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D:\D Dossier PRO\ATELIER PHOTO 2013\classe photo 2012 2013\HiDA ATELIER PHOTO 2013 DOSSIER COMPLET.doc 1 HISTOIRE DES ARTS ٭2013 Œuvres d’arts spécifiques à l’Atelier photo Production personnelle et oeuvre Domaine artistique Thématique Connaissances et capacités relatives à la production présentée Une photo ou une série de photos produites par l’élève Ou Une photo ou une série de photos produites par un photographe professionnel ARTS DU VISUEL Arts plastiques : photographie Arts plastiques : peinture Arts, créations, cultures L’oeuvre d’art et les sociétés, les civilisations (reportage photographique) Arts, ruptures, continuités L’oeuvre d’art et la tradition : ruptures (avant- garde) Arts, techniques, expressions L’oeuvre d’art et l’influence des techniques La photo produite par l’élève est rapprochée de photographies réalisées par un photographe professionnel Photographes majeurs du XXe siècle : Brassai (1899-1984) - Gerda Taro (1910- 1937) - Henri Cartier- Bresson (1908- 2004) -Robert Capa (1913-1954) - Robert Doisneau (1912-1994) - Willy Ronis (1910- 2009) plus possibilité de choisir parmi un corpus de 322 photographes XIXe au XXIe siècle. ou La photo produite par l’élève est confrontée à la peinture réaliste et hyperréaliste (peinture proche d’une photographie) Peinture et photographie David Hokney de la peinture à la photographie, de la photographie à la peinture, ipod Hyperréalisme américain Don Eddy, Tom Blackwell, Hyperréalisme français Jean Olivier Hucleux Réalismes européens Jacques Monory, Gerhard Richter, Francis Bacon

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HISTOIRE DES ARTS2013٭

Œuvres d’arts spécifiques à l’Atelier photo Production personnelle et oeuvre

Domaine artistique

Thématique

Connaissances et capacités relatives à la production présentée

Une photo ou

une série de photos produites par l’élève

Ou

Une photo ou une série de photos produites par un photographe professionnel

ARTS DU VISUEL Arts plastiques : photographie Arts plastiques : peinture

Arts,

créations, cultures L’oeuvre d’art et les sociétés, les civilisations (reportage photographique)

Arts, ruptures, continuités L’oeuvre d’art et la tradition : ruptures (avant-garde)

Arts, techniques, expressions L’oeuvre d’art et l’influence des techniques

La photo produite par l’élève est rapprochée de photographies réalisées par un photographe professionnel

Photographes majeurs du XXe siècle : Brassai (1899-1984) - Gerda Taro (1910-1937) - Henri Cartier- Bresson (1908-2004) -Robert Capa (1913-1954) - Robert Doisneau (1912-1994) - Willy Ronis (1910-2009)

plus possibilité de choisir parmi un corpus de 322 photographes XIXe au XXIe siècle.

ou La photo produite par l’élève est confrontée à la peinture réaliste et hyperréaliste (peinture proche d’une photographie) Peinture et photographie David Hokney

de la peinture à la photographie, de la photographie à la peinture, ipod Hyperréalisme américain

Don Eddy, Tom Blackwell, Hyperréalisme français

Jean Olivier Hucleux Réalismes européens

Jacques Monory, Gerhard Richter, Francis Bacon

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Méthode et aide pour l’oral Histoire des arts au brevet. 1. Qu'est-ce que L'épreuve orale d'histoire des arts au brevet ? Lors de l'épreuve d'histoire des arts au brevet, vous devez présenter à un jury une photographie ou plusieurs photographies que vous avez produites et étudiées cette année. Cette production personnelle peut faire l'objet d'un dossier que vous avez réalisé et que vous proposez au jury. Vous présentez alors cet objet d'étude sous la forme d'un exposé oral de cinq minutes, puis vous répondez pendant dix minutes aux questions du jury sur votre exposé. Votre oral peut être composée

Après votre oral, le jury vous pose des questions. Les questions du jury peuvent porter sur :

des oeuvres à rapprocher de l'oeuvre étudiée : sources d'inspiration, reprises, copies, détournements, techniques proches…

votre expérience, votre culture, vos pratiques ou productions les métiers liés à l'oeuvre ou à son domaine artistique votre bibliographie, votre sitographie : à partir de quels ouvrages ou de quels sites Internet

avez-vous travaillé pour construire votre oral ?

d’une photographie unique

d’un ensemble de photographies liées par un thèmes

une production personnelle liée à d’autres œuvres de photographes professionnels

- Les « arts de l'espace » : architecture, urbanisme, arts des jardins. - Les « arts du langage » : littérature écrite et orale (roman, nouvelle, fable, légende, conte, mythe, poésie, théâtre, etc.). - Les « arts du quotidien » : arts appliqués, design, objets d'art ; arts populaires. - Les « arts du son » : musique vocale, musique instrumentale, technologies de création et de diffusion musicales. - Les « arts du spectacle vivant » : théâtre, musique, danse, mime, arts du cirque, arts de la rue. - Les « arts du visuel » : Arts plastiques : architecture, peinture, sculpture, dessin, photographie, bande dessinée, etc. Cinéma, audiovisuel, vidéo et autres images.

Représentant au moins trois des

domaines artistiques ci-contre

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2. Votre oral et l’évaluation C’est une épreuve orale, vous devez donc vous entraîner à l’oral. L’EXPOSÉ

Lors de l'épreuve d'histoire des arts, vous vous retrouvez dans une situation de communication orale continue de 5 minutes environ : vous allez devoir intéresser votre auditoire, lui transmettre un message, être clair dans vos paroles, maîtrisez vos attitudes et votre stress.

- Faites des phrases courtes, une présentation ordonnée de votre exposé, suivez un plan, utilisez des supports (feuilles, ordinateur, écran numérique) mais n’oubliez pas que vous êtes jugé sur votre oral, utilisez un vocabulaire précis. - Parlez d'un ton vif et adressez-vous directement aux membres du jury en les regardant. - Faites référence à l'oeuvre pendant l'exposé : montrez les détails dont vous parlez, faites des synthèses pour rappeler l’essentiel. - Si vous êtes plusieurs, partagez équitablement la prise de parole. Cela implique d'avoir prévu et mis en scène vos interventions.

Ce qu'il faut éviter - Lire ou réciter ses notes. - Employer un langage trop familier, des expressions à la mode, ne pas maîtriser son sujet.

Se préparer - Connaître tous les objets d'étude de sa liste. - Connaître le plan à suivre pour présenter l'objet d'étude. - Respecter le temps de parole.

S'entraîner, passer plusieurs oraux avant ! Avec des camarades de classe ou en famille passez votre oral - filmez-vous, enregistrez-vous pour vous critiquer et vous corriger - vous êtes candidat et vos amis sont les membres du jury puis échangez les rôles. L’ENTRETIEN

Les membres du jury écoutent votre exposé puis ils vous posent des questions sur votre travail lors de l'entretien.

- Ecouter bien la question ou la remarque. - Répondre à la question posée en utilisant ses connaissances et en justifiant son point de vue. N’inventez pas une réponse, admettez que vous ne savez pas répondre. - Savoir exprimer son point de vue personnel sur l'oeuvre étudiée. - Être capable de mettre en relation l'oeuvre étudiée avec une autre, d'une période ou d'un domaine artistique différents. - Être capable de répondre à des questions posées sur le dossier facultatif présentant les objets d'étude.

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L’ÉVALUATION avec une production d’élève Les membres du jury partage la note sur 20 selon trois axes : votre production, vos connaissances et vos compétences.

Connaissances et capacités relatives à la photographie

et à sa production personnelle

14 points

Capacités générales et

attitudes

6 points

La photographie ou les photographies de l’élève sont évaluées selon plusieurs critères :

Originalité, point de vue, capacité à créer un univers propre

Prise de vue, cadrage, contraste, lumière

Traitement numérique de la photographie, retouche L'élève est capable de :

Maîtriser des notions de base pour décrire les techniques de production et les usages de sa production (type d’appareil photo, prise de vue, exposition…) Développer un commentaire critique et argumenté sur sa production en discernant entre les critères subjectifs et objectifs de l'analyse.

Établir des liens pertinents avec d'autres photographes et leurs œuvres ou un courant photographiques ou une catégorie de photo ou des peintres réalistes et hyperréalistes.

Produire quelques éléments d'analyse critique sur une œuvre choisie auparavant.

Manifester des connaissances de base sur les métiers et les formations liés aux domaines artistiques (photographie, peinture, traitement numérique des photographies).

L'élève est invité à :

Développer, pendant cinq minutes environ, un propos structuré relatif à l'objet d'étude.

Appuyer son commentaire sur une documentation appropriée (référence aux cours, ressources numériques, etc.)

Écouter et prendre en compte les questions du jury en formulant une réponse adaptée.

Justifier ses choix en décrivant ses intérêts et ses acquis en histoire des arts.

Manifester sa capacité à interroger un univers artistique, y compris abstrait.

Évoquer la construction d'une culture personnelle en histoire des arts.

S'exprimer correctement à l'oral, dans un niveau de langue approprié.

Adopter un comportement physique convenant à la situation de l'épreuve.

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3. Préparer votre dossier : présenter et analyser une oeuvre d’art En cinq minutes, il s'agit de présenter votre production, de l'analyser et de la confronter à des photographies artistiques professionnelles ou à des peintures réalistes ou hyperréalistes.

Analyse esthétique d'une photographie Comment analyser une photographie et ses caractères artistiques ? Pour lire une photographie, il importe de suivre une démarche méthodique en trois étapes : décrire, analyser, interpréter. Voir document complet Sitographie

Sur Histographie, page Images fixes ATELIER PHOTO http://www.histographie.com/pages/Images_fixes_peintures_amp_photographies-7930537.html

http://www.histoiredesarts.culture.fr/ Sur la Photographie Site sur les grands photographes (XIXe-XXe) The Red List, une base sur les photographes par catégories Robert Doisneau Robert Capa Richard Avedon Archives vidéo Francis Bacon http://www.ina.fr/ardisson/bains-de-minuit/video/I07255044/francis-bacon.fr.html http://www.rts.ch/archives/tv/information/continents-sans-visa/3436026-francis-bacon.html http://www.ubu.com/film/bacon.html Documents sur le réseau du collège Dossier : les bases de la photo reflex numérique Dossier : Photographie et peinture Documents sur l’ordinateur portable

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Dossier Photographes XXe XXIe (322 photographes, 7275 photos)

ANNEXES

DOSSIER SUR LA Photographie et peinture

La " camera oscura " 1. Réactions dans le monde artistique des origines de la photographie jusqu'à Duchamp 1.1. Premier accueil favorable 1.2. 1859 : critique de Baudelaire 1.3. Action des pictorialistes au tournant du siècle 1.4. Les années 1920-1930 1.5. Usage constant de la photographie par les peintres 1.6. Source iconographique 1.7. Étude préliminaire 2. Conséquences de l'invention de la photographie pour la peinture 2.1. Décadence de la miniature 2.2. Impact de la tradition picturale sur la photographie 2.3. Fausse querelle du réalisme photographique 2.4. L'apport de la photographie instantanée 2.5. Abandon de la peinture imitative autour de 1880 3. Influence de la photographie scientifique sur Duchamp et sur les futuristes 4. La photographie de presse, source d'inspiration du pop art dans les années 1960 5. Bacon et la photographie 6. Les polaroids "joiners" de David Hockney 7. Hyperréalisme américain 8. Réalismes européens 9. Rôle de la photographie dans l'Art conceptuel, l'Art corporel, le Happening

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10. Les peintres-photographes 11. La photographie comme reproduction d'œuvres d'art 12. La photogravure 13. Les conséquences de la reproduction photographique et photomécanique pour la peinture 14. Tendances de la Photographie Contemporaine 15. Le photographe japonais Hisaji Hara et le peintre français Balthus

La " camera oscura "

L'histoire de la photographie est intimement liée à celle de la peinture : elle a été inventée par des peintres, pour des peintres, qui en conçurent l'idée dès le XVe s. pour apporter des solutions toujours plus satisfaisantes aux problèmes posés par la peinture comme représentation du monde réel sur une surface plane, notamment le problème de la perspective. Niepce (1765-1833), Talbot (1800-1877) et Daguerre (1787-1851) n'ont fait que développer chimiquement et fixer l'image projetée par la camera oscura, dont Léonard de Vinci, reprenant un thème platonicien, explique le mécanisme et à laquelle Giovanni Battista della Porta suggère dès 1588 d'ajouter une lentille convexe pour donner plus de luminosité à l'image ainsi projetée. C'est surtout chez les peintres de la vie quotidienne dans la Hollande de la seconde moitié du XVIIe s. (Vermeer de Delft, Hoogstraten) et chez les védutistes italiens des XVIIe et XVIIIe s. (Vanvitelli, Zuccarelli, Canaletto et Bellotto) que l'emploi de la camera oscura fut systématique. Cet emploi est mis en évidence par des particularités de style propres à la vision optique : compression de l'espace en profondeur, grossissement exagéré et flou des détails au premier plan dû à la réfraction de la lumière (Vermeer de Delft a su tirer de ce dernier trait un parti esthétique voulu). Déjà, Canaletto mettait les artistes en garde contre l'incorrection de la perspective telle que la restitue la camera oscura. Servante du peintre, destinée à lui faciliter l'approche du réel, celle-ci lui impose déjà ses lois et ses déformations et l'en détourne : on retrouvera ce paradoxe dans les rapports photographie-peinture.

1. Réactions dans le monde artistique des origines de la photographie jusqu'à Duchamp

1.1. Premier accueil favorable

Les peintres et les critiques d'art ne se sont guère prononcés lors de la publication des découvertes de Daguerre, hormis Paul Delaroche. Celui-ci écrivit à Arago une lettre enthousiaste, que ce dernier lut publiquement, pour déclarer que cette invention satisfaisait à tous les besoins de l'art. Mais il semble bien que les peintres aient été, comme les critiques, d'abord favorables à la photographie, en laquelle ils ont vu tout de suite la " servante idéale de la peinture " (Baudelaire). On connaît au moins, outre celui de Delaroche, 2 témoignages d'importance, d'ailleurs indépendants, ceux de Delacroix et de Ruskin, persuadés l'un comme l'autre que l'étude de la photographie permettrait aux peintres d'accéder à une supériorité inégalée (ce sont les propres mots de Delacroix !).

Ruskin connut dès 1841 les premiers daguerréotypes, les collectionna, en prit lui-même, s'en aida pour ses aquarelles et en parla constamment dans ses écrits sur l'art, conseillant par exemple aux peintres de regarder des reproductions de sculpture pour apprendre à peindre les draperies. C'est aussi dans le modelé des formes par la lumière et l'ombre que résident pour Delacroix la leçon du daguerréotype et sa supériorité sur le dessin ; on comprend mieux dès lors

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la fascination qu'un artiste qui n'avait pas la conception imitative de l'art d'un Ruskin éprouvait pour la photographie, fascination dont rien ne transparaît dans sa peinture. Sans doute faut-il aussi la mettre sur le compte de son esprit exceptionnellement curieux et spéculatif. En 1851, il fut membre fondateur de la Société héliographique, où il dut être introduit par le peintre et photographe Ziegler, élève d'Ingres, dont il utilisa les photographies dès 1850. En 1853, son intérêt ne fit que croître, sans doute renforcé par la rencontre à Dieppe d'Eugène Durieu (1800-1874), et il organisa chez lui des séances auxquelles assistaient d'autres peintres, comme Bonvin, où Durieu photographiait le modèle dans des poses indiquées par lui. Philippe Burty acheta à la vente de son atelier un des albums de photographies sur lesquelles il s'exerçait à dessiner.

Dans les débuts de la photographie, les relations ont été étroites entre peintres et photographes, ces derniers étant souvent peintres eux-mêmes ou issus de milieux cultivés et soucieux des mêmes problèmes formels. Les plus grands photographes du XIXe s. ont été des peintres, médiocres sans doute, mais qui, pour la plupart, exposaient régulièrement au Salon : Nègre, Baldus, Legray et Lesecq, ces deux derniers élèves de Delaroche. Daguerre a été un charmant petit maître, apprécié à nouveau de nos jours (Intérieur de l'église des Feuillants, Louvre ; Ruines de la chapelle de Holyrood, Liverpool, Walker Art Gallery, tous deux au Salon de 1824). Nadar et Carjat (1828-1906) sont venus à la photographie par la lithographie et la caricature. Le premier a ouvert en 1853 son salon de portraits photographiques, où toutes les personnalités artistiques ont défilé avant qu'il ne soit prêté aux manifestations des peintres impressionnistes en 1874. Carjat est lié à Millet, à Baudelaire, à Courbet, qui depuis 1854 se fait photographier régulièrement avec une grande complaisance, par lui ou par d'autres, et l'appelle " mon ami, mon biographe ". Le peintre Corot, lui, à partir de 1853, a longuement pratiqué le " cliché-verre " : sur une plaque de verre émulsionnée au collodion —une technique photographique récemment importée de Grande-Bretagne — longtemps exposée à la lumière, on dessine à la pointe d'acier ou à la plume d'oie sur la couche devenue opaque, sur laquelle les traits s'enlèvent en clair. De ce négatif, on obtient un positif sur papier sensible exposé à la lumière. Ce sont 2 photographes amateurs, Adalbert Cuvelier et L. Grandguillaume, connus à Arras par l'intermédiaire de Constant Dutilleux, qui lui avaient appris cette technique. Corot ne tira d'ailleurs jamais les positifs lui-même, mais laissa ce soin à Grandguillaume et à un élève de ce dernier, Charles Desavary. Celui-ci vint travailler à Barbizon avec Pierre Dutilleux et d'autres photographes encore, et les peintres de Barbizon, Millet, Rousseau, Paul Huet, Charles Jacque, eux aussi, firent des " clichés-verre " (connus également de Delacroix et de Fantin-Latour). Horace Vernet fut l'un des artistes chargés de graver les vues photographiques pour les Excursions daguerriennes de Lerebours et Goupil en 1842, la première publication faite d'après des photographies.

En Angleterre, Turner fut sur la fin de sa vie très lié avec le photographe Edwin Mayall (1810-1901), tandis que le peintre symboliste Watts avait pour amie Julia Margaret Cameron (1815-1879), qui, à 48 ans, se découvrit le génie de la photographie.

1.2. 1859 : critique de Baudelaire

Les relations peintres et photographes se détériorèrent lorsque ces derniers prétendirent au statut d'artiste et obtinrent de l'empereur d'exposer au palais de l'Industrie en 1859 dans des salles proches de celles qui étaient réservées au Salon annuel de peinture. C'est l'époque de la belle et célèbre diatribe de Baudelaire qui remet la photographie à sa place de " servante de la peinture ".

La pétition de 1862 est bien révélatrice de cet état d'esprit. Elle fut signée par Ingres, Flandrin, Fleury-Richard, Nanteuil, Troyon, Bida, Isabey et Puvis de Chavannes (mais Léon Cogniet et Delacroix refusèrent de signer) pour empêcher toute assimilation de la photographie à une œuvre d'art : la question avait été soulevée lors d'un procès entre les photographes Mayer et Pierson, pour une question de droit d'auteur. Vers la même époque, il est vrai, la photographie se commercialise par les soins d'hommes comme Disderi, et la création de nombreux clubs de

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photographie ne fait que renforcer l'isolement des photographes, par rapport aux peintres, malgré les prétentions " artistiques " des premiers. Cela n'a pas empêché les seconds de suivre avec intérêt les nouvelles découvertes : lorsque le photographe américain Muybridge (1830-1904), en 1877-78, arriva à décomposer les mouvements de l'homme et de l'animal en une série d'images statiques, il reçut un accueil chaleureux, dans son pays et en Europe, de la plupart des artistes : en 1881, Meissonier, qui avait vu ses photographies chez un client américain, l'invita chez lui en présence d'autres peintres, Detaille, Cabanel, Gérôme notamment. Le photographe fut également appelé à faire une conférence à la Royal Academy de Londres. Le peintre Eakins fit financer par l'Académie des beaux-arts de Pennsylvanie l'édition américaine de Animal Locomotion en 1885-1887, et à l'édition anglaise souscrivirent Watts, Alma-Tadema, Poynter, Sargent, Holman Hunt, Whistler, Ruskin, Gérôme, Meissonier, Bouguereau, Detaille, Puvis de Chavannes et même Rodin, pour qui ces images scientifiques étaient pourtant moins expressives que par exemple le galop " ventre-à-terre ", irréaliste mais efficace, de Géricault dans le Derby d'Epsom.

1.3. Action des pictorialistes au tournant du siècle

Le photographe américain Stieglitz est celui qui a le plus efficacement combattu pour recréer une union entre peinture et photographie par l'intermédiaire de sa revue, Camera Work, et de sa galerie 291, où il a exposé et publié alternativement aussi bien les dessins de Rodin que les photographies du groupe américain pictorialiste — se rattachant à la fois aux courants impressionnistes et symbolistes, qu'il animait lui-même — et que des peintres cubistes comme Picasso (qu'il fit connaître à l'Amérique dès 1911, donc avant l'Armory Show de 1913) et les photographes qui s'inspiraient de lui, tel le Paul Strand (1890-1976) des années 1915. En 1917, à Londres, les vorticistes exposent au milieu de leurs peintures les photographies abstraites d'Alvin Langdon Coburn (1881-1966), naguère un protégé de Stieglitz.

1.4. Les années 1920-1930

Mais cette union étroite ne s'est véritablement accomplie que dans les années 1920, en particulier en Allemagne, autour du Bauhaus, véritable centre de recherches pour l'élaboration et la diffusion d'un nouveau langage plastique adapté au monde contemporain et pouvant s'exprimer indifféremment dans toutes les techniques : aussi bien le film et la photographie (qui a là certainement profité de la reconnaissance accordée au cinéma par les artistes) que la peinture ou le dessin, pour nous limiter artificiellement aux arts de la surface, tandis que l'esthétique du Bauhaus militait en faveur d'une fusion de tous les arts. Moholy-Nagy, qui voyait dans la photographie un moyen d'éveiller l'œil à une vision nouvelle, a joué, même s'il n'est pas le premier a en avoir eu l'idée, un grand rôle à la fois dans son œuvre et dans ses écrits, comme Malerei, Photographie, Film, de 1925, pour élargir le champ d'action du peintre en y introduisant la photographie (en même temps qu'il élargissait considérablement le champ de la photographie en ne la confinant plus dans une simple représentation du réel). L'exposition de Stuttgart " Film und Foto " en 1929, à participation internationale, où furent exposées, à côté de réalisations de photographes purs comme Atget (1857-1927), Renger-Patszch (1897-1966), Edward Weston (1886-1958), celles de peintres comme Lissitsky, Moholy-Nagy, Man Ray, Herbert Bayer, ou d'élèves du Bauhaus comme Florence Henri, fut aussi une consécration pour la photographie, enfin reconnue comme moyen de création à l'égal du cinéma et de la peinture. Il faut y voir une conséquence de cette idée de fusion des arts qui est en germe depuis l'Art nouveau au tournant du siècle et à laquelle dada donna une réalité explosive en se servant même des matériaux les plus inattendus. Que cette consécration de la photographie aux côtés de la peinture ait été seulement perceptible pour les artistes et une poignée de privilégiés, l'expérience de Julien Levy le démontre. Après un séjour prolongé à Paris dans les milieux d'avant-garde, celui-ci rentre à New York et y ouvre dans les années 20 une galerie où il expose côte à côte des peintres surréalistes et des photographes comme Atget (très apprécié des surréalistes, qui publient ses photos dans la Révolution surréaliste en 1926, en particulier celle de la devanture d'une boutique de tailleur où se reflète, créant une association d'images hétéroclites qui leur est chère,

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l'architecture des maisons d'en face) ou consciemment surréalistes comme Eli Lotar (1905-1970) et Man Ray. Les peintures trouvèrent acquéreurs, mais pas les photographies. Pour Marcel Duchamp, pas de voisinage harmonieux entre photo et peinture. Au contraire, il se sert de la photographie dans ce qu'elle a de plus mécanique (photo scientifique de préférence et sous toutes ses formes, parfois photo populaire) comme d'un antidote contre tout ce qu'il condamne en peinture : subjectivité et sensualité —ou plutôt sensualisme— et surtout toute la " cuisine picturale ", qu'il ne tient pourtant pas à remplacer par une autre " cuisine ", photographique. Il répond en 1922 au fameux questionnaire lancé par Steiglitz : " Une photographie peut-elle avoir un sens artistique ? [...] J'aimerais qu'elle dégoûte les gens de la peinture jusqu'au moment où quelque chose d'autre rendra insupportable la photographie. " Et si depuis 1910 jusqu'à sa mort la photographie joue un rôle essentiel dans son œuvre, c'est comme suggestion ; il ne l'a lui-même guère pratiquée. Elle est pour lui le modèle de ce que devrait être l'art ou l'image (et il reprend là le mythe platonicien de la caverne) : une projection du monde des idées. D'où l'importance chez lui de la silhouette : de celle du couple enlacé se détachant sur la porte créée en 1937 pour la galerie d'André Breton Gradiva aux Autoportraits de profil de 1958, de papier noir découpé sur papier blanc en réserve.

1.5. Usage constant de la photographie par les peintres

Une chose est sûre : dès les débuts, tous les peintres se sont constamment servis d'elle, sauf peut-être les impressionnistes (et encore, en excluant Cézanne, Degas, Caillebotte et Monet pendant sa dernière période), qui, dans leur volonté de traduire directement l'impression ressentie devant la nature, n'avaient pas besoin de cet intermédiaire.

1.6. Source iconographique

Les témoignages abondent, en 1859 celui d'Ernest Chesnau dans la Revue des Deux Mondes, comme en 1894 à Giverny celui du peintre impressionniste américain Robinson, qui avoue ne pas très bien savoir pourquoi il utilise les photographies, sinon parce que " tout le monde le fait autour de lui ". Outre le rôle évident de document par lequel elle remplace désormais la gravure ou la peinture —Meryon grave d'après un daguerréotype une vue de San Francisco, Manet s'en sert pour sa Mort de Maximilien— , tous l'utilisent pour des portraits de défunts. Le premier usage de la photographie est de décharger le peintre du souci de temps et d'argent de trouver un modèle ; dès 1854, de nombreux photographes se spécialisent dans la publication de photos de nus destinées à cet usage : Moulin, Delessert, Vallou de Villeneuve, Braquehais, et cela jusqu'en 1900, avec par exemple Émile Bayard. Courbet s'est beaucoup servi des nus de Vallou de Villeneuve : pour l'Atelier (une lettre de Bruyas y fait allusion), pour les Baigneuses et aussi sans doute pour la Femme au perroquet. Delacroix a utilisé un daguerréotype pour la petite Odalisque (1857) de la coll. Niarchos (c'est l'iconographie, c'est la pose qui intéresse ici les peintres, lesquels ont le plus souvent complètement transformé le modèle). Souvent, l'artiste combine l'étude du modèle vivant et de la photo. Selon un témoignage d'Eugène de Méricourt en 1855, Ingres se serait servi, pour ses portraits, de photographies de Nadar ; Cézanne, qui était très lent, travaillait souvent sur photographie non seulement pour ses figures, mais aussi pour ses paysages.

1.7. Étude préliminaire

Mais les peintres se servent aussi de la photographie comme étude préliminaire de la figure ou du paysage, dont ils s'inspireront librement dans leurs tableaux. Delacroix s'est beaucoup exercé de cette façon. Millet avoue en 1855 à Edward Wheelwhright qu'il se sert de la photographie comme de notes, mais qu'il ne peindrait jamais à partir d'une photographie : pour lui, elles ne sont que des moulages de la nature ; les photos de Jane Morris prises sous la conduite de Rossetti dans des poses qui s'apparentent étroitement à celles de figures de ses tableaux sans avoir pourtant été retenues littéralement témoignent de recherches de ce genre.

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À la fin du siècle, Eakins, Robinson parfois, James Tissot à partir de 1870, Fernand Khnopff, Mucha, F. von Stück et Franz von Lenbach ont utilisé systématiquement les photographies en guise de dessins préparatoires ; Stück et Lenbach décalquaient même les visages pour les portraits— une technique de report qui est la continuation logique du système préconisé par Dürer ou du physionotrace de la fin du XVIIIe s.

Dans le même esprit, Rossetti, Burne-Jones et Degas ont fait faire des agrandissements de leurs propres dessins pour les retravailler ensuite à la peinture ou au pastel ; la photographie évitait alors le report par mise au carreau (ce sont sans doute à de tels dessins que fait allusion Cocteau dans le Secret professionnel, lorsqu'il dit qu'il a eu entre les mains des photos retravaillées au pastel par Degas).

2. Conséquences de l'invention de la photographie pour la peinture

2.1. Décadence de la miniature

On croit pouvoir attribuer à l'apparition de la photographie la disparition du genre du portrait miniature, remplacé par les " cartes de visite " mises au point par Disderi (1819-1890) en 1859 et qui font fureur aussitôt.

Selon des sondages rapportés par Scharf, sur 1 300 peintures exposées à la Royal Academy en 1830, on compte 300 miniatures ; en 1870, on n'en compte plus que 38. Les miniatures connaîtront une brève renaissance sans lendemain vers 1890-1910, période de retour à l'artisanat. Le portrait grandeur nature n'a pas disparu, mais est devenu de plus en plus réservé à une élite. Tandis que la photographie, parfois recouverte de peinture, une invention de Disderi encore, remplaçait, sans dommage, le portrait " vernaculaire ".

2.2. Impact de la tradition picturale sur la photographie

Si l'utilisation de la photographie par les peintres a été constante, il ne semble pas qu'elle ait transformé de façon notoire leur vision ni leur style, du moins jusqu'à l'emploi répandu de l'instantané à partir de 1859. Au contraire, c'est la tradition picturale, plus ancienne, donc plus forte, qui a servi dans l'ensemble de référence à ce nouveau moyen de représentation qu'était la photographie, quel que soit le genre abordé : paysage, scène de genre, portrait surtout. Monsieur Bertin date de 1832 et ce n'est donc pas la découverte du daguerréotype (en 1839) qui a fait évoluer Ingres de la stylisation à tendance primitiviste de ses premiers portraits de 1806 vers ce réalisme illusionniste à la Van Eyck. Au contraire, ce même portrait a sans nul doute inspiré le style des photographies de Nadar, tout comme les portraits photographiques des Écossais Hill (1802-1870) et Adamson (1820-1848) dérivaient de l'art de Raeburn, et ceux de Adam Salomon (1811-1881) prétendaient rivaliser avec Gerrit Dou. Les natures mortes ou trophées de chasse dont Adolphe Braun (1811-1877), Roger Fenton (1819-1869), notamment, furent de grands spécialistes renvoient à une longue tradition picturale ; les scènes de genre paysannes de H. P. Robinson (1830-1901) et de Rejlander (1813-1875), comme celles de Stieglitz dans les années 1880, évoquent laborieusement Le Nain, Millet, Murillo. Rejlander, Holland Day (1864-1933), Margaret Cameron ont même cherché à recréer en photographie l'équivalent de la peinture d'histoire et de la peinture religieuse ; pour ne pas parler d'un cas limite comme celui de Richard Polak (1870-1957), qui reconstitue dans ses photographies du début du siècle les tableaux d'intérieurs hollandais du XVIIe s. Enfin, ce n'est pas par hasard que l'on a appelé " pictorialiste " le mouvement amorcé par Emerson (1856-1936), lequel a redonné une nouvelle impulsion à la photographie artistique à la fin des années 1880. En Amérique, le groupe de Stieglitz Photo Secession, avec en particulier Edward Steichen (1879-1977) et Frank Eugene (1865-1936), en France les pictorialistes Puyo (1857-1933) et Demachy (1859-1938), en Autriche Hugo Henneberg (1863-1918) ont pris la relève et, allant plus loin encore, ont favorisé une photographie dont l'extrême manipulation faisait de chaque épreuve une œuvre unique à l'image de la gravure

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d'artiste. L'hypothèse de l'historien d'art anglais Aaron Scharf, selon laquelle les paysages d'Adalbert Cuvelier et leur flou vaporeux dû à la fois à l'exploitation d'un défaut de la technique au collodion (l'halation) et à un temps d'exposition lent auraient encouragé l'évolution de la peinture de Corot dans les années 1850, n'est nullement prouvée. Mais elle demeure possible, car Corot était très intéressé par la photographie— les 300 photos de paysage trouvées dans son atelier le montrent bien. Aaron Scharf attribue aussi le manque de hiérarchie dans les diverses valeurs de tableaux de certains préraphaélites (Millais, Holman Hunt) et leur utilisation irrationnelle de la lumière à un démarquage des photographies de Robinson et de Rejlander, en général composées d'un montage de plusieurs photos prises indépendamment. Ne faut-il pas y voir plutôt, comme dans l'emploi des couleurs aigres, une volonté de stylisation héritée des primitivistes et des Nazaréens et qui préfigure un certain Symbolisme ?

2.3. Fausse querelle du réalisme photographique

La confusion voulue faite par certains critiques autour de 1860 entre la photographie et l'école réaliste, l'une étant la cause de l'autre, à la fois chez les Goncourt et chez Delécluze, a l'allure d'un règlement de comptes mettant dans le même sac 2 sujets abhorrés, plutôt que d'un jugement objectif. La source du réalisme de Courbet, de Vollon, de l'école de Barbizon est à chercher, pour le choix des sujets comme pour le style, dans la peinture nordique du XVIIe s. Dans ses marines tardives, en revanche, Courbet a cherché plus étroitement son inspiration dans la photographie : chez Braun (le Paysage au château de Chillon de 1874 [musée d'Ornans] est à coup sûr peint d'après l'épreuve de ce dernier) et, paraît-il aussi, chez Legray. Plus justifiées pourraient sembler les critiques de Frédéric Henriet pour le Salon de 1861, décelant une influence de la photographie aussi bien dans le style néo-grec, dont la touche minutieuse s'apparente à la surface du daguerréotype, que dans le style proprement réaliste. Le réalisme très poussé de la peinture dite " photographique " des petits maîtres — dont Gérôme, Meissonier, Bourgereau, les plus doués, dépassent de loin la troupe, plus médiocre, des Yvon, Destailles, Chocarne-Moreau, William Logsdail — est dû à l'aboutissement au point extrême de l'enseignement académique, pour lequel le rendu de la demi-teinte, si important aussi en photographie (qui leur fut pour cela un instrument utile), joue un rôle essentiel. Certains artistes ont cependant indéniablement été pris du désir de rivaliser d'exactitude avec la photographie au point d'en oublier les buts de la peinture : après la publication des découvertes de Muybridge en 1878 dans la Nature, Meissonier, pour ne citer que lui, a refait 2 de ses tableaux de batailles pour représenter correctement le galop du cheval.

2.4. L'apport de la photographie instantanée

La photographie instantanée (temps de pose à 1/58 de seconde) est apparue officiellement en 1859, en même temps que les appareils s'allégeaient et permettaient de choisir d'autres points de vue que le point de vue frontal. Elle fut divulguée rapidement sous forme de vues stéréoscopiques. Certaines photos de villes, dont Hippolyte Jouvin était un des spécialistes réputés en France, prises d'un point de vue élevé et où grouillent les taches des citadins, ont inspiré les premiers sujets des impressionnistes, tel le Boulevard des Capucines de Monet en 1873, ou les tableaux de Pissarro de sujets avoisinants. Agrandies à la loupe, ces taches révélaient des figures prises sans le savoir par la caméra dans des attitudes totalement naturelles, qui, jusque-là, n'avaient pas eu droit de cité —ou presque— en peinture et que l'œil devait même enregistrer sans s'y arrêter. À partir de ces images nées du hasard, Degas, abandonnant les sujets antiques, a élaboré un nouveau style qu'il définit ainsi : " Faire des études de gens dans des attitudes familières et typiques et surtout donner à leur figure le même choix d'expression que leur corps. " Tous les artifices du cadrage photographique (composition décentrée, goût du raccourci, personnage coupé par la composition) ou les défauts d'optique dus par exemple à l'utilisation d'une lentille à court foyer (aplatissement de l'espace, étalement des figures au premier plan, rétrécissement exagéré de l'arrière-plan), Degas pouvait les trouver dans l'estampe japonaise, qui a dû servir de catalyseur ; mais il ne pouvait capter l'expression momentanée d'un visage ou d'un geste qu'à travers la photographie, comme le montre bien sa copie d'une photo de

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Disderi représentant la princesse de Metternich. La Famille Bellelli, au début des années 1860, est un premier pas encore raide vers cette nouvelle esthétique. On cite en général comme les plus typiques du caractère photographique de son art la Place de la Concorde (vicomte Lepic et ses filles), vers 1875, l'Équipage aux courses (1873), et, avant, la Femme aux chrysanthèmes, de 1865, le Bureau de coton à La Nouvelle-Orléans de Pau (1873) étant évidemment le chef-d'œuvre du genre. Mais c'est toute l'œuvre de Degas qu'il faudrait citer, à partir de 1860, y compris les tableaux de danseuses et de blanchisseuses (on a retrouvé des photos de blanchisseuses dans son atelier). Le côté anticonventionnel de la peinture de Degas a beaucoup choqué les contemporains, qui lui reprochaient, comme Gustave Coquiot à propos du Foyer de la danse, son caractère photographique. Watts, qui admirait tant les portraits de Cameron, n'admettait pas non plus que le peintre adoptât un point de vue autre que frontal. L'intérêt de Degas pour la photographie nous est connu par les témoignages de Lerolle et de Rouart, et il l'a d'ailleurs pratiquée lui-même à partir de 1890, donc après avoir trouvé son style, sans doute encouragé par l'exemple du photographe Barnes, qui travaillait pour lui à Dieppe en 1885 (et dont il envoya des photos à Sickert). Ses propres photos, qui étonnaient les contemporains par leurs recherches de raccourcis (il faisait prendre à ses sujets des poses d'abord incompréhensibles), paraissent bien sages à côté de ses tableaux. Il semble que la peinture de Degas, utilisant une nouveauté technique de la photographie, a créé non seulement pour la peinture, mais pour la photographie elle-même, des nouvelles conventions de représentation. Ainsi, les instantanés pris dans les années 1885-1890 par Maurice Joyant, l'ami de Lautrec, sont très proches, par les intentions et la composition, des tableaux de Degas. La contribution de celui-ci est importante, car il a mis l'accent sur un aspect de la photographie passé jusque-là inaperçu, intégré à sa peinture même : le caractère essentiellement graphique et pauvre en matière (il peint de façon caractéristique généralement avec une pâte très légère délayée à l'essence). Au contraire, les peintres du XIXe s., réalistes ou non, avaient surtout été fascinés par les possibilités illusionnistes de la photographie, par sa capacité inégalée, pensaient-ils, de rendre le détail des matières.

L'art de Lautrec, non moins intéressé que Degas par la photographie (il a souvent utilisé les " clichés-verre " de Maurice Joyant) et par l'estampe japonaise, et qui tire de cette influence conjuguée le même parti de composition, est malgré tout moins intéressé par la traduction de l'instantané, davantage tourné vers la stylisation, la caricature, dans la volonté de créer des types. Gustave Caillebotte, qui connaissait Degas de longue date, a essayé de tirer un parti aussi audacieux que ce dernier de la photographie, en particulier pour la mise en page de ses tableaux. Mais, hormis son chef-d'œuvre Paris par temps de pluie de l'Art Inst. de Chicago, son style, trop académique, trahit la hardiesse de ses intentions ; on peut en dire autant de Tissot, qui, à partir de 1870, prépare le plus souvent ses tableaux par des photographies, et de Eakins, dont ce fut aussi la technique habituelle et qui avait pour la photographie un intérêt passionné.

2.5. Abandon de la peinture imitative autour de 1880

L'expérience de Degas était un aboutissement sans lendemain, et c'est alors qu'apparaît la grande conséquence de la photographie sur la peinture, reconnue par des critiques comme Fénéon, des artistes comme Redon, Gauguin, qui dispense désormais les peintres de la servitude du réalisme objectif. Ce qui n'empêche pas les artistes symbolistes, comme plus tard les abstraits, d'utiliser la photographie. Gauguin s'est servi plusieurs fois de photographies (dont il gardait en général seulement la composition d'ensemble) comme d'un repoussoir pour l'inspiration de ses tableaux : c'est le cas pour le Pape Moe de 1893. Un autre symboliste, le Belge Fernand Khnopff, lui, a travaillé presque exclusivement à partir de photographies (sa sœur était son modèle préféré) qu'il décalquait, non sans épurer au besoin l'imperfection des contours du visage ou du corps. Dans Souvenirs (1900), par exemple, le contraste entre certaines attitudes anticonventionnelles, saisies avec la même acuité qu'un Degas (mais à moindre frais, puisque Khnopff, semble-t-il, décalquait les photos, mais ne dessinait pas), comme dans la jeune fille qui tient négligemment sa raquette de tennis dans le dos, et le contexte mystérieux et immobile du reste du tableau introduit cette note de " sur-réalité " typique du Symbolisme belge.

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Par la suite, tous les peintres ont continué et continuent comme par le passé à chercher dans la photographie soit un motif d'inspiration, soit une méthode de travail.

3. Influence de la photographie scientifique sur Duchamp et sur les futuristes

Le caractère mécanique de la photographie, qui la rendait suspecte aux artistes du XIXe s., constitua au contraire son attrait aux yeux des artistes au début du XXe s.— en particulier de Marcel Duchamp et, à sa suite, des futuristes (même s'ils ne voulurent jamais reconnaître leur dette envers la photographie). Logiquement, ce fut dans son aspect le plus scientifique que la photographie fut une suggestion pour le peintre. Les découvertes de Muybridge avaient dévoilé pour les artistes comme pour les esprits scientifiques la contradiction existant entre les lois cachées de la nature et l'apparence sensible. Développant Muybridge, la chronophotographie de Marey, dont les premiers exemples furent publiés en 1882 dans la Nature, permettait d'obtenir sur un seul cliché l'évolution en une courbe continue du mouvement humain ou animal. Elle introduisait ainsi dans la représentation à 2 dimensions la notion du temps et de l'espace parcourus lors du déplacement des corps de façon combien plus éloquente et spectaculaire que les images statiques de Muybridge. Déjà, elle offrait une expression plastique des lois scientifiques digne d'attirer l'attention des peintres.

Peut-être la leçon de Muybridge a-t-elle encouragé Duchamp à tourner le dos définitivement à la représentation du visible au profit d'une esthétique fondée sur la spéculation intellectuelle. Mais c'est bien la chronophotographie de Marey qui a déclenché la rupture. Duchamp s'est inspiré en fait des chronophotographies " partielles " ou " géométriques " que Marey avait obtenues en 1883 au moyen d'un costume noir qui se confondait avec le champ, de même couleur, sauf d'étroites bandes de métal brillant, qui, alignées le long de la jambe, de la cuisse et du bras signalaient exactement la direction des os de ses membres. Dans le Nu descendant un escalier n° 2 (Philadelphie, Museum of Art, coll. Arensberg), la référence à Marey paraît presque littérale. Mais le choix du caractère — totalement désincarné — de la figuration indique que, pour Duchamp, la chronophotographie n'est qu'une étape lui permettant de remonter aux principes sans se soucier de l'enveloppe. Les Nus ouvrent en effet la voie à toute une méditation sur le temps et l'espace, amorcée à propos de la représentation du mouvement, encore aisément perceptible dans le Roi et la reine entourés de nus vites (1912, Philadelphie, Museum of Art, coll. Arensberg), d'une lecture plus complexe dans la Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1915-1923, id.), dont le support vitré (d'où le second titre de l'œuvre, le Grand Verre) est une allusion directe à la fenêtre vitrée de l'appareil photographique. On trouve un écho atténué des préoccupations de Duchamp en liaison avec les chronophotographies de Marey dans les toiles de certains membres du groupe de Puteaux : chez Kupka accidentellement et surtout chez Jacques Villon.

À la suite de Duchamp, qu'ils connaissaient depuis 1911, les futuristes ont tiré un parti esthétique des découvertes de Marey. Ils se sont familiarisés avec elles par l'intermédiaire des frères Anton (1890-1960) et Bruno Bragaglia, photographes, qui adaptèrent les méthodes de Marey dès 1910. En 1911 et 1913, les 2 frères exposèrent à côté des futuristes à Rome, tandis qu'ils travaillaient en association étroite avec Balla. Mais, après la publication du livre d'Anton Bragaglia Fotodinasmismo futurista, en 1913, résumé de ses recherches chronophotographiques, les futuristes expulsèrent ce dernier du groupe et désavouèrent publiquement dans la revue Lacerba le photodynamisme et la photographie en général, malgré leur volonté déclarée d'introduire la machine dans la peinture. Mais de nombreux tableaux de Balla, comme par exemple la Fillette courant sur le balcon (1912), aussi bien que l'inspiration de certains titres futuristes, tel Trajectoire d'un appareil volant décrivant une sinueuse dans l'air, ou que des conceptions comme celle de la " forme-force " de Boccioni, sont là pour témoigner de cette inspiration. Duchamp a défini non sans justesse le Futurisme comme " un impressionnisme du monde mécanique " ; comparée à l'approche très cérébrale et rigoureuse de Duchamp (chez qui le goût du canular n'est qu'une déformation de plus de l'esprit mathématique), l'utilisation de la chronophotographie par les futuristes obéit à un propos plus vague, encore du domaine de

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l'effusion sensuelle : peintres avant tout, ils se sont contentés d'y trouver une expression visuelle convaincante de leur conception du dynamisme (surtout Balla et Boccioni), pour se complaire parfois simplement à son jeu graphique (certains tableaux de Balla, comme le Rythme de l'archet, 1912, coll. part.).

À côté de la chronophotographie, bien d'autres formes de photographies scientifiques, aériennes, télescopiques, microscopiques ont fourni aux peintres abstraits tout un répertoire de formes, notamment à Paul Klee et à Malevitch ; ce dernier y fait allusion plusieurs fois : lorsqu'il publie dans Die gegenstandslose Welt (le Monde sans objet) [1927] des photos de vol d'escadrille qui l'ont stimulé ; déjà, dans le photomontage du Diagramme pédagogique n° 16 (New York, M. O. M. A.), il explique au moyen de photos les sources du Cubisme, du Futurisme et du Suprématisme (pour ce dernier, ce sont essentiellement des vues aériennes).

Dada : la photographie comme matériau du peintre

Nom allemand donné par les dadaïstes berlinois au lendemain de la Première Guerre mondiale à des œuvres constituées entièrement ou partiellement d'éléments photographiques découpés et assemblés selon un nouvel ordre à la manière des collages. Le terme " Montage ", en allemand, signifie " ajustage " ou " chaîne de montage " et évoque la technique et la mécanique. Les dadaïstes entendaient par là clairement montrer leur mépris pour l'artiste traditionnel en se présentant comme des ingénieurs. Ils tenaient à inclure le monde de la mécanique dans leurs œuvres aussi bien en tant que technique qu'en tant qu'imagerie. Pour lutter contre l'œuvre unique et sacralisée, Dada inventa le procédé, utilisé dans les arts visuels aussi bien qu'en littérature, qui consiste à détourner de leur contexte original des images ou des textes souvent fragmentés, empruntés aux répertoires les plus communs (journaux, affiches, dictionnaires, ouvrages de vulgarisation, catalogues publicitaires). L'assemblage d'images photographiques était cependant pratiqué depuis longtemps à des fins humoristiques, sur les cartes postales en particulier. Les définitions varient selon que le photomontage est considéré comme un simple procédé de photocollage ou comme une opération de transformation du sens de la photographie initiale telle que la définit Heartfield : " Par l'adjonction d'une quelconque tache de couleur, la photographie peut devenir photomontage, œuvre d'art d'un genre bien défini. " Par la priorité qu'il donne à la représentation et à sa signification, il se distingue du collage cubiste, dont les préoccupations sont d'ordre plus strictement esthétique.

Une discussion devait s'élever plus tard entre les protagonistes de Dada à Berlin, Hausmann et Höch d'une part, Grosz et Heartfield d'autre part, pour savoir qui était l'inventeur du photomontage, sans qu'il soit possible de trancher. Les photomontages de Hausmann sont soit des restitutions d'espaces clos imprégnées d'un onirisme issu de De Chirico (Tatlin lebt zu Hause [Tatlin vit à la maison], 1920), soit des combinaisons de photos et de mots ou de poèmes phonétiques (A B C D, 1923-24, Paris, M.N.A.M.). Ceux de Hannach Höch sont soigneusement composés. Les corps et les visages, mêlés aux engrenages et aux scènes de rues, sont souvent soumis à des déformations grotesques (Coupe au couteau de cuisine à travers la première ère allemande de la culture du ventre à bière pendant la république de Weimar, 1919, musée de Berlin). Grosz fit plusieurs photomontages très efficaces pour illustrer des revues de mode dada, mais il réalisa une série de dessins aquarellés au coloris raffiné, au graphisme incisif, rehaussés de quelques morceaux photographiques qui s'intègrent admirablement à l'ensemble et en font des chefs-d'œuvre du genre (le Monteur Heartfield, 1920, New York, M.O.M.A.). Son ami Heartfield, surnommé Dada monteur, avec qui il réalisa plusieurs œuvres en commun, amena le genre à son apogée. Après la période dada, il fit du photomontage un instrument de combat politique contre le nazisme en réalisant de très nombreuses maquettes pour des journaux (en particulier Arbeiter Illustrierte Zeitung).

Parallèlement à Berlin, un petit groupe dada s'agitait à Cologne. Baargeld et Ernst y pratiquaient le photomontage. Violemment opposé aux préoccupations idéologiques des Berlinois, Ernst livrait

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ses " Fatagagas " minutieusement conçus jusque dans les détails afin de faire surgir une poésie toute particulière du merveilleux et de l'étrange (Ici tout flotte encore, 1920, M.O.M.A.).

Selon Klutsis, qui en fut l'un des instigateurs, le photomontage fit son apparition en U.R.S.S. en 1919-20, sans doute sans qu'il y ait eu de contact avec Berlin. Il apparaissait comme un moyen de propagande militante et politique par l'image (affiches, couvertures de livres) particulièrement adapté à l'immense tâche d'information et d'éducation à laquelle devait faire face le gouvernement révolutionnaire. C'est surtout à travers la revue LEF, organe des constructivistes, que se diffusa la nouvelle technique. Rodtchenko, qui était l'un des responsables de la publication, en exploita de nombreuses possibilités, l'une d'entre elles étant la suite d'illustrations du poème de Maïakovski " De Ceci " (1923). De même, Lissitsky y eut souvent recours, parfois à une grande échelle, pour les vastes fresques décorant des pavillons d'expositions.

Dans l'Allemagne autour de 1920, le photomontage était enseigné au Bauhaus (Herbert Bayer). Il connut également une grande vogue dans la publicité (Domela). Moholy-Nagy, chercheur inlassable, sut en tirer un parti des plus originaux, en combinant sur une page blanche les images découpées et souvent répétées à une structure linéaire abstraite (le Stand de tir ; Jalousie, 1925).

À la suite des dadaïstes, les surréalistes s'emparèrent de ce procédé qui permettait de multiplier à l'infini les associations absurdes ou étranges. Ce furent, en France, Breton, Fraenkel, Duchamp, Man Ray ; en Belgique, Marcel Mariën ; en Tchécoslovaquie, Styrsky, Teige et Toyen.

Depuis les années 30, le photomontage a été si largement utilisé qu'un inventaire serait impossible, aussi bien dans le domaine de la publicité et de la propagande (affiches républicaines pendant la guerre d'Espagne, 1936) que dans les activités purement artistiques, où il est devenu une technique graphique au même titre que le dessin.

4. La photographie de presse, source d'inspiration du pop art dans les années 1960

L'héritage dada est évident dans l'art pop et il est significatif qu'on voie le point de départ du mouvement dans un photomontage de Richard Hamilton exposé en 1956 à la Whitechapel Art Gal. de Londres lors d'une manifestation sur la culture de demain : " Qu'est-ce qui rend les intérieurs d'aujourd'hui si différents, si séduisants ? ", où, dans un cadre moderne encombré d'une télévision et d'un magnétophone bien en vue, sous les yeux d'une pin-up, un athlète pour magazine pseudo-culturiste brandit en guise d'haltère une sucette gigantesque où est écrit " pop ". Dans cette tendance qui se veut le reflet à la fois complice et moqueur de la société de consommation, la photographie est omniprésente. Surtout, elle offre les sujets où domine le gros plan publicitaire ; chez Andy Warhol (les célèbres boîtes de conserve de soupe Campbell), James Rosenquist, Wesselmann, dont le style a la vulgarité voulue et racoleuse des affiches peintes d'après des photographies, les faits divers (Carcrash d'Andy Warhol) et surtout les vedettes de la presse du cœur, véritables héroïnes du pop art : Jackie Kennedy, Elvis Presley (Andy Warhol) et Marilyn Monroe (Warhol et Hamilton). Enfin, dans l'art pop, la photographie, sous la forme de reproduction photomécanique, sert aussi, mais de façon non exclusive, de modèle esthétique et de technique : Andy Warhol est le cas limite ; voulant, de son propre aveu, être une machine, il se contente de choisir ses modèles dans les journaux, les fait sérigraphier sur écran de soie, où le grain de la trame photomécanique, agrandi, est mis en évidence comme élément stylistique, et répète l'image comme pour un panneau publicitaire. Robert Rauschenberg, lui, cherche à créer une tension entre la surface peinte de la toile, plane, et l'espace illusionniste suggéré par les reproductions tirées de magazines que d'abord il imprimait sur la toile par simple frottage, puis qu'il faisait sérigraphier. En Europe, les thèmes de prédilection sont empruntés à l'information politique (chez les Espagnols Eduardo Arroyo et Erro, lequel entreprend en 1964, avec les Quarante-Sept Années, au titre énigmatique, une sorte d'épopée comparée en images de l'Amérique et de la Russie depuis le début du siècle), à la culture proprement " pop " : les musiciens noirs ou américains (Bernard Rancillac, autour de 1973-74), ou à cette ultime forme de

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consommation offerte par la société que sont les chefs-d'œuvre des musées (Alain Jacquet). La technique utilisée rejoint les thèmes : Arroyo, Erro et Rancillac adoptent l'exagération caricaturale de la photographie de presse chère à la bande dessinée, tandis qu'Alain Jacquet, partisan du " Mec'Art ", singe avec une ironie impassible la reproduction iconographique (Thomas Eakins : swimming hole, 1966-1968).

L'Anglais David Hockney, du moins à partir de 1965-66, et l'Italien Michelangelo Pistoletto illustrent avec subtilité et raffinement par la technique et le choix des sujets des aspects caractéristiques de notre société. Le premier peint sur des photographies de type instantané, projetées sur la toile (The Bigger Splash), le second décalque des agrandissements à l'échelle humaine d'hommes ou d'animaux sur du papier pelure qu'il colle alors sur un miroir ou une grande feuille de plastique transparent et peint de la façon la plus illusionniste possible, créant une ambiguïté entre l'espace du tableau et l'espace réel où se meut le spectateur.

5. Bacon et la photographie

Bacon trouve son inspiration essentiellement dans les photographies (photos de Muybridge, photos tirées de la presse : boxeurs, athlètes, animaux, ou encore photos extraites de films), qu'il réintroduit dans sa peinture à la fois reconnaissables et transformées. Head IV, par exemple, se réfère à cette femme du Cuirassé Potemkine qui a reçu une balle dans l'œil. Curieusement, la photographie, de son propre aveu (dans ses entretiens avec David Sylvester), est plus suggestive pour Bacon que la peinture ou la réalité. Il peint ses portraits de modèles vivants d'après des photographies de préférence, et cherche même son inspiration dans des reproductions de ses propres tableaux.

6. Les polaroids "joiners" de David Hockney Au début des années 1980, David Hockney commence à réaliser des photomontages - « joiners » - constitués de multiples Polaroïds formant des mosaïques.The Grand Canyon, constitué de 60 tableaux, sera conçu en 1986 à partir d’un photomontage de 1982. La photographie c’est très bien si cela ne vous ennuie pas de regarder le monde du point de vue d’un cyclope paralysé – pendant une fraction de seconde… David Hockney admet ses frustrations profondes vis à vis de la photographie: une photo ne peux retenir son attention pendant plus de trente secondes, quel que soit le sujet. C’est seulement lorsqu’il commence à travailler avec les Polaroïds qu’il pressent que l’image fixe peux montrer une notion de temps qui passe. J’ai immédiatement réalisé que j’avais résolu mon problème lié au temps dans la photographie... Les « joiners » avaient plus de présence que des photographies ordinaires. Avec cinq photos, par exemple, vous étiez forcé de regarder cinq fois. Extrait des conversations de David Hockney avec Lawrence Weschler.

7. Hyperréalisme américain

Avec ce mouvement, la photographie dans ce qu'elle a de plus mécanique et de moins artistique devient le sujet même du tableau. La référence des artistes hyperréalistes est exclusivement photographique. À tel point qu'ils ont toujours refusé de reconnaître comme des leurs les réalistes de type académique, tels Pearlstein et Alfred Leslie. À la différence des artistes pop, ils ne sont pas concernés par la photo de presse, mais par l'instantané quotidien, le plus banal possible (donc pas de grain photomécanique, mais au contraire une surface lisse et brillante) ; il s'agit là d'un aspect encore très restrictif de la photographie, non sélective, non créatrice. Dans leur volonté de parvenir à un style inexpressif, les hyperréalistes se concentrent sur les détails ; Malcolm Morley a même peint dans ce dessein ses premiers tableaux à l'envers. Deux détails en particulier les fascinent : pour Chuck Close, c'est l'accentuation impitoyable des particularités du visage : rides, pores de la peau, poils, que l'on observe dans les gros plans. Ces

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tableaux sont d'ailleurs conçus comme de gigantesques photos d'identité. La volonté de s'identifier à la vision " photographique " est poussée à un tel point chez Close, le plus puriste des hyperréalistes, que non seulement il restitue rigoureusement les parties floues situées hors du champ de mise au point, mais qu'il applique la couleur par " planches " successives, exactement comme dans les laboratoires de reproduction. L'autre thème de prédilection est l'étude des reflets tels qu'ils sont enregistrés par l'objectif sur les vitrines ou les surfaces nickelées des bars, des voitures ou des motocyclettes, qui forment le répertoire favori de Don Eddy, Ralph Goings, Richard Maclean, Tom Backwell, John Salt et Richard Estes.

8. Réalismes européens

Ils se développent depuis 1965 et prennent la forme d'un affrontement entre l'objectivité dite " photographique " et l'imaginaire. Les Français Raymond Hains, Jacques Monory et Gérard Schlosser, l'Allemand Gerhard Richter et le Suisse Franz Gertsch ont pratiqué à partir de 1963 environ le report photographique sur toile, persuadés que " la réalité ne peut plus aujourd'hui être saisie qu'avec un appareil photographique, car l'homme s'est habitué à considérer la réalité photographique comme le rendu maximal du réel " (Gertsch). Pourquoi alors peignent-ils ? " Parce que, en dévoilant les photographies avec mes mains, je les possède, tandis que si je les prenais toutes cuites, elles m'avaleraient " (Monory, " Entretiens avec Becker "). Leurs sujets, pris dans un univers quotidien, essentiellement urbain, relèvent encore de la photographie publicitaire : goût du détail en gros plan, fascination pour l'apparence. La plupart ont d'ailleurs commencé par travailler dans des agences de publicité. Mais c'est l'objectivité qui les intéresse et non les particularités et les limites propres à la vision photographique, d'où l'emploi de la technique la plus neutre possible. Le modèle pour Franz Gertsch, chez qui la référence à la photographie est la plus évidente (gros plans légèrement déformés des figures dans Franz et Luciano), est la diapositive, plus proche dans sa transparence de la " réalité intacte " que les tirages sur papier. Ses tableaux, malgré leurs très grandes dimensions, composent une sorte d'album de famille, une collection d'instants vécus. Si Monory, lui, peint toujours à partir de ses propres photos plutôt que sur le motif, c'est au contraire par désintérêt du " frémissement de la vie ". Il règne en effet dans ses tableaux un silence et une immobilité angoissants (Hôtel du palais d'Orsay) qui les ont fait souvent comparer à certains films contemporains composés de plans fixes : la Jetée (1963), de Chris Marker, et la Passagère (1964), de Munk. Le malaise ne naît pas des sujets, beaucoup plus universels que chez Gertsch (l'artiste affirme lui-même l'importance qu'il donne au choix du sujet en photographiant personnellement le motif à peindre), ni de la facture encore plus neutre et plus anonyme, mais de cette monochromie — en général bleue — imposée à la plupart de ses tableaux et qui désamorce leur charge de réalité. C'est un procédé couramment employé au cinéma (on utilise alors la sépia de préférence, ou le noir dans un film en couleurs) pour suggérer le rêve ou toute évasion de la conscience hors de la réalité présente. Monory s'exprime d'ailleurs en homme de caméra : " Je veux représenter le rêve par le déplacement imperceptible de la vision [...] ; pour cela, je peins un événement banal en décalant le cadrage normal de son image. " Chez Gérard Schlosser, le recours à un procédé purement photographique —le découpage arbitraire des figures, dont seul apparaît si proche et pourtant insaisissable un détail, vu en très gros plan (Tu as envoyé les papiers à la sécurité sociale ?, 1971, Elle fait quoi, la dame ?1978) —, a pour but encore une fois d'illustrer de façon éloquente le mirage de la vision objective (dès que l'artiste tente de la restituer). Les 50 portraits de personnalités littéraires et artistiques exposés par Gerhard Richter à la Biennale de Venise en 1971-72 semblent également s'insérer dans cette réflexion sur l'attitude du peintre contemporain à l'égard de la réalité que l'omniprésence de l'image photographique semble avoir suscitée. Comme pour souligner que le peintre ne peut s'emparer de la vision parfaitement objective (c'est-à-dire mécanique, donc photographique) sans lui faire perdre aussitôt sa crédibilité ; il fait en sorte, tout en respectant la ressemblance par rapport à la version photographique —toujours célèbre et toujours reconnaissable— , de la vider de son contenu expressif. Chez tous ces peintres, la référence au modèle photographique est toujours perceptible, même si la technique picturale, neutre dans l'ensemble, prend parfois quelques libertés (toujours dans le

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sens d'une simplification). Elle ne l'est plus autant chez Gilles Aillaud, qui n'utilise pas d'ailleurs le report photographique. Et pourtant, dans ses sujets animaliers, qui présentent toujours une note très personnelle, on sent dans la mise en page l'habitude du maniement de la caméra.

Persistance de l'illusionnisme pictural

Par une démarche tout à fait inverse, des peintres comme Titus-Carmel, Veličkovic et Gäfgen remplacent cette alliance d'une technique neutre avec la frénésie de la réflexion théorique par un nouveau rapport où domine cette fois la virtuosité du pinceau. Ce réalisme —on le voit bien dans les dessins de Gäfgen : des manteaux à doublure de soie ou des blousons de cuir échoués sur un divan, rendus avec un illusionnisme exacerbé— a repris ses distances par rapport au souci d'objectivité. L'apparition de la photographie n'avait d'ailleurs pas tué en peinture la veine du réalisme illusionniste proprement pictural. On pouvait déjà le voir en Amérique à la fin du siècle dernier, bien après l'introduction et le succès du daguerréotype, avec la résurgence d'une école du trompe-l'œil à Philadelphie, dont William Harnett, John Petto, John Aberle, Richard La Barre Goodwin, Alexander Pope furent les principaux représentants. Et, plus récemment, la peinture des illusionnistes français, Claude Yvel, Pierre Ducordeau, Henri Cadiou, Jean Malice, qui refusent de se servir de la photographie, le prouve encore.

9. Rôle de la photographie dans l'Art conceptuel, l'Art corporel, le Happening

Dans ces nouvelles formes d'art, qui sont apparues vers 1960, la photographie cesse de jouer le rôle d'objet d'art qu'elle avait acquis depuis les collages dada pour devenir le témoin d'une " action ". Là encore, les précédents sont à chercher du côté de Marcel Duchamp, dans les photographies qu'il a fait prendre par Man Ray : Tonsure, surtout, et Rrose Selavy (Alès, coll. P. A. Benoît). Dans cette dernière, Duchamp, déguisé en femme, donne existence à ce personnage mythique, son double féminin, né d'un canular et d'un jeu de mots qui réapparaîtra de façon plus ou moins détournée dans quelques collages de sa main.

Ainsi garde-t-on trace des créations volontairement éphémères qui ont un instant modifié la nature sauvage (Josef Beuys en Autriche, Denis Oppenheim, Walter de Maria, Michael Heizer aux États-Unis). De ce dernier, Isolated Mass, circonflex (1968) déploie sa circonvolution creusée dans la terre comme une cicatrice, sans oublier le Valley Curtain de Christo en Californie, ou le contexte urbain (les " empaquetages " de Christo). On garde aussi la trace d'autres formes d'événements éphémères : les happenings de Josef Beuys ou d'Yves Klein, qui se rattachent à la tradition dada. Parfois, la photographie sous forme de photomontage n'est qu'une esquisse d'un événement resté à l'état de projet : certains empaquetages de Christo par exemple, non réalisés, ou le saut dans le vide figuré d'Yves Klein. Les artistes du mouvement corporel —qui dérive de l'Art conceptuel— préfèrent en général le film et la vidéo, qui restituent à l'action sa dimension dans l'espace et le temps, deux notions importantes. Comme le disait Gina Pane, qui utilisa parfois aussi la photo, celle-ci est bien un moyen de communication, mais au degré zéro. Pourtant, certains artistes, comme Ben, l'utilisent rehaussée de commentaires écrits à la main, pour rappeler des actions de caractère statique, il est vrai.

Plus fréquemment, la photographie est utilisée en séquences narratives, ainsi par Urs Lüthi, Bruce Nauman (Étude pour holographe, 1970, sérigraphie, tirée d'un film), Christian Boltanski (la Visite au zoo, 1975), Giorgio Ciam, ce qui les apparente aux recherches contemporaines de photographes purs comme Duane Michals (1932). L'introduction assez fréquente, dans ces séquences, de manipulations photographiques destinées à créer une illusion de type surréaliste — mais se rattachant toujours à l'expérience corporelle —, comme la compression entre l'image d'un moulage tronqué et les images des pieds et du torse vivants et velus de Giuseppe Penone ou les derniers polaroïds de Lucas Samaras, où une fumée colorée, obtenue en frottant l'épreuve avant qu'elle ne soit sèche, s'échappe de son corps nu, montre que, dans

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l'art corporel, la photographie n'est pas seulement un document, elle est au cœur même de la démarche d'expérimentation du corps. Pour réaliser sa carte corporelle (1974), Enrico Job, après avoir mis au carreau la peau de son visage et de son corps, photographie chaque carreau, l'agrandit 2 fois et constitue un gigantesque puzzle. Toutes ces expériences manifestent une confiance naïve en la photographie comme moyen de recherche, d'expression et de communication. Il n'en est pas de même avec Christian Boltanski et Jean Le Gac, dont le constat final, à savoir une inaptitude de la vision objective à rendre compte de l'être humain ou de l'entourage naturel, s'apparente aux désillusions rencontrées par les peintres hyperréalistes. À partir de 1970, Boltanski tente de saisir à l'aide de photographies et d'objets les moments marquants de son enfance (Album de famille, 1971), sans y parvenir. Ses images restent anonymes ; il se retrouve au contraire en opérant le même processus de repérage dans la famille d'un de ses amis.

Lors des années 1980, les imbrications entre peinture et photographie se font faites de plus en plus étroites dans les travaux de nombreux artistes, à travers des œuvres parfois dites " multimédia ", où la photographie est utilisée comme une technique parmi d'autres, associée à la peinture, la sculpture, l'installation, la vidéo. En même temps, toute une génération d'artistes (Patrick Faigenbaum, Pascal Kern, Georges Rousse, Cindy Sherman, Patrick Tosani, Jeff Wall...) utilisant la photographie comme principal mode d'expression voit le jour, mettant en avant dans leurs travaux les dimensions picturales de ce médium autant par référence iconographique explicite que par la présentation, par exemple en recourant à des tirages en couleurs de très grandes dimensions. La décennie, ouverte par l'exposition présentée par le M. A. M. de la Ville de Paris (" Ils se disent peintres, ils se disent photographes ", 1980), a vu aboutir la consécration de la photographie, entrée en masse dans les collections des musées d'Art moderne où elle figure, souvent à pied d'égalité avec la peinture et la sculpture, sans que soit vraiment éclaircies toutes les questions que posent sa spécificité.

10. Les peintres-photographes

Si les très petits peintres Nègre, Baldus, Legray, Lesecq ont trouvé dans les années 1840-1850 leur véritable moyen d'expression dans la photo, qu'ils ont su parfaitement maîtriser, l'acharnement avec lequel ils participaient aux concours et aux expositions montre bien le sérieux avec lequel ils considéraient cet aspect de leur œuvre. Les photographies de Degas et celles de Magritte (pour ne parler de celles de Bonnard, de Vuillard, de Kirchner) sont en général des exercices proches de l'œuvre picturale. En revanche, on peut faire une exception pour celles de Eakins à cause de leur qualité technique et de la passion connue de leur auteur pour la photographie, même si, pour lui, elles n'étaient qu'une étude en vue de ses tableaux. La photographie fut la technique par excellence des peintres constructivistes russes restés en Russie après 1921, l'État russe encourageant au détriment de la peinture abstraite un art de propagande figuratif et réaliste : affiches, photographies. Si Lissitsky a surtout pratiqué le photomontage, Rodchenko a adopté la photographie directe, qu'il renouvela —suivant la voie déjà indiquée à vrai dire en Amérique par Paul Strand et Coburn à partir de 1915 (mais il ne les a probablement pas connus)— surtout par la recherche des points de vue variés et inhabituels jusqu'à cette date (gros plan, vue plongeante) et par la recherche relative aux jeux de lumière et au mouvement, qui intéresse, à vrai dire, tous les photographes des années 20. Le Hongrois Moholy Nagy, lui, a pratiqué la photographie à tous les niveaux : outre le photomontage (qui, à la différence de celui des dadaïstes de Berlin, est constitué d'éléments issus de ses propres tirages), la photographie en surimpression, la photographie directe, où l'approche est voisine, sinon les thèmes, de celle de Rodchenko. Mais c'est surtout dans le photogramme (photographie sans caméra formée par l'impression lumineuse d'objets sur un papier sensibilisé, une vieille technique déjà utilisée par Talbot, redécouverte par le peintre Christian Schad vers 1919 et transmise à Man Ray par Tzara) qu'il a su tirer un parti luministe et abstrait conforme à sa recherche d'une vision nouvelle dans la lignée du Constructivisme.

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Man Ray (qui aurait voulu qu'on voie surtout en lui le peintre sans cesser pour autant d'exposer ses photographies, notamment à Stuttgart en 1929) a exploré avec une égale maîtrise toutes les techniques de la photographie pour en obtenir des images surréalistes, combien plus fortes que ses peintures : photogrammes —la technique surréaliste par excellence— ou leur équivalent positif et figuratif, les compositions d'objets surréalistes photographiées (et détruites par la suite), dans lesquelles il faut voir une influence de Marcel Duchamp ; portraits surtout, d'une rare perfection, le plus souvent solarisés. Avec cette technique nouvelle, découverte par hasard avec son élève Lee Miller (né en 1907), la solarisation, qui permet (pour simplifier), en exagérant le développement de l'épreuve positive, sur film, d'obtenir une inversion partielle de l'image dont on peut contrôler le degré, Man Ray rejoint les recherches de Max Ernst, qui, par des procédés mécaniques, veut extraire l'irréel du réel.

À l'exposition de Stuttgart en 1929 figuraient également les œuvres du peintre précisionniste Charles Sheeler, pour qui, comme pour Man Ray, la photographie avait d'abord été un moyen de subsistance et dont, dès 1915, les vues d'architecture ou les natures mortes montraient la même acuité, la même rigueur géométrique, révolutionnaires pour l'époque, que celles de Strand, avec du reste la même source en la peinture cubiste. Ce sont ses photographies qui ont donné leur orientation définitive à ses tableaux : à partir de 1925, le parallélisme entre les deux, qu'il expose côte à côte dans les galeries, est constant, tant dans le choix des sujets empruntés au monde industriel que dans la facture objective et volontairement impersonnelle. Les photographies de Sheeler s'apparentent étroitement à celles de Renger-Patszch et du Weston des années 20. Quant à ses tableaux, ils annoncent parfois, sur un mode plus raffiné, certains tableaux hyperréalistes.

11. La photographie comme reproduction d'œuvres d'art

Les peintres ont vite compris les services précieux que pouvait rendre la photographie pour la conservation et la diffusion de leur œuvre. Ingres, qui n'avait pas pour cette technique la curiosité d'un Delacroix, a pourtant été le premier à faire daguerréotyper ses tableaux. Delacroix, lui, fit photographier ses tableaux par Durieu, et Courbet ses œuvres exposées en 1855 dans le dessein d'en faire vendre des reproductions. Quant aux photographes, ils ont d'emblée vu dans la reproduction des compositions peintes par la photographie, se substituant alors à la gravure, une des applications importantes de cette dernière découverte, et tous, dès le début, l'ont éventuellement pratiquée : Baldus, Nègre, Marville surtout, qui fut photographe des musées impériaux. Talbot, qui déjà en 1842 réservait un chapitre de son Pencil of nature —sorte de manuel des emplois possibles de la photographie— à la reproduction de tableaux, illustra de ses calotypes d'après des peintures le premier livre de ce type paru en 1847 : les Annals of the Artists of Spain, de Maxwell, dont le tirage, il faut le dire, fut assez restreint. Blanquart-Evrard (1802-1872) ouvrit en 1851 à Lille sa maison d'édition, destinée à la diffusion d'une photographie de grande qualité. Il avait découvert un moyen chimique pour développer les positifs sans avoir recours à l'action du soleil, qui lui permettait de tirer des épreuves, à grande échelle pour l'époque, et donc de baisser les prix ; sans se spécialiser dans la reproduction d'œuvre d'art, il lui a fait la part belle : notamment dans l'Album de l'artiste et de l'amateur de 1851 (avec de nombreuses reproductions d'après Poussin) ou dans l'Art religieux. Il s'est adressé dans ce dessein à des spécialistes du genre : Bayard (1801-1887) et Renard. La fixation de l'épreuve aux sels d'or assurait à l'image une permanence relative, mais non parfaite. En 1856, le duc de Luynes ouvrit un concours pour remédier à ce problème, et couronna en 1862 le procédé de Poitevin (1819-1882), lequel, par un traitement au charbon du papier, assurait la fixation durable de l'image.

La même année, Braun ouvrit un atelier à Mulhouse et commença des campagnes systématiques dans toutes les collections publiques et privées d'Europe ; dès 1858, les Alinari à Florence (1852-1920) se concentrent plutôt sur l'Italie, mais n'atteignent pas moins une renommée internationale ; en Angleterre, le grand spécialiste est Thurston-Thompson.

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Cependant, un problème subsiste ; en l'absence de filtres, la photographie ne restituait alors les valeurs justes que pour certaines couleurs, le bleu et le violet, ce qui pouvait donner une idée très fausse de la peinture. C'est pourquoi les premières reproductions de tableaux furent faites le plus souvent d'après des gravures. Les premières campagnes photographiques furent faites dans les cabinets de dessin, tant par Marville que par Braun (le Louvre en 1867, l'Albertina en 1868, puis Bâle). Braun avait même trouvé moyen de restituer le dessin comme un fac-similé en remplaçant éventuellement le charbon par une autre matière organique, sanguine ou mine de plomb.

Les plaques orthochromatiques (sensibles au rouge) furent mises au point par Ducos de Hauron (1837-1920), bientôt utilisées par Braun puis, à partir de 1896 seulement, par les frères Alinari : Leopoldo (1832-1865), Giuseppe († 1890) et Romualdo († 1890). Puis ce furent les plaques panchromatiques (sensibles à toutes les couleurs). Braun et les Alinari n'avaient pourtant pas attendu ces perfectionnements pour aborder les grands cycles de peintures : Santa Croce par les Alinari, la Sixtine par Braun en 1868.

Le procédé de restitution non plus seulement des valeurs correspondant aux couleurs, mais des couleurs mêmes fut découvert simultanément par Ducos de Hauron et Charles Cros (1842-1888), qui firent une communication à l'Académie des sciences en 1869. Il était fondé sur le principe de la trichromie développé par Chevreul : pour restituer toutes les couleurs, il suffisait d'opérer l'analyse des 3 couleurs fondamentales (ou plutôt de leur complémentaire) par 3 filtres donnant 3 négatifs en noir, puis d'opérer la synthèse en une seule épreuve positive (par superposition des 3 positifs correspondants après teinture dans les couleurs complémentaires de celles des filtres). Ce procédé ne fut mis en application qu'en 1907, par les frères Lumière (Auguste [1862-1954] et Louis [1864-1948]), qui le simplifièrent en incorporant les 3 filtres en une seule plaque, positif direct ou " cliché-verre ". En 1935, Kodak en Amérique et Agfa en Europe mirent au point des systèmes de prise de vue et de restitution des couleurs par synthèse soustractive qui dispensaient d'avoir besoin d'une trame quelconque (à la différence des frères Lumière qui utilisaient la fécule de pomme de terre comme support des colorants) et permettant la reproduction et l'agrandissement, ce qui allait être d'une grande conséquence.

12. La photogravure

C'est en voulant améliorer la reproduction lithographique des œuvres d'art en la remplaçant par un procédé chimique plus rapide et plus satisfaisant que Niepce a découvert la photographie en 1826, bien avant la publication des inventions de Daguerre et Talbot. Les premières épreuves, " héliographiques ", furent ainsi obtenues en exposant à la lumière des lithographies retournées sur une plaque de métal recouverte de bitume de Judée, lequel, en durcissant à la lumière, devenait insoluble, permettant de graver la planche à l'acide. Malheureusement, le procédé de Niepce permettait moins encore que la lithographie de rendre compte des demi-teintes et ne semblait pouvoir s'appliquer qu'à la gravure au trait. Le procédé, également au bitume, perfectionné par Fizeau en 1842, pour graver les daguerréotypes, ne fut pas exploité, quoique satisfaisant. Talbot, en 1858, eut l'idée de remplacer le bitume de Judée par de la gélatine —pouvant s'appliquer aussi bien à la gravure en relief qu'à la gravure en creux— et d'appliquer un écran quadrillé pour retenir l'encre de façon régulière, et ce furent 2 découvertes capitales pour l'avenir de la reproduction photomécanique. Le procédé de Poitevin, sélectionné en France par le duc de Luynes, dérive de celui de Talbot et fut perfectionné en photolithographie et phototypie. En Angleterre, Woodbury (1834-1885), après la mise au point de l'épreuve au charbon, invente la woodburytypie, ou photoglyptie, qui permettait de faire passer la production journalière de 20 à 100 épreuves et dans laquelle l'émulsion à la gélatine est tellement durcie qu'elle sert de moule à la plaque à graver. La dynastie des Goupil eut le privilège d'exploitation de cette technique en France et elle utilisait en même temps la phototypie. Après s'être spécialisés dans la reproduction des maîtres par la gravure dès l'ouverture de la maison en 1832, les Goupil en vinrent naturellement à utiliser la reproduction photomécanique, parfois retouchée à la main.

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À partir de 1862, c'est la publication du Musée Goupil, dont les reproductions sont encore souvent réalisées d'après des gravures, puis, vers 1880, le Musée photographique, sans parler des photographies d'artistes anciens et modernes. Longtemps après l'invention de la photographie, l'association entre graveurs et photographes dans le domaine de l'édition fut étroite, comme le montre encore l'exemple des Alinari.

Mais, fatalement, les procédés mécaniques ont fini par tuer la gravure de reproduction en permettant d'abaisser le prix de la reproduction photographique, qui, en 1859, malgré les efforts d'un Blanquart-Evrard, représentait pour une seule épreuve 10 fois celui d'une gravure (ce sont les chiffres en Italie). Les Braun utilisèrent également la phototypie et bientôt la rotogravure (procédé de gravure en creux, par encrage mécanique rotatif, le plus rapide, qui permettait d'obtenir 2 000 épreuves à l'heure au lieu de 60 par jour dans l'héliogravure avec encrage à la main). L'inventeur du procédé était Karl Klic (1840– ?), et le procédé fut mis au point en Angleterre par la Rembrandt Intaglio Print Company. En 1895, C. G. Petit créa la similigravure, qui introduisait la reproduction photomécanique au cœur de la typographie et dont le principe reposait sur celui du réseau tramé inventé par Talbot. Ce furent les Américains et les Allemands qui exploitèrent d'abord la découverte de Petit. De 1892 date le premier emploi de la similigravure en couleurs, ou quadrichromie (composée de 4 clichés : 3 pour les couleurs fondamentales, 1 pour le noir), dont Braun encore s'est fait un des spécialistes.

13. Les conséquences de la reproduction photographique et photomécanique pour la peinture

Elles ont été considérables, moins pour l'évolution des styles (les artistes n'ont pas attendu la photo pour connaître l'art des pays étrangers) que par l'ouverture qu'elle permettait de l'art à un public de masse— encore qu'il s'agisse d'une arme à double tranchant : combien de gens épinglent sur leurs murs la reproduction d'un tableau dont ils n'iront jamais voir l'original dans un musée ? Pour l'histoire de l'art, son importance fut non moins considérable : elle en a accéléré le caractère scientifique ; la publication de Venetian painters par Berenson en 1894, un premier pas, fut certainement facilitée par les campagnes photographiques récentes des frères Alinari. Par une démarche inverse, tous les perfectionnements et les artifices de la reproduction photographique (agrandissements de détails jusqu'alors insoupçonnés, mise à une échelle arbitraire) ont encouragé les partisans d'un humanisme esthétique à élaborer, par des rapprochements insolites des chefs-d'œuvre les plus lointains par le temps, l'espace et l'origine, ce " musée imaginaire " qui fut pour Malraux un sujet de réflexion et de fascination.

14. Tendances de la Photographie Contemporaine 14.1. Introduction La pratique de la photographie, depuis une trentaine d’années, s’est rapprochée du milieu des arts plastiques, au point de devenir l’un des domaines où sont abordées les problématiques artistiques les plus pertinentes par rapport au monde actuel. La photographie contemporaine se distingue d’une pratique de la photographie classique par de nombreux aspects. En particulier, elle a su se libérer des « deux alibis » que dénonçait Roland Barthes dans un article de 1977 : « tantôt on sublime [la photographie] sous les espèces de la "photographie d’art" qui dénie précisément la photographie comme art ; tantôt on la virilise sous les espèces de la photo de reportage, qui tire son prestige de l’objet qu’elle a capturé ». La photographie intéressait pour des qualités issues de l’ingéniosité du photographe ou en tant que témoignage héroïque. A partir de la fin des années 70, elle commence à être utilisée pour ses caractéristiques propres. Tout d’abord, elle est pensée comme un outil conceptuel plutôt que technique. C'est le cas chez Bernd et Hilla Becher, souvent apparentés à l’art conceptuel. Ils

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photographient de manière systématique des bâtiments industriels avec une technique traditionnelle, desquels ils dégagent une approche esthétique et documentaire. Leur enseignement à Düsseldorf influence toute une génération d’artistes, Thomas Ruff et Andreas Gursky, entre autres, dont les photographies monumentales, retravaillées par la technique numérique, explorent les limites du réalisme. Cindy Sherman, quant à elle, interroge les effets de la multiplication des images, due aux mass media, sur notre interprétation du réel et nos comportements. Certains artistes, comme Sophie Calle, revendiquent même le fait d’ignorer les subtilités des manipulations techniques. Ils font appel, le cas échéant, à des photographes professionnels pour réaliser leurs clichés. Car l’essentiel de leur travail est ailleurs, la photographie ne représentant qu’un des éléments visuels de leur projet. Ce dédain pour la technique et le métier se manifeste aussi par l’utilisation d’appareils autofocus et, surtout, de la pellicule couleur qui renvoie à une pratique grand public. Ainsi, certains photographes s’appuient sur le modèle de l’album de famille, multipliant les clichés pour dérouler une narration, souvent intime et autobiographique, comme c'est le cas pour Nan Goldin. Mais la photographie couleur peut aussi être utilisée pour ses qualités purement plastiques et jouer avec les composantes de l’image comme dans une œuvre picturale. Car, en dernier lieu, un grand nombre de photographes utilise ce médium pour créer des images autonomes, de même que les peintres se servent des couleurs pour réaliser leur tableau. Pour Jeff Wall, par exemple, si la photographie est un moyen « up to date » pour créer des images qui s’inscrivent sans anachronisme dans notre monde moderne, il la conçoit aussi dans le prolongement des problématiques picturales classiques. De même, Jean-Marc Bustamante cherche à « faire des photographies qui aient valeur de tableau » et qui proposent des représentations plutôt que des reproductions. Trois orientations majeures marquent donc la pratique de la photographie contemporaine : celle du document qui contrarie ou sublime la réalité, celle de la narration qui se rapproche du cinéma et celle de la tradition picturale qui donne à voir des tableaux. Une artiste comme Suzanne Lafont parvient toutefois à interroger ces aspects en pratiquant la photographie non pas pour « cataloguer le monde » mais pour « trouver une nouvelle relation entre le monde et [cet] instrument ».

14.2. Les artistes et leurs œuvres

Bernd et Hilla Becher Bernd, Siegen (Allemagne), 1931 - Hilla, Potsdam (Allemagne), 1934

Les hauts-fourneaux appartiennent à une série de photographies intitulées Typologie des monuments industriels. Cette série a été développée sur une période de 30 ans pendant laquelle Bernd et Hilla Becher ont recensé et photographié des bâtiments industriels : châteaux d’eau, tours de refroidissement, puits de mine, silos et hauts-fourneaux.

Avec une technique invariable et rigoureuse, ils procèdent de manière systématique en plaçant le bâtiment ou la structure photographié au centre de l’image, l’isolant autant que possible de son environnement et bannissant du cliché toute source de distraction (individus, nuages, ou fumée). Ces images montrent que l’intention esthétique précède le projet documentaire. Présentées dans un accrochage dense, sous forme de tableau de 9, 12 ou 15 photographies, sur plusieurs rangées, leur sens de lecture peut être horizontal, vertical ou diagonal.

Les typologies font également l’objet de publications regroupant en général un seul type fonctionnel d’édifice, comme les Hochöfer (hauts-fourneaux) qui ont donné lieu à un livre en 1990. Comme dans la plupart de leurs ouvrages, Bernd et Hilla Becher y décrivent les qualités plastiques des bâtiments : « Si les atouts ou les habillages esthétiques restent possibles jusqu’à un certain degré pour les autres constructions industrielles massives, la chaleur, la pression et le dégagement de gaz des

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hauts-fourneaux les excluent. Leurs différents éléments restent visibles de l’extérieur. D’un point de vue anatomique, le haut-fourneau est donc semblable à un écorché. La forme est donnée par les organes internes, les vaisseaux, le squelette… Les paysages urbains de Pittsburgh, Birmingham, Charleroi, Longwy et Duisburg sont dominés par leurs hauts-fourneaux tout comme les cités médiévales l’étaient par leurs cathédrales.»

Biographie

Bernd Becher est né en 1931 à Siegen dans une région minière. Après un apprentissage de peintre décorateur, il étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts de Stuttgart. Il peint les paysages de sa région natale avant de recourir pour la première fois à la photographie en 1957 pour faire le portrait d’une mine en cours de démolition. Née en 1934 à Potsdam, Hilla Becher, photographe de formation, quitte Berlin Est pour suivre sa carrière professionnelle en Allemagne de l’Ouest. Elle devient responsable du laboratoire photographique de l’Académie Düsseldorf. Bernd et Hilla Becher se rencontrent en 1959, l’année où débute leur collaboration avec une série de photographies de mines et maisons ouvrières de la zone industrielle de Siegen. Leur travail est tout d’abord estimé par les ingénieurs et théoriciens de l’architecture. En 1969, l’exposition « Sculptures anonymes », de Bernd et Hilla Becher, est organisée simultanément avec une rétrospective de l’art minimal américain. De nombreux commentaires soulignent des affinités entre les deux projets, notamment la sobriété des formes et la présentation en série. Reconnus depuis par le milieu de l’art, les photographes sont souvent apparentés aux artistes conceptuels. Bernd Becher ouvre la première classe de photographie artistique en 1976 qu’il dirige jusqu’en 1996. Candida Höfer, Thomas Ruff, Thomas Struth et Andreas Gursky comptent parmi ses élèves. Inclassable, l’œuvre de Bernd et Hilla Becher s’inscrit à la fois dans l’histoire de la photographie documentaire des années 20 et l’art conceptuel des années 70. C’est précisément cette tension

entre recherches formelles et préoccupations documentaires qui explique, en partie, une reconnaissance tardive. Picture for women est l’une des premières œuvres de Jeff Wall. Si son titre fait allusion au contexte du militantisme féministe des années 70 et aux théories de la différence entre homme et femme qui ont particulièrement marqué les intellectuels anglo-saxons, son thème est plus précisément celui de la séduction et du croisement des regards, en référence à un tableau d’Edouard Manet, Un Bar aux Folies-Bergères. Dans cette peinture de 1881-1882, une serveuse se tient devant une table de service. Son regard mystérieux se pose on ne sait où. Seule la construction spatiale, très élaborée, du tableau permet d’en expliquer le trouble. Derrière la jeune femme, un miroir reflète la salle du bar, la table où

elle s’appuie, sa silhouette de dos, ainsi que l’homme qui s’adresse à elle et avec lequel le point de vue du peintre se confond. C’est cet homme qu’elle regarde de biais. Dans la photographie de Jeff Wall, le thème est transposé dans le cadre contemporain d’une séance de prise de vue. La jeune femme au premier plan ne regarde pas un éventuel spectateur en face d’elle. Ses yeux se fixent ailleurs. Pour comprendre leur trajectoire il faut recomposer la prise de vue de l’image. La scène a été captée dans un miroir et non photographiée frontalement. Ainsi, l’effet de perspective, naturellement induit par la photographie, s’annule et l’attention du spectateur est reconduite à la surface de l’image. On comprend alors que les yeux

Jeff Wall Vancouver (Canada), 1946

Jeff Wall, Picture for women, 1979

Epreuve cibachrome, caisson lumineux

161,5 x 223,5 x 28,5 cm

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de la jeune femme croisent ceux du photographe qui la regarde lui aussi, mais indirectement, dans le reflet du miroir. Manet, en réalisant sa toile à la fin du XIXe siècle, inventait une nouvelle construction de l’espace où l’illusionnisme propre à la création picturale était démultiplié. Jeff Wall prolonge cette recherche en l’appliquant à l’outil photographique, comme il le fait aussi dans Le Conteur, 1986 (Musée d’art moderne de Francfort), où il cite une œuvre majeure de Manet, fondatrice de la pratique picturale moderne, Le Déjeuner sur l’herbe. Biographie Jeff Wall est né à Vancouver, où il vit encore aujourd’hui. Dans les années 60, il étudie l’histoire de l’art à l’Université de Columbia, tout en participant à des mouvements d’art conceptuel et en s’initiant à la photographie en autodidacte. A partir de 1974, après l’obtention de son doctorat, il enseigne dans une école d’art à Halifax, puis à l’Université de Vancouver. A l’occasion d’un voyage en Europe, en 1977, il découvre la peinture de Vélasquez et la réflexion sur la représentation qu’elle implique. Mais, prenant conscience que la matière picturale provoque un effet anachronique chez le spectateur d’aujourd’hui, tant la peinture est désormais absente du quotidien, il décide de reprendre et de traiter les grands problèmes picturaux traditionnels par des moyens en adéquation avec notre époque, « up-to-date », projet qu’il commencera à réaliser l’année suivante. Ainsi ses photographies font-elles souvent référence à des toiles célèbres de Manet mais aussi de Delacroix, Géricault, Watteau… Les tirant d’abord sur papier transparent de grand format, puis les posant sur un tissu blanc pour accentuer leur luminosité, il les place ensuite dans un caisson à éclairage électrique. Ce dispositif procure à son travail un caractère spectaculaire. Il restitue, selon lui, à la

photographie la prestance et le rayonnement que la peinture a perdus, et permet à ses images de rivaliser avec l’efficacité visuelle de la publicité omniprésente. Ainsi, la photographie lui fournit un moyen d’être « le peintre de la vie moderne », comme il y insiste en citant Baudelaire. Le titre apparemment énigmatique attribué à cette œuvre par Jean-Marc Bustamante, comme à la plupart de ses travaux, indique la nature du projet. Le « T » renvoie à « tableau », le numéro « 21 » correspond à l’ordre de la photographie au sein d’une série, le « A » mentionne la version et « 79 » est sa date de réalisation. Bustamante entend produire des tableaux photographiques, l’équivalent de peintures avec l’outil photographique, comme en témoignent leur grand format et l’utilisation de négatifs en couleur.

Mais il les organise en série, comme s’il s’agissait d’enquêtes topographiques, ce qui procure à son travail un caractère de neutralité. Pour éviter tout effet de dramatisation, il intervient notamment quand le soleil est au zénith. Ce qui explique, dans ce tableau, l’éclatante blancheur de la maison et l’absence d’ombres portées. Heure inhabituelle pour un photographe, ce moment permet à l’artiste de gommer la matérialité des objets, comme si les paysages qu’il photographie étaient d’ores et déjà aussi minces que du papier. Ici la maison, qui semble à peine terminée, s’élève sur la pente d’un terrain sablonneux en friche dont la couleur ocre contraste avec le bleu du ciel. Elle se situe dans une banlieue de Barcelone, lieu apparemment sans particularité, entre ville et campagne. Mais si rien ne semble y advenir, c’est là que la ville se développe et que se joue son avenir social, la banlieue étant ce territoire que se disputent les plus aisés et les plus défavorisés.

Jean-Marc Bustamante Toulouse, 1952

Jean-Marc Bustamante, T.21A.79 1/1 Epreuve cibachrome 103 x 130 cm

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Bustamante utilise pour réaliser ses clichés une chambre de très grand format. Un matériel qui lui permet de capter une vue presque panoramique des lieux photographiés, mais dont le poids, proche des trente kilos, limite sa mobilité. Ainsi, une fois choisi son point de vue, tout changement devenant impossible, il est contraint d’accepter toutes les variations qui peuvent survenir dans son champ de vision. C’est pourquoi il appelle ses photographies des « instantanés lents » : des instantanés car il n’y a aucune manipulation de l’image ni arrangement des lieux, mais lents car, contrairement aux « images à la sauvette » que sont les instantanés, Bustamante prend le temps de la contemplation et ne vise aucun événement.

A l’opposé d’un regard mobile, qui se fixe tour à tour sur des objets précis et les isolent, le regard photographique qu’invente Bustamante enregistre, sans la hiérarchiser, la totalité de éléments qui se donnent à lui.

Biographie

Né à Toulouse en 1952, Jean-Marc Bustamante entreprend tout d’abord des études d’économie, avant de s’initier à la photographie, notamment auprès de Denis Brihat, photographe de natures mortes, puis de William Klein dont il devient l’assistant au milieu des années 70. Formé dans le milieu de la photographie traditionnelle, il restera toujours attentif à la qualité technique de ses images, tout en introduisant ce médium au cœur de l’art contemporain. A partir de 1978, il réalise des photographies couleur, de grand format, qu’il intitule Tableaux. Ce sont principalement des paysages, genre traditionnel descriptif, des images de sites sans qualités particulières, à la lisière des villes, dans le sillage des impressionnistes qui travaillaient à Argenteuil ou à Saint-Ouen. En 1983 il rencontre le sculpteur Bernard Bazile avec lequel il collabore pendant trois ans, sous le nom de BAZILEBUSTAMANTE, pour produire des objets relevant du champ artistique contemporain. Cette expérience le conduit à associer la photographie à la sculpture sous forme d’installations. Ainsi, certaines photographies de la série des Stationnaires (1990-91) sont présentées dans des caissons de bois, interrogeant le conditionnement de notre regard sur l’image. Il travaille aussi sur la matière des supports d’impression photographique en jouant, par exemple, sur la transparence avec la série des Lumières, 1989-1990, composée de sérigraphies sur plexiglas.

De même, pour la Biennale de Venise 2003, où il représentait la France, il transforme l’espace du pavillon français en remplaçant les vitres des fenêtres par des glaces teintées. Il en fait ainsi une sorte de « boîte lumineuse » qui attire le spectateur par son mystère et l’amène à porter un regard neuf sur les photographies accrochées à l’intérieur. Jean-Marc Bustamante enseigne actuellement à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans le département multimédia.

Cindy Sherman Glen Ridge (Etats-Unis), 1954 Untitled # 141 fait partie d’une série de photographies réalisée pour le magazine américain grand public Vanity Fair sur le thème des contes de fée (série des Fairy Tales).

Dans le prolongement de ses premières photographies réalisées fin des années 70, qui traitaient de l’image de la femme dans le cinéma des années 50, l’artiste, par le

Cindy Sherman, Untitled # 141, 1985 Tirage limité à 10 exemplaires Epreuve cibachrome 184,2 x 122,8 cm

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biais de mises en scènes soignées, devient son propre modèle et s’investit d’un rôle.

Comme dans ces premières séries sur le cinéma, les déguisements qu’elle choisit ici ne renvoient pas à des personnages ou à des histoires en particulier. Ils évoquent plutôt des figures génériques, comme si l’artiste cherchait un équivalent à la culture populaire du passé, le carnaval ou la Commedia dell’arte. Cependant, si dans ses premiers travaux son sujet nécessitait le noir et blanc pour évoquer un cinéma suranné, ici elle passe à la couleur, utilisant même des tons et des contrastes violents qui renvoient à l’univers fantastique des contes de fée, notamment tels qu’ils sont adaptés à l’écran pour les enfants.

Cindy Sherman explore, dans la culture populaire d’aujourd’hui, principalement véhiculée par les mass media, le catalogue des clichés qui façonnent notre identité, et notamment celle qui lui tient le plus à cœur, l’identité féminine.

Biographie

Cindy Sherman a tout d’abord étudié la peinture à l’Université de Buffalo où elle réalisait des toiles à partir de photographies. C’est à travers une initiation à l’art conceptuel, autour de 1975, qu’elle commence à pratiquer une photographie qui privilégie la réflexion sur l’image. A cette époque, elle rencontre son compagnon Robert Longo (1) dont le travail est proche du sien.

Dès ses premières photographies, avec la série aujourd’hui célèbre des Film Stills, où elle se met en scène comme dans des films de série B, elle s’intéresse aux figures qui façonnent l’identité féminine.

Dans les séries sur la mode (Fashion, 1983-84 et 1993-94) ou les Sex Pictures de 1992, elle révèle les modèles que proposent les media modernes tels que les magazines et la télévision.

Avec les History Portraits de 1989-90, elle recourt à une imagerie issue de l’histoire de l’art, se déguisant en personnages dignes de la porcelaine de Limoges, de gravures populaires de la Révolution française ou de tableaux de Raphaël ou Le Caravage.

Mais de manière récurrente, elle revient au thème du grotesque et de l’horreur : après les Fairy Tales, 1985, et les Disasters, 1986-89, les Horrors and Surrealist Pictures, 1994-96, s’inspirent directement des films d’horreur où les bons sentiments sont toujours contrebalancés par une terreur sourde et indéracinable.

Sophie Calle, Marquée par la description qu'un aveugle fait du miroir dans la Lettre sur les Aveugles de Diderot, Sophie Calle décide d'interroger des non-voyants de naissance sur l'image qu'ils se font de la beauté. Recueillant dix-huit témoignages, elle photographie en noir et blanc le visage de chacune des personnes interrogées, présente en regard de chaque portrait la réponse fournie, et accompagne ce dispositif d'une photographie en couleurs illustrant cette réponse. Si la plupart des non-voyants proposent une image de la beauté, leurs réponses sont assombries par celui qui déclare, en écho au géomètre aveugle de Diderot : « le beau, j'en ai fait mon deuil ». L'image de la beauté perd toute consistance.

On comprend dès lors la violence de ce travail : Sophie Calle exhibe l’image de personnes qui ignorent leur propre apparence. Elle porte la question de l’identité à son paroxysme : ses modèles sont soumis à une image qu’ils ne contrôlent pas puisqu’ils l’ignorent. Mais cette situation d’ignorance n’est-elle pas propre à chacun ? N’y a-t-il pas un irrémédiable décalage entre la conscience de soi et l’image que les autres s’en forment ? L’autre, par son regard, son affection, son intérêt, n’est-il pas dépositaire d’une partie de notre identité ? Cette œuvre de Sophie Calle rejoint, par les réflexions auxquelles elle conduit, les préoccupations

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d’une autre artiste photographe, Nan Goldin, dont l’ensemble du travail révèle que l’on n’existe que par les relations d’altérité, dans la fragmentation.

Biographie

Après une enfance parisienne, puis de nombreux voyages, Sophie Calle commence à suivre des inconnus dans la rue. De retour à Paris après sept ans d’absence, pour renouer, dit-elle, avec cette ville devenue étrangère, elle a recourt à ces filatures improvisées qui la déchargent de toute décision quant à son emploi du temps et ses itinéraires. Ainsi prennent forme une série d’œuvres, constituée de textes et de photographies qui relate ses aventures.

La Suite vénitienne, réalisée en 1980, rassemble des documents qui retracent l’itinéraire d’un inconnu qu’elle suit jusqu’à Venise. Sans jamais le rencontrer, elle photographie les lieux qu’il visite et interroge ses interlocuteurs. En 1981, elle se fait engager comme femme de chambre dans un hôtel de Venise afin d’accéder aux effets personnels des clients, sacs, valises, objets intimes qu’elle photographie et commente en toute indiscrétion. Cette série d’enquêtes, qui transforme des anonymes en héros romanesques, la conduit à organiser sa propre filature qu’elle commande à un détective par l’intermédiaire de sa mère.

Avec L’Homme au carnet, 1983, série de rapports publiée en feuilleton dans le quotidien Libération, la démarche de Sophie Calle se précise. S’étant approprié le carnet d’adresse d’un homme, elle tente de reconstituer sa personnalité grâce aux témoignages de ceux dont il a noté les coordonnées. L’enquête devient un moyen de s’interroger sur le décalage qui opère entre la réalité accessible et l’intériorité, éternelle absente qu’on ne peut que supposer, problématique qu’elle porte à son paroxysme avec la série des Aveugles de 1986. L’absence est aussi abordée par la série des Tombes, commencée en 1977-78 et reprise dix ans plus tard dans un cimetière de Californie, où elle photographie des pierres tombales anonymes qui répètent ces mots ordinaires et pourtant chargés de sens : « mother », « father », « son »… Au début des années 90, Sophie Calle présente une exposition intitulée Absence. Le projet a pour origine un fait divers : un vol de tableaux au musée Isabella Stewart Garden de Boston, dont la donatrice avait précisé qu’ils ne pouvaient être déplacés. Sophie Calle photographie le cartel et l’emplacement des objets dérobés, puis recueille le témoignage du personnel du musée invité à décrire le tableau manquant. Ici encore, il s’agit d’une tentative pour combler l’absence par la parole. Dans une démarche proche, en 2003, elle effectue un travail d’enquête autour d’une jeune femme, employée au Centre Pompidou, soudainement disparue en février 2000. Depuis quelques années, Sophie Calle accompagne ses expositions de livres. C’est le cas des sept livres des Doubles-Jeux publiés en 1998, fruit de sa collaboration avec le romancier américain Paul Auster. Celui-ci s’étant inspiré de la personnalité de Sophie Calle pour écrire son Léviathan en 1992, l’artiste, en retour, s’est proposée de vivre des scénarios écrits pour elle par Paul Auster, expériences à la base de nouvelles œuvres. Plus récemment, elle a publié Souvenirs de Berlin-Est, corollaire d’une exposition sur la disparition des monuments célébrant le communisme dans la capitale allemande.

• Nan Goldin : le site de l’exposition présentée au Centre Pompidou en 2001 • Sophie Calle : le parcours de l’exposition présentée au Centre Pompidou en 2003

Suzanne Lafont Nîmes, 1949

Cette série de photographies, dont l’une, plus imposante, est tirée sur papier affiche, se déploie sur le thème du travail. Plus précisément, il s’agit de revaloriser, ici, ceux qui sont assujettis à des emplois précaires ou clandestins en les imaginant recouvrer un peu de leur liberté.

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Ces photographies ont été réalisées dans le prolongement d’un plus vaste ensemble regroupé sous le titre de Trauerspiel et présenté en 1997 à la Documenta X de Kassel dans un passage piétonnier souterrain de la ville.

Trauerspiel est une œuvre « qui retrace la route de migration qui relie l’Europe orientale du sud à l’Europe occidentale du nord » (1). Elle mêle, selon différentes combinaisons, des photographies d’immeubles modernes et des images de personnages occupés à des tâches précaires. Ils portent des cartons, des échelles, balayent. Ils sont « à l’échelle de la société industrielle, ce que sont les domestiques à l’échelle de l’économie de la maison » (2).

Dans cette série conservée par le Mnam, l’un de ces personnages s’est installé de manière provisoire, mais tout de même confortable, pour faire une sieste. Le sourire qu’affiche son visage témoigne de son bien-être et laisse entrevoir le sommeil comme un moyen d’échapper à l’aliénation. Le sommeil, domaine du rêve et de l’illusion, semble ici constituer l’amorce d’une libération.

Biographie

Suzanne Lafont s’intéresse aux arts plastiques et à la photographie à la suite d’études littéraires et philosophiques. En particulier un travail universitaire sur les conventions chez Flaubert l’amène à une réflexion sur les citations dans le Pop art et le caractère de poncifs qu’acquièrent certaines images, fondant une culture populaire. C’est pourquoi l’appareil photographique chez elle ne sert pas à enregistrer des faits, dans un idéal scientifique d’objectivité, mais révèle les images comme issues d’un processus de fabrication et d’élaboration culturelle. Son travail procède par séries pour donner à voir ce processus.

Dans sa première série, réalisée en 1984 sur un site industriel abandonné, l’artiste photographe joue sur l’organisation structurelle de l’image grâce à des vues de charpentes en contre-plongée. À partir de 1989, avec des amis qui posent pour elle, elle s’attache à la réalisation de portraits monumentaux qui présentent des archétypes d’action plutôt que des personnages singuliers, dans un sens proche de la tragédie grecque. Mais à la différence de celle-ci, il s’agit toujours d’actions simples ou de gestes apparemment anodins, comme souffler ou se boucher les oreilles, que ses photographies figent dans le temps pour mieux les observer.

Plus récemment, elle développe l’aspect fictionnel de son travail en proposant des mises en scène plus complexes et des confrontations d’images plus élaborées encore, comme en témoignent les photographies du Musée. Avec l’une de ses dernières œuvres, Annonce (d'après une inscription relevée par Swift sur une baraque foraine), série d’affiches produites en 2003 pour le FRAC Ile-de-France, l’image devient le lieu d’un illusionnisme assumé. Le plaisir que procure cette œuvre - une souris géante invite à voir « le plus grand éléphant du monde à l’exception de lui-même » - naît de la reconnaissance du potentiel ludique de l’illusion.

Andreas Gursky Leipzig (Allemagne), 1955

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, cette photographie n’est pas un portrait de la chanteuse. Madonna n’est, en bas et à gauche dans cette immense image réalisée à l’occasion d’un concert donné en 2001 à Hollywood, qu’une silhouette minuscule.

Portant un drapeau américain, elle apparaît comme une figure messianique, tant la disproportion est grande entre elle et la foule. Isolée sur une scène qui obéit à une perspective illusionniste, elle

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fait face à la multitude qui se fond en un vaste graphisme abstrait, les silhouettes se mêlant à une pluie de confettis. Ce parterre uniforme recouvre la quasi-totalité de la photographie comme un motif décoratif. Gursky s’attache ici à montrer la star comme phénomène contemporain, capable de rassembler autour d’elle une foule de milliers d’admirateurs.

Cette photographie d’un concert de Madonna illustre parfaitement le style de Gursky. Conçues comme un tout qui inclut l’ensemble des éléments d’une situation propre au monde contemporain, un tout refermé sur lui-même, ses photographies correspondent à des images mentales ou des concepts.

Des images à l’aspect irréel mais qui sont, selon lui, un moyen de décrire la réalité d’aujourd’hui : un monde qui est devenu une fiction, où les déterminations les plus concrètes de notre existence quotidienne émanent de causes immatérielles et incompréhensibles comme la bourse ou la macroéconomie.

Biographie

Une triple formation de photographe est à l’origine du travail d’Andreas Gursky. Du monde de la publicité qu’il a connu par son père et son grand-père, photographes publicitaires, il conserve une conscience aiguë de la capacité des images à s’ériger en poncifs.

De sa formation au sein d’une école de photographie de Essen, école qui formait après-guerre tous les photographes reporters à la photographie « subjective » - c’est-à-dire l’image dérobée au cours du temps -, il garde un certain goût pour l’anecdote, et, malgré la planification croissante de ses prises de vues, une ouverture à la spontanéité, au hasard.

Mais c’est surtout l’enseignement de Bernd et Hilla Becher, qu’il suit à partir de l’automne 1981 à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf, qui détermine durablement son style. Les Becher, tout en établissant des liens entre la photographie et l’histoire de l’art, et notamment l’Art minimal et conceptuel, prônent une photographie systématique qui entend cerner l’intégralité d’un phénomène. Gursky reste fidèle à cette idée d’encyclopédie. Mais contrairement aux Becher qui cherchaient à photographier une totalité au fil de séries, il s’efforce de la concentrer en une seule image. C’est ainsi qu’il travaille avec des formats de plus en plus monumentaux.

C’est en 1984, au cours d’une randonnée dans les Alpes, qu’il découvre, par hasard, l’un de ses thèmes de prédilection. Photographiant le paysage qu’il croyait désert, il s’aperçoit, au moment du développement, que la montagne est parcourue d’une multitude de petites figures humaines. Il décide d’exploiter ce point de vue panoramique qui introduit la distance et le détachement dans son travail. Téléphérique, Dolomites, 1987, est l’un de ses premiers grands formats (104 x 128 cm) où la présence humaine apparaît dérisoire mais tenace, face à la nature.

Aujourd’hui, ses images mesurent plus de 2 m x 5. A partir de négatifs classiques de plusieurs prises de vues, qu’il scanne et assemble à l’aide d’un logiciel de traitement d’image, il réalise un nouveau négatif qu’il développe sur du papier traditionnel en rouleau. Leur gigantisme lui permet de s’emparer de tous les phénomènes du monde contemporain où les individus sont noyés dans des environnements qu’ils ne maîtrisent plus, tels que les concerts, la bourse ou les supermarchés.

Thomas Ruff Zell am Harmersbach (Allemagne), 1958 C’est avec ce travail sur le portrait, entrepris au milieu des années 80, que Thomas Ruff émerge sur la scène internationale. Ses images attirent le regard par leur format monumental et par l’impression de froideur et de distance qui s’en dégagent.

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Reprenant les codes de la photographie d’identité, il traite le portrait de manière documentaire et objective. L’éclairage est diffus éliminant les ombres, le point de vue est frontal, la composition symétrique et centrale. L’attitude du modèle est insignifiante et toute émotion y est systématiquement gommée. Ruff parvient à faire de la figure humaine un module minimal, un objet à la surface lisse comme la photographie. Ces images ne livrent rien de plus que leur propre réalité, l’image d’une image. Ruff affirme l’incapacité de la photographie à capturer le réel. Il en souligne un des paradoxes en posant la question : Qu’y a-t-il au delà de l’image ? En effet, la photographie est considérée comme l’image analogique de la réalité qui ne parvient pas à rendre le réel. Ainsi, en choisissant ses modèles parmi ses amis de l’Académie de Düsseldorf, ici une étudiante devenue artiste, il évacue toute trace de cette relation en réalisant un portrait anonyme. Dans un entretien donné en 1993 (Journal of Contemporary Art), il témoigne du climat des années 70 en Allemagne dans lequel il a grandi. Epoque dont il stigmatise « l’hystérie du terrorisme », où les services secrets surveillaient et arrêtaient les militants anti-nucléaires tandis que les professeurs soupçonnés de propagande gauchiste démissionnaient. Il était alors préférable de taire ses opinions et de garder une image proche de celle qui figurait sur un passeport. Face à la surveillance omniprésente de tous les lieux publics, Thomas Ruff opère ici par une forme de résistance, en réalisant des portraits non communicatifs.

Biographie

Après avoir étudié auprès de Gerhard Richter et Bernd et Hilla Becher à l’Académie de Düsseldorf, Thomas Ruff devient, dans les années 80, un des chefs de file de la nouvelle génération allemande. D’abord très influencé par le style documentaire des Becher, il réalise des clichés en noir et blanc reproduisant de grandes villes désertées. Son travail acquiert de l’autonomie avec ses portraits monumentaux de personnes anonymes, dénués d’expression, et pourtant ses amis de l’Académie de Düsseldorf. Ces portraits suggèrent alors que l’image photographique est incapable de représenter la vie intérieure d’un sujet, que la technique est toujours une manipulation.

Une autre série, Haus (Maisons), commencée en 1987, s’inscrit dans la même optique, une photographie objective et distanciée représentant des blocs d’immeubles gris de la période de l’après-guerre.

Au début des années 90, Thomas Ruff se procure des négatifs auprès de l’European Southern Observatory montrant des constellations d’étoiles relevées dans l’hémisphère sud. Il en fait des agrandissements au format standard de 101, 5 x 73,5 cm pour réaliser une série exposée sous le titre Sterne (Etoiles). Son intention est de limiter son intervention, de se restreindre lui-même dans la sélection, la manipulation et la présentation de ses sujets et de ses images. Cette démarche est encore plus probante dans la série des Zeitungsphoto (photos de presse), images trouvées et découpées dans les journaux, agrandies sans titre, et sans explication.

Au début des années 90, son travail prend une orientation politique en s’inspirant des images de la guerre du Golf. Pour Nacht (Nuit), il photographie des paysages nocturnes et urbains baignés dans une lumière verte, rappelant les caméras de surveillance utilisées par les militaires. Il ne cesse de s’interroger sur ce que peut véhiculer une image au-delà de la perception rétinienne, recourant de plus en plus souvent à l’image numérique collectée sur l’infinie banque de données d’images fournie par Internet - Nudes (Nus), 2000 et Substrates (Couches inférieures), 2003.

« Pendant longtemps et jusqu’à une date très récente l’historien de la photographie, qui ne voulait pas tourner le dos à son époque, était conduit à adopter, à l’égard de la création contemporaine une attitude très volontariste. Il voulait que des œuvres existent mais elles n’existaient pas. La photographie contemporaine était méprisée, marginalisée, sans qu’aucune œuvre ne fut assez convaincante pour briser ce préjugé négatif […]. Grâce à des artistes comme

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Cindy Sherman, Jeff Wall, Thomas Struth, Patrick Tosani, Jean-Marc Bustamante, John Coplans, Craigie Horsfield, Suzanne Lafont, la photographie est aujourd’hui considérée comme un outil parmi d’autres, comme un outil légitime, pour produire des images artistiques. Des photographies sont exposées sur des murs de musées et de galeries, comme des tableaux, en tant que tableaux.

On peut encore entendre des plaintes, de la part des peintres et des amateurs de photographie. Les uns comme les autres considèrent que l’image photographique n’est pas faite pour les murs mais pour la page imprimée (des livres, des magazines, des journaux) ou, sous une autre forme, plus intime, plus précieuse, pour les cartons de documentation, les albums, les boîtes d’archives. A vrai dire, cette conception de la photographie est depuis longtemps dominante. […]. Pour ma part, je peux comprendre parfaitement que l’on veuille éviter à la photographie de rentrer dans le rang des beaux-arts, mais, malheureusement, il semble que, au nom de ce bon principe, on veuille surtout la protéger de l’art moderne et de tout ce qui le distingue, précisément, dans sa négativité, dans ses refus, de la double tradition des beaux-arts et des arts appliqués. Ceux-là mêmes qui revendiquent pour la photographie une fonction sociale plus large que la production strictement artistique, semblent n’avoir retenu de l’art moderne et contemporain que les effets les plus superficiels : en bref, tout ce qui peut servir à la publicité, tout ce qui est facilement récupérable dans une économie de l’image fondée sur l’efficacité mécanique.

La photographie, appliquée à la mode, à la publicité, à l’information de choc (le fameux « choc des photos »), reste évidemment un outil privilégié de cette économie, même si la télévision a pris le dessus. Mais elle peut apparaître également comme le refuge des valeurs traditionnelles de la création artistique exaltées dans le système des beaux-arts. Le photographe peut apparaître comme l’artiste type, qui s’est donné un métier et transforme patiemment en œuvre une expérience du monde médiatisée par ce métier. Cette image n’est pas absurde, mais elle paraît aujourd’hui trop nostalgique pour être acceptable. La seule attitude convaincante se situe plutôt dans le mince écart qui sépare le refus de l’efficacité médiatique du retrait passéiste. Or, cet écart est sans doute le meilleur héritage de l’art moderne. C’est lui qui permet à un artiste d’être « contemporain » sans adhérer à l’inévitable conformisme de son époque. En d’autres termes, je dirais que la photographie, située entre les beaux-arts et les médias, permet à certains artistes de réinventer l’art moderne. 15. Le photographe japonais Hisaji Hara et le peintre français Balthus A l'occasion de son exposition à la Michael Hoppen Galley à Londres, nous avons interrogé le jeune photographe japonais Hisaji Hara sur la genèse de ses oeuvres. Basées sur les tableaux du peintre français Balthus, les photographies de la série A Photographic Portrayal of the Paintings of Balthus mélangent innocence et érotisme dans une vision artistique atemporelle.

A study of The Game of Cards, 2010 © Hisaji Hara, courtesy of the Michael Hoppen Gallery

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Parlez-nous de votre parcours... Comment êtes-vous devenu photographe ? Jusqu'à la fin des années 90, j'ai travaillé en tant que caméraman au sein des sociétés de production de cinéma à New York et à Tokyo. Même si la photographie a toujours fait partie de ma vie, je ne me suis pas vraiment considéré comme photographe pendant de longues années. A Photographic Portrayal of the Paintings of Balthus est la première série que j'ai montrée au public, il y a maintenant plus de deux ans. La Galerie Michael Hoppen Contemporary expose en ce moment cette série basée sur les portraits du peintre français d'origine polonaise Balthus (1908 - 2001). Pourquoi avez-vu décidé de revisiter l'oeuvre ce cet artiste figuratif ? J'ai découvert Balthus pendant les études dans les années 80, et son oeuvre m'a profondément impressionné par sa force et originalité. Sous l'influence de mes enseignants, qui soulignaient en permanence l'importance des artistes comme Picasso, Matisse ou Cézanne, ma passion pour Balthus s'est estompée pendant près de 15 ans. Et puis en 2005, je me suis soudainement rappelé de son tableau intitulé Thérèse Dreaming (1938). J'ai tout de suite fait une recherche sur Internet, et la toute petite image que j'ai trouvée m'a semblé être la définition de l'authenticité créative. Lorsque j'ai commencé ma série A Photographic Portrayal of the Paintings of Balthus, mon premier objectif était d'explorer le secret de cette authenticité. Les photographies que j'ai réalisées depuis constituent donc pour moi une étude des peintures de Balthus, plutôt qu'une simple "reproduction." Quel est pour vous le lien entre la photographie et la peinture ? Comment l'oeuvre de Balthus influence-t-elle votre pensée artistique ? Puisque l'histoire de la photographie a commencé il y a environ 200 ans, je pense pouvoir affirmer que cette forme d'art est un produit de la modernité et de notre pensée contemporaine. La peinture en général et les tableaux de Balthus en particulier sont, eux, bien ancrés dans l'histoire ancienne de l'art (l'artiste avait l'habitude de se décrire comme le dernier peintre de l'époque féodale). La plus grande influence de Balthus sur ma photographie consiste dans le fait que je suis obligé d'utiliser des techniques et appareils photographiques pour produire des oeuvres qui ne sont pas le résultat de notre pensée moderne. Une autre particularité extrêmement importante de l'oeuvre de Balthus est le fait que ses peintures semblent s'inspirer des peintures chinoises du 12e siècle, des oeuvres appartenant à la Renaissance italienne, ou même des peintures rupestres. Je pense donc que, avant de pouvoir explorer l'oeuvre de Balthus, je dois vider ma tête de toute pensée. Cela signifie que je dois utiliser la lumière et l'appareil photographique comme un peintre utilise les couleurs et la toile. Votre oeuvre est basée sur un subtil mélange d'innocence et d'érotisme… De mon point de vue, l'érotisme est associé à notre existence physique et individuelle ; l'innocence est quant à elle profondément liée à notre existence spirituelle. Il est donc évident pour moi que l'érotisme et l'innocence représentent les deux côtés de notre être. Cette antinomie est au coeur de notre existence. Notre société moderne nous encourage à nourrir seulement notre côté physique, au détriment de notre spiritualité : cette contradiction représente pour moi l'un des plus grands problèmes de l'époque moderne. Je suis persuadé que Balthus était conscient de cette dualité, et de ses conséquences. Je suis donc content lorsque les gens identifient ce mélange dans mes photographies : cela signifie qu'ils prennent conscience de notre antinomie inévitable.