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Huart Graveur Ghislaine Huon Photographies de l’auteur et de Loïc Tréhin

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HuartGraveur

Ghislaine Huon

Photographies de l’auteuret de Loïc Tréhin

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Douceur d’automne2016Gravure sur bois en couleurs

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Avant-propos

L’œuvre de Claude Huart, dessinée, peinte ou gravée, a depuis bien longtemps gagné le cœur des amateurs, en Bretagne comme aux quatre coins du globe où ses voyages l’ont conduit. C’est d’ailleurs en Suisse, loin des vallons bocagers du pays de Clohars que se trouve aujourd’hui la plus large collection de ses tableaux. À l’image de l’homme lui-même, c’est une œuvre qui sait trouver des amis fidèles et leur apporter le supplément d’âme qu’on attend de l’amitié. Elle se nourrit des relations nouées dès son arrivée en Bretagne, à Saint-Cyr-Coëtquidan, au Pouldu, mais aussi à l’école des beaux-arts de Lorient, que Huart initie avec quelques bouts de ficelle, ou encore dans le swinging Pont-Aven des seventies, aux côtés des Grall, Glenmor, Gonzalez et de leurs chevaleresques pareils.

L’art de Claude Huart a pris dès ces années-là des traits distinctifs, sensibles tant dans les paysages saisis sur le motif que dans l’illustration de recueils ou les portraits. Peut-être faut-il en chercher l’origine dans la pratique assidue de la gravure, domaine où la maîtrise technique guide la main, trace sa liberté dans la résistance du support, morcelle formes et couleurs au gré des étapes irréversibles du bois perdu, domaine qu’il affectionne tout particulièrement. Au point d’en devenir une référence pour l’exposition « Nature de graveurs » en 2015 au musée départemental breton à Quimper, où ses matrices forcément méconnaissables sont présentées en regard des tirages. En actionnant la grande presse à bras acquise après la mort d’Adolphe Beaufrère (1876-1960), Claude Huart inscrit son nom sur la liste des plus grands graveurs de la Bretagne.

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Ghislaine Huon est partie dès 2013 sur les traces de cette œuvre à la fraîcheur intacte, et qui se poursuit. En observatrice avisée des révolutions picturales nées sur les rives de l’Aven et au Pouldu, elle y a retrouvé sans peine la poésie des défricheurs, la vérité des artisans. Ce travail a abouti l’année suivante à la publication d’une riche monographie, Claude Huart. De la Bretagne aux îles, première à présenter de façon aussi complète l’artiste, que suivit dans la foulée une vaste rétrospective à la chapelle des Ursulines de Quimperlé, au succès immédiat (printemps 2014). Avec la réunion de 200 de ses clichés d’œuvres et portraits, l’ami Loïc Tréhin était mis à contribution, lui qui, graveur, illustrateur et photographe, accompagne Claude Huart depuis les années pionnières à Lorient, quand l’un étudiait ce que l’autre enseignait. Ce résultat atteint, le trio artiste-auteur-photographe n’attendait qu’une occasion pour se remettre au travail. C’est que la seule gravure méritait plus qu’un chapitre, un nouvel écrin.

Cette opportunité leur est fournie par l’exposition de l’été 2017 à Clohars-Carnoët qui réunit notamment une vaste sélection des bois, eaux-fortes et linogravures de Claude Huart. Claude a donc sorti ses archives comme ses plus récents tirages, Ghislaine a repris son élégante écriture d’une histoire inachevée, et Loïc a fait bien des allers-retours entre Pont-Scorff et la côte, son Nikon en bandoulière. Après quelques mois marqués par la joie des retrouvailles et la douleur de la perte, le résultat se dessine dans les pages qui suivent, parcours à travers près de 70 gravures, semé de vues de l’artiste en son antre, au milieu de ses encres et outils, de ses livres aussi.

Que la ville de Clohars-Carnoët soit ici remerciée d’une initiative qui permet à un public toujours plus large de (re)découvrir ces estampes conçues, pour nombre d’entre elles, juste à côté, dans l’atelier du jardin à Kerguelen, ou sur la sinueuse route de Doëlan. Là, au cœur d’un paysage qui a fini pour les amoureux de son œuvre par prendre pour toujours les formes et les couleurs des gravures de Claude Huart.

L’éditeur

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Le Miroir de l’atelier10 mai 2017Photographie de Ghislaine Huon

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Graver. Celui qui grave laisse une empreinte.

Inciser une pierre ou le tronc d’un arbre, c’est graver l’écorce du temps. C’est un jeu fertile qui invite à être là, profondément plongé dans ses gestes pour faire coïncider de subtiles nuances de joie et de mélancolie, un jeu d’intuition et de métamorphoses pour rappeler les choses qui se perdent. Sur le chêne oublié les initiales demeurent dans le cœur, sur la table du collégien l’entaille au canif fixe l’ennui et sur le mur de la prison les pensées griffées crient encore. On dit : graver dans la mémoire…

Au sud de la péninsule Ibérique, dans l’humidité souterraine d’une grotte, des lignes abstraites en forme de croisillons profondément incisées dans le sol rocheux nous ramènent en présence d’un homme néandertalien. Il se lève au-dessus de la gravure pariétale de son refuge de Gorham et nous révèle la trace troublante de son effort pour se dégager de l’animalité. Ses lignes, tracées il y a plus de quarante mille ans, émergent devant nous avec une énergie

Graver

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vivante, bien réelle. La géologie a conservé la mémoire de la main attentive à la pierre rugueuse qui l’a caressée, creusée, pour marquer son espace particulier.

Graver, c’est écrire et dessiner en creux dans la matière. Pour autant, le paysan qui trace les sillons graphiques dans son champ avec savoir-faire n’a pas la passion de ses sillons ni l’idée de leur donner une forme singulière. Tout comme le temps n’a pas d’intention quand il burine un visage. Celui qui grave en travaillant de façon intense son art se penche sur son support pour aller chercher l’étonnement et le merveilleux, pour le plaisir de raconter une fable et l’envie de distinguer le monde tel qu’il voudrait qu’il soit.

Graver… Tous les jours, Claude Huart réinvente son espace en créant des lignes. Ses lignes ne sont pas rectilignes, elles serpentent, se faufilent, agissent souterrainement dans les veines du bois ou apparaissent en surface selon les variations de pression de sa gouge pour suivre la continuité logique de son idée de graveur. Il est sur son domaine. Chaque geste

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le fait avancer sur la terre qu’il crée et qu’il habite, et plus il ronge son bois, plus il fait croître son domaine. Sur l’espace lisse et désert de sa planche qu’il parcourt en nomade, il ajoute ses arbres, ses paysages, il découpe les lieux où il exerce sa souveraineté. Claude Huart est composé de ces territoires successifs, de ces séries de planches gravées sous la lampe, dans une relation intime et appliquée au cours de nuits dédiées à la gravure. L’une après l’autre, ses matrices imprimées sur le papier deviennent des images dont il est dépossédé. Porteuses de son identité et de sa nature, elles s’échappent vers d’autres regards pour l’heureuse diversité des interprétations. Il n’y a pas d’achèvement ou de fin de partie dans ce jeu de fuite et de poursuite, et le bois ne manque pas. Tant que la ressource n’est pas épuisée, le nouveau continue. Il se déplace, remet en marche le temps pour retourner au point de départ et faire naître le souvenir dans de nouvelles estampes. Se demander pourquoi l’artiste engrange et a besoin de se remettre sans cesse à l’œuvre, en symbiose avec la matière pour explorer d’autres formes, c’est se demander pourquoi les oiseaux chantent.

Depuis ses premières tentatives en 1958, Claude Huart bâtit avec constance son œuvre gravé cohérent et sans artifice. Il avance tranquillement sur son chemin, sans vouloir être utile, n’étant pas destiné au monde des hommes, il ne regarde pas la société et refuse d’élaborer dans la douleur une réflexion qui voudrait saisir les tourments et les inquiétudes de la vie. Il est du ressort de sa liberté et prend simplement sa place dans la permanence des œuvres d’art, pour façonner, jour après jour, sa réalité poétisée.

C’est ainsi qu’en faisant ce qu’il fait, celui qui grave se montre.

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Séchage des estampes Le Silence du Belon10 mai 2017Photographie de Ghislaine Huon

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Les contes de fées et les fables commencent souvent par « Il était une fois… » Ces petits mots paisibles nous emportent à l’instant dans l’imaginaire et nous placent dans la permanence d’un monde stable et statique. Un jour, tôt ou tard, nous imaginons la vie que nous voulons mener. Comment aimerions-nous passer notre temps ? Dans la multitude des alternatives, la lecture – discrète – et l’écriture – parfois cachée – peuvent avoir une influence décisive sur la destinée d’un jeune homme… Ce n’était qu’une musique dans un recueil, le murmure d’une voix à laquelle l’étudiant prêta l’oreille :

Où va le temps ?

L’imagerie d’Épinal

« Il est des loups de toute sorteJe connais le plus inhumainMon cœur que le diable l’emporteEt qu’il le dépose à sa porteN’est plus qu’un jouet dans sa main […]

Je vais bientôt partir en guerreSans pitié chaste et l’œil sévèreComme ces guerriers qu’ÉpinalVendait Images populairesQue Georgin gravait dans le bois […] »

Lectures et inspirations10 mai 2017Photographie de Ghislaine Huon

Guillaume Apollinaire, « C’est Lou qu’on la nommait », Calligrammes, Mercure de France, 1918

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L’esthétique contrastée du noir et blanc plante une assise à son image, nettement définie, sans relief. La richesse veloutée du noir met en valeur la pureté du blanc des zébrures, des incises et donne de la puissance aux silhouettes de l’art nuragique qui paradent escortées des notations de l’Entremetteur. Les fibres du bois s’imposent et apportent au dessin un aspect simplifié et contrasté.

L’album Cirque, tiré en 1979, fait aujourd’hui partie de la Collection Bibliothèque du Musée départemental breton. Philippe Le Stum, conservateur en chef, directeur du musée, évoquant ses filiations et la tradition de la xylographie, estime que « Claude Huart doit aussi être regardé comme un des artisans français du renouveau de cet art 1. »

Alors qu’il a été reçu en 1977 membre de Xylon – la société internationale de gravure –, au cours de l’année 1979 il voyage et expose ses gravures à San José au Costa Rica, au musée de Fribourg en Suisse pour la triennale internationale de la gravure sur bois et à Biella en Italie pour la biennale de la Gravure.

Artiste aux multiples facettes, Huart aime utiliser ses mains pour peindre, pétrir la terre glaise, découper, creuser, gratter, frotter, imprimer. Il emploie toutes les techniques qui lui permettent d’être en contact direct, tactile, avec les choses. Il travaille tous les jours en tête à tête avec son matériel et n’attend pas l’envolée d’une inspiration pour créer.

1. Philippe Le Stum, Nature de graveurs. 20 graveurs d’aujourd’hui en Bretagne, Musée départemental breton, Locus Solus, Lopérec, 2015.

Graffiti1976Affiche typographiquePoème affiche pour Xavier Grall Exposition à la Maison de la Culture de Rennes 1976 ou 1978

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Dans les livres qu’il illustre, (il préfère le mot « imager », plus modeste) son plaisir de graver se double du plaisir concret de jouer avec les lettres pour composer la typographie des textes. Rattrapant l’origine de la gravure occidentale liée aux premières lettres gravées et au monde du livre imprimé, il associe les caractères d’imprimerie à ses gravures. Il s’amuse, prend son temps pour aligner les caractères, jouer sur les épaisseurs de trait, les hauteurs, chercher des effets différents, mettre en ordre les mots sur le papier. Le travail est artisanal et répétitif mais il n’est pas seulement mécanique. Combiner tous les éléments, c’est un peu peindre avec les mots. Il faut trouver le style qui fera partie intégrante du message porté par le texte, pour qu’avant même de lire, se dégagent une intention et une sensibilité.

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Claude Huart invente au jour le jour son pays incertain, propice aux songes. Il en fait le point central pour trouver ses propres codes, en maniant des pratiques qui remontent à des siècles. Entre le ciel et le monde, il prend appui sur ses sens pour ciseler son espace. Toucher les herbes, mémoriser la lumière, respirer la terre, marcher, écouter… Faire silence pour la pluie, les cris du goéland qui flotte dans le vent. Lorsque l’esprit est attentif, même les vibrations du sol évoquent des correspondances : quand ses sabots résonnaient sur le sol de granit, Gauguin entendait le ton sourd, mat et puissant qu’il cherchait en peinture. Et Huart entend la voix d’un autre proche à bien des moments dont les sabots claquaient comme la puissance de sa parole : Milig, l’indiscipliné du Poher, témoin des temps celtiques et de la parole en péril, n’avait qu’à écouter les paysans parler entre eux pour employer les images de la langue bretonne dans ses poèmes…

La matrice calée sur la presse10 mai 2017Photographie de Ghislaine Huon

Les encres typographiques pour gravure en relief10 mai 2017Photographie de Ghislaine Huon

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Huart, Glenmor et Grall, le peintre-graveur, le barde et le poète, amis solidement chevillés à des valeurs concrètes, sont des observateurs convaincus de la réalité du chant du monde. Chacun d’eux, puisant dans son existence et sa sensibilité personnelle, apporte un pan de sa vision des choses pour conjuguer leurs fragilités. Quand, parfois, dans un instant fugace, s’introduit la conscience de cette fusion, l’amitié s’allume.

À Pont-Aven, sans demi-mesure, ces trois impatients à être et à recommencer le monde, se réchauffent au feu de l’alcool, s’animent de leur « jactance prophétique » et de leurs chansons. Ils aiment rester entre eux, après le baisser de rideau, dans un hédonisme contagieux où la fumée de cigarette suspend le temps. De ces échanges sur la vie et la création s’amorcent des projets, des idées. Ils sortent tard de l’hôtel ami, souvent tôt, quand le ciel vient à nouveau sur le pont. L’Aven, indifférente, emporte dans ses eaux la légende des poètes et des peintres. Âmes atlantiques échauffées, Claude, Milig et Xavier regagnent la chaumière ou l’atelier, complices en mémoire, avec l’évidence d’une certitude : maîtres de la poésie, des images et des mots, ensemble, ils peuvent réunir quelques éclats de vie.

Poèmes et chansons

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Glenmor et Claude Huart au Café de la plage au Pouldu1980 ou 1981Photographie de Michel LipchitzCollection Claude Huart

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Rires et pleurs de l’Aven1975Gravure sur bois et typographie

Le ChristRires et pleurs de l’Aven1975Gravure sur bois

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Le CœurRires et pleurs de l’Aven1975Gravure sur bois

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La FaneuseRetraites paysannes, Glenmor1977Gravure sur bois en couleurs

La GrangeRetraites paysannes, Glenmor1977Gravure sur bois en couleurs

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La BarrièreRetraites paysannes, Glenmor1977Gravure sur bois en couleurs

La Maison d’AndréRetraites paysannes, Glenmor1977Gravure sur bois en couleurs

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Claude Huart gravant sa planche2013Photographie de Loïc Tréhin

Claude Huart place la feuille sur la presse2013Photographie de Loïc Tréhin

Claude Huart encre sa matrice2013Photographie de Loïc Tréhin

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Il fait les tirages de la première couleur, en général à trente exemplaires, en prévoyant six épreuves supplémentaires pour les réglages et les corrections, et il laisse sécher les feuilles étendues comme du linge dans son cabanon. Il peut alors retourner à son bois.

Une fois le premier passage terminé, il reprend la plaque et nettoie l’encre grasse à l’essence pour retrouver sa peinture d’origine. Au canif, au ciseau, à l’échoppe ou aux gouges, il creuse et taille pour éliminer le relief qui a servi à imprimer le jaune.

Il mélange et travaille à la spatule les encres d’imprimerie sur du verre pour leur rendre leur souplesse et préparer une nouvelle couleur se rapprochant au plus près de son dessin et il encre à nouveau la plaque. Il reprend les feuilles en jaune et blanc et imprime la troisième couleur. Il répète ainsi le processus de gravure pour toutes les autres couleurs, en éliminant et creusant de nouveaux talus destinés à protéger les couleurs déjà imprimées, en terminant par la plus sombre. Son bois sera alors épuisé.