HENRI PITOT ET L’AQUEDUC DE SAINT CLÉMENT A … 2.pdf · pour subvenir à ses besoins, ... Villa que l’aqueduc traversait. ... dont l’estimation du métré varie également,

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    HENRI PITOT ET LAQUEDUC DE SAINT CLMENT A MONTPELLIER

    Michel Desbordes

    Professeur PolytechMontpellier Universit Montpellier 2

    I La longue histoire de lalimentation en eau de Montpellier Bien quinstalle entre le Lez et son affluent le Merdanson (aujourdhui Verdanson), Montpellier, durant tout le Moyen ge, salimenta partir de puits creuss dans sa nappe souterraine. Mais de frquentes pollutions provoquant de graves pidmies, les autorits cherchrent des solutions pour fournir la ville une eau saine. Ainsi, selon lhistorien montpellirain Charles dAigrefeuille (Aigrefeuille, 1877 ; Franck, 1982 ; Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites (CNMHS), 1983), un projet ingnieux vit le jour en 1267 pour conduire, Montpellier, les eaux des sources de Saint Clment (alimentant la Lironde, autre affluent du Lez), situes une dizaine de kilomtres au nord-est de la ville, et rputes dexcellente qualit. Cependant, les difficults rencontres pour dfinir et financer les ouvrages ou indemniser les propritaires concerns par leurs tracs ainsi que les usagers des eaux, mirent provisoirement un terme au projet. En 1317, le Roi de France Philippe V incita les Consuls de la ville reprendre la rflexion. Mais, l encore, des difficults diverses sy opposrent. Pourtant, en 1399, un artisan du nom de Pierre Grard tenta, sans y parvenir, de procder aux levs topographiques ncessaires au trac de laqueduc. De mme, en 1410, un certain Estve Salvador, de Narbonne, reprit ce travail son tour, mais sans suite Le 18 juin 1456, le Roi Charles VII autorisa les Consuls lever un impt pendant 10 ans, dont une partie devait tre employe la ralisation de louvrage, la condition quil soit trouv le moins dommageable au peuple et du consentement de la majeure partie dicelui (Franck 1982). Sans doute cette condition ne ft-elle pas remplie car le projet demeura en sommeil pendant plus de deux cents ans

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    La ville dut se contenter, pendant cette priode, damnager des sources proches pour subvenir ses besoins, donnant naissance aux possandiers , marchands deau ambulants. Parmi les plus anciennes dont on a conserv la trace jusqu nos jours, la Font-Putanelle, ralise en 1447, sur ses deniers, par Jacques Cur, Grand Argentier du Roi Charles VII (Archives Municipales, 1985). Place lcart de la ville dalors, et se dversant dans le Verdanson, elle semblait peu propice lalimentation en eau des habitants. Lhistorienne montpelliraine Louise Guiraud a mis lhypothse que Jacques Cur envisageait, en fait, dutiliser cette fontaine pour la teinture des draps du Languedoc... Larrestation du Grand Argentier ne permit pas de vrifier lhypothse de lhistorienne (Guiraud, 1900). Le projet de transfert des eaux de Saint Clment rapparatra en 1673 lorsque le Conseil de la ville demanda un certain Pascal de Marseille de le reprendre. Le 28 fvrier 1686, les consuls prirent la dlibration de faire dresser un devis pour le transfert des eaux de Saint Clment (Archives municipales, 1985). Mais lapproche la plus srieuse fut le fruit de lingnieur de Clapis, de la Facult Royale des Sciences de Montpellier, qui dmontra, en 1712, la faisabilit du projet. Au demeurant, selon Charles dAigrefeuille, il se heurtait lendettement de la ville, engage, en outre, dans la ralisation de la Place Royale du Peyrou, et lhostilit des propritaires de moulins du Lez et de terres irrigues dans la plaine de Lattes qui craignaient que ce dtournement deau ne nuise, en t, leurs entreprises. Les crdits ncessaires la ralisation de louvrage furent cependant vots en 1742 (Nougaret, 2005). Finalement, en 1751, le Marchal de Richelieu chargea Henri Pitot, Directeur des Travaux Publics du Languedoc depuis 1740, de travailler au projet dsir depuis longtemps de conduire la fontaine de Saint Clment dans la ville de Montpellier pour y tablir plusieurs fontaines publiques dont elle a un extrme besoin . Pitot scarta un peu du projet de lingnieur de Clapis dont le parcours tait compliqu, et le complta. Son mmoire fut approuv par les Consuls le 12 dcembre 1751, puis par le Roi le 11 avril 1752 (Ville de Montpellier 2006). Les travaux durrent plus de dix ans jusqu linauguration le 7 dcembre 1765. Mais louvrage ne fut dfinitivement achev quen 1772, aprs la mort de Pitot, avec le raccordement monumental de laqueduc au chteau deau du Peyrou par larchitecte montpellirain Jean Antoine Giral (CNMHS, 1983). Depuis le lancement du projet, il stait coul plus de 500 ans ! Le mrite de Pitot nen apparat donc que plus grand, et il est naturel que cette dernire uvre du grand ingnieur du Languedoc soit considre, par certains, comme la plus clbre et la mieux russie (Humbert, 1954). Laqueduc a dailleurs t rcemment class parmi les plus beaux de France (Montens, 2001).

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    II Le projet de Pitot et sa ralisation Comme les prcdents, le projet de Pitot naurait sans doute pas abouti, tout du moins immdiatement, sans le concours de Jean Antoine Duvidal, Marquis de Montferrier. Syndic Gnral du Languedoc, mais galement Directeur de la Socit Royale des Sciences de Montpellier (dont Pitot fut membre ds son arrive, en 1742), ce personnage clair , au sens du XVIIIme sicle, fit en effet don la ville de lune des sources qui devait alimenter cette dernire : le Boulidou (nom donn dans la rgion aux rsurgences prennes ou non dorigine karstique). Il autorisa, de mme, le passage de laqueduc sur ses terres et suivit de prs sa ralisation. Ainsi, pour ses services rendus la collectivit, reut-il, en 1775, une concession deau gratuite et perptuelle pour son htel de la rue de lAiguillerie, Montpellier, concession qui ne fut pas supprime sous la Rvolution (Franck, 1982). Cependant, Pitot dut faire face, dans son entreprise, de multiples difficults tant techniques que sociopolitiques. Les oppositions au projet taient ainsi nombreuses, quil sagisse des habitants de Saint Clment qui avaient lhabitude dutiliser leau des sources pour leurs usages personnels, labreuvage de leurs animaux gros ou petits et larrosage de leurs cultures, ou des meuniers du Lez qui craignaient que le dtournement deau du cours du fleuve ne rduise la force de leurs moulins. Peu de temps aprs son admission lAcadmie Royale des Sciences, Pitot avait publi, en 1725, un mmoire sur les machines mues par leau. Ce travail laida certainement dmontrer aux propritaires de moulins du Lez que le captage ne rduirait nullement la puissance du fleuve sur leurs roues (C. et J.-M. Renault, 1996). Du point de vue technique, les principales difficults rsidaient dans le choix dun trac rduisant au maximum lampleur des ouvrages dart pour franchir les vallons, mais aussi les passages dans des terrains de mauvaise tenue compliquant les terrassements, le choix dun point darrive de leau dans la ville, et la dtermination de la pente ncessaire au transport du dbit souhait. La cote de dpart des eaux Saint Clment tant fixe, la pente et les dimensions de laqueduc dcoulaient donc des choix prcdents. Le point darrive des eaux fut dict la fois par des considrations dordre hydraulique et architectural. Pitot proposa, en effet, que leau tant attendue,

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    parvnt la Place Royale du Peyrou, grand projet damnagement hors les murs en cours de ralisation. Le 31 octobre 1685, les tats du Languedoc avaient ainsi mis le souhait de raliser une statue questre du Roi Louis XIV. Ce dernier choisit Montpellier, prcisant : jagre la statue que les Etats ont rsolu de mrigeret nous avons fait le choix de notre ville de Montpelliercomme celle o nous faisons le plus souvent tenir nos Etats. (CNMHS, 1983). Les pripties pour la ralisation de la Place Royale sont dignes de celles quavait connues laqueduc, mme, si elles durrent heureusement bien moins longtemps. La colline du Peyrou ayant t aplanie en 1690, on pensa finalement, en 1715, mettre la statue questre sur cette esplanade, ainsi transforme en Place Royale. Elle y fut rige sur son socle le 10 fvrier 1718. Le site semblait trs bien choisi pour accueillir les ouvrages darrive de leau de Saint Clment qui pouvait tre ensuite dirige gravitairement, partir de ce point haut, vers les fontaines de la ville.

    Pitot travailla la ralisation de laqueduc de 1753 1765, modifiant parfois les tracs pour franchir certains vallons ou les proprits dopposants au projet. ce propos, on peut trouver diverses anecdotes dont celle relative aux protestations de Monsieur Jean Emmanuel de Guignard, vicomte de Saint Priest, Intendant du Languedoc, devenu, en 1762, propritaire du chteau de Puech Villa que laqueduc traversait. Charles Gabriel Le Blanc, bourgeois de Paris, avait acquis, en 1729, la seigneurie de Puech-Villa, dans laquelle, aprs tre devenu propritaire des sources du Verdanson, il avait ralis un ensemble de jeux deau, dont le grand bassin de Saint-Ferrol (en hommage Paul Riquet), dune superficie de 3000 m2 qui sera achev par Monsieur de Saint Priest. Cest cette poque que le Chteau de Puech Villa prit le nom de Chteau dEaux. Saint Priest prtendit que la ralisation de laqueduc de Pitot avait tari les sources qui alimentaient ses jeux deau . Aprs de nombreux procs, il obtint, en 1785, une prise deau sur louvrage denviron 70 m3 par jour. En 1791, Cambacrs fit annuler cette prise, qui fut rtablie en 1822 pour tre dfinitivement supprime en 1834, alors que le domaine tait la proprit de Monseigneur lvque de Montpellier. Dans les documents officiels, de 1762 la moiti du XXme sicle, le domaine porta les noms de Chteau dEaux, Chteau dEau ou Chteau dO. Cest ce dernier nom quadopta le Conseil Gnral de lHrault qui en est propritaire depuis 1958 (R. Jolivet, 2005). Dans son ouvrage sur le Lez, L. Franck avait imagin une hypothse plus romanesque, avanant que ce nom avait t donn pour viter toute confusion avec le chteau deau du Peyrou lextrmit de laqueduc de Pitot (L. Franck, 1982). Suivant les documents consults, les avis diffrent quant aux dimensions et caractristiques de laqueduc. Sa longueur varie ainsi entre 9 et 17,5 km La plus grande longueur vient probablement du fait que, le dbit des sources de Saint Clment tant rapidement devenu insuffisant aux besoins de la ville,

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    laqueduc fut prolong, vers 1855, jusqu la source du Lez, sur environ 5 km. Dans son ouvrage relatif la vie et luvre de Pitot, Pierre Humbert, qui fut professeur dastronomie la Facult des Sciences de Montpellier, donne probablement la bonne longueur initiale, exprime en units dpoque, soit 7134 toises (cest--dire environ 13900 m) (Humbert, 1954). Essentiellement souterrain et maonn, laqueduc comporte un certain nombre douvrages dart ariens, dont lestimation du mtr varie galement, selon les sources, de 931 1371 m Si les arches sur la commune de Montferrier-sur-Lez sont tout fait remarquables, les arceaux ayant permis le franchissement du vallon de la Merci larrive de laqueduc lesplanade du Peyrou, dans laxe de la statue royale, constituent la prouesse majeure du projet de Pitot. Se dveloppant sur plus de 800 m (de 820 880 selon les documents), les Arceaux , qui ont donn son nom au quartier travers, culminent une hauteur maximale de lordre 25 m (de 22 28 m selon les documents). Construit sur le modle du clbre Pont du Gard romain, bien connu de Pitot lors de la ralisation du pont routier franchissant le Gardon, ldifice est, de mme, compos dune srie de grandes arches massives supportant des plus petites, elles-mmes servant dassise laqueduc proprement dit. Plus quun rappel au clbre vestige de lpoque romaine triomphante, la structure de louvrage aurait t dicte par des considrations visant assurer une grande stabilit destine parfaire ltanchit de laqueduc. Si Pitot jugea que lemplacement idal pour la rception des eaux sur la Place Royale du Peyrou tait le fer cheval terminant cette place au nord, il navait par contre pas de projet arrt pour les ouvrages de rception quil considrait relever des prrogatives des tats. Il avait dailleurs prvu, en attente dune dcision de ces derniers, darrter la construction des arceaux une vingtaine de mtres du fer cheval (CNMHS, 1983). Cest larchitecte Jacques Nogaret que Pitot confia la conception du rservoir. La ralisation connut diverses pripties et, aprs une mise au concours en mars 1764, ce fut finalement le projet du montpellirain Jean-Antoine Giral qui fut retenu. Louvrage modeste envisag par Henri Pitot se transforma ainsi en un monumental temple des eaux colonnes Laqueduc ne fut termin quant lui quen 1772 aprs son raccordement par Giral au chteau deau, comme indiqu plus haut. La Rvolution mit un terme en 1790 aux divers travaux damnagement de la Place Royale du Peyrou, menaant mme le temple des eaux de Giral. Il survcut malgr tout aux perturbations politiques. La statue questre du Roi, un temps dpose, rapparut en 1838 Quant laqueduc, dont lintrt public navait pas t contest, il alimentera la ville jusquen 1983, aprs plus de deux cents ans de service

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    III Pitot et lhydraulique de laqueduc Pitot prfigure lIngnieur des Ponts et Chausses, cole dont on considre que la cration rsulte dun arrt du Conseil du Roi Louis XV en 1747 (elle deviendra cole dapplication de Polytechnique en 1795). Nombre de ses anciens lves vont, au XIXme sicle, contribuer lmergence scientifique et technique de lhydraulique moderne. Pitot connaissait les travaux de Pascal en hydrostatique et de Galile, Torricelli, Jean Picard et Edm Mariotte en hydrodynamique. Il procda lui-mme diverses tudes et recherches sur les machines hydrauliques, la manuvre des navires, et inventa, en 1732, le fameux tube destin mesurer la vitesse dcoulement dun fluide, tube qui porte toujours son nom. En ralit son prototype resta un simple jouet scientifique et fut perfectionn et rendu oprationnel, en 1858, par Henry Darcy, ingnieur des Ponts et Chausses, qui a produit de nombreux travaux en hydrodynamique superficielle et souterraine (Darcy, 1858). lAcadmie Royale des Sciences, Henri Pitot fut souvent charg de donner un avis, en vue dune ventuelle publication, sur des mmoires dtudes hydrauliques adresss la clbre institution. Ses avis positifs laissent parfois supposer, soit une lecture superficielle des ouvrages, soit des connaissances encore limites en matire dhydraulique Ainsi, accorda-t-il son feu vert louvrage de Belidor, Commissaire Provincial dArtillerie, dans lequel on peut lire (page 271, tome second) propos de lcoulement de leau dans une conduite en charge : la cause qui produit les frottements dans un mme tuyau se trouvant continuellement rpte le long du chemin que leau doit parcourir, lon voit que sa vitesse doit aller en dcroissant, selon les termes dune progression arithmtique, dont le premier serait exprim par la vitesse naturelle de leau son entre dans le tuyau de la conduite (que je suppose rectiligne et horizontal) et le dernier par la vitesse effective la sortie de ce mme tuyau (Belidor, 1739). M. Belidor semblait ainsi ignorer le principe de continuit qui implique que pour un tuyau de diamtre constant, en rgime permanent dcoulement, les vitesses lentre et la sortie dun fluide incompressible sont identiques Et pourtant, MM. Nicole et Pitot jugrent que cet ouvrage serait trs utile au public , en foi de quoi le Secrtaire Perptuel de lAcadmie Royale signa le bon tirer En fait, la synthse des connaissances hydrauliques de lpoque fut produite en 1739 par Daniel Bernoulli dans son clbre Hydrodynamica (Bernoulli, 1739). Mais il faudra attendre les travaux dAntoine Chzy, Ingnieur des Ponts et Chausses, pour que soit tablie, en 1775, une formule empirique, trs simple, permettant destimer la vitesse moyenne dun fluide en coulement uniforme

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    surface libre (Chzy, 1775). Ce travail remarquable sera cependant pratiquement ignor pendant plus dun sicle et publi aux tats-Unis en 1897 Prdterminer le dbit capable dun aqueduc surface libre ntait donc pas chose aise lpoque de Pitot, et de nombreux ingnieurs devaient sans doute procder par analogie avec des ouvrages antrieurs russis. Pitot nchappa probablement pas la rgle lorsquil sinterrogea sur la pente donner laqueduc de Saint-Clment. Mme si certaines donnes altimtriques rencontres dans divers documents de lpoque ou ultrieurs, ne permettent pas destimer la pente de louvrage initial, il semblerait que Pitot lait fixe, au stade du projet, 20 pouces et 10 lignes (de hauteur) par mille toises (de longueur) , soit un peu moins de 29 cm par km. Il indiqua dailleurs que cette pente devait tre suffisante, prcisant : Monsieur Picard na donn la rigole qui mne les eaux de ltang de Trapes Versailles que neuf pouces de pente par mille toises . Il qualifiera dailleurs son propre ouvrage de rigole (Franck, 1982). Quant la section de louvrage elle est variable suivant les conditions de terrassement et son dbit capable difficile valuer prcisment lpoque. Si Pitot jugea le dbit des sources de Saint-Clment suffisant pour alimenter laqueduc en toute saison, le dbit initial de ce dernier nest pas exactement connu, mais la majorit des documents consults saccordent sur une valeur de 25 litres par seconde. Un rapport de mesure de dbit sera dpos la Socit Royale des Sciences de Montpellier en 1766 o lon retrouve les noms de Pitot mais aussi du Marquis de Montferrier. Ce rapport indique un dbit de 4 muids par minute (Franck, 1982). Le muid tant une unit de volume variant de 270 litres 700 litres selon les provinces, on pourrait donc en conclure, qu lorigine, le dbit de laqueduc tait compris entre 18 et 47 litres par seconde. En raison du principe de continuit, sil ny avait pas de fuite ou de prlvements clandestins (et des oprations ultrieures dentretien en rvlrent ), ce dbit devait se dverser dans le chteau deau du Peyrou. Pour faible quil nous paraisse, alors quaujourdhui Montpellier prlve pour son alimentation plus de 1000 l/s, ce dbit, sur la base dune consommation de 20 litres par jour et par habitant, aurait autoris la satisfaction thorique des besoins de plus de 100.000 habitants. En ralit, en raison des usages multiples de leau hors consommation domestique, ce dbit sera jug rapidement insuffisant et doubl, ds 1859, par le prolongement de laqueduc la source du Lez. Les dbits prlevs ont continu de crotre jusquen 1985 pour atteindre la valeur maximale potentielle de 1700 l/s. Laqueduc quant lui cessera son activit en 1983, sa capacit de transport ayant t porte, vers 1900, plus de 250 l/s, soit 10 fois le dbit initial suppos. propos du dbit de laqueduc et de celui des sources captes, il semble soit que les estimations de ce dernier aient t quelque peu optimistes, soit quil ait volu au fil des annes. Dans un volume sur la gographie de lHrault, la

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    Socit Languedocienne de Gographie (SLG, 1891) indiquait que, vers 1850, le dbit dlivr variait suivant les saisons de 9 18,5 l/s. Cest cette baisse, associe la croissance des besoins, qui entrana la poursuite de laqueduc vers la source du Lez, pour un prlvement additionnel, dans cette source, de 25 l/s. Mais la rduction du dbit de laqueduc pouvait galement venir de celle de ses sections dcoulement par formation de dpts calcaires. Ce document donne ainsi une estimation de lentartrage moyen annuel soit environ 1 mm de dpt. Ce dpt diminue la section dcoulement, accrot la rugosit de paroi suivant sa structure, et par suite rduit le dbit capable de louvrage. Ce constat avait dailleurs t fait par M. Lenthric, Professeur la Facult des Sciences de Montpellier, charg, en 1837, dune mission de contrle de la solidit de laqueduc, et qui regrettait que lon nait pas envisag, lors de sa conception, une disposition autorisant son curage, sans arrter la fourniture deau (double canal) (Franck, 1982) Cest ce mme M. Lenthric que P. Humbert emprunta une anecdote permettant de sinterroger sur les connaissances hydrauliques dHenri Pitot. Le 7 dcembre 1765, le jour de linauguration de louvrage, leau, qui daprs les calculs de lingnieur devait arriver une heure donne, fut srieusement en retard au point dimpatienter les officiels convis la manifestation et de consterner la foule nombreuse assemble autour du chteau deau du Peyrou. Quand enfin elle y parvint, la foule laissa clater sa joie. Lenthric dcrit ainsi lvnement : On les (eaux) vit slancer dans le bassin du chteau deau, dans celui de la terrasse suprieure du Peyrou, en limpides cascades. Quand on les vit se relever en gerbes puissantes dans les bassins infrieurs, il y eut une explosion soudaine de joie, des transports dallgresse publique manifests longtemps, suivant les murs de nos climats mridionaux, par les dmonstrations les plus bruyantes et les plus vives (Humbert, 1954). Quelle tait donc la raison de ce retard ? Il est difficile davancer que Pitot ait attendu le jour de linauguration pour tester son ouvrage et quil nait pas procd quelques essais pralables dont linauguration aurait constitu lapothose. Que stait-il donc pass ? Quelque vanne ou batardeau provisoire aurait-il interrompu lcoulement quelque part ? Pitot aurait-il dpch quelquadjoint pour remdier lincident ? La description faite par Lenthric laisse penser que laqueduc tait en rgime transitoire le jour de linauguration. Ds lors, peut-on, aujourdhui, se livrer divers calculs quant au temps de transit de leau dans louvrage entre Saint Clment et Montpellier. Les documents consults ou les renseignements obtenus indiquent un radier de canal de 0,3 0,7 m. Compte tenu de la pente de 0,29/1000, la valeur infrieure est impossible dans la mesure o le dbit de 250 l/s, dlivr partir de 1900, naurait pu scouler que sous une profondeur suprieure 2,5 m. Si lon

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    considre un radier de 0,7 m de large, le dbit initial, soit 25 l/s, devait scouler sous une profondeur de lordre de 0,13 m, avec une vitesse denviron 0,25 m/s. Le temps de transit en rgime permanent devait donc tre de 14 15 heures. On peut vrifier les hypothses gomtriques retenues partir des donnes de la Socit Languedocienne de Gographie qui indique que le dpt de calcaire dans laqueduc atteignait, lors des tudes ralises en 1862, 1,25 litre par an et par mtre soit peu prs lquivalent dune couche uniforme de 0,001 m dpose par an sur la section mouille de laqueduc (SLG, 1891). Le primtre mouill de laqueduc, en supposant le dpt uniformment rparti, tait donc de lordre de 1,25 m. Le dbit de cette poque, soit 50 l/s, scoulait, selon les hypothses retenues, sous une profondeur de 0,22m, soit un primtre mouill de 1,14 m tout fait comparable au prcdent. Les quations rgissant les coulements non permanents (transitoires) surface libre furent tablies, en 1871, par Adhmar Jean-Claude Barr de Saint Venant (Saint Venant, 1871). Leur rsolution numrique est banale depuis seulement quelques dizaines dannes, grce lessor des calculateurs digitaux lectronique : les ordinateurs En rgime transitoire, des simulations dun lcher de 25 l/s Saint Clment indiquent que la manifestation du dbit au Chteau deau du Peyrou se produirait environ 9h30 plus tard le dbit variant de 0 25 l/s en 9h environ mais atteignant une dizaine de l/s au bout de 12h. Ces temps sont donc infrieurs ceux issus du rgime permanent, le seul dont Pitot avait connaissance. Pitot, inventeur dun instrument destin mesurer la vitesse dcoulement dun liquide, aurait-il surestim cette dernire ? Cela semble peu probable, car sachant mesurer la hauteur deau dans laqueduc, il aurait conclu un dbit plus important. Le retard constat le jour de linauguration ne peut donc tre expliqu par ses connaissances en hydraulique et devait avoir une origine plus ordinaire . IV Conclusionprovisoire Grce ses comptences mais aussi sa tnacit et sa force de persuasion, Henri Pitot a ralis, la fin de sa vie, un projet utile la collectivit et rest en sommeil pendant plus de 5 sicles. On dit quil en cota 1 million de livres la ville. La somme tait considrable et reprsentait, par exemple, le prix de 4 millions danguilles, poisson trs pris Les experts en conomie et histoire des monnaies concluraient quelle est quivalente prs de 8 millions . Mais, raison de 25 l/s pendant 100 ans elle ne reprsente gure plus de 0,1 par m3 en investissement et laqueduc rendra en fait service pendant plus de 200 ans Rien voir avec le prix actuel pour leau usage domestique. Relativit des choses

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    Lessor des sciences et des techniques, commenc lpoque de Pitot, au cours du sicle des Lumires , allait, dans les temps venir, rduire les dlais entre les projets et leurs ralisations. Ainsi, lorsquen 1891, lingnieur Aristide Dumont, alors la retraite, proposa dutiliser leau du Rhne pour alimenter les villes en rive droite du fleuve jusqu Montpellier, il fit froncer les sourcils aux responsables dalors. Et pourtant, moins de 65 ans plus tard, Philippe Lamour obtenait, in extremis il est vrai, en fvrier 1956, la signature du dcret qui autorisait la future Compagnie dAmnagement du Bas-Rhone-Languedoc (BRL) prlever 75 m3/s dans le fleuve, pour conduire leau travers le Languedoc assoiff. Ctait ce mme Aristide Dumont qui avait, en 1868, fait abandonner le projet de ractiver laqueduc du Pont du Gard pour approvisionner la ville de Nmes Lorsquen 1994, lauteur de ce rcit mis en contact BRL et la Rgion de Catalogne, en vue de la ralisation dun tuyau de 330 km destin alimenter la ville de Barcelone partir du canal de la compagnie arrt Maugio, au sud de Montpellier, dautres sourcils se froncrent. Et pourtant avec un dbit potentiel de 10 m3/s, pouvant, sur le trajet, satisfaire les besoins venir du Languedoc-Roussillon, et un cot estim 1 milliard , ce projet, par l/s et km parcouru serait 75 fois moins coteux, en investissement, que ne lavait t celui de laqueduc de Pitot, et concernerait de 5 7 millions de personnes Il est actuellement en sommeil, mais il na finalement que 13 ans Pour lheure, la Rgion Languedoc-Roussillon envisage de construire un petit tuyau pouvant conduire leau de BRL jusqu Narbonne Lhistoire des amnagements hydrauliques tmoigne que sil faut du temps pour rsoudre les problmes lis aux usages de leau, les particularismes troits et autres gosmes locaux ne sauraient durablement priver de laccs leau ceux qui en ont besoin. Comme laurait dit un humoriste contemporain dont on saccorde reconnatre que son humour nous manque un peu : Les paroles senvolent, seulsles aigris restent ! Remerciements : Lauteur remercie Mme. Elisabeth Denton, Conservateur de la Bibliothque de lUniversit Montpellier 2, MM. Jean-Claude Hmain et Alain Barberan du Service de lEau et de lAssainissement de la Communaut dAgglomration de Montpellier, Arnaud Vestier du Service des Eaux de Montpellier et Michel Lescure de la Direction Dpartementale de lEquipement du Gard pour les documents communiqus et les informations fournies, ainsi que Vincent Guinot, Matre de Confrences PolytechMontpellier, pour les simulations de lcoulement en rgime transitoire dans laqueduc. Un remerciement particulier au moteur de recherche Google, qui, dun clic de souris met dsormais lrudition la porte de tous, en noubliant pas,

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    toutefois, comme se plaisait le dire Lnine, que : La confiance nexclut pas le contrle Rfrences Aigrefeuille C., 1877, Histoire de la ville de Montpellier depuis son origine jusqu notre temps. ed. C. Coulet, Montpellier. Archives Municipales, 1985, Montpellier et ses fontaines (XVIII-XIXmes sicles). 45 p. ed. Ville de Montpellier. Barr de Saint Venant A. J. C., 1871, Thorie du mouvement non permanent des eaux avec application aux crues des rivires et lintroduction des mares. C. R. Ac. Sc., v. 73, pp. 147-154. Belidor M., 1739, Architecture hydraulique ou de lart de conduire, lever et de mnager les eaux pour les diffrents besoins de la vie. Tome 2, 423 p. ed. Librairie de lArtillerie et du Gnie, Paris (Coll. Universit Montpellier 2, cote 10923). Bernoulli D., 1738, Hydrodynamica sive de viribus et motibus. ed. Johan R. Dulsseker, Strasbourg. Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites (CNMHS), 1983, Projets et dessins pour la Place Royale du Peyrou Montpellier. Inventaire Gnral des Monuments et des Richesses Artistiques Languedoc-Roussillon, 79 p. Chzy A., 1775, Mmoire sur la vitesse de leau conduite dans une rigole donne. Annales des Ponts et Chausses, Paris. Darcy H., 1858, Note relative aux modifications introduire dans le tube de Pitot. Annales des Ponts et Chausses, Paris. Franck L., 1982, Un rivire nomme Lez. 239 p., ed. Presses de la Charit, Montpellier. Guiraud L., 1900, Recherches et conclusions nouvelles sur le prtendu rle de Jacques Cur Montpellier. ed. Picard, Paris.

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    Humbert P., 1954, La vie et luvre de Pitot. 34 p. ed. Imp. Paul Dehan, Montpellier. Jolivet R., 2005, Montpellier S/Verdanson, 257 p. Imp. Fourni, Toulouse. Montens S., 2001, Les plus beaux ponts de France. ed. Bonneton, Paris. Nougaret J., 2005, Montpellier monumental. Tome I, ed. MONUM-Editions du Patrimoine Renault C. et J.-M., 1996, Curiosits aux portes de Montpellier. ed. Les Crations du plican, Montpellier. Socit Languedocienne de Gographie (SLG), 1891, Gographie gnrale du Dpartement de lHrault, Tome 1 : introduction, orographie, gologie, hydrologie et minralogie. Imp. Ricard Frres, Montpellier. Ville de Montpellier, 2006, Zone de protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager, ZPPAUP de lAvenue de Lodve, Prsentation et Analyse. Ville de Montpellier, Rgion Languedoc-Roussillon, SCP F. Chambon et J. R. Negre.