Histoire de l'école d'Alexandrie - Simon (1844)

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    1/46

    ^ ^ fmf

    EXTRAITDE

    LA REVUE DES DEUX MONDESLIVBAISON DU 1*'' SEPTEMBBE 1844,

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    2/46

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    3/46

    HISTOIRE

    L'ECOLE D'ALEXANDRIEDE M. JrLES SiaiON

    PAR EMILE SAISSET/ AGRG A LA FACDLT DES LETTRES DE PARIS

    PROFESSEUR A I-'COLE NORMALE ET AO COLLGE ROTAL DE SEmX IV

    PARISIMPRIMERIE DE H. FOURNIER ET C

    RUB SAINT-BENOIT, 7

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    4/46

    3

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    5/46

    1039S07

    HISTOIRE

    L'COLE D'ALEXANDRIEDE M. JULES SIMON.'

    Aucun genre de grandeur n'a manqu l'cole d'Alexandrie; legnie, la puissance, la dure, ont consacr son souvenir. Ranimant, une poque de dcadence, la fcondit d'une civilisation vieillie, elle asuscittoute une famille de grands esprits, de nobles caractres; Plotin,son vrai fondateur, a fait revivre Platon; Proclus a donn Athnesun autre Aristote. Dj si grande dans l'ordre de la pense, elle a eula noble ambition de gouverner les affaires humaines; avec Julien,elle a t la matresse du monde. Durant trois sicles, elle a tenu enchec la plus grande puissance qui jamais ait paru parmi les hommes,le christianisme, et si elle a succomb, c'est en entranant dans sachute la' civilisation dont elle tait le dernier rempart.Avant de devenir une grande cole de philosophie et une puissance

    politique et religieuse, Alexandrie avait t un brillant foyer littraireet scientifique, et comme une seconde Athnes. Avant de produire

    (1) Chez Joubert, rue des Grs, 14.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    6/46

    6 les Longin, les Origne, les Porphyre, elle avait donn la posieCallimaque et Apollonius, l'histoire Duris de Samos et Manthon,aux sciences mdicales Hrophile, rasistrate, Dioscoride, aux ma-thmatiques Euclide, l'astronomie Sosigne, l'rudition enfintoute une gnration de grands critiques, un ratosthnes, un Zno-dote, un Aristarque. C'est dans ce centre des lettres, des sciences etdes arts, o la Grce, Rome, Pergame et l'Egypte venaient l'envirpandre et mler leurs trsors, que se forma peu peu cette doctrinephilosophique qui, dans un vaste et puissant clectisme, devait runirtoutes les penses, toutes les croyances, toutes les traditions, toutesles gloires du pass pour les opposer l'esprit nouveau.L'clectisme d'Alexandrie n'exclut pas une originalit profonde. Ila pour base le platonisme, mais il y assimile avec puissance une fouled'autres lmens, et prsente au monde un panthisme mystique quela pense grecque n'avait pas connu. A la Trinit chrtienne, il opposela sienne; au principe d la^ cration; celui d l'manation. Il a sonVerbe, son mdiateur, ses lgions d'anges et de dmons; il a sa thoriede la grce et de la prire, ses pratiques de mortification et de pni-tence, son culte pur et rajeuni, ses prophtes, ses inspirs, sesmiracles; il a des docteurs et des prtres, des prdicateurs et desmartyrs. Spectacle unique dans les annales du monde A ct duMuse d'Alexandrie grandit et s'lve le Didascale des chrtiens.Dans la mme cit, le Juif Philon et lepyrrhonien OEnsidme fon-dent leurs coles. Saint Pantne, Ammonius Saccas , vont y venir.Bientt Lucien la traversera au moment o y enseigne Clmentd'Alexandrie. Aprs Plotin, nous y trouverons Arius et Athanase. Lescepticisme grec, le judasme, le platonisme et la religion du Christy auront des interprtes non loin du temple de Srapis.

    Mais ce qui fait nos yeux le plus puissant intrt de cette curieusepoque, ce sont les surprenantes analogies qui la rapprochent de lantre. Loin de nous la pense d'assimiler en aucune faon la religionde la Grce et de Rome avec le christianisme; mais, quelle que soit lasupriorit de la religion la plus sainte et la plus pure qui fut jamais,et quoi qu'on puisse penser de l'ternit promise l'glise, personnene contestera que, depuis trois sicles, son unit n'ait t profond-ment branle, et que de graves symptmes de dissolution et de d-cadence n'clatent de toutes parts. A Dieu ne plaise aussi que nousvoulions prdire la philosophie de notre temps les tristes destinesde l'cole d'Alexandrie Non, nous sommes profondment convaincuque l'avenir appartient la philosophie du xix^ sicle; mais les plus l-

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    7/46

    7gitimes esprances n doivent pas nous fermer les yeux sur les ralitsdu temps prsent. Ne semble-t-il pas cpie la philosophie europenne,comme la philosophie grecque au temps d'Ammonius et de Plotin,soit en quelque sorte puise par sa fcondit, et qu'elle succombesous le poids de ses propres fruits? Ne la sentons-nous pas profond-ment atteinte par les coups que le scepticisme du xvnF sicle lui aports? Et comme la philosophie ancienne avait ea son demi-scepti-cisme, conciliable avec les besoins de la vie et une certaine sagesse,dans les Arcsilas et les Cicron, son scepticisme radical et mtaphy-sique dans les Pyrrhon et les Agrippa, son scepticisme ironique etrailleur dans Lucien , ne retrouvons-nous pas dans Bayle, dans DavidHume, dans Voltaire, des formes analogues du scepticisme renaissant?Ne rencontrons-nous pas autour de nous ces brillans et ingnieuxacadmiciens, ces douteurs systmatiques et obstins, et la cohortepour long-temps nombreuse des enfans dgnrs de l'auteur deCandideFDans cet tat d'universelle dfaillance, les esprits les plus fermes

    reculent devant la responsabilit d'une doctrine nouvelle. Autant d'autres poques l'on cherche la grande originalit, autant elle faitpem* aujourd'hui. Mme quand ils inventent, nos philosophes mettentleurs nouveauts sous la protection des grands souvenirs. Ammoniuset Plotin ne voulaient tre que les disciples de Platon, nous ne vou-lons tre que ceux de Descartes.

    Si Descartes en effet, si Malebranche et Leibnitz n'ont bti que defragiles systmes que le souffle du temps a emports sans retour,pourquoi recommencer aprs eux une carrire o ils se sont garset perdus? Conunent ne pas dsesprer, aprs tant de philosophiesimpuissantes, de la philosophie elle-mme? Mais non, tout n'a paspri dans le naufrage de ces grands systmes. La vrit n'est pas dcouvrir tout entire; elle est dj dans le pass; il suffit de savoirl'y reconnatre et de la recueillir. C'est sur la foi de ces penses quenous entreprenons de rconcilier Descartes et Bacon, Leibnitz etLocke, comme autrefois Plotin et Proclus rconciliaient Platon avecAristote. C'est ainsi que nous sommes plus historiens qu'inventeurs,plus rudits que philosophes, impartiaux, tolrans, conciliateurs, unpeu indiffrens, en un mot clectiques.

    Si ces traits de ressemblance ne sont point chimriques, n'avons-nous pas, au XIX' sicle, quelques leons demander l'histoire del'cole d'Alexandrie? Cette gnreuse et noble cole a entrepris deuxgrands desseins : s'allier avec l'antique religion contre l'esprit nou-

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    8/46

    8^veau; tre la fois une cole de philosophie et une glise. L'coled'Alexandrie a chou dans ces deux entreprises. Renie par le paga-nisme qu'elle altrait en le voulant transformer, elle a t vaincue parl'esprit nouveau et a pri avec la religion et la philosophie hellni-ques. De nos jours aussi, nous voyons reparatre ces tentatives oPorphyre, o Jamblique, o Julien, ont chou. Tandis que des es-prits troits ou frivoles continuent contre le christianisme et contretoute religion une guerre insense, rvant je ne sais quelle religionde la nature; tandis qu'un parti non moins aveugle dans ses desseins,non moins violent dans ses implacables haines, s'acharne la destruc-tion de toute libre philosophie, les esprits plus sages ou plus gnreuxse partagent en deux directions contraires : les uns nous proposentun mlange impossible de la philosophie avec le christianisme, lesautres courent hardiment aprs la chimre d'une religion nouvelle.Sur des entreprises analogues, l'histoire a prononc une fois. cou-tons et mditons ses arrts, et, tout en comprenant la diffrence destemps passs et des temps nouveaux, faisons servir l'tude approfondiedes sicles qui ne sont plus l'utilit du ntre. C'est l'oeil toujoursfix sur ce but que nous allons introduire nos lecteurs dans l'histoirede l'cole d'Alexandrie.

    L'cole d'Alexandrie tait profondment inconnue en France il y avingt- cinq ans. Qui s'intressait alors l'histoire de la philosophie?Qui Usait Platon et Aristote, saint Anselme et Gerson, Bruno ou Cam-panella? Descartes et Leibnitz taient les anciens. En lisant Spinoza, onet craint de se jeter dans l'rudition et d'tre tax de pdanterie.Aux uns, Condillac suffisait pleinement; aux autres, Reid. Aussi, lors-qu'en 1819, M. Cousin annona qu'il allait publier les manuscrits in-dits de Proclus, il n'y eut qu'un cri parmi ses amis contre une entre-prise aussi ingrate, aussi strile, aussi insense. C'tait quitter laphilosophie pour une vaine et laborieuse rudition, c'tait dserter lesproblmes eux-mmes pour leur histoire, c'tait jeter l'espritmodernedans une fausse voie. M. Cousin laissa dire ses amis. La publication deProclus se rattachait ses yeux un grand dessein; il voulait renouerla chane des traditions que le xYin^ sicle avait rompue. Il voulaitdonner la philosophie de notre temps une base large et puissantedans les travaux accumuls du pass. En proposant ceux qui l'entou-raient cette vaste et pnible tche, M. Cousin ne se mnageait pas : ilditait Proclus, traduisait Platon, restituait Xnophane, dbrouillaitEunape et Olympiodore et mditait d'avance la scholastique et Abai-lard. Aujourd'hui que ces travaux en ont suscit tant d'autres d'un si

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    9/46

    9 grand prix, et que la plupart des monumens de la pense humaine,dans l'antiquit, le moyen-ge et les' temps modernes, ont t explo-rs,- dchiffrs, approfondis, nous pouvons juger de la grandeur et del'utilit de l'entreprise, et payer un juste tribut de reconnaissance celui qui l'a conue et qui a tant fait pour l'accomplir.

    L'ouvrage de M. Jules Simon sur l'histoire de l'cole d'Alexandrieest le plus rcent rsultat et coup sr un des plus remarquables dece grand mouvement historique. De toutes les coles de l'antiquit,celle-l avait t la plus nglige. Depuis les premiers travaux deM. Cousin, un livre, savant, utile, il est vrai, mais o la philosophieavait peu de place, celui de M. Matter, et un mmoire excellent deM. Berger sur la doctrine de Proclus, voil tout ce qu'avait son ser-vice un historien d'Alexandrie. Je ne parle pas de quelques publica-tions rcentes sorties du clerg : elles sont au-dessous de l'examen.

    L'Allemagne, si riche sur d'autres parties de l'antiquit, ne pouvaittre ici d'un grand secours. Brucker, Tiedemann, Tennemann lui-mme, n'ont pas compris la grandeur d'Alexandrie. Ritter l'a souventdfigure. Hegel seul, historien souvent chimrique, mdiocrementrudit, mais dou au plus haut degr du sentiment du grand et de cecoup d'oeil rapide et profond qui le dcouvre dans les plus obscursmonumens, a suprieurement jug la philosophie alexandrine. Com-prendre le panthisme de Plotin, c'tait se souvenir de lui-mme.

    C'est d'une plume franaise que sortira une histoire vraiment com-plte de l'cole d'Alexandrie. Depuis cinq annes, M. Jules Simon l'aprise pour sujet de ses leons la Sorbonne : aujourd'hui, il donneau public le fruit de ses solides et fcondes tudes et nous montreune partie dj imposante du monument qu'il veut lever l'honneurde cette grande cole (1).Dans une prface trop courte notre gr, mais riche d'aperus m-

    taphysiques, M. Jules Simon caractrise et apprcie en gnral l'coled'Alexandrie. Puis il se donne tout entier au principal objet de sonouvrage, et s'attache nous faire connatre, dans tous ses replis, lamtaphysique alexandrine, depuis ses principes les plus abstraits jus-qu' ses dernires consquences. Cette vaste exposition qui n'avait ja-mais t faite, et o se dploient avec clat une intelligence philoso-

    (1) L'Acadmie des Sciences morales et politiques, qui montre dans le choix dessujets qu'elle met en concours une si remarquable intelligence des besoins de lascience, proposa en 1840 un prix sur l'cole d'Alexandrie. Voyci; l'intressant rap-port de M. Barthlmy Saint-Hilaire sur les rsultats de ce concours, et'particu-lirement sur le mmoire de M. Vacherot, couronn par VAcadmie.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    10/46

    - 10 ~phique et un talent de style de l'ordre le plus lev, nous dvoile unsystme d'une grandeur et d'une originalit inattendues, et sans lequelil est impossible de se rendre un compte svre du rle qu'Alexandrieajou dans le monde, des luttes mmorables qu'elle a soutenues contrel'glise naissante, de l'influence qu'elle a exerce sur les dveloppe-mens du christianisme, enfin, des causes profondes qui, aprs l'avoirleve si haut, ont amen sa dcadence et ses revers. Avant donc d'exa-miner ces hautes et prilleuses questions que M. Jules Simon a aussitouches avec un rare talent, quoiqu'il n'ait pu encore que les effleu-rer, cherchons avec lui dterminer les caractres, constater les ori-gines, claircir les principes de la philosophie alexandrine. Commelui, n'ayons pas peur de la mtaphysique. Pour les esprits frivoles, elleobscurcit toutes les questions; mais c'est elle au fond qui les claire.

    I.

    L'cole d'Alexandrie a t fonde par Ammonius Saccas, vers la findu second sicle de l're chrtienne. Esquissons rapidement l'tat dumonde civilis cette poque. Si l'on regarde la surface, rien de plusrgulier, de plus imposant que cette immense runion de peuples di-vers sur lesquels Rome, aprs huit sicles de luttes et de victoires,avait tendu le niveau d'une administration uniforme, partout puis-sante et partout respecte; mais pour qui pntre jusqu'aux sourcesmmes oii s'alimente la vie des peuples, la scne change, et l'appa-rente rgularit de ce monde que Rome a soumis ne couvre que d-sordres et que ruines.

    L'antique religion d'Orphe, d'Homre et d'Hsiode avait perdutout prestige. Le sacerdoce dgnr n'avait plus le sens de cette in-gnieuse et profonde mythologie des anciens jours. Marque dcisivede la dcadence d'une religion la philosophie, ds le iv^ sicle avantJsus-Christ, au lieu d'attaquer le paganisme, le protge contre l'excset la brutalit d'un scepticisme frivole : elle s'applique retrouver sousla lettre des croyances antiques l'esprit qui autrefois les vivifia. Platonse complat encadrer ses plus beaux dialogues dans un de ces poti-ques rcits que lui livre la tradition religieuse; Aristote, interprtantavec une philosophie indulgente l religion ionienne, prononce cetteparole clbre, bien altire dans sa haute modration : Le philosopheest l'ami des mythes, aocroo (ptoiAuflo; (1).

    (1) Mtaphysique, liv. I, ch. i.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    11/46

    11 Aprs s'tre substitue par degrs la religion dans le gouverne-

    ment des intelligences, aprs avoir enfant avec une admirable fcon-dit les plus magnifiques systmes, la philosophie son tour avaitpuis sa vitalit. Un seul fait caractrisera sa dcadence : la seule.cole qui ft debout au premier sicle de l're chrtienne, c'taitcelle de Pyrrhon, reconstitue par OEnsidme.Ce fut alors que, pour le salut du monde, un esprit nouveau com-

    mena de se faire sentir et de pntrer dans les mes. Durant les deuxpremiers sicles de notre re, cet esprit se manifeste confusment en-core par un certain nombre d'coles particulires, qui bientt dispa-raissent et s'clipsent, perdues en quelque sorte dans l'clat de deuxgrandes rivales, la religion chrtienne et l'cole d'Alexandrie. Ici, l'es-prit nouveau clate avec puissance, et se constitue au travers d'unelutte de trois sicles dont le rsultat est le triomphe dfinitif et l'ta-blissement universel du christianisme.

    Cette lutte tait invitable. L'cole d'Alexandrie et la rehgion chr-tienne cherchaient l'une et l'autre s'approprier l'esprit nouveau,mais d'une manire diffrente : la premire en s'associant au pass, laseconde en rompant avec lui. Du reste, leurs directions gnralestaient les mmes : mysticisme, surnaturalisme, clectisme, fusion del'esprit grec et de l'esprit oriental, toutes ces tendances encore vagues

    . ou exclusives dans l'cole de Philon le Juif, dans celle de Numnius,chez les no-platoniciens, les no-pythagoriciens, les kabbalistes, lesgnostiques, nous les retrouvons dveloppes, unies, organises dansl'un et l'autre des deux grands systmes contraires

    Considre ce point de vue, l'cole d'Alexandrie a trois poques.La premire et la moins clatante, mais la plus fconde, c'est celled'Ammonius Saccas et de Plotin. Un portefaix d'Alexandrie se faitchef d'cole, et il trouve des hommes de gnie pour l'couter; Ori-gne, Longin, Plotin, sont ses premiers disciples. L'cole se dveloppeen silence, se discipline intrieurement, et se donne un point d'appuisolide par un systme. Bientt Plotin, qui en est l'auteur, l'enseigne Rome avec un clat extraordinau-e. C'est alors que l'cole d'Alexan-drie entre dans sa seconde phase. Avec Porphyre, avec Jamblique, elledevient une sorte d'glise qui prtend disputer l'glise chrtiennel'empire du monde. Le christianisme monte sur le trne avec Constan-tin; rcole d'Alexandrie l'en fait descendre et s'y place son tour avecJulien. On a beaucoup dclam contre l'empereur apostat, et sansdoute il a fait la plus grande faute o pt tomber alors un hommed'tat : il n'a pas compris le christianisme. Mais cette faute est-elle

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    12/46

    12 sans excuse? Julien tait un enfant de l Grce, un fils de Platon, unAthnien passionn pour les lettres et les arts, pntr du sentimentde la dignit de l'esprit humain. A ses yeux, les chrtiens taientdes barbares; il ne comprenait rien cette foi farouche, il n'y voyaitqu'ignorance et folie. Plein de mpris pour la rudesse des Galilens,il ne leur enviait que leurs vertus. Lisez sa lettre aux citoyens d'Alexan-drie. Quel amour pour la grandeur des souvenhs quel sentiment dela gloire hellnique Et puis, que d'esprit, que de verve, que de fineraillerie dans ses lettres quelle grandeur dans les desseins quel en-semble dans les mesures quelle modration dans un homme si jeuneet si passionn Que de choses accomplies ou tentes en si peu detemps quelle trace profonde laisse dans l'histoire par un empereurqui rgna quelques mois Avec Julien prit l'cole d'Alexandrie, comme puissance politique

    et religieuse. Le christianisme, en perdant Constantin et Constance,n'avait rien perdu de sa force, parce qu'elle tait tout entire dansses ides. L'cole d'Alexandrie, dpasse par l'esprit nouveau, et s'-puisant en vain le ramener en arrire, tomba ds que le bras qui lasoutenait fut bris. Ici commence sa dernire poque, celle o brilleencore le nom de Proclus. Alexandrie redevient une cole de purephilosophie, et, se rapprochant plus troitement que jamais du pla-tonisme, elle cherche ressaisir par la pense spculative l'influencequ'elle a perdue; mais l'esprit du sicle s'tait retir d'elle : elle s'-teint sous Justinien.j;; Voil la destine extrieure de l'cole d'Alexandrie; pour la com-prendre, il faut avant tout se demander quelle est cette doctrine phi-losophique suscite par Ammonius, organise par Plotin, oppose auchristianisme par Porphyre, Jamblique et Julien, et qui essaie en vainde se reconstituer et de vivre par le gnie de Proclus.Pour qui nglige, dans ce vaste systme de l'cole d'Alexandrie,

    tout ce qui n'est qu'accessoire et subordonn, pour s'attacher l'es-sentiel de la doctrine, elle se laisse ramener sans effort trois pointsfondamentaux : la mthode, la thorie de la Trinit, le principe del'manation. Par sa mthode, Alexandrie est platonicienne; elle estmystique par sa thorie de la Trinit; par son principe de l'manation,elle est panthiste. Ce sont l les trois caractres qui la constituent.Le problme rsoudre pour l'historien, c'est donc d'claircir, d'ex-pliquer et par-l mme de concilier ces trois caractres; c'est de formerde la combinaison de ces diffrons traits un tableau fidle o se fassereconnatre, o revive l'cole d'Alexandrie. La question pourrait tre

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    13/46

    13 pose de la sorte : Comment une cole de philosophie, fille de Platonpar sa mthode, a-t-elle abouti un panthisme mystique comme audernier terme de ses spculations? Voici pour notre part commentnous rsoudrions ce problme dlicat et compliqu, soit en profitantdes lumires qu'y a rpandues l'exposition toujours pntrante etprofonde de M. Jules Simon, soit en proposant nos propres vues etcontredisant mme les siennes quand cela nous paratra ncessaire.La mthode que les alexandrins empruntent Platon, c'est la dia-

    lectique. Ce nom a perdu aujourd'hui le sens que les platoniciens luidonnaient; mais si le nom a pri, la mthode reste immortelle. C'estle premier titre d'honneur de Socrate d'avoir le premier entrevu cettehaute mthode et de l'avoir applique, d'une manire timide encoreil est vrai, mais dj fconde, ce qu'il appelait ingnieusement l'ac-couchement des intelligences. C'est par l que Socrate occupe unegrande place dans l'histoire de la pense et qu'il a t vritablementle matre de Platon. Platon lui-mme n'est si grand que par cettemthode socratique d'o son gnie tira tant de trsors, et si la thoriedes ides, dont le temps a dtruit les parties prissables, garde unimprissable fond de vrit qu'elle a dpos tour tour dans le chris-tianisme et dans la philosophie moderne, c'est qu'elle est btie sur lefond solide de la dialectique. Dcrivons en quelques traits cette m-thode si souvent dfigure.

    Il est des intelligences, il est des mes qui rien de fini et d'impar-fait ne peut suffire. Tous ces tres que l'univers ofiire nos sens, quicaptivent tour tour nos mobiles dsirs, qui enchantent notre imagi-nation de leur varit et de leur clat, trahissent par un trait communleur irrmdiable fragilit : ils ont des limites, ils passent et s'coulent.Comment pourraient-ils satisfaire une intelligence capable de l'ternel,rassasier une ame qui se sent faite pour sentir, pour goter, pour pos-sder la plnitude du bien?

    Celui donc qui, press d'une inquitude sublime, se dtourne sanseffort de la scne mobile de l'univers et rentre en soi-mme pour s'yrecueillir dans le sentiment de sa propre existence, dj moins fragileque celle desphnomnes du dehors, pour trouver dans son ame l'em-preinte plus durable et plus profonde d'une beaut plus pure, quoi-qu'encore bien imparfaite; celui qui, s'attachant ainsi des objets deplus en plus simples, de plus en plus stables, de moins en moins sujetsaux limitations de l'espace et aux vicissitudes du temps, monte sansrelche et sans faiblesse les degrs de cette chelle de perfection, sen-tant s'allumer ses dss et crotre ses ailes mesure qu'il s'lve, et

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    14/46

    14 incapable de s'arrter et de trouver le repos, si ce n'est au sein d'uneperfection absolue, d'une beaut sans souillure et sans tache qu'aucunsouffle mortel ne saurait ternir, d'une existence qu'aucune limit neborne , qu'aucune dure ne mesure, qu'aucun espace ne circonscrit;celui-l , suivant Platon, est le vrai dialecticien.

    Qu'on n'aille pas se persuader que la dialectique platonicienne n'estqu'un lan sublime de la pense; c'est une mthode scientifique, sus-ceptible d'une application rigoureuse et svre : c'est au fond la m-thode de tous les grands mtaphysiciens; Je ne parle pas seulement dePlaton et de sa glorieuse famille, les Plotin, les saint Augustin, lessaint Anselme, les Malebranche; je parle aussi des plus svres g-nies, des mtaphysiciens gomtres. Descartes, Spinoza, Leibnitz, quisont tous leur manire de grands dialecticiens. En ce sens, la dialec-tique platonicienne est plus qu'une mthode, c'est le gnie mme duspiritualisme, c'est l'ame de toute vraie philosophie.On lve contre la dialectique un ternel reproche; Aristote l'adres-rsait Platon, Gassendi le renouvelle contre Descartes, Arnauld contreMalebranche : Vous ralisez des abstractions. Juger ainsi la m-thode platonicienne, c'est mal la comprendre, ou pour mieux dire,c'est n'en voir que l'abus, c'est en mconnatre l'usage et l'essence.Quoi chercher en toutes choses le simple, l'ternel, c'est courir aprsdes abstractions vaines quoi qpiitter le phnomne pour l'essence,l'individu pour sa loi, le temps pour l'ternit, l'espace pour l'immen-sit, le contingent et le fini pour l'infini et le ncessaire, c'est quitterle corps pour s'attacher l'ombre, la ralit pour la chimre Quoil'ordre, l'unit, la parfaite justice et la parfaite vrit, ce sont l destres de fantaisie Et l'infini mme, l'tre des tres, que sera-t-ilalors, sinon la plus strile et la plus vide des abstractions? trangephilosophie qui, par la crainte de l'abstraction, renonce aux tres v-ritables et dtruit les plus solides et les plus saintes ralits Ces r-serves faites, nous conviendrons que, si l'histoire de la philosophieconsacre la lgitimit de la mthode platonicienne, elle en dvoileaussi les excs. J'en signalerai deux : la dialectique incline au pan-thisme, et par une suite trs naturelle, elle incline aussi au mysti-cisme : en sorte que cette mme mthode qui fait la force et l'hon-neur de la pense humaine peut devenir la cause de ses plus funestesgaremens. Misre, infirmit de l'homme Otez-luile sens de l'ternelet du divin, il rampe sur la terre plus vil que les btes destines yvivre et y prir; rendez-lui ce sens sublime, il s'enivre et court auxabmes.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    15/46

    15 Je ne dis point que lamthode dialectique conduise ncessairement

    au panthisme; je dis qu'elle y incline par tine impulsion naturelle queles plus fermes gnies n'ont pu srinohter. Cette mthode consist eneflFet essentielleineit poursivre'en toutes choses ce qu'elles contien-nent de persistant et de simple, 'lment positif, substantiel. Vide,comme disent les platoniciens. Or, ce principe absolu et parfait auquell dialectique aboutit par tous les chemins, soit qu'elle interroge lanature, soit qu'elle sonde la conscience humaine; ce principe o toutramne une ame de philosophe, depuis les astres qui roulent dans lscieux jusqu' l'humble insecte cach sous l'herbe, ne semble-t-il pasqu' mesure que la pense s'lve vers lui, elle se dtache du nantpour arriver l'tre, qu'elle dpouille en quelque sorte les objetsqu'elle abandonne de toute la perfection et d toute la ralit qu'elley peut saisir, pour la transporter, pour la rendre tout entire celuiqui la possde en propre, et qui contient tout en soi dans la plni-tude de son existence absolue? Et quand on quitte ainsi ds le pre-mier pas la ralit sensible, l'individualit, l'espace, le mouvement etle temps; quand tout cet univers n'est plus en quelque sorte qu'unevapeur brillante et lgre travers laquelle l'ame contemple l'treparfait et absolu dans sa majest temelle, ne touche-t-on pas au pan-thisme?

    Rien n'autorise penser que Platon se soit laiss entraner jusqu'cette extrmit prilleuse, de ne plus voir dans les tres de l'universqu'une manation, un coulement, un dveloppement ncessaire deDieu; mais s'il n'a jamais adopt, si mme il n'a jamais clairementaperu le principe de l'manation, on peut dire que ce principe estcach dans les profondeurs de sa doctrine, et qu'il suffit de presserpour l'en faire sortir. Du reste, ce noble et ferme gnie, en qui Socrateavait imprim sa mle sobrit, a toujours repouss avec nergie lesconsquences trop ordinaires du panthisme; toujours il s'est tenuferme sur la libert de l'homme et la providence de Dieu. Qu'il mesuffise de rappeler ce passage de la Rpublique o Platon, dans unmythe admirable, fait parler la vierge Lachsis, fille de la Ncessit :ce La vertu n'a point de matre; elle s'attache qui l'honore, et aban-donne qui la nglige. On est responsable de son choix; Dieu est in-nocent. Du panthisme au mysticisme, la pente est rapide. Le principe del'un et de l'autre est le mme : un sentiment exalt de l'infini. La m-thode platonicienne, dont ce sentiment est l'ame, doit incliner gale-ment vers tous deux. Quel est le point de dpart de la dialectique? La

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    16/46

    ''m

    16 profonde insuffisance du fini. Quel est le dernier terme o elle aspire?L'infini, l'absolu, l'tre dans sa plnitude et sa puret. Et quel estl'instrument de ses recherches? Ce ne sont pas sans doute les sens etl'imagination, qui ne se repaissent que de phnomnes; c'est la rai-son, qui atteint les lois, les causes, les essences. Mais la raison, mmequand on la dlivre du joug de l'imagination et des sens, conoit leschoses dans de certains rapports et sous de certaines conditions : elleaperoit les objets dans le temps, o elle-mme dploie la suite de sesoprations successives; dans l'espace, o elle-mme a son point devue. Or, l'infini, l'absolu qui cherche la dialectique, est, par sa naturemme, exempt de toute condition. Il n'est pas dans un certain espace,ni mme dans tous les espaces, tant simple et infini. Comme parfait,il ne peut changer; il n'est enferm dans aucune dure, ni sujet d'au-cune faon l'coulement du temps. Mais, s'il est absolument im-muable et simple, comment peut-il vouloir, agir, penser? La volontsuppose l'eflfort, l'activit la plus pure implique le passage de la puis-sance l'acte, par consquent le changement et le temps. La penseelle-mme a pour condition la conscience, par suite le moi et la per-sonnalit avec ses limites et ses faiblesses. Voil donc le dieu de la dia-lectique, un dieu sans activit et sans pense, sans conscience et sans,vie. Voil l'cueil o la raison vient faire naufrage : elle aspire undieu absolument parfait, elle s'lve vers lui d'un vol ardent et rapide,et au moment o elle croit l'atteindre, il lui chappe et s'vanouit.Elle-mme, en voulant le saisir, le dtruit, car elle lui impose les con-ditions de sa nature. Mais quoi est-il possible que je porte au fondde mon tre un invincible besoin de l'infini et que je sois condamn le poursuivre toujours sans jamais l'atteindre? Non, si ma raisonne peut concevoir l'absolu, quelque chose en moi de plus profondsaura le saisir. La raison, dans son plus sublime essor, tient encore la personnalit, au moi; l'amour brisera ce dernier lien. C'est lui denous faire goter la perfection de Dieu mme en rpandant notre tredans le sien; car Dieu ne se rvle qu' qui se donne tout lui, et ilfaut se perdre soi-mme pour le possder pleinement. Voil le mysti-cisme. Ici encore la sagesse de Platon, son ducation socratique, l'ontsauv des cueils; mais dans ses plus beaux ouvrages on trouve la tracedu puissant effort qu'il a d opposer l'entranement de ses proprespenses. Quand il ose dcrire, au sixime livre de sa Rpublique, lanature mme de Dieu, aprs nous avoir montr, au sommet de la hi-rarchie des ides, ce soleil intelligible, foyer de la pense et de l'tre,il se trouble, il sent qu'il lui faut monter un dernier degr. Au-dessus

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    17/46

    de la pense et de l'tre, c'est--dire au-dessus de toute mortelle rai-son, il entrevoit comme travers un pais nuage cette unit absoluequi nous attire par un charme mystrieux et nous accable de son im-pntrable mystre. Cette haute rgion, d'o Platon se hte de des-cendre de crainte de s'y garer, les alexandrins entreprennent de s'ytablir. Le mysticisme, comme le panthisme de cette audacieusecole , sont donc deux dveloppemens naturels de la mthode plato-nicienne. C'est avec raison qu'Alexandrie s'est dclare fille de Platon,bien que les deux doctrines soient essentiellement diffrentes. Alexan-drie est platonicienne par sa mthode; mais elle l'est avec puissance,avec originalit, parce qu'elle a tir de cette mthode un panthismemystique qui n'y tait contenu qu'en germe.De l une explication assez simple de leur fameuse trinit. Au pre-mier coup d'oeil jet sur cette trinit d'Alexandrie qui se rattache tous les grands souvenirs de l'histoire de la pense humaine, au sys-tme de Pythagore, celui de Platon, aux trinits de l'Inde, enfin cette haute et profonde Trinit chrtienne qui fait depuis dix-huitsicles le fond des croyances religieuses de la partie la plus claire del'espce humaine, l'esprit est saisi de tout ce qui s'y rencontre d'ex-traordinaire. Dieu est triple et un tout ensemble. Cette nature abso-lument simple se divise. Au sommet de l'chelle plane l'Unit; au-des-sous, l'Intelligence identique l'tre, ou le Logos; au troisime rang,l'Ame universelle, ou l'Esprit. Ce ne sont pas l trois dieux, mais troishypostases d'un mme Dieu. Qu'est-ce qu'une hypostase? Ce n'estpoint une substance, ce n'est point un attribut, ce n'est point un mode,ce n'est point un rapport. Qu'est-ce que l'Unit? Elle est au-dessusde l'Intelligence et de l'tre, au-dessus de la raison; elle est incom-prhensible et ineffable. Sans tre intelligente, elle enfante l'Intelli-gence; elle produit l'tre, et elle-mme n'est pointun tre. A son tour,l'Intelligence immobile et inactive produit l'Ame, principe de l'activitet du mouvement. Est-ce assez de tnbres? est-ce assez de contra-dictions?Un examen plus approfondi, sans rsoudre ces contradictions, sansdissiper toutes ces tnbres, les claircit. Quand l'ame humaine, im-posant silence l'imagination et aux sens, se recueille en soi-mmecomme dans un temple consacr Dieu pour mditer sur le principe-de son tre, quand elle oppose aux misres de cette existence fugi-tive l'idal d'une vie parfaite, le premier moyen qu'elle possde dese reprsenter Dieu, c'est d'tendre, pour ainsi dire, l'infini toutesles perfections dont elle porte la trace. C'est l le premier effort d'une

    2

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    18/46

    18 ame philosophique. Elle s'lve de la connaissance de soi-min laconnaissance de Dieu, se souvenant qu'elle est faite son image, etqu'elle est comme un miroir o Lieu a runi et concentr l'image detoutes ses perfections. L'ame est une activit intelligente; mais cetteintelligence n'embrasse qu'un petit nombre d'objets et de rapports :elle est sujette au doute et l'erreur. Cette activit est limite unesphre restreinte, et dans cette troite sphre, il faut qu'elle lutte etsouvent qu'elle succombe. Dieu, au contraire, est une intelligence quiembrasse tous les objets et tous les rapports; une activit qui remplittous les espaces et tous les temps, et qui rpand partout l'ordre, l'tre,la vie. Ce Dieu, conu comme un parfait modle dont l'ame humaineest une copie, cette Ame infinie et universelle, c'est la troisime hypo-stase del trinit alexandrine. C'est l Dieu, sans doute, mais ce n'estpas Dieu tout entier : ce n'est pas un Dieu qui puisse suffire la pen-se humaine et o la dialectique se puisse arrter.Ce Dieu, en effet, si lev au-dessus de la nature et de l'humanit,

    participe encore de leurs misres. Il agit, il se dveloppe, il se meut.Il a beau remplir tous les espaces et tous les temps, il tombe lui-mmedans l'espace et dans le temps. Il connat et il fait toutes choses; maisil n'est pas le premier principe des choses, car il ne peut les connatreet les faire qu' la condition d'emprunter un principe plus lev l'idemme et la substance des tres qu'il ralise. Au-dessus d'une activitintelligente qui conoit et produit dans l'immensit de l'espace et destemps les types ternels des choses, nous concevons l'Intelligence ensoi qui contient dans les abmes fconds de son unit ces types eux-mmes. Cette pense absolue, ternelle, simple, immobile, suprieure l'espace et au temps, c'est Dieu encore, c'est la seconde hypostasede la Trinit alexandrine.

    Il semble que la pense ait ici atteint le plus haut terme de son d-veloppement. Quoi de plus parfait que de penser et d'agir, si ce n'estde possder en soi la plnitude de la pense et de la vie, la plnitudede l'tre? Mais la pense humaine ne peut encore s'arrter l. Unencessit inhrente ce qu'il y a de plus divin dans sa nature la presseet l'agite, et ne lui laissera de repos que quand elle aura atteint unpoint o le dsir de la perfection suprme s'puise dans la possessionparfaite de son objet.Dieu est la pense absolue, l'tre absolu. Or, qu'est-ce que la pen-

    se? quel en est le type? C'est la pense humaine, la pense lie lapersonnalit. Qu'est-ce que l'tre? L'tre de cette fragile crature quenous sommes. Mais quoi l'tre de Dieu sera-t-il comparable au ntre?

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    19/46

    19 la pense de Dieu sera-t-elle analogue celle des hommes? Penser, .c'est connatreun objet extrieur dont on se distingue. Rien n'est ex-trieur Dieu. Penser, c'est avoir conscience de soi, c'est se distin-guer, se dterminer par rapport autre chose. Or, il ne peut y avoiren Dieu ni distinction, ni dtermination, ni relation. Ce n'est doncpas encore considjrer Dieu en soi, mais relativement nous, que dese le reprsenter comme la pense, comme l'tre. Dieu est au-dessusde la pense et de l'tre; par consquent, il est en soi indivisible etinconcevable. C'est l'Un, c'est le Bien, saisi par l'extase; c'est la pre-mire hypostase de la Trinit alexandrine.

    Voil les trois termes qui composent cette obscure et profondeTrinit. Le genre humain, la raison encore imparfaitement dgagedes sens, s'arrtent l'Ame universelle , principe mobile du mouve-ment; la raison des philosophes s'lve plus haut, jusqu' l'Intelligenceimmobile o reposent les essences et les types de tous les tres; l'a-mour, l'extase seulspeuvent nous faire atteindre jusqu' l'Unit absolue.

    Les alexandrins se complaisent retrouver cette Trinit dans tousles systmes philosophiques, dans toutes les traditions religieuses.Ils n'ont pas la sagesse de s'en tenir Platon. La Trinit est dansAristote; elle est dans Heraclite, dans Anaxagore. Il y a visiblementici UQ abus incroyable de l'clectisme. Cependant il est vrai de direque, si l'on considre les spculations les plus puissantes de la philo-sophie grecque, la doctrine d'Alexandrie en prsente une sorte dersum systmatique qui n'est ni sans grandeur, ni sans profondeuret sans porte.La troisime hypostase de la Trinit alexandrine rpond assez bienau Dieu-nature des stociens et d'HracUte: panthisme encore gros-

    sier dans Heraclite, dj plus profond dans les stociens, et qui n'apas t sans influence sur celui d'Alexandrie. Au-dessus de ce Dieumobile, la seconde hypostase de la Trmit de Plotin rappelle traitpour trait le Dieu d'Aristote, cette pense ternelle et immobile dontl'activit, ramasse en elle-mme, s'puise dans la contemplation desoi, et ne tombe par aucun endroit dans le temps, la varit et le mou-vement. Enfin, on ne saurait nier que la premire hypostase de laTrinit alexandrine ne se rapproche singulirement de cette unit py-thagoricienne que Parmnide pura si svrement de toute analogieet de tout rapport avec le monde, qu'il en perdit le sentiment du finiet n'y put voir qu'une ombre trompeuse de l'existence (1) , Le Dieu des

    (t) Voyez la savante monographie de M. Riaux sur Parmnide d'le.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    20/46

    20 alexandrins est donc la fois le Dieu de Platon, le Dieu de Pythagoreet d'le, le Dieu d'Aristote, le Dieu d'Heraclite et de Chrysippe. Enlui se rsument et se concilient tous les systmes; par lui aussi s'ex-pliquent toutes les religions. Les trois dieux d'Orphe, Phans, Ura-nus et Cronus, sont les trois hypostases de la Trinit divine. Orphelui-mme n'est qu'un anneau de la chane dore qui remonte jus-qu'au grand rvlateur gyptien Herms, et Pythagore connut la Tri-nit quand il fut initi par l'archiprtre Sonchide aux mystres gyp-tiens. Ainsi, tout s'unit, la philosophie et la religion, l'Orient et laGrce, tous les dieux, tous les sages, tous les potes, toutes les tra-ditions.

    Cette thorie d'un Dieu en trois hypostases est le fond de la philoso-phie des alexandrins. Leur platonisme , leur clectisme, leur mysti-cisme, tous les caractres de leur doctrine sont l. 11 est ais d'y mar-quer aussi la place de leur panthisme. Lamme loi en effet qui prsideaux rapports des hypostases divines leur sert expliquer le rapport deDieu au monde, de l'ternit au temps, de l'infini au fini; cette loi, c'estcelle de l'manation. De mme que l'Intelligence mane de l'Unit,l'Ame de l'Intelligence, nous voyons le systme entier des tres de lanature sortir de l'Ame universelle , premier anneau d'une chane d'-manations successives qui n'a d'autre terme que celui du possible.

    Telle est l'ide que nous nous formons de la philosophie alexan-drine; elle est un dveloppement original du platonisme. Ce dvelop-pement, fond d'ailleurs sur les lois mmes de la pense, a t dter-min par deux grandes causes : l'esprit du temps, qui inclinait avecforce toutes les mes au mysticisme; l'invasion des ides orientales,qui les poussait dans le mme sens. De l un vaste systme, platoni-cien par sa mthode et ses tendances gnrales, mystique etpan-histe par ses rsultats, capable ce double titre de se mettre enharmonie tout ensemble avec les traditions de la philosophie grecqueet l'esprit nouveau qui de l'Orient soufflait sur le monde, trs proprepar consquent les runir dans un clectisme universel.M. Jules Simon n'entend pas tout--fait de la mme faon les ori-ghies et les caractres de la philosophie alexandrine. En pareille ma-

    tire, ses opinions ont une si grande autorit, que le droit de lescontredire impose le devoir de les discuter. L'origine de tous nos dis-sentimens, c'est notre diffrente manire d'entendre ladoctrine.dePlaton. Suivant M. Jules Simon, sur la question de la nature de Dieu,Platon s'est arrt un dieu mobile, une sorte d'ame de l'univers;

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    21/46

    21 sur celle des rapports de Dieu avec le monde, il a adopt le dua-lisme.On a beaucoup rpt que le dualisme tait le fond de toute la m-taphysique ancienne, que la notion d'un principe unique de l'exis-tence universelle appartenait essentiellement au christianisme. Sui-vant cette doctrine, le plus grand effort des plus puissans gnies del'antiquit, c'a t de concevoir une intelligence suprme qui a orga-nis le chaos. Le dieu de la philosophie ancienne est l'architecte dumonde; il en est mme la providence, mais non point le pre et l'au-teur. Cet artiste admirable a besoin d'une matire, laquelle, en rece-vant son action, lui impose son tour des limites et entre en partagede ses plus sublimes attributs, l'ternit, la ncessit, l'indpendance.De l une sorte de manichisme qui fait Dieu source de tout bien; lamatire, source de tout mal. Il tait rserv au christianisme d'extirperle mauvais principe et d'annoncer aux hommes l'tre des tres, sourceunique de tout ce qui respire et qui vit. Voil l'histoire de la philo-sophie telle que les pres de l'glise l'ont faite, et telle que Baltus, auxviiP sicle, l'opposait aux philosophes qui prtendaient trouver dansPlaton les dogmes fondamentaux du christianisme.La discussion approfondie de cette question nous mnerait troploin; nous n'insisterons que sur un point qui nous parat incontestable :c'est qu'il est de l'essence de la mthode dialectique d'exclure le dua-lisme. Elle consiste en effet s'lever des objets sensibles aux ideset des ides Dieu; elle y parvient en sparant dans chaque chosedeux lmens, l'lment positif, durable, l'tre, et l'lment ngatif,variable, le non-tre. Dans cette marche dialectique dont parle Platon,le philosophe ne laisse donc rien derrire soi que des limites et desngations, et le dieu auquel il arrive, cette ide par excellence qui con-tient toutes les ides, c'est l'tre absolu, l'tre hors duquel il n'y a rien.Nous pouvons consentir moins encore admettre que Platon, dans

    sa sublime thodice, se soit arrt un Dieu mobile et changeant, cette ame du monde que les alexandrins ont place au plus bas degrde leur Trinit. On abaisse ici singulirement le matre devant le dis-ciple, et j'ose dire que Plotin et dclin l'honneur que son historienlui veut faire, d'avoir, le premier, conu Dieu comme un tre absolu-ment immuable, lev, non par des degrs, mais par la plnitude in-communicable de la perfection au-dessus de tous les tres de l'univers.Faut-il rapporter ici les passages de la Rpublique, an Phdon et duBanquet, o Platon s'explique avec une majest et une magnificencede langage qui n'excluent pas la plus rigoureuse prcision sur l'absolue

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    22/46

    22 immutabilit du principe inconditionnel de l'existence? Faut-il intro-duire ici, comme fait Socrate au banquet d'Agathon, la belle trangrede Mantine, s'criant : Celui qui dans les mystres de l'amour s'estavanc jusqu'au point o nous en sommes par une contemplationprogressive et bien conduite, parvenu au dernier degr de l'initiation,verra tout coup apparatre ses regards une beaut merveilleuse,celle, Socrate qui est la fin de tous ses travaux prcdens : beautternelle, non engendre et non prissable, exempte de dcadencecomme d'accroissement, qui n'est point belle dans telle partie et laidedans telle autre, belle seulement en tel temps, dans tel lieu, dans telrapport, belle pour ceux-ci, laide pour ceux-l; beaut qui n'a pointde forme sensible, un visage, des mains, rien de corporel, qui ne r-side dans aucun autre tre diffrent d'avec lui-mme, comme un ani-mal, ou la terre, ou le ciel, ou toute autre chose; qui est absolumentidentique et invariable par elle-mme; de laquelle toutes les autresbeauts participent, de manire cependant que leur naissance ou leurdestruction ne lui apporte ni diminution ni accroissement (1). Est-cel un Dieu changeant et mobile, une arae, un tre ml au monde, etne diffrant de nous que par le degr? Et en vrit, est-ce bien Platonqu'on vient accuser d'anthropomorphisme?On cite le Time et ses po-tiques rcits. Faut-il donc prendre ici Platon la lettre, et se rendretrs attentif, par exemple, ce vase o Dieu compose l'ame du monde?Mais quoi le Time lui-mme contient des preuves dcisives contrecette manire d'interprter Platon. Il nous fait assister la formationde cette ame universelle, ouvrage de l'ternel artiste, Dieu des senset du vulgaire. Dieu engendr et prissable, qu'on veut nous faire con-fondre avec le Dieu de la Rpublique et du Banquet. Ce grand Dieu,qui, dans le Time, cre le temps du sein de l'ternit pour en trel'image mobile, ce Dieu dont il ne faut pas dire qu'il a t et qu'il sera,de crainte d'altrer la majest de son existence immuable, mais seule-ment qu'il est, ce Dieu dont la grandeur pntrait saint Augustind'admiration et d'enthousiasme, et faisait dire saint Justin que leVerbe, avant de s'incarner, s'tait rvl Platon, qu'a-t-il donc dmler avec l'espace, le temps, le mouvement et toutes les faiblessesde notre nature? On s'appuie sur ce qu'Aristote reproche sans cesse Platon la mobilit de son Dieu. C'est une erreur : Aristote adressevingt fois Platon le reproche contraire, savoir : d'arriver par l dia-lectique une rgion immobile et abstraite, d'o le mouvement et lavie ne peuvent plus sortir. Aristote a vit cette difficult, bn sait

    (1) Banquet, traduction de M. Cousin, YI, 326.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    23/46

    23 cpielprix, par le dualisme. Maisjmputer Platon le dualisme et un Dieumobile, c'est fermer les yeux sur la mthode de Platon, c'est s'inscrireen faux contre ses doctrines explicites, c'est sacrifier un ou deuxpassages secondaires d'une explication difficile tous les grands monu-mens de la philosophie platonicienne; c'est mal comprendre la pol-mique d'Aristote et la vritable diffrence qui spare le matre du dis-ciple; enfin, c'est se condamner laisser dans l'ombre l'intime lienqui rattache tout ensemble le panthisme et le mysticisme des alexan-drins la philosophie de Platon. M. Jules Simon veut que le Dieu duTime occupe le troisime rang dans la Trinit alexandrine; mais ilsait bien que le Dieu du Time, c'est l'intelligence, enfermant en soiles types des tres et toutes les formes de la vie. Ce Dieu serait donctout au plus la seconde hypostase, et non la troisime, et M, JulesSimon sait aussi que nous sommes sur ce point parfaitement d'accordavec les deux plus grands philosophes d'Alexandrie, Plotin etProclus.

    Si l'on peut reprocher M. Jules Simon d'tre trop favorable auxalexandrins, quand il expose leur doctrine et leur suppose une origi-nalit qu'ils n'ont pas, il faut reconnatre qu'il est juste et svre poureux, quand il discute et apprcie la valeur de leurs spculations. C'taitl la partie la plus difficile de la grande tche qu'il s'est propose;disons tout de suite qu'il s'en est acquitt, en ce qui touche le mys-ticisme alexandrin, d'une manire suprieure. Il est impossible deremonter aux causes philosophiques du mysticisme de Plotin, et engnral de tout mysticisme, avec une sagacit plus pntrante, et demettre nu avec plus de vigueur et de solidit l'illusion sur laquellerepose cet trange et curieux systme.

    Les mystiques tombent dans une confusion qui, pour tre assez na-turelle toute intelligence minemment spculative, n'en est que plusdangereuse; ils confondent les conditions sous lesquelles s'exerce laraison dans une intelligence imparfaite avec l'essence et le fonds mmede la raison. Lors donc que, dans leur efibrt sublime pour atteindre leprincipe de toute existence, ils arrivent un tre absolument dgagde toute condition, un tre que l'on ne peut concevoir dans le temps,dans l'espace, . qu'on ne peut rapporter une cause suprieure, untre en un mot qui on ne peut assigner aucune limite, et en qui onne peut concevoir aucune diversit, ils s'imaginent que la raison estcondamne se contredire avec elle-mme, tant force de concevoirun tre inconcevable, de nommer un tre ineffable, d'assujtir unecondition un tre absolument inconditionnel. C'en est donc fait de lascience, et il faut tomber dans le scepticisme et le dsespoir, s'il n'y

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    24/46

    24 a pas en nous un autre moyen d'atteindre ce qui chappe toutes lesprises de la raison. Ce moyen, c'est l'extase, l'enthousiasme. La raisonest un don sublime, mais elle a pour ainsi dire un vice originel, elletient la personnalit; l'extase en est l'abolition; elle identiGe l'ameavec son objet, elle nous unit Dieu, elle nous fait Dieu. M. Jules Si-mon dmontre fortement que le principe de tout ce systme est rui-neux. L'ide de l'absolu, comme il le prouve avec une grande puis-sance d'analyse, est le fonds mme de la raison . Toutes ces lois, tous cesprincipes, toutes ces vrits ternelles et ncessaires qui soutiennentnos penses, qui dominent et dirigent nos sciences, perdent leur senssi on les spare de l'ide de l'absolu. Loin de l'exclure, comme le croit lemysticisme, elles l'impliquent. C'est elle qui les engendre, les conserveet les constitue au plus intime de l'ame humaine. Pour trouver Dieu,l'homme n'en est pas rduit renoncer sa raison; il lui suffit de l'in-terroger dans son fonds. C'est donc la raison qui claire l'homme, alorsmme qu'il croit avoir teint sa lumire. Contemplation, vision, extase,tout cela n'est encore que la raison qui se drobe la conscience dansla soudainet sublime de son action. Hors de l, il n'y a que les chi-mres d'une imagination exalte, les visions d'un cerveau malade, et,faut-il le dire? les hallucinations d'un sang chauff. Les mystiquesveulent secouer le joug de la personnalit, et ils y retombent sanscesse. Ils croient entendre la voix de Dieu, c'est celle de leur fantaisie.Ils s'imaginent sortir du moi, ils s'y emprisonnent; en croyant s'en-voler au ciel, ils s'enchanent plus troitement la terre, et le dernierfruit de cette exaltation qu'on croit anglique n'est que trop souventl'abandon le plus dplorable aux drglemens les plus honteux.

    Toute cette critique du mysticisme alexandrin est d'une solidit etd'une profondeur galement remarquables; M. Jules Simon est loind'tre aussi fort contre le panthisme. Il accorde et mme il d-montre que le panthisme n'a rien dmler avec l'athisme, qu'il neconsiste point absorber l'infini dans le fini, et Dieu dans la nature,mais seulement les unir par le lien d'une consubstantialit et d'unecoternit ncessaires. Il va mme jusqu' soutenir, et notre avis ilrussit prouver avec la plus rare sagacit, que le panthisme n'exclutpas absolument les conditions de l'individualit, et peut laisser place une multiplicit distincte de forces finies; il indique en passant lesemprunts, trs remarquables en effet, que Plotin a faits au dynamismed'Aristote et toute sa belle thorie de la nature; puis, aprs avo*soulev ces questions redoutables, il les tranche en quelques mots.Le panthisme, dit-il, est contradictoire. Soit; mais il ne faudrait pai^

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    25/46

    25 le prouver par des argumens doDt on a fait soi-mme toucher audoigt la faiblesse. Voici une assertion plus grave encore. On soutientque le dualisme, le panthisme et tous les systmes des philosophesqui ont consum leur gnie claircir, expliquer le rapport de Dieuau monde, tout cela n'est qu'une suite d'illusions, un jeu d'esprit st-rile. Suivant M. Jules Simon, la question du rapport du fini l'infiniest entirement insoluble. Cependant il la rsout et se prononce ex-plicitement pour la doctrine de la cration ex nihilo. Qu'est-ce dire?M. Jules Simon voit-il dans cette doctrine une solution positive duproblme du rapport du fini avec l'infini? Il parat bien, car il ne veutpas convenir que cette solution soit ngative. D'un autre ct, il necroit pas la possibilit d'une solution. La vrit est que M. JulesSimon n'attache qu'une bien mdiocre importance ce genre de pro-blmes. Dualisme, panthisme, cration ex nihilo, il ne voit l quedes mtaphores qui nous dguisent 5e vide absolu de nos ides. Sidonc il penche pour la cration ex /lihilo, c'est prcisment causede son caractre tout exclusif et iout ngatif, qu'il paraissait d'abordlui contester.Pour nous, nous ne pouvOLS admettre que les efforts des mtaphy-siciens pour rsoudre le premier problme de la philosophie, que les

    spculations d'Aristote et de Platon, de Plotin et de Spinoza, n'aientabouti qu' substituer une mtaphore une autre, et que ces grandsesprits, qui croyaient s'occuper de choses, n'aient spcul que sur desmots. C'est d'abord une grave injustice de considrer d'un il si d-daigneux les plus hautes spculations des philosophes; c'est en outrepour soi-mme un grave danger.H n'est pas exact de dire que le dualisme et le panthisme expliquent

    le rapport du fini l'infini par une pure mtaphore. La consciencehumaine, laquelle il faut toujours en revenir en saine mtaphysique,nous fournit le type de deux sortes d'actions parfaitement distinctes.La volont de l'homme agit sur la nature extrieure. L'industrie nepeut, il est vrai, donner l'tre un brin de paille; mais elle peut chan-ger la face du monde. L'artiste n peut crer une statue; mais donnez-lui du marbre, et il en tirera Minerve ou Jupiter. Telle est l'ide queles hommes se sont souvent forme de l'action divine : et de l le dua-lisme. La matire et Dieu sont deux principes coternels galementncessaires. Dieu agit sur la matire et lui imprime les formes su-blimes de sa pense; il ne lui donne pas l'tre, mais le mouvement,l'ordre et la vie.Or il y a dans la conscience de l'homme le type d'une action plus

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    26/46

    26 spirituelle, plus releve, savoir, l'action intrieure par laquelle nouspouvons modifier et dterminer notre existence morale. Ici, ce n'estplus l'action d'une force sur un terme tranger, c'est l'action d'uneforce sur soi-mme, c'est son dveloppement, c'est sa vie. Quand monactivit pensante forme une ide, cette ide n'est pas hors de moi;elle n'est pas spare, quoiqu'elle en soit distincte, de l'activit quil'enfante; elle est cette activit elle-mme qui se dtermine et se f-conde. L'ide passe, l'activit reste, et produit des ides nouvelles.Voil le type primitif sur lequel les panthistes conoivent l'actiondivine. Pour eux, les tres de ce monde ne sont pas extrieurs Dieu,bien qu'ils s'en distinguent formellement; ils n'ont point une existencespare; ils sont les effets immanens d'une activit ternelle et in-puisable qui les produit sans mesure et sans terme dans l'espace et lele temps, sans y tomber elle-mme, toujours pleine, parfaite, immo-bile en soi.

    Sont-ce l des mots et des mtaphores? Quand je parle d'une forcequi agit sur un terme extrieur, ou d'une activit qui se dterminepar elle-mme, sais-je ou non ce que je dis? Ai-je ou non une idepositive? Mais, dit-on, cette double action est environne de mystres.Que sera-ce, si de l'homme on s'lve Dieu, du fini l'infini, durelatif l'absolu? Les difficults deviendront infinies comme l'objetde la pense et se changeront en impntrables nigmes. Je rpondspar le mot de Montaigne : Nous ne savons le tout de rien; toutest mystre autour de nous, et, comme disait Pascal, l'homme est lui-mme le plus profond de tous les mystres. Est-ce dire que nousne sachions rien? Nous ne pouvons, dites-vous, comprendre Dieu. Jele crois bien, nous ne pouvons comprendre un atome. Celui qui con-natrait dans son fonds et dans son tout la plus chtive des craturesconnatrait tout le reste, et aurait le secret de Dieu. Leibnitz disait avecesprit et avec grandeur : Dieu est un gomtre qui calcule et rsoutincessamment ce problme : tant donn une monade, un atome del'existence, dterminer l'tat prsent, pass et futur de tout l'univers.Mais n'y a-t-il pas un milieu entre comprendre et ignorer, entre con-natre absolument et ne point connatre du tout ? En bonne logique,prouverqu'on ne peut avoir l'ide complte d'une chose, est-ce prouverqu'on n'en peut avoir aucune ide? N'est-il pas clair que, dans lesnotions les plus positives et les plus prcises d'un tre imparfait, il yaura toujours la part des tnbres et du nant?M. Jules Simon nous livre le secret de son opinion sur le panthisme,

    quand il pose en principe que la raison humaine ne peut connatre

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    27/46

    27 Dieu ou l'absolu d'une manire positive. Selon nous, c'est inGnimenttrop accorder Plotin; c'est perdre tout le terrain qu'on vient de ga-gner, et du mysticisme vaincu incliner une extrmit non moinsdangereuse.M. Jules Simon, en historien philosophe, juge l'cole d'Alexandrie

    au nom d'un systme. A la thorie de Plotin sur la raison il oppose lasienne. Signalons au moins le caractre et les consquences de cettethorie. Elle est contenue dans ces deux principes fondamentaux :l'ide de l'absolu ou de l'infini est le dernier fonds de la raison; nousne pouvons avoir toutefois de la nature de l'absolu aucune connais-sance positive. Par le premier de ces principes, et en gnral par samanire d'entendre l'absolu, M. Jules Simon se rattache la nou-velle philosophie allemande, celle de Schelling et de Hegel; par lesecond, il se rapproche plutt de Kant et de l'esprit gnral de la phi-losophie critique, laquelle dans le fond ne conteste pas la notion, nimme l'existence de l'absolu, mais seulement la possibilit de le con-natre, d'en faire la science. Cette combinaison du kantisme et d'unesorte d'hglianisme n'est assurment pas sans puissance. Elle a djsduit un minent philosophe de l'Ecosse, un savant et profond criti-que, M. Hamilton, dont les vues mtaphysiques ont reu une forcenouvelle en s'associant celles du ferme esprit, du vigoureux cri-vain qui s'est fait en France son interprte (1).M. Hamilton et M. Jules Simon pensent donc que l'absolu ne peut

    tre l'objet d'une connaissance positive. Nous concevons fort bien quel'on soutienne avec Kant cette thse; mais nous demandons en mmetemps qu'on en reconnaisse la ncessaire consquence, savoir : quel'ide de l'absolu n'existe vritablement pas, M. Hamilton a parfaite-ment vu cette consquence, et s'y est rsign. M. Jules Simon a pr-fr, comme Kant, se contredire. l a mieux aim tre inconsquentque d'tre sceptique. Dans tout son livre, nous trouvons en lui un par-tisan dclar et loquent du dogme de la divine Providence. Or, je ledemande, comment conciliera-t-on ce dogme sublime avec l'impossi-

    . bilit absolue o l'on prtend qu'est la raison d'avoir de Dieu aucuneconnaissance positive? Croire la Providence, c'est apparemment croireque Dieu est l'intelligence parfaite, la parfaite justice et la parfaitesaintet. Sont-ce l des affirmations positives, ou soutiendra-t-on en-core que ce sont des mtaphores et de vains mots? Dire que Dieupense, qu'il est juste, qu'il est saint, est-ce ne rien d-e de positif et

    (1) Voyez la prface de M. Louis Paisse aux Fra^mens de Hamiltoa. -

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    28/46

    28.d'eflfectif? Est-ce s'incliner devant une mtaphore, adorer des formulesvides de sens, embrasser une ombre, un nant? Assurment on ne l'en-tend pas de la sorte. O prenons-nous cependant, aprs tout, le typerel et positif de l'intelligence, le type de la justice, si ce n'est dans lemoi lui-mme, modle primitif et universel de toutes nos conceptions?Or, s'il n'y a aucune ressemblance, aucune analogie (c'est ce que l'onsoutient positivement) entre notre intelligence, notre tre, et l'intelli-gence et l'tre de Dieu, de quel droit dirons-nous que Dieu est uneintelligence et un tre? de quel droit dirons-nous mme qu'il y a unDieu? C'est vritablement alors que nous prononcerions des parolesvides de sens. Mais, dira-t-on, vous tombez dans l'anthropomor-phisme. Vous faites Dieu semblable l'homme. Vous souillez sa ma-jest de toutes les imperfections de notre nature. Votre Dieu n'est quelemoi divinis; votre Dieu n'est qu'une idole.Je rponds mon tour :Pour faire Dieu trop grand, vous en compromettez l'existence. Pourrendre la raison modeste, vous la faites pyrrhonienne. Si Dieu nepeut tre connu positivement par la raison, c'en est fait de la raisonet de Dieu. Toute connaissance ngative implique une connaissancepositive; si le mot Dieu ne rpond dans mon esprit et dans mon ame aucune ide positive, toute affirmation sur Dieu est arbitraire, vaineet inintelligible. Toute philosophie et toute religion sont gales, ga-lement vaines. L'histoire n'a plus de sens. Le dieu de Platon n'est pasplus vrai que celui de Thaes et d'Heraclite. Le dieu des chrtiensn'est pas plus saint et plus pur que ceux du paganisme et que les plusgrossiers ftiches. On n'a plus de critrium pour les distinguer, et ilfaut tomber dans l'indiffrence absolue des philosophies et des reli-gions.

    Rduisons la question ses termes les plus prcis : si une intelli-gence finie ne peut connatrepositivement que ce qui lui est analogue,alors, j'en conviens, plus de systme sur le rapport du fini et de l'infini,plus de science de l'infini lui-mme, mais alors aussi plus de philoso-phie, plus de religion, plus de Providence, plus de Dieu. Admet-on cestristes consquences? On est sceptique, mais on est logicien. Si, aucontraire, l'on accorde une fois que la raison a l'ide de l'absolu, qu'ily a un rapport possible entre une raison finie et un tre infini, je disque c'est une faiblesse et une inconsquence de s'arrter l, et, con-tredisant la fois la logique et le genre humain, de soutenir que nousn'avons aucune connaissance positive de la nature de Dieu, et qu'iln'y a rien de commun entre son tre et le ntre. Spinoza, lui aussi,disait qu'entre la pense de Dieu et la ntre il n'y a pas plus de ressem-

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    29/46

    29 blance qu'entre le chien, constellation cleste, et le chien, animalaboyant. Spinoza excde ici sa propre pense; il tombe dans le mysti-cisme : ce n'est plus Spinoza , c'est Plotin. Un mystique peut dire aveccalme : La raison n'atteint pas Dieu; car l'extase est l pour lui donnerun asile , et satisfaire son ame et son cur. Mais quand on a l'espritassez ferme pour ne voir dans l'extase qu'une haute et noble extrava-gance, je me sers des mots de Bossuet, que M. Simon ne dsavouerapas, si l'on refuse la raison le droit de connatre positivement lanature de Dieu, il n'y a, je le rpte une dernire fois, d'autre issue un pareil systme que le scepticisme.

    II.

    Abordons maintenant avec M. Jules Simon cette question grave etprilleuse qui fait pour beaucoup d'esprits le principal intrt de l'his-toire d'Alexandrie. Quels ont t les rapports de cette cole avec lechristianisme? quelles analogies les rapprochent? quelles diffrencesles sparent? quelles sont les causes qui ont dtermin la chute del'cole alexandrine et le triomphe de la religion du Christ? M. JulesSimon a expressment rserv pour la seconde partie encore inditede son ouvrage la discussion approfondie de ces pineux problmes;mais il a t conduit s'expliquer assez nettement sur le fond du dbatdans deux des chapitres les plus intressans de son livre, l'un surl'tablissement du christianisme, l'autre sur les rapports de la Trinitchrtienne avec celle d'Alexandrie.On a pu voir plus haut que les alexandrins avaient concentr dans

    leur thorie d'un Dieu en trois hypostases toute la substance de leurphilosophie. Le dogme de la sainte Trinit n'a pas dans le christia-nisme moins d'importance. troitement li au mystre de l'incarna-tion, qui lui-mme est insparable du mystre de la rdemption, ledogme de la sainte Trinit est la base de toute la mtaphysique chr-tienne. La plupart des grandes hrsies, l'arianisme, le sabellianisme,le nestorianisme, ont attaqu par quelque endroit ce dogme fonda-mental. branler un seul point en pareille matire, c'est tout compro-mettre. Arius touche d'une main profane l'galit, la coternitdu Pre et du Fils; voil le monde agit pour un sicle. Nestorius niel'union du Verbe et de l'homme en Jsus-Christ, et il fonde en Orientune sorte de christianisme nouveau. Toutes les autres hrsies qui ontremu l'univers chrtien se rattachent par quelque lien essentiel cegrand mystre de la Sainte-Trinit.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    30/46

    30 En comparant la Trinit chrtienne avec celle d'Alexandrie, M. Jules

    Simon ne compare donc rien moins que les deux philosophies rivales,et bien qu'il ait presque toujours limit ses conclusions ce dogmecapital, elles ont par la force mme des choses une porte beaucoupplus tendue. Dans ce grand dbat agit en des sens si divers, M. JulesSimon a pris une position qui, je crois, lui appartient en propre, etqui appelle le plus srieux examen. Les uns soutiennent, comme onsait, que la Trinit chrtienne est un emprunt fait Platon et auxalexandrins, et prtendent invoquer en leur faveur l'autorit et lesaveux de plus d'un illustre pre de l'glise, saint Justin par exempleet saint Augustin. Les autres accusent les alexandrins de s'tre faitsles plagiaires du christianisme. C'est la thse de la plupart des apolo-gistes de l'glise. Dj Thodoret levait cette accusation contre Plotin;elle a t depuis mille fois rpte. Des deux cts on suppose que lesdeux trinits sont analogues. Or, M. Jules Simon s'attache prcisment dmontrer qu'elles sont essentiellement diffrentes; d'o il conclutque de part et d'autre l'imitation a t impossible. Si l'on veut que l'undes deux dogmes ait influ sur l'autre, on ne peut admettre en toutcas que le christianisme ait imit ou drob l'cole d'Alexandrie; car,suivant M. Jules Simon, la thorie chrtienne de la Trinit, et en g-nral les dogmes fondamentaux du christianisme, taient constitusbien avant la naissance de cette cole. M. Jules Simon parat donc in-cliner admettre l'originalit parfaite de la Trinit chrtienne. Ellen'est point, suivant lui, dans Platon; elle n'est entre dans Alexandrieque long-temps aprs l'organisation dfinitive du christianisme; c'estdonc l un dogme parfaitement propre l'glise. Les alexandrins seulspourraient tre plagiaires, ou si l'on veut imitateurs. Mais M. JulesSimon, se fondant sur les diffrences des deux trinits, prfre ab-soudre tout le monde.Nous ferons deux parts dans ces conclusions : qu'il y ait entre la

    Trinit alexandrine et celle duchristianisme de profondes diffrences,il faut reconnatre que M. Jules Simon l'a dmontr d'une manirepremptoire et avec la plus rare habilet. C'tait l son principal objet,et ce sera certainement un des grands rsultats de son entreprise his-torique. Mais quelle condition M. Jules Simon a-t-il dmontr cettethse? A condition de prendre pour base de sa comparaison, d'unepart la doctrine de Plotin , de l'autre le symbole de Nice. C'est en effetdans ce symbole que l'on trouve pour la premire fois une doctrineorganise, prcise, explicite, sur la Trinit. Mais le concile de Niceest du ive sicle, et le systme de Plotin est antrieur d'un sicle en-

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    31/46

    at virn. De plus, il ne faut pas oublier que l'cole d'Alexandrie a desliens avec d'autres coles antrieures ou contemporaines, celle dePhilon le Juif, celle d'Alcinoiis, celle de Numnius d'Apame, et quel'on trouve dans ces trois coles des systmes trinitaires qui ne sontpas.sans analogie et qui n'ont pas t, coup sr, sans influence surles doctrines qui ont suivi. Or, qu'est-ce qui donne le droit un histo-rien philosophe de penser que cette vaste laboration laquelle l'ide dela Trinit a t soumise pendant prs de quatre sicles n'ait eu aucuneaction sur la formation et le dveloppement de la Trinit du christia-nisme? Absolument rien , que nous sachions, et il y a, selon nous, despreuves dcisives du contraire.La question a t mal pose. Il ne s'agit pas de savoir si le christia-nisme, arriv un certain point de son dveloppement , s'est trouven possession d'une doctrine diffrente de celle d'Alexandrie, il s'agitde dterminer l'influence qu'Alexandrie a certainement exerce surla formation du christianisme et sur son organisation dfinitive. Oui,sans doute, si l'on suppose que la religion chrtienne s'est forme enun jour, qu'elle a possd ds les premiers sicles une doctrine par-faitement positive et complte, que l'uvre des aptres, des pres etdes conciles, a t une uvre d'claircissement et de dfinition, etnon une uvre d'organisation interne et de successive cration, alorsla question de savoir si Alexandrie a influ sur le christianisme estmerveilleusement simple; elle est tranche par la date seule d'Alexan-drie, et il suffit de savoir que Plotin est postrieur Jsus-Christ et saint Paul. Mais cette supposition, de la part d'un critique et d'unphilosophe, est parfaitement gratuite, et nous ne croyons pas qu'ellersiste l'preuve d'un examen svre des faits.Pour ne parler en ce moment que du dogme de la sainte Trinit, il

    nous semble que les preuves dont on se sert pour tablir qu'il taitparfaitement arrt avant la naissance de l'cole d'Alexandrie sont sin-gulirement insuffisantes. Ce sont, en gnral, des passages des pre-miers pres de l'glise, o se trouvent nomms le Pre, le Fils et leSaint-Esprit. Ces numrations ne prouvent rien. Il ne s'agit pas d'-tablir que les chrtiens ont eu ds les premiers sicles une Trinit.Chaque secte religieuse, chaque cole de philosophie, avait alors lasienne. Ce qui pourrait caractriser la Trinit chrtienne, ce serait ladtermination prcise de la nature et de la fonction propre de chacunedes trois personnes divines et l'exacte dfinition des rapports qui lesenchanent l'une l'autre. 11 faudrait prouver, par exemple, que l'ga-lit absolue, que la consubstantialit des trois personnes de la sainte

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    32/46

    32 Trinit taient explicitement affirmes et universellement consentiesdans les premiers sicles de l're chrtienne. Or, c'est l ce que lespassages invoqus ne dmontrent pas le moins du monde.Le premier qu'on cite est tir de saint Clment. N'avons-nous pas,dit l'vque de Rome, un mme Dieu, un mme Christ, un mme

    esprit de grce rpandu sur nous? Je demande ce qu'une critiqueexacte peut conclure d'un tel passage, alors mme qu'on le rappro-cherait avec tout l'art du monde d'un certain nombre de passages ana-logues. Je vois l trois noms, encore sont-ils assez peu prcis : Dieu,le Christ, l'esprit de grce. O est la dtermination de la nature deces trois termes? O est la divinit du Christ? O est celle de l'Esprit?O sont l'galit, la consubstantialit du Pre et du Fils? Qui m'assuremme qu'il faut s'arrter trois personnes et que l'numration esttermine?

    Les textes de saint Hermas et de saint Ignace ne sont gure plussignificatifs. D'ailleurs, ne sait-on pas que ces textes n'ont aucuneauthenticit? On dit qu'ils sont fort anciens, qu'ils sont cits dans desauteurs du ii^ et du iii^ sicle; c'est dj bien s'loigner des aptres.Mais il est impossible d'accorder mme cela. On n'ignore pas, en effet,que, lorsqu'il s'agit d'absoudre saint Ignace de l'accusation d'arianisme,les thologiens sont obligs de soutenir que ses ptres ont t falsifiesau IV* sicle par des mains ariennes.

    Je reconnais que les passages de saint Justin, de Tertullien et deClment d'Alexandrie ont beaucoup plus d'importance; mais ils sontsi peu favorables la thsequ'on veut tablir, qu'au besoin il serait pos-sible de les retourner contre elle. Nous adorons, dit saint Justin, lecrateur du monde; la seconde place, le Fils; la troisime, l'Espritprophtique. Je ne veux pas argumenter trop strictement contre untexte isol; mais il me semble qu'un hrtique se servirait assez biendes paroles de saint Justin pour introduire des degrs de perfectiondans la sainte Trinit; en tout cas, M. Jules Simon m'accordera ais-ment que ce passage ne serait pas bon citer pour prouver l'galitabsolue des trois personnes divines. Saint Justin ne passe pas auprsdes thologiens pour avoir toujours t d'une orthodoxie parfaite oudu moins d'une correction irrprochable sur ce point dlicat; et l'onsait assez que les pres alexandrins ne sont pas des guides infailliblestouchant la distinction des personnes. Saint Justin dit ailleurs, il estvrai : c< Le Fils est Dieu. Mais comment l'est-il? Voil la question.Arius lui-mme disait aussi que Jsus-Christ est Dieu, et les alexan-drins admettaient leiir faon la divinit du Verbe. Avec une criti-

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    33/46

    33 que aussi peu svre, on trouverait la Trinit chrtienne dans Num-nius et dans Philon.Le passage de Tertullien, sur lequel on s'appuie sans doute de pr-

    frence, est coup sr trs remarquable; mais il faut observer qu'enle citant on le traduit, et qu'en le traduisant on l'interprte. Reste savoir si cette interprtation est lgitime. M. Jules Simon prend vi-demment pour rgle de traduction et d'exgse, et en quelque sortepour cl, le symbole de Nice, ce qui est thologiquement trs lgi-time. La thologie suppose, en effet, a priori que le temps et leshommes ne sont pour rien dans l'organisation des dogmes religieux,et que les conciles se bornent claircir les vrits rvles, sans yajouter et sans en retrancherjamais rien. De quel droit cependant unphilosophe, interprtant un texte de Tertullien o il est dit express-ment que les trois personnes sont des degrs de la substance divineet qu'elles diffrent entre elles par le degr, affirmera-t-il que ce pren'a pas entendu introduire dans la Trinit des diffrences de degr?La seule raison qu'on puisse donner, c'est que l'glise l'entend decette faon; mais que dire ceux qui ne s'en rapportent pas l'glise?Reste enfin un passage de Clment d'Alexandrie. J'avoue qu'il se-

    rait piquant, si l'on peut employer ce mot en si grave matire, de seservir des paroles des pres platoniciens d'Alexandrie pour fortifierune thse qui tend au moins indirectement nier toute influence dePlaton et d'Alexandrie sur la formation du christianisme. Malheureu-sement pour cette thse, jadis si accrdite, mais qui est devenueaujourd'hui presque paradoxale, le passage de saint Clment ne con-tient rien qui puisse distinguer la Trinit chrtienne d'une fouled'autres, ce qui lui te toute importance dans ce dbat.

    Il s'en faut donc infiniment qu'on ait tabli que le dogme de lasainte Trinit et la doctrine chrtienne en gnral taient constituset fixs avant la naissance de l'cole d'Alexandrie. Ce n'est pas avecquelques textes vagues et indcis, d'une authenticit souvent suspecte,d'un caractre souvent quivoque, qu'on rpondra aux innombrablesdifficults qui s'lvent contre une thse aujourd'hui bien compromise.Nous ne pouvons les indiquer toutes; mais il est ncessaire d'en es-quisser ici quelques-unes, non pas assurment pour rsoudre le vasteproblme de l'influence d'Alexandrie sur le christianisme, mais pourrtablir au moins la question dans ses termes vritables.On sait les incroyables efforts qu'ont d faire les plus savans apolo-gistes et les plus profonds thologiens de l'glise pour disculper d'h-rsie certains pres des premiers sicles. Or, quels sont ceux que

    3

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    34/46

    34. M. Jules Simon cite de prfrence? Saint Justin, Athnagore, Origne,Clment d'Alexandrie, TertuUien. Ce sont justement les plus suspects.Pour Tertullien , il est assez reconnu que la forte imagination de cetloquent et fougueux crivain s'accordait peu avec la svrit, la pr-cision, lu mesure que demande une exacte thologie. Qui ne sait quele matrialisme peut se placer sous son patronage, et qu'il a fini pardonner tte baisse dans les chimres de Montan? Origne, puissantgnie, mais incapable de rgle, reste frapp des anathmes de l'glise.Faut-il avoir plus de confiance dans les autres pres platoniciens? Bos-suet lui-mme a remarqu que les images dont se sert saintJustin pourdcrire la Trinit exagrent beaucoup trop la distinction des personnes.Qu'on lise l'immense ouvrage du savant jsuite Petau , et l'on verracombien de pres se sont carts de la foi de Nice. Conmient expli-que-t-on ces diffrences? On dit, et il faut bien qu'on dise, que cessaints personnages parlaient mal, mais qu'ils pensaient bien. Ing-nieuse explication, admirable rgle de critique Qu'on essaie de latransporter dans l'histoire, dans la philosophie, on en verra les suites.Un thologien dont l'Allemagne catholique s'honore, le savant histo-rien d'Athanase, Mhler, s'est jet dans un systme d'exgse vrita-blement dsespr. Ne pouvant ramener l'orthodoxie certains pas-sages rebelles des premiers pres de l'glise, il distingue subtilemententre la croyance des pres et les preuves sur lesquelles ils l'tablissent.La croyance est pure, mais les preuves ne le sont pas, en ce sensqu'elles conduisent une croyance toute contraire. Voil une dis-tinction merveilleuse, et bien respectueuse surtout pour ces presvnrables, dont il faut dire dsormais qu'en croyant certains dogmesils ne savaient ce qu'ils croyaient, et qu'en voulant prouver leur foiils travaillaient sa ruine

    Ce n'est point ici le lieu d'insister davantage, de chercher le tri-thisme dans saint Grgoire deNysse et dans saint Cyrille d'Alexandrie,l'arianisnie dans saint Ignace et dans saint Irne, en un mot dansles pres les plus autoriss le germe des plus clbres hrsies; maisje citerai au moins un grand fait, qui me parat en cette matireabsolument dcisif : c'est le fait de l'existence et des progrs extra-ordinaires de l'arianisme au iv^ sicle de l're chrtienne (i).On sait qu'Arius niait le dogme du Verbe incarn, coternel auPre. C'tait nier au fond la divinit de Jsus-Christ, qui descendaitau rang d'une crature; c'tait nier le dogme de l'Homme-Dieu, qui

    (1) Voyez, dans la Revue des Deux Motides du 15 juin 1841, un remarquablearticle sur l'arianisme, par M. Lerminier.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    35/46

    - 35 est l'ame du christiaDisme. n ne s'agissait donc point ici d'une subti-lit, d'une distinction thologique; il s'agissait d'un dogme essentiel,li la Trinit, l'Incarnation, la Rdemption, qui touchait toutesles croyances, tous les principes, et jusqu'aux crmonies du culte.Supposez qu'au iv sicle la doctrine chrtienne ft arrte, orga-nise sur tous les points; supposez surtout que, depuis trois sicles,elle n'et pas un instant vari : je vous demande de m'expliquer com-ment une hrsie qui la renversait de fond en comble a pu faire unesi prodigieuse fortune, comment un simple prtre d'Alexandrie apu faire chec l'glise tout entire? Ce prtre obscur se lve un jour,et propose sa doctrine sur Jsus-Christ. Son vque veut touffer savoix; il -persiste, et, quelques annes aprs, sa querelle est celle dumonde. L'arianisme envahit les conciles, et bientt, suivant l'expres-sion de saint Jrme, le monde s'tonne d'tre arien.Qu'on remarque bien qu'il ne s'agit point ici de considrer l'aria-

    nisme comme un premier appel au droit d'examen, comme une pro-testation prmature de la raison contre un dogme qui la rvolte etl'enchane; je parle des progrs de la doctrine d'Arius au sein mmede l'glise, parmi les fidles les plus prouvs, les voques les plus res-pectables, les conciles les plus imposans par la solennit et le nombre.Qu'on fasse la part si grande qu'on voudra l'obscurit des questionsthologiques, aux intrts temporels qui ont pu pousser certains v-ques l'arianisme et influer sur certains conciles, rserves dj bienprilleuses pour l'infaillibilit de l'glise, il reste une difficult radicale-ment insoluble : c'est qu'une grande doctrine tant depuis plus de troissicles, ce qu'on assure, tablie dans l'glise et universellement con-sentie , il se soit rencontr pour autoriser, pour imposer la doctrinecontraire, je ne dis pas de nombreux chrtiens, je ne dis pasun certainnombre d'vques, je ne dis pas un synode ou une forte minorit dansun concile; je dis des miUions de fidles, des centaines d'vques, unefoule de grands conciles. Sait-on bien que le concile de Milan, qui acondamn et dpos Athanase , en qui s'tait personnifie la foi deNice, tait compos de trois cents evques? Je ne veux pas m'appuyersur le concile de Riraini, qui comptait plus de membres que celui deNice, et qui signa la formule de l'arianisme; je sais que des intriguespassionnes se mlrent la discussion ; que la faim et la soif vinrent ausecours de l'hrsie; qu'une violence matrielle fut exerce contre lesvques; mais avant tout ordre de l'empereur Constance, le concile deRiraini comptait quatre-vingts vques ariens. Le concile de Sleucietait compos de cent quarante- huit vques, presque tous partisans

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    36/46

    36 dclars de l'arianisme. C'est dans cette assemble qu'il fut dcid, la majorit de 105 voix contre 43, que la substance du Fils n'tait pasidentique celle du Pre [homoiousion) , mais semblable seulement[homoousion]. Les mots diffrent peu, et l'on peut rire avec Boileaude l'univers troubl par une diphthongue; mais allez au fond des cho-ses : entre Jsus-Christ homme et Jsus-Christ homme-dieu, il y a l'in-fini, il y a, si l'on peut ainsi parler, l'paisseur du christianisme. Or,ce mot fameux dHhomoiousion, qui devint le drapeau de l'orthodoxie,d'o venait-il quand Nice le consacra? Si l'on en croit un tmoignagetrs prcis, quelque scandale qu'il puisse produire, ce mot sorti pourla premire fois d'une bouche hrtique avait t expressment rejetpar le concile d'Antioche.

    Ces conciles qui s'accusent rciproquement d'hrsie, ces synodesqui lancent l'anathme sur des hommes reconnus innocens par d'au-tres synodes, tout cela prsente-t-il l'image d'une entente parfaite,d'une organisation dfinitive dans la doctrine ? Croit-on que le prtreArius ne ft pas d'aussi bonne foi que l'vque Alexandre? Eusbe deNicomdie n'avait pas le grand caractre et le gnie de saint Atha-nase; mais tait-il moins sincre et moins attach la tradition desaptres? et le concile de Milan tait-il moins indpendant du pouvoircivil que celui de Nice o assistait l'empereur Constantin?

    Je ne citerai plus qu'un tmoignage bien propre peindre le vri-table tat de l'glise au iv sicle de l're chrtienne. Je l'emprunte un personnage qui fut la fois spectateur et acteur dans toutes lesgrandes affaires de son temps :

    C'est, dit-il, une chose aussi dplorable que dangereuse, qu'il yait autant de professions de foi que d'opinions parmi les hommes,autant de doctrines que d'incUnations, et autant de sources de blas-phmes qu'il y a de pchs parmi nous, parce que nous faisons arhi-Irairemeni des symboles que nous expliquons arbitrairement. Uho-moousion est successivement rejet, reu et expliqu dans diffrensconciles. La ressemblance totale ou partielle du Pre et du Fils devientdans ces temps malheureux un sujet de dispute. Chaque anne, chaquemois, nous inventons de nouveaux symboles pour expliquer des mys-tres invisibles. Nous nous repentons de ce que nous avons fait, nousdfendons ceux qui se repentent. Nous anathmatisons ceux quenous avons dfendus, nous condamnons la doctrine des autres parminous, ou notre doctrine chez les autres; et en nous dchirant avecune fureur rciproque, nous travaillons notre mutuelle ruine (1).

    (1) Hilanus ad Constantum, liv. II, c. iv, v, p. 1227-28.

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    37/46

    37 Est-ce l le langage de quelque spectateur ironique, de quelque

    sceptique pessimiste et morose? Non; c'est celui d'un illustre pre,d'un grand et vnrable prlat, de saint Hilaire, ce mme vque quidclare en un autre endroit que dans les dix provinces de l'Asie o iltait exil il n'a trouv qu'un bien petit nombre de prlats qui con-nussent la vraie religion, le vTai Dieu. Plus je relis ces tmoignages,plus je me persuade que de toutes les entreprises la plus difficile se-rait d'tablir que la doctrine chrtienne tait fixe au second sicle,avant la formation de l'cole d'Alexandrie.Nous accorderons maintenant M. Jules Simon un point de grande

    consquence : c'est qu'en dfinitive, aprs une laboration de quatresicles, le christianisme a oppos l'cole d'Alexandrie une doctrinesur la Trinit qui diffre essentiellement de celle de Plotin. Il est im-possible de recueillir avec plus de sagacit, d'analyser avec plus d'ordreet de nettet, de grouper d'une manire plus saillante les diffrencesdes deux systmes. Toutefois, il en est une qui, sans doute, n'a paschapp l'habile historien, mais qui mritait d'tre mise en un plusgrand jour. A nos yeux, c'est la plus essentielle de toutes, et commeelle se rattache l'ensemble tout entier et l'esprit mme de ces deuxgrands systmes d'ides, elle nous conduira les apprcier l'un etl'autre.Dans la doctrine alexandrine, la troisime hypostase mane de la

    seconde comme la seconde mane de la premire; et cette mme loid'manation par laquelle l'Unit engendre l'Intelligence, et l'Intelli-gence la Vie, prside aux manations infrieures et gouverne toutl'univers. Elle est la loi unique, uniforme, ncessaire de l'existence.De l un vaste systme o tous les degrs de l'tre, depuis l'unitabsolue jusqu'aux limites extrmes du possible, se classent, s'chelon-nent en vertu d'un mme principe.Dans la doctrine chrtienne, il en est tout autrement. Les trois

    personnes de la sainte Trinit ne sont pas unies par le mme rapport.Le Pre engendre le Fils, mais le Fils n'engendre pas le Saint-Esprit.Le Saint-Esprit est le fruit de l'union du Pre et du Fils, il procde del'un et de l'autre. Je me sers des termes consacrs : le rapport du Preau Fils est un rapport de gnration; le rapport du Saint-Esprit auPre et au Fils est un rapport de procession. Ces distinctions para-tront subtiles et peut-tre puriles certains esprits; nous croyonsque sous ces dfinitions en apparence toutes verbales se cachent desides profondes. Si les trois hypostgses de la Trinit sont ainsi con-ues, que la seconde mane de la premire et la troisime de la se-

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    38/46

    38 conde, comme il arrive dans la thorie alexandrine, chacune d'ellesn'a

  • 8/12/2019 Histoire de l'cole d'Alexandrie - Simon (1844)

    39/46

    39 vraie, et nous ne disons pas seulement une doctrine mieux approprieau temps et aux circonstances; nous disons encore, nous disons sur-tout une doctrine plus raisonnable. Le christianisme, il est vrai, n'apoint paru d'abord parler aux hommes au nom de la raison. SaintPaul veut sauver le monde par la folie de la prdication. Il ne saitqu'une seule chose : Dieu crucifi; il ne s'adresse point aux sages etaux philosophes, mais aux simples d'esprit. Le fougueux Tertulliens'crie : Credo quia absurdum. De nos jours encore, on prtend prou-ver l'origine surnaturelle du christianisme en l'opposant la raison.trange honneur qu'on veut faire h la religion la plus raisonnable etla plus digne de l'homme qui fut jamais Confusion singulire des for-mes varies que revt tour tour la raison avec son fonds toujours lemme et qui ne passe pas Opposition insense qu'on veut tablirentre Dieu et les hommes Oui, sans doute, le christianisme a t letriomphe de la raison de Dieu sur celle des hommes, c'est--dire letriomphe de l'ternelle raison qui enfante tous les systmes philoso-phiques et religieux, les dtruit et les renouvelle sans cesse et survit tous, sur un systme de croyances et d'ides qui avait fourni sa car-rire et n'avait plus rien faire pour le progrs et le salut du genrehumain.

    Outre cette cause gnrale et dominante, nous en signalerons deuxautres plus particulires qu'il importe notre temps de bien connatreet de mditer. Les philosophes d'Alexandrie ont fait deux fautes ca-pitales : la premire, c'a t de se rattacher troitement la religiondu pass, et d'associer leur destine avec celle du paganisme; la se-conde, d'avoir voulu tre la fois un sys