8

Click here to load reader

GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

  • Upload
    vannga

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE

GRAND PUBLICET SAVOIR SCIENTIFIQUE:LE MUR

par R. GIROD

Malgré l'ampleur de l'offre (enseignement, périodi­ques de vulgarisation, documentaires télévisés, etc.) lesconnaissances scientifiques pénètrent très peu Je grandpublic. Même les personnes ayant accompli des étudessupérieures sont en fait, le plus souvent, au-dessous d'unniveau élémentaire en ce domaine.

Notre civiJisation porte certes l'empreinte de lascience, mais {es produits de la recherche mis entretoutes les mains sont évidemment utilisables sans com­pétences particulières. Ainsi la demande effective de cul­ture scientifique restant faible, ce qui a été appris éven~

tuellement lors des études ne se conserve guère et s'ac­croit encore moins.

Données résultant d'enquêtes.

La civilisation actuelle est scientifique, mais pas dutout la culture du grand nombre, y compris dans les paysles plus avancés. Leur population est certes habituée àvivre dans un milieu qui a cessé d'être naturel pourdevenir technique. Les innombrables appareils qui l'envi­ronnent ne la déroutent aucunement. Elle sait s'en servir.Elle reçoit par la télévision et la radio, aussi par un flot

N° 76 juillet-août-septembre 1986, 49-56

d'articles et d'ouvrages de vulgarisation, des reflets desdécouvertes les plus spectaculaires de la science. Maisl'accoutumance pratique aux applications techniques dela recherche est une chose, le fait d'avoir des échos desprouesses des savants en est une autre et la culturescientifique en est une troisième.

Bien entendu, il n'est pas question d'imaginer que lesnon spécialistes puissent jamais avoir une culture pous·sée dans toutes les branches et sous-branches dessciences. En principe, if semblerait toutefois assez naturelqu'ils soient pourvus tout de même d'un degré convena­ble d'instruction scientifique de base.

De fait, celle-ci demeure d'un niveau extrêmementbas (Roqueplo, 1974).

Les jeunes, nous allons le voir, ne retirent pas grand­chose des leçons de sciences. De plus, contrairement àcertaines idées reçues, les exigences de la vie modernen'incitent guère les individus à compléter le bagaged'instruction scientifique, extrêmement médiocre en géné­rai, avec lequel ils ont abordé le seuil de la vie d'adulte.Les applications techniques de la recherche sont conçuesde manière à pouvoir être utilisées sans compétencescientifique. Les enjeux des problèmes politiques quesoulèvent certaines de ces applications ne sont passcientifiques ni techniques, mais proprement politiques.Pour bien les saisir, le savoir scientifico-technique n'estdonc pas d'un grand secours.

C'est sans doute ce faible degré d'utilité réelle, endehors de certaines professions, qui explique pour la pluslarge part que la culture scientifique ne soit pas davan­tage répandue. Plus indispensable, eUe serait évidemmentrecherchée avec une certaine ardeur. Beaucoup d'adultesferaient des efforts afin de se perfectionner, comme c'estle cas pour l'informatique et maintes autres espèces dequalifications. Cet intérêt se répercuterait sans doute surles jeunes élèves des écoles. Les choses ne se passentpas ainsi. Spécialistes mis à part, le savoir scientifique nefait pas partie de t'outillage inteflectuef dont l'hommemoderne est réellement appelé à se servir. Des traces dece savoir, plus ou moins nombreuses, plus ou moinscohérentes suivant les individus, sont simplement pré­sentes en leur mémoire, comme beaucoup d'autres don­nées pas ou peu fonctionnelles pour eux, enregistrées augré des circonstances et auxquelles ils n'ont jamais oupresque à faire appel.

1. - NIVEAU RÉEL

Des études psychologiques très intéressantes mon~

trent combien les idées de la plupart des adultes sontéloignées de celles de la science. Qu'est-ce que la

49

Page 2: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

masse? "La masse, c'est un ensemble de particules etde molécules", répond un sujet. D'autres disent, parexemple: "La masse, c'est une question de volume...Dans le fond, tout objet en suspens c'est une masse... Lepoids, c'est disons... je ne sais pas moi. .. on va appelerça... c'est une masse... quoique non ... c'est un ensemblede particules de métal, et même une particule de métal adéjà son propre poids, alors je ne sais pas trop com­ment» (Migne, 1970, p. 50).

Avant de sourire de ces réponses, il convient évidem­ment de se demander ce que l'on aurait répondu soi­même. Les travaux des psychologue~ visent à examineren leurs nuances des représentations et des raisonne­ments grâce à des entretiens menés de façon très souple.Ils portent sur de petits nombres de cas.

Les enquêtes dont proviennent les données qui sui­vent n'ont pas pour ambition d'aller ainsi en profondeur.Leur but est de donner, à partir de questionnaires prééta­blis, un aperçu d'ensemble du degré d'instruction scienti­fique de toute la population adulte ou de tel ou tel grouped'âge. Nous laisserons de côté ce qui concerne de trèsjeunes élèves. pour ne retenir que les données relativesaux adultes ou à des adolescents ayant achevé ledeuxième degré. Les indications se rapportant à ces der­niers reflètent le degré d'instruction scientifique de baseauquel l'enseignement et toutes les sources extra-sco­laires amènent des jeunes proches d'être intégrés à lasociété des adultes. L'étude des étapes conduisant lesélèves plus jeunes à ce degré de connaissance ne faitpas partie du sujet de ces pages.

Les enquêtes procurant des renseignements statisti­ques correspondant à notre propos sont encore trèsrares.

a) Données américaines

Quelques enquêtes de ce genre ont été faites auxEtats-Unis. Le niveau des questions est, à juste titre,modeste. De plus difficiles feraient tomber la proportiondes personnes au courant très près de zéro.

Le niveau ainsi visé par les enquêtes américaines estcelui de la " scientific literacy", c'est-à-dire, pour repren­dre une expression que j'ai déjà employée plus haut, del'instruction scientifique de base. Cette expression a lesmêmes connotations très humbles que celle d'instructioncivique, par exemple.

La "scientific literacy» est ici le degré de culturescientifique que tout membre de la société américained'aujourd'hui devrait autant que possible posséder auminimum, d'après les milieux pédagogiques (Daedalus,

50

1983). Les plus systématiques des enquêtes américainessur la " scientific literacy ", celles du National Assessmentof Educational Progress, organisme étudiant régulière­ment depuis 1969 les connaissances des jeunes généra­tions dans toute une série de domaines, partent explicite­ment des objectifs des programmes de l'enseignement, ycompris l'objectif consistant à «apprendre à apprendre ",en l'occurrence à exercer la faculté de se renseigner parsoi-même sur des faits scientifiques intéressants ou surl'essentiel des problèmes d'actualité dans lesquels lascience et ses applications sont impliquées. (NAEP, June1978 et April 1979) (1).

L'autre enquête américaine à laquelle il sera fait réfé­rence ci~dessous concerne ce même niveau modeste. Ils'agit d'une enquête faite en 1979 sous l'égide de laNational Science Foundation, sur un échantîHon de l'en­semble de la population adulte (Miller, Daedalus,1983) (2).

Si les objectifs de la « scientific literacy " étaient plei­nement atteints, tout le monde répondrait de façon exacteà toutes les questions posées dans de teHes enquêtes. Laréalité est évidemment très loin de cette limite idéale.

La proportion des réponses exactes est élevée, sansatteindre 100 %, lorsque les questions sont extrêmementtaciles. C'est le cas de celles qui portent sur la compré­hension de termes d'origine scientifique faisant partie duvocabulaire le plus courant: comprennent le mot calorie,80 % des Américains, le mot kilowatt-heure, 75 %.

D'autres questions, bien que, soulignons-le, nedépassant pas le niveau de la «scientific literacy" serévèlent au contraire beaucoup plus meurtrières.

Le tableau 1 propose 15 exemples. ff s'agit d'unéchantillon très restreint. Ces exemples ont été choisis defaçon à bien illustrer quelques~unes des conclusions quise dégagent des enquêtes américaines.

Les connaissances les moins assimilées sont:

a) D'abord, ce qui ne surprendra pas, celles qui sontabstraites, sans rapport avec la vie courante. Elles survi­vent rarement dans la mémoire chez ceux qui les ontpos~êdêes un jour. Ceux~ci, s'ils s'en souviennent unpeu, ont en outre souvent de la peine à trouver les motspour les exprimer (exemple 3 du tableau 1). Tout naturel­lerl1ent aussi, la capacité d'évoquer l'explication d'un faitest beaucoup moins fréquente que celle de le remarquersimplement (comparer exemples 5 et 14).

b) Celles qui concernent des faits précis, figurantassez souvent dans la presse et les médias, mais quisont tellement mêlés à des controverses par ailleurs obs~

cures, que presque plus personne ne sait à quoi s'entenir (exemple 2).

Page 3: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

c) Celles qui ont trait à des faits également précis,mais dont il n'est pas souvent question (exemple 4).

d) Ceffes qui ne se rapportent pas à des faits consi­dérés isolément, mais supposent la compréhension deleurs rapports (comparer exemples 11 et 15).

Notons encore qu'à son humble niveau, le profanetend à être «spécialisé" à propos des problèmes aux­quels la science est mêlée. " est rare qu'il soit au courantde plusieurs, à un même moment (comparer exemples 1,6, 12 et 13).

Tableau 1

Le niveau des connaissances des Américains dans le domaine des sciences et d(t leurs applicationsQuinze exemples

Exemples

1. Indiquer de façon relativement convena­ble certains aspects de trois questionscontroversées: le nucléaire, les additifschimiques de l'alimentation, les program­mes astronautiques (1) .....

2. Qu'une explosion semblable à celle d'unebombe atomique est matérieilement im~

possible dans les centrales nucléaires (2)

3. Donner une définition acceptable de laméthode scientifique, en réponse à unequestion ouverte (1}

4. Que te charbon assure actuellement laplus grande part de la production d'élec­tricité aux Etats-Unis (et pas les bar­rages, le nucléaire, le pétrole, par exem­ple) (3)

5. Expliquer, par exemple en indiquant aumoins vaguement ce qu'est la sédimenta­tion, pourquoi, en présence d'échantil­lons de grés, de quartz et de granit, ilsavaient dit que c'était le grès qui s'étaitle plus probablement formé sous l'eau (4)

6. Indiquer de façon relativement convena­ble certains aspects d'une des troisquestions controversées de l'exemple 1 :l'astronautique (1)

7. Que les poissons sont probablement ap~

parus avant les dinosaures, les chevaux,les serpents, l'homme par exemple (5)

8. Qu'en parlant d'évolution à propos d'uneétoile, les astronomes ont en vue sonchangement graduel et pas, par ex. satrajectoire, sa vitesse, etc. (5)

-- --

% des adultessachan1...

7

8

14

14

26

32

49

51-----

Ex~mples

9. Que c'est l'industrie qui consomme leplus d'énergie dans le pays (et pas lesusages domestiques, la circulation et lestransports, ou le commerce) (3) .

10. Que les lois formulées par les sciencesne sont pas immuables, mais au con·traire peuvent changer (5) .. , .

11. Indiquer ce qui justifie les prévisions dutemps contenues dans une informationmétéorologique, en se reportant à desdonnées illustrées par des graphiques(comme ceux de la TV et de la presse)relatives à révolution en cours de la né­bulosité, de la température et du baro-mètre (5) '" . . , ..•.....

12. Indiquer de façon relativement convena­ble certains aspect d'une des questionscontroversées de l'exemple 1 : les addi-tifs chimiques (1) ....•..... , .

13. Indiquer de façon relativement convena~

ble certains aspects d'une des questionscontroversées de l'exemple 1: le nu-cléaire (1) . , , •...

14. Dire en présence d'échantillons de grès,de quartz, et de granit, que c'est le grèsqui s'est le plus probablement formésous l'eau (4) , .. , .

15. Constater de façon correcte, d'après lesdonnées illustrées graphiquement del'exemple 11 dans quel sens (baisse ouhausse) la température et le baromètretendaient à évoluer (5) .. , .

~.

'% des adultessachant..•

52

53

59

61

68

78

82

(1) Population adulte des Etats-Unis (y compris jeunes de 17-19ans). Enquête de la National Science Foundation (1979). D'aprèsM)JIer (1983).

(2) Population adulte des Etats~Unis. Enquête du Survey ResearchCenter de l'Université du Michigan (1980). D'après Communautéseuropéennes (octobre 1982).

(3) Adultes de 26-35 ans, Etats-Unis (NAEP, december 1978).(4) Elèves de 17 ans, Etats-Unis. Enquéte du NAEP (1973), citéepar Miller (Daeda!us, 1983).(5) Elèves de 17 ans, Etats~Unis. Enquête du NAEP (1977). (NAEP,May 1978).

51

Page 4: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

Tableau 2

EvolutÎon du niveau scientifique des jeunes générations. Etats­Unis, 1969~1977. Pourcentage moyen des bonnes réponses à

diverses batteries de questions (1)

Age et batterie de questions 1969 1973 1977

Batterie de 64 questions. La mêmeaux deux dates (17 ans) .. ' ..... .. 45.2 42.5 -Batterie de 70 questions. La mêmeau deux dates (17 ans) ..... - 48.4 46.5

Batterie de 23 questions. La mêmeaux trois dates (17 ans) ........ 44.6 42.3 39.9

Batterie de 15 questions. La mêmeaux deux dates (17 ans) ..... ..... - 41.9 36.4

Même batterie de 15 questions (26-36.835 ans) ..... ..... .... ....... - 40.6

Batterie de 20 questions. La mêmeaux deux dates [26-35 ans) .. - 44.6 40.7

(1) NAEP, June 1978 et April 1979. Les battenes s embOitent.celle de 15 questions est comprise dans celle de 20 questions.elle-même comprise dans celle de 23 questions, incluse dans cellede 64 questions. qui fait partie de celle de 70 questions. Lesquestions se rapportent à des notions de physique, astronomie,géologie, météorologie, biologie.

Déjà très médiocre en 1969 - début des enquêtesdu NAEP - le degré d'instruction scientifique moyen desnouvelles générations a eu tendance à le devenir davan-

tage encore depuis lors (tableau 2). Ces jeunes genera­tions ne sont même pas à mi-chemin de la peu ambi­tieuse .. scientific !iteracy". Selon une nouvelle enquête,cette baisse s'est poursuivie après la période que couvrele tableau 2 (3).

Selon les catégories sociales d'origine, le SCOre desjeunes s'écarte plus ou moins de cette très peu brillantemoyenne (4).

Il varie aussi d'après leur niveau formel d'instruction,le score des jeunes adultes n'ayant pas achevé la highschool est particulièrement bas. Mais ils ne forment plusqu'une assez peUte minorité des jeunes générations. Enleur majorité, les membres de celles-ci ont non seulementachevé la high school, mais fréquenté des établissementsuniversitaires ou d'autres écoles post~secondaires. Mêmeles jeunes adultes ayant dépassé la high school et donGacquis un niveau d'instruction formel supérieur, sont tré::.loin, en moyenne, d'avoir le degré réel de culture scienti­fique élémentaire dont s'occupent les enquêtes duNAEP (5).

Le tableau 3, qui se rapporte à la population adultedans son ensemble met en évidence de façon particuliè­rement claire à quel point le niveau formel d'instructiondes individus renseigne mal sur leur degré d'information ilpropos des problèmes soulevés par des applications ae

Tableau 3

Variations du niveau des connaissances relatives au problème des applications du nucléaire et à la notion de science.Selon le niveau formel d'instruction Etats-Unis (1)

(1) Enquete de la National SCience Foundatlon (1979). Population adulte des Etats-UniS (y compns Jeunes de 17-19 ans). Selon Miller(Daedalus, 1983).

(2) Indiquent de façon relativement convenable certains aspects du problème des applications du nucléaire (exemple 13 du tableau 1).(3) ~épondent de façon relativement acceptable à une ~uestion ouverte sur ce qui caractérise la méthode scientifique (question à la basede 1exemple 3 du tableau 1), complétée par une question permettant de voir si l'interrogé faisait la différence entre les sciences et unespécialité telle que l'astrologie.

A. % des adultes...

Indiquant de façon B. % des titulairesrelativement convenable Ayant une idée de chaque niveau formel

certains aspects relativement acceptable d'instruction par rapportdu problème de la méthode au total des adultes

des applications scientifique (3)du nucléaire (2)

----

Ensemble des adultes ..................... ....... ... '" 68 9 100

Niveau formel d'Instruction

Moins que le diplôme de la high school ..... .. ........ 50 1 28

Diplôme de la high school ............. .... . . . . ........ 66 5 34

Etudes supérieures courtes ... ......... ....... .. .. ...... 80 16 23

DipJôme universitaire ordinaire ........ .- ... .. ... , " , " .. 87 24 9

Diplôme universitaire plus élevé (Master's degree, doctorat) 89 32 6.

52

Page 5: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

la recherche scientifique ou sur leur capacité d'émettre aumoins quelques idées à peu près correctes au sujet de cequi distingue la méthode scientifique d'autres formes depensée.

La première colonne du tableau concerne les enjeuxdu nucléaire, la deuxième la définition de la méthodescientifique. Dans les deux cas, les questions étaient trèssimples et il suffisait d'y donner en gros une réponseacceptable pour être classé dans la catégorie des per­sonnes au courant. La troisième colonne de ce tableau 3indique la répartition des adultes par degré formelsd'instruction.

En leur majorité, les adultes ont - au moins ­quelques idées exactes sur les principaux aspects desproblèmes de J'énergie nucléaire. La proportion va de50 % à 89 % suivant le niveau formel d'instruction.

Moins d'un adulte sur dix a pu répondre de façonconvenable aux questions abstraites, quoique simples enprincipe, de la deuxième colonne du tableau 3. Dans legros de la population (degré formel d'instruction bas oumoyen: 62 % des adultes), la proportion des réponsescorrectes est infime. Le plus étrange, toutefois, est pro­bablement qu'elle reste faible dans les autres catégories,celle des adultes ayant accompli des études supérieures,courtes ou plus longues. Le tiers seulement (32 %) destitulaires du grade de docteur ou du Master's degree, sesont révélés capables d'indiquer, fût-ce très sommaire­ment, les principes du travail scientifique. C'est dire àquel point les thèses de Snow sur l'inculture scientifiquede la plus grande partie des intellectuels correspondent àla réalité (Snow, 1962 et 1974).

b) Autres pays

Jusqu'à plus ample informé, on peut admettre que lasituation décrite par les enquêtes américaines est aussi, àpeu près, celle de l'Europe (6).

Le très bas niveau de culture scientifique du gros dela population est d'ailleurs une évidence que chacun peutvérifier sur soi et autour de soi. Les enquêtes faites en cedomaine ne font que préciser quelque peu les choses.

Il. - QUESTION OE L'UTILITÉ DU SAVOIR SCIENTIFIQUE

l'ignorance du grand public dans le domaine scienti­fique est souvent présentée comme une grave menacepour l'économie et pour la démocratie. Les membresd'Une société moderne auraient besoin d'un niveaud'instruction scientifique relativement élevé pour accom­plir leur travail avec discernement et efficience et égaJe~

ment pour bien comprendre les problèmes politiques

d'aujourd'hui et ne pas être soumis trop passivement àdes décisions dont ils ne perço'lvent pas la portée (Faure,1972; Roqueplo, 1974; Daedalus, 1983).

Rien ne paraît moin évident;

a) La division du travail réserve à une petite minoritéde spécialistes les tâches demandant des connaissancesd'ordre scientifique (7).

b) La condition d'une large diffusion des produits dela recherche scientifique et technique est évidemmentqu'ils puissent être utilisés par des personnes n'apparte~

nant pas à cette minorité, qu'il s'agisse du grand public(téléphone, TV, auto, surgelés, etc.) ou de travailleurs quidoivent certes posséder des qualifications dans leurdomaine (l'agriculture, la mécanique, etc.), mais peuventtrès bien se passer de connaissances scientifiques(machines agricoles, consoles électroniques des guichetsde banque, robots industriels, etc.).

c) Certes, les mentalités, les conditions de vie et detravail, le système économique, l'armement et les rela­tions internationales étant profondément marqués par lesréalisations de la recherche scientifico-technique, la viepolitique l'est aussi. mais il ne s'ensuit pas que les pro­blèmes politiques se rapportent souvent à la science ou àcertaines des réalisations techniques qui reposent surelles. De plus, même quand cela arrive, la compréhensiondes enjeux est possible sans compétences scientifi­ques (8).

EN RÉSUMÉ

Si la civilisation moderne répand en abondance deséléments de culture scientifique - par l'enseignement,l'imprimé, les bibliothèques publiques, l'audio-visuel, desclubs, etC. - elle en stimule très peu l'assimilation vérita­ble et la conservation. Cela vient de toute évidence avanttout de ce que ce type de savoir n'est pas de ceux quirendent des services à tout le monde dans la vie COu­rante. Dans ces conditions, il ne pourrait sans doute serépandre davantage que si un changement des mentalités- improbable - tendait à en généraliser l'intérêt pure­ment intellectuel, comme savoir fin en soL

Nous retrouvons là en somme l'idée de base de lapédagogie fonctionnelle; n'est appris - autrement quejuste pour un examen et ensuite oublié - que ce quirépond à un désir de connaissance (un intérêt, au senspsychologique). Généralement, cet intérêt est lié à desnécessités de l'action. Les parties de la culture généraleprescrite (appelons ainsi celle qui est déclarée souhaita­ble par les milieux faisant autorité) qui se transforment leplus difficilement en éléments de la culture générale réelle(celle que possède effectivement le grand nombre) sontcelles qui ne répondent pas à de telles nécessités. Le cas

S3

Page 6: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

de 1'« instruction scientifique de base» est tout à fait clairà cet égard. lJ n'est, faut-il Je dire, pas le seul. Lasituation est analogue pour l'histoire, par exemple.

L'offre, pourrait on dire à propos de telles branches,en empruntant le vocabulaire de l'économie, est d'unetrès grande richesse. En effet, ces connaissances sontmises sans restriction à la disposition du public sous desformes allant des plus simplifiées par la vulgarisation auxplus érudites, Mais la demande est faible - sauf pour

(1) De 1969 à 1977 le NAEP a fait trois enquêtes sur les connais­sances scientifiques (élèves de 9 et 13 ans, qui ne nousconcernent pas ici, élèves de 17 ans, adultes de 26 à 35 ans).Au total, plus de 500 questions différentes ont été posées.(Austin and Garber, 1982, p. 165). Une quatrième enquête decette nature a été faîte en 1982 (Hueftle, Rakow and Welch,1983).Nous utiliserons aussi une enquête du NAEP sur les pro­blèmes relatifs à l'énergie (NAEP, December 1978).

(2)Une donnée est tirée en outre d'une enquête faite en 1980 parle Survey Research Center de l'Université du Michigan.

(3) De 1977 à 1982, baisse de 2 points chez les élèves de 17 ans,d'après une batterie de 56 questions. NAEP Newsletter(Spring, 1983) et Hueftle, Rakow and Welch (1983).

(4) Voici par exemple les différences enregistrées selon le niveauformel d'instruction des parents (élèves de 17 ans, 1977,batterie de 23 questions de notre tableau 2).~--.----

Score des enfants,Instruction des parents à 17 ans,

pour les sciences

Ni le père, ni la mère n'ont obtenu 32.4le diplôme de fin d'études secon-daires (high school)

L'un des deux au moins a ce di- 38.0plôme

L'un des deux au moins a accom- 43.8pli des études post·secondaires

Ensemble des élèves de 17 ans 39.9D'après NAEP, June 1978, p. 30.

••0. _

(5) Jeunes adultes de 26·35 ans, 1977, score selon leur niveauformel d'instruction (batterie de 20 questions de notre tableau2).

a) Pas de diplômes de fin d'étudessecondaires (high schoolj .... 20.6

b) Diplôme de fin d'études secon-daires 34.7

c) Etudes post-secondaires.. 51.3

Ensemble des jeunes adultes de26-35 ans....................... 40.7

A noter que la catégOrie (a) ne comprend qu'une minOrité(18 %) de cette génération. La catégorie (b) comprend un peu

54

des lectures et émissions passe-temps sans suite ou desinformations ponctuelles liées à l'actualité - faute desmotivations qui pourraient inciter suffisamment d'individusà payer le prix de l'assimilation de ce savoir. Ce prix està régler non pas en argent - ou dans des proportionsnégligeables - mais sous les espèces d'un peu de tempset de travail mental.

Roger GIRODprofesseur à l'Université de Genève

Notes

moins du tiers (30 %) et la catégorie (c) la majorité 52 %.D'après NAEP, April 1979, p. 35.

(6) C'est ainsi qu'en 1982., lors d'une enquête des Communautéseuropéennes, la question dont procède !'exemple 2 de notretableau 1 a été reprise. Seul le résultat pour les pays membrespris en bloc a été publié. Il est pratiquement le même qu'auxEtats-Unis: 9 % des interrogés (population adulte, y comprisjeunes de 15 ans et plus) ont indiqué qu'ils savaient que lescentrales nucléaires ne peuvent pas exploser comme desbombes atomiques (Communautés européennes, octobre 1982).Nous dépouillons actuellement les résultats d'une enquête faiteen Suisse auprès des jeunes militaires d'une vingtaine d'années.Des questions d'ordre plus ou moins scientifJque ont été poséesa cette occasion. Leurs résultats sont assez analogues auxconstatations américaines. Rappelons les similitudes mises enévidence par l'enquête (partie «sciences ..) faite en 1970-1971par l'Association internationale pour l'évaluation des résultatsscolaires (Husén, 1975; Girod, 1981).

7. Les professions scientifico-techniques au sens le plus large(professionnels des sciences physiques et biologiques, y com­pris médecins, personnel infirmier qualifié, ingénieurs, techni­ciens, pilotes d'avion et de navire et cas analogues, professeursdes branches scientifiques et techniques du deuxiéme degré etdes universités, plus personnel enseignant du premier degré,des notions sur les réalités dont s'occupent les sciences étantdispensées déjà dans les classes de ce niveau) comprennent denos jours 8 % de la popuJaiJon active des Etats-Unis, d'aprèsnos estimations.

8. La gamme des problèmes politiques de fond auxquels lescitoyens sont appelés a s'intéresser est très semblable quand àl'essentiel dans les démocraties occidentales. En Suisse, elle estbien illustrée par les consultations (<< votations ..) populaires(référendums ou initiatives). De 1944 à 1984. 188 votations onteu lieu à l'échelle fédérale. Il s'agissait presque toujours deproblèmes d'ordres juridique, économique ou social (code pénal,fiscalité, sécurité sociale, etc.).

Dans dix cas seulement des réalisations de la science étaientdirectement à l'origine du problème: huit votations sur lenucléaire (armement, centrales), une sur un sujet d'ordre médicalet une sur la réduction de la toxicité des gaz de véhicules àmo1eur.

En ces dix occasions: 1) Les informations diffusées au sujet deces réalisations pouvaient, sauf exceptions très secondaires,être comprises aisément par le profane, leur interprétation nesupposant aucune compétence scientifique ou technique. Savoirjusqu'à quel point elles ont effectivement retenu l'attention dupublic et pénétré les esprits est une autre question. Toute ceque je veux noter ici, c'est que, intrinséquement elles étaienttransparentes pour les non-spécialistes. 2) Ces informationsscientifiques n'ont joué qu'un rôle très accessoire dans le débat,

Page 7: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

celui-ci ayant porté pour l'essentiel non sur les caractéristiquestechniques de diverses solutions, mais - comme d'habitude enpolitique - sur des valeurs, des intérêts, des convictions idéo.logiques: le caractère admissible ou non du recours aux armes

atomiques, le caractère utile ou pernicieux de certaines interven~

tians de l'Etat, le type d'économie et de société souhaitablepour demain et son degré de compatibilité avec le développe­ment de la production d'énergie de source nucléaire, etc,

Bibliographie

AUSTIN G.R. and GARBER H. (Ed.) - The Rise and Fall ofNational Test Scores, Academie Press. New York, 270 p.,1982.

BARBICHON Guy. - La diffusion des connaissances scientifiqueset techniques: aspects psychosociaux, p. 329-361, in: Intro·duction à la psYChologie sociale, ouvrage publié sous ladirection de Serge Moscovici, tome 2, 363 p., Larousse,1973, Paris.

BELL Daniel. - Vers la société post-industrielle, 447 p., Laffont,1976, Paris.

BIT (Bureau International du Travail). - Les besoins en matière deformation et de recyclage dans les industries graphiques,116. p, 1981, Genève.

BIT. - Les tendances et les priorités de la formation profession­nelle en cette prochaine décennie, Rapport au Conseild'administration, polycopié, 48 p., novembre 1983, Genève.

BLANCHARD Francis. - La technologie, le travail et la société:quelques indices tirés des recherches du BIT, Revue interna­tionale du travail, p. 287-296, vol. 123, n° 3, 1984, Genève.

CEREQ (Centre d'études et de recherches sur les qualifications).- L'informatisation des activités de bureau, 368 p., Paris,1980.

CEREQ. - Répertoire français des emplois: les emplois·types dubâtiment et des travaux publics, 123 p., Paris, 1981.

Communautés européennes. La science et l'opinion publique euro­Péenne, 98 p., octobre 1977, Bruxelles.

Communautés européennes. - Les attitudes du public européenface au développement scientifique et technique, 83 p., fé­vrier 1979, Bruxelles.

Communautés européennes. - L'opinion européenne et les ques­tions énergétiques, 79 p., octobre 1982, Bruxe))es.

Communautés européennes. - Les Européens et leur environne­ment, 64 p., novembre 1983, Bruxelles.

COSSALTER Chantal et HEZARD Loïc. - Nouvelles perspectives del'informatisation dans les banques et les assurances, CEREQ(Centre d'études et de recherches sur les qualifications), 87p., Paris, 1983.

DAEDALUS (Journal of the American Academy of Arts andSciences), numéro spécial sur la "Scientific Literacy", vo­lume 112, na 2, Spring 1983.

FAURE Edgar (sous la direction de). - Apprendre à être, Fayard­Unesco, 368 p., 1972, Paris.

GIROD Roger. - Politiques de l'éducation: l'illusoire et le possi~

ble, Presses universitaires de France, 263 p., 1981, Paris.

HIMSWORTH Harold. - The Development of Scientific Knowle<tge,Heinemann, 180 p., 1970, Londres.

HUEFTLE S.J" RAKOW S.J. and WELCH W.W. - Images ofScience. A Sùmmary from 1981-1982 National Assessment inScience, Science Assessment and Research Project, Univer­sity of Minnesota, 119 p., June 1983.

HUSEN Torsten. - Implications of the IEA Findings for the Philo­sophy of Comprehensive Education, p. 117-152, in: PurvesAlan C. and Levine, Daniel U. (Ed.), Educational Policy andInternational Assessment: Implications of the IEA SUlVeys ofAchievement, McCutchan, Berkeley, 184 p., 1975.

LE QUÉMENT Joël. - Les robots: enjeux économiques etsociaux, 220 p. La documentation française, Paris, 1981.

MIGNE, Jean. - Etude de représentations de notions physiques:la chute des corps, Institut national pour la formation desadultes, Nancy, 96 p., 1970.

MILLER Jon D. - The americsn People and Science po/icy, Perga­mon Press., New York, 143 p., 1983.

MILLER Jan D. - Scientific Literacy : A Conceptual and EmpiricalReview, article du numéro de la revue Daedalus (Spring1983) cité par ailleurs, p. 29~48.

MOSCOVICI Serge et HEWSTONE Miles. - De la science au senscommun, p. 539-566, in: Psychologie sociale, ouvrage publiésous la direction de Serge Moscoviei, Presses UniverSitairesde France, 596 p., 1984, Paris.

NAEP (National Assessment of Educational Progress). - TheNational Assessment of Science. 1976-1977: ReleasedExercise Set, May 1978, 350 p. Denver.

NAEP. - Three National Assessments of Sciences: Change inAchievement, 1969-1977, June 1978, 33 p., Denver.

NAEP. - Energy: Knowledge and Attitudes, December 1978, 46p., Denver.

NAEP. - Science Objectives: Third Assessment, 64 p., Princeton,1979.

NAEP. - Three Assessments of Science, 1969-1977: TechnicalSummary, April 1979, 79 p. Denver.

NAEP. - What 00 Young Adults Know About Science? SorneResults From Two National Assessments (by Holmes B.J.and Wright D.), 21 p., Princeton, Polycopié, February 1980.

NAEP. - Newsletter, Spring 1983, Denver.

NCES (National Center for Education Statistics). - Digest of Edu­cation Statistics (1980), Washington, 206 p., 1980.

OCDE. - Indicateurs de la science et de la technologie, 407 p.,1984, Paris.

OCDE. - La mesure des activités scientifiques et techniques.«Manuel de Frascati, 1980", 214 p., 1984, Paris.

RADA J. - La micro-électronique et son impact socio-économi­que, Bureau international du travail, 116 p., 1982, Genève.

ROQUEPLO Philippe. - Le partage du savoir (science, culture,vulgarisation), Editions du Seuil, 255 p., 1974, Paris.

Science Indicators. - Un volume par an. National Science Board,National Science Foundation, Washington,

SIMON, Jean-Claude. - L'éducation et l'informatisation de lasociété, Rapport au Président de la République, 276 p.,Fayard, 1981, Paris.

55

Page 8: GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE: LE MURife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise... · REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE GRAND PUBLIC ET SAVOIR SCIENTIFIQUE:

SNOW Charles P. - The Two Cultures and the Scientlflc Revolu­tion, Cambridge University Press, 52 p., 1962.

SNOW Charles P. - The Two Cultures and a second Look,.Cambridge University Press, 107 p., 1974.

Social Indlcators III. - US Bureau of the Census, Washington, 585p.. 1980.

56

TICHENOR G., DONOHUE GA and OUEN C.N. - Mass MediaFlow and Differentiai Growth in Knowledge, The Public Opi­nJon Quarterly, Summer 1970, p. 160-170.

WADE S. and SCHRAMM W. - The Mass Media as Source ofPublic Affairs, Science, and Health Knowledge, The PublicOpinion Quaterfy, Summer 1969, p. 197-209.

.1