12
Bulletin de l’association de géographes français Géographies 95-3 | 2018 Collectivement géographe : le Groupe Dupont Le Groupe Dupont,45 ans de recherches sur les systèmes territoriaux Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems Jean-Pierre Marchand Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/bagf/3529 DOI : 10.4000/bagf.3529 ISSN : 2275-5195 Éditeur Association AGF Édition imprimée Date de publication : 14 décembre 2018 Pagination : 337-347 ISSN : 0004-5322 Référence électronique Jean-Pierre Marchand, « Le Groupe Dupont,45 ans de recherches sur les systèmes territoriaux », Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 95-3 | 2018, mis en ligne le 14 décembre 2019, consulté le 12 décembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/bagf/3529 ; DOI : 10.4000/bagf. 3529 Bulletin de l’association de géographes français

Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

Bulletin de l’association de géographesfrançaisGéographies 95-3 | 2018Collectivement géographe : le Groupe Dupont

Le Groupe Dupont,45 ans de recherches sur lessystèmes territoriaux Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

Jean-Pierre Marchand

Édition électroniqueURL : http://journals.openedition.org/bagf/3529DOI : 10.4000/bagf.3529ISSN : 2275-5195

ÉditeurAssociation AGF

Édition impriméeDate de publication : 14 décembre 2018Pagination : 337-347ISSN : 0004-5322

Référence électroniqueJean-Pierre Marchand, « Le Groupe Dupont,45 ans de recherches sur les systèmes territoriaux », Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 95-3 | 2018, mis en ligne le 14 décembre 2019,consulté le 12 décembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/bagf/3529 ; DOI : 10.4000/bagf.3529

Bulletin de l’association de géographes français

Page 2: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

Le Groupe Dupont45 ans de recherches sur les systèmes

territoriaux 

(GROUPE DUPONT, 45 YEARS OF RESEARCH ONTERRITORIAL SYSTEMS)

Jean-Pierre MARCHAND*

« Tous nos outils de pensée ne sont jamais que des casparticuliers de ce que sauront concevoir nos petits enfants »

C.-P. Péguy (2001)

RÉSUMÉ – Le groupe Dupont s’est formé en réaction à une géographie néo-vidalienne.Ses premières recherches sont en géographie quantitative. Puis l’analyse systémiquepermet une approche du concept du territoire de son fonctionnement et sastructuration, du rôle du temps dans sa systémogénèse et son autoreproduction etdébouche sur une vision globale de la géographie.

Mots-clés : Groupe Dupont – Analyse de système – Systèmes territoriaux – Théorie dela géographie.

ABSTRACT – The « Groupe Dupont » was created as a reaction against neo-vidaliangeography. Its initial research was in quantitative geography. Then systemic analysisprovided an approach to the concept of territory, its functioning and structuring, therole of time in its systemogenesis and self-reproduction, leading to a global vision ofgeography

Key words: Groupe Dupont – Systemic analysis – Territorial systems – Theory ofgeography.

Les années post soixante-huit sont marquées pour une minorité degéographes par une réaction contre le paradigme néo-vidalien et peut-être plusencore contre la pesanteur mandarinale. La découverte de l’analyse spatialeanglo-saxonne, les colloques de géographie quantitative de Besançon, les

* Professeur émérite à l’université de Rennes 2, Groupe Dupont – Courriel : [email protected]

Page 3: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

338 J.-P. MARCHAND

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

stages d’analyse de données du CNRS, la création de « L’Espacegéographique » par R. Brunet en sont, parmi d’autres, l’illustration. Comme« Espace–temps », le groupe Dupont naît dans ce contexte en 1972 [Vigouroux1978, Chamussy 2015]. Au départ, groupe d’autoformation aux techniquesstatistiques appliquées à la géographie, il va élargir ses champs d’activités àdes réflexions théoriques et épistémologiques, dont les colloques bisannuels« Géopoint » seront les marqueurs scientifiques amenant à des réflexionsthéoriques sur le thème choisi, non sans discussions internes. C’est cetterencontre entre « la théorie générale des systèmes » [Lemoigne 1977] et un termepolysémique, le territoire, devenu un concept de la géographie via cette théoriequi est abordée ici.

Si ce paradigme est accepté par l’ensemble du Groupe, il ne faut pas croire àune « pensée unique ». Les motivations sont diverses : F. Auriac cherche àconcilier marxisme et système [Auriac 1982], Pour F. Durand-Dastès, laquestion quasiment consubstantielle à la géographie est « pourquoi ici et pasailleurs » [Durand-Dastès 1984], et il s’interroge sur le rôle du temps dansl’organisation de l’espace en abordant la systémogénèse des territoires.L’évolution des territoires amène à préciser également le rôle de la résiliencedes systèmes territoriaux ce qui implique que soient traités simultanémenttemps longs et temps courts.

M. Le Berre, déçue par la géographie régionale néo vidalienne, inscritl’espace dans le paradigme systémique [Le Berre 1980] : le territoire devientpour elle une application de la théorie des systèmes à la géographie et elleformalise la rétroaction du territoire sur les agents. Quant à l’auteur de ceslignes, il cherchait au départ à travers le système territorial à faire cesser lehiatus entre nature et société.

La position de J.-P.Ferrier et son cycle sur les modernités montrent unedémarche originale à l’intérieur du groupe [Ferrier 1982, 2003]. Sans éluder lanotion de système, il propose une vision culturelle du territoire, à trois niveaux(vie quotidienne, régional et monde) formant un « espace à métriquetopographique » opposé à un espace aréolaire en réseau. Il y voit unagencement de ressources matérielles capable de structurer l’existence d’unindividu ou d’un collectif social et de les informer en retour sur leur propreidentité. Pour lui, le territoire n’est qu’une étape qui doit déboucher sur laterritorialité.

1. De la géographie quantitative à une conception systémique duterritoire

Les débuts de Dupont, sa phase « analyse de données », amènent des articlesutilisant AFC, ACP, CAH, Nuées dynamiques, qui paraissent dans denouvelles revues (Espace géographique, Brouillons Dupont, Informatique etSciences humaines, Analyse spatiale, etc) ou dans des plus classiques [Groupe

Page 4: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

45 ANS DE RECHERCHES SUR LES SYSTÈMES TERRITORIAUX 339

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

Dupont 1975]. La thèse d’A. Dauphiné (1974) sur les pluies méditerranéennesest pionnière dans ce domaine. Le travail d’apprentissage et de transfert estillustré par le « Chadule » [Chadule 1974] qui témoigne d’un travail énormed’apprentissage et de pédagogie de la part des auteurs. Il est le premier manuelde statistique dédié à la géographie depuis celui de Ch.-P. Péguy [Péguy 1948] etavant ceux de L. Sanders (1990) et de P. Dumolard et al (2003), tous membresdu groupe.

L’analyse de données amènera Dupont, à se poser des questions sur larigueur des raisonnements, sur une nouvelle logique dans la structuration del’espace, sur la notion de modèle et de résidus [Durand Dastes 1974], forçant àrepenser la géographie et ses représentations. Ils voudront très vite aller au-delà.

Et là, intervient la culture philosophique de la majorité des Duponts. Cesinterrogations débouchent en effet sur une recherche d’une autreépistémologie, sur d’autres approches théoriques (avec des impasses commerechercher des axiomes... Peut-être les thèmes des premiers Géopoint furent-ilsun peu ambitieux ….).

Dans le BD n°1 (1977), « Espace que de brouillons ….  » [Chamussy & al.1977] est le premier « manifeste » théorique issu du groupe. Ils définissent lagéographie comme « une science qui étudie un espace organisé et utilisé parune société » Sans que le terme « territoire » apparaisse – ils emploient leterme « espace » –, c’est bien d’une définition géographique du « territoire » qu’il s’agit, et parmi les outils proposés, la systémique est privilégiée avec lagéographie quantitative. Parmi ces nouvelles approches, l’analyse de systèmeallait devenir un nouveau paradigme suffisamment adapté à la géographie pourredonner un sens au terme territoire devenu par trop polysémique (et quimalheureusement le reste …). Et quasi simultanément cette recherche futdéveloppée à Grenoble, Nice, Montpellier, mais aussi à Paris, Rouen, Rennes.Elle fut aussi un outil de réflexion sur le territoire via une modélisationformelle selon des graphes sagittaux (les petites flèches !). Plus qu’un outilchez certains Duponts (M. Le Berre, H. Chamussy..), la systémique est devenuun système de pensée beaucoup plus général permettant de cerner, au-delà dela géographie, la complexité du monde.

Le système territorial est ainsi devenu l’ADN de l’analyse spatiale des« Duponts », mais toujours avec un regard épistémologique, dans uneconception de la géographie qui prend l’approche systémique comme baseconceptuelle de la réflexion théorique sur les territoires en utilisant l’analyse dedonnées comme outil de différentions spatiales. Dans leurs thèses, F. Auriac(1979) utilise des ACP et applique la démarche systémique au vignoblelanguedocien dans un cadre marxiste, et J.-P. Marchand (1983) utilise AFC,nuées dynamiques et analyse de système pour étudier les relations pluie-sociétéen Irlande.

Page 5: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

340 J.-P. MARCHAND

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

La thèse de Maryvonne Le Berre, « De l’induction à la modélisationsystémique » [Le Berre 1987], traduit ce cheminement qui va d’une désillusionvis à vis de la géographie régionale à la modélisation systémique commeapplication (1984) de la théorie générale des systèmes à la modélisationsystémique des territoires.

Dupont a d’abord suivi une démarche qualitative, les interactions étantreprésentées par des « petites flèches » : leur compréhension est intuitive etpermet une complexification croissante en s’appliquant aussi bien aux agentsqu’au lieux et illustrée par l’exemple pédagogique de F. Durand-Dastès[Durand-Dastes 1982] sur « les montagnes vieilles et jeunes » d’après un dessinde Reiser qui permet de passer de modèles localisés à un modèle général desloisirs. Leur valeur heuristique en fait un préalable à toute formalisation pluscomplexe que ce soit sous forme de flux ou de stocks [Le Berre 1987]. Leurintérêt pédagogique est évident comme le montre l’explication systémique dela mousson par F. Durand-Dastès [Durand-Dastès 1979]. Elle permet le dialogueentre chercheurs de disciplines diverses et a une valeur explicative engéohistoire [Grataloup 1996] ou en géographie historique [Marchand 1983]. Maiselle ne donne pas de valeur aux flèches et rend mal compte de scénariosprospectifs.

Des chercheurs d’autres disciplines, J-L Lemoigne, B. Paulré, F.Reichenman entre autres, ont fortement influencé le Groupe, que ce soit via lathéorie du système général et par les possibilités offertes par la modélisationmathématique. Cette dernière permet, outre la compréhension dufonctionnement, de tester des scénarios et a donc une valeur plusopérationnelle. Elle permet également de complexifier progressivement commele montrent le modèle AMORAL [Chamussy & al. 1984] utilisant les travaux deForrester pour décrire le fonctionnement d’une vallée des Alpes du sud et lesscénarios possibles de son avenir. Mais le modèle AMORAL est a-spatial et nerend pas compte de la disparités des lieux.

Utilisant des techniques parallèles, A. Dauphiné, de son côté, a appliqué lathéorie des systèmes complexes, englobant l’analyse systémique, à la gestiondes risques [Dauphiné 2001]. Considérer le territoire comme un systèmecomplexe suppose qu’il a un comportement « global » résultant d’un jeud’interactions entre ses parties et les agents qui participent à sonfonctionnement. Ces différents paramètres doivent lui permettre de s’organiserautour d’un point d’équilibre et d’assurer son autoreproduction [Durand-Dastès2010]. F. Auriac et F. Durand-Dastès (1982) l’ont bien montré pour le vignoblelanguedocien et le modèle du ghetto afro-américain.

Les problèmes à résoudre selon M. Le Berre sont ceux de la complexitéspatiale, de l’homogénéité/hétérogénéité des territoires et des interactions entreleurs fonctionnements d’une part et leurs structurations d’autre part [Le Berre1984, 1991]. Elle a théorisé [Le Berre 1984] cette dualité en montrant que « Pourassurer ses fonctions vitales tout groupe social s’approprie et façonne une

Page 6: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

45 ANS DE RECHERCHES SUR LES SYSTÈMES TERRITORIAUX 341

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

portion plus ou moins étendue de la surface terrestre et, ce faisant, il aménageun espace X qui devient son territoire T…. et qui réagit sur les agents qui l’ontfaçonné ».  Il existe donc deux systèmes entre les agents et entre lieux qui sontdialectiquement liés. Selon ce « théorème » J-P Marchand a juxtaposé lessystèmes entre lieux et entre agents du territoire Irlandais qui, avec lamodélisation graphique, forment une chaîne d’anamorphoses [Marchand 1996].

De façon générale, l’analyse systémique a été plus utilisée pour lefonctionnement des territoires, alors que l’analyse de données l’a plus été pourleurs structurations [Chadule 1975] tout en utilisant les travaux de R. Brunet surles chorèmes [Brunet 1980, 1986], les discontinuités [Brunet 1969] et les champs[Brunet 1980] ainsi ceux d’A. Reynaud [Reynaud 1981] sur les organisationscentre – périphérie.

Le groupe va être impliqué fortement dans les activités de RECLUS àtravers l’Atlas de France et la Géographie Universelle. Trois Duponts serontdirecteurs de volume, une dizaine d’autres y participeront (Mondes nouveaux,Europe du Nord, Europe du sud, Mondes indiens). C’est sans compter sur lesnombreux articles, livres et communications dans des colloques internationauxen particulier celui bisannuel de l’ « European Colloquium on Theoretical andQuantitative Geography ».

2. Le temps modifie incessamment l’espace (E. Reclus 1905)

Selon C. Grataloup, « l’histoire est un personnage géographique depremière grandeur » [Grataloup 1990]. Pour lui les territoires peuvent avoir euplusieurs fonctions : par exemple le Japon [Grataloup 1996] a été successivementmarge, puis lieu protégé et enfin un pôle actif du « territoire monde ». Il montre[Durand-Dastès 2010] « comment des séquences types, favorisées par despositions par rapport à des ensembles naturels ou géopolitique» sont dotéesd’une certaine permanence ».

Si le territoire est un système complexe, il n’est pas qu’un présent, il a aussiun passé et un avenir. Se poser la question, c’est se poser celle des rapports dutemps aux territoires, et donc ceux entre la géographie et l’histoire. Lestemporalités de F. Braudel [Braudel 1949], le temps linéaire sont inadaptés auxémergences, aux multiples facettes du passé des territoires. Les vitessesdifférenciées, l’accélération, la prise en considération des temps multiplesrégissant le passé d’un territoire font que l’histoire, au sens traditionnel duterme, apparaît comme n’étant plus adaptée à une géographe moderneraisonnant en terme de système. C’est le but des « modernités successives » deJ.-P. Ferrier [Ferrier 1989].

L’évolution des territoires amène à préciser le rôle du temps et de larésilience des systèmes territoriaux, ce qui implique que soient traitéssimultanément temps longs et temps courts. Posant la question « pourquoi là etpas ailleurs ? », F. Durand-Dastès a montré la nécessité de s’interroger sur la

Page 7: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

342 J.-P. MARCHAND

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

systémogénèse de territoires. Le modèle à l’équilibre du « ghetto noir » [Auriac& Durand Dastès 1981] est précédé d’un autre système, dynamique, montrant lamise en place de ces ghettos dans les États unis de la fin du XIXème siècle.Avec le système « pundjabi » [Durand-Dastès 1995, 2010] il va plus loin et opposele temps intrasystémique de l’autoreproduction, aux temps intersystémiquesqui prévalent lors de la systémogénèse avec les phases lentes de la formationdu seuil Indo-Gangétique, celles des changements climatiques amenant unclimat sec et la phase plus rapide à l’échelle séculaire de l’urbanisation quiamènent l’existence d’un front pionnier, toutes expliquant la résilience duterritoire « pundjabi » et son organisation actuelle.

J-P. Marchand a étudié la systémolyse du territoire irlandais lors de « Lagrande famine irlandaise (1845-1852) [Marchand 1983]. Celle-ci est due à lastabilité sociale du landlorisme colonial, face à une succession d’étés humidescausant la perte des pommes de terre entraînant la famine, alors que lesmauvaises qualités des moissons réduisaient le numéraire. Le fonctionnementdu système territorial en est suffisamment perturbé pour entraîner mortalité etexil. Ce modèle « aléas – vulnérabilité » entre agents entraîne unesystémogénèse spatiale modifiant profondément l’Irlande et qui perdure encoreaujourd’hui.

3. Le territoire pour réduire les « craquements de la géographie »

En 1969, André Meynier s’inquiétait du « temps des craquements » d’unegéographie jadis « unitaire », du moins en façade [Meynier 1969]. La coupuredevenait de plus en plus nette entre les géographies physique et humaine,théoriquement en synthèse dans la géographie régionale, ce que dénonçait R.Brunet [Brunet 1972]. Mais cette opposition« trouve son origine dans uneconfusion entre les différences existant entre processus  naturels d’une part etprocessus socio-économiques d’autre part…. Les séparer radicalement seraitoublier qu’elles ont au moins deux traits communs que sont le temps etl’espace : le temps, dès lors que l’on parle d’évolution, de transformation, dedynamique et qui suppose variation et variabilité, l’espace parce que toutesont des localisations, des répartitions, de l’anisotropie et des niveauxscalaires imbriqués » [Marchand 1996].

Fortement influencé par les apports théoriques de R.Brunet, F. Durand-Dastès, et M. Le Berre, je fais l’hypothèse que les agents naturels et sociétauxsont sur le même plan conceptuel [Marchand 1980, 1986]. Dans le cadre d’unparadigme systémique, il ressort, si on accepte cette hypothèse, qu’un systèmeterritorial peut être assimilé à un jeu de contraintes positives ou négatives eninteractions, Ainsi le politique, les temporalités, le social, les mentalités,l’économique, le physique et le naturel créent des contraintes, des agents dirontcertains en référence aux systèmes « multi-agents », et organisent les territoiresqui rétroagissent sur les contraintes. C’est cette formalisation des systèmes

Page 8: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

45 ANS DE RECHERCHES SUR LES SYSTÈMES TERRITORIAUX 343

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

territoriaux qui autorise à mettre sur le même plan conceptuel les contraintesphysiques et naturelles d’une part et celles qui relèvent d’approchessocioéconomiques d’autre part. [Marchand 1986, 1996].

Dans ces conditions, tous ces contraintes (ou agents) sont à mettre sur lemême plan conceptuel à l’intérieur d’un même système. Aucune n’est à prioriprépondérante mais elles peuvent l’être, aucune n’est négligeable, mais parfoiscela arrive. Chacune représente une part de l’explication d’un territoire, unpourcentage de variance allant de 0%+ _ à 100%- _. Mais quelle que soit saspécialité, le géographe ne doit pas oublier que toutes les autres ont un rôle àjouer dans le couple fonctionnement/structuration.

Figure 1 – Les relations entre territoires de niveaux scalaires différents

On peut représenter à la suite de Maryvonne Le Berre [Le Berre 1984], lesrelations entre territoires de niveaux scalaires différents par le schémathéorique de la figure 1 [Marchand 2003, 2010] : quel que soit un territoire (Ai), ila un fonctionnement qui peut être représenté par un système entre agentstraduisant une certaine stabilité spatio-temporelle. Mais ce territoire n’est pashomogène car le fonctionnement ainsi créé a introduit des différenciationsspatiales et donc des territoires Ai et Bi qui, quels que soient leurs niveauxscalaires ont leurs propres fonctionnements (Fa, Fb), ce qui induit de nouveaux

Page 9: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

344 J.-P. MARCHAND

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

territoires à des niveaux scalaires inférieurs et ainsi de suite jusqu’aux niveauxles plus petits. On a ainsi une gamme de territoires emboîtés (Ai, Bi) eninteractions réciproques entre eux, ayant leurs propres fonctionnements (FAi,FBi) qui sont eux-mêmes en interactions. Ainsi ces divers fonctionnementscréent de la cohésion et les structures de niveau supérieurs et inférieursparticipent au fonctionnement des territoires quelle qu’en soit l’échelle.

Ce schéma permet donc de rendre compte de plusieurs concepts de lagéographie : les échelles et l’autocorrélation spatiale, la structuration (et doncla forme), les interactions entre fonctionnement des différents territoires. Cemodèle théorique hiérarchisé de l’organisation territoriale montre bien qu’il y aune prise en compte simultanée de différents niveaux scalaires, que cette« échelle mobile » prend en compte tous les emboîtements de l’espace terrestre(et au-delà puisque le soleil est une entrée d’énergie primordiale), depuis lesystème monde jusqu’aux niveaux d’échelle les plus fins. La limite inférieure,pour moi, est, celle où cessent les interactions entre les territoires pour nelaisser que les liens entre individus, à la différence de ce que propose J.-P.Ferrier. L’espace devient ainsi bien différencié (Dumolard 1981). Il montreaussi que les « interactions entre territoires » qui ne sont pas obligatoirementsur le même niveau scalaire forment également un système géré par lefonctionnement des territoires de niveaux inférieurs et supérieurs. Dans lemême ordre d’idée, le modèle montre l’existence des systèmes entre agents etcontraintes gérés par les territoires concernés qui forment leur« environnement ».

Ainsi, à chaque niveau scalaire, ce fonctionnement est structuré par lesconfigurations spatiales qui l’entourent, qu’elles soient sur le même niveauscalaire ou à des niveaux différents. A un niveau donné, on peut entrer dans lesystème territorial aussi bien par les configurations que par les agents.Réciproquement les organisations spatiales sont, à leur tour, gérées par le jeudes acteurs des niveaux scalaires englobants. Le modèle tel qu’il apparaît sur lafigure 1 permet de s’abstraire du principe « du renversement de l’ordre desfacteurs », l’hypothèse de base de la géographie sociale théorisée par R.Rochefort : « ce qui est premier en géographie sociale, c'est la société et nonl'espace. Ce sont les mécanismes, les processus sociaux et sociétaux, le jeu desacteurs publics ou privés de toutes espèces. Si l'on ne cherche pas la société audépart, on ne la trouve pas à l'arrivée [...]. Le moteur, la clé, c'est la société.L'espace est toujours second et si l'on commence par lui, on risque de ne pascomprendre » [Rochefort 1984]. Le modèle tel qu’il est décrit plus haut réduitdonc fortement l’argumentaire de R. Rochefort qui lui-même a été nuancé parG. Di Méo [Di Méo 1998] assez proche en cela de J.-P. Ferrier.

Page 10: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

45 ANS DE RECHERCHES SUR LES SYSTÈMES TERRITORIAUX 345

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

Conclusion

Pendant plus de 40 ans le groupe Dupont a développé une réflexionthéorique sur les territoires en adoptant un paradigme fondé sur un jeud’interactions, mais toujours avec un regard épistémologique, dans uneconception de la géographie qui prend l’approche systémique comme baseconceptuelle. Ce fut une belle aventure scientifique mais aussi amicale,clôturée à chaque réunion par un hymne au « qualitatif » au « Vieux moulin »,à Velleron, puis à « la Fourchette » et enfin au « Caveau du théâtre ». Et enhommage à H. Chamussy et M. Vigouroux, crions pour que le pont d’Avignon(mais pas le groupe !) reste une exception…

Références bibliographiques(* : non membre du Groupe Dupont)

- AURIAC, F. (1983) – Système économique et espace, Paris, Economica, 215 p.- AURIAC F. & DURAND-DASTÈS, F. (1981) – « Réflexions sur quelquesdéveloppements de l’analyse de système en géographie française», Brouillons Dupont, n°7,pp. 71-80.- *BRAUDEL, F. (1949-1990), La Méditerranée au temps de Philippe II, tome 1 : La partdu milieu, Paris, A. Colin. 513 p.- *BRUNET R. (1969), Les phénomènes de discontinuités en géographie, Paris, CNRS, 117p.- *BRUNET R (1972),  « Pour une théorie de la géographie régionale », in Collectif, Lapensée géographique contemporaine », mélanges offerts au professeur A. Meynier, Rennes,Presses Universitaires de Bretagne. pp. 649-662.- *BRUNET, R. (1980) – « La composition des modèles dans l’analyse spatiale » L’EspaceGéographique, vol. 9, n°4, pp. 253-265.*BRUNET, R. (1986) – « La carte-modèle et les chorèmes », Mappemonde, n° 86/4, pp. 2-6.*BRUNET, R. (1990) – « Le déchiffrement du Monde » in Mondes nouveaux. Tome 1 de laG.U. RECLUS, Paris, Hachette, pp. 10-173- CHADULE (1974) (CHAMUSSY, H, CHARRE, .J, DUMOLARD, P., DURAND, M.-G.,& LE BERRE, M.) – Initiation aux méthodes statistiques en géographie, Paris, Masson, 192p.- CHADULE  (1975) – « Classification socio-économique de 176 communes autour deGrenoble. », Revue de Géographie Alpine, vol. 63, n° 2, pp. 175-20.- CHAMUSSY, H. (2015) – « Le Groupe Dupont dans le renouvellement de lagéographie », Bulletin de l’AGF, vol. 92, n°1, pp. 34-41.- CHAMUSSY, H., CHARRE J. , DURAND, M.G., & LE BERRE, M. (1977) – « Espace,que de brouillons on commet en ton nom », Brouillons Dupont, n°1. pp. 15-30.- CHAMUSSY, H, *GUÉRIN, J-P., LE BERRE, M. & UVIETTA, P. (1984) – «  Ladynamique de systèmes : une méthode de modélisation des unités spatiales », L’EspaceGéographique, vol. 13, n°2, pp. 81-93.

Page 11: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

346 J.-P. MARCHAND

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

- CHAMUSSY, H, CHARRE, J., DURAND, M.-G, *GUÉRIN J-P., LE BERRE, M. &UVIETTA, P. (1984) – « Une expérience de modélisation dynamique pour des interventionsen aménagement du territoire : le modèle AMORAL » in Y. Guermond (coord.), Analyse desystème en géographie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, pp. 127-146.- DAUPHINÉ, A. (1973-1975), Les précipitations dans les Midis français, Paris. HonoréChampion, 585 p.- DAUPHINÉ, A. (2001) – Risques et catastrophes, Paris, A.Colin. 288 p.- *DAVID, J & LE BERRE, M. (1987) – La montagne française, Paris, La Documentationphotographique, n°6090, 21 p.- *DI MÉO, G. (1998) – Géographie sociale et territoire, Paris, Nathan, 320 p.- DUMOLARD, P. (1981) – L’espace différencié, Paris, Economica, 205 p.- DURAND-DASTÈS, F. (1974) – « Sur l’utilisation des modèles en géographie », Bulletinde l’AGF, n°413-414, pp 43-50.- DURAND-DASTÈS, F. (1979) – «  Ordres de grandeur des systèmes de circulation etexplication des climats : l’exemple de l’Inde », L’Espace Géographique, vol 8, n° 1, pp. 15-23.- DURAND-DASTÈS, F. (1982) – « Montagnes vieilles », Brouillons Dupont, n° 9, p. 37.- DURAND-DASTÈS, F. (1984), « Systèmes et localisations, problèmes théoriques etformels », Avignon, Géopoint 84, pp. 19-44.- DURAND-DASTÈS, F. (1991), « La géographie et les mémoires de Gaïa », in Géopoint1990, pp. 141-147- DURAND-DASTÈS, F. (1995) – Monde indien, Géographie universelle RECLUS t. VIII,Paris, Belin, pp. 244-381- DURAND-DASTÈS, F. (2010) – « Le temps, la Géographie et ses modèles » Bull. Soc.géographique de Liège, n° 1, pp. 5-13.- FERRAS, R (1993) – Les modèles cartographiques en géographie, Paris, Economica, 112p.- FERRIER J.-P. (1982) – « Le territoire de la vie quotidienne et le référentiel habitant :recherche de niveaux signifiants dans l’analyse géographique » Géopoint 82, pp.171-197.- FERRIER J.-P. (1989) – « Une nouvelle géographie classique pour une modernité dutroisième type », Espace-Temps, vol. 40, n° 1, pp. 41-49- FERRIER J.-P. (2003) : « Territoire », in Dictionnaire de la géographie et de l’espace dessociétés. (dir. J. Lévy et M. Lussault), Paris, Belin, pp. 907-916.- GRATALOUP, C. (1990) – « L’Histoire, un personnage géographique de premièregrandeur. », Géopoint 90. p. 155-164.- GRATALOUP, C. (1996) – Lieux d’histoire, essai de géohistoire systématique ParisRECLUS, 200 p.- GROUPE DUPONT  (1975) – « La distance à la ville : essai d’analyses factoriellesappliquées aux cas de Grenoble et Montpellier », L’Espace Géographique, n° 1975-4, pp.225-238.- LE BERRE, M. (1982) –  « Heurs et malheurs de la géographie régionale », TIGReims,n°41-42. pp. 3-19- LE BERRE, M. (1982) – « Le territoire dans ses rapports à l’espace géographique.Concept ancien, utilisation nouvelle », in Géopoint, 1982, Les territoires de la viequotidienne, Groupe Dupont, Université de Genève, Université de Lausanne, 442 p.- LE BERRE, M. (1984)  – « Pour une modélisation systémique de la différentiationspatiale ». in Coll Géopoint : Systèmes et localisations, p 151-156.- LE BERRE, M. (1987) – De l’induction à la modélisation systémique, Thèse de doctoratd’état, Besançon, Université de Besançon, 2 vol., 551 p.

Page 12: Groupe Dupont, 45 years of research on territorial systems

45 ANS DE RECHERCHES SUR LES SYSTÈMES TERRITORIAUX 347

BAGF – GÉOGRAPHIES – 2018-3

- LE BERRE, M. (1992) – « Territoires », in A. Bailly, R. Ferras & D. Pumain (dir.),Encyclopédie de la géographie, Paris, Economica, pp. 617-633.- *LEMOIGNE J.-L. (1977) – La théorie du système général ; théorie de la modélisation,Paris, PUF. 352 p.- MARCHAND, J.-P. (1980) – « Les contraintes physiques et la géographiecontemporaine », L’Espace Géographique, vol. 9, n°3, pp. 231-240- MARCHAND, J.-P. (1983-1985) – Contraintes climatiques et espace géographique : lecas irlandais, Caen, éditions Paradigme, 336p.- MARCHAND, J.-P. (1986)  – « Géographie physique et approche régionale » L’EspaceGéographique, n° 1986-4. pp. 35-38.- MARCHAND, J.-P. (1996) – « Les contraintes naturelles et l’organisation de l’espace »,Colloque Géopoint 96 : Espace et nature dans la géographie d’aujourd’hui, Avignon, pp. 9-15.- MARCHAND, J.-P. (1996), « L’Irlande » in J.P. Marchand & P. Riquet (dir.), Europe duNord, t. IX Géographie universelle RECLUS, ¨Paris, Belin, 480 p.- MARCHAND, J.-P. (2012), « Pour une théorie globale de la géographie » colloqueGéopoint 2012, Avignon. 6p- * MEYNIER, André (1969), Histoire de la pensée géographique en France, Paris, PUF,224 p.- * PÉGUY, Ch.-P. (1948), Introduction à l’emploi des méthodes statistiques en géographiephysique, Revue de Géographie Alpine, vol. 36, n°1, pp. 7-101- * PÉGUY, Ch.-P., LE BERRE, M. & MARCHAND, J.P. (2001) – Espace, temps,complexité, Paris, Belin 283 p.- *REYNAUD, A. (1981) – Espaces, justice, société, Paris, PUF, 263 p.- *ROCHEFORT R. (1984) – « Pourquoi la géographie sociale ? », dans Collectif, De lagéographie urbaine à la géographie sociale. Sens et non-sens de l’espace, Caen, Collectiffrançais de géographie urbaine et sociale, pp. 13-17.- VIGOUROUX M. (1978) – « Dans le renouvellement de la Géographie française, leGroupe Dupont. », Brouillons Dupont, n° 2, pp. 5-7.