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Grandir l'événement. L'art et la manière de l'éditorialiste

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GRANDIR L’ÉVÉNEMENTL’art et la manière de l’éditorialiste

Philippe RIUTORT

© Réseaux n° 76 CNET - 1996

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Alain Duhamel : « Si l’idée d’unesociété internationale de droit estun idéal qui a peu de chances de

se réaliser à court terme, cela fait quandmême deux fois de suite d’abord avec l’in-tervention contre l’Irak, puis avec ceblâme contre l’Irak, cela fait deux touspetits pas et que la France y soit pourquelque chose, honnêtement on ne vaquand même pas pleurer ! »

Serge July : « Oui, je crois qu’il faut diredeux choses. D’abord, je partage évidem-ment le sentiment d’A. Duhamel et c’est àmettre au compte de Bernard Kouchner (...)qui mène ce combat depuis 1988 (...) »

Alain Duhamel : « (...) S. July a eu rai-son de dire que, historiquement, c’est uneidée de B. Kouchner et si on veut être com-plet, on peut dire que quelqu’un qui s’estbeaucoup agité sur cette question, c’estDanielle Mitterrand. Je le dis d’autant plusque l’intervention de la femme d’un prési-dent de la République dans les affaires

publiques n’est pas un principe qui m’en-chante, mais il faut reconnaître ce qui est. »

Serge July : « (...) Deux remarques : lapremière, ce que vient de dire Alain estimportant sur les États-Unis et la Francemais pas seulement. (...) Je pense que cetépisode prouve que nous ne sommes pasdans la Pax Americana, c’est-à-dire queles États-Unis ne peuvent seuls imposerleur point de vue à toute situation dans lemonde » (1).

Ce bref extrait de débat qui met auxprises deux éditorialistes politiques, endépit des limites tenant aux « coupes »opérées ainsi qu’à la retranscription néces-sairement imparfaite d’un échange verbalen un dialogue écrit, a le mérite de souli-gner un certain nombre de caractéristiquesliées aux conditions de la prise de paroleau sein d’une station de radio tournée versun large public, à une heure de grandeécoute (2) : l’échange paraît codifié par unrespect scrupuleux des règles de la bien-séance qui conduit les débatteurs à secongratuler mutuellement. A ce premiertrait, s’ajoute la familiarité, perceptible àde multiples indices : de l’appellation parle prénom à l’autorisation d’apartés, enpassant par un usage de l’ironie complice,même si le tutoiement, synonyme d’exclu-sion de l’auditeur, est écarté. Ces procédéstendent à masquer les différends éventuelsentre éditorialistes et contribuent à instau-rer une sorte d’air de famille qui se dégagedes divers papiers, impression certaine-ment renforcée pour les auditeurs par larécurrence de l’écoute quotidienne. Cettehomogénéisation des discours, perceptibledès l’écoute première, signifie-t-elle queles éditorialistes d’Europe 1 disent tous lamême chose ou pour le dire autrement,qu’ils partagent des schèmes de perception

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* Cet article est isssu, pour partie, d’un mémoire de DEA : « Les éditorialistes d’Europe 1 : étude d’une portion“singulière” de l’espace journalistique », Paris X-Nanterre, Bernard Lacroix dir., 1993. Pour la réalisation de cetravail, un corpus d’articles des éditorialistes d’Europe 1 (il s’agissait en 1991 de Jean Boissonnat, Alain Duha-mel, Claude Imbert, Jacques Julliard, Serge July, Jean-François Kahn, Catherine Nay et Jean-François Revel) aété rassemblé entre février et avril 1991 comprenant outre leur « production » radiophonique, leurs diversescontributions à la presse écrite. La conjoncture politique était alors marquée par un événement majeur : la guerredu Golfe, omniprésente dans leurs commentaires comme... dans cet article.(1) Europe 1, 7 avril 1991. Les deux éditorialistes évoquent dans cet extrait l’adoption, le 5 avril 1991, par leconseil de sécurité des Nations-Unies, d’une résolution qui condamne la répression des populations civiles kurdesrésidant en Irak.(2) Les éditorialistes d’Europe 1 interviennent sur l’antenne entre 7 heures et 9 heures toujours à un horaire fixe.En semaine, ils s’expriment dans le cadre d’une session d’informations continues.

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et d’évaluation identiques de l’actualité ?Comment saisir les mécanismes de coordi-nation qui tendent à unifier leurs propossans jamais les confondre puisque, commeon le sait, « consensus ne veut pas direaccord » (3) ? Pour tenter de répondre àcette double interrogation, il convient des’intéresser à la place particulière qu’oc-cupe l’éditorialiste parmi ses confrèresjournalistes afin de saisir sa contributionspécifique à la production de l’événement.

TENIR L’ÉVÉNEMENT A DISTANCE

Des stratégies dedémarcation

Les éditorialistes, en raison de la posi-tion élevée qu’ils occupent au sein de l’es-pace journalistique, sont en principe pré-servés de l’irruption des événements quis’impose d’ordinaire à la plupart des pro-fessionnels de l’information. Pratiquant unjournalisme à froid, ils sont ainsi moinsincités, à la différence de leurs confrèresplus proches du terrain, à définir commeévénements « les faits qui tranchent avecl’ordinaire, l’habituel, le quotidien, lerépétitif, bref le banal (pour unjournaliste) » (4). Les représentations del’activité de l’éditorialiste élaborées par lalittérature indigène, notamment par lesmanuels de journalisme, s’opposent expli-citement à celles qui définissent le journa-liste de terrain : tout semble séparer sur ceplan le travail quotidien de l’éditorialistede celui, par exemple, de l’agencier, acti-vité qui échoit le plus souvent aux journa-

listes les moins titrés, contraints de faireleurs preuves sur le tas, et qui ne sauraientguère se parer que de leur discrétion (5).L’éditorialiste est, en revanche, autorisépar son statut à s’émanciper de l’énoncédes faits, auxquels son activité n’est pasréductible (6). Un ancien directeur d’an-tenne explicite la division du travail jour-nalistique à l’œuvre au sein de la station :« Nous jouons sur deux claviers complé-mentaires : les faits tout d’abord, couvertsen priorité par de jeunes reporters ; puisviennent les grandes signatures, les profes-sionnels qu’on nous envie ailleurs » (7).

La tâche de l’éditorialiste est ambitieuse,comme le proclament les publications desti-nées à socialiser les futurs journalistes : « Leposte d’éditorialiste est ambigu, à mi-che-min du journalisme et de la réflexion poli-tique, philosophique ou historique » (8).Cette ambiguïté est liée historiquement auflou entourant la définition sociale du poste :en raison de son prestige, celui-ci échappalongtemps au journaliste professionnel auprofit d’une « grande plume » qui se conver-tissait en journaliste à ses « heuresperdues » ; elle s’est cependant progressive-ment estompée avec l’ensemble des muta-tions morphologiques de la « profession »(9). L’objectivation de catégories autrefoisimplicites tend à définir désormais avecdavantage de précision les modalités d’inter-vention de chaque type de journaliste. Lesprofessionnels de l’information se saisissent,en effet, de l’événement à différents stadesdu processus de « fabrication » de la nou-velle : ce n’est généralement qu’« aprèscoup » que les éditorialistes sont amenés à

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(3) Selon l’expression de Michel Dobry (1986, p. 48) pour qui l’étude d’un consensus revient à s’intéresser « auxprocessus, échanges et mécanismes sociaux par et dans lesquels ce consensus a pris de la consistance, s’est cris-tallisé, s’est consolidé ».(4) CHAMPAGNE, 1984, p. 31.(5) Un manuel de journalisme énonçant les qualités du journaliste de terrain en est réduit à lui attribuer l’humilitécomme principal mérite, ce qui en dit long sur la place qui lui est assignée par la division du travail journalistique :« modeste, l’agencier l’est presque par nature. Le public ne connaît ni son visage, ni sa voix, ni même sa signature.Au service de l’information et de ses confrères, il reste un anonyme », SAUVAGE, 1988, p. 71.(6) Pour un exemple parmi d’autres de la hiérarchie établie au sein d’un organe de presse, qui souligne la pri-mauté du commentaire sur les faits, la couverture par la rédaction du Nouvel Observateur de l’élection présiden-tielle de 1981 : « Les résultats collectés, obtenus, soit des radios ou des chaînes de télévision, soit des dépêchesdécoupées sur les télescripteurs, sont ausitôt transmis à Mona et Jacques Ozouf et à Jacques Julliard, les historiensdu journal qui en entreprennent immédiatement l’analyse », cité in RIOUX, 1982, p. 23.(7) Entretien de Jean-Pierre Elkabbach, L’Événement du Jeudi, 25 janvier 1990, p. 79.(8) SAUVAGE, 1988, p. 27.(9) L’emploi des guillemets vise à souligner les précautions avec lesquelles le terme de « profession » peut êtreutilisé pour caractériser l’univers journalistique. Sur ce thème, voir en particulier RUELLAN, 1993.

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en rendre compte, alors que l’événement aété préalablement cadré (10) par leursconfrères chargés d’intervenir en amont (laliste est longue : du reporter envoyé sur leterrain parce qu’« il se passe quelquechose... », aux présentateurs des journaux, etévidemment aux journalistes d’agence). Pre-nant la parole en fin de chaîne, les éditoria-listes bénéficient souvent du privilège consi-dérable du dernier mot mais ils ne sont paspour autant dispensés de tenir compte desdéfinitions premières de l’événement, dumoins lorsqu’elles ont acquis une forcesociale certaine en se diffusant dans l’en-semble de l’espace journalistique.

La contribution de l’éditorialiste à la pro-duction de l’événement peut être ainsi envi-sagée à la manière d’un discours secondpuisque, pour reprendre la formule d’EliseoVeron, il « parle de ce dont il a été déjàparlé » (11). Son activité quotidienneconsiste alors à tenter de se démarquer desdéfinitions ordinaires élaborées avant sonintervention. La nécessité dans laquellel’éditorialiste se trouve d’apporter une sortede plus-value substantielle (12) à l’événe-ment le conduit souvent à se lancer dans uneentreprise de disqualification de sesconfrères, à l’image de Jacques Julliard qui,commentant les divers épisodes de la guerredu Golfe, prend soin de tenir à distance lesdéfinitions de la situation produites par latélévision : « Les fameux Scud irakiensn’ont qu’une influence militaire négligeablemais grâce à la complaisance des médiasoccidentaux (...) les Scud sont devenus lesymbole de la fierté arabe (...) Aujourd’huiles seules morts qui comptent sont celles quisont décomptées, annoncées. Le seul critèrede réalité d’un événement est d’être télévi-sable. La guerre est devenue la perfection decette société de spectacle que dénonçaient,

en 1968, les situationnistes » (13).

Un journalisme de routines

L’éditorialiste évolue au sein d’unespace protégé dans lequel il se trouve,comme s’il avait fait l’objet d’un acted’institution, séparé de ses confrères. A ladifférence de la plupart des autres journa-listes souvent contraints de travailler dansl’urgence, son intervention prend placedans un cadre « à sa mesure » : l’éditorial,quel que soit son support de diffusion(presse écrite ou audiovisuelle), relève d’unformat peu tributaire du rythme des événe-ments puisqu’il bénéficie généralementd’un espace rédactionnel préalablementdéfini et en pratique peu affecté par desvariations de volume. L’éditorial se trouve,en effet, séparé du « reste » de la produc-tion journalistique en vertu de l’un desschèmes les plus prégnants à l’œuvre ausein de cet univers – la césure entre faits etcommentaires – qui, en consacrant de faitla hiérarchie interne, définit par là même,deux catégories de professionnels. Cettedivision du travail, – tout en produisantdes concurrences vives sur la définitionmême du métier journalistique entre spé-cialistes des faits et spécialistes du com-mentaire (14) – localise l’activité de l’édi-torialiste au sein d’un cadre régulier, leplus éloigné en pratique, des soubresautsde l’actualité immédiate. Le travail del’éditorialiste apparaît alors nettementmoins contraint que celui des autres pro-fessionnels de l’information, placés à ladisposition de l’événement. La pré-pro-grammation de la « confection » de l’édi-torial lui fournit l’occasion de planifier sonactivité et de rester maître de son temps, cequi demeure une pratique rarissime dans

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(10) Pour une analyse des événements en termes de cadres, voir GOFFMAN (1991).(11) VERON, 1981, p. 156.(12) LE BOHEC, 1992.(13) Europe 1, 9 février 1991. Cette prise de distance s’inscrit dans la stratégie de « résistance » d’un éditorialiste,issu de la presse écrite, et qui se voit désormais menacé par la télévision, particulièrement par le « 20 heures »,dans son « rôle » classique consistant à définir l’événement.(14) La lecture des manuels de journalisme, qui sont principalement l’œuvre de journalistes de terrain, est sur cesujet éclairante. Pour illustration de ces « tensions » qui traversent l’espace journalistique, un rappel à l’ordreémanant d’un journaliste de base destiné à ses prestigieux confrères : « Il est révélateur qu’une émission commeL’Heure de vérité, dont le titre donne à penser qu’elle se consacre à l’exposé de faits, soit en réalité une heure decommentaire (qui, pour certains invités particulièrement fuyants, pourrait même s’écrire « comment taire ») »,HUSSON, ROBERT, 1991, p. 64.

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l’univers journalistique. Jean Boissonnatprépare ainsi le « papier » destiné à la sta-tion périphérique, sur le mode del’« extra » – : « Les victimes d’Europe 1,ce sont ma femme et mes gosses » (15) –,à la fin d’une journée de travail : « Je com-mence le soir entre six et sept heures. Jeréunis un dossier. Je passe les deux outrois coups de fil nécessaires. Je rédige. Jedicte et j’enregistre » (16).

Cette dimension du travail de l’éditoria-liste l’inscrit fortement dans ce que JeanG. Padioleau appelle le journalisme deroutines, « c’est-à-dire des pratiquesd’écriture et de mise en forme de nou-velles qui s’exercent sans requérir des opé-rations innovatrices par rapport à la pra-tique quotidienne » (17). Si les routinesprofessionnelles des journalistes, commede nombreux travaux l’ont démontré (18),contribuent à programmer les événements,y compris ceux qui, à première vue, pour-raient apparaître comme particulièrementimprévisibles, celles-ci s’imposent avecune acuité particulière dans le cas du tra-vail de l’éditorialiste. Ce dernier, en raisonde sa position, se trouve toujours à dis-tance de l’événement dont il a à parler :distance physique en premier lieu puisquesa tâche ne consiste pas à se déplacer surle terrain, mais également distance symbo-lique puisque son intervention n’est pasdéterminée par le flot des événementsenvers lesquels il peut affecter du détache-ment, voire de l’ironie, appréhendéscomme signes de « hauteur de vue ».Jacques Julliard affiche, par exemple, sonmépris pour les trophées destinés à récom-

penser le monde du spectacle et desmédias : « La manie des classements et despalmarès est devenue la plaie de l’époque :“Sept d’or” et “Dés d’or”, les “Césars”, les“Oscars”, les “Balthazars” et les“Nanards”, les décorations, les médaillesde toutes sortes... Le monde n’est plusaujourd’hui qu’une gigantesque distribu-tion des prix dont seuls sont exclus lesenfants, les seuls qui en auraient un peubesoin » (19).

L’éditorialiste, cadrant l’événement àdistance, doit cependant faire face au déli-cat problème de classification des sujetsdont il aura à traiter (20). Amené à sedemander : « qu’est-ce qui se passe ici ? »(21), question que, selon Erving Goffman,chacun se pose lorsqu’il cherche à inter-préter un événement, et devant y répondredans un bref délai, l’éditorialiste recourtaux schémas typificatoires (22) qu’il pré-lève dans son stock social de connais-sances (23) afin de définir l’événement dèsque celui-ci se présente à lui. L’usage deprocédés typificatoires lui permet de faireadvenir, pour reprendre les termes de PeterBerger et Thomas Luckmann, « une zonede lucidité derrière laquelle se trouve unfond d’obscurité » (24). Une telle ordon-nance de la « réalité », baptisée le « choixde l’angle » dans le vocabulaire indigène,consiste à sélectionner un certain niveaude signification et à laisser dans l’ombreles autres définitions potentielles de lasituation. Parler de l’événement équivautainsi pour chaque éditorialiste à mettre aupoint une focale (25) spécifique. L’usageroutinisé de typifications produit du

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(15) Entretien de Jean Boissonnat, Presse-Actualités, n° 109, avril 1979, p. 46.(16) Ibid. Il est à noter que tous les éditorialistes d’Europe 1, sans exception, exercent d’autres activités générale-ment plus « prenantes » au sein de l’espace journalistique.(17) PADIOLEAU, 1976, p. 271.(18) TUNSTALL, 1971 et plus particulièrement, TUCHMAN, 1973.(19) Europe 1, 30 mars 1991.(20) En une semaine, choisie au hasard (celle du 25 au 29 mars 1991), l’éditorialiste quotidien d’Europe 1, AlainDuhamel, a abordé successivement : la situation en Irak, la progression du chômage, les projets de loi relatifs à ladécentralisation et les manifestations en faveur de Boris Eltsine à Moscou.(21) GOFFMAN, 1991, p. 34.(22) BERGER et LUCKMANN, 1986, p. 44-51. La faculté d’analyse immédiate de l’événement est d’ailleursrécusée par les journalistes de terrain : « Parce que donner son opinion est considéré comme plus valorisant pourle signataire de l’article, mais aussi parce qu’il pense dissimuler de la sorte les lacunes de son information, lejournaliste subit une attraction naturelle pour le commentaire », HUSSON, ROBERT, op. cit., p. 64.(23) Ibid., p. 63.(24) Ibid., p. 65.(25) GOFFMAN, 1991, p. 16.

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« sens » de manière immédiate en mobili-sant des schèmes de perception largementdiffusés au préalable. Certains éditoria-listes relatent ainsi les événements duGolfe à partir d’analogies appuyées, afinde rapporter un événement inédit à un évé-nement « bien connu ». Les métaphoresévoquant la Deuxième Guerre mondialeabondent, comme l’emploi du substantif« alliés » pour qualifier les forces occiden-tales engagées en Irak, l’atteste. Les plus« audacieux » se risquent même à établirun parallèle « Hitler-Saddam » : « Quantaux anathèmes contre l’américano-sio-nisme, ils rappellent bien à propos le grandslogan du nazisme. De même que les anti-munichois disaient jadis aux pacifistes :“Mais, lisez donc Mein Kampf ! Hitler faittoujours ce qu’il dit”, de même, aujour-d’hui, devrait-on dire aux mêmes : “Lisez,écoutez Saddam Hussein !” » (26).

UN DISCOURS CONTRAINT

Garder la face

Ce n’est qu’une fois après avoir accédé àune forte visibilité, qu’un événement tend,selon l’économie du champ journalistique, àsortir d’une rubrique spécifique et fait l’ob-jet d’un traitement éditorial. Cette interven-tion prend place dans un contexte de « déspé-cialisation », où l’événement acquiert uneforce nouvelle jusqu’alors contenue par lahiérarchie traditionnelle des informations. Ilmonte alors en généralité et par là mêmeéchappe aux journalistes qui en sont les plusproches dans leur pratique professionnellequotidienne : ces derniers disposent généra-lement d’une capacité d’expertise fondée sur

des connaissances techniques et sur unefamiliarité ancienne avec le terrain (27).Abordant l’événement à distance, sans dis-poser d’un temps considérable pour la pré-paration du « papier », ni d’une connais-sance approfondie du sujet traité,l’éditorialiste doit en outre éviter deuxécueils : la répétition pure et simple de « cequi a été déjà dit » et la prédiction toujourshasardeuse de « ce qui va se passer ». Si lamise en scène qui régit son interventioncontribue à lui accorder une présomption decompétence (par exemple le rappel des titrespossédés par l’éditorialiste, qui lui confèrentle droit à la parole, est un équivalent fonc-tionnel de l’encadré, de la photo et de lasignature « en-tête » dans la presse écrite) àlaquelle s’ajoute le savoir-faire qui lui per-met généralement de contourner les princi-paux obstacles, en particulier lorsqu’il estsoumis à la question par le journaliste quitend le micro – en pratique, le présentateurdu journal. Il est alors considéré comme un« expert » auprès duquel, selon les principesde la division du travail journalistique, onrecherche des « réponses » (28). L’éditoria-liste doit alors user de toutes ses ressourcesafin de ne pas trop se « découvrir » et ris-quer de se voir infliger un cinglant démentipar les faits, ou, à l’inverse, esquiver lesquestions et donner alors l’impression de nepas être « à la hauteur ». Il redouble de pru-dence et s’illustre plus que jamais dans larhétorique de l’impartialité (29) lorsque sonintervention a pour cadre une situation decrise. Son savoir pratique apparaît alorsinopérant pour déchiffrer l’événement, cequi le contraint à multiplier les tactiques derepli, tel Alain Duhamel, réagissant à l’unedes opérations militaires de la guerre du

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(26) Claude Imbert, Europe 1, 12.2.1991.(27) Patrick Champagne (1994) met au jour ce phénomène, à propos du « scandale du sang contaminé », etnotamment la concurrence vive qui s’instaure entre différents professionnels de l’information lorsque la « drama-tisation » de l’événement tend à déposséder les journalistes a priori les plus compétents pour en traiter (dans cecas précis, les journalistes médicaux) au profit des éditorialistes et plus encore des journalistes de la télévision.(28) Le présentateur du journal d’Europe 1 questionne ainsi Alain Duhamel : « Vous parliez d’une logique de ces-sez-le-feu du côté soviétique. Quel jeu joue Moscou en ce moment ? » (26 février 1991) ; « Une initiative iraniennepour renouer le dialogue entre l’Irak et les États-Unis. Question toute simple : Alain, est-ce que cela peutmarcher ? » (5 février 1991). Si cette rhétorique de la question anxieuse participe de la reconnaissance de la capacitéd’expertise de l’éditorialiste, une « piste » alternative peut être suggérée : le journaliste de terrain peut parfois éprou-ver un sentiment de revanche symbolique lorsqu’il parvient à « mettre dans l’embarras » son confrère plus titré.(29) Caractérisée selon Pierre Bourdieu (1982, p. 155) par « les effets de symétrie, de juste milieu, et soutenue parun éthos de la bienséance et de la décence, attesté par l’évitement des formes les plus violentes de la polémique,par la discrétion, le respect affiché de l’adversaire, bref, tout ce qui manifeste la dénégation de la lutte politique entant que lutte ».

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Golfe : « C’est ce qu’on peut dire, en toutcas, depuis Paris puisque, sur place, lesmoyens de vérification sont, si j’ose dire,encore plus faibles » (30). Pressé par lesquestions du journaliste : « Justement,Alain. Pour tous ceux qui se réveillent cematin, puisque la situation est relativementcompliquée : est-ce qu’on va plutôt vers lapaix, enfin, ou est-ce qu’il y a encore unsérieux risque de guerre ? », l’éditorialiste, àbout d’arguments, se retranche derrière « lesformes » : « Écoutez, avec Saddam Hussein, ilne faut pas conclure de façon trop péremptoire.Mais, ce qu’on peut dire, c’est qu’il est obligéde faire des pas en direction de la paix (...)Ce n’est plus lui qui mène le jeu » (31). Sou-cieux de « garder la face » (32), l’éditoria-liste justifie sa prise de parole en s’efforçantde « grandir » l’événement de crainte quecelui-ci ne le « diminue ». Il en soulignealors toute la « complexité » qui lui autorisejustement ses précautions oratoires.

La hiérarchie des événements propre àl’espace journalistique (33) s’impose néan-moins à l’éditorialiste qui ne saurait laméconnaître sans courir de risques : unehomologie est d’ailleurs perceptible entrela taille (34) d’un événement et l’investis-sement auquel il donne lieu chez l’édito-rialiste. Serge July signe ainsi dans Libéra-tion dix-huit éditoriaux du 3 au 28 février1991 et seulement trois le mois suivant.Cette brusque rupture de rythme résulte du« dénouement » du principal événement dela période : la guerre du Golfe. L’issue etles effets probables de l’événement sem-blent « réglés » à la fin du mois de février

1991, ce qui a pour effet de susciter undésengagement partiel des journalistes. A l’inverse, d’autres événements ne sau-raient s’immiscer que par effraction surl’agenda de l’éditorialiste, puisque sonsavoir-faire le conduit à écarter par avancetout événement « indigne » (35) susceptible,s’il en rend compte, d’affecter son « crédit ».

Le primat du politique

La quasi-totalité des thèmes abordés dansleurs « papiers » par les éditorialistes d’Eu-rope 1 relèveraient, s’il fallait les classerselon les catégories ordinaires, de la rubriquepolitique. Ceci ne signifie cependant pas queles éditorialistes évoquent au même momentdes sujets identiques, puisqu’une division dutravail implicite s’instaure entre éditorialistesen fonction des compétences et surtout ducapital symbolique accumulé par chacund’eux. Une éditorialiste qui fut de longuesannées journaliste politique s’ingénie, parexemple, à dévoiler les « coups » des profes-sionnels de la politique, alors qu’un « édito-rialiste-intellectuel » peut s’autoriser, par despapiers généralement plus longs, uneréflexion personnelle sur la politique interna-tionale (36). La sur-représentation des événe-ments politiques n’est que le produit du clas-sement des événements par les éditorialistes,qui résulte en grande partie des conditionsdans lesquelles ils exercent leur activité. For-tement dépendant de ses sources, ce quiconstitue d’ailleurs une des principalescaractéristiques du journalisme de routines(37), l’éditorialiste est la plupart du temps

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(30) Europe 1, 14 février 1991.(31) Europe 1, 22 février 1991.(32) GOFFMAN, 1974, pp. 9-42.(33) Gaye Tuchman (1973, pp. 113-115) a souligné que les événements sont classés, par les journalistes, dans descatégories préconstituées (soft news, hard news, spot news, developing news, continuing news), à partir de carac-téristiques techniques mais aussi en fonction de leur « valeur » sociale.(34) Sur les variations de « taille » d’un événement et plus largement sur les conditions de production d’un événe-ment politique, voir GAITI, 1994.(35) Ainsi que l’écrit fort justement Patrick Champagne (1984, p. 40) : « alors que tel journaliste de radio peutprésenter, par avance, le passage d’un homme politique au Club de la Presse comme “l’événement politique de lajournée”, il faut le plus souvent plusieurs semaines avant que telle grève de travailleurs émigrés du secteur del’automobile ou telle “grève du lait” des agriculteurs de l’Ouest fassent la “une” des journaux parisiens ».(36) Catherine Nay « révèle » ainsi les « profits » retirés par le président de la République Française durant laguerre du Golfe (Europe 1, 14 mars 1991), alors que Jean-François Revel aborde l’Initiative de Défense Straté-gique (16 février 1991), les « faillites » de l’Albanie et de la Yougoslavie (16 mars 1991), la « catastrophe » éco-nomique en Europe de l’Est (13 avril 1991).(37) Jean G. Padioleau (1976, p. 272) souligne que, dans le journalisme de routines, « ce sont en effet les sourcesqui prennent l’initiative de diffuser des messages (...) Les sources maîtrisent aussi la connaissance et l’accès auxinformations ; elles possèdent l’initiative de faire le cas échéant des divulgations discrétionnaires. »

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conduit à importer les catégories de percep-tion en vigueur dans le champ politique.

Ce phénomène est vérifié, voire amplifié,lorsque les éditorialistes s’écartent de leursphère familière. Ce genre de tentative nesaurait être par ailleurs qu’exceptionnel et ilconduit inéluctablement à une retraductionde l’événement, « naturalisé » en problèmepolitique. Abordant le « malaise des ban-lieues », lors de leur face-à-face hebdoma-daire, les deux éditorialistes, Alain Duha-mel et Serge July, dressent avec minutie lebilan des politiques publiques engagées :« D’abord, il y a eu le développement socialdes banlieues. Ensuite, Banlieues 89 et sur-tout la délégation ministérielle à la ville »(38). Puis, en parfaits étiologues, ils recen-sent les racines du « mal » avant d’envisa-ger les « thérapies » appropriées. Serge July :« Pourquoi, ça piétine ? Je crois qu’il y adeux facteurs aggravants dans cette situa-tion : le facteur du chômage (...) c’est unfacteur d’accélération (...) Deuxièmement,il y a le processus assez lent, et naturelle-ment lent de l’intégration. » Alain Duhamelrecense pour sa part les solutions : « Il mesemble que pour tenter de trouver des solu-tions, il y a beaucoup de choses qui sontentreprises notammment au niveau de l’ha-bitat et de l’action locale (...) On s’aperçoitque la situation s’est améliorée dans cer-tains quartiers grâce au tissu associatif debénévoles qui ont joué un rôle décisif. Il y aun autre problème, à côté de ça, qui est undes maux français (...) ce sont lesdéfaillances de la France en matière de for-mation professionnelle (...) Ce sujet étaitdéjà là au moment de la campagne prési-dentielle de 1981 et quand on demandait àV. Giscard d’Estaing : “quel est votre grandéchec sous votre septennat ?”, il répondait :“la formation professionnelle”. »

L’appréhension des « problèmes

sociaux » à partir des schèmes de percep-tion proprement politiques est implicite-ment revendiquée par l’un des deux édito-rialistes, qui, d’une certaine façon, « vend lamèche », en reconnaissant ne s’éloignerqu’en apparence des thématiques habi-tuelles lorsqu’il évoque le « problème desbanlieues ». Serge July s’adresse ainsi, avecune pointe d’ironie, au journaliste« arbitre » du débat : « Car, je vais vous ras-surer, André Dumas : on parle de quoi ? Onne parle pas de problème de société, là ! Onparle de politique, au sens où c’est évidem-ment la question principale qu’ait à affron-ter l’hexagone. » La mise en avant du poli-tique participe de l’ennoblissementnécessaire d’un sujet, à connotation sociale,donc a priori fortement chargé d’exotisme.

L’occupation d’une position haute au seinde l’univers journalistique ne prédisposeguère l’éditorialiste à admettre une quel-conque situation de « dépendanceobjective » envers les politiques, mais, plu-tôt, à envisager ces relations sur un modeenchanté : « Hommes politiques et hommesde communication vivent de la mêmemanière, se côtoient sans cesse, ont lesmêmes lieux de travail, les mêmes lieux deloisir, les mêmes studios et les mêmestailleurs, les mêmes restaurants et les mêmescafés, parfois les mêmes lieux de villégia-ture » (39). Certains éditorialistes, davantageattentifs par leur trajectoire antérieure, à cequi se joue dans les relations qu’ils nouentavec le personnel politique, abordent plusvolontiers la question du rapport aux sourceset les contraintes qu’il génère : « Le capitald’un journaliste politique, c’est son carnetd’adresses. Il faut pouvoir joindre à toutmoment l’homme politique, chez lui, danssa voiture. On vous dira d’autant plus quevous avez moins parlé. Le jeu est très subtil.La question est : “Qui est le jouet de

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(38) Serge July, Europe 1, 31 mars 1991.(39) Alain Duhamel, Les Habits neufs de la politique, Flammarion, 1989, p. 135. Pour un exemple, parmid’autres, de « lien », le témoignage de Claude Imbert qui relate son admission à un club, la « commission trilaté-rale » : « J’y suis entré à la fin de 1985, coopté par la vingtaine de membres de la délégation française parmi les-quels Raymond Barre et Alain Cotta. Nous sommes trois journalistes européens avec mon homologue du Welt etun autre de la Stampa. C’est une maison de très bonne compagnie », cité in CHASTENET, 1986, pp. 199-200.(40) Entretien de Catherine Nay, cité in CHASTENET, 1986, p. 277.(41) Catherine Nay admet l’existence de relations privées avec les professionnels de la politique : « Je vous men-tirais si je vous disais qu’ils ne viennent pas dîner à la maison ou que je ne vais pas dîner chez eux... On possèdeun quota de types, aussi bien à droite qu’à gauche, dont on ne dira jamais de mal parce qu’on les aime bien », citéin CHASTENET, 1986, p. 277.

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l’autre ?” » (40). La routinisation des inter-actions, publiques ou privées (41) contribueà l’instauration de secrets d’initié reliant édi-torialistes et professionnels de la politiquemême si l’idéologie professionnelle conduittout journaliste à s’exclure par avance du jeu,en invoquant la posture d’observateur (42).

Certains événements politiques s’impo-sent d’autant plus « naturellement » à l’édi-torialiste qu’il en a été le participant. L’in-clination spontanée de l’éditorialiste pourla politique s’explique ainsi en partie par laco-production des événements politiquesrésultant de la collaboration active entreprofessionnels de la politique et journa-listes (43). La synchronisation des agendaspolitique et journalistique – un passage àL’Heure de Vérité ou la « rentrée » d’unhomme politique de premier plan consti-tuent pour un éditorialiste des événementspolitiques incontournables (44) – ne doitcependant pas masquer la primauté du pre-mier sur le second. La suprématie des évé-nements politiques sur les autres événe-ments procède d’un phénomène plusgénéral : la « subordination structurale duchamp journalistique envers le champ poli-tique » (45). L’éditorialiste se trouve, eneffet, la plupart du temps dans la situationde devoir réagir aux initiatives des profes-sionnels de la politique. Un éditorialistequotidien est d’ailleurs davantage soumisqu’un autre à un suivi minutieux de l’ac-tualité politique et toute péripétie est, pourlui, susceptible de faire événement (46).

Si le « choix » des thèmes à traiter parl’éditorialiste paraît fortement contraint, lamanière d’en parler ne l’est pas moins. Sou-cieux de l’impact éventuel de ses « papiers »

sur ses sources (47), il doit également s’ef-forcer d’anticiper les éventuelles réactionsde l’« opinion publique », cette illusion bienfondée qu’il peut certes contribuer à pro-duire mais qui s’impose en retour à lui-même comme à tout protagoniste du débatpolitique, à la manière d’un tribunal (48)auquel il ne saurait que se soumettre, sauf àcourir le risque de ne pas être entendu.L’éditorialiste « ajuste » ainsi ses schèmesanalytiques à l’évolution de la situation : ilne saurait longtemps tenir une position àrebours de l’« opinion », et ce d’autantmoins qu’il s’exprime dans une conjoncture« tendue ». Alain Duhamel « conseille »dans un premier temps aux forces occiden-tales, lors du déclenchement de l’initiativeterrestre contre l’Irak, de mener une « guerrepropre » et de s’interdire l’usage des armeschimiques : « C’est la différence entre unÉtat de droit et une dictature, la différenceentre une guerre de rapine et une guerre quiessaie de respecter un certain nombre deconventions vis-à-vis des civils, vis-à-visdes prisonniers, vis-à-vis des armesemployées » (49). Une semaine plus tard,après l’annonce de bombardements massifsayant causé la mort de trois cents civils ira-kiens, l’éditorialiste, devant les circons-tances, « révise » son jugement : « C’est ladémonstration qu’il n’y a pas de guerrepropre, qu’il n’y a pas de guerre juste, qu’iln’y a pas de guerre abstraite, qu’il n’y a pasde guerre technologique, qu’il n’y a que desguerres cruelles et quelquefois des guerresnécessaires » (50). La prise de parole del’éditorialiste est ainsi enserrée dans unréseau de contraintes fortes, progressive-ment intériorisées comme constitutives du

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(42) L’un des effets possibles de l’adoption d’une position de surplomb revient à entreprendre une disqualificationdes professionnels de la politique comme l’atteste le « marronier » de la « crise de la représentation », cf. :NEVEU (1992) et LACROIX (1994).(43) Pour un exemple : le « club de la presse » animé par Alain Duhamel reçoit Jean-Marie Le Pen (10 février1991). Le lendemain (11 février 1991), le « papier » de l’éditorialiste est consacré à la prestation de la veille.(44) L’invitation de Raymond Barre à L’Heure de Vérité donne ainsi lieu, en pleine guerre du Golfe, à un éditorialde Catherine Nay (12 février 1991).(45) Selon l’expression de GAXIE, 1993, p. 72. Pour une confirmation récente, concernant la question deslogiques d’accès du personnel politique à la télévision, voir : DARRAS, 1995.(46) Alain Duhamel évoque deux jours de suite (11 et 12 avril 1991) le débat qui suit le dépôt d’une motion decensure par les députés de l’opposition (UDF et RPR) à l’Assemblée Nationale qui ne présentait néanmoins aucunrisque pour le gouvernement de Michel Rocard.(47) Pour une réhabilitation de l’importance des sources pour la sociologie du journalisme, voir : SCHLESINGER, 1992.(48) Pour reprendre l’expression de BAKER, 1993.(49) Europe 1, 6 février 1991.(50) Europe 1, 14 février 1991.

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« métier », et qui pour cette raison, ne luiapparaissent que rarement comme telles.

MODES D’APPROPRIATIONDE L’ÉVÉNEMENT

Envisager le travail de l’éditorialistesous l’angle des contraintes exercées par lechamp politique ne rendrait compte qu’im-parfaitement de cette activité. Ce serait, eneffet, oublier que les relations établiesentre éditorialistes et professionnels de lapolitique ont évolué profondément en rai-son de la lente mais progressive autonomi-sation de l’espace journalistique quiconfère désormais aux éditorialistes undroit d’évaluation et de critique des poli-tiques (51). Le capital symbolique accu-mulé au sein de l’espace journalistique etactualisé par le poste qu’il occupe autorisel’éditorialiste à afficher une distance osten-sible envers les professionnels de la poli-tique qui participe de sa façade (52). L’édi-torialiste dispose ainsi d’un répertoireéprouvé de postures susceptibles de luioctroyer le « crédit » exigé par sa position.

Jouer au traducteur

L’intervention de l’éditorialiste est pro-grammée à une heure de grande écoute,stratégique (53) pour la station périphé-

rique, où le public est socialement hétéro-gène (54). L’éditorialiste s’inscrit dans unelogique de porte à faux (55) en s’adressantà des publics composites, aux attentesnécessairement contradictoires : privilé-giant un public de « décideurs » intéressépar la politique (56), il ne peut manquer desolliciter, ne serait-ce que pour des raisonsd’audience, l’attention momentanée desprofanes qui n’accordent qu’une attentionoblique à la politique. Cette doublecontrainte présuppose l’adoption d’unregistre omnibus de la politique et conduità un travail permanent de sous-titrage desnotions obscures. L’éditorialiste, à des finsd’anticipation de la réception, déploie uncertain nombre de procédés qui relèvent duregistre pédagogique. Soucieux de mainte-nir l’intérêt des auditeurs, il ponctue sondiscours d’interrogations destinées à enfaciliter l’écoute sans oublier d’énumérerles principaux points de la démonstration.Alain Duhamel ne déroge pas à ces prin-cipes lorsqu’il tente d’expliquer les varia-tions de position de Saddam Hussein lorsde la guerre du Golfe : « Comment est-cequ’on peut expliquer ce comportement,quand même, à quelques heures d’inter-valle, apparemment tellement contradic-toire ? Eh bien, la première chose, c’estqu’il cherche absolument à sauver la face.D’abord vis-à-vis de son peuple et à la foisvis-à-vis du monde arabe. C’est bien clair.

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(51) Pour un exemple de l’évolution des « rapports de force » entre hommes politiques et journalistes, cf. letémoignage de Claude Imbert : « Les plus jeunes, ceux qui ont moins de quarante ans, ne se laissent plus marchersur les pieds comme ceux de ma génération qui pratiquaient des rodomontades de bistrot suivies des courbettes debureau », cité par RIEFFEL in Histoire et Médias, collectif, Albin Michel, 1991.(52) Pour un exemple parmi d’autres, la réaction indignée de Serge July après que Témoignage Chétien le pré-sente, en 1983, comme « un homme du président » : « A l’Élysée, je passe pour un emmerdeur, renseignez-vous !Libé n’est pas un journal politique. Il ne se conçoit pas comme un organe politique. D’ailleurs, il n’a aucuneligne. Son objectif : l’information », Témoignage Chétien, 10 octobre 1983, p. 29.(53) La tranche horaire « 6 h-8 h 30 » est financièrement la plus importante pour la station car elle génère l’au-dience la plus forte : les tarifs publicitaires sont à ce moment trois à quatre fois plus élevés que la moyenne (letarif de 30 secondes de publicité passe ainsi, en 1994, de 45 668 francs entre 6 h et 8 h 30 à 18 811 francs entre 8 h 30 et 12 h), Stratégie, Le Guide des médias, 1995.(54) Le profil de l’auditoire d’Europe 1, tel qu’il ressort des enquêtes « médiamétrie », apparaît très composite :plutôt masculin (63,5 %), résidant souvent en région parisienne (27,2 %) ou dans le bassin parisien (24,3 %), fai-blement polarisé en fonction de l’âge (les « + de 60 ans » (29, 4 %) devancent les « 35-49 ans » (28,9 %)) et de lacatégorie sociale (ceci en dépit de l’imprécision des classifications, puisque les « CSP + » regroupant cadressupérieurs, professions intermédiaires et indépendants et qui représentent le public de référence, demeurent néan-moins nettement minoritaires (36,2 %) et ne sauraient pour cette raison évidente constituer la seule « cible » de lastation. Stratégie, Le Guide des médias, 1995.(55) Sur les nécessités de « traduction » du discours politique dans les médias, particulièrement audiovisuels, cf. NEVEU, 1989 et 1991 et LE GRIGNOU, NEVEU, 1991 et 1993.(56) Un ancien directeur d’antenne pouvait déclarer : « La station s’adresse à tous ceux qui bougent et qui fontbouger la France et l’Europe aujourd’hui. Demandez donc aux publicitaires ! ». Entretien de Jean-Pierre Elkab-bach, L’Événement du Jeudi, 25 janvier 1990.

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La deuxième chose, c’est qu’il essaie dedonner le sentiment qu’il continue à être undes leaders dans cette évolution continuedes événements, qu’il ne se contente pas desubir, soit les initiatives des États-Unis, soitdes coalisés, mais que lui aussi joue le jeu.La troisième chose, c’est qu’avec SaddamHussein, il ne faut jamais écarter ce qui estpeut-être la volonté de ruser, de manœu-vrer, de gagner du temps » (57). Le sous-titrage peut aussi conduire à dramatiser unévénement selon la logique du « scoop »,lorsque l’éditorialiste aborde un thèmeréputé aride comme l’économie. Jean Bois-sonnat commente en ces termes l’évolutionde l’inflation : « C’est la première fois quecela se produit depuis que je m’exprime surcette antenne : la France a toutes leschances cette année d’avoir une hausse desprix inférieure, je dis bien inférieure, àcelle de l’Allemagne (...) Et, si la Francefait mieux que l’Allemagne, elle pourraitêtre championne du monde car le Japon faitmoins bien que nous, ces temps-ci. Oncroit rêver ! D’ailleurs, vous ne me croyezpas, et vous avez tort ! » (58).

La sollicitation de l’intérêt des profanespeut emprunter également une autre voie :l’énoncé politique peut être prudemmentrecouvert par une approche psychologiquedes personnages qui instaure un rapport aupolitique en continuité avec les catégorieséthiques, mobilisées par les individus lesmoins familiarisés aux logiques spéci-fiques de l’espace politique (59). Lerecours au portrait psychologique pourdécrypter le discours politique à l’usagedes profanes met l’accent sur les qualitésattendues d’un homme politique, incompa-rables, avec celles de l’homme ordinaire :« Il y un an la Syrie avait été mise au ban

par les États-Unis qui la considéraitcomme un État terroriste (...) Aujourd’hui,le secrétaire d’État américain rend visitelonguement, parle, discute, remercie mêmesans doute un peu la Syrie de sa contribu-tion contre l’Irak. Alors, ça s’explique toutça, en bonne partie, par la personnalité dugénéral Assad, le numéro Un syrien qui està la fois le plus impressionnant deshommes d’État de toute la région, le plusréfléchi, le plus intelligent, le plus obstinéet qui est également un dictateur et le caséchéant totalement implacable. Et il acompris très vite parce qu’il comprendbien les choses et qu’il est plus obstiné queles autres » (60). Cette posture, « exem-plaire de ce mécanisme de rapatriementdans la personne de l’homme politique desraisons de son succès et de la constitutionde sa personnalité comme une valeur poli-tique en soi » (61), souligne les limites del’émancipation des éditorialistes envers leshommes politiques puisqu’ils partagentavec eux, par idéologie professionnelle,l’illusion de la toute-puissance du poli-tique, ce qui les conduit, dans certainescirconstances, à se faire les chantres ducivisme et de la participation politique :« En France, plus des deux tiers des com-munes ont moins de cinq cents habitants. Ily a là une question simplement d’échelleéconomique. Il faut qu’il y ait des change-ments et pour équilibrer ces changements,il faut que les citoyens participent davan-tage » (62). L’usage du registre psycholo-gique possède un autre atout : il autorisel’éditorialiste à faire montre de son talentlittéraire. Par la virtuosité d’un exercice destyle, un militant révolutionnaire est trans-mué en un personnage romanesque : « Il aeu un itinéraire qui a commencé comme

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(57) Europe 1, 22 février 1991.(58) Jean Boissonnat, Europe 1, 8 mars 1991.(59) Sur les relations des « profanes » à la politique, cf. GAXIE, 1978. Pour un exemple d’usage du registre psy-chologique à des fins d’analyse politique, l’ouvrage d’Alain Duhamel, Le Complexe d’Astérix (1985), au sous-titre évocateur : Essai sur le caractère politique des Français.(60) Alain Duhamel, Europe 1, 14 mars 1991.(61) COLLOVALD, 1992, p. 84.(62) Alain Duhamel, Europe 1, 28 mars 1991.(63) Il s’agit de Georges Boudarel, voir infra. Alain Duhamel, Europe 1, 24 mars 1991.

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un aventurier de Malraux et qui a finicomme un héros de Céline. Son problèmeest qu’il y a un mélange perpétuel desdeux personnages » (63).

Le style, c’est l’éditorialiste

L’éditorialiste n’est pas un journalistecomme un autre. Il peut s’autoriser cer-tains « effets de plume », comme le souli-gnent les manuels de journalisme : « L’édi-torial est un texte qui réveille. Son auteurpeut se laisser aller à son humeur. S’il sesent l’âme littéraire et s’il en a l’envergure,rien ne l’empêche de se livrer à un mor-ceau de bravoure » (64). L’éditorialiste estparticulièrement attentif au sens de la for-mule qui « fait mouche » puisqu’elle luipermet de réaliser un « coup double » : sedifférencier de ses confrères en imposantsa marque tout en décodant, à l’attentiondes profanes, une actualité la plupart dutemps hermétique. La découverte d’unesociété-écran créée à l’initiative de Sad-dam Hussein afin de placer des fonds horsd’Irak met Jean-François Revel en verve :« Que doivent penser de cette arnaque lesArabes de Palestine, de Mauritanie, de Jor-danie, du Maghreb ou de France qui ont vuen Saddam leur Jeanne d’Arc ? Jeanned’Arc aussi avait des visions et entendaitdes voix comme Saddam qui affirme avoirvu le prophète Mahomet lui apparaître enrêve et lui parler. Mais, à la différence deSaddam, Jeanne d’Arc ne planquait pas defric en Suisse » (65).

Faire preuve de style constitue unenorme sociale à laquelle un éditorialiste nesaurait déroger sans compromettre le capi-tal symbolique patiemment accumuléauprès des confrères. « Savoir écrire »s’avère une ressource sociale précieusepour l’éditorialiste qui maîtrise cet instru-ment d’évaluation, à la manière d’un

Claude Imbert qui, sachant « soigner » seseffets, se voit combler de louanges : « Seséditoriaux, remarquablement écrits, fontpreuve d’une recherche sémantique inhabi-tuelle et presque déplacée dans sonsupport » (66). Commenter l’événementest alors prétexte à faire état de ses réfé-rences culturelles ou de son talent litté-raire. Les analyses relatives à la mise enscène de la politique télévisée apparaissentparfaitement transposables pour com-prendre les pratiques des éditorialistes :« de la référence hermétique à la méta-phore audacieuse, en passant par l’analo-gie inattendue, tout concourt à faire de cetexposé un véritable exercice de style quitémoigne de l’érudition, du brio, de la maî-trise de la langue et des multiples talentsdes journalistes » (67). L’éditorialiste doitfaire preuve par son « papier » de l’éten-due de son savoir, susceptible de validerl’ensemble de l’analyse. La sollicitationd’un « grand auteur » à l’appui de ladémonstration est un indice du capital culturel de l’éditorialiste : « Jamais, peut-être, la fameuse distinction de Max Weberentre éthique de conviction et éthique de laresponsabilité n’aura paru plus éclatante »(68) ; « Pour citer Pascal, on a fait que cequi était fort fût juste » (69). L’usage de lacitation alterne avec l’emploi de l’épi-graphe qui, à la manière de Claude Imbertconvoquant Mahomet : « L’encre del’élève est plus sacrée que le sang du mar-tyr » (70), atteste la « valeur » du com-mentaire qui la suit.

La mobilisation de sources de qualitéconstitue un autre moyen dont l’éditoria-liste dispose pour donner un aperçu del’étendue de son capital social. L’invoca-tion des ressources sociales tend à s’ac-croître parmi les éditorialistes des news-magazines et plus encore dans la presseéconomique, en affinité avec les disposi-

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(64) MARTIN-LAGARDETTE, 1989, p. 82.(65) Europe 1, 30 mars 1991.(66) CHASTENET, 1986, p. 199. Une sélection des éditoriaux de Claude Imbert est, indicateur de leur « qua-lité », publiée dans la revue Commentaire.(67) LE GRIGNOU, NEVEU, 1991, p. 76.(68) Jacques Julliard, Europe 1, 9 mars 1991.(69) Jean-François Revel, Le Point, 11 mars 1991.(70) Le Point, 28 janvier 1991.

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tions d’un lectorat mieux doté en capitaléconomique qu’en capital culturel. L’édi-torialiste recherche ainsi une ostensiblecomplicité avec les « décideurs ». Les édi-toriaux de Jean Boissonnat foisonnent deréférences, à l’image du bloc-notes publiépar L’Expansion, entièrement construit surl’homologie de position entre l’éditoria-liste et le public « idéal », constituéd’hommes d’affaires. L’éditorialiste, touten glissant des conseils à ses pairs –« L’Insee vient de consacrer à ce phéno-mène capital (la productivité) un numérospécial de sa revue Économie et statistiquequi mériterait d’être largement connu »(71) –, fait état dans son bloc-notes sur-chargé, comme dans ses interventions surl’antenne d’Europe 1, des relations deproximité qu’il entretient avec les respon-sables économiques et politiques : « Quese passe-t-il vraiment en Allemagne ?Après des contacts pris avec les cerclesdirigeants à Francfort et à Bonn, les pre-mières impressions sont moinspessimistes » (72) ; « Sid Ahmed Ghozaliest ministre des affaires étrangères d’Algé-rie. Je ne l’avais pas revu depuis ces tempsanciens où cet ingénieur formé à l’écoledes Ponts et Chaussées de Paris s’occupaitdu pétrôle algérien. Je le retrouve grâce àThierry de Montbrial et à l’Institut Fran-çais de Relations Internationales qu’il pré-side » (73). La mobilisation des ressourcessociales et culturelles participe à laconstruction du rôle de l’éditorialiste,familier des « puissants » et traducteur àdestination du grand public : « Un acteurde premier rang des affaires interationalesme dit : “C’est une très grande révisionque la France engage (en matière de poli-tique internationale). Comme dans le tour-nant économique de 1983, ce sera pour ladoctrine socialiste – ou ce qu’il en reste –un électrochoc” » (74).

Incarner l’opinion

L’éditorialiste ne se contente pas de tra-duire ou d’« emballer » un message à desti-nation de son public. Il peut également seprésenter comme le porte-parole des audi-teurs auxquels il s’adresse et son interven-tion consiste en partie, selon le principe dela représentation politique, à lui rendre descomptes : « Il fallait punir, certes, et libérerle Koweït, débarrasser Israël de cettemenace. Mais, une semaine aurait sansdoute suffi sans détruire un pays, sans écra-ser un peuple, sans ridiculiser une nation.C’est facile, pensez-vous, de dire çaaujourd’hui mais il se trouve que je l’aiécrit à plusieurs reprises auparavant et si jem’étais trompé, j’en aurais pris plein lafigure. Alors, en revanche, je l’avoue, j’aipersonnellement sous-estimé le rôle quejouait dans cette affaire un hégémonismede grande puissance et surestimé l’inter-vention bénéfique de l’ONU qui a étéquelque peu bafouée, et de cela je vous priede m’en excuser » (75). Cette affectationd’humilité ne peut se comprendre qu’auregard de la « valeur » de la ressource queconstitue l’opinion publique. C’est, eneffet, parce qu’il incarne l’opinion quel’éditorialiste s’autorise à rappeler àl’ordre les professionnels de la politique etqu’il peut faire usage de l’ironie moralisa-trice : « Il faut faire attention avec les lessi-veuses ! A trop vouloir maintenir le cou-vercle clos, quand le linge bout àl’intérieur, on les transforme en marmiteinfernale et un jour, Pouf !, ça vous exploseà la figure. L’ex-président Giscard d’Es-taing en sait quelque chose puisque dans salessiveuse à lui – car c’est un homme dumonde – il y avait des diamants. Il ne lesavait pas volés, ni détournés, simplement ilavait eu le tort de les laisser bouillir et des’asseoir sur le couvercle. On connaît lasuite. Apparemment, le Parti Socialiste n’apas retenu la leçon. Lui, dans sa grosse les-siveuse, il a enseveli de vulgaires cahiersd’écoliers sur lesquels un comptable naïf a

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(71) L’Expansion, 7 février 1991.(72) Europe 1, 12 avril 1991.(73) L’Expansion, 21 mars 1991.(74) Claude Imbert, Le Point, 18 mars 1991.(75) Jean-François Kahn, Europe 1, 27 février 1991.(76) Jean-François Kahn, Europe 1, 10 avril 1991.

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noté au jour le jour toutes les magouillesfinancières auxquelles il se livrait pour lecompte du PS » (76). Conscient du relatifhandicap de sa position, qui ne « tient »que sur le capital accumulé sur son nom,l’éditorialiste doit emprunter le détour del’intérêt général afin de se grandir. Lamobilisation de l’opinion agit, en effet,comme l’indique Bernard Lacroix, à lamanière d’un substitut de l’onction électo-rale qui lui fait défaut : « Les journalistesne disposent au départ d’aucune ressourcede légitimité pour faire jeu égal avec lesreprésentants auxquels ils donnent laréplique. Or l’usage des sondages vient trèsexactement compenser cette inférioritécongénitale en figurant l’incarnation d’un“public” juge de l’action de ceux qui par-lent en son nom » (77).

Cette puissance sociale acquise par leséditorialistes est relativement récentepuisque, comme le rappelle Erik Neveu, lerôle des journalistes politiques les plus « envue » consistait encore, à la fin des années1960, à tenir « le rôle d’interlocuteurs ou derewriters dans des livres écrits au magnéto-phone » (78). L’autonomisation progressivedes journalistes politiques – phénomène quia principalement bénéficié aux plus titrésd’entre eux parmi lesquels les éditorialistespolitiques figurent en bonne place – a étérendue possible par les transformations del’espace politique, désormais ouvert auxsondeurs, conseils en communication, poli-tologues...qui disputent aux professionnelsde la politique le monopole de la parolepolitique (79). Sans qu’il soit possible des’attarder longuement ici sur l’ensemble destransformations sociales qui ont permis

l’autonomisation progressive des éditoria-listes à l’égard de l’espace politique (80),on peut remarquer que leur droit d’interven-tion s’exerce aujourd’hui au nom de leurspropres compétences et non plus unique-ment en tant que faire-valoir des hommespolitiques. La multiplication, dans lesmédias audio-visuels, d’émissions poli-tiques mettant aux prises des éditorialistes« entre eux », en l’absence d’hommes poli-tiques, atteste, d’une certaine manière, laréussite de la prophétie auto-réalisatrice quiles a fait passer pour des représentants del’opinion (81).

Si l’anticipation des attentes supposéesdes auditeurs tend à homogénéiser engrande partie le contenu et la forme des« papiers » des éditorialistes, qui intériori-sent dans leur pratique professionnellediverses « contraintes » d’énonciation, ilsconservent, néanmoins, par leur traitementde l’événement, une marge de manœuvreindéniable. Ces « contraintes » qui délimi-tent leur prise de parole peuvent être envi-sagées ici au sens qu’Anthony Giddensdonne à cette notion. Pour cet auteur,« toutes les formes de contraintes sontdonc aussi, selon des modes qui varient,des formes d’habilité. Elles servent àrendre possibles certaines actions en mêmetemps qu’elles en restreignent ou en empê-chent d’autres » (82). Le discours de l’édi-torialiste, en étant étroitement soumis auximpératifs de décodage, requiert un sous-titrage permanent et – pour cette mêmeraison – s’inscrit dans un cadre d’interven-tion spécifique, qui l’autorise à prendre sesmarques envers les premières définitionsde l’événement. S’approprier l’événement

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(77) LACROIX, 1988, p. 134.(78) NEVEU, 1992, p. 14.(79) Sur cette question, voir CHAMPAGNE, 1988.(80) Parmi une littérature abondante, des informations précises figurent dans RIEFFEL, 1984 et ROUCAUTE,1991.(81) Les années 1980 ont vu ce type d’émissions se multiplier notamment à la télévision : de la revue de pressemensuelle de Droit de réponse, le magazine de Michel Polac, en passant par A la une sur la trois animé par Chris-tine Ockent, ou Polémiques de Michèle Cotta, la confrontation des éditorialistes de la presse fait aujourd’huifigure d’un nouveau genre d’émission politique.(82) GIDDENS, 1987, p. 231.(83) C’est d’ailleurs l’« individualisation » de ce produit journalistique qui permet à ses auteurs d’en faire desusages multiples (production de différentes versions d’un même éditorial en presse écrite et audio-visuelle, publi-cation d’ouvrages réunissant les « meilleurs » éditoriaux d’une période...) puisque, à la différence de la plupartdes autres produits journalistiques, celui-ci ne s’épuise pas dans l’instant.

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commande de réaliser un « produit » stan-dardisé mais personnel, qui ne saurait enaucun cas être confondu avec un produitordinaire (83).

COORDINATION ET CONCURRENCE

Le jeu du consensus

Les éditorialistes politiques sont prisdans un certain nombre d’interactions aucours desquelles ils élaborent ensembleleurs définitions des événements. La miseau point de schèmes d’interprétationhomologues présente l’intérêt d’éviter ceque Erving Goffman appelle les conflits decadre (84), susceptibles, lorsqu’ils survien-nent, de remettre en question leur crédibi-lité. L’instauration de mécanismes infor-mels de coordination – interconnaissance,interactions routinisées avec les sourcescommunes, pratiques professionnellesimposant des lectures « croisées » – tend àproscrire certaines erreurs d’appréciationde l’événement. De ce point de vue, l’ana-lyse de Jean G. Padioleau sur les profitsliés à la coopération entre journalistes spé-cialisés en matière d’éducation paraît lar-gement rendre compte du travail des édito-rialistes : « La coopération entre lesjournalistes réduit les occasions de compa-raisons défavorables ; elle les fait appa-raître comme étant tous bien informés ;elle les préserve aussi des mesures derétorsions éventuelles que des sourcespourraient prendre après la divulgationd’informations confidentielles ; enfin lacoopération présente des bénéficesconcrets évidents au cours du labeur quoti-dien » (85). Les instruments de coordi-nation instaurés entre journalistes sont

généralement renforcés lorsque leurs trajec-toires professionnelles se sont précédem-ment croisées et que l’interconnaissance est ancienne. Plusieurs éditorialistes d’Europe 1 (Catherine Nay, ClaudeImbert, Jean-François Kahn, Alain Duha-mel et Jean-François Revel) se sontcotoyés, au cours des années 1960, à larédaction de L’Express dirigé par Fran-çoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber alors que Jean Boissonnat fondaL’Expansion avec le cadet de celui-ci,Jean-Louis Servan-Schreiber. Ces relationssont en outre ravivées par la fréquence etla stabilité de leurs interventions sur l’an-tenne d’Europe 1 (86). L’existence d’ins-truments de coordination, généralementimplicites et non vécus comme tels par leséditorialistes, contribue, avec l’ensembledes contraintes qui pèsent sur la réceptionde leurs discours, à l’auto-limitation desdéfinitions possibles de l’événement.Celles-ci sont à mettre en relation avec lastructure de plausibilité qui, comme l’indi-quent Peter Berger et Thomas Luckmann,« constitue également la base sociale de lasuspension particulière du doute sanslaquelle la définition de la réalité en ques-tion ne pourrait être maintenue dans laconscience » (87).

L’instauration de relations de face-à-face, élaborées à partir d’un savoir com-mun, tend, pour une grande part, à unifier,chez les éditorialistes, les façons de voirl’événement et à écarter sur le mode du cequi va de soi certaines définitions poten-tielles de la situation. Durant la guerre duGolfe, une critique sans « voile » de l’in-tervention occidentale en Irak fait figurede « coup » injouable et l’éditorialiste quiadopterait une telle posture risquerait des’isoler durablement de ses confrères. Le

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(84) GOFFMAN, 1991, pp. 317 et s.(85) PADIOLEAU, 1976, p. 262. Jeremy Tunstall (1971, p. 82) avait mis en lumière, dans son étude portant surles journalistes du lobby de Westminster, la dimension coopérative qui réglait les rapports entre confrères :« Anyone who has seen a group of competitor-colleague journalists together will have seen them exchangingshorthand notes, anecdotes and comments on the current new stories. Anyone who has visited the press gallery atWestminster will have seen Lobby correspondents eating together in the restaurant, gossiping at the bar, and stop-ping each other in the corridor to ask what’s happening. »(86) La première date retient l’entrée sur l’antenne d’Europe 1 comme éditorialiste et la seconde, lorsqu’il y alieu, indique la première collaboration avec la station : Alain Duhamel (1973) ; Jean Boissonnat (1974) ; Cathe-rine Nay (1977.1975) ; Claude Imbert (1977) ; Jean-François Kahn (1982.1970) ; Serge July (1983) ; Jacques Jul-liard (1986) ; Jean-François Revel (1986).(87) BERGER et LUCKMANN, 1986, p. 212.

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seul des éditorialistes d’Europe 1 qui a prisquelque distance envers l’interventionmilitaire occidentale l’a d’ailleurs fait avecbeaucoup plus de prudence sur l’antennede la station périphérique que dans l’heb-domadaire qu’il dirige. Jean-FrançoisKahn fait, en effet, usage de l’ironie pourfaire passer son message, en comparantl’attitude des occidentaux face aux mas-sacres organisés par Staline et par SaddamHussein : « Que faisons-nous ? Onregarde ! Le rapport avec ce que je vousracontais en commençant ? Aucun, biensûr ! Qu’est-ce que vous allez croire ? Sta-line est mort et bien mort, un tel cynismen’a plus court aujourd’hui et d’ailleurs,nous, les grands démocrates, nous sommesde tout cœur avec les Kurdes. Cela changetout, évidemment » (88). La limitation del’éventail des prises de position dicibles(89) peut alors laisser croire à l’émergenced’un consensus (90) entre éditorialistes,puisque s’écarter des prises de positionsocialement légitimes représente un« coup » particulièrement risqué dont laréussite, en termes d’imposition d’unschème interprétatif, est, en pratique, trèsincertaine.

Surenchères dans l’injonction de sens

Si les éditorialistes élaborent des défini-tions de l’événement proches, ils ne disentpas nécessairement la même chose, et ced’autant moins qu’ils évoluent dans uncadre marqué par la concurrence. Les rela-

tions qu’ils entretiennent, caractérisées parl’ambivalence – elles sont à la fois collu-sives et conflictuelles –, s’apparentent encela aux jeux à motifs mixtes (91). Préser-vés de la contingence, c’est-à-dire del’énonciation des faits, les éditorialistes sedémarquent à l’aide de stratégies de diffé-renciation qui portent exclusivement surles interprétations de l’événement (92).N’ayant guère de possibilités de se diffé-rencier sur le « fond », ils se livrent alorsune compétition « à la marge ». Le face-à-face hebdomadaire, qui met aux prisesdeux éditorialistes de la station, AlainDuhamel et Serge July, est emblématiquede ce type de confrontation :

Serge July : « Oui, je crois que c’est undes événements (les relations entre laFrance et les États-Unis) de cette longuecrise du Golfe. C’est que l’anti-américa-nisme, qui était pendant de nombreusesannées un positionnement a priori de lapolitique française, a vécu ».

Alain Duhamel : « Serge disait, et il araison, que c’est la fin de cette espèce d’ir-rédentisme ou d’isolationnisme idéolo-gique de la France vis-à-vis des États-Unisqui durait depuis la Deuxième Guerre mon-diale. Il me semble qu’on pourrait mêmealler plus loin, parce que ce que dit Sergeest tout à fait vrai des politiques, mais si onparle des Français maintenant, on s’aper-çoit que c’est un vrai tournant et Serge atout à fait raison de le rappeler » (93).

Ce qui est en jeu, en fait, dans le com-mentaire de l’événement, ce n’est riend’autre que le statut de l’éditorialiste au

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(88) Europe 1, 3 avril 1991. Il suffit pour se convaincre de la rupture de ton de citer quelques titres d’éditoriauxde L’Événement du Jeudi : « Ces apprentis sorciers qui ont fabriqué un dragon » (31 janvier 1991) ; « PourquoiSaddam peut gagner même en perdant » (7 février 1991) ; « les lourdes erreurs de George Bush » (14 février1991) ; « Le chemin de Bagdad » (21 février 1991) ; « Amère victoire » (28 février 1991) ; « La guerre n’a pas eulieu, pourtant elle continue » (7 mars 1991) ; « Irak : la honte absolue » (4 avril 1991).(89) Pour un exemple d’indicible, l’exclusion de l’indépendance de l’Algérie par les protagonistes du jeu poli-tique de la IVe République. GAITI (1990, p. 116) : « Un discours qui développerait des réticences quant à la pour-suite de la guerre est quasiment impossible à tenir sauf à risquer le “suicide” politique. »(90) Sur les « jeux » possibles autour du et sur le « consensus », voir DOBRY, 1986.(91) Cf. SCHELLING, 1986. Tunstall (1971, p. 86) insiste sur cette double dimension du travail journalistique :« It is, however, impossible to separate co-operation entirely from competition. But perharps it is worth repeatingthat although there is a large amount of both general and partnership co-operation, competition is also very evident. »(92) Parmi les quatre formes de concurrence retenues par Tunstall (1971, p. 80) : la vitesse de publication ; l’ex-clusivité ; l’interprétation ; la mise en page et la longueur du « papier », seules les deux dernières paraissentconcerner les éditorialistes.(93) Europe 1, 17 mars 1991.(94) La notion de configuration est entendue comme un ensemble de tensions, conformément au sens que Norbert-Élias donne à cette notion : « L’interdépendance des joueurs, condition nécessaire à l’existence d’une configurationspécifique, est une interdépendance en tant qu’alliés mais aussi en tant qu’adversaires », ÉLIAS, 1991, p. 157.

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sein de l’espace des commentateurs poli-tiques. Il est ainsi conduit, par la placequ’il occupe dans la configuration (94) àlaquelle il participe, à la manière du joueurde cartes de Norbert Elias, alors qu’il tenteun coup, à tenir compte des prises de posi-tion précédemment émises, qui s’imposentà lui comme autant de coups antérieurs quistructurent le jeu. Le travail de l’éditoria-liste s’apparente sur ce point à celui del’herméneute, puisque, en explicitant l’évé-nement, il est contraint de « découvrir » unsens jusqu’alors ignoré, ne serait-ce quepour se distinguer des interprétations préa-lables de ses confrères. Chez certains édi-torialistes dont le nom apparaît comme ungage de certification intellectuelle, le com-mentaire de l’événement peut débouchersur l’inflation explicative. La guerre duGolfe est alors occasion à disserter sur laguerre et ses évolutions au XXe siècle :« Avec l’apparition du communisme et dufascisme, depuis 1917, les guerres ontretrouvé cette charge idéologique qui étaitla leur au XVIe siècle, pendant les guerresde religion. La Deuxième Guerre mondialea opposé les fascismes aux démocraties ;la guerre de Corée, le communisme aucapitalisme ; la guerre d’Algérie, les parti-sans de l’intégration à ceux de la décoloni-sation. Aujourd’hui, la guerre du Golfeoppose le droit des États-Unis au droit deconquête. Et qui ne voit pas que progressi-vement avec l’entrée des masses arabes enJordanie, au Maghreb, peut-être bientôtdans d’autres pays, on assiste à une véri-table confrontation entre les valeurs dumonde occidental et les valeurs du mondearabo-musulman » (95).

L’événement reprend sa juste place dansun contexte plus large, à partir du question-nement, par exemple, de la philosophiepolitique : les relations diplomatiques entreles États occidentaux et l’Irak témoigne-raient une nouvelle fois des faiblesses desdémocraties occidentales : « Les démocra-ties victorieuses auront toujours l’art deservir les intérêts de leurs pires ennemis

(...) Si les démocraties abandonnaient lepeuple irakien aux coups de son tueur (ils’agit de Saddam Hussein), notre fameuxnouvel ordre international ressembleraitfort, en tous les cas en Irak, au nouvelordre d’Hitler » (96). La logique de compé-tition débouche sur une hypertrophie dansl’injonction de sens puisqu’un même évé-nement fait l’objet de déplacements succes-sifs, produits par la pluralité des définitionsen concurrence. Les analyses des éditoria-listes d’Europe 1 élaborées lors de ce quiest devenu « l’affaire Boudarel » (GeorgesBoudarel, universitaire français, engagédurant la guerre d’Indochine aux côtés duViet-Minh et ancien responsable d’uncamp, fut accusé d’avoir fait torturer desprisonniers français) rendent compte deslogiques d’appropriation multiples del’événement. Une lecture qui pourrait êtrequalifiée d’« idéologique » s’impose d’em-blée à certains éditorialistes qui se saisis-sent du cas qui s’offre à eux, pour débattredu communisme et s’émanciper ainsi desfaits préalablement évoqués à l’antenne.Claude Imbert remarque « jusqu’à quellevilenie pouvait descendre un communistefrançais » et saisit l’occasion offerte pourvilipender les « intellectuels de gauche »qui prennent la défense de Georges Bouda-rel : « Il reste toujours dans la cohorte deceux qui se sont interminablement trompésune illusion, une irrépressible tendressepour l’imbécillité qui fut la leur » (97).Jean-François Kahn intervient le lendemainsur l’antenne et réagit explicitement au« papier » de la veille en se plaçant sur lemême terrain, celui du sort à réserver aucommunisme, mais en se démarquant deson confrère : « Vous savez, côté anti-com-munisme, je crois avoir pas mal donné.Depuis trente ans, j’ai été du combat. Mais,la bataille gagnée, je ne participerai pas aulynchage » (98). Alain Duhamel aborde lesujet après ses deux confrères, en refusantd’entrer dans leur jeu. En abordant l’affairesous l’aspect juridique, il dépassionne ledébat et fait preuve de « hauteur de vue »

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(95) Jacques Julliard, Europe 1, 9 février 1991.(96) Jean-François Revel, Europe 1, 9 mars 1991.(97) Europe 1, 19 mars 1991.(98) Europe 1, 20 mars 1991.

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en étudiant si la thèse du crime contre l’hu-manité est recevable pour qualifier les actescommis : « C’est quelqu’un qui a reconnuses fautes (...) La deuxième chose, c’estqu’il est couvert par la loi d’amnistie (...)Le dernier point : (...) pour qu’il y ait crimecontre l’Humanité il faut qu’un crime soitcommis au nom d’un État. Or, à l’époque,le Viet-Minh ne constituait pas un État »(99). Les « angles » possibles se restrei-gnent évidemment au fur et à mesure desinterventions des éditorialistes et SergeJuly, en prenant la parole plus tardivement,procède à une montée en généralité en resi-tuant, – ultime prise de distance – l’événe-ment dans son contexte historique : « Entrel’effondrement du communisme et la vic-toire militaire des sables, c’est, en effet,l’histoire du siècle qui est brutalement revi-sitée. Les militants communistes ont perdu

toute légitimité, tandis que les combattantsdes guerres coloniales, celles qu’on appe-lait les « sales guerres », ressortent desoubliettes (...) La victoire militaire contreun dictateur du Tiers-Monde est en train dedéculpabiliser les guerres coloniales. On levérifie dans certains arguments des accusa-teurs de Georges Boudarel » (100).

L’événement réapproprié par les éditioria-listes est un événement déréalisé puisque ledévoilement progressif de ses significationscontribue, en fait, à l’opacifier. Si, commel’affirme Pierre Nora, les élaborations impro-visées à chaud font partie de l’événement lui-même (101), celui-ci, de par les multiplesinvestissements auquel il donne lieu, seretrouve surchargé de sens et opère ainsi uneprogressive « translation vers le mythe »(102). Le fonctionnement auto-référentiel del’espace journalistique tend à conduire à la

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(99) Europe 1, 21 mars 1991.(100) Europe 1, 25 mars 1991.(101) NORA, 1974, p. 226.(102) DUBY, 1985 (1973), p. 260.

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