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À bas la bombe 70 ans après Hiroshima HEBDOMADAIRE PROTESTANT D’ACTUALITÉ 2,60 – 3,90 FS n o 3619 23 juillet 2015 www.reforme.net Le Dôme du Palais des expositions situé à 160 mètres de l’hypocentre de la bombe est resté en l’état. Un symbole pour les militants de la paix au Japon et ailleurs P. 8 À 10 ©ALEXANDRE MENDEL SOLIDARITÉ Un village Emmaüs À Lescar-Pau, 130 compagnons s’activent et attendent les festivaliers P. 7 ENTRETIEN (4) Le désert des idées Nathalie Sarthou-Lajus, philosophe, appelle à la mobilisation des esprits contre le vide culturel P. 4-5 ÉGYPTE Le sort fait aux coptes Chrétiens et musulmans se tolèrent ou s’affrontent. Reportage au sud du Caire P. 6 Rejoignez sur www.facebook.com/ reforme.hebdomadaireprotestantdactualite

Hiroshima 70 ans après

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Hiroshima70 ansMaya TodeschiniTourisme mémoriel

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  • bas la bombe70 ans aprs Hiroshima

    HEBDOMADAIRE PROTESTANT DACTUALIT

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    www.reforme.net

    Le Dme du Palais des expositions situ 160 mtres de lhypocentre de la bombe est rest en ltat. Un symbole pour les militants de la paix au Japon et ailleurs P. 8 10

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    SOLIDARIT

    Un village Emmas Lescar-Pau, 130 compagnons sactivent et attendent les festivaliers P. 7

    ENTRETIEN (4)

    Le dsert des idesNathalie Sarthou-Lajus, philosophe, appelle la mobilisation des esprits contre le vide culturel P. 4-5

    GYPTE

    Le sort fait aux coptesChrtiens et musulmans se tolrent ou saffrontent. Reportage au sud du Caire P. 6

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  • 8 Dossier RFORME NO 3619 23 JUILLET 2015

    Hiroshima, 6 aot 1945, 8 h15, ciel dgag. Les ouvriers sortent des tramways, les co-liers font leur gymnastique, le rationnement du riz puise la popula-tion, la guerre de lAsie-Pacifique nest pas encore finie. Soudain, une horreur nouvelle saisit ces malheureux, futurs emblmes dune histoire cruelle.

    Les bombardements avaient jusquici pargn cette ville, alors peuple de 250 000 mes. Une quarantaine de secondes aprs que le B29 Enola Gay eut largu Little Boy, 12 km2 (un dixime de la superficie de Paris) sont pulvriss en un instant, plus de 70000 habitants meurent sur le coup, des vents frisant les 800 km/h balayent la ville, que des incendies finissent par dvaster. Bien-

    venue dans lre nuclaire. Qui, avec la Shoah, a chang pour toujours le rap-port de lhumanit la paix et la mort.

    Une re o lhumain est devenu capable de provoquer seul son extermi-nation. Cest ce que le penseur autrichien Gnther Anders a appel Lobsolescence de lhomme dans son livre du mme nom , note Michel Cibot, dlgu gnral de lAssociation franaise des communes, dpartements et rgions pour la paix (AFCDRP), une manation de Mayors for peace. Cette structure mondiale, cre en 1982 linitiative du maire dHiroshima de lpoque, Takeshi Araki, sest fix pour objectif de bannir les armes nuclaires.

    Le monde na toujours pas atteint cet objectif, soixante-cinq ans aprs lAppel

    de Stockholm, cinquante-deux ans aprs la cration, par Claude Bourdet et Jean Rostand, du Mouvement contre larme atomique (MCAA). Les tats-Unis ont sign du bout des doigts le trait de non-prolifration nuclaire (TNP). Quant lInde, au Pakistan et Isral, trois pays pourtant dots de la bombe (mme si ltat hbreu na jamais reconnu la possder), ils ne lont jamais ratifi. Et lIran vient tout juste daccder la tech-nologie nuclaire. Le TNP contient par ailleurs des clauses si sibyllines quil en devient tout fait acceptable pour des pays comme la Russie, peu encline une discipline pacifiste avec ses 20000 ttes nuclaires (contre 10 000 pour les tats-Unis et un peu plus de 300 pour la France).

    COMMMORATION. Le 6 aot 1945, le meurtre instantan de dizaines de milliers de personnes marquait le dbut de lre nuclaire. O en est-on de lcriture de cette histoire? Quel combat livrent les militants de la paix?

    Lveil des consciences

    Hiroshima-Nagasaki Il y a 70 ans le feu nuclaire sabattait sur ces deux villes Entretien avec lhistorienne Maya Todeschini Le tourisme mmoriel au JaponDOSSIER RALIS PAR ALEXANDRE MENDEL

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    La ville dHiroshima a t entirement reconstruite autour de lhypocentre de la bombe, au bord de la rivire Ota

  • 9DossierRFORME NO 3619 23 JUILLET 2015

    Cest du ct des militants associatifs quil faut chercher cette volont de dve-lopper une culture de la paix. Au premier rang desquels on trouve donc ceux du rseau Mayors for peace. Le concept nest pas de se tourner vers les tats mais vers les collectivits locales afin de sensibili-ser les populations. En France, observe Michel Cibot, crateur de lAFCDRP en 1997, cette culture a mis du temps percer. Le militant pour le dsarmement a long-temps t vu comme un mec sympa mais assez original Bref, les lus vous faisaient comprendre, dans les annes 1960, quils avaient mieux faire.

    Quand ces derniers ne rtropdalaient pas, de peur de passer pour daffreux pacifistes. Tel fut le cas de Georges Frche, le dfunt maire de Montpellier. Osamu Kuroi, directeur de lInstitut japonais de la culture et de la communication de Montpellier et reprsentant en Europe de la prfecture de Hyogo, se souvient avec amertume de la commmoration des 50 ans de la tragdie.

    Des villes mobilises On voulait organiser une exposition

    photos sur les effets de la bombe Hiro-shima. Le maire a accept de parrainer lvnement. Puis, une association dan-ciens combattants a protest comme sil sagissait dun hommage au Japon de la Seconde Guerre mondiale ! Frche a recul Nous avons d dtruire les cen-taines de cartons dinvitation mentionnant la mairie, relate ce francophile, install dans lHexagone depuis trente-cinq ans, et qui, quand il avait 10 ans, navait pas pu dormir et manger pendant deux jours aprs avoir visit Hiroshima.

    Cette anecdote ne mtonne pas, admet Michel Cibot. Mais on est pass ainsi de 10 villes nos dbuts 150 aujourdhui et trois Rgions, dont Centre, Basse-Normandie et Ile-de-France qui se sont engages dans notre rseau. Les petites communes comprennent la dmarche. Il y a beaucoup de maires intelligents qui saisissent trs vite lintrt de cette action. On leur parle de limpact sur le patrimoine historique de leur ville si une bombe venait tre lche... Il faut tre trs concret, ne pas en faire uniquement un problme cologique. Les plus grandes villes fran-aises membres de ce rseau sont Dijon, La Rochelle et Tours. Les mairies de gauche, qui constituent 80 % du rseau, sont surreprsentes. Bertrand Delano, un temps sduit, navait pas donn suite. Anne Hidalgo devrait franchir le pas.

    Aux cts du dlgu gnral de lAFC-DRP, son pouse Miho Shima est une des rares ambassadrices de la paix pour la ville dHiroshima (la huitime dans le monde aprs Yoko Ono). Elle est ga-lement envoye spciale de Nagasaki. Surtout, Miho Shima a fond en France

    lInstitut Hiroshima Nagasaki (IHN), en 1982. Je suis ne Shizuoka. Le 1ermars 1954, des dizaines de pcheurs de ma rgion qui naviguaient dans locan Paci-fique ont t victimes des cendres radioac-tives dune bombe hydrogne mille fois plus puissante que celle dHiroshima, lors dun essai sur latoll de Bikini. Miho Shima navait que 5 ans. Mais les cons-quences lont marque: le Japon daprs-guerre commenait ptitionner, tenir des confrences contre larme nuclaire et manifester, sans honte.Le rveil militant de Miho Shima a eu lieu en France, en 1980, alors quelle gar-

    dait des enfants : Ils jouaient la guerre avec un avion miniature. Lun deux a cri: Cette fois-ci, on balance la bombe atomique! Je me

    suis dit quil fallait faire quelque chose. Jeune mre de famille, elle se donne pour mission dinformer les petits Franais. Cest le moment o les Japonais ont com-menc, grce une campagne nationale, racheter au gouvernement amricain des archives indites sur Hiroshima et Naga-saki. Un film est mont, traduit en franais.

    Miho Shima le prsente en 1983 avec le Dr Shuntaro Hida, lun de premiers hiba-kusha (survivants de la bombe) venir en France, soit deux ans avant le scan-dale du Rainbow Warrior et en pleines manifestations contre le dploiement en Europe de missiles Pershing II et SS-20. La France, pays en faveur de la dissua-sion nuclaire, tait en retard...

    Aprs avoir publi plusieurs livres, son coup de gnie est de lancer un dessin anim, LOiseau bonheur, une poque o les enfants du monde entier regardaient des productions japonaises. Le film, inspir dune histoire vraie, raconte le destin tragique de Sadako, une fillette de douze ans, morte de leucmie, Hiro-shima, dix ans aprs le bombardement. LOiseau bonheur a t prsent en 1995, alors que la France reprenait ses essais nuclaires. Vu par des millions denfants travers le monde, il a mme t traduit en hindi. NHK international la converti en mission de radio dans 24 langues.

    Et pourtant, je ne suis pas sre que les mentalits aient tant progress. Aux tats-Unis, il y a toujours beaucoup de gens pour dfendre la ncessit de la bombe. Le premier dentre eux tait Paul Tibbets, le pilote dEnola Gay, mort en 2008. En 1976, il avait rejou la scne du largage loccasion dune parade arienne au Texas, avec fumigne en forme de champignon : un des rares moments o les tats-Unis ont prsent leurs excuses au Japon. Des regrets pour la fausse bombe mais pas pour la vraie.

    Les historiens amricains continuent majoritairement dfendre la destruc-tion dHiroshima mais commencent sinterroger sur lutilit du bombarde-ment sur Nagasaki. La reconnaissance sans fard de ce pass douloureux servira lavenir. ALEXANDRE MENDEL

    Comment les habitants se sont-ils rendu compte quils venaient dtre atteints par une arme jusquici inima-ginable ?Il ny a pas eu de bombardiers en esca-drille, pas de sirne. Un seul avion est arriv, de nulle part. La bombe a t lar-gue par parachute. Certains pensaient mme quil allait sagir de nourriture ou de tracts. Beaucoup de ceux qui regar-daient le ciel ce moment-l ont perdu la vue ou ont t affreusement brls au visage. Il a fallu du temps pour quils fassent le lien entre ce quils avaient vu et ce qui stait pass au sol. Des gens se sont retrouvs nus, jects de leur mai-son. Les blessures aussi taient incon-nues, surtout celles dues aux radiations.

    Comment ont ragi les secours ?Une soixantaine de villes avaient t vises par des raids. Dont Tokyo, en mai 1945, par un bombardement qui avait caus la mort de 100 000 per-sonnes. Hiroshima ntait donc pas un cas prioritaire. La contamination par les radiations a en outre beaucoup ralenti larrive des secours. Il a fallu attendre larrive dtrangers, comme le mdecin suisse Marcel Junod qui fut le premier venir en aot avec des mdicaments. Jusqualors, on mettait de lhuile pour apaiser les brlures. Seuls les scienti-fiques ont tout de suite compris. Jai lexemple en tte dun ingnieur qui a fait partir sa fille pour fuir les radiations.

    Les survivants ont longtemps t considrs comme impursAu Japon, la notion de puret est trs forte. Les shintostes pratiquent des rituels de purification pour se dbar-rasser de la souillure devant les dieux. La radioactivit tait une nouvelle forme de souillure, qui plus est indlbile. Dans les semaines suivant les explo-sions, les gens pensaient quon pouvait se dbarrasser des contaminations en mangeant par exemple de la houttuynia cordata, une herbe laxative.

    Ces deux bombardements ont-ils eu une incidence sur la cration artis-tique ?Oui. Les victimes elles-mmes ont pro-duit une cration littraire trs abon-dante, avec un genre en soi : le Genbaku bungaku (la littrature de la bombe ), qui va du tmoignage trs simple au roman, du documentaire la fiction. La rflexion artistique a t trs fertile. Dans le dessin, avec Les Panneaux dHiroshima du couple Toshi et Iri Maruki. Au cinma

    avec Pluie noire de Shohei Imamura, trs connu en Occident. Noublions pas non plus Godzilla, film des annes 1950, sorte de mtaphore de la peur de la bombe. Car ce monstre est la fois une victime cre par les radiations et un agresseur qui veut dtruire le Japon.

    Les Japonais font-ils des parallles avec Fukushima ?Les survivants lont tout de suite fait. Je pense une crivaine, Hayashi Kyoko, selon qui latome nest pas compatible avec lhumain. Un courant de lopinion publique va dans ce sens-l. Et pour-tant les gens sont rests passifs sur le dveloppement de lindustrie nuclaire. Il ny a jamais eu de volont commune chez ceux quon appelle les allergiques au nuclaire. Et puis existe une thorie assez souterraine, au Japon : si le pays veut garder ses centrales, cest aussi pour signifier ses voisins que ltat peut fabriquer une bombe en trois jours.

    Lopinion publique attend-elle tou-jours des excuses des tats-Unis ?Pour une majorit de la population, per-dure le crime contre lhumanit. Des avocats ont voulu intenter un procs sur cette base. Mais les Japonais sont aussi conscients quils nont pas tout fait accompli leur travail de mmoire, cest--dire quils doivent, eux aussi, sexcuser. Les victimes avec qui jai parl sont assez ralistes : tant quon na pas fait ce quil faut vis--vis des femmes de rconfort en Core ou des victimes du massacre de Nankin, on ne peut sat-tendre ce que Hiroshima ait vraiment une place dans la mmoire mondiale.

    Y a-t-il, au Japon, une mmoire col-lective de lvnement comme il en existe une pour la Shoah ?On note des ressemblances : certes la volont nest pas gnocidaire mais il y a une ngation de ltre humain, une distance entre le bourreau et la victime, et lutilisation dune technologie. Comme ceux de lHolocauste, des survivants de la bombe viennent dans les coles pour tmoigner devant la jeune gnration. Ils sont presque devenus des conteurs. La moyenne dge des 200 000 survivants enregistrs est de plus de 80 ans. Il reste la seconde gnration, celle atteinte de malformations gntiques rpertories galement parmi les hibakushas (littra-lement : affects par la bombe). On ne comptera bientt plus de tmoins directs.

    PROPOS RECUEILLIS PAR A. M.

    ENTRETIEN. Maya Todeschini est enseignante luniversit de Genve. Cette historienne, diplme de Harvard, raconte le largage de la bombe, lhorreur qui en a dcoul dabord, limpact artistique ensuite.

    Une ngation totale de ltre humain

    LIRE

    Hiroshima, 50 ans.Japon-Amrique: mmoires au nuclaire Maya Todeschini d. Autrement, 1995.

    Le militant pour le dsarmement a longtemps t vu comme un mec sympa mais assez original

  • 10 Dossier RFORME NO 3619 23 JUILLET 2015

    TOURISME. Ranon de la tragdie nuclaire, Hiroshima et Nagasaki se sont mues en lieux de la mmoire.

    Villes mmoriellesFrachement dbarque du Shin-kansen, le train grande vitesse japonais, une famille amri-caine pose devant le Dme de

    Genbaku. Le mari fait quelques essais de flash, ajuste sa focale, met en marche le retardateur et court rejoindre les siens devant lunique btiment (construit en 1915 dans le cadre de lexposition industrielle du dpartement dHiro-shima), ayant rsist au bombardement atomique.

    Tes sr que cest l quils ont lch la bombe ? , ose demander, soucieuse dauthenticit, son pouse.

    Bienvenue au must-do touristique dHiroshima. Bienvenue dans ce haut lieu du tourisme mmoriel, au pied de cette ruine garde par un vigile et ins-crite au patrimoine mondial de lhuma-nit. quelques pas du Mmorial de la paix (class attraction no 1 de cette prfecture japonaise par le site Tripadvi-sor), des restaurants servent, au bord du paisible fleuve Ota, des hutres locales presque aussi grosses quune main et quon dguste, mme la coquille, gril-les et arroses de soja.

    MazdaLa ville de Mazda, gant de lindus-

    trie nippone, est entirement neuve. Les rues se coupent angle droit, les immeubles sont de bton. Comme le chteau, ras, puis entirement recons-truit, qui tmoigne, de faon un peu toc,

    de ce qui architecturalement pouvait constituer lHiroshima davant-guerre. Les tablissements de lhtellerie am-ricaine ctoient les McDonalds et les quelques rares izakayas, sortes de petits bars typiquement japonais, ne sont plus en bois depuis soixante-dix ans.

    la diffrence de Tokyo pourtant dtruite 70 % par des raids ariens, tout

    Hiroshima a t pens, structur autour du Mmorial de la paix, construit lui-mme au plus prs de lhypocentre. Dail-leurs, la capitale japonaise na aucun monument consacr au raid arien de mai 1945 qui fit pourtant 100000 morts, note Michael Lucken, direc-teur du Centre dtudes japonaises lInstitut national des langues et civilisa-

    tions orientales (Inalco). Comme si, des cendres nuclaires dHiroshima, avait merg une ville tourne vers le souve-nir, les commmorations auxquelles, chaque anne, assistent en grand nombre les trangers , insiste Maya Todeschini, de luniversit de Genve.

    quelque 400 kilomtres plus au sud, sur lle de Kyushu, Nagasaki ferait presque oublier son pass tout aussi tragique. Dabord, la topographie de la ville (elle est moins enserre par les collines environnantes quHiroshima) la davantage pargne.

    Nagasaki, loublieLa bombe na dailleurs pas t tout

    fait lche Nagasaki mais Ura-kami, quelques kilomtres de l, o se trouve un autre Mmorial de la paix avec un muse possdant quasiment la mme historiographie qu Hiroshima. On pourrait visiter Nagasaki sans voir en elle une autre victime dun bombar-dement effroyable.

    La ville la plus chrtienne du Japon est peut-tre davantage connue pour son clbre site de Glover Garden qui inspira Puccini son opra, Madame Butterfly Nagasaki passe au deu-xime plan, elle est un peu oublie et, de ce fait, a peut-tre pu garder une mmoire plus authentique , observe Maya Todeschini.

    Toujours sur Tripadvisor, une touriste qui sapprte visiter Tokyo, sinterroge :

    Est-il possible de visiter la zone dexclusion de Fukushima ?

    Deux posts plus hauts, elle demandait comment les coupons de rduction fonctionnaient au Japon.

    La touristification des catastrophes ne va pas sarrter.

    ALEXANDRE MENDEL

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    Chaque jour, de nombreux groupes scolaires japonais viennent rendre hommage aux victimes de Nagasaki

    Au Japon, lcriture de la mmoire des deux bombar-dements atomiques nest pas aussi monolithique et pacifiste que lOccident voudrait le croire. On ne peut pas gnraliser, entre le Japonais dHokkaido et celui dHiro-shima videmment plus concern par la bombe A , rappelle, comme une certitude, Michael Lucken, japonologue lInstitut national de langues et civilisations orientales (Inalco).

    Longtemps, les Japonais ont adopt la thse unique inverse de celle des Amricains selon laquelle lempire du Soleil-Levant, bout de forces, puis dans sa chair et dans ses armes, court de ptrole pour sa marine et son avia-tion, allait scrouler sous peu et que, donc, lusage de la bombe ato-

    mique ne trouvait aucune espce de justification, sinon celle dviter que lURSS nenvahisse larchipel.

    Telle tait lhistoriographie pro-duite par un Japon galement sou-cieux de se poser en victime et donc de gommer son rle dagresseur. Pur opportunisme et Realpolitik nippons.

    Jeu troubleHirohito a dailleurs fait preuve dun

    grand attentisme sur la question : Lempereur sen est clairement servi. Dabord, parce quil tait confront des gnraux jusquau-boutistes allergiques lide dune capitula-tion. Ensuite, parce que, dune certaine manire, ces deux bombardements ont servi les intrts du monarque, en montrant son peuple quil tait soucieux de sa condition. Lempe-

    reur (alors dessence divine) sest donc mu en tre humain, a confort son aura et a sauv son trne . Pas tonnant quaprs la guerre, Hiro-hito ait tenu visiter les villes bom-bardes, lui qui, jusqualors, restait intouchable, loin de son peuple, dans son palais fortifi de Tokyo.

    Et puis, ce rle de victime per-met aux Japonais de pratiquer un jeu trouble. lgard de ceux quils ont agresss, comme la Core ou la Chine, et envers qui ils ne recon-naissent qu demi-mot leurs crimes de guerre, mais aussi lgard des Amricains , poursuit Michael Luc-ken. Aussi, explique ce chercheur, le Japon a adopt le mme prtexte que les Amricains sur la bombe ato-mique quand il voquait les crimes commis en Chine en 1937 et 1938: On massacre, en tapant tout de

    suite un grand coup, car a rduira nos pertes. Et puis, a permettra de tester de nouvelles armes, celles bac-triologiques en ce qui concerne le Japon . Les bombes lavant le pass de larme impriale

    Quant la position des tats-Unis sur ces deux bombardements, elle na jamais vari : ils ont servi prcipiter la fin de la guerre et pargner des dizaines, voire des centaines de milliers de vies de soldats amricains. Cette historio-graphie-l nest pas prs de chan-ger. Aucun prsident ou secrtaire dtat amricain na assist aux commmorations du 6 ou du 9 aot, Hiroshima ou Nagasaki. Depuis peu, lambassadeur des tats-Unis au Japon y parat. Sans prsenter dexcuses.

    Au Japon, soixante-dix ans aprs

    la tragdie, le tabou atomique sest fissur. En 2006, un sondage du quotidien Yomiuri Shimbun mon-trait que 20 % des Japonais taient en faveur de la construction dune bombe nuclaire ou de son stockage par les Amricains sur son territoire. Sur cette question, la mentalit japo-naise est assez proche de celles quon retrouve dans les grandes puissances militaires occidentales , remarque Maya Todeschini, enseignante luniversit de Genve.

    Quant au Premier ministre actuel, Shinzo Abe, ardent partisan du nuclaire civil, il milite pour faire de la force dautodfense japonaise une arme rgulire, capable de prendre linitiative dune attaque. Cest dire si les colombes volent dans le vide Hiroshima Nagasaki.

    A. M.

    POLITIQUE. Et si le Japon avait tir parti des deux bombardements, notamment au regard de sa propre histoire ? Cette thse na rien de saugrenu.

    Une victimisation parfois opportuniste