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LE MONDE DE LA BIBLE histoire - art - archéologie MOÏSE L’histoire et la légende LES GRANDES FIGURES

histoire art archéologie DE La bibLE · LE MONDE DE La bibLE histoire -art -archéologie MOÏSE L’histoire LES GRANDES FIGURES et la légende

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LE MONDE DE La bibLEhistoire - art - archéologie

MOÏSEL’histoire et la légende

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Édité par BAYARD PRESSE S. A., Société anonyme à Directoire et Conseil de Surveillance. 18, rue Barbès, 92128 Montrouge Cedex.Téléphone : 01 74 31 60 60. Fax : 01 74 31 60 61.

Directeur de Bayard Presse : Georges Sanerot, président du directoire.Directeur : Jean-Marie Montel. Directrice des rédactions : Anne Ponce. Rédacteur en chef : Benoît de Sagazan. Maquettiste : Laurent Sangpo. Secrétaire de rédaction unique : Hélène Roquejoffre. Directrice marketing éditeur : Christine Auberger. Directrice marketing audience : Guylaine Colineaux. ISBN : 9782909820286

Œuvre protégée par le droit d’auteur. Toute reproduction ou diffusion au profit d’un tiers de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par l’article L 335-2 et suivant du Code de la propriété intellectuelle.

En couverture : Moïse de Michel-Ange, 1513-1515. Rome, église San Pietro in Vincoli. © Jemolo/Leemage

Certains articles de ce livre numérique ont déjà été publiés dans Le Monde de la Bible (dont les numéros sont épuisés).

Sommaire

Introduction

À l’origine d’Israël, Abraham ou Moïse ? par Thomas Römer

Médiateur par excellence par Thomas Römer

L’iconoclasme comme théologie politique par Jan Assmann

Qui a écrit la Loi de Moïse ? par Guy Vanhoomissen

La « ténèbre lumineuse » du Sinaï par Françoise Jeanlin

Introduction

Moïse, médiateur et fondateur

Ce livre numérique rassemble des articles de chercheurs renommés autour de la figure de Moïse, personnage passionnant à découvrir et figure fondamentale du ju-daïsme, et l’on peut dire aussi du christianisme…

Avec Abraham, ancêtre des croyants, Moïse, médiateur de l’Alliance avec Yahvé, est l’une des deux figures tutélaires du judaïsme. Contrairement à Abraham, dont les rédacteurs de la Bible nous informent de la généalogie, on ne sait quasiment rien des parents de « l’enfant sauvé des eaux ». Thomas Römer, professeur au Collège de France, nous apprend que l’anonymat de sa parenté n’empêcha pas de le faire appa-raître d’emblée comme une figure royale. Un roi pour un peuple exilé sans État. Un passeur et médiateur, auteur d’un nouveau traité entre le dieu d’Israël et son peuple. Dans cette alliance s’est construite l’identité d’Israël dont le fondateur mythique reste Moïse. À l’heure de l’exil babylonien (597-539 av. J.-C.) les déportés juifs ont trouvé une grande part de leur identité dans le récit de l’exode et le retour à la Terre promise, et dans l’adoption de règles de vie conformes à la volonté divine.

Les chrétiens ont retenu également Moïse comme l’une des figures spirituelles primordiales : le premier qui a vu Dieu – d’où les cornes que lui ont régulièrement affublées les artistes –, le passeur, annonciateur d’autres alliances, le libérateur, le mystique en chemin vers Dieu.

À la suite des articles sont proposées des vidéos complémentaires dont la très inté-ressante conférence inaugurale du professeur Römer au Collège de France sur « Les cornes de Moïse »… ●

Bonne lecture !

Benoît de Sagazan, rédacteur en chef

À l’origine d’Israël, Abraham ou Moïse ?

Thomas RömerProfesseur de la chaire « milieux bibliques » au Collège de France

Moïse et le buisson ardent, par Dirk Bouts (1410-1475). © commons-wikimedia.org

À l’origine, les histoires d’Abraham et de Moïse étaient indépendantes l’une avec l’autre. En réunissant dans un même récit le grand ancêtre

et le médiateur de l’Alliance avec Yahwé, les rédacteurs bibliques donnaient les clés de l’identité juive, durement ébranlée

par l’Exil à Babylone. D’où viennent ces deux traditions ? Quelle unité nationale cherchaient-elles à mettre en œuvre ?

Si on lit le Pentateuque – les cinq premiers livres de la Bible – d’un seul trait, on y découvre une grande narration qui se caractérise par la succession de différentes époques : les origines du monde et de l’humanité (Genèse 1-11), le temps des pa-triarches Abraham, Isaac, Jacob et Joseph (Gn 12-50) et la grande histoire de la sortie d’Égypte, de la révélation au Sinaï et du séjour dans le désert (Exode-Deutéronome). Celle-ci se présente en quelque sorte comme une biographie de Moïse puisqu’elle commence avec l’histoire de sa naissance (Ex 2) et se termine par le récit de sa mort (Dt 34). À première vue, l’histoire d’Abraham et des patriarches apparaît comme un prologue au grand récit de Moïse et de la sortie d’Égypte. À y regarder de près le lecteur attentif se rend compte que l’histoire d’Abraham et celle de Moïse n’ont pas toujours fait partie d’une même narration. Dans un premier temps, l’histoire d’Abra-ham peut facilement se lire pour elle-même, elle ne prépare pas nécessairement à une suite, comme le montre sa délimitation par les notices sur la naissance et la mort du patriarche (Gn 11, 26-27 ; 25,7-10). En outre, la compréhension de l’épopée de Moïse ne nécessite pas la connaissance préalable de l’histoire patriarcale. Les quelques allu-sions à Abraham, Isaac et Jacob qui s’y trouvent ont été ajoutées tardivement par des rédacteurs voulant souligner le lien entre les deux histoires. L’histoire de l’exode et de Moïse peut se lire sans connaissance préalable. Par ailleurs se trouve dans la Bible hébraïque, un certain nombre de « résumés historiques » qui parlent de l’exode sans faire le lien avec la tradition patriarcale. Ainsi, le Psaume 136 passe directement du rappel des œuvres du Dieu créateur à l’épopée de l’exode sans mention des patriarches ; de même, le rappel de l’histoire d’Israël au chapitre 20 d’Ézéchiel commence directe-ment avec la révélation de Yahvé à son peuple en Égypte.

Nous pouvons donc affirmer que les deux histoires d’Abraham et de Moïse furent à l’origine deux histoires indépendantes sans lien l’une avec l’autre. Abraham et Moïse sont sans doute les plus importants des personnages humains de la Torah. Tous deux participent à la construction de l’identité juive, mais chacun d’une manière différente. Abraham est clairement un ancêtre, comme le montre déjà l’intrigue de Gn 12-25 qui tourne autour de la question de la descendance. Le livre de la Genèse dans sa plus grande partie (à part l’histoire de Joseph) est parcouru par des généalogies. On y trouve fréquemment le titre : « Voici les toledot » (« les engendrements ») qui souligne égale-ment l’importance de la succession des générations. Dans le livre de l’Exode, nulle trace d’un tel intérêt généalogique. Contrairement à Abraham, Moïse n’est pas un ancêtre. Il

a certes un ou deux fils – il semble y avoir des traditions différentes à ce sujet –, mais ces fils ne jouent aucun rôle dans la suite de l’histoire. La Bible ne raconte pas ce qu’ils deviennent. Le successeur de Moïse n’est pas un de ces fils, mais Josué, dont on précise à chaque mention de son nom qu’il est « fils de Noun » et non pas de Moïse. Et lorsque Dieu, suite aux transgressions d’Israël, veut à deux reprises faire de Moïse l’ancêtre d’un nouveau peuple (Ex 32,10 : « Je vais les supprimer et faire de toi une grande nation » ; Nb 14,12 : « Je vais le priver de son héritage et de toi je ferai un peuple plus grand et plus puissant que lui »), Moïse s’oppose à ce plan et convainc Dieu de donner à son peuple une nouvelle chance. Moïse est ici un intercesseur, celui qui plaide la cause d’Israël face à Yahvé. Cette fonction rejoint celle de médiateur qui résume le mieux le rôle de Moïse dans la Torah. C’est grâce à Moïse qu’Israël a connaissance des lois que Dieu révèle à Israël pour lui permettre de vivre en tant que peuple de Yahvé.

Moïse, le médiateur, et Abraham, l’ancêtre : ces figures représentent deux manières différentes de construire une identité. Que pouvons nous dire sur les origines de ces personnages ?

Abraham et MoïseIl n’existe pas de consensus parmi les spécialistes sur la question de l’origine des

traditions abrahamiques. Cependant, il est possible d’affirmer que ces traditions ont été transmises autour du sanctuaire de Mamré à proximité d’Hébron. Sans doute y venait-on pour vénérer l’ancêtre autour de son tombeau. Abraham constitue à l’origine très probablement une figure autochtone, comme le montre aussi le texte d’Isaïe 51,1-2 où Abraham est comparé à un rocher enraciné dans les pays. De l’avis quasi unanime des exégètes, les quelques textes qui présentent la famille d’Abraham comme origi-naire de la Mésopotamie (Gn 11,27-12,9 ; Gn 15,7 ; Gn 24) sont, de l’avis quasi una-nime des exégètes, des réinterprétations tardives. Abraham apparaît d’emblée comme un ancêtre pacifique et « œcuménique ». Lorsque Yahvé promet et donne le pays à Abraham et à sa descendance ce don n’implique nullement l’expulsion des autres peuples habitant dans le pays. Et lorsque surgit un conflit territorial (comme c’est le cas en Gn 13 qui relate la séparation d’Abraham et de Lot), ce conflit est résolu d’une manière pacifique par la négociation. La descendance d’Abraham englobe en outre d’autres peuples, comme le montre d’abord le récit de la naissance d’Ismaël (Gn 16)

dont l’origine se trouve probablement à l’époque assyrienne. C’est à cette période en effet qu’est attestée une confédération de tribus arabes appelée Shoumou’il (ce qui correspond au nom d’Ismaël) ; le fait que Sarah, stérile, veuille se faire remplacer par sa servante Hagar, correspond également à une coutume connue dans des contrats de mariage néo-assyriens. Le récit de la naissance d’Ismaël signale la grande estime dans laquelle est tenu l’ancêtre des tribus arabes, puisque l’ange de Yahvé intervient en faveur de Hagar et lui promet une descendance aussi innombrable que celle promise à Abraham. L’explication du nom d’Ismaël « que El écoute » est également étonnante. Le messager divin dit à Hagar : « Tu lui donneras le nom d’Ismaël, car Yahvé a entendu ta détresse » (16,11). Ce verset affirme que Yahvé n’est pas seulement le dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, mais également le dieu de Hagar, d’Ismaël et des tribus arabes voi-sines d’Israël. La même idée se trouve en Gn 25 avec une notice sur la descendance d’Abraham provenant de sa femme Qetoura. Le nom de Qetoura signifie « encens », et les enfants qu’elle donne à Abraham sont les ancêtres des tribus installées aux abords de la route de l’encens.

On pense souvent, et avec raison, que les discours identitaires qui se construisent sur la généalogie et la descendance visent l’exclusion des autres (« La France aux Fran-çais »). L’identité généalogique construite sur la figure d’Abraham tend en revanche à l’intégration des autres, puisque le patriarche est à l’origine de nombreuses tribus « non-israélites » dont les auteurs de Gn 12-25 se sentent très proches. Ainsi, la figure d’Abraham permet la construction d’une identité ouverte, en lien avec des groupes voisins.

Moïse, médiateur à la place du roiContrairement à Abraham, dont on précise aussitôt l’identité de ses aïeuls

(Gn 11,22-26), le récit de la naissance de Moïse (Ex 2,1-10) ne donne pas le nom de ses parents. Le père disparaît même du récit immédiatement après qu’il a engendré son fils. L’absence des noms des parents (qu’un rédacteur postérieur a voulu combler par l’ajout du passage Ex 6,18-20) souligne d’entrée de jeu que l’importance de Moïse n’est pas liée à des généalogies. Moïse apparaît en revanche d’emblée comme une figure royale. Sa naissance est relatée de la même manière que celle du roi mythique Sargon fondateur de l’Empire assyrien (lire l’encadré).

L’histoire de Moïse, qui fut mise par écrit pour la première fois à l’époque de la domination assyrienne (VIIIe-VIIe siècle av. J.-C.), se comprend dès lors comme une contestation de la puissance assyrienne à laquelle les scribes judéens opposent un Moïse dont ils racontent des choses aussi prestigieuses que les Assyriens sur leurs rois fondateurs. C’est surtout après la destruction de Jérusalem et la fin de la monarchie judéenne en 587 av. J.-C. que les représentations royales de Moïse se trouvent ren-forcées. Dans le Proche-Orient ancien, c’est le roi qui est chargé par les dieux de transmettre la loi et de veiller à son respect. En l’absence des structures étatiques c’est Moïse qui reprend les fonctions du roi. L’histoire de la révélation divine au Sinaï (Ex 19-24) explique que toutes les lois, à part peut-être des dix commandements, sont communiquées au peuple par l’intermédiaire de Moïse. C’est encore Moïse qui, comme jadis le roi Josias (2 R 23), conclut une alliance, un traité entre le dieu d’Israël et son peuple. L’appartenance au « peuple de l’alliance » n’est pas une question de descendance et de généalogie ; l’importance réside dans l’acceptation et la mise en pratique des termes du traité. Ici, l’identité se construit autour d’une « constitution » commune dont le fondateur mythique est Moïse.

Droit à la terre, droit au retourL’exil babylonien (597-539 av. J.-C.) conduira à des tensions entre les déportés et

ceux restés au pays qui revendiquent la possession du pays en s’identifiant aux des-cendants du patriarche Abraham comme le montre ce passage du livre d’Ézéchiel qui

Le roi légendaire Sargon

Le roi Sargon, dont on situe le règne vers la fin du IIIe millénaire, était considéré par les Assyriens comme le premier de leurs rois. Le récit de la naissance de Moïse s’inspire de textes relatant la naissance de Sargon. Tous deux naissent hors mariage et ne connaissent pas leur père. Comme Sargon, Moïse est confié à un fleuve, il est également adopté, non par un dieu mais par la fille du pharaon qui l’introduit à la cour royale. En transpo-sant la légende de Sargon, les scribes de Josias font de Moïse l’égal du plus puissant des rois mésopotamiens.

cite une argumentation des Judéens : « Abraham était seul et il a possédé le pays, nous qui sommes nombreux, c’est à nous que le pays est donné en possession » (Ez 33,24). Ce texte montre qu’Abraham sert de figure d’identification à la population restée en Palestine, qui, contre les exilés à Babylone, demande leur appartenance à « Israël » et leur droit à la terre. Une partie de l’élite déportée trouve son identité dans le récit de l’exode et le fondement de l’alliance par Moïse dont les clauses contiennent des pres-criptions pour une vie conforme à la volonté divine.

Abraham et Moïse réconciliésDurant l’époque babylonienne les deux modèles identitaires, généalogique et exo-

dique, se trouvent en opposition. Ce sont les rédacteurs issus du clergé qui, au début de l’époque perse (539-333 av. J.-C.), au moment de la reconstruction du Temple de Jérusalem, tentent d’harmoniser la tradition d’Abraham et des patriarches avec la tradition de Moïse et de l’exode. Pour les prêtres, l’identité généalogique est impor-tante : pour faire partie des sacrificateurs de Yahvé en effet, il faut être de la tribu de Lévi et pouvoir s’inscrire dans la généalogie des descendants d’Aaron, l’ancêtre de la classe sacerdotale. En même temps cependant, les prêtres partagent l’idée selon laquelle Yahvé s’est révélé à Moïse et à son peuple au moment de la sortie d’Égypte. Afin d’articuler les récits patriarcaux et l’épopée de l’exode, les rédacteurs sacerdotaux inventent l’idée d’une succession d’époques dans la révélation divine. Ceci apparaît de façon particulièrement clair dans la version sacerdotale de la vocation de Moïse qui se trouve au chapitre 6 du livre de l’Exode :

« Dieu adressa la parole à Moïse. Il lui dit : “C’est moi Yahvé. Je suis apparu à Abra-ham, à Isaac et à Jacob comme El Shadday [dieu Puissant], mais sous mon nom, Yahvé, je ne me suis pas fait connaître d’eux […]. »

Ainsi la révélation de Yahvé a Abraham (en tant que El Shadday, voir Gn 17) apparaît comme un moment précurseur de la révélation du vrai nom à Moïse. Par ce procédé, Abraham et Moïse se trouvent réunis, les deux personnages symbolisant des interventions de Yahvé en faveur de son peuple mais aussi de bien d’autres groupes dont Abraham est également l’ancêtre.

Par la combinaison des deux figures d’Abraham et de Moïse, les rédacteurs sacer-dotaux ont réussi à donner à Israël une identité qui dit à la fois sa spécificité (Moïse) tout en rendant le peuple solidaire des autres groupes qu’il fréquente. La mise en

commun du modèle généalogique et du modèle « constitutionnel » n’a cependant pas gommé la spécificité de chacun d’entre eux. Pour la Torah, les deux modèles ne s’excluent pas mais sont appelés à cohabiter et à jouer en quelque sorte les garde-fous face aux dangers inhérents à tout discours identitaire : le modèle de l’alliance, dont Moïse est le médiateur, peut servir de correctif à une revendication identitaire basée sur la généalogie, qui postulerait comme seul critère d’appartenance à un groupe le lien du sang. De l’autre côté, un modèle généalogique qui insiste sur les liens de parenté avec d’autres groupes peut mettre en garde contre un discours identitaire ségrégationniste. Dans tous les cas, le Pentateuque n’évoque d’aucune manière une identité figée puisqu’il fait cohabiter Abraham et Moïse. ●

Médiateur par excellence

Thomas RömerProfesseur de la chaire « milieux bibliques » au Collège de France

Pharaon conjure Moïse de quitter l’Égypte, Exode (12,31). Gravure de Gustave Doré (1832-1883). © D. R.

Moïse est sans doute l’homme le plus important de la Bible hébraïque. Sans Moïse, il n’y aurait ni judaïsme, ni christianisme. Pour le judaïsme, Moïse est le médiateur

par excellence, celui par qui le peuple reçoit l’alliance et la Loi. Pour le christianisme, il préfigure Jésus-Christ,

que le Nouveau Testament dépeint souvent comme un nouveau Moïse, un nouveau médiateur. Et le Coran voit

en Moïse un précurseur de Mahomet.

Durant des siècles, la figure de Moïse n’a cessé d’intriguer et de fasciner savants et artistes de tous horizons. Le grand psychanalyste Sigmund Freud avait consacré ses dernières études à « l’homme Moïse ». Il voyait en Moïse un Égyptien, incompris et assassiné par le peuple hébreu, qui aurait été le véritable fondateur du judaïsme. « Moïse a créé le juif », écrit-il en 1934 dans une lettre. Simultanément, dans son livre consacré à Moïse, Freud affirme qu’« aucun historien ne peut tenir le récit biblique qui a trait à Moïse et à l’Exode pour autre chose qu’une fiction pieuse ». De cette manière, Freud met en évidence deux problématiques qui ont occupé les savants jusqu’à nos jours : la question de savoir comment Moïse est devenu le fondateur du judaïsme, et la quête difficile du Moïse historique. Avant de présenter ces problématiques, il convient de rappeler l’histoire biblique de Moïse.

Le Pentateuque, une biographie de MoïseÀ l’exception du livre de la Genèse qui relate, à la manière d’un prologue, les ori-

gines du monde (les récits de création et du déluge) et du peuple d’Israël (l’épopée des Patriarches), le reste du Pentateuque (les livres de l’Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome) coïncident avec la biographie de Moïse. Le début du livre de l’Exode relate sa naissance, alors que le livre du Deutéronome se conclut avec sa mort.

Déjà le récit de sa naissance (Ex 2) montre que Moïse possède une identité com-plexe. Exposé dans le Nil par sa mère (son père est curieusement absent du récit) par crainte que Pharaon ne le fasse tuer avec les autres nouveau-nés mâles du peuple hébreu, Moïse est sauvé des eaux par la fille du Pharaon qui l’adopte. Moïse appartient donc à la fois au peuple d’Israël et à la cour du roi d’Égypte.

La Bible ne nous relate rien de sa jeunesse. On le retrouve adulte ; il se sent, de manière confuse, solidaire du peuple hébreu. Il se rend compte des corvées que celui-ci doit endu-rer, et lorsqu’il voit un officier égyptien frapper un esclave hébreu, il intervient, tue l’Égyp-

tien et cache le cadavre ; mais le meurtre est rapidement connu. Le lendemain, lorsque Moïse veut s’interposer entre deux Hébreux qui se bagarrent, il se fait mal recevoir. Il est traité de meurtrier, et on lui reproche de vouloir devenir le chef des Israélites. Rejeté par ses frères pour lesquels il voulait s’engager, et recherché pour meurtre par Pharaon, Moïse n’a d’autre choix que de s’enfuir.

Il s’enfuit à Madian, dans une région située entre l’Égypte et Canaan, où il se marie à la fille d’un prêtre madianite et engendre un fils. La fuite de Moïse en Madian aurait pu signifier la fin de son histoire. Beaucoup de contes se terminent par l’installation du héros dans une vie de famille. Rien de tel pour Moïse. Maintenant, c’est Dieu lui-même qui va relancer l’histoire et faire de Moïse le libérateur du peuple hébreu opprimé par les corvées égyptiennes (Ex 3-4). Moïse, le berger du troupeau de son beau-père, devient, par l’appel de Dieu, le berger du peuple hébreu. Mais Moïse n’est guère enchanté de cette nouvelle mission. Retourner en Égypte pour libérer un peuple qui ne semble guère l’apprécier ? Il ne se sent pas en mesure d’accomplir une telle tâche. Dieu promet alors son assistance (« je serai avec toi »), mais Moïse objecte qu’il ne connaît même pas le nom du Dieu qui lui demande un tel engagement. Dieu répond alors (Ex 3,14) non pas par la révélation du nom, mais par une sorte de transcription de celui-ci : « Je serai qui je serai ». Cette transcription, qui constitue un jeu de mots avec le nom propre du Dieu d’Israël, Yahvé, rappelle également la promesse faite à Moïse : « Je serai avec toi ». Aux différents handicaps que Moïse objecte (l’incrédulité du peuple, sa propre faiblesse et son incapacité à prendre la parole), Dieu réagit non pas en niant les difficultés, mais en donnant à Moïse le moyen de les maîtriser. C’est ainsi qu’il lui envoie son frère Aaron, qui apparaît ici pour la première fois dans le récit biblique et qui devient son acolyte fidèle.

La première rencontre entre Moïse, Aaron et Pharaon se solde par un échec ; le roi d’Égypte refuse de reconnaître l’autorité du dieu d’Israël et augmente les corvées des Hé-breux. Réconforté par Yahvé, Moïse retourne affronter Pharaon ; leur confrontation, qui est rapportée dans l’histoire dite des « plaies » (Ex 7-9), démontre la supériorité du Dieu d’Israël sur Pharaon et sur les dieux d’Égypte et débouche sur la libération des Israélites. Encore en Égypte, Moïse fonde le rituel de la Pâque pour commémorer la libération de l’esclavage égyptien. Cette libération se concrétise dans le passage de la mer des Roseaux, devenue dans la traduction grecque « la mer Rouge ». Grâce à la médiation de Moïse, Dieu fraye à son peuple un passage à travers des eaux. Israël passe de la mort qui la guettait en Égypte à une nouvelle existence (Ex 13-14).

Cette nouvelle existence est scellée par une alliance entre Yahvé et Israël, alliance dont Moïse deviendra le médiateur. Dans le désert, Dieu fait de Moïse son représentant à l’aide duquel il protège le peuple contre la faim, la soif et les ennemis (Ex 15-17). Au mont Sinaï, Dieu se révèle au peuple dans la fumée et le feu et lui communique directement « les dix paroles », le Décalogue (Ex 19-20). Mais le peuple ne supporte pas cette proximité divine, et demande à Moïse de servir d’intermédiaire entre Yahvé et lui. Ainsi Moïse est-il établi dans ses fonctions principales : médiateur et législateur. En effet, toutes les collections de lois et les prescriptions qui se trouvent dans la Torah sont d’abord transmises à Moïse, qui les communique ensuite aux Israélites : le code de l’alliance (Ex 21-23), les prescriptions rituelles et sacerdotales (Lv 1-16), le code de sainteté (Lv 17-26) et le code deutérono-mique (Dt 12-26). Cette position particulière de Moïse se manifeste par le rayonnement de son visage. La traduction latine de la Bible a compris « cornu » au lieu de « rayonner » (les deux mots se ressemblent en hébreu), ce qui explique la représentation courante de Moïse avec des cornes.

Très vite, le peuple se révèle incapable de respecter les différentes clauses de l’alliance. Alors que le Décalogue avait interdit toute représentation de Dieu, le peuple construit un taureau (le veau d’or) pour symboliser le Dieu qui le fit sortir d’Égypte. Pris de colère, Moïse casse les tables de la loi que Dieu lui avait confiées. Alors que Dieu veut supprimer le peuple, Moïse intercède en sa faveur par une longue prière et permet ainsi, malgré un châtiment du peuple, le renouvellement de l’alliance (Ex 32-34). Dieu reste présent au-près d’Israël et cette présence est concrétisée par la construction d’un sanctuaire mobile dans le désert, sanctuaire dont Moïse devient l’architecte (Ex 25-31 ; 35-40).

Le temps du séjour dans le désert est marqué par des nombreuses révoltes du peuple contre Moïse et Dieu (Nb 11-21). Et continuellement, Moïse intercède pour le peuple, criant lui-même sa lassitude contre Yahvé. Durant ces révoltes, le peuple refuse de conqué-rir le pays promis et se propose de retourner en Égypte. Dieu décide alors que la génération de la sortie n’entrera pas dans le pays, mais mourra dans le désert, et Moïse lui-même doit partager ce destin. Alors que le peuple, après des conflits militaires, est arrivé dans le pays de Moab en face de la Terre promise, Moïse lui fait son discours d’adieu (Dt 1-30), rappe-lant les lois et les bienfaits divins ; puis il monte sur une montagne pour y mourir, et Dieu lui laisse entrevoir auparavant le pays dans lequel il n’entrera pas (Dt 34). La Torah s’achève ainsi par la mort de Moïse, laquelle est à la fois un accomplissement et une ouverture. C’est un accomplissement car, après Moïse, aucune nouvelle loi ne sera donnée à Israël, et c’est

une ouverture car le rappel final à Moïse, dans ce chapitre, des promesses faites par Dieu à son peuple engendre l’espérance.

La formation de l’histoire de MoïseLa vie de Moïse relatée dans le Pentateuque n’est pas un récit historique, mais le résul-

tat de la mise en commun de plusieurs interprétations du fondateur du peuple de Yahvé. Le lecteur attentif se rend vite compte que cette histoire n’a pas été écrite d’un seul trait. Ainsi, il est aisé d’observer que le récit de sa vocation (Ex 3,1-4,18) a été inséré après coup entre Ex 2,23 et 4,19. (Dans le contexte actuel, l’ordre divin de 4,19 enjoignant à Moïse de retourner en Égypte est redondant par rapport à 4,18. En revanche il est la suite logique de la notice sur la mort du Pharaon en 2,23). De plus, la vocation de Moïse est à nouveau relatée en Ex 6. Il est donc évident qu’il convient de distinguer plusieurs étapes dans la construction de la « vie de Moïse ». À quel moment peut-on alors situer sa première édition ?

De nombreux textes de la Bible hébraïque rappellent la sortie d’Égypte comme l’événe-ment constitutif de la foi d’Israël. Or, les sommaires les plus anciens mentionnent les évé-nements en Égypte et l’Exode sans faire allusion à Moïse : « Nous étions esclaves du Pha-raon en Égypte, mais d’une main forte le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte » (Dt 6,21 ; cf. Dt 26,7-8 ; Am 2,10 ; Ps 136). Dans ces textes, c’est Yahvé lui-même qui a guidé les Hébreux. C’est le livre d’Osée qui fait intervenir la figure d’un intermédiaire dans le rappel de la sortie d’Égypte. Dans un oracle datant au plus tôt de la fin du VIIIe siècle av. J.-C., il est question d’un prophète par lequel Dieu a libéré Israël (Os 12). Il est donc permis de penser que l’histoire de Moïse a été mise par écrit pour la première fois durant les VIIIe ou VIIe siècles, c’est-à-dire l’époque de la domination assyrienne. Cette hypo-thèse se confirme par le fait qu’il existe des influences assyriennes évidentes quant au début et à la fin de la vie de Moïse. On a depuis longtemps observé que le récit de la nais-sance de Moïse se calque sur la légende de Sargon d’Akkad (vers la fin du IIIe millénaire). Sargon y raconte sa naissance de la manière suivante : « Ma mère, la prêtresse, me conçut en secret, elle m’enfanta. Elle me mit dans une corbeille de roseau avec de l’asphalte, elle ferma le couvercle. Elle me jeta dans la rivière qui ne m’engloutit pas. Le fleuve me porta et m’emmena vers Akki […]. Il me plaça comme son jardinier. Durant mon jardinage, Ishtar m’aima. » Selon cette légende, Sargon, enfant illégitime, est sauvé par un Dieu qui en fait un roi (son jardinier) et adopté par une déesse. L’auteur biblique a repris ce récit,

dont les tablettes datent du VIIIe siècle av. J.-C., afin de montrer que Moïse est un per-sonnage aussi important que le fondateur des dynasties mésopotamiennes. Cette image royale de Moïse se reflète également dans son testament (Dt 1-30). Le Deutéronome reprend la structure et le vocabulaire des traités assyriens de vassalité à l’aide desquels le roi suzerain exigeait auprès de ses vassaux une allégeance absolue. Dans le Deutéro-nome, c’est Moïse qui occupe cette place, et qui exhorte Israël à ne servir que son Dieu. Il est donc facile de comprendre la construction de la première histoire de Moïse comme une réplique à la propagande assyrienne, écrite peut-être à la cour du roi Josias (vers 620).

Quelques décennies plus tard, après la destruction de Jérusalem par les Babyloniens (597-587) et la fin du royaume de Juda, l’histoire de Moïse est considérablement étoffée par deux groupes d’intellectuels : les prêtres et les anciens fonctionnaires de la cour royale. Les deux groupes se rejoignent, par-delà leurs divergences idéologiques, dans le souci de refonder l’identité du peuple de Yahvé, qui avait perdu sa cohésion institutionnelle et géo-graphique avec l’exil. C’est Moïse qui donnera au judaïsme naissant sa nouvelle identité ; il va ainsi occuper, en un sens, toutes les fonctions des anciennes institutions d’Israël et de Juda. Pour les prêtres, Moïse légitime la refondation du Temple et du culte sacrificiel (il fait construire le sanctuaire et transmet les rituels sacerdotaux), pour les scribes laïques, Moïse reprend des fonctions typiquement royales, comme celles du législateur (dans l’Orient an-cien, c’est le roi qui transmet les lois) et de l’intermédiaire entre Dieu et le peuple. Il devient également le premier prophète car les auteurs « deutéronomistes » (soit des auteurs qui s’inspirent de la théologie et du vocabulaire du Deutéronome) construisent sa vocation (Ex 3) en parallèle à celle de Jérémie (Jr 1) notamment (lire G. Vanhoomissen). Ainsi, toutes les grandes institutions religieuses et politiques se retrouvent en Moïse qui renvoie, quant à lui, à la Torah. La question est de savoir si les rédacteurs, qui ont édité le Pentateuque à l’époque perse, ont laissé de côté d’autres traditions sur Moïse. En effet, de telles traditions se trouvent chez des auteurs grecs et juifs de l’époque hellénistique, où Moïse apparaît entre autres comme un chef guerrier qui aurait conquis Jérusalem. S’il s’agit là d’une tra-dition ancienne, on peut comprendre pourquoi elle n’a pas été reprise dans le Pentateuque (encore que Moïse y préside à la conquête de la Transjordanie). Le fondement d’Israël ne réside plus dans la guerre, mais dans le don de la Loi, la Torah, et les derniers versets du Pentateuque marquent délibérément une coupure nette avec les livres qui suivent. « Il ne s’est jamais plus levé en Israël un prophète comme Moïse, lui que Yahvé a connu face à face » (Dt 34,10-12). La mort de Moïse correspond ainsi simultanément à la naissance de la Torah. Commence alors l’histoire du judaïsme en tant que religion de la Torah.

La quête du Moïse historiqueÀ l’instar de bien d’autres héros fondateurs, Moïse échappe à l’historien. Comme nous

l’avons vu, les premiers textes bibliques le concernant ont été rédigés un bon demi-millé-naire après l’époque à laquelle il est supposé avoir vécu. Il est donc impossible de prouver son historicité. Mais a-t-il pu être inventé de toutes pièces ?

Il y a d’abord le nom, qui est d’origine égyptienne. Moïse provient de la même racine que le nom de « Ra-mses » qui signifie « engendré par Ra, enfant de Ra ». Dans le cas du Moïse biblique, il manque toutefois le nom du dieu qui engendre. Ce fait peut être attribué à l’intervention de la censure biblique. Ce n’est toutefois pas nécessaire ; des formes courtes du nom, uniquement composées de l’affixe, sont également attestées dans quelques textes égyptiens. Un nom égyptien n’est pourtant pas encore une preuve que la personne qui le porte soit un Égyptien (sinon bon nombre des jeunes Français devraient être Anglo-Saxons). On sait cependant qu’il existait de nombreux contacts entre l’Égypte et des popu-lations sémites durant les IIe et Ier millénaires avant notre ère. Nous connaissons également de hauts fonctionnaires sémites qui occupèrent une place importante à la cour du Pharaon.

Ainsi, sous Séthi II (1200-1194), apparaît un certain Beya, qui se présente dans un ostracon comme majordome du roi et comme un « vagabond d’un pays du Nord ». Cet Asiate porte le nom égyptien de « Ra-msès-kha-em-netherou » (« Ramsès est la mani-festation des dieux »), nom qui contient l’affixe -msès. À la mort de Séthi II, sa femme principale Taoséret, précisément soutenue par Beya, mit sur le trône l’enfant Siptah, fils d’une femme cananéenne de Séthi II. Beya devint alors le chancelier du pays d’Égypte. Quelques années plus tard, l’enfant Siptah mourut dans des circonstances mystérieuses. Avec la complicité de Beya, c’est Taoséret elle-même qui monta sur le trône (1188). Ce coup politique provoqua une opposition, dont le chef de file sera le futur pharaon Seth-nakht, et une guerre civile éclata. Beya et Taoséret constituèrent alors une armée de « Cananéens » et s’emparèrent de l’or et de l’argent égyptiens. Chassés par Sethnakht, ils parvinrent à s’enfuir. Certains auteurs voient en Beya un candidat possible pour le Moïse historique et découvrent dans l’histoire de Beya quelques parallèles avec le récit biblique (la proximité entre Moïse et la fille du Pharaon, la mort du premier-né du Pharaon, la « spoliation » des Égyptiens par les Israélites). Néanmoins, un document égyptien, nou-vellement connu, infirme formellement l’idée que ce Beya ait pu s’enfuir hors d’Égypte, ce qui rend l’identification de Moïse à Beya pour le moins difficile.

Un égyptologue allemand a proposé d’identifier le Moïse historique à un fils de Séthi

II, Masesaya, qui aurait été vice-roi de la province égyptienne de Koush et qui aurait tenté un coup d’État contre son père. Il s’appuie notamment sur des traditions de l’époque hel-lénistique selon lesquelles Moïse, prince égyptien et fils adoptif du Pharaon, est envoyé par ce dernier en campagne à Koush, où il demeure une dizaine d’années. À son retour, éclate un conflit avec Pharaon, qui cherche à le tuer, provoquant sa fuite. Selon Nombres 12, Moïse avait une épouse koushite, comme apparemment Masesaya. C’est néanmoins le seul lien que la Bible établit entre Moïse et l’Éthiopie. Peut-on dès lors vraiment utiliser ces quelques rapprochements pour des reconstructions historiques hasardeuses ? Cette critique vaut à plus forte raison encore pour l’idée, qui continue de hanter les esprits, selon laquelle Moïse aurait été un disciple du Pharaon « monothéiste » Akhenaton (1344-1328), voire le Pharaon même. En réalité, il n’existe aucun lien entre les changements religieux introduits par Akhenaton (qui ne font que renforcer le pouvoir royal) et le monothéisme biblique tel qu’il naît aux alentours du VIe siècle av. J.-C.

Rendons-nous à l’évidence. Le Moïse de l’histoire nous échappe. Des spéculations de toutes sortes demeurent possibles, mais on aurait tort de leur donner plus d’importance qu’au Moïse des textes bibliques. C’est ce dernier qui est à l’origine du judaïsme, non le Moïse de l’histoire.

Moïse, un passeur et une figure multipleLe Moïse des textes bibliques n’est pas un ancêtre. Contrairement à Abraham, sa

généalogie n’a aucune importance. Moïse est plutôt un passeur. Par sa médiation, il opère, au VIe siècle, le passage de la religion royale traditionnelle des Judéens au judaïsme, lequel peut désormais se passer tant du roi que du pays, puisqu’il possède dans la Torah sa « patrie portable », selon l’expression du poète Heinrich Heine. Dans le Pentateuque, Moïse fait passer son peuple de l’oppression à la liberté, bien qu’il s’agisse d’une liberté difficile à vivre. Mais Moïse est aussi une figure multiple, reflétant le judaïsme dans sa diversité ; par exemple, il transmet au peuple trois grands codes qui ont des visées différentes et qui se trouvent souvent en concurrence les uns avec les autres. Cette diversité incarnée par la figure de Moïse est en elle-même porteuse de sens ; les différents courants du judaïsme sont ainsi appelés à se retrouver autour de Moïse sans pour autant gommer leurs différences. ●

L’iconoclasme comme théologie politique

Jan AssmannProfesseur d’égyptologie à l’université de Heidelberg

Moïse frappe le rocher en Horeb et fait jaillir l’eau, Exode (17,6). Gravure de Gustave Doré (1832-1883). © D. R.

La figure de Moïse est celle d’un guide politique qui rejette les autres dieux, qui proscrit les images et dicte les lois ;

tout cela, dans une mise en relation nouvelle, révolutionnaire même, de la théologie et de la politique.

C’est précisément ce que suggère la formule « l’iconoclasme comme théologie politique ». Il s’agit de la fondation d’un ordre politique

où le divin n’intervient pas par l’intermédiaire des images. Avec, à la clé, une liberté nouvelle.

Quiconque s’intéresse aux origines du monothéisme biblique découvre bien vite qu’il se trouve face à une idée et un mouvement substantiellement politiques. Le problème, en dernière instance, n’est pas tant celui de l’unicité de Dieu que celui de l’exclusivité du lien avec ce Dieu unique. Cette exclusivité est étroitement liée au thème de la liberté politique. Le lien avec le Dieu unique est structuré selon le modèle d’une alliance politique et professé sous la forme d’un serment de fidélité politique. La composante politique, dans cette religion du Dieu unique, n’est pas extérieure, mais essentielle. En outre, le concept de peuple de Dieu – en tant que communauté qui se définit à travers le lien au Dieu unique et par l’acceptation de sa loi – est tout aussi central que l’unicité de Dieu. Sur ces deux points, le monothéisme biblique est diamétralement opposé au monothéisme de la religion d’Amarna. Akhenaton prônait lui aussi la vénération exclusive d’un dieu unique. Toutefois, ce dieu était le Soleil, une divinité cosmique, pas politique. Il ne scellait pas d’alliances, ne dictait pas de lois, et le peuple de dieu est totalement absent. Au contraire, l’élément politique émerge avec clarté de la figure de Moïse, le Moïse de la tradition, pas celui de l’histoire. Moïse est moins perçu comme un homme qui réfléchit sur Dieu, à la manière d’Abraham, que comme un chef politique et le fondateur d’un peuple, un théologien politique katexo-chen (par excellence). Sur ce plan, la prohibition des images et la critique radicale de la représentabilité politique du pouvoir divin ont d’évidentes implications politiques.

La figure de MoïseLa figure de Moïse est celle d’un guide politique qui rejette les dieux des autres (ou

plutôt « les autres dieux »), qui proscrit les images et dicte les lois ; tout cela, dans une mise en relation nouvelle, révolutionnaire même, de la théologie et de la politique, c’est-à-dire de la théologie politique. C’est précisément ce que suggère la formule «l’ iconoclasme comme théologie politique ». Il s’agit de la fondation d’un ordre poli-tique où le divin n’intervient pas par l’intermédiaire des images.

Toutes les images, et même toute représentation (pour l’exprimer de manière à la fois plus précise et plus générale), supposent une absence. En Égypte, c’est tout à fait clair. Les dieux sont lointains et cachés, et donc présents pour cette raison dans les temples sous forme d’images cultuelles. Les animaux sacrés et le roi lui-même sont au nombre des images de la divinité. L’Égypte est un monde rempli de représentations du divin, un monde de la proximité représentée de dieu, et donc de l’éloignement de dieu. La Bible a traduit cela en concepts de vie et de mort. Les représentations sont mortes par rapport au dieu vivant. Pour que le dieu vivant puisse habiter au milieu

de son peuple, les images doivent disparaître. Il en va exactement à l’opposé chez les Égyptiens. Pour que les dieux puissent rester unis aux hommes au sein d’une com-munauté, il convient qu’ils se manifestent sous forme d’images, de rois et d’animaux sacrés. Il n’existe pas d’autre contact avec le monde des dieux que la représentation. Si les images sont détruites, les dieux se retirent du monde.

Dans les deux cas, il s’agit de théologie politique. Ce qui veut dire que le pouvoir et la souveraineté, l’ordre et la justice viennent de Dieu. L’iconoclasme en tant que théologie politique implique que Dieu exerce ce pouvoir directement, qu’il établit les lois, l’ordre et rend la justice. Cette absence de médiation a pour conséquence la disparition des images. Et inversement, la représentation comme théologie politique suppose que Dieu soit représenté dans l’exercice du pouvoir et de la justice sur terre, c’est-à-dire dans le monde des hommes ; sinon, la disparition de la représentation et des représentants fait disparaître du monde la souveraineté et la justice de Dieu.

Ce conflit ne date pas du temps du bronze ancien (3300-2000), époque supposée du Moïse historique, mais bien de celui de l’hellénisme. Les thèmes de l’idolâtrie et de l’iconoclasme sont présents dans l’Ancien Testament, mais pas à un degré tel qu’ils en deviennent le cœur de la religion, comme cela apparaît en revanche dans la tradition hellénistique de Moïse. Dans les textes bibliques figure une sorte de crescendo qui conduit de Jérémie 10, au Psaume 115 et à Isaïe 44 ; mais il s’agit encore de dérision et de satire :

« L’artisan […] [a planté] un pin, mais c’est la pluie qui le fait grandir. C’est pour l’homme bois à brûler : il en prend et se chauffe, il l’enflamme et cuit du pain. Avec ça il réalise aussi un dieu et il se prosterne, il en fait une idole et il s’incline devant elle. Il en fait flamber la moitié dans le feu et met par-dessus la viande qu’il va manger : il fait rôtir son rôti et se rassasie ; il se chauffe aussi et dit : “Ah, ah, je me chauffe, je vois le rougeoiement !” Avec le reste il fait un dieu, son idole, il s’incline et se prosterne devant elle, il lui adresse sa prière, en disant : “Délivre-moi, car mon dieu, c’est toi !” » (Isaïe 44,13-17).

Dans les quatre chapitres que la sagesse de Salomon consacre aux idolâtres, émerge en revanche, au-delà du sarcasme, une haine pure :

« Mais maudite l’idole fabriquée, elle et son auteur, celui-ci pour l’avoir façonnée, et elle, une chose corruptible, pour avoir été nommée dieu. Car Dieu déteste égale-ment l’impie et son impiété, et l’œuvre sera châtiée avec l’ouvrier. Oui, l’intervention

divine s’étendra aux idoles des nations, car elles sont devenues une abomination dans la création de Dieu, un scandale pour les âmes des hommes, un piège sous les pas des insensés. À l’origine de cette prostitution, il y a l’idée de fabriquer des images, et leur découverte a entraîné la corruption de la vie » (Sagesse 14,8-12).

Le refus des idoles exprime un nouveau concept de vérité qui trace de nouvelles frontières et fait fonction de limite. Il tire sa profondeur de la compréhension de ce qui est présenté comme incompatible avec soi-même, et se déploie sur le plan narratif dans la figure de l’Exode, de la séparation et de la délimitation. Moïse en constitue la mémoire. Sortir du monde de l’existant pour aller vers un autre monde d’une immé-diateté sans compromis, où il n’existe ni représentant ni représentation, mais dans lequel la volonté de Dieu se réalise sans médiation. Un royaume de prêtres, c’est un peuple qui n’a ni prêtres ni rois, et encore moins au sens égyptien de la représentation.

Le nom et le concept de Moïse désignent un quelque chose qui se déroule dans le temps et dans l’histoire. Ce ne sont pas des légendes qui se rapportent à un grand homme, mais des thèmes devant lesquels l’humanité occidentale a retenu son souffle et qui la fascinent toujours. Moïse est la figure symbolique d’un tournant dans l’his-toire de l’humanité dont la datation historique ne se laisse pas fixer et limiter à l’époque du bronze ancien et encore moins dans l’action historique d’une personnalité. Ce tour-nant est lié au monothéisme exclusif, qui exige l’adoration d’un seul et unique vrai Dieu et qui déclare tous les autres dieux « idoles », c’est-à-dire mensonge et tromperie. Avec ce nouveau type de religion, la distinction entre vrai et faux fait son entrée dans l’histoire des religions.

Que signifie ce tournant pour l’histoire de la théologie politique ? Existe-t-il un lien entre la distinction vrai/faux et la distinction ami/ennemi ? La relation est évidente, et découle de l’interdiction des images. Celle-ci se traduit en politique par la distinction théologique entre vérité et erreur, entre Dieu et les idoles, et elle prend le sens d’ami et d’ennemi. Qui sont et où sont les ennemis de Dieu ? Par l’interdiction des images se constitue une définition de l’ennemi à la lumière de la distinction entre vrai et faux. L’ennemi de Dieu est celui qui se tient dans l’erreur et qui adore les idoles.

La distinction ami/ennemi caractérise la politique de la violence. Par conséquent, l’iconoclasme doit être défini comme une théologie politique de la violence. Et de fait, les textes de l’Ancien Testament, où il est question de l’élimination des idolâtres, parlent un langage violent. Au siècle des Lumières, l’Ancien Testament a été à maintes

reprises dénoncé comme un texte suant la violence, en se référant par exemple à l’horrible opération punitive des lévites qui, après l’épisode du veau d’or, parcourent le campement et tuent trois mille personnes au hasard (Exode 32,25-35). Le règlement de comptes d’Élie avec les prêtres de Baal (1 Rois 18,40) n’est pas moins cruel, tout comme la mise en place de la réforme cultuelle de Josias (2 Rois 23,4-20). D’après l’Ancien Testament, le monothéisme fut imposé par des massacres. D’autre part, même si la violence de la sémantique biblique est incontestable, celle des fidèles des trois religions abrahamiques, qui se fondent sur cette sémantique, est tout aussi évidente. Toutefois, la traduction de cette violence dans les faits n’a jamais été imputable aux juifs, mais exclusivement aux chrétiens et aux musulmans. Aujourd’hui, bien sûr, ce sont les mouvements fondamentalistes islamiques qui nourrissent une théologie politique de la violence telle qu’elle est préfigurée dans les textes bibliques. Seuls les juifs ont été capables, dans le cours de l’histoire, d’humaniser ces textes au point de les rendre inoffensifs. Ils ont intériorisé la distinction entre ami et ennemi. Dans l’ancien Israël, déjà, celle-ci n’était appliquée qu’aux ennemis de l’intérieur. Un Israélite pouvait devenir un apostat, renier l’alliance avec Dieu. La distinction entre ami et ennemi passait au milieu de la communauté. La tendance à l’intériorisation s’est ensuite ren-forcée toujours davantage dans le judaïsme, au point de se réduire en fin de compte à une déchirure intime. Le concept d’idolâtrie, de « service » rendu aux idoles, de déta-chement de Dieu en faveur d’une autre divinité, fut psychologisée et donc dépolitisée comme une quintessence du « péché ». En échange, s’est développé un complexe de culpabilité qui caractérise la religion monothéiste, en particulier dans ses variantes juive et protestante, et que Sigmund Freud a disséqué dans son livre sur Moïse. Freud n’a cependant pas perçu les aspects politiques du problème, tant ils sont estompés et intériorisés dans la tradition hébraïque. Le judaïsme ne s’est intéressé qu’au païen à l’intérieur de son propre cœur, pas aux païens qui l’entourent dans le monde politique extérieur.

Le christianisme et l’islam, en revanche, ont d’autant plus inscrit la théologie poli-tique de la violence sur leur bannière qu’ils entendaient soumettre les païens autour d’eux. La violence de leur Dieu contre les autres dieux leur confère le droit d’utiliser la violence contre les hommes qui, à leurs yeux, sont des adeptes de ces autres dieux. Derrière cette attitude apparaît la distinction entre vérité et mensonge qui caractérise la religion monothéiste, et elle seule. Dieu est la vérité, les dieux des autres sont men-

songes. Tel est le fondement théologique de la distinction entre ami et ennemi. Ce n’est que sur ce terrain et dans ce contexte sémantique que la théologie politique de la violence est devenue vraiment dangereuse. La théologie politique de Carl Schmitt s’inscrit dans cette tradition théologique de disponibilité à la violence liée à la révéla-tion. Et là se trouve, selon moi, le véritable « problème politique » du monothéisme. Pour sauver l’idée monothéiste, il convient d’abord de la dépouiller de la violence qui lui est inhérente. ●

Qui a écrit la Loi de Moïse ?

Guy VanhoomissenProfesseur au Centre Lumen Vitae, Bruxelles

Moïse redescend du mont Sinaï avec les tables, Exode (32,15). Gravure de Gustave Doré (1832-1883). © D. R.

Le livre du Deutéronome, dernier livre du Pentateuque, se présente comme un long discours de Moïse aux fils d’Israël. À la fin du livre, Moïse charge Josué de poursuivre sa mission

et de conduire le peuple vers la Terre promise. Alors, « Moïse mit cette Loi par écrit et la donna aux prêtres, fils de Lévi […] ainsi qu’à tous les anciens d’Israël » (Dt 31,9).

De quelle loi s’agit-il ? Le Deutéronome ne donne aucune précision mais d’autres passages de la Bible

font de Moïse l’auteur du Pentateuque. Cette attribution traditionnelle est mise en question

depuis le XVIIe siècle. Où en est la recherche actuelle sur la composition du Pentateuque ?

C’est à partir de l’époque d’Esdras (Ve siècle av. J.-C.) que les textes bibliques parlent clairement de la « Loi de Moïse » (Esd 3,2) ou du « Livre de Moïse » (Esd 6,18). La référence morale et religieuse du peuple juif est désormais « la Loi de Dieu, donnée par le ministère de Moïse, le serviteur de Dieu » (Ne 10,30). Les auteurs du Nouveau Testament se réfèrent eux aussi à la Loi de Moïse (Lc 24,44 ; Jn 1,45 ; Rm 10,5…). Cette attribution est reprise par la tradition postérieure, tant juive que chrétienne. Pour Philon d’Alexandrie, Flavius Josèphe, le Talmud ou Maïmonide, la Torah a été donnée aux Israélites par l’intermédiaire de Moïse. Il en est de même pour les théologiens chrétiens, depuis les Pères de l’Église jusqu’à saint Thomas : tous citent le Pentateuque sous le nom de Moïse.Cette « authenticité mosaïque » du Pentateuque sera communément admise jusqu’au XVIIe siècle. Elle sera encore défendue avec énergie dans les milieux catholiques jusqu’au début du XXe siècle. En témoigne l’article « Pentateuque » du grand Dictionnaire de la Bible, publié par F. Vigouroux (1912). Pour l’auteur, il ne fait aucun doute : le Penta-teuque est l’œuvre de Moïse. « La couleur égyptienne de ces récits est indéniable. Or,

elle ne prouve pas seulement leur véracité ; elle montre aussi, au moins indirectement, leur authenticité mosaïque. » On reste aujourd’hui pensif devant de telles déclarations, au demeurant écrites par un savant qui connaît bien les objections et remises en cause. Sans doute fallait-il mieux distinguer authenticité littéraire et autorité du texte « sacré » !

Problèmes littérairesCertaines questions étaient effectivement posées depuis longtemps. Pourquoi

Moïse, en dehors du Deutéronome, parle-t-il de lui-même à la troisième personne ? Comment Moïse a-t-il pu écrire qu’il était « l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12,3) ou raconter lui-même sa propre mort (Dt 34) ? Depuis Baruch Spi-noza (1670) et Richard Simon (1678), on se rend compte qu’il est impossible de tout faire remonter à Moïse et que le Pentateuque est tissé de matériaux d’origines diverses.

De nombreux passages semblent faire double emploi. À quelques versets de dis-tance, on peut lire deux présentations de l’alliance entre Dieu et Abraham (Gn 15 et 17). Il y a deux récits de la vocation de Moïse (Ex 3,1-4,17 et 6,2-7,7). Le Décalogue est donné en deux versions légèrement différentes (Ex 20,2-17 et Dt 5,6-21). Il existe trois séries de lois relatives aux esclaves, lois qui se complètent et se corrigent l’une l’autre (Ex 21,2-11 ; Dt 15,12-18 ; Lv 25,39-55).

L’onomastique n’est pas unifiée. Le beau-père de Moïse est un prêtre de Madian appelé Jéthro (Ex 3,1 ; 4,18), mais on lui donne aussi le nom de Réuel, le Madianite (Ex 2,18), tandis qu’ailleurs on parle de Hobab le Qénite (Jg 1,16). L’importance du « mont Sinaï » (Ex 19-24) n’a pas à être soulignée. Plusieurs passages parlent sans autre précision de « la montagne de Dieu » (Ex 4,27) mais de nombreux textes parlent de l’Horeb (Dt 1,6), qui semble équivalent au Sinaï. S’il s’agit du même lieu, pourquoi utiliser une double appellation ?

Des incohérences dans le texte sont notables. En Exode 6,3, Dieu dit à Moïse que son nom n’était pas connu à l’époque patriarcale alors que, selon d’autres passages, les patriarches connaissent déjà le nom divin (cf. Gn 18,14 ; 26,22 ; 28,16). Des aspérités surgissent à l’intérieur d’un même récit comme dans l’histoire du Déluge (Gn 6-9) ou dans l’épisode du passage de la Mer (Ex 14). Comment expliquer ces données lit-téraires ?

La théorie documentaireC’est Jean Astruc (1753) qui, le premier, exploita l’alternance des noms divins, Elo-

him et YHWH, pour distinguer deux sources principales dans le texte de la Genèse.

Il posait ainsi un nouveau principe épistémologique. Restait à préciser cette approche et à valoriser d’autres éléments tels les variations de vocabulaire, la forme littéraire ou le sens religieux. En poursuivant l’enquête jusqu’au Deutéronome, on supposa bientôt pour l’ensemble du Pentateuque l’existence de quatre « sources » ou « documents ». Différents par l’âge et le milieu d’origine (ce qui explique les divergences et la variété des points de vue), ces quatre documents auraient d’abord existé de manière indé-pendante. Ils furent juxtaposés ou amalgamés les uns aux autres par des rédacteurs ultérieurs pour obtenir le texte que nous avons entre les mains.

Peut-on dater ces documents ? La datation du livre du Deutéronome allait fournir un point d’ancrage. Depuis longtemps, on avait noté des points de contact entre les mesures de réforme prises par le roi Josias, selon 2 R 23, et les grandes orientations de la législation deutéronomique, spécialement à propos de la centralisation du culte et de la lutte contre l’idolâtrie. Poussant plus loin, Wilhelm de Wette (1805) proposa d’assimiler le Deutéronome au « livre de la Loi » découvert dans le Temple « en la dix-huitième année du roi Josias » (2 R 22,3-10). Loin de remonter à Moïse, voilà donc le Deutéronome issu de la réforme administrative et religieuse de Josias et daté de 622 av. J.-C.

À la fin du XIXe siècle, la recherche avait ainsi abouti à la « théorie documentaire », parfois dite « de Graf–Wellhausen », du nom de deux de ses principaux représentants. Le texte du Pentateuque y était réparti en quatre couches différentes, chacune avec ses perspectives propres, et que l’on pouvait classer chronologiquement selon l’ordre suivant : le Yahviste (J), l’Elohiste (E), le Deutéronome (D), le Code sacerdotal (P) qui contenait aussi quelques narrations. Cette théorie documentaire a fourni le cadre de la recherche pendant près d’un siècle (1883-1975). Depuis une trentaine d’années, cette reconstruction apparaît de plus en plus problématique, spécialement à propos du postulat des quatre documents et de la datation des sources.

L’état actuel de la rechercheLa majorité des exégètes s’accorde pour reconnaître l’existence d’ensembles narra-

tifs et législatifs datant de la période monarchique (Xe-VIIe siècle av. J.-C.). Il ne s’agit pas d’une source « yahviste » remontant à l’époque de Salomon, mais de cycles narra-tifs – thématiquement indépendants – qui ont servi de base à un travail rédactionnel ultérieur. Les matériaux de ces traditions – histoire des origines, légendes patriarcales,

récits de l’Exode (sortie d’Égypte, théophanie au Sinaï, séjour au désert) – sont trop différents pour pouvoir être considérés au point de départ comme une seule œuvre historiographique. En ce qui concerne les ensembles législatifs, on admet que le Code de l’alliance (Ex 21-23) est le plus ancien. Il fut rédigé à la période monarchique (au plus tard sous Ézéchias, au VIIIe siècle) et précède le Code deutéronomique.

Même s’il n’y a pas adéquation entre le « livre de la Loi », trouvé dans le Temple de Jérusalem, et le livre actuel du Deutéronome, le Code deutéronomique est bien lié à la réforme de Josias. Produit d’une école plus que d’un seul auteur, le Deutéronome a été construit à partir de ce recueil législatif original (Dt 12-26). On peut postuler une première mise par écrit au temps de Josias, vers 622 av. J.-C. Par la suite, cet ensemble a subi des retouches et des additions. Il faut en effet tenir compte des remises en cause provoquées par la chute de Jérusalem et l’Exil à Babylone. C’est dans ce contexte pos-texilique que l’on situe la rédaction finale du livre du Deutéronome et de l’histoire deutéronomiste (c’est-à-dire l’édition des livres allant de Josué à 2 Rois). Bien qu’il soit difficile d’en reconstituer le milieu, on peut parler de « mouvement » deutéronomiste. Mouvement, car il témoigne de tendances variées et traverse plusieurs époques tout en possédant une sensibilité qui ne trompe pas. Il y a un style et un esprit deutéro-nomistes. Des textes comme la révélation à l’Horeb (Dt 4,5-14), l’exhortation à aimer le Seigneur (Dt 6,4-9) ou la présentation des deux voies (Dt 30,15-20) sont caracté-ristiques de cet esprit.

Il y a convergence quant à l’admission du caractère spécifique des textes « sacerdo-taux ». La main des auteurs sacerdotaux est facilement repérable par le vocabulaire, le style, l’orientation théologique : formules stéréotypées, intérêt pour les généalogies, goût pour les précisions numériques. Les textes sacerdotaux insistent sur la pureté rituelle, la sainteté du peuple, la séparation avec les autres nations. Ils valorisent les sacrifices et la liturgie, sans négliger les préoccupations morales. Comme textes repré-sentatifs, on peut citer le récit de la création en Gn 1,1-2,4 ou le récit de la vocation de Moïse en Ex 6,2-8. Tout comme pour les textes deutéronomistes, il faut compter avec plusieurs strates. Certaines lois cultuelles pourraient remonter à une haute anti-quité, aux débuts de l’époque monarchique, et avoir été insérées par la suite. La Loi de Sainteté (Lv 17-26) corrige le récit sacerdotal sur certains points (par exemple en ce qui concerne les conditions de l’alliance), tout en provenant elle aussi de milieux sacerdotaux. Quoi qu’il en soit, c’est la rédaction sacerdotale qui a fourni la structure d’ensemble du Pentateuque.

Beaucoup d’exégètes proposent de situer l’élaboration des traditions fondatrices aux alentours de l’Exil (587-538 av. J. C.). Il a fallu trouver une réponse aux problèmes humains et théologiques posés par la destruction du Temple de Jérusalem, l’occupa-tion du pays par un pouvoir politique étranger, la dispersion au milieu des nations. Le Pentateuque tente de redéfinir l’identité de la communauté judéenne à ce moment charnière. Plutôt que d’être le produit d’une évolution linéaire, il résulte d’une mise en commun de tendances théologiques divergentes. Sa rédaction finale s’explique par la présence des deux groupes dominants qui furent amenés à se mettre d’accord : un ensemble de scribes, peut-être liés aux responsables de l’administration civile et aux propriétaires terriens de Judée, et différents groupes sacerdotaux attachés au Temple de Jérusalem. Document de compromis, le Pentateuque réussit ce tour de force de rassembler dans une œuvre intégrée les deux grands courants (deutéronomiste et sacerdotal) de la communauté du second Temple.

Aujourd’hui, mieux que par le passé, nous nous rendons compte de la complexité du travail mis en œuvre pour la composition du Pentateuque. On s’oriente certaine-ment vers des hypothèses plus souples que celles de la théorie documentaire lassique, des hypothèses moins unifiées aussi. Bien des questions demeurent. Quelle est l’ori-gine des traditions narratives et législatives ? Quels rapports établir entre les recueils législatifs et les couches rédactionnelles ? Comment articuler l’intervention et le travail des différents auteurs ? Pourquoi les rédacteurs ont-ils amalgamé ces traditions plutôt que les transmettre comme des livres distincts ?

Deux cent cinquante ans après Astruc et malgré le travail énorme de la critique, nous sommes invités à rester modestes, aussi modestes qu’Astruc qui ne proposait que des « Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moyse s’est servi pour composer le livre de la Genèse. » De telles « conjectures », peut-on ajouter, n’ont pas leur but en elles-mêmes. Elles nous aident à mieux lire le texte biblique. Elles demandent d’être complétées par d’autres approches, attentives à la valeur littéraire de la « Loi de Moïse » et à sa réception dans une communauté de foi. ●

La « ténèbre lumineuse » du Sinaï

Françoise JeanlinProfesseur d’Ancien Testament à l’Institut Saint-Serge, Paris

Moïse brise les tables de la Loi, Exode (32,19). Gravure de Gustave Doré (1832-1883). © D. R.

Après Philon d’Alexandrie (vers 13-54), les Pères grecs, dont Origène (vers 185-254) et Grégoire de Nysse (vers 335-395)

décrivent Moïse comme le type du mystique en chemin vers le Seigneur. À partir du livre de l’Exode,

Grégoire a vu la montée de Moïse au Sinaï comme une ascension spirituelle en trois étapes : la manifestation de Dieu à Moïse

s’est d’abord faite dans la lumière du buisson ardent ; puis, Dieu lui a parlé dans la nuée ; enfin, Moïse a contemplé Dieu

dans la ténèbre lumineuse. En parallèle, Grégoire décrit la progression du chrétien vers Dieu depuis la sortie du péché,

figuré par l’Égypte, jusqu’à l’ascension au Sinaï. Pour les Pères, ces événements contiennent aussi d’autres allégories ou

typologies annonciatrices des réalités chrétiennes. Les théologiens byzantins vont développer ces interprétations

vers une théologie de la lumière.

Dans l’épisode du « buisson ardent » (Ex 3), YHWH se manifeste pour la première fois à Moïse en lui révélant son nom et sa mission libératrice. Grégoire de Nysse met l’accent sur la lumière qui se dégage et ajoute quelques détails au récit biblique : le buisson brûle en plein midi d’une lumière plus brillante que le soleil, qui illumine les yeux et éclaire les oreilles par des enseignements incorruptibles (Vie de Moïse I,20). Et c’est le Verbe qui en est la source. En effet, pour la plupart des Pères, les théopha-nies de l’Ancien Testament sont interprétées comme des manifestations du Fils, c’est-

à-dire du Verbe, Seconde personne de la Sainte Trinité. Pour Irénée de Lyon (IIe-IIIe siècle), c’est Lui qui parla à Moïse dans le buisson ardent, montrant ainsi en figure ce qui devait arriver. Grégoire également y voit une théophanie du Verbe et une figure typologique de l’Incarnation : l’âme du Prophète est ainsi illuminée, expliquera-t-il, car la lumière est un des noms que l’Évangile a donné au Dieu qui s’est manifesté dans la chair. Ce buisson préfigure la chair du Christ et cette lumière divine n’est pas matérielle (VM II,20).

Sur l’ordre du Seigneur, Moïse doit se déchausser par respect envers la sainteté du lieu (Ex 3,5) car, allégorise Grégoire, nous ne pouvons nous élever vers cette lumière véritable avec des pieds chaussés qui symbolisent les pieds de l’âme alourdis des peaux mortes dues à la chute. Il faut donc se dépouiller de ses chaussures terrestres pour avoir accès à la connaissance de la vérité (VM II,22). Cette première voie est aussi séparation : l’illumination du buisson ardent figure la sortie des apparences sensibles, auxquelles Dieu n’est pas réductible, et l’entrée dans la vie spirituelle, qui est d’abord lumière par opposition aux ténèbres (skotos) du péché (VM II,81). Moïse, ainsi purifié et illuminé, a reçu une première révélation : il a compris qu’aucune des choses perçues par les sens ne subsiste réellement. Dieu seul est l’Être, parmi tous les êtres, qui existe par lui-même et se suffit parfaitement à lui-même (VM II,24-25).

Toutefois le monde visible peut être un moyen de conduire à Dieu. Moïse, à pré-sent, entraîne le peuple hors d’Égypte. Dans la traversée de la mer Rouge, figure tradi-tionnelle du baptême depuis Paul, Moïse a pour guide la nuée. Comme pour Origène et Basile de Césarée (330-379), la nuée figure la grâce du Saint-Esprit qui dirige les justes vers le bien (VM II,121). Lorsqu’ils arrivent au Sinaï, le peuple, sur l’ordre de Dieu, doit se purifier et laver ses vêtements. Puis, le troisième jour, dont Origène dit qu’il « est en tout temps particulièrement propice aux mystères » (Homélies sur la Genèse), Dieu descend sur la montagne dans le feu au milieu des éclairs et au son des trompettes. Et une « nuée ténébreuse » couvre alors le Sinaï (Ex 19,16). Moïse entend sa voix et gravit la montagne, dont l’aspect, escarpé et difficile, symbolise la vraie connaissance de Dieu (VM II,158). La nuée est d’abord un obscurcissement du visible, c’est une demi-obscurité qui va conduire l’âme par l’intermédiaire des choses visibles (les « phénomènes ») à l’intelligence des réalités invisibles et l’accoutumer à la vie spi-rituelle. Le son des trompettes proclame la sagesse de Dieu qui éclate dans l’univers et raconte la grandeur de la gloire de Dieu à celui dont l’oreille du cœur est purifiée (VM

II,168-169). Il s’agit ici de la connaissance de Dieu par les choses visibles, accessibles à l’expérience humaine. Les attributs divins donnent déjà une certaine connaissance de Dieu par analogie avec les manifestations du monde naturel. Pour les connaître, il est nécessaire de les dégager des phénomènes sensibles qui les manifestent, d’où la métaphore de l’obscurcissement – et non de diviniser ces phénomènes comme dans le paganisme. Dans ses Homélies sur le Cantique des cantiques, Grégoire explique cette vision de Dieu par la contemplation du monde visible : l’âme admire toutes les créa-tures au ciel et sur la terre et recherche d’où vient la sagesse que l’on voit en eux « et, dans l’admiration des apparences, remonte par le raisonnement de sa pensée jusqu’à celui dont l’existence se révèle par les œuvres » (Hom 11). Grégoire appelle déjà ces actes divins des « énergies », distinctes de la nature divine.

Dieu inaccessible et inconnaissableMoïse entre dans la « ténèbre » (gnophos) où se trouve Dieu (Ex 20,21). Il sort alors

du monde créé, dépassant à présent l’apparence des réalités visibles perçues non seule-ment par les sens, mais aussi par l’intelligence, et pénètre jusqu’à l’invisible et l’incom-préhensible. Il s’approche par la foi seule de la ténèbre, radicalement transcendante, de la nature divine. C’est l’entrée dans la vie mystique proprement dite.

Il y a là une contradiction avec la première théophanie qui était lumineuse, remarque Grégoire. Le Verbe nous enseigne par là que la connaissance de la foi est d’abord lumière pour ceux qui la reçoivent, mais plus on s’approche intérieurement de la « contemplation » (théôria), mieux on voit l’invisibilité de sa nature. La vraie connaissance consiste à ne pas voir Celui qui est cherché, car Dieu demeure inaccessible et inconnaissable, et sa trans-cendance le sépare de tout comme par une ténèbre (VM II,162-163). Il donne à l’âme un « sentiment de présence » qui établit une relation entre Dieu et l’âme. C’est un état d’union où, telle la bien-aimée du Cantique des cantiques, l’âme recherche dans la nuit Celui qu’elle aime et qui lui échappe (Hom 6 sur le Ct). La vraie participation à Dieu est en effet une marche sans fin à sa suite. « Et c’est réellement voir Dieu que de ne jamais trouver de satiété à ce désir » (VM II,239). Cet élan de l’âme est une tension (épektasis ; cf. Ph 3,13), un pro-grès sans fin dans l’union par un amour ardent (VM, Préface). Dieu demeure pour elle une ténèbre, expression métaphorique de la transcendance de l’essence divine.

Il est remarquable que cette ténèbre soit qualifiée par Grégoire de « ténèbre lumineuse » (VM II,163). Cette image exprime le paradoxe de la connaissance de Dieu, « Celui qui

fait de l’obscurité sa retraite » (Ps 17,12). Il ne s’agit pas ici de la ténèbre de l’erreur ou des œuvres mauvaises (Jn 3,19) qui est absence de lumière, mais de la ténèbre qui est excès de lumière suivant des expressions que développera le Pseudo-Denys l’Aréopagite : « La té-nèbre divine est cette lumière inaccessible où Dieu habite (1 Tm 6,16). Et si l’excès même de sa clarté la rend invisible, si le débordement de ses effusions lumineuses et suressentielles la dérobent à tout regard, c’est en elle pourtant que naît quiconque est digne de connaître et de contempler Dieu. »

Après avoir passé quarante jours et quarante nuits avec le Seigneur sur la mon-tagne, Moïse redescend, le visage resplendissant (Ex 34,35). Il devient un soleil dont le visage rayonne de la lumière inaccessible à ceux qui veulent l’en approcher (Hom 12 sur le Ct). Mais, quand il demanda au Seigneur de le contempler de ses yeux, il ne put le voir que de dos (Ex 33,23). Pour Origène, la requête du Sinaï est réalisée à la Trans-figuration du Christ quand Moïse se tient avec le prophète Élie aux côtés de Jésus. La lumière du visage de Moïse est rapportée au Christ : au Sinaï, Moïse n’a de glorieux que sa face, mais, parlant avec Jésus, il apparaît tout entier dans la gloire (Mt 17,2 ss.) et voit réellement Dieu face à face (Homélies sur l’Exode). Ainsi la lumière qui resplendit sur toute la personne du Christ à la Transfiguration est celle de la gloire de Dieu, car Dieu lui-même est lumière et il n’y a pas de ténèbres en lui (1 Jn 1,5). Ce n’est pas une lumière sensible, précise Grégoire Palamas (saint dans l’Église byzantine, 1296-1359), bien que les disciples aient été jugés dignes de la voir de leurs yeux, elle est la grâce de l’Esprit Saint qui a ouvert leurs yeux corporels avant la Pentecôte et qui repose sur l’humanité déifiée du Fils. Cette lumière est la grâce divine, l’énergie procédant de la nature une de la Divinité.

Si Moïse est l’exemple de la vie parfaite et du progrès spirituel, il est aussi le modèle de la vie érémitique : dans l’Église, les moines byzantins désignèrent leur état de quié-tude et de silence intérieur dû à la prière et à la victoire sur les passions, par le terme « hesychia ». Dès le IVe siècle, Grégoire de Nysse appliquait ce terme à Moïse, allégo-risant ainsi le séjour de Moïse en pays de Madian (Ex 2,15 ss.). Celui-ci symbolise moins l’éloignement du Pharaon qu’une retraite dans la solitude extérieure et le silence intérieur : « Moïse s’exila quarante ans de la société des hommes et vivant seul avec lui seul, il appliqua son regard, sans se laisser troubler et dans la tranquillité (hesychia) à la contemplation des choses invisibles » (Commentaire sur les psaumes).

Selon Macaire de Scété (anachorète de Basse-Égypte, vers 301-391), dans ses Homé-

lies spirituelles, par la gloire de l’Esprit qui rayonnait de sa face, Moïse a préfiguré d’une double manière quelle gloire lumineuse peut être accordée aux chrétiens dès à présent et de quelle manière, à la résurrection, les corps des justes seront glorifiés (cf. 2 Co 3,18). Or, la lumière de Dieu est de nature eschatologique, elle est celle du siècle à venir. Ce fait est mis en valeur par Grégoire Palamas : « N’est-il pas évident qu’il n’y a qu’une seule et même lumière divine : celle que les apôtres virent au Thabor, celle que les âmes puri-fiées contemplent dès maintenant et celle qui est la réalité même des biens éternels à venir ? » La vision parfaite de Dieu est comme une lumière et le Seigneur l’appelle dans les Évangiles « Royaume de Dieu » (Triades 1,3,43.26).

Pour donner une expression théologique à l’existence de Dieu, « Celui qui est » (Ex 3,14), Grégoire Palamas établit cette distinction en Dieu de l’essence et des énergies in-créées : Dieu selon son essence demeure en entier inconnaissable et imparticipable, mais il se révèle totalement dans ses énergies sous forme de grâce déifiante et de lumière divine. Cette théologie de la grâce, lumière incréée communiquée par le Saint-Esprit, est une donnée fondamentale de la chrétienté orthodoxe. ●

Des vidéos pour aller plus loin

Qui est Moïse ?L’émission La foi prise au mot, diffusée sur KTO et animée par Régis Burnet, profes-

seur de Nouveau Testament à l’université catholique de Louvain, s’intéresse à Moïse. Moïse est en effet le grand législateur d’Israël, celui qui a donné sa loi au peuple hé-breu. Il est un des prophètes les plus éminents de l’Ancien Testament. Mais quel rôle a-t-il joué ? Pourquoi tient-il une place aussi centrale dans le judaïsme ? Pourquoi a-t-on pu le considérer comme la préfigure du Christ ? N’appelle-t-on pas parfois le Christ le Nouveau Moïse ? Alors, comment parler de celui par qui le Peuple élu a échappé à la main des Égyptiens ?

Pour parler de ce grand prophète, le père Philippe Lefebvre, o.p., professeur d’An-cien Testament à l’Université catholique de Louvain est accompagné de Didier Lucia-ni, professeur d’Ancien Testament à l’Université catholique de Louvain.

Regarder la vidéo via Youtube :

Les cornes de Moïse. Faire entrer la Bible dans l’histoire

Leçon inaugurale du professeur Thomas Römer au Collège de France (février 2009) :

Récit de la traversée de la mer Rougepar KTO via Dailymotion  :

Et aussi sur internet :

Moïse, en hébreu MoshéEncyclopédie Larousse :

http://www.larousse.fr/encyclopedie/