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de ses Mémoires secrets sur la Russie, auxquels répond en 1802 l'Ex­amen de trois ouvrages sur la R1LSsie de FORTIA DE PILES. Les Eléments raisonnés de la langue russe du citoye n JEAN BAPTISTE MAUDI~U

voient le jour en l'an X (1801). Puis un Choix des meilleurs morcea1LX de la littérature russe, traduits en français per MANUEL U::ONARD P AP­PADOPOULO et par le citoyen C. GALLET, r évèle en part iculier ALEK­SANDR P E.'TROVIC SUMAROKOV comme le meilleur poète dramatique de ce pays. Après la chute de NAPOLÉON, dès les premières années de la Restauration, les liens de la France avec ALEXANDH.E 1ER, le tsar "li­bérateur", sc r esserrent. 11 est vrai que ni JOSEPH DE MAISTRE dans ses Soirées de Saint-Pétersbmtrg (1821), ni MM~ og STAI~L, qui public la même année ses Dix ans d 'exil, ne manifestent le moindre in­térêt pour la littérature russe. Mais c'est aussi l'époque où parais­sent les premières traductions de NIKOLAJ MIXAJLOVIC KARAMZIN, cl'ALEKSANDR 8ERGEEVIC P uSKlN, de V ASILIJ ANDRJ<:EVlC 2 UKOVSKJJ, de IVAN ANDREEVIC KRYLOV, avant qu'en 1827 IIf:QUIN DE GUERLE publie Les veillées russes, où il porte un jugement flat teur sur la littérature russe eL notamment sur la poésie russe.

On est alors à la veille de la r évolution de 1830, et de l'insurrec­tion polonaise, qui s'achèvera par la chute de Varsovie. Ces évéue­ments sont le s ignal d 'un retournement politique qui orie nte vers la Pologne la plus grande partie des sympathies françaises. Dès 1829, dans sa préface à l 'Histoire des légions polonaises sous le com­mandement du général Dombrovsl.:·i , LÉONARD ÜHODZKO avait fait ap­paraître l'antinomie de deux nations censées détenir l'une et l'autre l'héritage slave. En 1831- 1832, la Frauce reçoit une abon­dante émigration polonaise (environ dix mille réfugiés), dont l'in­fluence va marquer une partie des choix politiques de la monarchie de juillet (1830-1848), et provoquer plus particulièrement dans l'Univer sité française un événement de grande importance pour l'avenir de la slavisLique. Il s' agit de la créat ion au Collège de France d'une chaire portan t l'intitulé "La langue ct la littkrature slave" (avec un "'singtùier" qui renseigne élqquemment sur le ni­veau des connaissances officielles d'alors). Le plan de cet te créa­tion avait été préparé par l'Hôtel Lambert à l'initiative du prince polonais ADAM: J ERZV ÜZARTORYSKJ. Destinée au poète exilé ADAM MICKIEWiCZ, la chaire fut ouverte en 1840. Selon les consignes de VraroR CousiN, minist re de l'Instruction publique, elle devait con­server un caractère tout littéraire. On saiL cc qu'il e n advint. Sous l' influence d'un dangereux mystique du nom de ANDRZEJ To. Wl.ANSKJ, l'enseignement du poète polonais ne tarda pas à dévier,

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au point que MICKIEWICZ fut mis en congé dès avr·il 1844, avant d'être définitivement révoqué de ses fonctions au début du second empire par décret du 13 avril 1852. Son cours des années 1842-1844 a été publié à Paris en 1914 sous le titre Les Slaves.

Cependant, même dans la période "polonophilc" des années trente, les rapports littéraires entre la Fra.nce et la Russie ne sont pas complètement int.errompus. En 1837, ils connaissent. un cer­tain r enouveau à l'occasion de la mort de PuSKIN, que A. LûÈVE-VEJ. MARS, dans un feuilleton donné au Journal des Débats, célèbre comme le Malherbe russe. Les salons mondains jouent aussi leur rôle: celui de Mme SVË'l'CHINE (SOF',JA PETROVNA SvECINA) où brillent JosEPH DE MAISTRE ct CIIAH.LES FORilES MüNTALl~MilERT, celui de Mme MARGUERITE ANCELOT, où se réunit le ••cercle russe". En 1843 pa­raissent les récit.s de voyage de XAVIER MARMIER (La Russie en 1842) et du marquis ADAM PHILIPPE DE CUSTINE (La Russie en 1839). C'est une date importante pour la connaissance du monde russe en France. Enfin, les dernières années de la Monarchie de Juillet voient arriver à Paris une émigration russe limitée, mais iBfluent.e: celle des opposants au régime de NICOLAS lER, tels IVAN GAVRILOVJC GOLOVIN, NlKOLAJ IVANOVIC T URGENEV, ALEKSANDR IVANOVIC GlŒCEN surtout qui, en 1847, retrouve à Paris MIXAIL ALEKSANDROVIC BAKUNIN, alors lié avec les chefs de l'émigration polonaise; c'est par son intermédiaire qu'il entre en rapport avec P IERRE J OSEPH PROUDHON.

Dans quelle mesure ces influences contradictoires sc reflètcnt.­ellcs dans l'enseignement que doxme alors au Collège de France CYPRIEN ROBERT, qui prend en 1845 la succession de MICKlE'WICz'? Bien connu depuis 1842 pour sa collaboration r égulière à la Revue des deux Mondes, CYPRIEN RoBERT n'était pas véritablement "anti­russc". Mais il n'en estimait pas moins que l'intérêt de l'Europe était d'apporler son soutien aux Slaves occidentaux ct méridionaux afin de limiter la puissance de l'empire des t.sars. D'où sa théorie des deux panslavismes, l'un d 'inspiration russe, l'autre répondant à une fédération imaginaire de t.ous les autres Slaves émancipés de la tutelle des empires turcs et austro-hongrois (Les deux pansla­visrnes. 184 7). Cette thèse devait être précisée un peu plus tard el développée avec une certaine passion dans Le monde slave (1852), plaidoyer en faveur de ces véritables Slaves que sont les Illyriens, appelés, grii.ce à leur culture originale, ù. imprimer bon gré, mal gré, une marche nouvelle à la civilisation.

Le choix d'ALEXANDRE CIIODZKO comme successeur de CYPRIEN

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RoBERT en 1857 révèle une fois de plus l'ascendant des influences polonaises. Frère de LF.DNARD CHODZKO, le nouveau titulaire de la chaire du Collège de France est, comme MICKIEWICZ, un émigré po­lonais de 1831. A en juger par le titre des cours qu'il donne jusqu'en 1883, ALEXANDRE CHODZKO, tout en accordant une grande place à la littérature russe, introduit dans son enseignement des éléments de littérature et de lexicologie comparées: L'humour dans les œuvres de Gogol, de Soplitza, de Rubesz et autres romanciers slaves (1871-1872); L'idiome veliko-ru.sse dans ses rapports lexicologiques avec le tchèque et le polonais (1872-1873). Il faut noter aussi la mo­dification de l'intitulé de la chaire, qui devient en 1868 "Langues et littératures d'origine slave". A défaut d'une œuvre réellement scientifique, ALEXANDRE CHODZKO avait publié par fascicules succes­sifs, entre 1835 et 1842, les trois tomes de La Pologne, ouvrage at­trayant, destiné à gagner de nouveaux adeptes à la cause polo­natse.

Il faut dire que l'histoire politique au temps du Second Empire est marquée par des événements peu favorables au développement de l'amitié franco-russe (guerre de Crimée en 1853-1855; insur­rection polonaise en 1863), même si des traductions comme celles de PROSPER MÉRIMÉE (le Révizor de NIKOLAJ VASIL'EVIC GoGOL' en 1853, Le novice de MIXAlL JUR'EVIC LERMONTOV en 1855) raniment l'intérêt du public français pour les grands classiques de la littéra­ture russe, même si de nouveaux récits de voyageurs écrivains, comme les Impressions de voyage en Russie (1858-1862) d'ALE­XANDRE DUMAS père ou le Voyage en Russie (1866) de THÉOPHILE GAUTHIER, donnent de la Russie une représentation pittoresque, certes superficielle, mais somme toute moins irréelle que l'image recueillie à la lecture de l'Histoire de la Russie, reflet d'une vision périmée qui était encore en 1855 celle de ALPHONSE DE LAMARTINE.

Pourtant, en 1854, la traduction des Carnets d'un chasseur, qu'ERNEST CIIARRIÈRE publie sous le titre de Mémoires d'un seigneur ru.sse, préludait à la gloire d'IVAN SERGEEVlû TURGENEV. Ce grand seigneur des lettres ru.sses devait, grâce à ses amitiés littéraires avec les écrivains français, demeurer jusqu'à sa mort en 1883 le lien le plus solide entre la culture russe et la culture française.

Pour achever de caractériser cette période préliminaire, on no­tera la contribution apportée par des historiens et par des univer­sitaires à une meilleure connaissance des peuples slaves dans leurs rapports entre eux et dans leur position face à l'Occident. Dans Pologne et Moravie (1863), HENRI MARTIN reprend la thèse des deux

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panslavismes développée par CYPRIEN RoBERT, mais en la modifiant sensiblement: il n'existe pour lui qu'un panslavisme authentique, procédant de la Pologne, et non pas de la Russie. En 1866, le même auteur publie La Russie et l'Europe, où il appelle à un patriotisme européen, capable de contenir les ambitions qu'il prête à la Russie. A la même époque, SAINT-RENÉ-TAILLANDIER, titulaire de la chaire d'éloquence française à l'Université de Paris, consacre plusieurs ouvrages au monde slave, qu'il envisage dans sa diversité. Après avoir donné en 1855 à la Revue des deux Mondes un article sur LER­MONTOV, brillant précurseur d'une littérature à laquelle il promet un riche avenir, il public successivement Allemagne et Russie (1856), puis Tchèques et Magyars (1869), puis La Serbie, Karageorge et Miloch (1871). Deux ans plus tard, Les Serbes de Hongrie d'EMILE PICOT, vice-consul de France à Temesvar devenu chargé de cours de langue roumaine à l'Ecole des langues orientales vivantes, mani­feste à son tour une diversification de la sensibilité française au problème des nationalités, ct annonce quelques-unes des directions prochaines de la slavistique française.

Ce n'est pas sans quelque arbitraire que l'on interrompt cette "préhistoire" aux environs de 1870, même si la personnalité scien­tifique de LoUIS LEGER, que l'on va maintenant présenter comme le premier pionnier des études slaves en France, autorise cette cou­pure approximative.

II. Les pionniers

Cette période, dont la création de l'Institut d'études slaves de Paris en 1920 sera l'événement le plus significatif, est dominée par l'activité universitaire et scientifique de LoUis LEGER, d'ERNEST DENIS, d'EMILE HAUMANT, d'ANTOINE MEILlli'T et de PAUL BoYER. Ils ont tous commencé leur carrière dans le dernier quart du XIXe siècle. Ils ont tous été dans leur domaine de grands initiateurs. Tous enfin ont pris part diversement à la mise en place des statuts et des services de l'Institut d'études slaves.

Successeur d'ALEXANDRE CHODZKO dans la chaire du Collège de France en 1885, LoUIS LEGER (1844-1923) était arrivé à la slavis­tique par le polonais. Puis un Tchèque émigré, le poète JosEPH FRICZ, l'avait initié à la langue tchèque. En 1866, il donne sa pre­mière publication: Chants héroïques et Chansons populaires des Slaves de Bohême, où il se fait l'écho des inquiétudes que vient de

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soulever dans certains cercles intellectuels l'issue de la bataille de Sadova. Il aborde ensuite l'étude du russe, puis celle du serbe, sui­vant en cela les conseils de Mgr JosiP JURAJ STROSSMAYER, évêque de Diakovo, qu'il rencontre à Paris lors de l'Exposition de 1867, et à l'invitation duquel il se rend en Croatie la même année. Dès la fin de 1867, LoUis LEGER met la dernière main à ses thèses de doc­torat: Cyrille et Méthode, étude historique sur la conversion des Slaves au christianisme et De Nestore rerum russicarum scriptore. La soute­nance a lieu en 1868: c'était la première fois qu'une thèse pré­sentée à la Sorbonne abordait, sous l'aspect à la fois philologique et historique, les réalités du monde slave. Alors ce docteur de vingt­quatre ans rêve d'une tribune grâce à laquelle il pourra faire par­tager son enthousiasme à de jeunes disciples. En 1869 et 1870, il donne à la Sorbonne un cours annexe et non rétribué, portant sur l'histoire des Slaves du sud, l'histoire de la Bohême, la grammaire serbe et la grammaire russe. Puis on le retrouve à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Il y rencontre ANATOLE LEROY-BEAULIEU et AL­I<'RED RAMBAUD, se lie avec FEDOR IVANOVIC BusLAEV et MIXAIL PE· TROVIC POGODIN. Rentré en France, il entreprend auprès de l'admi­nistrateur de l'Ecole des langues orientales une démarche décisive qui, après bien des craintes exprimées par le ministre ADOLPHE THIERS (effrayé, disait plus tard LOUIS LEGER, à la pensée d'instituer à Paris un enseignement de "panslavisme"), devait aboutir à l'ou­verture d'un cours de langues serbo-croate et russe, puis à la créa­tion de la première chaire française de langue russe (décret du 31 décembre 1876), dont LOUIS LEGER devient le premier titulaire. Dé­sireux de fournir à ses étudiants l'outil de travail qui faisait défaut à cette époque, il donne en 1877 une revision de la Grammaire russe de KARL PHIUPP REIFF, que beaucoup de russisants français conti­nueront d'utiliser après lui. LoUis LEGER, qui appartient à la géné­ration de MICHEL BRÉAL, de LOUIS HA VET et de GASTON PARIS, est un philologue dans le sens le plus large du terme. Il avait participé au groupe des linguistes fondateurs de la Sociét~ de linguistique de Paris, dont il fut président en 1882. Mais c'est exclusivement au domaine slave qu'il consacre l'ensemble de son œuvre. Avant d'ac­céder à la chaire du Collège de France, il a déjà fait paraître dans le Journal des savants et dans d'autres périodiques de nombreux ar­ticles, dont la plupart sont rassemblés dans les trois volumes de ses Etudes slaves (1875-1886) et dans La Bulgarie (1885), en attendant les trois volumes de Russes et Slaves (1890-1899). Parmi les autres titres qui jalonnent sa carrière scientifique, citons les Souvenirs

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d'un slavophile (1905), Nicolas Gogol (1914), La Russie intellectuelle (1914), Le panslavisme et l'intérêt français (1917), Les anciennes civi­lisations slaves (1921). Contrairement à la plupart des historiens ou hommes de lettres qui se sont avant lui intéressés au monde slave, et qui ne craignaient pas de proclamer leurs préférences politi­ques, LOUIS LEGER entend se garder à la fois de toute prévention et de toute complaisance. Ni agent de l'émigration polonaise, ni pansla­viste et agent russe, comme l'ont dit de lui les uns ou les autres, LoUis LEGER s'efforce en réalité de tenir la balance égale entre Po­lonais et Russes, entre Bulgares et Serbes, non sans épouser avec chaleur la cause des nationalités slaves. Le programme de ses con­férences au Collège de France montre aussi la diversité de ses in­térêts, et souligne l'importance qu'il accorde à l'enseignement des différentes langues slaves: Grammaire de la langue bulgare (1893-1894), Grammaire de la langue tchèque (1894-1896 et 1903-1904), Grammaire de la langue serbe (1910-1912), Gram­maire de la langue polonaise (1912-1914). Il est, comme l'écrit PAUL BOYER, le premier français à mériter le titre de slaviste inté­gral, embrassant sur toute l'étendue du domaine non seulement l'histoire et la littérature dans ses rapports avec la politique, mais aussi la philologie ancienne et l'étude du slavon, la mythologie et le folklore, tout ce qui constitue le fonds de la culture populaire.

Pour tempérer cet éloge, on peut regretter que LoUIS LEGER n'ait pas su reconnaître la prééminence des deux grands écrivains russes dont pourtant la renommée commençait à s'imposer en France. On peut être frappé surtout par le mépris qu'il porte à LEv NrKOLAEVIC TOLSTOJ, imposé aux snobs, dit-il, par quelques traduc­teurs commerciaux intéressés à exalter leur marchandise. LOUIS LEGER visait le vicomte MARIE EUGÈNE MELCHIOR DE VoGüÉ, ancien secré­taire d'ambassade voué à la carrière des lettres, dont les articles parus dans la Revue des deux Mondes, bientôt réunis dans le Roman russe {1886), exprimaient pour LEV TOLSTOJ une immense admira­tion. Le vulgarisateur se montrait ici meilleur juge que l'universi­taire, et, même si l'auteur du Roman russe s'avouait encore décon­certé par l'étrangeté de FEDOR MIXAJLOVIC DoSTOEVSKlJ, il devait un peu plus tard revenir sur ce dernier jugement.

L'année 1886 vit également paraître Les J!lrançais en Russie et les Russes en J!lrance de LÉONCE PINGAUD, qui utilise les données ob­jectives de l'histoire pour appuyer la cause de l'amitié franco-russe, maintenant à l'ordre du jour. Cette méthode était déjà celle d'ALFRED RAMBAUD, dans les trois ouvrages qu'il avait publiés dix

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ans plus tôt: La Russie épique ( 1876), L'Histoire de la Russie jusqu 'à l'année 1877 (1878) et Français et Russes, Moscou et Sébastopol (1877). Un autre universitaire, ANATOLE LEROY-BEAUUEU, qui de­viendra en 1906 directeur de l'Ecole des Sciences politiques, fait preuve d'un jugement remarquablement équilibré dans les ouv­rages qu'il consacre aux relations entre la France et la Russie: L'Empire des czars et les Russes (1882), La France, la Russie et l'Eu­rope (1888). Enfin ALBERT V ANDAL, auteur de Louis XV et Elisabeth de Russie (1882), donne en 1891-1893 les trois volumes de l'ouv­rage qui devait lui ouvrir les portes de l'Académie française: Napo­léon et Alexandre fer. S'il est vrai que certaines pages ressemblent quelquefois à un plaidoyer en faveur de l'empereur de Russie, l'au­teur se garde en général de manifester son opinion personnelle sur les événements de l'époque. Ainsi, dans ces années qui précèdent la conclusion de l'Alliance franco-russe, les exigences de l'esprit scientifique et de la méthode critique s'imposent à l'ensemble des travaux universitaires.

ERNEST DENIS (1849-1921) est lui aussi un historien mais stric­tement spécialisé dans le domaine du monde slave, et plus particu­lièrement de la Bohême. Issu d'une lignée d'austères protestants nîmois, il est de bonne heure attiré par le destin de JAN Hus et par son rôle politique et sociaL Entre 1872 et 1875, il fait à Prague trois séjours de près d'une année, rassemblant la documentation qui va lui permettre de préparer sa thèse de doctorat sur Huss et la guerre des hussites, soutenue en 1878. ll publie ensuite La jin de l'in­dépendance bohême (1890), puis La Bohême depuis la Montagne Blanche (1903). Les Tchèques lui furent reconnaissants de la sym­pathie qu'il avait portée à leur cause, et une statue devait lui être élevée à Prague en 1928. ERNEST DENIS était lié d'amitié avec ED­VARD BENES, il avait gagné l'estime du futur Président ToMAS G. MA­SARYK. L'Institut d'études slaves allait profiter plus tard des hautes relations de celui dont le plus grand titre de gloiré demeure d'avoir été son fondateur.

C'est en 1892, pendant la conclusion de l'Alliance franco-russe, que fut créée à Lille la première chaire universitaire de langue et littérature russe. Le premier titulaire en est EMILE HAUMANT (1859-1942). Agrégé d'histoire depuis 1886, EMILE HAUMANT est reçu docteur d'Etat en 1894, avec deux thèses intitulées La Guerre du nord et la paix d'Oliva et Quid detrimenti Slavi ceperint ex inva­sione Hungarorum. En 1902, grâce à l'appui d'ALFRED RAMBAUD, qui a fait une brillante carrière politique, une seconde chaire d'Univer-

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sité est créée à la Sorbonne avec le même intitulé que la chaire de Lille, et olle est attribuée à EMILE HAUMANT. Celui-ci entreprend alors des recherches sur la pénétration de l'influence française on Russie (La Russie au XVIIIe siècle, 1904; La culture française en Russie, 1910, 2e éd. 1911), et c'est sous l'angle des apports français dans les progrès de la culture russe qu'il aborde l'étude des écri­vains russes (Ivan Tourguénief, 1906; Pouchkine, 1911). Une suite d'articles portant sur la Russie, sa littérature et sa culture parais­sent dans la Revue bleue, dans la Revue historique, dans les Annales de géographie. Dans les années qui précèdent la guerre de 1914-1918, EMILE HAUMANT s'intéresse au problème des nationa­lités yougoslaves, dont il prévoit déjà la future unité. C'est sur son initiative que GASTON GRAVIER, qui devait mourir prématurément en 1916, accepte un poste de lecteur à l'Université de Belgrade, où il entreprend des recherches sur La Chou madia et Les frontières his­toriques de la Serbie (publié en 1919). HAUMANT lui-même consacre à la question qui maintenant lui tient le plus à cœur plusieurs ar­ticles, regroupés dans un recueil paru en 1919 (La Yougoslavie, études et souvenirs). Puis viendra son grand livre sur La formation de la Yougoslavie (Collection historique de l'Institut d'Etudes slaves, 5). Il y retrace, du XVe au XXe siècles, l'histoire des peuples slaves du sud écartelés entre des hégémonies étrangères, mais destinés, après bien des vicissitudes, à constituer la Yougoslavie moderne.

EMILE HAUMANT poursuivit son enseignement en Sorbonne jusqu'à sa retraite en 1929, six ans après la mort de LoUis LEGER, et alors qu'un philologue linguiste et comparatiste du nom d'ANTOINE MEILLET donnait à la slavistique française tout son éclat. Après avoir été l'élève de FERDINAND DE SAUSSURE, d'AUGUSTE CARRIÈRE et de MICHEL BRÉAL., ANTOINE MEILLET (1866-1936) succéda à chacun de ces trois maîtres respectivement à l'Ecole des Hautes études, où il donne de 1891 à 1931 un enseignement de grammaire comparée des langues indo-européennes (avec une heure, celle du mardi, ré­servée au slave), puis à l'Ecole des langues orientales, dont il oc­cupe de 1902 à 1905 la chaire de langue arménienne ancienne et moderne, enfin au Collège de France, où ses conférences sont eon­sacrées, de 1906 à 1936, à la grammaire comparée des langues indo-européennes et à la linguistique générale. Ce comparatiste, dont SAUSSURE avait éveillé la vocation, était, plus que son maître, un virtuose des langues. Passionné par l'étude de l'arménien avant d'être reçu premier à l'agrégation de grammaire en 1889, c'est comme celtisant qu'il se fait admettre la même année à la Société

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de linguistique de Paris, tout en poursuivant des recherches dans les domaines du sanscrit et de l'iranien, du germanique et du bal­tique. Mais c'est au slave qu'il accorde la plus large part. Sa thèse principale de doctorat s'intitule Recherches sur l'emploi du génitif­accusatif en vieux slave (1897). Dans plusieurs articles publiés en­suite, de 1899 à 1903, il s'efforce d'élucider les problèmes posés par l'accent et les intonations du slave, et il applique au slave la loi de déplacement de l'accent que SAUSSURE avait formulée pour le li­tuanien. Les deux parties constituant les Etudes sur l'étymologie et le vocabulaire du vieux slave paraissent la première en 1902 et la se­conde en 1905. En 1908, dans Le8 dialectes indo-européens, MEILLET prend position sur le problème de l'unité balto-slave, estimant que les ressemblances observées entre les langues baltes et les langues slaves ne sont pas la trace d'une ancienne communauté lin­guistique, mais résultent de développements parallèles qui se sont produits indépendamment dans les deux domaines. Vient ensuite Le slave commun, dont le manuscrit, prêt pour l'impression dès 1915, est retardé par la guerre, puis repris et approfondi sur plu­sieurs points avant sa publication en 1924. MEILLET, qui avait reçu les encouragements de VATROSLAV JAGié, venait à bout d'une entre­prise devant laquelle avait reculé FILIPP FEDOROVIC FORTUNATOV lui­même, et qui tendait à reconstruire à partir du matériau disponible la langue originelle des différentes familles slaves. Fidèle à la doc­trine de SAUSSURE, MEILLET adopte en toute rigueur le principe de l'analyse synchronique. A l'intérieur du système proto-slave, cons­titué d'éléments remontant à l'indo-européen, il fait apparaître certaines parties dont le réagencement sous d'autres modes est à l'origine des langues slaves modernes. C'est encore ce principe syn­chronique qui inspire ses grammaires. Dans sa Grammaire de la langue polonaise (en collaboration avec Mme HELENA WILLMAN-GRA­BOWSKA, 1921 ), comme dans sa Grammaire du serbo-croate (en coll­aboration avec ANDRÉ V AILLANT, 1924), on trouve un exposé indé­pendant de toute explication historique; l'au~eur écartant même la classification des verbes établie par AuGUST LESKIEN pour lui substi­tuer une description basée sur le critère de la productivité, et mon­trer ainsi qu'il existe dans toute langue des faits qui ne sont que des survivances du passé alors que d'autres annoncent l'état à venir. Un autre principe, affirmé déjà par BRÉAL et SAUSSURE, guide les recherches de MEILLET: c'est celui du conditionnement social des faits linguistiques. De là ces nouveaux développements sur le vocabulaire slave, qui sont repris dans un chapitre ajouté à la se-

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conde édition du Slave commun (1934, avec le concours d'ANDRÉ V AILLANT). L'essentiel de l'œuvre est dans la solidité d'une théorie générale construite sur la connaissance des faits concrets de chaque langue. Pour reprendre le titre d'un autre ouvrage de MEILLET, paru en deux tomes (1921 et 1936), "linguistique histo­rique" et "'linguistique générale" forment un couple indivisible. Le linguiste a pour tâche d'éclairer d'une part les principes universels du développement du langage, d'autre part les conditions historiques et Bociales qui ont déterminé le caractère propre de chaque langue. C'est dans cet esprit qu'ont été rédigés les comptes rendus qu'ANTOINE MEILLET, devenu en 1906, après MICHEL BRÉAL, secrétaire général de la Société de linguistique de Paris, donnait régulièrement au Bulletin de cette société. Telles sont les lignes principales d'une œuvre dont le titre le plus largement connu reste l'Introduction à l'étude comparative des langues indo-européennes (1903). Cet ouv­rage, sept fois réédité du vivant de l'auteur, a formé toute une gé­nération de linguistes et de philologues.

Le nom d'ANTOINE MEILLET ne peut être séparé de celui do PAUL BOYER, son condisciple, collaborateur et ami de toujours. C'est avec ANTOINE MEILLET que PAUL BoYER fondera la Revue d'études slaves, dont le premier tome porte la date du 26 mars 1921, et c'est avec lui qu'il partagera d'abord la direction de cette revue, ANDRÉ MA.zoN en étant déjà le secrétaire actif. PAUL BOYER (1864-1949) avait été, en même temps que MEILLET, élève de SAUSSURE à l'Ecole des hautes études. Puis il avait suivi en 1886-1887 les cours de LESKIEN à l'Université de Leipzig. Reçu agrégé des lettres, il se rend à Moscou en 1889, où il reçoit l'enseignement de BUSLAEV, de FORTVNATOV et de ALEKSEJ ALEKSANDROVIC SAXMATOV. Pourtant, malgré la solidité de cette formation, PAUL BOYER a laissé une œuvre scientifique peu considérable. On cite surtout l'article qu'il publia en 1894 en collaboration avec ANTOINE MEILLET "Sur l'une des origines du mouvement de l'accent dans la déclinaison slave", ainsi que son étude sur L'accentuation du verbe ru8Se (1895), où il gé­néralise les observations faites quinze ans plus tôt par LESKIEN, et qui, l'année suivante, donneront naissance à la loi de SAUSSURE et à celle de FORTUNATOV. En revanche, le professeur est hors de pair. C'est en 1891 qu'il est appelé à la chaire de russe de l'Ecole des lan­gues orientales, pour y succéder à LoUis AUGUSTE DozoN (1822-1891). DOZON était un ancien agent diplomatique qui avait fait carrière dans les consulats de Turquie, et les traductions qu'il a laissées prouvent qu'il avait eu la curiosité de s'intéresser à la litté-

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rature populaire des peuples balkaniques. Mais le cours dont il avait été chargé à l'Ecole des langues orientales après le départ de LOUIS LEGER pour le Collège de France n'eut qu'un faible succès. Quand PAUL BOYER prit ses fonctions, la situation ne tarda pas à se transformer, les qualités de sa pédagogie, sa méthode exigeante et le rayonnement de sa personnalité attirant de nombreux élèves. Alors PAUL BoYER décide de préparer à leur intention son Manuel pour l'étude de la lang,ue russe (1906), auquel il fait collaborer son ré­pétiteur NIKOLAJ VASIL'EVIC SPERANSKIJ. Dans cet ouvrage, dont se sont nourris à leurs débuts la plupart des slavisants français, on re­trouve au plan de la pédagogie l'application des principes qui gui­dent dans le même temps l'œuvre d'ANTOINE MEILLET: d'abord une rigueur absolue dans l'explication des faits linguistiques pris en synchronie, puis cette volonté de ne jamais séparer la langue de la civilisation, l'une éclairant l'autre. Dans l'histoire de la slavistique française, BOYER apporte un point de vue nouveau par les limites mêmes qu'il assigne à son entreprise. Il renonce à être un "sla­viste" au sens large pour sc consacrer entièrement et exclusive­ment à la Russie elle-même, et pour mieux en explorer à fond tous les aspects, y compris ethnographiques, politiques et religieux. Il avait été l'hôte de TOLSTOJ, et il a laissé à sa mort un manuscrit in­titulé Chez Tolstoï: entretiens à Jasnaïa Poliana, publié en 1950 par l'Institut d'études slaves. Ajoutons enfin que l'on doit à PAUL BOYER la fondation, sur l'initiative de PAUL DoUMER, de l'Institut français de Saint-Pétersbourg (en 1911), dont la ''Bibliothèque", qui de­viendra "Bibliothèque de l'Institut français de Petrograd" en 1919, puis "de Leningrad" en 1926, sera continuée en 1946 par la Biblio­thèque russe de l'Institut d'études slaves de Paris, créé vingt-cinq ans plus tôt.

C'est de cette création, qui compte parmi les événements les plus importants de l'histoire de la slavistique française, qu'il faut maintenant parler. L'idée en avait pris forme 'dès le début de la première guerre mondiale, alors que se 'resserraient les liens de la France avec les peuples slaves. Une réunion décisive se tint à la salle des Actes de la Sorbonne le 13 janvier 1916. Outre LOUIS LEGER, EMILE liAUMANT, ANTOINE MEILLET et PAUL BOYER, l'historien ERNEST DENIS avait convoqué à cette réunion JULES LEGRAS et ANDRÉ LIRONDELLE, ainsi que LOUIS EISENMANN, LoUIS RÉAU et l'hel­léniste VICTOR BÉRARD. Etait également présent Env ARD BENES, re­présentant ToMAS G. MASARYK, dont le rôle, cinq ans plus tard, de­vait être déterminant. La circulaire de convocation est remarqua-

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blement explicite sur les objectifs qu'ERNEST DENIS assigne à la fu­ture institution: C'est sur la base d'une parfaite égalité que, par la coordination des efforts et le concours spontané de toutes les bonnes vo­lontés, nous obtiendrons le succès, qui ne sera point celui de tel établi8-sement ou de tel maître, mai:! bien celui des études slaves en France et de la .science française. Cette première réunion du "groupe des slavi­sants de Paris"' est suivie la même année de trois autres. On y dé­cide notamment de donner, à l'Ecole des hautes études, plusieurs cycles de conférences se rapportant au monde slave. L'année su­ivante paraît en juillet le premier numéro du Monde .slave, dont l'e8prit devait être rigoureusement scientifique, selon ERNEST DENIS, fondateur de la revue avec RoBERT DE CAIX1• Ainsi se mettent pro­gressivement en place les fonctions qui seront celles de l'Institut. Il ne reste plus qu'à en rédiger la charte, à en codifier les statuts, à trouver surtout le local et les ressources capables d'assurer le fonctionnement de la future organisation. Une charte détaillée pa­raît en 1919 sous la forme d'un article d'ERNEST DENIS, intitulé "L'Institui d'ELudes slaves"'. Il y esL quesiiou d'abord de l'objoct.if des fondateurs, qui est de renforcer les conditions de l'amitié franco-slave sur la base d'une connaissance intime et continue. Puis ERNEST DENIS envisage les rapports de l'Institut avec les pays slaves, prévoyant l'accueil de leurs chercheurs et de leurs étu­diants. Il insiste sur la nécessité de développer en les coordonnant les divers enseignements slaves donnés à Paris, annonce l'aména­gement de salles de lecture et d'une salle de bibliothèque, envisage enfin la publication de fascicules techniques destinés à constituer une grande collection d'ouvrages spécialisés. C'est en novembre de cette année 1919 qu'a lieu l'ouverture de l'Institut d'études slaves, dans un hôtel situé aux numéros 9 et 9 bis de la rue Michelet, ap­partenant à la famille d'ERNEST DENIS. L'assemblée générale consti­tutive, qui adopte les statuts et élit le premier Conseil d'admini­stration, se réunit le 9 mars 1920. Le 12 août 1921, le Parlement tchécoslovaque vote une loi ratifiant la décision du Conseil des mi­nistres de la République tchécoslovaque, qui attribuait à l'Univer-

1 Interrompu à la fin de la guerre, le Monde slave parait de nouveau de no­vembre 1924 à juillet 1938. Cette revue avait été précédée par La Nation tchèque, également créée par ERNEST DENis en 1915, et dont EDVARD BENES re­prend la direction en 1917. La Nation tchèque cesse de paraître en août 1!Jl9. D'autre part, en 1918-1920, la Revue yougoslave est éditée par la Ligue des universitaires serbo-croato-slovènes, dont le siège est au 9 de la rue Michelet.

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sité de Paris une donation d'un million de francs, destinée pour moi~ié ù. Pacha~ de l'immeuble de la rue Michelet, et pour moi~ié à la créa~ion d'une chair·e d'his~oire eL civilisation des peuples slaves2• Enfin le 17 oc~obre 1923, l' Inst,itut d'é~udes slaves fu~ inau­guré par ToMAS G. MASARYK, président de la République tchécoslo­vn.que, en présence d'ALEXANDRE MILLERAND, président de la Répu­blique française. La biblio~hèque de l'lns~i~u~ fu~ ouverLe l'année suivn.nte.

III. La première génération

On prend ici le concept de ""générn.tion" dans son acception la plus large, ct l'on regroupe sous le t itre de «première générn.tion" l'e nsemble des slavisants qui, nés avant 1900, ne sont entrés dans la carrière universitaire qu'après la première guerre mondiale. TI est vrai que les plus anciens d 'entre eux, JULES PATOUILLE'!' et JuLEs L~;GJ{AS, sont contemporains de P AUL BoYER ct d'ANTOINE MEILLI!.'T. Mais la plupart des auLI'es, qu' ils soient bulgttrisants comme LÉON BEAULIEUX, p olonisanLs comme HENHI GHAPPIN ou PAUL CAZIN, russi­sants comme ANDit~; LJRONDELLE ou RAOUL LABRY, onL à peu près l'âge d'ANDl'tÉ MAZON. Les plus jeunes, nés entre 1890 ct 1893, se nomment ANDRÉ VAILLANT, PIERRE PASCAL, ELlE BORSCHAK, LUCIEN 'l'ESNIÈRE: de même que leur cadet BORIS UNBEOAUN (né e n 1898), ils poursuivront leur carrièr·e plusieurs a nnées e nco re après la se­conde gue r-re mondiale.

Si l'on fait le point des étud es slaves en France trois ans après la fin de la première guerre, alors que l'lnst,itut de la rue MicheleL vient de se constituer, on note que, dans le domaine large de l'his­toire des civilisations, il existe en Sorbonne, à côte de la chn,ire Er­nest-Denis, qu'inaugure LouiS E ISENMANN, un Cenke de n~cherches

d'his~oirc ct civilisaLion byzantines dirigé par ÜIIARLES DŒliL, alors que GABRIEL MILLET, spécialiste de l'n.rt· religieux plus particulière­me nt en domaine serbe, donne à l'Ecole prn.tiquc des hautes études (Vème secLion) un cours sur le christianisme byzantin ct l' archéo­logie chré Lienne. Par ailleurs, d es enseignements de civilisation

2 C'est Jo. chaire Ernest Deni.Y. Le fondateur de I'IustiLut d'études slaves éLo.nL mort en janvier 1921, cette chaire revint À. Lours ElSENMAJ~N, dont l'His­toire de RU88ie, réd igée en collaboration avec PAVEl. N tROLAEVJC MII.JUKOV et CHARLES SEIONODOS, paro.itra e11 1932.

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gique, il élabore patiemment une doctrine de la traduction et s'ap­prête à en exposer les grandes lignes dans un traité dont il faut re­gretter que sa mort ait empêché la publication.

JuLES PATOUILLET (1862-1942) vient à la slavistique plus tard que JuLES LEGRAB, et par d'autres voies. Il a reçu une formation pu­rement classique, couronnée par l'agrégation de grammaire en 1886 et l'agrégation de lettres en 1890. C'est seulement en 1902, à l'âge de quarante ans, qu'après avoir suivi les cours de PAUL BOYER il obtient le diplôme de russe de l'Ecole des langues orientales. Il se passionne alors pour l'étude du théâtre russe et soutient en 1912 ses deux thèses de doctorat, qui constituent un tout inséparable: Ostrovski et son théâtre de mœurs russes et Le théâtre de mœurs russes des origines à Ostrovski, 1672-1860. JuLES PATOUILLET est sans doute le premier slaviste français qui s'efforce d'appliquer à la re­cherche en matière d'histoire littéraire une méthode strictement scientifique, notamment en utilisant des documents puisés aux ar­chives impériales pour montrer l'authenticité des marchands d'AI..EKSANDR NIKOLAEVIO ÛSTROVSKIJ. En 1913, il est nommé direc­teur de l'Institut français de Saint-Pétersbourg, dont sa thèse com­plémentaire inaugure la Collection. Plus tard, lorsque le gouverne­ment révolutionnaire s'installe à Moscou, il tente une opération désespérée pour sauver l'Institut dont il a la charge, et réussit à le transférer dans la nouvelle capitale. Mais on le rappelle en France en 1919. L'année suivante, il est à Prague, où il fonde l'Institut fran­çais. Il revient en France on 1921, pour être nommé dans la chaire de Lyon où il restera jusqu'à sa retraite en 1931.

En 1923, JuLEs PATOUILLET avait posé sa candidature à la suc­cession de LoUIS LEGER au Collège de France. Mais ce fut son jeune rival ANDRÉ MA.zoN qui gagna l'élection. Elève d'ANTOINE MEILLET à l'Ecole des hautes études et de PAUL BOYER à l'Ecole des langues orientales, ANDRÉ MAzoN (1881-1967), frère de l'helléniste PAUL MA.zoN, fut d'abord, de 1905 à 1908, lecteur de français à la Faculté d'histoire et de philologie de l'Université de Kharkov. Il est ensuite chargé de mission d'étude à l'Institut français de Saint-Pétera­bourg dès l'année de sa création par PAUL BoYER. Dans la période qui suit, il exerce son talent inné de l'organisation comme secré­taire-bibliothécaire de l'Ecole des langues orientales. En 1919, il est nommé dans la nouvelle chaire de Strasbourg. Quatre ans plus tard commence sa carrière de professeur au Collège de France, où il enseignera jusqu'en 1951. C'est après la mort d'ANTOINE MEILLET qu'ANDRÉ MA.zoN devient, en 1937, président de l'Institut d'études

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slaves. Mais, dès avant cette date, il avait fait beaucoup pour le rayonnement de ce qui est devenu la grande maison des slavisants. Il a contribué au développement de la bibliothèque qui, dès son ou­verture en 1924, s'est trouvée alimentée par un système d'échanges efficace. L'importance des publications s'est accrue. Enfin c'est à ANDRÉ MAzoN que revient plus particulièrement le mé­rite d'avoir donné à la Revue des études slaves et à sa partie biblio­graphique la forme qu'elles devaient conserver jusqu'à sa mort. Il a été secrétaire de la Revue dès l'origine (en 1921), avant d'en de­venir en 1937, pour une période de trente ans, le codirecteur le plus influent. Organisateur de premier ordre, ANDRÉ MAzoN fut aussi un savant aux horizons multiples. Ses premiers travaux s'in­scrivent dans la tradition philologique, et ils ont trait surtout à l'aspectologie. Dès 1908, il a publié sa Morphologie des aspects du verbe russe. Puis c'est, en 1914, sa thèse complémentaire de doc­torat d'Etat: Emplois des aspects du verbe russe (2e éd. xérocopiée, 1978). En bon élève de MEILLET, MAZON a le mérite d'établir une distinction nette entre l'itératif et l'imperfectif. Il s'efforce par ail­leurs d'isoler l'aspect verbal, grammaticalement défini au plan de la morphologie, des phénomènes paralexicaux de l' Aktionsart, tout en donnant trop d'extension peut-être à la notion de ,pré­verbe vide". Surtout, sa présentation des couples aspectuels, hé­ritée de LESKIEN et répandue en France par PAUL BoYER, est à la fois solide et harmonieuse. Elle inspire les meilleurs chapitres des deux grammaires dont ANDRÉ MAZON est l'auteur: Grammaire de la langue tchèque (1921, 3e éd. revue par JACQUELINE M.AzoN, 1952) et Grammaire de la langue russe (1943, 4e éd. revue et complétée par l'auteur avec la collaboration de JOSÉ JoHANNET et JACQUES LÉPIS­SIER, 1963). M.AzoN reviendra plus tard sur les problèmes d'aspecto­logie, d'abord dans un article de 1956, où il étudie le classement des verbes slaves de LESKIEN, puis en 1958, dans sa Communication au IVe Congrès international des slavistes (L'aspect des verbes russes: principes et problèmes). Dans un domaine plus spécial, après avoir publié en 1920 son Lexique de la guerre et de la révolution, 1914-1919, ANDRÉ M.AzoN s'intéresse aux parlers macédoniens, donnant en 1923 une étude grammaticale avec commentaire des Contes slaves de la Macédoine sud-occidentale, puis, sous son nom et sous celui d'ANDRÉ VAILLANT, L'Evangéliaire de Kulakia: un parler slave du Bas-Vardar ( 1938), ainsi que des Documents, contes et chan­sons slaves de l'Albanie du sud (1936), complétés d'un second tome en 1965. Philologue dans la plus large acception du terme, ANDRÉ

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MA.zoN ne conçoit pas les études de langue indépendamment des documents de civilisation et des œuvres littéraires qui en sont le support. Sa thèse principale de doctorat avait été consacrée à Un maître du roman russe: Ivan Gontcharov. Il l'avait préparée lors de ses séjours en Russie, qui l'avaient mis en contact avec d'anciens amis do IVAN ALEKSANDROVIC GoNCAROV, notamment MIXAIL MAT­VEEVIC STASJULEVIC et A.NATOLIJ FEDOROVIC KONI. En 1930, il édite les Manuscrits parisiens d1van Tourguénev. C'est le fruit de ses re­cherches dans les archives parisiennes de l'écrivain, conservées par la famille de PAULINE VIARDOT. Enfin le Moyen Age aussi l'in­téresse, et les spécialistes de cette période n'oublieront pas les ar­ticles où le philologue français tentait d'argumenter la thèse selon laquelle le Slovo d'Igor' ne serait pas une épopée en prose du XIIe siècle, mais un pastiche habile de la fin du XVIIIe siècle (articles réunis sous le titre Le Slovo d'Igor', 1940).

RAOUL LABRY (1880-1950) est né un an avant ANDRÉ MAZON. Comme lui, il est passé par l'Institut français de Saint-Pétersbourg, où on le nomme professeur en 1916. Mais il ne consacrera à l'Uni­versité que la dernière partie de sa carrière. Dans l'automne de 1915, il avait participé aux débuts de l'Expédition de Salonique, ac­compagnant l'armée serbe en retraite à travers l'Albanie et le Mon­ténégro. L'année suivante, à Petrograd, il assiste à la montée de la Révolution, se mêle aux meetings, puis il rassemble à l'intention d'ALBERT THOMAS un dossier économique détaillé, dont il public les parties essentielles dans L'Industrie russe et la Révolution (1919). Bien que LABRY s'oppose à l'idée bolchevique, le recueil qu'il fait paraître en 1920 sous le titre Une législation communiste (lois, dé­crets, arrêtés principaux du gouvernement bolchévik) manifeste son désir de comprendre les grands mouvements sociaux et politiques dont il est le témoin. Le même souci se retrouve dans Autour du bolchévisme (1921). Son recueil de récits A'utour du moujik, qui pa­rait deux ans plus tard, montre le phénomène révolutionnaire tel qu'il est perçu au niveau de la classe paysanne. Quand RAOUL LABRY rentre en France en 1922, c'est pour y poursuivre une car­rière administrative commencée en 1912 comme inspecteur d'aca­démie. Il devient proviseur de lycée, tout en donnant des chroni­ques à la Dépêche de Toulouse. Ces multiples activités n'ont pour­tant pas étouffé sa vocation universitaire. L'ancien agrégé de let­tres ( 1907) soutient en 1928 ses thèses de doctorat sur Alexandre Herzen et Herzen et Proudhon. Il enseignera dans la Chaire de Lille à partir de 1932, puis, en 1936, il succèdera à JuLEs LEGRAS dans la

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chaire de la Sorbonne, qu'il occupera jusqu'à sa mort en 1950. Strict et précis dans son approche linguistique des œuvres litté­raires, RAOUL LABRY leur donnait une vie nouvelle par le don qu'il avait d'en évoquer l'arrière-plan social et culturel. Cette double méthode inspirait son enseignement. Elle a guidé son édition en deux volumes de La fille du capitaine de Pouchkine (avec introduc­tion historique et littéraire, traduction et commentaires grammati­caux et historiques). Après le Manuel de BOYER et SPERANSKIJ, ce livre est sans doute l'un des meilleurs classiques des études russes en France.

ANDRÉ LIRONDELLE (1879-1952) est lui aussi sensiblement du même âge qu'ANDRÉ MAzoN. Sa carrière, comme celle de RAOUL LABRY, mais dans un ordre inverse, est partagée entre la recherche universitaire et les tâches administratives. Elève d'AUGUSTE A..~­

GELLIER et brillant angliciste, LIRONDELLE avait en même temps suivi l'enseignement de PAUL BOYER, et il obtint dès 1899 son di­plôme russe de l'Ecole des langues orientales. Après avoir mis à profit un séjour de deux ans en Russie comme précepteur, il sou­tient en 1912 ses thèses de doctorat sur Le poète Alexis Tol8toi; l'homme et l'œuvre et Shakespeare en Russie (1784-1840), étnde de lit­térature comparée. Dès 1902, il avait été chargé de la chaire de Lille, laissée vacante par EMILE HAUMANT et où il précédait RAOUL LABRY de trente années. Il en enrichit considérablement la bibliothèque russe, qui devient grâce à lui la plus riche de province. C'est pen­dant cette période lilloise que LIRONDELLE publie dans la Collection des "'Cent chefs-d'œuvre étrangers" d'abord en 1921 La poésie russe (XIXe siècle}, puis en 1923 Pouchkine. Tout laisse croire alors qu'il va succéder à EMILE HAUMA.~ dans sa chaire de la Sorbonne. Mais L!RONDELLE prend une autre décision. Découragé par un enseigne­ment dont les circonstances politiques rendent les perspectives de plus en plus incertaines, il interrompt en 1926 son activité univer­sitaire pour se consacrer à l'administration. Il est successivement recteur des académies de Dijon, de Clermont-Ferrand, de Lyon et de Bordeaux, avant d'accéder au poste de Directeur de l'Enseigne­ment supérieur. Pourtant, ANDRÉ LIRONDELLE n'oublie pas ses pre­mières études, favorisant autant qu'il est possible dans cette pé­riode ingrate le progrès des études russes en France. C'est à lui que l'on doit notamment la création du Centre d'études slaves de Bor­deaux.

A l'image d'A..~DRÉ LIRONDELLE et de RAOUL LABRY, la plupart des slavisants français de cette époque ne s'intéressent à la langue

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que comme outil de connaissance et comme moyen d'accès aux œuvres littéraires. Jusqu'alors la slavistique proprement dite n'est représentée que par le comparatiste ANTOINE MEILLET, avec acces­soirement, et pour le seul domaine russe, les deux premiers livres d'ANDRÉ MAZON sur l'aspect.

Mais voici d'autres représentants plus jeunes de cette première génération, qui furent essentiellement des philologues et des lin­guistes. Le premier d'entre eux est ANDRÉ V AILLANT (1890-1977), dont on a pu dire que la vie toute entière avait été consacrée à l'étude des langues et des textes. C'est sur le front de Salonique, en 1917-1918, que cet agrégé de grammaire s'intéresse d'abord aux réalités de la question slave, et c'est là que prend naissance sa vo­cation de serbisant. Au lendemain de la guerre, il occupe la chaire de serbo-croate qui vient d'être créée en 1920 à l'Ecole des langues orientales, et il y demeure jusqu'en 1951. Ses premiers travaux ap­partiennent donc au domaine de la serbistique. La Grammaire du serbo-croate, pour laquelle ANTOINE MEII..LET avait sollicité sa collabo­ration, paraît en 1924. Puis la thèse de doctorat qu'il soutient en 1929 est consacrée à La langue de Dominko Zlatarié, poète ragusain de la Jin du XVIe siècle, dont la partie phonétique, publiée en 1928, sera complétée d'une morphologie (1931), puis d'une syntaxe (1979). Mais ce sont surtout les travaux d'ANDR!l: VAILLANT sur le vieux slave qui lui valent une autorité mondialement reconnue. D'abord destiné à ses auditeurs de l'Ecole des hautes études, où il assure de 1931 à 1962 une direction d'études de langues et littéra­tures slaves du Moyen Age, le Manuel du vieux slave (1-Il, 1948, 2e éd. 1963-1964) ne constitue que la partie la plus classique de son apport. Il faut y ajouter de nombreux travaux d'édition, qui, dès 1930, attirent l'attention des spécialistes: édition critique du De Autexusio de MÉTHODE D'ÜLYMPE avec traduction et texte grec re­constitué dans ses parties manquantes (1930), les Catéchèses de Cy. RILLE DE JÉIWSALEM (1932), le De Virginitàte de SÀINT BASILE (1943), le Traité contre les Bogomiles de CosMAS LE PRt:!I'RE (1945, en collab­oration avec HENRI-CHARLES PUECH), le Discours contre les Ariens de SAINT ATHANASE (1954), et les trois apocryphes: Le Livre des Secret.s d'HÉNOCH (1952), la Vision d'!SAIE (1963), l'Evangile de NICODÈME (1968). Dans ce domaine de l'édition des vieux textes, ANDRÉ VAIL­LANT innove dans la mesure où il élargit son champ d'étude au-delà des limites tracées par le ,canon" de LESKIEN, montrant en particu­lier l'intérêt que présentent, pour la connaissance des textes vieux­slaves ou vieux-bulgares, les rédactions postérieures slavonnes

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même les plus tardives. D'autre part, présentant l'original avec sa traduction française, il a le mérite nouveau de rendre accessible à de nombreux lecteurs les vieux textes que la tradition tendait à ré­server à un cercle d'initiés. Enfin les travaux d'ANDRÉ V AILLANT comme comparatiste n'ont pas une moindre notoriété. Ils procè­dent pour la plupart de son enseignement au Collège de France, qui l'accueille en 1952 après la retraite de MAzoN, et où il achèvera sa carrière d'enseignant en 1962. La publication de sa Grammaire comparée des langues slaves s'échelonne sur vingt-sept ans: phoné­tique en 1950, flexion nominale en 1958, morphologie du verbe en 1966, formation de noms en 1974, syntaxe en 1977. C'est une œuvre à la fois monumentale et minutieuse, pleine de faits et d'hy­pothèses souvent audacieuses, réussie en tout cas dans les limites que l'auteur s'assigne à lui-même. Car V AILLANT se méfie, comme son aîné MAZoN, des nouvelles théories qu'il voit se répandre au­tour de lui. Il refuse le structuralisme et les mouvements qui en dé­rivent, n'y voyant que des modes éphémères. Pour ce dernier re­présentant de l'école néo-grammairienne, rien ne compte que la vérité des faits dûment enregistrés. C'est ce qui donne sa valeur à l'œuvre du comparatiste, de l'éditeur de vieux textes et du philo­logue, œuvre complétée par de nombreux articles et d'innombra­bles notules que V AILLANT publiait le plus volontiers dans la Revue d'études slaves, dont il partagera la direction avec ANDRÉ MAzaN à partir de 1937.

LUCIEN TESNIÈRE (1893-1954), qui était de trois ans le cadet d'ANDRÉ V AILLANT, fut loin de connaître en son temps la même no­toriété. Après avoir passé l'agrégation d'allemand (1919), TESNIÈRE est nommé en 1921 lecteur de français à l'Université de Ljubljana, où il fonde un Institut français. Sa curiosité est alors attirée par les particularités linguistiques du slovène, et il entreprend la prépara­tion d'une thèse de doctorat, qu'il soutient en 1925, sur Les Formes du duel en slovène. Sa thèse complémentaire, qui est un Atlas lin­guistique pour servir d l'étude du duel en slovène, témoigne de la pré­cision des enquêtes qu'il effectue sur le terrain. La compétence qu'on lui reconnaît dans ce domaine fait qu'il est chargé, avec AN­TOINE MEILLET, de préparer pour le premier Congrès des philolo­gues slaves (Prague, 1929) un projet relatif à la constitution du pre­mier atlas linguistique slave. En 1924, LUCIEN TEsNIÈRE succède à ANDRÉ MAzaN dans la chaire de slave de l'Université de Strasbourg. C'est là qu'il prépare sa Petite grammaire russe, publiée en 1934. Il continue cependant de s'intéresser au slovène, et donne en 1929

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un article à la Revue d'études slaves sous le titre "L'accent slovène et le timbre des voyelles". Entre temps, ce linguiste rédige un impor­tant ouvrage purement littéraire: Oton Joupantchitch, poète slovène (1931). C'est un peu plus tard, en 1937, que paraît son article <.4Comment construire une syntaxe?". Mais il n'y a encore ici qu'une lointaine ébauche de ce qui deviendra son œuvre principale. En cette même année 1937, TESNIÈRE est nommé professeur de grammaire comparée à l'Université de Montpellier. Il se consacre alors à l'élaboration de son projet syntaxique, qu'annonce l'Es­quisse d'une syntaxe structurale (1953). On y trouve définies les no­tions de connexion, de jonction et de translation: ce sont les con­cepts fondamentaux qui servent de support à la théorie générale contenue dans son grand œuvre, les Eléments de syntaxe structurale, publiés post rn or te rn en 1959, réédités en 1966. TESNIÈRE y dé­veloppe sa théorie de la "valence", qui conduit à faire du sujet un "actant" comme les autres, en dissociant le couple Sujet-Groupe prédicat. Il donne de la phrase une représentation visualisée au moyen de sternums qui font apparaître l'opposition entre l'ordre structural pluridimensionnel et l'ordre linéaire de la chaîne parlée: c'est, formulée en d'autres termes, toute la différence que recon­naîtra plus tard la linguistique américaine entre structure pro­fonde et structure de surface. La notion de translation anticipe elle-même sur ce qui deviendra la grammaire des transformations. Il est remarquable, écrit le germaniste JEAN FOURQUET, ancien col­lègue de TESNIÈRE à l'Université de Strasbourg, que dans un monde où tout va vite, un livre comme les Eléments de Tesnière suscite, qua­rante an,s après sa conception, tant d'adhésions et d'applications con­crètes. Le rayonnement de l'œuvre de TESNIÈRE s'est fait attendre. L'auteur des Eléments a été longtemps plus connu des linguistes étrangers, allemands, russes ou tchèques, que de ses propres com­patriotes. Mais ses idées ont aujourd'hui de multiples prolonge­ments: il n'est pas une étude de syntaxe dépendancielle qui ne lui soit, au moins indirectement, redevable au plan du principe, des concepts et de la méthode. Ajoutons que TESNIÈRE a été, parmi les slavisants français, le seul qui collabora, fût-ce symboliquement, aux Travaux du Cercle linguistique de Prague, avec une contribution intitulée "Phonologie et mélange de langues" (TCLP 8, 1939).

Après MAZON et TESNIÈRE, la chaire de langues et littératures slaves de Strasbourg est attribuée en 1937 à BORIS UNBEGAUN. Emigré de Russie après les combats de la guerre civile, BORIS UNBE­GAUN (1889-1973) entreprend à Ljubljana en 1922 des études de

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slavistique qu'il viendra achever à Paris à partir de 1924. Tout en complétant sa formation de philologue et de linguiste, il débute comme bibliothécaire à l'Institut d'études slaves. Il remplira pen­dant douze ans cette modeste fonction, conforme à son goût de la recherche minutieuse. Ses première investigations se rapportent à l'histoire de la langue, et elles le conduisent à la thèse de doctorat qu'il soutient en 1935 sur La langue russe au XVIe siècle {1500-1550}: La flexion des noms. D'emblée cet ouvrage place UN­BEGAUN au premier rang des spécialistes de l'histoire de la langue russe. Ayant dépouillé les actes juridiques et la correspondance di­plomatique du temps, il donne l'inventaire de la totalité des formes avec leurs variantes. La sûreté des analyses et la qualité de l'érudi­tion font de ce livre, pour la période étudiée, un instrument de con­naissance irremplaçable. Quant à sa méthode, elle s'inspire du principe selon lequel on ne peut comprendre le mécanisme d'une langue particulière, comme celle de la chancellerie moscovite au XVIe siècle, qu'à condition de connaître d'abord les Jonctions diffé­rentes q'U 'elle est susceptible d'assumer. UNBEGAUN trace ici la voie d'une discipline nouvelle qui deviendra la ••stylistique fonction­nelle". La thèse complémentaire, qui porte sur Les débuts de la langue littéraire chez les Serbes, montre, sur un moindre domaine, l'application des mêmes principes et de la même méthode. Parallè­lement à ces études, qui touchent surtout à la morphologie, UNBE­GAUN s'intéresse à la recherche lexicologique. Les nombreuses études étymologiques qu'il a publiées ont été souvent présentées d'abord sous forme de conférences. Elles mettent en valeur tout à la fois la rigeur du linguiste, la science de l'historien et la finesse de l'humaniste. Par ailleurs, l'enseignement qu'il donne depuis 1937 à l'Université de Strasbourg, en même temps qu'à l'Univer­sité libre de Bruxelles, l'amène à préciser et à organiser les exposés grammaticaux qu'il destine à ses étudiants, et ce travail forme la base de sa Grammaire russe (1951), dont la doctrine et les modes d'exposition n'ont guère vieilli. Enfin, parmi les nombreux articles que BORIS UNBEGAUN ne cessera de publier jusqu 'à sa mort, il en est un qui fit particulièrement sensation par son titre paradoxal: ""Le russe littéraire est-il d'origine russe?" (RES 1965). L'auteur y ébauche une thèse hardie sur la nature du russe littéraire et sur la part qui revient au slavon parmi les éléments constitutifs de la langue moderne. BORIS UNBEGAUN était alors sur le point d'achever sa carrière universitaire à Oxford, où il enseignait depuis 1953, ayant quitté cette année-là l'Université de Strasbourg.

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En même temps que des su.vants comme ANDRÉ V AILLANT et Boms UNBEGAUN font progresser la recherche philologique, ct alors que LUCIEN TESNIÈRE travaille sur son nouveau projet syntaxique, on assiste à une renaissance des études religieuses. Dans ce do­maiue, tout a. bien changé depuis l'époque où l'Eglise de France, dans l'esprit défiui par le Concile du Vatican de 1869-1870, se li­vrait à une vaste entreprise d'"apostolat scientifique", visant à ra­mener l'Eglise d'orient dans le giron de Rome:~. L'avènement de la Russie révolutionnaire a mis fin à l'ancien projet de 1·éunification des églises, et c'est maintenant dans un esprit strictement objectif que de savants ecclésiastiques, utilisant des documents nouveaux, éclairent le mouvement des idées religieuses du.ns la Russie du XIXe siècle, que domine l'opposition entre occiden talistcs et slavo­philes. En 1929, le Père MARIE-JOSEPH Roug-r DE JOURNEL publie Une russe catholique, Madame Swetchine. d ·après de nombreux docu­ments nouveaux, et, en 1939, l'abbé ALBERT GH.ATIEUX fera paraître Khomiakov et le mouvement slavophile. Entre ces deux dates, l'abbé CHAI{LgS Quf;N~o:r (1883-1946) soutient sa thèse de doctorat sur Tchaadaev et le8 Lettres philosophiques; contribution d l'étude du mou­vement des idées en R1UJsie (1932). L'auteur met en lumière l'occiden­talisme de PETR JAKOVLEVIC ÙAADAEV, dont le catholicisme forme l'armature essentielle. Plus largement il apporte le bilan d'une vaste recherche sur· les rapports de l'Orieut orthodoxe avec Rome.

Les travaux de CHARLES Qu'f:m:r touchaient au statut particulier des Uniates en pays ruthènes, et il s rejoignaient par là ceux qu'ef­fectuait dans le même temps un jeune universitaire nommé AN. TOINE MARTEL (1899-1931). Ayant succédé en 1927 à son maître ANDRÉ LIRONDELLE dans la chaire de Lille, ANTOINE MARTEL venait d'y ouvrir un enseignement complémentaire de langue ct littéra­ture polonaises. Sa t rop courte carrière est des plus brillantes. A peine est-il reçu premier à l'agrégation de grammaire en 1920 qu'il se met à fréq uenter les cours de vieux slave d '.ÀNTOINE MEILLET à l'Ecole des hautes études, tout en suivant à l'Ecole des langues ori­entales l'enseignement de PAUL BOYER pour le russe, celui d 'HENRI GRAPPIN pour le polonais et celui de JORDAN lVANOV pour le bulgare. Puis il entreprend en vue du doctorat d'Etat ses recherches sur le

J C'est l'époque où Mgr FEux DuPANLOUP cautionnait le livre du R. P. RozVAZEN, r ééùiLé en 1864 sous le titre De la réunion de l'Eglise nt.sse avec l'Eglise catholique, l'o.nnée même où po.ro.isso.it l'Essai de conciliation entre l'Eglise latine et l'Eglise grecq1œ de l'abbé ANSELME TilLOY.

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passé de l'Ukraine. La mort l'empêcha de soutenir et d'éditer ses thèses. La t.hèsc principale portait sur La langue polonaise dans les pays ruthènes (Ukraine et Russie Blanche), 1569-1667, et elle devait paraître à Lille en 1938. La thèse complémentaire, qui s'int.itule Michel Lomonosov et la langue littéraire russe, constitue le tome 13 (1933) de la Bibliothèque de l'Inst.it.ut français de Leningrad.

En 1939, à la veille de la seconde guerre mondiale, t.outes les ac­tivit.és de la slavistique française sont dominées par la forte per­sonnalité d'ANDRf: MAzoN, qui est pour douze années encore profes­seur au Collège de France. Son rôle se confond avec celui de l'In­stit.ut d'études slaves, dont il exerce la présidence de 1937 à 1959. ANDRÉ VALLLANT, qui est entré dans sa plus grande période de pro­duction scientifique, assure depuis 1931 sa direction d'études de Langues et littératures slaves du Moyen Age à l'Ecole des hautes études, et il la conservera jusqu'en 1966. Quant à la situation des enseignements de russe en province, elle ne s'est guère améliorée au cours de ces vingt années: l'enseignement de J ULES LEGRAS à Dijon n'ayo.nt pas cu de prolongement après son départ pour la Sorbonne en 1929, il n'y a plus que trois chaires de province ou­vertes aux slavisants: celles de Strasbourg, de Lyon et de Lille. On a vu que Borus UNBEGAUN, dont l'enseignement en France ne se poursuivra que jusqu'en 1953, se partage dès maintenant entre l'Université de Strasbourg et celle de Bruxelles. A Lyon, la chaire de JULES PATOUILLET est occupée depuis 1932 par la première slavi­sante française, qui est. aussi le premier grand spécialiste du XVIIIe siècle russe: MARCELLE EH.H.HARD soutient en 1939 ses deux thèses de doctorat sur V. A. Joukovski et le préromantisme russe et Un ambassadeur de Russie à la Cour de Louis XV: le prince Cantem ir à Paris (1738-1744). Enfin dans la chaire de Lille, ANTOINE MARTEL a eu pour successeur en 1932 son aîné de vingt ans RAouL LABRY, qui a été appelé à la Sorbonne en 1936. C'est en cette année 1936 que l'on rencontre PIERRE PASCAL à Lille. Il n'y enseigne que quelques moi:>, avant de prendre, le Ier mai 1937, la succession de PAUL BOYER à l'Ecole des langues orientales.

Parmi les maîtres de la slavistique française, PIERRE PASCAL est l'un de ceux qui ont exercé sur la génération montante l'influence la plus profonde. Né en 1890, il était venu au russe par pure curio­sité, alors qu'on en avait introduit l'enseignement à Litre d'essai au Lycée J eanson-de-Sailly, où il venait justement d'être admis. Il fré­quenta ensuite les cours de PAUL BoYER, qui, en lui remet.tant son diplôme de russe de l'Ecole des langues or ienLales, lui conseilla

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d'effectuer un séjour d'études à Saint-Pétersbourg. C'est là qu'en 1911 PIERRE PASCAL rencontre ses aînés ANDRÉ LIRONDELLE ct ANDRÉ MAzoN. L'année suivante, il est reçu agrégé de lettres. Ce sont alors les années de guerre, l'affectation, en avril 1916, auprès de la Mission française de Saint-Pétersbourg, puis les événements de la Révolution dont il est le témoin à Leningrad d'abord, à Moscou ensuite. Il voit dans ces événements la juste révolte du grand peuple paysan contre une oppression séculaire. Avec ALEK­SANDR ALEKSANDROVIC BLOK, avec les "poètes paysans", NIKOLAJ ALEKSEEVIC KLJUEV et SERGEJ ALEKSANDROVIC EsENIN, il espère que va sortir de cc profond bouleversement un Etat communautaire où seront réalisées les aspirations les plus pures de l'idéal slavophile.

Lors du rapatriement de la Mission française, PIERRE PASCAL dé­cide de rester en Russie, où il va vivre la période de la "Nouvelle politique économique". En 1926-1927, il est attaché à l'Institut Marx-Engels de Moscou. Il y découvre au cours de ses lectures la fi­gure du protopope AvvAKUM, traduit et annote sa Vie, décide de faire connaître à l'Occident le destin exemplaire de ce martyr de la vieille foi persécuté par NIKON. Dans les Archives qu'on l'autorise à consulter, il prend connaissance des documents et des manuscrits grâce auxquels il pourra mener à bien le grand livre qui sera sa thèse principale de doctorat d'Etat. PIERRE PASCAL rentre en France en 1933. Il a passé dix-sept ans en Russie, éloigné, comme il le dit, des études passées, des préoccupations universitaires et même des anciennes amitiés. En 1938, il soutient ses deux thèses do doc­torat: Avvakum et les débuts du raskol. La crise religieuse au XVIIe siècle en Russie et La Vie de l'archiprêtre Avvakum écrite par lui­même, traduite du vieux russe en français avec introduction et com­mentaire. L'œuvre est en deux parties, écrit ANDRÉ MAzoN, mais, fruit d'un long travail et d'une longue méditation, elle est profondément une, et la conscience qu'elle atteste dans la documentation, la mise en œuvre des matériaux et la critique des textes. n'a d'égale que la piété de l'auteur pour son sujet. On retrouvera ces del!x qualités toujours étroitement unies dans les articles publiés après 1948, qui complè­tent et diversifient l'apport de la thèse centrale, évoquant plus lar­gement le destin des vieux croyants, l'histoire du sentiment reli­gieux en Russie, et, en France même, Port-Royal et ses Solitaires. Dans un ordre différent, PIERRE PASCAL a donné en 1948-1949, avant de quitter l'Ecole des langues orientales pour la Sorbonne en 1950, un Cours de russe en trois fascicules dactylographiés, qui reste fidèle à la tradition établie par son maître PAUL BOYER. Enfin

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l'œuvre du traducteur est considérable. Citons seulement, parmi ses productions d'avant 1939, La prise de Jérusalem de JOSÈPHE LE JUIF, texte vieux-russe ... traduit en français (1934), et "Le 'Di­genis' slave ou la 'Geste de Devgenij'", dans Byzantion (1935). Les traductions d'œuvres modernes que PIERRE PASCAL publie tout au long de sa carrière sont généralement accompagnées de préfaces et d'introductions éclairant le rôle et la personnalité des principaux écrivains de la Russie classique: LERMONTOV, GOGOL', TURGENEV, DosTOEVSKI.J, ToLSTOJ. PIERRE PASCAL fait ainsi revivre les plus grands moments de la littérature russe, mais avec une préférence pour DosTm;vsKIJ, auquel il consacrera plus tard (en 1969 ct en 1970) deux importantes monographies.

En 1938, DIMITRI STRÉMOOUKHOFF (1902-1961), ami de PIERRE PASCAL et son futur collègue à la Sorbonne (à partir de 1958), sou­tient en même temps que son aîné ses deux thèses de doctorat, l'une sur Vladimir Soloviev et son œuvre messianique, l'autre sur La poésie et l'idéologie de Tiouttchev. DIMITRI STRÉMOOUKHOFF, qui est un émigré de la haute aristocratie russe, poursuivra pendant plusieurs années encore une modeste carrière de lecteur de langue russe à l'Université de Strasbourg (repliée à Clermont-Ferrand en 1940), et c'est seulement en 1948 qu'il sera appelé à remplacer MAxiME HERMAN dans la chaire de Lille pour les enseignements de langue et de littérature russes.

MAXIME HERMAN est alors (en 1939) dans sa cinquantième année. Parmi les titulaires de chaires, c'est à peu près l'âge de MAR­CELLE EHRHARD, d'ANDRÉ VAILLANT ct de PIERRE PASCAL, seul BOlUS

UNBEGAUN étant nettement plus jeune. Quant aux "anciens" RAOUL LABRY et ANDRÉ MAZON, ils n'ont pas encore soixante ans. Il y a donc une certaine "saturation" des carrières, avec un phénomène de concentration sur une dizaine d'années. Cette circonstance toute conjoncturelle touchant les perspectives de "débouchés", jointe au mauvais état des relations avec l'URSS qui rend prati­quement impossible toute espèce de contact ou d'échange, explique le peu d'attrait qu'exerce sur la jeunesse l'étude du monde slave ct particulièrement du monde russe, de nouveau replié sur lui-même. A tout cela va s'ajouter la cassure des cinq ou six années de guerre. C'est, en fin de compte. toute la génération née dans le premier quart du XX:e siècle qui va sc trouver soit entièrement effacée de l'histoire de la slavistique française, soit retardée jusqu'à l'al'rivéc de la génération suivante, de ceux qui n'auront vingt ans qu'apl'ès la guerre.

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On va voir que ce raccourci est largement confirmé par la situa­tion des études slaves en dehors du domaine proprement russe. La polonistique, qui bénéficie des plus anciennes traditions, est re­présentée à l'Université de Lille par un enseignement régulier de langue et de littérature. Depuis la mort d'ANTOINE MARTEL en 1932, cet enseignement est assuré par MAXIME HERMAN, dont les thèses soutenues en 1939 se rapportent essentiellement au domaine polo­nais: Stanislas Przybyszewski (de 1868 à 1900) et Dostoïevski et Przy­byszewski.

A Paris, la chaire de polonais de l'Ecole des langues orientales est occupée depuis sa création en 1920 par HENRI GRAPPIN. Né la même année qu'ANDRÉ MAzaN et que son ami PAUL CAZIN, HENRI GRAPPIN (1881-1959) a été reçu agrégé de lettres en 1906. C'est seulement plus tard que PAUL CAZIN lui révèle la Pologne à travers son histoire et sa littérature. Le premier ouvrage d'HENRI GRAPPIN, publié en 1916, est une Histoire de la Pologne de ses origines à 1900, augmentée six ans plus tard de larges compléments qui embrassent la période la plus récente de 1900 à 1922. A cette époque, HENRI GRAPPIN, qui vient d'être nommé professeur à l'Ecole des langues orientales, commence une nouvelle carrière de linguiste et de phi­lologue. Il ne donne pourtant qu'en 1942 sa Grammaire de la langue polonaise (2e éd. 1949), qui remplace l'ouvrage épuisé de MEILLET et WILLMAN-GRABOWSKA. Deux ans plus tard, il publie son Introduction phonétique à l'étude de la langue polonaise. Après la guerre, HENRI GRAPPIN manifeste un intérêt accru pour l'histoire de la langue po­lonaise, et plus particulièrement pour son évolution entre le XVIe et le XIXe siècles, donnant deux exposés de grammaire historique, l'un sur Les noms de nombre en polonais (Cracovie 1950), l'autre sur L'histoire de la flexion des noms en polonais (Wroclaw 1956).

PAUL CAZIN (1881-1963) avait été lui aussi candidat à la chaire de polonais de l'Ecole des langues orientales au moment de sa créa­tion, mais on lui préféra HENRI GRAPPIN. Ce .r:omancier, auteur connu de Décadi et humaniste distingué, se tint toute sa vie sur les frontières du monde universitaire. Surnommé 'l'ambassadeur des let­tres polonaises, il s'était passionné pour la Pologne lors d'un voyage qu'il y fit à l'âge de vingt-quatre ans. PAUL CAZIN fut reçu docteur ès lettres d'abord à Lw6w, puis à Paris en 1940, puis à Lyon après la guerre en 1949, avec une thèse intitulée Le prince-évêque de Varmie Ignace Krasicki, 1735-1801. Il enseigna alors l'histoire de la litté­rature polonaise au Centre d'études polonaises de Paris, puis, à partir de 1957, à la Faculté des lettres d'Aix-en-Provence, avant de

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se retirer dans sa ville d'Autun, où il mourut en 1963. PAUL CAZIN eut le grand mérite de faire connaître au public français des œuvres polonaises importantes grâce à un ensemble de traductions très estimées, comme celles de GABRIELA ZAPOLSKA, L'Oraison domi­nicale, JOZEF WEYSSENHOFF, Vie et opinions de Sigismond Podfilipski, WLADYSLAW ST. REYMONT, L'apostolat du knout en Pologne, et sur­tout Les Mémoires de Jean Chrysostome Pasek, gentilhomme polonais. L'ouvrage qu'il présenta comme thèse complémentaire de doctorat d'Etat en 1949 était paru dès 1936 dans la collection des Classiques Garnier, sous le titre Adam Mickiewicz, Pan Tadeusz, Traduction avec introduction et notes.

Dans les années de l'avant-guerre, l'effacement de PAUL CAZIN, joint au fait qu'HENRI GRAPPIN ne s'occupe plus désormais que de langue et de philologie historique, explique une relative stagnation des études littéraires dans le domaine de la polonistique. Tout ce qui se fait ou s'enseigne en matière d'histoire, de civilisation ou de littérature gravite autour des lectorats de province: celui de Lille avec W. GODLEWSKI, celui de Lyon avec ZYGMUNT MARKIEWICZ, celui de Strasbourg avec HELENA CHELMINSKA-STREMOOUKHOFF, celui de Montpellier avec L. KOLODZIEJ, celui de Toulouse avec E. MAREK, sans oublier le lectorat de l'Ecole des langues orientales, qu'assure MARIA WISTI-SZUREK. Pourtant, à la même époque, des ecclésiasti­ques ou des universitaires chargés de mission à Varsovie ou à Cra­covie s'initient à la langue ci à la civilisation polonaises: l'abbé Au­GUSTE BERGA, l'abbé DAVID, JACQUES LANGLADE, AMBROISE JOBERT, PIERRE FRANCASTEL. Parmi ces polonisants de la seconde généra­tion, on verra que JEAN FABRE occupe une place particulière.

Dans le domaine de la bohémistique, après l'époque glorieuse d'ERNEST DENIS, qui révéla au monde universitaire français la cul­ture tchèque et l'histoire de la Bohême, une chaire de tchèque fut créée à l'Ecole des langues orientales en 1921. Mais un enseigne­ment existait déjà dans cette Ecole depuis 1916: il avait été assuré d'abord par EDVARD BENES, alors chargé de cours à l'Université tchèque de Prague et grand ami d'ERNEST DENIS. On note à son pro­gramme: Histoire de la langue tchèque (années 1916-1917) et Evo­lution de la Bohême contemporaine: la renaissance tchèque; les Tchè­ques et les Slovaques au XIXe siècle (année 1917 -1918). L'année suivante, c'est VRATISLAV TROKA qui est chargé du cours de tchèque: plus intéressé par la civilisation que par la langue, il traite du déve­loppement politique et social des Tchècoslovaques aux XIXe et XXe siècles (année 1918-1919). Puis vient le nom du premier titulaire

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de la chaire, AnDE, qui n'enseigne que quelques mois, avant la no­mination en 1922 de FUSCIEN DOMINOIS, dont la carrière va se pour­suivre jusqu'en 1938. La vocation universitaire de FuSCIEN DoMI· NOIS ne s'était éveillée qu'assez tard. Fonctionnaire de l'Admini­stration des Finances, il avait appris le tchèque en autodidacte, et connaissait en outre assez bien le russe. Après 1935, il devait sé­journer à plusieurs reprises en Yougoslavie, d'où il envoya au Po­pulaire des articles toujours richement documentés. Il fut égale­ment correspondant du Temps, de L'Europe nouvelle, de la revue Affaires étrangères, du Monde slave. FusciEN DOMINOIS mourut le 24 octobre 1938, quatre semaines après les accords de Munich, dont son expérience des relations internationales lui permettait de per­cevoir mieux que quiconque le caractère néfaste. Son successeur MARC VEY est alors âgé d'une quarantaine d'années. On le retrou­vera parmi la génération de l'après-guerre.

En ce qui concerne le serbo-croate, tout ce qui s'enseigne et tout ce qui se publie entre les deux guerres dans le cadre de l'Uni­versité tient à l'activité d'ANDRÉ V AILLANT, premier titulaire de la chaire de langue serbo-croate de l'Ecole des langues orientales, créée en 1920. Signalons qu'avant même l'existence de cette chaire un cours libre de serbo-croate avait été ouvert au deux de la rue de Lille. Il fut assuré successivement par MIO DRAG lBROV AC (1916-1920) et par ALEXANDRE ARNAUTOVIé (1918-1920). L'en­seignement d'ANDRÉ VAILLANT à l'Ecole des langues orientales se prolongera jusqu'après la seconde guerre mondiale. C'est seule­ment en 1951 que commencera la carrière universitaire d'HENRI BOISSIN, né dans les premières années de notre siècle.

Pour le bulgare, comme pour le serbo-croate, on peut évoquer, à un siècle de distance, les enseignements de grammaires slaves que LOUIS LEGER donnait en alternance dans le cadre de la chaire de russe de l'Ecole des langues orientales, ceux aussi de LOUIS Au­GUSTE DozoN entre 1885 et 1890. Mais c'est seulement après la pre­mière guerre mondiale, aux termes d'une convention scolaire con­clue en 1920 entre la Bulgarie et la France, qu'un enseignement régulier de langue bulgare est institué à l'Ecole des langues orien­tales. On le confie d'abord à JORDAN lvANOV, qui est détaché de l'Université de Sofia pour professer à Paris. Archéologue pas­sionné et historien du passé bulgare, JORDAN lVANOV (1872-1947) accorde naturellement une place de choix à la vieille langue, qu'il enseigne parallèlement à la langue moderne. Cette tradition sera continuée par LÉON BEAULIEUX, élève de JORDAN lVANOV et son suc-

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cesseur en 1930, titulaire de la chaire de langue bulgare qui est créée en 1932, et qu'il continuera d'occuper jusqu'après la fin de la guerre.

LÉON BEAULIEUX (1876-1965) avait fait des études de philologie classique, passé une licence de lettres (1900), puis une licence de droit (1902). Elève d'ANTOINE MEILLET et de PAUL BOYER, il se con­sacre d'abord au russe, et sa première publication (1912) est une étude sur l'extension des pluriels en -a (-ja) en russe moderne. Mais, après la guerre de 1914-1918, il accorde à l'étude du bul­gare une part de plus en plus large. Il suit assidûment les cours de JORDAN IVANOV dès 1920, et se met progressivement à rassembler les matériaux qui seront à la base de sa Grammaire de la langue bul­gare, dont il publie la Ière édition, avec la collaboration de STEFAN MLADENOV, en 1933 (2e éd. 1950, 3 éd. 1965). La clarté et la rigueur de l'exposition expliquent le succès du livre. La terminologie, d'une grande précision, a fourni à la slavistique française plusieurs déno­minations nouvelles, notamment dans le chapitre consacré au verbe. Retraité en 194 7, LÉON BEAULIEUX aura pour successeur ROGER BERNARD, qui, comme HENRI BOISSIN, appartient à la généra­tion née au début de notre siècle, et entrée relativement tard dans la carrière universitaire.

Quant aux études ukrainiennes, elles ne connaissent en France qu'un développement modeste. On peut certes citer ici encore des cours épisodiques, comme celui que donne LOUIS LEGER au Collège de France en 1904-1905 sous le titre Grammaire de la langue petite russienne. Mais il faut attendre la veille de la seconde guerre mon­diale pour qu'un enseignement régulier d'ukrainien soit créé à l'Ecole des langues orientales. ELIE BoRSCHAK, qui donne un cours libre depuis la rentrée de 1938, est tout naturellement chargé de cet enseignement, qu'il assurera pendant plus de vingt ans, jusqu'à sa mort en 1959. Né en 1892, cet émigré était fixé en France depuis 1919. On lui doit le premier manuel français de langue ukrai­nienne: Lectures ukrainiennes avec grammaire, commentaire et lexique (1946). Préoccupé surtout par l'histoire des relations entre la France et l'Ukraine, travaillant sur des documents de première main, ELIE BORSCHAK a publié de nombreux articles dans le Monde slave, la Russie historique, la Revue d'études slaves. Son livre capital s'intitule La légende historique de l'Ukraine: Istorija Rusov (Collec­tion historique de l'Institut d'études slaves 13, 1949). Un ouvrage antérieur, consacré à Napoléon et l'Ukraine, est paru à L'viv en 1937 (en ukrainien). A la mort d'ELIE BORSCHAK en 1959, l'enseig-

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nement de l'ukrainien est poursuivi par MARIE SCHERRER-DOLGO­ROUKY, elle aussi de la même génération que MARC VEY, HENRI BOISSIN, RoGER BERNARD, qui seront ses collègues à l'Ecole des lan­gues orientales pendant de nombreuses années.

IV. L'après-guerre

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la création d'un concours d'agrégation de russe contribue puissamment au dévelop­pement des effectifs dans un secteur important de la slavistique française. Il y avait bien eu, vers la fin du XIXe siècle, dans tel ou tel lycée parisien, quelques enseignements de russe, mais ils furent toujours marginaux et éphémères. D'ailleurs les slavisants français étaient eux-mêmes partagés sur l'opportunité d'une telle expé­rience. Comme il ressort du compte rendu des réunions tenues par le "groupe des slavisants de Paris" en 1916, LOUIS LEGER estimait que les disciplines de la slavistique n'avaient leur véritable place qu'au niveau de l'Université, tandis que PAUL BOYER était partisan de l'ouverture d'enseignements de russe dans les lycées. Ce dernier point de vue, qui était aussi celui d'ANDRÉ MAzaN, finit par préva­loir, le russe étant introduit comme matière à option dans le cycle des études secondaires en 1944, en attendant la consécration que devait lui apporter l'ouverture, en juin 1947, du premier concours d'agrégation de russe, en exécution d'un décret de juin 1939 insti­tuant ledit concours. Désormais le russe était enseigné sur un pied d'égalité avec l'anglais, l'allemand, l'italien et l'espagnol. Entre 1950 et 1970, le nombre des élèves apprenant le russe devait passer de mille à vingt-mille environ: parmi eux se recruteront la plupart des slavisants de l'actuelle génération.

Le premier agrégé de russe fut JEAN TRAIN, dont la personnalité marqua fortement l'enseignement du russe à l'Ecole des langues orientales, où il succéda à PIERRE PASCAL en 1951 et enseigna jusqu'à sa mort en 1970. Ceux qui vinrent après lui étaient comme lui des anglicistes, ou des germanistes, ou plus souvent des latinis­tes et hellénistes, souvent élèves des Ecoles normales supérieures, et parfois encore, comme leurs aînés, agrégés d'autres disciplines.

Il est pourtant remarquable que, pendant de longues années, et malgré l'indiscutable qualité des talents, la recherche marque le pas, surtout en linguistique et en philologie. Pendant les dix an­nées qui suivent la fin de la guerre, on ne peut guère relever en ce

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dernier domaine que deux titres. Il s'agit d'une part de la thèse d'Université soutenue par FRIEDRICH COCRON en 1953, et publiée en 1962 par l'Institut d'études slaves sous le titre La langue russe dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle (morphologie), d'autre part de la thèse complémentaire, de RoBERT TRIOMPHE sur "o' et "ob' slave (1955), où l'auteur ouvre une voie de recherche intéressante en étu­diant le comportement d'un phénomène limité (""étude d'une pré­position") sur l'ensemble du domaine slave. Mais c'est seulement à partir de 1962, alors que la soutenance de BORIS UNBEGAUN re­monte à vingt-sept ans déjà, que trois thèses principales de doc­torat d'Etat portant sur la langue russe et plus spécialement sur sa syntaxe sont admises à soutenance: celle de JACQUES VEYRENC sur Les formes concurrentes du gérondif passé en russe (1962), dont un chapitre rappelle les traitements de la forme en -v 8 i dans les dia­lectes russes du nord; celle de PAUL GARDE sur L'emploi du condi­tionnel et de la particule by en russe (1963), qui étudie les diffé­rentes valeurs du conditionnel en fonction de la pression du con­texte; celle enfin de CLAUDE ROBERT, intitulée Contribution à l"étude de quelques compléments de temps en russe moderne (1965), où l'au­teur fait intervenir des éléments d'analyse contrastive (russe 1 serbo-croate), comme dans sa thèse complémentaire (Obser­vations relatives à l'étude des préverbes russes, ukrainiens et serbo­croates). Le même projet contrastif se retrouve dans une thèse de 3e cycle soutenue la même année par JEAN-YVES LE GUILLOU: Elé­ments postposés en russe: problème de l'article. Comparaison avec le bulgare et le macédonien (1965). Enfin le vieux slave est représenté par la thèse que soutient trois ans plus tard JACQUES LÉPISSIER, dis­ciple d'ANDRÉ VAILLANT, sur Les "Commentaires des Psaumes" de Théodoret (version slave). Tome I: Etude linguistique et philologique (1968).

Dans le domaine de l'histoire de la littérature, le retard est moins sensible, même si les représentants de la génération née entre les deux guerres tardent encore à se manifester. Deux thèses de doctorat d'Etat soutenues en 1946 inaugurent la nouvelle ""Bi­bliothèque russe de l'Institut d'études slaves" (volumes 20 et 21), qui continue, à partir de cette même année, la ""Bibliothèque de l'Institut français de Leningrad". Il s'agit du livre d'ARMAND Co­QUART sur Dimitri Pisarev (1840-1868) et l'idéologie du nihilisme russe et de celui de SOPHIE BONNEAU (SOPHIE LAFFITTE) sur L'univers poétique d'Alexandre Blok. Le genre de la grande monographie resty ~~. à l'honneur, et on le trouve représenté par les deux thèses de ~\

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CHARLES CORBET, l'une sur Nekrasov, l'homme et le poète, l'autre sur Dobroljubov et son œuvre critique (1948). GEORGES LUCIAN! s'intéresse plus largement à l'ensemble des peuples slaves et aux manifesta­tions du panslavisme dans le premier tiers du XI.Xe siècle (Pansla­visme et solidarité slave au XIXe siècle: la Société des Slaves unis (1823-1825), thèse lettres, 1949, publiée en 1963), tout en privilé­giant le peuple ukrainien dans sa thèse complémentaire, qui est une traduction avec introduction et commentaires du Livre de la Genèse du peuple ukrainien (1949, publiée en 1956).

Les études dostoïevskiennes sont représentées par les deux thèses de JEAN DROUILLY (La pensée politique et religieuse de F. M. Dostoïevski, thèse principale, et Dostoïevski et l'Europe en 1873 (Trad. de textes de Dostoïevski avec une introd. et des notes, thèse com­plémentaire, 1949), ainsi que par les thèses de 3e cycle de GENE­VIÈVE NOUAILLE-ROUAULT (Dostoïevski dans sa famille, 1962) et de BERNARD PAYSAC (L'ambiguïté psychologique de l'enthousiasme à tra­vers l'œuvre de Dostoïewski, 1967). Mais c'est surtout LEV TOLSTOJ et Iv AI:f TURGENEV qui sont alors au centre de la recherche universi­taire. Dès 1928, MILAN MARKOVITCH avait consacré à TOLSTOJ deux études de littérature comparée: Jean-Jacques Rousseau et Tolstoï (thèse principale) et Tolstoï et Gandhi (thèse complémentaire). La thèse d'université de TRAIS S. LINSTROM, soutenue en 1951, publiée en 1952 par L'Institut d'études slaves, apporte une information in­téressante sur Tolstoï en France (1886-1910). Un peu plus tard, NI­COLAS WEISBEIN fait connaître le résultat de ses recherches sur la pensée religieuse de TOLSTOJ: L'évolution religieuse de Léon Tolstoi; thèse lettres, 1957, publiée en 1960, et L'Evangile selon Tolstoi; thèse complémentaire, 1957, publiée en 1969 sous le titre Léon Tolstoi; Abrégé de l'Evangile. Texte présenté, traduit et confronté avec l'édition synodale et la Bible de Jérusalem. Dans cette même période, les études tolstoïennes s'enrichissent encore des deux livres de NINA GOURFINKEL (Tolstoï sans tolstoïsme. Paris, Seuil, 1946) et de SOPHIE LAFFITTE (Léon Tolstoï et ses contemporains. Paris, Seghers, 1960). Quant aux recherches sur TuRGENEV, après la publication par ANDRÉ MAZON, en 1930, des Manuscrits parisiens, elles trouvent leur spécialiste en la personne d'HENRI GRANJARD, qui fait revivre l'écrivain dans le cadre de son époque: Ivan Tourguénev et les cou­rants politiques et sociaux de son temps (thèse lettres, 1952, publiée en 1954). L'étude de ZYGMUNT MARKIEWICZ appartient au domaine de la littérature comparée: Trois exilés politiques: Mickiewicz, Maz­zini, Tourguéniev (thèse lettres, 1957). Dans la même période, deux

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thèses de 3e cycle étudient certains aspects du rayonnement de TURGENEV à l'étranger, celle de lAN liALDANE SMITH sur Tourguéniev, Flaubert et ses amis (1950), et celle de PETER DIENER sur Tourguenev dans la critique hongroise: 100 ans de bibliographie, 1853-1953 (1964).

D'autres travaux sont consacrés à des écrivains du XIXe siècle encore peu étudiés, telle la monographie de KYRA SANINE sur Sal­tykov-Chtchédrine, sa vie et ses œuvres (thèse lettres, 1953, publiée par l'Institut d'études slaves en 1955), la thèse de 3e cycle de VÉRA REISER sur La personnalité de S. T. Aksakov à travers ses œuvres auto­biographiques (1964), celle de VÉRONIQUE LossKY sur Tchéchov et Su­varin (1964), celle de BERNADETTE LORRIAUX sur La doctrine des dissi­dents russes d'après l'œuvre de Melnikov-Petchersky (1968).

Cette période voit également le progrès des recherches pouch­kiniennes, représentées par JEAN-LOUIS BACKÈS avex son Pouchkine par lui-même (Paris, Seuil, 1966), ainsi que par l'étude de JEAN­VICTOR ARMINJON sur Pouchkine et Pierre le Grand (thèse de 3e cycle, 1967) et celle de NINA BouROFF (Etude psychologique des œuvres de A. S. Pouchkine, thèse d'Université, 1952). Mais c'est surtout ANDRÉ MEYNIEUX qui se révèle comme le grand connaisseur de PUSKIN et de son temps. Dès 194 7, il traduit Le festin pendant la peste, et ne cesse dès lors de s'intéresser aux problèmes de la traduction et à l'histoire de cet art difficile, comme en témoignent ses articles parus dans Babel ("Les traducteurs russes avant Pouchkine", 1957; "L'Antiquité gréco-latine en Russie de Pierre le Grand à l'Age d'or", 1961). ANDRÉ MEYNIEUX regrettait les traductions françaises trop souvent infidèles ("Pouchkine traduit, pouchkine trahi", 1955; et, dans les Cahiers d'études littéraires, "Trois stylistes traduc­teurs de Pouchkine: Mérimée, Tourguéniev, Flaubert. Essai de tra­duction comparée", 1962). La traduction des Œuvres complètes de PUSKIN, dont le premier et le troisième volumes paraissent respec­tivement en 1953 et en 1958, marque une époque décisive dans la carrière d'ANDRÉ MEYNIEUX, couronnée par les deux thèses qu'il soutient en 1966 sur Pouchkine homme de lettres et la littérature pro­fessionnelle en Russie (thèse principale) et sur La littérature et le mé­tier d'écrivain en Russie avant Pouchkine (thèse complémentaire).

En cette même année 1966, les deux thèses de JEAN BoNAMOUR sur A. S. Griboedov et la vie littéraire de son temps (thèse principale) et sur D. V. Venevitinov, l'homme et l'œuvre (thèse complémentaire) contribuent à une meilleure connaissance des débuts du classi­cisme russe, tandis que la thèse complémentaire de PAUL GARDE (A.

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S. Si8kov, linguiste et écrivain, 1963) montre l'importance que l'on attachait alors au problème de la langue et de son intégrité.

On voit que la quasi totalité des recherches consacrées à l'his­toire littéraire reste cantonnée au XIXe siècle. L'époque révolu­tionnaire et la période soviétique sont presque entièrement délais­sées, bien que MARCELLE EHH.HAH.D (La littérature russe, Paris, PUF, 1948) et CHARLES COH.BE.'T (La littérature russe, Paris, Colin, 1951) ac­cordent une part non négligeable à la période soviétique, et que JEAN PÉH.US donne en 1949 son Introduction à la littérature soviétique (Paris, Editions sociales). Plus tard paraîtront aux éditions du Seuil le Maïakovski par lui-même de CLAUDE Fmoux et le Pasternak par lui-même de MICHEL AucouTUH.IER. Mais c'est seulement en 1968 que JEAN PÉH.US soutient sa thèse sur Romain Rolland et Maxime Gorki: les relations entre l'écrivain français et l'écrivain russe sont éclairées par l'information que l'auteur puise dans la volumineuse Correspondance de Romain Rolland et Maxime Gorki (thèse complé­mentaire, 1968). La même année paraît également sous la direction de JEAN PÉRUS un Gorki en France, bibliographie des œuvres de Gorki traduites en français, des études et articles sur Gorki publiés en France, en français, de 1889 à 1939. Parmi les quelques rares thèses de 3e cycle se rapportant à la période moderne, citons celle de JUDITH STORA-SANDOR (Isaac Babel, 1894-1941. L'homme et l'œuvre, 1968), celle de MIREILLE GUILLERAY (L'œuvre romanesque de Vera Panova, 1969), ainsi que l'étude thématique de CÉCILE SALES sur La Révolu­tion d'Octobre (1917-1921}, à travers les œuvres littéraires soviétiques de 1917 à 1928 (thèse de 3e cycle, 1965).

C'est aussi vers la fin de cette période que sont publiés deux im­portants ouvrages qui éclairent les rapports culturels et littéraires entre la Russie et la France au XIXe siècle. Il s'agit de la thèse de MICHEL CADOT sur L'image de la Russie dans la vie intellectuelle fran­çaise (1839-1856), soutenue en 1967, et du livre de CHARLES CORBET intitulé A l'ère des nationalismes. L'opinion française face à l'inconnue russe (1799-1894), Paris, Didier, 19q7.

Quant aux études formelles consacrées à une œuvre particu­lière, elles sont peu nombreuses. On ne peut citer que trois titres, se rapportant à la fin de cette période: La forme poétique de Serge Esenin: les rythmes (JACQUES VEYRENC, thèse complémentaire, 1962, publiée en 1968), L'Euripide russe dans la traduction en vers d'I. F. Annenskij (ARMELLE GOUPY, thèse de 3e cycle, 1968) et Contribution à l'étude de l'humour verbal dans l'œuvre de N. S. Leskov (GEORGES SIGAL, thèse de 3e cycle, 1969). Ajoutons-y deux études plus an-

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ciennes qui touchent au domaine du lexique: Recherches sur les in­novations verbales des écrivains russes du XVIIIe siècle: Karamzin (GERTA NEUHAUSER, thèse d'université, 1953) et Le vocabulaire tech­nique de Nicolas Gogol. Les éléments ukrainiens. Questions annexes: les sources de Taras Boul'ba. La critique de Gogol par Kuli8 (JOHN HA­MILTON, thèse complémentaire, 1956).

Enfin l'on observe à l'intérieur de la slavistique une sous-repré­sentation des domaines slave de l'ouest et, plus encore, slave du sud. Si les études de littérature polonaise sont maintenues, c'est en partie grâce aux travaux de JEAN FABRE, qui n'est pas un "slavi­sant" au sens étroit du terme. Professeur de deux cultures, comme l'appelle JEAN LAJARRIGE, à la fois dix-huitiémiste et polonisant, JEAN FABRE (1904-1975) avait été nommé dès 1928 à l'Institut français de Varsovie pour y enseigner la littérature française. Il y demeura jusqu'au début des hostilités de 1939, accumulant pen­dant ces onze années une abondante documentation en vue de sa thèse de doctorat sur Stanislas-Auguste Poniatowski et l'Europe des lumières. qu'il n'allait soutenir qu'après la guerre, en 1950. A partir de 1952, il occupe la chaire de Littérature française du XVIIIe siècle à la Sorbonne. Mais il donne en même temps des cours de lit­térature polonaise dans le cadre de l'Institut de littérature com­parée (de 1953 à 1958). Son enseignement d'alors inspire le livre qu'il publiera en 1963 sous le titre Lumières et romantisme, énergie et nostalgie de Rousseau à Mickiewicz. JEAN FABRE développe dans cet ouvrage une réflexion critique tendant à effacer la séparation qu'un schéma traditionnel établit entre le siècle des Lumières et l'époque romantique: "énergie" et "nostalgie" constituent pour lui une polarité fondamentale dont il retrouve la présence aussi bien chez les représentants du siècle des Lumières que parmi les Ro­mantiques. Dans la communication qu'il présente à Varsovie en novembre 1959, lors du colloque consacré à Juuusz SLOWACKI, et qui s'intitule Godzina mysli et les deux visages du romantisme, JEAN FABRE démontre la présence de cette même opposition au sein du romantisme polonais, le principe de l""énergie" étant incarné dans Pan Tadeusz de MICKIEWICZ, tandis que SLOWACKI représente le principe de la "nostalgie".

Le spécialiste de SLOWACKI était alors JEAN BOURRILLY, disciple de JEAN FABRE, dont il devait reprendre le cours de polonais à la Sorbonne. Agrégé d'anglais en 1936, JEAN BoURRILLY (1911-1971) avait appris le polonais en captivité. Après la Libération, il devint directeur de l'Institut français de Cracovie. Il y demeura quatre

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ans, profitant des conseils que lui prodiguaient les meilleurs spé­cialistes polonais pour entreprendre une étude du romantisme po­lonais à travers la personnalité et l'œuvre du poète SLOWACKI. JEAN BOURRILLY soutint ses thèses en 1960. La principale portait sur La jeunesse de Slowacki, tandis que la complémentaire était une tra­duction commentée de Balladyna, œuvre majeure de SLOWACKI. En cette même année 1960, JEAN BoURRILLY est élu à la chaire de langue et littérature polonaises que la Sorbonne vient de créer. Dé­sormais, il va se consacrer à une œuvre de traducteur qui n'a que peu d'équivalents. Signalons ses traductions de SLOWACKI (Anhelli, Lettres à ma mère), de MICKIEWICZ (fragments de Pan Tadeusz, ainsi que les Sonnets de Crimée en vers assonancés), de JAN KOCHANOWSKI (Le Satyre, les Fraszki, les Piesni, Odprawa), de ZYGMUNT KRASINSKI (Nieboska, Irydion), et même de CYPRIAN NORWID, avec quelques fragments de son Vademecum.

Bien différent de JEAN BOURRILLY en ce sens qu'il se montre avant tout préoccupé de problèmes linguistiques, ETIENNE DECAUX (1926-1976), qui avait entrepris à Paris des études classiques, tout en fréquentant les cours d'HENRI GRAPPIN à l'Ecole des langues orientales, fut envoyé comme boursier à Cracovie en avril 1948, et il y fréquenta les cours de l'Université Jaguellonne. Il n'avait pas encore trente ans quand il soutint ses thèses de doctorat, l'une sur La morphologie des enclitiques polonais, l'autre sur Le braille dans les langues slaves (écriture intégrale). Nommé en 1957 professeur à l'Ecole des langues orientales, il se consacre entièrement à des acti­vités d'enseignement et de recherches. Il a laissé des Cours de gram­maire polonaise polycopiés, réédités plus tard sous le titre de Le­çons de grammaire polonaise (4e éd. en 1978). En 1972, ETIENNE DECAUX devait prendre à l'Université de Nancy la succession de ZYGMUNT MARKIEWICZ, titulaire de la chaire de langue et littérature polonaise (créée en 1955) et appelé à la Sorbonne en remplacement de JEAN BoURRILLY, décédé en 1971. Outre sa thèse principale déjà citée (Trois exilés politiques .. .), ZYGMUNT MARKIEWICZ était l'auteur d'une thèse complémentaire sur Le monde polo~ais dans l'œuvre et la vie de Prosper Mérimée (1957).

Les études de littérature tchèque sont représentées par la thèse complémentaire d'HENRI GRANJARD, soutenue en 1952, sur Macha et la Renaissance nationale en Bohême. Dans les recherches de langue, MARc VEY, successeur de FusciEN DOMINOIS à l'Ecole des langues orientales en 1938, apporte un esprit résolument nouveau. Elève d'ANTOINE MEILLET et de PAUL BOYER, MARC VEY (1899-1979)

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s'est intéressé aux nouvelles théories linguistiques qui laissaient alors indifférents la plupart de ses collègues russisants. Il a été le premier slavisant français à tenter l'application des méthodes sta­tistiques au matériau du lexique et de la langue. Il a donné des points de vue originaux sur les catégories spécifiques du verbe tchèque. On lui doit aussi plusieurs articles sur des problèmes d'étymologie. MARc VEY s'est montré surtout grand amateur des enquêtes de terrain, et c'est à ce type de recherche que se rapporte son œuvre majeure, intitulée Morphologie du tchèque parlé (Collec­tion linguistique de la Société de linguistique de Paris, 1946). Ce livre audacieux, qui était prêt dès 1923, réagissait alors fortement contre les préjugés de la période puriste des années vingt. L'en­seignement de MARC VEY fut bientôt interrompu par la guerre. Malgré le dévouement d'ANDRÉ MAZON, qui assura une suppléance en 1939-1940, le tchèque fut à peu près complètement délaissé jusqu'en 1945, année ou MARC VEY réintégra sa chaire pour une pé­riode de vingt ans. En 1965, c'est YVES MILLET qui fut élu dans la chaire de langue tchèque de l'Ecole des langues orientales. Il avait soutenu dix ans plus tôt sa thèse de doctorat sur Les postverbaux en tchèque (thèse principale, publiée en 1958).

Dans le domaine des langues slaves du sud, HENRI BOISSIN prend, en 1951, la relève d'ANDRÉ VAILLANT dans la chaire de la rue de Lille. A côté du serbo-croate, HENRI BOISSIN organise un enseig­nement de macédonien, qui sera confié à Mme JORDANKA FOULON, et il envisage également un enseignement de slovène. Il est l'auteur d'une étude linguistique sur Le Manassès moyen-bulgare (Biblio­thèque d'études balkaniques de l'Institut d'études slaves 7, 1946). HENRI BOISSIN maîtrisait l'ensemble des langues de la péninsule balkanique, et il a laissé à sa mort en 1975 une grammaire de l'al­banais, qui attend un éditeur.

Dans la chaire de langue bulgare, où il succède à LÉON BEAU­LIEUX en 194 7, ROGER BERNARD donne un enseignement rigoureux dont ont bénéficié de nombreux slavisants de la génération actu­elle. Il oriente volontiers ses disciples vers l'étude des vieux textes, et publie lui-même régulièrement des articles et des notules qui mettent en évidence sa science étymologique, ainsi que sa connais­sance de l'histoire et des re ali a. V ers la fin de sa carrière, grâce aux nouvelles dispositions réglementaires, RoGER BERNARD a pu soutenir sa thèse de doctorat d'Etat ""sur l'ensemble de ses tra­vaux". Enfin il a donné, pendant plusieurs années, un cours de vieux slave à l'Université de Paris-Sorbonne.

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Quant à l'enseignement de l'ukrainien, il est continué à partir de 1959, date de la mort d'ELIE BORSCHAK, par MARIE SCHERRER­DOLGOROUKY, qui deviendra professeur titulaire le 1er octobre 1966. Cet ancien professeur du lycée français de Prague a main­tenu, après la guerre, le service de la Bibliothèque de l'Institut d'études slaves, tout en poursuivant ses travaux sur les '"dumy" ukrainiennes et sur l'écrivain tchèque JAN NERUDA.

Outre la chaire d'ukrainien, fondée en 1966, les enseignements de langues slaves à l'Ecole des langues orientales s'enrichissent, au cours des deux décennies de l'après-guerre, de deux nouvelles chaires de russe (1954 ct 1965). Mais c'est surtout dans les Univer­sités que progresse l'implantation du russe. Une douzaine de chaires, dont la plupart comportent des lectorats d'autres langues slaves, sont créées en province et à Paris: à Bordeaux (1945), à Rennes (1950), à Clermont-Ferrand (1953), à Nancy (1955), à Aix­en-Provence (1956), à Poitiers (1959), à Caen (1960), à Grenoble (1962), à Toulouse (1962), à Paris-Nanterre (1965), à Paris-Sor­bonne (1958 et 1967). En même temps se constituent, dans plu­sieurs universités de province, de nouveaux centres de recherches où les contacts se multiplient avec des collègues étrangers ou avec des collègues français de même discipline ou de disciplines voi­sines.

Cette période voit aussi le développement des études consa­crées à l'URSS. Les rapports entre spécialistes français ct soviéti­ques se sont en effet sensiblement accrus à partir de 1960, ainsi que les possibilités de déplacements et de séjours d'étude dans les pays de l'est. Une initiative de grande importance a marqué l'année 1959: c'est la fondation des Cahiers du monde russe et sovié­tique, publiés par la VIe section de l'Ecole pratique des hautes études. On y trouve des articles se rapportant à l'ensemble du monde soviétique, et touchant aussi bien à la politique et à l'his­toire qu'à la littérature. Cette revue comporte aussi une bibliogra­phie des ouvrages et articles concernant la R~ssie et l'URSS. En outre, elle donne une information régulière sur les thèses publiées en France. Deux directeurs d'études de la VIe section se consa­crent à des recherches concrètes sur l'économie soviétique: HENRI CHAMBRE, nommé en 1957, et BASILE KERBLAY, nommé en 1958. Le premier publie en 1967 Union soviétique et développement écono­mique, et le second en 1968 Les marchés paysans en URSS.

En 1959 également MousKHELY fonde à Strasbourg le '"Centre de recherches sur l'URSS et les Pays de l'Est de Strasbourg", qui

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IIISTOIIŒ D~; LA SLAVISTIQUE FRANÇAIS~; 2S5

publie de 1960 à 1968 une revue trimestrielle sous le titre L'URSS et les pays de l'Est: Revue des revues, puis, à partir de 1965, un Annu­aire de l'URSS. ainsi que deux volumes sur l'URSS, recueils d'ar­ticles spécialisés et de documents (1962 et 1964). P. LAVIGNE, suc­cesseur de MousKHELY à la direction du Centre de Strasbourg, étudie plus particulièrement les problèmes liés au fonctionnement de l'économie en régime soviétique (Le problème des prix en URSS, en collaboration avec H. DENIS, 1965).

Au sein de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, le Centre d'Etudes des Relations Internationales a une section "URSS ci Europe de l'Est" dirigée par HÉLÈNE CARRÈRE D'ENCAUSSE, auteur de Réforme et Révolution chez les Musulmans de l'Empire russe, 1897-1924 (Paris, Colin, 1966).

Les études historiques ont été par ailleurs renforcées à l'Ecole des langues orientales, où il existe deux chaires de géographie, his­toire et civilisation de l'Europe orientale. La première, créée en 1946, a été occupée successivement par ALFRED FrcHELLE (1945-1961), MICHEL LARAN (1961-1967) ct DENISE EECKAUTg (à partir de 1968); la seconde, créée en 1959, est occupée depuis cette date par ROBERT PHILIPPOT.

Quant à la chaire Ernest-Denis, après la retraite de LOUIS EI­SENMANN en 1938, elle a perdu successivement trois titulaires en 1943 (JACQUES ANCEL), 1944 (MICHEL LHÉRITIER) et 1946 (JEAN MouSSET). Puis en 1950, VICTOR-L. TAPIÉ a repris un enseigne­ment quelque temps interrompu. En 1955, VICTOR TAPIÉ a pour successeur ROGER PoRTAL, qui crée en 1960 un Centre de re­cherches sur l'histoire des Slaves, tout en préparant son ouv­rage sur Les Slaves, Peuples et Nations (Colin, 1965). L'élection de ROGER PORTAL à la présidence de l'Institut d'études slaves en 1959 montre assez l'importance que les slavisants français ac­cordent alors aux études historiques.

D'autres travaux d'histoire sont dûs à MICHAEL CONFINO (Do­maines et seigneurs en Russie vers la jin du XVIIIe siècle. Etude de structures agraires et de mentalités économiques. Paris, lES, 1963, thèse soutenue cu 1959), à MARC FERIW (La révolution de 1917. Paris, Aubier, 1967), à ALAIN BESANÇON (Le tsarevitch immolé, la sym­bolique de la loi dans la culture russe, Paris, Plon, 1967), à FRANÇOIS­XAVIER COQUIN (Sibérie, peuplement et immigration paysanne au XIXe siècle, Paris, lES, 1969).

Enfin la tradition des études byzantines est solidement main­tenue. ANDRÉ GRABAR, spécialiste de la civilisation de Byzance et

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du monde slave, a d'abord enseigné à l'Université de Strasbourg (1936-1937) avant de succéder à GABRIEL MILLET à laVe section de l'Ecole des hautes études ( 1937 -1969). De 1946 à 1966, il ens­eigne également au Collège de France, où PAUL LEMERLE lui succé­dera. A la Sorbonne, le Centre de recherches d'histoire et civilisa­tion byzantines a été successivement dirigé, après CHARLES DIEHL, par RODOLPHE GUILLAND de 1937 à 1958, puis par PAUL LEMERLE de 1958 à 1967, puis par HÉLÈNE AHRWEILER à partir de 1967.

V. La dernière décennie

Les changements survenus dans l'Université française à partir de 1968 ont entraîné la création de nouvelles chaires de slavis­tique: leur nombre a pratiquement doublé en l'espace de quatre ou cinq ans. On enseigne actuellement le russe dans les jeunes uni­versités de Rouen, de Nice, de Besançon, de Saint-Etienne, de Pau, de Tours et d'Amiens. Il existe deux chaires de russe à Lille, à Strasbourg, à Bordeaux, à Grenoble, trois à Aix-en-Provence. On compte aujourd'hui pour la seule slavistique sept professeurs à l'Université de Paris-Sorbonne, trois à l'Université de Paris-Nan­terre, quatre à l'Université de Paris-Vincennes (ancien Centre uni­versitaire de Vincennes, créé en 1968), cinq à l'Ecole des langues orientales, devenue Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).

ANDRÉ V AILLANT n'a pas eu de successeur pour la slavistique dans sa chaire du Collège de France. Quant à l'enseignement de l'Ecole des hautes études, il a changé de nature, la direction d'études de Langues et littératures slaves du Moyen Age ayant été transformée en 1972, après le décès de JACQUES LÉPISSIER, succes­seur d'ANDRÉ V AILLANT, en direction d'études d'Histoire et philo­logie russes médiévales (titulaire actuel: VLADIMIR VODOFF).

Comme par le passé, les activités de la slavistique française res­tent coordonnées par l'Institut d'études slaves, devenu Institut na­tional des études slaves (INES) en 1976. JEAN BoNAMOUR, succes­seur de ROGER PORTAL à la tête de cet institut, poursuit avec le nouveau président YVES MILLET l'œuvre de ses prédécesseurs. De nombreux colloques sont organisés chaque année sur des thèmes se rapportant à l'histoire, à la littérature et à la linguistique. Les collections de l'Institut d'études slaves s'enrichissent de publica­tions nouvelles à un rythme accru, surtout la "Collection historique

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de l'Institut d'études slaves" (vingt-sept tomes en 1980), la "Biblio­thèque russe de l'Institut d'études slaves" (cinquante-huit tomes en 1980, les "Documents pédagogiques de l'Institut d'études slaves" (vingt-quatre tomes en 1981). Une collection nouvelle, celle des "Lexiques de l'Institut d'études slaves", a été lancée en 1978, et compte déjà cinq titres en 1981. Enfin, grâce à son secrétaire gé­néral SERGE AsLANOFF, l'Institut d'études slaves a réalisé en 1969 (et remis à jour jusqu'à l'année 1972) une somme d'informations portant sur l'Institut d'études slaves lui-même, sur les bibliothè­ques, sur les thèses de doctorat (thèses soutenues et thèses ins­crites), sur l'enseignement supérieur et la recherche, sur l'ensei­gnement du second degré, sur les relations culturelles avec les pays slaves.

La Revue des études slaves paraît maintenant, depuis 1979, à raison de quatre fascicules par an, avec une partie bibliographique simplifiée et ouverte désormais à des comptes rendus critiques étendus. L'enseignement du russe publie surtout des articles de ca­ractère pédagogique, ainsi qu'une bibliographie des principaux ouvrages susceptibles d'être utilisés dans la pratique de l'enseigne­ment. Cette revue est l'organe de la Société des professeurs de russe (SPR), créée en 1968, et présidée successivement par HENRI GRANJARD, RENÉ L'HERMITTE, JACQUELINE DE PROYART et MICHEL Au. COUTURIER. Tout en s'efforçant de maintenir à tous les niveaux une liaison permanente entre l'enseignement et la recherche, la Société des professeurs de russe, membre de l'association internationale de la MAPRJAL, a pour objectif essentiel d'assurer la défense et la diffussion du russe.

D'autres revues ont été créées en province, notamment les Ca­hiers de linguistique, d'orientalisme et de slavistique (CLOS, Aix-en­Provence, à partir de 1973, interrompus pour raison économique en 1977), et les Cahiers de linguistique slave (Grenoble, à partir de 1975).

Dans le même temps, le rythme des soutenances de thèses s'est fortement accéléré, et la recherche, trop longtemps dispersée, tend désormais à s'organiser selon des directions plus nettes. Pour ce qui concerne les études linguistiques ou philologiques, on peut re­grouper les différents thèmes abordés sous une dizaine de rubri­ques, d'ailleurs inégalement représentées.

1. Histoire de la langue. Après les travaux d'ANDRÉ VAIL­LANT, les éditions et commentaires de textes rédigés en vieux slave ou en slavon se sont raréfiés. On n'en accordera que plus d'attention à la

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thèse de 3e cycle de KATIA GUILLOU-TCHEREMISSINOFF, intitulée Recher­ches sur le lexique des chroniques slaves traduites du grec au Moyen Age (1981). Il faut noter aussi l'édition, avec traduction, introduction et commentaires, de L'Echelle de Jean Climaque dans le manuscrit du monastère de Rila (HÉLÈNE COURTIN, 1981). Le domaine proprement russe est exploré grâce à l'utilisation de méthodes statistiques dans l'étude que RENÉ L'HERMITTE consacre à La phrase nominale en russe (thèse lettres, 1970, publiée en 1978), ct dont les conclusions vont dans le sens de la thèse de GAUTHIOT sur le substrat finno-ougrien. MOSHÉ TAUBE présente de son côte un commentaire linguistique de la Chronique moscovite, appuyé lui aussi sur des dépouillements ex­haustifs (Les formes verbales et leurs emplois dans la Chronique mosco­vite de la jin duXVème siècle, thèse de 3ème cycle, 1979). La syntaxe de la phrase vieux-russe fait l'objet des travaux de MARCEL FERRAND, qui s'attache à en reconstruire l'architecture, prenant ainsi parti contre les nombreux auteurs pour qui le bas slavon est une langue en état de dégénérescence (Le participe (gérondif) coordonné au verbe principal en msse ancien (thèse du participe prédicat), doctorat d'Etat, 197 5). Enfin dans sa thèse intitulée De la liberté au figement dans la prose russe de la Jin du XVIII ème siècle (thèse lettres, 1979), PHILIPPE ÜZOUF aborde une période jusqu'alors étrangère aux préoccupations des linguistes sla­visants français.

2. Etudes lexicales. Sans rompre entièrement avec la tra­dition étymologique (ANDRÉ VAILLANT, ROGER BERNARD}, le vocabu­laire est étudié de plus en plus dans ses rapports avec l'évolution culturelle ou avec les formes institutionnelles. Ainsi conçues, les études de lexique peuvent aider à éclairer certains aspects mal connus de l'histoire sociale ou politique en Russie, comme le mon­trent les recherches de VLADIMIR VüDOFF sur "La 'dette musulmane' et la 'dette russe' dans le traité conclu en 1389 entre Dimitrij Donskoj et Vladimir Andreevic de Serpuchov" (1977), ainsi que ses deux importants articles de 1978: "Contribution à l'histoire du vo­cabulaire politique de la Russie moscovite (remarques sur l'emploi du terme o tc in a / vot ci na)" et "Remarques sur la valeur du terme 'tsar' appliqué aux princes russes avant le milieu du XVe siècle". C'est dans le même esprit, mais avec application au monde moderne, que RENÉ L'HERMITTE a dirigé en 1979 un numéro de la Revue d'études slaves (52/4) spécialement consacré à l'emprunt dans les langues slaves. Deux thèses soutenues récemment s'inté­ressent au problème de l'emprunt en tant qu'il révèle et permet d'apprécier des phénomènes de civilisation. L'une a pour auteur

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1-liSTOIIŒ L>K LA i:'lLAVISTIQUK Fl~ANÇAISK

BRANKO FRANOLIC (Les mots d'emprunt français en croate, thèse let­tres, 1977), l'autre a été présentée par TADEUSZ EDWARD DOMANSKI (Les emprunts français dans le lexique polonais, thèse de 3e cycle, 1978). SERGE FÉRY étudie les caractères particuliers de la langue utilisée par les scientifiques: Fondements linguistiques et méthodolo­giques de l'enseignement du russe en France (thèse de 3e cycle, 1975). A signaler enfin la thèse de 3e cycle soutenue tout dernièrement par BRONJA BEN-YAKOV sur L'argot des détenus du goulag (1981).

3. Phonétique et phonologie. La série des '"Documents pédagogiques de l'Institut d'études slaves" a publié deux livres dont l'intérêt dépasse le plan purement pédagogique: Les neutrali­sations en russe moderne: phonologie synchronique (1974) par JEAN­PAUL SÉMON, et La transcription des noms propres français en russe (1974) par PAUL GARDE. JEAN DURIN expose, dans un article de 1977, sa '"Théorie du jokanié. Phonétique, phonologie". La prise en compte des traits acoustiques, l'utilisation conséquente de la mé­thode statistique et l'orientation didactique de la recherche font l'originalité de la thèse de 3e cycle d'OKSANA BIGARD (Interférence linguistique et confusions perceptives et locutives entre voyelles russes et françaises, 1975). PAUL GARDE enfin vient de publier la premier tome de sa Grammaire russe (Phonologie, morphologie, 1980), dont la première partie (Phonologie) donne une description scientifique et exhaustive du système. La comparaison de cette partie phonolo­gique avec les exposés de phonétique que l'on trouve encore dans la quatrième édition de la Grammaire de la langue russe d'ANDRÉ MAZON ( 1963) permet de mesurer l'importance du chemin parcouru au cours des deux dernières décennies. Par ailleurs l'étude des faits d'intonation, si importante dans la pratique de l'enseignement, a sensiblement progressé grâce à la thèse de 3e cycle d'IRÈNE Fou­GERON (De l'intonation dans les phrases interrogatives russes, 1971). Une autre contribution à la pédagogie des langues est celle de Do­LORÈS HAUDRESSY (Méthodologie et pratique des automatismes du russe parlé en laboratoire de langues, thèse de 3e cycle, 1974).

4. M or ph o syntaxe . Parmi les thèses soutenues dans ce do­maine, citons celle de MARIE-LOUISE JosT (Contribution à l'étude de l'emploi des réfléchis en russe moderne, thèse lettres, 1974), celle de DA­NIEL ALEXANDRE (L'emploi des diminutifs en russe moderne, thèse let­tres, 1979), ainsi que l'étude de MICHÈLE LANNOY sur La syntaxe des nu­méraux en russe moderne (3e cycle, 197 5). Il semble que la théorie mor-

. phonologique n'ait pas rencontré beaucoup d'écho chez les slavisants français, jusqu'à la Grammaire russe de PAUL GARDE (1980), qui con-

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sacre un chapitre à la définition formelle des morphèmes dans leurs rapports avec le mot et utilise une transcription morphonologique.

5. Syntaxe structurale. Ici les influences ont été mar­quantes. C'est la théorie de JURIJ DERENIKOVIC APRESJAN qui inspire LISE GRUEL-APERT dans sa recherche sur les "'complexes syntaxi­ques" (thèse de 3e cycle, 1970). D'IGOR' ALEKSANDROVIC MEL'CUK et de l'école syntaxique de Leningrad dérive une partie au moins de la conception exposée par DENIS PAILLARD dans Voix et aspect en russe contemporain (thèse de 3e cycle, 1976, publiée en 1979). Dans ses études consacrées aux propositions impersonnelles, MARGUERITE GUIRAUD-WEBER donne la priorité au principe fonctionnel, selon la ligne de GALINA ZOLOTOVA. Signalons aussi Les propositions infini­tives en russe (JACQUES VEYRENC, 1979), dont le dernier chapitre re­lance la discussion sur le tour Ne c ego del at' (PAUL GARDE, "L'analyse de la tournure russe Mne necego delat '", 1976).

6. Aspect o log i e. La tradition aspectologique de l'école fran­çaise (ANTOINE MEILLET, ANDRÉ MAZON, ANDRÉ V AILLANT) a été enri­chie par les apports de JURIJ SERGEEVIC MASLOV, de BONDARKO, d'ALEKSANDRISACENKO. Aux noms déjà cités (DENIS P AILLARD,JACQUES VEYRENC et ses Etudes sur le verbe russe, 1980), il faut ajouter celui de JEAN-PAUL SÉMON, auteur d'une thèse de doctorat d'Etat intitulée Ex­pression de l'acte passé en russe moderne, Essai de syntaxe sémantique (1982): l'élaboration d'un outil terminologique entièrement neuf commande l'approche de la problématique. Signalons aussi les tra­vaux de MARx PRADOUX, dont la thèse de 3e cycle, soutenue en 1972, porte sur Les verbes de déplacement en russe (verbes simples), d'ISABELLE KoLITCHEFF (Emploi des critères sémantiques dans le choix de l'aspect verbal russe, 3e cycle, 1979), et surtout de JACQUELINE FONTAINE (Le rôle du texte dans l'analyse linguistique. Application à la description de l'aspect verbal en russe contemporain, thèse lettres, 1981)4 •

7. Grammaire contrastive. Plusieurs titres de thèses an­noncent des études de linguistique contrastive, appliquées à des domaines particuliers, comme celui de l'aspeqt (Aspect verbal et énoncé en russe et en polonais, thèse lettres, 1980, par HÉLÈNE WLO­DARCZY"K), ou celui des constructions impersonnelles (ZDRAVKO GUE-

4 On doit au même auteur une monographie sur Le Cercle linguistique de Prague (Paris, Marne, 1974). De telles études sur l'histoire de la linguistique dans les pays slaves sont rares. Noter pourtant la thèse de 3e cycle de ZLATKA

GuENTCHÉVA-DESCLÉS: Présentation critique du modèle applicationnel de S. K. Saumjan, 1975.

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ORGUIEV, thèse de 3e cycle, 1974), ou encore celui de la grammaire des cas (Relations actantielles en russe et en espagnol, 3e cycle, 1981, par HÉLÈNE GBALLOU). Mais on peut dire qu'en général la théorie de l'analyse contrastive, en tant que fragment d'une typologie géné­rale, n'est pas encore réellement représentée dans la slavistiquc française.

8. Etude s du discours . La recherche est ici solidement ap­puyée sur une tradition qui, aprés BOHUMIL MATHESIUS, s'est large­ment et diversement développée. C'est ce dont témoignent les re­cherches de JEAN-PIERRE BENOIST, dont la thèse de doctorat a été consacrée aux Fonctions de l'ordre des mots dans les romans et nou­velles de Gorki ( 1977, publié en 1979): il est remarquable que l'au­teur, par le biais de la "division actuelle", aborde l'étude stylistique de textes concrets et étendus. D'autre part, la théorie des styles de discours telle qu'on l'entend en URSS a fait l'objet d'un article lar­gement informé de CLAUDE ROBERT: "A la recherche des fonde­ments de la norme en russe moderne" (1977). Enfin un recueil inti­tulé Essais sur le discours politique (Université de Grenoble, 1980/1981) vient de faire connaître une série d'articles dont les au­teurs, groupés autour de JEAN BOURMEYSTER, appliquent au dis­cours de la propagande soviétique des méthodes d'analyse séman­tique inspirées de JULES GREIMAS.

9. Théorie de la traduction. Bien que l'influence stimu­lante de l'école moscovite contemporaine (VLADIMIR GRIGOR'EVIO GAK) se manifeste partiellement au niveau des enseignements, on n'a pas encore vu paraître de travaux d'ensemble sur la théorie de la traduction du russe au français. La situation au plan de la doc­trine est donc à peu près celle que l'on a rencontrée dans le do­maine voisin de la grammaire contrastive, quelle que puisse être par ailleurs l'activité des séminaires de traduction organisés dans plusieurs universités (Paris-Sorbonne, Paris-Nanterre, Paris III), quelle que soit surtout la richesse de l'école française des traduc­teurs opérant plus spécialement à partir du domaine slave.

10. Accentologie. Si l'on considère que le livre d'ALEXIS STRYCEK (Rukovodstvo po russkomu udareniju, 1966) n'a d'autre pré­tention que de fournir un répertoire complet des formes accen­tuées du russe contemporain, on peut dire que l'accentologie n'a été représentée dans la slavistique française que par les travaux d'ANDRÉ V AILLANT, sans qu'il faille pour autant négliger les études ponctuelles de PAUL BOYER, d'ANTOINE MEILLET et de LUCIEN TES­NIÈRE. L'Histoire de l'accentuation slave de PAUL GARDE (1976)

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marque donc une époque dans ce domaine. L'auteur apporte ici le bilan de longues recherches dont une douzaine d'articles parus à partir de 1965 ne donnaient encore que des aperçus successifs, même si les bases théoriques se trouvent déjà définies, au plan de la linguistique générale, dans L'accent (Paris, P. V. F., 1968). L'idée que les morphèmes sont doués de propriétés accentuelles, en vertu desquelles on peut définir des classes de morphèmes et construire un système de régies permettant de prévoir l'accent de mot, est à la base de la partie morphologique de la Grammaire russe (déjà citée) du même auteur.

• Quelques rares études particulières concernant les langues slaves autres que le russe seront mentionnées postérieurement (en même temps que les études de caractère littéraire). Mais on note dès maintenant que leur nombre est infime. On a déjà dit d'autre part que la recherche en matière d'histoire de la langue (vieux slave, vieux russe, slavons) était aujourd'hui menacée d'extinction, et que les études contrastives n'avaient pas encore dépassé le stade d'une approche empirique. Ajoutons, pour compléter la partie né­gative de ce bilan, qu'en dehors de deux ou trois titres la langue ac­tuelle n'est pratiquement pas étudiée, ni en elle-même, ni dans ses rapports avec les influences qui peuvent jouer sur tel ou tel groupe d'émigration à l'intérieur da la communauté française. Enfin les études de stylistique sont presque entièrement délaissées.

• En ce qui concerne les recherches consacrées à l'histoire de la littérature russe, elles se regroupent autour de trois grands do­maines. Pour le XVIIIe siècle d'abord, IvAN ANDREEVIO KRYLOV a fait l'objet de deux thèses de doctorat soutenues en 1970 et 1971: la première est celle de FRANÇOIS DE LABRIOILE, qui situe le fabuliste dans le contexte de son époque (Ivan Andreevic Krylov, ses œuvres de jeunesse et les courants littéraires de son temps {1768-1808-1844), la seconde a pour auteur MAURICE CouN, qui propose une étude thé­matique de l'ensemble des fablesS, tout en s'intéressant au pro-

5 MAURICE CoLIN a d'autre part présenté comme thèse complémentaire une traduction avec commentaire des Fables de Krylov (publiée en 1978). Il avait aussi donné à la "Bibliothèque de la Pléiade" une traduction avec notice et notes de Griboïedov, Le malheur d'avoir de l'esprit (1973). On lui doit encore une traduction rythmée d'Eugène Oniéguine de Pouchkine (1980), qui complète l'œuvre monumentale d'ANDRÉ MEYNIEUX, dont le Pouchkine, Œuvres complètes (t. 1, 1953, t. 3, 1958) était resté inachevé pour le tome 2, destiné justement à contenir l'œuvre poétique, et qui ne devait être réalisé que beaucoup plus tard, grâce à l'initiative d'EFIM ETKIND (1982).

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blème de leur genèse (Krylov fabuliste. Etude littéraire et historique, thèse publiée en 1975). Un peu plus tard, en 1976, ALEXIS STRYCEK a donné son livre sur La Russie des lumières. Denis Fonvizine, pré­senté trois ans plus tôt comme thèse de doctorat d'Etat sous le titre. D. I. Fonvizine. L'homme et l'œuvre. C'est aussi à la fin du XVIIIe siècle que se rapporte l'ouvrage d'ANDRÉ MONNIER sur Les revues satiriques de Nicolas Novikov (thèse lettres, 1976, publiée en 1981). Et c'est encore à la même période qu'appartient l'une des rares études de stylistique historique que l'on puisse mettre à l'actif des slavisants français: il s'agit de la thèse déjà citée de PHI­UPPE ÜZOUI<' sur la prose russe à la fin du XVIIIe siècle (1979).

A côté de ces "'"dix-huitiémistes", une place importante revient aux spécialistes des deux grands écrivains classiques LEv TOLSTOJ et FEDOR DOSTOEVSKIJ. Les thèses de 3e cycle consacrées à LEV TOLS­TOJ se limitent généralement à un aspect particulier de la problé­matique de l'œuvre: Les idées pédagogiques de Tolstoï (DOMINIQUE MAROGER, 1972); Tolstoï et l'histoire dans la Guerre et la paix (ALB~;rtT MOINE, 1974); La pensée et l'œuvre pédagogique du comte Léon Tolstoï (FÉUX PEYROCHE, 1974); Les conceptions de Tolstoï sur l'occident (DI­MITRI SOROKINE, 1978). Il en est de même pour la thèse de DAVID GOLDSTEIN sur Dostoïevski et les Juifs (1974). Mais DOSTOEVSKIJ ins­pire en général des travaux d'une plus grande ampleur, qu'il s'agisse des monographies de PIERRE PASCAL (Dostoïevski, 1969; Dostoïevski, l'homme et l'œuvre, 1970), ou des trois thèses de doctorat soutenues sur cet auteur au cours des dernières années: en 1972, JEAN-LoUIS BACKÈS fait le bilan des influences exercées en France par DosTOEVSKIJ pendant le demi-siècle qui suivit sa mort (Dostoïevski en France, 1880-1930); en 1978,JACQUESÜATTEAU, grâce à une documentation riche et précise, renouvelle d'une manière fondamentale l'approche méthodologique de l'œuvre (La création littéraire chez Dostoi'evski}; enfin en 1979 LOUIS ALLAIN apporte sa contribution à la connaissance psychologique du grand écrivain (La personnalité de Dostoïevski). On notera par ailleurs qu'en 1974 JACQUES CATTEAU a dirigé le no 24 de la Série slave des Cahiers de l'Herne, consacré à DOSTOEVSKIJ.

D'autres écrivains, moins connus du public français, font l'objet de travaux importants, comme la thèse de doctorat d'Etat de MAU­RICE COMTET (1974) sur Vladimir Galaktionovié Korolenko (1853-1921), l'homme et l'œuvre, ou celle de NINA DENISSOF (1979) sur Fedor Sologoub, 1863-1927. Dans son étude sur Le démonisme dans la littérature romantique russe du XIXe siècle (3e cycle, 1975),

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NICOLAS ZERNOFF éclaire un aspect de la thématique littéraire dont on n'avait pas suffisamment parlé avant lui. Enfin, dès 1970, RENÉ L'HERMI'ITE avait présenté comme thèse complémentaire de doc­torat d'Etat une monographie consacrée à P. A. Katenine (1792-1853). Sa vie, son œuvre.

Dans la voie ouverte en 1967 par CHARLES CoRBET et MICHEL CADOT s'inscrivent de nouvelles recherches sur les rapports de la littérature avec l'histoire des idées ou avec l'évolution des courants politiques. Citons ici la thèse présentée en 1972 par ALEXANDRE BouRMEYSTER sur Nikolaj Vladimirovic Stankevic et l'idéalisme huma­nitaire des années 1830, celle de FRANÇOIS CoRNILLOT sur Tiouttchev, poète-philosophe (1973), celle enfin qui couronne un ensemble de re­cherches consacrées à NIKOLAJ PLATONOVIO ÜGAREV par MICHEL MER­VAUD, dont la thèse sur Nicolas Platonovic Ogarev, 1813-1877. le penseur et le révolutionnaire, soutenue en 1979, est complétée par un travail d'édition paru dans la Collection historique de l'Institut d'études slaves (t. 25, 1978) sous le titre Nicolas Ogarev. Lettres iné­dites à Alexandre Herzen fils. Une problématique plus diversifiée in­spire la thèse d'IRÈNE LINITZKY sur Les populistes et la littérature à l'usage du peuple. Pour une contribution à l'étude d'un des aspects de la littérature russe du XIXe siècle (1978), ainsi que celle de MICHEL EVDOKIMOV sur A. S. Khomiakov, juge et critique de la culture en Occi­dent: contribution à l'histoire de la spiritualité en Europe (1979).

Mais la plus grande partie des recherches poursuivies pendant ces dix dernières années en matière d'histoire de la littérature con­cerne des écrivains qui ont vécu les événements de la révolution de 1917 et dont l'œuvre a été profondément marquée par les change­ments sociaux qui ont suivi. La thèse de doctorat d'Etat de GUY VERRET retrace La carrière d'Alexis Nikolaevic Tolstoï (1972). Celle de DIMITRI SCHAKHOVSKOY fait revivre la figure de Smelev peintre de la réalité russe (1975), ouvrage complété cinq ans plus tard par la Bibliographie des œuvres de Ivan Smelev 6 • En 1975, JEAN-CLAUDE TERRASSON présente une thèse de 3e cycle sur "4es A va nt-gardes artis­tiques en URSS (1917-1924). Puis CLAUDE FRIOUX soutient en 1977 sa thèse de 'doctorat sur Maïakovski et son temps (1917-1922). Vi­sages d'une transition. C'est encore dans la même ligne que s'inscrit l'étude d'AGNÈS SOLA sur Le futurisme russe: pratique révolutionnaire

6 DIMITRI SCHAKHOVSKOY a entrepris par ailleurs la publication d'un Diction­naire de la noblesse russe (deux tomes parus en 1979 et en 1981).

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HISTOIHE VELA SLAYISTIQUE FRANÇAISE

et discours politique (thèse lettres, 1981). En 1979, NIKITA STRUVE, auteur d'un livre important sur Les chrétiens en URSS (1963), pré­sente Ossip Mandelstam, poésie et religion face à l'Etat (thèses let­tres). L'année précédente, toujours à propos d'ÜSIP ËMIL'EVIC MAN­DELSTAM, CHRISTIAN MouzE avait déjà posé le problème des rapports entre la littérature et la politique (Mandelstam et son temps: la litté­rature et le parti en URSS de 1918 à 1941, thèse de 3e cycle, 1978). Nombreux sont aujourd'hui les jeunes chercheurs attirés par les "nouveaux classiques" de la littérature du XX:e siècle russe: MIXAIL AFANAS'EVIC BULGAKOV et BORIS LEONIDOVIC PASTERNAK, MARINA IVANOVNA CVETAEVA et ANNA ANDREEVNA AxMATOVA. Déjà, FRÉDÉRIC KozLIK a étudié L'influence de l'anthroposophie sur l'œuvre d'André Biely (thèses lettres, 1980), et MICHEL HELLER a présenté la même année sa thèse de doctorat sur André Platonov en quête de bonheur (L'écrivain et la société). Plus récemment encore, en 1981, a eu lieu la soutenance de la thèse de doctorat de CHARLEs BoURG, intitulée Vsevolod lvanov, un itinéraire d'écrivain (1915-1963).

Il faut mentionner à part l'activité de l'équipe de recherches théâtrales du CNRS et les travaux qui s'y rattachent: Le Théâtre d'Art de Moscou, de sa création à la mort de Stanislavskij (CLAUDINE AMIARD, thèse lettres, 1976), La genèse du théâtre russe contempo­rain, 1880-1917 (CLAUDE ROBERT!, thèse lettres, 1981). Ajoutons-y l'étude de PETER DIENER (1980) sous le titre Belinskij, une esthétique de théâtre: Contribution à l'histoire comparée du théâtre européen, et celle de NINA AlBA sur Tchekhov homme de théâtre: dramaturgie et mises en scène françaises, 1945-1970 (thèse de 3e cycle, 1976). Un fascicule de la Revue d'études slaves (53, 1, 1981), dont la composi­tion a été confiée à GÉRARD ABENSOUR, rassemble plus d'une dou­zaine d'articles sur Nicolas Evreï'nov, l'apôtre russe de la théâtralité: il s'agit de contributions présentées à un colloque scientifique que l'Institut d'études slaves a organisé en octobre 1979 pour commé­morer le centenaire de la naissance de NIKOLAJ N. EVREINOV.

Parmi les types de recherches qui méritent une attention spé­ciale, il faut signaler les dépouillements de presse périodique por­tant sur une période récente (Aspects du non-conformisme soviétique dans la presse littéraire post-Khrouchtchévienne: le Novy mir (1965-1975), ALEXANDRA KWIATKOWSKI, thèse de 3e cycle, 1975) et mentionner l'entreprise collective de recensement thématique des numéros de la Pravda des années vingt, avec une première contri­bution de LAURE lDIR-SPENDLER (Littérature et politique culturelle à travers la Pravda de 1927, thèse de 3e cycle, Université de Paris-Vin-

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cennes, 1979). D'autres voies, récemment encore inexplorées, s'ouvrent aux chercheurs dans le domaine notamment de la littéra­ture de science-fiction en URSS, avec une thèse de 3e cycle sou­tenue en 1977 par JACQUEUNE SAADA-LAHANA (Individu et société dans le roman de science-fiction soviétique, 1957-1970), et, plus ré­cemment, avec le livre de LÉONIDE HELLER (De la science-fiction so­viétique: par delà le dogme, un univers. Lausanne, L'âge d'homme, 1979).

Deux importantes synthèses élargissent le champ de la réfle­xion aux époques de l'avant et de l'après-Révolution, l'une con­sacrée aux principes de la critique marxiste en matière d'œuvre lit­téraire (Les problèmes théoriques de la critique littéraire marxiste en Russie de 1888 à 1932, MICHEL AUCOUTURIER, thèse lettres, 1980), l'autre au développement du roman, à la fois comme genre litté­raire et comme expression d'une culture, sur une période qui s'étend de PUSKIN à ALEKSANDR ISAEVIC SOLZENICYN et ALEKSANDR ALEKSANDROVIC ZINOV'EV (Le roman russe. Paris, PUF, 1978, par JEAN BONAMOUR).

Les études sur la littérature de l'émigration sont encore peu nombreuses, malgré l'intérêt, l'abondance et la proximité des sources. C'est pourtant là une direction grandement encouragée par l'Institut d'études slaves, qui a édité plusieurs textes d'écri­vains russes fixés en France et qui publie par ailleurs une série de

. bibliographies d'écrivains émigrés: MIXAIL ANDREEVIC ÜSORGIN, ZI­NAIDA NIKOLAEVNA HIPPIUS, MARK ALEKSANDROVIC ALDANOV, ALEKSEJ MIXAJLOVIC REMIZOV, LEV ISAAKOVIC SESTOV, NIKOLAJ ALEKSANDROVIC BERDJAEV. L'Institut d'études slaves a en outre fait paraître les deux volumes du catalogue collectif des périodiques en langue russe sur L'émigration russe en Europe (Vol. 1: 1855-1940 par TA­TIANA ÜSSORGUINE-BAKOUNINE, 1976; Vol. 2: 1940-1970 par ANNE­MARIE VOLKOFF, 1977). D'autre part, en avril1978, un colloque s'est Lenu à l'Universit-é de Genève, avec une abondante participation française, sur le Lhème de l'émigration russe. L'organisateur de cc colloque était GEORGES NIVAT, qui a rassemblé sur les problèmes de l'émigration un dossier publié dans le Magazine littéraire de 1977. On doit au même auteur une étude Sur Soljenitsyne (1974), ainsi qu'un numéro des Cahiers de l'Herne sur SoLZENICYN, dirigé en colla­boration avec MICHEL AUCOUTURIER.

Trop peu nombreuses également sont les études de poétique formelle, malgré l'audience croissante que reçoivent les théories dérivées du formalisme russe (MIKHAIL BAKHTIN, Problèmes de la

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poétique de Dostoïevski, Lausanne 1970; VICTOR SKLOVSKIJ, Sur la théorie de la prose. Lausanne 1973, l'un et l'autre ouvrages traduits et présentés par GUY VERRET), malgré aussi l'intérêt suscité plus ré­cemment par le livre d'EFIM ETKIND sur ''La matière du vers" (Mate­rija stixa. Paris, lES, 1978, en langue russe). Notons pourtant deux thèses de doctorat d'Etat qui, à en juger par leur titre, pourraient en partie du moins se rapporter à ce domaine: celle de FRANÇOISE FLAMANT, où est posé le problème de la signification intrinsèque des mètres (La forme poétique d'Alexandre Blok. La signification des mètres, 1971) et celle de JEAN-CLAUDE LANNE, dont l'intérêt dépasse de loin le domaine des techniques de l'analyse formelle (Le système poétique de V. Khlebnikov, 1979). Par ailleurs, un substantiel article d'ALFRÉDA AucouTURIER aborde l'étude des moyens poétiques chez PASTERNAK au niveau des réalisations les plus concrètes (vers, rythme, harmonie, strophe).

Tels sont les principaux travaux de linguistique et d'histoire lit­téraire qui ont été consacrés au monde russe pendant les dix der­nières années. Même si leur quantité est peu considérable dans l'ensemble de la production universitaire française, elle apparaît écrasante quand on la compare au bilan des recherches effectuées relativement à l'ensemble des autres pays slaves.

C'est dire la faiblesse numérique de ces dernières recherches, sensible dans tous les domaines, à commencer par celui de l'ukrai­nien, qui a pourtant connu il y a cinq ou six ans une période favo­rable, grâce notamment à la thèse de doctorat d'EMILE KRUBA sur Mychajlo Kocjubyns'kyj (1864-1913) et la prose ukrainienne de son temps (thèse lettres, 1974), ainsi qu'à des études de littérature com­parée comme celles de BoRis HLYNSKI sur I. Franko et Zola (thèse de 3e cycle, 1975) ou d'OLHA WITOCHYNSKY sur DeuxDonJuanfrançais et ukrainien (thèse de 3e cycle, 1976), sans oublier les recherches de ARKADY JouKOVSKY sur un aspect important de la culture ukrai­nienne (Contribution à l'histoire de l'Académie de Kiev (1615-1817), centre culturel et d'enseignement en Europe orientale, thèse de 3c cycle, 1976).

A peine mieux partagées, les études polonaises se rapportent surtout à l'histoire de la culture et à l'histoire des idées. DANIEL BE­AUVOIS étudie un moment important dans l'histoire de la culture polonaise au début du XIXe siècle (Lumières et société en Europe de l'Est: l'Université de Vilna et les écoles polonaises de l'Empire russe (1803-1832), thèses lettres, 1977), tandis que JANINA LAGNEAU ana­lyse les structures de la société polonaise dans les années

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1920-1930 (La formation d'un système sociologique. Essai d'analyse des rapports entre société, science et sociologie chez les sociologues polo­nais entre les deux guerres, thèse lettres, 1978). A ces deux ouvrages de base, il faut joindre le livre d'AMBROISE JOBERT sur l'histoire de la pensée religieuse en Pologne au XVIe et dans la première partie du XVIIe siècle (De Luther à Mohila, "Collection historique de l'Ins­titut d'études slaves", t. 21, 1974), et celui de TADEUSZ WYRWA sur La pensée politique polonaise à l'époque de l'humanisme et de la Re­naissance (Paris, librairie polonaise, 1978).

Les contacts historiques entre la France et la Pologne conti­nuent d'intéresser quelques spécialistes, parmi lesquels on citera MAREK TOMASZEWSKI et son livre sur L'image de la Pologne dans la littérature française du XVIIIe siècle (1976). Pour ce qui touche à l'époque moderne, l'attention des chercheurs est plus particulière­ment sollicitée par les phénomènes liés à l'immigration polonaise en France, soit du point de vue de l'étude démographique, comme dans l'enquête de JEAN ANCEROWICZ sur L'immigration polonaise en France et ses aspects démographiques et économiques dans la région parisienne (thèse de 3e cycle, 1977), soit du point de vue des inter­férences linguistiques, particulièrement nombreuses dans le le­xique moderne, comme le montre WITOLD DoMANSKI dans sa thèse déjà citée de 1978. Rares sont les travaux purement littéraires, comme celui de Mme lRENA O'NEIL, consacré au Journal de Gombro­wicz, thèse de 3e cycle, 1977). Rappelons enfin l'étude contrastive (polono-russe) d'HÉLÈNE WLODARczyK sur l'aspect verbal (thèse let­tres, 1981).

Plus modeste encore est la part des études tchèques dans la production universitaire. A part un numéro de la Revue d'études slaves (52, fasc. 1 et 2), consacré au quarantième anniversaire des accords de Munich ("Munich 1938: mythes et réalités"), on ne peut citer que des thèses de 3ème cycle, portant soit sur des points de littérature comparée (L'avant-garde tchèque des années vingt et trente et le socialisme français, 1975, par KATIA KRIV~EK), ou sur la com­paraison des techniques de traduction (Les traductions tchèques de Gogol, 1974, par SYLVIA TissoT-SADOVA), soit sur l'analyse théma­tique d'un genre littéraire (Quelques aspects du conte tchèque mo­derne: merveilleux et société, 1974, par JEAN-CHARLES GUILLIEN). Quant à la linguistique, elle est représentée par les travaux spécia­lisés de PATRICE POGNAN sur l'Analyse scientifique du discours scienti­fique tchèque, reprise partielle de la thèse de 3ème cycle du même auteur intitulée Analyse morphosyntaxique de textes médicaux tchè-

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ques. Extraction automatique du verbe (1972), dont les indications sont généralisées dans la these de doctorat d'Etat soutenue en 1977 sous le titre Analyse automatique du tchèque. Notons enfin la publication en 1972, dans la .. Collection de grammaires de l'Ins­titut d'études slaves", de la Grammaire de la langue slovaque de JOZEF BARTOS et JOSEPH GAGNAIRE.

Le domaine méridional est encore plus délaissé, même si l'on y compte quelques travaux de valeur, présentés pour la plupart comme thèses de 3e cycle. Pour le bulgare d'abord, après avoir rap­pelé l'étude de syntaxe contrastive de ZDRAVKO GuEORGUIEV sur la tournure impersonnelle en russe et en bulgare (1976), on doit men­tionner en premier lieu la contribution de JACK FEUILLET à l'his­toire de la langue bulgare (Etude de la 'Vie de Sojroni', 1973). Les études littéraires se rapportent à la période moderne: monogra­phie sur le mouvement symboliste bulgare (Mme ELÉNA IVANOVNA FOULLIARON, 1975), ou sur l'écrivain contemporain EMILIJAN STANEV (Mme ANTONIA PEEVA, 1978). Enfin le travail de MONCEF IDIR, pré­senté comme thèse de 3e cycle en 1977, porte sur les rapports entre la littérature et la société à l'aube de la Bulgarie moderne (Littérature et société en Bulgarie au lendemain de l'émancipation, 1879-1890}.

Quant aux langues et littératures de Yougoslavie, elles n'ont ins­piré qu'un petit nombre d'études, parmi lesquelles on rappellera la thèse de doctorat de BRANKO FRANOLIC sur les phénomènes de contact entre le français et le croate (1977). L'Essai de grammaire slovène de CLAUDE VINCENOT, publié à Ljubljana en 1965, avait fait l'objet d'une thèse de 3e cycle en 1972. En 1978, Mme FoULON a traité des Formes de la narration en macédonien (thèse de 3e cycle). Les études littéraires sont essentiellement représentées par la thèse de doctorat d'Etat de MICHEL AUBIN: Visions historiques et poli­tiques dans l'œuvre poétique de Petar Petrovié Njego§ (1971) et par la thèse de 3e cycle de Mme ANDRÉE-PAULETTE MATILLON LAsié (Krleia ou le drame antithétique. Quelques aspects de l'œuvre dans les années vingt, 1976).

Sauf en ce qui concerne le russe, les postes d'enseignements de langues slaves à l'Ecole des langues orientales n'ont pas été aug­mentés au cours de ces dix dernières années. Les langues de Y ou­goslavie sont enseignées à égalité: le serbo-croate par Mme LAsiO, le slovène par CLAUDE VINCENOT, le macédonien par Mme FOULON. Dans la chaire de bulgare, JACK FEUILLET, germaniste de formation, a succédé à ROGER BERNARD. En polonais, après le départ d'ETIENNE

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DECAUX pour Nancy, la chaire a été occupée par MARIA WISTI­SZUREK, puis, après sa mort en 1979, par HÉLÈNE WLODARCZYK. Dans les Universités, il n'y a pas eu pour le polonais de nouvelles créations de chaires. Après le décès de JEAN BoURILLY en 1971, ZYG· MUNT MARKIEWICZ a quitté la chaire de Nancy pour celle de Paris­Sorbonne. A Nancy, ETIENNE DECAUX, décédé en 1976, a été rem­placé par DANIEL BEAUVOIS, actuellement titulaire de la chaire de langue et littérature polonaises de l'Université de Lille. Signalons enfin que la première chaire universitaire de langue et littérature tchèques a été créée à Bordeaux en 1979, et que son premier titu­laire est PATHICE PoGNAN.

La plupart des travaux qui ont été cités ne sont connus que d'un cercle étroit de spécialistes. Il en est d'autres, plus tournés vers la sociologie et vers les sciences politiques, qui jouissent d'une audience considérable. Mentionnons parmi eux les études d'ALAIN BESANÇON et de FRANÇOIS FEJTô sur la naissance et le fonctionne­ment du système soviétique, celles de MARc FERRO sur la Révolu­tion de 1917, celles de JEAN LALOY sur la politique extérieure de l'URSS et d'HÉLÈNE CARRÈRE n'ENCAUSSE sur la politique des natio­nalités dans l'""empire éclaté", les livres de CHARLES BETTELHEIM et de BASILE KERBLAY sur la société soviétique, ceux de JEAN ELLEN­STEIN sur la période stalinienne, et, pour l'ensemble du monde slave et pour son histoire, ceux de RoGER PORTAL et de GEORGES CASTELLAN.

Ces larges synthèses, où l'utilisation de la méthode historique se combine à l'approche sociologique des problèmes, donnent à la recherche pluridisciplinaire le support qui lui est indispensable. C'est ainsi que l'équipe de recherche sur le lexique (laboratoire de slavistique) associe aux historiens les linguistes et les spécialistes de l'histoire littéraire. Un séminaire organisé sur le thème de l'""utopie" (à l'Université de Paris-Sorbonne) pour l'année universi­taire 1981-1982 est ouvert à tous les spécialistes. D'autres entre­prises semblent indiquer que les chercheurs français acceptent dé­sormais la discipline du travail collectif: séminaire consacré aux années vingt (laboratoire de slavistique de l'Institut d'études slaves), à la littérature de l'époque stalinienne (Paris-Sorbonne), aux problèmes de poétique et de traduction (Paris-Nanterre, Paris­Sorbonne, Paris III), au dépouillement méthodique de la presse so­viétique (Paris-Vincennes), etc.

A cet égard, l'Institut d'études slaves est plus que jamais fidèle à l'une de ses principales vocations, qui est de coordonner les diffé-

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rents secteurs de la recherche entre savants français et étrangers. Rappelons quelques-uns des colloques récemment organisés: sur PASTERNAK, sur BAKUNIN, sur les Décembristes, sur les Slavophiles, sur le thème '""lexique et grammaire" (en collaboration avec l'Uni­versité polonaise), sur JURIJ NIKOLAEVIC TYNJANOV. TI est prévu pour 1982 une rencontre franco-italienne avec un colloque sur '""Roman­tisme et littératures néo-latines", puis un autre colloque franco-po­lonais sur le thème '""Romantisme et renaissance du passé national dans les pays slaves".

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HISTOIRE DE LA SLA V!STIQUE FRANÇAISE 303

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