Gonzalez Prada, Enjeu Symbolique en 1920

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    Manuel Gonzlez Prada :

    un enjeu symbolique dans le Prou des annes vingt

    Jol DELHOMCRILAUP et GRAL-CNRS

    Paru dans :Hommage des hispanistes franais Henry Bonneville, Tours,Socit des Hispanistes Franais de

    l'Enseignement Suprieur, 1996, p. 173-190.

    Tandis qu'on clbrait, en 1994, le centenaire de la naissance de Jos CarlosMaritegui, un autre anniversaire tait pass sous silence, celui de l'homme qui avaitinaugur une nouvelle tape de la pense pruvienne en y introduisant la dimensionsociale. Cette anne offrait pourtant deux excellentes occasions d'honorer sa mmoire :Manuel Gonzlez Prada est n le 5 janvier 1844 et la publication de son premierouvrage, Pjinas libres [sic], date de 1894. Si l'on mconnat, en France du moins, sacontribution intellectuelle l'dification du Prou moderne, c'est peut-tre que, dans sonpropre pays, on a parfois eu tendance la minimiser, voire l'occulter. Nul n'estprophte...

    Pourtant, la personne et l'uvre de Gonzlez Prada ont bien exerc une influencedterminante sur l'lite intellectuelle des annes 1920. Aprs sa mort, survenue le 22

    juillet 1918, la reconnaissance fut si unanime, par-del les sensibilits idologiques desuns et des autres, que chacun s'appropriait la figure emblmatique du Matre, reprenaitses ides et imitait parfois mme son style, dans une sorte de communion cumniqueen contradiction avec les passions antagoniques que le rebelle dchanait de sonvivant(1).

    Notre intention n'est pas d'tudier ici en dtail l'influence de Prada sur lagnration postrieure, mais simplement de nous intresser la dcennie qui suivit samort, pour observer les deux acteurs principaux de la scne politique pruvienne et leurmanire d'tablir avec lui un lien de parent.

    Immense fut le prestige de Manuel Gonzlez Prada pour la gnration montantedes Haya de la Torre (1895-1979) et des Maritegui (1894-1930), pour ne citer que lesdeux figures de proue de la littrature politique (2). Durant les trois dernires annes de

    1) Maritegui a pu en tmoigner : "Se ha propagado la moda de decirse herederos y discpulos dePrada. La figura de Gonzlez Prada ha corrido el peligro de resultar una figura oficial, acadmica.

    Afortunadamente la nueva generacin ha sabido insurgir oportunamente contra este intento."MARITEGUI, Jos Carlos - "Gonzlez Prada" - Amauta, Lima, III (16), juillet 1928, p. 13. Voir aussil'excellent article de WISE, David O. - "La Consagracin de Gonzlez Prada : maestros y epgonos, 1918-1931" - Cuadernos Americanos, Mxico, CCL (5), sept.-oct. 1983, p. 136-172.

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    ) Ajoutons, entre autres, pour la littrature et la posie, les modernistes Enrique Lpez Albjar (1872-1966) et Jos Santos Chocano (1875-1934), la gnration des "Colnidas", Jos Mara Eguren (1882-

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    sa vie, cinq journalistes viendront solliciter un entretien et, aprs sa mort, l'ensemble del'intelligentsia pruvienne va soudain se dcouvrir une fibre "pradienne". On luiconsacre une thse, des essais et des articles louangeurs (3). Sa pense engendre mme

    des ralisations politiques, telles que le Front des travailleurs manuels et intellectuelsqui s'inspire visiblement de son discours du 1er mai 1905 "El Intelectual y el obrero" (4).La vritable conscration vient ds 1922, lorsque la Fdration des tudiants du Prou,dirige par Vctor Ral Haya de la Torre, baptise les nouvelles Universits Populairesdu nom de l'crivain ftiche. Voil Gonzlez Prada canonis (5) !

    Dans un article qu'il lui consacre en 1925, Haya de la Torre raconte sessouvenirs, notamment leur premire rencontre la Bibliothque Nationale, le 26 avril1917, dix jours seulement aprs son arrive Lima. Les dernires phrases,particulirement mouvantes, rvlent l'importance de Prada dans la prise de consciencepolitique du jeune provincial :

    "Y en el mes que sigui a su muerte, yo sent hambre por primera vez ycomenc a comprender el dolor de los otros.

    Cuntas veces en mis amargos das de soledad y de privacin surga elrecuerdo de aquel viejo amigo, el nico que yo tuve, sin que l supieraquiz, en la poca en que alumbr en m la fe de una nueva vida!...Cuntas veces!" (6).

    Haya de la Torre, alors g de 22 ans, fut tout de suite attir, puis fascin, par lapersonnalit du "vieux combattant", dont il avait seulement entendu parler en bien dans

    1942), Enrique Bustamante y Ballivin (1886-1936), Federico More (1889-1955), Abraham Valdelomar(1888-1919), Csar Vallejo (1892-1938), Flix del Valle (1892-1950)... Ces trois derniers interviewrentG. Prada la fin de sa vie.

    3) Ramiro PREZ REINOSO lui consacre un livre en 1920 :Manuel Gonzlez Prada - Lima, Imp. Lux,1920, 223 p. Luis Alberto SNCHEZ soutient une thse qu'il publie en 1922 : Elogio de Don ManuelGonzlez Prada - Lima, Imp. Torres Aguirre, 1922, 143 p. En 1924, Luis VELAZCO ARAGN diteune anthologie de plus d'une vingtaine d'tudes critiques :Manuel Gonzlez Prada por los ms notablesescritores del Per y Amrica - Cuzco, Lib. e Imp. Rozas, 1924, 228 p. C'est galement en 1924 queparat la seconde dition, corrige et augmente, du livre de G. PRADA - Horas de Lucha -Callao, Tip.Lux, 1924, 361 p. En ce qui concerne les articles, ils sont trop nombreux pour que nous les mentionnionsici (pour la priode 1919-1925, nous en avons dnombr plus de vingt dans notre bibliographiepersonnelle, qui est loin d'tre exhaustive). Signalons, enfin, qu'en 1918 et 1919 paraissent galement en

    Espagne deux essais sur Prada dont l'cho sera important au Prou : le premier, de Miguel deUNAMUNO dans Ensayos -Madrid, Residencia de Estudiantes, 1918, VII, p. 115-122, et le second duPruvien Ventura GARCA CALDERN dans Semblanzas de Amrica - [Madrid], Biblioteca Ariel,[1919], p. 177-183.

    4) G. Prada y dclarait notamment : "[...] no hay diferencia de jerarqua entre el pensador que laboracon la inteligencia y el obrero que trabaja con las manos, que el hombre de bufete y el hombre de taller,en vez de marchar separados y considerarse enemigos, deben caminar inseparablemente unidos", Horasde lucha, in : G. PRADA, M. - Pginas libres. Horas de lucha ; prlogo y notas de Luis AlbertoSnchez - [Caracas], Biblioteca Ayacucho, 1976, p. 229.

    5) Le mot n'est pas trop fort puisque Luciano Castillo crira plus tard : "Se siente veneracin por sunombre, y se le ha elevado a la categora de un santo civil." CASTILLO, L. - "El Sentido vital de la obrade Gonzlez Prada" - Amauta, III (16), juillet 1928, p. 3.

    6) HAYA DE LA TORRE, Vctor Ral - "Mis recuerdos de Gonzlez Prada" - Sagitario, La Plata, III,

    1925, p. 329-334 ; reproduit dans PINTO, Willy - Manuel Gonzlez Prada : profeta olvidado (seisentrevistas y un apunte) -Lima, Ed. Cibeles, 1985, p. 89-103 (la citation provient de la p. 103).

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    les cercles ouvriers de Trujillo et que les bigotes prenaient pour le diable en personne (7).L'tudiant, qui rencontra quatre fois Prada, avait t frapp par un contraste saisissant :d'un ct, l'arrogante suffisance et surtout la vacuit des clbrits universitaires et

    politiques, dont les noms fleurissaient dans les colonnes de la presse nationale ; del'autre, l'aimable humilit mais aussi la force qui manaient de cet homme entour desilence. Il faut peut-tre voir dans ce "silence prmdit", comme l'crit Haya, une descauses du regain d'intrt de la nouvelle gnration pour Gonzlez Prada. A quois'ajoutent l'impact symbolique de sa dmission, en 1914, du poste de directeur de laBibliothque Nationale, pour ne pas cautionner le coup d'Etat du colonel Oscar R.Benavides, et l'cho suscit par la rdition madrilne de Pginas libres en 1915 (8).

    L'APRA (Alliance Populaire Rvolutionnaire Amricaine), mouvement fond en1924 par Haya de la Torre, se rclamera plus tard, de manire quasi permanente, de lapense de cet illustre prcurseur (9). Le chercheur Eugenio Chang Rodrguez, dont lesouvrages laissent paratre une sensibilit "apriste", affirme ce propos :

    "El Apra [...] reconoci desde el primer momento de su fundacin queGonzlez Prada era uno de sus precursores, y recalc, entre otros puntos

    programticos, algunos de los que don Manuel haba abogado por aos : lamoralidad, el descentralismo, la separacin del Estado y la Iglesia, laincorporacin del indio a la nacionalidad, la difusin de la literaturademocrtica para el pueblo porque la literatura debe cumplir una misin

    poltica y social. El Apra recibi su primer impulso socialista del Maestro pero no acept su teora anrquica; tom su antimilitarismo, suantigamonalismo y su desprecio por la dictadura del proletariado, ytambin su anticlericalismo; pero desech su anticatolicismo" (10).

    Jos Carlos Maritegui ne manqua pas non plus de revendiquer sa part del'hritage intellectuel, mme s'il devait en contester la valeur dix ans plus tard. Ds1916, il avait interview G. Prada afin que ce dernier donnt ouvertement son opinionsur la nouvelle gnration littraire runie autour de la revue Colnida. Une polmiqueopposait alors Enrique Lpez Albjar et Clemente Palma Abraham Valdelomar, CsarFalcn, Federico More et Maritegui, polmique suscite par un jugement de GonzlezPrada mis en priv et publi par Valdelomar dans La Prensa(11). Ds le dbut du

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    ) "Haba crecido oyendo decir que Gonzlez Prada era el demonio y viendo santiguarse a las viejascada vez que alguien recordaba su nombre",ibid., p. 95.8) GONZLEZ PRADA, M. - Pginas libres ; con un estudio crtico de Rufino Blanco-Fombona -

    Madrid, Sociedad Espaola de Librera, Biblioteca Andrs Bello, [1915], 302 p.9) Notons galement que la veuve de G. Prada, Adriana de Verneuil, par testament dat de 1946 (elle

    est dcde le 22 septembre 1948), fit de Haya de la Torre ou, dfaut, du "Partido Aprista Peruano oPartido del Pueblo", son lgataire universel ainsi que son excuteur testamentaire, sous la condition quesoit cr avec les biens lgus un "Muse Manuel Gonzlez Prada" (celui-ci, malheureusement, n'a jamaisvu le jour). Voir SNCHEZ, Luis Alberto - Nuestras vidas son los ros... (historia y leyenda de losGonzlez Prada) - Lima, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, 1977, p. 335-336.

    10) CHANG RODRGUEZ, Eugenio -La Literatura poltica de Gonzlez Prada, Maritegui y Haya dela Torre ; introd. de Germn Arciniegas - Mxico, Ed. de Andrea, 1957, p. 124. L. A. SNCHEZ, dans laplupart de ses travaux, revendique aussi Prada comme le prcurseur de l'APRA.

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    ) Valdelomar crivait : "El muy insigne prncipe de las letras nacionales y americanas, don ManuelGonzlez Prada afirmaba, hace poco, en privada charla, que la generacin de hoy es la ms fuerte,

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    reportage, ou plutt de ce qu'il appelle lui-mme la "conversation", Maritegui affirmeclairement l'admiration que sa gnration voue Prada, malgr son retrait de la viepublique : "[sus opiniones] Las exige una generacin que le admira. Yo vengo a

    turbarle en su retiro de pensador para pedirle que hable" (12). En ralit, bien qu' partirde 1910 G. Prada ne s'exprimt gure en public, il ne vivait pas reclus pour autant. Sonpouse et Luis Alberto Snchez, son biographe, notent que de jeunes crivainsfrquentant son fils Alfredo, lui rendaient visite son domicile, au moins depuis lapublication d'Exticas en 1911 (13). Flix del Valle, qui accompagnait Maritegui, fitdurant l'entretien une remarque trs flatteuse, que Prada accueillit d'un sourireapprobatif :

    "- Se podra decir de usted, seor, que est a la cabeza de la juventud yse estara en lo justo.[Et Maritegui commente :]

    Gonzlez Prada sonri ante la acertada lisonja. Y yo la celebr" (14).

    L'admiration du penseur socialiste ne s'teindra pas avec la disparition de Prada.Ds son premier numro, note David O. Wise, la revue Claridad, que dirigea Mariteguiaprs l'exil de Haya de la Torre en octobre 1923, invoquait l'esprit du Matre : "Claridad que es revista de juventud y de juventud libre, va en busca de la siembra luminosa delespritu altsimo de don Manuel Gonzlez Prada" (15). Et cinq ans plus tard, l'occasiondu 1er mai 1929, le bimensuelLaborreproduisait le discours de Prada "El Intelectual yel obrero" (16). Cependant, le sjour de Maritegui en Europe (octobre 1919-mars 1923),dcisif pour son adhsion au marxisme, n'avait pas t sans consquence sur sonattitude. La publication, en avril 1926, d'une tude o les loges attnuent peine la

    fecunda y valiosa de cuantas generaciones haya tenido este pueblo", La Prensa, Lima, 23 septembre1916, cit par PINTO, W.,Manuel Gonzlez Prada... [6], p. 51.

    12) CRONIQUEUR, Juan [MARITEGUI, Jos Carlos] - "Conversacin con don Manuel GonzlezPrada", El Tiempo, Lima, 2 octobre 1916, p. 2-3 ; reproduit par PINTO, W., Manuel Gonzlez Prada...[6], p. 49-64 (la citation est extraite de la p. 59).

    13) SNCHEZ, L. A., Nuestras vidas... [9],p. 236-237 et 262. Frquentaient la maison, "devenue uncnacle permanent", Valdelomar, Abril de Vivero, Bustamante y Ballivin, Maritegui, Eguren, F. More,F. del Valle et d'autres encore. La veuve de G. Prada, Adriana, signale que Bustamante y Ballivin et

    Eguren vinrent pour la premire fois en 1909 et visitrent Prada rgulirement par la suite, et queValdelomar et More ne commencrent le frquenter qu'aprs la publication du recueil de vers deG. PRADA - Exticas - Lima, Tipo. El Lucero, 1911, 168 p. Elle cite galement Percy Gibson. VoirGONZLEZ PRADA, Adriana de -Mi Manuel -Lima, Editorial Cultura Antrtica, 1947, p. 380 et 387.

    14) CRONIQUEUR, Juan, "Conversacin con..." [12], p. 63. La suite de l'entretien montre que Pradaavait lu tous les articles journalistiques du jeune Maritegui (p. 64). D'autres thmes littraires furentabords, mais ne sont pas rapports, et l'article finit sur ces mots : "Al escribir esta versin de unaentrevista tan noble siento el orgullo de ser el intrprete de los conceptos que le merece al gran maestrola generacin literaria a la cual pertenezco" (p. 64).

    15) Cit par WISE, D. O., "La Consagracin de Gonzlez Prada..." [1], p. 141, note 19. Sept numros deClaridadparurent Lima entre 1923 et 1924.

    16) Labor, Lima, n 8, 1er mai 1929, p. 1-2. Maritegui fit paratre dix numros (de novembre 1928 septembre 1929) de cette revue conue comme un supplment Amauta. Voir CHANG-RODRGUEZ,

    Eugenio - "El Indigenismo peruano y Maritegui", Revista Iberoamericana, Pittsburgh, L (127), avril-juin1984, p. 386-388.

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    svrit des critiques en est une incontestable manifestation (17). Cet essai sera reprisdeux ans plus tard dans la revue qu'il dirige, Amauta, et intgr dans les clbres Sieteensayos de interpretacin de la realidad peruana (1928), sous le titre "Gonzlez Prada".

    Attardons-nous un instant sur ce numro 16 d'Amauta qui rend hommage Prada, l'occasion du dixime anniversaire de sa mort, et dont l'organisation mmerevt une signification. Les trois premiers articles prparent le lecteur aux pointscruciaux de l'analyse de Maritegui, en reproduisant symboliquement la structure internede son essai. Celui-ci est ainsi prsent comme une synthse des tudes prcdentes,alors qu'il est sans nul doute leur source d'inspiration. En premire page, AntenorOrrego considre que l'uvre de Prada rompt avec le pass colonial et annonce une"nouvelle priode historique" ; Jos Eugenio Garro estime, en page deux, que "GonzlezPrada fu ntima, esencial e intrnsecamente un Poeta" ; enfin, en troisime page,Luciano Castillo dclare son message idologique dpass, mais confirme l'exemplarit

    de sa vie (18). L'article le plus critique est donc relgu en dernire position, comme uneinfamie que l'on cherche dissimuler (19). Une telle stratgie discursive suggre quePrada jouissait encore d'un grand prestige la fin des annes vingt.

    Glissons, nous aussi, sur les loges (rejet du pass colonial et de l'litisme,enrichissement de la littrature nationale, lien tabli entre littrature et politique), pournous intresser au contrepoids ngatif de l'essai de Maritegui. Ce dernier regrette chezPrada, dont il dit cependant qu'il est le "premier instant lucide de la conscience duProu", un manque de ralisme qui se traduit par l'absence d'un programme, d'unedoctrine valeur pratique et scientifique : "Gonzlez Prada no interpret este pueblo,no esclareci sus problemas, no leg un programa a la generacin que deba venirdespus" (20). Il l'explique par son temprament fondamentalement littraire etaristocratique qui l'entrana plutt vers un anarchisme individualiste :

    "Gonzlez Prada fue ms literato que poltico. El hecho de que latrascendencia poltica de su obra sea mayor que su trascendencia literariano desmiente ni contrara el hecho anterior y primario, de que esa obra, ens, ms que poltica es literaria" (21).

    17) "Peruanicemos al Per", publi en trois parties dansMundial, Lima, VI, n 305, 306 et 307, les 16,

    23 et 30 avril 1926, selon WISE, D. O., "La Consagracin de Gonzlez Prada..." [1], p. 142, note 21.18) ORREGO, Antenor - "Prada, hito de juvenilidad en el Per", Amauta, Lima, III (16), juillet 1928,p. 1 ; GARRO, J. Eugenio - "Sobre la obra potica de Gonzlez Prada", ibid., p. 2, 3 et 4 ; CASTILLO,Luciano - "El Sentido vital de la obra de Gonzlez Prada", ibid., p. 3.

    19) En 1927, un article de Miguel Angel Urquieta prsentait dj cette ambivalence et tendait aussi minimiser l'importance idologique de Prada pour les nouvelles gnrations. L'auteur crivait, aprs unlong pangyrique prcdant la critique : "Voy diciendo todo esto para dejar sentado, antes de seguiradelante, mi devocin por Gonzlez Prada." URQUIETA, M. A. - "Gonzlez Prada y [Lino] Urquieta",

    Amauta, I (5), 1927, p. 25-29 (la citation provient de la p. 25). Cet article suscita une rplique deFrancisco Chuquihuanca Ayulo, qui souligna malicieusement la roublardise de M. A. Urquieta : "Ciertoque U. hace el frvido elogio del Maestro; y bien podra U. decir que he tomado las hojas del rbano.Pero esas hojas... achican tanto su raz..." CHUQUIHUANCA AYULO, F. -"Carta periodstica de unindio", Amauta, II (7), 1927, p. 13-15 (la citation est de la p. 15).

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    ) MARITEGUI, "Gonzlez Prada"[1], p. 8.21)Ibid., p. 13.

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    On pourrait objecter que c'est prcisment le caractre utopique, moral et nonpragmatique de son message politique qui en assure la prennit et l'universalit. De cepoint de vue, Prada fut une aussi grande figure politique que littraire et l'absence de

    systme rsultait logiquement d'une conception thique de la politique. N'crivait-il paslui-mme : "La verdadera poltica se reduce a una moral en accin" (22) ? Par ailleurs, ilfut tout le contraire, et Maritegui ne pouvait l'ignorer, d'un idaliste romantique, inapteau ralisme ; il suffit, pour s'en convaincre, d'examiner son attitude patriotique face auChili, en dpit de fermes convictions anti-militaristes et internationalistes (23). A la fin desa vie, sa rigidit doctrinale, son intransigeance quant aux principes guidant l'action, sonrejet de toute autorit et son amour de la libert, de la justice et de la vrit avaient faitde lui "le symbole de la pense anarchiste" (24). Et n'est-ce pas l, au fond, ce qui gnaitun Maritegui dsormais convaincu de la supriorit scientifique du marxisme ? Pradatait devenu un symbole dangereux qu'il fallait neutraliser. C'tait probablementl'objectif des critiques portant sur son manque de ralisme et son temprament littraire

    et aristocratique :

    "[Prada] Predic realismo. [...]Pero l mismo no consigui nunca ser un realista. De su tiempo fue el

    materialismo histrico. Sin embargo, el pensamiento de Gonzlez Prada,que no impuso nunca lmites a su audacia ni a su libertad, dej a otros laempresa de crear el socialismo peruano. Fracasado el partido radical, diosu adhesin al lejano y abstracto utopismo de Kropotkin. Y en la polmicaentre marxistas y bakuninistas, se pronunci por los segundos. Sutemperamento reaccionaba en ste como en todos sus conflictos con larealidad, conforme a su sensibilidad literaria y aristocrtica" (25).

    22) G. PRADA, M. - "Pirola" - Figuras y figurones (Manuel Pardo, Pirola, Romaa, Jos Pardo) -Paris, Tipo. Louis Bellenand et Fils, 1938, p. 207.

    23) G. Prada crit, par exemple : "Abandonemos el romanticismo internacional y la fe en los auxiliossobrehumanos: la Tierra escarnece a los vencidos, y el Cielo no tiene rayos para el verdugo" et"Viviendo en las regiones de las teoras, olvidamos que los estados no se rigen por humanitarismoromntico ni ponen la mejilla izquierda cuando reciben una bofetada en la derecha [...]", Pginas libres[4], respectivement "Discurso en el Politeama", p. 46, et "Per y Chile", p. 51. La guerre du Pacifique(1879-1883) opposa le Prou et la Bolivie au Chili, qui convoitait les exploitations de salptre. Lima fut

    occupe (1881-1883) et les Chiliens annexrent la province littorale de Tarapac ainsi que lesdpartements de Tacna (restitu en 1929) et Arica. Cette droute dtermina l'entre de Prada dans l'arnepolitique pour dnoncer la caste au pouvoir, responsable ses yeux de la dfaite.

    24) F. Chuquihuanca Ayulo crivait, en rponse l'article de Miguel Angel Urquieta qui fustigeait lesocialisme "un peu clectique et contradictoire" du Matre, lui reprochant son "patriotisme l'ancienne" :"Dice U. "Las juventudes del Per no han tomado el nombre de Gonzles [sic] Prada como un smbolopor el mayor o menor radicalismo de sus principios socialistas en el sentido de hoy, sino por sudesorbitada irreductible pasin por la libertad. Gonzles Prada era ante todo un libre pensador en la msexacta acepcin de la palabra".No s a que [sic] juventudes se refiera [sic] U.; pero si es a las socialistasavanzadas y a las anarquistas, que son las nicas que toman como un smbolo el nombre de GonzlesPrada, muestra U. que no las sigue; o que quiere dar lmites a su pensamiento que nadie pudo darlos.Esas juventudes viven al da, y no pueden inscribir el nombre de Gonzles Prada en su bandera, sinocomo el smbolo del pensamiento anarquista." CHUQUIHUANCA AYULO, "Carta periodstica..." [19],

    p. 14.25) MARITEGUI, "Gonzlez Prada" [1], p. 13.

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    Le discours de Maritegui ne laisse subsister aucune quivoque : il tablit unequivalence positive entre les termes "ralisme", "matrialisme historique", "socialisme"et "marxistes", qu'il oppose la srie ngative "utopie de Kropotkine", "bakouninistes",

    "sensibilit littraire et aristocratique".

    L'apprciation du parti radical Unin Nacional, fond par Gonzlez Prada en1891, semble galement trs svre (26), compte tenu du fait que son programme est, notre connaissance, le premier en son genre au Prou et qu'il manifeste une certainemodration, une volont de composer pour unir, laquelle Prada ne cdera plus par lasuite. On ne peut, du reste, le tenir pour responsable des errements de ce parti. En effet, peine quinze jours aprs sa fondation, Prada s'embarquait pour l'Europe o il devaitrester sept ans et o sa pense allait se radicaliser (27). Ce n'est pas ici le lieu d'tudier demanire dtaille ce programme qui suppose, contrairement ce que dit Maritegui, uneanalyse pralable de la ralit nationale, mais signalons tout de mme qu'il se veut

    pragmatique, qu'il affirme le droit des Indiens la proprit comme lmentfondamental de la citoyennet, qu'il dnonce l'utilisation de la politique des finspersonnelles et prne le dbat d'ides, qu'il prconise le fdralisme, une vritabledmocratisation de la vie publique fonde sur la responsabilit devant les lecteurs etsur la reprsentation parlementaire des minorits, le suffrage universel direct et sansexclusion des rsidents trangers, une rforme du systme fiscal favorisant l'impositiondirecte, une rforme de l'arme et de la dfense nationale, et qu'il vise lgaliser etgarantir les principales liberts individuelles et publiques. En ce qui concerne le chapitresocial, citons simplement les points VII et VIII :

    "VII - Elevar la condicin social del obrero.

    VIII - Recuperar, por iniciativa oficial, las propiedades usurpadas a lascomunidades indgenas" (28).

    Si le premier n'affirme qu'une vague intention, le second, plus concret, ne rompt-il pasvraiment avec la tradition librale ? Certes, il s'agit davantage d'une dclaration deprincipes que d'un rel programme, mais son caractre progressiste, et mmervolutionnaire pour 1891, est indniable (29). Ce parti radical est surtout, pour

    26) Maritegui dclare : "La filiacin literaria del espritu y la cultura de Gonzlez Prada, esresponsable de que el movimiento radical no nos haya legado un conjunto elemental siquiera de estudiosde la realidad peruana y un cuerpo de ideas concretas sobre sus problemas. El programa del Partido

    Radical, que por otra parte no fue elaborado por Gonzlez Prada, queda como un ejercicio de prosapoltica de "un crculo literario". Ya hemos visto cmo la Unin Nacional, efectivamente, no fue otracosa", ibid., p. 13-14. Notons que L. A. Snchez prtend, lui, que le programme du parti fut labor parG. Prada (SNCHEZ, L. A. - Don Manuel : biografa de Manuel Gonzlez Prada, precursor de larevolucin peruana - 3 ed. corregida, 1 ed. 1930, Santiago de Chile, Ercilla, 1937, p. 138).

    27) A son retour, il censura dans son discours "Los partidos y la Unin Nacional" (21 aot 1898 ; in :Horas de lucha [4]) une partie du comit de direction qui avait amorc un rapprochement avec le partilibral d'Augusto Durand, dans la perspective des lections prsidentielles. Il s'loigna ensuiteprogressivement du parti qui trahissait ses principes fondateurs, jusqu' son auto-exclusion le 11 avril1902 (cf. en annexe Horas de lucha (1924) [3],la lettre de Prada Francisco Gmez de la Torre du 30avril 1902).

    28) SNCHEZ, L. A.,Nuestras vidas... [9],p. 124 (le programme est reproduitp. 122 126).29) A ceux qui critiquaient l'absence d'un programme prcis, Prada rtorquait en 1898, avec une pointe

    d'ironie : "Piden algunos que toda palabra o manifiesto de la Unin Nacional encierre tanto un programa definido y completo, cuanto una frmula para solucionar problemas no solucionados en

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    Maritegui, l'exemple qui peut infirmer son jugement, en montrant un homme ancrdans le rel et prenant des responsabilits politiques. Cela suffit expliquer sa svrit.

    Tout en affirmant premptoirement que "La ideologa de Pginas Libres y deHoras de Lucha es hoy, en gran parte, una ideologa caduca", Maritegui dclare resterfidle "l'esprit" de G. Prada :

    "Los jvenes distinguen lo que en la obra de Gonzlez Prada hay decontingente y temporal de lo que hay de perenne y eterno. Saben que no esla letra sino el espritu lo que en Prada representa un valor duradero. Los

    falsos gonzlez-pradistas repiten la letra; los verdaderos repiten elespritu" (30).

    De l rduire son influence une simple valeur morale, il n'y a qu'un pas, vite franchi

    au demeurant :"He dicho ya que lo duradero en la obra de Gonzlez Prada es su espritu.

    Los hombres de la nueva generacin en Gonzlez Prada admiramos yestimamos, sobre todo, el austero ejemplo moral. Estimamos y admiramos,sobre todo, la honradez intelectual, la noble y fuerte rebelda" (31).

    Cet habile distinguo, en conclusion de l'essai, permet Maritegui de minorer lacontribution idologique du prcurseur encombrant et d'carter de la filiation lgitimetous les adversaires politiques qui s'en rclament, ceux qui suivent "la lettre" : lesanarchistes en 1926, probablement aussi les partisans de l'APRA en 1928. En dehors de

    son adhsion au matrialisme historique, il ne se risque pas noncer ce que lui-mmeapporte de nouveau, ce qui le distingue. Voulant minimiser le rle de Prada et grandir lesien, Maritegui avoue maladroitement que le seul tort du penseur libertaire est d'avoireu raison trop tt, et donc qu'il n'y a pas de diffrence fondamentale entre leurs ides,d'un point de vue pratique : "Le toc a Gonzlez Prada enunciar solamente lo quehombres de otra generacin deban hacer" (32).

    Le discours de Maritegui, par un double travail idologique, cherche donc confisquer un hritage politique qu'il prtend dpasser (33). Mais dans quelle mesure la

    ningn pueblo de la Tierra. Si la Humanidad hubiera resuelto sus problemas religiosos, polticos y

    sociales, el Planeta sera un Edn, la vida un festn. Un partido no puede ni debe condenarse a seguir unprograma invariable y estricto como el credo de una religin; basta plantar algunos jalones y marcar elderrotero, sin fijar con antelacin el nmero de pasos. La Unin Nacional podra condensar en doslneas su programa: evolucionar en el sentido de la ms amplia libertad del individuo, prefiriendo lasreformas sociales a las transformaciones polticas.", "Los Partidos y la Unin Nacional",Horas de lucha[4], p. 214.

    30) MARITEGUI, "Gonzlez Prada" [1], p. 13 et 15. On lit galement la p. 14 : "Por stas y otrasrazones, si nos sentimos lejanos de muchas ideas de Gonzlez Prada, no nos sentimos, en cambio,lejanos de su espritu."

    31)Ibid., p. 15.32)Ibid., p. 13.33) Maritegui cherche une justification chez Prada lui-mme en crivant : "Pienso, adems, por mi

    parte, que Gonzlez Prada no reconocera en la nueva generacin peruana una generacin de discpulos

    y herederos de su obra si no encontrara en sus hombres la voluntad y el aliento indispensables parasuperarla", ibid., p. 15. On retrouve la mme ide et le mme vocabulaire dans l'article de Luciano

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    ralit vient-elle confirmer cette prtention du discours ? Si on essaye de rpondrepartiellement cette question en tudiant la faon dont est trait le fameux "problmeindien", sujet fort dbattu l'poque, on serait tent de conclure que l'mancipation

    intellectuelle n'a pas eu lieu, contrairement aux apparences. Comme l'a soulignE. Chang-Rodrguez (34), le premier article indigniste de Maritegui, "El Problemaprimario del Per" (Mundial, 9 dcembre 1924), reprend trs directementl'argumentation dploye par G. Prada dans "Nuestros indios" (35), et l'essai "ElProblema del indio", qui figure dans Siete ensayos, n'apportera aucune nouveautsubstantielle. Avant que le problme ne soit pos en termes de classes par le critiquemarxiste, n'avait-il pas dj t rattach la possession de la terre et envisag sous unrapport entre exploiteurs et exploits ? Sans vouloir remettre en cause le rle historiquede Maritegui et ses mrites personnels, force est de constater que son analyse socio-conomique de la question indienne, d'ailleurs partage par les apristes, ne fait quedvelopper la pense de Prada, ce qui conduit Chang-Rodrguez crire : "[...] la

    concepcin mariateguiana del indio es ms gonzalezpradista que bolchevique [...]" (36).Le discours des Siete ensayos, reproduit mme l'ambigut de la conception pradiennede l'Indien, la fois lyrique et sociologique, raciale et conomique, dans laquelle laperspective politique prdomine sans parvenir supplanter totalement la dimensionmythique (37). On ne peut donc que s'tonner de l'injuste censure que Maritegui adresse son prcurseur en le taxant de philanthrope optimiste et moralisateur (38).

    Castillo qui, en bon lve copie son matre, mais avec moins de talent et de nuances : "Y el deber en elcaso de Gonzlez Prada es el de seguirlo, superndolo. [...] Se ha hecho justicia al valor de su vida.Pero ideolgicamente ha sido superado. [...] Y como la nueva generacin se forma en una poca en quehay otra sensibilidad y otro estado de conciencia que dominan el mundo, incorporada a ellos, est

    escribiendo, ms con el acto que con la palabra, su propio mensaje, y enriqueciendo y superando elacerbo ideolgico que dejara el Maestro y haciendo sobre todo de su vida ms que de su obra unsmbolo de renovacin." CASTILLO, L., "El Sentido vital..." [5], p. 3.

    34) CHANG-RODRGUEZ, E., "El Indigenismo peruano..." [16], p. 375.35) Cet essai, crit en 1904 mais rest inachev, fut incorpor dans la seconde dition de Horas de

    Lucha (1924), publie quelques mois aprs le retour d'Europe de Maritegui. Dans le n 16 d'Amauta, oil est reproduit, il occupe les p. 4 7 et prcde immdiatement l'analyse de Maritegui qui figure dans lesp. 8, 13, 14 et 15. C'est en raison de l'importance donne ainsi au problme indien dans ce numrod'Amauta que nous l'abordons notre tour, tout en tant conscient qu'il ne s'agit l que d'un aspect limitd'un ensemble beaucoup plus vaste, dont l'tude exhaustive pourrait seule apporter une rponse laquestion que nous posons.

    36) CHANG-RODRGUEZ, E., "El Indigenismo peruano..." [16], p. 388.37) Cf. FERRARI, Americo - "El Concepto de indio y la cuestin racial en el Per en los Siete ensayos

    de Jos Carlos Maritegui" - Revista Iberoamericana, Pittsburgh, L (127), avril-juin 1984, p. 395-409.Prada et Maritegui concident galement dans un certain mpris pour la race noire.38) La citation est un peu longue, mais il convient de la reproduire in extenso par souci de clart.

    Maritegui crit : "La tendencia a considerar el problema indgena como un problema moral, encarnauna concepcin liberal, humanitaria, ochocentista, iluminista, que en el orden poltico de Occidenteanima y motiva las "ligas de los Derechos del Hombre". Las conferencias y sociedades antiesclavistas,que en Europa han denunciado ms o menos infructuosamente los crmenes de los colonizadores, nacende esta tendencia, que ha confiado siempre con exceso en sus llamamientos al sentido moral de lacivilizacin. Gonzlez Prada no se encontraba exento de su esperanza cuando escriba que la "condicindel indgena puede mejorar de dos maneras: o el corazn de los opresores se conduele al extremo dereconocer el derecho de los oprimidos, o el nimo de los oprimidos adquiere la virilidad suficiente paraescarmentar a los opresores"." MARITEGUI, J. C. - "El Problema del indio", in : Siete ensayos deinterpretacin de la realidad peruana ; prl. de Anibal Quijano, notas y cronologa de Elisabeth Garrels -

    Caracas, Biblioteca Ayacucho, 1979, p. 23-24. A toutes fins utiles, ajoutons que six phrases aprs l'extraitcit par Maritegui, Prada dclare, rendant toute quivoque impossible, en conclusion de l'essai : "En

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    Sur le terrain de l'indignisme, l'innovation serait plutt du ct de Haya de laTorre qui, sans renier sa filiation, dveloppe une argumentation anti-imprialiste et optepour une approche rsolument internationaliste, faisant de l'indianit le facteur central

    de l'unit amricaine (39). Son espoir de voir renatre le "communisme primitif des Incas"sous une forme moderne n'est pas, non plus, driv de la pense de G. Prada. Ce dernieravait en effet rcus tout passisme millnariste, tel celui de Valcrcel : "cabe hoysemejante restauracin? Al intentarla, al querer realizarla, no se obtendra ms que elempequeecido remedo de una grandeza pasada" (40).

    Il est ais de comprendre pourquoi Maritegui, aprs sa conversion au marxisme,se livre une appropriation dichotomique ("esprit" vs "lettre") du patrimoine gonzalez-pradien et des attaques frisant la mauvaise foi. Le personnage Prada, dont la vie futmoralement exemplaire au point que mme ses adversaires admiraient son abngation,sa rectitude et sa probit (41), tait devenu un symbole quasi religieux pour la jeunesse

    progressiste et le mouvement ouvrier. David O. Wise a bien montr comment son culteavait t favoris sous les deux mandats d'Augusto B. Legua, avant de se retournercontre le pouvoir autoritaire de ce prsident (42). L'homme tait donc sacr, intouchable.

    resumen: el indio se redimir merced a su esfuerzo propio, no por la humanizacin de sus opresores.Todo blanco es, ms o menos, un Pizarro, un Valverde o un Areche", "Nuestros indios", Horas de lucha[4],p. 343.

    39) "El problema indgena, es, pues, econmico, social y eminentemente internacional. Sostengo que lafuerza de la unidad americana no est en lo de europeo que nos envuelve, sino en lo indgena que nosarraiga" (p. 188) ; "No necesito extenderme ms, para repetir algo que he escrito y he dicho muchasveces: el imperialismo en nuestros pases tiene su aliado en el latifundista, cuya clase es duea del poder

    poltico, y cuenta con la explotacin de nuestras clases trabajadoras, especialmente de nuestrostrabajadores indgenas para hacer de ellos sus mejores instrumentos de explotacin. El imperialismo,enemigo de nuestros pases es el peor enemigo del indio. [...] En esto, el problema tambin esinternacional, es comn a todos los pases de Amrica. [...] Por eso, todo intento de liberacin social ennuestros pases, est relacionado con el gran problema general que plantea el imperialismo" (p. 190-191). Ces citations sont extraites d'une lettre de Haya au "Grupo Resurgimiento" de Cuzco, crite en 1927ou 1928, qui figure dans HAYA DE LA TORRE, V. R. - Obras completas - Lima, Ed. Juan Meja Baca,1984, 2 ed., t. 1, p. 181-191.

    40) G. PRADA, "Nuestros indios", Horas de lucha [4],p. 342-343.41) Les conservateurs avaient, aprs sa mort, tent de s'approprier le personnage. "El sembrador de

    ideales, el precursor de un nuevo espritu, por la interpretacin vital del pueblo, de un solo golpe fuearrebatado a los conservadores que coqueteaban pos muerte con su nombre y su obra. Ha tiempo quenuestros polticos profesionales han renunciado a citarlo. Se ha destacado tanto su carcter doctrinario,

    que corren el peligro de aparecer sospechosos al ambiente conformista en que se nutren", crivaiten1928 CASTILLO, L., "El Sentido vital..." [5], p. 3.42) A. B. Legua fut d'abord prsident de la Rpublique de 1908 1912, puis de 1919 1930. En 1912,

    il nomme Prada directeur de la Bibliothque Nationale, puis, partir de 1919, il prend son nom pouremblme du combat politique contre le "Partido Civil". David O. Wise montre, dans son article, quePrada a connu,post mortem, une sorte d'tat de grce correspondant trois moments du second mandat deLegua. De 1919 1922, le culte de Prada est en phase avec la rpression dirige par le ministre del'Intrieur, cousin du prsident, Germn Legua y Martnez (c'est cet ancien membre du Cercle littrairedirig par G. Prada et de la Unin Nacional qui avait su le convaincre d'accepter la direction de laBibliothque Nationale) contre le "civilisme" menaant pour le rgime ; G. Prada acquiert ainsi un statutquasiment officiel. A partir de 1922, l'loge de Prada, qu'il soit mani par l'aile conservatrice ou par la

    jeunesse dsenchante de la Patria Nueva, sert censurer le pouvoir autoritaire ; l'anarchiste redevientsubversif. Enfin, aprs 1928, Prada semble tre invoqu moins frquemment et faire l'objet d'un regard

    plus critique, notamment de la part du courant mariatguiste. Cf. WISE, D. O., "La Consagracin..." [1],p. 165-172.

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    Plus encore, dans un pays o les anarchistes avaient jou le premier rle sur le terraindes luttes sociales, il tait ncessaire d'invoquer Prada, afin d'asseoir la lgitimithistorique de tout mouvement politique de gauche. L'article crit par Haya de la Torre

    en 1925 (v. supra), un an aprs la fondation de l'APRA, peut aussi tre interprt decette manire, surtout si l'on tient compte de l'exil de l'auteur (43). Mais cette inscriptiondans la continuit exigeait, en parallle, de se dmarquer des hritiers lgitimes, lessocialistes libertaires, dont l'idologie s'opposait celle de Maritegui dans un contextede fortes rivalits politiques : comment un marxiste lniniste aurait-il pu se montrer enparfait accord avec un anarchiste ? D'o l'insistance de Maritegui pour sparer "l'esprit"de la "lettre" et l'obligation de masquer les critiques par des loges. Les "faux gonzlez-pradiens" qu'il dnonce en 1926, ce sont bien les anarchistes auxquels les communistesdisputent la direction du mouvement ouvrier. Les annes 1925 et 1926 sont en effet, auProu, des annes critiques pour un anarcho-syndicalisme entr en crise vers 1921 et quin'exercera pratiquement plus aucune influence la fin de 1927 (44). On se souviendra du

    prcdent de la Rvolution russe qui vit l'limination des anarchistes par les bolcheviks,notamment de 1919 1921, alors que Maritegui se trouvait en Europe...

    1926 est donc l'anne d'une prise de distance tactique et il n'est pas surprenantque la question indienne, qui monopolise dj le dbat et va bientt jouer le rle d'uncatalyseur politique (45), serve de tremplin. Maritegui cherchait manifestement valoriser l'approche marxiste face la pense d'un anarchiste qui l'avait, sur ce thme,prcde de plus de vingt ans. Sans avoir au pralable dprci la pense de Prada,comment aurait-il pu affirmer, en 1928, la "nouveaut" de sa thse, en titrant : "ElProblema del indio. Su nuevo planteamiento" ? Comment aurait-il pu dclarer, ds lespremire lignes :

    "Todas las tesis sobre el problema indgena, que ignoran o eluden a stecomo problema econmico-social, son otros tantos estriles ejerciciosteorticos - y a veces slo verbales -, condenados a un absoluto descrdito.

    No las salva a algunas su buena fe. Prcticamente, todas no han servidosino para ocultar o desfigurar la realidad del problema. La crticasocialista lo descubre y esclarece, porque busca sus causas en la economadel pas [...]" ?

    43) La nature politique ayant horreur du vide, la popularit du courant apriste va dcrotreconsidrablement entre 1928 et 1930, au bnfice des mariatguistes qui occupent l'espace laiss vacant.Ce n'est qu'en 1931, avec le retour de Haya de la Torre et aprs le dcs de Maritegui, que la situation serenversera.

    44) En 1926, disparat l'organe anarchiste le plus ancienLa Protesta, qui tait publi depuis 1911. Dansl'article dj mentionn de F. Chuquihuanca Ayulo, une rfrence La Protesta a suscit une "note de lardaction" d'Amauta qui tmoigne du conflit idologique : "A "La Protesta" se le podra aplicar la frasede Unamuno: revista que envejece, degenera. Lo mismo se podra decir del grupo anarquista que laredactaba y que, disgregado y negativo, ha tenido en los ltimos tiempos una funcin disolvente." CHUQUIHUANCA AYULO,"Carta periodstica..." [19], p. 14.

    45) C'est en fvrier-mars 1927 que se produira la fameuse polmique sur l'indignisme qui opposaMaritegui L. A. Snchez, dans Mundial (cf. La Polmica del indigenismo, textos y documentos

    recopilados por Manuel Aquzolo Castro, prlogo y notas de L. A. Snchez - Lima, Mosca Azul Ed.,1976).

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    Ou encore dans "Sumaria revisin histrica" : "La propagacin en el Per de las ideassocialistas ha trado como consecuencia un fuerte movimiento de reivindicaconindgena"(46) ?

    La seconde publication, en 1928, de l'essai sur Gonzlez Prada sert probablementle mme objectif de dmarcation, mais cette fois l'gard des apristes qui lerevendiquent aussi comme prcurseur et qui ont t rejoints par un certain nombred'anarcho-syndicalistes. Il faut en effet souligner que l'hommage ambivalent rendu Prada dans le numro 16 d'Amauta concide avec la rupture entre Maritegui et Haya dela Torre, qui se dessinait depuis 1927, mesure que Haya s'loignait des orientations dela Troisime Internationale. Bien qu'intervenue en mai, la suite de la transformation del'APRA en parti, la rupture sera entrine par le clbre ditorial d'Amauta de septembre1928, dans le numro qui suit immdiatement celui consacr Prada (47). A l'vidence,chaque parution du fameux essai jalonne une nouvelle tape du combat idologique de

    Maritegui, la figure de Prada servant tout la fois d'ancrage et de repoussoirsymbolique.

    A partir de 1929, le contenu des rfrences G. Prada refltera la fracture de lagauche pruvienne : toujours positif pour les apristes, de plus en plus ngatif pour lesmariatguistes. L'essai Per: problema y posibilidad(1931) de l'historien Jorge Basadreen est un exemple des plus significatifs. Dans le chapitre sept, qui a pour titre"Ubicacin sociolgica de Gonzlez Prada", celui-ci est prsent comme un bourgeoissnob, anim par le ressentiment. L'auteur conclut son analyse par un jugement sansappel en faveur de Maritegui, dcd prmaturment l'anne prcdente :

    "Entre Prada y Jos Carlos Maritegui hay una diferencia radical. Pradaencarna el pensamiento burgus en rebelda, en crisis; y Maritegui laanunciacin del escritor proletario. Prada fu un hombre de preguntas y de

    problemas; Maritegui, hombre de respuestas y de soluciones" (48).

    La phase d'investissement progressif de l'espace politique pruvien tantacheve, la fonction de repoussoir supplante celle d'ancrage, devenue sans objet pour unmouvement communiste alors en position de force. A l'inverse, la fonction d'ancragedemeure prpondrante pour les apristes qui doivent reconqurir la popularit perdue

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    ) MARITEGUI, "El Problema del indio", Siete ensayos... [38] respectivement "Su nuevoplanteamiento",p. 20 et "Sumaria revisin histrica",p. 29. C'est nous qui soulignons.47) Editorial du numro 17, intitul "Aniversario y balance" (p. 1-3), dans lequel est dclar termin "le

    travail de dfinition idologique" de la revue (p. 2), dornavant socialiste. Le 7 octobre 1928 est cr leParti Socialiste du Prou qui adoptera, le 20 mai 1930, le nom de Parti Communiste Pruvien.

    48) BASADRE, Jorge - Per: problema y posibilidad [reproduction fac. simil. de l'dition de 1931] y Algunas reconsideraciones 47 aos despus- [s. l.], Consorcio Tcnico de Editores, [s. d.], IV ed.,p. 170 (le chapitre sept occupe les p. 156-170). Notons que Basadre ne dit rien des ides indignistes deG. Prada dans ce chapitre totalement ngatif. Est-il ncessaire de prciser que le qualificatif de"bourgeois" dont Basadre affuble Prada rappelle trangement le reproche de Marx Proudhon ? Le faitque cette tude ne soit pas "reconsidre" en 1978 montre quel point l'apprciation de l'auteur taitdfinitive. On pourra aussi lire, titre de comparaison, le point de vue plus mesur du conservateurBELAUNDE, Vctor Andrs - La Realidad Nacional - Lima, Ed. Mercurio Peruano, 1945, 2 ed., 1 ed.

    1931, p. 163-169 (cet ouvrage est une rponse aux Siete ensayos de Maritegui) et, du mme auteur,Meditaciones peruanas - Lima, Ca. de Impresiones y Publicidad, 1932-1933, p. 41-67.

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    entre 1928 et 1930. En 1931, Haya de la Torre rentre au Prou pour lancer sacandidature la prsidence de la Rpublique et le 21 septembre il cre le Parti ApristePruvien. Quatorze ans se sont couls depuis sa premire rencontre avec Prada, mais le

    marxiste htrodoxe qu'il est devenu manifeste toujours sa dvotion : "Nosotros somoslos herederos del pensamiento magnfico de Manuel Gonzlez Prada" (49). Cette phrase,prononce lors d'un discours lectoral (23 aot), semble lancer un dfi aux communistesqui contrlent dsormais le mouvement ouvrier. Gonzlez Prada en est videmmentl'enjeu symbolique et rhtorique. Chacun sa manire, les deux frres ennemis de lapolitique ont "tu" leur pre idologique, mais aucun n'ose le proclamer : tandis queMaritegui l'avoue mots couverts, Haya prfre le taire.

    49) Cit par WISE, D. O., "La Consagracin..." [1], p. 171.