Histoire de Constantine

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    Livre numris en mode texte par :Alain Spenatto.

    1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC.

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    Dautres livres peuvent tre consultsou tlchargs sur le site :

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    (du 14e au 20e sicle), tlcharger gratuitement ou lire sur place.

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    III

    PRFACE

    Habitant Constantine depuis 1871 ; profondment at-

    tach cette ville si curieuse tant dgards, je me suis d-cid crire son Histoire. Le travail que je soumets au public nest point lu-vre dun jour. Cest ds mon arrive dans ce pays que monattention fut attire par le pass glorieux de cette ville dontlantiquit historique remonte au-del de trois cents ans

    avant J.-C. Mais au cours de cette longue srie de vingt-deux sicles, que de priodes obscures, que de lacunes, quede vides existaient entre les poques lumineuses que vien-nent clairer les rcits des historiens, les documents lgus

    par le pass ! Il fallut tout reprendre, rechercher de tous cts. Par

    une rare fortune, un certain nombre douvrages ont paru,dans la dernire dizaine du sicle coul qui offraient desdocuments de grande valeur. Mes investigations personnel-les mont permis de mettre la main sur des pices de relleimportance ; jai pu ainsi combler un certain nombre de cesvides, et terminer le travail entrepris. On pourra trouver, on

    trouvera certainement autre chose ; mais je suis assur delexactitude de ce que jai crit. Le cadre de cette monographie ma oblig de laisserdans lombre bien des sujets. Jai rsum autant que possi-

    ble les faits trangers Constantine, et cependant indispen-sables lintelligence de son histoire.

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    IV

    Je me suis arrt la triste anne de 1870, qui marque

    en mme temps lpoque de notre initiation des droits, des devoirs politiques nouveaux. Le temps de se prononcersur lhistoire locale, dans cette priode si proche de nous,nest pas encore venu. Puisse le jeune Constantinois, en apprenant lhistoirede son pays quil ignore, concevoir pour le pass de sa villenatale une lgitime fiert. Puissent aussi nos compatriotes de France, sils lisentces lignes, apprendre mieux connatre ce colon, cet indi-gne, ce pays, quils comprennent peu. Puissent-ils appr-cier luvre accomplie par les vaillants pionniers de notre

    patrie, luttant contre le banditisme indigne, contre le cli-mat, contre les difficults souleves chaque pas par lad-

    ministration algrienne et franaise. Nos dsirs seront combls, si ce livre a pu donner untmoignage de leur labeur, qui a su crer une seconde Fran-ce, bien jeune encore, mais pleine de promesses, en face delancienne.

    ERNEST MERCIER.

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    HISTOIRE DE CONSTANTINE 1

    HISTOIRE

    DE CONSTANTINE

    CHAPITRE PREMIER

    Priodes phnicienne et berbre 1000 46 av. J.-C.

    Antiquit de Constantine. On ne peut douter que, dujour o les indignes de lAfrique Septentrionale ont eu atteintun degr de civilisation suffisant pour leur permettre de quitterles cavernes et dhabiter dans des villes, cest--dire, la pre-mire priode de la vie en socit organise, lemplacement deConstantine ne leur ait servi de cit, nous dirons mme de citroyale. Il est difficile, en effet, de trouver une enceinte naturelle

    mieux dfendue et permettant plus aisment de rsister des en-nemis dpourvus darmes feu. Lemplacement de Cirta, a ditle gographe Mannert, offre les plus grands avantages : il est labri des attaques des hordes nomades et propre soutenir unsige rgulier ; les environs sont bien arross et la vgtation enest riche et varie.

    Le Peuple autochtone. Ce peuple autochtone de lAfri-que Septentrionale, dont les anciens nont pas reconnu lunit,et auquel ils ont appliqu des noms trs divers, a reu des Ara-

    bes lappellation gnrique de Berbre. Nous la lui conserverons,car, elle est prcise et nous vitera toute quivoque. Les Berbresont d tre constitus au moyen dun fond absolument africain se

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    rattachant, comme parent, aux vieilles races de lgypte et delAbyssinie. Sur ce substratum se sont tendus, diffrentes poquestrs recules, des immigrations de peuples smitiques venus delgypte et des invasions de peuplades analogues aux Celte-Ib-res, ayant pntr sans doute par le dtroit de Gibraltar. Ce dou-

    ble lment tranger a laiss son empreinte dans les murs etdans le type berbre ; mais la vieille race africaine a toujours pris

    le dessus en absorbant ses envahisseurs dont elle a adopt, plusou moins, les coutumes et la civilisation, mais en demeurant elle-mme.

    tat social des Berbres. Ces Berbres paraissent avoirvcu en confdrations de tribus, chaque tribu ayant son chef ouroi, et la confdration obissant une sorte de roi des rois. Ces

    dignits qui, lorigine, taient peut-tre lectives, se transmet-taient suivant certaines rgles, dans des familles royales. Nous neparlerons pas des murs des Berbres de cette poque. Diodoreet Hrodote nous ont transmis, sur les Lybiens, tel est le nomque les Grecs leur donnaient, des dtails qui nont pas grandevaleur historique. En ralit, nous ne savons rien cet gard, sinon que ces peuplades taient plus ou moins sauvages, selon leur

    plus ou moins grand loignement des centres de civilisation etquelles taient fort souvent en guerre les unes contre les autres.De tout temps, en Afrique, le nomade tabli dans le dsert ou surla ligne des Hauts-Plateaux, a t lennemi du cultivateur sden-taire et de lhabitant des villes et des oasis. Le seul objectif decelui-l, a t de se substituer celui-ci.

    Les Phniciens. Les Phniciens, ces navigateurs si remar-quables, commencrent, environ dix sicles avant lre chrtienne tablir des comptoirs en Afrique. Les Berbres les accueillirentavec une grande dfiance et ce fut surtout en employant la ruse queles ngociants de Tyr et de Sidon parvinrent se fixer au milieudeux ; nous nen voulons pas dautre preuve que la lgende de

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    la fondation de Karthage par Didon. On sait que la reine navaitobtenu qu grand-peine la cession temporaire de lemplacementque pouvait couvrir une peau de buf, sur la colline de Byrsa, etque, pour en centupler ltendue, elle imagina de dcouper cette

    peau en une lanire excessivement mince, au moyen de laquelleelle engloba un espace raisonnable. Mensonges, dira-t-on, maisrendant bien ltat desprit des uns et des autres. Les services rendus au pays, par les changes, premire for-

    me du commerce dimportation et dexportation, la civilisationsuprieure de ces phniciens, les firent dabord supporter, puis lesrendirent ncessaires. A mesure que ces colonies devinrent plus

    prospres, leur influence rayonna sur les indignes et, en maintsendroits, ces htes devinrent des matres, ou au moins des allis.

    Karthage. Ses relations avec Cirta. Karthage, comme

    toutes les autres colonies puniques, servit longtemps aux Berb-res, les charges et coutumes qui lui avaient t imposes ; maislorsque la future mtropole de lAfrique fut devenue puissante,elle lutta contre les propritaires du sol pour se dcharger de sesobligations. Selon Justin, elle tait en guerre contre les Lybiens(Berbres), une poque que Paul Orose croit tre contemporai-ne de Cyrus. Cet auteur (Justin), parle galement des dmls de

    Didon (cest--dire de Karthage), avec Yarbas, roi des Numides.Des ambassadeurs puniques furent envoys ce chef, qui rsidait

    peut-tre Cirta, car cette ville a t souvent la capitale du paysappel Numidie et qui correspond peu prs notre province deConstantine, augmente de la partie mridionale de la Tunisieactuelle. Le roi berbre nexigea rien moins que la main de lareine de Karthage, la menaant de toute sa colre en cas de refus ;les envoys nosrent transmettre cette audacieuse requte leurmatresse ; ils se contentrent de dire que Yarbas rclamait desgens de sa suite pour servir dinitiateurs de la civilisation chezses sujets(1).____________________ (1) Herodote, Justin, Paul Orose,Aristote, Tite-Live, Polybe, Diodore, etc.

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    Alliances des Berbres avec les Karthaginois. CependantKarthage devenait trop puissante au gr des Berbres et ils suni-rent pour tenter de lcraser ; mais les Phniciens triomphrentde ces ligues. Bientt les indignes renoncrent lutter et, avec lamobilit de leur caractre, ils ne tardrent pas entrer au servicedes Karthaginois, comme mercenaires. Ils allrent, leur suite,en Sardaigne, en Sicile et en Espagne et les aidrent triompherdAgathocle, roi de Sicile, lors de sa descente en Afrique (301-

    306 av. J. C), en leur fournissant des vivres et des guerriers. Trs utiles aux Karthaginois pendant la premire guerre pu-nique, ils contriburent, aprs la conclusion de la paix, leur crerles embarras qui se terminrent par la rvolte des mercenaires,lutte cruelle que lhistoire a appele : la guerre inexpiable.On saitque cet pisode tragique a tent la plume des romanciers. Lafri-cain Mathos et le numide Naravase y jourent un grand rle, (238

    av. J.-C). Les Karthaginois firent ensuite plusieurs expditionsdans la Numidie et paraissent avoir occup Theveste (Tbessa).

    CONSTANTINEselon un des modles qui se trouvent au Muse

    Les Numides pendant la deuxime Guerre punique. Dansle cours de la seconde guerre punique, les Numides fournirent

    Hannibal(1)

    de nombreux auxiliaires et notamment un corps decavalerie qui lui rendit les plus grands services, dans sa mmo-rable campagne (218). Partis avec lui de lEspagne, les Africainstraversrent les Pyrnes, la Gaule, les Alpes ; prirent part aux____________________ (1) Ce mot signifie en phnicien Don de Dieu . On pourrait lcrireplus exactement sous cette forme Henn-Baal.

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    plus importantes affaires, notamment celle de Cannes, et, fortrduits en nombre, restrent avec le gnral Karthaginois dansle midi de lItalie, jusqu ce quil fut rappel en Afrique par ledbarquement de Scipion. Cest partir de cette poque (fin du IIIe sicle av. J.-C.) quelon commence avoir des renseignements positifs sur le peuple

    Numide. Les auteurs nous le montrent divis en deux grandesnations : lesMassiliens, lest, avec Zama-regia(1)comme capi-tale et lesMasssiliens, louest, ayant comme capitale Siga, lembouchure de la Tafna.

    Sifax, roi des Numides. Masssiliens, sallie aux Romainset entre en lutte avec les Massiliens allis de Karthage.Mas-sinissa. Les Romains firent tous leurs efforts pour gagner les

    Numides leur cause, et leur envoyrent une dputation de leurs

    principaux citoyens afi

    n de les entraner oprer une diversioncontre Karthage, Sifax tait alors roi des Masssiliens : ils le d-tachrent de lalliance de Karthage et envoyrent des centurions

    pour lui apprendre la tactique romaine et former ses sujets ladiscipline militaire. Pendant que Sifax se prparait intervenir, le roi des Mas-siliens, Gula, rest fidle aux Karthaginois, tait invit par eux

    attaquer son voisin, dont ils lui faisaient craindre les entreprises.Gula avait un fils du nom de Massinissa, jeune homme coura-geux et plein dardeur, qui ne cessait de le presser dentrer enlutte. Ayant runi une arme, le roi des Massiliens se mit en cam-

    pagne contre son ennemi et le vainquit dans une grande bataille.Sifax neut alors dautre ressource que de se rfugier chez lesMaures(2). Aprs ce brillant succs, Massinissa conduisit larme

    massilienne en Espagne, et contribua puissamment la dfaitedes Romains.____________________ (1) Lemplacement de cette ville se trouve en Tunisie, sur le mridiende Tabarka, au sud de la Medjerda. (2) La Maurtanie, proprement dite, correspond au Maroc actuel et la province dOran.

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    Mais le prince numide stait trouv en contact, dans la P-ninsule, avec le jeune Scipion ; il avait prouv sa gnrosit etsubi la sduction de son caractre. La consquence tait aise

    prvoir : il abandonna le parti de Karthage, pour passer dans lecamp de son nouvel ami (207). Tandis que Massinissa guerroyait en Espagne, Sifax, avecsa tnacit qui est un des traits du caractre africain, relevait latte, reformait une arme et recevait des avances des Karthagi-

    nois,fi

    dles leur systme dquilibre, quils jugeaient compro-mis par la trop grande puissance des Massiliens. Ainsi, Sifax serapprochait de Karthage, alors que Massinissa, plus clairvoyant,labandonnait. Cependant les Romains voulant conserver leurancien alli lui dpchrent Scipion ; mais celui-ci fut devan-c chez le roi numide par Asdrubl(1), envoy de Karthage. Lesdeux ambassadeurs luttrent dadresse, nanmoins, lhabile di-

    plomatie de Scipion parvint maintenir Sifax dans lalliance desRomains.

    Victoires de Sifax. Il stablit Cirta. Aprs son d-part, Sifax envahit le pays des Massiliens et sen empara. Le vieuxGula tait mort depuis quelque temps et ses successeurs navaientsu, ni pu, se maintenir sur le trne, de sorte que le royaume tait

    chu Massinissa, alors absent. Non content de le dpouiller deson hritage, pendant son absence, Sifax lui enleva sa fiance, la

    belle Sophonisbe, fille dAsdrubl, (selon Appien), jeune Kartha-ginoise dans tout lclat dune beaut sans rivale. Cest sans doute cette poque que Sifax stablit dfini-tivement Cirta, au centre de son royaume agrandi. Il se dga-gea en mme temps de ses promesses envers Scipion (206). A lasuite de la reine, une colonie karthaginoise vint se fixer Cirtaet renforcer llment phnicien qui sy trouvait dj. Elle y im-

    porta en partie, son culte, ses murs, sa civilisation ; peut-trele temple lev Baal-Molok et Tanit, dont on a retrouv les____________________ (1) Azrou-Baal (secours de Dieu).

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    ruines, avec un grand nombre dinscriptions votives, langle dela route de Stif (dans la proprit Rousselot) a-t-il t lev cette poque.

    Massinissa retourne en Afrique. Il est vaincu par Sifax. Ds quil eut appris ces nouvelles, Massinissa accourut enNumidie. Un de ses parents, nomm Lucumans, avait usurplautorit dans la partie de la Numidie Orientale, non encore sou-mise Sifax. Il le vainquit, rentra en possession de son territoireet partagea nanmoins le pouvoir avec lusurpateur. Mais Sifaxenvahit sa province ; Massinissa essaya en vain de le repousser: Il prouva une telle dfaite quil ne lui resta dautre ressourceque de chercher un refuge dans le Mont Balbus, sur le rivageoriental de la Tunisie. Rduit au rle de chef de partisans, il v-cut de brigandages, faisant sans cesse des incursions sur le ter-

    ritoire karthaginois. Mais, bientt, Bokkar, lieutenant de Sifax,vient ly relancer. Massinissa est encore dfait ; rduit la fuite,dangereusement bless, nayant plus que quelques hommes aveclui, il peut chapper ceux qui le poursuivent, en lanant seschevaux travers une rivire dborde que ses ennemis nosentfranchir. Il atteint enfin une caverne o il peut se gurir de ses

    blessures (205).

    On le croyait mort, lorsquil reparat en Numidie, lve dixmille fantassins et quatre mille cavaliers et rentre en campagne.Mais Sifax, aid de son fils Vermina, lui inflige une dfaite entreCirta et Hippone (Bne). A la tte dun peloton de soixante-dixcavaliers, Massinissa souvre un passage et trouve enfin un re-fuge dans le dsert, au-del du Djerid. Sa fortune semble perdue jamais, tandis quau contraire elle va commencer (204).

    Massinissa rejoint Scipion et laide repousser les Numi-des. Au printemps de lanne 204, Scipion dbarque en Afri-que, portant, par une heureuse inspiration, la guerre chez sesennemis. Aussitt Massinissa accourt du dsert, suivi de quel-ques cavaliers et opre sa jonction avec les Romains. Il les guide

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    dans le pays quil connat bien et les accompagne Utique, dontScipion entreprend le sige. Mais Sifax arrive avec une puis-sante arme, au secours des Karthaginois, dbloque Utique etforce les Romains se retrancher dans un camp o ils passentlhiver. Cependant le gnie de Scipion, second par Massinissa,sait se tirer de ce mauvais pas : il surprend et incendie tour tourle camp des Karthaginois et des Numides (203). La victoire desGrandes Plaines sur les Africains coaliss, complte le succs

    des Romains. Dfaite et Captivit de Sifax. Pour rcompenser Mas-sinissa, qui ne respirait que la vengeance, et abattre en mmetemps un dangereux ennemi, Scipion chargea son lieutenant L-lius daider le prince berbre reconqurir, au moins en partie,son royaume. A cette nouvelle, Sifax marcha la rencontre des

    envahisseurs et leur livra une grande bataille, mais le sort desarmes le trahit : ses soldats furent mis en droute ; quant lui, ilcombattit avec la plus grande bravoure, jusqu ce que, son che-val stant abattu, il se blessa dans sa chute et fut fait prisonnier

    par ses ennemis. On le conduisit Massinissa et ce chef, aprsavoir savour la volupt de la vengeance, en voyant son enne-mi entre ses mains, entrana Llius et les soldats romains vers

    lOuest, en dpit des instructions du gnral en chef qui navaitpas autoris cette pointe. Mais Massinissa ne considrait pas sarevanche comme complte : ctait Cirta et Sophonisbe quil luifallait encore.

    Massinissa sempare de Cirta.Ayant pris les devants avecla cavalerie, le prince berbre arrive sous les murs de la capitale

    numide, avant que la nouvelle de la dfaite et de la captivit deSifax y ft parvenue. Il presse les citoyens de lui accorder une en-trevue ; mais tous sont en armes sur les remparts, disposs unersistance acharne, et refusent de lcouter. Il montre alors Sifaxenchan et cest un vritable coup de thtre : les uns surexcits

    par la rage veulent dfendre outrance leur cit ; les autres, en

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    proie la terreur, jettent leurs armes, et bientt le parti des lchesouvre la porte lennemi, dans lespoir dobtenir son pardon. Sophonisbe et Massinissa. Pntrant dans la ville, Mas-sinissa courut de toute la vitesse de son cheval vers le palais deSifax(1). Sur le vestibule se tenait la belle Sophonisbe. A son ap-

    proche elle se prosterna ses pieds et lui adressa un discoursloquent que Tite-Live reproduit sous la forme suivante : Les dieux, votre courage et votre fortune vous ont rendu

    matre de mon sort. Mais sil est permis une captive dimplo-rer larbitre de sa vie et de sa mort, je vous conjure, par lamajest royale dont nous tions tout lheure environns, parle nom de Numide qui vous est commun avec Sifax, par lesdivinits de ce palais que je prie dtre plus favorables votrearrive quelles nont t profitables son triste dpart ; je vousconjure de maccorder cette grce que vous dcidiez vous-m-

    me de mon sort, quelles que soient vos dispositions lgardde votre prisonnire, et de ne point souffrir que je tombe en la

    puissance daucun Romain. Quand je naurais t que la femmede Sifax, jaurais toujours prfr la foi dun prince numide, ndans lAfrique, comme moi, celle dun tranger. Mais vouscomprenez ce quune Karthaginoise, la fille dAsdrubl, doitredouter des Romains ; sil ny a que la mort qui puisse mesoustraire leur puissance, je vous prie, je vous conjure de mela donner ! Cet pisode, si dramatique a inspir nos littrateurs et nos

    potes ; peut-tre avait-il dj tent les auteurs anciens et subi deleur part quelques embellissements. Ainsi cette qualit dancien-ne fiance de Massinissa qui rend, dans lentrevue prcdente, la

    situation de Sophonisbe si romanesque, ne lui est donne que parAppien. Quant Tite-Live, si prolixe dans tout ce rcit, il nen____________________ (1) Ce palais occupait peut-tre une partie de lemplacement de Dar-El-Bey, dans le sol duquel des substructions trs anciennes ont t trouves ;peut-tre tait-il la Kasba qui a servi, en tout temps, de citadelle et de r-duit ; peut-tre tait-il sur la place de la Brche.

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    parle pas ; en tout tat de cause, si le dire dAppien est une inven-tion, il faut reconnatre que le fait en lui-mme na rien que detrs plausible. Mais, que Massinissa ait retrouv dans la femme deSifax une ancienne fiance, ou quil la vit alors pour la premirefois, tous les auteurs sont daccord pour affirmer quil fut tellementfrapp de sa beaut, quil en devint pris et rsolut de lpouser. Pendant ce temps, Sifax, conduit Scipion et questionn

    par lui sur les mobiles de sa rupture avec les Romains, recon-naissait quil avait cd linfluence de Sophonisbe. Cest elle,disait-il, cest la fille dAstrubl, qui my a pouss. Je lai aime

    pour mon malheur. Elle aime ardemment sa patrie et est habile persuader ce quelle veut. Cest elle qui ma fait lalli de Khar-tage et qui ma prcipit dans cet abme de maux. Prenez gardequelle ne sduise aussi Massinissa et ne lentrane son parti. Telles sont les singulires paroles que Tite-Live met dans la bou-

    che de Sifax et, si elles sont peu dignes du roi vaincu, elles sonthumaines et ne rduisent en rien lintrt qui sattache la figurede Sophonisbe. Scipion tait un politique trop prudent pour ne pas sentir lesdifficults de la situation. Au lieu de faire prir Sifax, il le gardaauprs de lui et en obtint des renseignements prcieux, puis iladressa Llius lordre denlever Sophonisbe Massinissa et de

    la lui faire conduire. Or, Llius avait dj voulu la prendre pourladjoindre lensemble du butin, afin de laisser son matre lesoin de statuer son gard ; mais Massinissa lui avait oppos unrefus formel. Appien dit, quaprs avoir reu lordre de Scipion,le prince berbre essaya de le flchir en lui reprsentant les mal-heurs de Sophonisbe et les siens, mais que le gnral en chef,sans vouloir lentendre, lui aurait rpondu en ces termes : Vous

    ne devez pas priver Rome de ses dpouilles ; il faut tout mettre encommun ; vous demanderez ensuite ce que vous dsirez et .lonvous accordera ce que vous aurez mrit dobtenir ! Massinissa, voyant toute insistance inutile, demanda uneescorte de soldats pour aller chercher Sophonisbe ; mais avantde la livrer, il se mnagea une entrevue se crte avec elle et lui

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    remit du poison en linvitant choisir entre la mort et lesclavagechez les Romains, ses implacables ennemis. La fire Karthagi-noise nhsita pas, elle vida la coupe empoisonne et, lorsque lessoldats entrrent, Massinissa ne leur remit quun cadavre. On luifit, dit-on, de magnifiques funrailles. La chute de Sifax acheva de dmoraliser les Karthaginois; peu aprs, la bataille de Zama, mettait fin la deuxime guerre

    punique. Karthage vaincue, tait oblige daccepter les condi-

    tions les plus dures, prlude de sa ruine dfi

    nitive. (202). Massinissa, roi de Numidie, stablit Cirta. Il restait rcompenser Massinissa, tout en sassurant son utile coopra-tion. Scipion lui donna libralement le royaume de Sifax : ctaitla runion des deux Numidies avec Cirta pour capitale. Il reutle titre de roi alli et Scipion lui envoya comme insignes

    une couronne et une coupe dor, une chaise curule, un sceptredivoire et une robe de pourpre brode, avec les ornements dutriomphe. Pendant ce temps, Sifax, transport Rome avec les pri-sonniers, tait incarcr Albe, en attendant quil ornt le triom-

    phe de Scipion ; mais il ne tarda pas y mourir de chagrin etdennui ; on lenterra dcemment et les autres captifs reurent la

    libert. Puis ce fut Vermina, fils de Sifax, qui, aprs la bataillede Zama, o il avait vaillamment combattu les Romains, staitrfugi dans le Sud, vint faire sa soumission aux vainqueurs etreut deux linvestiture de la Masssilie occidentale (provincedOran)(1).

    Rle civilisateur de Massinissa. Massinissa rgna delongues annes Cirta, occup surtout embellir cette ville. Il yappela des colons grecs qui initirent les Numides la pratiquedes arts, o ils excellaient. Larchitecture, la sculpture, la gravurefurent surtout en honneur ; la musique mme fut encourage et____________________ (1) Voir les auteurs prcdents. Cornlius Npos est ajouter Appien.

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    Athne nous apprend que le roi numide avait des musiciensgrecs ses repas. Il sattacha galement amliorer lagricul-ture et rpandre chez ses sujets les principes de lagronomie

    phnicienne, vulgariss par Magon(1), afin de les fixer au sol. Enmme temps, il les formait la discipline militaire et la tactiqueromaines.

    Mais si les Romains lavaient plac aux flancs de Karthage,cest quils savaient bien que, sous la double impulsion de sa hai-ne et de son ambition, il ne manquerait pas de soulever dinces-santes difficults au dtriment de lennemi hrditaire. Bientt,en effet, Massinissa commena ses empitements sur le territoire

    de Karthage et ne cessa de stendre vers lest que quand toutesles populations de lintrieur, depuis lAmsaga(2)jusqu la Cy-rnaque lui obirent. En vain Karthage rclama justice Rome ;on ferma les yeux sur les usurpations du prince berbre, certain,au fond, dtre agrable sa suzeraine et qui trouvait le moyen deconserver la faveur du peuple-roi, par loffre incessante et len-voi de secours en hommes, en grains, en lphants, mme, pour

    les guerres dAsie et de Macdoine.

    Rupture entre Karthage et Massinissa. Pousse boutpar tant dinjustices, Karthage se disposa la guerre contre Mas-sinissa et, comme dclaration de rupture avec lui, expulsa tousses adhrents de son territoire. Aussitt, le roi Numide envoya Rome son fils Gulussa pour dnoncer la conduite de Karthage.

    Des ambassadeurs se rendirent en Afrique et constatrent la ralit____________________ (1) Les prceptes de Magon furent traduits en latin par ordre du Snatde Rome et reproduits en partie par les auteurs Varron, Columelle, Pline etPalladius ; ce Karthaginois fut, sinon le pre, au moins le matre de lagrono-mie des pays mditerranens. (2) Rivire de Constantine.

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    des prpatifs belliqueux des Karthaginois, ce qui tait en contra-diction formelle avec le texte du dernier trait. Caton saisit cetteoccasion pour redoubler dinstances et finit par triompher : laruine de Karthage fut dcide. Sur ces entrefaites, Massinissa, brusquant la solution, en-tra en campagne. Le gnral punique Asdrubl remporta dabordquelques succs contre lui ; mais, Massinissa, par dhabilesmanuvres attira les Kharthaginois dans un terrain choisi et leur

    livra une grande bataille. Laction fut longtemps indcise ; levieux roi berbre, alors g de 88 ans, chargea lui-mme, ainsique laffirme Appien, la tte de ses troupes et combattit avecla plus grande vaillance. Cependant cette action ne fut pas dci-sive. Massinissa parvint ensuite envelopper ses ennemis et les

    bloquer si troitement quils ne tardrent pas tre en proie lafamine. Aprs avoir support de grandes souffrances et perdu la

    moiti de son effectif, le gnral karthaginois se dcida la sou-mission. Il livra les transfuges et sengagea payer une indemnitconsidrable et rappeler les exils ; de plus, tous ses soldats de-vaient tre dsarms ; mais, pendant que les dbris de cette armerentraient Karthage, Gulussa, fils du roi numide, fondit sur euxet les tailla en pices. Cette campagne cotait 60.000 hommesaux Karthaginois (150).

    Mort de Massinissa. Peu aprs, larme romaine dbar-quait en Afrique. Le vieux Massinissa, sentant sa fin prochaine, fitvenir auprs de lui le jeune Scipion Emilien, tribun militaire, et ledsigna comme son excuteur testamentaire. Aprs avoir pris cesdispositions, il se fit rapporter Cirta, o il ne tarda pas rendrelme (149). Il laissait un grand nombre denfants, parmi lesquels

    trois seulement, Micipsa, Gulussa et Manastabal, taient destins rgner. Le premier avait reu de son pre lanneau, signe ducommandement. Une des dernires recommandations du vieuxroi ses fils avait t de conserver toujours fidlit aux Romains. Massinissa est une des belles figures de lhistoire de la Ber-

    brie. Ctait un cavalier accompli et, bien que parvenu un trs

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    grand ge, il continua jusqu ses derniers jours la pratique delquitation. Nous avons dit quels furent ses efforts pour faire

    pntrer la civilisation chez ses sujets ; il fut vritablement uninitiateur pour la Berbrie. Bien que vivant dans un grand luxe, entour dartistes et delittrateurs grecs, il pratiquait, pour lui, une extrme simplicit,et, tandis que le repas tait servi ses htes dans de la vaisselledor, il ne voulait pour son usage que des cuelles de terre.

    Les mdailles que nous possdons de lui le reprsentent deprofil, la tte laure, couverte de cheveux crpus ou boucls, lenez droit, fortement prononc, la barbe en pointe, avec une lon-gue moustache la rejoignant. A lavers est un lphant, et au-des-sous est grave une mdaille punique. On le trouve assez souventavec llphant au repos(1).

    Rgne de Micipsa. Scipion Emilien, charg par lui de par-tager son hritage entre ses fils, leur laissa, tous les trois, le titrede roi, en donnant la suprmatie Micipsa, avec Cirta comme r-sidence. Gulussa eut le commandement des troupes et la directiondes choses de la guerre ; quant Manastabal, il fut plus particuli-rement charg de la justice. Les trsors restrent en commun. Peu aprs, Karthage tombait au pouvoir des Romains, malgrune hroque rsistance. Le vu de Caton tait exauc : la rivaletait abattue et son territoire rduit en province romaine (146). Micipsa, homme dun caractre tranquille et studieux, par-tageait son temps entre ltude de la philosophie grecque et lesoin dembellir sa capitale ; il ne manifestait aucune ambition,se contentant de mriter le surnom de lHellne quon lui avait

    dcern. Strabon affi

    rme quil construisit Cirta un grand nom-bre ddifices et dtablissements splendides, quil y appela unepopulation nombreuse et y tablit une colonie grecque(2).____________________ (1) VoirRecueilde la Socit archologique de Constantine 1890-91,p. 451 et s. et 1899. (2) Voir Salluste, Guerre de Jugurtha et Plutarque, vie de T. Gracchus.

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    Aprs avoir vu mourir successivement ses deux frres, ilcontinua exercer le pouvoir avec laide de ses fils Adherbalet Hiemsal, et de son neveu Jugurtha, fils de Manastabl, sap-

    pliquant soigneusement remplir ses devoirs de roi vassal, vis--vis de Rome. Son royaume stendait alors du Molokat auxSyrtes avec lenclave forme par la province romaine dAfrique(territoire de Karthage). Lors du sige de Numance, il envoya ses matres une arme auxiliaire sous la conduite de Jugurtha.

    Peut-tre esprait-il se dbarrasser ainsi de ce neveu dont lam-bition leffrayait pour ses fils. Or, il arriva que le jeune berbresut chapper tous les dangers, bien quil les affrontt avec le

    plus grand courage ; ses talents lui acquirent lestime de tous et ilrapporta en Afrique la renomme dun guerrier accompli, ce quicontribua accrotre son prestige aux yeux des indignes.

    Micipsa rgna paisiblement, pendant trente annes et mou-rut en 119, laissant ses fils un royaume prospre, un trsor biengarni et une capitale florissante. Le mdailler du muse de Constantine contient un grandnombre de pices leffigie de Micipsa. Ce sont de beaux typesrguliers, au profil allong, avec la barbe en pointe. Au revers estun cheval. On y voit galement des mdailles de Cirta, personni-fie par une tte de femme, o lon reconnat la main des artistesgrecs. Au revers se trouve une porte de ville, derrire laquelleon aperoit une seconde porte en ogive. Cest, videmment, lareproduction de documents de Cirta(1).____________________ (1) Voir les mdailles de Constantine.

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    Rgne desfils de Micipsa. Jugurtha. Avant de mourir,Micipsa avait recommand ses deux fils et son neveu de vivreen paix et unis pour la dfense de leur royaume ; mais, peineavait-il ferm les yeux, que des discussions slevrent entre lestrois hritiers loccasion du partage des trsors et des provinces.Adherbal et Hiemsal sattriburent la part du lion, cest--direla Numidie proprement dite ; quant Jugurtha, il dut se contenterde la Numidie occidentale, comprise entre la Molokat et le m-

    ridien de Bougie, vaste territoire, il est vrai, mais peupl par desMaures sauvages que la civilisation numide navait pas encorepntrs.

    Usurpation de Jugurtha. Jugurtha, homme dune insa-tiable ambition, joignait au courage du guerrier une tnacit in-vincible et une profonde habilet politique ; il avait, en outre, cet

    avantage dtre sans aucun scrupule dans le choix des moyens. Ilcommena par faire assassiner Thermida, (Tunisie), Hiemsal,celui des deux frres, qui, par son nergie, tait quelque peu craindre. Ayant ensuite runi une arme, il envahit la Numidie,dfit Adherbal, qui avait essay de larrter, et le fora cher-cher un refuge dans la province romaine de Karthage. Le princedpossd en appela la justice de Rome ; des commissaires,

    envoys par le Snat, vinrent en Afrique et le replacrent sur letrne, mais ils ninfligrent aucune punition Jugurtha. Ctait

    partie remise.

    Sige de Cirta par Jugurtha. Rentr dans sa province,Jugurtha sallia avec Bokkar, roi des Maures, dont il pousa lafille ; puis il ne tarda pas recommencer les hostilits contre son

    cousin Adherbal. Il dfit ses troupes et le contraignit se retran-cher derrire les murailles de Cirta, o il vint lassiger. Danscette ville se trouvait un grand nombre de colons italiotes, arti-sans et marchands, passs en Afrique aprs la chute de Karthage,tous bien dcids dfendre la cause du prince lgitime. Tandis quil pressait les oprations de ce sige, Jugurtha

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    reut la visite de trois dlgus arrivs de Rome, pour le som-mer de mettre bas les armes ; il les congdia en les comblantdhonneur et de protestations, mais continua de presser la ville.Mand ensuite Utique, par de nouveaux envoys du Snat, iltenta au pralable denlever Cirta en donnant lassaut ; ayant trepouss, il se dcida se rendre Utique, o il reut avec la plusgrande dfrence extrieure les injonctions lui adresses, ne fitnanmoins aucune promesse, et revint Cirta dont le blocus avait

    t rigoureusement maintenu. Cette ville tait alors rduite la dernire extrmit par lafamine. La nouvelle de lchec des ngociations des envoys ro-mains acheva dy rpandre le dcouragement et le dsespoir. LesItaliotes parlrent de se rendre, pour viter des maux plus grands,et Adherbal voyant flchir la fidlit de ses adhrents, se dcida traiter avec son cousin. Jugurtha promit tous la vie sauve ;

    mais, ds quil eut entre les mains les cls de la ville, il ordon-na le massacre gnral des habitants, sans pargner les Italiotes.Quant Adherbal, il prit dans les tourments les plus raffins.

    Jugurtha seul matre de la Numidie. Ainsi Jugurtha restaseul matre du royaume de Numidie et stablit en souverain danssa capitale. Mais le massacre de citoyens latins ne pouvait tresupport par Rome, comme lassassinat dun prince berbre, et

    cette cruaut inutile eut pour effet de dchaner contre Jugurthala colre du peuple romain. Lhabilet du roi de Cirta, la corrup-tion quil savait si bien pratiquer, le prservrent pendant quel-que temps encore : il alla lui-mme Rome et russit, par sesintrigues, carter le danger. Son audace ne connat alors plusde bornes : il fait assassiner Massiva, fils de Gulussa, venu en

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    Italie pour obtenir justice. Mais la coupe dborde. Jugurtha, ex-puls de lItalie, prononce, en se retirant, ces paroles au moins sin-gulires dans la bouche de celui qui avait puis tous les moyensde corruption : Ville vnale et prte prir si elle trouve unacqureur!

    Premires campagnes des Romains contre Jugurtha. Cette fois, il faut se prparer la guerre. Des gnraux romains

    viennent avec leurs armes envahir la Numidie ; le prince numideles amuse ou les corrompt (109), jusqu ce quenfin Metellusprenne la direction des oprations. Ds lors, la face des choseschange : battu et pourchass, Jugurtha songe se rendre ; untrait est prpar par les soins dun de ses officiers du nom de Bo-milcar(1)qui veut le livrer Metellus. Mais, au dernier moment,Jugurtha vente le pige et prend la fuite. Ds lors, il na plus un

    instant de tranquillit, voit des tratres partout et ne cesse dtreen dfiance. Au printemps de lanne 107, Metellus envahit la Numidie ;Jugurtha lui offre le combat, mais il est vaincu, contraint la fuite,et Cirta ouvre ses portes Metellus. De l, le gnral romain vaassiger le roi numide Thala, forteresse situe au S.-E. de Tbes-sa, non loin de Capsa (Gafsa), o il stait retranch, len dloge

    et le force se rfugier dans le dsert, chez les Gtules. Sans se laisser abattre par les revers, Jugurtha arme les G-tules, et les forme la discipline militaire ; en mme temps, ildcide son beau-pre Bokkus, roi de Maurtanie, soutenir parles armes sa cause, et bientt, les deux princes, ayant runi leursforces, marchent sur Cirta.

    Marius dirige la guerre contre Jugurtha. Sur ces entre-faites, Marius, qui avait russi obtenir du Snat la direction dela guerre dAfrique, arrive avec des renforts. Il prend Cirta com-me base doprations et, avec les 50.000 hommes dont il dispose,____________________ (1) Rgulirement (Abd-Melkart ou Malek-Kart).

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    entreprend une grande campagne dont le but est de dgager lesud et denlever Jugurtha une partie de ses adhrents. Il com-

    mence par aller rduire loasis de Capsa (Gafsa, au sud de laTunisie) ; puis il savance vers lOuest, parcourt et pacifie le Zabet le Hodna. La marche des rois numides a t arrte par sessuccs. Bokkus est rentr chez lui et Jugurtha le prie inutilementde le seconder : il va jusqu lui promettre le tiers de la Numidieet le dcide enfin fournir sa coopration. Mais Marius, second

    par Sylla, entreprend contre les confdrs une brillante cam-pagne dont M. Poulle a indiqu, avec beaucoup de sagacit, lethtre(1). Les rois berbres sont compltement battus.

    Chute de Jugurtha. Rentr Cirta pour prendre ses quar-tiers dhiver, Marius y reoit les envoys de Bokkus, venant im-

    plorer la paix. Ds lors, la perte de Jugurtha est rsolue et Syllaest charg daller le recevoir des mains de son beau-pre qui a

    promis de le livrer. On sait que Bokkus, aprs avoir hsit entreces deux partis : livrer Sylla Jugurtha ou Jugurtha Sylla, sedcida pour le dernier. Ainsi, la trahison mit fin cette lutte quele gnie du prince numide aurait sans doute prolonge encore. Le 1er Janvier 104, Marius fit son entre triomphale Rome,

    prcd de Jugurtha, en costume royal et couvert de chanes ; puis le

    vaincu fut jet dans un cachot du Capitole o il prit misrablement.

    Rgne de Gauda. Aprs la chute de Jugurtha, les Ro-mains nosrent pas encore prendre possession effective de la

    Numidie. Ils abandonnrent la partie occidentale Bokkus, pourle rcompenser de son concours, et, par lintervention de Marius,

    placrent la tte de la Numidie propre, un frre de Jugurtha,nomm Gauda, depuis longtemps au service de Rome, vieillardcharg dannes, qui mourut peu de temps aprs son lvation.

    Hiemsal II et Yarbas. Ils prennent part aux guerres ci-viles. Bien que les documents prcis manquent sur lhistoire____________________ (1) Maurtanie Stifienne (Socit archologique) 1863.

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    de cette priode, il parat certain quaprs la mort de Gauda, laNumidie fut partage entre Hiemsal II, fils de Gauda, qui eut lapartie orientale, et Yarbas ou Hiertas, auquel chut la partie occi-dentale avec Cirta. Ils rgnrent obscurment, soumis aux ordresde Rome, et suivant de loin les guerres civiles, pendant la rivalitde Marius et de Sylla. Hiemsal II se pronona pour ce dernier etrepoussa Marius, le bienfaiteur de sa famille, qui tait venu luidemander asile. Yarbas, au contraire, ouvrit ses bras au proscrit

    et le recueillit avec sonfi

    ls et quelques partisans, Cirta, sansdoute, dans le cours de lhiver de lanne 88. Yarbas ayant alors rompu avec Hiemsal, marcha contre lui,le dfit et sempara de son royaume. Ctait le triomphe du partide Marius, aussi tous ses adhrents vinrent-ils chercher un refugeen Afrique. Mais bientt Cnius Pompe, envoy par Sylla, avecsix lgions, crasait les Marianites. Yarbas qui avait combattu

    contre eux, tchait de gagner ses cantonnements, suivi des d-bris de ses Numides, lorsquil se heurta un corps de cavaliersmaures, envoys par le roi Bogud, fils de Bokkus, au secoursde Pompe. Gauda, fils de Bogud, commandant cette colonne,contraignit Yarbas se retrancher derrire les remparts de Bulla-regia, sur la Medjerda. Mais Pompe, qui avait envahi la Numi-die, empcha les Berbres de lui porter secours, et bientt Yarbas

    fut forc de se rendre Gauda qui le mit mort(1).

    Hiemsal II, seul roi de Numidie. Juba I. Hiemsal IIreut de Sylla, vainqueur, toute la Numidie (81). Aprs un longrgne, il mourut laissant comme successeur Juba (50). Le nou-veau roi tait un homme dun courage et dune hardiesse rares ;ses rapports avec les Romains lavaient initi aux raffinements dela civilisation, mais son got pour les choses de la guerre lem-

    pchait de tomber dans la mollesse. Persuad quil tait appel jouer un grand rle dans la querelle qui divisait alors le peupleromain, son premier soin, en prenant le pouvoir, fut dorganiser____________________ (1) Florus, hist. romaine.

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    ses forces, non seulement au moyen des guerriers, mais encoreen attirant lui des aventuriers de toute race, qui, au profit delanarchie gnrale, staient runis en bandes et guerroyaient

    pour leur propre compte. Ainsi prpar, il attendit, Cirta, que lemoment dagir ft arriv(1).

    Juba se prononce pour Pompe. Juba avait, contre C-sar, des motifs personnels dinimiti, car il avait t maltrait par

    lui Rome, o il tait all rclamer pour son pre. Il devait, enconsquence, prendre parti pour Pompe et il le fit avec clat. At-tius Varus et les Pompiens staient concentrs dans la provincede Karthage ; Juba, qui venait dtre dclar ennemi public parCsar, leur promit des secours. Bientt Curion, lieutenant de Csar, arriva en Afrique etfora les Pompiens lui abandonner la campagne. Ils se retran-

    chrent Utique, mais Curion vint les y assiger et les rduisit la dernire extrmit. Ils allaient succomber lorsque Juba accou-rut leur secours et fora Curion lever le sige et se retrancherdans le camp Cornlien. Ayant russi par un stratagme, le fairesortir de ses retranchements, il le dfit dans un combat o Curiontrouva la mort. Ce petit succs, dont Juba senorgueillit outre mesure, ntait

    pas suffisant pour relever les affaires des Pompiens. Aprs labataille de Pharsale (aot 48), les restes de ce parti vinrent se r-fugier en Afrique auprs de Varus. Pompe tait mort misrable-ment, mais le parti ne manquait pas de chefs : Metellus Scipion,

    beau-pre de Pompe, Labinus, Caton, Varus et dautres moinsclbres, se trouvaient runis dans la province de Karthage. Jubaleur offrait, sans rserve, ses services, mais, se sentant utile, ilirritait ses protgs par son arrogance. Scipion et Varus se dispu-taient le commandement, et il fallut toute lnergie de Caton pourempcher les confdrs den venir aux mains. Rempli dorgueil

    par limportance que lui donnaient les vnements, le roi berbre____________________ (1) Hirtius ; de bello africano.

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    sentoura des insignes de la souveraine puissance et fit frapperdes mdailles comme roi dAfrique. Il avait, en effet, impos auxPompiens cette clause, quaprs la victoire, la province dAfri-que (la Tunisie) lui serait donne, et il se voyait dj souveraindun vaste empire.

    Csar dbarque en Afrique. Sur ces entrefaites, Csar,qui avait t retenu en gypte, dbarqua audacieusement nonloin dHadrumte (Soua), avec une faible troupe, aprs une p-rilleuse traverse dans laquelle sa petite flotte avait t disperse(46). Pour entraver le secours que Juba offrait aux Pompiens,

    Csar manda aux rois de Maurtanie(1), Bokkus et Bogud, quilleur accordait en pur don la Numidie. En mme temps, il faisaitagir dans le sud, auprs des Gtules pour les pousser inquiterle roi de Cirta. Cependant les divisions paralysaient les forces des Pom-

    piens et de leurs allis, et grce leur inaction, Csar parve-nait se maintenir et se retrancher entre Ruspina (Monastir) et

    Leptis parva (Lamta). Au lieu dagir, Scipion, cdant avec unefaiblesse insigne aux conseils de Juba, laissait ravager, par lessoldats, lAfrique, ce qui dtachait de lui la province coloniale.Enfin, un corps darme de 8.000 hommes, command par Labi-nus, marcha contre Csar. Il tait suivi du gros de larme, avecJuba, et il semblait que Csar et son parti taient jamais perdus,lorsquune habile diversion vint changer la face des choses.

    Diversion de Publius Sittius. Il sempare de Cirta. Depuis plusieurs mois, Csar tait en pourparlers avec un chef____________________ (1) Lancienne Numidie occidentale, rpondant aux provinces actuel-les dAlger et dOran, avait pris le nom de Maurtanie orientale.

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    daventuriers nomm Publius Sittius Nucrinus. Ctait un latin,compromis autrefois dans la conspiration de Catilina et qui, dj,dans le cours de lanne 48, avait aid Cassius craser Marcellusen Espagne. Il avait runi en Afrique une arme de malandrins detoute race, avec laquelle il se mettait au service de quiconque le

    payait convenablement. Appien et Salluste nous le reprsententcomme un homme nergique, dune grande audace et sans aucunscrupule. Il accepta les propositions de Csar et nous allons voir

    combien son intervention devait tre effi

    cace. Ayant opr sa jonction avec les troupes de Bogud, roi dela Maurtanie orientale, Sittius envahit dabord la province Sti-fienne qui obissait un roi berbre du nom de Massanasss, latraversa en vainqueur et marcha directement sur Cirta. Il parvintsans encombre sous les murs de cette ville, et, selon Hirtius, len-leva aprs un sige de peu de jours. Une autre place forte, o se

    trouvaient les magasins de vivres et darmes de Juba, mais dontle nom ne nous a pas t transmis, tomba galement en son pou-voir. Appuy sur ces forteresses, il rayonna dans tous les sens,menaant les villes et les campagnes de la Numidie.

    Diversion des Gtules. Victoire de Csar Thapsus.A la rception de ces graves nouvelles, Juba dtacha une partie

    de son arme et lenvoya, sous la conduite de son lieutenant Sa-bura, au secours de ses provinces. Mais bientt, il lui fallut fairette contre de nouveaux ennemis, les Gtules qui, rpondant lappel de Csar, avaient envahi les rgions mridionales. Me-nac sur son derrire et sur son flanc droit, Juba dut modifier tousses plans. Ainsi le succs couronnait le gnie de Csar. Le dernieracte du drame se joua dans les plaines de Thapsus, o fut livre la

    mmorable bataille qui consacra le triomphe de Csar et lcrase-ment des Pompiens et de Juba.

    Mort de Juba I. Le souverain berbre chapp au massa-cre des siens, rduit se cacher dans le jour et ne marcher quede nuit, atteignit enfin Zama regia, devenue sa capitale depuis

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    la perte de Cirta ; mais il se vit repousser par les habitants effraysdes prparatifs de destruction gnrale quil annonait, pour le

    cas o la fortune lui serait contraire. Ils ne voulurent pas mmelui rendre sa famille enferme dans la cit. En mme temps, ilapprenait la mort de Sabura, dfait et tu par Sittius. Nayant plusdasile, Juba se dcida mourir ; il avait t recueilli, dans uneferme isole, par le Pompien Ptrius et tous deux rsolurentden finir avec la vie : ils se firent servir un festin aprs lequel ilsengagrent un combat singulier o ils devaient se tuer lun lautre

    ; mais la fortune naccorda mme pas cette satisfaction au roi deCirta. Il tua son adversaire, vieillard dbile, et dut se faire achever

    par un esclave (avril 46). Telle fut la fin de Juba I, dit lancien. Onpossde de lui un grand nombre de mdailles.

    La Numidie province romaine. La Numidie proprementdite, avec Cirta comme capitale, fut rige en province romaine

    sous le nom de Nouvelle Numidie, ou Africa nova. Salluste en futnomm proconsul. Lhistorien de la guerre de Jugurtha vint-il sta-

    blir Cirta ? Dans tous les cas on peut voir, au-dessus de la ligne duchemin de fer, avant darriver la gare du Hamma, les jardins quil

    possdait et dont le primtre est dtermin par linscription suivan-te grave sur les rochers :limes fundi Sallustiani.Les proconsuls,on le sait, ne restaient quun an en charge, mais sil faut sen rappor-

    ter au tmoignage de Dion Cassius et de Florus, Salluste, dans soncourt passage aux affaires, Salluste, le moraliste qui anathmatisesi durement son temps, au dbut de sa Guerre de Jugurtha , serendit coupable de telles exactions, quon dut le traduire en justiceet quil fut couvert de honte et dinfamie. Il est probable, du reste,quen raison des franchises municipales laisses Cirta, le rle de

    proconsul de Numidie fut uniquement politique(1).____________________ (1) Certains rudits ont mis en doute le sjour de Salluste Cirta.Cependant la capitale de la Nouvelle province tait bien cette ville, et lonse demande o il aurait pu rsider, si cette tradition doit tre carte ; il estconstant nanmoins quil a habit sa province, puisquil la mise au pillage. Voir la dissertation de M. Pallu de Lessert ce sujet. (Rec. de la Soc. arch.de Const. 1887).

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    Sittius reoit en rcompense le territoire de Cirta. Pourrcompenser Sittius de son active coopration, Csar lui donna,ainsi qu ses compagnons, une partie des territoires par euxconquis sur Massanasss, avec la ville de Cirta et ses environs.La capitale numide reut alors le nom de Cirta Juliaet de CirtaSittianorum(des Sittiens). Ainsi se forma cette colonie des Sit-tiens dont le domaine stendit, dans le Sud, jusque vers Sigus,

    peut-tre mme au-del, et, dans le Nord, jusqu Chullu (Collo).

    Des franchises, une autonomie administrative complte furentlaisses cette colonie que nous verrons prosprer et former,avec Milevum (Mila) et Rusicada (Philippeville), la confdra-tion dite :Rpublique des quatre colonies, destine conserverlongtemps, sous lempire, une organisation spciale. Il est donc probable que le proconsul de la nouvelle pro-vince nexera quune autorit gnrale et toute politique sur le

    territoire de la confdration cirtenne. Les tombes anciennes trouves Constantine relatent lesnoms dune grande quantit de Sittiuset de Sittia. Enfin les docu-ments pigraphiques encastrs dans les murs de la Kasba, ou ru-nis au square de la ville, mentionnent trs souvent la Rpubliquedes quatre colonies.

    SITTIUS

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    CHAPITRE II

    Priodes Romaine, Vandale et Byzantine(45 av. J. C. 648 aprs J. C.)

    Premire organisation administrative de la colonie cirten-ne. On sait que la fondation dune colonie romaine, sous la r-

    publique, rsultait dune loi propose par un conseil, soumise auvote populaire et consacre par un snatus-consulte. Un ou plu-

    sieurs personnages snatoriaux taient ensuite chargs dassisterle proconsul qui prparait la constitution locale, avec le concoursde notables dsigns sur place par leurs concitoyens. Pendant sa dictature, Csar modifia cette tradition en sat-tribuant le droit de fonder des colonies, en vertu de sa simpledcision. Il rigea dabord lancien royaume de Juba, la Numidie

    proprement dite, en province romaine et plaa sa tte, avec le

    titre de proconsul, son ami Salluste qui lavait accompagn danssa dernire et brillante campagne. Mais cette haute fonction fut pour lhistorien de la guerrede Jugurtha, en quelque sorte honoraire, car le dictateur fonda,au centre de la nouvelle province, une colonie autonome, dansun vaste primtre entourant le carr form par les quatre villes

    principales Cirta, Russicada, Chullu et Milev. Il lui donna le nomde Colonia Julia Cirta(1)et mit sa tte son alli P. Sittius Nu-cerinus, avec le titre de lgat proprteuret les pouvoirs les plustendus. Mais les trois autres cits neurent dabord que le titre etles franchises du municipe. Le rang de colonie affranchissait____________________ (1) Elle fut aussi appeleColonia Julia Juvenalis honorisetVirtutis Cirta.

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    en quelque sorte Cirta de laction administrative du proconsul. Sittius fut donc charg, par cette dlgation, de lorganisa-tion administrative de ce petit tat autonome, bien que soumis

    politiquement la mtropole. Ce fut lui qui la dota de sa constitu-tion et y installa ses partisans en leur concdant des terres et des

    privilges dans les cits principales. Nous ignorons le texte de cette constitution ; mais les d-couvertes de larchologie ont permis den reconstituer les traits

    principaux. Cirta conserva en partie ses prrogatives de capitale et, bienque les autres cits de la confdration eussent joui de la plupartdes liberts municipales, elles relevaient, pour ladministrationgnrale, du conseil des dcurions de Cirta, qui dlgua certainsde ses magistrats dans les villes secondaires. En principe, les colonies ntaient que le prolongement

    de Rome et les colons devaient tre des Latins ; mais, dans lapratique, et cest ici le cas, on se contentait dune vritablefiction en donnant ce titre de vritables trangers. Aussi ces co-lonies ne jouirent-elles pas toutes des avantages complets accor-ds aux citoyens, bien qutant soumises, pour ladministration,au droit romain. Quelles mesures transitoires furent prises lgard des indi-

    gnes tablis dans les cits et dans les campagnes. Nous ligno-rons. Cependant, il y a lieu de supposer, que moyennant le servicedimpts et de charges, ils conservrent, en gnral, leurs biens.Quant aux fonctions publiques, ils en furent certainement exclus. Sittius neut du reste pas le temps de donner son uvre lescaractres de lorganisation dfinitive dont nous parlerons plusloin(1).

    Arabion sempare de la Stifienne et tue Sittius. JubaI avait laiss un fils en bas-ge, qui fut lev Rome avec ungrand soin ; les matres les plus clbres de la Grce et de lItalie____________________ (1) Rec. de la Socit archologique de Constantine, T. XXXIX, p. 289 et s.

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    linitirent toutes les connaissances de lpoque, et firent dujeune Numide un savant et un raffin. Octave et Octavie lentou-rrent dune vritable affection. Aprs la mort de Csar (15 Mai 44 av. J. C), un prince ber-

    bre, du nom dArabion, dont le pre Massanasss, roi de la S-tifienne, avait t dpossd de son royaume au profit de Bo-gud I et de Sittius, et qui stait rfugi en Espagne auprs desPompiens, revint en Numidie et arracha au roi de Maurtanie, la

    partie de son hritage quil dtenait. Ctait, dit M. Poulle, unhomme actif, entreprenant, astucieux comme un Numide, avidede pouvoir. Il nest pas douteux quil nait nourri lespoir dex-

    pulser les Romains de la Numidie. Son premier acte fut datti-rer Sittius dans une embuscade et de le tuer.

    Guerre entre les partisans dOctave et ceux dAntoine.

    Ce fait constituait une atteinte directe la majest de Rome ;cependant, on tait absorb en Italie par dautres soins. A la suitedu partage effectu entre les triumvirs, lAfrique chut Octave ;mais Cornificius, gouverneur de la province de Karthage, dcla-rant tenir son pouvoir du Snat, refusa de reconnatre lautoritdu triumvir. Sextius, qui commandait Cirta, reut de ce dernierlordre de prendre possession de la province orientale et nobtint

    de Cornificius quun ddaigneux refus. Les deux gouverneurs envinrent aux mains et, tandis que Sextius oprait une diversiondu ct dHadrumte (Soua), o il se faisait battre, Cornificiusenvoyait un de ses lieutenants D. Llius, avec une partie de sonarme, assiger Cirta. Sollicit en sens inverse par les deux partis, Arabion atten-dait les vnements, afin de se prononcer dans le sens qui lui

    serait le plus favorable. Il craignit alors que, sil laissait craserSextius, le vainqueur ne devnt trop redoutable pour lui et, souslimpulsion de cette ide, il contracta alliance avec les Sittiens etse prpara secourir Cirta. En mme temps, il reprenait loffen-sive et obtenait, dans lEst, un succs important. A cette nouvelle,Llius leva le sige de Cirta et se mit en retraite, poursuivi par

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    Arabion. Bientt ls Romains se trouvrent attaqus des deuxcts la fois et furent entirement dfaits. Cornificius qui tait la tte des troupes, prit avec la plupart des siens. Toute lAfriqueromaine resta sous lautorit de Sextius. Quant Arabion, dont lacoopration avait t si dcisive, il vit sa royaut reconnue et sonautorit respecte par les Romains(1).

    Luttes de Sextius, lieutenant dAntoine contre Fango.

    Mort dArabion. En 43, aprs la rconciliation dOctave etdAntoine, Sextius fut remplac par Fango. LAfrique tait reste Octave, mais la suite de la bataille de Philippes (42), un nou-veau partage intervnt entre les triumvirs dAfrique. LAfrique

    propre (Tunisie et Tripolitaine), avec la Cyrnaque, tomba dansle lot dAntoine, tandis que Csar Octavien gardait seulement la

    Numidie. Sextius fut charg par Fulvie, femme dAntoine, doc-

    cuper la province dAfrique, tandis que Fango, repouss de tousen raison de sa mauvaise administration, tait oblig de se retireret allait stablir Cirta. Le reprsentant dOctave trouva, dans la capitale de la Nu-midie, une population hostile, et bientt il eut faire face unervolte gnrale suscite par Arabion et les Sittiens. Il lutta aveccourage et habilet contre ses ennemis et russit mettre en d-

    route Arabion. Ce prince chercha un refuge auprs de Sextius etle dcida envahir avec lui la Numidie, mais Arabion fut assas-sin pour un motif demeur inconnu, par les ordres de Sextius,qui continua seul la campagne contre Fango. Celui-ci essuya d-faites sur dfaites et enfin Sextius resta seul matre de lAfriqueromaine, augmente de la Stifienne.

    Organisation des provinces par Auguste. En lan 31, lavictoire dActium consacra le triomphe dfinitif dOctave. An-toine avait disparu et il est probable que Sextius abandonna sesconqutes au vainqueur. Quelques annes plus tard, lempire tait____________________ (1) D. Cassius, lib. XLII.

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    fond et son chef prenait le nom dAuguste. Ce prince soccupaavec beaucoup de soin de lorganisation des pays conquis et par-ticulirement de lAfrique. Les provinces paisibles, depuis long-temps occupes, et o peu de forces taient ncessaires, furentappeles proconsulaires ou snatoriales, parce quelles taientadministres par un proconsul, relevant directement du Snat.Cependant les villages ayant le titre de colonies jouissaient degrandes liberts et chappaient lautorit directe du proconsul.

    Les autres, o stationnaient les lgions, furent dites prtoriennesou de lempereur, chef des armes, qui les administrait directe-ment par un reprsentant militaire, prteur ou lgat(1).

    Juba II, roi de Numidie. Nous avons vu que le jeunefils de Juba avait t lev Rome, sous la tutelle de la familledAuguste. Aprs la mort dAntoine et de Cloptre, leurs en-

    fants furent galement recueillis par le vainqueur. Parmi eux setrouvait une fille dune merveilleuse beaut, portant comme samre le nom de Cloptre, et surnomme Sln. Auguste lunit Juba II, et, en lan 25 ou 26 (av. J. C), il plaa ce jeune berbre la tte de la Numidie, non comme gouverneur mais comme roivassal, souverain honoraire de la population autochtone. Ctaitune application de son systme qui consistait chercher se ral-

    lier les indignes par lassimilation et il pensait ne pouvoir trou-ver un meilleur intermdiaire quun compatriote romanis. Mais ce jeune homme, enlev de bonne heure aux siens,et transport dans un autre milieu, navait rien conserv de sonorigine et tait, pour les Berbres, un vritable tranger. Plutar-que nous reprsente Juba II, comme un homme beau, gracieux etdont les dons naturels, rehausss par la culture, lui avaient gagnlamiti dAuguste et dOctavie, et avaient fait sa fortune. H-tons-nous dajouter quil ne trahit pas lespoir quon avait misen lui, quil resta toujours fidle Rome et que, sil namena pasles indignes lassimilation, cest que cette tche, trs difficile,____________________ (1) Pline 7,2. Tacite, annales, P. Orose lib. VI. Patirculus II. Denys le Prigte.

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    ne pouvait tre que luvre du temps(1). Juba II et Cloptre Sln Cirta. Leur dpart pourYol-Csare. Que se passa-t-il Cirta pendant les huit annesqui suivirent llvation de Juba II ? Les auteurs sont muets sur ce

    point et nous en sommes rduits aux conjectures ; mais connais-sant les gots studieux et les talents de Juba, nous pouvons sup-

    poser que la capitale de la Numidie devint le rendez-vous dessavants et des lettrs, un centre de distinction et de civilisation.

    En lan 17, Auguste renonant ladministration directe dela Maurtanie orientale, quil exerait depuis la mort de Bokkus,se dchargea de ce fardeau sur Juba II. Nomm roi de la Maur-tanie Csarienne, ce prince transporta ses pnates Yol-Csare(Cherchel), et bientt, sa brillante capitale rayonna dun brillantclat(2).

    Cirta chef-lieu de la rpublique des quatre colonies. Or-ganisation de cette confdration. Auguste avait lesprit tropmthodique pour permettre une exception aussi complte que le

    petit royaume cirten, tel quil avait t constitu. Tout dabord,il confra Rusicada, Chullu et Milev le titre de colonies, touten laissant Cirta une suprmatie sur elles. La confdration ourpublique des quatre colonies en fut la consquence.

    Ds lors, Cirta perd son rang de capitale, mais reste le chef-lieu dune vaste province et la mtropole des quatre colonies cir-tennes. Cest un petit tat autonome, qui ne pse pas dun grand

    poids dans les affaires du monde romain, mais dont les habitantsvivent libres, en profitant de ses franchises communales qui en____________________ (1) Certains historiens estiment quil est peu probable que Juba ait t

    rellement roi de Cirta, ainsi que Dion laffirme, et se basent pour cela sur lesdonnes de la Numismatique et sur ce fait que les deux provinces dAfriquetaient alors runies sous lautorit du Snat. Nous ne voyons pas pourquoile tmoignage de Dion serait mis en doute et nous croyons avec M. de laBlanchre et M. dAvezac, que si sa royaut a t en quelque sorte honoraire,Il ne peut tre contest quil soit venu stablir princirement Cirta. (2). Voir P. Mela, Varron, Suetone.

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    font une curieuse exception. La confdration des quatre coloniessadministre elle-mme au moyen de fonctionnaires spciaux. Un proconsul, ou un lgat imprial y reprsente souventde loin, le pouvoir politique, ltat, mais la vie municipale yconserve son indpendance absolue. Ce qui distingue surtout larpublique des Cirtens, du reste des provinces de lempire, cestque son territoire nest pas considr comme domaine du peupleromain.

    Nanmoins, les franchises toutes spciales dont le petitroyaume de Sittius avait joui jusqualors, subirent une premirerestriction, et lorganisation tout en restant autonome, commena rentrer dans le cadre gnral des institutions romaines. Cest un

    premier pas vers ce que nous appellerions lassimilation.

    Le Concilium provinciae. Jetons un coup dil sur lor-

    ganisation de cette petite rpublique. Chaque province, on le sait,avait son concilium(runion de notables), sorte de Conseil gn-ral, qui se runissait tous les trois ans, ou plus frquemment, sousla prsidence du sacerdos provinciae(chef du culte), nomm pourla mme priode. Aprs la clbration du culte de lempereur, leconcilium soccupait de questions administratives et de vux

    prsenter dans lintrt de la province. Les membres avaient un

    droit de contrle sur les actes de leur gouverneur et pouvaientdemander sa mise en accusation. La confdration des quatre colonies cirtennes avait unconcilium particulier, compos de dlgus des cits, et dont lesattributions taient beaucoup plus tendues que dans les autres

    provinces, on lappela dabord le Conseil (Ordo) des dcurionsdes quatre colonies. Ladministration effective de la Rpubli-

    que, dit M. Pallu de Lessert, dans son beau travail sur les assem-bles provinciales, lui est dvolue : il nomme des magistratsappels triumvirs des quatre colonies,et des diles. Les quatrecolonies ont leur trsor et, ce titre, on les voit en plusieurs oc-casions contribuer pour une part directe aux travaux de voirie quise font autour delles.

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    Tmoin linscription qui rappelle la construction dun pontsur la route de Rusicade (Philippeville).

    Administration de la Confdration. Les triumvirs. Les premiers magistrats de la confdration furent dabord aunombre de deux, appels, pour cela, duumvirs ; mais bientt,sans doute lors de lrection des trois autres villes principales encolonies, ce chiffre fut port trois triumvirs dont un tait dl-gu pour les colonies de Rusicade, Chullu et Milev. Leur chargetait annuelle ; il fallait pour la briguer, avoir t questeur, puisdile ; dans le principe, elle tait confre par lassemble popu-laire compose des citoyens ayant le droit de cit ou admis y

    participer. Le prsident des triumvirs sortant, vrifiait les titresdes candidats et en dressait la liste ; puis on procdait au vote.Llection imposait lobligation de verser 20,000 sesterces dans

    la caisse municipale et de donner les jeux et les libralits promisdans la pollicitation. Ces lus disposaient du pouvoir excutif et avaient des pr-rogatives et des charges que nous indiquerons plus loin.

    Lordo decurionum. Les citoyens et les incoloe (trangersayant acquis le domicile municipal), supportaient la plus grande

    partie des charges de la colonie, mais ils avaient seuls le droitdlire leurs magistrats ; ils taient partags en curies et, tous lescinq ans, avait lieu un recensement gnral des personnes et des

    biens imposables, sous la direction des triumvirs qui prenaientpour ce motif, le nom de quinquennales. Ils formaient, dans cha-que curie, dont le nombre tait de dix par municipe, une liste dedix notables remplissant certaines conditions daptitude, et qui

    composaient pendant cinq ans, le Conseil ou ordo decurionumde la cit ; les anciens hauts magistrats municipaux en faisaient

    partie de droit. Chacune des trois colonies avait son ordo particulier, maiselle dlguait un certain nombre de ses dcurions qui se joignaient lordo de Cirta et formaient ainsi le Conseil gnral de la conf-

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    dration. Dans lordo taient compris, mais en quelque sorte nomi-nalement, les patrons et protecteurs de la colonie, les pontifes ouflamines, magistrats sacerdotaux et divers autres fonctionnaires.

    Les diles. Deux magistrats, les diles, taient chargssous lautorit des triumvirs de fonctions administratives, de voi-rie et police. Leur mandat tait annuel.

    Les questeurs. Au-dessous deux taient les questeurs,chargs plus particulirement des affaires financires. Pour deve-nir dile, il fallait, comme nous lavons dit, avoir t questeur.Pendant le premier sicle, ces magistrats : triumvirs, diles, ques-teurs taient lus par lassemble du peuple, curies runies ; mais partir du deuxime sicle, cest lordo qui les dsigna par llec-tion.

    Attribution de lordo. Ce conseil dlibrait sous la pr-sidence dun des triumvirs et dcidait par vote secret ou public.Une foule de questions dintrt gnral ou local lui taient sou-mises et il exerait sur ladministration de lexcutif un contrleeffectif. Ses dcisions taient rendues sous forme de dcret, quincessitait parfois la sanction de lassemble populaire. Toutes

    les charges municipales entranaient, pour le titulaire, un verse-ment de 20,000 sesterces. Les attributions de lordo taient considrables ; mais lauto-rit des magistrats quil nommait et quil contrlait tait effectiveet directe.

    Attributions des triumvirs, des diles et des questeurs. Les

    prfets juredicundo. Les triumvirs, dans le principe, avaientle commandement des milices locales, mais ce droit leur fut

    promptement retir, pour tre confr exclusivement aux lgatsimpriaux (gnraux). Quant leurs attributions elles se rappor-taient, toutes proportions gardes, celles des Conseils Rome,de mme que celles de lOrdo rappelaient celles du Snat.

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    La dure de leur mandat tait dun an : il ne pouvait trerenouvel quau bout de cinq ans. Le vote qui les nommait avaitlieu en juillet. Ils taient prsents, ainsi que nous lavons dit,

    par les triumvirs sortants. Les triumvirs dsignaient des prfetsjuredicundo, exerant leur juridiction dans tout le territoire dela confdration, et ayant une autorit complte, par dlgation,dans le reste de la confdration. Cette magistrature ne pouvaittre exerce par un triumvir pour ce motif, puisquils agissaient

    pour eux. Une des principales attributions des triumvirs tait de for-mer une juridiction suprieure au civil et, dans une mesure assezrestreinte, criminelle. Ils prsidaient lordo, installaient les ma-gistrats et dirigeaient tous les cinq ans le recensement qui fixaitnon seulement la liste des citoyens, mais encore constatait la for-tune publique et prive et par suite les ressources de la colonie et

    les impts percevoir. Ils avaient leur disposition un officium,ou administration avec de nombreux fonctionnaires. Les diles taient particulirement chargs de lentretiendes difices publics ; des voies et rues ; de lapprovisionnementet du contrle des marchs, et enfin, de lorganisation des ftes.Ils avaient, en outre, une sorte de juridiction comme notre simple

    police.

    Les questeurs tenaient en mme temps du fonctionnaireet du magistrat. Ils avaient lintendance des revenus et imptset soldaient les dpenses ordonnances par les diles ; aussiles questeurs avaient-ils sous leurs ordres de nombreux em-

    ploys. Au-dessous de ces magistrats principaux, gravitaient descatgories de fonctionnaires de tout ordre quil serait trop long

    dnumrer.

    Les Magistrats :flamines, pontifes, augures, prtres. Lestriumvirs dominaient tout, et, au-dessous deux venaient en pre-mire ligne, les diles et les questeurs pour les choses civiles et,sur le mme rang, les flamines, les pontifes, les augures et les

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    prtres, pour le service religieux. Ces magistrats de la religionsappuyaient sur de nombreux collges ou corporations des cultes

    particuliers. Toute crmonie tait prcde par la clbration desrites de la religion romaine. Les flamines, vritables chefs du culte, portaient le titrede perptuels, lorsquils avaient exerc leurs fonctions Cirta.Mais de mme que les empereurs diviniss avaient leurs flam-mes, chargs de clbrer les rites de leur culte, les impratricesdivinises avaient leurs prtresses (flaminic), remplissant lemme office leur gard. Ctaient en gnral les pouses desflamines, et Cirta en a possd plusieurs dont les inscriptionsnous ont transmis les noms. Les pontifes taient plus particulirement chargs des nom-

    breuses crmonies publiques, des sacrifices et de loblation desvux. Ils avaient aussi une juridiction religieuse. Les augures et

    les prtres les aidaient ou agissaient isolment dans les crmo-nies publiques et prives. Chaque divinit avait, du reste, un col-lge spcial de prtres, et un ou plusieurs temples particuliers. A Cirta, les dieux, tous de lOlympe, paraissent avoir eu dessanctuaires ; de plus, chaque colonie avait son gnie propre et desautels ddis des abstractions, telles que la vertu, lhonneur,la concorde des IV colonies, etc. ; enfin les divinits puniques

    avaient t admises dans ce panthon si largement ouvert ; maiselles ne tardrent pas se transformer : Baal Hammon, se fonditavec Saturne et Tanit, avec Vnus Aphrodite et Diane, sous lesnoms de Virgo clistiset deBona Dea(1).

    La Pollicitation. Le candidat passait avec les lecteurs,une sorte de contrat, la pollicitation, par laquelle il sobligeait,

    sil tait lu, verser dans la caisse municipale une somme de20.000 sesterses, pour chacune des trois grandes magistratures,ou lever des statues, des arcs de triomphe, ou autres difices,____________________ (1) Nous avons pris ces dtails dans le travail de M. Vars sur Cirta (p.133 et suiv.) et dans tous les articles publis dans la collection de la Socit,ainsi que dans les travaux spciaux.

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    en outre de rjouissances publiques durant sept ou huit jours etde distributions dargent. La belle statue en marbre de Bacchus,qui est au muse, a t offerte par Quadratius Quintulus, prfetdes triumvirs. Si llu nexcutait pas les promesses du candidat,il pouvait tre poursuivi civilement par la cit(1). Les inscriptionsantiques retrouves Constantine et Philippeville contiennent denombreux exemples des faits exposs ci-dessus.

    Les citoyens, leurs droits et leurs devoirs. Les habitantsdes cits formaient deux classes principales : les citoyens (ci-ves), jouissant de la plnitude des droits et les trangers tablis(incolae) depuis une priode dtermine, leur acqurant le droitde cit. Lobligation daccepter les fonctions municipales et desupporter les plus lourdes charges leur incombait.Quant aux gens nouvellement tablis (adventores et hospites), ils

    navaient pas droit aux honneurs et taient exempts de bien descharges. Jusquau IIe sicle, les citoyens des deux classes ci-des-sus, diviss en curies (dix au moins par municipe), taient convo-qus pour lire leurs principaux magistrats, sous la prsidencedes triumvirs, Cirta. Tous les cinq ans, un recensement gnralavait lieu. Les triumvirs, qui restaient cinq annes en charge et

    portaient pour cela le nom de quinquennales, rvisaient les listes,ainsi que les valuations de la fortune de chacun et portaient surlalbum les noms de dix citoyens par curie, soit cent, en tout, for-mant lordo. Certaines conditions dhonorabilit taient exigeset on pouvait conserver indfiniment ce titre tant quon ne sentait pas rendu indigne. II fallait aussi avoir au moins trente ansdge, et, la basse poque, trente-cinq. Peut-tre lordo Cirtadpassa-t-il le chiffre de cent membres, en raison de la participa-tion des trois autres colonies sa formation. Ils avaient le titre dedcurions des quatre colonies ; leurs noms taient inscrits sur destables de bronze ou de marbre dcorant le forum.____________________ (1) Poulle. Socit archologique 1878, p. 318 et suiv.

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    En tte de la liste sont les diles ayant des fonctions sp-ciales de police et dadministration et dont les attributions sontannuelles. Ceux qui ont dj rempli des fonctions leur confrantle droit den briguer dautres sont soigneusement indiqus avecleurs titres. Cette assemble, ainsi que nous lavons dit, avait des attri-

    butions nombreuses et importantes, tant comme administrationque comme surveillance. Elle dlibrait au scrutin secret et pou-

    vait former des commissions spciales

    (1)

    .

    Le patronat. Les colonies confraient le titre de patron des personnages influents, qui devenaient ainsi leurs protecteursofficiels, chargs de la dfense de leurs intrts dans la mtro-

    pole. Cet honneur, sollicit et souvent achet par des libralits,rsultait dune dlibration prise par lordo : ctait une sorte de

    convention passe entre la cit et la personne quelle voulait ho-norer. Son nom figurera dsormais en tte de lordo ; certains

    privilges lui seront accords ; en retour, le patron mettra au ser-vice de la cit son influence, son exprience, ses relations(2). Enoutre, elles se rattachaient une puissante tribu de la mtropoleet ce fut par la gens Quirinaque la colonie cirtenne se fit adopteret inscrire sur ses rles. Nos inscriptions nous donnent les noms de plusieurs pa-trons de Cirta, parmi lesquels nous citerons : P. Pactumeius Clemens, jurisconsulte, ancien consul, lgatdu proconsul dAfrique. T. Caesernius Statius Quintius Statianus Memmius Macri-nus, consul et lgat du proprteur de la province dAfrique.

    M. Flavius Postumus, prfet du trsor militaire. C. Arrius Antoninus, consul, proconsul dAsie. Q. Anicius, vir clarissimus, lgat du proprteur(3).____________________ (1) Cirta, par M. Vars, pass. (2) Pallu de Lessert (loc. cit). (3)Ibid.

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    Cirta pendant les deux premiers sicles de lre chrtienne. Durant plus de deux sicles la rpublique des quatre coloniescirtennes vcut tranquille labri de ses institutions et si, com-me on laffirme, les pays les plus heureux sont ceux qui nont pasdhistoire, rien ne manqua son bonheur. Son nom parat, parci par la, notamment lpoque de la grande rvolte du BerbreTacfarinas (de 17 24 de J. C), qui mit en pril la dominationromaine. Bloesus, charg par Tibre de rduire le rebelle, envoie

    sonfi

    ls couvrir Cirta et les colonies environnantes qui taient me-naces. Aprs la dfaite et la mort de Tacfarinas, surpris dans soncamp et tu prs dAuzia (Aumale), Caligula divisa les pouvoirset fit commander les troupes par des lgats relevant directementde lempereur. Cependant la colonisation stendait malgr les rvoltes desindignes. Vers la fin de lan 123 ou au commencement de 124,

    aprs un des voyages de lempereur Hadrien, le sige, le dpt,dirions-nous aujourdhui, de la IIIe lgion (Augusta), qui four-nissait toutes les garnisons de la Numidie, fut transport de Th-veste(1) Lambse, qui devint le grand centre militaire charg de

    protger le Tell contre les incursions des Berbres du sud.

    Fronton. Arrius Antoninus. Pacatus et Ant. Saturnina. Les

    Lollius et Apule, G. Marcianus. Sous le rgne de Marc Aurle,nous voyons M. C. Fronton, originaire de Cirta, dont les habitantslui confrent le titre de Nouveau Cicron , devenir lami delempereur philosophe et occuper lemploi de professeur dlo-quence sa cour. Ctait un avocat clbre, alli plusieurs fa-milles cirtennes, et nous possdons des fragments de ses lettres Arrius Antoninus, que nous avons cit comme patron des quatrecolonies. Ce dernier, aprs avoir occup les plus hautes positionset rendu de grands services son pays en le prservant de la fa-mine (166-167), ce qui lui avait valu des tmoignages publics dereconnaissance, et la confiance de Marc Aurle, fut mis mort par____________________ (1) Thveste (Tbessa).

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    Clanthe, prfet du prtoire sous Commode (vers 189). ArriusAntoninus tait le gendre de Caius Arrius Pacatus, le propritairedes thermes qui occupaient, Cirta, lemplacement compris en-tre les rues des Cigognes et Richepanse (rue de France). Ce der-nier avait pour femme Antonia Saturnina qui possdait de grands

    biens du ct de Mastar(1), o elle avait institu un march setenant le 5 des Calendes et des Ides de chaque mois(2). Cette famille Arria tait une des plus puissantes de Cirta,

    aussi son nom se retrouve-t-il souvent sur nos inscriptions ; unArrius Maximus, galement snateur, y a t relev. Celle de Lollius tait non moins puissante ; on a trouv plu-sieurs inscriptions se rapportant cette famille, Constantinemme, et un remarquable monument funraire, encore debout,lui a t lev entre le Kheneg et lOued-Smendou, sur un massifdont les pentes sabaissent vers cette rivire situe, deux kilo-

    mtres de distance. Cette rgion et particulirement les environsde Tiddi (le Kheneg), taient leur domaine. Un Lollius Urbicus atteignit les plus hautes positions sousle rgne dHadrien ; il tait lami dApule, un des meilleurs cri-vains de lAfrique romaine, et sans doute son alli. N en 114 Madaure (actuellement Medaourouch au sud-ouest de Souk-Ahras), Apule commena ses tudes dans sa villenatale et les complta Karthage ; il parcourut ensuite lOrientet la Grce et y sjourna longtemps. Imbu de la philosophie grec-que, naturaliste, physiologiste, initi aux rites des socits secr-tes de lOrient, il revint Karthage comme professeur et exeraune grande influence sur son poque. Comme il tait ennemi duchristianisme, les adeptes de cette religion laccusrent de prati-

    quer la magie. Il avait pous, Tripoli, une riche veuve de la famille Gra-nia, allie celle des Lollius de Cirta, et soutint contre le fils de____________________ (1) Castellum Mostarense, actuellement Rouffach (Beni-Ziad) et dontle nom doit subir un nouveau changement. (2) Poulle (Socit arch. 1875, p. 359 et suiv.).

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    sa femme, le clbre procs, bien connu. Citons encore Geminius Marcianus, originaire de Cirta, dontle nom se retrouve sur plusieurs inscriptions. Devenu, aprs une

    brillante carrire, proprteur de la province dArabie, il noubliapas sa patrie, et, par testament, exprima le dsir que sa statue ftrige sur le forum de Cirta. Les habitants de la ville de dAdraa,en Arabie, jaloux de lui tmoigner leur reconnaissance, tinrent honneur dexcuter son vu et dlgurent une dputation des

    leurs qui vinrent, vers 165, riger la statue de G. Marcianus, Cirta et Rome(1).

    Septime Svre et Julia Domna en Afrique. Septime S-vre, originaire de Leptis (prs Tripoli), porta une grande affec-tion lAfrique et soccupa avec intelligence des affaires de cettecontre. Il sentoura dAfricains qui se distingurent particuli-

    rement dans le barreau et larme. Sa femme, Julia Domna, Sy-rienne dorigine, acquit dimmenses domaines en Numidie, par-ticulirement aux environs de Cuicul (Djemila). Elle est toujoursnomme, dans les inscriptions, sous le titre de Mre des Camps. Cette colonie fut adjointe, sans doute, vers la fin du IIe sicle, la confdration cirtenne, qui sappela ds lors Rpubliquedes cinq colonies .

    Les Africains, sil faut en croire Hrodien, mirent SeptimeSvre au rang des dieux. On est port supposer que ce princespara la Numidie de la Proconsulaire, et y envoya un lgat im-

    prial, tandis que lancienne Afrique restait sous lautorit admi-nistrative du proconsul. Dans ce cas, la rsidence ordinaire dulgat dut tre Lambse.

    La religion chrtienne en Afrique. Mais un lment allaitprofondment troubler lAfrique, de mme que le reste de lem-pire romain. La religion chrtienne qui stait propage dans lesmasses durant le cours du IIe sicle, avait pntr sans clat en____________________ (1) Poulle. Socit arch. 1876-77 p. 535.

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    Afrique, accepte dabord par les humbles. On sait quelles taientles ides de ces premiers chrtiens : la vieille socit paenne de-vait disparatre pour faire place au rgne du Christ, cest--dire lgalit entre tous les hommes. Aucun bien terrestre ne devaittre conserv, car il fallait ne se proccuper que des prparatifs

    pour la comparution prochaine devant le tribunal de Dieu. Ctaitune profonde rvolution dans une socit dont lesclavage taitune des bases. Lempereur, souverain pontife, divinis aprs samort, tait directement attaqu dans sa puissance, dans sa raisondtre mme ; enfin les Chrtiens refusaient le service militaire etmprisaient tout ce qui avait t considr comme sacr. Il nestdonc pas surprenant que le pouvoir et cherch sopposer aux

    progrs de si dangereux novateurs. Les empereurs exceptionfaite des folies de Nron le firent dabord avec la plus grandemodration. Domitien, se servant de la loi qui avait t dictecontre les Druides, prit les premires mesures pour punir ceuxquijudasaientet christianisaient, car, dans lorigine, on confon-dait les deux cultes. Ses successeurs fermrent les yeux, mais cefut alors la populace qui, accueillant les fables les plus ridicules,sameuta en diffrents endroits contre les Chrtiens et fit des ex-cutions sommaires.

    Les premiers martyrs. Trajan inscrivit dans le code lecrime de christianiser. Les nophytes qui manifestaient leur foipubliquement taient arrts, conduits devant le gouverneur etsils persistaient, punis de mort. Sous les rgnes dAntonin et deMarc-Aurle, la religion chrtienne fit des progrs en Afrique.Loin dtre terrifis par les mauvais traitements, les nophytesrecherchaient avec avidit le martyre et montraient une constan-

    ce inbranlable. Septime Svrefi

    t poursuivre avec rigueur leschrtiens dAfrique ; Cirta eut peut tre des martyrs(1). Lanarchie dont lEmpire fut alors le thtre et laquellelAfrique prit une large part, marqua le commenment de la dca-____________________ (1) Si lon sen rapporte linscription du rempart. Certains assurentque ces chrtiens furent tus Lambse.

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    dence de la colonisation et de lautorit romaines. Les perscu-tions religieuses contriburent peu laffaiblissement de la po-

    pulation coloniale ; mais elles permirent aux groupes berbres,rests intacts dans les montagnes recules et sur la ligne desHauts-Plateaux, de se rapprocher et denserrer les rgions culti-ves des plaines.

    Querelles religieuses. Aprs avoir pntr, comme nous

    lavons dit, dans les basses classes, le christianisme stait r-pandu dans les rangs moyens de la socit et dans larme. Maisil avait donn naissance des schismes qui trouvaient toujours

    bon accueil en Afrique : des points de dogme taient sans cessecontroverss et les pasteurs entraient frquemment en lutte avecleurs chefs spirituels. Dans les grandes villes, Karthage, parexemple, o avait brill Tertullien, les murs trs polices adou-

    cissaient, en apparence, ces dbats ; mais, les campagnes de laNumidie taient habites par une population compose dl-ments divers, parmi lesquels les indignes romaniss avaient unegrande part car il ne faut pas sy tromper, cest par llmentindigne que la colonisation a t faite. Ctaient, en maintsendroits, des gens grossiers, presque sauvages, ayant comme pas-teurs des bommes de leur sorte, dont les passions taient vives etardentes, et qui employaient volontiers la violence lappui deleurs arguments.

    Anarchie en Afrique dans le milieu du IIIe sicle. Lanouvelle religion ne fut pas du reste la seule cause des troublesqui dsolrent lAfrique pendant le IIIe sicle.

    Caracalla avait tenu honneur de combler de bienfaits lepays de son pre. Quant son dit dmancipation, il ntait li-bral quen apparence, car en accordant le titre de citoyen tousles habitants libres de lempire, il navait eu dautre but que dese procurer de largent pour le trsor et des hommes pour le ser-vice militaire. Cette mesure, comme le fait si bien remarquer

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    provinces. Le proconsul dAfrique Sabinianus, se mit en tat dervolte contre le jeune Gordien III, qui avait t proclam, et en-tra en lutte contre le proeses de la Maurtanie, fidle lempe-reur. La Numidie fut le thtre dune partie de la campagne. Enquelques annes, cinq empereurs se succdrent, et quels empe-reurs ! LArabe Philippe, un brigand de grands chemins (244),Dcius (249), Gallus (251), le Maure Emilien (253). Enfin, en253, Valrien, ancien lgat de la IIIe lgion, sempare de lauto-

    rit suprme et profi

    te de son passage aux affaires, pour reconsti-tuer cette lgion licencie prcdemment. Ce fut sans doute dan