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La cartographie participative et la pratique du terrain dans la coopération environnementale: la restitution des savoirs traditionnels des villages de l’Afrique subsaharienne Federica Burini 1 Communication au colloque "À travers l'espace de la méthode : les dimensions du terrain en géographie", Arras, 18-20 juin 2008 Résumé L’objectif de cet article est d’illustrer le rôle de la cartographie participative réalisée dans certains villages de l’Afrique subsaharienne pendant une recherche de terrain conduite au sein d’une équipe internationale de géographes et destinée la connaissance des aires périphériques d’une très vaste aire protégée (la Réserve de Biosphère Transfrontalière W) située entre Bénin, Burkina Faso et Niger. Il s’agit d’un type particulier de cartographie qui, réalisée par les communautés locales pour représenter leur territoire, permet de faire émerger les savoirs traditionnels et certaines problématiques qui échappent des enquêtes traditionnelles. Suivant une méthodologie de recherche élaborée à l’intérieur de l’équipe de géographes de l’université de Bergame et appelée Stratégie SIGAP, la cartographie participative est considérée comme un système communicatif pouvant exprimer des valeurs et des savoirs provenant du terrain, qui ne devraient pas être négligés lors d’une planification environnementale. L’analyse se focalise donc sur les données qualitatives et quantitatives ressortant de la cartographie participative réalisée par les éleveurs transhumants peuls du Niger. Les informations recueillies sont ensuite interprétées et élaborées en des représentations cartographiques qui deviennent un instrument utile pour une gestion durable et participative du territoire. L’intérêt de la cartographie dans la recherche de terrain s’exprime ainsi à deux niveaux : i) comme un produit social qui révèle les pratiques de construction de la connaissance territoriale d’une société; ii) comme un moyen de communication capable de conditionner les actions de planification. Introduction La cartographie participative est un type cartographique qui a intéressé ces dernières années un nombre croissant de chercheurs (les géographes, les anthropologues, les ethnographes, les agronomes, etc.) et des consultants de différentes institutions (locales ou internationales) qui, avec des finalités et dans des contextes territoriaux très diversifiés, ont l’objectif commun de faire participer les communautés locales à la représentation du lieu qu’elles habitent et d’en dégager les éléments utiles pour leur implication dans les actions de planification territoriale. Ce type de cartographie est reconnu donc comme un instrument qui facilite le dialogue d’une pluralité d’acteurs, pour leur permettre de conduire une négociation ayant pour objet commun le territoire habité par une communauté qui y a déposé au cours des années ses propres valeurs et savoirs. 1 Maître de Conférences en Géographie, Université de Bergame, Italie. [email protected] halshs-00389595, version 1 - 29 May 2009 Manuscrit auteur, publié dans "À travers l'espace de la méthode : les dimensions du terrain en géographie, Arras : France (2008)"

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La cartographie participative et la pratique du terrain dans la coopération environnementale: la restitution des savoirs

traditionnels des villages de l’Afrique subsaharienne

Federica Burini1

Communication au colloque "À travers l'espace de la méthode : les dimensions du terrain en géographie", Arras, 18-20 juin 2008

Résumé

L’objectif de cet article est d’illustrer le rôle de la cartographie participative réalisée dans certains villages de l’Afrique subsaharienne pendant une recherche de terrain conduite au sein d’une équipe internationale de géographes et destinée la connaissance des aires périphériques d’une très vaste aire protégée (la Réserve de Biosphère Transfrontalière W) située entre Bénin, Burkina Faso et Niger.

Il s’agit d’un type particulier de cartographie qui, réalisée par les communautés locales pour représenter leur territoire, permet de faire émerger les savoirs traditionnels et certaines problématiques qui échappent des enquêtes traditionnelles.

Suivant une méthodologie de recherche élaborée à l’intérieur de l’équipe de géographes de l’université de Bergame et appelée Stratégie SIGAP, la cartographie participative est considérée comme un système communicatif pouvant exprimer des valeurs et des savoirs provenant du terrain, qui ne devraient pas être négligés lors d’une planification environnementale.

L’analyse se focalise donc sur les données qualitatives et quantitatives ressortant de la cartographie participative réalisée par les éleveurs transhumants peuls du Niger. Les informations recueillies sont ensuite interprétées et élaborées en des représentations cartographiques qui deviennent un instrument utile pour une gestion durable et participative du territoire. L’intérêt de la cartographie dans la recherche de terrain s’exprime ainsi à deux niveaux : i) comme un produit social qui révèle les pratiques de construction de la connaissance territoriale d’une société; ii) comme un moyen de communication capable de conditionner les actions de planification.

Introduction

La cartographie participative est un type cartographique qui a intéressé ces dernières années un nombre croissant de chercheurs (les géographes, les anthropologues, les ethnographes, les agronomes, etc.) et des consultants de différentes institutions (locales ou internationales) qui, avec des finalités et dans des contextes territoriaux très diversifiés, ont l’objectif commun de faire participer les communautés locales à la représentation du lieu qu’elles habitent et d’en dégager les éléments utiles pour leur implication dans les actions de planification territoriale. Ce type de cartographie est reconnu donc comme un instrument qui facilite le dialogue d’une pluralité d’acteurs, pour leur permettre de conduire une négociation ayant pour objet commun le territoire habité par une communauté qui y a déposé au cours des années ses propres valeurs et savoirs.

1 Maître de Conférences en Géographie, Université de Bergame, Italie. [email protected]

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A partir de cette prémisse, on comprend que cette carte ne peut pas être définie comme neutre, au contraire, elle possède des forts objectifs persuasifs, puisqu’elle montre les éléments territoriaux qui font sens pour le groupe et sélectionne l’information pour produire un message cartographique spécifique. Par conséquent, qui s’intéresse à la cartographie participative ne peut pas la considérer comme une représentation « fidèle et objective » du territoire, parce que, à l’instar de toute représentation cartographique, elle est un système communicatif qui « présente une vision spécifique du monde » (Casti, 2000). Si l’objectif n’est pas d’en tirer des informations exactes, on la considère pour des intérêts différents : i. connaître les valeurs et savoirs attribués à l’espace par des acteurs différents ; ii. découvrir les problématiques qui se cachent derrière l’utilisation d’une ressource de la part d’une pluralité de sujets ; iii. comprendre l’évolution de l’utilisation et de l’organisation du territoire au cours du temps. La communauté locale qui la réalise a donc un rôle fondamental, mais aussi celui qui en demande sa réalisation et qui va l’utiliser dans la planification territoriale : il doit nécessairement connaître en profondeur le contexte territorial et social dans lequel la carte participative est rédigée.

L’application de la Stratégie SIGAP dans la réalisation de la cartographie participative auprès des populations de l’Afrique subsaharienne

Dans cet article on va décrire la spécificité que la cartographie participative à travers l’exemple particulier de celle réalisée dans le cadre d’une recherche pluriannuelle réalisée par les géographes de l’Université de Bergame en collaboration avec les géographes de trois universités africaines, à l’intérieur d’un projet de coopération environnementale ayant pour finalité la gestion de la Réserve de Biosphère Transfrontalière W (Bénin, Burkina Faso, Niger).

Dans ce contexte, les chercheurs ont été appelés à produire une connaissance des périphéries

de cette aire protégée sur laquelle on avait très peu de connaissances et pour cette raison, les recherches se sont succédées pendant des différentes saisons sèches, à l’intérieur des villages situés autour du parc, en adoptant la Stratégie SIGAP (Systèmes d’information Géographique pour les aires protégées)2. Il s’agit d’une stratégie de recherche qui prévoit une présence prolongée sur le terrain afin d’explorer l’organisation socio-territoriale et de comprendre les façons des communautés locales de se rapporter aux ressources naturelles. Plus précisément, cette méthodologie prévoit quatre phases de recherche modulaire qui fournissent dans la phase finale, des instruments opérationnels. Les compétences géographiques qui ont été mises en place concernent : i. un encadrement théorique basé sur les études menés en Europe par des géographes italiens et français sur la théorie géographique de la complexité et les théories sémiotiques appliquées aux territoire mais aussi à la cartographie ; ii. un encadrement méthodologique basé sur l’observation et l’enquête qui ont été conçues en tant que participatives ; iii. l’élaboration cartographique qui est considérée centrale parmi les différentes représentations réalisées après la recherche ; iv. la création

2 C’est une méthodologie de recherche apte à réaliser des instruments cartographiques participatifs à l’aide des SIG pour traduire et rendre opérationnels les modèles de protection finalisés servant aux fins de développement durable et à la gestion participée (modèle de zonage MAB de l’UNESCO). S’inscrivant dans le champ des théories géographiques les plus récentes les valeurs profondes du territoire et l’analyse des systèmes de leur représentation, elle est fondée sur: i. une observation qui récupère non seulement les formes mais aussi les symboles et les structures territoriales à travers l’attribution d’une signification connotative au territoire ; ii. une enquête qui, organisée à partir d’un ensemble d’instruments élaborés sur la base des théories qu’on vient de citer et sur l’adoption des méthodologies participatives (PRA), prévoit la participation des acteurs locaux pour mieux montrer le rapport entre sociétés locales et ressources naturelles; iii. l’utilisation de la cartographie participative en tant qu’instrument privilégié de collecte de données sur une problématique qui intéresse les acteurs locaux et ceux impliqués dans la conservation. La Stratégie SIGAP Systèmes d’Information Géographique pour les Aires Protégées est articulée en quatre phases modulaires: l’enquête de terrain et la cartographie de connaissance ; la cartographie pour la planification ; la cartographie pour la concertation entre acteurs ; la cartographie dans les outils de capitalisation.

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d’outils multimédia pour aider le travail des gestionnaires de l’aire protégée mais aussi, étant publiés sur Internet, pour donner la possibilité de diffuser la connaissance de la zone d’étude. Ces différentes phases constituent donc la Stratégie SIGAP, où le rôle centrale de la cartographie va être explicité dans cette intervention, pour souligner son importance dans la compréhension des dynamiques locales et dans la création d’un niveau de confiance entre le géographe et les communautés locales.

La cartographie participative, qui est naît dans les années quatre-vingt, dans le contexte des

pratiques de développement rural, se développe ensuite au sein des organisations internationales vouées au développement : elle a été appelée aussi « skectch map » ou bien cartes mentale (Gould, White, 1974), et par conséquent elle n’a pas été reconnue en tant que représentation spatiale au même niveau que la cartographie euclidienne. Elle était vue comme un bon moyen de collecte de données pour des chercheurs ou de opérateurs qui ne connaissaient pas bien l’aire géographique concernée et qui devaient dans un laps de tant court comprendre les réalités de la zone. Cela a limité la possibilité d’analyse de ces cartes en tant que moyens de communication qui, si elles étaient étudiées à l’aide de la semiosis cartographique, permettaient d’identifier les acteurs et leur compétences sur les différents lieux du village, la quantification et la qualification des dynamiques en acte, les relations sociales et de pouvoir, les savoirs traditionnels sur les ressources naturelles.

Il émerge donc l’importance accordée à la cartographie participative à l’intérieur de la

Stratégie SIGAP : on a crée un modèle de cartographie réflexive qui, assumé en tant que système cartographique complexe (J. B. Harley, 1990 ; C. Jacob, 1992), peut être analysé à l’aide de la semiosis cartographique (Casti, 2000) et contribuer concrètement à la phase de planification dans une optique participative.

Ce point de vue constitue dans les dernière décennies un des défis cartographiques les plus

importants qui a suscité beaucoup de réflexions sur le rôle de la cartographie pour faire émerger des intérêts multiples du territoire, surtout dans des contextes métropolitaines (O. Soderstrom, 2000 ; B. Debarbieux, S. Lardon 2003 ; J. Levy, P. Poncet, E. Tricoire, 2004) ou bien ruraux.

La cartographie participative et la restitution des savoirs traditionnels : le cas des éleveurs du Niger

La recherche de terrain conduite à l’intérieur des périphéries de la Réserve de Biosphère Transfrontalière W a été fondée sur: i. une observation qui récupère non seulement les formes mais aussi les symboles et les structures territoriales à travers l’attribution d’une signification connotative au territoire ; ii. une enquête qui, organisée à partir d’un ensemble d’instruments élaborés sur la base des théories qu’on vient de citer et sur l’adoption des méthodologies participatives (PRA), prévoit la participation des acteurs locaux pour mieux montrer le rapport entre sociétés locales et ressources naturelles ; iii. l’utilisation de la cartographie participative en tant qu’instrument privilégié de collecte de données autour d’une problématique qui intéresse les acteurs locaux et ceux impliqués dans la conservation.

Si l’ont s’intéresse à ce dernier aspect, l’importance qu’on associe à la carte participative est

celle de montrer, une fois analysée en suivant la semiosis cartographique, les aspects du territoire à travers l’icône cartographique3. Il s’agit d’une figure sémiotique formée par le nom du lieu 3 Pour souligner le rôle de cette figure sémiotique à l’intérieur du document cartographique, E. Casti a proposé une analyse de la cartographie en tant que système communicatif capable de montrer les instances identitaires de la société qui a construit le territoire. Voir à ce propos : E. Casti, "L'iconisation cartographique en Afrique coloniale", dans: Jean-Paul Bord, Pierre Robert Baduel (dir.), Le cartes de la connaissance, Karthala - Urbama, Paris-Tours, 2004, pp. 419-

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(désignateur) accompagné par des signes graphiques (couleurs, formes, ..), capable de communiquer à un double niveau : denotatif et connotatif. Il faut souligner que le toponyme est un élément très important à l’intérieur de l’icône puisqu’il peut orienter toute la compréhension du message cartographique. Cette importance a été confirmée pendant les recherches de terrain puisque chez les groupes ethniques indagués (Mokollés, Batonous, Peuls, Gourmantchés, Fulmangani, Dendi, Djerma, Bella, Haoussa), derrière chaque nom, sont cachés une histoire et un système cognitif. Par conséquent, si, sur le plan dénotatif, l’icône produit des informations relatives à la spatialité (morphologie, hydrographie, pédologie, végétation) et recouvre par conséquent un caractère descriptif, sur le plan connotatif, elle transmet des valeurs concernant l’organisation territoriale traditionnelle. En particulier, en communiquant le statut des lieux qui répondent aux principes du droit foncier traditionnel basés sur la transmission gérontocratique du pouvoir, l’icône peut indiquer, pour chaque lieu, l’autorité qui gère le territoire, les acteurs impliqués, les activités qu’y sont pratiquées et donc leurs savoirs traditionnels.

Ces derniers sont des systèmes cognitifs qui permettent de s’approprier de l’espace, de créer

et transformer le territoire, de conserver les ressources naturelles. Les savoirs traditionnels sont multiples et peuvent être organisés en trois groupes : localisationnels, fixant une référence à la superficie terrestre, indiquant la position et l’orientation ; symboliques, transférant au lieu des valeurs socialement reconnues, comme des événements historiques, le mythe et la sacralité, et performatifs ou transformatifs, véhiculant un patrimoine de connaissances qu’on peut résumer en fonctionnels, sécuritaires et juridictionnels. Les premiers contiennent les techniques intellectuelles et les pratiques matérielles pour les activités productives. Les deuxièmes garantissent l’optimisation de l’exploitation afin qu’elle soit le plus longue possible, assurant la stabilité de la production et la reproductibilité des ressources et donc les pratiques conservatives. Les troisièmes enfin concernent le statut des terres et les procédures qui en réglementent l’accès, comme l’organisation politique et foncière. Les savoirs les plus complexes mis au jour par la cartographie participative réalisée auprès des populations africaines sont les savoirs symboliques et performatifs.

En effet, la cartographie participative, en abandonnant la logique rédactionnelle de type

euclidien et prévoyant une pluralité d’acteurs qui se prononcent sur leur territoire, montre une mise en scène des leur vision de l’espace, une démonstrations des savoirs référés aux ressources et donc la restitutions des valeurs identitaires.

L’expérience faite dans les différents installations villageoises de la périphérie la Réserve de

Biosphère Transfrontalière W a permis de réaliser des cartes ayant différents issues communicatives. Les cartes réalisées par les éleveurs du Niger dans le campement de Kiwirkoye sont très intéressantes parce qu’elles montrent les savoirs performatifs référés à l’activité pastorale et de transhumance, et font émerger des informations inédites.

Si nous analysons la carte réalisée pour représenter l’activité pratiquée par les habitants de Kiwirkoye pendant la saison sèche (Figure 1), déjà à une première lecture on comprend qu’il s’agit d’une représentation où l’information cartographique est renfermée dans un cadre et donc communique des informations référées à des aires plutôt qu’à des parcours. D’un point de vue sémiotique, ce contour est une icône cartographique composée par la couleur verte et le toponyme Dallol référé au nom de la vallée qui constitue la limite du terroir du campement. La première information qu’on dégage est que pendant la saison sèche, le pâturage se réalise à l’intérieur du campement. Cela nous intéresse dans la mesure où l’activité de pâturage suit une logique de type zonale qui est très différente de celle de transhumance qu’on verra dans la carte suivante. A 435.; E. Casti, “The Analogical and Digital systems in Euclidean Cartography: the colonisation and iconisation of Africa”, Diskussionsbetraege Zur Kartosemiotik Und Zur Theorie Der Kartographie, vol. 4, 2001, pp. 15-28; Id., “Towards A Theory Of Interpretation: Cartographical Semiosis”, dans: Cartographica, 2005, vol. 40, n° 3, p. 1-16.

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l’intérieur du terroir, les éleveurs évoquent différentes icônes, comme Karalhima à l’intérieur de laquelle on trouve les ressources végétales (herbes, arbres, ..) et une ressource hydrique, c’est-à-dire le puit poundou. Selon les savoirs locaux, les ressources végétales et hydriques sont des indicateurs pour l’identification d’une aire de pâturage. Dans la partie supérieure de la carte on trouve aussi l’icône Djouga Dondi qui est une grande cuvette d’eau d’origine phréatique autour de laquelle les éleveurs représentent les ressources utiles pour leur activité : les herbes (ougoulli, bartabarta, sodjori, baouri) et les arbres (edi, gaori, papui, koli et alluki). En ce qui concerne les icônes référées à l’activité agricole, ils montrent Guessa Garso c’est-à-dire le champ de la concession du Garso et Yayre qu’en langue pulaar signifie « bas-fond », correspondant à l’aire que les éleveurs de Kiwirkoye ont donné aux éleveurs du campement de Tonkassare Peul. Dans ces deux icônes, on voit que, au de là des savoirs référés à l’activité pastorale, il y a aussi l’importance d’utiliser une fertilisation organique des sols pour garantir une bonne productivité en saison pluvieuse. Les deux activité – pastorale et agricole – sont donc conduites en parallèle, à travers une gestion intégrée des ressources.

Figure 1 – Carte de l’activité pastorale en saison sèche

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Figure 2 – Carte du parcours de transhumance en saison pluvieuse

Si on analyse le deuxième document cartographique (Figure 2), qui se réfère à l’activité de

transhumance, on peut affirmer que, contrairement au premier, il développe un message cartographique à travers une logique linéaire accompagnée par des éléments de type ponctuel. Il s’agit en effet de la reconstruction cartographique du parcours de transhumance suivi par des éleveurs de Kiwirkoye pendant la saison pluvieuse, lorsque les aires à l’intérieur du campement sont occupées par les cultures des céréales, sorgho et mil.

La carte, orientée avec l’est vers le bas, montre le fleuve Niger accompagné par le toponyme

Mayo qui en langue pulaar indique un cours d’eau permanent, rendu par une ligne qui en reproduit les méandres et l’affluent de la Mékrou. Par l’utilisation de lignes différentes, on montre aussi le parcours de transhumance distinguant l’aller, en direction nord-sud, du retour, en direction sud-nord. Le premier prévoit le passage parmi les champs pas encore cultivés, sans suivre les couloirs de passage établis par l’Etat nigérien. Donc, par l’utilisation d’icônes cartographiques ponctuelles on montre les lieux d’arrêt, c’est-à-dire les villages de Falmey, Koudjé, Fono Birgui et Boumba. Ce dernier est très important et donc a coté du nom, les éleveurs représentent des points qui indiquent le passage des animaux dans l’eau pour traverser le fleuve Niger. La ligne du parcours d’aller continue, montrant le village de Pekinga, côtoyant le cours d’eau Mékrou jusqu’au point d’arrivée : Orba, qui indique le fait de se déplacer dans un lieu caché pour trouver refuge.

La ligne montrant le parcours du retour suit jusqu’à un certain point celle de du parcours

aller, mais elle se différencie à partir du village de Boumba, suivant le couloir indiqué par l’Etat le long duquel on trouve des points d’arrêt et d’abreuvement afin d’éviter les conflits entre éleveurs et agriculteurs.

La description des icônes cartographique permet d’affirmer qu’on est en présence d’un document très intéressant pour plusieurs raisons. Premièrement, il montre la centralité du mouvement à l’intérieur des pratiques qui caractérisent la société peule. Deuxièmement, la carte fournit des informations concernant l’activité pastorale et de transhumance selon des principes traditionnels, plutôt que légaux : les limites de la Réserve de Biosphère Transfrontalière W et les

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limites nationales entre Niger et Bénin ne sont pas montrés sur la carte parce qu’elles n’existent pas dans l’organisation territoriale traditionnelle locale. Ce manque exprime la légitimité du parcours représenté qui répond à des critères spécifiques liés à l’expérience et donc aux savoirs hérédités qui définissent les règles d’exploitation des ressources. Il émerge une idée de spatialité qui n’est attachée à aucune orientation en s’opposant à la modalité coloniale de représenter le fleuve Niger avec une orientation qui prévoit le nord en haut, et qui permet de reconnaître la forme du double méandre qui a donné le nom au Parc « W ».

La cartographie participative et sa traduction dans les systèmes cartographiques participatifs SIG

Les pages précédentes ont souligné le caractère considérable de la cartographie participative qui, si analysée à travers un instrument théorique tel que la semiosis cartographique, est apte à montrer les aspects caractérisant le rapport entre la société qui crée la carte et le territoire représenté. Ce rapport se fonde sur des règles et des principes traditionnels qui gouvernent la vie à l'intérieur des villages et des territoires objet de la représentation, en établissant les droits sur les terres et sur les ressources naturelles. Les cartes participatives, dans cette perspective, se révèlent des systèmes communicatifs stratégiques, car, si elles sont soumises à une interprétation de caractère sémiotique elles sont apte à véhiculer les dynamiques qui règlent la survivance des populations locales et leur rapport aux ressources. Les résultats qui dérivent de la lecture des cartes participatives, quand ils sont transférés dans la cartographie informatisée produite à l'intérieur d'un projet, peuvent orienter les décisions de ceux qui doivent gérer les zones protégées et leurs périphéries en leur faisant trouver de points de rencontre avec les exigences des populations locales.

Figure 3 – Réélaboration numérique de la carte participative de Kiwirkoye

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Figure 4 – Réélaboration numérique de la carte participative de la transhumance

Ce discours se situe dans le contexte des études concernent les implications sociales des

systèmes d’information géographique et de la nouvelle cartographie qu'ils produisent (Pickles, 1995). Développées dans les années quatre-vingt-dix, les critiques dans ce contexte ouvrent des nouvelles possibilités pour la création des SIG de nouvelle génération4, qui puissent être aptes à représenter différentes visions du territoire, en récupérant les savoirs locaux, en soutenant la diversité culturelle et linguistique en évitant les conflits et les incompréhensions. En réalité, certains chercheurs américains ont commencé à déplacer l'objectif de la réflexion portant sur les possibilités d'utilisation de l'instrument technique par les communautés locales, vers deux aspects fondamentaux qui caractérisent les SIG: les données insérées dans le système et le langage cartographique utilisé.

Dans le cas des périphéries de la Réserve de Biosphère Transfrontalière W, la donnée

existante au début de la recherche était quantitative (numéro de villages, numéro d'habitants) et elle se référait aux domaines territoriaux administratifs, subdivisés par communes, préfectures, régions. La recherche a permis de récupérer des données de type quantitatif et qualitatif rapportées à l'organisation traditionnelle des villages présents dans les périphéries dans le respect des aspects socio-territoriaux des différents groupes présents dans la zone.

En outre, et on arrive ici à la deuxième réflexion sur les SIG, quand on veut transférer

l'information territoriale des documents participatifs aux documents informatisés, on doit faire face à des problèmes concernant les modalités de restitution. Le langage proposé par les systèmes

4 On trouve une analyse de ce changement dans: Cartographica, vol. 39, n. 1, 2004. En particulier voir N. Schuurman, “Guest editorial: taking a walk on the Social Side of GIS”, Cartographica, vol. 39, n.1, 2004, pp. 1-3. Pour une analyse des SIG de deuxième génération voir R. E. Sieber qui suggère la création d’un SIG/2: R.E. Sieber, “Rewiring for a GIS/2”, in: Cartographica, vol. 39, n.1, 2004, pp. 25-39.

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informatisés est basé sur un système graphique qui possède des potentialités limitées (points, lignes et polygones), pas toujours aptes à transmettre les valences connotatives des lieux. À cette intention, les systèmes de représentation numérique devraient intégrer une représentation de type analogique qui respecte la modalité africaine de restitution des phénomènes territoriaux. L'utilisation des SIG a en effet diminué le contenu de l’information territoriale produit à travers les documents participatifs et elle n'a pas considéré l’aspect symbolique des lieux c'est-à-dire ce qui décalque la fonction sociale de l'endroit et revendique la nécessité de représenter la dimension la plus profonde du territoire.

Afin de produire une représentation du territoire qui soit compréhensible par tous les acteurs

impliqués dans la conservation et qui dévient pour eux une base de négociation pour la gestion des ressources, on a du réfléchir sur les caractéristiques que la cartographie informatisée élaborée devrait avoir. Bien qu’on en soit dans une phase expérimentale, la cartographie construite à la suite de ces réflexions (voir Figure 3 et 4) possède des valeurs qui ne sont pas négligeables, puisqu'elle réunit les aspects référentiels et typiquement topographiques (les limites des zones protégées, les cours d'eau, les pistes…) de grand intérêt pour les membres du projet, avec ceux provenant de la cartographie participative qui reflètent l'organisation territoriale et les aspects identitaires (savoirs traditionnels, hiérarchie des ressources selon l’utilisation locale). Son caractère novateur est en effet celui de représenter des aspects qui normalement ne sont pas pris en compte par l'observation directe et par l'enquête générique, en produisant une information liée aux aspects sociaux des lieux et aux valeurs symboliques qui renvoient à l'organisation traditionnelle africaine.

Il faut confirmer, cependant, que la tentative de la part des chercheurs de rendre les savoirs

qui lient les communautés locales à leur territoire faillit si on s'adresse à la carte participative en cueillant seulement les aspects descriptifs, sans prendre en compte les potentialités communicatives de ce système de représentation. Cette tendance porte à produire des représentations numérisées qui montrent l'avilissement du territoire en ce qui concerne sa valence de construction sociale. On arrive donc à la définition du domaine dans lequel un effort et un engagement du chercheur est demandé ; il s'agit de rechercher le langage c'est-à-dire les modalités graphiques à utiliser dans la restitution. D'un côté, en effet, le recours au modèle analogique permet d'obtenir une représentation dont, contrairement à la représentation numérique, la lecture ne repose sur pas sur un système de décodification et qui, donnant à voir les objets tels qu’ils se présentent dans la réalité, favorise une compréhension plus immédiate. De l'autre côté, l’utilisation de la perspective, au contraire du système topographique de type zénithal, est apte à préserver les relations entre les objets, leurs rapports, à travers l'entretien analogique de la distance.

Conclusions

L’analyse des cartes réalisées par les différents groupes ethniques qui vivent autour de la Réserve de Biosphère Transfrontalière W a démontré que, à travers les icônes, les cartes participative produisent une triple issue: i) elles permettent d’évaluer le rôle des différents acteurs présent au village5; ii) elles fournissent une vision d’ensemble des changements territoriaux et des problèmes qui intéressent le terroir villageois ou bien des aires plus amples, aidant à transmettre les tensions et les situations conflictuelles; iii) elles témoignent la position du village par rapport au projet de protection environnementale produisant un clair point de départ pour faire émerger les valeurs partageables de la conservation de la nature et des stratégies pour l’obtenir.

5 Dans ce cas, on a réalisé par exemple des cartes participatives avec les femmes, les agriculteurs, les pêcheurs et les éleveurs peuls du village et on a comparé les issues communicatives. Je renvoie ici au travail cartographique réalisé dans le village de Kondio, Burkina Faso (Burini, 2007).

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La cartographie participative a donc des potentialités dans la planification territoriale : pour reconstruire les changements spatiaux, pour la création d’une confrontation entre différents acteurs sociaux, pour la représentation d’informations spatiales autrement inédites mais nécessaires pour éviter que les actions de planification soient réalisées sans connaître la réalité locale et les besoins des acteurs qui y vivent. Références bibliographiques F. BURINI, “La sémiosis cartographique dans les cartes participatives: le village de Kondio

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