Hilaire de Poitiers Oeuvres choisies

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  • 8/14/2019 Hilaire de Poitiers Oeuvres choisies

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    uvres de St Hilaire dePoitiers

    Trait contre les ariensou

    "Contre Auxence, vque Arien"

    Lettre sa fille Abra

    Hymne Abra

    Trait de la Trinit (Livre 1er)

    Extraits du Tome 5e

    de

    Chef d'uvre des Pres de l'Egliseou

    Choix d'ouvrages completsdes docteurs de l'Eglise

    grecque et latine1838

    numrisation ralise par Pierre Poncet et JesusM com.arie.runis en un seul volume pour BiblioN

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    Trait contre les ariensou

    "Contre Auxence, vque Arien"

    A ses trs chers frres persvrants dans la foi de leurs pres, et ennemis de l'hrsied'Arius ; tous vques et fidles, Hilaire, leur compagnon d'esclavage, salut ternel

    dans le seigneur.

    C'est un grand mot que le mot de paix; c'est une belle pense que la pense de l'union; mais iln'y a de paix que dans la doctrine de l'glise et de l'vangile de Jsus Christ; mais il n'y ad'union qu' ce prix. Qui en doute ? Cette paix qu'aprs sa passion glorieuse Jsus Christ aprche ses disciples, cette paix qu'avant de les quitter Il leur a recommand de garder

    comme un gage de son mandat ternel, c'est elle que nous avons toujours appele de nosvoeux, elle qui fut l'objet constant de nos efforts, et que nous avons travaill sans relche ramener, affermir parmi nous. Mais nos esprances ont t trompes; ce grand ouvrage,nous ne l'avons pas accompli; nos pchs, hlas ! ne l'ont pas permis, et les ministres del'antichrist, ces hommes qui osent se glorifier d'une odieuse paix, qui n'est autre chose quel'union dans l'impit, se sont dresss contre nous ! eux, les vques du Christ ! non, non, cene sont que les prtres de l'antichrist.

    Qu'on ne nous accuse point de nous emporter contre eux en paroles outrageantes; nous nefaisons que proclamer hautement la cause de la dsolation publique; il faut qu'elle soit connuede tous. Nous savons qu'il a paru plus d'un antichrist, mme au temps de la prdication de

    saint Jean, et quiconque n'admet pas la Personne du Christ telle qu'elle a t prche par lesaptres est antichrist, puisque ce mot, dans sa vritable acception, signifie contraire au Christ.Aujourd'hui, sous le masque d'une fausse pit, sous l'enseigne mensongre de la prdicationvanglique, on aspire renverser la puissance et l'empire de Jsus Christ.

    Ah ! donnons des larmes aux malheureux temps o nous sommes; affligeons-nous, mes frres,de cette folle opinion qui met Dieu sous le patronage des hommes, et de cet esprit d'intriguequi appelle le sicle au secours de l'glise. Mais dites-moi, je vous en prie, dignes vques,qui croyez encore la vrit de ce grand nom, quels suffrages les aptres ont-ils eu recourspour prcher l'vangile ? Quelles puissances leur sont venues en aide, quand ils publiaient lenom de Jsus Christ et qu'ils faisaient passer les nations du culte de l'idoltrie au culte du vrai

    Dieu ? Allaient-ils mendier l'appui des rois, quand, dans l'horreur des prisons, gmissant sousle poids des chanes et le fouet des bourreaux, ils chantaient l'hymne d'action de grces ?tait-ce par des ordonnances impriales que Paul, jet en spectacle la foule, rassemblait uneglise pour Jsus Christ ? N'est-ce pas qu'il se couvrait de la protection de Nron ? deVespasien et de Dce, dont la haine contre nous a t si fconde en conversions ? Peut-treque, vivant du travail de leurs mains, runis dans l'ombre des retraites les plus obscures,parcourant, en dpit des arrts du snat et des dits des rois, les villes et les campagnes, etsoumettant des peuples entiers, peut-tre que ces hommes n'avaient pas les clefs du royaumedes cieux ? peut-tre que la Puissance divine ne s'tait pas manifeste contre les prventionsde la terre, quand les prdications vangliques taient devenues d'autant plus nombreusesque la dfense de prcher le nom de Jsus Christ tait devenue plus rigoureuse ?

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    De nos jours, hlas! la foi divine a besoin des suffrages des grands du sicle, et le Christ estaccus d'impuissance, parce que l'ambition ne rougit pas de prostituer son Nom ses propresfins. L'exil et les cachots jettent l'effroi au sein des glises, et la foi qui a grandi dans l'exil etdans les cachots s'impose aux consciences; consacre par la fureur des bourreaux, elle se prise la faveur de ses ministres; elle proscrit les prtres, et c'est la proscription des prtres qu'elle

    doit sa propagation; elle se glorifie de l'amour du monde, et si le monde ne l'et pointpoursuivie de sa haine, Jsus Christ ne l'et point avoue. Voil les faits dont tous les yeuxsont frapps, dont toutes les bouches s'entretiennent; et comparez l'glise aujourd'huidsole l'glise que nous avons reue des aptres !

    Mais ce qu'il n'est plus permis d'ignorer, c'est ce que je vais dire en peu de mots. La Volonttoute puissante de Dieu a assign au temps sa mesure; les sicles sont compts; les livressaints nous l'enseignent. Et voil que nous sommes arrivs aux jours de l'antichrist, dont lesministres se transformant, selon l'Aptre, en anges de lumire, effacent dans les esprits et dansles consciences celui qui est le Christ. Pour que l'erreur s'lve jusqu' la certitude, on ne parlede la vrit qu'en termes ambigus; on sme partout le doute; il n'y a plus d'unanimit, et le

    partage des esprits rvle assez la prsence de l'antichrist. De l la lutte des opinions; de lvient qu'avec la foi en un seul Christ on en prche deux; de l vient que l'esprit d'Arius, cetange des tnbres, s'est chang en ange de lumire, et que ses hritiers, Valence, Usacius,Auxence, Germinius, Gaus, la faveur de coupables innovations, osent lui aplanir les voies,et l'introduire dans la socit chrtienne.

    Le Christ, les entendre, n`a pas la mme Divinit que le Pre; ce n'est plus qu'une craturesuprieure aux autres cratures, et que la Volont de Dieu a tire du nant; un Dieu n de Dieuavant tous les temps, mais qui n'est point de la mme substance que Dieu; Dieu le Fils n'estpas aussi vritablement Dieu que le Pre, et si les l'vangiles nous prchent l'Unit du Pre etdu Fils, cette unit doit s'entendre seulement de la volont et de l'amour, et non pas de laDivinit. Mais si cette unit n'est qu'un rve, pourquoi donc confessent-ils que le Fils est Dieuavant tous les temps et avant tous les sicles, si ce n'est peut-tre que ce Nom de Dieus'attache ce qui est ternel ? Tous les rgnrs ne sont-ils pas fils de Dieu ? La cration desanges ne remonte-t-elle pas au-del du temps ? Qu'ils l'avouent donc, c'est pour rendre moinsodieuse l'intuision de l'antichrist qu'ils donnent au Christ le nom de Dieu, parce que deshommes en ont t honors; et s'ils disent que le Christ est vritablement Fils de Dieu, c'estque le sacrement du baptme nous confre ce titre; qu'Il est n avant le temps, c'est qu'avant letemps aussi sont ns les anges et le dmon mme. Ainsi donc ils ne donnent Jsus Christ queles attributs de l'ange ou de l'homme. Mais ce qui est vrai, mais ce que la foi nous ordonne decroire, savoir que le Christ est vritablement Dieu, c'est--dire que le Pre et le Fils ont la

    mme Divinit, ils le nient; et par l'effet d'une fraude impie et d'un mensonge il arrive que lafamille du Christ n'est point dissoute, car le peuple croit que l o sont les mots, l est aussi lafoi. On dit : Dieu le Christ et le peuple croit la sincrit de l'expression. On dit : Fils deDieu, et le peuple croit vritablement Dieu l'tre qui est n Dieu. On dit encore : Avant lestemps, et le peuple croit que ce qui a prcd les temps est de toute ternit. Ainsi il y a plusde foi dans l'oreille du peuple qui coute que dans le coeur du prtre qui parle. Si les ariensentendent que le Christ est vraiment Dieu, leur profession de foi n'est plus un pige; mais ques'ils entendent qu'il est Dieu, et qu'ils nient qu'il est vrai Dieu, il n'y a plus qu'un nom sans lachose; il n'y a plus de vrit.

    Bien que les registres des glises, bien que les livres soient remplis de leurs blasphmes

    impies, je n'en dirai pas moins ce qui est nagure advenu. Un prince, anim par un sentimentde pit, et dans l'intention de rtablir la paix, a publi un dit dont l'effet, contre son attente,

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    est de porter le trouble dans l'glise de Milan, o les vrais principes fleurissent dans toute leurpuret. Au risque de dplaire, j'ai lev la voix, j'ai montr qu'Auxence n'est qu'unblasphmateur, un ennemi du Christ, et j'ai ajout qu'il ne partage point la foi du prince ni lacroyance publique. Ce cri d'alarme a mu le prince, et il a ordonn une confrence o ont paruavec nous dix vques. D'abord, ainsi que cela se pratique dans les tribunaux civils, Auxence

    a calomni notre personne; il a dit qu'autrefois j'avais t condamn par Saturninus, et que cen'tait point en qualit d'vque qu'il convenait de m'entendre. Ce n'est pas ici le moment dedire quelle fut ma rponse; mais nos juges, pour faire court des personnalits, dclarrentqu'il ne s'agissait que d'une question de foi, ainsi que le prince l'avait ordonn. Alors, commeil y avait du danger nier, Auxence dclara qu'il croyait le Christ vrai Dieu; qu'Il tait de lamme substance que le Pre, qu'il avait la mme Divinit. Il fut arrt que cette dclarationserait consigne par crit, et, dans la crainte que la mmoire de nos juges ne ft infidle, jeproposai de faire remettre cette dclaration crite au prince par l'entremise du questeur, et j'en

    joins ici une copie pour prvenir l'accusation de mensonge. On exige qu'Auxence rpte cequ'il a dit; on exige mme qu'il l'crive de sa main. Aprs avoir long-temps rflchi, ils'arrange de manire tromper la bonne foi du prince: il rdige son crit dans le style de

    l'antichrist.

    Et d'abord il consacre les actes qu' l'entendre l'impit du concile de Nice aurait abrogs, etsans doute qu' ses yeux la violence faite aux vques atteste la sincrit de la foi. Il affirmeensuite qu'il ne connat point Arius, et cependant il a t attach l'glise d'Alexandrie quegouvernait Grgoire, et qui faisait profession ouverte d'arianisme. Je ne veux rien dire dusynode de Rimini; c'est assez de vous faire connatre toutes les ruses du dmon. Il devait doncdclarer par crit que le Christ est vraiment Dieu, et qu'il a la mme Substance et la mmeDivinit que le Pre; mais, par un artifice diabolique, il dispose les termes de manire que lemot vrai se rapporte pour rester fidle au systme des ariens, non pas Dieu, mais Fils; et,pour remarquer mieux encore la diffrence du rapport, il ajoute : n du Pre vraiment Dieu, entelle sorte que le Pre est vritablement Dieu et le Christ seulement vritablement Fils. Dansle reste, Auxence parle, il est vrai, d'une seule Divinit; mais il a soin de ne pas y associer leFils, et ainsi le Pre seul est Dieu.

    On n'en publie pas moins partout qu'Auxence a dclar par crit que le Fils est vraiment Dieu,et qu'il a la mme Substance et la mme Divinit que le Pre, et que ses opinions ne diffrenten rien de celles que je professe. Le prince lui-mme croit la sincrit de la foi de cetimposteur. Alors je ne peux imposer silence mon indignation, et, comme dj ce mystred'impit cessait d'tre couvert des ombres qui l'avaient jusques alors enseveli, je crie que toutceci n'est que mensonge, que la foi est trahie et qu'on se joue indignement des hommes et de

    Dieu. Pour toute rponse, je reois l'ordre de quitter Milan et de n'y pas reparatre contre lavolont du prince.

    Voil, mes chers frres, vous qui vivez dans la crainte du jugement de Dieu, voil commentles choses se sont passes. Auxence n'a pas voulu confesser ce qu'il y avait danger pour lui nier, sa dclaration le prouve. Si l'crit est sincre, c'est moi qu'il faut accuser; au contraire, siles mots crits ne sont pas l'expression de la dclaration verbale, comprenez bien que c'estl'antichrist qu'il prche, et non pas le Christ. Mais il a jou sur les mots pour tromper ses

    juges, et heureusement j'ai dchir le voile qu'il avait jet sur son impit

    Il n'y a pas deux Dieux, dit-il, parce qu'il n'y a pas deux Pres. Qui ne voit, d'aprs cela, que

    cet aveu de l'Unit de Dieu est particulier au Pre, en tant qu'il est seul ? d'o ce mot vraimentsatanique : "Nous connaissons un seul vrai Dieu Pre;" et il ajoute tratreusement : "et le Fils,

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    semblable au Pre qui l'a engendr, " selon les critures. Si ces mots se trouvent ainsi dans leslivres saints, Auxence est innocent, je le dclare, mais si le Pre et le Fils ne sont qu'un dans lavrit de la divinit, pourquoi cette ide de ressemblance ? Le Christ est l'Image de Dieu;mais l'homme aussi est l'image de Dieu, puisque Adam a t fait son image et saressemblance. Pourquoi donc digne hritier d'Arius, n'accorder au Christ qu'une prrogative

    de l'humanit ? Pourquoi faire tomber le prince et l'glise dans le pige dress par ce Satandont tu es fils ? Dieu, Christ, tu runis ces deux mots : pourquoi abuser d'un nom ? ne sais-tupas que Pharaon a donn Mose ce nom de Dieu ? Tu dis que le Christ est le Fils et lepremier-n de Dieu, ne sais-tu pas qu'Isral est aussi le fils premier-n de Dieu ? Oui, dis-tu,le Christ est n avant les temps : ne sais-tu pas que le dmon est n aussi avant les temps ? LeChrist est semblable au Pre ! ne sais-tu pas que l'homme aussi est l'image et la ressemblancede Dieu ? Mais les attributs vritables du Christ, tu les nies pour Le dpouiller en mme tempsde la Divinit et de la Substance du Pre. Cependant, toi et tes dignes matres, vous m'accusezd'hrsie. Eh bien ! formule donc, comme tu l'entendras, cette impit dont je suis coupable,assigne donc un nom mes blasphmes. Quant moi, je dclare antichrist quiconque nereconnat pas dans le Fils la mme Divinit que dans le Pre, et qui ne fait entendre dans ses

    prdications que le Fils est aussi vritablement Dieu que le Pre. Si cet attribut de la Divinitappartient au Pre et au Fils, pourquoi ne l'avoir pas crit en termes exprs ? Si tu ne le croispas, pourquoi ne l'avoir pas dclar avec la mme franchise ?

    J'aurais voulu, mes chers frres, tenir secret cet odieux mystre et ne pas rvler en dtail lesblasphmes d'Arius; mais, puisque cela n'est pas permis, que chacun de vous du moinscomprenne bien jusqu'o s'tendent pour lui les limites de cette permission. Un sentiment depudeur m'empche d'en dire davantage, et je ne veux pas d'ailleurs souiller ma lettre desimpits de d'arianisme. coutez encore un seul avis : gardez-vous de l'antichrist ! abstenez-vous de toute communication avec l'hrtique. Sous le prtexte de la paix et de la concorde,vous vous rendez l'glise. Vous faites mal de tant aimer les murailles, de respecter l'glisedans les btiments Pouvez-vous douter que l'antichrist ne doive s'asseoir un jour dans cesmmes lieux ? Il y a plus de scurit pour moi au sommet des monts, dans la profondeur desforts, aux bords des lacs, dans l'horreur des cachots et au fond des gouffres. Car c'est l, meschers frres, que l'Esprit de Dieu descendait au coeur des prophtes; c'est l qu'il animait leursvoix. Rompez, rompez tout pacte avec Auxence, l'envoy de Satan, l'ennemi du Christ, aveccet homme qui porte la dsolation dans le sein de l'glise, qui nie la foi, ou dont chaqueprofession fut un pige; et qui n'a tromp que pour blasphmer. Qu'il rassemble les synodesqu'il voudra; qu'il me proclame hrtique comme il l'a dj fait; qu'il soulve contre moi lahaine et la colre des puissances de la terre; jamais, non, jamais il ne sera que Satan mesyeux; il est arien !... La paix ! je ne la chercherai qu'avec ceux qui, jetant l'anathme avec le

    concile de Nice sur les ariens, prcheront que le Christ est vraiment Dieu.

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    Copie de la dclaration d'Auxence

    Aux trs glorieux Empereurs Valentinien et Valence augustes,Auxence, vque de l'glise catholique de Milan.

    Il est messant, selon moi, de souffrir que l'union des vques, fruit pnible de tant d'efforts,

    soit encore remise en question par des hommes qu'a fltris une condamnation, il y a plus dedix ans, ainsi que les actes publics en font foi . Mais puisque des personnages obscurs, quin'ont jamais communi avec moi ni avec ceux qui se sont assis avant moi sur le trnepiscopal, cdant aux instigations d'Hilaire et d'Eusbe, ont port le trouble dans quelquesesprits et m'ont rang au nombre des hrtiques; puisque en mme temps votre pit vous afait un devoir de remettre la connaissance de cette affaire aux soins clairs des personnagesles plus recommandables, et que vous n'avez pas voulu que ceux qui ont encouru la peine dela dposition (c'est Hilaire que je veux dire et ses adhrents), portassent la parole contre moi,

    je viens, toujours soumis vos ordres sacrs, dclarer la vrit mes calomniateurs, tousceux qui blasphment contre moi en m'appelant arien et en m'accusant de ne pas confesserque le Fils de Dieu est Dieu.

    J'ai ouvert mon coeur ceux que votre pit honore de son amiti, et j'ai d'abord satisfait lavrit en disant que je n'ai jamais connu Arius, que je ne l'ai point vu, et que je suisconstamment rest tranger sa doctrine; que j'ai toujours cru et que je crois encore, ainsiqu'on me l'a enseign ds mon enfance et ainsi qu'il est crit dans les livres saints, en un seulvrai Dieu, Pre tout-puissant, invisible, impassible et immortel; je crois son Fils unique,Jsus Christ notre Seigneur, qui, avant tous les temps et avant tous les sicles, est n du Pre,Dieu vrai Fils du vrai Dieu son Pre, selon qu'il a t crit dans l'vangile : "C'est l la vieternelle, pour qu'ils connaissent que Toi seul es Dieu; et Jsus Christ que Tu as envoy." (Jn17,3). Il a fait toutes choses, visibles et invisibles; est descendu des cieux par la Volont de

    son Pre pour nous sauver; est n du saint Esprit et de la vierge Marie selon la chair, comme ila t crit; a t crucifi sous Ponce-Pilate, a t enseveli, est ressuscit le troisime jour, estmont aux cieux, o Il est assis la droite du Pre, d'o Il viendra juger les vivants et lesmorts; je crois au saint Esprit que notre Dieu Sauveur Jsus Christ a envoy ses disciples,comme l'Esprit de vrit. J'ai cru et je crois aux paroles que le Fils unique de Dieu, en montantau ciel, adressa ses aptres : "Allez et enseignez les nations, baptisez-les au nom du Pre, duFils et du saint Esprit." (Mt 28,19).

    Je n'ai jamais prch deux Dieux; car il n'y a pas deux Pres, il n'y a donc ni deux Dieux nideux Fils; mais il y a un seul Fils d'un seul Pre, seul venant d'un seul, Dieu de Dieu, selonl'criture : un seul Dieu Pre Crateur, et un seul Seigneur Jsus Christ par qui tout a t fait.

    C'est pourquoi nous prchons une seule divinit. Aussi toutes les hrsies qui se sont levescontre la foi catholique ont toujours t condamnes, anathmatises par les vquescatholiques, et principalement au concile de Rimini, comme je les ai condamnes moi-mme.J'ai gard fidlement la foi des vangiles que nous avons reue des aptres. Mais, dsirantvous faire connatre encore mieux ce qui s'est pass dans le concile de Rimini, je vous en aifait remettre le dtail, et je vous supplie de vouloir en ordonner la lecture. Vous y verrez queceux qui ont t dposs depuis longtemps, Hilaire et Eusbe, s'efforcent d'tablir partout leschisme, et qu'il ne faut rtracter en aucun point les dclarations qui ont t faites.

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    Lettre sa fille AbraHilaire a sa trs chre fille Abra, salut en Jsus ChristJ'ai reu ta lettre, ma chre fille, et j'y vois que tu soupires aprs mon retour; mon coeur n'ensaurait douter. Je sens, en effet, combien est dsirable la prsence de ceux qu'on aime. Maiscomme je n'ignorais pas que notre sparation t'afflige, j'ai voulu, dans la crainte que cetteabsence si prolonge ne m'expost au reproche de manquer de tendresse, j'ai voulu, en

    justifiant dans ton esprit et mon dpart et mon absence, que tu comprisses bien que c'est letendre intrt que tu m'inspires, et non l'oubli des plus doux sentiments, qui me retient loin detoi. Car, puisque mes affections ne peuvent pas plus se partager que nos coeurs ne pas seconfondre dans les mmes penses, je voudrais que tu fusses en mme temps et la plus belleet la plus pure.

    J'avais appris qu'un jeune homme possde une perle et un vtement d'un prix si inestimableque la personne assez heureuse pour l'obtenir de sa bont verrait bientt toutes les richessesdu monde, tous les trsors de salut sur la terre s'effacer l'clat de ceux dont elle s'enrichirait

    par l. Je suis donc parti pour aller auprs de lui; arriv enfin par des chemins aussi longs quedifficiles, je me suis jet ses pieds : car ce jeune homme est si beau que nul n'oserait se tenirdebout devant sa face. Ds qu'il me vit dans cette humble attitude : Que me veux-tu, dit-il, etqu'attends-tu de moi ? Mille bouches, lui ai-je rpondu, m'ont entretenu de la perle et duvtement qui sont entre vos mains, et, si vous daignez ne pas repousser mes voeux, c'est pouren orner ma fille chrie, que je suis venu devant vous... La face prosterne contre terre, jeverse des torrents de larmes, nuit et jour je gmis, je soupire et le supplie d'exaucer ma prire.

    Connais-tu, me dit-il ensuite (car qui pourrait galer ce jeune homme en bont ?) connais-tu levtement et la perle que tu me pries en pleurant d'accorder ta fille ? Seigneur, lui dis-je, leshommes m'ont instruit de leurs merveilles, et j'ai eu foi en leurs paroles; j'en connais toute

    l'excellence, et je sais que le salut est assur quiconque revt cet habit et se pare de cetteperle. Soudain il ordonna ses serviteurs de me montrer ce vtement et cette perle. Ilsobissent. Je vis d'abord le vtement; je vis, ma fille, je vis ce que je ne peux exprimer. Car,auprs de ce vtement, le rseau le plus fin d'un lger tissu de soie est-il autre chose qu'unegrossire tole ? Quelle neige ne paratrait noire, compare sa blancheur ? Quel or ne pliraitaux feux dont elle rayonne ? Mille couleurs l'enrichissent, et rien ne saurait l'galer. Mais lavue de la perle, ma fille, j'abaissai mon front dans la poussire, car mes yeux ne purentsoutenir la vivacit des couleurs qu'elle reflte. Non, ni les cieux, ni la mer, ni la terre, danstoute la splendeur de leur magnificence, ne sauraient en approcher.

    Comme je restais prostern, un de ceux qui taient l me dit : Je vois l'inquitude qui

    tourmente ton coeur paternel, et que tu dsires pour ta fille ce vtement et cette perle; mais,pour irriter encore davantage l'ardeur de ce dsir, je vais t'ouvrir tous les trsors qui y sontrenferms. Le vtement brave la dent des vers rongeurs, le temps ne saurait en altrer le tissu,nulle souillure n'en corromprait la puret; il ne peut ni se dchirer ni se perdre; il restetoujours le mme. Quelle n'est pas la vertu de la perle ! L'heureux possesseur n'a craindra niles maladies ni la vieillesse; il n'est point tributaire de la mort; il n'y a plus rien en lui quipuisse troubler l'harmonie de ses organes, rien qui le tue, rien qui prcipite le cours de sesannes, rien qui altre sa sant. A ces mots, ma fille, un dsir plus violent s'est allum dansmon sein; je ne relevai point mon front inclin; mes larmes ne cessrent de couler, la prire de

    jaillir de mes lvres, et je disais : Prenez en piti les voeux, les inquitudes et la vie d'un pre.Si vous me refusez le vtement et la perle, mon malheur est certain, et je perdrai ma filleencore toute vivante. Oh ! pour lui obtenir ce vtement et cette perle, je me condamne voyager aux terres trangres, et vous savez, Seigneur, que je ne mens pas.

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    Aprs qu'il m'eut entendu parler ainsi : Relve-toi, me dit-il; tes prires et tes larmes m'onttouch; tu es heureux d'avoir cru. Et puisque tu ne crains pas, ainsi que tu l'as dit, de sacrifierta vie l'acquisition de cette perle, je ne puis te la refuser; mais il convient auparavant que tuconnaisses mes conditions et ma volont. Le vtement que tu recevras de moi est d'une tellenature qu'il ne faut pas esprer de s'en revtir jamais, si l'on veut se couvrir d'un autre habit o

    l'or et la soie mlent leurs clatants reflets. Je le donnerai quiconque, ddaignant un vainluxe, se contentera d'un vtement simple, sur lequel, si, par respect pour la coutume, lapourpre doit se montrer, elle se resserre du moins en bandes troites et n'tale pas tout sonambitieux clat. Quant la perle, elle n'appartiendra qu' celui qui, l'avance, aura renoncaux autres perles; car celles-ci ne sont que les produits ou de la mer ou de la terre; la mienne,au contraire, comme tu le vois, est belle, prcieuse, incomparable, toute cleste, et ellerougirait de se trouver en compagnie des autres perles : il y a divorce entre les choses de laterre et les choses du ciel. Avec mon vtement et ma perle, l'homme est jamais garanti detoute corruption; pour lui point de fivre brlante, point de blessures, point de changementopr par les annes, point de dissolution par la mort; permanence et ternit, voil sonpartage. Toutefois ce vtement et cette perle que tu me demandes, je te les donnerai, et tu les

    porteras ta fille; mais il faut avant tout que tu connaisses ce qu'il y a au fond de sa pense. Sielle se rend digne de ces riches prsents, je veux dire si elle foule au pieds les vtements desoie chamarrs d'or et empreints de couleurs varies; si toute autre perle lui est odieuse, alors

    je mettrai le comble tes voeux.

    A peine a-t-il fini de parler que je me relve plein de joie, et, m'imposant envers les autres laloi d'une discrtion svre, je me suis empress de t'crire, en te conjurant par les larmes quibaignent mon visage de te rserver, ma fille, pour ce vtement et pour cette perle, et de nepas condamner, en les perdant par ta faute, ma vieillesse au malheur. J'en prends tmoin leDieu du ciel et de la terre, il n'y a rien de plus prcieux que ce vtement et que cette perle; mafille, si tu le veux, ils sont toi. A ceux qui te prsenteront un autre vtement de soie ou d'orrponds seulement : J'en attends un que depuis bien longtemps mon pre est all chercher endes pays lointains, et dont me priverait celui que vous m'offrez. C'est assez pour moi de lalaine de nos brebis, assez des couleurs naturelle, assez d'un modeste tissu. Contre celui que jedsire, le temps, m'a-t on dit, un long usage et la force sont impuissants. Que si l'on veutsuspendre une perle ton cou ou la placer ton doigt, rponds encore: A quoi bon ces perlesinutiles et grossires ? Celle que j'attends est la plus prcieuse, la plus belle et la plus utile; j'aifoi dans la parole de l'auteur de mes jours, qui a eu foi son tour dans la parole de celui quilui a promis cette perle pour laquelle mon pre lui-mme m'a dclar qu'il voulait mourir. Jel'attends, je la dsire; elle me donnera tout la fois salut et ternit.

    Viens donc en aide mon anxit, ma fille chrie; relis sans cesse ma lettre et rserve-toipour ce vtement et pour cette perle; et, ne t'inspirant que de toi seule, rponds-moi, quel quesoit ton style, rponds-moi, afin que je sache ce que je devrai rpondre ce jeune homme, etque je puisse enfin penser mon retour auprs de toi. Quand tu m'auras rpondu, je te feraiconnatre quel est ce jeune homme; tu sauras alors ce qu'il veut, ce qu'il promet et tout ce qu'ilpeut. En attendant, je t'envoie un hymne qu'en souvenir de moi tu chanteras le matin, quand lesoleil sort de sa couche et quand il y rentre le soir. Si cependant la faiblesse de ton me terefuse l'intelligence de l'hymne et de ma lettre, consulte ta mre qui, dans sa pit, ne souhaitet'avoir donn le jour que pour Dieu. Puisse aussi ce Dieu qui tu dois la vie te garder

    jamais, ma fille bien-aime !

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    Hymne sa fille Abra

    Brillant dispensateur de la lumire,toi dont l'clat si pur ouvre les portes du jour,

    quand la nuit a repli ses voiles;Toi, le vritable flambeau du monde,

    et qui n'as rien de commun avec ce ple messagerqui laisse peine une trace empreinte dans les champs du ciel;

    Astre plus brillant que le soleil,astre dont les rayons illuminent l'intrieur de nos mes;

    O roi de la terre et des cieux, gloire immortelle de ton pre,tiens allumer tes flammes dans nos coeurs

    et y verser les trsors de ta grce.Remplis de ton esprit, temples vivants du Seigneur,

    nous braverons les ruses, les piges

    et les mensonges d'un perfide ennemi.Purs et sans tache, nous vivrons sous l'empire de tes saintes lois;et notre nacelle, sans craindre l'orage,flottera porte sur les eaux du sicle.

    Puisse la chastet de nos coeurstriompher des passions honteuses de la chair;

    puisse l'Esprit saint carter les souillures loin du sanctuaireo tu as daign descendre !

    Voil nos voeux et nos prires; voil notre esprance;fais que sa douce toile, leve sur nous

    quand le jour commence sa carrire,

    nous guide jusque dans la nuit.Gloire toi, Seigneur; gloire ton Fils unique;gloire au saint Esprit, aujourd'hui et dans tous les sicles. Amen.

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    Livre premier du TraitDe la Trinit

    Livre Premier.

    1. En examinant comment il est possible que, soit en restant dans les conditions de sa proprenature, soit en sabandonnant aux inspirations de la sagesse humaine, lhomme religieux semontre digne par ses actes du don prcieux que le ciel a daign lui accorder en permettant safaiblesse de puiser aux trsors de lintelligence, jai remarqu que parmi les causes qui, selonlopinion commune, concourent rendre la vie heureuse et douce, il y en a deux que, danstous les temps, elle a mises et quelle met encore aujourdhui au premier rang, le loisir et larichesse, qui lun sans lautre, seraient plutt une source de mal que de bien. En effet, le loisiravec lindigence, cest une sorte dexil dans la vie ; les soins inquitants de lavenir avec larichesse sont dautant plus amers que le cur est plus sensible la privation de ce qui fait leprincipal objet de ses vux. Toutefois, bien que ce soient l les doux plus grands charmes de

    lexistence, il me semble quil ny a rien qui nous abaisse plus au niveau des btes, puisquecelles-ci, en sgarant en paix sous lombre des bois et au sein de gras pturages, jouissenttout la fois dune oisive scurit et de labondance. Mais si labondance et le repos font lebonheur de la vie, ce bonheur, nous le partageons ncessairement, sauf la diffrence desespces, avec les tres que nclaire pas le flambeau de la raison, et auxquels la nature mrevigilante et attentive, prodigue tout ce que leurs besoins rclament, en leur pargnant lesennuis dune pnible recherche.

    2. Si la plupart des hommes ont repouss loin deux, avec ddain un genre de vie aussidraisonnable et qui les rapproche de la bte, sils lont svrement blm dans les autres, cest que, suivant les impulsions de leur divin auteur, ils ont pens, selon moi, quil est indignedun homme de croire quil na t cr que pour satisfaire, esclave soumis son ventre et laparesse, ses apptits sensuels, quil nest pas n pour sillustrer par de belles actions ou par sestalents, ou bien encore que le bienfait de la vie ne lui impose pas lobligation de travaillerpour lternit. Et pourtant il nest pas douteux que la vie ne serait pas regarde comme unprsent du ciel, si, toujours place sous le coup de la douleur, toujours agite par les plusrudes traverses, elle spuisait pniblement en se tranant de lenfance ignorante la vieillesseen dlire. Voil pourquoi clairs par la science et capables de gnreux efforts, ils se sontexercs la patience, la continence, la douceur, parce que bien vivre, ctait, leurs yeux,bien faire et cultiver son intelligence, parce quil leur semblait encore que ce ntait pas enconsidration seulement de la mort quun bien immortel leur avait donn la vie, puisquil leur

    tait dmontr quil ne convenait pas que lauteur de tout bien ne mit en eux le sentiment sidoux de lexistence quau prix de la sombre crainte de la mort.

    3. Tout en reconnaissant la sagesse de cette conduite, et tout ce quils gagnaient se conserverpurs, prvoir avec prudence, viter avec adresse, supporter avec courage les adversitsde la vie, il me semblait nanmoins quen ne fondant leur enseignement moral que surlhumanit, ils ne nous offraient pas des moyens assez certains darriver la vertu et aubonheur, car avec cette opinion bien arrte dans leur esprit quon se met au rang des btes enfermant ses yeux aux clarts de lintelligence, ils ne sentaient pas que ne pas faire ce quellenous rvle, cest surpasser les animaux eux-mmes en brutalit. Je mappliquais donc avecun zle empress connatre Dieu, lauteur de la vie, auquel je me devais tout entier, Dieu

    quil mtait doux de servir, et dans la bont duquel, en y rapportant toutes mes esprances, jeme reposais au milieu des cueils dont cette vie est seme, comme dans le port le plus sr.

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    Ainsi mon cur tait embras du dsir ardent de le comprendre et de soulever le voile qui ledrobait mes regards.

    4. Or la plupart de ces sages admettaient de nombreuses classes de dieux, dont il leur taitdifficile de dterminer lorigine ; mais, persuads quil existait parmi ces divinits une

    distinction de sexes, ils leur assignaient un ordre de naissance et de succession. lesentendre, il y avait de grands et de petits dieux, selon le degr de puissance dont ils taientrevtus. Quelques-uns mme, affirmant quil ny a point de Dieu, ne rendaient hommage qucette nature, fille du mouvement et du concours de circonstances fortuites. Le plus grandnombre, il est vrai, partageant en cela lopinion publique, proclamait un Dieu, mais un Dieuqui, sans sinquiter des choses de la terre, laissait aller le monde son gr. Dautres encorevoyaient des dieux dans les formes corporelles des cratures, et qui tombaient sous leur sens,parmi les lments de la terre et du ciel. Dautres enfin adoraient des statues faites limagedhommes, danimaux, doiseaux, de serpents, et renfermaient dans les bornes troites dunmorceau de mtal, de pierre ou de bois, le matre de lunivers et ltre infini. Ce ntait doncpas cette cole que senseignait la vrit ; tant dhonneur nappartenait point ceux dont le

    culte ridicule, honteux et impie, tait comme une arne o luttaient les opinions insenses quidivisaient leurs esprits. Au milieu de ces perplexits, en cherchant la voie qui devaitncessairement me conduire la connaissance de mon Dieu, convaincu dailleurs que cetabandon des uvres sorties de ses mains tait indigne de Dieu, que lide dune naturepuissante et incorruptible excluait celle de la distinction des sexes, et quil ne pouvait y avoirni ordre de succession, ni parent, ni famille de dieux, je tenais pour constant quil ny a dedivin et dternel que ce qui est un et immuable, parce quil nest pas ncessaire que celui quine doit son tre qu lui-mme, qui est son propre auteur, et fait sortir de son sein un autretre qui lui ft suprieur, et quainsi la toute-puissance et lternit sont le partage dun seul,parce que la toute-puissance nest susceptible ni de plus ni de moins, et que lternit nadmetni postriorit ni antriorit, mais quen Dieu il ny a rien que dternel et de tout-puissant.

    5. Je faisais ces rflexions et beaucoup dautres encore, lorsque les livres crits, ainsi quelenseigne la religion des Hbreux, par Mose et par les prophtes me tombrent entre lesmains, et jy lus ces paroles que Dieu prononce en parlant de lui-mme : Je suis celui quiest, et ensuite : Voici ce que vous direz aux enfants dIsral : celui qui est ma envoy versvous. Je fus frapp de cette dfinition si parfaite de Dieu, qui, exprime dans un langagetout fait appropri lintelligence de lhomme, lui rvle la connaissance jusqualorsincomprhensible de la nature divine. En effet, il ny a point dattribut qui convienne mieux Dieu que ltre, parce que ce qui est ne peut sentendre ni de ce qui finira un jour, ni de ce quia commenc. Mais ce qui est ternel et ce qui jouit dune batitude inaltrable na pu et ne

    pourra jamais ne pas tre parce que ce qui est dessence divine ne connat ni commencementni fin ; or, comme lternit sattache invinciblement tout ce qui est de Dieu, il a besoinseulement de montrer quil est, pour protester de son ternit incorruptible.

    6. Ces mots : Je suis celui qui est, me semblaient prouver assez linfinit de Dieu ; mais ilme fallait encore lintelligence des uvres de sa magnificence et de sa force. Or lexistencetant lattribut essentiel de ltre ternel qui navait pas eu de commencement voil quunenouvelle parole du Dieu incorruptible vint encore frapper mon esprit : Qui tient le ciel, danssa main tendue, et la terre dans sa main ferme, et cette autre : Le ciel est mon trne, et laterre est mon marchepied. Quelle maison me btirez-vous ou quel sera le lieu de mon repos ?Nest-ce pas ma main qui a cr toutes ces choses ?

    Le ciel dans toute son immensit a pour mesure ltendue des doigts de Dieu et la terre toutentire est renferme dans le creux de sa main. Bien que ces paroles de Dieu contribuent sans

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    doute agrandir la sphre de nos ides religieuses, on y trouve cependant, si lon sait enpntrer le sens, plus de porte encore que les mots nen prsentent. En effet, le ciel que sesdoigts embrassent est en mme temps le trne de Dieu ; cette terre que contient sa mainforme lui sert aussi de marchepied ; ce nest pas que, sarrtant une image matrielle, notreesprit doive dans ce trne et ce marchepied ne voir que ltendue dune substance corporelle

    quand ltre puissant et infini na besoin que de dvelopper ses doigts et courber sa main pourmesurer son trne et enfermer son marchepied cest au contraire quil doit, quand ainsi semanifeste ses yeux la puissance de la nature extrieure, reconnatre au-dedans et au dehors,dans les principes constitutifs des choses cres, Dieu qui, dans leffusion de son immensitdomine, enveloppe et pntre tout. Le trne et le marchepied sabaissent sous sa majest, afinque ltre intrieur nous rvlt lextrieur, puisque lextrieur contenait lintrieur etrciproquement, et quainsi Dieu tout entier sembrassant lui-mme dans ltendue de saplnitude, linfini ft dans tout, et tout son tour ft dans linfini. Mon esprit sa plaisait dansla mditation de ces hautes pieuses penses. En effet, rien, selon moi, rien ntait plus dignede la gloire de Dieu que de se placer hors des limites de lintelligence humaine, en telle sortequautant lesprit prenant son essor, dpasserait, la borne qui lui est assigne, autant linfini

    slancerait loin du terme o la nature ose esprer de latteindre. Ces vrits, je les concevaisnettement, mais elles taient encore videmment confirmes par le prophte : O irai-jepour me drober votre esprit ? et o menfuirai-je de devant votre face ? Si je monte dans leciel, vous y tes ; si je descends dans lenfer, vous y tes encore. Si je prends des ailes ds lelever de laurore, et si je vais demeurer dans les extrmits de la mer, votre main myconduira, et ce sera votre droite qui me soutiendra. Dieu est en tout, tout est en Dieu. Il estau ciel, dans lenfer, au-del des mers ; dedans, au dehors, partout il se manifeste ; il possdeen mme temps quil est possd, nul nest sans Dieu et Dieu est avec tous.

    7. Quoique le sentiment de cette intelligence suprieure et inexplicable tout la fois rpanditla joie la plus vive dans mon cur, en me faisant adorer dans le Crateur de mon tre linfinide cette incommensurable ternit, cependant je cherchais avec un zle trop ardent me faireune ide du Seigneur infini, ternel, pour me dterminer croire que son immensit consentit se renfermer dans quelquun des ouvrages de sa magnificence. Ma pit, trompe par lafaiblesse de mon esprit, nallait pas au-del du cercle quelle stait trac, lorsque je lus dansle prophte cette belle pense sur Dieu : Dans la grandeur des uvres, dans la beaut descratures, se montre visiblement le Crateur. Oui, lauteur des choses et les plus grandes etles plus belles est dans ses ouvrages, et si luvre est au-dessus du sentiment mme quelleinspire, il en est ncessairement de mme, et plus forte raison, de louvrier. Le ciel est beau,la terre et la mer sont belles, lunivers est beau, lunivers que les Grecs ont appel kosmoj(kosmos - ordre, beaut), cest--dire le monde ; mais si, par leffet dun instinct naturel, nous

    sommes ports, ainsi quil arrive quand nos yeux sattachent observer certains oiseaux,certains animaux, juger de la beaut des cratures, sans que, dans limpuissance delexpression qui nous manque, nous puissions reproduire le sentiment qui nous affecte ; et si,dun autre ct, les mots ne rpondant pas la pense, le sentiment ne peut rendre comptequ lui-mme des impressions dont il a lintelligence, ne suit-il pas ncessairement quelauteur de tant duvres si belles doit les effacer en beaut, de telle sorte quen dpit de lafaiblesse de lintelligence slever jusqu cette hauteur, nanmoins le sentiment ne fassepas dfaut la pense ? Ainsi donc, il faut le proclamer, Dieu est beau ; et si lintelligence decette beaut nous chappe, nous en avons du moins le sentiment.

    8. Lesprit plein de ces pieuses penses, et tout pntr de cette science divine, je me reposais

    en silence dans la contemplation de ces ineffables beauts, et je ne croyais pas quil ftpossible la nature de lhomme, dans ses respectueux hommages lauteur de la cration, de

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    se tenir en de ou daller au-del de cette ide, savoir que la grandeur de Dieu, inaccessible lintelligence, ne lest point la foi, et que si lintelligence, guide par la foi, admet un cultencessaire, elle se perd et sabme dans linfini de la puissance ternelle.

    9. Du fond de toutes ces penses surgissait encore un sentiment naturel qui soutenait ma pit,

    je veux dire lesprance dun bonheur inaltrable qui devait tre le prix de la foi en Dieu etdune vie saintement rgle ; ctait mes yeux comme la solde destine au soldat vainqueuraprs une glorieuse campagne. Quelle serait en effet la rcompense de lhomme qui se seraitfait de Dieu une opinion juste et vraie, si, la mort, le sentiment ne survivait pas ladestruction dune nature puise ? Or la raison elle-mme me disait quil ntait pas digne dela grandeur de Dieu davoir donn lhomme une vie toute resplendissante des lumires delintelligence et de la sagesse, la condition de la voir bientt saffaiblir et steindre pour

    jamais, de manire que, pour lui interdire la dure, son existence ne repost que sur une basesans ralit, tandis quon ne peut, au contraire, sexpliquer lconomie de la nature humainequen se disant : Ce qui ntait pas a commenc, et non pas en se disant ce qui a commencnest pas.

    10. Je malarmais pour mon me et pour mon corps. Tout en gardant nanmoins lopiniondsormais invariable que je mtais faite de Dieu, je concevais des inquitudes pour mon me,en rflchissant avec une sorte danxit sur sa demeure temporaire, qui devait, ainsi que jeme limaginais, crouler avec elle ; mais, aprs la connaissance que javais acquise de la loi etdes prophtes, je ne restai pas longtemps tranger aux enseignements de lvangile et desaptres. Au commencement tait le Verbe, et le Verbe tait en Dieu, et le Verbe tait Dieu.Il tait au commencement avec Dieu. Tout a t cr par, lui, et rien na t fait sans lui ; enlui tait la vie, et la vie tait la lumire des hommes ; et la lumire luit dans les tnbres, et lestnbres ne lont pas comprise. Il y eut un homme envoy de Dieu, qui sappelait Jean. Il vintpour servir de tmoin, pour rendre tmoignage la lumire il ntait pas la lumire ; mais ilvint pour rendre tmoignage celui qui tait la lumire. Celui-l tait la vraie lumire quiillumine tout homme venant en ce monde. Il tait dans le monde, et le monde a t fait par lui,et le monde ne la point connu. Il est venu chez soi, et les siens ne lont pas reu ; mais tousceux qui lont reu, il a donn le droit dtre faits enfants de Dieu, ceux qui croient en sonnom, qui ne sont point ns du sang, ni de la volont de la chair, ni de la volont de lhomme,mais qui sont ns de Dieu mme. Et le Verbe a t fait chair, et il a habit parmi nous ; et nousavons vu sa gloire, la gloire du Fils unique du Pre, plein de grce et de vrit. Ici lesprit vaplus loin que lintelligence du sens naturel, et lenseignement recueillir dpasse lopinionque javais dj de Dieu. Jy apprends, en effet, que le Crateur est Dieu de Dieu, que leVerbe est Dieu, et quau commencement il est avec Dieu. Tout sexplique, et je comprends

    que la lumire du monde demeure dans le monde, et que le monde ne la reconnat pas ; quilvient chez soi, et quil nest pas reu par les siens ; que ceux qui le reoivent deviennent, pourprix de leur foi, les enfants de Dieu, quils ne sont pas ns de laccouplement de la chair, ni dela conception du sang, ni de la volont des corps, mais de Dieu, puis que le Verbe a t faitchair, quil habite parmi nous, et que sa gloire, comme Fils unique du Pre, est parfaite avec lagrce et la vrit.

    11. Mon esprit agit et toujours inquiet vit alors briller un rayon desprance plus vif quil nesy attendait. Je fus dabord pntr de la connaissance de Dieu, et les ides que javaisnaturellement conues de lternit du Crateur, de son infinit et de sa beaut, sappliquaient,

    je le compris ds lors, son fils unique, non que jadmisse plusieurs dieux, puisquil est dit

    Dieu de Dieu ; non que je crusse une diffrence de nature, puisque je lisais Dieu de Dieuplein de grce et de vrit ; non que je visse dans lun des deux une postriorit dexistence,

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    puisquil est crit que Dieu tait au commencement avec Dieu. Je connus aussi que, si la foien ces salutaires vrits est rare la rcompense est glorieuse et belle : Nest-il pas dit, en effet,quil na point t reu par les siens, et que ceux qui lont reu se sont faits les enfants deDieu, non pas selon la chair, mais selon la foi ? ctait l un acte de puissance, et non desoumission une loi de la ncessit. Ce nest pas que dans loffre faite tous de ce riche

    prsent de Dieu, lindividualit soit prise en considration, mais cest que le prix obtenu est laconsquence de la volont. Dun autre ct, comme la difficult datteindre au but fait quonespre difficilement ce quon souhaite avec le plus dardeur, mme sans y croire dans lacrainte que le pouvoir donn chacun dtre fils de Dieu ne vint enchaner la foi incertaine ettremblante. Dieu le Verbe a t fait chair, afin que, par son entremise, la chair se rapprochtde Dieu le Verbe. En mme temps, pour que lon ne crt pas que le Verbe fait chair, ou ftautre chose que Dieu le Verbe, ou quil ntait pas la chair de notre corps, il a habit en nous ;et cela est dit, non quil faille entendre quen habitant avec nous il ne restt pas Dieu, ni queDieu ft autre chose que la chair de notre chair. En daignant prendre notre chair, il ny avaitpas en lui dfaut de qualits, parce que, comme Fils unique du Pre, plein de grce et devrit, il est parfait dans sa nature et vrai dans la ntre.

    12. Mon esprit embrassa avec joie cette sainte doctrine : ainsi la chair me ramenait Dieu, lafoi mappelait une nouvelle naissance, et il dpendait de ma seule volont dobtenir unergnration cleste. Reconnaissant quel soin avait pris de moi mon Crateur et mon pre, jene pouvais croire que je dusse tre ananti par celui qui m avait tir du nant. Lintelligencehumaine ntait pour rien dans tout ce travail de mon esprit, sa vue tait trop borne pour cetteimmensit, car la raison, incapable de pntrer les desseins de Dieu, nadmet que ce quellepeut concevoir ou faire. Mais, dans lapprciation des vertus de Dieu, ctait sa puissanceternelle que je considrais, ctait la foi et non mes sens que je consultais ; et cette vrit, queDieu au commencement tait avec Dieu, que le Verbe fait chair a habit parmi nous, si jycroyais, ce nest pas parce que je la comprenais, mais cest que je sentais que je pourraisarriver la comprendre si jy croyais.

    13. Mais, pour maffermir tout fait dans la foi, jopposais aux erreurs du sicle, qui auraientpu mentraner, cette parole divine de lAptre : Prenez garde que personne ne voussurprenne par la philosophie et par des raisonnements vains et trompeurs, selon les traditionsdes hommes, selon les principes dune science mondaine, et non selon Jsus-Christ. Car toutela plnitude de la divinit habite en lui corporellement, et cest en lui que vous en tesremplis, lui qui est le chef de toute principaut et de toute puissance, comme cest en lui quevous avez t circoncis dune circoncision qui nest pas faite de main dhomme, par laprivation du corps de la chair mais de la circoncision de Jsus Christ, ensevelis avec lui par le

    baptme, dans lequel vous avez t aussi ressuscits par la foi que vous avez eue que Dieu laressuscit dentre les morts. Et quand vous tiez dans la mort de vos pchs et danslincirconcision de votre chair, Jsus-Christ vous a fait revivre avec lui en vous pardonnanttous vos pchs, en effaant la cdule qui vous tait contraire, il a aboli entirement le dcretde votre condamnation en lattachant sa croix. Ayant dpouill la chair, il a men lespuissances en triomphe la face de tout le monde aprs les avoir dsarmes avec confiance enlui-mme. La foi solide rejette loin delle les captieuses questions, dont soccupe une vainephilosophie, et, sans se laisser prendre aux filets trompeurs de la sagesse humaine, la vrit nesoffre point en victime au mensonge ; ne jugeant point de Dieu selon la raison des hommes,ni du Christ selon la science du monde, elle reconnat que la plnitude de la divinit habite enlui, en telle sorte que, revtu dune puissance ternelle et infinie, il laisse loin de lui lesprit

    humain se perdre dans ses striles efforts. Il ne nous enchane point dans lobservationmatrielle de ses prceptes, et nexige point, sous le prtexte dobissance la loi, une

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    circoncision charnelle ; ce quil veut, au contraire, cest une circoncision toute spirituelle quilave nos mes des souillures du crime, et les rende leur premire puret ; ce quil veut, cestque nous nous ensevelissions avec lui, dans le baptme pour remonter un jour la gloiredune vie ternelle et quen nous rgnrant dans la mort de Jsus, nous nous rveillions aveclui du sommeil de la mort et nous reconqurions en mme temps notre immortalit. En effet,

    il a pris la chair du pch afin deffacer nos pchs, car en prenant la chair il a laiss les fautesqui lavaient corrompue ; en mourant il a dtruit lempire de la mort, afin dabolir aussi, ennous crant de nouveau dans sa personne, la sentence qui avait t autrefois porte contrelhomme. Sil sest laiss attacher la croix, cest quil a voulu y attacher des maldictionsque lhomme y avait attaches lui-mme. Enfin ses souffrances comme homme nont eudautre objet que lhumiliation des puissances, puisque cette mort, quoi que Dieu, selon lescritures, tait le signal de ceux qui vaincraient par la foi ; car, immortel lui-mme et placau-dessus du pouvoir de la mort, il acceptait la mort pour assurer lternit ceux quimourraient en son nom. Cest pourquoi ces actes de Dieu, dans lexercice dun pouvoir au-dessus de lintelligence humaine, ne peuvent tre compris par les sens, parce que, pourmesurer ltendue de linfini, il faut avoir lide dune puissance infinie. Il faut se persuader

    que, si ltre immortel meurt, si ltre ternel est enseveli, il ny a pas l de conceptionhumaine possible, il ne faut y voir que luvre dune puissance suprieure. De mme il ny apas consulter la raison, il faut admettre une vertu surnaturelle, quand Dieu sort de lhomme,limmortel de la mort et lternel du spulcre. Ainsi cest Dieu qui nous lve avec lui par samort dans le Christ. Mais, puisquil y a dans le Fils la plnitude de la divinit, cest donc Dieule Pre qui nous rend la vie en mme temps que le Fils, et que Jsus-Christ nest autre queDieu dans la plnitude de la divinit.

    14. Mon esprit, rassur par la conscience de ces vrits, gotait un heureux calme et sereposait avec joie dans ses esprances, craignant assez peu la mort pour penser la vie delternit. Loin de croire que la vie du corps ft un fardeau pnible, une source de douleurs,

    jtais convaincu quelle est pour nous ce que sont les lettres pour lenfance, une potionmdicinale pour les malades, lart de nager pour ceux qui font naufrage, les soldats enfin,pour les chefs darme, cest--dire que souffrir son tat prsent cest assurer son droit uneheureuse immortalit. Il y a plus, cest que ces convictions que je mtais faites, je lesprchais, pour laccomplissement du ministre qui mtait impos, au reste du peuple,tendant ainsi au salut public les devoirs de ma charge.

    15. Mais voil que des esprits dsesprant deux-mmes et funestes tous par leur impittmraire surgirent et sgarrent jusqu mesurer la puissance et la nature de Dieu sur lafaiblesse de leur propre nature, non pas quils prtendissent slever jusqu linfini pour le

    juger, mais le renfermer dans les troites limites de leur intelligence et le rabaisser jusqueux. Ils se proclamrent les arbitres de leur croyance, quand lobissance est le premier devoirde la foi, oubliant ainsi ce quils taient eux-mmes, foulant aux pieds les prceptes divinsquils osaient vouloir rformer.

    16. Car, pour ne pas parler de la folie des plus fameux hrsiarques, que je combattraicependant quand loccasion sen prsentera, il y en a qui altrent un tel point la foivanglique, que, tout en proclamant un Dieu unique, ils nient la nativit du Fils unique deDieu, en telle sorte quil faudrait croire, selon eux, que Dieu sest, il est vrai, rapproch delhomme, mais quil ny est point descendu, et que le Fils qui a pris dans le temps la chair delhomme nest pas le mme que le Fils de Dieu, quil nest pas n comme Dieu, quil ne

    procde que de lui-mme ; et, pour ne pas branler la foi en lunit de Dieu dans la gnrationde la chair, ils disent que cest le Pre qui, en se communiquant la sainte Vierge, sest

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    engendr lui-mme pour le Fils. Mais dautres (parce que, pour Arius, il ny a pas de salutsans le Christ, puisque Dieu le Verbe tait au commencement avec Dieu) nient la nativit etconfessent seulement la cration, dans lintention, sans doute, de ne pas admettre par lanativit la vrit de Dieu et pour prcher lerreur au moyen de cette ide de cration ; car, entrahissant la foi dans la gnration dun seul Dieu, il ny avait pas exclusion dans le

    sacrement, mais en subordonnant la nativit vritable au nom et la foi de la cration, ilssparaient le Fils de la vrit dun seul Dieu, afin de ne pas lui accorder la perfectionde la divinit quil ne pouvait tenir de la nativit vritable.

    17. Je sentis mon esprit dvor du dsir de combattre cette extravagance furieuse, convaincucomme je ltais quil y allait du salut, non seulement de croire en Dieu, mais encore en Dieule Pre, non seulement desprer dans le Christ, mais dans le Christ Fils de Dieu, non pas dansla crature, mais dans le Crateur n de Dieu. Je viens donc, dans lardeur de mon zle, armdes prophties et de lvangile, confondre la folie et lignorance de ces hommes qui, bienquils prchent, ce qui est une chose utile et pieuse, lunit de Dieu, ou nient la naissance duChrist comme Dieu, ou soutiennent quil nest pas vrai Dieu, si bien que la cration dune

    nature puissante laisse intacte la foi dans lunit de Dieu, et quelle soit branle, au contraire,dans la nativit. Mais, clairs par les lumires den-haut et sachant quil ny a pas deuxDieux et quil ny a pas non plus quune personne en Dieu, nous prchons, selon lvangile etles prophties, que les deux sont un dans notre foi, mais quil y a deux personnes, quil fauttablir une distinction, sans dire que lun est faux et que lautre est vrai, parce que, Dieu tantn de Dieu, la nativit ne suppose pas que cest le mme ni autre chose.

    18. Et vous, que lardeur de votre foi et lamour des vrits que le monde et ses prtendussages ignorent appellent et invitent lire cet ouvrage, vous devez avant tout fouler aux piedsles vaines opinions rpandues parmi les hommes, et, dans lattente dune instruction solide etreligieuse, vous dfaire de toutes les arguties troites dune science imparfaite. Il est besoin eneffet dapporter cette tude un esprit rgnr, en quelque sorte, pour que chacun puissesclairer, par le bienfait du ciel, des lumires de sa propre conscience. Vous devez donc,comme lenseigne Jrmie, vous attacher fortement par la foi lide, de la substance deDieu, afin quen entendant traiter cette matire vous nen puissiez concevoir que des pensesdignes, et que vous nen jugiez pas par la mesure de votre intelligence, mais par la grandeurde ltre infini. Lhomme, convaincu qu'il a t rendu, comme le dit saint Pierre dans saseconde ptre, participant de la nature divine, ne conoit pas la nature de Dieu daprs leslois de sa propre nature, mais, au contraire, il pse ces grandes vrits au poids des sublimestmoignages que rend delle-mme la puissance suprieure qui a fait clater la magnificencede ses uvres. En effet, il ny a de lecteur bien prpar ces hautes leons que celui qui

    nimpose pas un sens aux mots, mais qui tire des mots eux-mmes le sens qui leur est propre,qui fouille au trsor de la science moins quil ne le grossit de ses pargnes, et qui non plus neforce pas lexpression de rpondre lide, quil stait faite en abordant le livre. Cestpourquoi, puisque jai parler des choses de Dieu, cest de Dieu quil faut attendre laconnaissance de Dieu, et, pour quil nous la rvle, nous mettre avec un pieux respect auxordres de sa parole. On ne peut compter pour quelque chose que le tmoignage de celui quinest connu que par lui-mme.

    19. Mais si, en parlant de la nature et de la nativit de Dieu, jai besoin, pour lexplication dema pense, de recourir des exemples, des comparaisons, quon se garde bien de croirequils puissent offrir une raison exacte et absolue de la vrit. Il ny a pas de comparaison

    entre les choses de la terre et les choses du ciel ; mais la faiblesse de notre intelligence nousoblige demprunter souvent aux choses dici-bas quelques images qui donnent une ide des

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    choses den-haut, afin que nos esprits, clairs par lobservation des faits ordinaires etfamiliers, puissent slever jusqu la pntration des mystres qui sortent du cercle danslequel nous sommes renferms. Dans ce sens une comparaison est plutt utile lhommequelle ne convient Dieu ; elle aide lintelligence, mais elle ne saurait tre entirementsatisfaisante, et il ne faudrait pas y voir une galit de rapports entre la nature de la chair et

    celle de lesprit, entre les tres invisibles et ceux qui tombent sous nos sens. Une comparaisonenfin nest autre chose quune sorte daveu, une dclaration du besoin de venir au secours dela faiblesse de lintelligence, et non pas la prtention une dmonstration rigoureuse etinvincible. Nous parlerons de Dieu en employant les paroles de Dieu mme, mais nousproduirons nos ides sous les formes appropries lhomme et qui nous sont habituelles.

    20. Jai dispos louvrage de manire que la liaison des diffrents chapitres, leur dpendancerciproque contribue le plus possible hter les progrs que les lecteurs doivent esprer pourleur instruction. Je nai voulu prsenter rien dincomplet ou de mal digr ; je nai pas vouluquon maccust de noffrir quun amas irrgulier de matires runies sans ordre, dont ledfaut daccord ferait heurter la grossire harmonie. Mais, comme il nest pas possible de

    monter au haut dun difice sans parcourir tous les degrs infrieurs qui y conduisent, jai prissoin de rendre plus doux le chemin difficile que doit suivre lintelligence non pas en taillantdes degrs dans le roc, mais en abaissant peu peu les pentes, en aplanissant la route demanire que le voyageur engag sur mes pas avant sans sapercevoir quil gravit unemontagne escarpe.

    21. En effet, le livre qui suivra celui-ci traite dabord de la gnration divine, et nous apprendla vritable signification qui doit tre attache aux mots, dans le baptme au nom du Pre, duFils et du Saint-Esprit, surtout ne pas les confondre, mais les bien concevoir dans le sensqui leur est propre de manire y reconnatre ce qui a t dit, que le nom est vrai et quil estlexpression de la vrit.

    22. Aprs avoir dmontr en peu de mots, dans un langage clair et facile, lexistence de laTrinit, je fais faire un pas de plus la matire dans le troisime livre. En effet, cette parole duSeigneur parlant de lui-mme : Je suis dans mon Pre et mon Pre est en moi, cette parole,dis-je, dont lintelligence humaine ne peut saisir le sens, je ladapte, par le moyen denombreux et de grands exemples de la puissance de Dieu, je lapproprie la foi delintelligence, de manire que la vrit, qui chappe lhomme livr aux seules ressources desa nature, soit sensible la foi et rentre dans lordre et la raison, car si cest folie de ne pascroire Dieu parlant de lui-mme, cest folie encore de croire que la foi ne peut pasraisonnablement avoir lintelligence de la puissance de Dieu. 23. Dans le quatrime livre

    jaborde la grande question des hrsies, et ds le dbut jai soin de my montrer pur de toutesles souillures dont on a fltri la foi de lglise. Jy rapporte la dclaration perfide que certainshommes nont pas craint de faire tout rcemment, et je dmontre quil y a imposture, rusediabolique de leur part, soutenir que cest en sappuyant sur la loi quils ont dfendu lunitde Dieu ; tandis que les tmoignages de la loi et des prophtes tablissent que confesser unseul Dieu sans Dieu le Christ est une impit, et que confesser Dieu le Christ Fils unique deDieu sans admettre lunit est une perfidie.

    24. Pour leur rpondre, je suis, dans le cinquime livre, le mme ordre que les hrtiques dansleur profession de foi. Ils avaient menti en disant que cest avec lappui de la loi quils ontprch lunit de Dieu ; ils ont menti encore quand ils ont prtendu stre conforms cette

    mme loi en admettant un seul vrai Dieu, car, par cette distinction dun seul vrai Dieu, ilsdtruisent la nativit du Christ notre Seigneur, puisque admettre la nativit, cest avoir

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    lintelligence de la vrit. En suivant la route qui les a mens une ngation impie, jenseignenon pas quil y a deux Dieu, non quil y a confusion de personnes dans le vrai Dieu, mais,daprs la loi et les prophtes, que le Pre est vrai Dieu, pour ne pas altrer la foi en lunit deDieu ou nier la nativit du Christ. Mais comme, suivant eux, admettre plutt la cration que lanaissance, cest moins donner notre Seigneur Jsus-Christ le nom de Dieu que len priver,

    jai prouv si bien, en appelant mon aide lautorit des prophtes, la vrit de la divinit,quen proclamant notre Seigneur Jsus-Christ vrai Dieu, je suis rest, avec la conviction de sadivinit naturelle, dans lintelligence dun Dieu unique.

    25, Le sixime livre montre toute la fraude et lastuce des hrtiques. En effet pour fairecroire leurs paroles, ils ont, il est vrai, condamn les autres, Valens, Sabellius, Mans etHirax ; mais, sous le prtexte dloigner un poison dimpit du sein des glises, ils ont faittaire ses pieux enseignements, en telle sorte quen paraissant corriger les principes deshommes sans foi, et en diminuer les dsastreux effets par des explications sans clart, destermes ambigus, ils ont teint le flambeau de la vrit par les moyens dont ils sarmaient pourcombattre des hrsies. Mais, en expliquant nettement et leurs paroles et leurs professions de

    foi, jai absous les vritables principes de laccusation porte contre eux ; jai prouv quilsnont rien de commun avec les hrsies, et, condamnant ce qui doit tre condamn, que nousdevons nous attacher ce qui a droit nos respectueux hommages, reconnatre Fils de Dieunotre Seigneur Jsus-Christ, ce quils ont ni si fortement, tandis que Dieu le Pre latteste lui-mme, que les aptres le prchent, les gens pieux le croient, les dmons le crient, les Juifs leconfessent par leurs dngations mmes, et que les nations plonges dans les tnbres delignorance le comprennent, quenfin il nest plus permis de faire usage de termes douteux,quivoques lgard dune vrit quil nest plus possible dignorer.

    26. Dans le septime livre, au fur et mesure que la foi sapproche de la perfection, la matirese rgle et la discussion commence. Et dabord, par une dmonstration saine et sincre de lafoi, je mets aux prises Sabellius, Hbion et tous ceux qui nont pas confess le vrai Dieu ;

    jexamine pourquoi Sabellius osait nier lexistence avant les temps de celui dont les autresavouaient la cration. Sabellius ne savait pas que le Fils subsiste, quand il est hors de doutequil y a eu action du vrai Dieu dans le corps. Mais les autres, en niant la nativit, affirmaientquil y a eu cration, tout en ne comprenant pas que les uvres du Fils sont les uvres du vraiDieu. eux le dbat, nous la foi. Sabellius, en niant le Fils, est dans le vrai quand il dit quele vrai Dieu opre, mais lglise combat victorieusement ceux qui nient que le vrai Dieu estdans le Fils. Dun autre ct, quand ses adversaires dmontrent contre Sabellius que le Christsubsistant avant les sicles a toujours agi, ils convainquent avec nous et pour nous cethrsiarque derreur, puisque, reconnaissant le vrai Dieu, il nie le Fils de Dieu. Hbion son

    tour est vaincu des deux cts la fois, car, dune part il est dmontr quil subsiste avant lessicles et dune autre, que le vrai Dieu est lauteur des uvres. Ils se rfutent tous les uns parles autres ; en effet, lglise tmoigne contre Sabellius, contre les partisans de la crature etcontre Hbion, que notre Seigneur Jsus-Christ est vrai Dieu du vrai Dieu n avant tous lessicles, et fait homme dans le temps.

    27. Personne ne doute quil ne soit parfaitement conforme la vritable doctrine de la pitquaprs avoir confess, en vous appuyant sur la loi et les prophtes, dabord que le Christ estFils de Dieu, ensuite quil est le vrai Dieu toujours avec lide de lunit, nous enseignions, enconfirmant par le tmoignage de lvangile la loi et les prophtes, que la premire personnedentre eux est Fils de Dieu, puisquil est vraiment Dieu. Il tait consquent quaprs le nom

    de Fils on en dmontrait la vrit, quoiquen ne suivant que les inspirations du bon sens cetteappellation de Fils en rendit la vrit absolue. Mais pour ne pas laisser, au milieu des attaques

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    de ceux qui nient la vrit du fils unique de Dieu, un prtexte dont on pt semparer pourtromper la foi abuse par de vaines illusions, nous avons pour base la foi en la spcialit duFils la vrit de sa divinit, et nous avons enseign que celui quon saccordait proclamerFils de Dieu est Dieu de nom et de naissance, par sa nature, sa puissance, et ses propresparoles, et en cela nous navons pas voulu que lon pt croire quil ft autre chose que ce quil

    est vritablement, que lon rejett la nativit, ni que la nativit lui fit perdre sa nature, ni quesa puissance clatt dans une dclaration o naurait pas t empreint le tmoignage de lavrit ; jai soumis toutes les preuves tires de lvangile un ordre tel que les paroles du Filsproclament sa puissance, la puissance dont il est revtu fait connatre sa nature, que sa naturene dpend point de sa naissance, ni sa naissance de son nom. Par l jarrache limpit sesarmes, je ferme la bouche la calomnie, puisque notre Seigneur Jsus-Christ lui-mme, enprotestant de sa vrit, de sa nature, avait enseign tous la divinit du vrai Dieu, n du vraiDieu, selon le nom, la naissance, la nature et la puissance.

    28. Les deux livres prcdants ne laissant la foi des fidles aucun doute sur le Fils de Dieu etle vrai Dieu, le huitime livre est consacr tout entier la dmonstration de lunit de Dieu ;

    jy tablis, sans y sacrifier la pense de la naissance du fils de Dieu, que de cette naissance ilne faut pas conclure quil y a deux Dieux. Et dabord je montre comment les hrtiques, nepouvant nier la vrit de Dieu le Pre et de Dieu le Fils, cherchaient cependant lluder. Enleur opposant ces textes sacrs : Toute la multitude de ceux qui croyaient ntait quun curet quune me, et ensuite : Et celui qui plante et celui qui arrose ne sont quune mmechose, et enfin : Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui doiventcroire en moi par leur parole, afin quils soient un tout ensemble ; comme vous, mon Pre,vous tes en moi, et moi en vous, et quils soient de mme en nous, je prouve quils enabusent et quils en prennent ridiculement loccasion de soutenir quil faut y voir plutt lidede la volont et dune harmonie de sentiments que la preuve de la divinit. En tirant de cesparoles le vritable sens qui y est attach, je dmontre quelles expriment bien vritablementla divinit de la naissance ; ensuite, en rappelant toutes les paroles du Seigneur, jtablisincontestablement, daprs les aptres et les proprits du Saint-Esprit, le tmoignagecomplet, absolu de la majest divine du Pre et du Fils unique, puisque le Fils tant comprisdans le Pre, le Pre connu dans le Fils, la naissance du Dieu Fils unique tait vidente aussibien quil est vrai quil est Dieu parfait.

    29. Cest peu, en effet, dans les affaires qui touchent si intimement au salut, de ne rappeler,pour la satisfaction de la foi, que ce qui sy rapporte spcialement, puisque plus duneassertion errone, mais qui sduit lesprit, dtruit le sens vritable des mots, si, en dmontrantla faiblesse des propositions contraires, on ne donne pas un nouvel appui la foi par les

    choses mmes dont o se fait une arme pour lattaquer. Cest pourquoi, dans le neuvime livreje rfute tout ce dont les hrtiques ont fait usage pour combattre la naissance du Fils uniquede Dieu, car, oubliant le mystre de cette conomie, mystre cach ds lorigine des temps, ilsne se souviennent pas davantage que la foi vanglique prchait quil est Dieu et homme toutensemble. En effet, pour nier que notre Seigneur Jsus-Christ est Dieu, quil est semblable Dieu, et que Dieu le Fils est gal Dieu le Pre Dieu n de Dieu, et que, selon leffet de sanaissance, il subsiste dans la vrit du Saint- Esprit, ils ont coutume de sautoriser de cesparoles du Seigneur : Pourquoi mappelez-vous bon ? il ny a que Dieu seul qui soit bon, en telle sorte quen repoussant ce titre et en dclarant que Dieu seul est bon, il na rien, seloneux, de la bont de Dieu, qui seul est bon, et quil nest pas vritablement Dieu, qui estunique. ces paroles ils en rattachent dautres encore pour justifier leurs impits : La vie

    ternelle consiste vous connatre, vous qui tes le Dieu vritable, et le Christ que vous avezenvoy. Do ils tirent cette autre consquence quen disant que le Pre est seul vrai Dieu il

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    ny a en Jsus-Christ ni vrit ni divinit, puisque lindication spciale de seul vrai Dieu nesort pas de lauteur de la proprit signifie pour passer une autre. Ils ajoutent quil ne peuty avoir matire de doute, attendu quil a dit aussi : Le Fils ne peut rien faire de lui-mme, etquil ne fait que ce quil voit faire au Pre. Do lon peut conclure toute la faiblesse de sanature, puisque ses uvres nont rien dinspir et quil agit par imitation, quil faut carter

    toute ide domnipotence l o est la ncessit dune sujtion luvre dautrui, que la raisonenfin nous dit assez quon ne saurait confondre la puissance et limpuissance, que tout spareet distingue lune de lautre, tel point mme que Jsus-Christ a dit de Dieu le Pre : MonPre est plus grand que moi. Quon cesse donc, disent-il, dentasser ici de vains mensonges ;il y a impit et folie attribuer les honneurs et la nature de la divinit qui les refuse. Ils nesarrtent pas l, et ils ajoutent : Il est si loin davoir aucun des attributs du vrai Dieu, quon litencore ces paroles dans lvangile : Quant ce jour et cette heure-l, nul ne le sait, ni lesanges qui sont dans le ciel, ni le Fils, mais le Pre seul. Si donc le Fils ignore ce que le Preseul peut savoir, il ny a pas entre eux le plus lger rapport ; car une nature dont lignoranceest le partage na rien de commun avec cette autre nature de vertu et de puissance qui estaffranchie des liens honteux dignorance qui enchane lautre.

    30. Je dmontre que cest en altrant le sens, en le dtournant de sa vritable signification,quils sont arrivs ces conclusions impies, et de toutes ces rponses, de toutes ces paroles. jesignale les causes qui les ont produites, je leur assigne leur temps propre, jen fais voir toutelconomie, en ne jugeant pas la pense par les paroles qui lexpriment, mais les paroles par lapense. En sorte que, sil y a opposition entre ces mots : Mon Pre est plus grand que moi, et ceux-ci : Mon Pre et moi nous sommes un, entre : Nul nest bon, si ce n nest Dieuseul, et : Qui me voit, voit aussi mon Pre, si dun autre ct cette opposition nest

    jamais plus marque que par ces diffrentes paroles : Mon Pre, tout ce qui est vous est moi, tout ce qui est moi est vous, et : Afin quils connaissent que vous tes seul le vraiDieu ; je suis dans mon Pre, mon Pre est en moi, et : Quant ce jour et cette heure-l,nul ne le sait, ni les anges dans le ciel, ni le Fils, mais le Pre seul, il faut y voir unenseignement dordre, de rgle, lexpression dune puissance naturelle qui a la conscience desa force et de sa propre nature ; et, en remarquant que ces mots, qui semblent contradictoires,sont sortis de la mme personne, il faut bien se garder, aprs les avoir examins et pess dansla vrit, de se faire un prtexte doutrage au vrai Dieu, de ce qui est publi, prch entmoignage de la foi vanglique, avec toutes les rserves de cause, de temps, de naissance etde nom.

    31. Le dixime livre suit le mme ordre que la foi ; il marche et savance avec elle et par ellevers lexplication et la dmonstration de la vrit. En effet, puisque les hrtiques, par leffet

    dune interprtation ridicule et impie, nont pas craint demprunter la passion de notreSeigneur Jsus-Christ des raisons pour abaisser en lui la nature divine et y rpandre unefltrissante ignominie, jai d prouver quils nont pas eu lintelligence de la vrit, quils sonttombs dans les plus grossires erreurs, et que toutes les paroles du Seigneur ne peuvent avoirdautre effet que de faire clater sa majest sainte, sa perfection et sa vrit. Dans leur odieuxsystme, ils semparent de ces paroles : Mon me est triste jusqu la mort, pour soutenirquil ny a rien de la batitude, rien de lincorruptibilit cleste dans celui dont lme est ainsiplace sous lempire de la crainte, et qui, dans les angoisses ncessaires de la passion, scrie : Mon Pre, faites, sil est possible, que ce calice passe loin de moi. Il est donc vident quilparaissait craindre de souffrir, puisquil demande que la souffrance soit loin de lui, que lacrainte est tout le motif de sa prire, et la violence du mal avait tellement triomph de sa

    faiblesse quil disait, tant attach sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonn ? Il fut si sensible aux douleurs de la Passion, il avait tant besoin des

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    secours du Pre, que, abattu sous le poids qui laccable, il rendit lme en disant Mon Pre,je remets mon me entre vos mains. Et cette me, agite par le trouble et la crainte, invoquele secours de Dieu, et, sans esprance du repos qui la fuit, elle est force den appeler labont protectrice du Pre.

    32. Mais ces insenss, ces hommes impies, loin de comprendre quil ny a rien decontradictoire dans les paroles que Jsus prononce dans les mmes circonstances, nesattachent quaux mots, sans remonter aux causes qui les ont inspirs. Comme il ny a rienqui se ressemble entre celles-ci : Mon me est triste jusqu la mort, et celles-l : Vousverrez dans la suite le Fils de lhomme assis la droite de la majest de Dieu, une autrechose est de dire : Faites, mon Pre, sil est possible, que ce calice passe loin de moi, autrechose aussi : Le calice que vous mavez donn, mon Pre, ne le boirai-je pas ? MonDieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonn ? En vrit, je vous le dis, vous serezaujourdhui avec moi dans le paradis, comme enfin il y a une grande diffrente entre : Mon pre, je remets mon me entre vos mains, et Mon pre, pardonnez-leur, car ils nesavent pas ce quils font, incapables de comprendre ces paroles divines, nos adversaires sont

    tombs dans une monstrueuse impit. Puis, attendu que le trouble et la libert, le zle et latideur, la plainte et lencouragement, la dfiance et lintercession vont mal dans un mmesujet, ils ont os, oubliant la parole et la nature de Dieu, donner pour base leurs criminelleserreurs les paroles et les actes du Seigneur. Mais je me suis appliqu lexamen de tout ce quia rapport lme et au corps de notre Seigneur Jsus-Christ, et je nai rien laiss sansdmonstration ayant soin de ne rien ngliger non plus. Je nai point spar les paroles descirconstances qui les avaient fait natre cette rgle que jai suivie men a donn lintelligence ;par l je nai point alli les contraires, et je me suis bien gard de dire que, plein de confiance,Jsus a trembl, quil a recul devant sa volont, que ses plaintes sont venues donner undmenti sa scurit, quen recommandant son me son me, il na pas trahi son caractreet quil a sollicit pour les autres le pardon dont ils avaient besoin, et ici, comme ailleurs,lvangile est venu confirmer la foi de toutes les paroles.

    33. La gloire elle-mme de la rsurrection na pu retenir ces hommes gars dans les bornesquavait mises leur audace lenseignement religieux quils avaient reu. Sous un vainprtexte de respect et dhonneur, ils se sont arms de toute leur impit, et la rvlation dusacrement na t pour eux quune occasion de fltrir la gloire de Dieu. Cette parole : Jemonte vers mon Pre et votre Pre, vers mon Dieu et votre Dieu, cette parole qui veut direseulement que le Pre est son Pre et que son Dieu est notre Dieu, leur fait croire que le Christnest pas vritablement Dieu, que la ncessit de la cration quil a subie le soumet, ainsi quenous, au Dieu crateur, et quenfin il nest fils que par adoption. Ils vont mme jusqu dire

    quen lui les attributs de la nature divine sont nuls, se prtendant fonds sur ces mots delAptre : Et quand elle dit que tout lui est assujetti, il faut en excepter celui qui lui aassujetti toutes choses. Lors donc que toutes choses auront t assujetties au Fils, il seraassujetti lui-mme celui qui lui a assujetti toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. Car, disent-ils, la sujtion prouve la faiblesse de ltre assujetti, en mme temps que lapuissance de celui qui domin et commande en matre. Jexplique toute cette matire dansmon onzime livre avec le plus grand soin, et jy prouve, daprs les paroles mmes delAptre, que non seulement la sujtion nentrane pas avec elle cette consquence de lafaiblesse, mais quelle nous apprend au contraire, sans quil soit besoin de chercher dautrespreuves, quil est vritablement Dieu, puisquil est n de Dieu. Jajoute que, sil est dit queson Pre est notre Pre et son Dieu notre Dieu, il ne perd rien cela et qui nous y gagnons

    beaucoup, car, stant fait homme, il a connu toutes les douleurs de notre chair, il est mont,comme homme, pour tre glorifi comme Dieu, vers notre Dieu et notre Pre.

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    34. Jai toujours remarqu que, dans toute espce dinstruction et dexercice, ceux qui ont tappliqus pendant longtemps ltude des premiers lments de la science ou de lart quonleur enseigne font ensuite lessai de leurs forces et de leur talent, et couronnent la thorie parla pratique, que ceux qui sont destins au mtier des armes ne vont la guerre quaprs avoir

    jou, pour ainsi dire, leur premier rle dans des combats simuls, que lavocat ne se prsente

    dans la lice du barreau que lorsquil a prpar ses armes lavance dans les coles en plaidantdes causes imaginaires, quavant daffronter les orages dune mer lointaine et inconnue, lenautonier a dabord fait voler son vaisseau sur les flots voisins de sa ville : Eh bien ! cest lamarche que jai suivie moi-mme dans ltude si longue et si grave de toutes les matires defoi. En effet, jai prlud, si cette expression rend bien ma pense, en me pntrant despremires vrits, je me suis rendu compte de la naissance du Fils, de son nom, de sa divinit ;puis jai cherch conduire, mais peu peu et comme par une pente douce, lesprit deslecteurs lattaque directe des hrsies quil fallait combattre ; alors jai livr la grandebataille qui me promettait la gloire et le triomphe. Quel a t mon but ? dlever autant lesesprits vers ltude des choses du ciel, de leur faire comprendre ce qui est plac hors de laporte de leur nature autant quils sont faibles et sans puissance pour arriver deux-mmes

    lintelligence de la naissance ternelle de Jsus-Christ, de les en rapprocher enfin de toute ladistance qui les en spare. Je me suis attach principalement lexamen de cette question qui,prenant tous les jours de nouvelles forces dans laffaiblissement de la sagesse du sicle,semble lautoriser penser de notre Seigneur Jsus-Christ quil y avait un tre prexistant,que le Fils ntait pas avant de natre et quil a t tir du nant. ce compte, on ne craint pas,parce que sa naissance parait tre la raison de son existence, et quil fallait quil naquit pourtre, de soumettre ainsi un calcul de temps le fils unique de Dieu (comme si la foi elle-mmeet lide de naissance ne montraient pas clairement la vrit cet gard), et quainsi lon doitconclure que, sil est n, cest quil nexistait pas, et que la naissance ne peut avoir dautreconclusion. Mais, clair par les tmoignages des aptres et de lvangile, et confessanttoujours le Pre et le Fils, jenseignerai que le Dieu crateur de toutes choses a t avanttoutes choses, et que rien na pu le devancer dans le temps, quil faut bien se garder de cetteide impie et tmraire, savoir quil a t tir du nant, et quil ntait pas avant de natre ;quil a toujours t, et que cependant il est n ; que sa naissance ne prouve rien autre choseque son existence ternelle : do il faut infrer quil y a en lui non pas limpossibilit denatre, mais ternit de naissance, car la naissance suppose un auteur, et la pense de Dieu neva pas sans celle de lternit.

    35. Dans leur ignorance de la parole du prophte, inhabiles quils sont dans linterprtation dela doctrine du ciel, ils affirment, toujours en altrant le vrai sens, que le Fils a t cr pluttquil nest n, parce quil a t dit : Le Seigneur ma cr au commencement de ses voies

    dans son uvre. Do il suit, selon nos adversaires, quil est de la mme nature que toutesles choses cres, bien quil leur soit suprieur quant au genre de la cration, mais quil nyfaut pas chercher la gloire de la divinit, mais la force dme et la vertu dune craturepuissante. Sans avancer rien de nouveau, rien dtranger la matire, par le tmoignage mmede la Sagesse, je ferai sentir et comprendre la vrit et la raison de cette parole, quil ne fautpas, parce quil a t cr au commencement des voies de Dieu et dans son uvre, lentendredune naissance divine et ternelle, puisque avoir t cr dans la vue de luvre et tre navant toutes choses nont rien qui se ressemble. Lide de naissance est ncessairementrestreinte au fait mme de la naissance ; mais quand il y a cration, il faut admettre une causeantrieure de cette cration. Quoique la sagesse soit ne avant toutes choses, cependant,comme sa naissance emporte lide dun but quelconque, ce nest pas la mme chose dtre

    avant tout et davoir commenc dans le temps.

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    36. Jai t consquent avec moi-mme quand, aprs avoir rejet le nom de cration pourrester fidle notre foi dans le Fils unique de Dieu, jai enseign tout ce qui est conforme lafoi dans le Saint-Esprit. Cest ainsi quayant tabli dans les autres livres avec soin et fort aulong la vrit de la religion, je nai rien laiss dsirer dans cette dmonstration que javaisentreprise ; et avant cart toutes les fausses opinions, toutes les impits avances dans la

    personne du Saint-Esprit, jai renferm dans lenseignement de lautorit des aptres et delvangile le dogme pur et invincible de la Trinit, et il nest plus permis personne demettre, en ncoutant que lintelligence humaine, lEsprit de Dieu au nombre des cratures cetEsprit qui est le gage de limmortalit, et qui partage avec Dieu lincorruptibilit dune naturedivine.

    37. Cest vous, Dieu, Pre tout puissant, cest vous, je le confesse, que je dois davoirfait cet heureux emploi des jours de ma vie, vous que je dois ce privilge que votre penseclate dans tous mes discours et dans mon intelligence. Il ny a pas de rcompense plusgrande attache cette facult que vous avez daign maccorder de parler, que de lemployer prcher votre saint nom et enseigner un sicle qui lignore, ou aux hrtiques qui le

    nient, ce que vous tes vritablement, savoir, Pre et pre de Dieu Fils unique. Dans Cettenoble entreprise je napporte que de la bonne volont, votre secours et votre misricorde mesont ncessaires, je vous les demande, ne me les refusez pas ; que les voiles du vaisseau osont monts avec moi la foi et le dsir de la proclamer partout senflent au souffle de votreesprit, et puiss-je arriver heureusement au port ! Car ce nest point une vaine promesse quevous avez faite en disant : Demandez, et il vous sera donn ; cherchez, et vous trouverez ;frappez, et lon vous ouvrira. Je vous demanderai, Seigneur, tout ce qui me manque, et dansltude des prophtes et de vos aptres, mon courage ne me fera pas dfaut ; je frapperai, si jepuis le dire, toutes les portes qui conduisent lintelligence de vos saints mystres ; maiscest vous dexaucer ma prire, de maider dans mes efforts et dexcuser limportunit demon zle. Lesprit de lhomme en effet sengourdit dans sa propre faiblesse ; il a besoin dtreaiguillonn ; et les liens qui le pressent, les chanes de lignorance qui psent sur luisopposent ce quil prenne son essor vers les choses du ciel, dont lintelligence lui chappe ;mais par votre secours il arrive cette prcieuse connaissance de la doctrine divine, et sil estdocile, il a bientt franchi les barrires naturelles dans lesquelles il est renferm.

    38. Jattends de votre bont, mon Dieu, que vous encouragiez, au dbut de la carrire, moncur agit dune juste crainte, que vous lui donniez les forces dont il a besoin, et que vouslchauffiez du souffle qui anima celui des prophtes et des aptres, car alors je nentendraipas leurs paroles dans un autre sens quils les ont dites, et les mots seront pour moi lavritable expression des penses : ce quils ont enseign, ce quils ont prch, je vais le

    prcher, lenseigner, savoir, que vous tes le Dieu ternel, le Pre de Dieu Fils unique etternel, que vous tes un, que notre Seigneur Jsus-Christ n de vous ternellement est un, etquil ne faut pas voir deux Dieux l o Il ny a quune distinction, et quenfin il ny a quunDieu vritable n du Pre vritable Dieu. Daignez donc maccorder de saisir la significationdes mots, dtre clair de la lumire de lintelligence, dhonorer vos saintes paroles et davoirfoi dans la vrit. Faites, Seigneur, que mon langage soit lexpression de ma croyance, etquainsi, ayant appris des prophtes et des aptres un seul Dieu le Pre, un seul SeigneurJsus-Christ, je proclame, en dpit des hrtiques et de leurs dngations, que vous tes Dieu,et que vous ntes pas seul, et que Jsus-Christ nest point non plus une uvre de mensonge.