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Les bras chargés d’étoiles – histoire d’une ouverture par Matthieu B. 18 et 19 septembre 2010 Il y avait longtemps que cette highline me trottait dans la tête... Du Mas Barral Le parc du Mas Barral de Chambéry voit régulièrement des sangles se tendre entre ses arbres espacés. De nombreuses configurations y sont possibles, de la babyline de 5m à la longline de 50m, en passant par toutes les variantes classiques, 15m, 20m, 30m, 40m. C’est un lieu rêvé pour tout slackliner avide de trouver l’équilibre. Et c’est ce que je suis. Arrivé à Chambéry au mois de mars 2009 pour une nouvelle vie, complètement dépaysé de ma région Centre natale, je me retrouvais seul dans une ville inconnue, avec pour passion naissante un sport peu connu, voire inconnu du grand public, la slackline. Ce sport est pour moi, ancien pratiquant du Tai Chi Chuan, un excellent sport zen. Il mélange parfaitement l’équilibre, la sérénité, la concentration, le tonus, le relâchement, le mental et le physique. C’est pourquoi il a facilement remplacé le Tai Chi qui ne satisfaisait pas mes envies de méditation active. La solitude et le pays inconnu ne me firent pas peur. Solitaire dans l’âme, je n’eus aucun mal à vivre seul à Chambéry pendant ces premiers mois. J’allais au parc tous les soirs pour m’entraîner et progresser sur cette petite sangle Primitiv’ obtenue chez mon fournisseur préféré, Slack.fr. La vallée était ma cellule et j’y imprimais mon univers. Ma sangle était ma compagne. Chaque jour voyait un progrès. En premier vint l’équilibre assis, puis debout, puis un pas, puis un autre, et après ce fût quelques mètres. Ensuite vint le départ assis, marche en avant, en arrière, demitour, puis le saut. Après 3 mois de ce régime, j’avais acquis une petite technique. À ce moment, je rêvais déjà de highline, mais sans l’oser car une terrible peur du vide me hantait et aussi parce que je n’avais pas encore tenté de la combattre par l’escalade, un sport qui m’attirait également mais que je ne pouvais commencer faute d’avoir un compagnon de cordée.

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Un récit de - Matthieu Bouin - bien complet sur les motivations, rencontres qui amènent au highline!

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 Les bras chargés d’étoiles – histoire d’une ouverture par Matthieu B. 18 et 19 septembre 2010 

 Il y avait longtemps que cette highline me trottait dans la tête... 

 Du Mas Barral  

Le parc du Mas Barral de Chambéry voit régulièrement des sangles se tendre entre ses arbres espacés.  

De nombreuses configurations y sont possibles, de  la babyline de 5m à  la  longline de 50m, en passant  par  toutes  les  variantes  classiques,  15m,  20m,  30m,  40m.  C’est  un  lieu  rêvé  pour  tout slackliner avide de trouver l’équilibre. 

 Et c’est ce que je suis.  Arrivé à Chambéry au mois de mars 2009 pour une nouvelle vie, complètement dépaysé de ma 

région Centre natale,  je me retrouvais seul dans une ville  inconnue, avec pour passion naissante un sport peu connu, voire inconnu du grand public, la slackline.  

Ce sport est pour moi, ancien pratiquant du Tai Chi Chuan, un excellent sport zen.  Il mélange parfaitement  l’équilibre,  la  sérénité,  la  concentration,  le  tonus,  le  relâchement,  le  mental  et  le physique. C’est  pourquoi  il  a  facilement  remplacé  le  Tai Chi  qui  ne  satisfaisait  pas mes  envies  de méditation active. 

La solitude et le pays inconnu ne me firent pas peur. Solitaire dans l’âme, je n’eus aucun mal à vivre seul à Chambéry pendant ces premiers mois. J’allais au parc tous  les soirs pour m’entraîner et progresser sur cette petite sangle Primitiv’ obtenue chez mon fournisseur préféré, Slack.fr. 

La vallée était ma cellule et j’y imprimais mon univers. Ma sangle était ma compagne.  Chaque jour voyait un progrès. En  premier  vint  l’équilibre  assis,  puis  debout,  puis  un  pas,  puis  un  autre,  et  après  ce  fût 

quelques mètres. Ensuite vint  le départ assis, marche en avant, en arrière, demi‐tour, puis  le saut. Après 3 mois de ce régime, j’avais acquis une petite technique.  

 À  ce moment,  je  rêvais  déjà  de  highline, mais  sans  l’oser  car  une  terrible  peur  du  vide me 

hantait et aussi parce que  je n’avais pas encore  tenté de  la combattre par  l’escalade, un sport qui m’attirait également mais que je ne pouvais commencer faute d’avoir un compagnon de cordée. 

 

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Un soir, alors que j’arrivais au parc, je vis, à ma grande surprise, et joie, d’autres slackliners qui s’étaient  installés  sur mes  compagnons  végétaux,  frêne,  cèdre  et  les  autres.  Sans  hésiter,  je  les aborde et engage la conversation. 

Au  bout  de  quelques  minutes,  le  visage  de  l’un  d’eux  m’interpellait.  Ce  garçon,  Julien, ressemblait à une connaissance du passé, de presque dix ans, à Orléans, alors que  je  trainais mes DcMartens de  gothique  au  lycée  et  que  je  fréquentais mon  pote  Freeddy. C’était  bien  lui,  c’était Julien Millot qui jouait à l’époque dans Spookeed, un excellent groupe de métal élethnique‐en‐apnée, trio métal prog instrumental dont j’avais réalisé une pochette de démo. 

Quelle rencontre ! Et lui aussi « slackait »… Ainsi  je trouvais un  lien avec Freeddy qui m’avait  initié à  la slackline quelques mois plus tôt, à 

Grenoble. À partir de ce moment, après des mois de solitude presque mystique, j’entrais dans le monde. 

Je pouvais partager ma passion avec d’autres qui, de plus, habitaient tout près de chez moi.  

De la highline  Une poignée de  semaines plus  tard,  Julien et  Jelena m’invitèrent à participer à ma première 

highline. Elle  se  ferait  dans  les  arbres.  Julien  avait  repéré  un  site  au  col  de  l’Épine,  au‐dessus  de 

Chambéry. C’était un lieu à l’écart, dans la forêt, parfait pour mettre en œuvre ce genre de folie, loin du regard des curieux. 

Lors  de  cette  journée  hors  du  temps,  où  Jelena traversa  la  ligne d’une quinzaine de mètres de  long pour environ  8m  de  haut,  je  pus  goutter  à  l’adrénaline  en essayant la ligne. 

Après  être monté  dans  l’arbre  (première  remontée sur  corde  de ma  vie),  je  suis  resté  de  longues minutes assis, à préparer la transe à l’aide d’une série de chansons en mp3 qui m’accompagnent depuis mes débuts  sur une slackline. Mais malgré ces notes de confort,  je n’osais me lever de peur de la chute. La chute me terrorisait. Comme elle me terrorise encore. 

Ce  n’est  qu’en  faisant  un  effort  surpuissant  que j’osais  me  lever,  véritable  combat  mental  contre  moi‐même.  Et  je  tombais  en  rattrapant  la  ligne.  Puis  après quelques essais, je réussis à enchaîner quelques pas avant de tomber à nouveau, en bout de leash, cette fois‐ci. 

Fatigué mais content de  l’expérience,  je décidais de renoncer pour continuer à travailler sur ma petite sangle au sol, avec encore plus d’acharnement. En effet, jusqu’à ce moment, je me trouvais très à l’aise au milieu, sur le mou de la sangle, mais je fuyais les bouts de la sangle, près des ancrages, là où la sangle est rude, rapide, intransigeante. 

À partir de ce  jour,  je me remis à travailler dur, sans complaisance, pour pouvoir être à  l’aise partout sur la sangle, pour me donner les armes de vaincre ma prochaine highline. 

 Celle‐ci vint plus  tôt que prévue avec  les Natural Games de Millau 2009,  seconde édition du 

concept, où la slackline était mise à l’honneur avec la présence de Slack.fr.  

J’y  allais  avec  Freeddy  et  Sophie.  Sur  place,  je  rencontrais  Charles,  Damien  –  mentors  de nombreux slackliners francophones, Tancrède, Antoine (tiens, un Chambérien, colocataire de Jelena), les mutants Michi Aschaber et Andy Lewis, et de nombreux autres, amicaux et talentueux. Au cours de ce week end, je pus m’essayer à ma première vraie highline, la Princesse, ouverte par Jelena. Une 

Jelena au Col de l’Épine  

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dizaine de mètres de long, pas beaucoup de gaz en dessous mais un panorama énorme sur toutes les gorges de la Jonte. 

Cette Princesse m’impressionna tellement, car  la highline dans  les arbres n’était rien à côté, que  je fus  vaincu,  écrasé.  Je  ne  trouvais  pas  le  courage  de me  lever,  ni  de  tenter  de me  lever.  J’étais terrorisé. Le vide me clouait. Je ne pouvais pas faire un seul mouvement, assis sur cette ligne. Je ne pouvais même pas lâcher une main, horrifié par avance par la chute que je pourrais faire, horrifié par ce fragile bout de corde dynamique qui me retenait à la vie. 

Il me restait donc encore cette peur du vide à défaire et surtout ce manque de confiance dans le matériel à évacuer. 

Je rentrais donc  la tête basse de cet échec, mais  le cœur gonflé à bloc. La prochaine serait  la bonne. J’en fis le serment. 

 L’été  passa.  Je  commençais 

la pratique régulière de l’escalade. J’appris  doucement  à  faire confiance au matériel et à évoluer en hauteur.  

De  plus,  au  sol,  je commençais à tendre des lignes de plus  en  plus  longues,  seul,  et  du coup, de moins en moins tendues.  

En  septembre,  je  tendais 30m  avec des  ancrages perchés  à 2m pour cause de simple mouflage insuffisant – et de petits bras trop seuls.  Vaincre  cette  ligne  me demanda  quelques  heures  assez intenses.  J’en  tirais  une  petite fierté.  Je  progressais  doucement. C’était grisant. 

 En  octobre,  Julien  me 

proposa  une  séance  de  longline qui  me  donna  confiance.  Je  fus étonné  de me  voir  assez  à  l’aise sur 50m.  

Dans  les  jours  qui  suivirent, Julien  réalisa  mon  rêve,  ma première  réalisation  de  highline, tout en gaz, lors d’une session aux Tours  Saint  Jacques  de  toute 

Vue sur les Gorges de la Jonte – Princess Line

Suspendu à l’air – Tours Saint‐Jacques (Bauges)

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beauté dans les Bauges.  Ce fut une magnifique expérience. Il n’est décidément pas humain d’avoir aussi peur du vide et 

de vouloir marcher sur ces quelques fibres tendues. Grâce aux conseils de Julien, je me réfugiais dans la technique. Et lorsque je me levais, je tenais 

la sangle. Il suffisait de rester concentré et la peur du vide restait à l’écart, malgré le cœur qui battait à m’en rompre la poitrine. Et un pas après l’autre, j’étais de l’autre côté. 

Je fis d’abord un aller. Puis après une longue pause tout l’après‐midi car la première traversée m’avait épuisé, je me risquais à un aller‐retour. 

Quelle  libération !  Je naissais de nouveau,  grâce  à peu de  choses, quelques mètres de  tissu, quelques amis et un paysage d’automne somptueux calé entre deux averses. 

 Durant tout ce temps, le parc du Mas Barral était resté à mes côtés, témoin de mes progrès et 

de mes rencontres.  Un mois  après  les  Tours  Saint  Jacques,  je  traversais  une  autre  ligne,  au  lycée  Bertholet  à 

Annecy, qu’Éric et Sébastien  installèrent.  Je  fus heureux de pouvoir  renouveler  l’exploit des Tours Saint Jacques, celui de traverser, même si le cadre n’était pas le même.  

 Cette répétition aurait du me mettre en confiance et être  le début de traversée toujours plus 

magiques. Pourtant, ce fut le départ de quelques déconvenues. Fin  décembre,  lors  d’une  session  hivernale  très  extrême  à  Saint‐Gervais‐les‐Bains,  je  fis  une 

douloureuse chute en bout de leash qui eut raison de mes forces et de mon mental. Dans le froid et la neige, cette ligne était terrible, alors qu’elle pourrait être si avenante avec un beau soleil et 20°C. Qu’importe,  l’équipe  des  Bad  Slackliners  et  quelques  autres  étaient  là  et  l’ambiance  était  plus chaleureuse que l’air. 

 En avril 2010,  le Ritson Gap au Parmelan me  vit perdre mes moyens et  refuser de me  lever 

devant  trois  charmantes  demoiselles.  Je  ne  saurais  dire  ce  qui  se  passa  dans ma  tête,  car  j’étais monté dans la neige pour passer cette ligne, rien d’autre, mais une fois assis dessus, je ne voulais plus faire  l’effort de me  lever.  Je n’étais pas en  aussi bonne  condition mental qu’Ingrid qui  se mettait « trash »  sur  « trash »,  comme  elle  disait.  Je  regardais  donc,  tout  penaud,  Jelena  traverser admirablement cette ligne et Ingrid se battre comme une guerrière. 

 Malgré ces défaites,  je ne perdais pas  l’envie d’y  revenir et de  réussir. Le mental se  travaille, 

comme la technique.  Durant  tout  le premier semestre 2010,  je me consacrais plus à  la  longline qu’à  la highline. La 

simple  raison est que  je me  trouve plus à  l’aise  sur une  longline.  Le  combat est moins difficile.  Je préférais donc céder à la faciliter. Honte sur moi… 

Saint‐Gervais‐les‐Bains – Photos par Ingrid Laillaut De Wacquant

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Mais quel plaisir !  En  effet,  ces  longues  distances,  au‐delà  des  50m,  amènent  à  un  voyage  mental  hors  du 

commun. Il est nécessaire de rester concentré car à la moindre erreur il est facile de se retrouver le nez dans l’herbe sans trop comprendre pourquoi. 

Ainsi,  j’aiguisais mon esprit qui devenait dépendant de ces sensations, physiques et mentales, où le corps tout entier est sollicité et où l’esprit vogue à loisir dans des pays imaginaires reliés par ce chemin tracé de sangle. 

Une nouvelle fois, grâce à Julien, je pus passer un cap. J’atteignis la barre des 100m dans le parc du Buisson Rond de Chambéry. Je faisais ici une infidélité au Mas Barral qui ne permet pas de tendre plus de 50m. 

 Par  la  suite,  je  slackais  avec  plus  de  parcimonie.  Je  favorisais  l’escalade  qui  m’apportait 

également beaucoup, et m’apporte encore beaucoup. J’avais plus de travail de ce côté‐là que sur  la sangle. 

 Au Natural Games 2010, je pus de nouveau goutter à la terreur du vide sur un site foisonnant de 

lignes. Je  passais  sans  trop  de 

difficulté la petite 10m en pente. C’était  une  sorte  de  victoire.  Je reprenais  confiance  en  mes capacités.  Il m’était  possible  de le faire. Octobre 2009 n’était pas le coup d’un jour. 

La  petite  10m  dans  la poche,  le  moral  gonflé  à  bloc, j’allais  me  frotter  à  l’une  des 25m qui me tendait les bras. 

Je fus moins heureux, mais le combat me permit de franchir une  étape.  Après  de  nombreux essais et chutes en rattrapant  la sangle,  je  voyais par moi‐même que  je  pouvais  me  lever  sans avoir peur. Il suffisait de ne penser à rien. Il fallait agir, laisser le corps trouver sa place et respirer. 

Ce week‐end  là,  je ne  fis que quelques pas sur  la 25m mais  j’avais  le sentiment d’avoir réussi quelque chose. J’avais à nouveau confiance en moi et je savais que je passerai d’autres  lignes avant de revenir.  D’un projet  

Durant l’été, lors d’une session longline au parc du Mas Barral, je discutais avec Antoine. Je lui dis que, dans ce parc, deux grands arbres, éloignés l’un de l’autre d’une quinzaine de mètres, seraient propices à une highline. J’appris alors qu’il y avait également pensé et que quelques personnes de sa connaissance seraient tout à fait partantes pour le réaliser. 

Il n’en fallu pas plus pour me décider.  Après avoir  fait  la  connaissance d’Adrien, au hasard d’une  rencontre, puis de Henri, Arnaud, 

François et quelques autres, je parlais de mon projet lors d’une session de longline au Mas Barral. Je venais de trouver mes compagnons de folie pour accomplir ce projet. 

Il ne fallu pas longtemps avant de décider de revenir le lendemain pour passer à l’acte.  

Sur la Bunny Line – Natural Games 2010

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 D’une réalisation 

 Samedi  18  septembre  2010,  vers  13h,  j’arrivais  le 

premier au pied des arbres. Ayant  déjà  pu  observer  comment  une  highline  dans 

les arbres se montait,  j’avais prévu  le matériel nécessaire : deux  cordes  statiques  dont  une  pour  le  backup,  poignée jumar et grigri, élingues, anneaux de sangle, mousquetons symétriques en acier, une slack en très bon état, du ruban adhésif.  Les  copains  complèteraient  avec  des  élingues supplémentaires  et  une  corde  statique.  Adrien  prendrait ses crampons pour faciliter l’ascension de l’énorme pin qui n’a  que  2  grosses  branches  sous  le  point  où  nous souhaitions poser la ligne. 

Je fus rapidement rejoint par Arnaud et Adrien. Armés  d’une  gourde  en  métal  que  nous  avons 

attachée  à  une  cordelette,  nous  avons  passé  des  cordes statiques dans les branches basses de chacun des arbres. 

Malheureusement,  les  nombreux  essais  avant  de réussir  cette manipulation  eurent  raison  de  la  santé  de  la  gourde.  Elle  en  gardera  à  jamais  des séquelles. Paix à son âme. 

Puis Adrien chaussa ses crampons et commença à grimper dans le grand pin, assuré par Arnaud. Pendant ce temps, je montais dans le gincko. 

 L’objectif était de poser un anneau de sangle dans chaque arbre, à environ 15m de haut. Ces 

points serviraient fixer des cordes fixes pour monter et descendre. En moins d’une heure, j’avais installé les élingues de la ligne et du backup dans mon gincko. En 

revanche, Adrien combattait toujours pour prendre pied sur  la première grosse branche du pin, qui formait  un  angle  très  étroit  avec  le  tronc  principal.  Fatigué,  il  descendit  pour  se  désaltérer  et 

reprendre des forces. Pendant  ce  temps,  François  et  Henri  nous 

avaient  rejoint  et  avaient  commencé  l’installation d’une longline de 50m juste à côté. 

Après  quelques  minutes  de  repos,  Adrien remonta dans le pin. Je l’assurais. 

La  difficulté  avec  ce  pin,  une  fois  la  première grosse branche passée, était  la  large circonférence de son tronc et  la rugosité de son écorce.  Il était difficile de faire coulisser un anneau de sangle sur lequel nous serions vaché,  tout en montant  les pieds à  l’aide des crampons. 

Alors avec deux anneaux de sangles…  En effet, nous sommes des  inconditionnels de  la 

sécurité  et  nous  avions  décidés  d’utiliser  deux anneaux  de  sangles.  Le  but  était  d’en  monter  un, vaché sur  l’autre, puis de se vacher sur celui qui était monté pour remonter l’autre. Un travail de fourmi. 

À ce rythme, nous avions monté  les anneaux de sangle à 11m en 3h.  Il était donc 16h et nous étions encore  assez  loin  du  point  visé.  Gagner  des mètres 

Adrien qui galère le pin

Les bras levés au ciel, l’intention dans les doigts

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demandait beaucoup d’énergie et de temps. Lorsqu’Adrien  redescendit une deuxième  fois, nous prîmes  tous  les deux  la décision de nous 

arrêter  à  cet  endroit,  11m  environ,  et  d’y  fixer  un  rappel  d’où  une  corde  statique  pendrait  pour faciliter  le  passage  de  la  grosse  branche,  le  passage  dur  de  l’ascension  en  libre,  lorsque  nous reviendrions une prochaine fois pour poser  la  ligne.  Il était trop tard pour  installer  la highline et en profiter. 

Adrien monta donc dans le pin pour faire cela pendant que je montais dans le gincko pour fixer une ligne de rappel et récupérer le matériel. 

 La journée avait été gâchée par un manque de préparation sur l’art de grimper dans les arbres 

comme de vrais bûcherons. Et nous finîmes l’après‐midi sur la longline, qui ne fut pas posée que pour décorer. C’était pour moi un semi‐échec. Le projet n’avait pas abouti.  Mais je savais que nous reviendrions très vite pour réaliser le projet, grâce à ce que nous avions 

fait  ce  samedi. Dans ma  tête,  ce  serait  la  semaine  suivante  car,  le  lendemain,  j’avais prévu d’aller grimper.  Il devait faire beau et c’était  le dernier  jour de mes vacances de grimpe. Je ne voulais pas manquer d’aller visiter une falaise. 

Mais cette highline était  tellement proche qu’il aurait été dommage de ne pas s’acharner. Le hasard me donna d’ailleurs une raison pour ne pas grimper et de retourner au Mas Barral. 

Ma chère compagne, Blandine, avec qui  je devais grimper, se  leva aussi malade que  la veille, prise d’une sinusite assez carabinée. Je soupçonne François et Henri d’avoir  lancé de mauvais sorts vaudou durant la nuit. Ils avaient tant envie de faire cette highline que la veille, ils cherchaient toutes les raisons pour me détourner de la falaise. 

 Alors, dimanche matin,  j’envoyais un  sms  aux  copains pour  leur proposer d’aller  au bout de 

notre folie et de poser la ligne. Évidemment, ils étaient tous partants.  Ainsi, dimanche 19 septembre 2010, à 10h30, Arnaud et moi nous retrouvions sous les arbres, 

un peu avant  les autres qui étaient partis à  la chasse aux poules, avec tout  le matériel de  la veille, pour poser la ligne. 

Tout  alla  plus  vite,  surtout  dans  le  pin,  grâce  aux  efforts  d’Adrien.  Je montais  dans  l’arbre, assuré par Arnaud. En 30 minutes, les élingues étaient posées, la sangle et le backup fixés. 

Puis  je m’attaquais  au  gincko qui  lui  aussi  alla  vite.  Je  posais  les élingues  et  nous  remontâmes  la sangle et  le backup  lorsqu’Henri et François  arrivèrent.  Puis  Arnaud monta  avec  moi  pour  finir  de tendre la sangle. 

En  3h,  la  ligne  était  posée. Magnifique, elle brillait au  soleil et nous appelait.  

 Nous  mangeâmes  un  peu 

avant  de  passer  à  la  casserole. Personne  n’osait  regarder  laligne en face de peur d’être le premier à passer. 

Pour ma part, ma folie me sauta aux yeux. J’étais terrorisé par la highline et je venais d’installer ma toute première. J’étais fou. 

Parc du Mas Barral – Les bras chargés d’étoiles

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La pause terminée, nous nous demandions qui passerait en premier. Tous me regardaient avec insistance.  Gloups !  Décidément,  parce  que  j’avais  eu  la  folie  de  l’initiative  du  projet  et  de  sa réalisation, il me fallait l’ouvrir. 

 Je rassemblais alors mon courage et me  lançait.  Je montais  lentement,  la musique du groupe 

Archael dans les oreilles pour calmer mes sens affolés et entrer sans à‐coup dans le bain. Mes gestes étaient assurés. Mon esprit était affuté, attentif au moindre détail. 

Arrivé sur le départ de la ligne, je me défis de mes chaussures puis je m’avançais d’un mètre et quelques sur la sangle pour réaliser mon départ assis sans danger en cas de chute.  

Je fus agréablement surpris d’être à l’aise. La sangle ne bougeait pas beaucoup. Et surtout, je ne tremblais pas. Je trouvais immédiatement mon équilibre, assis sur mon pied, une jambe dans le vide, un bras en l’air. 

Contrairement  à Millau,  2 mois plus  tôt,  il ne me  fallu qu’une poignée de minutes pour me lever. Je tenais la sangle. Alors je mis la machine en marche. Je calais le rythme de ma respiration, un peu bruyante, pour m’apaiser et me donner un  repère  sonore par‐dessus  la musique qui baignait tranquillement mon univers, loin des regards appuyés du public qui s’était amassé en bas. J’étais seul et serein. 

Rapidement,  avec maîtrise  et  effort,  je  fus  de  l’autre  côté.  Les  copains m’applaudirent.  Je souriais. C’était bon. Je venais de vaincre définitivement la peur de la highline, même si je n’avais pas encore vaincu celle de la chute. 

Puis je me mis en place et je fis le retour sans plus de cérémonie. Là encore, applaudissements. Et Arnaud cria : « Elle est à toi celle‐là. Tu l’as fait. » 

Oui, je l’avais fait et j’étais tout à fait heureux de l’exploit, perché dans un gincko.  Ce gincko, dans mon esprit,  s’appelait Sérénité.  Il était baigné dans  le  soleil, plein d’or et de 

verdure, plein des vers d’un poème que j’ai écrit en 2008,  inspiré d’une photographie de feuilles de gincko : « Effleurement ». Puis d’autres  vers me  revinrent, notamment  celui‐ci : « Les bras  chargés d’étoiles ».  Des  vers  qui  appellent  à  la  sérénité  et  à  l’amour  de  l’instant  présent.  Des  vers  qui s’appliquent ce que je viens de vivre et les copains avec moi. 

Cette ligne se nommerait « Les bras chargés d’étoiles ».  Puis je descendis de mon arbre pour laisser la place à Arnaud qui m’a aidé à monter la ligne.  Ce dernier était prêt à en découdre. Pourtant arrivé en haut,  il perdit ses moyens, malgré son 

expérience de Millau et son succès sur la petite Bunny Line. Il n’osait plus y aller. Il restait vaché sur le départ, incapable de lâcher les bras et de trouver son équilibre. Il était paralysé. 

Après de nombreuses minutes, il décida de revenir à terre pour laisser place au suivant.  Henri était lui surmotivé. Ce frère 

spirituel  d’Antoine,  par  le  look,  le métier  et  l’attitude  sur  la  slack,  se donna  à  fond.  Il  monta  tel  un  fier guerrier  et  inaugura  rapidement  le premier  leash‐fall.  Puis  la  dizaine  qui suivit. 

Il  se  donna  à  fond,  ajoutant  un pas  ou  deux  à  chaque  essai.  Et  c’est épuisé  qu’il  décida  de  renoncer  pour laisser  la place à François et récupérer en attendant le prochain essai. 

 François,  qui  testait  sa  première  Henri le guerrier une seconde avant la chute

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highline ce jour‐là, n’en menait pas large. Et tout comme Arnaud, il perdit ses moyens une fois le pied sur  la  ligne. Paralysé,  il n’osa pas faire  le moindre geste. Il ne trouvait pas  l’équilibre. Et malgré nos encouragements à essayer, à aller jusqu’à la chute, il ne bougea pas. 

Alors pour ne pas monopoliser  la  ligne,  il redescendit et se réfugia sur  la sangle que 15m que nous avions tendue à côté pour nous entraîner au sol. 

 Adrien choisit ce moment pour arriver, sur son étrange vélo couché. Le troisième fou, ouvrier 

de cette ligne, nous rejoignait. Nous prîmes un petit temps de pause.  Damien, arrivé peu après mon passage, voulait me voir y retourner et passer de nouveau, pour 

pouvoir filmer et prendre quelques photos. J’étais moins  chaud. Mes mains  étaient moites  alors que  je n’étais pas  encore monté  sur  la 

ligne. Passer une fois, c’est bien, mais y revenir, avec le sentiment de pouvoir échouer, voici qui me donnait des sueurs froides. 

Pourtant,  j’y allais. Je devais, dans ma tête, valider ce que  je venais de faire quelques minutes plus tôt. 

 La remontée sur corde fût douloureuse. La fatigue de la veille et du jour se faisait sentir. J’allais 

donc plus lentement, essayant de calmer mon cœur qui s’était emballé. Allais‐je y arriver à nouveau ? Ce  fût moins  facile. Mon  cœur battait  fort et  vite. Mes mains étaient moites et des  fourmis 

envahirent mes  bras  lors  de  l’aller. Mais  j’y  arrivais.  Et  lorsque  je me  suis  tourné  vers mon  petit public, je vis que Julien et Jelena étaient là également. 

Julien, que j’admire pour sa maîtrise de la highline, témoin de mes débuts en hauteur, était de nouveau  présent  pour me  voir marcher  de mes  propres  pas,  sur ma  première  ligne.  Cela  faisait quelque chose. 

 Une  fois en bas, Arnaud décida de prendre ma  suite et  sa  revanche. Bien  lui en prit car non 

seulement  il  se  leva,  mais  il  traversa,  sans  grande  difficulté  apparente.  Victorieux,  sous  nos applaudissements,  il toucha  le pin. Un sourire  illuminait sa figure. Je comprenais tout à fait ce qu’il vivait. 

Et sans attendre, il traversa dans le sens inverse et accomplissait ainsi la répétition de la ligne. J’étais heureux pour  lui car  il avait beaucoup participé à  l’installation de  la  ligne. C’était  là un 

beau cadeau qu’il se faisait.  Henri y retourna également, ajoutant aux nombres de leash‐fall de la journée. Pourtant malgré 

les plombs,  il gagnait en assurance.  Il  tenait mieux  la  ligne,  il  faisait de plus en plus de pas  jusqu’à arriver à la moitié. Mais il épuisa ses forces avant de réussir. 

C’était sûr, il la passerait lors de la prochaine session.  Puis Adrien se lança, armé d’une gourde et de ses gants (qu’il faillit oublier en bas). Tout comme François, c’était sa première highline.  L’appréhension fît également son effet. Il ne trouvait pas son équilibre. Il n’osait pas y aller. Sous les conseils de Julien, il goutta à la chute en se laissant tomber de la ligne à bouts de bras. 

Puis il redescendit.  L’après‐midi tirait sur sa fin lorsque François, qui serait le dernier à tenter la ligne, monta dans 

le gincko. Et comme la première fois, il restait paralysé. Toutefois, il fît comme Adrien et se lâcha de la ligne pour goutter à la chute. Puis il jeta l’éponge. 

 Il ne fallu pas beaucoup de temps pour démonter. En une petite demi‐heure, tout au plus, nous 

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avions ramené tout le matériel au sol.  Et  c’est dans  la nuit que nous nous  séparions,  chacun de notre  côté, heureux de  la  journée, 

heureux du week end, heureux de l’expérience et de tout ce qui s’était vécu durant ces heures.  Avec  le recul,  loin d’être un aboutissement, cette highline est pour moi un départ. Désormais, 

nous avons une highline à domicile, à deux pas de nos maisons. Celle‐ci sera remontée, pour nous permettre  de  progresser,  pour  nous  permettre  de  grandir  dans  notre  pratique,  pour  le  plaisir.  Et demain, nous irons répéter les lignes ouvertes par nos prédécesseurs. 

Et peut‐être un  jour, nous en ouvrirons une – qui sait ? – J’ai même une petite  idée qui trotte dans un coin… 

☺ M.03X2010