. Il y avait donc tout à inventer afin de mettre en place un service centralisé dans une France qui va s’étendre à de nombreux pays voisins, et compter jusqu’à cent trente

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départements, compte non tenu des royaumes satellites que dirigent les frères et beaux frères de Napoléon, tout ceci dans une Europe en guerre continue de 1805 à 1815.

En 1814, lors du premier retour de Louis XVIII en France, LaValette est destitué, mais lorsque Napoléon revient de l’île d’Elbe, LaValette va « s’emparer » de l’hôtel des Postes pour y occuper derechef et de son propre chef à nouveau ses fonctions antérieures. Cette aventure des Cent-Jours va se terminer le 18 juin 1815 à Waterloo. LaValette arrêté et emprisonné, le Comte de Beugnot le remplace alors à la tête des Postes.

Tout ceci concerne et préoccupe nos amis philatélistes, une activité noble et respectable il va de soi, mais sans grands dangers. D’où la timbrification de LaValette en 1954, pour la traditionnelle Journée du Timbre.

Mais chacun voyant midi à sa porte, intéressons-nous à une histoire plus terre à terre pour ne pas dire souterraine. Il existe, au sein des archives de la Préfecture de Police, un rapport du 28 Xbre 1815 (11 heures du matin) du Commissaire de police du quartier de l’Isle Saint-Louis : « On nous a assuré que Lavalette sortant de la Conciergerie a trouvé un refuge dans les Catacombes d’où il serait sorti avant-hier (dimanche 24 du courant), vers 3h du matin, ce qui donne lieu à cette conjecture, c’est l’intimité qui existe entre la femme de chambre de la dame Lavalette et le sieur Gambier, concierge des catacombes, on ajoute que la dame Lavalette a reçu pendant le courant de la journée des nouvelles des mouvements que fait ou a dû faire son mari, par le son de plusieurs cors de chasse qu’on a entendu dans les environs du palais de justice ». Ce document est annoté dans sa marge À Monsieur l’Inspecteur Général pour faire sur le champ quelques recherches sur les indications données dans ce rapport.

Plan de circulation dans les catacombes de Paris (ou plus exactement schéma) joint en format dépliable au livre de Héricart de Thury, « Description des Catacombes de Paris » datant de 1815.

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Que s’est-il passé entre juin et décembre 1815 ? Arrêté le 18 juillet 1815, LaValette est conduit à la préfecture de police où il reste jusqu’au 24 juillet. Il y est interrogé par Dupuis, juge d'instruction, les 18 et 19 juillet. Le 24, une ordonnance classe LaValette, fonctionnaire civil, parmi les chefs militaires que l’article 1er renvoyait devant un conseil de guerre. Il est alors embastillé à la Conciergerie et y reste six semaines au secret (il y rencontrera néanmoins le maréchal Ney, lui aussi prisonnier). Le 6 septembre une ordonnance le déclare finalement justiciable des tribunaux criminels ordinaires. Le 21 novembre, LaValette est condamné à mort par le jury sous la présidence de M. Héron de Villefosse (par 8 voix contre 4). Deux motifs d’accusation furent formulés : avoir correspondu avec l’Empereur en vue de son retour de l’île d’Elbe, et avoir pris part à la conspiration du 20 mars 1815, jour au cours duquel l’accusé avait usurpé des fonctions publiques. La cour de cassation rejetant le pourvoi, la date de l’exécution est fixée au 21 décembre. La veille de cette date fatidique, Madame de LaValette se présente à la Conciergerie, en compagnie de sa fille Joséphine, pour partager comme elle le fait chaque jour le dîner avec son mari 4. Vers 7 heures du soir, ils échangent leurs vêtements et c’est le Comte de LaValette qui ressort de la cellule, au bras de sa fille, incognito, un mouchoir lui dissimulant le visage. Puis il quitte la Conciergerie dans une chaise à porteurs à « l’insu du plein-gré » des gardiens, et se cache pendant trois semaines dans les combles du ministère des Affaires étrangères, demeure du duc de Richelieu, président du Conseil. Les principaux instigateurs de cette évasion furent M. Baudus (un ami de LaValette), le comte de Chassenon et la princesse de Vaudemont. Cette dernière trouva ensuite de l’aide auprès de trois « perfides » anglais : Mr Bruce, le capitaine Hutchinson, des gardes anglaises, et le général sir Robert Wilson, qui permirent au final à LaValette de quitter le territoire français le 8 janvier 1816. Sa femme, restée en cellule, y séjournera en compensation durant quelques mois, puisqu’elle ne fut libérée que le 23 janvier 1816.

Ayant revêtu l’uniforme britannique, LaValette gagne d’abord Mons en Belgique, puis se dirige seul vers la Bavière, pays où il résidera plusieurs années, avec la bienveillance d’Eugène de Beauharnais, d’Hortense et du Roi Maximilien. Exilé, LaValette ne rentrera en France qu’en 1822 et il mourra à Paris le 15 février 1830, sans doute d’un cancer des poumons. Après des obsèques en grande pompe en l’église de Saint-Philippe du Roule, l’inhumation eut lieu au cimetière du Père Lachaise.

4 Le libéralisme causera toujours la perte des honnêtes gens !

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Notons qu’en termes galants ces choses-là furent dites : « Lavalette sortant de la Conciergerie a trouvé un refuge dans les Catacombes d’où il

serait sorti avant-hier (dimanche 24 du courant), vers 3h du matin, ce qui donne lieu à cette conjecture, c’est l’intimité qui existe entre la femme de chambre de la dame Lavalette et le sieur Gambier, concierge des catacombes. »

On ne peut que constater les similitudes qui existent entre la gravure de gauche, et les silhouette sculptées sur le socle de la tombe de LaValette. L’une semble avoir fortement inspirer l’autre !

Consultons le fameux « Registre des visiteurs (1809-1813) », laissé à la sortie des

Catacombes dès la première année d’ouverture de l’ossuaire au public lambda, et dont les pages d’introduction ont été rédigées de la main même de Héricart de Thury, et datées du 30 juin 1809. Après avoir rappelé l’arrêté du Comte Frochot (Conseiller d’État, Préfet du département de la Seine) du 30 mai 1809 concernant « la police des carrières et les visites qui peuvent y être faites, soit sous le rapport de la consolidation publique ou particulière, soit sous celui de la sûreté et de la salubrité, soit par motif d’étude et d’observation, soit enfin par tout autre motif », Héricart de Thury nous dresse un « Précis historique sur les Catacombes de Paris », et nous donne enfin connaissance de la « Décision de l’Inspecteur général des carrières pour la conservation des Catacombes de Paris et la tenue d’un double Registre des visites qui y sont faites annuellement ».

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Dans celui-ci, on y apprend donc que c’est à partir du trente juin 1809 que sont officialisées et régularisées les visites des catacombes de Paris. Ce même jour, Héricart de Thury prend la décision de nommer un conservateur des Catacombes, dont la nature exige que « la garde en soit confiée à un chef de carrière d’une moralité bien reconnue et qui aux principes religieux joigne la connaissance des carrières voisines de ce monument ». De plus, remarquant que « plusieurs familles réclament fréquemment des permissions pour visiter, soit les cendres de leurs ancêtres recueillies dans les différents cimetières de Paris, soit le tombeau des victimes des massacres des deux et trois septembre », et attendu qu’il faut « régulariser ces visites 5, de manière à ce qu’elles se fassent toujours avec l’ordre et la décence convenables »,», Héricart de Thury prit alors les deux décisions suivantes : la nomination du « Sieur Pierre, Marie, Gambier dit Lapierre 6 chef d’atelier des carrières de la route d’Orléans et plaine de Mont-Souris […] conservateur des catacombes de la Tombe-Isoire, en considération des soins particuliers qu’il a pris pour la conservation de ce monument », et l’ouverture d’un registre dont la garde est confiée à ce conservateur 7.

Le sieur Gambier fera donc discrètement parler de lui, et pas forcément de manière

élogieuse, pour un fait divers six années plus tard, l’année même de parution de l’ouvrage de référence de Héricart de Thury, « Description des Catacombes de Paris », paru chez Bossange et Masson. Parlant de LaValette, Napoléon avait dit de lui « l’honneur, la probité, la droiture en tout sont la base de son caractère », tandis que Gambier était qualifié par Héricart de Thury de « chef de carrière d’une moralité bien reconnue ».

Doit-on en conclure que la femme est l’engeance du mal ? Les chefs de recel d’évadé et de dissimulation au sein de nos chers Catacombes, sont-il du simple fait de la femme de chambre de la dame LaValette et de ses rapports « privilégiés » avec ledit Gambier ?

C’est dans les vieux pots que l’on peut envisager de faire les meilleures soupes

De nos jours, les carrières sont encore parfois envisagées comme refuges potentiels lors d’affaire d’enlèvement ou d’évasion. En tout cas, si l’évadé récent Jean-Pierre Treiber n’y a pas songé lors de sa cavale en Seine & Marne, les autorités à sa recherche ont imaginé une telle possibilité. C’est ainsi que le 12 novembre 2009, dans un article du Monde pour DirectMatinPlus, on pouvait lire : « Quant aux éventuelles cachettes, certains évoquent les galeries souterraines reliant les châteaux du secteur 8, d’autres les glacières oubliées depuis le XVIIe siècle, les anciennes champignonnières, la station d’épuration, les transfos EDF abandonnés… » (Attention à l’électrocution et aux émeutes consécutives !).

Ceci n’est pas sans nous rappeler, quelques années après la disparition d’Estelle Mouzin, la mobilisation de nos amis Patrick et Joëlle Pallu à la demande du SRPJ de Versailles, pour vérifier si les carrières de Seine & Marne n’étaient pas le lieu où le ravisseur aurait pu se débarrasser du corps. Il faut dire que dans leur département, les Pallu ont recensé plus de 500 5 Visites qui ont déjà lieu puisque « plusieurs étrangers, voyageurs et autres personnes de tous rangs, distinctions et qualités ont témoigné le désir qu’il fut ouvert entre les mains du conservateur un registre dans lequel ils pourraient transcrire et consigner les pensées que la visite des Catacombes leur aurait suggérer ». Ainsi, sur la table de Décure, le Comte d’Artois futur Charles X en 1787 y fit une collation, puis en 1788 Mesdames de Polignac et de Guiche y vinrent elles aussi pour s’y restaurer. Viendront entre autres par la suite Napoléon III en 1860, puis le Comte de Bismarck et le prince Oscar de Suède en 1867. 6 À ne pas confondre avec Gambier Major, conducteur des ateliers Saint-Jacques, tandis que Gambier Lapierre en plus de conservateur de l’ossuaire des Catacombes, était conducteur de l’atelier de la route d’Orléans et de l’aqueduc d’Arcueil. 7 « L’ouverture du Présent Registre a été faite le Samedi Premier de Juillet mille huit cent neuf par nous soussigné Inspecteur général des Carrières du Département de la Seine » lit-on sur la page de présentation. 8 Où l’on constate que le fantasme des souterrains reliant entre eux des châteaux éloignés de plusieurs kilomètres est toujours autant vivace, nonobstant la distance et les difficultés incontournables que sont les rivières à franchir par en dessous !

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communes affectées par des carrières souterraines, des cavités naturelles, des souterrains artificiels, des aqueducs désaffectés, et même un tunnel abandonné ! Si ce couple est régulièrement consulté (autre exemple, il le fut lors de la recherche de cavités sur le parcours du TGV Est), c’est parce que de tous les départements de la Région parisienne, les sous-sols de la Seine et Marne ne sont supervisés par aucun service des carrières. En conséquence, à la demande de la Préfecture et du Conseil Général du département, cet inventaire a été attribué au Laboratoire des Ponts & Chaussées ainsi qu’au BRGM, qui le réalisent à partir du travail bénévole des Pallu qui s’étaient investi dans cette tâche de longue haleine depuis de très nombreuses années ; ils font d’ailleurs désormais partie prenante du Plan de Prévention des Risques liés aux carrières, et aident en tant que de besoin les services régionaux de secours du type GRIMP 9.

Quant à la « longue nuit du survivant [des carrières de Madiran] » dont nous ont abreuvé les journaux pendant quelques jours en janvier 2005 (cf. par exemple l’article pleine page dans la « Dépêche du Midi », édition de Toulouse datée du samedi 22 janvier 2005 ; information reprise par les médias nationaux), un gros doute subsiste sur la véracité des faits : un mari dépressif qui aurait voulu mettre fin à ses jours dans une champignonnière des Hautes-Pyrénées après avoir avalé plusieurs comprimés de somnifères, mais qui revenant sur sa décision aurait survécu près de 35 jours dans le noir en léchant l’eau des parois et se nourrissant de boulettes de glaise et de restes de bois en putréfaction, non sans avoir au préalable exploré les galeries par curiosité à la lampe de poche ! N’aurait-il pas plutôt voulu s’isoler et se cacher pendant quelques temps, un « jeu » qui aurait mal tourné ? En revanche, il semblerait que l’écrivain Nicolas Bokov auteur de « Dans la rue à Paris », ait vraiment vécu dans les carrières de Gagny pendant plusieurs années (selon un article signé Marianne Paul-Boncourt, dans un dossier du Nouvel Observateur édition Paris-Ile de France consacré aux Russes à Paris).

Di Marco, illustrateur de cet article paru dans Sélection du Reader’s Digest s’est fait connaître par les couvertures des « publications » spécialisées dans les faits divers sanglants et meurtriers que sont « Détective » et « Le Nouveau Détective ». Ce qui montre ici la recherche de sensationnel poursuivie par les journalistes qui relayèrent l’information.

Puisque tout finit par des chansons : « Que la Fête Commence... »

En 1974, sortit le film « Que la fête commence », dont une grande partie des faits, des actes et du dialogue est authentique. C’est une chronique évoquant un petit chapitre de l’histoire de France, mais qui a pourtant eu une grande importance puisqu’elle amorça le redressement économique de la France : la Régence (1715-1723). À la mort de Louis XIV, 9 Groupe de Recherche et d’Intervention en Milieu Périlleux.

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son arrière petit-fils Louis XV étant trop jeune pour gouverner (il est alors âgé 5 ans), c’est Philippe d’Orléans qui assura la régence du royaume.

Le réalisateur Bertrand Tavernier reconstitua, avec le concours du scénariste Jean Aurenche, une multitude de petits faits de la vie quotidienne de l’époque, que ce soit en province ou à Paris, à la cour du Régent ou dans les rues de la capitale. À sa sortie, ce film fut d’ailleurs salué comme un modèle de cinéma historique.

Carte du « Département de la Seine décrété le 13 et 19 janvier 1790 par l’Assemblée Nationale ; revu, corrigé et augmenté en 1818 », avec toujours un grand nombre de roues de carrières représentées dans la banlieue Sud (collection BHVP ; photo Franck Albaret).

Nous évoquons bien évidemment Que la fête commence pour cause de carrières

souterraines. À environ 13 minutes du début, on peut ainsi entendre le Régent (interprété par Philippe Noiret) dire : « J’en ai passé des nuits dans les carrières de Vanves et de Vaugirard à invoquer le diable, je ne l’ai jamais vu ».

Parfois un film en évoquant d’autres, on peut s’amuser à passer de l’un à l’autre. Pendant la Régence fut exécuté un célèbre chef de brigands sévissant dans la région parisienne : Louis-Dominique Cartouche, né en 1693, qui fut roué vif le 28 novembre 1721 en place de Grève. Jean-Paul Belmondo joua Cartouche dans un film au titre tout simplement éponyme, dans lequel les carrières souterraines servent aussi à un moment de décor. Dans cette réalisation de Philippe de Broca datant de 1962, notre « prince des voleurs » traverse une zone de piliers à bras qui se trouvait autrefois sous le Val-de-Grâce, mais qui a aujourd’hui disparu lors des travaux d’implantation du nouvel hôpital… dont le plan est en forme de vertèbre (oui, oui, vous pouvez vérifier !)

Cette année 1974, Philippe Noiret fut davantage présent dans les anciennes carrières

souterraines de Paris, par le truchement du film de Pierre Tchernia, « Les Gaspards », dont il était l’un des acteurs principaux. Philippe Noiret y joue le rôle de Gaspard, Michel Serrault celui du libraire Jean-Paul Rondin, Michel Galabru celui du commissaire Lalatte, et l’on y voit aussi la participation de Jean Carmet. S’il réalisa ce « simple film de divertissement sans prétention aucune » comme il aime à le présenter, Pierre Tchernia en co-écrivit le scénario avec René Goscinny.

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Dans l’histoire imaginée par nos deux compères, il est aussi question de personnes qui se sont réfugiées sous Paris pour résister à la pression de promoteurs sans foi ni loi pour lesquels « Paris delenda est ». Ce que résumait Henry Chapier dans sa critique parue le 6 février 1974 dans Combat (tout un symbole) : « Dans un Paris sans cesse défiguré par les bulldozers en furie, une confrérie secrète retrouve la douceur de vivre en se réfugiant dans les carrières souterraines… Cette nouvelle race que Tchernia appelle “les Gaspards”, s’oppose de toutes ses forces à la démolition des beaux sites, et à la disparition de tout ce qui faisait le prix de la vie : véritable force subversive, elle s’acharne à retarder le processus de destruction entrepris par les illuminés du vingt-et-unième siècle, assimilés aux nouveaux barbares de l’Occident.

En mêlant étroitement la réalité et la fiction, le réquisitoire politique et la comédie-farce, Pierre Tchernia en dit beaucoup plus dans ses “Gaspards” que n’importe quel cinéaste réputé contestataire. »

(photo Michael Cooper, fils de Saul Cooper, co-producteur du film) Ce film, s’il fut dès l’origine considéré comme la fiction de référence pour les amateurs

des carrières de Paris que nous sommes, se bonifiant avec l’âge comme le bon vin, il aurait aussi tendance à le devenir pour les critiques de cinéma. Voici ainsi ce que l’on entendit de plusieurs critiques du Masque et la Plume le 1er novembre 2009, lors d’un échange axé autour du dernier film de Jean-Pierre Jeunet « MicMac à tire-larigot ».

Alain Riou du Nouvel Observateur : « La qualité de l’écriture et les dialogues sont très élégants. C’est un film qui fait penser à un film que j’aime énormément, comme Les Gaspards de Pierre Tchernia, film dont on ne parle jamais dans les histoires du cinéma mais qui est une merveille. Beaucoup de gens tiennent Pierre Tchernia pour un type important, pour un cinéaste important ; Jacques Tati le considérait comme un type à peu près de son niveau. Il avait commencé à faire des films à l’époque. C’est un vieux principe français mais toujours extrêmement agréable, de montrer les petits qui viennent à bout des grands, c’est David contre Goliath. ». Ce à quoi répondit Jean-Marc Lalanne des Inrockuptibles en précisant : « Alain parlait de Pierre Tchernia. Il y avait quand même une certaine modestie et très très peu d’emphase visuelle et formelle chez Tchernia ».

Rappelons le synopsis de nos Gaspards pour les personnes qui n’auraient pas eu la

chance d’assister à l’une de ses nombreuses diffusions à la télévision (ce qui se produit plusieurs fois chaque année et sur diverses chaînes). Une vingtaine de touristes disparaissent dans les Catacombes de Paris, enlevés par une communauté qui vit sous terre et qui somme le

« Télérama » n°1256 du 09 février 1974 (p.59) LES GASPARDS. Cent gags dans les catacombes

- Comment Les Gaspards sont nés… C’est un peu compliqué. […] J’ai lu des bouquins très sérieux et instructifs qui m’ont appris qu’au cours des siècles le ventre de Paris servait de refuge ou de passage à des bandes de malandrins, resquilleurs d’octroi et autres conspirateurs en cagoule. Il y a, sous nos pieds, d’interminables réseaux de galeries propres à abriter bien des souches de gaspards.

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ministre des Travaux publics de cesser de creuser des trous dans Paris. D’autres personnes vont elles-aussi être kidnappées : deux agents de police, la fille de Jean-Paul Rondin, libraire du quartier latin et auteur d’ouvrages érudits sur le vieux-Paris, un chef d’orchestre, etc.

Devant l’indifférence des forces de l’ordre face à l’enlèvement de sa fille, Jean-Paul Rondin partira lui-même à sa recherche dans les sous-sols de la capitale, et il finira par découvrir le repaire d’une « société troglodyte » (la néomymie « cataphile » n’avait pas encore été inventée ; il faudra attendre encore une dizaine d’années !). Quand le ministre sera à son tour persuadé de l’existence de cette communauté, il fera donner les forces de l’ordre dans les souterrains afin d’y chasser ces empêcheurs de creuser en paix.

Quant à Cartouche (le revoilà !), il apparut aussi dans un téléfilm diffusé à la télévision

dans les années 70’s, scénarisé d’après le roman de Gaston Leroux : La double vie de Théophraste Longuet. Dans celui-ci, Jean Carmet (encore lui) y joue cette fois-ci le rôle principal. Il est à noter que cette histoire parut en roman feuilleton dans Le Matin du 5 octobre au 22 novembre 1903 sous le titre « Le chercheur de trésors », et qu’elle donna l’occasion à une véritable chasse aux trésors dans Paris… mais pas dessous, lieu qui pouvait pourtant parfaitement s’y prêter à l’époque, en se limitant bien entendu à l’ossuaire des Catacombes.

Dans ce roman fantastique, Théophraste Longuet souffre d’un dédoublement de personnalité puisqu’il se croit la réincarnation de Cartouche. Et si le film nous intéresse également, c’est parce que parmi les passages du roman qui ont été adaptés pour la télévision, se trouve celui pendant lequel le commissaire de police Mifroid et Théophraste/Cartouche descendent dans les carrières de Paris. Là, ils rencontrent la nation des Talpas, descendants de contemporains de Louis XIII, et passent plusieurs jours intégrés au sein de leur communauté à observer leurs mœurs étranges : une peuplade capable de sentir la lumière et qui se ravit de concerts de silence. Rappelons que dans le roman sont évoqués l’inspecteur général des carrières Héricart de Thury (de longs passages sont même empruntés à son livre), ainsi que Armand Viré et ses expériences sur la faune obscuricole.

Il ne reste plus qu’à attendre la sortie sur grand écran des prochaines comédies

cinématographiques dans lesquelles les scénaristes sont en train d’inclure de très longues scènes dans les carrières sous Paris, savoir : Michael Cooper, le fils de Saul Cooper, co-producteur des Gaspards (c’est le serpent qui se mord la queue, ou c’est un retour aux sources, c’est selon), et Mark Levin, producteur du « Voyage au centre de la Terre 3D », pour The Hitchcock Family (prévu pour 2010)… toutefois dans ces deux cas-là, il ne sera pas question de films historiques, mais tout simplement ancrés dans le Paris contemporain.

En espérant que la réalisation n’avortera pas en cours de route, comme le fut le projet que nous avait soumis EuropaCorp, la société de production de Luc Besson, pour un film qui

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devait voir son développement à près de 100 % dans les galeries de carrières sous Paris ; et ce, sans user de l’artifice de décors reconstitués en studio, d’où peut-être finalement le non aboutissement de la mise en image ?

Bibliographie (work in progress) : « Paris souterrain », par Émile Gérards (© Garnier Frères 1908 - réédité en 1991 par DMI) ; « Condorcet. Un intellectuel en politique : 1743-1794 », de Élisabeth Badinter et Robert

Badinter (© Fayard 1988) ; « L’ “obscure” vie de Philibert Aspairt (dessinée en deux planches), ou La Mémorable épopée

d’un “obscur” portier, p.15-23 de Grottes et Gouffres (bulletin d’information du SpéléoClub de Paris) n°161 (décembre 2005) ;

« Trente-cinq jours dans les ténèbres oppressantes d’une champignonnière. La longue nuit du Survivant », par Anne Gallois (illustré par Di Marco), p.128-146 de Sélection du Reader’s Digest (janvier 2006) ;

+ le site Internet sur LaValette http://www.comte-lavalette.com/biographie-lavalette.php Merci à Franck Albaret, aux collectionneurs de documents autour des Gaspards, à

Michael Cooper, mais d’abord et avant tout à Pierre « Magic » Tchernia !