Histoire de La Litterature Latine

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Volumul de sinteza al lui Paul Lejay e dedicat fenomenului literar in Roma antica.

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  • t/ c r

    HISTOIREDE LA

  • LITTRATURE LATINEDe LOUISPICHARD

    Sous presse :

    TIBULLE et les auteurs du Corpus Tibullianum, texte tabli daprs la mthode de critique verbale de M. Havet, Paris, Ed. Champion

    .BIBLIOTHEQUE, DE LA REVUE DES COURS ETCONFRENCES

    P A U L L E J A YMembre de lInstitut Professeur l'Institut catholique

  • HISTOIRE DE LALITTRATURE

    LATINEDES ORIGINES A PLAUTE

    Publie parLOUIS PICHARD

    Professeur l'Institut catholique de Paris

  • PA R I SANCIENNE LIBRAIRIE FURNE

    BOIVIN & C'% DITEURS.3 ht 5, hue Palatine (vic)

  • Tous droits rserv*

  • .

  • AVANT-PROPOS

    M. labb Paul Lejay, membre de lAcadmie des Inscriptionset Belles-Lettres, professeur lInstitut Catholique de Paris,avait rsolu dcrire une Histoire de la littrature latine.

    Luvre devait tre immense. Elle et compris cinq fortsvolumes in-8 et servi de rplique ladmirable Histoire de lalittrature grecque de MM. Alfred et Maurice Croiset. Daprs letrait pass avec la maison Hachette, M. Lejay se proposait definir son travail en 1930 et de livrer le premier tome en janvier1922. Mais une maladie soudaine le terrassa le 13 juin 1920.Pendent opera interrupta.

    Sa sur, Mllc Lejay, nous a confi le manuscrit de louvrage.Nous lavons lu, admir, et cest avec confiance que nouspublions aujourdhui quelques chapitres dune substance rare.Dj lloge en a t lu lAcadmie des Inscriptions et Belles-Lettres. Dans la sance du 23 dcembre 1921, le successeur deM. Lejay lInstitut de France, M. R. Delachenal utilisa lemanuscrit et tous

  • ales renseignements que nous avions pu recueillir pourconserver et honorer la mmoire de lillustre matre (1). Puis laRevue des Cours et Confrences nous ouvrit ses pages, et demars 1922 juillet 1923 ses lecteurs eurent la primeur de lapublication.

    Pour situer le prsent petit volume dans son cadre naturel,rappelons le plan gnral de louvrage :

    Tome I. Lpoque archaque. Les origines de la littrature classique.Tome II. Le premier ge classique. Le sicle de Cicron.Tome III. Le deuxime ge classique. Le sicle d'Auguste.

    Tome IV. Lage dargent. La fin de la littrature classique.

    Tome V. Les Renaissances. La renaissance de Farchasme, larenaissance par le christianisme, la renaissance paenne.

    Ce qui a t rdig ne forme quune partie du tome I er: le plandu volume initial comprenait trois livres : Livre Ier. LESCARACTRES GNRAUX ET LES ORIGINES. Le chapitre Ier : Introduction : lepays, les peuples, les langues, ne nous est pas parvenu. M. Lejayse rservait sans doute de lcrire, aprs avoir achev le reste duvolume, adoptant ainsi lavis de Pascal : a La dernire choseque lon trouve en faisant un ouvrage est desavoir celle quil faut

  • mettre la premire. Nous reproduisons ici les autres chapitres de ce livre Ier : Les

    premiers documents latins. Le droit romain considr engnral. Le plus ancien droit

    (1) . Notice sur la vie et les travaux de M. Vabb Paul Lejay.

    romain. Premiers essais littraires et premiers diver-tissements dramatiques.

    Le livre II intitul LPOQUE DES GUERRES PUNIQUES comportait cinqchapitres. Seul, le premier est insr ici: Epope saturnienne etdrame la grecque (Livius Anaronicuset Nvius). Les deuxchapitres suivants, consacrs Plaute, seront publis part ;ils sont trs longs, et moins soigns que les prcdents. Nous nepossdons pas les deux chapitres qui devaient tudier, lun,Ennius, lautre, Caton et les premiers essais de la prose .

    Le livre III, LEPOQUE DES SGIPIONS, prsentait les subdivisionssuivantes :

    Le second ge de la comdie latine, Trence.

    Les dernires destines de la tragdie latine.

  • Lucilius.

    La diffusion de la littrature entre Pydna et la dfaite desTeutons et des Cimbres.

  • AVANT-PROPOS 19

    Quelle mlancolie de constater que ce programme n'a pas euson entire excution ! M. Lejay tait mieux prpar quepersonne pour donner la France une grande histoire de lalittrature latine. Trente-cinq annes dtudes etdenseignement passes dans un commerce assidu avec lesauteurs latins, ruvre considrable quil avait accomplie, lesconnaissances varies et prcises quil avait mthodiquementaccumules, tout permettait dattendre de lui une synthsemagistrale. Il a remani et complt la syntaxe latine deRiemann, publi plusieurs ditions classiques : morceauxchoisis des Mta-morplioses dOvide, premier chant de laPharsale de Lucain, Horace et Virgile en collaboration avec M.Frdric Plessis ; son dition savante des Satires dHorace estun chef-duvre drudition ; il a compos une tude sur saintCsaire dArles ; bref, nul ouvrage concernant les antiquitslatines, paennes ou chrtiennes, philologie, linguistique,pigraphie, palographie, archologie, patristique, histoire, ne le laissait indiffrent. On estime quil a publi plus de douzecents articles. Le plus grand nombre se trouve dans la Revue dephilologie, d'histoire et de littrature anciennes dont il tait,avec MM. Chtelain et Haussoullier, lun des directeurs depuis1911. Avec M. labb Hemmer, il a entrepris une collection deTextes et documents pour Vtude historique et du christianisme.Il crivait encore dans la Revue critique d'histoire et delittrature, le Journal des savants, le Bulletin critique, la Revue

  • 20 AVANT-PROPOS

    des Etudes grecques, la Revue d'histoire et de littraturereligieuses, le Dictionnaire de Thologie catholique,leDictionnaire d'Archologie chrtienne et de Liturgie, la Revue del'Institut catholique, l'Encyclopdie catholique de New-York (Thecatholic Encgclopedia), la Revue de VInstruction publique enBelgique, etc.

    Cet ouvrage immense, M. Lejay le jugeait, en mme tempsquune uvre de science, une uvre patriotique. Nous trouvonslcho de cette intention dans une note quil avait rdige pourexposer la mthode suivie dans la composition de labibliographie: Ces pages, crit-il,

    ne seront pas encombres de titres allemands, mais il y en auraencore beaucoup, parce quon ne peut faire autrement. Laguerre de 1914 a clos une priode de lhistoire des tudesclassiques. Mais nous ne pouvons poursuivre et renouveler cestudes quen tenant le fil quavaient pendant plus dun sicle tir eux pour leur profit les Allemands et les germaniss. Espronsque dans un autre sicle, grce notre travail et celui de noslves, nos petits-neveux auront la mainleve de cettehypothque. Aussi, avec quelle joie avait-il accueilli la crationde lAssociation Guillaume Bud et avec quelle sympathie il ensaluait les premiers travaux I

  • AVANT-PROPOS 21

    Il ajoutait : Mais, en dehors des livres allemands, quipeuvent avoir une utilit pratique immdiate et nous pargnerde refaire une tche faite, nous devons recourir plusquauparavant aux uvres de nos grands anctres du xvie et duxvne sicle, o tant de questions, dbattues depuis, se trouventdj tranches, o il y a tant dexemples dune mthoderigoureuse, avec une rudition dsesprante.

    Ce bel loge des savants franais, M. Lejay le mritaitpersonnellement. M. S. Reinach la dit : Ctait un grandsavant, de la ligne des meilleurs, de celle qui passe en Francepar Casaubon, Guyet et Graux (1). M.Havetest all plus loin : aII a t le type du latiniste complet (2).

    (1) Revue archologique, juillet-octobre 1920, S. Reinach, Paul Lejay,p 9 - . . . . .

    (2) Le Flambeau, Revue beige des questions politiques et littraires,

    31 janvier 1921, L. Dorez et L. Havet, Paul Lejay, latiniste franais, p. 51.

    Il nous a donc paru quil fallait sauver ce qui nous reste de cematre. Tel quel, le petit volume que nous publions mrite devivre. Il rendra service. On y trouvera une tude approfondie ose manifestentbrillam- ment les qualits de M. Lejay, la fois

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    grammairien, philologue et historien. On y verra les rsultats decette (( mthode rigoureuse et les tmoignages innombrablesde cette a rudition dsesprante quil admirait chez sesprdcesseurs franais. Que de choses sont condenses en 250pages ! vues profondes, aperus nouveaux en particulier laplace faite au droit romain dans une histoire de la littrature ,rapprochements ingnieux et intressants (1), examen subtil decertains dtails de style. On verra lauteur, dou dune solideculture gnrale et dont la curiosit paraissait sans limites,confirmer ou discuter, sur plusieurs grandes questions, lesopinions de Bossuet, de Voltaire et de J.-J. Rousseau ; et propos dun procd littraire, quil remarque dans les premiresuvres latines, il saura faire allusion des crivains toutmodernes, Alphonse Daudet et Edmond Rostand.

    Un de ces rapprochements, qui montre, non plus seulementltendue de lrudition, mais la richesse de lme, a t ainsicomment par M. Delachenal :

    Dans un des chapitres de son histoire de la littra-

    (1) Voyez, par exemple, pp 189-192, la comparaison tablie entre les premiresassociations dramatiques des Romains et la socit joyeuse de rInfanteriedijonnaise.

  • AVANT-PROPOS 23

    ture latine, celui quil relisait encore en mars 1920, M.Lejay sest attach faire ressortir par quelques exemplescaractristiques lestyle lapidaire du vieux pote Nvius. Undistique quil reproduit, de forme bien rugueuse pour nosoreilles habitues lharmonie des vers de Virgile, peint, entermes dune simplicit un peu fruste mais forte, la solidit de lavieille infanterie romaine :

    Seseque il perire mauolunt ibidem Quamcum stupro redire ad suos popularis.

    Ils aiment mieux prir sur place que de revenir couverts dehonte prs de leurs compatriotes.

    Et alors quon sattendrait voir cette citation compltepar quelque commentaire philologique ou grammatical, voici cequon lit, avec une surprise attendrie, sous la plume de Lejay : Un adverbe (ibidem) est lourd par dfinition, mais comme il estici le mot expressif I 11 renferme en lui lordre loquent du 5septembre 1914 : Une troupe qui ne peut plus avancer devra,cote que cote, garderie terrain conquis et se faire tuer surplace plutt que de reculer.

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    Il me plat, observe M. Delachenal, de finir sur ce trait.Cest le cur, son cur de patriote et de Franais, qui adict labb Paul Lejay un tel rapprochement et en a tir unjuste hommage aux glorieux combattauts de la Marne et h leurchef.

    Najoutons rien cette page. Concluons seulement

    que le prsent volume, tout inachev quil est, prendra placeparmi les plus solides travaux de la science franaise. Il justifiele mot de Mgr Baudrillart aux funrailles de son collgue : LInstitut catholique perd en M. labb Lejay lun des hommesqui lui faisaient le plus dhonneur devant le monde savant (1).

    L. P.

  • (1) Bulletin de VInstitut catholique de Paris, juillet 1920, p.169.LIVRE PREMIER

    LES CARACTRES GNRAUX ET LES ORIGINE

  • S

  • HISTOIRE DE LALITTRATURE LATINE

    CHAPITRE PREMIER LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    I. Dans la vie dune nation, ct de lhistoire, de la littrature et de lart, on peuttudier les antiquits soit nationales, soit populaires. Importance de cette partie delhistoire des murs qui embrasse tout ce qui est la vie du peuple en dehors delorganisation sociale. On doit distinguer le folk-lore de la littrature.

    II. La plupart des littratures commencent par des documents, autant dire par ce quinest pas littraire. Il ne faut donc pas juger les Romains daprs leurs premirescritures.

    III. Le plus ancien texte latin connu est linscription dune fibule dor, trouve Prneste en 1886 : il daterait des environsdelan 600 av. J.-G.

    IV. Linscription du tombeau de Romulus dcouverte en 1899 dans le forumest de la lre moiti du v sicle av. J.-C. Le vase de Dunos est du iv c sicle av.J.-G. Ces textes sont difficiles expliquer. Des documents les plus anciens, lesDouze tables seules peuvent tre revendiques par lhistoire littraire.

  • 28 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    Un mathmaticien dirait qu'une littrature est une rsultante. Desforces diverses partant de points divers ont converg, sq sontcontraries, se sont composes lune avec lautre. Lhistorien doitanalyser ces forces dterminantes, car il ny a dhistoire que parlenchanement des faits. Certaines causes sont permanentes et ontagi pendant tout le cours des temps. Telles sont les qualitsessentielles de lesprit romain, quil montre le plus visiblement dansllaboration du droit et dans le choix de scs divertissements ou deses moyens dexpression. Dautres causes sont propres Ix unepoque. En tout premier lieu, des vnements,des personnes, desbesoins ou des instincts ont fait que le peuple romain ,a eu unelittrature. Gela ntait point fatal : lempire celtique a disparu sanslaisser dhistorien; le peuple juif, dont le rle politique a t minime,a cr une grande littrature. Ce premier livre sera consacr ltude des influences permanentes qui ont agi sur les crivainslatins ; par suite, aux caractres quelles ont imprims lensemblede leurs uvres, aux tendances quelles ont provoques et qui sesont satisfaites peu peu dans les priodes de cette histoire ; enfin,aux origines, aux premiers efforts qui, au del dusages populaireset ncessaires, ont produit des crations individuelles et artistiques.Si nous ne pouvons pas pntrer compltement les causes qui ontdtermin la littrature latine et retrouver les conjonctions dastresqui ont dfini son horoscope, nous pouvons, du moins, dcrire parquelles transitions elle a pass pour natre et vivre, dire lecomment, sinon le pourquoi.

    T T v++' + Dans la vie dune nation, on peut dis-

    '^leafolk-loreUre fnuer trois sries de phnomnes Lhistoire proprementdite droule les vnements politiques, intrieurs ou extrieurs ; lalittrature et lart montrent des tentatives et des progrs vers la

  • 29 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    beaut ; il y a, enfin, un troisime groupe de faits quon dsigne sousle nom gnral dantiquits. Ce nom recouvre des objets varis.

  • *30 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    Nous pouvons peut-tre tablir deux parties dans les antiquits.Lune comprendra les institutions ncessaires la vie dun peuple,institutions rgulires dont le caractre commun est, prcisment,dtre organises : religion, justice, gouvernement, administration,systme des changes et de la monnaie, mtiers et professions. Ladfinition et la classification des faits relevant de cette partie desantiquits noffrent aucune difficult On naura pas, non plus, depeine rattacher aux divers chapitres les crits qui en dpendent,au culte romain les chants des Saliens et des Arvales, lecalendrier, les Annales des pontifes, les rituels et les livres delitanies ou indigilamenla ; aux magistratures, la jurisprudence, lhistoire diplomatique de Rome, les coutu-LA LITTRATURE ET LEFOLK-LORE

    miers des magistrats, les procs-verbaux, les fastes consulaires ettriomphaux, les traits et les lois.

    Mais, dautres documents et dautres textes se rapportent desusages particuliers ou sont enferms dans lintrieur des familles.Comme ceux que nous venons dnumrer, ils rpondent descirconstances prcises, des coutumes prvues. Ils font corps, pourainsi dire, avec lensemble des murs et des pratiques o ilsprennent place. Ils sont les chants des soldats derrire letriomphateur, les divertissements nuptiaux ou dramatiques quiadmettent les vers fescennins, les nnies des funrailles, les logesdes anctres devant le corps dun dfunt ou dans un banquet, lesprdictions des devins, les sorts, les proverbes courants. Cesmorceaux, en prose ou en vers, sencadrent avec les usages qui lesont fait natre dans une seconde partie des antiquits, auxquellesnous pouvons donner provisoirement le titre dantiquits populaires.Le sujet est alors plus mal dfini que dans la premire partie desantiquits. Il a t aussi loccasion de systmes trompeurs quitendaient fausser compltement lhistoire des origines et mme lescaractres du dveloppement que, dans le cours du temps, a pris lalittrature latine. Nous d -vons donc insister sur la nature et lesqualits propres ces antiquits quon retrouve sous tous lesclimats.

    Cette partie de lhistoire des murs embrasse tout ce qui est la

  • vie du peuple en dehors de lorganisation sociale, toute pense ettoute pratique qui ne paraissent pas rentrer dans une occupationdfinie. L, se formulent les ides vagues et les intuitions qui nesont pas encore arrives la pleine lumire de la conscienceindividuelle et de la vie publique. L, subsistent les survivances descroyances et des coutumes qui sont sorties de lhorizon de la vieprsente. Ces ments sont un ensemble qui a reu, depuis unesoixantaine danlncs, le nom anglais de folk-lorc. Ce nom, qui veutdire savoir du peuple , est un terme un peu trop large, car lepeuple sait bien dautres choses qui ne sont pas du folk-lore. Ce quidistingue ces autres choses, cest dabord lorganisation qui leurdonne une apparence fixe. Cest, dautre part, que le folk-lore rctint ce qui napparlient plus aux couches suprieures

    de la socit ; il est la science du peuple, en tant que le peuplesoppose aux classes qui sont au-dessus de lui. Mais il y a des tatsde civilisation o tout homme est du peuple. Le folk-lore se confondavec les antiquits quand il sagit des sauvages. On peut dcrire lefolk-lore plus facilementquonneledfnit.Lesentiment populaire semanifeste par des croyances, par des actions et par des paroles.Croyances, actions et paroles sont souvent troitement lies. Lesparoles ont t quelquefois dsignes comme une littrature orale.Ce terme est contradictoire ; dans littrature, il y a lettres. Ceterme est fcheux : il perptue entre la littrature et le folk-lore uneconfusion. Cette partie du folk-lore runit : fables et contes, lgendeset chansons, proverbes, formules, jurons, devinettes,divertissements dramatiques, facties, cris des rues, parades decharlatans et boniments. Le romantisme avait tout ml enprtendant distinguer deux littratures, une littrature crite, decration savante, uvre de la volont individuelle, et une littratureorale, ne spontanment, sortie de la collaboration de tout unpeuple. On ne songe pas assez, crivait Renan, quen tout celalhomme est peu de chose, et lhumanit est tout. Le collecteurmme nest pas en une telle uvre un personnage de grandeapparence. Il sefface. Et les auteurs de fragments lgendaires, ilssont presque toujours inconnus. Ah ! que cela est significatif !...

  • *32 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    Cest lesprit de la nation, son gnie, si lon veut, qui est le vritableauteur. Le pote est lcho harmonieux, je dirais presque le scribequi crit sous la dicte du peuple, qui lui raconte de toutes parts sesbeaux rves. Renan finissait ainsi par absorber dans le folk-loretoute uvre desprit national. Le mysticisme et limaginationsystmatique avaient fauss une donne de fait. On doit distinguerle folk-lore de la littrature.

    Au moment o jcris, dans le fond de la Bretagne, une couturirede village fait sur chaque vnement une chanson qui senvole,recueillie et rpte sous mille toits, sans quon sache do elle vientet qui la faite. La chanson a cependant un auteur. Si elle rpondaux sentiments du peuple, si elle traduit ses rves ou sespressentiments, cest quelle nat sous linfluence des ides

  • LA LITTRATURE ET LE FOLK-LORE

    communes une socit et une poque, comme est ne Y nideou h Phdre de Racine. Mais elle a pour auteur une personnedtermine. La foule na jamais rien cr. Ltude la plus rcentedes tiaditions populaires montre, mme souvent lorigine,linflueace du livre, ou tout au moins du savant, qui communiqueses prcccupations au vulgaire. Chez les anciens comme chez nous,on chenhait les camps de Csar , avant dattribuer les ruines,suivant la mode rgnante, lapostolat de saint Martin ou Charlemagne et ses preux (1). Il ny a donc pas une diffrencedorigine mtre luvre littraire ou savante et le produit delimaginatiin populaire.

    Ce qui caractrise luvre littraire, ce nest pas quelle a unauteur, ce iest pas que son auteur est connu, cest que le lien entrelautetr et luvre nest jamais rompu. Il est possible que le pote deY Odysse ne se soit pas appel Homre, que le pote de la Ctansonde Roland ait eu un autre nom que Turold. Cependant, Ytdysse etla Chanson de Roland ontreu lempreinte dune personmlit, quellequelle soit. La chanson anonyme est la fille adoptiv. de tous ceuxqui la redisent. Personne ne songe y trouver lcho dune meconnue ou inconnue, mais chacun croit y trouver e propre cho deson me. Nous connaissons le gnie dHomre jar l'Odysse et celuide Racine par Phdre.

    Mais il y a les variantes qui modifient le conte ou la chanson, etces changements, dit-on, accusent la main dun ouvrier. Lobjectionporte contre la thse romantique de lhumanit cratrice. On doit.ependant retenir quelque chose de cette thse. Les changements

    7

  • *34 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    sont des adaptations des conditions nouvelles du milieu. Unindvidu en prend linitiative, mais il subit linfluence de son tenus etde son pays. On montre ici les camps de Csar ; l, les camp deCyrus ; dans les camps de Csar, on verra encore tour tour estraces du passage soit de saint Martin, soit de Roland, soit de(argantua. Le hros changera de nom suivant

  • les rgions et suivant les fluctuations de la renomme. Sil s agit dercits ou de chants, ces changements nous montrent uellediffrence il y a entre les uvres populaires et les uvres litt-raires. Luvre littraire est fixe, dlimite, du mommt o elle aparu. Luvre populaire peut toujours varier. San?doute, leslinaments dun conte se retrouveront sous toutes les latitudes. Cesera un fonds commun et banal, qui prcisment niitresse pasparce quil est banal. Les variantes le font de tel vilhge et de telleanne. La Princesse de Clves et Eugnie Grandet *ont aussi dunlieu et dun sicle. Tant quil y aura une littrature franaise,cependant, ces romans resteront La Princesse de Clveset EugnieGrandet. Nul ne peut prdire cette stabilit un conte Noustouchons donc la mme diffrence fondamentale. Car cest lapersonne de lauteur qui fait que ces romans ^ont ce quils sont etne peuvent pas tre autre chose'. Gaston Pa'is protestait, il y asoixante ans, contre le ddain que le grand pvblic marquait auxchansons populaires. Que les chansons populates, scriait-il,soient mises la mode par quelque crivain de tant, et bien desgens leur dcouvriront des beauts quils ne souponnent pas (1). Gaston Paris avait tort de voir l une question de mode ; cestlopinion et le got qui rglent le jeu littrairejll disait mieux enparlant de talent. Il faut un auteur. Et le jo/r o un crivainsempare dun conte ou dune chanson, le con ou la chanson cessedtre populaire. Les choses changent denom. La nymphe nestquun insecte indtermin avant que fes ailes lui aient pouss : lesailes en font une abeille. Les fabfeaux et les contes entrent danslhistoire littraire quand ils onj reu la rdaction qui arrte leurscontours. On peut, pendant1 des sicles, danser aprs la moisson en

    1 V oy. C. Jullian, ans la Peu. des ludes anciennes, t. XVIII (1916), . 1; HADET, ib., p. 21 ; et la trs carieuse histoire de la mosque de

  • *36 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    changeant des quolibes, sans que de cet amusement sorte jamais lasatire ou la comd^. Qn peut, pendant des sicles, faire lloge desmorts et de leurs telles actions dans les festins, sans que ces chantsfassent jamais jlne pope. Un des caractres du folk-lore est larptition indfhie des mmes gestes et des mmes paroles. Luvrelittraire/a une individualit

    Huzancy, ib., p. 142.

  • LA LITTRATURE ET LE FOLK-LORE

    qui risole de toute autre analogue. Mais la srie des uvres sem-blables forme un dveloppement suivi. Une sorte de vitalit fcondefait progresser chaque genre duvre en uvre, parce que lesauteurs, apportant leurs tempraments et leurs vues propres,sinspirent de leurs devanciers sans les copier, marquant duneempreinte personnelle le fonds commun tous. Il ny a pas deprogrs rationnel dans le genre contes ou le genre devinettes .Les contes et les devinettes dun mme pays ou dune mme poquepeuvent servir caractriser ce pays ou reflter les vnements etles murs de cette poque. Les procds du conte et de la devinetterestent immuables, tant que contes et devinettes sont maintenusdans le milieu populaire. Le folk-lore peut contenir les matriauxdune littrature ; ce sont des matriaux et il faut un architecte.

    Ce que larchitecte apportera, ce sera dabord un plan, et ilsubordonnera les parties au plan, il liminera, il choisira. Il ne seraplus le porte-voix dune tradition anonyme. Il ne dira plus : a Magrandmre ma racont quand jtais jeune ; ou sil le dit, tout lemonde saura que cest lui qui parle. Il aura une certaine ide de lanature et de la vie, et il la traduira, mme son insu.

    II aura tudi et prvu ; il ne droulera plus des souvenirs. Ilaura un style, qui sera son cachet personnel, qui exclura tellearaucherie, qui fera voir toute chose comme il voit lui-mme.

    Par cette application, il donne son travail une valeur distincteetune porte gnrale. Car, dans les lettres, plus un auteurexprime avec perfection sa personne par son uvre, plus luvre

    9

  • *38 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    contient dhumanit et plus large est son public. Les contes, leschansons, les devinettes, les formules sont lusage de tout petitsgroupes. On se serre prs du foyer la veille pour les entendre.Horace apprend la fable des deux rats chez des voisins. Il faut sesentirenconfiance pour dire ce quelon sait.Ltranger est suspectLuvre littraire, bien quindividuelle, va au-devant de nous,sollicite la sympathie et cherche partout des amis.

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 39

    Il ny a de littrature que quand il y a un auteur connu etresponsable. La littrature impersonnelle n'est pas de la littrature,pas [dus quo la collection de nos affiches administrativesou les crisdes marchands des quatre saisons. Les affiches pourront, un jour,tre la matire des antiquits du xxe sicle; les cris des ruesappartiennent notre folk-lore. De mme, les premiers textes latinsque nous avons ou dont nous parlent les Anciens sont des antiquitsou du folk-lore. Puisque, cependant, Rome a eu des potes, desorateurs et des crivains, les improvisations et les usages de la viepublique ou prive rvlent des habitudes desprit qui sont ensuiteimpliques dans le travail des crivains. Nous ne pouvons donc pasles laisser compltement en dehors de notre cadre. Nous lestudierons cause des genres quils prdisent, tout en remettant la seconde partie de ce volume les dtails drudition. Ainsi, leschants des collges sacerdotaux sont les annonces de la posielyrique. Les divertissements fescennins prparent lavnement dudrame. Lesnnies,les loges, les rcitatifs dbits en lhonneur desanctres veillaient le sentiment pique. Les livres et lescoutumiers des magistrats, les chroniques officielles, les fastes nesont pas seulement les matriaux de lhistoire: ils tournent lespritvers la considration du pass, et sous la circonspection presquejuridique qui envisage le prcdent, peuvent se glisser la critique etle sens des diffrences de temps et de milieu.

    La littrature nembrasse donc que les uvres crites ou parleso se manifeste la volont de raliser la beaut et o vit une pensedart. Mais lhistoire de la littrature doit expliquer, tablir desliaisons, rechercher les sources. Elle ne peut ngliger absolument,soit les antiquits du folk-lore o souvent se sont labors desmatriaux pour luvre dart, soit les documents qui attestent lesessais, les ttonnements et les progrs de la pense. Son objet

  • *40 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    propre nest pas dans les antiquits, mais elle doit clairer cet objetpar la lumire que lui prtent les antiquits.

    Un des premiers signes quun peuple veut se donner une litt-rature, cest quil se met crire ce qui jusque-l restait oral. Quandon parle de littrature orale propos de folk-lore, on na pas tort.Lcriture, un jour, en se rpandant, dissipera les brumes du rve,fixera les incertitudes de la transmission des uvres, et rendraindividuelle la pense anonyme qui court les rues. Mais,

    auparavant, elle doit recevoir des applications plus modestes et pluslimites.

    , Chez la plupart des peuples, le premier

    , c emploi de rcriture nest pas de conserver

    des premiers do- , r

    cuments uvres littraires, et rcriture suppose

    la lecture. Savoir lire et crire tait, lorigine, le privilge de quelques personnes, tout au plus dequelques groupes. Le prtre, le marchand, le chef, furent longtempsles seuls possder ces secrets et mme sentir le besoin de lesconnatre. Parfois, lcriture passa pour une magie rserve aussi un petit nombre dinitis et consacre des fins toutes pratiques. Alorigine, on ncrivait que ce qui valait la peine dtre crit, et onnestimait tel que ce qui rpondait lutile. Il est utile de faire descomptes, dassurer la proprit des objets, de fixer la volont desdieux, de prouver antiquit dun culte, de perdre son ennemi ou de

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 41

    se procurer un avantage sur lui par la formule efficace. Les occu-pations dsintresses de lesprit sont, au contraire, des passe-temps, mme quand on ne leur donne pas ce nom doisivet commeen latin. Elles resteront exposes aux hasards de limprovisation etde la tradition orale, chants de guerre, de noces, de banquets ou deberceau, rcits destins complter la joie des runions de fte ou tromper la fatigue des longues marches et la lenteur des nuitsdhiver, divertissements et jeux qui marquent le terme des grandstravaux agricoles. On a plus vite fait de parler et de chanter quedcrire. Songez la peine que lenfant se donne pour former seslettres et tracer la plus courte ligne. Lenfant est un tmoin toujoursrenaissant de nos premiers efforts. Lapplication suffirait donnerdu prix une lche aussi utile. Lhomme du peuple est enfant ur cepoint : pour lui, de lcrit, une signature, sont des rites qui donnent un acte de la vie ordinaire un caractre solennel et sacr.Lhomme du peuple est un primitif qui se survit. Pour le primitif, laparole est lgre, lcriture est srieuse.

    En fait, la plupart des littratures commencent par des docu-

    ments, autant dire par ce qui nest pas littraire. A la fin du memillnaire avant Jsus-Ghrist, un intendant dressait dans lesmagasins de Minos des inventaires dobjets et de personnes. Decette civilisation crtoise, qui ne devait pas ignorer compltementles distractions de lesprit, ce sont des comptes qui nous sontparvenus sur des tablettes dargile. Les premires inscriptions dontles Grecs nous aient conserv le souvenir sont les listes desolympioniques depuis 776 avant notre re, la chronique de Sicyoneet les trs anciennes chroniques des Lacdmoniens (1). Lachronique de Sicyone contenait la liste des prtresses dArgos et, enoutre, les noms des potes et des musiciens . Si ces noms taientconservs parmi ceux des prtresses, cest quils taient lis avec lesvnements du culte. La plus ancienne inscription dAthnes, etpeut-tre de Grce, est un fragment mtrique cependant. Mais elletait grave sur un vase qui avait t donn en prix dans un

  • *42 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    concours dionysiaque ; elle clbre la victoire et la valeur du prix(2). Ce trophe avait paru assez singulier la famille pour tre misavec le vainqueur dans son tombeau. Pour un Athnien, les luttesagonistiques, mme les concours de danse, taient une affaire.Linscription est du vme sicle, et a prcd de plus de centcinquante ans le temps o Pisis- trate mit en ordre et dita pour lapremire fois les pomes homriques. Plus tard, vers 650, le roidgypte Psammtique ouvrit au commerce grec le port deNaucratis, et cest de l que nous est venu un grand nombre desplus anciennes inscriptions. Ce sont des ex-voto. Mais, bien avantque ces marchands aient crit sur des matires rebelles commelargile, la pierre ou le mtal, ils ont d faire des comptes avec leursconfrres de Phnicie et dgypte.

    Le mme phnomne se reproduit aprs la chute de lempire

    romain. Les conditions de la culture de lesprit taient fort diffrentes de celles quon peut imaginer pour les peuples anciens. Alors,quiconque apprenait crire apprenait le latin. Une civilisationlatine subsistait que conservait lcriture : les lettres antiquesseront sauves dans la mesure o les clercs auront copi desmanuscrits. Bien plus, le latin tait la langue des affaires et garderasa suprmatie pendant des sicles. Il est interdit en France pour lesjugements et les actes de lautorit seulement par des ordonnancesde 1512,1529 et 1539. La chancellerie autrichienne ne renona aulatin qu la fin du xvme sicle. Partout en Occident, les chartes sontcrites en latin. Ainsi lusage de lcriture est tabli etconstant,quand, au Moyen Age, on parle le latin. Tout ctcroissent des langues et des littratures nouvelles. Lcriture,connue et pratique par les clercs, devrait tre employe les fixer.Et en effet ; mais cet emploi de lcriture commencera par treappliqu des documents, bien avant de conserver les posies destrouvres et des troubadours : ds le xe sicle en Italie, ds la fin duxie sicle en Provence et en Gascogne, ds le xne sicle dans lapninsule hispanique. Le premier texte franais est celui des

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 43

    serments mutuels de deux rois, jurs en 842 (1).

    Et, si nous cherchons un autre cas, tout fait diffrent, nousobservons le mme phnomne. Les Germains, une date trsancienne,empruntrent et dformrent les lettres de lalphabet latin: ce sont les runes dont les premiers exemples se trouvent sur despointes dpieu, sur des anneaux, sur des bijoux, pour dire lepossesseur et parfois louvrier.Tacite rapporte que les Germainspratiquaient la divination par les sorts. Ils marquaient certains sgnes sur des baguettes quils tiraient au hasard (2;.Si ces signessont des runes, leur usage, dont nous aurions alors la premiremention, auraitencore un caractre tout pratique. Quand Wulfila,au milieu du ive sicle, imaginera une criture pour traduire la

    (1) Actes en provenrnl de la fin du xie sitalc (cartu de MonlHisio), on gascon do1170, en castillan do 1170, en catalan de 1171, on portugais de 1192 et 1267, en italiende 961.

    (2) TACITE Germanie, 10 : Surculos... notis quibusdam discrctos .

    Bible, en gothique, il poursuivra une fin utile, si releve que soit lapropagande religieuse.Chez les Germains, lcriturena donc pas temploye dabord recueillir des popes, dans le temps o leursforts, daprs les nafs lettrs de lOccident, taient lasile de lavertu et le berceau de la posie.

    Ces parallles suffiront, je pense, pour carter un prjug quiremonte un sicle. On a, pour ainsi dire, encombr de documentsles abords de la littrature latine ; puis, on a dit : Ce peuple estpratique, superstitieux, grave et presque sombre. Voyez les premierstextes que nous avons et ceux dont le souvenir nous a t conserv.Ce sont des chants religieux, des maximes, des lois, des documents.On voit bien que ce peuple nest pas naturellement dou pour les

  • *44 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    travaux littraires, pour lart et la posie. Il aura besoin daller lcole chez ltranger. Et on a rpandu sur le seuil de lhistoire lesmatriaux dune rudition prodigieuse. On a remplac la littraturepar la science. Le lecteur, surpris, qui attendait des ides, desanalyses et des apprciations, un tableau et des citations, a trouvdes fiches. On lui a dit : Ainsi le veut le temprament desRomains.

    Ce qui a fortifi ce prjug, cest la comparaison avec la littraturegrecque. Elle commence par Y Iliade et Y Odysse : la littraturelatine commence par le chant des Saliens. On na pas vu ou on napas su que les chants homriques sont le terme dun dveloppement.Les critiques anciens, les premiers, avaient commis cette erreur deles croire un dbut. Supposons que la littrature franaisecommence avec Y Iphignie de Racine : quelle brillante aurore !Quelle supriorit sur tant dautres littratures dont nous suivonsles ttonnements ! Nous sommes exactement dans cette situationquand nous trouvons les chants homriques au premier chapitre dela littrature grecque.

    Ainsi on a commis une injustice et une faute de mthode en jugeantles Romains daprs leurs premires critures. Il ntait donc pasinutile de jeter un regard au del de lItalie ancienne : la France deRacine est aussi la France des serments de 842, comme la Rome deVirgile est celle des chants saliens. Nous ne devons pas dduire desfaits une conclusion prmature.Cela bien tabli, nous sommesmaintenant plus laise ; nous pouvons, sans arrire-pense,chercher, sil nous plat, dans les premiers documents, des indiceset des germes; enfin, nous verrons ces textes tels quils sont : il y ales documents et il y a la littrature ; ce sont deux choses.

    , Le plus ancien texte latin, qui nous ait III La ibule #. . . . ,

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 45

    j* ' j -r ' 4 t transmis d une mamere certaine, estd or de Preneste. .,. . . ,, , ,, *

    1 inscription d une fibule d or, trouve a

    Prneste en 1886. Daprs le caractre du bijou et la forme deslettres, lobjet serait des environs de lan 600 avant notre re ; ilserait contemporain p de Numa Pompilius, suivant la chronologietraditionnelle des rois de Rome. Pour Gicron et Horace, cet ge estla nuit des temps. La phrase crite de droite gauche noffre pas dedifficult :

    Manios med fhefhaked Numasioi.Manius me fecit Numerio.

    Les formes sont archaques, antrieures au changement de en dans les syllabes finales, la chute du d final aprs voyelle longue,et au rhotacisme. De plus, fhefhaked, avec son redoublement,parat dialectal.

    Ces quatre mots sont, divers titres, intressants. La fibuleprend elle-mme la parole. Ce tour est primitif. A Cypre, dans desinscriptions trs anciennes, lobjet votif se dclare la proprit dudieu ; les scarabes et les vases nomment leur matre ; lestombeaux annoncent de qui ils sont la demeure (1). Parmi les plusanciennes inscriptions grecques, se trouvent des ex-voto offerts auxdieux des temples de Naucratis, Aphrodite et Apollon. Lobjetproclame qui il appartient, qui on la consacr : Apollon, jesuis toi, Jappartiens Apollon , Sostratos ma ddi Aphrodite (2). A Thra, un des plus anciens tombeaux

    (1) H. MfcisTrtn,fl nns Iierichlcbcr die Vcrhandlungcri dcrsdchsischcnycst'll-* ha/l, Leipzig, t. LXI ( 11)00), p. o.

  • *46 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    (2) Lm des inscriptions grecques les plus anciennes, qui est au plus tard

    contenait une table de pierre qui devait servir supporter la tte dudfunt. Ces tables sont assez frquentes dans lle. Elles sonttailles en creux de manire laisser un bandeau rectangulaire une de leurs extrmits. Sur le bandeau, la pierre disait : Jappartiens Abrn (1). Sans doute, dans les derniers temps delEmpire romain, de petits objets peuvent sadresser la personnequi sen sert : Prends-moi , Remplis-moi , disent des vases boire. Mais il y a l plutt substitution que personnification rellede lobjet ; cest le buveur qui parle derrire la coupe. Car on trouveencore plus frquemment la mme poque : Je prends .Dordinaire, quand linscription sadresse quelquun, elle traduit ledsir de la personne qui se sert de lobjet : Donne-moi de leau , Mnage leau . Beaucoup de ces petits objets sont destins servirde prsents. Les acclamations quils portent sont les vux desdonateurs. Telle est linscription banale : Viere felix (2). Dans lespitaphes, il nest pas rare que le mort raconte sa vie. Cest lui, nonla tombe qui parle (3). Au contraire, la fibule de Prneste estanime, elle est une personne (4).

    Elle dsigne la fois son auteur et son propritaire. Que Numa-sios soit nomm, rien dtonnant. Le premier mouvement de

    du milieu du vu sicle,estsur un vase offert au temple dApollon Naucratis T2sou .

    E. GARDNER, Naukralis, partie II (Londres, 1888) : AtioXXwvo slpu. Cette formule^nest gure employe que pour Apollon. Cf. ib., n 701 : Sooaxpax p.vs07)Xv xi?)

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 47

    Ne dimitte , Ne che pas la coupe (ib., 10018, 67).

    (3) DURUY, Histoire romaine, 1.1, p. 173.

    On a trouv des plaques de mtal graves destines dnoncer et faire retrouver lesesclaves fugitifs. Elles prsentent une formule identique :quiconque vientdapprendre crire est de mettre son nom sur ies objets qui luiappartiennent. Linscription de la fibule montre, une fois de plus, quoi sert lcriture. Mais lorfvre a grav aussi son nom. II a doncquelque prtention artistique. Sa phrase nappartient pas lalittrature; elle lannon-e par un souci de renomme.

    Cest quau temps o Rome se dgage peine de ses humblesorigines, Prneste, avec son temple de la Fortune, est dj une villecivilise. Ds le vne sicle avant notre re, les marchands phnicienset trusques y pntrent et trouvent des amateurs assez riches etassez curieux pour leur vendre des objets dart ; telle est cette coupedargent dont les ciselures imitent les figures et les scnesdelEgypte (1). Dans les crmonies religieuses, les prtres separaient dornements dor du travail le plus fin ; les cmmesportaient des pingles moiti or, moiti ambre ; dans les festins, onse servait de coupes de mtal prcieux travailles en relief. Entemps de guerre, les chefs revtaient de riches armures ; leursboucliers de bronze taient orns de ttes de griffons ou dautresanimaux fantastiques, auxquels des yeux dmail donnaient unaspect terrible ; le manche des poignards tait quelquefois enambre, et les bas-reliefs qui ornaient le fourreau reprsentaient desscnes de chasse ou de combat. En un mot, toutes les dcouvertesfaites dans la partie la plus ancienne de la ncropole de Prnestednotent, au vme et au vne sicle avant notre re, une civilisationdj avance (2). Plus tard, au ine 11 au ne sicle avant notre re,Prneste deviendra un centre dun art original, connu surtout par

  • *48 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    les cistes et les miroirs disperss dans les principales collections delEurope ; cest le temps de ces stles funraires appeles pigne parles Italiens,

    Tene me quia fugi , ou Tene me ne fugiam ; voy. Corp. inscr.-lal., t. XV, 7178 suiv.L encore, la plaque suspendue au cou de lesclave n'est pas personnifie ; celui qui onprte la parole est le porteur, lesclave lui-mme.

    (1) Le nom de lartiste ou du fabricant nest jamais indiqu plus tard endonnant la parole a lobjet. Le type de la formule est L. Luttius, Y'iclor fcc il). Cetcxeinplecst pris entre mille autres {Corp. inscr. lat.y t. XV, 7303 ; Tibur, fin d i,r siclede notre re).

    FEIIMQUL , lude sur Prneste (Paris, 1889), p. 9

    . cause de leur ressemblance avec une pomme de pin. Mais lesspultures les plus anciennes snt des fosses ou des chambressouterraines. Tel tait lusage quand vivait Numasios.

    Comme lart, la langue avait, Prneste, une physionomieparticulire que la fiert proverbiale des habitants parat avoirmaintenue. Malheureusement, linscription de la fibule estisole.Tous les autres textes prnestins et les renseignements que nousdonnent les auteurs se rapportent lpoque postrieure, celle descistes et des miroirs. On ne saurait, daprs cela, se faire une idede ce quaurait pu devenir le latin si Prneste avait eu la fortune deRome. Le prnestin a des points de contact avec le falisque, avec lelatin de Tibur et celui de Capoue. Quoique foncirement latin, iltablit une transition entre le latin et losque voisin. Ltrurie napas t sans influence, au moins sur lcriture; la reprsentationde / par fh, dans fhefhaked est trusque. Ce mot, dailleurs, estpropre Prneste. Vers le mme temps, on devait dire Romefeced, quon lit sur le vase de Dunos. Il faut aussi compter aveclarchasme. Anciennement, Prneste et Rome, on construitcapere avec lablatif, au lieu de laccusatif, comme potior. Mais ce

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 49

    sont surtout des diffrences phontiques que lon observe entre cedialecte et les autres. Elles ne suffisent pas faire prvoir dansquel sens la langue tend voluer. On ne sait pas non plus cequune littrature aurait pu modifier, fixer, affermir. Le romainaussi aurait pris un aspect tout autre, si les crivains et la culturenen avaient pas retard laltration qui menaait dtre trs rapide.Lenseignement le plus clair quon puisse tirer des inscriptions dePrneste, cest une notion mieux raisonnedu langage rustique,rusiicitas, que les Romains opposaient leur urbaniias.Situe sur un promontoire rocheux, que les derniers soulvements de lApennin ont avanc dans la plaine volcanique du Latium, Prneste domine la campagne dune hauteur de plus de quatre cents mtres. Elle tend sa vue au del de Rome, jusquaux monts dtrurie et la fort ciminienne,et par-dessus les monts Albains, elle embrasse une tendue de ctes qui va dAstura jusqu Pyrgi. A lest, les montagnes de la Sabine e

    tdes Eques barrent lhorizon. Au sud-est, celles des Herniques etdes Volsques laissent une chappe sur la longue valle duTreruspar o passera la Voie Latine ; toutes proches, elles offrent desretraites profondes dans un dsastre. Mais cette position, qui auraitpu faire de Prneste une capitale, ne lui valut que des calamits.Strabon la remarqu (1). Elle tentait tous les chefs malheureux, quivenaient sy rfugier. A la guerre, le sort dun rduit est dtre forc.En 82, Sylla la dtruisit aprs la dfaite de Marius. Palestrina, quia remplac Prneste, sera deux fois rase jusquau sol par les papes.Le rle de cette cit parat avoir t surtout brillant dans lapnombre des temps latins. Une vieille lgende italienne, quarecueillie Virgile aprs Caton, orne son berceau (2). On dit Prnestecolonie dAlbe-la-Longue. Elle figure, en tout cas, dans le traitconclu contre Rome en 258-496 entre les cits de la ligue latine (3) :cest la premire fois quelle est nomme par lhistoire. Alors Albe

  • *50 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    ntait plus quun souvenir ; mais la confdration des trente citssubsistait. Prneste a d y avoir une place distincte. Vis--vis de laligue, comme vis--vis de Rome, elle reste indpendante, tantt aveclune et tantt avec 1 autre. Elle suit ses voies propres. Comme il y aun peuple romain, il y a un peuple prnestin, Praenestinus populus(4). Alors ces vieux Latins, Prisci Lalini, balanaient les forces deRome et rendaient lavenir incertain (5). Il tait donc lgitime de

    ( 1 ) Strabon, V, 3, p. 238: KxxacpeY007'* 7*p /.sla oi vsansplaaviE/.roXiopxY,Ovxa>v os ~po; xf, xxxcast xr, 7rXeio xx'. xr,v ytopav ~aXXo- -pivAOx.7jjxoxiv11 xt( x.xa psxacpepopivTjc; st:'. to; dtvatxtoo.

    (2) Caeculus, fi ls de \ ulcain, est conu miraculeusement par une dessequi reoit dans son sein une tincelle du foyer. Abandonn par sa mre, il esttrouv au milieu des fl ammes. Pour peupler Prneste, il convie les voisins desjeux et les retient en les entourant dune ceinture de fl amme. \ oy. Vjmgili , n.,VII, G77 ; Slrvius, sur ce passage ; sur les scolies de Vrone. VII, CM ; So LIN , 2,9.

    (3) Drnys l> 11alicaiinassi, Antiquits rum., V, Gl.4) TITL-LIVL, VIII, 12, 7.() K.nnius, cit par Vahron, I ) e lingua lai., V, 28 : Quain prisci cwi popoli g

    nuore latini . Prisci lalini e-jt uri nom traditionnel, frquent dans 1 ite-Live,commun aux colonies fondes, cro\ait-on, par Latinus Sil\ius (Titl-Live, 1, 3, 7).

    sarrter un peu devant le seul texte latin qui ne soit pas crit enromain.

    On aimerait chercher autour de Rome les premiers vestiges dulatin parl dans toutes ces cits latines quon pouvait voir dans laplaine, du haut du Palatin, Lavinium, Arde, Lanuvium, Aricie,Bovill, Tusculum, Bola, Gabies, Tibur, Nomentum, Fidnes ; je neparle pas de Falries, dont le dialecte, voisin du latin, en diffreassez pour tre mis part. Mais tous les textes que nous possdonssont postrieurs au me sicle avant notre re. Aprs avoir rv sur cequi aurait pu tre si une de ces villes lavait emport, nous devonsenfin entrer dans Rome, qui la possession du pont sur le Tibre

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 51

    assurait lavantage sur les Vieux Latins, par suite la matrise delItalie, et, enfin, lempire du monde (1).

    . En 1899, se rpandit une nouvelle qui eutdu~forurn^2 eWe la faveur d,mouvoir le grand Public, le

    vase de Dunos. PIus souvent ignorant ou ddaigneux des *antiquits : Boni, le directeur italien des fouilles du forum romain,venait de retrouver le tombeau de Romulus. Les partisans de latradition, dont le zle nest pas toujours dsintress, triomphaient ;ctait toute lhistoire des rois enfin sauve du scepticisme deBeaufort. Ils oubliaient que Romulus nest pas mort. Enlev duChamp-de-Mars au fort dune tempte, il est au ciel o son pre laplac et o il rgne sous le nom de Quirinus. Des textes mal comprisfirent prendre pour son tombeau un dallage de marbre noir qui estdu temps de Diocltien ou de Maxence. Mais, sous le dallage, setrouvait un monument trs ancien, form de deux basesrectangulaires, dun cne et dune pyramide dont le sommet tousdeux est bris. La pyramide porte sur ses faces une inscription, cestle plus ancien texte en latin de Rome, qui nous soit parvenu demanire sre.

    De grandes lacunes et les difficults de la langue rendent ce

    document plus curieux quinstructif. On distingue quelques mots :quoi, anctre du qui historique, acros esed (sacer eril), recei (rgi),kalaiorem, iouxmenla (les attelages). Dans recei, le c reprsente g,comme C. est labrviation de Gaus ; lcriture navait alors quunseul signe pour le g et le c. Ce mot parat dsigner le rex sacrorum,dont le serviteur est le kalalor. On conclut de l que le texteappartient une loi religieuse. La forme des lettres permet de leplacer dans la premire moiti du ve sicle avant notre re.

    Le troisime document pigraphique latin qui est du ive sicle aencore un caractre religieux. Il ne faut pas en tirer une conclusion

    2 V. BRARD, Revue de Paris, 1903, t. V, p. 887.

  • *52 LES PREMIERS DOCUMENTS LATINS

    quelconque sur lesprit de ces peuples. Nous lavons dit, lcriture adabord des usages pratiques. Dailleurs, lobjetdont nous allonsparler a d tre consacr un rite funraire. Il est fort curieux.Quon imagine trois petits pots ventrus, hauts de trois centimtreset demi, rattachs entre eux par des bras cylindriques et formantune sorte de triangle quilatral. Il a t trouv dans les fondationsdune maison de la Via Nazionale, entre le Quirinal et le Viminal.Du mme lieu, provient un vase semblable quatre rcipients, sansinscription. Les parents des morts devaient leur donner, danschaque rcipient, des offrandes distinctes, lait, vin, huile, miel, lesarferiae. Linscription, de cent vingt-huit lettres, grave la pointesur largile encore humide, fait le tour du triple vase. On appellelobjet vase de Dunos , cause de la phrase suivante : Duenosmed feced en manum , Dunos me fecil in bonurn. Mais on ne saitsi duenos est un nom propre (Bennus) ou le devancier du mot bonus.Le sens gnral est encore plus incertain ici que dans linscriptiondu forum.

    Cotte incertitude est difiante. Voil des textes qui nous ont ttransmis directement, sans intermdiaires, sans les trahisons descopistes et des savants trop savants. Si linscription du forum estcontemporaine de la premire gnration qui vit la rpublique, cellede Dunos nest gure plus ancienne quAppius Claudius Caecus. Etnou>> narrivons pas les expliquer. Or, les Anciens nous onttransmis des morceaux beaucoup plus vnrables.

    Horace, avec son bon sens sceptique, raille lantiquaire qui prten-dait sy connatre :

    Iam Saliare Numae carmen qui laudat et illud Quod mecum ignort solus uolt scire uideri (1)...

    Nous sommes mieux arms pour comprendre que les savants de

  • CARACTERE DES PREMIERS DOCUMENTS 53

    ce temps. On peut, par suite, se demander quelles garantiesprsentent les fragments quils nous ont transmis. Gela sentendsurtout du chant des Saliens et du chant des frres Arvales. Ce quisubsiste du premier remonte Aelius Stilo travers son discipleYarron. Le second a t insr en 218 aprs Jsus- Christ, sousMacrin, dans le procs-verbal dune sance du collge des Arvales.Nous avons aussi danciennes lois attribues aux rois et dasseznombreuses citations de la loi des Douze Tables. La pratique a dmaintenir, pour ces dispositions juridiques, une interprtationtraditionnelle assez exacte, tout en modifiant la forme par desrajeunissements invitables.

    De ces documents, les Douze Tables seules peuvent trerevendiques par lhistoire littraire. Il est significatif que lapremire uvre soit dordre juridique. A Rome, le droit se dfinit etprend une physionomie ds le dbut. Il est lassise infrieure,puissante et pre, sur laquelle repose tout ldifice romain, politiqueet intellectuel.

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    I. HORACE , ptires, II, 1,86-87. Cf Vahron, De lingua lai., VIT, 2. Le droit est Romeune partie intgrante de la littrature, parce quil est une des expressions crites lesplus saisissantes de lesprit romain, quil a formul au cours dune longue volutionquelques principes de valeur universelle, quil a dvelopp certaines qualitsintellectuelles ncessaires.

    II. Quatre priodes dans lhistoire du droit romain i 1 la divulgation (jusqu la loiAebutia) ; 2 lge dor des prudents (jusqu la bataille dAc- tium) ; 3 le rle officieldes juriconsultcs (jusqu lavnement de Dio- cltien) ; 4 la codification.

    III. Le droit romain, ds les premiers Umps, montre une maturit prcoce, et aucours des sicles, malgr ses variations, des caractres permanents.

    IV. Caractres de lesprit romain appliqu au droit : 1 lunit. Le droit nexisteque pour le citoyen ; les individus trangers la cit luttent pour avoir le droit descitoyens. De l une extension progressive, qui, en largissant le sujet du droit, amnela simplification et luniversalit par llimination des lments particuliers. Le droitde la ville de Rome tend devenir le droit de lhumanit par la prdominanceaccorde llment moral.

    2 Le ralisme, fond sur le sens du concret et tendant lutile.

    3 Lnergie de la volont individuelle. Elle parat dans la langue et les frincipes dudroit, explique lindpendance des individus devant lEtat, a c nquis les secrets ae laprocdure et de la jurisprudence et dtermin la rdaction de lois crites, assura laprpondrance des caractres nergiques dans les affaires publiques, fonda la justiceprive sur l'initiative et la iespon*abilit.

    V. Qualits des procds juridiques chez les Romains. 1 Lanalyse. Elle a spar le droitde la religion et dvelopp lhabitude de distinguer et dabstraire, donc de fixer et dedfinir.

    2 Le caractre sensible. La procdure et la consultation juridique sont orales etpubliques, tandis que, chez les Grecs, l'criture domine. Certaines parties du traficjuridique sont des survivances pittoresques et symboliques, inspires par uneimagination saine et nette.

    3 Le forinali me. II entoure? les antes juridiques de certaines formes renui- etinvariables, restes dune vgtation coutumire al ondante et d un culte f'tirhi tejour le mot. Le fornmh m" dtermine par contre coup la cration des actesapparents, des fi ctions et des mesures dtournes qui le feront succomber.

    4 La prclaion technique. Le bo*oin de certitude est satisfait dans des formule peunombreuses, don une lgidation crite, dans le droit prto-rien, dans la cration dunvocabulaire propre, dune syntaxe adapte au caractre et au rle des personnages,

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    dun ordre des mots fixes, dune phrasologie redondante et conventionnelle.

    Conclusion. Aptitudes littraires cres chez les Romains par la pratique juridique.

    Les premiers crivains de Home furent

    , r7+ ' a\C des lgislateurs et. des juristes. Toute litt-litteraire du t i* *. ai

    droit romain rature dbut par une application la

    ' pratique; or, le droit est la principale

    occupation du Romain. Mais il y a plus. Ce nest gure qu Romeque le droit peut tre considr comme un genre littraire. Cheznous, Jean Domat nest pas seulement une figure honnte et ner-gique de juriste ; les cinq volumes in-quarto de ses Lois civiles dansleur ordre naturel nont pas seulement fray la voie Montesquieuet aux rdacteurs du Code civil : ils ont assoupli la langue du droitfranais, surtout ils ont port dans la matire juridique lidalismeabsolu du xvne sicle. On ne connat pas tout fait le tour gom-trique de lesprit classique, si on nglige luvre de lami et ducompatriote de Pascal, du savant qui est pour Boileau le restau-rateur de la raison dans la jurisprudence. Et cependant, ni Domatni mme le noble Daguesseau, dont tant de pages sont dinspirationclassique, ne sont essentiels la littrature franaise. Ils encompltent le tableau, ils ne le font pas. En gnral, les travaux desjuristes ont une allure technique qui en limite la porte et enrestreint le public. Ces crivains sont des figures darrire- plan, quirestent dans lombre des prtoires et des cabinets de procureurs. ARome, une ligne dhommes dtat et de prudents labore le droit, leformule, y introduit une dialectique et en rgle la langue : la languedu droit est le premier des idiomes latins que se sont crs desauteurs ; elle devance de loin la langue de lloquence, pour ne pointparler de la langue de lhistoire ni de celle de la posie.

    Cest que, chez les Anciens, toute uvre crite participede lalittrature. Un des traits les plus glorieux de la science franaise estdavoir toujours produit des savants qui fussent aussi des crivains.Nos traits de physique ou de mcanique nen ont pas

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRALIMPORTANCE LITTRAIRE DU DROIT ROMAIN

    pour autant lallure et le style duvres littraires. Il nen est pas demme chez les Anciens. Tout ce quils ont crit reoit une formelittraire, mme un tableau de levers et de couchers dtoiles.Plusieurs causes ont donn cet aspect des rdactions qui lecomportaient peu : le tour desprit philosophique qui fait rechercherles ides gnrales ; linfluence de la rhtorique entendue dans lesens le plus large, cest--dire certaines traditions de composition etdlocution auxquelles personne ne pouvait se soustraire parcequelles faisaient partie de lducation commune et taient entresdans le temprament ; et mme des causes accessoires, qui tiennentaux prcdentes : ainsi lhabitude de lire haute voix, qui imposeforcment le ton du discours, la continuit de la phrase et dudveloppement, un certain arrondissement de lexpression.

    Le droit romain est un assemblage de rgles qui se condensent enquelques dfinitions ou qui paraissent dcouler de certainsprincipes. Une telle uvre requiert des crivains qui trouvent lesformules, et aussi des penseurs qui ordonnent, qui analysent, quifassent la synthse. Aussi, le droit prend Rome la place quavait enGrce la philosophie. Les Grecs ne nous ont laiss sur le droit quedes gnralits, sans les applications qui les rendent concrtes, desapplications disperses, sans les gnralits qui les relient, ou desconceptions irralisables. Les Romains ont difi un monument relet solide. Pour eux, le droit est philosophie, car ils y ont dpensfoute leur puissance dabstraction ; posie aussi, car cesabstractions, ils les ont rendues plastiques. On connat lloge queCicron fait du droit et spcialement des Douze Tables, dans le DeOralore :aAjoutezcependantcequirend le droit civil plus facile

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  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    saisir et connatre, ce que bien des gens ne veulent pas croire, unedouceur, un charme vraiment merveilleux de ces tudes. Secomplat-on dans ces recherches qui entranent un Aelius ? Et toutle droit civil et les livres des pontifes et les Douze Tablesprsententsous toutes ses faces limage de lAntiquit; nous yapprenons le lointain archasme des mots; le- varits dactionsjudiciaires mettent au jour les murs et la vie de nos anctres. Lapolitique a-t-elle les prfrences, cette

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRALscience que Scvola ne croit pas appartenir lorateur et dont il fait

    une discipline particulire dune autre espce ? Elle est tout entire,avec le tableau des intrts et des corps de ltat, enferme sous nosyeux dans les Douze Tables. Sattache-t-cn cette dominatrice sivante, la philosophie ? Je vais le dire avec un peu de hardiesse :les principes de toutes les discussions propres la philosophie setrouvent dans le droit civil et dans les lois... Que tout le monde servolte, mais je dirai ce que je pense : par Hercule, les bibliothquesde tous les philosophes ne me paraissent point valoir le seul petitlivret des Douze Tables, si on y considre les sources et les principesde nos lois, supriorit que lui assurent le prestige imposant delautorit et la fcondit de ses applications pratiques (1). Lloge aun sens encore plus littral que ne le pensait Cicron : le droitremplace Rome toutes les bibliothques philosophiques avec unclat et une sant intellectuelle que nont jamais connus les colesdes philosophes.

    Vritable philosophie du peuple romain, le droit est lexpression decertaines vues nationales essentielles, ides latentes qui sont la vieintime de la cit. Lesprit intrieur qui anime et soutient les rgles etles formules juridiques est une partie intgrante de lme mme deRome. Les variations du droit rpondront aux variations de lespritnational et peindront une poque. Si lhistoire de la littrature desRomains doit tre lhistoire de lesprit romain, on ne conoit pascette histoire de la littrature sans lhistoire du droit romain. Ledroit rclame sa place au mme titre que, dans la littraturegrecque, la philosophie, dans la littrature franaise, la controversereligieuse du xvie et du xvne sicle. Nous devons analyser lesprit dela lgislation des Douze Tables, comme nous devons reconnatre lanature et les sources de linspiration de Virgile. Nous ne pouvons

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    ngliger aucun trait de la physionomie spirituelle du peuple romain.

    Enfin, le droit romain, au cours de sa longue volution, a fait

    (1) Cicron, De Oratore, I, 193 et 195. Cf. ULPIEN, dans la Digesia I, 1, 1,1 ; nos...ueram nisi fallor philosophiam, nonsimulatam affectantes ; ib I, 1, 10, 2.

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRALIMPORTANCE LITTRAIRE DU DROIT ROMAIN

    lentement mrir lexpression de vrits gnrales dun certain ordre.Ces vrits sont devenues un bien commun pour tous les peuplesqua touchs la lumire de la civilisation latine. Ce bien communnous importe tous. Lhistoire dune littrature doit sappliquerdabord ce qui intresse lesprit humain. On pense au motproverbial : Le droit romain est la raison crite. Cet aphorisme esttrop absolu. Il y a plusieurs droits romains. Celui des Douze Tablesnest pas celui que formulera le prteur; le droit du prteur sestconstamment modifi ; les prudents changent le droit de la loi et ledroit prtorien, et eux-mmes ne se reconnatraient pas toujoursdans la mosaque dextraits de leurs uvres quen fit faire Justinien.La raison, dans le droit romain, est souvent le raisonnement, parfoisune dialectique raisonneuse. Le respect de la lettre fait trouver biendes circuits pour mener des conclusions opposes la loi.Cependant, en dpit de ces restrictions quimpose lhistoire, Rome a,par son droit, autant que par les autres branches de sa littrature,prpar le triomphe lide duniversalit, en formulant quelques-uns des principes qui sont le fondement de la civilisation moderne,en dveloppant des qualits morales et intellectuelles qui sontncessaires lexercice de notre pense.

    Ainsi, le droit romain, pris dans son dveloppement historique, aun double intrt: il manifeste lesprit du peuple qui la cr ; ilexprime des vrits humaines. Ce sont l les deux obj< ts principauxde lhistoire de la littrature. Le droit romain est bien un genrelittraire.

    . Il est malais dordonner en priodes

    27

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    j ,7. Priodes de | * histoire du droit romain. Les rvolutions

    U sy produisent lentement. Tandis que tel droitromain. ,J 1 ,. . n ,

    facteur commence se dvelopper, tel

    autre atteint sa pleine vigueur, tel autre dcrot. Toutes les

    in-titutions ne marchent point dun pas gal ; les unes sont plus

    rapides, dautres plus tardives. Un lment constant est la loi. Loi

    des Douze Tables, lois des comices, snatus-consultcs et plbiscites,

    constitutions du prince, quel que soit lorgane lgislateur, laloiprsente le mme caractre et ne saurait tablir des diffrencesentre les poques du droit. Les changements des autorits do ellemane ont une importance pour lhistoire gnrale, mais nont pasdinfluence sur les tendances et le sens de la lgislation. Gibbon,malgr ses sentiments dAnglais et dhomme du xvme sicle, estoblig de le reconnatre : Un historien tranger au langage de laflatterie, peut avouer que dans les questions particulires de lajurisprudence, des considrations personnelles influent rarementsur le souverain dun grand empire. La vertu, ou mme la raison,lavertissent quil est le conservateur naturel de la paix et delquit, et que son intrt est li dune manire insparable celuide la socit. Sous le rgne le plus faible et le plus vicieux, Papinienet Ulpien occuprent avec sagesse et intgrit le sige de la justice ;et les dispositions les plus sages du Code et des Pandecles portent lenom de Caracalla et de ses ministres (1).

    Deux autres facteurs ont agi sur le droit ; ils se sont montrsingalement influents dans le cours des temps, ils sont enfinnationaux, propres Rome : les prteurs, qui par leurs dits ontclairci, rectifi, dvelopp la lgislation ; les jurisconsultes, qui ont,dans leurs consultations, corrig la lgislation par la jurisprudence.Lautorit plus ou moins puissante des prteurs et des juristes doit,

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    avec quelques autres donnes, servir de guide dans la division delhistoire du droit romain.

    Une premire priode comprend les plus anciens temps, jusqu laloi Aebutia, porte entre 605/149 et 628/126. On pourrait lappeler lapriode de divulgation du droit, qui, dabord secret, est rendu certaindans les Douze Tables. En 450/304, Cn. Flavius divulgua les actionsde la loi, qui sont encore lunique procdure judiciaire. Peu peu, lesconsultations juridiques, enfermes dabord dans le collge despontifes, devinrent publiques et sortirent enfin de ce cercle o lestenaient caches la religion et le patriciat.

    (1) Gibbon, Histoire de la dcadence et de la chute de VEmpire romain , trad. F.Guizot, t. VIII (Paris, 1812), p. 216-217.

    La loi Aebutia introduisit un changement profond dans laprocdure : elle plaa, ct des actions primitives, pittoresques etrigoureuses, la formule plus souple que rdigeait le prteur. Cechangement nest pas un simple changement de forme. Parltablissement des formules, les prteurs en vinrent trs vite modifier la loi pour ladapter aux conditions nouvelles de la vie, et respecter la lettre en la tournant. Les jurisconsultes tendaient auxmmes effets. Cette priode .est lge dor des prudents. Q. MuciusScaevola, consul en 659/95, le premier, ordonna mthodiquementles rgles du droit civil. Lami deCicron, Serv. Sulpicius, fit brillersur ces matriauxla lumire de lalogique aristotlicienne et ydiscerna les principes dune philosophie. En mme temps, le droitcriminel, j usque-l rest arbitraire et vacillant, entre dans une voiemieux assure par la cration des Quaes- liones perpeluae,tribunaux permanents institus dabord pour rprimer lesexactions des magistrats (605 /149, quaeslio repe- lundarum) et lescrimes dassassinat ' et dempoisonnement (631 /123, de sicariis elueneficiis), puis dfinitivement et compltement organiss par leslois Cornliennes de Sylla (673/81). La richesse et la fcondit desprogrs juridiques assurent cette poque un intrt que ne

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    disputera pas la priode suivante.

    La troisime priode passe, en effet, pour celle des jurisconsultesclassiques, spcialement depuis le rgne dIIadrien jusquau milieudu me sicle. Elle commence la bataille dActium, qui fonda leprincipat (723/31). Les jurisconsultes devinrent des autoritspubliques ; Auguste assura la valeur officielle leurs dcisions,rendues dans de certaines conditions. Les lois furent portesnominalement par le snat, mais, en fait, le plus souvent, par leprince qui publia aussi personnellement des constitutions. Lois etconstitutions furent prpares par son conseil. Par cette porteencore, pntre linfluence des juristes. A partir dHadrien, ilsforment le conseil du prince, consilium principis, qui, lorigine, necomprenait que des snateurs. Le prteur nest plus gure quunrouage dans lorganisation judiciaire. Sous Hadrien, entre 117 et138, l'dit, qui avait cess de varier chaque magistrat, fut codifipar Salvius Julianus. Depuis Hadrien jusquau milieu

    du 111e sicle, se succdrent les uvres prives des grandsmatres du droit romain, Gaus, Papinien, Paul, Ulpien, Modes-tinus. Elles sont restes classiques, parce que les compilateurs deJustinien nous en ont sauv de larges extraits, tandis que celles dela priode prcdente, sans doute suprieures, ont pri toutentires.

    La dernire priode de lhistoire du droit romain commence avecle rgne de Diocltien ; elle est marque, dans ses dbuts, par lechangement de constitution politique. La conversion de Constantinau christianisme et llargissement de lEmpire, ouvert aux Grecs,aux Orientaux et aux Barbares, provoqua une activit lgislativetrs abondante, et dirigea le droit priv vers des solutions nouvelleset hardies. Cest aussi lpoque des codes, dabord des codes privs,

  • CHAPITRE IILE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    Code Grgorien (294), Code Hermognien (entre 314 et 324) puis desgrandes compilations ordonnes par les empereurs, par Thodose,Code Thodosien (438), surtout par Justinien, Code Justinien (529et 534), Digeste ou Pandectes (533), Inslilules (534), Novelles.Comme il arrive presque toujours, la compilation et le compendiumtuent la fcondit cratrice. Le droit romain meurt avec lEmpireromain. En Orient, le droit byzantin le continuera en se fondant surla lgislation de Justinien. En Occident, le code Thodosiensubsistera dans les pays conquis par les barbares. Puis, lensembledu droit romain, tel que lavaient dress les hommes de confiance deJustinien, aprs avoir obscurment vcu dans lombre, renatra,grce lcole de Bologne, et, par un phnomne qui na de com-parable que la propagation du christianisme, fera de nouveau laconqute du monde partir du xne sicle.

    ___ _ . . Les caractres du droit romain varieront

    directeur s * et cei*tainement dans ces treize sicles que luiprocds feront parcourir la lgende et lhistoire.

    * Cependant il en est de fondamentaux, qui

  • PRINCIPES DIRECTEURS ET PROCDS

    le suivront toujours et lui assureront le dveloppement organique,normal, dun genre littraire. Chez ce peuple qui on refuse touteimagination, des rcits hroques incarnent dabord certains prin-cipes dans les aventures de Rmus, dIIorace, de Virginie, deGoriolan. Quelle que soit la valeur de ces rcits, leur popularitmontie dj lesprit raliste, le besoin de rendre concrets les rap-ports juridiques. Les traits essentiels du droit romain sont encoremieux marqus dans la constitution de la cit, dans la procdure,dans les premires lois et leur interprtation. Ces traitssaccentuent et se prcisent avec lge ; ils ne saltreront jamaiscompltement. Lesprit conservateur des Romains, qui ne rejette paslinnovation, mais ladapte au fond traditionnel, qui relie et ne romptpas, a maintenu jusquau bout les tendances et les habitudes dudroit.

    Dans lanalyse qui va suivre, nous considrons le droit pris dansson ensemble, sans distinguer le droit priv et le droit public. Nousciterons plus souvent le droit priv, parce quil se prte mieux cegenre dtude et quil a une littrature, tandis que la littrature dudroit public est presque rduite la lgislation et nest gure connueque par les historiens.

    Ds les premiers temps sur lesquels nous avons des rensei-gnements, nous trouvons le droit romain panoui en pleine ma-turit. Nous ne savons rien de ses ttonnements, de mme que nouane savons rien des devanciers dHomre et que nous voyons audbut de sa littrature, la Grce en possession de Y Iliade et deYOdifssce. Le signe de cette maturit prcoce est ce qui, dans lestre \ivants, distingue les espces suprieures : les organes dudroit, qui llaborent et le dterminent, sont varis et complexes,famille, autorit de lindividu, tat, religion, constitution militaire.

  • PRINCIPES DIRECTEURS ET PROCDS

    Les rsultats sont les distinctions et les prcisions que nous auronsoccasion de voir dans le droit public et dans les Douze Tables,comme au^si la disparition des formes primitives dorganisation etde vie, des sacrifices humains rguliers, de la vengeance prive, deslutte de familles, du symbolisme enfantin tire de la nature. Ds lors,se de inent nettement la fois les principes directeurs qui sont proprement parler lesprit du droit, et le* procds juridique# avecleurs proprits communes.

  • 67 LE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    On peut ramener trois clwfs les print ipes directeurs du droitroimdn : lunit et l'universalit, le ralisme, la force de lavolont.Lunit et luniversalit ne sont pas identiques ; mais luneest la condition de lautre et la contient en germe.

    , 1 L'unit. A lorigine, lunit du droit

    Caractres r0main parat oppose son universalit.

    TJV Le droit nappartient quaux citoyens. Ce

    au droit caractre exclusif est celui de tous les droits

    ' primitifs. La socit se constitue par petits

    groupes ; il ny a dabord de droits qu lintrieur de chacun de cesgroupes. Cest ce qua dcrit Lucrce dans des vers clbres :

    Tune et amiciliam coeperunl iungere aueniesfinilimi inler se nec laedere nec aiolari,et pueros commendarunl muliebreque saeclum (1).

    Il nest pas ncessaire de supposer que les Romains ont eu conclure entre eux des pactes particuliers pour dvelopper lusagedes droits. Mais le jurisconsulte Pomponiizs na pas tort, quand ilconsidre les traits comme le seul moyen de communiquer le droitdes citoyens des trangers ; sinon, ltranger tomb au pouvoir duRomain devient esclave, le Romain tomb au pouvoir de ltrangerdevient esclave (2). Les traits sont des innovations, dtermines parles ncessits du commerce : Rome, qui est la fois un port et unpont, donc un march, na pu rester longtemps dans lisolement despeuplades sauvages. Par dfinition et par nature cependant, le droitromain est national, impntrable et incommunicable ltranger.

    Ce droit est un, non seulement vis--vis du passant, mais vis--vis du plbien install dans la ville. Les philosophes grecs dis-tinguaient les gouvernants et les gouverns, et rpartissaient entreles deux groupes les qualits de lesprit, attribuaient aux uns la

  • 68 LE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    raison suprieure, laissaient aux autres le simple bon sens (3). Cetteopposition Rome nexiste pas. Il y a lutte

    (1) LUCRCE, V, 1019.

    (2) POMPONIUS, dans le Digeste, XLIX, 15, 5, 2.

  • CARACTRES DE LESPRIT ROMAIN APPLIQU AU DROIT 69

    3

    ARISTOTE, Politique, III, 2-3.entre ceux qui sont en dedans du droit et ceuxqui sont en dehors. Il ny a pas deux droits, il ny en a quun pourlequel on sagite. Cest ce droit unique qui sera concd peu peu,dabord aux plbiens, puis aux affranchis, aux Latins, auxprgrins, dans une mesure variable.

    Naturellement la limite de la cit romaine, se trouvait unergion mal dfinie o le droit particulier de ltranger se heurtait ouse combinait avec le droit romain. Ainsi se formera le droit desgens, ius yeniium, commun aux citoyens et aux trangers, qui, ditCicron, ne comprend pas tout le droit civil, mais qui est compristout entier dans le droit civil : Quod ciuile, non idem continuogentium, quod autem gentium, idem ciuile esse debet (1). Quandle prgrin nest pas sur son territoire, o Rome a pu lui concder lacontinuation de ses lois particulires, il est donc rgi par cetensemble de principes et dinstitutions dont les Romainsconstataient lexistence chez tous les peuples. Ce droit gnral nesopposait pas au droit civil comme un systme * un autre systme.Les Romains le retrouvaient chez eux ; il tait le noyauquentouraient leurs coutumes nationales.Tous les peuples ont lemariage. Mais les Romains avaient en particulier le mariage avec lepouvoir de la main, manus, qui confre au mari sur sa femme tousles droits du pre romain sur sa fille. Le droit des gens tait doncplus large, plus vague aussi que le droit civil. Dans la pratique de lajustice, il devait conduire bientt faire prdominer lquit sur ledroit strict (2).

    Il ne portait pas datteinte au principe de lunit du droit romain.On le comprendra mieux en comparant ce qui devait se passer plus

  • tard la suite des invasions. Alors chacun vcut

    (1) CICHON , De ofllciis, III, G9.

    _(2) G AI us, Inslil., I, 1 i Omnespopuli, qui legibuset moribus reguntur, partirn suoproprio, partim communi omnium hominum lure utuntur. Nam q lodq n quepopulusipsesibiiuscoustituit.id ipsius propriumest uocaturque iun ciuilo, quasi iusproprium ciuitatis ; quod uero naturulis ratio inter omne* homiiius con-tituil, id apudomnes populos pcracquc custoditur uocuturquo ius gentium, quasi quo iure omnesgentes utuntur. Populus laque r mianus partim suo proprio, partim communi omniumhominum ure utitur. ,

    sous sa loi personnelle. Les barbares eurent leur loi, et cette loi futdiffrente suivant quils taient Wisigoths, Burgondes ou Francs,Francs Saliens, Francs Ripuaires ou Francs Chamaves. LesRomains avaient leur loi ; quand les rois barbares lgifrrent, ilsle firent sparment pour leurs sujets barbares et pour leurs sujetsromains (1). Un Franc, qui a pous daprs la loi saxonne unefemme de Saxe, peut ensuite la rpudier, parce quil na pasaccompli les crmonies et les rgles du mariage suivant la loi desFrancs. Dans la Rome antique, le mariage avec une femmeprgrine tait un mariage de droit des gens, qui assurait lafemme et aux enfants un statut et une protection, et dont laviolation tait un adultre. Mme en ce cas, il y a un minimum dedroit. .

    En dedans de la cit romaine, la loi, suivant lexpression deCicron, parle tous une seule et mme langue (2). Le citoyenromain sur le territoire romain ne connat quun droit romain.Qualit de citoyen, sol, droit ne font quun et sont un. Cetteadhrence du droit des citoyens est telle que la captivit ne peut ymettre fin. Tomb aux mains de lennemi, le Romain est devenu lachose de ltranger. Il devrait perdre et, de fait, il a perdu sesdroits. Mais sil schappe, sil revient, en touchant le sol romain,en repassant le seuil sacr, le citoyen reprend contact avec la terrequi lui rend tous ses droits. On nadmettait pas que la loi deltranger et une valeur Rome. Dans la suite, par leur mthodede fiction, les jurisconsultes imagineront que le captif na jamais

  • CARACTRES DE LESPRIT ROMAIN APPLIQU AU DROIT 71

    3

    quitt la ville (3). Ce droit de retour au seuil, ius posiliminii, rendsensible le caractre territorial du droit romain, oppos aucaractre personnel que prendront les droits dans les pays soumisplus tard aux envahisseurs.

    (1) Sur la personnalit du rgime barbare, GUIZOT, Civilisation franaise XIe leon, la fin.

    (2) Cicron, De officiis, II, 42 i Leges sunt inuentae, quae cum omnibus semper una atque eadem uoce loquerentur.

    (3) Ulpien, Reg. 23, 5. Cette fiction est ancienne. Elle parat tre le fondement dune loi Cornelia de capliuis, qui suppose le captif mort avant la captivit, sil ne revient pas, et qui rend valide son testament ; voir Digeste XLIX, 15, 18 et 22 (fldio legis corneliae).

    Quand lextension de lEmpire changea une ville en un tat,lunit fut maintenue par une centralisation puissante qui fit toutpartir de Rome, tout aboutir Rome. Rome alors put raliser ceque jamais navait pu la Grce, divise en petites cits. Lemorcellement de la Grce et la diversit des lois et des constitutionsdonnaient une large exprience au thoricien. Aristote soumet lesconstitutions du monde grec une enqute qui nen embrasse pasmoins de cent cinquante-huit. Thophraste a sa pratique deLesbien et recommande aux Grecs la magistrature particulire dessymntes, analogue la dictature romaine (1). Cependant lamultiplicit mme des solutions devait plutt embarrasser queguider lesprit du juriste. La concentration romaine a permis deposer des principes, den dduire les consquences, danalyser et decoordonner. Labstraction a t rendue plus aise par le petitnombre des donnes.

    A lorigine, la population romaine, issue dun mlange de Latins

  • et de Sabins, heurte ou domine par les trusques, avait l fairela critique des institutions et des lois apportes et onfrontes parces lments disparates. Un premier droit navait pu stablir quepar l'limination des particularits trop singulires. Ds lors lunittendait vers luniversalit. Quand la conqute plaa au del duLatium, au del de lItalie, les bornes de lEmpire, le principeunitaire du droit et de ltat dut tre fortifi, aux dpens desnationalits que Rome se rattachait elle par une gradationcalcule, des rapports plus ou moins intimes. Elle opposait alorsaux institutions et aux droits particuliers un systme complet,logiquement ordonn. A lintrieur mme du systme, par suite delextension du droit des peuples soumis, de plus en plusnombreux, de plus en plus divers, une nouvelle limination devaitse faire des parties trop spciales la ville de Roine. Suprieur auxnationalits, le droit romain totei I> lltiquc,I I I , 8 .

    tous, et puisquil tait gal pour tous, il tait gnral. Le droitromain, de par son unit, avait une extrme rpugnance parti-culariser; il allait au gnral et, parle gnral, luniversel. Avec letemps, un facteur nouveau agissait et, en gnralisant, simplifiait.Le droit des gens ramenait un lment purement moral, auconsentement, les transactions juridiques tablies dabord sur desformes extrieures et sur des paroles. Gaus, Ulpien,Paul,reconnaissent dans le droit des gens un achat, une vente, unelocation, un louage, fonds sur le consentement, un transfert de laproprit iradiiio que garantit seule la volont du propritaire (1).Lesprit romain finit par atteindre le principe de tout acte humain,la volont, et par entrevoir le droit humain, commun tous les

  • CARACTRES DE LESPRIT ROMAIN APPLIQU AU DROIT 73

    3

    peuples, sans symbole, sans formule, sans mcanismeconventionnel (2). Arrive ce point, la tche des lgislateurs et desjuristes romains va cesser dtre nationale, dans la mesure o uneuvre peut tre dgage des conditions de temps et de lieu. Aussibien, la fcondit de lesprit juridique spuise ; les derniersreprsentants du genre ne peuvent plus que runir les dbris delenseignement de leurs glorieux devanciers, en y mlant lesinterpolations dun prsent confus et bariol. Le droit humainrestera, par la fidlit la tradition, envelopp et enlac dans lesbandelettes du droit ancien, conserves depuis les Douze Tablesjusqu ldit perptuel. Il est trop tard pour la cration purementintellectuelle du droit universel. En Orient, rgne le byzantinisme :en Occident, la barbarie.

    2 Le ralisme. Un deuxime caractre de lesprit juridique desRomains est le ralisme. Leur ancien droit est le domaine

    {1) Gaus, Institut, I, 2, 1 ; Digeste, II, 14, 7 (Ulpien) ; XVIII, 1 , 1 , 2 ; 1, 34, 1 ;XIX, 2, 1 (Paul). Pour ce progrs de llment spirituel dans le droit romain et au del,voir par exemple lhistoire de la vente, dans VIOLLET, Hisl. du droit civil franais, 2e d.,p. 604 ; cf. DARESTE, La science du droit en Grce (Paris, 1893), p. 310, n. 1.

    Les peuples, dans leurs lois, finissent par lquit ; ils ne commen cent jamais par elle. GIDE, Et. sur la novation, p. 23

  • 74 LE DROIT ROMAIN CONSIDR EN GNRAL

    .o saffirment la prpondrance des choses et la force des faits.Cest lui, bien plus quaux systmes grecs, que peuvent sappliquerles axiomes : Le fait existe avant le droit ; on najuste pas lesactions aux lois, mais les lois aux actions (1).

    De vritables institutions sont anciennement sorties de lancessit. La famille souvre lenfant adoptif, qui remplira le videque na pu combler la paternit naturelle. Le testament rend mobilela proprit que la vieille constitution de la famille tenaitimmuable, chaDgeles rapports des personnes en appelant latutelle des gens quelle exclut, cre par laffranchissement unepersonnalit juridique. Les jurisconsultes ont la vue claire desexigences de la vie et savent mme rsister celles de la logique,leur principale conseillre, quand elle est en contradiction avec desintrts positifs. Cette part faite la vie est pour eux le droitparticulier, ius singulare, cest lanomalie sopposant lanalogie,ratio iuris. Alors les rgles logiques ne doivent plus tre appliques,quoiquon ne puisse tirer de telles exceptions des consquencesrationnelles (2). La porte est entrouverte aux innovations.

    Le got des ralits parat dans la prdilection de lesprit romainpour tout ce qui est extrieur ; il conduira au formalisme. Mmedans lapprciation juridique, les Romains sont guids par llmentsensible. Les lois suppriment les chicanes dune autre manire queles philosophes : les lois agissent dans la mesure o nous pouvonssaisir avec ia main ; les philosophes, dans la mesure o nouspouvons saisir par la raison et par le jugement(3). Teniraveclamain, apprhender, manu ienere,capcre,

  • CARACTRES DE LESPRIT ROMAIN APPLIQU AU DROIT 75

    _Jj_)THOPHRASTE,dansSTOuB, Serm., XXVII o yp xi TzpxypLaxcc npo xoj; vy,xoj;, /./,ot v \jjloi 7C0; xi Tzpiypzzi xiQ.vxai. Cf. ARISTOTE, Poli- tique, VI, 1, et voir DARESTE, Lascience du droit en Grce, p. 301.

    (2) Digeste, I, 3, 16 (Paul) j lus singulare est quod contra tenorem rationis [tpter aliqu.irn utilitalem auctoritnte constitucntium introductum est ; ib., lo (Julien) i lu his quao contra rationem iuris constituta suut, non posum sequi reguiam iuris ;ib., 1-1 (Paull : t Quod uero contra rationem turi* ree ptu n est, non est producendumau cousequcntias.

    (3) CIC&HO .N , De off., 111,08 Aliter l* ges, aliter philosophi tollunt ostutiasi

    est une expression favorite des Romains pour dsigner aussi bien laperception et la connaissance que lacquisition de la proprit (l).Levoleur pris sur le fait, manifeslus, et le voleur qui na pas tsurpris, nec manifesius, ont un sort tout diffrent. Le premier venupouvait semparer dun hritage non rclam, sans titre et sansbonne foi ; il en devenait propritaire au b