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Du Symbolisme en Métaphysique Figure Symbolique Destinée du lllustration et Mesure du Symbole L'ldée de Symbole Le Sentiment de l'Angoisse dans vre de Maeterlinck Mystère de la Vision Sur la Doctrine d'Edgar Poë Ou Symbolisme Bachique dans la M tique M usulmane Introduetion à Quelques Poèmes dits de Charles Van Lerberghe Petits Poèmes lnédits ' · Lettre sur Max Elskamp :e-.._. ....., ..... ., Van Lerberghe: J-ean de Bosschère : J.C. G . .: Notes sur la Poésie et l'Expérience Notes Critiques et Bibliographiques Comptes Rendus. IL Y A UNE EVIDENTE RENAISSANCE DANS LA LITTERA TURE BELGE (RENAISSANCE QUE TEMOIGNE, ENTRE AllTRES PHENOMENES, UNE REVUE AUSSI IMPORTANTE' ET RESSANTE QUE HERMES.) EDMOND JALOUX (LE TEMPS) ABONNEMENT A LA PREMIERE SERIE DES · QUATRE PAR US ET A LA DEUXIE- ME SERIE DE QUATRE NUMEROS(PAR SERIE): Belgique 35 francs belges France et Pays à 1/2 Tarif Postal 8 belgas ( 40 frs. belges) Pays à Tarif Postal Plein 10 belgas ( 50 frs. belges) Numéros Séparés: Belgique 12 frs. belges France et Au tres Pays 10 frs. français ou 3 belg as. Administration et Direction: 13, .rue d'Edimbourg, Brux. Dépositaire Exclusif pour la France et ses colonies : ' EDITIONS VEGA, 175, Bd. St. Germain, PARIS N o JV HERMES MARS 1935

Hermes (I) No. 4 - Mars 1935

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- Hermès, n° 4, mars 1935 [80 p.]Marcel Decorte, Du symbolisme en Métaphysique,Marc. Eemans, Figure symbolique,Etienne Vauthier, Destinée du Symbole-Image,Jacques Masui, Illustration et mesure du Symbole,Jean Wahl, L’Idée de Symbole,René Baert, Le sentiment de l’angoisse dans l’œuvre de Maeterlinck,Denis de Rougemont, Mystère de la Vision,André Rolland de Renéville, Sur la Doctrine d’Edgar Poë,Emile Dermenghem, Du Symbolisme Bachique dans la Mystique Musulmane,Franz Hellens, Introduction à quelques poèmes inédits de Charles Van Lerberghe,Charles Van Lerberghe, Petits poèmes inédits,Jean de Bosschère, Lettre sur Max Elskamp,J.C.G. [C.G.], Notes sur la poésie et l’expérience,Notes critiques et bibliographiques / Comptes rendus.Note(s) :- André Rolland de Renéville, Swedenborg et les lettres françaises [repris in A. Rolland de Renéville, Sciences maudites & poètes maudits, Le Bois d’Orion, 1997, p. 131-157

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Page 1: Hermes (I) No. 4 - Mars 1935

Du Symbolisme en Métaphysique Figure Symbolique Destinée du Symbole~Image lllustration et Mesure du Symbole L'ldée de Symbole Le Sentiment de l'Angoisse dans l'reu~ vre de Maeterlinck Mystère de la Vision Sur la Doctrine d'Edgar Poë Ou Symbolisme Bachique dans la M ys~ tique M usulmane Introduetion à Quelques Poèmes lné~ dits de Charles Van Lerberghe Petits Poèmes lnédits ' · Lettre sur Max Elskamp

:e-.._. ..... , ..... ., Van Lerberghe: J-ean de Bosschère : J.C. G . .: Notes sur la Poésie et l'Expérience

Notes Critiques et Bibliographiques

Comptes Rendus.

IL Y A UNE EVIDENTE RENAISSANCE DANS LA LITTERA TURE BELGE (RENAISSANCE QUE TEMOIGNE, ENTRE AllTRES PHENOMENES, UNE REVUE AUSSI IMPORTANTE' ET INTE~ RESSANTE QUE HERMES.)

EDMOND JALOUX (LE TEMPS)

ABONNEMENT A LA PREMIERE SERIE DES · QUATRE NUMERO~. PAR US ET A LA DEUXIE­ME SERIE DE QUATRE NUMEROS(PAR SERIE): Belgique 35 francs belges France et Pays à 1/2 Tarif

Postal 8 belgas ( 40 frs. belges) Pays à Tarif Postal Plein 10 belgas ( 50 frs. belges) Numéros Séparés: Belgique 12 frs. belges

France et Au tres Pays 10 frs. français ou 3

belg as.

Administration et Direction: 13, .rue d'Edimbourg, Brux. Dépositaire Exclusif pour la France et ses colonies : 'EDITIONS VEGA, 175, Bd. St. Germain, PARIS VI~.

No JV HERMES MARS 1935

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IL A ETE TIRE DU NUMERO QUATRE D'HERMES 25 EXEMPLAIRES SUR PAPIER FEATERWEIGHT RESERVES AUX AMIS D'HERMES.

REVUE TRIMESTRIELLE DE RENE BAERT ET

SOUS LA DIRECTION DE MARC. EEMANS

NOTE DES EDITEURS

Les préoccupations dont témoigne HERMES nous amènent natu·rellement à penser aux symboles e-t aux symbolismes. L ' on ne peut, en effet, ne pas être frappé de voir les mystiques et les poètes recourir, de préférence à tout autre, à ce mode d'expression qui leur é~ait commun bien avant que la notion n'en fût intraduite dans la littérature.

Mais les symboles ne sant pas qu'une façon de parler et de s'entendre, et si dans ce numéro d 'Hermès nous accordons une place importante au mouvement symboliste, nous voudrions que ce soit dans la mesur:e oû les poètes symbolistes en ont eu l'intuition. Et n'est-il pas vrai que les objets, les actes, les paroles symboliques tracent autour de notre existence un cercle d 'enchantements et

confèrent à notre vie un sens parfois insoupçonné ? N ' apparaît-il pas que souvent ils dispensent une certitude qui semble se confondre avec la suprême conscience de soi et quïls sont susceptibles d 'en­trainer t esprit dans des démarches imprévisibles, au-delà des limit es que ton peut vouloir se fixer ?

Quoi qu'il en soit, nous ne crayons pas inutile de consacrer un numéro spécial à ces questions, sans préjuger d 'ailleurs de timpar­tanee et de la valeur des révélations qu' il pourra nous apporter quant aux rapports du mysticisme et de la poésie .

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OU SYMBOLISME EN MtTAPHYSIQUE

1. - II faudrait d ' abord s ' entendre sur Ie sens du mot « sym­bole ». Le peut-on sans faire appel à une métaphysique préalabie qui verrait dans Ie symbole tantöt l'expression la plus profoude de !'être, tantöt une représentation analogique de la réalité, tantöt un pur signe conventionneL selon les préférences d'un chacun? Il est permis d'en douter. Sous l'influence de divers facteurs dont l~s principaux sont la religion, ou du moins certaines formes du senti­ment religieux, et la littérature, Ie term~ symbole s'est chargé d'une signification affective qui en a réduit au minimum Ie contenu pro­prement intellectuel. Au surplus, le mot n'a guère jamais eu droit de

cité dans le vocabulaire philosophique.

2. - II est clone extrêmement difficile de parler du röle que

peut jouer Ie symbolisme en métaphysique. En un sens, Ie symbolis­me y est total ; il s 'identifie même avec le mouvement de la pensée métaphysique En un autre, il n'y est rien: ce n'est qu'un fantöme livresque. Si l'on restreint en effet la signification du mot « sym­bole » en Ie faisant coïncider avec « l'idée » et en disant avec Aris­tote que le mot est Ie symbole du concept comme Ie concept est Ie symbole de l'objet, alors il est souverainement juste d'accorder au symbolisme une place de choix en métaphysique. Mais si !'on déta­che Ie symbole de l' ob jet en Ie considérant purement en soi-même et supprimant sa relation ombilicale à l' autre en tant qu' autre, il est clair que sa fécondité métaphysique deviendra nulle et que , tourbil­lonnant dans l' esprit du philosophe, il ressemblera à un vague con te

de fées .

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3. - P eut-être est-i! possible de trouver une vo1·e · . . moyenne qUI nous condUise drmt au but. Si !'on entend par symb 1 · . . . . , o e, mmns une creat10n arb1tra1re de 1 esprit imposée par ·la fant · · 1 . · a1sie, a conven-h_on ou la cou~ume, moins un synonyme ambigu de l'idée, qu'un s1gn~ ~aturel, figurant, en vertu d'un rapport ontologiquement dé­termme, une autre chose qui en vertu de sa structure b' t' ' o Jee 1ve, ne peut pas ~e montrer telle qu 'elle est en elle-même, il faut dire que Ie symbolisme est au cceur même d 'une certaine me' taph · 1 . _ , ys1que: a meta phys1que de 1 être en tant qu'être ou de !'analogie. On doit aff1rmer que cette fonction sémiologique ou de signalisation est essentielle à tout être existant, sous peine de tomher dans un maté­rialisme précis qui ferait de chaque être un tout absolument autono­me et diviserait à tinfini l'Univers en monades immobiles durc1· 1 • es, c oses sur elles mêmes, sans possibilité de rapports entre elles ou même d 'évolution pour leur propre compte, puisque la relation ou Ie mouvement leur donneraient inéluctablement un sens. Pareillement Ie monisme absolu, qu 'il soit spiritualiste ou mécaniciste, se trouve écarté, car une telle doctrine enlève aux êtres leur significatien et leur place dans Ie chceur cosmique et donne à l'Univers l'apparence figée d 'une statue qui, par une inévitable contradiction, ne figurerait qu'elle-même. Le symbolisme est clone postulé par l'intelligibilité de !'être, car !'être est intelligible ou il n'est pas. Si !'être n'est pas en soi intelligible, non seulement l'intelligence n'est pas véridique, mais encore d 'une part, l'objet formel de l'intelligence avec ce quïl com­porte de variété et d 'unité disparaît, laissant l'intelligence vide et inerte, et d'autre part, l'être se trouve mystérieusement scindé en deux : masse opaque objet de la seule imagination et mirage flottant

au sein de la pensée.

4.- Le réalisme métaphysique s 'avère seul capable d'utiliser la symbolique universelle des êtres. La pensée, par elle-même, n'est pas c.hargée de symboles. Parce qu' elle est, en quelque façon tous les êtres, parce qu'elle est Ie lieu de toutes les idées représentatives et que c'est là sa fonction première, la pensée ne signifie qu 'indirec­tement autre chose qu'elle-même. Ce n'est qu'en tant qu'elle est un être parmi tous les êtres, et non pas uniquement en tant qu'elle pense, qu'elle s 'insère dans la significatien générale des choses. Ce n'est pas en tant que pensante, mais en tant que pensée ou esprit, qu 'elle est capable d'être un symbole. Là s'amorce la stérilité de l'idéalisme : s'il n'y a rien au delà de la pensée (c'est-à-dire de la pensée pen-

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sante), si Ja distinction du sujet et de 1' ob jet est factice et illusoire. un idéalisme conséquent - tel celui de M. Brunschvicg - doit se refuser Ja recherche du sens des choses. Il n 'y a plus, dans l'Univers.

u'un donné brut à l'entour duquel la pensée tourne, effarée, parce ~ue ce donné est en même temps un créé, et que l'idée claire e~ distincte est en même temps un fait, c'est~à~dire quelque chose qUI

a priori n 'est ni clair ni distinct . Un fait, un donné engendrent un choc, propulsent une résistance : ce que l'idéalisme, contre toute

évidence, ne peut admettre, à peine de se renier.

5. _ Le problème du symbolisme en métaphysique est étroite~ ment lié à cel ui de r existence. Toute philosophie qui a dm et le sym~ bolisme de l'être est une philosophie existentielle. Plus exactement peut~être, teute philosophie existentielle doit faire place au symbo­lisme. L'existence, au sens concret, ne peut pas en effet être un problème métaphysique : elle est Ie fait métaphysiqu~ premier ~u, comme Ie dit M. Gabriel Marcel. le mystère métaphystque essenttel. Traiter de J'existence concrète comme d'un problème, c'est par décret tyrannique et dogmatique, astreindre à une condition interne c~ q~i se présente à l'évidence comme inconditionné: l'existence ~s~ mdk visible; elle est immédiate, elle affecte l'existant sans se dtstmguer de lui. Or s'il en est ainsi, J'existence ne peut pas ne pas représenter autre chose que soi : ]' existence la plus immédiatement perçue, qu'elle soit celle de mon corps ou de tout autre objet, est solidaire des autres existences ; bien plus, elle représente le type de toute existence possible. Ou bien I' existence éprouvée est en un isolement pur, et alors la pensée qui I' appréhende a son élan brisé ; l' existence devie:nt un problème pour la pensée qui la dissocie sous son effort. Ou bi en elle a une significatien universelle et symbolise I' existence en soi, et alors elle amorce I' analogie de I' être qu' elle préfigure concrètement. Le mystère de J'existence est le symbole de la méta~ physique de l'être en tant qu'être.

6.- Qui dit symbolisme, dit du même coup attention au réel et enquête positive. Une dialectique abstraite qui va d'hypothèse en hypothèse, telle celle de Platon, évolue dans l'atmosphère des idées séparées. Elle ne part pas du réel : elle tente d'y aller. Nous tenons peut~être ici le secret du mythe platonicien. Ce n'est point imagination de poète ou survivance pythagoricieune ( sauf par ac~ cident} que cette somptueuse imagerie, qui essaie de capter une

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réalité supeneure au sensible, et d'annoncer aux hommes de la caverne un monde nouveau. C'est l'injonction de l'objet imposée à !'esprit loyal d'un vrai métaphysicien fourvoyé. On aceorde d'ordi~ naire une importance capitale à la dialectique dans Je système de Platon et, corrélativement, on y minimise Ie röle du mythe L . e rap~ port doit être renversé: c'est Ie mythe qui a la prépondérance; c'est lorsque la pensée de Platon devient mythique qu'elle est en plein dans Je réel. Le mythe apparait chez lui là ou la dialectique est im~ puissante, là ou elle subit un échec patent. Quand les élucubrations logiques, soigneusement agencées, ont laissé fuir les eaux de J'Etre qu'elles tentaient en vain de filtrer , l'esprit métaphysique du philo~ sophe a un sursaut : il réveille Ie dormeur qui, d'un geste lent , tisse Ia toile serrée des métaphores. Le dialecticien, Ie Iogicien, l'idéaliste ont disparu. 11 n'y a plus que Ie métaphysicien, auquel Ie poète et l'orphique apportent leur concours. Maïs le poète et l'orphique se subordonnent trop souvent Ie métaphysicien. D'ou la grandeur et la faiblesse du mythe chez Platon. Ce mythe n'est pas assez positif: il n'a rien qui Ie précède ou Ie suive. 11 prolonge une poursuite qui n 'avait point d'origine réelle.

Le platonisme, Ie vrai platonisme, est une propédeutique à la métaphysique. Aristote achève Platon.

7.- L'intervention positive de I' esprit doit imbiber Ie symbole : question d'équilibre et de disposition hiérarchique, comme en toute chose .réelle et vraie, l'erreur n'étant qu'un déséquilibre, un déplace~ ment de forces antagonistes à la fois et amies. En d'autres termes, c'est quand l'intelligence est Ie plus authentiquement intelligence, quand elle suit Ie plus rigoureusement les lignes d'articulation du réel, qu'elle est Ie plus authentiquement et le plus rigoureusement symbolique. Positivité et symbolisme ne sont pas contradictoires, ainsi que l'affirme volontiers un bon sens obtus. Au contraire, Ie symbole exprime Ie réel et signifie un moment ultérieur du réel, il est, pour parler Ie Jangage de l'Ecole, un signe formel et un signe instrumental. Notre idée des choses en leur ultime constitution interne, nos concepts métaphysiques tels que matière, forme, puis~

sance, acte etc ... traduisent fidèlement Ia structure des êtres et sont connus en même temps qu'elle, maïs d'autre part, en vertu du dynamisme fondamental de l'être, ils deviennent des instruments gräce auxquels nous pouvons suivre la continuité ontologique des êtres au sein de l'être en tant qu 'être. Notre intuition de l'être nous

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donne ce qu'est l'être (sa quiddité), maïs en même temps ce qu'il n'est pas ; ce que l'être appelle pour être complètement lui~même, mais en même temps son insuffisance congénitale. De telle sorte que Je mouvement de la pensée métaphysique est d'aller de l'objet pris comme tel à l'objet pris comme symbole, puis de l'objet synchronisé par ce symbole à d'autres symboles qui deviennent à leur tour obj~ts. L'intuition métaphysique est ainsi analyse scrupuleuse et synthese aventureuse, se conditionnant réciproquement. Il y a une part néces~ saire, inévitable d' a venture ( réelle et non imaginaire) dans toute enquête métaphysique. 11 ne s'agit aucunement .. en saine ont~logi~, de réduirè l'aventure; il s'agit simplement que 1 aventure de 1 espnt s'identifie à l'aventure de l'être. Et on n'y arrive que par une lenteur méthodique, un scrupule constamment avivé, une austérité ardente,

bref par la [idélité à l'objet.

8.- Si Ie concept représente Ie moment statique de la conquête de l'être et Ie symbole son moment dynamique. il serait faux de dissocier dans Ie réel même ce que postule 1' analyse abstraite de ce réel. L' analyse ainsi poussée conduit inévitablement à l'idéalisme et à Ia stérilisation de la pensée : Ie plus grave défaut de l'idéalisme n'est point de oe pas partir du réel, il est de ~e !amais .Y aboutir: de dédaigner Ie va~et~vient excitant du concret a I abstralt, et de I ~b~ strait au concret, et d'évoluer dans un univers sans rapports. B1en que l'idéalisme se présente comme une doctrine de la relation, c'est~à­dire au fond du symbole. elle n'atteint que la pellicule la plus super~ ficielle du symbole: sa valeur abstraite d'idée. alors qu'H s'agit cl' aller à son centre même, à sa valeur concrète d' être. Le symbole pris comme idée n'est qu'un concept desséché, mais considéré comme lesté d' être, il .est le concept vivant de l' être. Concept et symbole sant identiques quant à l'être. bien que distincts quant à la pensée.

9. _La théorie métaphysique de I' analogie est essentiellement basée sur Ie symbolisme de l'être. L'ontologie débouche sur la théo~ dicée par l'intermédiaire du symbole, naturel s'enten cl. Du symbolis~ me de !'être~ nous n'en avons primitivement qu'une intuition confuse, maïs puissante. Elle se manifeste tout d'abord dans l'évidence de la synergie des êtres, évidence objective qui n'est pas clarté subjective, et qui s'impose à nos yeux éblouis comme une lumière trap vive. Aucun être n ' apparait comme se signifiant uniquement et simple~ ment soi~même. 11 est inséré dans un contexte qui Ie dépasse, inscrit

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dans une modulation symphonique qui en dilate Ie sens. Claudel a souligné admirablement cette significatien sacramentelle de re-t . re dans son Art poétique. Pour avoir trap dédaigné la sensation et la richesse infinie qu'elle cèle à I'état brut, bien des philosophies se sant condamnées à végéter dans la géométrie notionnelle des pseu~ do~idées . La grande parale d 'Aristote : la substance est sensible par accident, qui montre l'implication du sensible et de l'intelligible, la prodigieuse variété du fait Ie plus simple. la nouveauté radicale de l'éternel, est la justification de la souree de teute métaphysique: l'humble exercice de nos sens. La sensation naïve est ainsi chargée du symbole de lïntelligible. Elle communique à l'abstrait une force de rayonnement qu'elle tient de I'existence de son objet. Par elle, l'intelligible enfonce ses radnes dans l'être indifférencié, mais qui est là. devant nous, avec sa rcdoutable et fascinante mobilité. De même, l'intelligible est chargé du symbole du transintelligible ; ce qui n'est pas par soi signale ce qui est par soi. La métaphysique symboliste n'est clone ni pluraliste ni mooiste: elle est les deux à Ja fois; elle admet la pluralité des êtres et l'unité de I'être, car elle est bätie sur l'intuition du continu ontologique. Dieu lui~même qu'elle circonscrit du dehors, elle Ie déclare à la fois transcendant et imma~ nent, rompant avec les êtres et rassemblant tout l'être. Le lien de la pensée métaphysique, comme Ie lien de l'être, est Ie symbole.

10.- Les êtres sant symboliques et I' être n'est pas symbolique. Chaque être por te en soi une annonciation, une invitation à ]'ex is~ tence des autres êtres. Chaque être en appelle à sa cause ontologique et, en définitive, à la Cause en soi: Dieu laisse sa trace en toute chose. Maïs , en un sens, l'être pris comme transcendantal n 'en ap­pelle à rien d'autre que soi; car il n 'y a rien au delà de l'être. Notons toutefois qu 'il s'agit ici du concept d'être déjà élucidé, placé sous Ie faisceau de la lumière proprement métaphysique. En un autre sens qu'on pourrait appeler prémétaphysique ou, simplement, au stade de l'intuition originelle de !'être, il faut dire que !'être est symboli­que : !'être comme intuition préfigure !'être comme concept. L'être saisi comme tel , dans Ie ruissellement de sa fraîcheur native, est un être caché : il comporte un mystère dont l'esprit ne parviendra ja­maïs à s'affranchir complètement. Nous sommes en face d'une per~ fection inimaginable que l'intelligence pressent à travers son intuition. Toute appréhension de l'être, en son immédiateté, est clone et doit être symbolique. Il serait même possible d 'instituer, à partir

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de là, une phénoménologie de l'être en tant qu'être, et de retrouver, au delà des conditions de la connaissance de l'être, au delà du discours qui développe Ie contenu intuitif et symbolique de l'être, l'intuition initiale en sa totale valeur objective. Pareille analyse, extrêmement difficile, parce qu'elle userait constamment d 'un double régistre aux accords êtreitement entrelacés : psychologique et méta~ physique, montrerait que l'être ne peut pas être univoque et que l'intuition objective de l'être est, en même temps, et de façon lar~

vaire, une intuition de la polyvalence de l'être. Le röle du symbo~ lisme est ici très grand: l'intuition de !'être que j'ai dans mon expérience des êtres me signale d'abord que ces êtres ne sant pas l'être. bien que l'être se trouve intrinsèquement en eux, mais aussi que l'être n'est pas une chose unique s'étalant de la même façon en chaque être, comme une même couche de eauleur sur chaque objet : l'être se diversifie dès que je Ie saisis. Des lors, l'être annonce et représente autre chose que soi : son essentielle multiformité, de même que cette multiformité annonce et représente autre chose que son unité et sa multiplicité cohérentes.

11.- La conception symbolique de l'être est inséparable d 'un mysticisme métaphysique de bon aloi que des excès ont discrédité. 11 est certain que l'être offre une résistance à son investigation. ll est certain, d' autre part, que 1' esprit saisit obscurément, derrière cette résistance, la présence d 'une grande et secrète supra~intelligi~ bilité. Parce que Ia notion d'être exprime une perfection souveraine~ ment analogique s'appliquant aussi bien au grain de sable qu'à l'Etre subsistant. elle ne peut pas ne pas être mystérieuse. Elle s'applique intrinsèquement et formellement ici comme là. Teute expérience de l'être est clone, d'une certaine manière, une expérience du divin, non sans doute en ce qui Ie constitue en propre, mais par rapport à son existence : Ie moindre brin d'herbe envisagé sous l'angle de l'être est un symbole et un signe de Dieu, Sans doute ne sommes~nous pas ici dans Ie domaine proprement métaphysique de l'être comme tel, mais l'acuité de la perception de eet être comme tel n'en demeure pas rnains sous-tendue par une incoërcible expérience de la fonction symbolique de !'être.

12. - 11 importe de souligr..er que pareil symbolisme offre un immense danger : celui de verser dans l'artifice. L'intelligence hu~ maine n'est que trap égoïste: elle n'a que trap tendance à revenir

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sur so~ et~ suppl;er .. par ses propres créations, à l'inévitable opacité que lUI presente l ob1et métaphysique. Le symbolisme mathématique, par exemple, pure construction de !'esprit, n 'est qu 'un Jangage arbi~ traire dont la fonction est de désigner des êtres de raison. Si Jes mathématiques parviennent à atteindre le réel, c'est moins en vertu de la fécondité de !'esprit créant de toutes pièces symboles et êtres de raison, qu'en vertu de l'intuition initiale de toute connaissance de type mathématique portant sur l'être sous son aspect quantitatif. Pour avoir une valeur métaphysique, le symbolisme doit être Je Jangage naturel des choses, l'expression de leur postuiatien la plus intime à être. D'autre part, si Ie symbole représente autre chose que soi, l'essentiel est de diriger son regard vers cette autre chose. C'est pourquoi Ie symbolisme inhérent au processus de conquête métaphy­sique doit être couronné par la contemplation métaphysique.

U niversité de Liége MARCEL DE CORTE

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FIGURE SYMBOLIQUE

Si à Ja faveur d 'étranges et regrettables confusions la poe~ne n'est plus ce qu'elle était aux origines, la révélation d 'une réalité supérieure et comme transeendante à J'homme, c'est aux errements de Ja pensée discursive, quant à la nature de la poésie, quïl faut en

attribuer la faute. Maïs si pour certains la poésie n 'est plus que l'expression la

plus individuelle de la plus individuelle. des émotion~ . pour ~ · autres elle demeure taujours Ie témoignage d une commumon de I homme avec tout ce qui représente Ie Réel. C'est ce qui a permis à l'essayiste allemand Walter Linden d 'écrire tout récemment encore que Dichtung ist Ausdruckgestaltung eines religiös-bestimmten gemein­schaf ts-erlebnisses ( 1). Et I' on peut dire que c' est en partant. consciemment ou non, de cette conception de la poésie que les plus grands parmi les poètes se sont élevés au-dessus de leur misérable condition d'homme pour atteindre à ce que d'aucuns appellent la

voyance . Pour reprendre Ja terminologie de \ V alter Linden, nous dirons

encore que cette démarche du poète vers la voyance est comme une Begegnung mit den grossen Schicksalen seines Volkes und den in

( 1) W alter Linden : < Aufg abei'. einer nationale Literaturwissenscha ft », Ed.

. c. H. Beck'sche Verlagsbuchlandlung , München 1933.

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ihren sich aftenbarenden göttlichen Ge is te d er Welt ( 1 ) . Pour éclaircir Ie sens de cette citation, nous nous. en reporterons à Fried­rich Gundolf qui définit de la manière suivante la nature du concept Volk quant à ses rapports avec, Ie poète : « Volk » bezeichnet schlechthin die « Volkheit » ( nach Goethes Wort) , den gesteigerten und verdichteten Geist der N ation, ihren Bildungsgenius, wie er in seinen hochsten sinnbildlichen Personen und W erke sich ausdrückt. ohne darin endgültig verhaflet zu sein . ( 2)

Ce Volk auquelle poète se trouve lié n' est clone point Ie peuple tel qu'on l'entend généralement, mais une projection de cette appré­hension du Réel qui se trouve inclus dans Ie devenir métaphysique de la communauté à laquelle Ie poète appartient par les liens du sang .

Dans sa poésie, Ie poète tendrait alors à condenser toute son expérience du Réel, tel qu'il se manifeste à travers la vie de la communauté; c'est ce qui conférerait à son expérience cette sorte de gravité qui l'apparente aux démarches de la religion. Rappelons d'ailleurs que Novalis rapprochait volontiers Ie poète du prêtre et que l'abbé Brémond établit une relation de degré entre la prière et la poésie.

Pour Hölderlin la poésie est une nécessité de J'univers : Ie poète est pour lui Ie messager de la Parale jaillissante dont les dieux ont besoin, car la personne du poète, né de la ter.re, mais pénétrée de divinité sïnterpose entre la solitude des dieux et celle des hom­mes. (3)

Dans Ie Kreis de Stefan George !'on a également songé à faire relever Ie poète de la dignité du prêtre, de gardien du feu sacré et de médiateur entre la Révélation et les hommes. Dans l'reuvre de George I'épisode de Maximin, par exemple, nous semble assez significatif à eet égard. La poésie serait comme une religion, plus ésotérique sans doute que les au tres, dont Ie poète serait Ie prêtre .. .

Le poète, disait également Novalis, est à la fois l'isolateur et le conducteu,r du courant poétique, et l'abbé Brémond de poursuivre cette pensée en disant à propos de la poésie que Ie courant passe au ne passe pas ... Ce courant se situe au-delà de la pensée logique ;

( 1) Walter Linden, op. cit.

(2) Friedrich Gundolf : < Stefan George », Ed. Bondi Verlag, Berlin 1930 .

(3) Stefan Zweig : c: HöLDERLIN » - (Le Mythe de la poésie).

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Ie poète Ie subit et Ie communique sans qu'il puisse Ie détourner de

son sens, de son ethos. Ainsi Ie poète n 'est pas seulement lié par les liens du sang,

mais également par le courant poétique qui nait de ces liens. La vie de [a poésie, dit Otto Miller, repose au sein du peuple et c'est lïma~ gir.ation créatrice du poète qui la remonte à la surf ace. ( 1) Le poète n'est pas libre de s'abandonner à toutes les sollicitations de son äme et de son corps, car la disponibilité ne peut être son partage. Pour devenir Ie voyant, Ie médiateur, il est tenu de s'élever sans cesse et, tout comme Ie mystique, il doit s'adonner au long travail de Ia libération des sens. Mais cette ascèse n'est point celle du poète en tant qu'individualité, car elle dépasse l'individuel. mais en tant que porteur du courant poétique, en tant que personnalité représen~

tative, en tant que figure symbolique.

Se situant au~delà de son individualité, cette ascèse n'influera peut~être point sur I' existence quotidienne du poète (à cöté cl' un Rimbaud Ie Voyant ne peut~on pas placer un Rimbaud Ie Voyou ?) : mais elie sera taujours déterminante quant à la qualité des rapports entre Ie poète, en tant que poète, et Ie monde.

Gräce à ce long travail de purification qui doit Ie mener au~delà des illusions des sens, Ie poète devient un autre (je est un autre, disait Rimbaud) , il transeen de sa nature d'homme pour se retrouver au~delà de lui~même. Se détachant lentement de toutes les servitudes de sa pensée, il finit par atteindre à une existence plus subtile, dans Iaquelle et autour de Iaquelle tout ne vit plus que d'une vie sourde et profonde, d'une vie dans laquelle l'imagination chasse les images grossières pour des images faites d'indicible, car il devient un être mystique, non pas tant mystique dans Ie sens étroit ou I' entendent les religions, maïs dans un sens plus large et à la fois plus tangible, selon lequel Ie Réel est lui~même mystique, c'est~à~dire tout chargé d 'une potentialité particulière gräce à laquelle l'homme participe d'une manière effective et immédiate à l'accomplissement des éternelles

nécessités. ( 2)

( 1) 0 . Milier : « Der Individualismus als Schicksal ». Ed. Herder & C•.

Preiburg i. Br. (2) 11 ne nous semble pas superflu de rappreeher cette conception du terme

mystique de la dêfinition qu'en donne un ethnologue comme Lêvy~Bruhl : < J'em­ploierai ce terme, faute d 'un meilleur, non pas par allusion aux mysticismes religieux de nos sociêtês, qui est quelque chose d'assez diffêrent, mais dans Ie

~ 15

Toutes choses se rencantrent alors en Ie moi du poète pour sïdentifier avec lui et se perdre en lui, tout comme lui~méme s 'iden­fie avec elles et se perd en elles. II est un èt il est multiple, il est Ie tout.

Gräce à cette ascèse, Ie poète vient de faire Ie nécessaire et l'indispensable retour aux origines, là~méme au les dieux prennent naissance et s'élèvent des profondeurs abyssales. Sa pensée est mûre pour élaborer quelques représentations poétiques susceptibles de s't>lever au~delà des sourees habituelles de l'imagination. Ce n'est qu'à ce moment qu'en son être il pourra concevoir la technique des symboles .. . et encore, car les symboles ne naîtront pas que du seul travail de son être, mais ils naitront lentement, imperceptiblement dn contact de son être avec la fécondante matière des traditions millénaires qui auront, au préalable, pris corps en sa chair et en son äme.

Un symbole est à la fois chose bien précise et bien vague ; pour certains il s'identifie avec I'allégorie au !'image, pour d'autres il est comme un absolu qui trouve sa fin et sa traduetion en soi, pour Ie voyant, enfin, il est condensation de la vie elle-éme et comme elle il est à la fois un et multiple, il est jaillissante lumière, il est un fleuve immense qui renverse tout sur son passage, qui emporte les hommes et les projctte au del à de I' espace et du temps.

Les vrais symboles naissent taujours du plus profond de !'être, il sant être et vivent de eet te vie végétative que I' on ne rencontre qu'au sein des éléments et si !'on veut suivre Ie développement dialectique du symbole l'on constatera qu 'il dépasse étrangement les mots ou les formes qui veulent Ie contenir et Ie circonscrire. Les mots, symboles de symboles, sant davantage que de simples signes, ils dépassent leur gangue concréte pour déterminer cette contrainte magique que la poésie doit excercer de toute nécessité.

Le symbole, pourrait~on dire, est Ie levier de la magie ( 1) , il transcende l'imagination, mais il transcende aussi Ie poème, il lui

sens êtreitement dêfini ou mystique se dit de la croyance à des forces, à des influences, à des actions imperceptibles aux sens, et cependant rêelles.

«En d'autres termes, la rêalitê ou se meuvent les primitifs est elle-mêm~

mystique. Pas un être, pas un objet, pas un phênomène naturel n'est dans leurs reprêsentations collectives ce qu 'il nous paraît être à nous ».

( 1) 11 nous semble opportun de limiter Ie sens du terme « magie » à une simple démarche de !'esprit mystique, à l'exclusion de toute interprétation

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confère la puissance de l'incantation et de la prise de possession, il l'identifie avec le Réel.

C'est en ce sens que condut toute poes1e qui se veut trouver au~delà des contingenees d'une conception individualiste et discursi~ ve.

C'est en ce sens, par exemple, que condut Ia poétique de Stefan George et s'il faut en croire Ie témoignage d 'Albert Verwey ( 1 ).

George était tout exhaltation lorsqu'il parlait de la portée magique de la poésie.

Dans un essai récent, Ie poète Richard Billinger ( 2) se plait également à identifier Ie poète et Ie magicien, Billinger pare Ie poète de Ia courenne des Sages qui récoltent Ie pain et les fruits dans les étoiles ...

Et Goethe lui~même, ne confond~il pas volontiers Ie poète avec Ie magicien ( 3) ? Nous touchons ici certainement à la significatien profende du message inclus dans son Faust et peut~être approchons nous du sens qu 'il faut reconnaître, selon Goethe, à toute démarche poétique: la poésie est d 'essence magique, elle prend racine aux origines et c'est pourquoi, dès Ie seuil du Premier Faust nous voyons apparaître l'Erdgeist, et c'est pourquoi aussi nous voyons descendre Faust au Royaume des Mères ( 5).

occultiste ou animiste : la magie est l'acte par lequel se manifeste !'être mystique. Nous pourrions peut-être faire un rapprochement entre cette conception de la magie et lïdéalisme magique d'un Novalis, selon lequel !'amour, en tant que démarche mystique, seralt Ie principe de la magie. C' est à lïntervention de l'ldéa­lisme magique, par exemple, que les objets extérieurs se transfarment en pensées et les pensées en objets extérieurs , ce qui reviendrait à dire qu'il n'y a point de barrières entre l'homme et Ie cosmos, mais qu'il y a participation de l'un à !'essence de l'autre.

( 1) A. Verwey : <Mijn Verhouding tot Stefan George », Ed. N. V . Uitge­verij vh. C. A. Mees, Santpoort, 1934.

(2) Dans : < Des Deutschen Dichter Sendung in der Gegenwart :t , Ver­!;,g Ph. Reelam jun. Leipzig, 1933.

(3) L'étude des variantes de l'épisode des Mères, par exemple, nous permet d 'a ffirmer que pour Goethe l'identification du poète et du magkien est complète et nullement métaphorique.

(4) Le poète y représente l'ceuvre de poésie par un descente allégorique dans Ie monde des Idées originelles, des Idées à l'état pur et telles qu 'elles existent de toute éternité dans Ie Royaume des Mères. C'est dans ce monde que !'on peut en tout temps, gräce à lïmagination poétique, avoir recours aux Archétypes. Selon Goethe l'lmagination du poète n'est peut-être pas directement créatrice, comme

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Du fond des siècles un mythe est venu jusqu'à nous, c'est Ie mythe d'Antheios qui recouvre I'antique concept de poésie: An~ theios est figure symbolique du poète et i! n'est rien s'il ne puise force et vigueur au sein de sa mère Gaia~Ia~ Terre.

Sous I'emprise d'une cîviiîsiitîon à !'esprit de plus en plus dissocié Ie mythe d'Antheios a perdu toute signification et il ne relève plus que de I' affabulation des mythologies.

Maïs des signes avant~coureurs annoncent une renaissance et l'on se remet à méditer sur I'enseignement du mythe. Si les fruits de ces méditations ne se traduisent encore que par des tätonnements malhabiles, une chose est cependant évidente, c'est que certains croîent à la nécessîté de ce que les allemancis appellent der Heim/cehr ins Gebundene Leben.

Déjà, gräce à ce retour, certaîns symboles reprennent corps et avec eux Ia poésie renaît à Ia ooyance.

Délaissant ses tendances anecdotiques et purement discursives, et souvent par trop subjectives, la poésie s'élève à nouveau jusqu'à la sagesse et s'identifie à la magie.

MARC. EEMANS

celle des Mères, mais son imagination possède cependant une telle puissance qu'elle es t capable de reproduire avec une intensité prodigieust? l'idée originelle telle qu'elle jaillit de l'imagination des Mères.

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DESTINBE OU SYMBOLE~IMAGE

C'est trop peu de dire que Ie symbole~image a permis d 'ac~ corder droit de cité à des éléments de la représentation méprisés par la pensée conceptuelle parce qu'ils échappaient à la rigidité de ses cadres. En face du monde de l'intelligence, la poésie se verrait alors confinée dans une zone indistincte, lieu de réalités d 'un ordre particulier susceptibles d' être appréhendées seulement par une opé~ ration mentale incomplète et qui devrait à cette précarité même !'es~ sentiel de ses révélations.

Cette conception, en réduisant la poésie à un pur impression~ nisme, appauvrirait !'esprit d 'une de ses emprises les plus efficaces

sur Ie réel. Sans retracer i ei l'histoire de I' école symboliste, il importerait

peut~être de signaler à quelle impasse aboutit une partie de son

effort. Contemporaine de la réaction contre Ie naturalisme auquel elle

reprochait de réduire à l'extrême !'étude de la vie de !'esprit, cette école se méprit, semble~t~il ,sur Ie röle véritable du symbole ; elle en usa pour l'élaboration d 'un nouveau matériel littéraire, Ie rédui~ sant en quelque sorte au röle d'amortisseur d'une réalité jugée trop directe, trop quotidienne. Dans une région imprécise s'élaborèrent des cadences verbales nouvelles, toute une musique ou « l'irrésolution »,

simple accident de toute dialectique sonore devint Ie terme d 'une ma~ thématique boîteuse. A une réalité insuffisamment sentie vint s'en substituer une autre qui, pom.' être plus soluble à !'esprit n'en cachait pas moins des pièges beaucoup plus insidieux ; l'impressionnisme in~ tellectuel et esthétique s'accommoda de ce symbolisme~là, nous dirons

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même qu 'il en vécut. Le symbole~image avait .. il est vrai, joué de tou t temps un röle important dans la poésie, même durant les Jongs siècles qui suivirent ce que Mallarmé dénommait plaisamment « la grande déviation homérique » ; mais il appartenait à Rimbaud et à Mallar~

mé de préciser la valeur intentionnelle du symbole qui allait gräce à eux faire brusquement irruption dans la poésie avec des buts précis ; on était bien loin tout à coup d 'une simple réaction contre J'objectivité naturaliste et l'impassibilité parnassienne.

Signe d 'une réalité cachée ou résultat d'une prise de -possession du réel par !'esprit, Ie symbole prenait racine là ou se mêlaient en de confuses relations les sourees de Ia vie religieuse. morale et esthétique. Rien d 'étonnant dès lors , qu'à la formule prönée par les naturalistes se soit substitué Ie rapport mythe~poésie~musique~reli~

gion, termes dont I'école symboliste réalisa l'amalgame sans chercher à y voir plus clair, dans la crainte semble~t~ il d 'un certain ordre de clarté dont elle avait appris à se méfier. Pour comprendre, il fallait isoler un élément que la poésie avait de tout temps utilisé avec beaucoup d 'autres, plus essentiellement oratoires, communs à d'au~

tres formes littéraires et qui s'étaient incorporés avec lui dans une construction rythmique dont Ie sens et la raison d 'être allaient se perdant chaque jour davantage.

La querelle de la « poésie~pure ».si elle a apporté quelque lumiè~

re sur cette question a malheureusement accentué d'autre part Ie confusionnisme entre les deux domaines poétiques et religieux, con~

fusionnisroe qu'avait seul rendu possible Ie développement de la poésie symboliste et auquel les partisans d'une subordination de 1' esthétique à la révélation religieuse ne pouvaient manquer de donner une adhésion enthousiaste. Le domaine mystique figurait ici comme une sorte de « no rnan's land» peu connu de la majorité des poètes comme de celle des théologiens et ou il ne semble pas interdit de découvrir des traces fort précieuses du travail mental au cours duquel !'esprit arrive par une ascèse dirigée de la volonté, à accroître et à purifier ses pouvoirs d' actions sur Ie monde.

Ces tentatives orientées vers une détermination de la nature de la poésie ont abouti à l'élimination du discours lyrique comme élé~ ment essentie! du poème, élimination justifiée par les compromis aux~

que]s s'était plié ce moyen d'expression qui tenait cependant de ses origines un mouvement particulièrement propre à l'intégration de la réalité poétique.

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Par suite de quels étranges compromis fut~il si souvent appelé à masquer précisément l'inefficacité d'attitudes relevant directement du positivisme Ie plus indigent et auxquelles il prétait l'appui d 'un matériel oratoire désormais périmé ?

De cette élimination la poésie ne mourut pas et s 'il est possible qu'elle y ait perdu quelque chose de son pouvoir de rayonnement, il faut bîen aussi que !'on signale certains avantages acquis gräce à

ce dépouillement aux risques d'arîdité. C'est lui peut~être quî a rendil paisible sur un terrain favorable la rencontre des poètes et des psychologues, plus spécialement des psychanalystes. .

En renouvelant !'étude de l'inconscient, Freud et ses disciples ont à leur insu préparé une rénovation du problème de la liberté et s'ils l'ont fait à l'aide d'un arsenal clinique assez massif. eet appareil n 'a pas été vain lui non plus car ses aspects un peu voyants ont littéralement fait rêver des poètes dont i! força I' attention et. qui lui dûrent leur rencontre la plus décisive avec la pensée scientifiqu~ au moment même ou Ie marxisme appliqué leur ménageait une pre~ mière entrevue avec la pensée révolutionnaire.

Faut~il ajouter qu'on ne peut limiter au groupe des poète~\1 fécondité d'une telle rencontre; Ie choc en retour est discernable aussi dans Ie monde scientifique ou une certaine scolastique matéria_.­liste est envahie de courants insolites qui houleversent à la fois ses méthodes d'investigation et l'interprétation qu 'elle donne de ses expé~ riences.

Quoi qu'il en soit, Ie symbole~image, signe de nos rapports aveè: Ie réel auquei il confère un sens, introduit dans notre attitude vis-~à­vis du monde un élément nouveau; loin d'exprimer une reiation provisoire et mal élucidée il est peut~être l'un des témoignages les plus touchants de la liberté de notre esprit saisi dans son activité volontaire, parcouru d 'images visuelles, auditives ou tactiles. d'in:. tuitions à peine perceptibles ou si foudroyantes au contraire qu'elles peuvent mettre en péril l'intégrité même de notre conscience, susd~ tant chez certains Ie désir passionné de se maintenir à tout prix da~s eet état au-delà de toute analyse .Nous appellerions ceux~là des mystiques à l'état pur si nous disposions pour contröier l'expérience mystique d 'autres moyens que l'expression littéraire ou poétique, expérience ou d 'ailleurs la puissance effective du symboie nous est souvent révélée avec une netteté exceptionnelle. ' . ,

La vie et la fécondité d 'un symbole pourraient peut-être rendre compte des raisons pour lesquelles nous touchent des ceuvres issues

de civi lisations éloignées de efficacité serait-elle illusoire forme de notre désir ?

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nous dans 1' espace et Ie temps L . eur et ne les recréons-nous pas selon la

Aujourd'hui que nous ne pouvons plus admettre la cl ' th · . permanence

un canon es etique qui faciliterait Ie rapprochement t d · ·1· · d 'ff· en re es ov1 1satwns 1 erentes nous înclinerîons - · · . . . • a cro1re que c est dans la

quahte du symbolisme- élément premier, essentieHement universel - dont u~ ceuvre nous révèle la nature qui réside Ie secr·et de son ~ouvo1r et de sa durée. Ses éiéments farmels ne sont~ils pas fonctwns de cette quaiité même de la richesse initiale d'

t ]' · I ' un rapport ~n re espnt et _e monde, rapport qui détermine tout Ie elimat de 1 ceuvre, se~ multiples pouvoirs de suggestion, toutes ces révélations latentes qm au contact de notre espri·t cl · I· · cl h · . . e 1vre e ses c ames se reveilJent sans cesse de leur sommeil taujours en espoir d'aurore.

. Monde qui ne procède pas des idées platoniciennes, schémas mtell_ectueis promis à l'éternité par l'immobiiité même, maïs qui en perpetuel devenir renouve11e sans cesse pour nous cette Jibération et cette transfiguration .

ETIENNE VAUTHIER

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ILLUSTRATION ET MESURE DU SYMBOLE

. .. Ie symbole est une exprcssion de la situation psychique totale . ..

C. G. JUNG.

LES IMAGES. CES FUTURS SYMBOLES ...

Nous neus arrêtons d'abord à l'image, préfiguration du sym­bole, et sa « significatien » propre nous satisfait. Nous ne voyons qu'elle ... neus l'aimons et nous nous complaisons dans sa contem­plation des heures et des jours durant.

Cependant, à mesure que Ie souvenir s'émousse, l'image se détache de notre conscient tel un fruit mûr et camroenee une vie nouvelle, une sorte de légende très différente de l'originale impres­sion et d'une « portée » infiniment plus vaste.

Le symbole nait spontanément ou ne se ferme qu'après un long repos dans l'inconscient- jusqu'à la mort de !'image. Parfois des siècles durant il dort, jusqu'au jour ou des hommes lui confèrent une significatien réservée primitivement à un petit cercle d'initiés. mais qu'il franchit bientöt pour atteindre les mers de la connaissance.

Les images symboliques dominent teute notre vie intérieure et président aux relations entre notre pensée consciente et l'inconscient. Notre äme n'est-elle point tissée d'une foule désordonnée d'arché­types appartenant à la psyché collective et auxquels s'agglutinent des symboles forgés de nos rnains ?

Gräce à eux, gräce aux idées qu'ils véhiculent secrètement nous reposons sur la terre ferme et, pourtant, ils sont Ie foyer d'oit peut jaillir la lumière et Ie point de départ de notre secrète élévation.

Normaux, nous en vivons; malades, c'est en eux que nous cher­chons un refuge.

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Le symbole éclat en nous de la même manière qu 'il naît pour J'humanité.

A !'origine Ie primitif fut incapable de ~oir au delà du soleil et de son effet physique - jusqu'au jour, on ne sait comment, au !'esprit humain ne se contentant plus de l'aperception de l'objet sen­sibie en fit une image du creur et plus tard de la connaissance ( 1 ) .

L'image soleil interprète non seulement un fait extérieur mais reproduit un phénomène psychique analogue « tout en donnant Ie sens de ces deux faits ».

Des cas semblables. ou un mot-symbole possède trois, quatre et même cinq significations analogiques maïs avec progression depuis Ie fait physique initia! jusqu'à l'illustration d 'une intuition métaphy­sique se présentent fréquemment dans la « philosophie » hindoue ( 2).

LE SYMBOLE DE L'ABSOLU.

Peu de symboles, dans toutes les philosophies, nous ont paru plus étranges et chargés de sens cachés que Ie fameux monosyllabe OM, bien connu de tout indianiste.

De nombreuses études et essais d 'interprétation lui ont été consacrés sans réussir cependant à faire disparaitre cette atmosphè­re de mystère et d'inconnu qui entoure teute formule ésotérique.

Son origine se perd dans la nuit des temps. On Ie retrouve dans la plupart des ouvrages sacrés oit son excellence et I'effet bienfaisant de sa répétition sent affirmés à maintes et maintes repri­ses. 11 accompagne toutes les prières, toutes les évocations. Comme la gayatri (la plus célèbre prière de l'lnde) chaque « fidèle » est tenu à Ie répéter rnatin et soir avec dévotion.

Physiologiquement, OM est formé de sons primitifs et initiaux ceux qu'émettent les organes de la voix dans leur position natu­relle (3).

(l) C' est un même être qui est dans Ie feu, dans Ie creur et Ie soleil... (Maitri Up. VI, 17)

(2) Ainsi Ie mot priina: souffle respiratoire et vita] (en relation avec la vue, Je soleil et Ie ciel), organes vitaux, vie et symbole subjectif de Brahman.

(3) « Comme s'agglomèrent toutes les feuiJ.les enfilêes sur une tige qui les traverse, de même foute parole se fond dans le son OM. Le son OM est tout eet univers». (Chändogya Up., 11, 23, 4)

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,...... 24 ,......

Au point de vue cosmologique, il est en quelque sorte Ie « son de l'éther » et nous avons souvent songé à ce bruit continu et iudis­tinet de l'atmosphère, que l'on perçoit durant les chaudes journées d 'été lorsqu'à midi- dans Ie calme absolu de la campagne - nous prêtons l'oreille aux milles bruissements et bourdonnemeuts de l'air surchauffé.

OM est à la fois cela et bien plus encore. Il symbolise !'essence mystique du monde et la destinée de I' äme humaine. ll est Ze sym­bole idéographique d'Atmá.

Une description de sa constitution, que nous essayerons d'ana­lyser brièvement ici, se trouve dans la Mändûkya Upanishad ( 1 ).

datant vraisemblablement du VIIe S. avant J.-C., et dont l'autorité en la matière est infaillible.

ANALYSE DU SYMBOLISME d'OM.

1. - OM, cette syllabe (impérissable) est tout ce qui est. Ce qui fut, ce qui est, ce qui sera, tout n'est véritablement que Om­Kära ( 2) ; et tout ce qui n' est pas soumis au triple temps ( c 'est-à di re, Ie passé, Ie présent et Ie futur), est aussi véritablement Om-Kära.

2. - En vérité, eet Atmä est Brahma, et eet Atma a quatrej conditions (les trois lettres par lesqueUes s'écrivent Ie son OM, et qui sont: A. U, M. plus Ie monosyllabe considéré synthétiquement); tout ceci en vérité est Brahma.

3. - La première condition est Vaishwänara, dont le siège (synonyme d'état: « modalité d'existence ») est dans la vie à l'état de veille, dont la conscience ( ou connaissance) est tournée vers les ob jets externes ( qui a connaissance des ob jets sensibles) , qui a sept membres et dix-neuf bouches et dont Ie domaine est Ie monde la manifestation grossière ( celui-là ou vivent tous les hommes).

La première condition d'Atmä est Vaishwänara (litt. « ce qui appartient à tous »), c'est-à-dire Ie monde empirique (manifestation grossière d 'Atmä : grossière par rapport aux conditions spirituelles qui sont subtiles).

(I) De même que toutes les parties purement métaphysiques de la Çruti, sa concision est extrême et chaque terme possède plliSieurs sens que rendent très difficilement les lang u es européennes. La traduetion des premiers versets ( shruti) que noliS donnons ici est établie d'après Ie texte anglais de Max Müller (Sacred Books of the Bast, Oxford) .

(2) Nature de ce qui es t OM : Univers identifié à Brahma.

,...... 25 -

Le terme Vaishwánara symbolisant Atmä dans son état Ie moins élevé peut s'appliquer à l'homme individuel (microcosme) ou à I'Homme Uniuersel (Macrocosme) ( 1 ) .

Les sept membres sont les divisions du corps « macroscopique ~ de V aishwánara et par symbolisme ils correspondent au x principales parties du corps humain ( 2) .

Les dix-neuf « bouches » par ou « entre » la connaissance sont les principaux organes de la connaissance sensible.

Vaishwánara est clone Ie premier degré de cette gradation qui va du manifesté (I' être en acte et réalisé) au non-manifesté (I' être en puissance et ce qui Ze dépasse) .

4. - La seconde condition est Ta ij as a (Ie « Lumineux »), dont Ie siège est dans la vie à l'état de rêve, dont Ia conscience est tournée vers les objets internes (mentaux) qui a sept membres et dix-neuf bouches et dont le domaine est le monde la manifestation subtile.

Le mot Taijasa dérive de Tejas (Ie principe igné) qui signifie à la fois chaleur et feu, ou mieux : rayonnement, comme émanation de la lumière et de la ebaleur produites par Ie feu.

Toute la manifestation corporelle passant du grossier au subtil est constituée par différents éléments auxquels appartient une qua­lité sensible. Au bas de l'échelle : la terre ( Bhû) que symbolise (et qu 'affirme concrètement aussi) la nourriture et la nutrition, suivie de l'eau (Ap) symbolisée par Ie souffle (comme émanation de l'eau), Ie feu (Tejas). !'air et l'éther.

Taijasa s'applique à l'état subtil tandis que tejas à I'élément grossier. 11 en est clone une sublimation et une transposition sur un plan extra-corporel bien que véhiculé par un principe appartenant à la manifestation grossière ( 3).

(I ) ... il est quelque chose dans nos iimes qui n' est pas unique, ma is peuple, totalité, humanité même. Par quelque cöté nous sommes une part d'une grande iime unique, d'un homme unique, immense ».

C. G. Jung : Le prob.lème psychique de l'homme moderne, Europaïsche Revue, Déc. 1928.

(2) Ainsi la téte avec Ie cerveau sont symbolisés par des sphères lumineuses, l'atmosphère (milieu du « souffle vita! » - prä na) correspond aux poumons, etc ...

(3) Nous pensons ici aux niidis (artères) qui seraient, dans Ie « monde » subtil, les multiples rameaux du système nerveux. (IJ s'agit, en effet de quelque chose de lumineux et correspondant à lïnflux nerveux).

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Dans l'état de réve l'äme vivante (Jivätmä) « est à elle-même sa propre lumière » et par l'effet du désir crée un univers issu d 'elle-

même (I}. Les <.: auteurs » des Upanishads savaient très bien que les créa-

tions en rêve ne sont que les manifestations travesties du désir ( 2) : ~ ... là il n'y a ni plaisirs, ni joies, ni allégresses, et il s'émet des plaisirs. des joies, des allégresses . .. » ( Brihad-Aranyaka Up. IV. 3, II). «De tout ce qu'il a pu voir en eet état rien ne le suit ». ( Ibi-

dem, IV. 3. 17). Ultérieurement les Brahma-Sûtras ( 3) reprendront les alléga­

tions des Upanishad et affirmeront (lil, 2, 3): « Toutefois il n'y a [à (dans Ie monde du rêve) que pure illusion ( mäyä-mätram) parce que sa nature ne se manifeste pas elle-mëme avec la totalité (des attributs de la réalité, tels que I' es pace, Ie temps, etc .. . ) et Ie Sûtra ajoute: « ... maïs le rëve [ournit des indications ». Cela signifie, d'après Çankara ( 4) que gräce à lui nous pouvons mieux nous connaître et qu'il « annonce la bonne et la mauvaise fortune à

venir » ( 5). Dès lors Ie rêve gagne une certaine réalité et détermine un état

ou l'on peut saisir l'ätmá hors et sans l'intervention des contingenees sensibles du monde de la manifestation grossière. Cette connaissance fonctionne toujours par sept membres et dix-neuf bouches, les mê­mes que pour la condition V aishwánara, maïs <.: idéalisés » et par

rapport au monde de la manifestation subtile.

5.- Quand l'être qui dort n'éprouve aucun désir et n'est sujet

à aucun rêve, son état est celui du sommeil profond ; celui qui dans

( 1) Cfr. Brihad-Aranyaka Up. VI, 3, 10. (2) N'est-ce point Ja définition même de Freud et sur laquelle repose tout

sen système d'interprêtation des rêves ? (3) IJs furent écrits, d'après M. Masson-Ourse1, entre 350 et 400 de notre

ère. C'est Ie traité de l'école Vëdänta. (4) Le plus célèbre docteur métaphysicien hindou, auteur du « système :.

monistique Vêdänta Advaïta et principal commentateur des Brahma Sütras. Cfr.

Shäriraka Bhashya, p. 376-378. (5) « M~is Ie monde relié à l'état intermédiaire (êtat de rêve), ajoute Çan­

kara, n'est pas réel dans le même sens que Ie monde sensible (connu à l'état de veille). dont l'éther (ákásha) est Ie principe ... Le monde de l'éther reste fixe et distinct jusqu'au moment oû l'áme connait que Brahma est l'universel Atmá : tandis que Ie monde mental se trouve éliminé chaque jour par le réveil ». (Idem.

p. 627).

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eet état est devenu un ( 1), qui s'est identifié à soi-même, avec un ensemble synthétique (et uniq ue) de connaissance intégrale, qui est rempli de la béatitude, jouissant véritablement de cette béati­tude et dont la « houche » est ( uniquement) la connaissance totale ( Chit} elle-même. Celui-là est appelé P r ä j na, état de la troi­sième condition ( 2) •

Ce verset tend à nous faire comprendre symboliquement l'état de l'Etre non-manifesté, dans lequel résidc toutes les possibilités de manifestation maïs unifiés en mode principiel.

C'est clone un état de plénitude absolue. et par conséquent, de béatitude.

Le dormeur dans l'état de sommeil profond et sans rêve, n 'existe plus en tant que manifestation formelle ( sauf le corps qui n' est point à considérer ici puisqu'il appartient à un tout autre domaine et qu'il est aboli en tant que suj,et de connaissance), il s'est complète­ment replié sur lui-même. Ie sujet et l'objet s'étant dissousou uniliés. 11 subsiste seulement à 1' état de possibilité - possibilités de mani­festation jamais détruites tant qu'il n'est pas « délivré » de l'existen­ce individuelle - puisque dans un instant il pourra revenir à I'état de rêve et de veille.

Nous trouvons également dans ce verset les trois termes de la < Trimurti » métaphysique hindoue ( 3) selon laquelle Brahman (l'Absolu inconditionné} est sat - chid - ánanda ou Etre pur (esse subsislens), connaissance intégrale et Felicité Suprême.

Dans leur finalité ils ne sont qu'un seul et même Etre ( 4} : l'ob~

( 1) Cfr. Ie Taoïsme ou neus trouvons un texte similaire : « Tout est un. Durant Ie sommeil, l'äme non distraite s'absorbe dans cette unité: durant la veiJ.le, distraite, elle distingue des êtres divers ».

(Tchoang-tseu, trad. Wieg er, p. 215).

(2) Neus atteignons avec ce verset, et ceux qui Ie suivent, les plus hauts som­mets de la spéculation upanishadique et l'essense de tout Ie « système » Vêdánta. Neus ne pouvons songer à les cernmenter en détail..., qu'il neus soit seulement permis de fournir les indications nécessaires à la compréhension du symbolisme d'OM.

(3) Auteur de laquelle joue un symbolisme des plus intéressants.

(4) Cette Trimurti fait songer à la définition de St. Augustin (De Civ. Dei, VII, 10) :

« causa constituae universitatis ( sat) » lux principae veritatis (chit) » fens bibendae felicitatis » ( ánanda}

(Cité par G. Dandoy, s.j., L'Ontologie du Védänta, p. 33)

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- 28 ~

jet de la connaissance étant Sat, il sïdentifient dans Brahman ( puisque l'objet est i ei identique au sujet), et Ie résultat de cette

union indissoluble produit la Béatitude. L'état de Präjna est clone celui ou l'ätmá individuel se retourne

sur lui-même et s'unifie avec l'être non-manifesté, principe et cause de toute manifestation, cette « connaissance de soi » produisant la

félicité .

6. - « Celui-ei (Präjna) est Ie Seigneur (Ishwara) de tout; 11 est omniscient, ll est l' ordonnateur interne, Il est la racine (ma­trice) de toute chose, 11 est l'origine et Ie but de l'universalité desi

êtres ( étant soi-même l"Etre universel). » Dans les trois états de veille, rêve et sommeil , ätmä est con­

ditionné, tandis que dans Ie quatrième - Ie plus grand et par conséquent englobant synthétiquement tout Ie monosyllabe OM -ätmä est inconditionné, il est au delà de l'Etre, Brahman pur.

Pour Ie vêdäntiste ce quatrième état représente Ie but final de la connaissance métaphysique et de toute connaissance. C'est lui qu'exprime OM. et seul un son peut Ie symboliser car toute affir­mation de qualité par une définition ou un mot ne peut que l'amoin­

drir puisqu'il est !'In-fini, l'Un. Ie Tout.

Une affirmation détermine une chose en en excluant une autre et par conséquent toute détermination est une limitation, c'est-à-dire, une négation. Dès lors seule une négation d'une détermination est

une véritable affirmation. On remarquera clone, dans Ie verset suivant, que l'état incondi­

tionné d 'Atmä est taujours exprimé négativement et qu 'il ne porte

pas de nom. ne pouvant être caractérisé :

7.- Les sages pensent que Ie quatrième ( état) qui ne conmiit ni les objets internes ni les objets externes, ni à la fois les uns et; I les autres, et qui n'est pas (même) un ensemble synthétique de. connaissance intégrale, n' étant ni connaissant ni non-connais­sant, est invisible, non-agissant, incompréhensible, indéfinissable, impensable, indescriptible, l'unique essence fondamentale, sans aucune trace de développement de la manifestation, plénitude de Paix et de la Béatitude totale, sans dualité : 11 est Atmä : c' est Lui

qu'il faut connaître.

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La suite de l'Upanishad reprend les différentes conditions l'At­mä et les applique aux lettres du monosyllabe en « indiquant les raisons symboliques de la correspondance. »

8. - Cet Atmä est représenté par la syllabe (suprême) OM, lui-même à son tour figuré par des caractères (matras), (de telle manière que) les conditions (d'Atmä) sont les matras (d 'Om) , et (inversement) les Mäträs (d 'Om) sont les conditions (d'Atmä); ce sont A, U et M.

9.- V a is h w ä nar a, dontIe siège est dans la condition de veille est ( représenté par) A, parce qu' elle recouvre toutes choses (étant la connexion) aussi bien que parce qu'elle est la pre­mière et Ie commencement.

A est Ie son primordial et celui qu'émettent les organes de la parole dans leur position normale. 11 est la première lettre de l'alpha­bet comme V aishwänara est la première condition d'Atmä ; celle qui est commune à tous les hommes et à partir de laquelle ils peuvent s 'élever pour obtenir la réalisation métaphysique.

Par conséquent <4 celui qui connait ceci obtient tout ce qu'il désire et la pré-éminence. »

10. - T a i j a s a, dont Ie s1ege est dans I' état de rêve est1

( representé par) U, la seconde mäträ, parce qu' elle est I' élévation (à 1' état sub til) et l'intermédiaire (participant des deux , étant entre les trois lettres du monosyllabe, comme Je rêve est entre la veille et Ie sommeil profond). Cel ui qui connaît ceci agrandit sûrement l'étendue de sa connaissance et parvient à ['harmonie, et aucun de ses descendants ( « postérité spirituelle ») n'ignorera Brahma.

11. - P r. ä j n a, dont Ie siège est dans I' état de sommeil pro­fond est ( represen té par) M, la troisième mäträ, parce qu' elle est la mesure (des deux autres) et l'aboutissement ( du monosyllabe, synthèse de tous les sons - Ie principe étant identique à la fin) . Celui qui connaît ceci mesure en vérité Ie tout (tout ceci) , et arrive au but.

Le M, prolongement indistinct des deux voyelles formant Ie son 0 symbolise quelque chose d'inachevé mais près du terroe : Je qua­trième état.

12. - Le quatrième est « non-caractérisé (et par conséquent inconditionné) non-agissant, sans aucune trace de développement

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de la manifestation ( terminan t tou! départ) , toute Béatitude et sans dualité ( Shiva Advaïta) : cela est Omkära, cela est Atmà (en « Soi ») . Cel ui qui connaît ceci entre en vérité, dans son propre « soi » par le moyen de ce même « soi » (sans aucun intermédiaire. par connaissance intuitive immédiate). ll réalise ainsi l'ldentité

Suprême.

* * *

« S'il existe un moyen de posséder une réalité absolu~ » ment au lieu de la connaitre relativement, de se placer en » elle au lieu d'adopter des points de vue sur elle, d'en avoir » l'intuition au lieu d'en faire I' analyse, enfin de la saisir en » dehors de toute expression, traduetion ou représentation » symbolique, la métaphysique est cela même. La métaphysi­» que est donc la science qui prétend se passer de symboles ».

(Revue de métaphysique et de morale, 1903, p. 1.36)

Bergson: Introduetion à la métaphysique.

La métaphysique et la poésie ( mystique ou profane) sur des plans différents tendent, l'une à expliquer et à « réaliser » Ie réel. l'autre à restituer une émotion, un émerveillement, au contact de l'lnexprimable. Chacune doivent user du symbole - moyen transi~ toire pour Ie métaphysicien mais auquel il est cependant forcé d' a.Wir recours - mode d' expression et fin en soi pour Ie poète.

On imagine difficilement, en effet, de quelle manière une mé~ taphysique, hormis Ie nominalisme outrancier de certaines écoles occidentales, pourrait nous mettre sur Ie chemin de la connaissance

suprême de l'Etre sans !'image, !'analogie. Le symbole est la clef de l'intuition comme Ie syllogisme est Ie

point de départ de toute démonstration logique.

Le but final de la métaphysique est la réalisation, c'est~à~dire, l'intuition intellectuelle dans sa forme la plus parfaite. Elle détermine une connaissance immédiate ou Ie moyen de « connaître » et la con~ naissance elle~même sont une seule et même chose. Etre et connaitre doivent finir par s'identifier et se confondre.

La métaphysique n'est jamais pour l'Oriental une simple théo~ rie mais une pratique, une conduite de l'être en vue de l'obtention

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d'états .de conscience de plus en plus hauts afin d'accéder dès cette vie, à l Unité. .

. U~e telle démarche, sur laquelle est bàtie la haute spiritualité de I Onent, suppose des disciplines et des rites qu'ignorent absolu~ ment les métaphysiciens occidentaux. De là ces exercices « ascéti­ques » tels que Ie Yoga et le Tantra (forme buddhique) et Jes M.antram, formules symboliques destinées à diriger et à « soutenir » fa méditation.

L'efficacité des Mantram (et OM en est un) réside dans l'effet beaucoup plus que dans la signification.

En ce sens la métaphysique ne peut pas se passer du symbole car il est un instrument de la contemplation et un stimulateur de l'intuition. Ce n 'est plus un moyen, c'est un tonique.

Le symbole dans son emploi pratique (et c' est Ie cas pour OM) ne peut véritablement pas vouloir représenter ou traduire l'In~ exprimable lui~même ; maïs il peut créer Ie courant indispensable - d'ou nous prendrons notre élan vers Lui.

IJ est incontestable que Ia majeure partie de ceux qui murmurent le monosyllabe ( ou - comme Ie chrétien - pratiquent tel ou tel sacrement) ignorent les éléments constitutifs et la portée de son sym~ holisme, mais ils sont intimement pénétrés de son importance et de sa valeur mystique traditionelles.

Tout réside clone dans l'effet du symbole sur Ie sujet, la signi­fication ésotérique, alliée à l'action tonifiante, étant réservée à une élite,. gardienne du « mystère ».

« Le symbole a clone pour effet de centrer Ia personnalité. L'élé~ ment agissant n'est plus le moi persounel: celui~ci apparaît comme l'objet de ce qui agit en lui, ce qui donne une attitude tout à fait nouvelle, dans laquelle tous les facteurs psychiques prennent part au processus vita!. Le symbole est ainsi un médiateur qui exprime la totalité de la psyché conformément à son sens momentané et qui lui serten même temps de nouveau potentiel de connaissance en donnant à la situation psychique une forme et une direction. » ( 1 ) .

Le symbolisme est la langue métaphysique et mystique par ex~ cellence car, seul. il permet de donner une certaine forme à ['] nexpri­mable.

Tous les effets obtenus par la méditation compréhensive d'OM

(l) Toni \~olff: Exposé de la doctrine de C. G . Jung. p. 732.

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ne nous sont guère connus mais chacune des lettres correspondent à un état d'avancement dans Ie domaine de la connaissance suprême :

A= l'épanouissement total de l'individualité humaine dans toutes ses possibilités;

U= « l'extension intégrale de l'individualité humaine dans ses modalités extra-corporelles » ;

M = l'obtention des états supra-individuels de !'être » ( l) ; OM pris synthétiquement = la réalisation de l'Identité Supl{~­

me au terme de l'extase (Samádhi).

JACQUES MASUI.

NOT ES

I. UN SYMBOLISME GRAPHIQUE : LE MANDALA.

Remonter à l'état prénataî. Refaire en arrière tout Ie chemin parcout·u par la conscience humaine au cours des temps pour s'élancer vers de nouvelles conquê· tes. Cette idée primordiale de I'unité première et de l'unité dernière est commune à beaucoup de métaphysiques orientales.

Sa roeiJleure représentation symbolique nous est fournie par les manda/as taoïstes, ces figurations géométriques circonscrites dans un cercle (mandala).

Le plus connu en Europe ( gräce aux travaux du sinologue Richard Wilhlem et du Professeur Jung) est la «Fleur d'Or ~ . schématisée par un cercle intérieur dont Ie centre est formé d 'un germe entouré d 'enveloppes. Ce germe est sensé flotter sur des eaux troubles et indistinctes de la profondeur desqueUes s'élève une flamme qui réchauffe une jeune plante dont I' extrémité s' épanouit en une large fleur d'or.

Lïnterprétation de ce symbole est assez aisé. Les eaux signifient la roer, origine de tout et ou tout est réuni (Ie principe et la fin) dans les ténèbres de l'inconscience. La semence qu'elle transperte sont la vie et la conscience intime­ment accouplés, et la fleur terminale, épanouie dans !'intense lumière blanche, sym­bolise la connaissance suprême, « Ie royaume de la plus haute joie » que tout horome peut atteindre.

La significatien métaphysique du mandala a été découverte assez récemment. Le symbolisme de figures que nous considérions depuis des siècles comme des ornements décoratifs fut révélé à R. Wilhelm durant son long séjour en Chine par un sage qui « !'initia à la haute connaissance antique qui peu à peu s'affaçait

( 1) Cfr. R. Guénon, Op. Cit. p. 169

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en Orie.n~ sous les coups de la civilisation de l'Ouest. IJ lui enseigna les symboles de la Vtetlle Chme et du Thibet, Ie symbolisme du cercle OU « Mandala ».

En 1927, Wilhelm et Jung se rencentrent et, révélation extraordinaire pour Ie savant psychiä tre, il constate que la plupart des « ornements » dessinés par les névropathes occidentaux correspondent de la manière la plus curieuse avec les déductions métaphysiques des anclens sages de la Chine ; les élèments primaires de la symbolisation étant presque toujours identiques.

Une même corrélation peut être établie également avec certains monuments de civilisation très ancienne trouvés en Amérique et en Afrique.

D es symboles similaires servent clone à des peuplades primitives, a ux méta­physiciens et aux malades de l'esprit!

Cette découverte sensationnelle qui devait donner un cours nouveau aux recherches de Jung et l'éloigner davantage de Freud, atteste une fois de plus l'unité de l'esprit humain à travers les siècles et les contrées différentes. Elle permet d'embrasser l'étendue totale de ses communes intuitions et de ses éclairs de « conscience » au milieu de J'inconscient collectif.

II. SYMBOLISATION GEOMETRIQUE D'OM.

OM se représente géométriquement par : une ligne droite : Ie plein épanouissement de la manifestation, de l'acte (au

sens} aristotélicien, une demi-circonférence : état à demi-manifesté. un point: état sans dimensions et informel ; non manifesté.

J. M .

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L'IDÉE DE SYMBOLE

I - DIALECTIQUE OU SYMBOLE

Si je cherche les présuppositions de l'idée de symbole, j'en vois d'abord deux : qu'il y a une dualité, et qu'un des termes de cette dualité (le terme spirituel) est supérieur à l'autre.

Un symbole symbolise quelque chose d'autre que lui; et finalement j'arrive à quelque chose qui n'est aucunement symbole, ni pleinerneut symbolisable.

Un symbole n'a toute sa valeur que s'il unifie autant que possi~ ble les deux termes en présence, c 'est à dire s'il tend à nier sa nature de symbole, et s'il est inconscient, c'est à dire qu'une théorie du symbole est négation du symbole.

En même temps, et malgré cette unification, il faut que persiste l'idée de l'altérité, pour qu 'il y ait symbole. Le symbole est allégorie; est un jeu du même et de 1' autre.

Par cette pensée de deux choses à la fois , par cette ambiguïté la pensée pense franchir les hornes du temps, atteindre l'éternité.

II- LE SYMBOLE COMME FAIT

L'idée de symbole une fois critiquée, restent Ie symbole comme sentiment (sentiment que tel fait a une significa ti on infinie) et Je symbole comme fait (fait donné dans le rêve, par exemple, Ie rêve

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pourrait être conçu comme une sorte cl' exercice de symbolisa tion). A la place d'une théorie rationnelle, nous obtenons alors une théorie empiriste et une théorie mystique du symbol~ .

Dans Je rêve, dans le sentiment dont je parlais, il y a une unité aussi grande que possible des termes en présence. Et Ie symbole n 'est plus un moyen, mais une réalité.

1II - SUBJECTIVITE OU SYMBOLE

Ce qui fait la valeur d'un symbole, c'est notre façon de Ie vivre. Je disais qu'il est un fait , mais il est surtout notre rapport avec ce fait.

IV - QUELQUES USAGES OU SYMBOLE

Coleridge dit qu!l faut unifier Ie plus possible Ie symbole et ce dont il est Ie symbole; telle est pour lui l'ceuvre de l'imagination qu 'il oppose à la fantaisie . Bergson dit qu'il faut, en diversifiant les symboles, donner l'impression de la transeendance du terme symboli­sé par rapport à toutes les images.

Homère interrompt l'idée pour dérouler l'image. Damascius interrompt l'image pour faire sentir l'idée.

En tant qu'il fait usage des symboles, le poète est un mystique et le mystique un poète.

La poésie (si on la compare à la peinture, à la musique, à la sculpture) est un symbole à la deuxième puissance ou plutot à la deuxième impuissance; elle est symbole de symboles. Et sans doute y a-t~il une musique et une couleur des mots ; mais cette musique est contaminée par l'intelligence et cette couleur naît de l'intelli~

gence.

JEAN WAHL

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LE SENTIMENT DE L' ANGOISSE

DANS L'CEUVRE DE MAETERLINCK

Que tout dépende de la qualité de son étonnement, c 'est peut~

être ce que nous avons acquis de plus valable sur les destinées de l'homme en tant qu'être.

11 serait curieux de savoir quand et à propos de quoi chacun de nous posa sa première question, nous toucherions à la substance même de nos présentes inquiétudes et nos actes les plus futiles revê­tiraient soudain une gravité exceptionnelle.

Les lois qui nous régissent, les hommes qui nous ressemblent et les pactes que nous scellons, nous apparaîtraient sous leur aspect véritable. Ayant remonté Ie courant, nous nous trouverions devant la seule souree possible, celle~Ià même qui nous donna de penser et qui nous révéla que la tragédie ne se joue nulle part ailleurs qu'en nous~mêmes et que nous ne tremblons jamais avant d 'avoir pris conscience de sa nature.

A la vérité, il fut question maintes fois d 'apporter un semblant de visage à notre inquiétude ; mais les choses nous échappent~elles toujours, nous est~il à tout jamais refusé de les regarder en face et d'en saisir les nuances ; mille pièges tendus ne nous révèlent~ils pas chaque jour les limites de notre puissance ? A les regarder d 'un peu près, à parler leur Jangage au à respecter leur silence, les drames qui nous circonscrivent nous abandonnent quelquefois leur mystère. Au contact de ces lueurs, les notions se précisent, les conclusions s'enchainent.

Notre erreur fut d'accepter comme plus évidentes les valeurs positives. Si celles~ci sant bien à l'aise dans les sentiers de la raison.

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il n 'en demeure pas rnains qu'elles s 'échappent dès qu 'on entr 'ouvre une porte sur l'angoisse, comme s'échappent d'ailleurs les postulats métaphysiques non rnains incapables de préciser quoi que ce soit.

Mais est~ce seulement dans les terres qui séparent l'implicite du formel , que nous devons tenter de vivre et n'est-il pas possible de respirer au-delà des fron tières de la pensée discursive?

Il semble que depuis taujours M aeterlinck se soit soucié de n'accepter que l' essentiel. Déjà dans sa préface aux DISCJPLES A SAIS, il affirmait que notre vie réelle se passe nécessairement bien au-delà des limites des passions humaines. Un chef d 'ceuvre n 'est admirable que par la qualité du silence qui Ie doit suivre ; seul ce silence sera susceptible de nous émouvoir, de nous rendre tristes , de nous an goisser.

C'est dans l'angoisse que nous nous trouvons Ie plus apte à heur ter aux v itres de la vie réelle. Pour l'avoir compris , M aeterlinck pu t nous rendre sensible quelques mouvements de l'äme.

Que ce soit dans ses poèmes, dans son théätre au dans ses essais , nous ne trouvons nulle part mieux que chez lui Ie souci de révéler aux hommes, la grande part d'indicible qu'ils reçurent en partage, eux qui en confondent les signes et qui en frölent les con­tours .

Je souligne au départ de cette tentative, l'importance toute particulière que prend Ie problème de 1' angoisse dans 1' ceuvre de Maeterlinck. Certains se sant imaginés que seule la nature flamande du poète des DOUZE CHANSONS expliquait l'atmosphère troublante de ses ceuvres. « Parce qu'il est du Nord, disent- ils, il pénètra mîeux Je mystère des choses qu 'il traduîsit dans un Jangage inoubliable ». Pour moi il ne pourra jamais être question de situer son ceuvre de cette manière et il ne s 'agira jamais de savoir s 'il est plus au rnains poète que Van Lerberghe au que V erhaeren. C'est ignorer la moindre forme de sa pensée que de poser à son propos de telles questions. Il suffira de connaître Ie prix qu 'il attache aux courants du silence, aux oscillations de la pensée et aux fibres de l'äme, pour ne plus clouter un seul instant de la nature des problèrnes qu'il pose et qu 'un vain « racisme » ou un flamboyant « folklore » ne pourra jamais approcher.

S'il est vrai que Ie poète est celui qui « éprouve ». nul mieux que Maeterlinck n'en mérite Ie nom. Mais il ne se contente pas d 'évoluer dans l'intuitif ; il veut eneare nous rendre « l'immédia t »

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sensible ; c'est vers cela que tend Ie prodigieux édifice qu'il con~ struisit pour nous. Je ne connais pas de pensée qui mieux que la sienne nous apporte une base aussi solide, je veux dïre une sincérité aussi profonde, une telle persévérance dans Ie labeur, une telle cir­conspection dans la recherche. Si la voie qu 'il choisît est à eet égard plus dangereuse qu'aucune autre, il faut reconnaître que rarement un tel scrupule présïda au départ de semblable aventure et que TINTAGILES, SELYSETTE ou PALOMIDES préférèrent atteindre à la mort plutot que de nous livrer un secret dont la nature est incompatible avec celle du langage.

Quand on reprend les poèmes des SERRES CHAUDES tout en nuances et en vïbrations. on est saisi par Ie caractère tragigue de ce symbolisme. Eneare qu'il s'agisse ici d 'un Maeterlinck assez veisin des peintres impressionnistes, l'amertume dont se chargent ces chansons en anime l'émouvant clair~obscur:

M es rnains cueillent de l'herbe sèche Et mes yeux ternis de sommeil Sant des malades sans eau fraiche Et des f/eurs de cave au soleil.

J'attends de l'eau sur Ie gazon Et sur mes songes immobiles. Et mes regards à l'horizon Suivent des agneaux dans les villes.

Dès son premier contact avec l'amertume, Maeterlinck saisit teute l'importance de ce qui se passera par delà la tristesse. Désormais teute son reuvre servira à préciser les lueurs qu 'il perçut lors de son premier étonnement devant la vacuité de la passion des hommes, devant leurs réactions immobiles, devant leurs intentions mutilées et leur Jangage servile. Voici que se précise en lui la notion de « l'incréé » ; il ne cessera de veiller tant qu'une ombre veilera rultime refuge de sa pensée, tant qu'il n'aura pas apporté un lénitif à son propre tourment. Car il lui faut déjà choisir ! Ou bien l'an­goisse - la plus pure de nos émotions - est révélatrice du néant, et Ie problème de l'Ethique ne se pose pas ; ou bien l'angoisse est le plus court chemin vers l'Absolu et i! n'est d 'autre issue que l'aban~ don mystique.

Au fait , Maeterlinck a choisi depuis toujours, car il ne pouvait pas ne pas comprendre Ie sens de l'immonde tragédie qui se

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déroule chaque jour dans Ie cceur des hommes ; il ne pouvait pas ne pas savoir, ayant dépassé les hornes du statique, que la seule idée véritablement acceptable est celle que 'nous nous faisons du néant. Je n 'ignore pas que dans chacun de ses ouvrages·. i! nous apporte quelque assertien plus ou moins habile sur la non~existence du néant, qu 'il s 'accroche à tout ce qui auteur de lui, soit dans Ie domaine de la psychologie, soit dans celui de la science, demeure suffisamment tangible peur nous donner Ie change! Mais l'abondan~ ce des preuves qu'il nous présente sous les formes les plus séduisan~ tes , réussissent mal à nous convaincre. L'auteur de LA MORT n'a pu éviter Ie dangerel!x écueil qui l'attendait sur Ie chemin de la recherche de l'Absolu; il semble s'être leurré une fois peur toutes. « Le néant n 'existe pas parce qu'il est inconcevable », voilà sa ri­tournelle, voilà sa tragédie ; et voilà ou MALEINE, ARIANE et BEATRICE s'estompent peu à peu peur faire place au drame de l'homme qui agita tous ces fantömes. Derrière les gestes et les parales de tant d'héros obscurs, écla te la plus authentique angoisse, les contraires se réduisent en elle mais elle n 'ose pas avouer son essence.

« L'anéantissement total est impossible. Nous sommes prison~

niers d ' un infini sans issue on rien ne se perd. Ni un corps ni une pensée ne peuvent tomber hors de l'univers hors du temps et de l'espace. Pas 'un atome de notre chair, pas une vib.ration de nos nerfs nïront ou ils ne se.raient plus puisqu'il n'est pas de lieu ou rien n'est plus. La .clarté d'une étoile éteinte depuis des millions d 'années. erre eneare dans l'éther ou nos yeux la rencontrerent peut~être ce soir, tandis qu'elle poursuit sa route sans terme. ll en est ainsi de tout ce que nous voyons comme de tout ce que nous ne voyons point. Pour pouvoir anéantir une chose, c' est~à-dire la jeter au néant il faudrait que Ze néant pût exister ; et s' il existe, sous quelque forme que ce soit, il n 'est plus Ze néant ».

Maïs que vaut la consolation qu 'ïl nous apporte? Eneare qu 'il ait admirablement séparé Ie gratuit du nécessaire, eneare qu'il ait dénoncé la vanité des esthétiques et l'immoralité des grands hommes, il n'en demeure pas rnains que cette « essence » qui pour lui importe seule, se résume à très très peu de chose .. . et seul ce très très peu de chose existe. Et voilà ou les prémisses posées par Maeterlinck con-

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stituent les éléments les plus favorables à la thèse d'Heidegger : « ce çui couvait notre angoisse, ce n'était rien, le néant lui-même comme tel, était lá ».

Toute la production de Maeterlinck m'apparaît comme une savante stratégie d'auto-défense. Si tous ses drames, toutes ses thèses, toutes ses observations, naissent et évoluent en pleine lumière ( malgré leur atmosphère de crépuscule), si I' on y pénètre de pied ferme et si l'on y respire à pleins poumons, c'est parce que l'on sent qu'immanquablement elles nous révèleront bientöt I' essentie!. .. mais dès que nous atteignons à cette essence, dès que nous tournons la dernière page et que nous nous prenons à nous taire véritablement, nous nous rappelons qu'il nous est interdit de franchir l'ultime bar­rière, puisqu'au seuil du néant, Maeterlinck nous crie: «Pre­nez garde, je n' ai point voulu vous conduire là, Je néant n' existe pas; ex nihilo nihil fit ».

Peut-être serait-il curieux de suivre pas à pas Ie progrès que fait chez Maeterlinck, ce que jappellerais sa réaction devant la « conscience malheureuse ». Maïs sans entrer dans les détours d'un tel travail, j'affirme qu'il apparaîtrait clairement alors, que la pensée de celui qui nous révéla Novalis a suivi une ligne courbe. La poésie symboliste des SERRES CHAUDES et duTHEATREen marque Ie départ; un livre comme LA MORT prévoit Ie point culminant, tandis que I' expérimentation occulte et scientifique, an­nonce Ie retour vers un certain mysticisme qui sourd malgré tout dans cette ceuvre tragigue : AVANT LE GRAND SILENCE.

I1 semble que Maeterlinck n'aît tenté rien d'autre que de vérifier au contact des données de !'occultisme d'une part; de celles de !'entomologie et de !'astronomie, d'autre part, la très belle certi­tude poétique qu'il reçut en partage. Au départ, i! était certain d'une chose, c'est que toute vérité est pénible et toute pensée obscure. 11 savait que Je meilleur de nous-mêmes s'effrite au gré des déductions formelles. Malgré cela, i] déduisît ; et si ses expériences n'ajoutèrent absolument rien à ce qui brûlait au tréfonds de son inquiétude, il n'en garde pas moins Ie mérite d'avoir tenté une splendide concréti­sation de I'indicible et d'avoir été celui qui réussit Ie mieux à nous rendre familière l'idée de l'angoisse, de la clouleur et de la mort.

« Nous crayons avoir plongé jusqu'au fond des abîmes et quand nous rementons à la surface, la goutte d'eau qui scintille au bout de nos doigts päles ne re:ssemble plus à la mer d'ou elle sort. Nous

l

r-- .I.L __.

crayons avoir découvert une grotte aux trésors merveilleux, et quand nous revenons au jour, nous n'avons emporté que des pierredes fausses et des morceaux de verre, et cependant Ie trésor brille inva-riablement dans les ténèbres ». ·

Sachant cela, Maeterlinck n'en partit pas moins à la conquête de l'impossible, conquête d'ou il ne rapporta rien d'autre qu'une connaissance plus profonde de tout ce qui est refusé à J'homme.

Je détache de son dernier livre, cette page qui nous montre un Maeterlinck - retour des féeriques natures - et qui dépo­sa sur Ie seuil, avant d'entrer, lïnutile fardeau des connaissances accumulées.

« Jamais nous n'avons moins su qu'aujourd'hui ce qu'est !'uni­vers, d'ou il vient, ou il va et ce que nous sommes venus y faire. Il est probable qu'à mesure qu'avancera notre science, nous l'ignore­rons davantage. Mais l'énigme sera de plus en plus passionnante, parce que de plus en plus grande. A quel désceuvrement, à quel désespoir n'aboutirions-nous point dans un monde ou nous saurions tout ? »

Et cependant, j'ai l'impression profende que Maeterlinck, au même titre que le plus misérable ou Ie plus riche des hommes, sait tout; car tout connaître ne consiste pas à saisir la nature de Dieu. à pénétrer Je sens des lois universelles, à savoir si les autres mondes sont habités ou si les atomes sont chargés de conscience ; ... mais tout connaître, veut dire : avoir eu mal quelque jour, avoir cherché la raison de cette souffrance ... et s'être aperçu, dans un éclair, qu'elle était imméritée, qu'elle était inutile. Devant la révélation du néant. la gra~de äme de Maeterlinck a manqué de courage.

RENE BAERT

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MYSTERE DE LA VISION

( fragments d'un Traité de la vision physionomique du monde ( l)

Ce que je voudrais dire ici est simple, fondamentaL et comme toutes les choses simples et fondamentales, devrait être dit en une phrase, ou développé pendant toute une vie. Aussi bien n'ai-je pas l'intention de l'expliquer, moins eneare de Ie démontrer. Mais seu­lement, peut-être, d'indiquer à l'imagination de mon lecteur quelques unes des perspectives qui rayonneut autour du mystère dont je voudrais maintenant m'approcher: la vision est un acte.

VISION ET V/SAGE

La vision relie et sépare. Passant du sujet à l'objet. elle les unit dans Ie temps même qu'elle les distingue. Car si l'ceil se con­forme à ce qu'il voit, il sait aussi qu 'il voit, et mesure la distance. Ainsi, francbissant les frontières, illes délimite à nouveau. La vision est passage et frontière, et lieu de contact des extrêmes dont on ne sait plus s'ils s'opposent ou s'ils s'appuient l'un contre l'autre. Elle

(1) Les pages qui suivent, détachées d'un ouvrage assez vaste, risquent de paraître assez « hermétiques » au lecteur peu familiarisé avec eet ordre de spécu­lations. Certains mots employés ici dans un sens très particulier nécessiteraient des commentaires rigoureux. Bornons-nons à signaler que notre ouvrage contient une théorie de la forme ( considérée comme surface de contact de forces contra­dictoires) et une théorie de la personne, au sujet de laquelle on pourra trouver des éclaircissements dans ma Définition de la Personne parue dans Esprit, décem­bre 1931.

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est drame, elle est évènement. Elle ne connait rien que des formes, et ne croit rien que ce qui apparait. « Rien n' est, dit-elle qui ne se manifeste». C'est pourquoi dans Ie monde de la vision, il n'y a ni mensonge ni feintes ; rien qui se cache ou rien qui s'exagère, par oü j'.entends : rien de« moral »- ou d 'immoral. Et l'illusion lorsqu 'elle se risque à subsister dans la lumière est prise impitoyablement pour ce qu'elle est. c'est à dire pour ce qu'elle parait. N'est-ce pas ains i

que meurt une illusion ?

Or toutes ces choses et bien d'autres qu'on pourrait dire de Ja vision, on peut les dire du visage. La langue allemande ne connaît qu'un mot pour visage et vision : Gesicht. Quelle est clone cette parenté des apparences? Si la vision voit Ie visage, et de la sorte, s'en distingue, rappelons-neus qu'elle a son siège au centre même du visage. Sans visage il n'est plus de vision. Ou !'inverse. Ainsi Je je et Ie tu sont distincts, sans lesquels il n'est pas d'amour. Maïs si leur être est justement !'amour? Peut-on les isoler sans du même coup les séparer de leur existence même.

LA VISION EST UN JUGEMENT (psychologie)

Entre la vieille métaphysique et la nouvelle physiologie, on se demande parfois camment Ie Psychologue a bien pu se tailler son domaine. La propriété, c'est Ie vol. disait Proudhon. au temps ou paraissaient précisement les premiers psychologues ! Maïs aux dé­pens de quoi s 'installaient-ils? Entre !'aspect spirituel et !'aspect matériel de l'homme, i! existe deux traits d'union : la vue et la parole, la vision et l'entendement. La Parale est l'objet de la théologie, la vision est Ie monde de la physionomie. ( 1 ) Je crois bien que Ie psychologue s'est introduit dans la vision, s'est installé à la place du drame, avec l'étrange prétention d'arbitrer Ie conflit vital. de séparer les deux antagonistes ; de leur permettre, pensait-il. de « s'expliquer », mais comme on fait devant un tribunal. - et ce n'était pas leur coutume ... L'aventure est assez curieuse. Métaphy­siciens et savants ont toléré quelque temps eet intrus, cédant à un trouble penebant pour une paix qui n'était rien que leur faiblesse. Maïs aujourd'hui qu'ils relèvent la tête, Ie psychologue se voit en

( 1) J'emploie ce terme, de préférence à physiognomonie, pour désigner une conception du monde, ou plutót une image .du monde, dont !'étude du visage n' est qu' un particulier, à vrai di re privilégié.

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mauvaise posture : car les uns Ie méprisent, et les autres - Ie man gent. 11 sera clone mangé, et Ie drame pourra se poursuivre. ( 1)

Ceci soit dit pour situer certains résultats provisoires acquis par cette éphèmère « science ». L'un, entre autres, qui peut nous apporter ici un argument : un psychologue moderne ( 2) nous a dé­montré que la vision n'est pas une sensation, mais un décret de l'intellect. Il n'y a pas de sensations, il n 'y a pas d'images, il n'y a pas d'associations mentales : il n'y a que des jugements.

Toute pensée est « judicatoire », et tout, en l'homme dépend de la pensée. Voir, c'est porter un jugement distinctif. Maïs, alors, deux questions se posent: d'ou vient I' reil? A quoi tend le jugement? Et voilà notre psychologue obligé de chercher ses lumières chez les physiologistes ou chez les métaphysiciens. En vérité. la curieuse aventure, que cette espèce d'auto-suppression! Une fois rendus à

qui de droit les honneurs qu'il avait empruntés, le psychologue se voit restitué dans son röle de simple observateur. Etant donnée sa position essentieHement intermédiaire, l'on conçoit que ce n'est que

justice.

Que nous apprend l'observation lorsqu'elle se porte sur l'acte

même de la vision ?

Selon que l'homme qui regarde participe au spectacle, ou non, son regard saisira des aspects différents. Supposons quïl contemple un paysage. S'il est un grand poète, il y verra des mythes, et s'il est un littérateur de l"espèce par exemple d'Amiel, il n'y verra qu'un état d 'äme; s'il est un général, il ne verra qu'un champ de manreu­vres ; s 'il est un ingénieur, un territoire à exploiter; s'il fuit la société de ses semblables, il verra des retraites solitaires, et s'il la cherche, un désert qu'il faut fuir. Ainsi, selon que l'homme doit y entrer ou qu 'ille quitte, ou qu'ille voit par la portière de son wagon, Ie pay­sage n' est pas le même ; car Ie re gard est jugement. ( 3)

(1) La réaction anti-psychoiogigue qui se dessine un peu partout ne saurait faire fi des résultats d'observation acquis par les travaux de la psychologie de laboratoire. Mais presque toutes les interprétations qui ont eu cours dans ce domaine, jusqu'à Freud y compris, souffrent du même vice de constitution : elles considèrent les faits psychiques indépendamment de Ia personne, comme des cas. Ainsi elles laissent perdre l'humain, elles sortent du concret, - du drame.

(2) M. Spaier, dans la P ensée Concrète (Alcan).

(3) Depuis lïmpressionnisme, nous savons que la neige est bleue ; éducation du jugement visu~l par les arts, et:c.

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LA VISION EST METAMOR.PHOSE (métaphysique)

V oir, c'est juger en même temps que ·rormer: - c'est trans­farmer. Dis-moi ce que tu vois, je te dirai qui tu deviens . Car celui qui regarde se transforme.

On a beaucoup écrit sur la fameuse opposition de la contem­plation et de l'action. Une notion claire de ce qu'est la vision eût peut-être évité bien des malentendus illustres. L'action est un moment de la contemplation essentieHement active et transformatrice.

La métaphysique de l'Ancienne Alliance, étant celle de la prophétie, est dominée par l'audition de la Parole. Maïs la méta­physique de la Nouvelle Alliance, qui est celle de l'Incarnation. est dominée par la vision; i! semble que tout s'y ramène à l'opposition des ténèbres et de la lumière. « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes lumière » ( Eph. 5.8) ou encore : « Nous qui sommes du jour. .. » (I Thess. 5.8)

Rien ne serait plus facile que de multiplier les citations de passages desaint Paul ou desaint Jean, pour la plupart bien connus, qui ont fixé Ie vocabulaire métaphysique et poétique de tout Ie Moyen Age, d'une partie de la Renaissance, et même du rationalisme solennel ou vulgaire, (Aufklärung, philosophie des Lumières, claire logique, obscurantisme, etc.). Pour illustrer quelques-unes des rela­tions que je viens de désigner, il n'est pas superflu de recourir à ces «origines» sacrées, comme à une sorte d 'étymologie de l'imagina­tion moderne.

Sur la vision qui est jugement et action : « Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son cceur, commis l'adultère avec elle ». ( Matt. 5.28)

Sur la vision qui est transformation : « Nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu 'il est » (I. Jean 3.2.). « L'hom­me nouveau se renouvelle dans la connaissance, selon l'image de celui qui l'a créé ». (Col. 3.10)

Sur la vision et le visage: « Nous tous, qui, le visage découvert contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de clarté en clarté, comme par l'Esprit'». (ll Cor. 3.18)- « Aujourd'hui nous voyons comme dans un miroir et d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face ; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaitrai comme j'ai été connu ». (I Cor. 13.12)

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. de notre psychologue sinon celle qu'il se A Ia questJOn 1 d . 11 qu'il se trouve nous poser - sur e sens er-du rootns ce e .

pose. . nt teute la métaphysique chrétienne, et apres elle . r du Jugeme .

nte h'l sophie qui postule la transeendance de 1' éternel, répon-toute p I o • . . dent : celui qui voit Dieu, meurt. Car à la supreme VISIOn correspond

Ja suprême transformation. Reste l'autre question, celle de !'origine de la VISion. Celle

peut-être à laquelle répond 1' apötre lorsqu'il écrit : « Je connaîtrai

comme j'ai été connu ».

AU COMMENCEMENT EST LA LUMIERE (physique)

On ne voit que ce qui est vu. Maïs peut-être faut-il aller plus

loin : on ne voit rien que ce qui voit.

Car seule est visible la ferme, et la ferme naît du mouvement. On ne peut vair ainsi que les choses qui se meuvent, ou qui sant mûes, _ en un mot : ce qui change. « Car les choses visibles sant

passagères. mais seules les invisibles sant éternelles ». ( II_ Cor: 4:18) Or nous savons, de science et de prescience, et la révélation b1bhque nous Je confirme, qu'à !'origine de tout mouvement des corps. il Y a comme un appel de la lumière. La première parale de Dieu: « Que la lumière soit» est aussi Ie premier moteur de l'univers. Teute sub­stance que la lumière vient toucher, aussitöt se meut et se farm~, et de même qu'elle a été « connue »par la lumière, de même elle dev1ent à nos yeux reconnaissable. 11 n'est pas d' autre mouvement que eet élan vers Ja Jumière - ou pour la fuir - par quoi tout se rélève et se manifeste à la vue, - ou bien dans Ie néant comme se perdent les

astres morts. Donc, tout ce que nous voyons a vu ; et tout, d' abord, a été vu

par la lumière créatrice. « L' ceil ne verrait pas Ie soleil s' il n' était de nature solaire » dit Gcethe. Une telle parale devance notre science,

qui lentement la redécouvre, depuis peu. ( 1 )

( 1) Je songe à divers travaux de la biologie expérimentale dont je me borne­rai à citer l'exemple suivant: l'Allemand Kemmerer a constaté que chez certains batradens aveugles, qu'on expose a la lumière dans des conditions particulières. se développent lentement des yeux qui n'existaient auparavant qu'à l'état de germes sous-cutanés. (Travaux publiés dans les Archiv für Entwicklungs-Mecha­nik, - Leipzig) . La fameuse formule : 4: la fonction crée l' organe » se traduirait ici par «la lumière crée !'reil». Je donne eet exemple pour son pittoresque, sans

prétendre, naturellement, à juger de sa portée scientifique !

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Et c'est ainsi que la physiologie dévore .tout ce que Ia métaphy­sique avait laissé du psychologue, qui devient un simple point de vue .

Ces vérités ne sant guère « explicables » au sens de l'indiscret moderne, de celui qui veut taujours pénétrer sous Ia ferme, plutot que de la vair, et qui se perd dans un bavardage infini, dans ce vide ou cette « profandeur » ou plus rien n'arrête la parole.

Mais les mystiques et les poètes ont, de tout temps, depuis J'lncarnation, connu ce grand mystère de la vision. C'est parfois une connaissance égarée qui traverse un délire lucide, tel ce rayon qui pénètre dans les profondeurs de la Saison en enfer de Rimbaud : ~ Sur les routes, par les nuits d'hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cceur gelé : « Faiblesse ou force : te voilà, c'est la force. Tu ne sais ni ou tu vas, ni pourquoi tu vas, entre partout, réponds à tout. On ne te tuera pas plus qtte si tu étais cadavre ». Au rnatin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu». ( 1)

D'autres fois, c'est la claire connaissance de la béatitude vision­naire : connaissance parfois trop « claire » au sens rationaliste de ce mot. Connaissance trap pénétrante, qui dépasse trap aisément Ie concret de la vision. Camment expliquer autrement que la théologie des scolastiques ait pu s'attarder à débattre des questions aussi vaines que celle qui mit aux prises, par exemple, un Thomas d'Aquin et un Scat, Ie premier affirmant que la béatitude réside in visione, dans là contemplation de la Face de Dieu, Ie secend qu'elle réside in amore? N'était-ce pas se tromper à la fois sur la nature de !'amour et sur celle de la vision ? V oir Dieu, c' est se transformer au sens Ie plus violent et Ie plus impossible d'ailleurs; vair Dieu c'est aller à lui. Nous ne voyons que ce qui nous regarde: vair Dieu , c'est être regardé par lui. Mais alors, c'est aussi être aimé, et c'est se rendre à la transformation de la vision: c'est clone aimer. Et nulle vision ne serait « admirable » si elle n'était en même temps trans­formation , mouvement de !'amour. Augustin qui, plus que tout autre, a parlé de Ia «beauté » de Dieu , savait que vision et amour sont un seul acte et une seule réponse: « Lumière du monde, vous m'avez éclairé. Je vous ai vue, je vous ai aimée : car personne ne vous aime, s'i] ne commence par vous voir, et persenne ne vous voit, si ce n 'est

( 1) U ne saison en enfer. ( Mauvais sang). C' est Rimbaud qui souligne leJ demiers mots.

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celui qui vous aime. Ah je vous ai trop tard aimée, beauté taujours ancienne et taujours nouvelle, je vous ai trop tard aimée ... » ( 1)

L'IMAGINAT/ON DE LA FOR.ME.

J'ai cité des docteurs, des apotres et des poètes, des savants et même quelques indiscrets. Je vois bien ce qu'on peut m'opposer: « Nous marchans par la foi. non par la vue ». nous dit saint Paul.

La foi serait-elle clone négation de la vision ? Ou la vie éternelle, négation de l'incarnation? Nullement, mais accomplissement. et splendeur de ce qui n'est pour nous qu'ombre et reflet, fragment et trouble. « Aujourd'hui je connais en partie, mais alors je con­naîtrai comme j'ai été connu ». Cet alors est la plénitude d'un au­jourd'hui que nous ne connaissons que par ses limites et ses formes. Ainsi clone, dépasser la vision, ce ne peut être que la définir dans l'absolu, à la frontière de la mort et de la vie; et la nier, mais au nom de la foi, c'est du même coup la connaître dans sa signification actuelle.

«Ce que nous sommes n'a pas eneare été manifesté » dit Jean. Et de même, notre vocation n'est jamais totalement incarnée. Entre la forme pure de notre vocation et la forme visible de notre visage, il y a le péché, et les abîmes du temps. Dans Ie monde de la mesure idéale, qui est Ie monde païen, Ie monde antique, Ie monde des philosophes, la forme pure est celle de I'Idée platonicienne. Maïs dans Ie monde de l'Incarnation, - Ie monde chrétien - la forme pure est la parale que chacun de nous a reçue, en son lieu, en son temps unique. Figure de notre vocation, forme informante de notre être et que voient « les yeux de la foi », il semble que notre visage n'en soit qu'une mauvaise épreuve, déjà brûlée, ici et là, ridée frois­sée, et rendue émouvante par toutes ces marques ou se lit notre histoire.

Cependant Ie regard qui se risque à déchiffrer Ie fascinant spectacle de cette reuvre mordue par Ie temps et modelée par la lumière, ce n'est pas Ie regard troublé qui erre sur les miroirs de la ville, à la recherche d'une illusion de soi-même. IJ faut une force qui Ie braque, une école sévère et un maître. Car celui seul qui peut Ie plus, peut aussi nous apprendre Ie moins. Ou trouver cette force et ce maître, camment voir ce modèle idéal qui saurait nous rendre

(2) So/iloques de saint Augustin, chapître XXXI.

capables d'affronter la réalité - pour nous avoir révélé Ie salut? Ou trouver la réponse qui nous permettrait seule de poser sérieuse­roent nos questions ?

«Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous J'attendons avec persévérance » dit eneare Paul. Cette attente persévérante, cette action d'espérance, voilà Ie sens qu 'il faut donner à l'imagina­tion qui crée. Si l'imagination n'est pas ce fantöme des psychologues. une simple définition dont tous les termes sant problématiques ; si eJle n'est pas non plus ce rêve de l'indiscret, ou cette revanche sur Je réel qu'elle figure aux yeux du romantique ; si elle est au contraire une force concrète, elle est cela: une vision d'espérance, un prolon­gement, une marche vers la plénitude. Deviner la forme de notre vocation, c'est aller au-delà des « apparences actuelles », mais dans Jes lignes de la création. L'imagination de la forme saisit d'abord la [oi de formation, et c'est alors, mais alors seulement, qu'elle peut poursuivre sans s 'égarer dans la nuit. La loi de formation: Ie mode singulier de la personnification de la parole, la finalité de l'être vivant, qui se révèle au regard de l'amour. Qu'est-ce que l'homme de 1' esprit, sin on cel ui qui voit 1' esprit dans son action, et Ie prend sur Ie fait de la métamorphose? Et si l'on sait que la vision est acte, on saura maintenant quel est celui qui peut aider. ( I )

L'imagination de la forme est sympathie avec la création. Mais nous tenons ici la clef du monde de l'incarnation, Ie secret de l'image physionomique de l'univers. Imaginer, c'est se placer dans la pers­pective même de toute genèse spirituelle, dans l'axe de la personne en exercice, dans Ie drame de la forme, - et y pa.rticiper. Nous Ie tenons, ce lien vivant qui unit Ie créant au créé, et nous sommes enfin parvenus à !'origine de l'reuvre de !'esprit, au lieu très saint de notre humanité.

lei tout est réel. tout est action et résistance, tout est drame. Et les correspondances sant embrassées d'un seul regard. Les formes naissent, tableaux, poèmes, symphonies, danses, jardins, temples, statues, - visages! Dans l'enfance de la lumière.

(1) « N'advient-il pas aussi, parmi les hommes, lorsque J'un d'eux regarde I'autre réellement, tel quïl est dans Ie mouvement de sa ferme en devenir, que d'une manière étrange et délicate, il J'aide à parvenir à soi-même, en sorte que la force de l'imagination agissant dans les voies de la nature, littéralement colla­bere à engendrer I 'image de J'homme ? » (Th. Spoerri : Uber Einbildung, p. 25).

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L'IMAGE PHYSIONOMIQUE DE L'UNIVERS

Quelle que soit la vénération qu'on éprouve en présence de cette forme de toutes les formes que nous offre la face de l'homme, il faut entendre qu'elle reste symbolique d'une certains image du monde, dont elle ne saurait constituer Ie centre ni Ie fondement causa!, mais au sein duquel elle demeure cependant Ie cas privilégié par excellence. Au cours des pages qui précèdent, je me suis attaché à définir, plu­töt que les principes particuliers d'une étude physiognomonique, la vision que toute étude de eet ordre suppose et développe.

Je voudrais maintenant entrainer Ie lecteur dans une brève incursion à travers ces domaines que l'on pourrait nommer ceux du mystère manifeste. Et d'abord, comme au seuil d'une expédition militaire, j'indiquerai l'ordre de la marche.

Premier principe : Tout ce qui est réel est moteur, et donc in­fo.rmateur ou créateur de formes. Ce qui signifierait, pour un horome entièrement spirituel. que tout ce qui est réel se voit. Ce qui signifie plus modestement, pour nous tous, hommes dont le péché rend le regard trouble et menteur, qu'il nous faut attacher nos yeux non plus sur les idées en tant que telles, mais bien sur les idées en tant qu'a­gies, - sur les formes.

Second principe : Une forme ne peut pas être « expliquée » par Ie recours à ces abstractions usuelles, à ces catégories morales ou sociales que nous crayons « toutes naturelles ». Une [orme peut être seulement interprétée, symboliquement et concrètement, par d'autres formes. Le principe dialectique qui sert de guide dans le monde physionomique est celui des correspondances, et non pas celui des « causes » conçues indépendamment des effets. Nous sommes ici dans un ordre dramatique ( 1) et non conceptuel. Nous sommes ici dans l'ordre humain, dans la totalité, et non dans l'ordre scientifi­que, qui est celui du démontage mécanique, de l'isolation des parties.

Interpréter les formes par les formes, n'est-ce pas ouvrir les portes à une nouvelle mythologie. dans Ie sens d'un Schelling et déjà d'un Herder? Certes nous sommes ici très près de l'Organis­musgedanke qui est la clef de tout Ie romantisme allemand de

(I) IJ convient de débarrasser ce mot de tout pathos romantique. Le drame, c'est proprement l'action, en tant que mouvement, évènement, risque, tension. Un tel drame se passe fort bien d 'appréciations sentimentales. IJ est d 'ailleurs d' autant rnains « terrifiant » qu 'on y eft plus réellement engagé.

.....- Jl-

cette grandiose conception d'un univers ou tout est correspondance organique, ou la réalité nait de l'union des contradictions naturelles, ou l'homme est microcosme de la Création. Paracelse, Bruno, Nico­las de C use dominent de loin ce grand mouvement de la pensée européenne, qui connut sa splendeur féconde aux temps du roman­tisme et de la vie de Gcethe, qui devait aboutir, en passant par Wagner, à la théorie des correspondances chez Baudelaire et chez Rimbaud, pour se perdre dans l'esthétisme « décadent » des symbo­listes.

Je suis bien loin de croire que cette pensée ait épuisé sa vérité. Je la vois même promise à une prochaine renaissance. Maïs il im­porte d'en marquer Ie danger, disons plus: Ie péché, qui !'a stérilisée avant qu'ell~ eût développé tous les effets que les acquisitions rnadernes nous autoriseraient plus que jamais à en attendre.

Erreur théologique à !'origine: Schelling pour appuyer son intuition concrète de la totalité du monde créé remonta, par Shaftes­bury, jusqu'à Plotin et Platon, c'est à dire jusqu'au monde des Idées. C'était perdre de vue la réalité spécifique du monde de I'In­carnation, ou la philosophie de l'organique peut trouver ses mesures humaines et sa justification spirituelle. C' était placer Ie critière de !'esprit dans Ie «sentiment religieux », et non dans l'actualité de la Parole. C'était sortir du drame, pour se perdre dans une fièvre nostal gigue. Schleiermacher est I' expression géniale de eet te hérésie romantique, qui ne tendait à rien de rnains qu'à la glorification pro­gressive d'une nature dont s'évanouissait la condition essentieHement dramatique. Mais je ne puis m'étendre davantage sur eet aspect du romantisme, qui Ie déborde singulièrement, par ailleurs. Je me barne­r ai clone à renvoyer à la critique décisive de la doctrine de l'analogia entis que Karl Barth poursuit à travers toute son ceuvre.

Ce qui subsiste de l'O.rganismusgedanke, une fois cette concep­tion débarassée des équivoques métaphysiques, c'est un irrationalis­me concret.

L'analyse de l'homme intérieur ou social, telle que l'ont inlassablement reprise tous les moralistes français, décompose l'homme en qualités, en caractères ou en types, - bref. en énoncés rationnels. Rien alors ne peut égaler la pénétration de son regard, si ce n'est son impuissance à saisir la personne dans sa totalité concrète et créatrice, - informulable. Le moraliste classique détaille admirablement les motifs , mais ce faisant, il détend les ressorts de I'imprévisible évènement - tensions instituées entre des motifs tout

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contraires, dont la coïncidence définit la personne. Tensions qui d'autre part, bätissent et soutiennent l'édifice du visage de l'homme.

Kassner remarque qu 'à la I eeture des grands moralistes français, de Montaigne à Pascal, à La Rochefoucauld, à Chamfort, on ne rencontre pas une phrase qui se rapperte à l'expression ou au visage. « Même La Bruyère, physionomiste par tempérament, ne voit partout que Ie costume, la grimace, ce qu'on nomme « l'extérieur » de !'hom­me, mais non pas son visage. Pour lui comme pour tous les autres, (à 1' exception de Pascal) l'homme est entièrement ramené à la parole, à l'anecdote. Quant à nous, il nous faut choisir: ou l'anecdote, ou Ie visa ge. L' expérience montre constamment que les hommes qui savent des anecdotes et sont taujours prêts à en raconter, ne savent pas voir les visages ». ( 1) Le moraliste voit des types, Ie physiono­miste, des créatures. Mais nous vivons dans un monde sans mesures, sans barrières sociales, sans costumes, ou les types ne sont plus des repères. Notre mesure est clone devenue personnelle, et c'est pour­quoi il nous faut la chercher dans la vocation créatrice, non plus dans cette fonction sociale impersonnelle que représente la raison.

Faut-il condure que notre esprit qu'on dit « latin » est incapable de s'assimiler les secrets d'une ontologie de la forme? Ce serait oublier Léonard et son génie physionomiste. « I! garde, eet esprit symbolique - écrit Paul Valéry dans sa fameuse Introduetion à la Méthode du Vinci - la plus vaste collection de formes, un trésor taujours imminent et qui grandit selon l'extension de son domaine ... Il est Ie maître des visages, des anatomies, des machines. Il sait de quoi se fait un sourire; il peut Ze mettre sur la face d'une maison) aux plis d'un jardin ... » Et encore: «Je sentais que ce maître de ses moyens, ce possesseur du dessin, des images, du calcul. avait trouvé !'attitude centrale à partir de laquelle les entreprises de la cannais­sanee et les opérations de l'art sont également possibles; les échan­ges heureux entre !'analyse et les actes, singulièrement probahles: pensée merveilleusement excitante ». Les quelques mots que je souligne dans Ie texte de Paul Valéry ne sont-ils pas I'éblouissante formule d'une image physionomique de I'univers?

On pourrait m'objecter que Ie goût de la forme, apanage évident du « latin », suppose des géométries plutöt que l'imagination, et par là retombe au pouvoir de la raison et de Descartes. Mais passons de l'autre cöté: chez les Allemancis les moins suspects de sacrifier

(1) Das physiognomische WeJtbild (Delphin Verlag, Leipzig, p. 217) .

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à la logique cartésienne, quels sont les plus il.lust~es physionomistes

d ·d ' es? Gcethe et Nietzsche ces deux lomtams et quelque peu es 1 e . ·

-t · t admirateurs de la forme et de la clarté française. ( Que de me tan s . . . 1 dissociations à opérer dans nos preJuges culturels . )

Il a du démiurge chez Gcethe. ( Souvenons-neus de son 'thY_ ) y 1·t-on J·amais pareille faculté d'incorporer les affec-Prome ee . .

. d l'äme? Pas trace de « psychologie » dans cette ceuvre qw uons e L Af[' . - ·z t' d nt paraissait ne prêter à rien d 'autre: es m1tes e ec wes. cepen a . . . t . T t formes actions symboles ; et tout est VISIOn crea nee.

out y es · · · 1 Gcethe est un ceil. Et Ie chant de Lyncée sur sa tour - c est e

chant du bonheur de la vision :

Zum sehen geboren Z um scha uen bestellt. . .

·· ··· ····· ··· ····· ······ ··· So seh ich in allen Die ewige Zier Und wie mirs gefallen Gefall ich auch mir. Ihr glücklichen Augen Vvas je ihr gesehen Es sei wie es wolle Es war doch so schön l

« 0 mes yeux bienheureux ! » Mais les pauvres yeux do~lou­reux de Nietzsche, non moins que ceux de Gcethe, surent vmr en toutes · choses «Ie charme éternel » qui les crée. Ouvrez ~onc au hasard tel recueil d'aphorismes. Ie Gai savoir, Aurore : ~est une chasse royale pour 1' amateur de correspondances et de ~etaphores plastiques. Ceci dans Aurore par exemple : « Si nous vouhons tenter une architecture d' après Ie mode de notre äme ( nous sommes trop 1- hes pour cela) : _ Ie labyrinthe devrait être notre prototype ! . La ~~sique qui nous est propre et qui nous exprime véritablement ~msse déjà deviner le labyrinthe ( car en musique les homm:s s.e latssent aller parce qu'ils se figurent qu'il n'y a persenne qm smt ca~able de les voir, sous leur musique) » ( P· 198) · Ou ceci dans Ie ?al Sa-

. J' · egarde' durant un bon moment cette ville, ses matsons de VOlf : « al r n· campagne et ses jardins d'agrément et le large cerci~ de ~es c~ mes et de ses pentes habitées ; enfin je finis par me dtre ; Je vms des visages de générations passées, - cette contr~e. est ~ouverte par Ie: ima ges d'hommes intrépides et souverains ... J at taujours devant Ie

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yeux Ie constructeur, je vois comme son regard . . . se repose sur tout

ce qm. pres et lom, est construit autour de lui et a · 1 ·11 . uss1 sur a v1 e Ja mer et la ligne de la montagne et · . • comme sur tout cela. par son regard, d exerce sa puissance et sa conquêt Et

1 Z th t I U e ... » e

ara ous ra . ne ceuvre plus concrète a-t 11 cl 1 · . 1 -e e onc vu e JOUr depms es temps du Livre de Job, de ce profond traité ti · 1 · quine fait pas intervenir un seul concept abstral·t t . leo oglqu_e . , e qUI ne conna1t

d au tres arguments que les parties du corps hum · 1 1 1 . am, es p antes. es a1gles. un tesson, des ulcères des roehers deu ff cl · . cl . . ' ' x e arantes escnp-tJons u crocod11e et de I hippopotame. Ie monstre Léviathan. la Grande Ourse avec ses petits - et la Parole sous f cl · orme e ton-nerre!

DENIS DE ROUGEMONT

SUR LA DOCTRINE D'EDGAR POE

Le propre d'un grand poète est de ne pas s 'exprimer au hasard. Les mots les plus simples que son esprit ait conçus. méritent que Ie lecteur s'arrête à les approfondir. Peut-être aura-t-il la surprise de constater que les idées les plus secrètes et les plus profondes de !'auteur se ramifient justement à telle expression dont l'emploi peut, au premier abord, lui sembler sans conséquence et de fantaisie pure ... Des réflexions de eet ordre ne portèrent bien souvent à m'in­terroger, lorsque je relisais Ie Corbeau d'Edgar Poe. sur la doctrine oubliée, à laquelle fait allusion Ie poète, dans la première phrase de la pièce : « une fois, sur la minuit lugubre, pendant que je méditais faible et fatigué, sur rnaint précieux et curieux volume d 'une doctrine oubliée ... »

Cette doctrine, je n'en surprenais nulle part Ie nom sous la plume du poète, mais je Ie voyais, s'y référer en maints endroits de son ceuvre, et, par exemple, dans Ligéia, ne pas craindre d'en pré­ciser la nature et les directions : «Je ne vis pas alo.rs ce que mainte­nant je pe.rçois clairement, que les connaissances de Ligéia étaient gigantesques, étourdissantes, cependant j'avais une conscience suf­fisante de son infinie supério.rité pour me résigner, avec la confiance d' un écolier, à me laisser gaider par elle à travers le monde cahoti­que des investigations métaphysiques dont je m'occupais ave-a ardeur dans les pr.emières années de notre mariage. Avec quel vaste

(

triomphe, avec quelles vives délices, avec quelle espérance éthéréenne sentais-je - ma Ligéia penchée sur moi au milieu d'études si peu1

frayées, si peu connues - s' élargir par degrés cette admirable pers-

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pective, cette longue avenue, splendide et vie.rge, par laquelle je devais enfin arrivee au terme d ' une sagesse trap précieuse et trop divine pour n'être pas interdite I»

Le terroe auquel devaient aboutir les études secrètes d'Edgar Poe semble bien être son grand livre Eureka, dans lequel il s'imposa de parler de l'Univers Physique, Métaphysique et Mathématique -Matériel et Spirituel : - de son Essence, de son origine, de sa créa~ tion, de sa condition présente et de sa Destinée. Un examen de la thèse soutenue dans eet ouvrage ne doit pas manquer de faire surgir à !'esprit les analogies capables de nous crienter dans la recherche de la Doctrine dont la notion revient comme un motif obsédant à

travers I' ceuvre du poète. Après avoir établi que l'homme porte en lui la structure de !'Uni~

vers auquel il participe, et peut en connaitre les lois, Edgar Poë parvient dans Eurelca à l'idée d'absolue unité, souree présumée de tous les êtres. La puissance divine, tout d'abord concentrée en un point de l'espace, se serait peu à peu diffusée selon les lois de l'irra~ dia ti on, qui sont elles mêmes partie intégrante de la sphère. N otre cosmos aurait clone dans son ensemble la ferme d'une sphère au cceur de laqueiie Ie soleil représenterait pour notre système Ie centre émanateur de la divinité. Les croutes formées sur Ie soleil au cours de son refroidissement auraient été lancées dans l'espace gräce au mouvement rotatif de l'astre qui les supportaient, et seraient ainsi devenues les planètes. Le soleil aurait émis de cette sorte des cou~ ches successives de planètes à l'intérieur de la sphère cosmique, et se serait Iui~même rétréci jusqu'à ne plus remplir que J'orbite que nous lui voyons actueiiement.

L'~ypothèse d'Edgar Poe réjoint ici ceiie de Laplace, et par~ vient bientöt aux mêmes conclusions que Newton, mais les prolonge. Le poète établit une analogie entre les principes de répulsion et d'at~ traction, et celui des décharges solaires que complète Ie principe de gravitation, ou tendance générale des planètes à revenir vers Ie centre qui les a générées.

Cette tendance au retour vers Ie point d 'irradiation contient en elle Ie principe même de I' évanouissement des mondes. Au del à de notre système des myriades de systèmes semblables se déploient à l'infini, avec leur centre d 'irradiation et leurs planètes émanées. La rupture d'équilibre entre les forces de chaque système, à mesure que les planètes se rapprocheront de leur centre respectif, doit réaliser · la fin de l'univers. Selon l'expression du poète « les majestueux

survivants de la race des étoiles s'élanceront enfin dans un commun embrassement ». Maïs là ne se termine pas I'enchainement des phénomèn,es a~quel conduit Ia Iogique d 'une teiie hypothèse. L'uni~ vers matériel. finalement réduit à un globe· unique par Ia fusion des étoiles, doit s 'abimer à son tour dans Ie sein de la divinité . Le temps sera aboli au même moment que I'espace, car l'espace et Ia durée ne sont qu'un. L'Absolu aura repris ses droits sur l'univers.

En terminant sa démonstration Edgar Poe invoque Ia loi suprê~ me de Ia périodicité, et avance que I'émanation et Ia résorption de }'univers se renouvelleront perpétuellement. II achève son discours par cette phrase houleversante et mystérieuse : « Et maintenant, ce cceur divin- quel est~il? C'est notrepropre cceur ».

Les idées essentielles qui se dégagent de ce rapide exposé ont une parenté si frappante avec l'interprétation kabbalistique de Ia Bible qu 'il suffit de les confronter avec les principes de Ia tradition secrète pour acquérir Ia conviction que la Doctrine oubliée dont Ie poète évoque la grandeur au cours de ses rêveries n'est autre que Ia Kabbale. La théorie de l'unité origineiie des êtres s'y retrouve, ainsi que ceiie de J'engendrement de l'univers matérie] émané par déchar~ ges successives d 'un centre créateur, ici décrit comme un point à l'intérieur d 'un cercle. Voici les termes du Zohar ( Partie I Fol. 20) « Le Point indivisible, qui n'a pas de limites, et qui ne peut être campris à cause de sa pureté et de son éclat, se dilata extériew·ement, donnant naissance à une splendeur qui servit de voile au point indi~ visible. C.ependant ce voile lui aussi ne pouvait être contemplé à eau~ se de son éclat in[ini. Lui aussi se dilata extérieurement, et cette expansion forma son vêtement. Ainsi par une succession de soulè~ vements ie monde finit par prendre naissance ».

La Kabbale comporte également Ie retour des astres au néant, à l'instant ou l'Absolu regagne sur l'univers la portion d 'espace dont il s'était retiré pour lui permettre d'apparaitre. Ce moment de disso~ Jution est nommé Ie Zim~Zoum. Le Zohar enseigne d'autre part que Ie monde manifesté n' existe que par la pensée divine, et doit s'évanouir d'un seul coup, lorsque Dieu cessera de Ie penser: « Comme Moïse veillait sur ie Mont Sinaï en compagnie de la divi~ nité qui était cachée à sa vue par un nuage, il sentit une grande crainte l'envahir et dit, tout à coup: «Seigneur ou es~tu ... dors~tu, o Seigneur ? » Et l'Esprit lui répondit : « Je ne dors jamais; si je venais à m' endormir u.n se ui instant avant mon temps, toute la

création tomberait aussitót en ruines ».

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Ce tex te du z h 1 . 0 ar rappelJe irrésistibl Ols de Manou : « Lorsque Brah , . . ement eet aphorisme des

complit ses actes Lorsquïl , d ma s evezlle, aussitót !' univers l · sen ort !'esprit l ac-

repos, a ors Ie monde se dissout » , R ]' p ongé dans un profond aux livres sacrés de J'I d • e Ier Ja tradition kabbalist

1 n e est un labeur qu. d . Ique ment es cadres de cette not M . . l epasserait singulière-- 1 e. als Je ne pu. a que point l'hypothèse d'Ed P lS me tenir de remarque b 1 1 gar oe rejoint r

a e es purs enseignements d U . encore à travers la Kab-. t· es pallishad 1

crea wn et de dissalution du d s sur es périodes de l b . . mon e : « De . _a to~ ee du JOur, se réfugient tous d , meme que les oiseaux, a a Za fm de chaque jour de B h ans l arbre familial; de même

. d , ra ma tous les . . sem e lAtman suprême » (P , U . unzvers rentrent dans le

N · raçna panzsh,ad) otons pour finir que la phrase d P .

cceu d ' · e oe · « Et · r zvm - quel est-i! ? C' . mamtenant ce

à 1 h . est notre prop ' a t éorie kabbalistique d l'b re cceur » se refère

ahrégé de l'univers ( . e omme considéré comme un ( microcosroe) par ra t - 1' macrocosroe) . De cette ft· . ppor a univers total

. ' a Irmatwn résulte 1 . magie, c est à dire la croy d e prmcipe de toute de modifier par sa pensée etanee ans la possibilité pour l'homme la pensée et la parole de D · par saf ~arole d 'ordre d'un univers que

P Jeu ont alt surgir d 1 our peu que l'on . e a vacuité.

envJsage ce ra t d ' ces conséquences, en se reportant - 1 p~or analogie dans toutes Ie sort de l'univers si nulle pens. a la p rase du Zohar qui prévoit à d f ee ne e soutenait 1 · es rontières au delà de 11 1 p us, on s achemine

sque es a parole n'a plus cours.

A. ROLLAND DE RENEVILLE.

OU SYMBOLISME BACHIQUE

DANS LA MYSTIQUE MUSULMANE

Le symbolisme bachique n 'est pas spécial à la tradition isla­mique. Le vin qui réjouit, selon la Bible (Ju ges, IX, 13), « Die u et les hommes », figure aussi bien d.ans les mythes que dans Ie Jangage des mystiques. La soma des sacrifices védiques correspond au vin des mystères d'Eleusis; il était à la fois la libation et la divinité médiatrice et salvatrice, comme Dionysos lui-même, Dieu mort et ressuscité, dont la passion correspond aux souffrances de la grappe broyée et la ferveur frénétique ou sereine aux ivresses que procure la boisson.

Jésus s'est comparé à la vigne. Un vitrail de Saint Etienne du Mont place le corps du Christ sous un pressoir mystique d 'ou coule à flots la boisson de salut. Dans la messe Ie vin devient son sang.

La Bible parle souvent du vin ; Ia tradition juive talmudique ou cabalistique insiste sur son symbolisme. En hébreu les mots vin et mystère ont la même valeur numérique ( 70) et se ra pprochent en vertu du procédé cabalistique de guématrie. Le Talmud indique à

plusieurs reprises ce rapport. Le Zohar parle du vin conservé de­puis la création et qui sera servi au banquet des élus ressuscités ; il s'agit, dit-il, des mystères. A la suite du Cantique des Canti­ques, les mystiques chrétiens emploient le symbolisme du vin et insistent sur le sens: amour, inséparable d 'ailleurs du sens: con­naissance. Philemon d'Alexandrie, à propos des Mystérieux Théra­peutes, avait employé l'expression « boire à la coupe enivrante de l' amour divin ».

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Dans Ie monde musulman, l'interdiction de boire Ie vin matériel accentue encore la force du symbole. C'est au paradis que les élus boiront dans des coupes présentées par les houris et les jeunes échansons. Les poètes font signifier au vin la gräce divine, l'ivresse de 1' amour spirituel et la science ésotérique. Ils reprenneut à eet effet les images même des poètes les plus profanes. Hafiz, qui chemine avec virtuosité sur une arête étroite entre Ie profane et Ie sacré, multiplie les allusions et les métaphores. Omar Khayyam lui~même peut être campris souvent allégoriquement. Quanel il s 'écrie : « Parler avec toi en secret dans une tavene vaut mieux que de faire la prière rituelle devant le mirhab », il prodame les droits de Ia religion intérieure à cöté de ceux de la piété formelle.

Avant eux les premiers çoufis avaient utilisé Ie symbolisme bachique et tiré parti des versets coraniques sur la boisson paradi~ siaque. Dès Ie début du IXo siècle de notre ère, Bisthämi, Yahya Räzî, Dzou'n Noûn Miçrî avaient parlé de Ia coupe d'amour et du vin de l'intimité divine.

La taverne peut être Ie lieu de réunion des çoufis comme elle peut signifier Ie monde entier, manifestation de I'Etre unique. L'échanson peut être Dieu lui~même versant sa gräce, ou l'initié capable de mettre Ie novice dans la Voie. Le vin est !'amour (me~ habba) qui naît de la connaissance ( rnarif a). Amour de Die u pour lui~même, de Dieu pour les hommes et des hommes pour Dieu. Et c'est, précise~t~on, toujours Ie même amour. Amour générateur du monde, cause finale de Ia création. Et amour déiformateur des ämes, qui transferme !'amant dans l'objet de son amour.

«Je suis le buveur. le vin et l'échanson », disait Bisthämî. « Bois à langs traits, chante Chäbistärî, Ze vin de l'annihilation ... le vin qui te delivrera de toi~même et fera tomher dans l' océan l' être de la goutte d'eau ».

L'reuvre Ia plus célèbre du plus célèbre des poètes mystiques de langue arabe, Ibn al Faridh ( XIIIo siècle) est une Khamriya, un « éloge du vin» ( 1) . Dès Ie premier vers s'impose avec une autorité impressionnante Ia primauté de « I'Existence éternelle ».

« Nous avons bu à la mémoire du Bien~Aimé un vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne »

Le poète énumère les merveilleuses qualités de ce vin. Il chasse les soucis et les chagrins, il guérit les malades, il fait marcher les

( l) Traduit a vee les commentaires de N äbolosi , 1931, Ed. V éga, Pa ris .

61 -

paralytiques; son parfum peut être perçu à l'autre bout du monde ar un homme privé d'odorat; la seule vue du cachet sur les vases

pui Ie contienneut suffit à faire tomher dans l'ivresse. Cette réalité ;i impérative est pourtant inexprimable. « C'est une limpidité et ce n'est pas de !'eau, c'est une fluidité et ce n'est pas de l'aîr, c'est une [umière sans feu et un esprit sans corps ».

L'ésotérisme rejoint ici l'idée du logog, du Verbe. auquel il donne généralement les noms d'Homme Parfait, Hamme Universel, Esprit Suprême, Lumière Mahommédienne. Ce Vin , dit Ibn al Färidh, pré~existe éternellement à toutes les choses existantes. « C'est par lui que tout subsi,ste ... Avant lui, il n'y a pas d' « avant» et après lui, il n'y a pas d'« après» ... Avant que le Temps fût, il a

été sous le pressoir ».

Ce poème magnifique d'un auteur à la fois recherché et spon~ tané a donné lieu à de nombreux commentaires en règle, exotériques ou ésotériques, chacun cherchant d'ailleurs à Ie tirer à soi et s'ü~gé~ niant à placer sous chaque mot les significations les plus subt!les.

Quelques passages du commentaire de Näbolosi ( XVIIIo siècle) moutrent dans sa plénitude Ie sens ontologique ( unité de l'Etre) et le sens mystique ( union avec l'Etre) du symbolisme bachique: « Le vin signifie la boisson de !'amour divin, car eet amour engendre l'ivresse et l'oubli de tout ce .qui existe dans .ze monde contingent... nous avons perdu à force d allégresse connarssance de tout ce qui est autre que la V érité ( 1) ( qu' elle soit exalt.ée !) : N ~us sommes parvenus par Ze fumet de cette subtile liqueur à l oublr meme de notre oubli ... Le vin c'est !'amour divin éternel qui apparait dans les manifestations de la création. Dieu ( quïl soit exalté ~) a dit (2) : « /[ les aime et ils l'aiment ». Le soleil, de « ll. les arme»_ se reflète dans la lune de « Ils l'aiment », et c est. tauJours la. me me lumière. Et c'est encore, ce vin, la lumière qui brrlle en tout lreu; et c'est eneare Ze vin de l'Existence véritable et !'appel véridique. Toute chose a bu de ce vin. ll est !'amour qui fait germer toutes les graines. ]l est la substance qui rnaintient toutes les substances. Et tout cela n' est que descriptions et manières de dire pour dési~ner. seuleme~t les vêtements de Soulaïma et de Asma ( 3) ; car celur qur a compns

(1) Al Haqq, un des noms d'Ailah.

(2) Coran, V, 59.

f d I Xemples de grammaire, comme (3) Noms employés réquemment ans es e nous dirons : de Pierre et de Paul, c.d.a. de quiconque.

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le signe n'a pas be.soin de l'expression, et ceux qui en ont goûté savent le sens vrai de ce qui est écrit sur Ze papier et connaissent le seceet des cceurs nobles .. .

L' esprit de c.elui qui boit ce vin, se détache de la considération des mandes apparents ... Sa qualité et sa quantité s' annihilent et il ne restede lui rien d'autre que Lui ... Les choses contingentes s'effacent tand is que l'Existence -réelle demeure telle qu' elle était avant la création, et i' aspirant s'effacera aussi ».

Tel est Ie but. Prends~le pur, ce vin, dit Ie poète, il est à ta disposition dans la taverne; c' est~à~dire partout. ( car l'Existence véritable se manifeste et s'irradie en toutes choses).

ll n'a pas vécu ici~bas, celui qui a vécu sans ivresse. lnsensé celui qui, de son ivresse, n'est pas mort!

EMILE DERMENGHEM

PETlTS POEMES INÉDITS

DE CHARLES VAN LERBERGHE

Les quelques poèmes qui vont suivre ne sant pas datés, mais on peut reconnaitre qu'ils appartiennent à la période de la vie du poète qui s'écoule entre la publication d'ENTREVJSIONS et celle de LA CHANSON D'EVE. Ce ne sont que des fragments, et sans doute Ze poète n'avait~il pas attaché grande impactanee à ces essais. Pour nous, il nous semble que leu.r publication aura eet avan~ tagede fixer un moment de l'évolution du poète. La liberté du vers, sa forme fluidique autant que certain ton plus direct, l'abandon d'une inspiration étriquée dans son symbolisme aux formes préra~ phaélites, nous permettent de conclure que ces vers ont été écrits à

une époque ou Ze poète « entrevoyait » déjà la ter.re promise de ce paradis donné et perdu, plein à la fois de spiritualité et d'humanité, oii. il a placé sa CHANSON D'EVE. Sans doute trouvons~nous eneare ça et là dans ces fragments des rappels de eet esthétisme poétique qui nous empêche d'aimer sans arrière~pensée les poèmes d 'ENTREVISIONS. Maïs Ze tit.re même de ce recueil nïndique~t~il pas que Van Lerberghe apercevait déjà à cette époque la nécessité de se libérer d' une contrainte littéraire dont il n' était pas dupe ?

Lorsqu'on a respiré «la saison des roses morfes », il n'est pas facile d'en rejeter le poison, même si !'on aspire de toute son äme à la « tremblante lumière » et si l'on entend déjà au loin la « timide

chanson». FRANZ HELLENS

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~64~

L'HOTE (Fragment)

Sois Ie bienvenu, mon bonheur. Je te chantais en t'attendant. Tu es venu dans ma prière Comme un divin exaucement.

Comment as~tu trouvé ma demeure ?

- J'ai vu de loin la tremblante lumière J'ai entendu la timide chanson.

- Sois salué, sur ton beau front Je mettrai des roses légères.

-Maïs qu'est~ce donc, ö bel enfant, Que tu retiens en tes rnains doses ?

- Des perles, des chansons, des songes bleus, des roses. Resteras~tu longtemps ?

- Quelques heures. Eh quoi! Tu ne m'as pas perdu Et déjà tu pleures.

FRAGMENT

A cette heure sans plus d'espoir De la saison des roses mortes

Ce sera Ie dernier soir.

Tu frapperas du declans et non plus du dehors Sans plus attendre

Et tu diras l' amour est mort, Le feu est éteint dans la cendre.

La nuit sera sombre, Ie silence profond. Tu frapperas, et les anges ouvriront.

~ 65 ~

AUTREFRAGMENT

A toi j' ouvre mes grands yeux sombres Amour, mes yeux ou tu descends (Mystérieux Hambeau de l'ombre) Et toutes mes lèvres, roses de sang.

Et que ne puis~je ouvrir mon cceur D'une large blessure douce Pour que tu y poses, Amour, ta bouche Et me boives jusqu' à la mort !

PI;TIT POEME (lnachevé)

La bergère et son mouton ( 1) (Par Ie pré aux fleurs d'or s'en vont)

Tous deux suivent la même route La bergère cueille, Ie mouton broute.

Et tous deux aiment la même fleur L'une avec sa bouche, l'autre avec son cceur.

SUR UNE IMAGE DE KEEPSAKE

Silencieuse elle pénètre Au dos de ce calme jardin. Un beau jour d' été vient de naître Dans Ie sourire du matin.

A la voir ainsi toute blanche Et pure on la dirait un lys Qui sur des roses soeurs se penche Entre ses frères les iris.

(1) sa brebis (variante)

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Ses donces rnains s'approchent d'elles, Des rnains qui ne meurtrissent pas. Ce n'est qu'un effleurement d'ailes Nos rêves sont si délicats!

Comme un rayon sur une rose Son regard divin s'est posé, Et sa bouche heureuse repose Immobile dans un baiser.

L'ENCHANTEE

Tandis que Ie chant de 1' amour (Aux résonnances d'allégresse) ( Aux mystères de ce beau jour) L' enveloppait de ses caresses.

Elle, appuyée à des lilas Tremblants et chancelants comme ell e, Dérohe entre ses päles bras Son doux visage triste et frêle.

Très cloucement elle gémit D'une souffrance qu'elle ignore T oute inquiète et lasse parmi Le chreur des hommes qui 1' adore.

Tandis que leur chant dans les airs Ou 1' amour des ténèbres gronde, Tumultueux et plein d'éclairs Retentit sur sa tête blonde.

Et s' enfuit avec la douceur Des flots soyeux d'une mer chaude, De plumes, d' écumes, de fleurs D' étincellements d' émeraudes.

CHARLES VAN LERBERGHE.

LETTRE SUR MAX ELSKAMP

Cher Ami,

Votre lettre m' a fort ému pour sa gentil/esse d' a bord, ensuite pa.rce que le nom d'Elskamp nesera jamais appelé sans profondément m'émouvoir.

Aussi, ai~je failli commettre ce que, après réflexions, j'eusse considéré comme une erreur. DepuÏ$ sa mort, j'ai déjà consacré avec amour deux articles à Max. Le second fut écrit pour éviter que sa mémoire ne prenne une forme puérile, au l' on avait cru pouvoir l'enfermer. Si Elskamp n'est pas un poète immense, il n'est pas le petit que, avec de tendres intentions, on a voulu nous montrer.

Après ces deux efforts, vous sentez bien qu'ilfaut que j'attende d'autres témoignages, et quïl serait pénible que je reste un des seuls hérauts de notre ami disparu.

Certes, comme vous Ze dites fo.rt bien, dans man Elskamp !'Ad~ mirable, publié au Mercure, je n'ai pas donné une biographie d'Els~ kamp. ni ne prétendais avoir épuisé mes souvenirs sur la vie du grand poète.

D 'autre part, je ne me sens pas qualifié pour parler de son reuvre poétique. Je lis peu de vers. Comme «tout le monde» j'ai pourtant lu Valéry. Je pour.rais un jour comparer l'reuvre de ces deux poètes. Ce serait fort curieux et, je gage, absolument inattendu. La comparaison n'est~elle pas le thème principal de la critique moyenne, et parfois de la meilleure?

On pourrait montrer un vaste champ, tout d 'un plan, qui se.rait la poésie de V aléry. Ell~ est sortie de M allarmé, sans qu · y fut

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ajouté d 'autres puissances que celles naturellement ajoutées par lïntelligence. Un champ magnifique d 'une valeur uniforme, sans collines.

Elskamp dans cette comparaison n'aurait qu'un jardin modeste et familie.r. ll y serait vu, entrant dans eet enclos, par des partes jolies également ouvertes par Mallarmé. Seulement, Elskamp, à l'intérieur d!e ses murs gothiques, nous réserve une surprise . Si son jardin est petit, une quantité de fleurs et de formes y vivent dont Mallarmé n'avait pas fait prévoi.r l'éclosion. Quelle est la valeur de ce frisson étrange, léger, personnet et pas emprunté si souvent que f on dit aux vieilles chansons ? En tout cas, il serait aisé de montrer que dans son jardin, une jol ie colline s' élève qui est bien à lui. Elle fait de son ceuvre un sommet qui, s'il est étroit, est pourtant bien nettement détaché sur le fond de la poésie symboliste, une série de chants plus originale que l'onduleuse et profonde voix mallarméen­ne, plus originale que la merveillease et déjà classique chanson de Van Lerberghe. que je lisais eneare il y a dix ans. Ceux qui préfè­rent à la pureté et à la fraîcheur. une ceuvre ordonnée d' après des principes connus, ne peuvent agréer mon opinion. Pour ma part, je préfère quelques cris nouveaux, personnels, dans une ceuvre molns savante, plus maladroite, maïs plus évidemment consiruite avec les seuls pouvoirs du cceur.

Mais, je ne veux pas faire ce que précisément je me récuse d' entreprendre.

Mais pour satésfaire à la curiosité que. dans votre lettre, vous témoignez au sujet de ...

JEAN DE BOSSCHERE

NOTES

SUR LA POÉSIE ET L'EXPÉRIENCE (1)

Si l'on admet que la poésie de Mallarmé tire sa nouveauté et sa valeur de ce qu'elle est une poésie en soi et qu'elle se donne pour telle, élaboration du V erbe, qui est son élément primordial elle assure son existence et ses effets sans s'abandonner à quelque incHnation de l'äme, pente naturelle du sentiment ou austérité froide de l'ldée.

Elle apparaît à première vue comme une construction extérieure séparée de la conscience du poète, dont il pourrait à la rig~eur _se détacher. 11 n'en est rien et l'on est frappé au contraire de 1 empue extraordinaire que la poésie exerce sur l'homme qui 1' a inventée.

* * *

De toutes les conséquences que peut camporter l'exercice de la poésie .. voici bien la plus inouïe; C•e contact qu'elle pre~d _ave~ la vie, ce pouvoir réversible du poème, cette orientation qu 1l 1mpnme

aux forces obscures de 1' être.

On pense à une action qui tiendrait de !'hypnose ou de la ma­gie: le poète immobile et non sans angoisse, devient i~sens_ible _a~ reste de l'univers. La vie se concentre dans Ie poème qu il fait , ou 11 impligue un objet, une chose qui Ie hante et dontil perçoit la présen-

( 1) V oir Hermès, n• lil, Mai 1934.

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ce, ou l'absence, c'est-à-dire la fuite, dans une attitude quasi-mys­tique.

* * *

Cette disposition de l'être suppose la conception d'un monde. Non dans le sens d'un monde comme on dit le monde des images, maïs nous entendons : un paysage. un extérieur, toute la série des ob jets extérieurs auxquels la démarche s' applique et se heurte.

11 ne nous paraît pas arbitraire de penser que l'aventure poé­tique de Stéphane Mallarmé est animée par cette croyance selon la­quelle le poème peut être doué de la faculté d 'opposer au poète de vivantes difficultés , de réels problèmes, de son choix, et gräce à la vertu particulière du symbole.

* * * IJ est difficile, en matière de poésie, d'envisager que le mot ne

serait qu 'un signe dont on puisse user à son gré, docile et gouver­nable. Plus légitimement on pourrait Ie tenir pour un corps en quel­que sorte organique : complexe, composite, contradictoire, et dont la fonction naturelle serait loin de- contribuer à la stabilité de 1' esprit. On y discernerait plutot un élément de ti'ouble, d'énervement, de sécession.

Dès lors on peut concevoir que pour certains esprits, la nécessité se soit impos~e de réduire cette indiscipline et qu'une symbolisation générale des mots donnerait naissance à une autre poésie. Nous dirons que cette poésie est Ie produit d'une certaine science et qu'elle porte la trace d'une intervention particulière de l'homme, de l'ordre intellectuel.

* * * L'usage du symbole est assez antique, peut-être contemporain

du langage, peut-être même antérieur à celui-ei ; il est aussi divers.

C' est un signe conven u, comme dans les sciences exactes, repré­sentation fixe dont Ie sens est défini. Il sert précisément en vertu de sa fixité et dans la certitude que son emploi entraîne pour épuiser les conséquences de sa définition ; ou bien Ie symbole est un mot, une suite de mots ou de lettres. Le sens n'en est pas clair: il exige une initiation, un silence, une complicité, Ie mystère.

Le symbole est souvent une image.

--- 71

Plus rarement, il est marque, indice ou manifestation d'une chose actuellement absente. On Ie tiendra pour une preuve de 1' exis­tence de la chose signalée et même de sa présence actuelle.

* * *

Est-ce une coïncidence si, depuis quelque cinquante ans on peut observer que tout se passe le plus souvent comme si Ie poème se devait précéder chez celui auquel il se destine, d 'une attitude parti­culière hors laquelle il ne reste qu'un vain assemblage de mots sans

·t 7 p · · fonde'e semble-t-il sur une confiance commune, des sm e . oes1e . . .. · d't ti ons proches, des soucis peu différents et une mamere assez

me 1 a 1 1 · · · semblable d'en avoir raison. Et si cela n'est pas origina. a cunos1te serait que cette coïncidence est tout compte fait ~xtrêmement ~are, que si elle se produit. elle est souvent fugace, qu un reg~r~ q~~ fut

1 · t bl - nouveau que tout est parfois à ressa1s1r. s 1! se c a1r se rou e a .

peut.

* * *

Le fil de la pensée symbolique nous conduit de Stéphane Mal­

larmé à Paul Valéry.

Nous ne trouvons plus ici cette disproportion émouvante dont témoi nait l'ceuvre de Mallarmé, non plus que eet in~ertain tout de mêmeg et ce périlleux. Dans ]' aire étroitement circonscnte par les re~­sources de 1' art se développe au contraire une mes ure. une harmome

vêtue d'une curieuse affabulation.

* * * Nous n'ignorons pas ce que l'expression d'un dessein lui confère

d'autorité et de corps. Nous savons comme elle paraît purger de ses

ombres l'hésitante démarche des hommes. Il reste que l'invention d'une poésie artificielle, no~s voulons

dire, qui tende à substituer à une vitalité authenti~ue cert~ms savants

Problèrnes dont J'habile imbrication composeralt une 1mage assez

- '·t pas belle de l'intelligence aux prises avec elle-meme, peut n e re

touchante. .. La poésie de Paul Valéry, didactique en quelque sorte, s m-

. era1·t il est vrai facilement dans la littérature, si un léger accent ser • · 1' étranger ne faisait involontairement lever les yeux sur auteur.

* * *

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~ 72-

Sans doute la rigueur, la volonté la . lïntervention de l'arbitraire le cl. b , connaissance de soi, . . . . . • enom rement des 'bl . a lasene mfmie des possibles sont le cl' h possi es oppose cl ]. s Iverses p ases d'un 'th cl

e esprit, et qui lui assurent la . M . e me o e pUissance. a1s Je problèm .

pose pour nous est un peu différent . ·j 1 e qUI se cl . ]' . I concerne a matière . t .

rre extérieur par rapport à l'esprit. , ces -a-

. ~ous dirons ainsi que l'obscurité n'est pas le fait du oète Imagrl~ons avec peine que les difficultés soient voulues pcreee. sNous cumu ees po b ' · . • . ac-

. . . ur o err a une sorte de stratégie de l'eff' L drffJCultes s t d 1 h rcace. es 1 t

. on ans es c oses, dans les propriétés de l'écriture dans a ensron propre de Ja vie. ·

. . .La. portée d'une ceuvre se trouvera affranchie de la volonté de 1 ecnvam. 11 ne cammande pas Je d t' cl • .

. es In e son ecnt. Les mots ~sse~bles prennent de la liberté. Et peut-être sommes-nous fondés ~ crorre que la ~~ur~e de l'émotion ou du trouble poétique se trouve

ans cette duahte smgulière du Jangage et de la conscience.

J.C. G.

- 73 ~

NOTES CRITIQUES

ET COMPTES RENDUS

Maurice BLONDEL. LA PENSEE. I. La genèse de la pensée et les paliers de son ascension spontanée. - Paris, Alcan, 1934. (Bibliothèque de philosophie con­temporaine).

On sait assez quelle est devenue la place, dans les préoccupations de la philosophie contemporaine, des questions épistémologiques ; et certains, sans doute, ne se serout pas défendus de quelque surprise en apprenant, aux premières pages du dernier ouvrage de M. Maurice Blonde], que Ie problème de la pensée est un problème méconnu. Mais ce qu 'une telle déclaration peut avoir d'appa rem­ment paradoxal nous avertit tout d 'abord des perspectives ou nous sommes con­duits, les perspectives finalistes, contumières au blondélisme. Ce dont il s'ag it, - et M. Blonde) s'en explique aussitöt, - ce n'est pas de déterminer les condi­tions d'exercice ou d'évaluer les prétentions et la portée de J'activité quotidienne de la pensée; mais de savoir « ce quïmplique la possibilité et le fait de PEN­SER » ( p. XXIII), de « savoir comment iJ est possible de pensee, quelles sontl les conditions intrinsèques ct les fins véritables du pens er » ( p. 206).

Peur élaborer cette « sciencc intégrale de la pcnsée », qui est une scicnce nouvelle, une méthode, nouvelle aussi, est requise. A d'exclusives spéculations abstraites, qui finissent par se heurter au scandale de !'antinomie du réel et de l'intelligible, M . Blonde) substitue une dialectique concrète, immiscée dans la vic de la pensée. Cette dialectique, il la conçoit comme génétique, et Je plus radica­lement Aussi est-ce en deçà de la pensée pensante (pensée cogitans) et de la pensée pensée (pensée cogitata) quïl commence ses recherches.

Trois stades se partagent eet en deçà : pensée cosmique, pensée organique e t organisatrice, pensée psychique. Dès Ie premier, se manifestent deux compo­santes fondamentales de la pensée : la camposante « noétique », c'est-à-dire J' ab­strait, J'universel. l'un, Ie géométrique, l'intelligible; la camposante «pneumatiquc», c' est-à-dire Ie concret, Ie singulier, Ie multiple, Ie qualitatif, Ie réel. Eli es «se pour­suivcnt et s'échangent sans jamais se séparer ni se conjoindre » ( p. 276), et cette « pulsation » de la pensée, recherche et conflit, suscite, « invente » même «les réuss ites e t les ascensions partielles » ou se farment de nouvelles « requêtes ».

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Cette invention, cependant, est déficiente, i! importe de Ie remarquer. A cha­que stade se fait une « intervention novatrice » ; et ce qui vient répondre aux be­soins du stade antérieur, M. Blonde! l'appelle «un inédit relativement transcendant» (p. 59) . Conception audacieuse, et qui n'est pas nouvelle chez lui: n'est-ce pas ce même concours d'immanence et de transeendance qu'il défendait, dans de précédentes études, à propos du rapport de l'humain au surnaturel ? En tout cas, ce concours rompt par Ie milieu la rigueur du système évolutionniste : lïnterven­tions transcendante, assumant la causalité des moments progressifs, introduit dans Ie devenir des opérations créatrices.

De la pensée inframentale à la pensée pensante, Ie saltus se fait observer avec plus de précision que jamais auparavant. L'invention qui spécifie Ie stade nouveau, c'est la conscience, irréductible aux réactions animales. - Conscience des perceptions sensibles, conscience d'objets distincts, concience de soi-même, la pensée va se déployant. Tout Ie long de cette « laborieuse genèse », on continue de constater « que Ie ressort même de notre pensée (est) toujours tendu par le conflit renaissant ent re l'idéal noêtique d' une raison éprise d' unité unlverselle et impersonnelle et l'aspiration constante et impêrieuse de la pensée vers une réalité toute concrète dans son intimité singulière et inaccessible » (p. 177).

Et voici que cette aseeosion rencontre l'idée de Dieu; et !'on se demande si c'est là Ie dernier palier, I'achèvement de Ia pensée et son repos. Maïs non: Ie conflit n'est pas, pour autant, apaisé; ici même, subsistent ineenfondues les com­posantes primordiales. IJ reste Ie problème de Dieu ; et, en même temps, Ie pro­blème de la pensée demeure irrésolu. IJ faut trouver Dieu.

Comment s'élever encore? Une voie nouvelle s'ouvre ici: mais ce qui s'im­pose ma in tenant à la pensée, c' est de dépasser la spontanéité et de croître dans la liberté, c'est d'« opter ». C'est dans Ie sens de ses responsabilités, - ou va s'engager la deuxième partie de l'ouvrage de M. Blondel. - que la pensée a désormais à chercher la possibilité de son achèvement.

D. R.

Dr. Bharatan KUMARARAPPA 1 The Hindu Conception of the Deity: As Culminating in Rämänuja. Cambridge University Press, 1934.

Le traité principal de la célèbre école Védänta, Ie Brahma-Sûtra, a été com­rnenté par de nombreux philosophes dont les principaux sont Shankära chärya (Çankara) et Rämänuja (1050-1137 ap. J.-C.).

Ce dernier, auteur du « système » Visishtadvaïta, (non-dualité différenciée) est, contrairement à son rival. un réaliste qui assigne des qualités à l'Etre suprême et s'efforce de systématiser les données de l'espérience physique et religieuse. Bien que Ia doctrine de I'Illusion du monde matériel (qui est celle de Çankara), joue un grand röle aux Indes, les enseignements de Rämänuja ont également une considérable influence, particulièrement dans Ie Sud. La philosophie de Rämänuja est aussi l'une des plus nobles expresslons du théisme binclou et comme tel i! doit forcer notre attention. Le Dr. Kumararappa divise son travail en deux sections : la première fait l'historique de Ia conception de Dieu qu! trouve son point culminant en Rämänuja, et qu! est issue des Upanishads en passant par la Bhagavad-Gitä et les Puranas jusqu'aux Alvars, ces Saints Tamil Vaishnava qui firent tant pour façonner l'opinion religieuse et philosophique de l'Inde du Sud

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. . . .. I ap J -C La seconde partie de I'ouvrage expose I f' me et d1x1eme s1ec e · · · .

entre e sep 1e . . . . d' . R ' änuJ·a et son effort pour constru1re un . d la Dlvmüe apres am

la conceptiOn e . b . 1 Totalité sujet du culte Vaishnava, et conçu . métaphyslque ase sur a ' T d' « systeme » I . d t J'infinie et la suprême Perfection. an lS que

comme un Dieu p:rsonne p~sse an t opposé à !'aspect religieux de la vie, J'ensei­!'Advaïta, professe par Çad~ alra, es omme une critique de cette idée que la pensée

d R' · ·a se eve oppe c gnement e amanuJ . I' . t tIe reste n'étant qu'illusion. Le Dr. Kumara-pure est seule J'absolu rea üe - o_ud . !'analyse et à !'exposé des «Vues» de Ra-

de habilité proce e a ff t rappa avec une gran · . 1

de et résume admirablement ses e or s mänuja sur la relation entre DleU et ~ mon ,

1 tion au probleme. . . d pour apporter une so _u . . our la connaissance de la philosophle hm oue

Cette étude est tres precleuse P 1 V'däntä dont Ie Visishtadvazta et elle est propre à stimuler J'intérêt pour es e , J. MASUI

n'est qu'une face.

The Philosophy of Union by Devotion, Swami NITYAPADANANDA :

London 1934 (Luzac & co).. !ais des « papiers » du célèbre Salmyasi 11 s'agit d'une traduetion en ang d I dévotion suprême et des

d C' t n traité de la nature e a . bengali Jnananan a. es u d l ' t . Cet ouvrage apporte une contn-

. d 1' état de non- ua 1 e. ) ·J t rnayens pour attem re . . la Bhakti (la voie de Ia charité et 1 es bution intérèssante à la « rehg!On » de

1. . J. M.

. . 't d'expériences re lgleuses. de plus, un cuneux reel

and Western Psychology, Oxford University Geraldine COSTER I Yoga

Press. 1934. ·son clair et précis entre les idées et t essai de comparal 'd t I Cet ouvrage es un I b d I thérapeutique occ1 en a e

· i forme a ase e a les procédés de J'introspectlon, qu , . « s stème » binclou d' expérimentation en matière de psychopathologie et_ 1 anCle.n :onnu sous le nom de Yoga. Mlle psychologique et de réalisation metaphyslqdue méthodes ce qui lui permet de

• faitement ces eux ' 11 Coster paraît connaltre par . . quelques lueurs nouve es. nous ouvrir sur ce domaine immense et mysteneux J. M.

d I' Amour di vin, Paris, CHAKRA VARTil Çaitanya et sa théorie e

Sukumar . . 1934_ .

Les Presses Universltalres de France, f ·s sur le plus grand samt . let paru en rança1 ,

Premier ouvrage vra1ment comp • I et poète mystique vichnouiste du Benga e. -C. de par la voie (la bhakti, ou

Sri Krishna Çaitanya ( 1485-1533 ap. J: . \ vie éternelle, est certainement amour divin) qu'il avait choisie pouRr paalrv~n~r :) ~e mieux comparable à ceux du

d ( T karam et am UlS n Ie saint hin ou avec u d'A . St Jean de la Croix.

S F ois sslse, un . . 1 B Catholicisme, un t. ranç . t n véritable océan lyrique ou e en-

Ses chants et ses poèmes « consbtuen u . . tion En fait la littérature , . . s de puiser son msp1ra · ' . .

gale n'a cessé jusqua nos JOUr ' d 1 s beaux joyaux de la htterature vichnouite de l'école de Çaitanya reste un es p u

du Ben ale », et de toute l'lnde. . , g d M Chakravarti, parfaltement

L ouvrage e · . Jus belles l'espérons, à faire connaitre 1 une des p

génie hindou.

documenté, contribuera. nous et des plus nobles figures du

J. M.

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Armand GlliBERT etc., Patrice de la Tout' du Pin. - Editions Mit'ages, 46, rue de N aples, Tunis.

Depuis quelques années le nom de Patrice de la Tour du Pin ne cesse d 'intri­guer les amis de la poésie. Pour les uns l'auteur de «LA QUETE DE JOIE :» (Edit. de La Tortue, 60-62, rue François 1, Paris) est le restaurateur d'une certaine tradition métaphysique en poésie, tandis que pour les autres il ne serait qu'un des demiers représentants d'une poésie didactique pleine des plus impar­donnables scories.

Les collaborateurs de cette plaquette, Armand Guibert, Camille Bégué, A. D enis-Dagieu et Jean Amrouche se sant appliqués à situer Patrice de la Tour du Pin sur les routes de la Connaissance, car la Quête, dont son oeuvre est Ie témoignage, Ie mène vers cette Joie qui est Connaissance. C'es t à travers Ie merveilleux chrétien, et principalement celui du cycle breton du Graal que se déroule LA QUETE DE JOIE. Les tendances de Patrice de la Tour du Pin sant certainement un signe des temps, car depuis d'autres pays eneare nous parviennent des messages poétiques qui se veulent situer au-delà du subjectivisme lyrique pour atteindre au genre mythique, mais aucun de ces messages ne semble témoigner d 'une aussi grande arcleur métaphysique que celui de Patrice de la Tour du Pin. M. E.

Jan VAN RUUSBROEC. Werken II en III. - Editions Het Kompas,. 16, M elaan, Malines.

Nous avons déjà eu !'occasion de signaler les mérites de cette édition des oeuvres complètes de Ruusbroec, dont les tornes II et III viennent de paraître, avec quelque retard. Gràce au travail d 'érudition des membres de la Ruusbroec­Genootschap, d'Anvers, il sera à nouveau possible d'aborder facilement, dans Ie texte original ce message mystique car, depuis longtemps, il n'était plus possible

.de se procurer en librairie l'ensemble des reuvres de Ruusbroec, tout au rnains dans cette belle langue médiévale qu'est la sienne.

Urbain VAN DE VOORDE. Ruusbroec en de Geest der Mys tiek. - Editions De Sikkel, 223, Kruishofstraat, Anvers.

Notre collaborateur Urbain Van de Voorde nous donne ici une longue étude sur Ruusbroec et l'esprit mystique. Cet essai prend I'ceuvre de Ruusbroec comme point de départ dans une exploration particulièrement fouillée du domaine propre à la vie la plus authentique de la mystique. C'est un panorama d'intense activité spirituelle qui se déroule devant les yeux du lecteur.

Urbain VAN DE VOORDE. Essay over Karel Van de Woestijne. - Editions De Sikkel, 223, Kruishofstraat, Anvers.

Petit livre très discuté qui tend à donner une interprétation générale du génie de Van de Woestijne. Van de Voorde analyse la psyché du poète et précise les circonstances intimes de son évolution poétique. IJ situe Ie poète dans l'évolution de la poésie européenne, et plus particulièrement par rapport à Baude­laire. IJ fait de Van Woestijne un poète essentiellement catholique, mais non mystique (cf. son artiele dans Hermès III, p . 62). Tout en reconnaissant la

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' t' e de Van de Woestijne, il lui fait grief de s'ê tre d du message poe tqu d gran eur . . . dent de poète « mau it l>.

camplu dans un esthetisme deca V de Voorde considère les premiers - I' · ·on courante. an Contrairement a opmt . d' lus grand potentiel poétique que . e étant charges un P

1

· recueils du poete co= . d' baroque par trop vo ontatre. d la màturité aJourdies des scones un Jes oeuvres e •

L riek van Karel Van de Woestijne. - Editions de Math. RUTTEN (Dr.) De Y l'U . s ·te· de Liége Fascicule LU. . h. t L tt es de nz ver l • . la Faculté de Phûlosop te e e r. V d V o de une analyse systêmattque - 1· - J'essa1 de an e 0 r

Voici comme rep tque a .. E . l"geant volontairement sa prose . d V n de WoestiJne. n neg 1 de J'oeuvre lynque e a . j · à dêcouvrir, d 'après sa lyrique con-. . . . M tb Rutten s app 1que .. et sa poeste eptque, a · . d . . oétique de V an de WoeStiJne.

. . 1 · 1 progressten u geme P . . t structive, I eva ution, a . I leur enchaînement chronologtque, a par . 1 du poete se on h L'auteur smt es oeuvres H t (Le Coeur Ivre) . A la fin de c aque

t H et Zatte ar · les recueils Substrata e f . . sant enregistrés et exposés ; en gUise

th ' e des atts qUI Y . d chapitre i! tente une syn es t ait synthétique de 1 homme et u

. - s donner un por r , . . de condusion i! s essaye a nou I' lyrique Math. Rutten n hestte pas

, d . nt dans oeuvre . I poète tels qu ils se ecouvre . I ds poètes de son siècle et en ce a - I Van de Woestijne parml les pus gran a c asser nous Ie suivons très volontiers.

Albert VERWEY. Mijn Verhouding tot Stefan George. - Editlans vh. C. A.

M ees, Santpoort, Hollande. . ·f armi les poètes hollandais de la géné-Ecrite par un des plus representatl s p d ports d'amitié qui lièrent

ration dite de '80, cette plaquette t_émoigtnel eJ·esu::ppoeste hollandaise d'alors. V et a tou e a 11 d · Stefan George à Albert erwey . d d connaître la poésie ho an atse

Nous y découvrons un Stefan Georg~ avl de' 't edier plus à fond l'influence de · t -t e cuneux e u b'

(à ce propos, i! seralt peu -er ) Albert Verwey dêpeint avec o JeC-cette poêsie sur !'oeuvre poétique de Georgle . ssertions de Walters dans son

G t rectifie que ques a t n tivité Ie Kreis de eorge e .. . K t A sa suite nous découvrons tou u Stefan George und die Blätter fur dte . uns . d dans les brûmes de la légende monde qui nous semble déjà bien lom . .. per u M. E . géorgienne.

Editions des Cahiers Libres. Paris. Pierre JEAN JOUVE, Sueur de Sang, une curieuse attirance sur un

d p J Jouve peut exercer I L'oeuvre poétique e · · . . ce qu'en lisant, par exemp e, · t 11 cette attlrance, a

lecteur. Et, sans doute, tien -e e, d miers recueils du poète, on éprouve, un eertaio nombre de textes empruntés a~x .. e ette tension et ce mystère qui se maïs alors de façon particuli~remelnt at~ulel, ~père une transmutation violente et

- I' 'I b t' poétique orsqu e e . -rattachent a e a ora ton , . lle utilise pour les fatre rayon

d T tien des donnees qu e d ' . totale et, par là, une enst tea 1 nts inquiétants peur lui-même et ou ner sur ce réel qui se croit sans pro ongeme

elle les a tirés. I . . de p J Jouve s'est, depuis ff t comme a poes1e · · . On n'ignore pas, en e e , R' b d de Hölderlin et de Lautrea-

é - 1 substance de 1m au . , . d quelques années retremp e a . a f d. Nous sommes loin aujourd hUl e mant et à la méditation de I ceuvre reu !enne. l'époque unanimiste et de l'Abbaye.

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Sucur de Sang présente d 'authentiques valeurs poétiques. Cest, par exemple, lorsque Je poète se tient à la limite de la chair et de la pensée :

c Ces traits de fer et ces chevelures délabrées Te conviennent, forme aujourd'hui de la ville ... >

Puis i! est des moments fulgurants ! < La Reine de Saba porte un diadème Est-il d'amour, de honte, ou de honte et d'<>mour. 0 Pandore, i/ n'y a que chaleur dans tes membres ... Et Je grossier soleil est sculpté sur ton sein >.

IJ est seulement permis de regretter Ie caractère parfois trop délibéré d'un délire soucieux de ne point quitter les cadres prévus de la doctrine freudienne. I1 semble qu'alors la liberté et la connaissance poétiques y perdent, s 'altèrent.

Un avant-propos dialectique intitulé lnconscient, Spiritualité et Catastrophe, d onne à entend re que les soucis de destructien révolutionnaire et de libération du fond érotique sant au départ d'un approfondissement illimité du psychisme de l'homme.

MARCEL LECOMTE

MEMENTO

M. E. CLARKE, The contribution of Max Scheler to the Philosophy of Reli­gion. The Philosophical Review, Novembre 1934.

Signalans ce remarquable travail sur Scheler et la Phénoménologie con­temporaine.

J. LOEWENSBERG. The Comedy of lmmediacy in Hegel's Phénoménolo­gy. Mind, January 1935.

L. DUGAS. La théorie de la Mémoire affective chez Maine de Biran, Revue de Métaphysique et de Morale, janvier 1935.

Analyse claire et précise de la thèse de Maine de Biran. M. Dugas observe, en conclusion, qu'il appartenait à Marcel Proust de démontrer par l'exemple qu'une union intime de la pensée et du sentiment, combien difficile selon Maine de Biran, n'est point pourtant irréalisable.

J. NOGUE. Explication scientifique d'un sensible, Revue Philosophique, novembre-décembre 1934.

«La qualité n'est clone pas un aspect passager et trompeur de I' univers que I' explication aurait pour effet de détruire, mals elle est, au contraire, condition de sa pensée et de son existence, ... >

G. DESGRIPPES. L'humilité, la raison, la foi, selon Pascal. Revue de Phi­

losophie, septembre-décembre 1934.

E. PICHON. La logique vivante de !'esprit enseigné par Ie Iangage, Journal

de Psychologie, novembre-décembre 1934. La pensée-langage représente une part capitale de la pensée humaine. Or.

nous pensons et parions en phrases d'une façon spontanée, phrases dont toute

Ja structure, toute J'organisation est fournie par l'inconscient.

J. PRZYLUSKI, La plasticité des mots et la cohésion du discours, Journal

de Psychologie, juillet-octobre 1934. « Dans Jes Jangues naturelles, eertalnes particules fossilisées sant semblables

à des signes algébriques, mais ce ne sant plus des mots vivants. Entre Ie mot musical, frémissant du poète et Je signe inerte du savant, Ia matière linguistique

se dégrade et passe par une gamme de transpositions ».

C. BECKER. L'ceuvre d'art selon Eugène Delacroix, Revue d'Histoirc de

la Philosophie, 15 janvier 1935. «Tout art, comme la peinture, présente

d'une significatien spirituelle et organisée par

à nos sens une matière chargée

elle >.

H. NELIS, Hadewych a-t-elie écrit avant 1250 ? Revue Beige de Philologic

et d'Histoire, juillet-décembre 1934. . . Artiele qui soulève de nombreuses questions àprement dtscutees par les hlsto-

rlens de Ja mystique flamande.

REVUE THOMISTE, novembre 1934 - février 1935. Très important numéro double consacré à Thomas de Vlo, dit Cajetan.

Cajetan a été Ie plus grand théologien de son temps. Conseil intellectuel de quatre pontificats, depuis J ules U jusqu' à Clément VII, ~~ a laiss~ _ une reuvre des plus étendues, qui vise surtout Ie rationalisme avérrotste de I epoque.