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H.D. UN PEINTRE DU LUNDI EN ALSACE Voyage initiatique au coeur d’une oeuvre Colmar, septembre 2005 – juillet 2013 Catalogue déraisonné des oeuvres

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H.D. UN PEINTRE DU LUNDI EN ALSACE

Voyage initiatique au cœur d’une œuvre

Colmar, septembre 2005 – juillet 2013

Catalogue déraisonné des œuvres

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SOMMAIRE

A TOUTES CELLES QUI ME SONT CHERES : HOI ! p. 1

CARREMENT RONDS p. 3

CHAT-HIBOU I p. 5

CHAT-HIBOU II p. 7

CHAT-HIBOU III p. 9

TRIPTYQUE DU CHAT-HIBOU p. 11

ZELANDE p. 13

TEMPLE HUMAIN p. 15

ANCETRE p. 17

MASQUE p. 19

MASQUE ET ATTRIBUTS p. 21

PETITE FLEUR p. 25

ALSACE p. 27

MALTE p. 29

SIGOLSHEIM p. 31

PORTRAIT DE FAMILLE p. 33

CRI p. 35

LARMES DE SANG p. 37

TABLEAU MANIFESTE p. 39

TREVE HIVERNALE p. 40

MEMOIRE HANTEE p. 43

ŒUVRE ULTIME p. 44

POILS DE BARBE p. 45

CHAT TOUT COURT p. 47

MON VIL’AGE ALSACIEN p. 48

NAUFRAGE ARTISTIQUE ET HYGIENE CORPORELLE p. 52

MAIN DE MAITRE p. 54

UN AUTRE REGARD SUR MA PEINTURE p. 55

PEINTURE ET APESANTEUR p. 56

PEINTURE ET PESANTEUR p. 57

ECCE HOMO NEERLANDICUS p. 58

FENTE D’ORACLE p. 60

MARCHANDS DE VENT p. 61

MORALE EN BERNE p. 62

BRIQUE A BRAQUE p. 64

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SOMMAIRE

p. 65 MOULIN EN VUE

p. 67 MOULIN VENDU

p. 68 A L’AMI ROGER

p. 70 PLUMES DE CHAMOIS

p. 72 ROULEZ JEUNESSE

p. 74 MES ANGES PROVERBIAUX

p. 77 VERBI(M)AGES

p. 78 QUI S’Y FROTTE, S’Y PIQUE

p. 80 RETIREZ-MOI CETTE EPINE

p. 82 COMPROMIS

p. 83 CANON A MADELEINES

p. 84 STAND DE TIR

p. 85 CROIX DE LORRAINE

p. 87 JEROME ET MARCEL

p. 89 SUITE PARENTALE

p. 91 CUISINE DU PEINTRE

p. 92 CADDY DU PEINTRE

p. 93 BOULES DU PEINTRE

p. 94 FIGURANTISME ABSTRAIT

p. 96 SYMBOULISME

p. 98 BOUQUET FINAL

p. 99 PUZZLE IDENTITAIRE

p. 101 DE VIE A TREPAS

p. 104 EXEGESE

p. 108 REPENTIRS

p. 110 SAUCE HOLLANDAISE

p. 113 ODE A MON DENTISTE

p. 117 ISABELLE

p. 119 MONTAGNE MYTHIQUE

p. 122 BEAU-PAPA

p. 125 JEUNE MAMAN

p. 127 LECON D’ANATOMIE

p. 133 A LA TRONCHONNEUSE

p. 135 ORANGE-OUTAN

p. 139 TERMINUS AVEC CORRESPONDANCES

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A TOUTES CELLES QUI ME SONT CHERES : HOI !

Encore moi, 2010, attributs artistiques dont pif de 5,13 cm Le sous-titre de ce recueil résume bien mes intentions : No Harm meant ! Il s'agit tout simplement d'un cheminement personnel à travers la peinture. Ma peinture. Une expression sans aucune prétention, mais dans laquelle je me livre*). Forcément. Mais toujours sans aucune intention de nuire : No Harm meant, en effet ! Vous voyez, je vous épargne même une recherche fastidieuse dans vos dictionnaires en vous livrant la traduction du leitmotiv de mon aventure picturale. Tout en restant malicieux, inévitablement : Don't keep out of Harm’s way, please ! Ne passez surtout pas votre chemin ! En effet, vos commentaires et vos impressions m'intéressent vraiment beaucoup. Pour être honnête, je pense même qu'il s'agit là de l'ultime plaisir que me procure la peinture... Amicalement, H.D.**) *) No Harm done ? **) Si, à ce stade, vous n’avez pas encore compris que je m’appelle Harm, je crains fort que la lecture du reste de mon livre ne vous pose quelques sérieux problèmes. Je vous conseille néanmoins de persévérer : l’esprit tordu comporte également (et heureusement) un petit effet de contagion !

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Quatre ronds dont le regard malicieux du peintre, 2005-2013, acrylique et gel texture sur toile (sauf l’œil) 2

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TRIPTYQUE DU CHAT-HIBOU Mis ensemble, les trois éléments donnent ceci.

Triptyque du chat-hibou, 2005, acrylique sur toile, cadre vide, 97 x 140 cm Avec – art suprême ? – un petit cadre vide, indispensable dans ma vision de cette première œuvre « réfléchie ». Et le préféré de certains – n'est-ce pas, Christophe G. ? J'espère qu'il me charrie, car malgré mes belles paroles indiquant toute absence de prétention, je commence à m'y attacher, à mes tableaux, et le regard des autres est finalement beaucoup plus important que je ne croyais... L'acrylique me posant certains problèmes (et étant rigoureusement autodidacte par vocation : l'art brut, rien que l'art brut !), j'ai voulu m'essayer à l'aquarelle. Encore que, si vous me permettez cette petite digression : plutôt l'art de la brute, car en effet, les critiques se sont violemment élevés contre cette usurpation de ma part. Pour pouvoir prétendre à l'art brut, il faut être 1. autiste, 2. schizophrène, 3. autodidacte, 4. asocial et 5. dépourvu de toute référence culturelle. Apparemment, je ne réponds pas encore à l'ensemble des critères... mais je suis sur le bon chemin ! C'est même pour cette raison que j'ai intégré le mouvement « outside insider art », dont je suis d’ailleurs le principal (car unique) membre fondateur. En dehors de tout art pour initiés... Car nous sommes également interdits d'art moderne : nos tableaux ne se déplacent pas à l'aide d'une grue et ne sont pas intégrés dans des installations de la taille d'une usine... à broyer la concurrence. Encore que, je verrais bien le panneau du chat-hibou seul au milieu d'un immense mur immaculé, entouré de 366 cochons d'Inde empaillés et aplatis, dont un amovible, la peau bien tendue entre les quatre pattes écartelées : Praline, Goddess of the Guinea Pigs – je suis certain que les musées se l'arracheraient ! Je me laisse emporter. J'en étais où ? Oui, je voulais donc m'essayer à l'aquarelle.

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Cat. 7 Ancêtre, 2006, acrylique et encre de chine sur toile, 41 x 33 cm 16

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ANCETRE En parlant d'hommage, qu'est-ce que vous pensez de celui-ci ? Je vous jure que je l'ai réalisé sans regarder l'original (ni une copie, je vous vois venir). Je tiens à préciser par ailleurs, et ceci afin d’éviter toute tentative de cambriolage, que je n’ai pas l’original d’origine à la maison. Et pour répondre à une autre question souvent posée : la bande noire, c'est tout simplement une porte qui se ferme. Ou un couvercle qui se cloue définitivement... Par contre, ce qui était très important dans ma démarche, c'était de reproduire le vert du plancher. Un vert qui donne des nausées et des vertiges, un vert qui tangue à faire valser les meubles – comme si l'on avait trop bu, la nuit, dans un bar à billard éclairé par un néon qui ne laisse rien passer et pardonne encore moins. Les initiées sauront pourquoi... La petite chaise totalement usée et dangereusement branlante se retrouve abandonnée dans un coin, après avoir été rafistolée et repeinte une dernière fois. Son propriétaire ? Il est déjà parti dans le décor, qui annonce le cubisme par ses perspectives aplaties et juxtaposées. Les coins orange préfigurent les cadres dans les musées, qui s'arrachent ses oeuvres maintenant. Je me reconnais d’ailleurs entièrement dans ce côté peintre maudit, même si mon illustre prédécesseur n’a jamais été aussi méconnu de son vivant que moi après l’heure de ma gloire !

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Cat. 10 Alsace, 2007, peinture industrielle et acrylique sur toile, gel structure, 61 x 46 cm 26

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ALSACE Alsacien d'adoption et fier de l’être, j'ai voulu rendre un hommage à notre belle région. Où les hivers ne sont pas forcément rudes. Où il ne pleut pas tout le temps. Où le soleil brille même souvent et où les gens ont le sourire aux lèvres, en totale contradiction avec leur réputation. Où les maisons (à colombage, évidemment) sont colorées et gaies... Quel programme ! Soyons réalistes... Les Alsaciens sont parfois de doux rêveurs qui ont la tête dans les nuages, vivant paisiblement dans des maisons dont toutes les ouvertures donnent sur l'infini du ciel, les yeux rivés sur la fameuse ligne bleue des Vosges... qui les sépare de ceux « de l'intérieur » : Paris est souvent bien plus loin que Berlin ! Ou s'agit-il d'un simple décor pour faire plaisir aux touristes ? Une façade en carton, dressée comme dans un western spaghetti ou soap au spaetzle ? Il ne manquerait alors que les cigognes... Ou serait-ce l'expression de cette rigueur (pour ne pas dire rectitude) et bonne conscience bien calvinistes, du genre : nous n'avons rien à cacher car nous vivons selon des préceptes immuables, transmis de génération en génération avec la bénédiction du pasteur, donc nous pouvons étaler nos vies sur la place publique ? En d’autres termes : circulez, il n'y a rien à voir... notre moralité est irréprochable et notre vie transparente car vertueuse ? Je n'ai pas la réponse. Ou plutôt, j'en ai trop, mon approche étant parfois trop cérébrale. Ce que vous ne devez plus ignorer, si vous avez réussi à me lire jusqu'ici. Et ce qui m'a fermé définitivement les portes de l'art brut. Mais permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse supplémentaire, histoire de se détendre un peu : savez-vous pourquoi nos paisibles voisins vosgiens ont si souvent les oreilles décollées ? Parce que, petits, ils sont trop fréquemment soulevés par les deux organes précités : « Mais regarde donc comme c’est beau de l’autre côté de la montagne ! ».

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ŒUVRE ULTIME Un jour je vais me taire. Je ne vous apprends probablement rien de nouveau, là : le contraire aurait étonné et le silence s'inscrit dans la condition humaine même. Soit. En tant que lectrices intelligentes, vous aurez sans doute compris que je parle du silence artistique, aboutissement inévitable de tous ces siècles de recherche picturale. Le peintre s'arrêtera forcément un jour, quand il n'y aura plus rien à peindre et que tout aura déjà été peint de toute manière, et le conteur fermera définitivement son recueil. Toute évolution artistique mène vers le silence, ce constat plutôt accablant que tout a déjà été exprimé ou essayé et qu'il faudra irrémédiablement accepter le vide. Le saltimbanque à pinceaux n'a plus rien à inventer et ses tours colorés s'enlisent dans la répétition. Cette conclusion me prend parfois à la gorge. Zut alors, il faudra donc ranger mes pinceaux un jour car je n'aurai plus rien à ajouter… condamné à effectuer une conversion évidente mais pas forcément réussie en passant des toiles aux façades. J'ai donc décidé de vous présenter dès maintenant mon œuvre ultime : comme ça, c'est fait et on n'en parle plus. Ce qui est moins banal, par contre, c'est que j'ai continué à peindre depuis !

Œuvre ultime, cadre plastique vide, 19 x 13 cm Vous n'êtes certainement pas dupes et vous aurez compris que je fais du sur-place, que je meuble pour essayer de gagner du temps. Et vous aurez entièrement raison : je n’ai pas encore trouvé la sortie de ce sacré village alsacien ! Il fait de la résistance, celui-là… mais que nos villages savent parfois résister, nous le savions déjà, en bons Gaulois que nous sommes. Mais attention, je vais me venger en le rebaptisant ! Encore un peu de patience, donc…

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MON VIL’AGE ALSACIEN Le tableau tant annoncé est enfin arrivé ! Il m'a donné du fil à retordre, celui-là ! Car graver sur une couche de peinture ancienne bien sèche n'est pas une sinécure : vous passez rapidement à travers la toile. Et graver sur une couche de peinture fraîche n'est pas plus évident. En fait, 23 minutes, c'est le temps exact de séchage ; après 22 minutes, les sillons se remplissent à nouveau et après 24 minutes, vous arrachez la peinture par lambeaux entiers. Il faut dire aussi que j'utilise de la peinture industrielle, donc… Du coup, j'ai changé le titre. Je me venge comme je peux et c'était d'ailleurs prévu dès le départ… vous allez vite comprendre pourquoi. Je me ressaisis. J'en étais où ? Reprenons-nous et voyons ce que j'ai pu débiter avant : Un village alsacien : ensemble bien ordonné de maisons opulentes et de granges débordantes à façades colorées regroupées solidairement et hermétiquement autour d'une église pour faire face à toute invasion, montrant ainsi un visage uni et fermé à tout assaillant venu d'ailleurs. A l'extérieur, des champs et des vignes entourés d'une douve, défense supplémentaire. Au-dessus, les Vosges domineront cet ensemble idyllique. Un cadre enfermera ce paysage de poche, ce microcosme à accrocher et à décrocher à volonté.

Mon vil’âge alsacien, 2009, détail Etonnant, cela correspond assez… Mais idyllique ? Plutôt hermétique, en effet, le mot est lâché. Ce village ne comporte même pas de portes. On y accède comment, alors, à ces riches granges débordantes ? Et cette fameuse douve, ils la traversent comment, ces braves villageois ou les personnes désireuses de leur rendre visite ? Vous voyez un pont, vous ? Pour un village hermétique, c'est réussi ! Vous parlez d'une ouverture sur le monde ! Et quel sens d'échange et de partage ! Ce village ne comporte même pas d'axes de circulation : les rues sont inexistantes. Même en le survolant, cette forteresse n'offre aucune prise. Et ces fameuses Vosges ? Qu'est-ce qui serpente à travers ? Ben, voyons, cette montagne à vaches est truffée d'itinéraires, grâce au Club Vosgien hyperactif. Mais il y a comme un problème ici… 48

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Mon vil’âge alsacien, 2009, détail En effet, tous ces sentiers balisés sont de la même couleur et vous allez vous repérer comment, une fois parti à l'assaut ? Même les intersections ne sont pas marquées ! Je vous le dis, il s'agit d'un labyrinthe dont le seul but est de faire en sorte que le voyageur n'arrive jamais au village et qu'il meure de faim au fond d'une crevasse, les granges débordantes en ligne de mire mais inaccessibles ! Accueillants aussi, ces villageois un tantinet diaboliques !

Mon vil’âge alsacien, 2009, détail Mais attendez… Qui regarde quoi dans ce tableau et qu'est-ce que l'on y voit exactement ? Prenez un peu de recul, je vous prie ! Ah, vous commencez à comprendre… En effet, c'est bien vous le villageois et c'est bien votre village à vous qui se reflète tout entier dans l'œil injecté de sang du cyclope venu vous écraser. Vous êtes dans le collimateur du géant : il vous a pour ainsi dire à l'œil. Pire, son regard est déjà en train de s'introduire dans votre cadre (de vie) ! MAIS SAUVEZ-VOUS DONC, AVANT QU'IL NE SOIT TROP TARD, NE RESTEZ PAS LA PLANTE COMME UN LAPIN HYPNOTISE PAR CE PHARE QUI APPROCHE !

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NAUFRAGE ARTISTIQUE ET HYGIENE CORPORELLE Qu'est-ce qui distingue nos concitoyens artistes peintres du reste de l'humanité ? Une hygiène corporelle imparfaite (maniement sporadique de la brosse à dents, usage infréquent du peigne, application rarissime du déodorant, passage inexistant du rasoir), un non-conformisme prononcé, une violence anti-bourgeoise revendiquée, des mœurs douteuses, une clochardisation recherchée… le bohémien râpeux et puant, les cheveux en bataille, proférant des discours clouant les braves bourgeois au pilori et le bec aux bienséants bien-pensants… Voilà quelques clichés rapidement glanés et facilement affichés. Mais qu'est-ce qui distingue nos concitoyens critiques d'art du reste de l'humanité ? Une hygiène corporelle plus qu'imparfaite, un non-conformisme plus que prononcé, une violence anti-bourgeoise plus que revendiquée, des mœurs plus que douteuses, une clochardisation plus que recherchée… le talent en moins. Et qu'est-ce qui distingue nos concitoyens collectionneurs d'art du reste de l'humanité ? Une hygiène corporelle plus que parfaite, un conformisme plus que prononcé, une assimilation bourgeoise plus que revendiquée, des mœurs plus que saines, une clochardisation plus que rejetée… le foulard artistiquement noué autour du cou en plus. Comme introduction à la présentation d'un nouveau tableau il y a mieux, vous me direz. A juste titre. Et celles qui me connaissent ne peuvent que confirmer mon désarroi : JE NE RELEVE D'AUCUNE DES CATEGORIES AINSI SPECIFIEES. Archizut ! Ce qui appelle fatalement une prise de position ferme et inéquivoque… une revendication franche clamant mon appartenance et levant toute ambiguïté, un coming-out artistique permettant de me situer et de clarifier mon statut plus que douteux : voici donc mon véritable tableau manifeste. Je l'ai intitulé Sous-marin bleu en Méditerranée ! Et pan, bienvenue au club ! Tremblez, vaillants bourgeois ! Jasez, doctes critiques ! Décrochez, voraces collectionneurs !

Sous-marin bleu en Méditerranée, 2009, peinture industrielle sur pré-tableau, 55 x 46 cm 52

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UN AUTRE REGARD SUR MA PEINTURE Chère lectrice, cher lecteur,

La semaine dernière, le peintre H.D. a adressé un « icle » à la rédaction de la revue pARTage dont je suis le rédacteur en chef. J'avoue que j'ai mis du temps à comprendre le jeu de mots et ce n'est qu'en rapprochant le contenu de son mail de l'activité principale qui est la nôtre, à savoir la publication d'articles sur l'art, que j'ai su apprécier, « art » + « icle » donnant effectivement…

Le sens de l'humour et le maniement de la langue française sont deux marques de fabrique de ce peintre et notre désir le plus profond est de pouvoir l'interviewer un jour. En effet, sa voix et son visage nous sont totalement inconnus. Il refuse toute interview et n'assiste à aucun vernissage. Pourtant, les expositions consacrées à son œuvre sont nombreuses : Rotterdam, Bruxelles, Madrid, Toronto, Los Angeles, Waalwijk... Et les pressions économiques immenses : cet artiste résolument atypique est l'un des plus côtés sur le marché international. Mais personne ne connaît son vrai visage, au sujet duquel circulent les rumeurs les plus folles : selon certains, il se serait défiguré volontairement, pour d'autres, il aurait une grave maladie génétique.

Ce peintre de l'ombre connaît une gloire universelle. Par ses tableaux, bien sûr, mais également par ses prises de position radicales et son aversion profonde pour tout ce qui touche de près ou de loin le monde de la critique d'art et le microcosme de l'élite culturelle, ces cercles très fermés que forment les amateurs dits éclairés (ces « illuminés allumés » selon le vocabulaire H.D.-ien). En effet, il s'insurge – souvent violemment – contre ces « spéculateurs d'art », comme il dit, ces « pseudo-passionnés » qui étouffent à ses yeux toute véritable expression artistique.

Il n'est donc guère étonnant que H.D. soit à l'origine du mouvement « outside insider art », dont les membres (une dizaine à ce jour) réclament une liberté d'expression picturale la plus éloignée possible de l'art selon les initiés (la traduction littérale de la notion d’« insider art »), qui dictent leurs normes en empêchant les véritables artistes de s'exprimer. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne cache pas ses convictions et il lui est déjà arrivé de refuser la vente d'un tableau parce que l'acheteur potentiel, un acteur bien connu du marché de l'art, ne lui convenait pas. Personnellement, je pense que le nom du mouvement contient un autre jeu de mots, la notion anglaise d’« outsider art » étant communément utilisée pour désigner l'art brut... qualificatif farouchement revendiqué par H.D. mais que ces mêmes critiques lui ont toujours refusé : vous pourrez lire sa réaction à ce sujet dans l'article qui suit.

En effet, ce peintre incompris éprouve régulièrement le besoin de s'exprimer et d'expliquer sa démarche. L'ARTicle que nous publions aujourd'hui relate le cheminement pictural de ses débuts. En fait, l'article est consacré plus spécifiquement à ses premiers tableaux et les œuvres connues du grand public (dont The Guinea Pig, The Dying Shuttle, Paint Hurts et le méga-format intitulé Crap Art, pour ne citer que ces quatre tableaux majeurs), ne figurent pas dans les quelques pages qui suivent.

Je vous souhaite un bon voyage aux origines de l'œuvre de H.D., peintre délicieusement décalé et figure incontournable de la peinture moderne !

M.M.

Ce dédoublement de personnalité vous inquiète ? Rassurez-vous en lisant ces quelques lignes de la main de Godfried Bomans, empreintes d'une grande sagesse : "Ik zit mij voor het vensterglas onnoemelijk te vervelen. Ik wou dat ik twee hondjes was, dan kon ik samen spelen." Ce qui donnerait à peu près ceci en français (avec une bonne dose de liberté poétique) : « Je m'ennuie grave devant la fenêtre, d’où tout se ressemble. J'aimerais être deux petits chiens, alors je pourrais jouer ensemble. »

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PEINTURE ET PESANTEUR Toute comparaison de mon œuvre avec celle de mon illustre prédécesseur de Delft serait totalement présomptueuse de ma part. Personne n'a jamais su égaler le maître énigmatique de la vie intérieure. Ce qui nous rapproche par contre, c'est la recherche de l'apesanteur. Partagée et même induite dans son cas. Complètement intériorisée dans le mien, faute de moyens techniques et artistiques. Ma peinture est une démarche foncièrement égocentrique : il s'agit tout simplement pour moi d'arracher ma propre existence – du moins provisoirement – à toute contrainte matérielle et temporelle. Rassurez-vous, toutefois, je continue à consommer… mais en opérant des choix et des refus alimentaires aussi catégoriques qu'artistiquement fondés : JAMAIS mon laitage ne proviendra d'un pot dont l'emballage représente… enfin, vous voyez bien ce que je veux dire. Mais il existe bien un autre aspect qui nous lie : la brique. Cette fameuse brique bien hollandaise mise à toutes les sauces (toutes faites, en brique, quoi) depuis toujours. S'il fallait retenir un seul symbole national pour les Pays-Bas, je choisirais la brique – loin devant les tulipes ou autres plantes herbacées, les moulins ou certaines innovations sociales visant à réduire la surpopulation. D'autant plus que je suis sûr qu'elles flottent, leurs briques ; après tout, ce pays n'est-il pas construit sur l'eau ? A mon avis, les briques dans la mare, ils doivent connaître… J'ai donc peint une briquette en suspension, mon petit pan de mur à moi (rouge, évidemment, on ne rattrape jamais le temps perdu, n'est-ce pas Marcel ?) visant à atteindre l'état d'apesanteur tant recherché.

Briquette en suspension, détail du tableau à venir

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MORALE EN BERNE Les Hollandais émettent sans cesse des règlements visant à étouffer la vie au quotidien, allant jusqu'à interdire certains tableaux aux moins de 3 ans, pour se racheter de leur requinerie*) commerciale de la semaine et pouvoir se prévaloir d’une morale irréprochable le dimanche.

Etiquette, détail du tableau à venir Et c’est précisément ce qui m’est arrivé avec le fameux tableau du moulin, frappé d’interdiction pour détournement de symboles nationaux, le débat franco-français sur l’identité nationale étant loin d’être unique dans le monde civilisé (ne jetons pas de l’huile sur le feu par un choix d’adjectif plus approprié). Car pour ceux qui en doutaient encore : ils sont assez calvinistes aussi, ces Hollandais, même les plus catholiques d’entre eux, forts de cette rassurante suffisance moralisatrice qui donne raison à tout un peuple massé derrière l'index pontifiant du pasteur parti redresser les torts et travers du reste de l’humanité. J’ai donc décidé de cataloguer mon œuvre, comme tout marchand de tableaux peu scrupuleux (et j’aurais tendance à considérer ce qui précède comme un pléonasme), afin de contourner l’oukase : ceci est de l'art, c’est écrit en toutes lettres dans la couleur nationale, donc respectez ma liberté d’expression !

Bandeau, détail du tableau à venir Parfois, artiste et autiste sont assez proches… et entre dada et papa, il n'y a qu'un d : celui du h, peut-être ? *) Egalement appelée « sharkuterie », ce qui ne devrait pas déplaire à nos amis alsaciens, sauf qu’elle n’a rien de fine : en effet, le terme renvoie à toute attaque mortelle par un « shark » (requin en anglais) – un « charko » dirait l’autre, en brave Alsacien, mais ce serait peut-être pour désigner notre président récemment détrôné… enfin, le vôtre, quoi. 62

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PLUMES DE CHAMOIS Dans le registre des horreurs plumées qui pendouillent, celle-ci figure en bonne place ! Il y a de ces objets légèrement dégoûtants utilisés pour conjurer, abjurer, ensorceler, détourner ou influer, objets dont raffolent donc les prêtres de tous les temps et de toutes les latitudes.

Horreur, os de seiche, plumes, coquillages, 32 x 13 cm L'horreur en question a été confectionnée à l'aide de divers objets glanés sur une plage de Zélande (toujours l'ancienne) que le shaman local a sacralisés en effectuant une danse initiatique dont le sens profond échappe à tout le monde, à commencer par lui.

Shaman, dimensions inconnues mais augmentées de deux plumes mesurant respectivement 11,3 et 10,1 cm 70

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Tout cela pour dire que presque tous les tableaux du grand-prêtre que je suis émanent d'une forme rencontrée tout à fait par hasard. Parfois, le tableau naît d'une seule ligne, d’une courbe entrevue la nuit, projetée sur le sol grâce à l'éclairage public à travers un volet fermé (il est rassurant de constater que les impôts locaux servent à quelque chose, de temps à autre). Le carrelage de la salle de bains de ma belle-mère, dans lequel je vois sans cesse des figures et des motifs, est une autre grande source d’inspiration. Voici donc l’un de ces chefs-d’œuvre dont est pavée la salle de bains de ma belle-mère, comme autant de bonnes intentions ou d’invitations à peindre :

Ce pourquoi j’adore belle-maman, carreau de sa salle de bains (non signé), 10,7 x 10,7 cm Souvent aussi, l'inspiration part d'un détail insignifiant : ainsi, tous les attributs entourant le Masque sont partis de ces deux plumes et de quelques coquillages. Pourquoi ? Comment ? Le grand déplumé artistique que je suis a dû être comblé par cette trouvaille aussi inattendue qu'intense : deux plumes du même coup ! Il y a quand même une évolution intéressante à vous livrer aujourd'hui. Jusqu'à une époque récente, j'avais l'habitude de faire un tableau et d'écrire la note explicative après pour rassurer mes proches. Maintenant, je me surprends de plus en plus à écrire mes tableaux d'avance : l'écriture commence à précéder la peinture. Les mots structurent la démarche picturale et inaugurent la création visuelle. Ainsi, le village alsacien (même rebaptisé) menait une vie tout à fait autonome sur le papier avant de prendre une forme définitive sur la toile ; le texte était écrit avant la première touche au pinceau, le tableau proprement dit n'étant qu'un post-partum dénaturé ou accouchement pictural au forceps ! P.S. qui n'a rien à voir (ou si peu) : connaissez-vous les plumes de chamois ? Non ? Moi si ! J'y pense à chaque fois que je ramasse une plume. Vous pensez que je fabule encore ? Je vous le jure, mon grand-père (celui de la grand-mère présidente du club à dictons) m'en a montré une quand j'avais six ans : elle était piquée dans le petit chapeau qu'il avait rapporté d'Autriche ! Je ne l'ai pas conservée, malheureusement pour moi, car je suis certain que ce talisman m'aurait préservé de tout malheur, mais également pour vous, car du coup, j'ai été bien obligé de vous ensorceler par d'autres moyens ! Et force est de constater qu'un tableau ne fera jamais le poids face à une plume de chamois !

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Suite parentale, 2009, peinture industrielle sur toile, gel texture, 148 x 45 cm, espacement libre, provisoirement

planquée derrière la porte de l’atelier du peintre et/ou du bureau du traducteur en attente d’un prochain déménagement de la fille, l’espace vital du dernier étant en effet sérieusement compromis par la production du

premier, casquette avec laquelle le peintre tond et le traducteur peint, partagée par les deux lors des sorties pédestres sous le soleil, clou en attente d’autres productions à soustraire aux regards scrutateurs et

désapprobateurs de telle ou telle grand-mère, quel que soit son pays d’origine 88

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BOUQUET FINAL Tout maître hollandais qui se respecte se doit de réaliser au moins une fois dans sa carrière un bouquet, une nature morte et un autoportrait. Je me respecte, mais je suis également réaliste et je ne retiens donc que l’adjectif, ne pouvant décemment me qualifier de « maître » dans tout domaine autre que celui caractérisant la relation tout à fait particulière que j’entretiens avec l’animal domestique que je tolère sous mon toit ! Batave je suis et je reste, mais tout au plus je serai donc le maître du chat(-hibou dans le meilleur des cas). Etant de nature impatiente, j’ai décidé de brûler les étapes avec un petit format (disons plutôt « intimiste », qualificatif plus valorisant), réunissant un bouquet et une nature morte dans un seul tableau. L’autoportrait attendra donc encore un peu… Je le fais pour mon épouse, qui a toujours fait preuve d’une bonne dose d’indulgence à mon égard, et j’ose espérer que ce petit bouquet remplacera tous ceux que je ne lui ai pas offerts pendant toutes ces années de bonheur conjugal. Je crains fort que les dimensions de ces quelques fleurs ne soient que beaucoup trop modestes… elle mériterait un bouquet si énorme que ce qui me reste à vivre ne suffirait pas à le produire ! Je me sens souvent un nain géant à son côté…

Bouquet post-nuptial, détail du tableau à venir Ce petit bouquet rappelle également celui qu’elle a porté le jour de notre mariage. Le jaune et le vert symbolisent le printemps, car nous nous sommes mariés au mois de mai. Je vous laisse deviner le sens profond de la couleur orange… La fleur bouillonnante est le petit grain de folie nécessaire pour que notre vie commune se renouvelle et la couronne formée par les feuilles symétriques reste indispensable afin que notre union se maintienne. Cette complémentarité nous caractérise. Un coin sauvage dans un jardin bien tenu ou un élément abstrait dans un contexte figuratif résultent dans un équilibre surprenant, l’inattendu donnant le relief que seule l’habitude permet de savourer. La partie nature morte réunira quelques objets de sa vie quotidienne, je n’en dirai pas plus aujourd’hui, car je n’ai pas encore trouvé la solution à ce problème. 98

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EXEGESE Mes lectrices me rendent heureux, mais également légèrement bouc. Maintenant elles veulent tout savoir sur la symbolique cachée de ma nature morte. Etant dans l’impossibilité de répondre personnellement aux dizaines de mails que je reçois quotidiennement à ce sujet, j’ouvre donc un énième chapitre, au risque d’en dérouter plus d’une, car mon approche ressemblera du coup à celle du critique d’art.

Principal outil du critique d’art Mais reprenons les choses dans l’ordre. Qu’est-ce qui compte dans la vie d’un Hollandais peintre du lundi vivant sainement ? Le café (stimule les défenses naturelles et rend les nuits propices à la création), le genièvre (adoucit les mœurs et renforce la création pendant les nuits blanches induites par le café), le sel allégé (préserve le système cardio-vasculaire des excès de fromage), le Stodal (combat la toux provoquée par le climat de chien caractérisant la Batavia), le cacao en poudre (soigne la mauvaise humeur et stimule l’imagination par la seule présence de l’infirmière (déjà assez évocatrice en soi) qui tient une boîte sur laquelle est représentée une infirmière qui tient une boîte sur laquelle est représentée… et ce jusqu’à l’implosion finale, phénomène également appelé « effet Droste », un peu comme la rumeur actuelle concernant une prétendue rumeur selon laquelle le bruit court qu’une rumeur partiellement démentie impliquant la vie sentimentale du Roi de la République Nicolas Ier et de sa princesse Carla…), les piles (permettent de continuer à fonctionner) et la taupe (dont l’utilité m’échappe pour le moment, mais je trouverai bien et je lui trouve une bonne bouille en attendant). 104

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Vol plané au-dessus de l’inspiration d’un peintre Les CD représentent le courant dit « nederbeat » avec les illustres groupes Golden Earring (GE pour les initiés), fondé en 1961 et toujours actif, Focus (dont le « s » se prononce pour lever toute ambiguïté), Outsiders (essayez de dénicher leur album « C.Q. » et faites-moi signe) et surtout Nits, qualifié de « secret le mieux gardé de la pop » par la presse française (laissons la parole aux autres pour une fois). J’écoute cette musique à longueur de journée, au grand désespoir des filles de la maison (surtout la chatte, tombée amoureuse de la guitare de George Kooymans, et je dois reconnaître une certaine similitude avec les concerts gratuits dont on nous gratifie la nuit en ce moment, printemps oblige). Permettez-moi (encore !) une petite digression sous forme d’un clin d’œil amical (confraternel presque, toute proportion gardée) : il faut effectivement le regard perçant (pour ne pas dire pénétrant) d’un peintre afin de distinguer, sur la jaquette de GE, le bronzage lunaire de la belle ! Ce qu’il ignore, notre ami peintre encore bien éveillé pour son âge, c’est que le spectacle continue vers le bas à l’intérieur du boîtier ! Elle n’a pas livré tous ses secrets (du moins pour lui) ! Le nuancier, les brosses, les rouleaux, l’encre de Chine, les tubes d’acrylique, les coins pour toiles et le white spirit appartiennent à l’univers du peintre, tout comme l’âne dont le regard traduit parfaitement bien l’étonnement (pour ne pas dire l’égarement) de certains humains devant mes tableaux. Par ailleurs, il y a un deuxième âne en embuscade derrière le sablier (abstraction faite donc de la tête royale de Juliana sur le verre à brosses). Fidèle compagnon de Don Chochotte de la Plancha (y Pintura), il porte la réserve de piques que j’envoie régulièrement en direction des critiques.

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SAUCE HOLLANDAISE Voici donc la fameuse nature morte censée symboliser mon épouse, réunissant quelques objets de sa vie quotidienne, les instruments de sa passion pour ainsi dire.

Instruments de la passion, détail du tableau à venir La pince à épiler exprime les nombreuses fois qu’elle a su ôter une épine que j’avais réussi à me planter dans l’âme et les ciseaux représentent tous les raccommodages qu’elle a pu procurer à la fille. Et entre deux missions de secours, un court moment de détente bien mérité symbolisé par la cuillère et le récipient destiné à recevoir – après infusion – les sachets des tisanes qu’elle adore savourer (en effet, il ne sert à rien d’y poser les sachets avant l’infusion, précision parfaitement à la hauteur de l’inutilité d’un tel modus operandi au regard de la dégustation recherchée, mais imposée par l’impossibilité d’utiliser le terme d’« égouttoir » dans ce contexte précis). Les figures du chat représentent la présence rassurante et légèrement remuante de la bête quand le maître vole dans les plumes et constituent également un petit clin d’œil à l’art nouveau de par leur élégance stylisée. Sans oublier qu’elles atténuent quelque peu le côté rigide (pour ne pas dire moribond) d’une nature morte. En plus, la joyeuse sarabande de félins est un petit hommage au maître incontesté des constructions impossibles et de l’exploration de l’infini qu’était M.C. Escher, grand amateur de cacao à ses moments perdus. Après tout, des reptiles aux chats il n’y a qu’un pas, n’est-ce pas ? 110

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ODE A MON DENTISTE Malgré son prénom, mon dentiste n’a vraiment rien de terrible. Bien au contraire, je n’ai jamais connu professionnel plus doux et prévoyant, tout le contraire du proverbial barbier-arracheur, émaillant les soins souvent dentesques qu’il a dû me prodiguer par des paroles rassurantes du genre « Ne vous effrayez pas, je mets la turbine » ou « Ne vous inquiétez pas, mais je vous trouve bien pâle tout d’un coup*) »… Mon dentiste prendra bientôt une retraite bien méritée, que je lui souhaite longue et heureuse. En guise de remerciement, je n’ai pas pu m’empêcher de lui offrir un petit tableau.

Roues dentées, détail du tableau venu (mais trop tôt, avant l’autre) L’idée des roues dentées s’est imposée d’elle-même. Trois roues bien imbriquées et solidaires pour représenter notre famille avec la symbolique des couleurs habituelle (orange pour le père en raison de ses origines**), jaune pour la mère pour les mêmes raisons***) et verte pour la fille, car c’est ce qu’elle est encore un peu derrière les oreilles****)), complétées par une roue de couleur amalgame autour de laquelle gravite notre noyau familial afin de recevoir les soins nécessaires. Il n’est pas inintéressant d’observer qu’il manque déjà deux dents au dentiste (au sens figuré, bien évidemment), que l’on retrouve en bas du tableau. Il va bientôt s’arrêter complètement, nous imposant d’avoir recours à la méthode ancestrale de la ficelle attachée à la dent et reliée à la porte qu’une âme charitable ferme (ou ouvre) d’un geste rapide, sec de préférence… *) Les rares fois que j’avais oublié de prendre un calmant avant le rendez-vous, j’avais effectivement une fâcheuse tendance à tomber dans les pommes ! **) Les « Oranje » évoquent quoi pour vous, mis à part de cuisantes défaites (passées et à venir) ?

***) Le « jaune » est la couleur de la Meuse, peut-être en raison de la couleur dorée des madeleines ou des champs de colza ? ****) L’origine doit sans aucun doute être recherchée dans l’un des proverbes si chers à ma grand-mère, pour qui le qualificatif « être vert derrière les oreilles » désignait un certain manque de maturité chez un individu, ce qui est le cas de notre fille, car elle est toujours rattachée à notre foyer sur le plan fiscal !

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MONTAGNE MYTHIQUE Il existe de ces montagnes dont le secret est difficile à percer. De ces montagnes qui chauffent à blanc en été et vous mettent dans le rouge en hiver. De ces montagnes qui transforment l’eau en pierre en se reflétant et vous hantent jusqu’à la fin de vos jours. De ces montagnes qui dégagent une impression de sérénité à première vue et vous donnent un sentiment de malaise lorsque vous essayez d’en déchiffrer le message profond. Il faut croire que j’ai un problème avec l’altitude. Les paisibles ballons des Vosges avaient déjà réussi à se transformer en paysage tourmenté. Vous souvenez-vous du village alsacien de tous les délires ? Méfions-nous donc des premières impressions ! Yin et Yang semblent être les meilleures copines du monde mais peuvent se transformer en véritables chipies avec une aisance déconcertante entre les mains de nos vénérables ufologues.

Je n’en dirai pas plus long. Ce qui ne me ressemble pas du tout, je vous le concède, mais j’ai vraiment envie de laisser la parole à mon ami François, destinataire de cet hommage à notre amitié un tantinet encombrant et dont l’opinion compte beaucoup pour moi. En attendant son éclairage, il faut déjà résoudre le problème existentiel de l’accrochage : conventionnel avec le ciel en haut ou innovant avec le soleil en bas ? Sans oublier que le bleu renversé devient liquide et que la neige aussi peut être blanche. Même le rassurant bleu - blanc - rouge de nos campagnes bien françaises peut être détourné en l’accrochant à l’horizontale et fièrement flotter au-dessus des polders d’un autre genre.

Même montagne mais à l’envers (ou à l’endroit)

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JEUNE MAMAN Les salons des copines réservent parfois de belles surprises ! Ce tableau, par exemple, est parti de la porte de séparation entre le salon de Sophie et le reste de son appartement. Je l’avais moi-même démontée (la porte, je vous rassure) avant de participer (modestement) aux travaux en ma qualité de super-assistant, comme dirait la sœur de ladite copine. Elle (toujours la porte) comporte différents panneaux séparés par une baguette et l’image d’un vitrail s’est vite imposée, un vitrail un peu japonisant permettant de créer une ambiance apaisée qui protège du monde extérieur, un paravent protecteur en quelque sorte dont les parties sont séparées par un filet de plomb. L’ensemble a toutefois légèrement dérapé, comme souvent quand le tableau prend vie, et je propose d’y aller doucement, en commençant par le vase au centre.

Chats, détail

Ce vase reprend le motif de son animal préféré (son chat s’appelle Ulysse et a une certaine tendance à baver, raison pour laquelle j’ai réussi à le qualifier d’horreur – je ne laisse jamais passer une occasion pour me distinguer, ce que vous n’êtes pas sans savoir en connaissant ma proverbiale réactivité verbale malheureusement un tant soit peu irréfléchie par moments).

Chats avec parasol tombé, détail (qui a son importance) La couleur du vase tranche avec le reste et introduit une légère vibration dans cette ambiance propice au recueillement, créant ainsi un soupçon de tension nous permettant de rester éveillés. Ce contraste est renforcé par le rouge, la couleur des liens du sang que j’aime bien utiliser en juxtaposition au bleu. L’objet posé à côté du vase est un petit parasol brisé. Il m’est difficile d’en dire plus.

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Cat. 25 Harm, 2011, peinture industrielle et acrylique sur toile, sable, 30 x 30 cm 132

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A LA TRONCHONNEUSE Commençons, si vous voulez bien, par quelques éléments sur lesquels tout le monde pourra se mettre d’accord. Le petit cadre en bleu-blanc-rouge/orange/rouge-blanc-bleu symbolise les deux pays à m’avoir toléré sur leur sol : les Pays-Bas, pays de ma naissance (donc bien obligé de me garder), et la France, pays de mon installation (donc susceptible de se montrer un peu plus regardant). Le visage est celui du peintre, forcément inachevé et gagnant à être défini par rapport au réservoir d’inspiration que constitue le vaste monde figuré à travers quelques objets bien ancrés dans la réalité.

Ceci est une pipe La pipe renvoie – pêle-mêle – au portrait de l’archétype du marin ornant maint salon à travers le monde (contrairement à ma figure, laquelle n’a que très peu de valeur décorative, il est vrai), au péché mignon d’un grand-père résistant déporté pendant la seconde guerre mondiale (ce qui nous rapproche, c’est la « résistance », lui à la barbarie humaine, moi à la peinture) ainsi qu’aux trompe-l’œil si chers aux maîtres hollandais, sans oublier bien sûr le côté surréaliste d’une pipe tout court (« ceci n’est pas une pipe »), souvenons-nous du feuilleton estival new-yorkais de 2011. La chemise représente le stock quasi inépuisable et inusable d’un modèle que j’affectionnais particulièrement, étant précisé que j’ai acheté mon premier polo à l’âge de 52 ans seulement, mais que mon épouse les lavait très régulièrement (en effet, modèle unique ne veut pas dire exemplaire unique). Passons aux choses plus charnelles. Les rides expriment les gros soucis du peintre en mal d’inspiration. Le regard fixe de l’œil gauche (vu de l’intérieur) est également celui de mon cher Vincent et exprime le regard critique que je porte sur ma propre production. La barbe est l’essence même de ma personne : je me suis toujours senti proche d’un certain Homer, dont les opinions toutes faites et les vaines gesticulations expriment l’impuissance de celui qui se croit être le centre du monde, mais qui ne maîtrise rien du tout et se retrouve fatalement rejeté à la périphérie de sa propre peinture.

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Cat. 26 Orange-outan, 2012, peinture acrylique sur toile, sable, cure-dents neuf et jamais utilisé, pinceau dépourvu de poils, couteau, tube de peinture partiellement vidé avec son bouchon, alvéoles pour œufs de caille, trois fragments de pare-brise, deux capsules, divers découpages, assiette et cuillère de dînette en plastique (don

d’Anne-Lise), deux pièces à l’effigie de la reine Juliana d’avant l’euro (l’une de 10 cents et l’autre de 25 cents munie d’une croix blanche), alvéoles à sauce du marchand givré Pic’Art d’à côté, bout de plancher ne faisant pas

partie du tableau, 30 x 30 cm (dimensions de la toile, pas dudit plancher), mais débordant légèrement 134