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Accord commercial avec l’Indonésie : Pas de libre-échange sans coopération Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper | www.alliancesud.ch NUMERO 48 | ETE 2013 Evasion fiscale : Manœuvres dilatoires de la Suisse Partenariats privé-public : Critères de la DDC insuffisants

GLOBAL+ No. 48 | Eté 2013

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Libre-échange entre l'AELE et l'Indonésie: deux visions différentes. C'est un des thèmes traités dans cette édition de Global+. Ce numéro aborde également la relation entre la Suisse et l'évasion fiscale des pays du Sud. En outre, vous trouverez des contributions sur les partenariats public-privé de développement et les mesures climatiques dans les pays du Sud, etc

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Accord commercial avec l’Indonésie :Pas de libre-échange sans coopération

Swissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | Eper | www.alliancesud.ch

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Evasion fiscale : Manœuvres dilatoires de la Suisse

Partenariats privé-public : Critères de la DDC insuffisants

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2 GLOBAL+ ETE 2013

News

Birmanie : la Suisse peut davantage

me Doris Fiala (PLR) et Carlo Sommaru-

ga (PS) ont déposé des interpellations au

Conseil national sur ce que la Suisse entend

faire pour prévenir une « ruée vers l’or » ca-

lamiteuse en Birmanie. Le Conseil fédéral,

qui prévoit une augmentation des investis-

sements suisses, souligne qu’il « attend des

entreprises suisses qu’elles assument leurs

responsabilités envers la société et l’envi-

ronnement dans le cadre de leurs activités

à l’étranger », évitent de susciter des viola-

tions des droits humains et des conflits, et

« contribuent au développement durable de

l’économie locale » (Ip 13.3144). Concrète-

ment, l’ambassade « intégrée » de Suisse au

Myanmar promeut le devoir de diligence à

travers une plateforme avec les entreprises.

La Suisse va également soutenir la création

d’un centre de compétence pour une éco-

nomie responsable au Myanmar, géré par

l’Institute for Human Rights and Business

de Londres et le Danish Institute for Hu-

man Rights. Pour la suite, le Conseil fédéral

« examine actuellement si un engagement

renforcé se justifie ». Selon « Droit sans

frontières », il serait bien avisé d’élaborer

rapidement des directives obligeant les in-

vestisseurs à rendre transparentes leurs ac-

tivités au Myanmar, à l’instar de celles que

les Etats-Unis ont adoptées fin mai.

Afrique : 1200 milliards d’évasion fiscale

dh Ces trente dernières années, au moins

1’200 milliards de dollars de fortunes non

déclarées ont fui les pays en développe-

ment africains. C’est ce que montre une

nouvelle étude de la Banque africaine

de développement et de l’institut de re-

cherche Global Financial Integrity. Les

sorties d’argent noir dépassent la somme

de tous les flux financiers vers l’Afrique

pendant cette même période, y compris

l’aide au développement et les investis-

sements directs. Alliance Sud demande

au Conseil fédéral de prendre urgemment

des mesures contre le dépôt de tels fonds

en Suisse.

Suisse-Chine : droits humains à la trappe

ia L’accord de libre-échange (ALE) de

la Suisse avec la Chine, dont les négo-

ciations ont été conclues le 13 mai, ne

contient probablement pas de disposi-

tions efficaces et contraignantes sur les

droits humains et les normes du travail.

« Probablement », car le texte n’est pas

connu. Le processus de négociation a été

opaque, la société civile en a été exclue et

le parlement ne savait pas, début juin, ce

que l’accord contient. Tout porte à croire

cependant qu’il n’y a pas de chapitre

sur le développement durable, lequel a

été demandé par la Commission des af-

faires extérieures du Conseil national et

par la plateforme Chine, dont fait partie

Alliance Sud. La Suisse risque ainsi d’im-

porter, à des conditions préférentielles,

des produits fabriqués en violation des

normes fondamentales de l’Organisation

internationale du travail.

Coopération : pour le 0,7% à Genève

me La nouvelle constitution genevoise,

entrée en vigueur le 1er juin, réaffirme

l’importance de la solidarité internatio-

nale comme mission de l’Etat. La Fédé-

ration genevoise de coopération (FGC) et

ses 63 associations membres en profitent

pour lancer – avec le soutien d’Alliance

Sud – une pétition demandant au canton

de Genève que, dès 2018, il y consacre

0,7% de son budget de fonctionnement.

Un taux fixé dans la loi depuis 2001, mais

qui – contrairement à près de la moitié

des communes – n’a jusqu’ici jamais été

atteint par le canton. L’effort de ce der-

nier en matière de coopération au déve-

loppement, aide humanitaire et promo-

tion de la paix, stagne à 0,2%. Il s’agirait

donc d’augmenter la contribution de

0,1% par an pendant cinq ans. L’objectif

est d’atteindre 10’000 signatures d’ici à la

fin de l’été. www.fgc.ch

Impressum

GLOBAL+paraît quatre fois par an.

Editeur:Alliance SudCommunauté de travailSwissaid | Action de Carême | Pain pour le prochain | Helvetas | Caritas | EperMonbijoustr. 31, Postfach 6735, 3001 Berne, Tel. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31E-Mail: [email protected]: www.alliancesud.ch

Rédaction:Michel Egger (me), Isolda Agazzi (ia), Tel. 021 612 00 95

Concept graphique: Clerici Partner AG Mise en page: Frédéric RussbachImpression: s+z: gutzumdruck, Brig.Tirage: 1500Prix au numéro: Fr. 7.50Abonnement annuel: Fr. 30.–Abonnement de soutien: min. Fr. 50.–Prix publicité / encartage: sur demandePhotos: couverture: Joerg Boethling ; dernière page : Action de Carême / Meinrad Schade.Prochain numéro: octobre 2013.

Président Hugo Fasel, directeur de Caritas.

Direction Peter Niggli (directeur), Kathrin Spichiger, Rosa Amelia Fierro, case postale 6735, 3001 Berne, Tél. 031 390 93 30, Fax 031 390 93 31, E-mail: [email protected] www.facebook.com/alliancesud https://twitter.com/AllianceSud

Politique de développement

– Coopération au développement Nina Schneider, Tél. 031 390 93 40, [email protected]

– Commerce / OMC Michel Egger/Isolda Agazzi, Tél. 021 612 00 95, [email protected]

– Finance internationale /Fiscalité Mark Herkenrath, Tél. 031 390 93 35, [email protected]

Alliance Sud en un clin d’œil

– Relations publiques Daniel Hitzig, Tél. 031 390 93 34, [email protected]

– Développement durable / Climat Nicole Werner, Tél. 031 390 93 32, [email protected]

Documentation BerneJris Bertschi/Emanuela Tognola/ Renate Zimmermann, Tél. 031 390 93 37, [email protected]

Bureau de Lausanne Michel Egger/Isolda Agazzi/Frédéric Russbach, Tél. 021 612 00 95/Fax 021 612 00 [email protected]

Documentation Lausanne Pierre Flatt / Amélie Vallotton Preisig / Nicolas Bugnon, Tél. 021 612 00 86, [email protected]

Bureau de Lugano Silvia Carton/Lavinia SommarugaTél. 091 967 33 66/Fax 091 966 02 46,[email protected]

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Mettre l’OMC sous pressionPour son départ de l’Organisation mon-diale du commerce (OMC), le directeur général Pascal Lamy a présenté un rap-port sur L’avenir du commerce : les défis de la convergence. Il a été rédigé par des représentant-e-s d’entreprises et d’asso-ciations économiques ainsi que de la Confédération syndicale internationale et du Programme des Nations Unies pour le développement.

Le rapport montre ce que les sociétés transnationales veulent au-

jourd’hui en matière de politique commerciale. En premier lieu, le rap-port réclame plus de flexibilité. Les règles, exceptions et dispositions transitoires de l’OMC ne devraient plus à l’avenir être définies selon des catégories rigides comme les « pays les moins avancés » (PMA), les pays en développement ou les pays industrialisés. Il s’agirait plutôt de partir du fait que les pays en développement auraient rattrapé les pays industriali-sés dans certains secteurs économiques et que les PMA ne devraient plus être exemptés des obligations de l’OMC. Logiquement, le rapport met en question le « traitement spécial et différencié » qui jusqu’ici – étant donné les différences flagrantes de développement entre les membres – a constitué l’un des principes fondamentaux de l’OMC. Ce principe devrait maintenant être assoupli et adapté à la « réalité ».

La flexibilisation en matière de politique commerciale réclamée par le rapport de Lamy, est comparable au bras de fer entre pays industriali-sés et en développement dans la politique climatique. Dans les deux cas, les pays industrialisés ne veulent plus reconnaître les obligations particu-lières qui découlent de leur rôle économique et technologique dominant. Leur principal argument est que le monde a beaucoup changé et que les pays en développement ont accompli d’importants progrès économiques. C’est pourquoi le rapport de Lamy parle de convergence. Toutefois, nous sommes loin encore d’une réelle convergence. Il n’y pas que la Chine et le Brésil. Il existe des dizaines de pays pauvres dont l’agriculture s’est dégr-radée et dont les industries faibles ont été démantelées. Les 49 PMA ont réalisé ensemble en 2011 un PIB égal à celui de la Suisse, mais avec une population cent fois plus grande.

Le rapport de Lamy reflète plus ou moins l’opinion des membres occidentaux de l’OMC. Depuis des années, ils refusent tout changement aux règles en vigueur qui défavorisent les pays en développement. Ils ne seraient prêts à des concessions que si les pays en développement acceptaient d’ouvrir tout grand leurs marchés, ce qu’ils refusent. C’est pourquoi les négociations à l’OMC sont bloquées depuis dix ans. Les pays industrialisés essaient aujourd’hui de faire pression de l’extérieur sur les « récalcitrants ». Si des traités de libre-échange (actuellement en négo-ciation) devaient voir le jour entre les USA et l’Union européenne ainsi qu’entre l’Amérique du Nord et une série de pays asiatiques du Pacifique, ces deux zones couvriraient la plus grand part de l’économie mondiale – elles contourneraient aussi la Suisse. Clara Hill, qui avait négocié l’accord de libre-échange Canada-USA-Mexique (ALENA), a écrit dans le New York Times qu’à l’instar de l’ALENA en 1993, ces deux accords devraient déblo-quer les négociations à l’OMC. Ils visent à accomplir les ultimes libérali-sations que les pays en développement ont jusqu’ici réussi à empêcher à l’OMC.

Peter Niggli, directeur d’Alliance Sud

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Mesures climatiques

10 Un financement opaque

Points forts

La DDC et les PPPD

8 Manque de cohérence

Libre-échange AELE-Indonésie

6 Deux visions du développement

Suisse et évasion fiscale

4 Entre attentisme et évitement

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4 GLOBAL+ ETE 2013

Les pays en développement sont chaque année spoliés de mil-liards de revenus dont ils auraient urgemment besoin pour lut-ter contre la pauvreté et les effets négatifs des changements climatiques. Ces pertes massives sont dues aux pratiques de soustraction fiscale des élites riches et des multinationales. L’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan l’a rappelé ré-cemment sans ambages dans un article paru dans le New York Times. Il souligne qu’aucun continent ne souffre autant que l’Afrique des conséquences des flux d’argent douteux vers les pays industrialisés1. Il a demandé expressément à la Suisse, mais aussi à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, de prendre enfin les mesures qui s’imposent et d’accroître la transparence dans le secteur financier.

Manque de recettes fiscalesDe fait, les recettes fiscales des pays en développement ne représentent en moyenne que 17% de leur produit intérieur brut. Ce taux s’élève dans les pays riches industrialisés à 35%, mais n’atteint même pas 15% dans nombre de pays africains pauvres. Selon l’avis unanime de nombreux experts du déve-loppement et du Fonds monétaire international (FMI), c’est trop peu pour pouvoir financer un appareil administratif en état de fonctionner dans les grandes lignes. Il existe cepen-dant, et heureusement, un énorme potentiel de rattrapage.

Deux éléments essentiels contribuent à l’insuffisance des revenus budgétaires des pays en développement : des sys-tèmes fiscaux souvent déficients et les faiblesses adminis-tratives des autorités fiscales. De grandes parties de l’écono-mie et, avant tout, le secteur informel sont à peine ou pas du tout imposés. C’est pourquoi des organisations internationales comme le FMI et l’Organisation de coopération et de dévelop-pement économiques (OCDE) soutiennent – par une aide fi-nancière et des conseils techniques – les pays en développe-ment concernés dans leurs réformes de fond du système fiscal. Divers programmes de développement du Secrétariat d’Etat à

l’économie (Seco) poursuivent le même objectif. Ces réformes fiscales consistent toutefois assez souvent à introduire des im-pôts sur la consommation, qui affectent de manière particuliè-rement forte les segments les plus pauvres de la population.

La plaie de l’évasion fiscaleEn même temps, les pays en développement souffrent du même problème que les pays riches industrialisés qui bénéfi-cient de bons systèmes fiscaux et d’autorités fiscales très bien équipées. Il s’agit de l’évasion fiscale des personnes privées for-tunées qui déposent leurs avoirs à l’étranger sans les déclarer. A cela s’ajoutent les pratiques de soustraction fiscale des mul-tinationales qui déplacent – souvent en toute légalité – leurs gains dans des territoires à faible imposition comme la Suisse. Les mesures nécessaires sont avant tout à prendre dans les pa-radis fiscaux qui profitent des flux de fonds étrangers non dé-clarés.

La communauté internationale a, peu après le déclenche-ment de la crise financière et économique de 2008, déclaré la guerre aux nombreux oasis fiscaux de la planète. Les pro-grès enregistrés jusqu’ici en matière de transparence fiscale n’ont cependant quasi rien apporté aux pays en développe-ment. Pour preuve, l’exemple de la Suisse : sous pression de l’OCDE, elle a depuis 2009 conclu des conventions de double imposition fiscale avec presque quarante pays. Ces accords permettent aux pays partenaires – en cas de soupçon de sous-traction fiscale fondé – de demander l’échange d’informations bancaires. On cherche cependant en vain les noms de pays en développement pauvres dans la liste des nouveaux traités fis-caux de la Suisse.

Pression en hausseDepuis le début de cette année, la pression internationale sur des paradis fiscaux comme la Suisse s’est encore fortement accentuée. De plus en plus de pays, en particulier l’Union eu-ropéenne (UE), veulent faire de l’échange automatique d’in-formations le standard international en matière de fiscalité. Il aurait un effet dissuasif important sur les soustracteurs fis-caux potentiels. Il serait donc extrêmement utile aussi aux pays en développement, indépendamment du nombre de don-nées obtenues que leurs autorités fiscales seraient en mesure de traiter effectivement.

En même temps, l’UE travaille actuellement à un plan d’action qui lui permettra de sanctionner les places finan-

Suisse et évasion fiscale des pays du Sud

Entre attentisme et stratégie d’évitementMark Herkenrath La pression internationale sur les paradis fiscaux continue d’augmenter.

La Suisse réagit comme d’habitude par des manœuvres dilatoires. Elle nuit ainsi éga-

lement aux pays en développement.

« La stratégie de l’argent propre n’est pas

une alternative à l’échange automatique

d’informations. »

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GLOBAL+ ETE 2013 5

Même l’association des banquiers privés

suisses se prononce pour l’échange

automatique d’informations, prenant à

contrepied le Conseil fédéral. Il refuse

cependant d’en faire bénéficier les pays

en développement !

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cières insuffisamment transparentes. Des sanctions seraient aussi possibles contre les pays qui pratiquent une concurrence fiscale déloyale. Sont visés les Etats qui imposent les revenus des entreprises obtenus à l’étranger à des taux moindres que les gains réalisés au plan domestique. La Suisse en fait partie, avec ses régimes fiscaux cantonaux préférentiels pour les hol-dings et sociétés analogues. Elle pousse ainsi les multinatio-nales à transférer les profits issus des pays de production vers leur siège en Suisse, via par exemple des payements d’intérêt ou la comptabilisation de prestations de services élevées.

L’UE n’est plus la seule à vouloir mettre fin à ces régimes particuliers. L’OCDE est également montée au front. Dans le cadre de son programme sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), elle envisage des mesures pour combattre la concurrence fiscale déloyale entre sièges na-tionaux potentiels de multinationales.

Manœuvres dilatoiresLa Suisse continue à réagir à cette pression croissante par des mesures dilatoires. Alors que la ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf réfléchit déjà à haute voix sur l’échange automatique d’informations, le Conseil fédéral s’engage tou-jours officiellement pour une stratégie molle d’argent blanc : les banques devraient entre autres – sur la base d’une auto-déclaration des clients – garantir qu’elles n’acceptent plus de fonds non déclarés. De telles autodéclarations de conformité fiscale, qui ont déjà été introduites de manière volontaire par différentes banques, ne servent cependant pas à grand-chose. C’est ce que vient justement de montrer une recherche de la Neue Zürcher Zeitung2. Un employé de banque y avoue sans

vergogne que les fortunes provenant des pays en développe-ment sont « traditionnellement non déclarées » et que l’on a souvent des doutes sur la véracité des formulaires des clients. On n’entreprend cependant rien pour corriger la situation.

Pour ces différentes raisons, la stratégie de l’argent propre prévue a peu de chance de s’imposer comme alternative à l’échange automatique d’informations. L’association des ban-quiers privés suisses l’a aussi bien compris. Son président, Ni-colas Pictet, s’est prononcé entre-temps publiquement pour l’échange automatique d’informations. Il ne veut cependant pas en faire bénéficier l’ensemble des pays émergents et en développement, sous le prétexte que la sécurité juridique y se-rait de toute manière insuffisante. Le commerce florissant des banques suisses avec les fonds non déclarés du Sud doit donc pouvoir continuer sans entraves.

La Suisse essaye aussi de sortir par la petite porte dans l’imposition des entreprises. Le Conseil fédéral propose que les régimes fiscaux cantonaux particuliers pour les holdings et so-ciétés analogues soient remplacés par des produits de licence. Cela donnerait aux multinationales la possibilité d’échapper à l’imposition de leurs bénéfices dans les pays en développe-ment, via le payement de licences le plus élevé possible en Suisse.

1. « Stop the Plunder of Africa », New York Times, 9 mai 2013.

2. « Der Steinige Weg zum “weissen” Geld », NZZ, 18 mai 2013.

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Accord de libre-échange AELE-Indonésie

Deux visions différentes du développementIsolda Agazzi L’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse est membre,

négocie un accord avec l’Indonésie. Celle-ci demande un effort conséquent en termes

de coopération technique. Deux visions différentes du développement s’affrontent.

« Ce n’est pas un accord de libre-échange que nous négocions avec l’AELE, mais un accord exhaustif de partenariat écono-mique », précise d’emblée Soemadi Brotodiningrat, le chef né-gociateur indonésien, joint par téléphone à Jakarta, juste après le septième tour de négociations qui a eu lieu dans la capitale indonésienne en mai. « La différence est que nous intégrons la coopération en matière de création des capacités. C’est notre deuxième accord de ce genre, après celui avec le Japon (2008). L’initiative est venue de l’AELE et nous y avons répondu positi-vement, parce que les relations commerciales entre nos pays sont encore très en-deçà de leurs potentialités et qu’il y a plus de complémentarité que de compétition. Par exemple, vos pro-duits agricoles sont très différents des nôtres. Malgré cela, il n’est pas facile d’accéder au marché de l’AELE. »

Avec un produit national brut (PNB) qui a crû de 5,9% au cours des six dernières années, un PNB par habitant qui a dou-blé pour atteindre 3’500 dollars et une population de 238 mil-lions d’habitants, l’Indonésie est un marché très appétissant pour l’AELE. Les Indonésiens sont relativement inexpérimentés dans ce genre de négociations, mais ils ont les idées très claires sur un point : ils veulent de l’aide pour profiter au maximum de

l’accord. « Pour l’instant, ils sont en train d’établir leurs priori-tés en matière de coopération, souligne Martin Zbinden, le né-gociateur suisse. En principe, nous sommes prêts à entrer en matière, comme nous l’avons fait avec d’autres partenaires de libre-échange, mais il faudra voir, concrètement, quels projets ils vont nous proposer. »

Agriculture contre industrieLe principal intérêt de l’Indonésie réside dans l’agriculture et les matières premières. « Les pays de l’AELE se montrent très généreux pour les produits manufacturiers, mais lorsqu’il s’agit d’agriculture, ils ne sont prêts à abaisser que 30% de leurs lignes tarifaires, regrette Soemadi Brotodiningrat. Pour-tant, s’ils libéralisaient leur marché agricole, nous pourrions peut-être ouvrir notre marché industriel. Cela doit être équili-bré. » Les ouvertures agricoles sont particulières en ce qu’elles se négocient bilatéralement, pays par pays de l’AELE. En Suisse, la protection moyenne tarifaire est de 31,9% pour les produits agricoles, contre 2,3% pour les produits manufacturiers. Mais elle peut monter à 100%, voire carrément à 1676% pour les produits les plus protégés, comme la viande et le lait.

Récolte de noix de palme en Indonésie

(Sumatra), principal exportateur mondial

d’huile de palme. Jakarta n’ouvrira son

marché industriel qu’en contrepartie

d’un accès accru au marché suisse pour

ses produits agricoles.

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« Nous critiquons les accords de libre-

échange, parce qu’il y a un manque fla-

grant de transparence et de reddition des

comptes. »

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GLOBAL+ ETE 2013 7

Martin Zbinden assure que la Suisse est disposée à entrer en matière pour améliorer l’accès au marché, mais dans les li-mites de la politique agricole nationale. « Jusqu’à présent, on a toujours réussi à se mettre d’accord, tout en sauvegardant la protection des produits importants pour la Suisse. Avec un pays comme l’Indonésie, cela devrait être d’autant plus facile que nous ne produisons pas les mêmes choses, ou pas à la même saison. »

Malgré ces possibles concessions, l’Indonésie n’est pas prête à ouvrir son marché industriel à n’importe quel prix. Forte d’une politique économique plutôt volontariste, elle ap-plique un droit de douane moyen de 7,5% sur les produits in-

dustriels et de 9,5% sur les produits agricoles – elle impose, au passage, la certification « halal » à toute viande importée. Les entreprises d’Etat continuent à jouer un rôle essentiel dans le développement industriel. Leur contribution au produit natio-nal brut s’élève à 40%. Aucune privatisation significative n’a eu lieu récemment.

Les principaux produits d’importation et d’exportation de l’Indonésie restent liés à l’énergie. Le gouvernement vient d’adopter une série de mesures pour développer les industries locales et les aider à progresser dans la chaîne de valeur : les exportations de matières premières sont restreintes et taxées, les licences d’importation et la participation étrangère aux banques limitées. Des mesures parfaitement assumées par notre interlocuteur : « Nous voudrions offrir à nos partenaires l’accès au marché par le biais des investissements. Au lieu de nous vendre des produits fabriqués ailleurs, pourquoi ne vien-draient-ils pas les produire ici ? Les produits intermédiaires pourraient être importés hors taxe, s’ils ne sont pas dispo-nibles sur place ou s’ils ne peuvent pas y être fabriqués. »

Intervention de l’Etat versus économie de marchéDe fait, entre l’Indonésie et l’AELE, deux conceptions différentes de la politique industrielle et du développement s’affrontent. Pour Martin Zbinden, cela va dépendre des conditions cadres que Jakarta est en mesure d’offrir aux investisseurs étrangers. « Chez nous, ce sont les entreprises qui investissent, pas l’Etat. Nous ne pouvons que garantir leurs investissements par le biais de la protection de la propriété intellectuelle et de la pro-priété juridique. » A quoi Soemadi Brotodiningrat rétorque que l’Indonésie respecte les droits de propriété intellectuelle, mais qu’elle veut un transfert de technologie. Et Martin Zbinden de répondre : « Chez nous, le transfert de technologie est du res-sort des entreprises privées, pas de l’Etat, et il ne peut se faire que par le biais des investissements. D’où la nécessité de créer des conditions cadres favorables. » A cet égard, un accord de promotion et protection des investissements existe entre les deux pays et il est en train d’être révisé. Concrètement, l’Indo-nésie veut inciter les investisseurs à ajouter de la valeur aux

produits sur place, au lieu de les exporter tels quels, et à amé-liorer leur qualité technique pour qu’ils répondent à nos stan-dards – sinon, cela ne sert à rien que la Suisse réduise ses droits de douane. Concernant le commerce de services, « qui est très asymétrique entre pays en développement et pays industria-lisés », l’Indonésie voudrait que les Etats de l’AELE acceptent d’accueillir des stagiaires en formation, par exemple dans le tourisme et l’hôtellerie.

Sur le chapitre de la durabilité, Martin Zbinden assure que des progrès ont été réalisés. « Nous proposons à l’Indonésie le chapitre modèle de l’AELE. Comme presque tous les pays en dé-veloppement, notamment asiatiques, elle a des réticences, car elle craint des velléités protectionnistes, mais son attitude est constructive. » En effet, Soemadi Brotodiningrat affirme préfé-rer une coopération sur l’environnement que de lier commerce et environnement. Il se déclare d’accord sur les normes fon-damentales de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Processus opaque et non démocratiqueCes précautions ne convainquent pas Ario Aditjo, directeur de l’Institut pour les études nationales et démocratiques à Jakar-ta. L’institut est membre de l’Alliance des peuples d’Indonésie, une large plateforme de plus de 50 organisations nationales et sept réseaux régionaux qui s’opposent à l’agenda libéral du gouvernement. « Nous critiquons les accords de libre-échange, parce qu’ils n’ont pas besoin d’être ratifiés par le parlement in-donésien – aussi corrompu soit-il. Le gouvernement a tous les pouvoirs et il ne consulte pas la société civile. Il y a un manque flagrant de transparence et de reddition des comptes. »

Selon lui, l’AELE exporte surtout des produits pharmaceu-tiques et des machines à haute technologie qui ne servent pas à l’industrialisation de son pays, puisque 70% du tissu indus-triel est composé de manufactures qui fabriquent des produits semi-finis. « L’AELE demande à l’Indonésie d’ouvrir trois autres secteurs : l’agriculture, les services et les investissements. Mais nous sommes un pays agricole et les services occupent une large partie des forces productives. L’Indonésie veut devenir un grand acteur commercial, mais pour cela elle devrait avoir une industrie forte – ce qui n’est pas le cas – et assurer d’abord la consommation et les besoins de sa population. »

Balance commerciale en faveur de la Suisse

ia En 2011, l’Indonésie a exporté pour 406 millions de dollars

vers la Suisse et importé pour 708 millions. Cela ne représente

que 0,2% et 0,4% respectivement du commerce extérieur

indonésien – fortement stimulé par la demande mondiale de

matières premières – et quasi les mêmes proportions pour la

Suisse : 0,22% du total de ses importations et 0,33% de ses

exportations. L’Indonésie est le principal exportateur mondial

d’huile de palme. A côté de cela, elle exporte du pétrole, du gaz

naturel, du charbon, des métaux précieux, des minerais, du

bois et du caoutchouc. Côté agriculture, du café, du cacao et

des crevettes. En matière industrielle, des textiles, des

chaussures, des biens électroniques et des machines élec-

triques.

« Nous critiquons les accords de libre-

échange, parce qu’il y a un manque fla-

grant de transparence et de reddition des

comptes. »

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8 GLOBAL+ ETE 2013

La DDC et les partenariats privé-public de développement

Manque de cohérenceNina Schneider Win-Win : tous en profitent. C’est ce que promet l’alliance entre l’Etat et l’éco-

nomie privée, la main publique et les entreprises en quête de profit. Une collaboration

qui n’est pas sans pierres d’achoppement.

La Direction du développement et de la coopération (DDC) suit la tendance internationale. Elle veut accroître son enga-gement avec les multinationales suisses. Alliance Sud a mis en question les nouvelles lignes directrices pour ses « partenariats privé-public de développement » (PPPD) : qui profite de cette collaboration ? La DDC prend-elle suffisamment en compte le fait que deux « modèles d’affaires » fondamentalement diffé-rents se télescopent dans les PPPD ? L’économie privée vit de la concurrence et de la maximisation du profit, ce qui implique notamment la protection des secrets d’affaires. La DDC en tant que bailleur de fonds public est, en revanche, tenue à la non-lucrativité et à la publication de ses données. Cela seul lui donne la légitimité de s’immiscer avec des projets dans les pro-grammes de développement des pays les plus pauvres.

Projets sauvagesLA DDC a esquissé ces défis de manière différenciée dans des lignes directrices publiées au début de cette année. Mais qu’en est-il en pratique ? L’évaluation des PPPD réalisés jusqu’ici se fait attendre depuis longtemps. Une consultante externe a été mandatée en mai et devrait fournir un rapport d’ici août. Il n’est pas sûr cependant qu’elle puisse répercuter les doutes

sur l’utilité et l’efficacité des PPPD. Selon le service de contrôle de la DDC, les données à disposition pourraient n’aboutir qu’à des considérations générales sur le volume des engagements en matière de PPPD, mais pas sur les questions d’ordre quali-tatif. Car nombre de partenaires privés n’ont jamais dû rendre des comptes de manière détaillée.

Cette situation est due aux structures décentralisées qui ont permis jusqu’ici à chaque département et bureau de coo-pération sur place d’initier des projets de partenariat avec des entreprises privées. C’est ainsi que sont nés de manière sau-vage une initiative de formation professionnelle en Afrique du Sud, un programme de Nestlé pour les producteurs de lait au Pakistan, un projet-pilote au plan mondial pour des micro-as-surances de la Zurich et un joint-venture avec l’industrie phar-maceutique pour le développement de nouveaux remèdes contre la malaria. Mais on n’a jamais évalué, dans ces pro-grammes, la relation entre l’utilité en termes de développe-ment et l’impact publicitaire pour les firmes. On ne s’est jamais demandé dans quelle mesure des entreprises – grâce aussi au label de la DDC – convoitaient ainsi de nouveaux marchés.

Principes mi-figue mi-raisinAvec ses nouvelles lignes directrices, la DDC entend régler de manière plus ferme les PPPD. Contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays européens, où des fonds richement dotés avec l’argent de la coopération ont été créés pour des PPPD, la DDC ne devrait initier de tels projets que lorsqu’ils sont supérieurs à d’autres formes de programme. Les ques-tions de savoir si les PPPD génèrent des sources de finance-ment nouvelles et supplémentaires ou s’ils sont aussi efficaces en termes de coût qu’on le prétend, sont très discutées au sein de la DDC. Cela reflète la critique fréquemment avancée que les PPPD ne seraient en réalité qu’une nouvelle forme d’« aide liée », c’est-à-dire – sous couvert de développement – une ma-nière cachée pour un pays de promouvoir sa propre économie.

Selon les lignes directrices de la DDC, la Suisse entend prendre ici d’autres chemins. Elle se présente moins comme une promotrice que comme une dompteuse de l’économie pri-vée. Ainsi, elle ne désire pas utiliser des activités déjà en cours d’entreprises suisses seulement à des fins de développement, mais aussi influer sur leur comportement écologique et so-cial. Il ne suffira plus à l’avenir pour une entreprise d’afficher son adhésion à une initiative volontaire comme le Pacte mon-dial de l’ONU. Au contraire, la DDC attend de ses partenaires privés des plans concrets pour le renforcement des droits hu-mains et du travail, la protection de l’environnement, ainsi que des concepts pour la résolution des conflits. Réjouissante

Critères pour des PPPD efficients

ns Pour garantir l’efficacité des PPPD en matière de

développement, plusieurs questions doivent être prises

en considération :

• A-t-on tiré les leçons des partenariats passés et

suffisamment étudié les alternatives ?

• Existe-t-il une plus-value de développement que

l’entreprise privée ne réaliserait pas sans un cofinance-

ment public ?

• Peut-on prévenir l’éviction d’entreprises locales ?

• Les droits humains et du travail ainsi que la protection

de l’environnement sont-ils respectés ?

• Va-t-on rendre des comptes de manière transparente et

vérifier les résultats de façon indépendante ?

• Les droits de regard sont-ils respectés dans les pays

récipiendaires et les savoirs locaux sont-ils utilisés ?

• Le choix des instruments obéit-il à un concept de

développement cohérent ?

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également est la volonté de la DDC de soumettre dorénavant tous les PPPD, pendant toutes les phases de programme, à un contrôle indépendant, pour autant cependant que cela ap-porte des éléments d’information pertinents sur leur utilité en matière de développement.

Sensibilité aux risques potentielsLa DDC se distancie également des projets visant la privatisa-tion des infrastructures publiques ainsi que des entreprises de matières premières, dont les modèles d’affaires reposent précisément sur le non-droit et l’impunité juridique dans les pays en développement. Elle se montre ainsi sensible aux risques potentiels des PPPD. A juste titre, car ce qui est en jeu – dans le pire des cas – est la bonne réputation de la coopé-ration suisse au développement. C’est pourquoi elle veut évi-ter que des entreprises usent de ressources publiques pour échapper à la stagnation économique dans les pays industria-lisés et conquérir de nouveaux marchés et champs d’investis-sement au Sud.

Les lignes directrices – c’est une nouveauté – men-tionnent la possibilité de mettre fin à des collaborations. La DDC tient cependant peu compte de la demande d’exclure de tels partenariats les multinationales auxquelles peuvent être reprochées des atteintes aux droits humains et à l’environne-ment. L’important pour la DDC n’est pas que les entreprises soient irréprochables partout dans le monde, mais qu’elles soient prêtes à reconnaître leurs fautes et à prendre les me-sures concrètes qui s’imposent en cas de plainte.

L’avenir dira si la DDC est prête à entériner la demande d’Alliance Sud de chercher davantage des partenariats avec

des services publics (par exemple dans les domaines de l’eau et des transports), des coopératives ou des entreprises locales, qui à coup sûr correspondraient mieux à son image de marque.

Absence de droit de regardLes risques de réputation pour la coopération publique au dé-veloppement – suite à des agissements peu scrupuleux et in-téressés de multinationales – ne sont pas le seul problème. Deux acquis centraux de politique de développement pour-raient être mis en péril par des PPPD. D’une part, le « principe d’appropriation » (ownership), qui intègre les gouvernements des pays récipiendaires dans les processus de décision. D’autre part, l’« utilisation des systèmes nationaux », qui exige une étroite collaboration avec les acteurs publics et privés locaux dans la mise en œuvre des programmes de développement. Ces deux aspects manquent dans les lignes directrices de la DDC. Font également défaut les possibilités de droit de regard et de plainte pour les personnes concernées. Cette lacune est d’autant plus frappante si l’on considère le nombre de plaintes rendues publiques ces derniers mois contre des entreprises suisses actives à l’étranger.

Forte de sa conviction que des programmes novateurs requièrent aujourd’hui la collaboration avec le secteur pri-vé, la DDC rejette tout soupçon général envers les PPPD. Très en vogue comme nouveaux instruments de la coopération au développement, les partenariats avec les grandes entre-prises comportent cependant le danger de contredire les ap-proches poursuivies jusqu’ici. Contre ce risque, des méthodes de contrôle adaptées à la logique d’affaires des multinatio-nales ne suffisent pas.

AG de la Zurich Financial Services,

mars 2012. La DDC a développé avec

la Zurich un projet-pilote de micro-

assurances au plan mondial. Elle n’a

cependant jamais évalué jusqu’ici la

relation entre l’utilité en termes de

développement et le gain publici-

taire pour l’assureur.

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100 milliards de dollars par an à partir de 2020. C’est la somme que les pays in-dustrialisés ont promis aux pays en déve-loppement pour les aider à faire face aux changements climatiques. Pour assurer la transition, ils se sont également engagés à verser 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012. Les ressources financières liées au climat devraient augmenter graduelle-ment dès 2013.

La conférence sur le climat de Doha en 2012 n’ayant débouché sur aucun engage-ment financier supplémentaire, les fonds manquent actuellement. Et les efforts vers un développement favorable au cli-mat sont menacés. Le non-respect des pro-messes rend plus difficile encore la conver-gence de vues pour un nouveau traité global sur le climat, qui devrait être sous toit en 2015 et valoir pour tous les Etats à partir de 2020. Il ne reste plus que trois rounds de négociations pour y parvenir. Le prochain aura lieu à Varsovie en novembre.

« Nouveau » n’égale pas « additionnel »La décision de Cancún exige que les en-gagements financiers du Nord soient « nouveaux et additionnels ». « Nou-veaux » signifie qu’il ne doit pas s’agir de ressources déjà décidées auparavant, « supplémentaires » que les moyens doivent s’ajouter à ceux de l’aide au dé-veloppement. Cela se justifie par le fait que les pays du Sud doivent assumer des coûts – générés par les changements cli-matiques – qui dépassent la lutte clas-sique contre la pauvreté et dont le Nord est pour une grande part responsable.

Ce n’est malheureusement pas ain-si que les choses se passent. La Suisse, par exemple, comprend « additionnel » au sens de « nouveau ». Elle suit les di-rectives de l’Organisation de coopéra-tion et développement économiques (OCDE) qui autorise les pays à comp-tabiliser comme « fonds climatiques » l’aide au développement dont ils es-timent, selon leurs propres critères, qu’elle contribue à la protection du cli-mat. En d’autres termes, on ne fait que verser beaucoup de vieux vin dans de nouvelles bouteilles.

Fonds privés controversésLa question reste entière de savoir com-ment les pays industrialisés entendent honorer leurs promesses financières. L’heure est à la levée des ressources privées par des fonds publics. Une ap-proche controversée, car il est diffi-

cile de savoir quels investissements et crédits du privé auraient de toute ma-nière eu lieu. De plus, les investisseurs ne tiennent le plus souvent pas compte des stratégies nationales de développe-ment, au risque de miner la responsabi-lité propre des pays récipiendaires (voir l’article « Manque de cohérence », p. 8). Toujours est-il que quelques Etats n’hé-sitent pas à comptabiliser les investisse-ments privés qu’ils ont mobilisés dans la réalisation de leurs engagements. Il manque à cet égard un système de reporting transparent permettant de comparer les volumes et les sources des contributions financières des différents pays.

Besoin de critères rigoureuxLa Suisse cherche à obtenir l’élabora-tion de critères, valables au plan inter-national, définissant quels investisse-ments privés et autres garanties contre les risques à l’exportation peuvent être affectés au financement des mesures climatiques. Selon une étude mandatée par l’Office fédéral de l’environnement, entre 0,5 et 2,7 milliards de francs de source privée auraient déjà été engagés dans des projets au Sud pouvant être as-sociés d’une manière ou d’une autre à des activités liées au climat. Sont com-pris les investissements dans des projets qui servent à compenser les émissions de gaz à effet de serre, conformément aux dispositions légales en vigueur.

De fait, si l’on soustrayait ces mon-tants et définissait d’autres standards minimaux garantissant la pertinence climatique, il ne resterait pas grand-chose. Cela vaut non seulement pour la Suisse, mais aussi au plan international où le potentiel des apports privés à la protection du climat – et donc à la ré-alisation des promesses financières du Nord – est surévaluée. Des critères ri-goureux sont plus que jamais néces-saires.

Nicole Werner

Mesures climatiques dans les pays du Sud

Un financement tout sauf transparentLes pays industrialisés ont promis en 2010 à la conférence de Cancún sur le climat de soutenir les

pays du Sud dans leurs efforts vers un développement compatible avec les changements climatiques.

Cela, avec des fonds nouveaux et additionnels. Deux ans et demi plus tard, le bilan est décevant.

Part de la Suisse au financement du climat

nw Faute de règles internationales, chaque pays industriel a défini lui-même sa

part aux 30 milliards de dollars promis pour la période 2010-2012. Dans sa

pondération, la Suisse a donné trois fois plus de poids à sa part aux émissions

globales de gaz à effet de serre (0,3%) qu’à sa part au revenu mondial (0,8%). La

contribution de 0,4% (140 millions de francs) qui en a résulté a été intégrée en

2010 dans le crédit supplémentaire pour la coopération au développement. La

faible pondération du revenu national est contestable, car la Suisse, en ce siècle,

a économiquement largement profité des émissions non réglementées à

domicile et à l’étranger.

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Bois de chauffage et éoliennes : deux formes d’énergie se

croisent à Kanyakumari (Sud de l’Inde).

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Haïti : faillite de l’aide humanitaire ?Raoul Peck, cinéaste et brièvement mi-nistre de la culture en Haïti, a consacré deux ans à la réalisation d’Assistance mortelle. Ce film constitue une charge violente contre l’échec de l’aide d’ur-gence qui a tenté de répondre à l’im-mense crise humanitaire provoquée par le séisme de janvier 2010. Le film a été diffusé sur Arte le 16 avril puis sur la RTS 1 dans le cadre de l’émission Histoire vivante, le 26 mai dernier. C’est peu dire qu’il a fait couler beau-coup d’encre, en Europe francophone comme en Haïti.

Le réalisateur dénonce une situa-tion qui n’aurait fait que se dégrader durant les trois dernières années. Il accuse les ONG, les gouvernements étrangers et les organisations inter-nationales d’être responsables de ce fiasco. Il va plus loin encore et consi-dère qu’ils entraînent activement Haï-ti vers une situation toujours plus

difficile. Pour plusieurs raisons : une gouvernance calamiteuse de l’aide, la non-prise en compte des autorités haïtiennes dans les processus de dé-cision, l’ignorance et parfois l’avidi-té des bailleurs, dont certains n’agi-raient que pour assouvir leur soif de reconnaissance, voire d’argent.

Le film témoigne d’une réalité dramatique et des difficultés réelles que les acteurs de l’aide – plus ou moins bien intentionnés et plus ou moins bien formés – rencontrent non seulement en Haïti, mais sur tous les terrains. Le propos cependant est telle-ment unilatéral et laisse le spectateur avec si peu de réponses qu’il convient de réagir et de donner accès à d’autres sources, afin de poser correctement les enjeux d’un débat grave. Ainsi, plusieurs projets d’ONG suisses conri-buent à la reconstruction du pays, no-tamment dans le domaine des écoles et de la formation des jeunes.

Les tuyaux• Assistance mortelle, Alliance Sud Documentation, 23 mai 2013, http ://goo.gl/8gfwM• Interview de Raoul Peck, Arte, 16 avril 2013, http ://goo.gl/Sp4BN• « “ Assistance mortelle ” : un film pour l’avenir », Haïti News 2000, 5 mai 2013, http ://goo.gl/taJZ3• « Ce n’est pas l’assistance qui est mortelle, mais l’absence de leader-ship qui tue ! », Jean-François Roose-velt, Rooseveltjf’s Blog, 19 avril 2013, http ://goo.gl/IzuHg• Pascal Fleury, « Des projets suisses font école en Haïti », La Liberté, 24 mai 2013, http ://goo.gl/upeqB

Pour plus d’informations:Centre de documentation d’Alliance SudAvenue de Cour 1, 1007 Lausanne,[email protected] ou 021 612 00 86www.alliancesud.ch/documentation.

Les bons tuyaux de la doc

L’empreinte de Pepo Hofstetter sur notre communication

Pepo Hofstetter a dirigé depuis 1999 les relations publiques d’Alliance Sud. Il a occupé et développé un service qui n’existait pas jusqu’alors. Il vient d’être débauché par les collègues d’Unia, dans une opération dont je ne saurais dire si elle est « amicale » ou « inamicale ».

Pepo est certainement un gain pour Unia. Il a fortement marqué notre com-munication à l’extérieur. Il a conçu et produit notre périodique GLOBAL+. Il a refondu et considérablement rafraîchi deux fois notre site web avec les collè-gues de la documentation. Il a ouvert une petite porte vers les médias sociaux, organisé nos conférences de presse, ré-digé nos communiqués. A côté de cela, Pepo désirait toujours avoir quelque chose de « juste » à accomplir.

Le baptême du feu de Pepo fut l’ac-compagnement de nos activités au Som-met social mondial de Genève en 2000. En même temps démarraient les prépa-ratifs pour trois campagnes de votation

dans lesquelles Alliance Sud était impliquée et qui se sont déroulées en 2002 : l’adhésion à l’ONU, la Fondation de solida-rité et l’abolition de la contribu-tion de la ville de Zurich à l’aide au développement. Pepo aimait organiser des manifestations et mettre son nez hors du bureau. Dès 2004 et jusqu’en mars der-nier à Tunis, il a ainsi notam-ment pris en charge et accompagné – avec E-changer – la délégation suisse au Forum social mondial.

Très tôt, Pepo m’avait signalé qu’écrire de longs textes n’était pas sa tasse de thé. Il arriva donc qu’il me de-mande, avec de l’impatience dans la voix, s’il pouvait entreprendre à nou-veau quelque chose d’une certaine en-vergure. La contribution de Pepo a été déterminante dans la campagne « 0,7% – ensemble contre la pauvreté ». Nous l’avons conçue en 2006, lancée en 2007

avec une pétition du même nom et clô-turée avec succès en 2012, quand le Par-lement a décidé d’augmenter le budget de la coopération au développement à 0,5% d’ici 2015. Ces deux dernières an-nées, Pepo s’est engagé dans la direction de la campagne « Droit sans frontières ». Il est maintenant, depuis avril, à la tête de la communication d’Unia. Nous lui souhaitons le meilleur et suffisamment de choses « justes » à accomplir.

Peter Niggli, directeur d’Alliance Sud

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Ressources documentaires

Lumières sur les matières premières« 500 entreprises et 10’000 personnes œuvrent en Suisse dans le secteur des

matières premières. […] La Suisse est l’une des plus importantes places de

négoce des matières premières du monde. » Voilà ce qu’écrivait le Conseil fé-

déral dans un communiqué de presse fin mars à l’occasion de la publication

de son Rapport de base sur les matières premières.

La complexité de cette problématique ne permet guère d’en faire le tour en

quelques lignes. Les ressources du centre de documentation d’Alliance Sud

sont précisément là pour vous permettre d’approfondir ce sujet, comme bien

d’autres.

Plusieurs dossiers électroniques thématiques – matières premières, multi-

nationales ou encore pétrole – sont à disposition du public. Ils sont en ligne

et librement accessibles. Le portail Multimedia permet d’aborder la question

des matières premières en sons et en images et le portail Globalia propose

une liste de sites web de référence.

Le papier est également un outil de choix pour étudier cette problématique.

Avec dix ans d’archives de presse classées en 28 thèmes et des centaines de

sous-thèmes, vous pourrez aborder la question des matières premières sous

l’angle des multinationales suisses, de la responsabilité sociale et environ-

nementale des entreprises ou encore de la fiscalité.

L’équipe de documentalistes professionnels d’Alliance Sud est à votre dispo-

sition. Ils travaillent quotidiennement à l’entretien et au renouvellement de

son fonds documentaire et sont là pour vous guider et vous conseiller dans

vos recherches. Ils n’attendent plus que votre visite !

Centre de documentation d’Alliance Sud, avenue de Cour 1, 1007 Lausanne ;

Tél.: 021 612 00 86 ; E-mail : [email protected] ;

Ouvert du lundi au vendredi, de 8h30 à 12h30 et de 13h30 à 17h30.

GLOBAL+ Avenue de Cour 1 | 1007 Lausanne | Téléphone 021 612 00 95

E-Mail: [email protected]

www.alliancesud.ch

1,25

dol

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Le nombre de per-sonnes qui souffrent de l’extrême pau-vreté (moins de 1,25 dollar par jour) a di-minué de moitié entre 1990 et 2010. Objectif atteint.

863

mill

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En 1990, 650 mil-lions de personnes vivaient dans des bi-donvilles. Elles sont aujourd’hui 863 mil-lions, dont 830 dans les pays en déve-loppement. Objectif manqué.

76 p

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En Afrique subsa-harienne, la propor-tion d’enfants ayant accès à l’école obli-gatoire a augmenté de 58 à 76 pour cent entre 1999 et 2010. Objectif partielle-ment atteint.

Faits et chiffresObjectifs du Millénaire

Sources : www.un.org ;

www.worldbank.org