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En 2002, la Constitution consacre l’égalité entre hommes et femmes. En 2014, les faits sont tout autres. Si dans la loi belge, les femmes ont acquis l’égalité, des combats restent à mener. Combats que les féministes prennent aujourd’hui à bras le corps, endos- sant souvent l’image de furies hargneuses et castratrices. Les inégalités du XXIème siècle sont moins visibles. Les droits théoriques ne sont pas appliqués en pratique. Exemple classique : l’écart salarial. Meilleurs diplômes, salaires au rabais En Belgique, une femme gagne en moyenne annuelle- ment 23% de moins qu’un homme. Là où un homme gagne un euro, la femme ne percevra que 77 centimes. Même s’il a baissé ces dernières années, l’écart salarial reste une réalité. Pourquoi les femmes et les hommes ne sont-ils pas égaux sur le marché du travail ? Selon Françoise Goffinet, attachée à l’Institut fédéral pour l’égalité des femmes et des hommes, ceci s’expli- que « par les stéréotypes sexués qu’hommes et femmes ont dans leur tête. Les filles sortent plus et mieux 16 / / Droit des femmes Société N° 8 / 8 mars 2014 Quand les droits des femmes profitent aux hommes Sexisme, écarts salariaux, violences : malgré les lois, malgré le XXIème siècle, rien n’y fait. Les femmes sont encore discriminées. Les stéréotypes sont enracinés. Pourtant une société égalitaire profiterait aux deux sexes : aux femmes, aux hommes. A l’occasion de la journée internationale de la femme, le Vif enquête. DISGRÂCE Alain Van der Biest, Jean-Maurice Dehousse, André Cools. Le premier s’abîme dans l’alcool, le second se retrouve en marge du PS, le troisième est assassiné. Par Aurélia Morvan, Lucille Guenier, Maude Lebon, Sandrine Puissant et Maud Steinbach Les années 70 et 80 : un moment fort du féminisme. Une mobilisation qui s’est essouflée aujourd’hui. MARTINE FRANCKRIMEE/MAGNUM •••

Groupe 2_Enquête Droit Des Femmes

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En 2002, la Constitution consacre l’égalité entre hommes et femmes. En 2014, les faits sont tout autres. Si dans la loi belge, les femmes ont acquis l’égalité, des combats restent à mener. Combats que les féministes prennent aujourd’hui à bras le corps, endos-sant souvent l’image de furies hargneuses et castratrices.

Les inégalités du XXIème siècle sont moins visibles. Les droits théoriques ne sont pas appliqués en pratique. Exemple classique : l’écart salarial.

Meilleurs diplômes, salaires au rabaisEn Belgique, une femme gagne en moyenne annuelle-ment 23% de moins qu’un homme. Là où un homme gagne un euro, la femme ne percevra que 77 centimes. Même s’il a baissé ces dernières années, l’écart salarial reste une réalité. Pourquoi les femmes et les hommes ne sont-ils pas égaux sur le marché du travail ?

Selon Françoise Goffinet, attachée à l’Institut fédéral pour l’égalité des femmes et des hommes, ceci s’expli-que « par les stéréotypes sexués qu’hommes et femmes ont dans leur tête. Les filles sortent plus et mieux

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Quand les droits des femmes profitent aux hommesSexisme, écarts salariaux, violences : malgré les lois, malgré le XXIème siècle, rien n’y fait. Les femmes sont encore discriminées. Les stéréotypes sont enracinés. Pourtant une société égalitaire profiterait aux deux sexes : aux femmes, aux hommes. A l’occasion de la journée internationale de la femme, le Vif enquête.

DISGRÂCE Alain Van der Biest, Jean-Maurice Dehousse, André Cools. Le premier s’abîme dans l’alcool, le second se retrouve en marge du PS, le troisième est assassiné.

Par Aurélia Morvan, Lucille Guenier, Maude Lebon, Sandrine Puissant et Maud Steinbach

Les années 70 et 80 : un moment fort du féminisme. Une mobilisation qui s’est essouflée aujourd’hui.

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diplômées que les garçons. Mais cette surqualifi-cation ne se traduit absolument pas dès l’entrée sur le marché du travail. »

A ces stéréotypes viennent s’ajouter plusieurs facteurs qui accentuent l’écart salarial. Le travail à temps partiel est l’un d’entre eux. Il concerne une femme sur trois, con-tre un homme sur cinquante. Le temps partiel permet aux femmes de combiner le travail et l’éducation des enfants. La pression sociale conduit encore souvent la femme à faire passer sa carrière professionnelle au second plan.

La mixité professionnelle, enclavée dans une vision tra-ditionnelle de la répartition des rôles, est un autre vec-teur de l’écart salarial. « On retrouve 60% des femmes dans seulement 15 professions, alors que les hommes sont présents dans les 250 secteurs répertoriés en Bel-gique. » Les femmes exercent la plupart du temps dans les secteurs des soins, de l’enseignement, d’aide aux per-sonnes, des professions moins bien payées.

Si les inégalités sur le marché du travail touchent ma-joritairement les femmes, elles n’épargnent pas pour autant les hommes. Certains métiers comme sage-femme ou aide à domicile restent extrêmement sexués. Ces car-cans font obstacle à la liberté des hommes d’exercer de tels métiers. L’origine de cette discrimination est déter-minée par l’éducation : « Les stéréotypes, c’est dès le plus jeune âge, dès le berceau. On oriente les filles d’un côté et les garçons de l’autre » précise Françoise Goffinet.

Les femmes sont avantagées sur un autre point, le con-gé parental. Ce dernier reste bien moins accepté chez les hommes. Même s’ils commencent à rattraper leur retard, nous sommes encore loin de la parité. Un quart des hommes seulement a pris son congé parental en 2012. Pourtant la législation prévoit pour les hommes un congé parental au même titre que pour les femmes. Pour Françoise Goffinet, ces discriminations ne sont pas une affaire de législation mais de mentalité. « Les lois sont là. Ce sont les femmes et les hommes, élus à tous les niveaux de pouvoir et dans le monde du travail qui n’ont pas encore la volonté qu’elles soient réellement d’appli-cation. »

La lutte contre les inégalités dans le secteur du travail n’est pas qu’une affaire de femmes. Pour changer les mentalités, ce combat doit concerner les deux sexes, car femmes et hommes ont à y gagner.

Abolir les stéréotypes passe par l’éducationLes stéréotypes ont la dent dure. Ils sont l’une des caus-es des inégalités. Si on les apprend, on peut aussi les combattre. Une lutte à mener dès l’enfance, à l’école. Les enseignants ont un contact direct avec les élèves. Ils leur transmettent des stéréotypes par leurs cours,

leur manière d’être. Pour éviter de véhiculer des clichés sexistes aux élèves, les enseignants doivent être formés. Jusqu’alors, une seule mesure structurelle a été prise en ce sens en Belgique francophone.

Il y a dix ans, le cours « approche théorique et pratique de la diversité culturelle » était introduit dans le pro-gramme de certains futurs enseignants, ceux qui se forment à enseigner de la maternelle jusqu’au début du secondaire, dans les sections pédagogiques

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« 23%, c’est l’écart salarial chez nous. Là où un homme gagne 1 euro, la femme gagne 77 centimes. »

FÉMINISME, EXTRÉMISME ?

Marie Ramot est militante à Osez le féminisme ! (Belgique). Peu d’associations osent se revendiquer comme féministes. Le mouvement, parfois radical, effraie. Il touche aux bases de la société, comme la famille, ou le mariage.

Etre féministe, c’est mal vu ?a C’est perçu comme le choix des lesbiennes refoulées, castratrices. Pour moi, le fait d’assumer est important. C’est au nom du féminisme que les femmes ont acquis leurs droits. Etre féministe, c’est juste concevoir un monde dans lequel les hommes et les femmes ont des droits égaux. Difficile de trouver une femme qui soit contre ce principe. Ce mot a une histoire. Je ne peux pas renier le combat de milliers de femmes avant nous.Dans tous les mouvements de reconnaissance des droits, il y a dû avoir des actions coup de poing, plus extrêmes. Les féministes sont allées dans le combat. Il fallait péter des barrières. Elles ont rejeté les codes de la féminité imposés. De ces superbes victoires, on retient une féministe échevelée, non épilée, qui déteste les hommes. C’est triste.

Qu’est-ce que les hommes ont à gagner de ces combats ?a Qu’est-ce que les hommes ont gagné au droit à l’avortement et à la contraception ? La liberté sexuelle profite à tout le monde.Il y a trop de pères à qui on n’a jamais donné l’opportunité de s’occuper des enfants. Ne pas être critiqué par un employeur pour avoir pris un congé de paternité, et être reconnu dans la société parce que tu t’occupes de ton enfant, c’est essentiel. Les femmes doivent lâcher prise. A la venue de ma petite, j’étais toujours sur le dos de mon compagnon en lui disant tout ce qu’il ne faisait pas bien. Il m’a demandé de lui laisser développer sa propre relation avec sa fille. Il a raison, il y a autant droit que moi.Il n’y a pas que les femmes qui sont cantonnées à certains secteurs. On n’embauche pas les hommes à l’école maternelle. La société ne les autorise pas. C’est de la discrimination aussi.

Pas de guerre des sexes pour les féministes donc.a Le concept de guerre des sexes est débile. On vit sur la même planète, on doit coopérer. On a tous à gagner à une société plus égalitaire. Les hommes sont plus forts, oui. Mais dans une société basée sur le contrat social et pas sur la violence, la force ne sert à rien. Le mouvement féministe a fait évoluer la société. . S. P.

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Sarah Sepulchre est co-présidente de Sophia, ASBL de promotion des études féministes de genre en Belgique. Elle est spécialiste en études de genre, champ qui s’attaque aux stéréotypes en étudiant la manière dont la société associe des rôles à chaque sexe.

Les nombreuses lois anti-discrimination n’empêchent pas l’inégalité des sexes. Que faut-il faire ?a Faire évoluer les mentalités de base. On est passé de discriminations explicites, quand les femmes ne pouvaient pas voter par exemple, à des discriminations implicites, plus difficiles à combattre. Les femmes ont du mal à concilier travail et vie personnelle, elles n’obtiennent parfois pas de promotion malgré leurs compétences. Certains employeurs hésitent à les engager, parce qu’elles peuvent tomber enceintes. Il y a pourtant neuf mois pour s’y préparer. Si un employé s’absente à cause d’un accident grave, on ne peut pas le prévoir. Une prise de conscience collective passe par l’éducation, la sensibilisation au genre. Il faut le faire subtilement, petit à petit.

Pourquoi pas une sensibilisation au genre dès l’école ?a Ça passe par là entre autres. Quand il y a un coin rose et un coin bleu dans les classes par exemple, c’est difficile pour un petit garçon qui aurait envie d’aller chercher une poupée. Lors

d’une séance à l’Université des Femmes, on expliquait que dans les cours de récréation, 90% de l’espace sert à ceux qui jouent au foot, les 10% restant pour les autres, qui doivent faire attention au ballon. La sensibilisation peut être une réflexion simple: « à qui je donne l’espace et à qui je donne la parole ? » Avant de sensibiliser les élèves, il faut d’abord sensibiliser les enseignants dans leur formation.

Pourtant la Belgique est l’un des seuls pays européens où il n’y a pas d’études en genre à l’université...a Effectivement. En 2009, l’ASBL Sophia a été chargée par Joëlle Milquet, à l’époque ministre fédérale de l’Emploi et de l’Égalité des chances, d’étudier la faisabilité d’un master en études de genre interuniversitaire et bicomunautaire. Résultat : les connexions entre universités étaient possibles, mais il fallait oublier les connexions entre les communautés. À la rentrée 2014 donc, il y aura un master interuniversitaire en étude de genre en Flandre, ça vient d’être accepté. Côté francophone, c’est plus difficile. Une lettre signée par des académiques a été envoyée mi-février au Conseil des Recteurs des universités Francophones de Belgique (Cref). Elle demande la mise en place d’un groupe de travail qui réfléchirait à la création d’un master interuniversitaire en études de genre. On attend toujours la réponse. Je crois que cette fois, il sera difficile pour le Cref d’ignorer une lettre signée par les universités. . A. M.

SARAH SEPULCHRE: « IL FAUT FORMER LES ENSEIGANTS »

des hautes écoles. Dans la réalité, la formation des enseignants ne fait qu’effleurer la question du genre. Cela devrait bientôt changer : « Le sujet est brûlant en Belgique puisqu’il est question de revoir complètement la structuration du régendat. Il sera question de maintenir, renforcer ou présenter d’une autre façon ce cours. Nous suivons donc cela de très près », affirme Nadine Plateau, présidente de la Commission « enseignement » du Con-seil des Femmes Francophones de Belgique. Une for-mation qui va être modifiée, c’est bien, une formation

qui serait dispensée à tous, ce serait mieux. Aujourd’hui, les futurs professeurs formés à l’université, ceux qui enseigneront durant les trois dernières années du secondaire, n’ont pas de cours abordant ces questions et aucun diplôme universitaire en genre n’ex-iste (voir l’interview de Sarah Sepulchre ci-contre). Le système éducatif tourne le dos aux études de genre. Pourtant, celles-ci bénéficient à tout le monde, aussi bien aux filles qu’aux garçons, aux femmes qu’aux hommes.

« L’échec scolaire doit être analysé en terme de rapports sociaux de genre »Sensibiliser les élèves à l’égalité filles-garçons est un enjeu social et éducatif ma-jeur. En Belgique francophone, à l’école ou ailleurs, sensibiliser autour de ces ques-LA

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Dessin fait par des écoliers français lors d’un travail sur les discriminations sexistes.

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Le recul sur la loi espagnole sur l’avortement suscite l’inquiétude des pays européens. En Belgique, environ 2000 manifestants se sont mobilisés, y compris des hommes. Le droit à l’avortement les concerne aussi. Pourtant, ils sont souvent des personnages secondaires dans la décision, voire exclus du processus d’interruption volontaire de grossesse (IVG).

La femme avant toutLa loi belge est claire : c’est à la femme seule que revient la décision d’interrompre sa grossesse. Personne ne peut l’en empêcher ou, au contraire, l’y forcer. Bien sûr, les hommes peuvent donner leur avis mais en droit, c’est la femme qui décide. L’IVG est pourtant une affaire de couple. Thierry Carbonez est gynécologue et pratique l’IVG au Collectif Contraception. Il nous explique que dans ce planning familial « on accompagne le couple mais avant toute chose on s’occupe de la femme. L’homme est plutôt là dans une attitude d’empathie. » Les hommes, s’ils sont présents, ne s’expriment donc que très peu auprès du personnel médical.

Geneviève Cresson, professeure de sociologie à l’université Lille 1, a mis en lumière en 2006 que les hommes ne partagent leur expérience et leur ressenti ni avec le personnel médical, ni avec d’autres hommes. L’IVG, pour ceux qui l’ont vécue, est donc une sorte de tabou. Anicée Fradera, psychologue d’accueil au planning familial Plan F, explique que la pratique de l’IVG est aussi davantage une affaire de femmes : « chez nous, sur six médecins pratiquant l’IVG, il n’y a qu’un homme. » Thierry Carbonez approuve ce constat et s’inquiète du manque de médecins formés à cette intervention. Quant à savoir si ce droit est menacé en Belgique, il explique : « On aurait pu croire que c’était acquis mais il n’en est rien. Ce qui s’est passé en Espagne m’a refroidi. Et quand j’entends certains politiques à ce sujet, je m’inquiète. »La question de l’implication des hommes dans le processus d’interruption de grossesse met donc en exergue des asymétries profondes qui existent dans les couples d’aujourd’hui. Néanmoins, le combat pour le droit des femmes à avorter est aussi le leur et ils le manifestent. . M. L.

tions n’est pas la priorité. Pourtant, tout le monde au-rait à y gagner. Les études de genre soulèvent des ques-tions qui touchent aussi bien à la place des femmes qu’à celle des hommes dans la société. Quand on se demande pourquoi les femmes n’arrivent pas aux postes de profes-seurs « ordinaires  » ou de recteurs d’université, on se rend compte que les normes d’évalu-ation pour arriver à ces postes sont très masculines puisqu’il faut, par exemple, que le candidat soit compétent à l’inter-national  : « Est-ce qu’une femme peut partir à l’étranger quand elle a des enfants en bas âge ? Est-ce qu’une maman peut laisser les bébés avec le papa pendant un an pour aller faire un post-doctorat au États-Unis ? Si le mari a le salaire le plus important du ménage, est-ce qu’il va pouvoir prendre un congé sabbatique pour suivre sa femme ? », interroge Nadine Plateau. Si, à travail égal, les femmes touchaient le même salaire que les hommes, une partie de l’équation serait résolue. De même, si les stéréotypes sur la place de la femme dans le foyer tom-baient. Ainsi, les freins au développement de la carrière des femmes sauteraient, tandis que la pression serait moins lourde sur les épaules de ceux que l’on nomme « chefs de famille ».

Autre exemple : si les filles suivent des filières dif-férentes de celles que suivent les garçons, les garçons eux, sont plus touchés par l’échec scolaire que les filles. On le sait, mais rien n’est fait pour comprendre et en-diguer ce phénomène.

L’étude des genres serait pourtant la solution pour Nadine Plateau  : «  L’échec scolaire doit être analysé en terme de rapports sociaux de genre. Pourquoi les garçons ratent plus à l’école  ? Si on te-nait compte du fait que c’est parce que ce sont des garçons sexués garçons, et que ça a donc à voir avec la construction de la masculinité, on aurait

plus d’éléments pour mieux combattre ce phénomène. » Sensibiliser les élèves à l’égalité filles-garçons est un en-

jeu social et éducatif majeur. En Belgique francophone, à l’école ou ailleurs, sensibiliser autour de ces questions n’est pas la priorité. Pourtant, tout le monde aurait à y gagner.

L’étude des genres et l’éducation autour de ces ques-tions sont nécessaires pour qu’un jour, l’égalité filles-garçons, à l’école notamment, ouvre la voie à l’égalité hommes-femmes dans la société, ou inversement. Sur ce chapitre, la Belgique doit encore revoir sa copie. . Aurélia Morvan et Lucille Guenier

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Dans le court métrage, “Majorité opprimée”, les rôles entre hommes et femmes sont inversés.

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Le documentaire de Sofie Peeters « Femmes de la rue » avait remué les politiques en juillet 2012. Au cœur de ce reportage, les agressions verbales à caractère sexiste dans le centre de Bruxelles.

Un an plus tard, le 12 juillet 2013, la ministre de l’Egal-ité des chances Joëlle Milquet lance un projet de loi. S’il est adopté par le parlement, les comportements sexistes seront punis d’une amende de 50 à 1000 euros, et d’une peine d’emprisonnement d’un mois à un an. Un volet civil est prévu. Les victimes de harcèlement dans un es-pace public pourront être indemnisées.

De quoi en refroidir plus d’un, pourrait-on penser Ce n’est pas l’avis de Irène Zeilinger, fondatrice de l’AS-BL Garance, qui aide les femmes à lutter contre toutes sortes de violences  : verbales, physiques, dans l’espace public ou privé. « Cette loi n’est qu’un coup politique. La répression est facile à vendre aux médias mais ça ne changera rien.  » Pire encore, d’après la fondatrice de l’ASBL, cette loi pourrait être instrumentalisée à des fins racistes pour incriminer les populations de la rue. « Comment voulez-vous que les femmes apportent des preuves des injures ou comportements sexistes auxquels elles sont confrontées dans la rue ? Elles devraient pr-esque prendre leur agresseur par le bras et l’emmener au commissariat. Par après, les femmes n’iront pas porter plainte. Si elles le font, le parquet classera ça sans suite parce que ce n’est pas assez grave. »

Irène Zeilinger ne croit pas aux mesures répressives mais à la prévention. Elle  travaille depuis dix ans avec des milliers de femmes en organisant entre autres des cours d’autodéfense. Le but  : faire comprendre aux femmes qu’elles ont le pouvoir de prévenir une situation de crise en adoptant un certain comportement verbal ou physique. «  Le sexisme provoque de réels troubles du

comportement chez les femmes. La colère, l’intimidation, le manque d’estime de soi, l’impuissance, la peur sont des émotions qui peuvent parfois les détruire. »

Sa solution : que la Belgique prenne ses responsabilités et crée un ministère de prévention des violences, en y investissant des moyens à long terme. Un moyen pour Irène Zeilinger de limiter les effets du sexisme en rue, et d’éviter que des altercations ne dégénèrent en agres-sions. « De nombreux maris et pères seraient d’avantage rassurés de laisser leurs femmes et filles se déplacer li-brement dans la rue ». D’un autre côté, certains hommes se complaisent dans ce sexisme.  «  On diabolise la rue. Les femmes ont peur, elles restent chez elles, ne partic-ipent plus à la vie citoyenne. Nombreuses d’entre elles sont sous la coupe de leur mari, qui exerce parfois un pouvoir démesuré sur elles. C’est un cercle vicieux. »

L’union fait la force. Petite piqure de rappel aux politiques ?La ministre Joëlle Milquet lance son avant-projet de loi et se fait critiquer par d’autres partis politiques. Zakia Khattabi, sénatrice Ecolo, s’insurge. Son parti essaye depuis 2003 de consacrer le sexisme dans une loi. En 2010, elle relance une proposition au sénat qui recon-nait le sexisme comme circonstance aggravante, mais qui est en attente de vote depuis un an. D’après la sénatrice Ecolo, « la majorité au sénat bloque le vote sur ma prop-osition de loi juste pour que la Ministre Milquet puisse faire passer le sien et se glorifier avant les élections.  » Au cœur de cette « guéguerre » politique, un constat en commun pour les deux politiciennes : le sexisme est aussi présent au sénat. La sénatrice Khattabi parle de pater-nalisme. « Je n’ai jamais autant ressenti de discrimination sexiste que depuis que je suis entrée en politique. Lor-sque je demande la parole en commission, on m’appelle Princesse, alors que mes collègues masculins sont eux, toujours appelés par leur nom. Mais ça part d’une bonne intention, me dit-on. »

Deux femmes qui luttent pour un même combat, deux politiciennes qui se chamaillent. Les associations de défense des femmes attendent. Les solutions peinent à se frayer un chemin. La lutte contre le sexisme est un combat encore bien présent aujourd’hui. Une réalité qui ne s’avoue peut-être pas tout à fait vaincue… . M. S.

SEXISME

Une préoccupation politique ?

Par Maud Steinbach

En 2012, le reportage « Femme de la rue » lève le tabou du sexisme en rue. La ministre Joëlle Milquet lance un projet de loi pour lutter contre le sexisme. Ecolo et CDH se disputent l’initiative. Pour Irène Zeilinger, fondatrice de l’ASBL Garance, cette loi ne changera rien. Réel progrès ou désillusions ?

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C’est l’excision ou l’exclusion

« Pars, tu me gênes. Va re-garder la télé. » Teliwel a 27 ans. Elle chasse son compagnon de la pièce pour évoquer un souvenir intolérable. Elle a enduré l’excision deux fois, à 8 et 15 ans, dans son pays, en Guinée. Là-bas, presque toutes les filles subissent la coupure, sans anes-thésie. « On est nés dedans. C’est la coutume, point final. Si une maman refuse que sa fille passe par là, les voisins agissent parfois sans la consulter. Ils croient bien faire. » Un rite de passage obligé : pour trouver un mari, fonder une famille. La fillette sera fêtée, couverte de cadeaux. La jeune femme se renforcera, s’immunisera contre la douleur. Elle gagnera le respect. Pour Stépha-nie Coppee, sociologue au planning familial, la tradition dépasse la mutilation physique. Elle attribue un genre, un rôle bien défini à la femme. « C’est une tradition struc-turante, qui permet de s’intégrer dans la société. Etre une bonne mère, c’est permettre à son enfant qu’elle se sente bien dans la communauté où elle vit. On ne peut pas laisser tomber cette tradition sans un équivalent au niveau structuration. » Dans une société aux rôles très figés, c’est l’excision ou l’exclusion. La mère de Teliwel ne lui a jamais montré son soutien dans sa lutte. « Je pa-rie qu’au fond elle sait très bien que je me bats pour une bonne cause, mais la tradition est tellement ancrée en elle qu’elle n’a jamais eu le courage de me le dire. »

Après être devenue militante, Teliwel est reniée. Elle est menacée de mort. Il y a quatre ans, elle reçoit l’asile en Belgique. Elle cherchait un pays d’où poursuivre son combat. En Belgique, en 5 ans, le nombre de femmes ex-cisées a plus que doublé. Le service fédéral de la Santé publique a estimé récemment que 4085 filles sont « po-tentiellement à risque ». Les excisions se pratiquent-elles sur notre territoire ? Il n’y a que des rumeurs. On le suppose, même si aucune plainte n’est arrivée jusqu’à

la police. Les filles sont souvent mineures : très difficile pour elles de se retourner contre leur famille. Chez nous, une loi pénalise depuis 2000 « toute personne qui aura pratiqué, facilité ou favorisé l’excision ». Même si au-cune condamnation n’a été prononcée, elle joue surtout un rôle de prévention. « Nous sensibilisons les acteurs du secteur médico-social, tous ceux qui pourraient être en contact avec les populations à risque. Cela permet de leur expliquer qu’ils risquent une peine de prison, et d’empêcher les cas d’excision » explique Charlotte Che-valier, juriste à l’association Intact.

Laisser tomber la tradition, les hommes ont beaucoup à y gagner : au niveau de leur relation de couple par exem-ple. Teliwel explique. « C’est très difficile pour un hom-me d’avoir une femme excisée. Parfois, tu ne peux pas avoir de rapports sexuels avec elle, ça ne va pas dans le couple. » Les pères s’occupent plus de leurs enfants au-jourd’hui. « Ce sont peut-être des papas qui voient leur fille souffrir, ou mourir. » Les hommes ont beaucoup à perdre aussi. C’est une question d’honneur. Etre marié à une femme qui n’est pas excisée, c’est comme être marié à une prostituée. Les mentalités évoluent lentement. D’après un rapport de l’Unicef de 2013, plus d’hom-mes que de femmes se prononcent contre l’excision en Guinée. Pour Teliwel, la tradition est trop enracinée. « Même si les hommes disaient être contre, changer les habitudes resterait un solide combat, les femmes con-tinueraient de perpétuer la tradition. » . S. P.

MUTILATIONS GÉNITALES

Par Sandrine Puissant

L’excision se pratique sur-tout en Afrique de l’Est et de l’Ouest, mais pas unique-ment. A Tuz Khurmatu, au Nord de l’Irak, une voisine excise la jeune Sheelan.

Plus de 13.000 femmes excisées vivent en Belgique. Teliwel est l’une d’entre elles. Elle a fui, après sa révolte contre une coutume profondément ancrée. Les mutilations génitales féminines n’affectent pas que les femmes. Des hommes aussi se prononcent contre la tradition.

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