1
44 HALTE AUX PRATIQUES DANGEREUSES ! Notre collègue Caroline k'eck a souligné à juste titre que N la Conservation de l'art est un travail d'experts, mais aussi L routine et qui se poursuit jour après jour, setnaine après senzr?ine, année après année N. Il en est de même de la protection des collections. Cela réclame, certes, de la technique mais avant tout un état d'esprit car si les causes de Lstruction sont nombreuses, il faut d'abord accep- ter que tout puisse artiver 2 tout moment. Absorb& dans leurs tâches journalières, les res- ponsables des nzusées n'ont pm toujours la possibì- lité ou les moyens de se renseigner sur la meilleure Errenrs d'organisation Om Prakash Agrawal Il arrive pa$ois que, dans un musée, certaines mesures soient prises dans I'intentìon de sauvegar- der des objets, mais dont les rhultnts se rhèlent plus néj5astes qu !utiles. L'une d'elles consiste à créer zin laboratoire de cotuervntioti qui diqose de nom- breux équ$ements et de produits chimiques, niais d@ourvu de personnel qual$é pour s'en servir. J'ai été témoin de cas l'on a procédé à l'achat d'équipements coûteux et de produits chimiques - avec la meilleure intention du monde - mais l'on a omis de nommer le personnel capable de les utiliser, peut-être en pensant à tort que tous les problèmes de conservation seraient automatiquement réso- lus si l'on pouvait disposer d'un bon matériel. En visitant un célèbre musée &État en Inde, j'ai constaté, non sans amusement, qu'une grande pièce avait été aménagée en <( labora- toire )). Les tables de travail étaient rutilantes et les rayonnages remplis de produits chimi- ques. On y trouvait aussi une chambre de fumigation et tout l'équipement nécessaire pour procéder à des analyses, mais seul le per- sonnel faisait défaut : il n'y avait aucun spé- cialiste de la conservation. Archéologue et spécialistede l'histoire de l'art, le conservateur en chef du musée était censé s'occuper égale- ment du travail de conservation et, de fait, il avait entrepris d'en assumer la responsabilité. Sa préoccupationprincipale était de supprimer les incrustations verdâtres qui déparaient les images de métal et les pièces de monnaie de sa collection, de manière à les rendre présenta- bles. I1 avait entendu parler du sel de La Rochelle et m'affirma. que cela était très efficace et que c'était une panacée. Pour lui, le sel de La Rochelle était utilisable dans tous les cas. On peut donc imaginer ce que seraient devenus les objets qui lui auraient été faion L protéger et de restaurer leurs collections. Souvent, avec la meilleure volonté du monde, ils travaillent d'après des recettes qu'ils ont lues ou qui font partie des habitudps. Sam vouloir dresser une liste exhaustive de tou- tes les errezirs quì sont commises dans les musées et qui causent des &"es aux collections, nous avons demmdé à des collègues (des consewatez~rs, des restaurateurs et des chimistes) de signaler un certain nombre d'erreurs d'organisation, de présen- tation et de traitement qui leur ont semblé les plus largement r@andues. Gaël de Guicheri Un laboratoire sans personnel qualifié : un danger pour les objets confiés ... Dieu sait combien de légendes frap- pées sur les pièces de monnaie, ou combien de détails gravés sur les images auraient disparu au cours de cette opération de (( conserva- tion )) ! J'ai aussi à l'esprit d'autres exemples encore l'on a créé un laboratoire de conservation et nommé de jeunes chimistes, mais per- sonne n'a pensé qu'il serait peut-être utile de les former à l'art et à la science de la conserva- tion. Dans l'un de ces cas, le chimiste dont il s'agit s'est procuré le livre de Plenderlieth - la bible du conservateur - et il s'est fait la main sur toutes sortes de matériaux, notamment sur des miniatures et d'autres objets délicats en suivant les formules données par le livre. C'était ignorer que si, en matière de conserva- tion, les connaissances théoriques sont indis- pensables, la pratique et l'expérience ont éga- lement une importance capitale. Autant vou- loir devenir médecin en se contentant de lire des manuels d'anatomie humaine et de patho- logie ou des ouvrages sur les médicaments ! Les résultats pourraient être désastreux. Et, dans ce cas précis, on ne doute pas qu'ils l'aient été. Notre Laboratoire national de conservation de Lucknow reçoit souvent des lettres de musées - de l'Inde ou de pays étrangers - qui nous demandent de leur envoyer des listes de matériel nécessaire pour tquiper un laboratoire de recherche. Le plus souvent, les lettres sont à peu près de ce style : (( I1 a été décidé de créer un laboratoire moderne de recherche scientifique pour la conservation du patri- moine culturel. Auriez-vous l'obligeance de bien vouloir nous envoyer une liste complète des équipements nécessaires avec catalogues et prix ? o. Ce genre de demande laisse perplexe. En dehors de toute autre considération, il est clair que les autorités de l'institution concer- née n'ont, dans le meilleur des cas, qu'une idée très vague de la nature du travail de conservation et de ses exigences. Malheureuse- ment, dans beaucoup de centres de formation, la situation est la même. La (( recherche )) est un terme fort prisé. C'est, semble-t-il, une question de prestige que d'être équipé, dans son institution, d'appareils de belle apparence et fort coûteux, tels que microscopes métallo- graphiques, spectrophotomètres, diffractomè- tres et systèmes de datage au carbone 14, peut-être pour pouvoir les montrer fièrement aux personnalités de passage, à l'instar des autres pièces du musée. Si les responsables du musée prenaient la conservation au sérieux, ils commenceraient par s'interroger sur les tâches futures du laboratoire, recruteraient ensuite une personne compétente et veilleraient à sa formation et, alors seulement, entrepren- draient d'acheter l'équipement nécessaire. A propos de personnel scientifique compé- tent, j'ai en mémoire certains cas des scien- tifiques qui n'avaient pas la moindre forma- tion en matière de conservation ont été nom- més à la tête d'un laboratoire scientifique. C'est un gros risque que l'on prend. En effet, le scientifique sera appelé à diriger un person- nel auquel il donnera des ordres, sans être lui- même très comp6tent en matière de conserva- tion. On croit à tort, dans beaucoup de pays, qu'il suffit d'avoir un diplôme de chimie ou de physique pour pouvoir, sans autre formation, faire œuvre de conservation. Quel que soit son futur domaine d'activité (médecine, génie chimique, pétrole, alimentation, pharmacie), un chimiste frais émoulu de l'université doit apprendre son métier et se spécialiser pendant au moins trois ans. Et pourquoi n'est-ce pas le cas aussi en matière de conservation ?

HALTE AUX PRATIQUES DANGEREUSES!

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: HALTE AUX PRATIQUES DANGEREUSES!

44

HALTE AUX PRATIQUES DANGEREUSES !

Notre collègue Caroline k'eck a souligné à juste titre que N la Conservation de l'art est un travail d'experts, mais aussi L routine et qui se poursuit jour après jour, setnaine après senzr?ine, année après année N. Il en est de même de la protection des collections. Cela réclame, certes, de la technique mais avant tout un état d'esprit car si les causes de Lstruction sont nombreuses, il faut d'abord accep- ter que tout puisse artiver 2 tout moment.

Absorb& dans leurs tâches journalières, les res- ponsables des nzusées n'ont p m toujours la possibì- lité ou les moyens de se renseigner sur la meilleure

Errenrs d'organisation

Om Prakash Agrawal

Il arrive pa$ois que, dans un musée, certaines mesures soient prises dans I'intentìon de sauvegar- der des objets, mais dont les rhultnts se rhèlent plus néj5astes qu !utiles. L'une d'elles consiste à créer zin laboratoire de cotuervntioti qui diqose de nom- breux équ$ements et de produits chimiques, niais d@ourvu de personnel qual$é pour s'en servir.

J'ai été témoin de cas où l'on a procédé à l'achat d'équipements coûteux et de produits chimiques - avec la meilleure intention du monde - mais où l'on a omis de nommer le personnel capable de les utiliser, peut-être en pensant à tort que tous les problèmes de conservation seraient automatiquement réso- lus si l'on pouvait disposer d'un bon matériel. En visitant un célèbre musée &État en Inde, j'ai constaté, non sans amusement, qu'une grande pièce avait été aménagée en <( labora- toire )). Les tables de travail étaient rutilantes et les rayonnages remplis de produits chimi- ques. On y trouvait aussi une chambre de fumigation et tout l'équipement nécessaire pour procéder à des analyses, mais seul le per- sonnel faisait défaut : il n'y avait aucun spé- cialiste de la conservation. Archéologue et spécialiste de l'histoire de l'art, le conservateur en chef du musée était censé s'occuper égale- ment du travail de conservation et, de fait, il avait entrepris d'en assumer la responsabilité. Sa préoccupation principale était de supprimer les incrustations verdâtres qui déparaient les images de métal et les pièces de monnaie de sa collection, de manière à les rendre présenta- bles. I1 avait entendu parler du sel de La Rochelle et m'affirma. que cela était très efficace et que c'était une panacée. Pour lui, le sel de La Rochelle était utilisable dans tous les cas. On peut donc imaginer ce que seraient devenus les objets qui lui auraient été

faion L protéger et de restaurer leurs collections. Souvent, avec la meilleure volonté du monde, ils travaillent d'après des recettes qu'ils ont lues ou qui font partie des habitudps.

Sam vouloir dresser une liste exhaustive de tou- tes les errezirs quì sont commises dans les musées et qui causent des &"es aux collections, nous avons demmdé à des collègues (des consewatez~rs, des restaurateurs et des chimistes) de signaler un certain nombre d'erreurs d'organisation, de présen- tation et de traitement qui leur ont semblé les plus largement r@andues.

Gaël de Guicheri

Un laboratoire sans personnel qualifié : un danger pour les objets confiés ... Dieu sait combien de légendes frap- pées sur les pièces de monnaie, ou combien de détails gravés sur les images auraient disparu au cours de cette opération de (( conserva- tion )) !

J'ai aussi à l'esprit d'autres exemples encore où l'on a créé un laboratoire de conservation et nommé de jeunes chimistes, mais oÙ per- sonne n'a pensé qu'il serait peut-être utile de les former à l'art et à la science de la conserva- tion. Dans l'un de ces cas, le chimiste dont il s'agit s'est procuré le livre de Plenderlieth - la bible du conservateur - et il s'est fait la main sur toutes sortes de matériaux, notamment sur des miniatures et d'autres objets délicats en suivant les formules données par le livre. C'était ignorer que si, en matière de conserva- tion, les connaissances théoriques sont indis- pensables, la pratique et l'expérience ont éga- lement une importance capitale. Autant vou- loir devenir médecin en se contentant de lire des manuels d'anatomie humaine et de patho- logie ou des ouvrages sur les médicaments ! Les résultats pourraient être désastreux. Et, dans ce cas précis, on ne doute pas qu'ils l'aient été.

Notre Laboratoire national de conservation de Lucknow reçoit souvent des lettres de musées - de l'Inde ou de pays étrangers - qui nous demandent de leur envoyer des listes de matériel nécessaire pour tquiper un laboratoire de recherche. Le plus souvent, les lettres sont à peu près de ce style : (( I1 a été décidé de créer un laboratoire moderne de recherche scientifique pour la conservation du patri- moine culturel. Auriez-vous l'obligeance de bien vouloir nous envoyer une liste complète des équipements nécessaires avec catalogues et prix ? o. Ce genre de demande laisse perplexe. En dehors de toute autre considération, il est

clair que les autorités de l'institution concer- née n'ont, dans le meilleur des cas, qu'une idée très vague de la nature du travail de conservation et de ses exigences. Malheureuse- ment, dans beaucoup de centres de formation, la situation est la même. La (( recherche )) est un terme fort prisé. C'est, semble-t-il, une question de prestige que d'être équipé, dans son institution, d'appareils de belle apparence et fort coûteux, tels que microscopes métallo- graphiques, spectrophotomètres, diffractomè- tres et systèmes de datage au carbone 14, peut-être pour pouvoir les montrer fièrement aux personnalités de passage, à l'instar des autres pièces du musée. Si les responsables du musée prenaient la conservation au sérieux, ils commenceraient par s'interroger sur les tâches futures du laboratoire, recruteraient ensuite une personne compétente et veilleraient à sa formation et, alors seulement, entrepren- draient d'acheter l'équipement nécessaire.

A propos de personnel scientifique compé- tent, j'ai en mémoire certains cas où des scien- tifiques qui n'avaient pas la moindre forma- tion en matière de conservation ont été nom- més à la tête d'un laboratoire scientifique. C'est un gros risque que l'on prend. En effet, le scientifique sera appelé à diriger un person- nel auquel il donnera des ordres, sans être lui- même très comp6tent en matière de conserva- tion. On croit à tort, dans beaucoup de pays, qu'il suffit d'avoir un diplôme de chimie ou de physique pour pouvoir, sans autre formation, faire œuvre de conservation. Quel que soit son futur domaine d'activité (médecine, génie chimique, pétrole, alimentation, pharmacie), un chimiste frais émoulu de l'université doit apprendre son métier et se spécialiser pendant au moins trois ans. Et pourquoi n'est-ce pas le cas aussi en matière de conservation ?