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Goodkind,Terry-[Epee de Verite-01]La Premiere Lecon Du Sorcier(1994).OCR.french.ebook.alexandriZ

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Terry Goodkind

La premire Leon du Sorcier

Lpe de Vrit livre un

Traduit de langlais (tats-Unis) par Jean Claude Mall

Bragelonne -2-

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Chapitre premierUne trange varit de plante grimpante Des feuilles panaches bruntres senroulaient autour de la liane qui tranglait lentement le tronc lisse dun sapin baumier. De la sve suintant de son corce blesse, ses branches dessches inclines vers le sol, larbre semblait appeler au secours dans lair frais et humide de la matine. Sur toute la longueur de la liane, intervalles irrguliers, des cosses scrutaient les alentours comme si elles redoutaient que des tmoins surprennent cet assassinat vgtal. voquant une crature dj immonde de son vivant, lodeur de dcomposition avait attir lattention de Richard. Il passa une main dans ses cheveux pais pendant que son esprit mergeait des brumes du dsespoir, ramen la ralit par la dcouverte de la plante tueuse. Puis il regarda autour de lui pour voir sil y en avait dautres. Rien. Tout semblait normal. Caresss par la brise, les rables du haut plateau de la fort de Ven arboraient firement leur nouveau manteau cramoisi. Avec les nuits plus froides, leurs cousins des bois de Hartland, dans les plaines, se mettraient bientt lunisson. Derniers succomber aux assauts de lautomne, les chnes conservaient stoquement leur feuillage vert sombre. Pour avoir pass la plus grande partie de sa vie dans les bois, Richard connaissait toutes les plantes, mme si leurs noms lui chappaient parfois. Depuis sa petite enfance, son ami Zedd lassociait son incessante qute dherbes spciales . Expliquant pourquoi elles poussaient certains endroits et pas ailleurs, il lui avait montr lesquelles chercher et avait profit de leurs longues promenades pour lui apprendre le nom de tout ce quils voyaient. Souvent, ils sabandonnaient simplement au plaisir de longues conversations. Le vieil homme, qui traitait Richard comme un gal, posait autant de questions quil fournissait de rponses. Ainsi, il avait stimul la soif de connaissances de son protg. Malgr cette formation exhaustive, Richard navait vu cette varit de liane quune fois et ce ntait pas au cur de la nature. -4-

Dans la maison paternelle, au fond du vase en argile bleu fabriqu quand il tait enfant, il avait trouv un petit morceau de la plante Marchand de son mtier, son pre voyageait beaucoup pour se procurer des objets rares ou exotiques. Les puissants de leur communaut lui rendaient de frquentes visites, intresss par ce quil avait dnich. Amoureux de la recherche davantage que de la dcouverte et surtout de la possession il se sparait sans rechigner de sa dernire trouvaille, trop heureux de se mettre en qute de la suivante. Depuis sa plus tendre enfance, Richard aimait rester prs de Zedd pendant que son pre tait au loin. Michael, son frre an, se dsintressait de la nature, ne supportait pas les bavardages dcousus du vieil homme et prfrait de loin la compagnie des gens importants. Cinq ans plus tt, Richard avait quitt la maison familiale pour vivre seul. Au contraire de son frre, toujours trop occup, il allait souvent voir leur pre. En cas dabsence, un message dpos dans le vase bleu linformait des dernires nouvelles, rsumait les rumeurs intressantes ou dcrivait la plus rcente merveille vue par son gniteur. Trois semaines plus tt, quand Michael lui avait annonc quon venait dassassiner leur pre, Richard avait aussitt couru jusqu sa maison. Tant pis si son frre avait insist pour quil nen fasse rien, convaincu que ctait inutile ! Navait-il pas depuis longtemps pass lge o on obit son an ? Pour lui pargner un choc, on ne lui avait pas laiss voir le cadavre. Mais les flaques de sang noir et sec, sur le plancher, parlaient delles-mmes. son approche, les gens staient tus sauf pour lui manifester une compassion qui attisa son chagrin. Mais plus tard, il avait capt des bribes de conversation au sujet des cratures qui franchissaient la frontire. Un mlange dhistoires plausibles et de rumeurs dlirantes. La sorcellerie ! La petite maison de son pre tait ravage comme par une tornade. Parmi les rares objets intacts, le vase bleu reposait toujours sur une tagre. Au fond, il avait dcouvert un petit morceau de la plante tueuse encore dans sa poche aujourdhui. Mais le sens de cet ultime message lui chappait Richard sombra dans le chagrin, puis dans la dpression, et se sentit abandonn bien quil et encore son frre. Avoir atteint lge dhomme ne le protgea pas du sentiment dtre orphelin et seul au -5-

monde. Un dsespoir quil avait dj connu lors du dcs de sa mre, des annes plus tt. Mme si son pre voyageait par monts et par vaux souvent des semaines entires , Richard savait quil tait quelque part et quil reviendrait. prsent, il ne reviendrait plus. Et Michael ne le laisserait pas participer la traque du meurtrier ! Les meilleurs pisteurs de larme sen chargeaient. Pour son propre bien, Richard prtendait-il ! ne devait pas sen mler. Dans ces conditions, le jeune homme navait pas jug utile de lui montrer le dernier message de leur pre. Mais il tait parti dans la fort tous les jours, dcid trouver la liane. Trois semaines durant, il avait arpent les sentiers des bois de Hartland, y compris ceux quil tait seul connatre. En vain ! Alors, malgr ce que lui dictait la logique, il cda aux voix qui murmuraient dans son esprit et monta sur le haut plateau de la fort de Ven, prs de la frontire. Les voix lui rptaient sans cesse quil savait quelque chose sur les raisons de la mort de son pre. Elles le dfiaient, lui faisaient entendre lcho de penses qui dansaient la limite de son conscient et se moquaient de son aveuglement. Mais ctait srement son chagrin qui lui jouait des tours rien de rel, en somme. Persuad que trouver la liane lui fournirait un dbut de rponse, il ne savait plus que penser. Les voix ne le harcelaient pas, elles boudaient. Certain que tout venait de son esprit, il sordonna de cesser dattribuer ces murmures une vie propre. Zedd aurait t navr quil sabandonne ces fantaisies. Richard regarda le grand sapin baumier agonisant et repensa la mort de son pre. La liane tait prsente dans les deux cas, et elle assassinait cet arbre. Il ny avait rien de bon dans tout a. Et sil ne pouvait plus sauver son pre, rien ne lobligeait laisser le vgtal commettre un autre meurtre. Saisissant la tige, il tira, banda ses muscles et arracha de lcorce les vrilles noueuses. Alors, la plante lattaqua ! Une cosse frappa le dos de sa main gauche, le forant reculer sous leffet de la douleur et de la surprise. Quand il inspecta la blessure, il repra une minuscule pine enchsse dans sa chair. Maintenant, il ny avait plus de doute. La liane tait malfique. Pour extraire lpine, Richard voulut prendre son couteau, mais il ne le trouva pas sa ceinture. Dabord tonn, il se maudit davoir laiss le chagrin lui faire oublier une prcaution aussi lmentaire. -6-

Emporter son couteau dans la fort allait pourtant de soi ! Du bout des ongles, il tenta de dloger lpine. Comme si elle tait vivante, elle senfona encore. De plus en plus inquiet, il passa longle de son pouce sur lentaille en appuyant trs fort. Peine perdue ! Plus il insistait, plus le petit corps tranger senfonait. En proie une nause aggrave par ses manuvres inutiles, il renona. Lpine avait disparu dans un cloaque de sang Richard regarda autour de lui et avisa les feuilles dautomne mordores dun arbuste lest de baies violettes. Au pied du vgtal, niche dans les replis dune racine, il trouva ce quil cherchait : une fleur daum. Soulag, il coupa la tige fragile ras du sol et, la pressant doucement, ft couler sur sa blessure une sve paisse claire comme de leau. Mentalement, il remercia Zedd de lui avoir enseign que les fleurs daum favorisaient la gurison des plaies. Leurs feuilles denteles lui rappelaient toujours son vieil ami La sve apaiserait la douleur, mais ne pas pouvoir retirer lpine linquitait. Dautant quil la sentait toujours se tortiller comme un ver dans sa chair. Richard saccroupit, creusa du bout des doigts un petit trou dans la terre, repiqua la fleur daum et entoura la tige de mousse pour quelle senracine plus facilement. Soudain, un silence de mort tomba sur la fort. Richard leva la tte et cligna des yeux quand une ombre noire, au-dessus de lui, rasa la cime des arbres en mettant un trange sifflement. La taille de cette ombre tait effrayante. Les oiseaux senvolrent des branches dans un concert de piaillements et sparpillrent. Richard plissa les yeux pour mieux voir travers les troues de la frondaison verte et rousse et aperut une norme crature rouge. Bien quil fut incapable de lidentifier, les rumeurs et les histoires vraies sur les monstres qui franchissaient la frontire lui revinrent lesprit et il se sentit glac de terreur jusquaux os. La liane tait malfique, pensa-t-il de nouveau. Et la bte volante navait rien lui envier. Il se souvint soudain dun vieux dicton : Le mal engendre toujours trois enfants. Inutile de rflchir des heures pour conclure quil navait aucune envie de connatre le troisime ! Ignorant sa peur, il se mit courir. Des radotages de gens superstitieux, voil pour les dictons ! Mieux valait tenter den savoir plus sur le monstre. Quelle crature rouge pouvait tre aussi grosse ? Rien daussi imposant ntait -7-

capable de voler. Ce devait tre un nuage, ou un jeu de lumire Non, inutile de se leurrer. Ce ntait pas un nuage Richard leva la tte sans ralentir et ne vit rien de plus. Il courait vers le chemin qui serpentait autour de la colline, offrant une vue dgage sur le ciel. Tandis quil sautait au-dessus des troncs darbres morts et des ruisseaux, des branches encore lourdes des pluies de la veille lui flanquaient de formidables gifles. Les buissons dpineux dchiquetaient les jambes de son pantalon. Des flaques irrgulires de lumire lincitaient lever les yeux, puis lblouissaient pour mieux lempcher de voir. Haletant, le front couvert dune sueur froide, il sentait son cur saffoler, pouss aux limites de sa rsistance par la vitesse laquelle il dvalait la pente. Manquant de peu staler, il mergea enfin du couvert des arbres et dboucha sur le sentier. Il repra aussitt la crature, beaucoup trop loin de lui pour quil puisse lidentifier. Il aurait pourtant jur quelle avait des ailes. Afin de sen assurer, il plissa les yeux et mit une main en visire. Mais le monstre disparut derrire une colline, trop vite pour quil voie sil tait vraiment rouge. bout de souffle, Richard sassit sur un rocher, au bord du sentier. Cassant machinalement les brindilles mortes dun arbrisseau, prs de lui, il baissa les yeux sur le lac Trunt, dont les eaux miroitaient au pied de la colline. Devait-il tout raconter Michael ? La liane tueuse et la crature rouge dans le ciel ? Son frre claterait de rire en lentendant parler du monstre . Comme il stait lui-mme esclaff de ce genre de fables Mieux valait ne rien dire. Sinon, Michael serait furieux quil se soit aventur prs de la frontire. Et quil ait dsobi lordre de ne pas poursuivre le meurtrier. Pour le couver comme a ce ntait pas trs loin du harclement son frre devait beaucoup laimer, il en avait conscience. Devenu adulte, il avait le droit de se moquer des diktats fraternels. Mais a ne lempcherait pas de devoir supporter les regards dsapprobateurs Richard cassa une autre brindille. Pour se dfouler, il la jeta sur un rocher plat. Puis il dcida de ne pas se sentir perscut. Michael passait son temps dire aux gens ce quils devaient faire. Mme leur pre ny avait pas chapp. tait-ce vraiment le moment de critiquer son frre ? Alors quun grand jour sannonait pour lui ? Dans quelques heures, il accepterait la charge de Premier Conseiller. Dsormais, il serait -8-

responsable de tout. Pas seulement de la cit de Hartland, mais de toutes les agglomrations, villes ou villages, de Terre dOuest. Sans oublier les gens des campagnes ! Oui, responsable de tout et de tous. Michael mritait le soutien de Richard. Et il en avait besoin. Aprs tout, lui aussi avait perdu son pre Laprs-midi, il y aurait chez Michael une crmonie puis une grande fte. Des gens importants venus des quatre coins de Terre dOuest y assisteraient. Richard aussi tait invit. Tant mieux, car le banquet serait la hauteur de lvnement, et il avait une faim de loup ! En rflchissant, Richard scrutait la berge oppose du lac Trunt, en contrebas. De cette hauteur, les eaux limpides laissaient voir des alternances de fonds rocheux tapisss dalgues vertes autour de certains grands trous. Au bord du lac, la piste des Fauconniers serpentait entre les arbres, parfois en terrain dcouvert. Richard avait souvent emprunt cette partie du sentier. Au printemps, les eaux du lac, grossies par les pluies, la transformaient en bourbier. Si tard dans lanne, la terre serait sche. Plus loin au nord et au sud, travers la fort de Ven, la piste sapprochait dangereusement de la frontire. Prudents, la plupart des gens lui prfraient les sentiers des bois de Hartland. Forestier accompli, Richard y avait accompagn plus dun voyageur. En majorit des dignitaires en dplacement plus intresss par le prestige davoir un guide local que par son sens de lorientation. Richard sursauta. Il venait de capter un mouvement. Intrigu, il fixa un point, sur la berge la plus loigne du lac. Une ombre passa derrire un mince cran de vgtation. Plus de doute possible : un tre humain suivait la piste. Son ami Chase ? Sans doute part un garde-frontire, qui saventurerait par l ? Richard sauta de son rocher, jeta au loin les brindilles et avana de quelques pas. La silhouette venait datteindre la berge du lac et marchait dcouvert. Ce ntait pas Chase, mais une femme. Et vtue dune robe, en plus de tout ! Comment pouvait-on tre stupide au point derrer ainsi accoutre dans les profondeurs de la fort de Ven ? Richard regarda linconsciente apparatre et disparatre sa vue au gr des dtours de la piste. Sans se prcipiter, elle avanait dun bon pas, comme let fait un voyageur expriment. Ce quelle devait tre, puisque personne ne vivait au bord du lac Dautres mouvements attirrent lattention de Richard. Sondant -9-

la piste, il constata que la femme tait suivie. Trois hommes non, quatre ! habills de manteaux capuche de forestiers. Passant furtivement de rocher en arbre et darbre en rocher, ils restaient bonne distance de la voyageuse sans jamais la quitter des yeux. Richard se tendit, tous les sens en alerte. Ces hommes traquaient une proie. De toute vidence, il venait de rencontrer le troisime enfant du mal.

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Chapitre 2Richard resta un instant immobile, indcis. Comment tre sr avant quil ne soit trop tard que les quatre hommes traquaient vraiment la femme ? Et en quoi cela le concernait-il ? Dautant plus quil navait pas son couteau. Contre autant dadversaires, il naurait aucune chance. Il regarda la femme avancer. Puis il observa ses poursuivants. Quelles chances avait la voyageuse ? Il se ramassa sur lui-mme, muscles nous et durcis par leffort. Que pouvait-il faire ? se demanda-t-il, le cur battant la chamade. Le soleil matinal lui brlait le visage et la peur acclrait sa respiration. Alors, une ide lui vint. Un raccourci donnait sur la piste des Fauconniers, un endroit que la femme atteindrait dans quelques minutes. Mais o tait-il exactement ? La piste principale contournait le lac, gravissait la colline par la gauche et passait l o il se tenait. Si elle ne bifurquait pas, il pouvait attendre la voyageuse et lavertir du danger. Mais que faire ensuite ? De plus, les hommes lattaqueraient sans doute avant. Cdant une impulsion, Richard commena dvaler la piste. Sil rejoignait la femme avant lattaque et avant lembranchement il pourrait lui faire emprunter le raccourci. Ce chemin conduisait hors de la fort, sur un plateau, puis sloignait de la frontire, vers Hartland. L o ils trouveraient de laide. Et sils se dcidaient assez vite, il pourrait dissimuler leurs traces et les quatre hommes ne sapercevraient de rien. Croyant leur proie sur la piste principale, ils comprendraient leur erreur trop tard, quand Richard et sa protge seraient depuis longtemps en ville. Mal remis de sa course prcdente, Richard haleta comme jamais en dvalant la pente raide. La piste senfonant de nouveau entre les arbres, il ne risquait pas que les quatre chasseurs le voient. Au pied des antiques pins qui flanquaient le sentier, un tapis - 11 -

daiguilles touffait le bruit de ses pas Richard ralentit un peu et chercha du regard le chemin latral. Il ignorait quelle distance il avait parcourue et la fort ne lui offrait aucun point de repre. O tait ce maudit raccourci ? Passer devant un sentier aussi troit sans le voir tait si facile ! Richard continua avec lespoir de dcouvrir le raccourci derrire chaque tournant de la piste. Que dirait-il la femme quand il la rejoindrait ? Et si elle le prenait pour le complice de ses poursuivants ? Si elle avait peur de lui ? Si elle refusait de le croire ? Il naurait pas beaucoup de temps pour la convaincre de ses bonnes intentions Au sommet dune petite butte, il chercha de nouveau la bifurcation, ne vit rien et continua courir. Hors dhaleine, chaque inspiration lui tait une torture. Mais sil natteignait pas lembranchement avant la voyageuse, ils seraient pigs, leurs seules options restant de courir plus vite que les quatre hommes ou de les combattre. Dans son tat de fatigue, les deux possibilits ntaient pas envisageables. Cette ide lui redonna un peu de force. De la sueur ruisselait dans son dos et sa chemise lui collait la peau. La tideur matinale semblait avoir cd la place une chaleur touffante, mais ctait une illusion due lpuisement. Au bord du chemin, les arbres dfilaient si vite quil ne les distinguait presque plus Juste avant un tournant abrupt, vers la droite, il repra au dernier moment lentre du raccourci. Une rapide inspection du sol lui apprit que la femme ntait pas encore passe. Soulag, il sagenouilla, sassit sur les talons et essaya de reprendre son souffle. La premire partie de son plan tait un succs ! Il avait battu la voyageuse de vitesse. Restait la persuader de le suivre La main droite comprimant son point de ct, le souffle encore court, il se demanda pour la premire fois sil ntait pas en train de se ridiculiser. Et sil sagissait dune jeune fille et de ses frres ? Dun jeu, peut-tre Ce serait lui, le dindon de la farce ! Et tout le monde rirait gorge dploye. Sauf lui ! Il regarda la blessure, sur le dos de sa main. Rougetre, elle pulsait douloureusement. Il se souvint de la crature rouge, dans le ciel La femme marchait avec une dtermination qui nvoquait pas un jeu. De plus, ctait une adulte, pas une jeune fille. Et langoisse - 12 -

quil avait prouve en voyant ses quatre poursuivants Le troisime vnement trange de la matine. Le dernier enfant du mal Non, ses yeux ne lavaient pas tromp. Ces gens-l ne samusaient pas. Des chasseurs et une proie, voil ce quils taient ! Richard se releva demi, des vagues de chaleur dferlant dans son corps. Pli en deux, les mains autour des genoux, il prit quelques inspirations rapides avant de se redresser compltement. La femme dboucha du tournant, juste devant lui. Un instant, il en eut le souffle coup. Ses longs cheveux bruns soyeux dessinaient les contours de son corps. Presque aussi grande que lui, elle devait avoir environ le mme ge. Sa robe ne ressemblait rien quil et jamais vu : presque blanche, ras du cou, la taille ceinte dune lanire de cuir leste dune bourse. Le tissu, fin, lisse et brillant, ntait orn daucune dentelle ou jabot, contrairement aux atours fminins dont il avait lhabitude. Nulle tache de couleur, pas de motif imprim pour dtourner lattention de la manire dont le vtement mettait en valeur les formes de la voyageuse. Bref, llgance de la simplicit ! Quand elle simmobilisa, les longs plis gracieux de sa trane senroulrent autour de ses jambes. Une silhouette indubitablement rgalienne Richard fit quelques pas vers elle et simmobilisa une distance suffisante pour ne pas paratre hostile. Elle ne broncha pas, les bras le long du corps. Ses sourcils, remarqua-t-il, rappelaient la forme lance dun oiseau de proie en plein vol. Ses yeux verts se rivrent hardiment dans les siens. Un contact si intense quil menaa de lui arracher toute conscience de sa propre identit. En un clair, il eut le sentiment davoir toujours connu cette femme. Comme si elle tait depuis sa naissance une part de lui-mme, ses besoins et ses dsirs recoupant les siens. Ce regard qui lemprisonnait aussi srement quune main de fer sondait ses yeux la recherche de son me, en qute dune nigmatique rponse. Je veux vous aider, dit-il mentalement. Une pense plus lourde de sens que toutes celles quil avait jamais eues Le regard de la femme, moins intense, desserra son emprise sur lui. Dans ses prunelles, il lut une chose qui lattirait plus que tout. Lintelligence ! Oui, lintelligence brlait dans ses yeux et dans tout son corps, glorieuse figure de proue de son intgrit. Pour la premire fois de la matine, Richard se sentit en scurit. Une voix, dans sa tte, lui rappela pourquoi il tait l. Il ne fallait - 13 -

pas perdre de temps ! Jtais l-haut, dit-il en tendant un doigt vers la colline, et je vous ai vue La femme regarda dans la direction quil indiquait. Il limita et saperut quil dsignait un entrelacs de branches qui dissimulaient la colline. Il laissa retomber son bras, tent de passer outre sa mprise. Mais elle riva ses yeux sur lui, exigeant des explications. Richard les lui donna voix basse : Jtais sur une hauteur qui surplombe le lac. Je vous ai vue marcher le long de la berge. Des hommes vous suivent Combien ? demanda la femme, impassible. Richard trouva la question bizarre mais rpondit quand mme : Quatre. Soudain blme, la voyageuse tourna la tte et sonda les bois, derrire elle. Puis elle le dvisagea de nouveau. Et vous avez dcid de maider ? part sa pleur, rien, sur son superbe visage, ne permettait de deviner ses sentiments. Oui. Et que devons-nous faire ? demanda-t-elle, plus amicalement. Un raccourci part de cet endroit. Si nous lempruntons et que vos poursuivants restent sur la piste, nous les smerons. Et sils ne se trompent pas ? Sils suivent nos traces ? Je les brouillerai, dit Richard pour la rassurer. Ils ne nous traqueront pas. Mais le temps presse, et Oui. Sils nous suivent quand mme ? coupa la femme. Quel est votre plan ? Richard la dvisagea son tour. Sont-ils trs dangereux ? Oui. La faon dont elle pronona ce mot banal lui coupa de nouveau le souffle. Une fraction de seconde, il vit une terreur animale passer dans ses yeux. Eh bien Le sentier est troit et la vgtation sclaircit vite Ils ne pourront pas nous encercler. Avez-vous une arme ? Richard fit non de la tte, trop furieux davoir oubli son couteau pour sen vanter voix haute. Alors, dpchons-nous ! - 14 -

Une fois la dcision prise, ils ne parlrent plus pour ne pas trahir leur position. Richard dissimula htivement leurs traces et fit signe sa compagne de passer la premire. Ainsi, il se tiendrait entre elle et ses ennemis La femme nhsita pas. Les plis de sa robe ondulrent derrire elle quand elle sengagea sur le sentier. Les arbres feuilles persistantes plants des deux cts du chemin lui confraient des allures de tunnel obscur qui senfonait entre des branches basses et des buissons. Impossible de voir ce qui se passait autour deux ! Richard jetait de frquents coups dil en arrire, mais la visibilit tait limite. cette restriction prs, il ny avait rien signaler. Et sa compagne avanait un bon rythme sans quil doive ly encourager. La pente devint bientt plus raide et un sol rocheux succda la terre meuble. Les arbres, effectivement moins luxuriants, offraient une vue plus dgage. Le sentier serpentait sur un terrain accident et traversait parfois de petits ravins jonchs de feuilles mortes qui crissaient sous leurs pieds. Les pins et les picas disparurent, remplacs par des bouleaux dont les branches, moins serres, laissaient filtrer la lumire du soleil en une myriade de petites lucioles qui dansaient sur les pierres. Avec leurs troncs blancs constells de points noirs, on aurait cru que des centaines dyeux observaient les deux fuyards. Ntaient les croassements de quelques corbeaux, un silence rassurant les enveloppait. labord de la paroi de granit que longeait le sentier, Richard posa un doigt sur ses lvres pour indiquer la femme de marcher plus prudemment encore. Au moindre craquement, lcho trahirait leur position. Ds quun corbeau croassait, le son se rverbrait dans les collines. Richard connaissait cet endroit : la falaise rpercutait les bruits des lieues la ronde. Il montra sa compagne les grosses pierres couvertes de mousse qui tapissaient le sol. En marchant dessus, ils viteraient de briser les branches et les brindilles dissimules sous les feuilles mortes. Pour le faire comprendre la femme, il carta quelques feuilles, ramassa des brindilles et fit mine de les briser. Puis il porta une main son oreille. La voyageuse hocha la tte, releva sa robe dune main et entreprit de passer de pierre en pierre. Richard lui tapota le bras pour quelle se retourne et fit semblant de draper pour lui signaler que la mousse tait trs glissante. Avec un sourire, elle hocha de nouveau la tte et reprit sa progression. - 15 -

La voir sourire, une surprise dans ces circonstances, rconforta Richard et dissipa un peu sa peur. Plus optimiste sur lissue de cette aventure, il posa le pied sur une pierre. mesure que le chemin montait, les arbres devenaient de plus en plus rares. Dans ce sol rocailleux, ancrer leurs racines tenait de lexploit. Bientt, ils ne virent plus, rfugis dans des crevasses, que des arbustes malingres et ratatins. Comme sils espraient, en se faisant tout petits, offrir moins de prise au vent qui menaait de les arracher de terre Avec mille prcautions, Richard et la femme continurent davancer. Le sentier ntant pas toujours nettement trac, elle se retournait souvent pour linterroger du regard sur la direction suivre. Il lui rpondait en tendant le doigt ou en hochant la tte Il brlait de connatre son nom, mais la terreur que lui inspiraient les quatre hommes lui imposa le silence. Excellente randonneuse, sa compagne avanait vite et se jouait des difficults du terrain au point quil neut jamais besoin de ralentir pour ne pas la percuter. Sous sa robe, elle portait le genre de bottes en cuir souple quaffectionnent les voyageurs aguerris Voil prs dune heure quils avaient quitt le couvert des arbres et traversaient le plateau sous un soleil brlant. Pour le moment, ils se dirigeaient vers lest. Plus tard, le sentier bifurquerait vers louest. Pour linstant, les quatre hommes sils les suivaient avaient le soleil en face, un handicap visuel non ngligeable. Richard avait indiqu la femme de se pencher autant que possible, comme lui, et il jetait sans cesse des coups dil derrire eux. Quand il les avait reprs, prs du lac, les chasseurs faisaient tout pour se cacher et un autre que lui les aurait srement manqus. Ici, le terrain tait trop dgag pour quon joue ce petit jeu. Sil ne voyait rien, ctait quil ny avait rien ! Richard se dtendit. Personne ne les traquait. Leurs poursuivants avaient d suivre la piste des Fauconniers et perdre le contact avec leur proie. Sa protge et lui sloignaient de la frontire et approchaient de la ville. Tout allait pour le mieux. Le plan marchait ! Puisquils avaient sem les quatre hommes, Richard aurait vu dun bon il quils fassent une pause, car sa main le lanait de plus en plus. Mais la femme ne manifesta ni le besoin ni lenvie de sarrter. Elle continuait un train denfer, comme si ses ennemis la talonnaient. Au souvenir de sa raction, quand il lui avait demand - 16 -

sils taient dangereux, Richard renona se reposer. En ce dbut daprs-midi, si tard dans lanne, la chaleur tait tonnante. Dans le ciel dun bleu tincelant, quelques nuages blancs drivaient au gr de la brise. Lun deux voquait irrsistiblement un serpent tte en bas et queue en haut. Cette configuration bizarre rappela Richard quil avait remarqu le mme nuage dans la matine. Ou tait-ce la veille ? Un dtail quil devrait mentionner Zedd ds quil le reverrait. Son vieil ami lisait dans les nuages linstant mme, il devait regarder le ciel, se demandant si son protg avait aperu le serpent. Si Richard oubliait den parler, il aurait droit un sermon dune heure sur linterprtation des nuages ! Le sentier les conduisit sur la face sud du mont Dentel, un petit pic qui tenait son nom de sa falaise en dents de scie. La traversant jusqu mi-hauteur, leur itinraire offrait une vue panoramique du sud de la fort de Ven. Sur la gauche, aurols de brume et demi dissimuls par la falaise, se dcoupaient les pics gants dchiquets qui marquaient la frontire. Richard distingua dans le manteau de verdure les formes marron darbres agonisants. Plus on approchait de la frontire, plus ils taient nombreux. La liane tueuse, compritil. Ils traversrent la corniche le plus vite possible, inquiets dtre en pleine vue, sans endroits o se cacher et aussi reprables quune mouche sur un mur blanc. Par bonheur, au-del de la falaise, la piste remontait vers les bois de Hartland, puis gagnait la ville. Mme si les quatre hommes staient aperus de leur erreur et avaient retrouv leur piste, Richard et sa compagne disposaient dune avance suffisante. Au bout de la falaise, tout prs deux, maintenant, le sentier, jusque-l troit et tratre, slargissait assez pour quon y marche deux de front. Richard fit les derniers pas en frlant la paroi rocheuse du bout des doigts pour se stabiliser et risqua un regard en bas. Toujours rien ! Idem derrire lui. Quand il se retourna, il vit que la femme stait immobilise, les plis de sa robe ondulant autour de ses jambes. Devant eux, sur le chemin libre quelques secondes plus tt, deux poursuivants les attendaient. Et si Richard dpassait dune bonne tte presque tous les hommes de sa connaissance, ceux-l taient plus grands que lui. Les capuches empchaient de voir leurs visages, mais les muscles qui saillaient sous les manteaux nauguraient rien - 17 -

de bon. Comment avaient-ils russi les prcder ? Richard et sa compagne firent volte-face, prts dtaler. Mais des cordes tombrent le long de la paroi rocheuse. Les deux autres poursuivants se laissrent glisser jusquau sol et leur barrrent la retraite. Aussi costauds que leurs compagnons, leurs manteaux ouverts dvoilaient des bandoulires et des ceinturons lests darmes Richard se tourna vers les deux premiers hommes, qui rabattirent lentement leurs capuches. Des cous de taureau, des traits taills la serpe non dpourvus de beaut, des cheveux blonds Tu peux passer, mon gars. Cest la fille qui nous intresse La voix grave du type tait presque amicale. Mais la menace demeurait, tranchante comme une lame. Sans daigner regarder Richard, le type enleva ses gants et les coina dans sa ceinture. lvidence, il ne tenait pas le jeune homme pour un obstacle. Les trois autres attendirent respectueusement quil reprenne la parole la preuve quil tait le chef du groupe. Richard navait jamais affront une situation pareille. Dou pour viter les ennuis, il ne sautorisait pas perdre son calme et ce pacifisme foncier transformait aisment les rictus en sourires. Quand les mots ne suffisaient pas, il tait assez fort et rapide pour calmer le jeu avant que quelquun ne soit bless. Au pire, il prenait tout simplement la tangente. Mais ces types-l navaient aucune intention de parler et il ne les impressionnait pas. Quant prendre la tangente, ctait hlas exclu Richard chercha le regard vert de la femme. Sans quelle abdiqut pour autant sa fiert, il y lut un appel au secours. Je ne vous abandonnerai pas souffla-t-il, pench vers elle. Soulage, elle eut un bref hochement de tte et lui posa une main sur lavant-bras. Distrayez-les, dit-elle. Empchez-les de mattaquer tous en mme temps. Et prenez garde ne pas me toucher au moment o ils approcheront Elle serra plus fort le bras de Richard et sonda son regard pour sassurer quil avait compris ses instructions Mme si leur sens lui chappait, il fit signe que oui. Puissent les esprits du bien tre de notre ct murmura la femme. - 18 -

Elle lcha Richard. Les bras le long du corps, impassible, elle se tourna vers les deux premiers hommes. Continue ton chemin, mon gars, dit le chef, plus du tout amical. (Ses yeux bleus brillant darrogance, il lcha :) Cest la dernire fois que je te le propose Richard sentit une boule se former dans sa gorge. Nous continuons tous les deux, dit-il avec une assurance quil espra bien imite. Pas aujourdhui fit le chef en dgainant un couteau lame incurve. Son compagnon tira une pe courte du fourreau fix dans son dos. Avec un sourire de dment, il la passa au creux de son avantbras, faisant couler le sang. Derrire lui, Richard entendit le crissement de lacier contre du cuir. La peur le paralysa. Tout se droulait trop vite. Ils navaient pas lombre dune chance. Un instant, personne ne bougea. Puis les quatre hommes poussrent le cri de guerre des soldats prts mourir au combat et chargrent. pe courte brandie deux mains, le compagnon du chef fona sur Richard. Derrire lui, un troisime agresseur ceintura la femme Au moment o la lame sabattait, il y eut dans lair comme un roulement de tonnerre silencieux. Secou par limpact, Richard eut le sentiment que ses articulations explosaient. De la poussire tourbillonna autour deux. Le colosse lpe souffrait aussi. Un instant, il oublia Richard et regarda fixement la femme. Quand il reprit sa charge, le jeune homme sadossa la paroi rocheuse et lui propulsa ses deux pieds dans la poitrine. Le type dcolla du sol, vola dans les airs, bascula hors du chemin et carquilla les yeux de surprise quand il se sentit tomber dans le vide, larme toujours tenue deux mains. Stupfait, Richard vit un autre guerrier suivre la mme voie, la poitrine dchiquete. Mais il neut pas le temps de sappesantir sur la question, car le chef bondissait sur la femme. Au passage, de sa main libre, il frappa Richard au plexus solaire. Les poumons vids de leur air, le jeune homme scrasa contre la roche et sa tte percuta une saillie. demi sonn, il parvint se souvenir de sa mission : empcher le tueur datteindre sa compagne ! Puisant dans des ressources quil ignorait avoir, il saisit au vol lnorme poignet de lhomme et le fora se retourner. La lame - 19 -

incurve dcrivit un arc de cercle vers lui. Quand il vit une lueur meurtrire dans les yeux de lhomme, Richard eut peur comme jamais dans sa vie. Une raction normale au moment de mourir. Jailli de nulle part, le dernier agresseur enfona une lame dj rouge de sang dans le ventre de son chef. La violence de limpact les entrana tous les deux dans une chute mortelle. Jusqu ce que son corps scrase sur les rochers, le dernier agresseur poussa un atroce hurlement de rage. Toujours sonn, Richard se tourna vers la femme, certain de la dcouvrir gorge dans une flaque de sang. Assise sur le sol, dos appuy la paroi, le regard perdu dans le vide, elle semblait puise mais indemne. Incapable de comprendre ce qui stait pass, Richard constata que sa protge et lui taient de nouveau seuls dans un silence de mort. Le crne douloureux logique, aprs un choc pareil contre de la pierre il sassit prs delle sur un rocher chauff par le soleil. La femme ntant pas blesse, il sabstint de lui demander comment elle allait. Pour le moment, ils taient tous les deux trop puiss pour parler Quand elle vit du sang sur le dos de sa main, la voyageuse lessuya contre la paroi dj macule de tranes rouges. Richard manqua de vomir Comment pouvaient-ils tre encore en vie ? Et ce tonnerre silencieux, do venait-il ? La douleur, au moment de limpact, ne ressemblait rien quil et expriment. Assez de questions pour linstant ! Quoi que fut ce phnomne, sa compagne ny tait pas trangre et il lui devait la vie. Mais tout a navait rien de naturel. Il ntait pas sr de vouloir en apprendre davantage. La femme appuya la tte contre la roche et la tourna lentement vers lui. Je ne connais mme pas votre nom Jaurais voulu vous le demander, mais javais peur (Du menton, elle dsigna le prcipice.) Ces hommes meffrayaient tellement. Je ne voulais pas quils nous trouvent Elle semblait sur le point dclater en sanglots. Richard la regarda et comprit quelle ne le ferait pas. Mais ce serait de justesse Ils me terrorisaient aussi, admit-il. Et je mappelle Richard - 20 -

Cypher. Alors que la brise faisait voleter de petites mches sur ses joues, la voyageuse sonda de nouveau le regard de son compagnon. Peu dhommes auraient choisi de rester avec moi, dit-elle en souriant. Richard trouva sa voix complment parfait de lintelligence qui brillait dans ses yeux aussi attirante que le reste de sa personne. Une fois de plus, il en eut le souffle coup. Vous tes une personne comme on en rencontre rarement, Richard Cypher. Atterr, Richard sentit quil sempourprait. Chassant des mches rebelles de ses yeux, elle se dtourna pour ne pas ajouter son embarras. Je suis commena-t-elle comme si elle allait dire quelque chose dimportant. (Elle se ravisa et tourna la tte vers lui.) Je mappelle Kahlan. Kahlan Amnell Vous tes aussi une personne comme on en rencontre rarement, Kahlan Amnell. Peu de femmes auraient fait face de cette manire Elle ne rougit pas mais sourit encore. Un sourire trange, sans dcouvrir les dents, lvres serres comme pour murmurer des confidences Mais ses yeux souriaient aussi, exprimant son dsir de partager ! Richard se tta larrire du crne, sentit une norme bosse et regarda ses doigts, certain quils seraient rouges de sang. Mais il ny avait rien. Plutt tonnant, vu la violence du choc Il regarda Kahlan et se demanda une nouvelle fois ce quelle avait fait et comment. Aprs le coup de tonnerre silencieux, il avait expdi un des hommes dans le vide. Un des deux autres avait tu son compagnon, puis ventr leur chef Kahlan, mon amie, peux-tu me dire pourquoi nous sommes en vie ? Et pourquoi ces quatre tueurs ne le sont plus ? Tu penses ce que tu dis ? demanda la jeune femme, surprise. Quoi donc ? Eh bien mon amie videmment ! Tu las dit toi-mme : jai choisi de rester avec toi. Le genre de choses quon fait pour une amie, non ? Je nen sais rien, avoua Kahlan. (Elle joua avec la manche de sa robe, les yeux baisss.) Je nai jamais eu dami, part ma sur Richard sentit quil avait touch un point sensible. - 21 -

Maintenant, tu en as un ! Nous nous sommes tirs ensemble dune situation terrifiante. En collaborant, nous avons survcu. Kahlan approuva dun hochement de tte. Richard regarda la fort de Ven, au loin, o il se sentait depuis toujours chez lui. Alors que le soleil faisait scintiller les feuillages, son regard ft attir vers la gauche, sur les taches marron des arbres morts ou agonisants qui ctoyaient des voisins encore sains. Jusqu ce matin, quand la liane lavait attaqu, il ignorait quune plante tueuse envahissait les bois. Mais il approchait rarement autant de la frontire Ses concitoyens plus gs en restaient aussi loin que possible. Certains tmraires saventuraient plus prs quand ils empruntaient la piste des Fauconniers ou pour chasser , mais pas au point de voir ce quil avait vu. La frontire, ctait la mort, tout simplement. La traverser, disait-on, ne cotait pas seulement la vie. On y perdait son me ! Alors, les garde-frontire sassuraient que les curieux passent leur chemin. Et ma question ? demanda-t-il soudain. Tu ne mas pas dit pourquoi nous sommes toujours vivants. Je suppose que les esprits du bien nous ont protgs rpondit Kahlan sans croiser son regard. Richard nen crut pas un mot. Mais il ntait pas dans sa nature, mme sil brlait de curiosit, de forcer les gens parler quand ils nen avaient pas envie. Trs tt, son pre lui avait appris respecter le droit au silence des autres. Un jour, si elle le dsirait, Kahlan lui confierait ses secrets. En attendant, il ne la harclerait pas. Tout le monde avait des secrets, lui compris. Aprs lassassinat de son pre, et les vnements de la journe, il les sentait frmir dsagrablement au fond de son esprit. Kahlan, rien ne te force dire ce que tu veux continuer cacher. Et a ne nous empchera pas de rester amis Elle ne le regarda toujours pas, mais acquiesa. Richard se leva. Son crne et sa main lui faisaient mal, sa poitrine le lanait, l o le type lavait frapp. Et pour couronner le tout, il mourait de faim Michael ! Bon sang, il avait oubli la fte ! Aprs un coup dil au soleil, il comprit quil serait en retard. Pourvu quil ne rate pas le discours de son frre ! Il amnerait Kahlan avec lui. la premire occasion, il raconterait tout Michael et lui demanderait de la protger. - 22 -

Il tendit une main pour aider Kahlan se relever. Quand elle le dvisagea, stupfaite, il ne baissa pas le bras. Le regardant enfin dans les yeux, elle se laissa faire Aucun ami ne ta jamais tendu la main ? Non Voyant quelle se dtournait de nouveau, Richard changea de sujet. Quand as-tu mang pour la dernire fois ? Il y a deux jours Tu dois tre plus affame que moi ! Viens, nous allons chez mon frre ! (Il dsigna le prcipice.) On lui parlera des cadavres et il saura que faire. Kahlan, qui taient ces hommes ? On appelle ce genre dquipe un quatuor Ce sont des tueurs, en quelque sorte. On les charge dliminer (une nouvelle fois, elle renona dire ce qui lui brlait les lvres) des gens. (Abruptement, elle redevint aussi sereine que lors de leur rencontre.) Moins on en sait sur moi, plus je suis en scurit Richard navait jamais rien entendu de tel. Pour se donner une contenance, il se passa une main dans les cheveux et tenta de rflchir. Des ides confuses mais sinistres tourbillonnrent de nouveau dans sa tte. Sans savoir pourquoi, il redoutait la rponse sa question suivante. Pourtant, il ne put sempcher de la poser. Kahlan, do venait ce quatuor ? Cette fois tu dois me dire la vrit. Ces hommes me traquaient depuis mon dpart des Contres du Milieu et ils ont travers la frontire avec moi. Richard en fut glac jusquaux os. Un frisson remonta le long de sa colonne vertbrale et les poils de sa nuque se hrissrent. La colre enfouie au plus profond de lui se rveilla et ses secrets manifestrent de plus belle leur inquitante prsence. Elle mentait ! Personne ne pouvait traverser la frontire ! Personne ! Aucun tre vivant ne sortait des Contres du Milieu. Et nul ny entrait. La frontire avait t rige longtemps avant leur naissance tous les deux. Car la sorcellerie infectait les Contres !

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Chapitre 3La rsidence de Michael, un solide btiment en pierre blanche, se dressait bonne distance de la route. Les lments du toit en ardoise, disposs suivant des inclinaisons et des angles diffrents, sembotaient selon une gomtrie complexe, une arte compose de petits carreaux de verre laissant entrer la lumire dans le hall central. Le chemin qui menait la maison, ombrag par de grands chnes clairs, serpentait entre des carrs de pelouse avant de traverser un jardin aux deux flancs parfaitement symtriques. Partout, la vgtation tait luxuriante. Si tard dans lanne, les plantes et les fleurs avaient d tre leves en serre en vue de ce jour prcis Parmi les invits en habits dapparat qui dambulaient sur le gazon et dans le jardin, Richard se sentit soudain aussi peu sa place que possible. Dans ses vtements de forestier sales et tremps de sueur, il avait lair dun vagabond. Mais passer chez lui pour se laver et se changer aurait t une perte de temps. Dhumeur maussade, il se fichait dailleurs royalement de son apparence. Kahlan passait beaucoup mieux que lui dans lassemble. Sa robe peu conventionnelle, mais superbe, ne laissait pas deviner quelle sortait peine de la fort. Avec tout le sang qui avait coul sur le mont Dentel, Richard se demanda comment elle avait russi ne pas en avoir sur elle. Dune manire ou dune autre, elle tait reste immacule pendant que des hommes sentre-tuaient Devant la raction de Richard, quand elle avait mentionn les Contres du Milieu et la frontire, Kahlan navait pas ajout un mot sur le sujet. Le jeune homme ayant besoin de temps pour rflchir tout a, il stait abstenu de lui poser dautres questions. Mais il avait rpondu de bonne grce aux siennes sur Terre dOuest, ses habitants et lendroit o il vivait. Aprs avoir dcrit sa maison dans les bois, il lui avait longuement parl de son mtier de guide. Il y a une chemine chez toi ? avait-elle demand. Bien sr. - 24 -

Et tu ten sers ? Tout le temps, pour cuisiner Pourquoi demandes-tu a ? Le regard perdu dans le lointain, Kahlan avait hauss les paules. Parce que masseoir prs dun bon feu me manque, voil tout Malgr son chagrin et les vnements de la journe Richard stait rjoui davoir quelquun qui parler. Et tant pis si elle ludait toujours ses questions ! Une voix le tira de sa rverie. Vous avez une invitation, messire ? Une invitation, lui ? Irrit, Richard se retourna et dcouvrit le sourire malicieux de son ami Chase. Ravi, il tapa joyeusement dans les mains du garde-frontire. Trs grand, soigneusement ras, Chase arborait une tignasse de cheveux chtains que lge ne parvenait pas attaquer, mme sils grisonnaient sur les tempes. Sous ses sourcils pais, ses yeux marron, toujours en mouvement, mme quand il parlait, voyaient absolument tout. cause de cette habitude ou plutt de ce rflexe les gens pensaient souvent quil manquait de concentration. Une erreur phnomnale ! Malgr sa taille, il pouvait tre vif comme lclair quand a simposait. Plusieurs couteaux pendaient un ct de sa ceinture et une masse darmes six piques tait accroche lautre. La garde dune pe courte dpassait de son paule droite. Sur la gauche, il portait une arbalte et une bandoulire garnie de carreaux pointe dacier barbele. On dirait que tu as lintention de dfendre jusqu la mort ta part du festin ! lana Richard. Le sourire de Chase seffaa. Je ne suis pas l en tant quinvit, dit-il avec un regard vaguement souponneux pour Kahlan. Richard prit la jeune femme par le bras et la tira en avant. Elle ne rsista pas, confiante. Chase, je te prsente mon amie Kahlan Kahlan, voil Dell Brandstone. Mais tout le monde le surnomme Chase ! Je le connais et lapprcie depuis toujours. Avec lui, nous navons rien craindre. (Il se tourna vers le garde-frontire.) Tu peux te fier elle, mon vieux Kahlan sourit et salua le colosse de la tte. Chase lui rendit la pareille. Pour lui, la question tait rgle, car - 25 -

un mot de Richard suffisait le rassurer. Il sonda de nouveau la foule et dcouragea dun froncement de sourcils les invits qui les dvisageaient avec trop dinsistance son got. Puis il entrana ses deux amis un peu lcart. Ton frre a convoqu tous les garde-frontire. (Il jeta un autre regard autour de lui.) Pour le protger Quoi ? sexclama Richard. Cest absurde ! Il a les Volontaires Rgionaux et larme. Pourquoi ajouter une poigne de gardefrontire ? Chase posa la main sur le manche en corne dun de ses couteaux. Bonne question, dit-il avec son impassibilit coutumire. Peut-tre pour impressionner le peuple. Tu sais, on a peur de nous Richard, depuis la mort de ton pre, tu as pass ton temps dans les bois. ta place, jaurais fait pareil, mais pendant ton absence, des choses bizarres sont arrives. Des gens viennent ici le jour et la nuit. Michael les appelle des citoyens responsables . Depuis quil parle tort et travers dun complot contre le gouvernement, il veut nous avoir autour de lui. Richard regarda alentour et ne repra pas un seul homme de Chase. Mais a ne voulait rien dire. Quand un de ces gaillards dcidait de passer inaperu, il pouvait vous marcher sur les pieds sans quon le repre. Chase pianota nerveusement sur le manche de son couteau. Mes gars sont l, tu peux me croire. Daccord Mais comment peux-tu affirmer que Michael a tort ? Aprs tout, on vient dassassiner le pre du Premier Conseiller. Je connais fond la vermine du pays, rpondit Chase, lair dgot. Il ny a pas de complot ! Sil y en avait un, je mamuserais peut-tre un peu, au lieu de jouer les pouvantails. Michael a insist pour quon me voie bien. (Son expression se durcit.) Quant la mort de ton pre Petit, mon amiti avec George Cypher remonte des lustres, bien avant ta naissance et cette histoire de frontire. Ctait un brave homme et je me flattais de le compter au nombre de mes intimes. (Il renona contenir sa colre.) Jai tordu quelques doigts, mon garon. Assez fort pour que leurs propritaires dnoncent leur mre, si elle tait coupable. Aucun de ces types ne savait rien. Sinon, ils se seraient empresss dcourter notre conversation , fais-moi confiance ! Cest la premire fois que je reviens bredouille dune chasse (Il croisa les bras et tudia Richard de pied en cap.) - 26 -

propos de vermine, do sors-tu ? Tu ressembles un de mes clients Richard regarda Kahlan, puis se concentra de nouveau sur Chase. Nous tions dans les hauteurs de la fort de Ven Quatre hommes nous ont attaqus Des sales types de ma connaissance ? Non. Et quont fait ces importuns aprs vous tre tombs dessus ? Tu connais le chemin qui traverse la falaise du mont Dentel ? Comme ma poche ! Ils sont sur les rochers, au fond du prcipice. Il faudra quon reparle de tout a Chase dcroisa les bras, pensif. Comment avez-vous russi a ? Richard changea un bref regard avec Kahlan et rpondit : Je suppose que les esprits du bien nous ont protgs Si tu le dis lcha Chase sans insister. Pour le moment, il vaut mieux ne pas parler de a Michael. Je crains quil ne croie pas aux esprits du bien Si vous pensez que a simpose, venez habiter chez moi tous les deux. Personne ne vous embtera Pensant aux nombreux enfants de son ami, Richard frissonna lide de les mettre en danger. Pour ne pas contredire Chase, il hocha vaguement la tte. On devrait entrer Michael doit tre impatient de me voir. Encore une chose ajouta Chase. Zedd veut te parler. Il fait tout un foin autour de je ne sais trop quoi. Mais il parat que cest important. Richard leva les yeux et aperut le nuage-serpent. Moi aussi, il faut que je lui parle Il se dtourna et voulut sloigner. Richard, lana Chase dune voix qui aurait ptrifi toute autre personne que son jeune ami, que faisais-tu dans les hauteurs de la fort de Ven ? La mme chose que toi, rpondit Richard sans se dmonter. Je cherchais un indice. Et tu en as trouv un ? Le jeune homme leva sa main gauche blesse. Oui. Et il pique ! Kahlan et Richard se mlrent la foule qui entrait dans la - 27 -

maison et remontrent un couloir au sol en mosaque jusquau hall central. Les colonnes et les murs de marbre, caresss par les rayons du soleil, mettaient une lueur froide presque surnaturelle. Si Richard prfrait de loin la chaleur du bois, Michael tait catgorique. Selon lui, nimporte qui pouvait aller dans la fort, se procurer du bois et construire sa maison. Pour le marbre, en revanche, il fallait engager les habitants de ces cabanes et les charger de faire le travail votre place. Jadis, avant la mort de leur mre, Richard et Michael jouaient souvent dans la poussire, o ils btissaient des maisons et des chteaux forts avec des btons. cette poque, Michael aidait son frre. Il espra quil en serait de mme aujourdhui Des connaissances du jeune homme le salurent et obtinrent en retour une vague poigne de main ou un sourire distrait. Richard fut surpris que Kahlan, une trangre, soit aussi laise avec le gratin de son pays. Mais lide quelle appartenait galement la classe dirigeante lui avait dj travers lesprit. En gnral, les tueurs ne traquaient pas les petites gens Richard eut du mal sourire tous azimuts. Si les histoires sur les cratures qui traversaient la frontire taient davantage que des rumeurs, les choses risquaient de mal tourner pour Terre dOuest. Dans les campagnes, autour de Hartland, les paysans, terrifis lide de sortir la nuit, lui parlaient souvent de malheureux dcouverts demi dvors. Des personnes dcdes de mort naturelle et victimes danimaux sauvages, assurait-il. Ce genre de choses arrivait tout le temps Non, ctait la bte volante ! insistaient les fermiers. Richard navait jamais pris ces superstitions au srieux Jusqu aujourdhui ! Malgr la foule, il se sentait terriblement isol. Perturb, il ne savait que faire, ni vers qui se tourner. Seule Kahlan le rassurait un peu. En mme temps, elle leffrayait autant que les hommes quils avaient combattus sur la corniche. Il voulait partir dici au plus vite et emmener son amie ! Zedd rpondrait toutes ces questions. Mme sil nen parlait jamais, avant lpoque de la frontire, il vivait dans les Contres du Milieu. Mais que pourrait-il contre ce qui torturait Richard ? Linquitante intuition que tout cela avait un rapport avec la mort de son pre, elle-mme lie aux secrets que George Cypher avait dissimuls en lui et en lui seul - 28 -

Richard, je suis navre, pour ton pre, dit Kahlan, une main pose sur son bras. Je ne savais pas Avec les horreurs de la journe, il avait presque oubli ce drame jusqu ce que Chase en reparle. Presque Merci dit-il. Il se tut pendant quune femme en robe de soie bleue surcharge de dentelle passait devant eux. Pour ne pas avoir lui rendre un sourire mielleux, il baissa ostensiblement les yeux. a remonte trois semaines, reprit-il. Incarnation de la compassion, Kahlan lcouta raconter une partie de lhistoire. Je comprends ton chagrin, Richard, dit-elle quand il eut fini. Tu prfrerais peut-tre que je te laisse Non, jai t seul assez longtemps. Avoir quelquun qui parler mest dun grand rconfort. Kahlan lui sourit. Ils recommencrent se frayer un chemin dans la foule. Mais o tait donc Michael ? se demanda Richard. Pourquoi se cachait-il comme a ? Bien quil et perdu son apptit, il navait pas oubli que Kahlan jenait depuis deux jours. Avec tous les mets dlicieux proposs aux invits, sa retenue tait admirable. Dautant plus que les odeurs allchantes commenaient faire changer davis son propre estomac ! Tu as faim ? demanda-t-il. Je meurs de faim ! Richard entrana sa compagne vers une longue table leste de merveilles gastronomiques. Des plats fumants de saucisses et de viande rouge, des pommes de terre en robe des champs, du poisson fum et grill, du poulet, de la dinde, des lgumes crus coups en btonnets, de la soupe loignon, au chou, aux pices Sans oublier les diverses varits de pain, les plateaux de fromage, les fruits, les tartes et les gteaux Quant au vin et la bire, ils coulaient flots ! Discrets mais efficaces, les serviteurs saffairaient pour que rien ne vienne manquer. Kahlan tira doucement Richard par la manche. Certaines domestiques portent les cheveux longs. Cest permis ? Bien sr Chacune adopte la coiffure qui lui chante. Regarde par l (Il dsigna discrtement un groupe dinvites.) Ce sont des - 29 -

conseillres. Certaines ont les cheveux courts, dautres les laissent pousser Cest comme elles veulent ! (Il regarda Kahlan du coin de lil.) Quelquun ta ordonn de couper les tiens ? Non. Personne ne me la jamais demand. Mais chez moi, la longueur des cheveux dune femme est un signe de reconnaissance sociale Dois-je comprendre que tu es quelquun dimportant ? lana Richard, un sourire amical adoucissant cette question indiscrte. Quand on voit la longueur de ta crinire, on sinterroge Kahlan lui rendit son sourire, mais il la vit se rembrunir. Certains me jugent importante Mais aprs les vnements daujourdhui, jesprais que tu aurais retenu la leon : nous sommes seulement ce que nous sommes, rien de plus ou de moins ! Compris ! Si je pose une question quun ami ne devrait pas poser, botte-moi les fesses ! Kahlan fit de nouveau le sourire lvres serres qui voquait pour lui un dsir de partage. Du baume sur son cur ! Richard approcha de la table, repra un de ses plats prfrs des travers de porc la sauce forte en remplit une assiette et la tendit Kahlan. Gote-moi a ! Jen fais des folies La jeune femme tint lassiette bout de bras, comme si elle risquait de la mordre. Cest la viande de quel animal ? Du cochon rpondit Richard, un peu surpris. Vas-y, cest ce quil y a de meilleur sur cette table ! Kahlan se dtendit, cessa de lorgner dubitativement lassiette et commena manger. Richard dvora les travers avec elle puis leur prpara un assortiment de saucisses. Essaye a aussi ! Quy a-t-il dedans ? Du porc, du buf et des pices. Je ne sais pas lesquelles Pourquoi ? Tu refuses de consommer certaines choses ? Certaines, oui, luda Kahlan. (Mais elle se rgala dune saucisse.) Je peux avoir de la soupe aux pices ? Richard lui en servit un petit bol. Le rcipient tenu deux mains, elle gota du bout des lvres Et sourit. - 30 -

Trs bonne, comme la mienne Je crois que nos deux pays sont moins diffrents que tu ne le redoutes. Quand elle eut fini sa soupe, Richard, de bien meilleure humeur quau dbut, prit une paisse tranche de pain, la couvrit dun morceau de blanc de poulet et la lui tendit en change du bol vide. Kahlan continua manger en sloignant de la table. Aprs avoir remis le bol sa place, Richard la suivit. Il serra quelques mains au passage sans soffusquer des regards dsapprobateurs que lui valait sa tenue. Kahlan sarrta prs dune colonne, lcart de la foule. Tu mapporterais du fromage ? Bien sr ! Lequel ? Aucune importance Richard se fraya de nouveau un chemin jusqu la table, choisit deux parts de chvre et en grignota une en retournant vers la colonne. Kahlan prit le bout de fromage mais ne le porta pas ses lvres. Son bras glissa le long de son corps et elle le laissa tomber sur le sol. Tu as quelque chose contre le chvre ? Je dteste tous les fromages souffla Kahlan, les yeux rivs sur un point, derrire Richard. Alors, pourquoi men as-tu demand ? Continue de me regarder Derrire toi, au fond de la salle, deux hommes nous observent depuis un moment. Jai voulu savoir lequel de nous deux ils espionnaient. Cest toi quils ont suivi des yeux. Moi, je ne les intresse pas. Richard tourna discrtement la tte. Ce sont deux assistants de Michael. Ils me connaissent bien Ma tenue doit les surprendre. (Il baissa la voix.) Tout va bien, Kahlan. Dtends-toi ! Les types de ce matin sont morts. Tu es en scurit Dautres tueurs viendront. Il faut que je mloigne de toi. Sinon, ta vie sera de nouveau en danger. Maintenant que tu es en ville, aucun quatuor ne pourra te traquer. Cest impossible ! Il en savait assez long sur lart de pister une proie pour tre sr de ne pas se tromper. Kahlan passa un doigt dans le col de sa robe et approcha du jeune homme. Pour la premire fois, il lut de la colre dans ses yeux. Quand jai quitt mon pays, cinq sorciers ont jet des sorts - 31 -

censs dissimuler mes traces. Ensuite, ils se sont suicids pour ne pas risquer de parler sous la torture Les larmes aux yeux, les dents serres, Kahlan tremblait de la tte aux pieds. Des sorciers ! Richard se ptrifia. Au prix dun violent effort, il se reprit, tira doucement la main de Kahlan hors de sa robe et la rchauffa entre les siennes. Excuse-moi souffla-t-il. Richard, je vis dans la peur ! Sans ton intervention, tu nas pas ide de ce que jaurais subi. Mourir aurait t le plus facile. Ces hommes sont capables des pires horreurs ! Elle tremblait comme une feuille, submerge par la terreur. Richard la tira derrire la colonne, o personne ne pourrait les pier. Je suis dsol, Kahlan. Mais je ne comprends rien tout a ! Toi, tu sais certaines choses Moi, javance dans le noir et jai aussi peur que toi. Ce matin, sur la corniche La trouille de ma vie ! Et malgr ce que tu dis, je nai pas fait grand-chose pour nous sauver Ctait suffisant pour quon sen sorte Assez pour nous tirer daffaire ! Si tu ne mavais pas aide Mais je refuse que ma prsence ici te mette en danger ! Richard serra plus fort la main dlicate quil tenait entre les siennes. Pas de risque que a arrive ! Un ami moi appel Zedd nous dira comment faire pour que tu sois en scurit. Il est un peu excentrique, mais cest lhomme le plus intelligent que je connaisse. Si quelquun est capable de nous aider, cest lui. Puisquon peut te suivre partout o tu vas, fuir ne sert rien, car tes ennemis te rattraperont toujours. Tu dois parler Zedd ! Ds que Michael aura fini son discours, je temmnerai chez moi. Tu tassiras prs du feu Au matin, nous irons chez Zedd. (Il sourit et dsigna quelque chose du menton.) Regarde plutt par l ! Kahlan obit et dcouvrit Chase, solidement camp devant une haute fentre. Il tourna la tte, leur sourit et reprit sa surveillance. Pour lui, un quatuor serait loccasion de samuser un peu Pendant quil soccuperait de ces tueurs, jaurais tout le temps de te parler des vrais problmes ! Depuis quon lui a racont notre combat sur la corniche, il joue les guetteurs pour ta scurit. Kahlan eut un ple sourire qui seffaa trs vite. Cest trs grave, Richard. Je pensais me mettre labri en - 32 -

venant ici. Et a aurait d tre le cas. Si jai pu traverser la frontire, cest grce la sorcellerie. (Elle tremblait toujours, mais sembla se reprendre un peu, comme si elle puisait de la force chez son compagnon.) Jignore comment ces hommes ont fait pour passer aussi. Ils nauraient mme pas d savoir que jtais partie ! Mais toutes les rgles ont chang On soccupera de a demain. Pour linstant, tu ne risques rien. Si un autre quatuor doit venir, ce ne sera pas avant des jours. a nous laisse le temps dimaginer un plan. Tu as raison Merci, Richard Cypher, mon cher ami Mais si je mets ta vie en danger, je partirai avant quil ne tarrive malheur. (Elle dgagea sa main et se scha les yeux.) Mon estomac nest toujours pas plein ! Je peux avoir autre chose ? Bien sr ! Quest-ce qui te tente ? Tes dlicieux travers de porc Ils retournrent prs de la table et mangrent en attendant Michael. Richard tait satisfait davoir rassur son amie et soulag den savoir un peu plus long. Dune manire ou dune autre, il trouverait une solution aux problmes de Kahlan. Puis il dcouvrirait ce qui se passait sur la frontire. Mme si les rponses ses questions le terrifiaient, il les obtiendrait ! Des murmures coururent dans lassistance. Toutes les ttes se tournrent vers lentre de la salle. Michael arrivait enfin. Richard prit la main de Kahlan et approcha pour ne rien manquer du spectacle. En voyant son frre monter sur une estrade, il comprit pourquoi Michael avait attendu si longtemps pour faire son entre. Il guettait le moment o le soleil couchant illuminerait cet endroit prcis, histoire dapparatre dans toute sa gloire. Plus petit que Richard et plus envelopp , la tignasse en bataille, il arborait firement une magnifique moustache. Au-dessus de ses braies blanches, sa tunique aux manches bouffantes, galement blanche, tait serre la taille par une ceinture en or. Sous la lumire vesprale, devant une assistance plonge dans la pnombre, le nouveau Premier Conseiller irradiait la mme lueur surnaturelle que les colonnes de marbre. Richard agita une main pour signaler sa prsence. Michael le repra, lui sourit et le regarda un moment dans les yeux avant de parler. - 33 -

Mes dames et messires, aujourdhui, jai accept la charge de Premier Conseiller de Terre dOuest. Des vivats montrent de lassistance. Michael leva les bras et attendit que le silence revienne. En ces temps difficiles, les conseillers de notre pays mont choisi parce que jai le courage et lindpendance desprit ncessaires pour nous guider vers un nouvel ge. Mes amis, nous avons trop longtemps vcu le regard riv sur le pass et non sur lavenir. Il est temps de ne plus chasser les vieux fantmes et de sattaquer aux dfis de demain. Cessons dcouter les appels aux armes ! Et prtons enfin loreille aux voix qui veulent nous entraner sur le chemin de la paix ! Lassistance hurla son assentiment. Sidr, Richard se demanda de quoi parlait son frre. Quelle guerre ? Le pays navait pas dennemi Michael leva de nouveau les bras et continua sans attendre que la foule se taise ; Je ne resterai pas inactif au moment o Terre dOuest est menace par des tratres ! Michael stait empourpr, ivre de fureur. Son public hurla de nouveau, certains hommes levant le, poing. Michael ! Michael ! scandrent-ils. Interloqus, Kahlan et Richard se regardrent Des citoyens responsables sont venus me livrer les noms de ces lches. linstant mme, alors que nos curs battent lunisson pour un idal commun, les garde-frontire nous protgent et larme arrte les conspirateurs qui prtendaient renverser le gouvernement. Et il ne sagit pas dune bande de criminels, mais dhommes respects qui exercent les plus hautes fonctions ! Des murmures coururent dans lassemble. Boulevers, Richard ny comprenait plus rien. Une conspiration, vraiment ? Dans sa position, son frre devait savoir de quoi il parlait. Et si les coupables appartenaient aux hautes sphres, a expliquait pourquoi Chase navait rien dcouvert Sous son rayon de soleil, Michael attendit que les murmures se taisent. Mais cest de lhistoire ancienne ! Aujourdhui, nous changeons de cap ! Si on ma nomm Premier Conseiller, cest aussi parce que je vis depuis toujours dans cette ville, lombre de la frontire. Une ombre, mes amis, qui sest abattue sur nos vies ! Mais - 34 -

dire cela, cest encore tourner son regard vers le pass. Par bonheur, la lumire dune nouvelle aube chasse toujours les ombres de la nuit. Ainsi, nous dcouvrons que les silhouettes qui nous terrifiaient taient des fantmes ns de notre imagination. Nous devons penser au jour o la frontire nexistera plus, car rien ne survit ternellement Quand ce moment viendra, il faudra savoir tendre une main amicale, pas une pe, comme certains le voudraient. Sinon, nous subirons les ravages dune guerre absurde, avec son cortge de morts inutiles. Allons-nous gaspiller nos richesses prparer un conflit contre un peuple dont nous avons si longtemps t spars ? Un peuple, ne loubliez pas, dont taient issus les anctres de beaucoup dentre nous. Faut-il nuire nos frres et nos surs, simplement parce que nous ne les connaissons pas ? Quel gchis ! Nos richesses, mes amis, doivent servir liminer la souffrance qui nous entoure. Quand le jour viendra peut-tre pas de notre vivant, mais il viendra, je vous lassure , nous devrons tre prts accueillir nos frres et surs depuis si longtemps perdus. Le but nest pas dunir deux pays, mais trois ! Tt ou tard, comme celle qui nous spare des Contres du Milieu, la frontire entre Terre dOuest et DHara disparatra aussi. Alors, ces trois contres nen feront plus quune. Si notre dtermination ne faiblit pas, nous connatrons la joie de la runion. Et cette formidable liesse sera ne aujourdhui, au cur de notre ville ! Voil pourquoi jai frapp ceux qui voudraient nous forcer combattre quand les frontires tomberont. Bien sr, cela ne signifie pas quavoir une arme est inutile. Qui sait quels obstacles se dressent sur le chemin de la paix ? Ou quelles menaces nous guettent ? Mais nous devons nous interdire den inventer ! Michael tendit un bras et le passa lentement au-dessus de la foule. Tous ceux qui sont ici incarnent lavenir ! Conseillers de Terre dOuest, votre mission est de rpandre la bonne parole dans tout le pays. Dlivrez un message de paix aux hommes de bonne volont. Ils liront dans vos yeux et dans vos curs que vous dites la vrit. Je vous en supplie, aidez-moi ! Il faut que nos enfants et nos petitsenfants cueillent les fruits des arbres que nous plantons aujourdhui. Ainsi, les gnrations venir nous seront reconnaissantes jusqu la fin des temps. Aurol par la lumire du couchant, Michael plaqua les poings - 35 -

sur sa poitrine et inclina la tte. Trop remue, lassistance nmit plus un son. Richard vit des hommes aux yeux embus et des femmes en larmes. Tous les regards convergeaient sur le Premier Conseiller, aussi immobile quune statue. Richard ne lavait jamais entendu parler avec une loquence et une conviction pareilles. Et son propos tait pertinent. Aprs tout, Kahlan, dsormais son amie, ne venait-elle pas de lautre ct de la frontire ? Mais quatre hommes des Contres du Milieu avaient essay de le tuer Non, pas lui mais elle, corrigea-t-il. Il stait seulement dress sur leur chemin. Ils lui avaient propos de partir et ctait lui qui avait dcid de combattre. Depuis toujours, il se mfiait des gens qui vivaient de lautre ct de la frontire. Aujourdhui, Kahlan tait son amie Exactement ce que disait Michael ! Richard commena voir son frre sous un nouveau jour. Pour mouvoir une foule ce point, il fallait une force de caractre inoue. Et Michael militait pour la paix et la fraternit ! Quel mal pouvait-il y avoir a ? Aucun Alors, pourquoi Richard tait-il si troubl ? prsent, continua Michael, revenons la souffrance qui nous entoure. Alors que nous tremblions cause des frontires, do aucun danger nest jamais venu, nos parents, nos amis et nos voisins ont connu la douleur ou sont morts. Des accidents absurdes et tragiques dus au feu. Oui, vous mentendez bien : au feu ! Des murmures interloqus coururent dans la foule, soudain libre de lemprise hypnotique de Michael. Mais cette raction ne parut pas le surprendre. Il dvisagea ses auditeurs les uns aprs les autres, laissant la confusion grandir. Puis, sans crier gare, il tendit une main, dsignant Richard ! Regardez cet homme ! cria-t-il. (Toutes les ttes se tournrent vers le compagnon de Kahlan.) Regardez mon frre ador ! (Richard essaya en vain de se faire tout petit.) Ce frre chri qui partage avec moi la douleur davoir perdu sa mre cause du feu ! Les flammes nous lont arrache quand nous tions trs jeunes, et nous avons d grandir sans son amour, ses soins et ses conseils. Ce nest pas un ennemi imaginaire venu de la frontire qui nous la prise, mais le feu ! Quand nous tions en larmes, la nuit, elle ne pouvait plus nous consoler ! Le plus terrible, cest que cela aurait d tre vit Des larmes ruisselrent sur les joues de Michael. - 36 -

Je suis dsol, mes amis, veuillez me pardonner (Il tira un mouchoir de sa manche et scha ses yeux.) Mais ce matin, jai appris quun autre incendie avait tu un jeune couple de parents, laissant leur fille orpheline. Cela a rveill mon chagrin et je nai pas pu me taire De nouveau corps et me avec lui, les hommes et les femmes qui lcoutaient sanglotaient sans retenue. Une vieille dame posa la main sur lpaule de Richard, ttanis, et lui souffla ses condolances loreille. Je me demande, continua Michael, combien dentre vous ont connu le mme drame que mon frre et moi. Sil vous plat, tous ceux qui ont eu un parent ou un ami bless ou tu par le feu, identifiez-vous ! Quelques mains se levrent et on entendit des gmissements. Et voil, mes amis, lana Michael en cartant les bras, la souffrance qui nous entoure ! Inutile de sortir de cette salle pour la trouver ! Richard serra les poings quand des souvenirs longtemps refouls dferlrent en lui. Persuad davoir t escroqu par George Cypher, un homme avait perdu son calme et bris une lampe huile sur la table de la maison familiale. Pendant que le type tirait George dehors, le rouant de coups, leur mre avait secouru Michael et Richard, endormis dans leur chambre. Aprs les avoir mis en scurit, elle tait retourne prendre quelque chose dans la maison (ils navaient jamais su quoi), o elle avait brl vive. Ramen la raison par ses cris, lhomme avait essay daider George la tirer du brasier. En vain. Fou de culpabilit et dhorreur, le type avait clat en sanglots, criant qui voulait lentendre quil tait dsol. Voil ce qui arrivait, lui avait rpt mille fois son pre, quand on perdait son calme. Si Michael ngligeait la leon, Richard sy tenait au pied de la lettre. Terrifi par les consquences possibles de sa colre, il ltouffait ds quelle montrait le bout du nez. Michael se trompait du tout au tout. Ce ntait pas le feu qui avait tu leur mre, mais la colre ! Bras le long du corps, tte incline, comme vid de son nergie, Michael conclut dune voix blanche : Que pouvons-nous faire pour protger nos familles du feu ? (Il secoua tristement la tte.) Je nen sais rien, mes amis Mais je chargerai une commission de se pencher sur le problme, et toutes - 37 -

les suggestions des citoyens responsables seront bienvenues. Ma porte leur sera toujours ouverte. Ensemble, nous pouvons agir. Ensemble, nous russirons ! Et maintenant, mes amis, permettez-moi daller rconforter mon frre. Il a souffert que je parle de notre tragdie familiale et je dois lui demander pardon Il sauta de lestrade. Quand la foule scarta devant lui, quelques mains se tendirent pour le toucher, mais il ne sattarda pas. Richard le regarda approcher. Lassistance se dispersa et Kahlan seule resta prs de lui, une main pose sur son bras. Masss autour de la table, les convives se lancrent dans des conversations animes et ne sintressrent plus eux. Richard bomba le torse et touffa sa colre. Rayonnant, Michael lui tapota joyeusement lpaule. Un grand discours ! se congratula-t-il. Quen penses-tu ? Richard baissa les yeux sur la mosaque du sol. Pourquoi as-tu parl de sa mort ? Raconter ces horreurs tout le monde Utiliser notre mre comme a ! Michael passa un bras autour des paules de son frre. Je sais que a ta secou et je mexcuse, mais ctait pour la bonne cause. Tu as vu les larmes dans leurs yeux ? Mon grand projet amliorera la vie de tous et Terre dOuest sera plus puissante que jamais. Jtais sincre : nous devons relever les dfis de lavenir avec enthousiasme, pas en tremblant de peur ! Et que voulais-tu dire exactement propos des frontires ? Les choses changent, Richard Je dois nous ouvrir la route. (Le sourire de Michael seffaa.) Cest le fond de ma pense. Les frontires ne tiendront pas ternellement. Selon moi, elles nont pas t conues pour a. Il faut nous y prparer O en est lenqute sur la mort de notre pre ? demanda Richard, press de changer de sujet. Les pisteurs ont dcouvert quelque chose ? Michael retira son bras des paules de Richard. Quand grandiras-tu enfin ? George tait un vieux fou qui passait son temps sapproprier des choses qui ne lui appartenaient pas. Il est srement tomb sur un propritaire mal lun arm dun grand couteau. Cest faux et tu le sais ! cria Richard, qui dtestait entendre Michael dire George sur ce ton. Il na jamais rien vol ! - 38 -

Dtrousser les vieux morts nest pas plus permis que le reste ! Une tierce personne a d vouloir faire justice et rcuprer un bien quelconque. Et comment le sais-tu ? Quas-tu dcouvert ? Rien du tout ! Mais cest vident. La maison tait sens dessus dessous. Quelquun cherchait quelque chose et ne la pas trouv. George ayant refus de parler, on la tu. Cest tout ce quon peut dire. Les claireurs nont pas repr de piste. Nous ne connatrons jamais le ou les coupables. Tu devrais ty rsigner La thorie se tenait : quelquun avait voulu rcuprer un objet. Richard ne pouvait pas blmer Michael de ne pas avoir dcouvert de qui il sagissait. Mais comment expliquer labsence de traces ? Dsol, tu as peut-tre raison Alors, a ntait pas li la conspiration contre toi. Tes ennemis ny sont pour rien ? Non, non Aucun rapport Ce problme est rgl ! Ne ten fais pas pour moi. Je ne risque rien et tout va pour le mieux. (Michael se rembrunit.) Dis-moi, petit frre, pourquoi es-tu venu dans cette tenue ? Tu aurais pu faire un effort, cette fte est prvue depuis des semaines ! Kahlan rpondit la place de Richard, qui avait presque oubli sa prsence. Veuillez pardonner votre frre, ce nest pas sa faute. Il devait me servir de guide jusqu Hartland et je suis arrive en retard notre rendez-vous. Je vous implore de ne pas le juger mal cause de moi. Michael examina attentivement la jeune femme. Et qui ai-je lhonneur ? Kahlan Amnell Ainsi, fit le Premier Conseiller en la saluant de la tte, vous ntes pas sa cavalire, comme je le croyais. Et do veniez-vous ? Un petit village, loin dici. Je suis sre que vous nen avez jamais entendu parler. Michael ne releva pas et se tourna vers son frre. Tu passes la nuit ici ? Non. Je dois aller voir Zedd. Il veut me parler. Hum Richard, tu devrais mieux choisir tes amis. Tu perds ton temps avec ce vieil idiot ! (Il regarda Kahlan.) Et vous, ma chre, resterez-vous pour la nuit ? Dsole, mais jai dautres engagements Michael tendit les bras, posa les mains sur la croupe de la jeune - 39 -

femme, lattira vers lui et logea une jambe entre ses cuisses. Changez-en ! lana-t-il avec un sourire glacial. Retirez vos mains dit lentement Kahlan, menaante. Michael et elle se dfirent du regard. Michael, arrte a ! cria Richard, qui nen croyait pas ses yeux. Son frre, se comporter comme un mufle de la pire espce ! Ils lignorrent, continuant leur duel silencieux. Richard hsita, conscient quils dsiraient le voir rester en dehors de a. Il se raidit nanmoins, prt passer outre Un contact agrable souffla Michael. Je pourrais tomber amoureux de toi Et tu nas encore rien vu ! lana Kahlan. Maintenant, retire tes mains ! Voyant que Michael ne ragissait pas, elle posa doucement longle de son pouce sur sa poitrine, juste sous la gorge. Leurs regards croisant toujours le fer, elle laissa sa main descendre lentement et entailla la chair. Un filet de sang perla de la blessure. Michael tenta de ne pas bouger, mais Richard lut dans ses yeux que lexprience tait trs douloureuse. Ny tenant plus, son frre lcha Kahlan et recula. Sans daigner lui jeter un coup dil, elle traversa la salle et sortit. Richard foudroya Michael du regard, incapable dtouffer vraiment sa colre. Puis il suivit son amie.

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Chapitre 4Richard repra Kahlan dans le jardin. Sa robe et ses longs cheveux voletaient derrire elle sous la lumire du couchant. Arrive prs dun arbre, elle sarrta. En lattendant, elle essuya pour la deuxime fois de la journe le sang qui maculait sa main. Quand il lui tapota lpaule, elle se retourna, parfaitement impassible. Kahlan, je suis navr, et Ne texcuse pas ! Ton frre ne sen prenait pas moi, cest toi quil visait. Que veux-tu dire ? Cet homme est jaloux. Il nest pas idiot. Il a vu que jtais avec toi, et a la irrit. Richard prit Kahlan par le bras et lentrana loin de la maison. Furieux contre Michael, il avait honte de sa raction. Comme sil avait trahi son pre a nexplique rien Le Premier Conseiller peut avoir tout ce quil dsire. Jaurais d intervenir. Je ne voulais pas que tu ten mles Richard, il convoite tout ce que tu possdes. Si tu lavais arrt, il se sentirait oblig de me conqurir. Dsormais, je ne lintresse plus. Ce quil a fait au sujet de votre mre tait pire. Mais aurais-tu voulu que je parle ta place ? Non, ce ntait pas toi de ten charger, concda Richard, sa colre enfin touffe. Autour deux, les maisons, plus modestes, restaient coquettes et bien entretenues. Certains propritaires profitaient de la clmence du temps pour faire des rparations avant larrive de lhiver. Sentant lair vif et piquant, Richard devina que la nuit serait froide. Une soire idale pour un bon feu de chemine qui embaumerait latmosphre. mesure quils marchaient, les palissades blanches cdaient la place aux grands carrs de pelouse des manoirs rigs en retrait de la route. Sans sarrter, Richard arracha une feuille la branche - 41 -

dun chne qui bordait le chemin. Tu sembles en savoir long sur les gens, dit-il. Leurs motivations ne tchappent pas Possible Cest cause de a quon te poursuit ? demanda Richard en dchiquetant soigneusement sa feuille. Kahlan tourna la tte vers lui et chercha son regard. Ces gens me traquent parce quils ont peur de la vrit. Toi, elle ne teffraie pas. Cest pour a que je te fais confiance. Il sourit du compliment, content de la rponse, mme sil ntait pas sr de la comprendre. Alors, tu ne vas pas me botter les fesses ? Non, mais a nest pas pass loin ! (Elle se tut un instant, mlancolique.) Navre, Richard, mais pour linstant, il faut me croire aveuglment. Plus je ten dirai, plus nous serons en danger tous les deux. Toujours amis ? Toujours amis ! confirma Richard en jetant les restes de la feuille. Un jour, tu me raconteras tout ? Si je peux, cest promis Parfait Aprs tout, je suis un sourcier en qute de vrit . Kahlan sarrta net, le prit par la manche et le fora se tourner vers elle. Pourquoi as-tu dit a ? Quoi ? Sourcier en qute de vrit ? Zedd me donne ce surnom depuis mon enfance Parce que je veux toujours aller au fond des choses, selon lui. Pourquoi cette raction ? Oublie a souffla Kahlan en reprenant son chemin. Richard avait encore touch un point sensible. Mais cette fois, il tenait un dbut dexplication. Les ennemis de Kahlan la traquaient parce quils redoutaient la vrit. En lentendant annoncer quil tait un sourcier en qute de vrit , elle avait d avoir peur quils sen prennent aussi lui. Peux-tu au moins me dire qui sont les gens qui te poursuivent ? Kahlan se rapprocha de lui sans cesser de surveiller la route. Ce sont les adeptes dun homme malfique appel Darken Rahl. Sil te plat, ne me pose plus de questions ! Je nai pas envie de penser lui. Darken Rahl. Au moins, maintenant, il connaissait le nom de leur adversaire - 42 -

Une fois le soleil disparu derrire les collines des bois de Hartland, lair se rafrachit sensiblement. Richard et Kahlan marchaient en silence. Cela ne gnait pas le jeune homme, car il avait trs mal la main et se sentait un peu nauseux. Un bon bain et un lit douillet, voil ce quil lui fallait ! Non, rectifia-t-il. Il serait plus galant de laisser le lit son amie. Il dormirait sur son fauteuil prfr, celui qui grinait un peu. Un bon programme. La journe avait t longue et il ntait plus trs vaillant. Prs dun bosquet de bouleaux, il fit signe Kahlan de sengager sur le sentier qui conduisait sa maison. Elle avana et brisa au passage des toiles daraigne, chassant du dos de la main les fils qui se dposaient sur son visage et ses bras. Richard avait hte dtre chez lui. En plus du couteau et des autres choses utiles quil avait oubli demporter, il tait press de retrouver un objet trs important quil tenait de son pre George avait fait de lui le gardien dun secret et dun grimoire tout aussi secret. Afin de prouver que louvrage navait pas t vol, mais simplement mis labri, il avait donn son fils un moyen de dmontrer sa bonne foi. Un croc triangulaire long de trois doigts Richard y avait attach une lanire de cuir pour le porter autour du cou. Mais comme son couteau et son sac dos, il avait laiss le pendentif chez lui. Comment pouvait-on tre aussi stupide ? Sans le croc, son pre risquerait de passer pour un vulgaire voleur, ainsi que Michael lavait insinu. Plus haut sur le sentier, aprs une zone rocheuse dcouvert, les chnes, les rables et les bouleaux cdaient la place des picas. Le sol, jusque-l couvert de feuilles vertes, droulait sous les pieds des promeneurs un tapis daiguilles marron. Soudain, Richard eut un mauvais pressentiment. Prenant dlicatement la manche de Kahlan entre le pouce et lindex, il la tira en arrire. Je vais passer le premier, dit-il calmement. Elle obit sans poser de question. La demi-heure suivante, avanant plus lentement, il tudia le sol et examina toutes les branches qui pendaient au bord du chemin. Puis il sarrta au pied de la dernire butte avant sa maison et fit signe Kahlan de saccroupir avec lui derrire un buisson de fougres. Un problme ? demanda la jeune femme. - 43 -

Je minquite peut-tre pour rien. Mais quelquun a emprunt ce chemin dans laprs-midi Il ramassa une pomme de pin crase et ltudia avant de la reposer. Comment le sais-tu ? cause des toiles daraigne (Il regarda vers le sommet de la butte.) Il ny en a plus depuis un moment. Quelquun est pass et les a dtruites. Les araignes nont pas eu le temps den tisser de nouvelles Quelquun habite dans les environs ? Non. Il peut sagir dun voyageur, mais ce chemin nest pas trs frquent. Quand je marchais devant, il y avait des toiles daraigne partout. Je les enlevais de mon visage tous les dix pas Cest bien ce qui mennuie Personne na suivi cette partie-l du chemin aujourdhui. Mais depuis la zone dcouvert, il ny a plus de toiles. Comment est-ce possible ? Je nen sais rien Quelquun a peut-tre travers les bois jusqu la clairire, et rejoint le chemin cet endroit. Mais cest un itinraire trs accident. Ou alors, mon visiteur est tomb du ciel ! Ma maison est juste aprs cette butte. Restons vigilants Richard passa le premier. Kahlan le suivit, tous les sens en alerte, comme lui. Le jeune homme aurait voulu faire demi-tour, mais il ne parvenait pas sy rsoudre. Impossible de repartir sans le croc que son pre lui avait remis en guise de sauf-conduit ! Au sommet de la butte, ils saccroupirent derrire un grand pin et examinrent la maison. La porte tait ouverte, alors quil la fermait toujours, et les fentres avaient t casses. Toutes ses possessions jonchaient le sol. Richard se releva. Mise sac, comme la maison de mon pre ! Kahlan le saisit par la chemise et lempcha de courir. Richard ! souffla-t-elle, furieuse. Ton pre est peut-tre rentr chez lui exactement comme a. Et sil avait fonc tte baisse, comme tu tapprtais le faire, alors que ses ennemis le guettaient lintrieur ? Elle avait raison, bien entendu. Richard se passa une main dans les cheveux pour saider rflchir. Puis il regarda de nouveau sa - 44 -

demeure. La cloison arrire tait adosse aux bois et la porte dentre donnait sur la clairire. Comme il ny avait pas dautre issue, toute personne cache lintrieur sattendrait ce quil passe par l. Daccord murmura-t-il. Mais il y a chez moi un objet que je ne peux pas laisser. Ds que je laurai rcupr, on filera dici. Sil aurait prfr y aller seul, abandonner Kahlan sur le chemin ne lui disait rien qui vaille. Ils senfoncrent dans les bois et dcrivirent un grand cercle pour contourner la maison. Quand ils atteignirent lendroit do Richard pourrait approcher du btiment par larrire, il fit signe son amie de lattendre. Elle en fut contrarie, mais ce ntait pas ngociable. Si quelquun avait tendu un pige, il ne voulait pas quelle tombe dedans avec lui. Il la laissa sous un pica, avana lentement et fit un grand dtour pour rester sur le tapis daiguilles et viter les zones jonches de feuilles. Quand il aperut la fentre de derrire, il simmobilisa. Pas un bruit. Pli en deux, le cur battant tout rompre, il reprit sa progression. Lorsquun serpent traversa son chemin, il le laissa passer sans esquisser un geste. Arriv devant la maison en rondins patins par les intempries, il posa doucement une main sur le rebord de la fentre et leva la tte pour jeter un regard lintrieur. Tous les carreaux taient casss et il ne restait rien dintact dans sa chambre. Autour du lit ventr gisaient des livres prcieux aux pages dchires. La porte qui donnait sur lautre pice tait entrebille, mais pas assez pour voir ce quil y avait derrire. Si on ne la calait pas avec un morceau de bois, ctait la position quelle adoptait naturellement Richard passa la tte par la fentre et baissa les yeux sur son lit. Son sac dos et le pendentif taient accrochs la colonne du lit, laplomb de la fentre, l o il les avait laisss. Il tendit lentement le bras Dans la pice de devant retentit un grincement familier. Richard se ptrifia. Le craquement de son fauteuil, tellement li ce vieux meuble quil navait jamais pu se rsoudre le supprimer. Richard recula sans un bruit. Quelquun lattendait dans lautre pice, assis sur son cher fauteuil. Il capta du coin de lil un mouvement qui le fora tourner la tte vers la droite. Perch sur une souche pourrie, un cureuil le regardait. Sil te plat, pensa Richard, ne commence pas babiller pour - 45 -

mordonner de quitter ton territoire ! Lcureuil continua lobserver un long moment, puis sauta sur un arbre, lescalada et disparut. Richard releva la tte pour regarder de nouveau par la fentre. La porte tait toujours dans la mme position. Sans la quitter des yeux, attentif au moindre bruit venant de lautre pice, le jeune homme tendit le bras et saisit son sac et son pendentif. Le couteau reposait sur une petite table, de lautre ct du lit. Pas moyen de le prendre ! Il ramena lentement son bras et fit passer le sac par la fentre sans heurter les chardes de la vitre brise. Son butin dans les mains, il rebroussa chemin et rsista de justesse lenvie de courir. Un coup dil par-dessus son paule lui apprit que personne ne le suivait. Passant la tte travers la lanire de cuir, il fit glisser le croc sous sa chemise. Personne ne devait le voir, part le gardien du grimoire secret. Kahlan attendait l o il lavait laisse. Quand elle le vit, elle se leva dun bond, mais il posa un doigt sur ses lvres pour lui indiquer de ne pas parler. Le sac sur son paule gauche, il tapota gentiment le dos de son amie, qui se mit aussitt en mouvement. Pas question de revenir par le mme chemin ! Richard guida Kahlan travers bois et ils rejoignirent le sentier, au-del de la maison. Tous les deux soupirrent de soulagement devant les magnifiques toiles daraigne qui leur barraient le chemin sous les derniers rayons du soleil. Ce sentier tait plus difficile et trs long, mais il les conduirait destination. Chez Zedd ! La maison du vieil homme tait trop loin pour quils latteignent avant la nuit et saventurer dans le noir sur un terrain aussi accident aurait t dangereux. Mais Richard voulait mettre le plus de distance possible entre eux et lennemi qui attendait encore son retour la maison. Tant quil y aurait un peu de lumire, ils continueraient. Avec un dtachement qui ltonna, Richard se demanda si ctait lassassin de son pre qui le guettait. Sa maison tait ravage, comme celle de George. Lui avait-on tendu le mme pige qu son fils ? Sagissait-il du mme tueur ? Brlant de laffronter, ou au moins de voir son visage, le jeune homme avait pourtant cd la voix intrieure qui lui ordonnait de fuir Richard seffora de ne pas laisser son imagination semballer. - 46 -

Bien sr que quelque chose, en lui, lavait incit fuir le danger ! Aujourdhui, il stait sorti de justesse dune situation dsespre. Se fier une fois sa chance tait dj stupide. Rejouer ce petit jeu aurait t dune arrogance suicidaire. La fuite restait la meilleure solution Pourtant, il regrettait toujours dignorer sil existait un lien entre la mort de son pre et la mise sac de sa propre maison. Il voulait savoir qui tait le meurtrier de George. Il brlait de le dcouvrir. Mme si on ne lui avait pas laiss voir le cadavre, il avait insist pour savoir comment George tait mort. Chase le lui avait dit en prenant mille prcautions. Son pre avait le ve