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1 > grimpE > numéro 6, septembre 2013 3 DESTINATIONS ORIGINALES POUR FAIRE DU MULTILONGUEUR BLOCS DANS LES LAURENTIDES ENTRE ZIZANIE ET DÉVELOPPEMENT ONDE DE CHOC DANS LE KARAKORAM DANS NOTRE MAGAZINE ...ET BIEN PLUS !

Grimpe Automne 2013

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3 Destinations originales Pour faire du multi-longueurs Onde de choc dans le Karakoram

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1 > grimpE > numéro 6, septembre 2013

3 DESTINATIONS ORIGINALESPOUR FAIRE DU MULTILONGUEURBLOCS DANS LES LAURENTIDESENTRE ZIZANIE ET DÉVELOPPEMENTONDE DE CHOC DANS LE KARAKORAM

DANS NOTRE MAGAZINE

...ET BIEN PLUS !

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Dans le domaine de la santé publique, le concept a été compris assez rapidement: il faut marteler un message pour qu’il soit compris, entendu. Vous êtes donc déjà sensibilisé au fait qu’il faut mettre sa ceinture en voiture et que la cigarette n’est pas bonne pour la santé.

A-t-on oublié, en escalade, le danger inhérent de notre sport? À force de vouloir pousser pour en faire un sport grand public, les grimpeurs ont-ils perdu de vue qu’une erreur, même minime, peut être mortelle? Il suffit de penser à ce qui est arrivé à Tito Traversa: des dégaines mal installées ont suffi à causer la mort d’un futur champion. Comme quoi, personne, pas même les meilleurs d’entre nous, n’est à l’abri.

Chaque accident qui survient est un triste rappel que notre sport est dangereux, très dangereux même. Un nœud mal fait, une dégaine trop usée, un relais trop vieux, des protections un peu faibles, un oubli: tout est susceptible de causer une chute ou pire, la mort d’un ou de plusieurs grimpeurs. Vous devriez vous en souvenir à chaque fois que vous sortez avec des chaussures d’escalade dans votre sac dans le but d’aller grimper Encore plus lorsque c’est dehors, où personne n’est là pour vous surveiller, comme c’est le cas dans un gym, par exemple. En plein air, les grimpeurs sont autonomes, complètement laissés à eux-mêmes, et peut-être que tous ne sont pas prêts.

Force est de constater qu’il y a une hausse des accidents au Québec – une hausse qui serait plus importante que la croissance du nombre de grimpeurs. Y a-t-il une cause précise qui les explique tous? Il s’agit probablement d’une série de facteurs. Chose certaine, un plus grand travail doit être fait pour remédier à la situation.

Cet effort doit venir de tous les fronts. D’abord de la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade, qui doit continuer son travail de sensibilisation. Également des gymnases : ils ont la responsabilité d’enseigner les bonnes techniques, mais aussi de prévenir les grimpeurs

qu’il y a des différences entre la grimpe intérieure et celle qu’on pratique sur le rocher. Peut-être que d’offrir davantage de cours d’initiation à l’escalade extérieure serait une bonne façon d’y parvenir? Et enfin, le plus gros effort doit venir des grimpeurs eux-mêmes. S’assurer de connaître les bonnes techniques, convenir de signaux pour bien communiquer, vérifier son matériel ou encore interpeller d’autres grimpeurs qui effectuent des manœuvres qui paraissent peu sécuritaires.

De même, il peut être facile de blâmer, à tort ou à raison, un grimpeur lorsqu’il se produit un accident, peu importe sa gravité. Rappelons-nous qu’un simple moment d’inattention suffit pour causer un accident grave. Toute personne qui fait de l’escalade a aussi une responsabilité: celle de savoir à qui elle confie sa corde et donc, sa vie. Les grimpeurs doivent se rappeler cette notion. On ne le répètera jamais assez : l’escalade est une activité, un sport, un passe-temps dangereux, que vous grimpiez une voie cotée 5.9, une voie en multilongueurs, ou même du bloc.Vous pouvez y laisser votre vie.

C’est le moment pour mieux réfléchir collectivement à la meilleure méthode de réduire le nombre d’accidents.

par David Savoie Rédacteur en chef [email protected]

Ventes et publicités: EscaladeQuebec.com [email protected]

Mise en garde : L’escalade comporte desrisques pouvant causer des blessures ou un décès. Toute information ou tout conseil reçu par le présent magazine ne dispense quiconque d’évaluer lui-même les risques auxquels il peut être exposé. EscaladeQuebec.com recommande d’acquérir les connaissances et l’expérience nécessaires avant de s’aventurer en paroi, en montagne ou sur toute structure verticaale. Vous devez accepter les risques et responsabilités inhérents pouvant survenir lors de la pratique de vos activités.

Tous droits réservés EscaladeQuebec.com : Le contenu de ce magazine ne peut être reproduit, en tout ou en partie, sans le consentement explicite de l’éditeur. Les opinions qui sont exprimées sont celles des auteurs; elles ne reflètent pas nécessairement la position d’EscaladeQuebec.com.

ÉDITO >

Page couverture Crédit photo : Louis Chiasson

UN SPORT DANGEREUX ?

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Le célèbre site drtopo.com va revenir en force, après quelques années d’inactivité. Alex Gerrits, le père du site, avait renoncé à le maintenir en vie, mais voilà qu’un autre motivé va prendre sa relève. C’est une visite dans les Black Mountains, près de Joshua Tree, en Californie, qui a mené Antoine Grant à vouloir ressusciter le site. Après de longues recherches, la seule référence qu’il a pu trouver comme livre-guide était un ancien livret de DrTopo, qui datait de 10 ans. Sa femme l’encourage donc à relancer le site, simplement pour publier des topos. Il n’en fallait pas plus.

Le spécialiste de l’informatique avait déjà collaboré à la première mouture du projet, et il veut maintenant créer un site ouvert où des collaborateurs pourront travailler. Déjà, une quarantaine de personnes se sont offertes pour lui donner un coup de main. « Je veux profiter du talent de ces contributeurs pour aider DrTopo à s’agrandir. Je mise sur eux, parce que dans la communauté des grimpeurs, on veut s’entraider », explique Antoine Grant. Avec un nouveau bébé et un travail à temps plein à New York, il ne sait pas encore exactement quand le site sera opérationnel. C’est un prototype à l’heure actuelle, et il termine un guide pour les contributeurs sur le développement du site.

DrTopo reviendra donc, mais sans vidéos, uniquement pour les topos. Antoine Grant se dit surpris que rien n’ait été créé pour remplacer le site de l’époque. « Je pense

qu’il y a clairement un besoin. C’est le fun d’avoir un outil qui me permet de voir tous les crags aux alentours, si je m’en vais à tel endroit à telle date », dit-il. « Est-ce un bon site d’escalade, quel est le meilleur moment pour y aller? C’est sûr qu’il y a beaucoup d’autres sites qui font ça, mais il y a trop d’informations à mon goût, c’est toujours un peu compliqué à comprendre. C’est pour ça que je veux garder la simplicité du premier site. »

Cependant, quelques changements sont à prévoir. Toutes les destinations ne feront peut-être pas l’objet d’un topo complet, comme jadis. « C’est beaucoup de travail : se rendre sur place, dessiner un topo, ramasser de l’information. Je pense que ce serait intéressant de faire une liste des livres-guides qui existent déjà. » Dans le cas de Bishop, par exemple, on pourrait indiquer comment se les procurer, et également fournir une version « dépliant » des gros secteurs. « Le but, avec ces topos-là, c’est juste d’être guidé vers un endroit central. Ensuite, tu vois où sont les blocs, tu demandes aux gens. Dans le fond, c’est de pointer dans la bonne direction. DrTopo n’est pas là pour donner la totalité de l’information », dit Antoine. Pour certains sites, il n’y aura donc pas de livret, mais de l’information générale.

Le « nouveau » DrTopo va suivre la même tangente que son prédécesseur : il y a aura des topos de bloc, mais aussi d’escalade sportive et traditionnelle, et même certains pour l’escalade de glace.

Faits saillants >

DrTopo renaît de ses cendres

Crédit photo : Sébastien Préseault-Céré

Julien Bourassa-Moreau n’est pas en territoire inconnu quand vient le temps de la performance. Le jeune homme de 23 ans, étudiant en pharmacie, a déjà au compteur plusieurs enchaînements dignes de ce nom à son actif : première ascension en libre de Cassiopée, 5.14a, de multiples enchaînements difficiles, tant aux États-Unis qu’en Europe, l’ouverture de voies jusqu’à 5.13b. Voilà qu’il réalise ce qui est probablement une première au Québec, un exploit qui rivalise aussi avec ceux des meilleurs grimpeurs canadiens. Le 20 août dernier, après avoir grimpé en Europe tout l’été, Julien a réussi la voie Windigo à vue. Cotée 5.13d par les ouvreurs, cette ligne se situe sur un terrain à l’accès restreint. Pour les puristes : la seule information dont il disposait était l’endroit approximatif du crux. Il ne visait même pas à faire la voie à vue. C’est en voyant qu’il passait bien à travers les premières sections

qu’il a réalisé qu’il lui était possible de compléter la route au premier essai. Plusieurs mouvements étaient un peu désespérés durant l’enchaînement, « je pensais que j’allais tomber à tous les mouvements », dit-il, en se remémorant l’événement. « J’ai été vraiment chanceux, j’ai bien grimpé et j’étais au bon endroit, mentalement. Je n’avais pas d’attentes. »

Julien décrit cet enchaînement comme une expérience unique. Peu après, pour faire bonne mesure, il a aussi fait la répétition de « Pré-mutation », cotée 5.14a, à La Pocatière. Il veut maintenant enchaîner certains projets, dont quelques-uns au Mont Orford, et ouvrir de nouvelles lignes, en Mauricie et dans les Laurentides.

par David Savoie

Une page d’histoire du Québec?

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Crédit photo : David Savoie

Au début du mois d’août, l’organisme Climbing Gear for Kids – qu’on pourrait traduire par «De l’équipement d’escalade pour les enfants» – a entamé un périple en Serbie, en Croatie et au Liban pour donner des chaussons, des cordes et des harnais à des jeunes. Le coloré Ulric Rousseau est derrière le projet. Nous lui avons posé quelques questions.

Comment le projet est-il né?J’ai passé trois mois en Europe l’été passé, plus précisément en Europe de l’Est. J’ai vu des gamines de 14 ans, qui se partageaient un harnais et une paire de chaussons. Le père assurait avec un cuissard qui semblait provenir de la Seconde Guerre mondiale, et il avait une corde de 11 millimètres, visiblement de 1996. Les deux fi llettes ont enchaîné mon projet, à vue! Quand j’ai fait de plus amples recherches, je me suis rendu compte que beaucoup de jeunes se tournent vers la drogue, le crime organisé ou encore la pornographie. Puisque tout ce secteur de l’Europe est encore en transition, les jeunes sont laissés à eux-mêmes face à tous ces problèmes économiques et sociaux. Je peux dire que je fais tout seul, mais il y a plusieurs commanditaires qui m’aident dans cette aventure.

En quoi est-ce que le projet consiste exactement?Simple. Je ramasse le plus de matériel possible, là où c’est possible, je mets ça dans le moins de sacs possible et j’apporte le tout en Europe pour le distribuer. Depuis plus de deux mois, à travers le Canada, des amis et confrères ramassent du matos usager ou neuf puis me l’envoient au fur et à mesure à Montréal. J’ai aussi appelé mes commanditaires, ainsi

que d’autres compagnies, pour demander de l’aide. Certains ont promis de doubler leurs eff orts l’année prochaine. Certains gyms ont énormément donné, comme le Boiler Room à Kingston, qui a fourni 30 grigris, et des cuissards ajustables pour enfants. J’ai parfois dû refuser certains items, pour des raisons de sécurité. Les locaux en Europe et au Liban sont super contents. On va pouvoir remplacer les cordes de SAE qui sont extrêmement dangereuses, puis donner des chaussons à des enfants. La compagnie La Sportiva a envoyé 30 paires de chaussures neuves pour le projet.

Et quel est le futur pour ce projet?Le futur? Aucune idée. C’est sûr que je vais continuer, essayer d’obtenir de l’argent. Une fondation, ça coûte cher, surtout quand on est seul à tout payer. Après cette année, on sera plus nombreux, plus forts, plus vrais, puis on pourra aller chercher encore plus de matériel. Mon but, c’est d’avoir tellement de matos et de commandites qu’on doive envoyer ça par bateau cargo. Sur place, je veux aussi demander du soutien à des compagnies européennes. J’aimerais bien que dans quelques années, ça devienne tellement gros que je doive engager quelqu’un. Ça serait malade. J’ai déjà un ou deux sacs prêts pour le Mexique, puis si je me fais approcher, bien sûr, on donnera du matériel aux organismes qui en ont besoin, je suis ouvert à tout, c’est sûr.

par David Savoie

Trois questions à... >

Ulric Rousseau

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GRIMPEURS SANS FRONTIÈRES

Une initiative similaire a vu le jour début 2013: Grimpeurs sans frontières est une association qui regroupe des grimpeurs provenant de plusieurs pays, notamment la France, le Canada et le Mexique. Ce réseau d’entraide et de développement vise à soutenir le nombre croissant de projets liés à l’escalade – qu’il s’agisse fournir du matériel, de l’argent ou des informations techniques – un peu partout dans le monde. À l’heure actuelle, l’organisme planche sur trois projets : la création d’une salle d’escalade à Dakar, au Sénégal, la reconstruction d’un gîte pour grimpeurs à Thakek, au Laos, et l’organisation d’un voyage de grimpe au Vietnam pour des enfants handicapés. Si l’association collecte surtout des chaussures en France, elle collabore également avec Altitude Montagne, à Sainte-Adèle, dans les Laurentides. Elle recrute aussi des membres, dans le but d’étoffer son réseau et étudie la possibilité de s’associer avec une grande marque de l’escalade, dans le but de développer des « maisons de grimpe ».

grimpeurs-sans-frontieres.org

par David Savoie

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La force, le chemin de l’endurance?

Demandez à l’entraîneur >

Crédit photo : Sébastien Préseault-Céré

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi le temps est une ressource bien précieuse. Mon horaire est réglé au quart de tour, et ce, y compris pour mon entraînement. Comment puis-je avoir un entraînement qui est effi cace tout en étant

court? Que vous soyez un grimpeur de voie (temps d’action de moyenne durée), de bloc (courte durée) ou de trad (longue durée), le secret, c’est de travailler votre

force. Pourquoi ? Plus on est fort, moins un mouvement coûte cher en énergie et donc, plus il nous en reste pour la journée. Parce que disons-le, l’escalade est un sport qui se pratique en suivant la loi du moindre eff ort (en faire plus en forçant le moins possible).

L’escalade est un sport complexe, par sa gestuelle, son engagement psychologique et la capacité de concentration requise. C’est pourquoi l’entraînement de ce sport ne se fait pas en quelques heures, ici et là. L’entraînement doit être approché de manière rigoureuse? Non, pas pour le commun des grimpeurs. Pour augmenter votre endurance, que vous soyez un grimpeur de voies sportives, de bloc ou d’escalade traditionnel, votre entraînement pourrait se résumer à une chose, travailler quelque chose de dur! Je m’explique.

Si j’augmente ma force, un mouvement me coûtera moins cher en énergie et je serai moins fatigué pour le reste de ma voie ou de mon bloc. Donc, il me restera plus d’énergie pour faire plus de voie ou bloc dans ma journée. L’escalade est un peu comme l’économie, moins on dépense, plus il nous en reste (de l’énergie en l’occurrence). Si chaque mouvement m’est moins diffi cile, je conserverai donc davantage d’énergie.

PRATICO-PRATIQUE

La prochaine fois que vous irez grimper à l’intérieur ou bien à l’extérieur, essayer ce petit entraînement. Eff ectuer un circuit de plusieurs voies ou blocs assez exigeants pour vous, mais que vous êtes capable de fi nir sans être pompés, sinon vous travaillerez votre force endurance.

par Guillaume Raymond

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façons de devenir un meilleur grimpeur

QUATRE ENTRAÎNEURS, QUATRE CONSEILS DIFFÉRENTS, POUR AMÉLIORER VOTRE ESCALADE.

DUNG NGUYEN, entraîneur chez Allez Up

Un réchauffement de 15 à 25 minutes pour commencer une séance d’escalade est un élément clef du succès. À la salle d’exercice ou espace libre: 5 minutes d’activation cardio-vasculaire (courir sur place, corde à sauter). Ensuite, faire 5 minutes d’étirements/échauffements actifs et spécifiques des groupes de muscles. Sur le mur de bloc: enchainement de 20-30 mouvements d’escalade facile pour son niveau. Répéter un ou deux mouvements dynamiques aller jusqu’au dyno... Enchaînement de 10-15 mouvements difficiles pour la résistance. Faire cette routine aide à éveiller les sens d’escalade pour une bonne performance. Le plus important de cette routine c’est de prévenir les blessures.

MÉLISSA LACASSE, entraîneuse chez Vertical

Mon conseil: varier son style de grimpe. Les gens ont tendance à faire que ce dans quoi ils sont bons. Par exemple, quelqu’un qui a une bonne endurance qui ne fait que des voies alors qu’il aurait besoin de travailler sa puissance en bloc ou une personne bonne en dévers qui n’essaie jamais des dalles. Bref, il faut travailler ses faiblesses. Il ne faut pas avoir peur de faire des cotes en dessous de son niveau pour bâtir ses bases et être polyvalent.

DENIS MIMEAULT, entraîneur chez Délire

Tout dépend du niveau du grimpeur. Mais en général, pour un grimpeur débutant à intermédiaire et même pour un bon nombre de grimpeurs de niveau avancé, je dirais que le meilleur conseil est d’augmenter son volume d’escalade. Plus de voies, plus de mouvements, plus de jours de grimpe, et lâcher le campus et les tractions. Aussi, pour ceux qui ont un excédent de poids, un peu de cardio pour avoir une silhouette plus athlétique et de saines habitudes de vie ne font pas de tort.

ALEXANDRE BRUNEL, entraîneur

Après s’être fixé des objectifs réalistes et précis et d’avoir identifier ses faiblesses, la clé pour progresser en escalade serait d’introduire des thématiques précises à ses séances de grimpes intérieures. Il faut aussi varier les sites de grimpes (intérieurs et extérieurs) les angles des murs, etc. Ne jamais appliquer une recette d’entrainement, tenter de varier les exercices régulièrement. Varier l’intensité de vos efforts et la durée de vos séances. Par exemple, une journée relaxe de voies faciles (2 heures) suivie d’une séance de bloc à votre limite (1heure30). Mais surtout, grimper, grimper, grimper.

par David Savoie

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Conseils pratiques >

LA SÉCURITÉ EN ESCALADE « MULTILONGUEURS »

par Loïc Briand collaboration : David Lussier, Guide de montagne ACMG/UIAGM

Toute aventure sur le rocher commence par une minutieuse préparation. C’est particulièrement vrai lorsqu’une cordée s’engage dans des voies de plusieurs longueurs de corde. Le résumé ci-dessous ne remplace aucunement une formation exhaustive avec un guide expérimenté et qualifié, ni un apprentissage de plusieurs années sur le terrain, en compagnie de grimpeurs d’expérience. Il s’agit plutôt d’un aide-mémoire abrégé, utile dans des situations de grimpe de niveau d’engagement I, II, ou III, c’est-à-dire pour des voies prenant entre quelques heures et la majorité d’une journée à grimper, mais qui n’impliquent pas de marche d’approche sur un glacier, en terrain alpin.

Puisque l’escalade sur plusieurs longueurs est exigeante, tant sur le plan physique que mental, il est essentiel de bien choisir son partenaire. Il est déconseillé de s’aventurer sur de longues voies en compagnie d’un partenaire qu’on connait peu. Commencez d’abord par développer une complicité sur de nombreuses courtes voies, dans plusieurs sites différents, au fil du temps. Les premières longues voies que vous grimperez ensemble seront alors nettement plus enrichissantes et considérablement plus sécuritaires.

Voici donc un résumé de quelques conseils qui rendront vos ascensions multilongueurs plus sécuritaires :

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Bien connaitre le site et la voie- Lire attentivement le livre-guide, communément appelé « topo ».

- S’informer auprès de grimpeurs qui connaissent bien le site.

- Être conscient des particularités et des difficultés que pose la voie qu’on décide de grimper. Le bruit ambiant (autoroute à proximité, terrain d’aventure montagneux et venteux, cours d’eau, etc.) risque-t-il de nuire à la communication?

Établir et employer un système de communication efficace- S’entendre sur une terminologie unique et claire, et ce, bien avant le départ de la première longueur.

- Favoriser un système de communication avec la corde si la situation ne permet pas de communiquer efficacement, sans ambigüité.

- Transporter un sifflet et s’en servir s’il est impossible de communiquer autrement.

- Avoir recours à des émetteurs-récepteurs portatifs (walkie-talkie) au besoin, si les autres moyens de communication risquent de s’avérer inefficaces.

- Avoir un téléphone cellulaire à portée de la main.

- S’assurer que la couverture cellulaire est bonne pour l’ensemble de la voie.

- Se munir d’un dispositif SPOT si la couverture cellulaire est inadéquate.

Bien choisir et préparer son matériel- Choisir des vêtements synthétiques appropriés à la température et aux conditions météo.

- Toujours porter un casque.

- Si la technique est bien maitrisée, privilégier l’utilisation de cordes doubles, afin d’éviter une friction accrue sur les protections et afin de trainer

moins de poids en prévision des rappels.

- Choisir un nombre suffisant de dégaines pour la plus longue longueur de la voie.

- Choisir des coinceurs de la bonne taille, en quantité suffisante.

- Prévoir au moins une cordelette (7 m de longueur, 7 mm de diamètre) et une longue sangle cousue de 240 cm par personne. Les fibres comme le Dyneema Spectra permettent d’alléger le matériel.

- Toujours faire vos rappels avec un nœud autobloquant de type prussik.

- Se munir des outils suivants, qui pourraient s’avérer utiles :

* une boussole

* un dispositif GPS

* une lampe frontale

* un kit de rappel d’urgence (quelques anneaux de rappel, de la sangle tubulaire, un mini couteau)

* une trousse de premiers soins

* un kit de survie, y compris des allumettes

Adopter une attitude sécuritaire et respectueuse de la montagne

- S’assurer d’être au sommet de sa forme pour se lancer dans une escalade multilongueurs.

- Avoir un plan d’urgence détaillé pour chacun des sites que vous fréquentez.

- Connaître les numéros de téléphone des services d’urgence les plus en mesure de vous porter secours.

- Informer vos proches de votre heure prévue d’arrivée.

- Signer le registre d’entrée et de sortie du parc ou du site, le cas échéant.

- Gérer la corde au relais dans les règles de l’art. Vous risquez de vous retrouver en sérieux pétrin si la corde n’est pas gérée correctement au relais Votre efficacité est cruciale dans les aventures de plusieurs longueurs. L’installation de l’outil d’assurage du second doit de faire rapidement après avoir remonté le mou dans la corde.

- Savoir lire les systèmes météo et les signes qui annoncent les intempéries.

Ces techniques ne peuvent être improvisées. Elles doivent être apprises correctement. Et malgré toutes vos bonnes intentions et votre bonne volonté, l’escalade demeure un sport dangereux. La vigilance est de mise en tout temps.

Le premier Québécois qui a foulé le toit du monde a rédigé un livre intitulé L’Everest m’a conquis. Les plus grands grimpeurs sont souvent les plus humbles. Et les plus réalistes. Sachez reconnaitre vos limites et celles de votre partenaire. N’oubliez jamais que le grimpeur le moins expérimenté et le moins confiant donnera le ton à l’allure de l’aventure encordée. Inversement, le grimpeur ayant le plus d’expérience joue un rôle crucial dans la prise de décision et c’est souvent lui qui devra trancher. N’ayez pas peur de rebrousser chemin si les conditions météo ou le niveau d’énergie collectif de la cordée ne sont pas favorables. Le rocher est patient, il vous attendra.

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Bloc dans les Laurentides: entre zizanie et développement

C’est sans doute l’un des endroits au Québec où le bloc s’est développé le plus rapidement. Presque à chaque semaine, de nouveaux problèmes voient le jour, sous l’impulsion d’une nouvelle génération de jeunes motivés. Pourtant, ils sont encore rares, ceux qui peuvent les voir et les grimper. Et ce n’est peut-être pas près de changer.

Au nord de Montréal, nichés dans les vallées et dans les replis de la forêt laurentienne se cachent des dizaines et des dizaines d’oeufs de granite, de quoi faire rêver bon nombre d’amateurs de bloc. Il y aurait des centaines de sites différents, à en croire certains grimpeurs.

Le problème? La majorité de ces sites sont sur des terrains privés, et l’accès deviendrait de plus en plus difficile, avec le développement immobilier qui ne cesse de croître, des terrains qui sont plus fractionnés, et des propriétaires qui seraient plus frileux face à l’escalade.

Depuis déjà une dizaine d’années, des groupes se sont succédé pour développer des sites. Parfois de façon légale, mais souvent sans le consentement du propriétaire du terrain où les blocs se sont échoués.

Aujourd’hui, certains de ces sites sont redécouverts et remis au goût du jour, notamment par deux comparses: Mathieu Élie et Samuel Sigouin. Les deux jeunes hommes travaillent au centre Action Directe, à Laval. C’est après avoir écumé les blocs de Val-David que le duo commence à sortir – littéralement – des sentiers battus. Ce qui les mène, petit à petit, à trouver de nouvelles destinations. « Mais les nouveaux blocs ne sont pas si nouveaux que ça. Je dirais que 98% des problèmes qu’on grimpe ont déjà été grimpés ou juste essayés », affirme Samuel.

Dossier >

Crédit photo : David Savoie

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C’est que l’information a très peu circulé d’une « génération » de grimpeurs à une autre, notamment parce que plusieurs sites de bloc sont carrément illégaux ou encore que l’accès n’est pas clairement défini. Ainsi se perdent le nom, l’endroit et la cote de blocs déjà brossés et grimpés. Certaines de ces « redécouvertes » ont mené à des tensions. « Le fait de développer et, surtout, de partager l’information sur les différents sites qui étaient auparavant considérés comme secrets ne plait définitivement pas à tout le monde », explique Mathieu. D’ailleurs, certaines personnes que Grimpe a tenté de contacter pour cet article n’ont pas donné signe de vie.

« Ce que je déplore, c’est lorsqu’on utilise faussement le prétexte des problèmes d’accès pour justifier le secret à des fins égoïstes, c’est-à-dire refuser de partager l’information lorsque l’accès n’est pas problématique sous le couvert d’une excuse bidon », affirme-t-il. Selon lui, depuis quelques années, on semble s’éloigner de cette mentalité, et pour cette raison, le développement de l’escalade ne s’en porte que mieux.

« Si tu crées du stress au propriétaire,

tu t’exposes à des problèmes, à moyen ou à long terme »

« On ne trouve presque pas de secteur vierge. Si on découvre quelque chose par nous même, c’est qu’on avait l’intention de trouver ce que l’on cherchait », explique Samuel. Cette recherche se fait à la fois sur Google Map et sur le terrain, automne comme hiver, dans l’espoir de trouver des blocs. « La plupart du temps, on revient les mains vides. Par contre, le temps mis à la recherche de blocs est compensé par les quelques fois ou l’on trouve quelque chose d’intéressant », souligne Mathieu Élie.

Le potentiel des Laurentides serait illimité, à les entendre, et ce qui est exploré à l’heure actuelle ne serait que la pointe de l’iceberg. Pour le moment, Mathieu et Samuel disent ne pas avoir eu trop de problèmes avec l’accès, mais ils se font malgré tout discrets lorsqu’ils vont grimper. Nous n’avons surtout aucune idée, lorsque qu’on grimpe, sur quelle propriété nous sommes. Il serait donc difficile d’aller chercher l’accord des propriétaires quand nous ne savons pas à qui s’adresser », dit Samuel.

Certains grimpeurs ont signé des ententes de gré à gré pour accéder à des sites, dit pour sa part Jean-Dominic Saudan, un vieux routier de l’escalade dans les Laurentides. Il vit à Val-David et travaille notamment dans le parc municipal, reconnu pour abriter des blocs célèbres. Ces ententes privées expliqueraient notamment pourquoi des sites demeurent secrets, et que les grimpeurs qui l’ont découvert ne partagent pas l’information. « Toute divulgation d’information devrait être faite en accord avec le propriétaire. Si tu crées du stress au propriétaire, tu t’exposes à des problèmes, à moyen ou à long terme ».

L’accès devient plus précaire pour certains de ces sites, où les propriétaires, alertés par la plus grande présence de grimpeurs, se promènent davantage sur leurs terrains. À son avis, pour certains sites, la mise en ligne de vidéos peut être un irritant, surtout si des grimpeurs ont fait des démarches auprès du propriétaire. De même, la publication d’un livre-guide pour un ou plusieurs endroits serait problématique.

Le président du Club des montagnards laurentiens, Ghislain Allard, est bien au courant de la complexité de la situation. Plusieurs de ces sites sont des bombes à retardement, dit-il. Il prône la négociation pour des accès, notamment avec la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade, qui représente un grand nombre de grimpeurs et qui peut fournir certaines garanties. Il reconnaît toutefois qu’il y a des sites d’exception, où il y a des ententes spécifiques avec des propriétaires, et que ces derniers n’acceptent qu’un nombre limité de grimpeurs chez eux. « Le problème, c’est que la communauté grossit, et avec Internet, les gens veulent avoir davantage d’information. Ça se répand vite », fait-il remarquer.

« Je crois que l’équilibre entre le partage de l’information et les secrets est la meilleure solution; on doit savoir quand se taire si on veut garder l’accès à certains endroits plus problématiques. Dans ce cas, le problème, c’est que le ‘seuil d’équilibre’ est différent pour tout le monde. Il est donc impossible d’en venir à un consensus », dit Mathieu Élie. Lui dit pencher vers le partage de l’information, « parce qu’évidemment, quand on développe de nouveaux problèmes, on veut qu’il soit grimpés par d’autres. Encore une fois, c’est un point sujet au débat, mais c’est ma position », conclut-il.

Mais le simple fait de vouloir négocier pourrait mettre en danger l’accès aux blocs, rappelle Jean-Dominic Saudan. La municipalité pourrait décider d’interdire l’accès, ou le processus pour permettre l’accès pourrait fermer un site pendant plusieurs années. « Il faut donc que tu aies un peu envie d’aller grimper en commando, de façon discrète. Sinon, tu paies et tu vas dans un site légal », pour ne pas être inquiété, fait-il valoir.

par David Savoie

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DESTINATION >

MEXIQUEBULGARIE MADAGASCARCHEZ GRIMPE, ON AIME VOUS FAIRE VOYAGER, POUR VOUS INSPIRER OU POUR VOUS FAIRE VOIR DU PAYS SANS QUE VOUS BOUGIEZ DE CHEZ VOUS. ON VOUS PRÉSENTE CE MOIS-CI TROIS DESTINATIONS PEU CONNUES, SOUS FORME DE RÉCIT DE TROIS GRIMPEURS.

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Grâcieuseté de Pascale Bernier

Mora mora à Mada

Crédits photo : Olivier Ouellette

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Madagascar, c’est le bout du tiers-monde. Une économie qui dégringole, la mortalité infantile, les maladies qu’on croit éliminées de la planète, et littéralement, c’est loin en titi. Si ce n’était de sa situation géographique, je dirais que cette destination est incontournable pour tout amateur de voyage, de montagne et de nature. Comme partout sur terre, la nature incroyable de cette île au sud du continent africain est menacée par la déforestation et la pollution. Pas une minute à perdre. Allons-y profiter, au pays de la vanille, du riz et des lémuriens.

J’accueille Véronique et Frédéric à l’aéroport d’Antananarivo le 1er juin au début de l’hiver austral. Une fois les emplettes faites, deux jours de transports terrestres sur des routes moins que bien entretenues nous séparent de notre première grimpe. À la première vue du Tsaranoro, l’émotion est au rendez-vous. Au milieu de la pauvre brousse malgache, les 800 mètres de ce massif se dressent comme une rampe de skate au bout du chemin. Notre équipe n’y arrive avec aucun objectif précis, sauf de grimper sur une des plus grosses et des plus belles roches du monde en ayant du plaisir. Ici, il y a de tout pour tous, avec au minimum 4 longueurs et ça va jusqu’à 22. Il faut cependant être à l’aise en multilongueur, en rappel, à trouver des voies et grimper des passages exposés! Ça pourrait laisser présager que ce sera l’enfer, la misère, la chaleur avec un gros Celcius, l’aventure avec un grand R ou X, des exploits de super alpinistes. Moi je l’ai vécu le sourire aux lèvres à dévorer le vertical. Sensation de légèreté, de rapidité, de liberté.

Comme c’est tout équipé en plaquette, ça grimpe très vite et on ne veut pas perdre de temps au relais. On amorce Pectorine, 350 mètres de 5.10+. Une voie de bien verticale avec de bonnes réglettes. Un régal et une belle ambiance pour commencer le voyage. La descente à pied le long d’une crête nous permis de contempler le paysage et les deux parapentes qui nous survolaient. C’est officiel, c’est le paradis.

Ensuite, La Croix du Sud, 300 mètres, 5.10+. Lors de notre approche au soleil levant, on croise les habitants, pieds nus et poche de riz sur la tête, qui se rendaient au marché de brousse. On a aussitôt arrêté de se plaindre des petites épines prises dans nos bas ! La grimpe moins abrupte nous réserve une formation de roche très atypique : des colonnettes de granite ! Des gouttières géantes aux rebords bien francs. Génial.

Avant de trop emmagasiner de fatigue, on se lance pour un projet plus consistant : Out of africa, 600 mètres, 5.11d. Une voie classique finalement assez facile où l’on rencontre de tout, de la dalle, à du vertical en passant par de petits surplombs. Ne sachant pas si on allait être assez rapide, on

avait demandé à Hery, le guide d’escalade et de parapente local, de nous monter un sac avec de l’eau, un peu de bouffe et des sacs de couchage pour dormir au sommet. Une belle nuit qu’on a passée dans la «grotte» auprès du feu, sous les tombeaux sacrés.

Heureux de cette réussite, Frédéric et moi nous sommes un peu emballés. Convoitant le plus grand mur, on magasine les lignes. On s’arrête finalement sur Vazimba. La plus facile des lignes en libre avec, en prime, un bivouac au milieu. Or, et malheureusement, la description du topo est bien vraie : une voie engagée avec des cheminées et de l’herbe nécessitant des coinceurs. Quelques longueurs sont magnifiques - dont une version africaine du Split Pilar -, mais je la déconseille à tous ! Des longueurs incohérentes dans la protection - une fissure de 3 pouces avec une plaquette à côté, ou encore 8 ou 10 mètres entre deux points dans une cheminée en 5.11) -, ou encore des blocs rocheux gros comme des micro-ondes qui tiennent dans le foin ! Le meilleur de ce que le Tsaranoro a à offrir, ce n’est pas en fissure. Dans un emplacement pour dormir, on a trouvé un cairn et un livre d’or. Le dernier message datait de 2009! Peu de gens apportent le matériel de trad à Mada, avec raison.

Le Crabe aux pinces d’or fut beaucoup plus coriace, mais encore plus beau que tout, avec 320 mètres de plaisir en 5.12c. Toutes les longueurs sont 5.11b ou plus, la paroi est très verticale et les prises commencent à rapetisser. Du gratonnage à son meilleur, probablement la voie plus belle et la plus soutenue qu’on ait faite. Encore une journée typique, départ à la noirceur et retour à la brunante.

Ces longues journées nous forcent à prendre des jours de repos souvent, et tant mieux. « Mora mora », devise du pays, ça veut dire doucement. Plus on adopte cette approche, plus on vit vraiment. À « Mada », vous avez toujours le choix. Du Land Cruiser 2014 avec son chauffeur privé au transport en commun au bungalow tout confort avec salle de bain et souper au resto au dodo sous la tente avec cuisine au charbon de bois. C’est l’option qu’on a choisie et je ne ferais pas autrement. On a pu adopter le style de vie de la brousse malgache. On lave le linge et on relaxe avec les lémuriens. On classe le riz pour enlever les roches qui s’y trouvent (le dentiste n’est pas la porte d’à côté à en juger de la dentition des locaux) en attendant que l’eau pour le café chauffe dans le four solaire. On dormait et mangeait très bien. La température le jour est au-dessus de 20 degrés avec un soleil très fort (heureusement pour l’escalade, il se cache derrière la paroi en mi-journée) et la nuit, c’est environ 5 degrés.

À Madagascar, on marche pieds nus, on mange du riz matin, midi et soir, les bonbons ce sont des criquets frits, mais personne ne se plaint. Que ce soit à cause de la mortalité infantile, la corruption, les « bolts » éloignées, faut faire avec et se concentrer sur les petits éléments positifs de la vie. Les amis, les rencontres au marché, la roche exceptionnelle, les descentes au clair de lune, les étoiles qui passent. Rire, apprécier, partager, voyager, vivre.

par Olivier Ouellet

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DESTINATION >

El Chonta: le style chango

C’est à Guadalajara que tout a commencé. Après avoir passé un mois à Potrero Chico, j’avais rejoint mon ami Pablo, un résidant de Guadalajara rencontré à Squamish. L’idée d’aller à El Chonta pour y grimper d’immenses stalactites suspendues m’allumait. Pablo a tout de suite embarqué. Tout comme moi, il n’y était jamais allé. C’est donc après quelque temps à grimper dans son coin de pays qu’on a décidé de partir, enthousiastes, en direction d’El Chonta. Récit d’une aventure.

Pour aboutir à El Chonta, il faut tout d’abord se rendre dans l’État de Guerrero, à Taxco, une ville à l’allure coloniale avec ses toits en terre cuite rouge déposés sur des murs de ciment blanc. C’est de là qu’on prend un autobus local, un vieux Westfalia modifié avec trop de bancs pour sa capacité et dont la porte arrière est tout simplement inexistante. Nous roulons donc environ 25 kilomètres, au ras des falaises dans la ville de Taxco et dans la campagne de Guerrero, en direction de « las grutas de Cacahuamilpa », tout en expliquant au chauffeur que nous voulons aller au ranch de Señor Procopio. Finalement, après discussion, nous arrivons au bon endroit. Face à nous se trouve un chemin de terre qui nous mène jusqu’à la maison de la famille Procopio et sûrement la grotte d’el Chonta.

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En arrivant au ranch, nous rencontrons Señor Procopio, père de 15 enfants, qui nous réserve un accueil des plus mexicains en nous offrant des tacos préparés par sa femme. En parlant avec monsieur Procopio, nous apprenons qu’il loue des burros (ânes) pour le transport de nos bagages et de notre eau. L’offre est des plus alléchantes et nous acceptons volontiers pour ensuite commencer la marche d’approche en direction de la grotte. En marchant, j’apprécie la présence des burros, car il fait très chaud. Le soleil de plomb du Mexique est sans pitié. Après environ une heure de marche, nous voilà arrivés. Une brise de fraîcheur en provenance du fond de la grotte nous frappe, comme pour nous souhaiter la bienvenue. La cave est des plus impressionnantes et les stalactites qui s’y accrochent ressemblent à des sculptures qui pendent à l’envers comme dans un tableau de Dali. Nous voilà maintenant seuls, Pablo et moi, à notre campement tout juste à l’entrée de la grotte. Il nous reste plus qu’à grimper.

La première ligne qui nous saute aux yeux est « Ataxco », 5.13b. Elle suit l’arche à l’entrée de la grotte, que l’on grimpe comme une arête, et tombe ensuite dans une série de stalactites suspendues qui mène à une sortie déversante. C’est une grimpe très gymnastique tout en puissance, mais aussi délicate sur les stalactites qui vibrent lorsqu’on les touche. Très typique de l’endroit, la voie se grimpe à la manière des singes, à la « chango style » comme disent les locaux. C’est sur cette ligne que nous apprenons aussi à gérer la friction. Avec toutes ces stalactites sur une longueur de 30 mètres, il faut savoir quand allonger nos dégaines et même encore quand sauter une dégaine sur un passage facile pour éviter le plus de friction possible.

Après quelques jours à découvrir la grotte, notre ami Felipé, un bon ami de Guadalajara, arrive à l’improviste. Il a réussi à se libérer pour venir nous rejoindre. Un moment des plus agréables, car ça fait maintenant un bout que nous sommes seuls, Pablo et moi. Maintenant, à trois, la grotte nous appartient et nous en faisons bon usage. Quelques grimpes le matin pour ensuite se la couler douce en cuisinant et discutant, et pourquoi pas un essai de plus après avoir bien digéré. La vraie vie, quoi ! Après environ une semaine, d’autres grimpeurs se joignent à nous : Steve Bradshaw, un Sud-Africain, et Angie Rittel, une Américaine. La grotte se remplit de

plus belle lorsqu’un groupe de cinq Belges arrive. Nous ne sommes plus seuls et l’atmosphère a changé : nous avons maintenant des amis avec qui parler de grimpe, de voyages et de culture.

Je m’encorde avec Steve pour tenter un projet qu’on pense intense : Mala Fama. Cette voie peu fréquentée de sept longueurs, cotée 5.12a, a la réputation d’être des plus « épicées ». On comprend rapidement pourquoi : dès les premiers mouvements de la deuxième longueur, les stalactites explosent littéralement sous mon poids. Il faut choisir méthodiquement celles que nous allons utiliser tout en tentant de mettre le moins de poids possible sur chacune d’elles. Bref, une grimpe des plus intéressantes ! À la troisième longueur, Steve se fait un nouvel « ami »: une chauve-souris sortie de nulle part fonce droit sur lui. Après beaucoup d’émotions et de sueurs froides, on atteint le sommet, bien contents du résultat.

Après un séjour de 15 jours dans la grotte, Pablo, Felipe et moi en sommes aux derniers moments de notre voyage. Quelques autres longueurs à enchaîner, et c’est le retour au bercail. Adieu chango style, ce fut bref, mais bien agréable. La vie était si facile dans cette cave !

par Alexandre Charest

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En 1989, une étape de la coupe du monde d’escalade se tient dans la ville pittoresque de Veliko Tarnovo, en Bulgarie. Une foule de grimpeurs envahit les falaises de света троица (Sveta Troitsa ou Sainte-Trinité), qui surplombent un monastère hérité de l’époque médiévale, cet âge d’or de la Bulgarie.

Aujourd’hui, peu de gens visitent Sveta Troitsa. La Bulgarie n’est pas la destination vacances la plus prisée, non seulement de monsieur-madame-tout-le-monde, mais aussi des grimpeurs. Pourtant, il y a une réelle culture de l’escalade en Bulgarie, diffusée par une communauté de grimpeurs dévoués. Et surtout, il y a de l’escalade de qualité, si vous recherchez une expérience différente de celle des « falaises aseptisées ». En fait, l’aventure commence bien avant d’être sur la falaise, lorsque l’on essaie de s’imprégner de la singulière culture bulgare. Avez-vous déjà visités un pays où les gens hochent de la tête de haut en bas pour dire non et de gauche à droite pour dire oui ? Bienvenue en Bulgarie. Savez-vous lire le cyrillique ? Croyez-moi, ce sera très très utile pour accéder aux sites…

Mon chum et moi, on est allés en Bulgarie par hasard. On faisait de l’escalade depuis 8 mois et on a eu la folle idée de passer l’été à Chamonix, en espérant travailler et grimper. Avec du recul, il nous semble que notre

plan témoigne d’une quasi-ignorance de la réalité du monde de l’escalade, car chacun sait bien que le travail et l’escalade ne font pas bon ménage. Résultat : après 3 jours à travailler comme des bœufs dans des restaurants de Chamonix où on servait de la raclette à des gros touristes allemands, nous plièrent bagage. Une personne peu avisée (en l’occurrence, moi) eut ensuite l’ idée saugrenue d’aller voir si on ne serait pas mieux de travailler à Biarritz, cette ville de vieux riches où il y avait supposément du surf. Biarritz ne voulait pas de nous -- pas plus qu’on ne voulait d’elle. En vérité, rendus à ce point, on avait fait une sorte d’étoile en train dans la France, en passant aussi par Marseille, qui nous avait rejetés sans nous laisser la chance de voir ses calanques. On n’avait plus d’argent après 1 mois de voyage. Pour un voyage d’une durée prévue de 4 mois, c’est pas fort.

Au bord du désespoir dans un café Internet, on a vu un super site sur l’escalade en Bulgarie. On s’est dit : l’Est, ce n’est pas cher. J’ai même trouvé un contact qui a une auberge jeunesse à Véliko et qui voulait nous loger et nourrir pour gratuit, pourvu que l’on travaille un peu pour lui. 5 minutes après, on achetait le billet et on partait la journée même.

Durant toute la durée de notre séjour chez Tosho, à Veliko, il n’a jamais eu de travail à nous donner, parce que la saison touristique n’était pas encore vraiment commencée. C’était début juin. Donc chaque jour on allait grimper à Sveta Troitsa, et le soir on mangeait du BBQ bulgare (ne jamais refuser le BBQ offert par un Bulgare,

Expérience bulgare

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même si tu as déjà soupé) et on visitait Veliko. Veliko est une ancienne ville fortifiée, où trône encore la forteresse médiévale de Tsarevets. De nos jours, Veliko, avec ses universités et son architecture médiévale bien conservée, est un symbole de la culture bulgare, qui a dû se définir en opposition à celle de l’Empire ottoman. Le soir, il y a vraiment beaucoup d’activités à faire. L’hospitalité des Bulgares est légendaire, tout comme leur yogourt et leurs gésiers de poulet frits. Sveta Troitsa, le site d’escalade, est tellement proche de Veliko qu’on peut y aller en taxi, qui coûte une moitié de rien. Mais il faut savoir où c’est et ça nous a pris presque une journée trouver. Là-bas, il y a environ 200 voies sportives, de 5.9 à 5.14a, avec pas mal de longueurs en 5.12 et 5.13. La vue est magnifique, le rocher est solide, mais il faut vérifier l’état des ancrages, surtout dans les voies moins fréquentées.

En fait, si on prend seulement en compte la qualité de l’escalade, il y a un site qui nous a plus impressionnés que Sveta Troitsa. C’est Karlukovo, situé dans la province de Lukovit, à environ 2 heures de Sofia, la capitale, en train. La grotte de Prohodna, à Karlukovo, est sans conteste l’une des plus grandes grottes tunnel d’Europe. Même sans grimper, ça vaut la peine d’aller voir cette merveille géologique, qui fait 232 mètres de long et 45 mètres de haut. Encore plus impressionnant : il y a deux immenses trous en forme de yeux, appelés «les yeux de Dieu», en haut de la grotte. C’est presque comme si la grotte veillait sur les grimpeurs à l’intérieur en leur fournissant de la lumière. Contrairement à Sveta Troitsa, falaise qui

a été équipée surtout dans les années 1990, Prohodna est un site plutôt jeune. La centaine de voies, dont la difficulté varie entre 5.10a et 5.14d, ont pour la plupart été équipées dans les années 2000. Les fins de semaine, la grotte s’anime avec la venue de grimpeurs de Sofia, qui viennent tester leur habileté sur les classiques.

Ces «locaux» se font un plaisir de donner des informations sur les nombreux autres sites d’escalade de Bulgarie. Par exemple, nous aurions pu faire du psicobloc sur la côté de Varna, ou du trad dans les montagnes du Rila. Plusieurs personnes nous ont invités à revenir. Ils nous ont aussi invités chez eux, nourris et aidés à nous déplacer, malgré la barrière de la langue et de la culture. En vérité, mon contact avec la culture et l’escalade bulgares m’ont appris qu’être dépaysée, c’est découvrir des choses, des façons de faire et de penser qu’on ne croyait même pas possibles, comme une nouvelle manière de dire non, une grotte avec des yeux et la délicatesse des abats de poulet frits.

par Catherine Rioux

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Le nom de Marc Dostie circule depuis une quinzaine d’années parmi les amateurs d’escalade sportive et traditionnelle de Montréal. On offre ses coordonnées comme un bijou précieux aux gens qu’on aime. On se rassure quand on apprend qu’il fait toujours des affaires. On espère qu’il vivra vieux. C’est que Marc Dostie n’est pas un cordonnier comme les autres. Aux dires de plusieurs, il est le seul ressemeleur de chaussons d’escalade digne de ce nom au Québec. C’est l’homme qui ressuscite les « varappes » que les grimpeurs achètent à fort prix, apprivoisent dans la douleur et rechignent à remplacer pour des raisons économiques et sentimentales. J’ai rencontré Marc Dostie dans son atelier de quelques mètres carrés, derrière son domicile, à Pointe-aux-Trembles.

L’homme à l’accent acadien m’est apparu plus jeune que je l’avais imaginé. Dans la pièce, un établi, un pot de colle, un marteau, un couteau, un stylo bleu, de grandes feuilles de caoutchouc, un énorme banc de finition et quelques paires de chaussons. « En 1982, j’ai quitté Bathurst, au Nouveau-Brunswick, pour m’établir à Montréal. J’avais 16 ans. J’ai appris le métier de cordonnier avec André Bergevin, sur la rue Beaubien dans le quartier Rosemont. Trois ans et demi plus tard, je suis parti chez Biago, une institution de la rue Fleury. Là-bas, j’ai dû oublier ce que j’avais appris et tout réapprendre. J’ai découvert de nouvelles façons de faire, des machines plus modernes, plus performantes. Chez Biago, c’était la qualité de l’ouvrage, du matériel et de la finition qui comptait. Un an et demi plus tard, c’était l’automne. Comme chaque année, il y avait beaucoup de travail à cette période-là. On me poussait à travailler vite, à tourner les coins ronds. J’étais perfectionniste. L’élève n’était pas loin de dépasser le maître et j’ai décidé de partir. »

Le 2 septembre 1987, Marc Dostie achète une cordonnerie rue de la Salle, dans le quartier Hochelaga- Maisonneuve. Il y servira ses clients pendant près de 21 ans. Au début, il se débrouille avec les moyens du bord puis, en 1989, il achète un banc de finition performant à 12 000 $ : la machine de marque Mebus qui trône aujourd’hui au fond son petit atelier.

Il élargit tranquillement sa clientèle. Les gens lui

apportent leurs chaussures et reviennent le voir un an ou deux plus tard, lorsque l’usure a fait son œuvre. « Avant, quand on réparait un soulier, on défaisait ce qu’on avait fait la fois précédente pour le faire une fois de plus. On se donnait la peine de faire du bel ouvrage parce qu’on savait qu’on se remettrait les mains dedans un jour », dit-il. Et les années passent. Et les clients se font moins nombreux, les réparations qu’on lui demande sont de moins en moins intéressantes. Marc Dostie commence à avoir l’impression de perdre son temps avec la cordonnerie « classique ».

« Les chaussures ont changé : les fabricants utilisent moins de cuir, plus de plastique. Les gens viennent faire remplacer un talon, ils paient et tu ne les revois plus jamais. Ce n’est pas le genre de relation que je souhaitais avoir avec ma clientèle. »

À cette époque où les chaussures se font jetables, Marc Dostie tombe un jour sur d’étranges petits souliers cousus avec finesse, fabriqués en bon vieux cuir avec des semelles de caoutchouc : les chaussons d’escalade.

« C’est un autre cordonnier, Michel Lecours, qui m’a montré un chausson d’escalade pour la première fois, vers la fin des années 90. Il avait du mal à retirer la vieille gomme et ses réparations ne duraient pas très longtemps. C’était un homme minutieux, il travaillait lentement. Il n’avait pas l’équipement qu’il fallait. À un moment donné, il s’est retrouvé avec trop de chaussons à réparer. Les premières fois, il m’en a envoyé quelques paires et m’a prêté du matériel pour que je le dépanne. Comme j’aimais ça, il a fini par m’envoyer les grimpeurs. »

Marc Dostie s’approvisionne alors en caoutchouc Stealth auprès du fabricant de chaussons Five Ten. Il contacte les deux principaux centres d’escalade de Montréal, Allez Up et Horizon Roc, qui acceptent d’offrir à leurs clients les services du ressemeleur. La formule est simple : le cordonnier ramasse les chaussons à réparer au comptoir du centre et les ramène la semaine suivante. Il laisse aussi ses cartes de visite dans les boutiques qui vendent des chaussons. Rapidement, la clientèle est au rendez-vous.

« Au début, je ne connaissais pas ça. Les clients critiquaient, ils n’étaient pas contents. J’ai commencé

PORTRAIT >

MARC DOSTIEIL EST UN CORDONNIER UNIQUE EN SON GENRE : C’EST LUI QUI REDONNE VIE AUX CHAUSSONS DES GRIMPEURS. DANIELLE LAVOIE L’A RENCONTRÉ.

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à leur poser des questions, à chercher à savoir ce qui n’allait pas, ce qu’ils voulaient. J’ai un peu mieux compris leurs besoins. Je devais faire en sorte que le bout du chausson donne de la « grippe », que ça tienne sur les parois. Les souliers m’arrivaient usés et déformés. Pour les réparer, je retire tout le caoutchouc. Une fois que j’ai tout enlevé, il faut que je sache de quoi ils doivent avoir l’air. J’ai commencé à visiter les magasins pour m’inspirer des modèles neufs. Aujourd’hui, je réalise que pour faire encore mieux, ça me prendrait des formes de chaque modèle, dans toutes les pointures... mais c’est impossible, car il y en a trop! Depuis que je répare les chaussons, j’ai changé de méthode quatre fois. Aujourd’hui, j’utilise des semelles plus courtes et ma finition est plus fine. »

Marc Dostie découpe les semelles et les bouts de caoutchouc qui couvrent la pointe des souliers dans de grandes feuilles d’environ un mètre carré. Il explique sa méthode: « Le caoutchouc vient en deux épaisseurs : 2,5 mm pour les bouts, 4,2 mm pour les semelles. Je crée les formes dont j’ai besoin et je les sable avant de les coller, pour que ça tienne mieux. Je pose d’abord les bouts, qu’il faut laisser sécher plusieurs heures. Ensuite, je colle les semelles. Idéalement, j’attends trois ou quatre jours avant de faire la finition. Il faut enlever le plus d’excédent de caoutchouc possible au couteau. Si on ne le fait pas, au sablage, le contact prolongé du ruban va chauffer le caoutchouc. Si le caoutchouc chauffe, la colle aussi. Si la colle chauffe, ça décolle et la réparation est foutue. »

Il faut dire que Marc Dostie manie son couteau avec le talent et la précision du sculpteur.

S’il n’a pas d’intérêt pour l’escalade – il préfère la chasse et la pêche –, le cordonnier en sait long sur les habitudes des grimpeurs. « Juste à voir l’usure de la semelle sur le côté intérieur du pied ou l’emplacement des trous, je sais où ils mettent leur poids quand ils grimpent, sur quel pied ils ont l’habitude de se reposer! Dans certains cas, je vois bien qu’ils ne font pas comme la plupart des gens. Je suis déjà tombé sur un gars qui se tenait le plus souvent sur l’extérieur du pied. C’est très rare! »

Marc Dostie a rarement l’occasion de vérifier ses hypothèses auprès des clients, qu’il ne croise que rarement. Lorsqu’il a eu l’occasion de le faire, on lui a dit qu’il avait vu juste.

La réputation de Marc Dostie le précède à Montréal, mais son nom circule aussi à l’extérieur de la métropole. C’est le bouche-à-oreille. « Il y a des gens qui m’envoient leurs chaussons par la poste pour que je les répare. J’en ai eu de Granby, Trois-Rivières, Gatineau, Ottawa, Toronto, Halifax! Une fois, des Américains en vacances m’ont laissé leurs souliers. Je les ai réparés et je les ai retournés en Californie. »

Il est aussi connu des autres cordonniers qui aimeraient bien être instruits de ses secrets. « On me demande constamment de partager mes trucs, mais ça ne m’intéresse pas. Un cordonnier d’Ottawa voulait me payer pour passer trois semaines avec moi, pour apprendre ma méthode, mais je lui ai dit qu’il n’avait pas les moyens de se payer ça. Les gens d’Ottawa m’envoient leurs chaussons

par la poste. Je ne pense pas laisser aller ce marché-là. J’ai un avantage avec les chaussons d’escalade. C’est mon capital, mon fonds de pension. Par ailleurs, je n’ai pas vraiment le talent d’enseigner. Je ne suis pas patient avec les adultes. Avec un enfant, répéter dix fois, ça ne me dérange pas, mais pour que j’arrive à travailler avec un adulte, il faut qu’il comprenne vite. »

En 2008, après un deuxième congé de maladie, Marc Dostie ferme boutique. Trois mois plus tard, il reprend le travail, derrière chez lui, et se consacre alors exclusivement aux chaussons d’escalade. Il dit y passer en moyenne deux matinées par semaine. Ce qu’il aime le plus de son travail? « Tout! J’aime défaire le chausson, le refaire, le coller, le recoudre s’il le faut, la finition. »

Un homme qui n’a pas cinquante ans, un gros banc de finition, quelques paires de chaussons réparés à raison de deux matinées par semaine. Pourquoi si peu? Le travail de cordonnier comporte-t-il des risques pour la santé? « La colle, c’est très toxique, explique-t-il. J’ai des problèmes de foie qui sont liés à ça. » Au mur, sur un clou, il y a un masque. Depuis qu’il le porte, il dit que sa santé va mieux, que ses problèmes se règlent. Depuis quand porte-t-il un masque? « Depuis trois mois ».

Le calcul est simple, le résultat, alarmant : Marc Dostie a été exposé pendant plus de 30 ans à des substances volatiles toxiques.

« Dans ma boutique, j’avais cinq types de colles, un décapant, un diluant, plusieurs teintures en aérosol. À la fin de la journée, je rentrais chez moi fatigué, j’avais des problèmes de digestion. Depuis que je travaille derrière la maison, c’est mieux. Je n’ai qu’un type de colle et dès que je l’applique, je sors de l’atelier, je fais autre chose pendant que ça sèche. » C’est son ostéopathe qui a fait le lien entre la colle et les problèmes de foie, en le regardant dans les yeux. Il lui a conseillé le port d’un masque. « Depuis que je le porte, j’ai recommencé à m’entraîner, je me sens plus en forme. »

Marc Dostie redonne vie aux chaussons d’escalade avec son banc de finition performant qui l’aide à faire vite et bien. Il en répare peu. Pour ne pas se fatiguer comme par le passé. Pour le faire avec amour. Pour ne pas le faire vite ou pour l’argent. Il est le meilleur dans son domaine au Québec et il le sait. Avec son masque et sa santé retrouvée, il se voit réparer les chaussons d’escalade pour encore une quinzaine d’années. Et après, que feront les grimpeurs de leurs chaussons abîmés? « Rendu là, si je trouve une bonne personne qui a une base en cordonnerie et avec qui ça clique, je vais lui montrer ça! » Les grimpeurs peuvent donc continuer d’user leurs petits souliers l’esprit tranquille pendant encore un moment.

par Danielle Lavoie

MARC DOSTIE

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NOUVELLES >

Accident mortel au lac Long

Une jeune femme de 28 ans, Nancy Duquette, est morte après avoir fait une chute de 25 mètres au Lac Long, le 6 juillet dernier. Elle et son partenaire faisaient la voie Aéro-Tango, une voie en 5.9 très fréquentée. Son partenaire avait déjà fait des multilongueurs plusieurs dizaine de fois. Quant à Nancy, elle en est à ses débuts pour seconder en escalade traditionnelle et en voie de multiples longueurs. Après sa chute, Nancy était toujours vivante et elle a été évacuée très rapidement par des grimpeurs qui connaissaient les manoeuvres de premiers secours. Tous les intervenants ont salué l’efficacité de cette évacuation. Plusieurs personnes de la communauté des grimpeurs ont été affectées par ce décès, à commencer par le partenaire de Nancy. Pour le moment, l’accident n’a rien changé à l’accès au site. La FQME, l’APEPA et la municipalité doivent se rencontrer cet automne pour en discuter. Cet accident du Lac Long s’ajoute à une longue liste d’événements survenus au cours de la dernière année.

Cela n’a pas échappé au directeur des opérations de la FQME, André Saint-Jacques, qui note une augmentation du nombre d’accidents. « Je crois que tout le monde doit être conscient et informé du risque en escalade », explique-t-il. « Il ne faut pas négliger la formation par des personnes qualifiées. Le mentorat peut être bon pour certaines situations, mais les grimpeurs doivent comprendre le pourquoi. Ce que nous ne transmettons pas toujours en mentorat. Les gens qui s’initient au saut en parachute ne le font pas sans être encadrés. Il faut également rappeler les consignes de base et de sécurité. » Le coroner du Québec doit mener une enquête sur les circonstances du décès de Nancy Duquette, ce qui pourrait prendre entre 9 et 12 mois.

par David Savoie

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Onde de choc dans le Karakoram

UNE ATTAQUE AU PAKISTAN A FAIT DES VICTIMES PARMI LES ALPINISTES. ET COMME L’EXPLIQUE IAN BERGERON, CET ÉVÉNEMENT NE LAISSE RIEN PRÉSAGER DE BON POUR LA RÉGION.

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Le 22 juin dernier, des membres d’un groupe armé, déguisés en officiers paramilitaires pakistanais, ont fait irruption au camp de base de la face Diamir du Nanga Parbat. De la soixantaine de grimpeurs présents dans la région, seule une douzaine se trouvait au camp de base, les autres étant dispersés dans les différents camps sur la montagne. Les assaillants ont forcé les douze personnes présentes à sortir de leur tente, puis les ont ligotés pour les voler. Par la suite, ils ont abattu de sang-froid onze d’entre elles. Le seul à avoir été épargné est un cuisinier pakistanais. Peu après, l’attentat a été revendiqué par le TTP, une obscure branche d’Al-Qaeda affiliée aux talibans afghans. Le groupe dit avoir agi en représailles à la mort d’un de leurs chefs, tué par un drone américain.

L’onde de choc fut immédiate et ce, partout dans le monde. Au Québec, les journaux et la télévision ont abondamment traité du drame, d’autant plus qu’un grimpeur d’ici, Gabriel Filippi, a échappé au massacre de peu, ayant quitté le camp de base la veille. Outre l’aspect violent indéniable de l’attentat, l’ensemble de la sécurité dans la région a été un thème central de la couverture médiatique. Le Pakistan et le Cachemire ont depuis longtemps mauvaise presse et cet événement venait renforcer les idées reçues.

« Certains pensent que cet attentat

change la donne et que les touristes

des hauts sommets seront désormais

des cibles faciles... »

Les agressions armées sont très rares au Cachemire, malgré l’historique instable de la région. Souvent victimes des tensions entre le Pakistan et l’Inde, plusieurs secteurs sont demeurés fermés au tourisme ou mis sous contrôle militaire. La popularité grandissante de l’alpinisme et du trekking dans le Karakoram et le Cachemire a favorisé l’émergence d’une industrie touristique jadis quasi inexistante. Dans plusieurs villages, le gagne-pain annuel provient essentiellement du travail estival effectué par les porteurs, cuisiniers et aides de camp. À titre d’exemple, il n’est pas rare de voir quelque 200 porteurs affectés à une seule expédition au K2. Le nombre de porteurs augmente rapidement lorsqu’une quinzaine d’expéditions partent au même moment vers les sommets majeurs du Karakoram.

En 2006, lors de mon dernier passage sur le glacier Baltoro, qui mène au K2, Broad Peak et Gasherbrum, un porteur me racontait comment son travail estival lui permettait de nourrir toute sa famille. Les porteurs, peu instruits et pauvres, auront beaucoup de mal à remplacer ce travail qui représente une véritable manne. Cette

année-là, l’industrie commençait à reprendre du mieux après quelques années de vache maigre, résultat du 11 septembre 2001.

Quand Oussama Ben Laden et ses sbires ont attaqué les tours du World Trade Center, le tourisme au Pakistan a diminué momentanément. Mais les alpinistes sont rapidement revenus, car les attaques ne les avaient pas visés directement. Les événements du Nanga Parbat sont fort différents puisque cette fois, les montagnards sont devenus la cible des terroristes. Certains pensent que cet attentat change la donne et que les touristes des hauts sommets seront désormais des cibles faciles : ils sont étrangers, riches et non armés, en plus d’attirer l’attention des médias de l’Occident. D’autres pensent qu’il s’agit d’un acte isolé qui a très peu de chances de se répéter puisque le gouvernement pakistanais déploiera toutes les mesures de sécurité nécessaires à la protection des expéditions étrangères.

Une chose demeure certaine : en tuant ainsi des ressortissants étrangers, les assassins ont aussi fait des victimes collatérales. Dans les années à venir, plusieurs enfants de porteurs ou d’aides de camp ne mangeront pas à leur faim et certains risquent d’en mourir. Dans un pays où la mortalité infantile frôle les 20 %, l’absence de médecins étrangers, venus en support aux grandes expéditions, aura inévitablement un impact majeur sur la santé de plusieurs. L’attentat du Nanga Parbat a beaucoup plus de répercussions que ne l’avaient prévu les terroristes.

par Ian Bergeron

Page 28: Grimpe Automne 2013