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1 Histoire de la grande maison, Charif MAJDALANI I. L’Auteur 1. En quelle année Charif Majdalani est-il né ? a. 1950 b. 1960 c. 1970 2. Sur quel auteur, théoricien du théâtre de la Cruauté, a-t-il planché pour sa thèse ? a. Constantin Stanislavski b. Bertolt Brecht c. Antonin Artaud 3. À partir de 1999, il devient chef département de Lettres françaises de l’USJ. Que lui apporte ce poste ? a. Un meilleur salaire b. La possibilité de rencontrer des écrivains étrangers c. Des maux de têtes administratifs 4. Avec quel journal libanais francophone collabore-t-il ? a. Mondanités b. Masculin c. L’Orient littéraire 5. Depuis 2013, il est président de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth. De quoi s’agit-il ? a. Un hôtel pour écrivains désargentés b. Un lieu de rencontre entre écrivains internationaux c. Une maison d’édition 6. Ses romans ont souvent été sélectionnés ou sont arrivés en finale des prix Fémina, Médicis ou Renaudot. Lequel a obtenu le Grand Prix Jean Giono qui couronne "l'ensemble de l'œuvre d'un auteur de langue française ayant défendu la cause du roman" ? a. Histoire de la Grande maison b. Caravansérail c. Villa des femmes

Histoire de la grande maison, Charif MAJDALANI · 2016. 12. 10. · fatie, un homme top imposant, top fo t, et ui était mot si tôt ue tout lunives uil avait const uit autou de sa

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Histoire de la grande maison, Charif MAJDALANI

I. L’Auteur

1. En quelle année Charif Majdalani est-il né ?

a. 1950

b. 1960

c. 1970

2. Sur quel auteur, théoricien du théâtre de la Cruauté, a-t-il planché pour sa thèse ?

a. Constantin Stanislavski

b. Bertolt Brecht

c. Antonin Artaud

3. À partir de 1999, il devient chef département de Lettres françaises de l’USJ. Que lui

apporte ce poste ?

a. Un meilleur salaire

b. La possibilité de rencontrer des écrivains étrangers

c. Des maux de têtes administratifs

4. Avec quel journal libanais francophone collabore-t-il ?

a. Mondanités

b. Masculin

c. L’Orient littéraire

5. Depuis 2013, il est président de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth. De

quoi s’agit-il ?

a. Un hôtel pour écrivains désargentés

b. Un lieu de rencontre entre écrivains internationaux

c. Une maison d’édition

6. Ses romans ont souvent été sélectionnés ou sont arrivés en finale des prix Fémina,

Médicis ou Renaudot. Lequel a obtenu le Grand Prix Jean Giono qui couronne "l'ensemble

de l'œuvre d'un auteur de langue française ayant défendu la cause du roman" ?

a. Histoire de la Grande maison

b. Caravansérail

c. Villa des femmes

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II. Son œuvre

1. a. Faites correspondre ces résumés à leurs titres :

Villa des femmes – Nos si brèves années de gloire –

Le Dernier Seigneur de Marsad – Caravansérail

Au début du XXe siècle, la rencontre d’un colonel anglais excentrique transforme Samuel Ayyad, un jeune Libanais aventureux, en une sorte de condottiere guerroyant au Darfour et au Kordofan, aux confins du Soudan et du Tchad. Un jour, sa route croise celle d’un compatriote qui transporte à travers déserts et savanes, démonté et chargé à dos de chameau, un petit palais arabe qu’il espère vendre à quelque roitelet africain épris de faste. Samuel lui achète son encombrant bagage, avec l’idée de le ramener à Beyrouth.

……………………………………………….

Fils de filateurs ruinés, l’aventureux Ghaleb Cassab n’a de cesse qu’il n’ait relevé la fortune de sa famille et conquis, ce faisant, la femme aimée que sa pauvreté lui interdit d’épouser. Il y parviendra de la plus rocambolesque façon, en allant enlever les machines d’une usine sous séquestre à Alep, en Syrie. Remontées à Beyrouth dans la filature familiale à l’abandon, elles feront bientôt de lui un homme riche et courtisé. Mais déjà la guerre de 1975 est là, qui fracasse les rêves de bonheur.

………………………………………………. Simone, la fille cadette de Chakib Khattar, un notable chrétien issu d’une lignée d’industriels du marbre, est enlevée par Hamid Chahine, bras droit de son père à l’usine. Ce rapt amoureux tombe au plus mal pour Chakib, obsédé par la transmission de son patrimoine et qui, face à l’incapacité ou à l’indifférence de ses héritiers légitimes, a fait de Hamid plus que son homme de confiance : une sorte de fils spirituel. Mais l’enlèvement tourne court, après que les deux amants ont tenté de se marier clandestinement. Contraint de chasser Hamid, Khattar voit progressivement se transformer le monde autour de lui entre 1975 et la fin des années 1980.

……………………………………………….

Tout sourit à Skandar Hayek, homme d’affaires libanais prospère. À la tête d’un négoce de tissus, il règne sur son usine et sur son clan, malgré les nuages qui s’amoncellent sur le pays en ce milieu des années 1960. Des disputes incessantes éclatent entre Marie, son épouse, Karine, sa fille chérie, et Mado, son acariâtre de sœur. Quant au successeur, il sera bien temps, le moment venu, de le choisir, entre Noula, ce fils aîné qui ne doute de rien, et Hareth, le cadet, rêveur, épris de livres et de voyages. Depuis la terrasse de la villa familiale, le narrateur, le chauffeur et le confident du vieux Skandar, observe et raconte cet âge d’or.

……………………………………………….

b. Quels thèmes semblent obséder l’écriture majdalanienne ?

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2. Que vous apprennent la vidéo que vous allez regarder et la quatrième de couverture

par rapport au roman Histoire de la Grande maison ?

https://karlakiki.wordpress.com/2015/08/12/histoire-de-la-grande-maison-charif-

majdalani/

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Texte 1 – L’Incipit

À nouveau, il se taisait, protestait et s’adossait au fauteuil, l’air vague et lointain,

marmonnant qu’il n’en parlerait jamais, que c’était une histoire d’un autre âge, que rien ne

valait que l’on réveillât les morts. Il reprenait ensuite le paquet de cartes, qu’il se remettait à

battre sans fin, pour occuper ses mains, un paquet qui lui avait servi initialement à faire des

patiences avant qu’il renonce même à cette activité inutile, se contentant de battre les

cartes à longueur de journée, puis de les reposer sur la tablette près de lui, lui qui restait là,

solide comme un roc, survivant d’époques presque héroïques, dernier rejeton d’une

immense phratrie dont tous les membres étaient morts, l’un après l’autre et dans l’ordre, le

laissant seul au milieu d’un champs de ruine, celui des souvenirs, de cette mer d’histoires,

dont il parvenait maintenant de moins en moins à démêler l’inextricable écheveau,

reprenant alors le paquet de cartes, les battant une fois, deux fois, puis les reposant et se

taisant toujours jusqu’à ce que je lui repose une autre question sur quelqu’un d’autre, sur

une autre histoire saugrenue, ou lointaine, ou invraisemblable. Il réfléchissait un instant,

mélangeait quelques dates, quelques guerres, puis retrouvait le fil, remontait aux origines, à

l’exode initial, aux orangers, aux réfractaires en fuite, au bannissement du père, au village

détruit d’Anatolie, puis il faisait un grand écart dans le temps, enjambait une décennie, celle

dont je voulais qu’il parle, retrouvait les déserts d’Égypte, le ravitailleur en flamme dans le

canal de Suez, le rire d’un soldat éthiopien, revenait en arrière, reprenait lentement les

choses à rebrousse-poil, parlait de la branche aînée de la famille, de la disette, de la Grande

Maison à la dérive, des vergers liquidés pour rien, se rapprochait en cercles concentriques

de l’histoire mystérieuse, de la chose innommable, la serrait de près, la touchait presque,

parlait d’une Panhard au bas de l’escalier de la Grande Maison. Je me taisais comme on

retient son souffle devant un funambule qui touche au but, mais il venait finalement se

heurter à nouveau à l’innommable, souffrait longuement, se mordait la lèvre inférieure,

marmonnait une formule de conjuration et se taisait, reprenait le paquet de cartes et jurait

que jamais, au grand jamais, il n’en parlerait.

Et puis soudain, un jour à midi, pendant qu’il déjeunait, assis à la même place depuis

quarante ans, devant l’immense table où plus personne d’autre que lui ne s’asseyait, sauf

lorsque nous venions lui tenir compagnie, comme je faisais ce jour-là, et déjeuner chez lui

(et toujours après lui, car depuis la mort de notre mère il avait si imperceptiblement avancé

les heures de ses repas qu’il déjeunait presque à l’heure où nous petit-déjeunions), un jour

donc, à midi, ou plus justement au moment de son déjeuner, alors que je le distrayais en lui

posant encore et encore les mêmes questions sans qu’il se rende vraiment compte que je

connaissais toutes les réponses sauf une, au lieu de recommencer à tourner en rond,

inexplicablement, il prononça les mots fatidiques, il livra le dernier secret, il marmonna

qu’ils l’avait fait jeter en prison après lui avoir tendu un piège honteux, à charge pour moi de

comprendre qu’eux, c’étaient ceux de la branche aînée, et lui l’un de ses frères, un de mes

oncles. Je demeurai un instant stupéfait, ébloui, recueillant dans le silence le plus pur que je

pus installer en moi ces paroles plus précieuses que l’or. Puis je m’aperçus que j’avais

imaginé les choses exactement comme ça, que, à partir des bribes de ce qu’il m’avait

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concédé avec les années, j’avais reconstitué l’histoire telle qu’il me la disait, sans savoir

toutefois s’il m’en avait lui-même très adroitement suggéré tous les éléments à mon insu ou

si, fatalement, tout ce qu’il m’avait dit, comme une pente, avait fait confluer toutes les

histoires vers celle qui me manquait et que j’avais cru inventer. Toujours est-il qu’à ce

moment il me sembla que je possédais enfin toutes les pièces du jeu, que je pouvais

désormais recréer l’histoire de la phratrie depuis le temps de la Grande Maison et des terres

couvertes d’orangers jusqu’à l’exil des trois frères en Égypte et à leur retour, une histoire

qui venait finalement s’aboucher à la mienne, après avoir croisé celle, tout aussi

tourmentée, de ma mère. Et il me sembla aussi que les ponts, les jointures et toute la

dentelle vertigineuse de détails, je pourrais aisément les imaginer, sûr maintenant que ce

que j’inventerais pourrait aussi bien avoir existé, que, les différences entre le vrai et

l’invention s’estompant naturellement, le vrai deviendrait légendaire et le légendaire

acquerrait authenticité au sein d’un seul et même édifice. Et tandis que le moment

d’éblouissement mental me passait, j’entendis mon père ajouter, en regardant, à travers

moi, vers le lointain en lui-même, que cela en tout cas, l’errance des fils, l’exil en Égypte et

tout le reste, c’était la faute d’une absence, celle du père, le sien propre et celui de toute la

fratrie, un homme trop imposant, trop fort, et qui était mort si tôt que tout l’univers qu’il

avait construit autour de sa personne s’était évanoui avec lui. Cela, je le savais, mais l’aveu

était dans une espèce d’absence, d’état second, et prit, par le ton rêveur qu’il employa pour

le dire, un sens augural. Je compris alors qu’il était temps pour moi de commencer et que je

ne pourrais que commencer par là. Par l’histoire du père.

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Texte 2 – La Rencontre

Il est précisément en train d’en parler avec les deux Lyonnais lorsque Hélène Callas

entre dans la pièce. Elle a tout d’abord hésité sur le pas de la porte, s’est retournée pour

parler à sa cousine, la fille de Michel Farhat avec laquelle elle a fait ses courses, puis,

fermement, elle est entrée seule dans le salon. Elle a une grande robe bleu ciel et un

chapeau qui retient ses cheveux noués et dévoile la savoureuse insolence de son cou et de

sa nuque. Elle tient une petit boîte qu’elle n’a probablement pas voulu laisser dehors, la

passe dans la main qui tient déjà l’ombrelle et défile en saluant les personnes présentes

sans s’arrêter, glissant comme un chat au sein d’un agréable silence. La voyant arriver vers

lui et comprenant qu’elle est la fille de Youssef Callas, le capitaine de gendarmerie veut se

lever pour la laisser s’asseoir près de son père, mais la place de l’autre côté est occupée par

un fermier de Kfarchima qui regarde béatement Hélène et il n’y a plus un seul fauteuil de

libre. Le capitaine de gendarmerie se lève quand même, puis, pris au piège et ne voulant pas

paraître gauche, il décide de partir, non sans avoir invité Hélène à s’asseoir. Embarrassée,

Hélène le regarde dans les yeux, lui dit qu’elle ne veut pas s’asseoir, mais lui insiste et

réussit à être gauche tandis qu’elle, pour ne pas en rajouter, accepte finalement de prendre

place auprès de son père. Flatté du succès de l’apparition de sa fille mais gêné de sa

présence incongrue au milieu de cette assemblée d’hommes, Youssef Callas lui prend la

main, la presse tendrement et dit :

- Je vous présente ma fille aînée, Hélène, une fille magnifique mais qui refuse avec

obstination de se marier.

Puis il tourne vers sa fille son visage mangé par une grosse moustache et lui demande de

traduire cela en français, pour les deux délégués lyonnais. Sans regarder son père, elle dit

alors en français :

- Il vous présente sa femme : moi.

- Ce n’est pas ce qu’il a dit, proteste l’un des deux Lyonnais qui connaît un peu la langue

du pays parce qu’il y a vécu durant quelques années et a aidé un Marseillais à la

construction d’une magnanerie dans la montagne.

- Qu’est-ce que tu as raconté ? demande Callas d’un air amusé en fixant sa fille.

- J’ai dit que tu refusais de me laisser épouser quelqu’un d’autre que toi, dit Hélène.

- Tu exagères, dit Callas d’un air bourru. Je t’ai proposé dix imbéciles, et tu n’en as

voulu aucun.

- Si tu voulais vraiment que je me marie, tu m’aurais proposé autre chose que des

imbéciles.

L’assemblée rit de bonne grâce, les hommes regardent Hélène avec curiosité et

chacun d’entre eux repasse dans sa tête les propos de la jeune fille, se met en situation, se

demande s’il aurait figuré parmi les imbéciles, s’il est du genre dont les femmes se moquent

lorsqu’ils sont sortis. Puis, petit à petit, les esprits s’ébrouent, passent à autre chose, et l’on

recommence bientôt à parler de mûriers, de vers à soie, de cours de valeurs, à chuchoter de

petits calculs et à siroter bruyamment le café. Et tandis que la salle se remplit à nouveau

d’évocations de vieilles récoltes, d’acheteurs de cocons versatiles et de maladies des arbres,

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Hélène Callas, feignant d’écouter patiemment ce qui se raconte autour d’elle mais

l’entendant à peine, promène discrètement un regard curieux et prudent sur les hôtes de la

maison Farhat, comme si elle les observait sans qu’ils s’en doutent de derrière un

moucharabieh. Ce qu’elle voit en principe, ne la change pas de ce à quoi elle est habituée

chez elle, à Cattine. Mais à côté des fermiers en seroual et grosse moustache qui

ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux du Kesrouane, il y a quand même ces deux

Français, il y a Wakim Nassar, il y a quelques notables en habit européen, il y a le fils d’un

marchand de soie grège de Baabda qui est assez bien de sa personne et c’est leur présence

qui atteste que l’on est bien à Beyrouth et non dans la montagne.*…+

Et puis elle en arrive à Wakim, c’est l’inévitable, et, vu la suite des évènements, on va

considérer qu’elle le regarde assez longuement mais prudemment, par intermittence, en

faisant agilement coulisser son regard vers un autre convive, puis vers un troisième encore

avant de revenir vers lui lentement, méthodiquement, à rebours. Et il est certain que lui

aussi, comme tous les hommes du salon, lance vers elle de temps à autre des regards

curieux. Mais on va imaginer que leurs yeux ne se rencontrent pas une seule fois. Wakim

continue d’entretenir les deux Français de ceci et de cela jusqu’au moment où la chose

décisive lui apparaît : la place vide dans le fauteuil à côté d’Hélène *…+. Wakim se redresse

sans réfléchir et, presque avec de l’impolitesse pour les deux Français, il va vers le fauteuil

vide, la canne sous le bras, et s’assoit *…+.

Finalement, une conversation quelconque s’engage, du genre ‘’Vous parlez

parfaitement français, je vous félicite’’, ‘’Merci. Je l’ai appris chez les sœurs de la Charité, à

Ghazir’’, ‘’Vous venez souvent à Kfarchima ?‘’, ‘’Une ou deux fois l’an’’, ‘’Mais vous

connaissez la mode de Paris sur le bout des doigts. Vous êtes aussi chic qu’une femme d’ici’’,

‘’Merci’’, et ainsi de suite sans que je sache si ce genre de conversation peut avoir lieu dans

un salon de notable de Kfarchima à la fin du XIXe siècle. Mais admettons le fait, et que les

deux convives bavardent ainsi pendant quelques minutes, jusqu’au moment où Hélène se

baisse, prend la boîte qu’elle a posée près d’elle sur le tapis, la met sur ses genoux, l’ouvre

et en sort un chapeau à rubans qu’elle montre à Wakim puis à son père.

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Texte 3

L’ensemble de cette correspondance est constitué de six lettres envoyées par Hélène

par l’intermédiaire de la poste militaire ottomane et de quatre lettres de Catherine ou

Blanche expédiées de Ayn Chir. Il me fallut plusieurs mois pour en reconstituer le contenu,

éprouvé par le temps, le défraîchissement avancé de l’encre et la décomposition parfois

irréparable du vieux papier aux pliures. L’écriture d’Hélène en particulier, fébrile, sans

véritable ponctuation, me donna beaucoup de fil à retordre. Lorsque je fus finalement

parvenu à tout déchiffrer, je m’attendais à trouver une part importante de ce moment fatal

de l’histoire des Nassar, dans son indélébile (et indubitable) évidence. Mais il n’en fut rien.

D’abord parce qu’une grosse partie de ces lettres est dévorée par les mots d’affection, les

formules stéréotypées ou les chapelets de salutations. Et puis surtout parce que Hélène y

omet un nombre considérable de faits. Ainsi, par exemple, elle ne cite jamais le nom du

village où elle et sa famille furent cantonnées. Peut-être l’a-t-elle fit dans une lettre perdue,

mais j’en doute. Certes, le nom de ce village fit toujours partie du patrimoine du clan et j’ai

moi-même souvent tenté d’en retrouver une trace sur des cartes de la Turquie actuelle,

sans le moindre succès. J’ai cherché aussi à repérer des hameaux au nom approchant, car je

suis à peu près certain aujourd’hui que le nom de Kalaajek qui subsista toujours dans la

mémoire des Nassar devait être une désinformation, ou avoir subi une altération, ou avoir,

dès le commencement, été mal prononcé par les bannis eux-mêmes. Sur tous ces points,

j’aurais été fixé si Hélène citait ce nom dans sa correspondance. Or elle ne le fait pas, tout

comme, et d’entrée de jeu, elle passe sous silence un des détails les plus importants, à

savoir que Kalaajek avait été un village mixte, peuplé de Kurdes et d’Arméniens,, que tous

les Arméniens y avaient été probablement massacrés et que c’était dans leurs maisons à

moitié détruites qu’elle allait être contrainte de loger avec les siens. Ce qu’Hélène passe

également sous silence, ce sont les tracasseries, les vexations et finalement le conflit ouvert

entre les villageois kurdes et les bannis, sous le regard amusé des gendarmes turcs, un

conflit qui faillit mal tourner, ce dont témoigne la blessure restée fameuse de l’un des fils de

Wakim. Et, pour finir, elle ne parle jamais des épreuves endurées à cause des hivers très

rudes, de la vie quotidienne tressée d’incertitudes et d’insécurité, et finalement de la

crainte sans cesse entretenue par les Turcs, à mesure que la guerre allait vers sa fin et que

leurs échecs devenait irrémédiables ,d’une possible éliminations physique de tous les

déportés. Par contre, ses lettres parlent beaucoup du quotidien et s’attardent sur des petits

détails de la vie :

Mes chéries je vous embrasse très chaleureusement vous me manquez affreusement

ainsi qu’à votre père et à vos frères j’espère que vous allez bien que tout est bien autour de

vous que le cher Georges est en bonne santé ainsi que notre cher Gérios et que vous prenez

bien soin les unes des autres écrivez-nous pour nous rassurer sur votre santé et sur l’état de

notre pauvre pays nous ici nous portons bien votre père vous envoie ses baisers les plus

chaleureux ainsi que vos frères à qui vous manquez beaucoup votre petit frère est très sage

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et je suis sûre que vous lui manquez surtout toi ma chère Blanche qui t’occupais tellement

bien de lui *…+

Évidemment, on pourrait y croire et admettre que, après tout, la déportation, si elle

est un peu difficile du point de vue du confort, est quand même chose aisée à supporter.

Mais en fait Hélène semble, tout au long de ces six missives et à l’exception de quelques

rares moments, faire preuve d’un sens extraordinaire de la diversion. Je ne m’en étais

jamais vraiment soucié auparavant, mais, à partir du moment où je voulus confronter ces

lettres avec les témoignages vivants et aussi avec la réalité la plus évidente, je m’aperçus

que style répétitif et lancinant, cette insistance sans règle, cette structure molle et sans

épine dorsale étaient comme un ronron pour endormir l’inquiétude et l’angoisse de ses

filles, pour anesthésier en elles la moindre velléité de se faire du souci, alors que, en fait, les

choses devaient être tout autres. Je n’eus jamais l’occasion d’en parler à mes tantes les plus

âgées car je les connus peu et elles étaient mortes quand je m’intéressai à tout ceci, mais

j’aurais bien savoir si elles avaient été dupes.

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Texte 1

L’Incipit

1. La technique narrative

‘’il se taisait, protestait et s’adossait au fauteuil’’

Entrée in medias res

« histoire saugrenue », « invraisemblable »

Insister sur le caractère romanesque de l’histoire racontée, forme de pudeur ?

« remontait aux origines, à l’exode initial, aux orangers, aux réfractaires en duite, au bannissement

du père, au village détruit d’Anatolie, puis il faisait un grand écart dans le temps, enjambait une

décennie, celle dont je voulais qu’il parle, retrouvait les déserts d’Égypte, le ravitailleur en flamme

dans le canal de Suez, le rire d’un soldat éthiopien, revenait en arrière, reprenait lentement les

choses à rebrousse-poil, parlait de la branche aînée de la famille, de la disette, de la Grande Maison

à la dérive, des vergers liquidés pour rien »

Le début du roman contient en lui le résumé de l’histoire à venir et même celle du

prochain roman à venir (Caravansérail)

« posant encore et encore les mêmes questions »

Ecriture = enquête

« qu’ils l’avait fait jeter en prison après lui avoir tendu un piège honteux, à charge pour moi de

comprendre qu’eux, c’étaient ceux de la branche aînée, et lui l’un de ses frères »

Mise en haleine, technique du bonimenteur

« je m’aperçus que j’avais imaginé les choses exactement comme ça »

Rapport fiction / réalité

« Je demeurai un instant stupéfait, ébloui, recueillant dans le silence le plus pur que je pus installer

en moi ces paroles plus précieuses que l’or »

Narrateur prométhéen

« confluer toutes les histoires »

Ecriture = recherche du trésor, prospection

« j’avais reconstitué l’histoire » « recréer l’histoire »

Insister sur le caractère fictif et romanesque

2. La métatextualité

« occuper ses mains »

Mouvements de l’écriture

« démêler l’inextricable écheveau », « retrouvait le fil », « toute la dentelle vertigineuse de détails »

Ecriture = tissage

« je possédais enfin toutes les pièces du jeu »

Ecriture = jeu (or le père joue aussi, donc histoire de convergence père fils)

« Je compris alors qu’il était temps pour moi de commencer et que je ne pourrais que commencer

par là. Par l’histoire du père »

Métatextualité de l’écriture

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Le Père

1. La critique

« fauteuil », « solide comme un roc », « assis à la même place depuis quarante ans »

Vision statique du père

« il n’en parlerait jamais »

Hakawati

« paquet de cartes », « un funambule qui touche au but »

Prestidigitateur, joueur, spectacle

« inutile », « n’en parlerait jamais »

Etre de la négation, du néant

« les battant une fois, deux fois »

Action compulsive dénuée de sens

2. La psychologie

« jusqu’à ce que je lui repose »

Le fils stimule la parole

« l’innommable » , « la chose innommable »

L’écriture du roman devient un défouloir

« jamais, au grand jamais, il n’en parlerait »

Refoulement

« regardant, à travers moi, vers le lointain en lui-même »

Le fils et le père doubles l’un de l’autre

« c’était la faute d’une absence, celle du père »

Complexe d’Œdipe pris en héritage

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Texte 1

Le Poncif de la rencontre amoureuse

1. Une rencontre mondaine

« la fille de Michel Farhat », « la fille de Youssef Callas »

Monde patriarcal

« défile en saluant les personnes présentes sans s’arrêter »

Parade mondaine

« Kfarchima », « Kesserouane », « Baabda », « Ghazir », « Kfarchima »

Toponymes qui authentifient le récit (indices de mimésis)

« Il vous présente sa femme : moi »

Complexe d’Agamemnon dans la société orientale

« L’assemblée rit de bonne grâce »

Spectacle

« à siroter bruyamment le café »

Stéréotype oriental

« ‘’Mais vous connaissez la mode de Paris sur le bout des doigts. Vous êtes aussi chic qu’une femme

d’ici »

Complexe libanais face au français

2. Une rencontre féérique

« entre dans la pièce »

Présent = coup de foudre, immédiateté de la rencontre

« Hélène »

En référence à l’Hélène du mythe (comme le prouve l’enlèvement ensuite)

« La voyant arriver vers lui »

Le premier contact est toujours visuel

« regarde béatement Hélène »

Charme qui opère sur tous »

« pris au piège », « réussit à être gauche »

Hélène opère un envoutement sur les hommes, forme de Circé

« robe bleu ciel »

Image mariale

« l’apparition de sa fille »

Forme de sainte

« c’est l’inévitable »

Forme de fatum

3. Une rencontre intertextuelle

« Il est précisément en train d’en parler avec les deux Lyonnais lorsque Hélène Callas entre dans la

pièce »

Réécriture de la rencontre dans la Princesse de Clèves

« Elle a une grande robe bleu ciel et un chapeau qui retient ses cheveux noués et dévoile la

savoureuse insolence de son cou et de sa nuque »

Réécriture de la rencontre dans L’Éducation sentimentale, G. FLAUBERT

Page 13: Histoire de la grande maison, Charif MAJDALANI · 2016. 12. 10. · fatie, un homme top imposant, top fo t, et ui était mot si tôt ue tout lunives uil avait const uit autou de sa

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« on va imaginer que leurs yeux ne se rencontrent pas une seule fois «

Déformation de la rencontre amoureuse, jeu du narrateur

4. Une rencontre fantasmée

« cheveux noués »

Sensualité refreiné

« dévoile la savoureuse insolence de son cou et de sa nuque »

Sensualité d’Hélène

« glissant comme un chat »

Désir

« faisant agilement coulisser son regard », « sans qu’ils s’en doutent de derrière un moucharabieh »

Voyeurisme + Orientalisation d’Hélène qui ressemble à une princesse de conte oriental,

une sorte de Schéhérazade

« la canne sous le bras »

Symbole phallique

« montre à Wakim puis à son père »

Association du mari et du père

« sans que je sache si ce genre de conversation peut avoir lieu » , « admettons le fait »

En fait, c’est le fantasme du narrateur