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ISSN 0440-8888 HISTOIRE DES SCIENCES MEDICALES ORGANE OFFICIEL DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'HISTOIRE DE LA MÉDECINE TRIMESTRIEL - TOME XII - № 2 - 1978

histoire des sciences medicales

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I S S N 0440-8888

HISTOIRE DES SCIENCES MEDICALES O R G A N E OFFICIEL DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D ' H I S T O I R E DE LA M É D E C I N E

TRIMESTRIEL - TOME XII - № 2 - 1978

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HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES ORGANE OFFICIEL DE LA SOCIETE FRANÇAISE D'HISTOIRE DE LA MEDECINE

R E V U E T R I M E S T R I E L L E FONDEE PAR LE D r ANDRE PECKER

C O N S E I L D ' A D M I N I S T R A T I O N E T

C O M I T E D E R E D A C T I O N

BUREAU

Docteur Th. VETTER Professeur SOURNIA Docteur VALENTIN Docteur DUREL Mademoiselle DUMAITRE Monsieur DELABY Monsieur BRIEUX

Président Vice-Président Secrétaire Général Secrétaire Général Adjoint Secrétaire des séances ... Trésorier Trésorier Adjoint

MEMBRES

Professeur A. BOUCHET, Monsieur BRIEUX, Médecin-Général CAMELIN, Professeur CHEYMOL, Monsieur DELABY, Médecin-Général DULIEU, Mademoiselle DUMAITRE, Docteur DUREL, Professeur FILLIOZAT, Docteur FINOT, Docteur GILBRIN, Professeur GRMEK, Recteur HUARD, Président KERNEIS, Médecin-Général Lambert des CILLEULS, Docteur MARTINY, Docteur PECKER, Professeur POULET, Professeur SOURNIA, Monsieur THEODORIDES, Doyen TRUCHINI,

Docteur VALENTIN, Docteur VETTER, Mademoiselle WROTNOWSKA

REDACTION

Délégués : Docteur VALENTIN et DUREL

La correspondance est à adresser au Docteur Michel VALENTIN,

52, rue de Garches, 92210 SAINT-CLOUD Tél. 771-84.42.

ABONNEMENTS — ADMINISTRATION — PUBLICITE

LES EDITIONS

4, RUE LOUIS-ARMAND

DE MÉDECINE PRATIQUE

92600 ASNIÈRES - Té l . 791 12-80

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Paris XV 5Ó64865

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s o m m a i r e

Société française d'histoire de la médecine

Procès-verbal de la séance du 17 décembre 1977 107

Procès-verbal de la séance du 28 janvier 1978 108

Eloge du Professeur Jacques Poulet, par Th. Vetter 111

André Rôle : « La vie étrange d'un grand savant, le Professeur Brown-Séquard », analyse présentée par M. Jean des Cilleuls 115

Les médecins des premiers Valois, par le Docteur A. Finot 119

Conversations médico-scientifiques de l'Académie de l'Abbé Boudelot (1610-1685), par Jean-Jacques Peumery 127

Cent ans de lutte antitabagique, par le Docteur André Dufour .. .. 136

Un précurseur de la lutte contre le tabagisme, par Pierre Nicolle .. 143

Faut-il remettre en cause la naissance d'Eugène Delacroix ?, par A. Camelin 145

L'hôpital de Vaugirard : des origines à nos jours, par Ph. Delavierre .. 153

Suite page 105 m—>

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spécialités pharmaceutiques

les laboratoires

DAUSSE 6 Q RUE DE LA GLACIERE 75621 PARIS CEDEX 13 - TEL. 707 23 79

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s o m m a i r e (suite)

Société montpelliéraine d'histoire de la médecine, r a p p o r t d ' a c t i v i t é 1977 163

Le Doyen Gaston Giraud et l'histoire de la médecine, p a r l e D o c t e u r L o u i s D u l i e u 171

Un manuscrit inachevé de Grasset : Pierre Pomme et les maladies nerveuses au XVIIP siècle, p a r J e a n M o n t e i l 177

Balzac et les savants de l'université de Montpellier : Pyrame de Candolle et Chaptal, p a r G e o r g e s P r a d a l i e 180

Les étapes montpelliéraine de la vie médicale du Docteur Jamot, vainqueur de la maladie du sommeil, p a r M M . J u l e s E u z i è r e e t H e r v é H a r a n t 189

La maladie du sommeil et E. Jamot, p a r P i e r r e R i c h e t 192

Appel en faveur d'une bibliothèque hippocratique, p a r l e D o c t e u r A n d r é P e c k e r 199

Analyses d'ouvrages 201

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PROPRIETE PHARMACOLOGIQUE Vadilex s 'oppose à l 'action v a s o c o n s t r i c t i v e des subs tances a s t imulan tes (nor adréna l ine en part icul ier) et rétablit un flux c i rcula toi re no rma l .

INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES • Insuffisance circulatoire cérébrale : R a l e n t i s s e m e n t in te l lec tue l , per te de m é m o i r e , t roubles caractér ie ls ou du c o m p o r t e m e n t , ver t iges , t roubles audit i fs , séque l les d 'accidents cé réb raux . • Accidents vasculaires cérébraux aigus : H é m i p l é g i e s , s y n d r o m e s déficitaires cen t r aux , t r auma t i smes c rân iens . Prépara t ion aux in tervent ions de neuro-chi rurg ie vasculaire et aux ar té r iographies cérébra les . • Troubles fonctionnels de l'hypertension artérielle. • Ophtalmologie : re t inopath ies vasculaires . • O.R.L. : acc iden ts vasculaires cochléa i res et vest ibulai res . • Artériopathies périphériques, t roubles c i rcula toi res des ex t rémi tés .

MODE D'EMPLOI ET POSOLOGIE Traitement de fond : 4 à 6 c o m p r i m é s par jour .

Traitement d'urgence : 1 à 3 a m p o u l e s par j o u r en I .M., I.V. lente ou perfusion ; doit être suivi d 'un t r a i t emen t d 'en t re t ien .

EFFETS SECONDAIRES ÉVENTUELS - Effet hypotens i f chez les sujets âgés et a l i t é s ;

- Bouffées de cha leur chez les f e m m e s p résen tan t u n syn­d r o m e p r é m é n o p a u s i q u e .

PRÉSENTATION, COMPOSITION ET PRIX - Boîte de 30 c o m p r i m é s dragéifiés dosés à 0,010 g de tar t ra te d ' I fenprodi l . 25,25 F + S.H.P. A . M . M . 312.961.6.

- Boîte de 10 a m p o u l e s de 2 ml dosées à 0,005 g de tar trate d ' I fenprodi l . 12,00 F + S.H.P. A . M . M . 315.698.4. R e m b o u r s é s S.S., agréé aux Collect ivi tés et hôp i t aux psychia­t r iques . Tableau C.

Laboratoires ROBERT & CARRIERE, 1 et 1 bis, avenue de Villars - 75341 PARIS C E D E X 07 Direction Médicale : 4-14, rue Ferais - 75683 PARIS C E D E X 14 - Tél. : 580.55.25.

v a d i l e x so

ins

insuffisance

circulatoire

cérébrale

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SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'HISTOIRE DE LA MÉDECINE

PROCES-VERBAL DE LA SEANCE DU 17 DECEMBRE 1977

La séance a été ouverte à 16 h 30 par le Vice-président Pr. Sournia, en l'absence du Président Dr Vetter empêché.

Le Secrétaire général Dr Valentin lit le procès-verbal de la séance du 26 novembre qui est adopté.

Il présente les excuses du Président Dr Vetter, de M. Delaby, du Médecin-Général Dulieu, des Prs André Meyer, Poulet, Kernéis, des Drs Finots, Durel, Robine, de Mme Chevassu.

Elections

1 ) Adhésion exceptionnelle : M. Pascal Baguenard, Hôpital d'instruction des Armées Bégin.

2) Les candidats présentés à la séance du 26 novembre sont élus : Dr Pierre Naussiat ; Mlle Marie-Paule Duminil ; Dr Louis Harmel Tourneur ;

Dr Pierre Hecquet ; Dr Pierre Marlin ; Dr Jean-Claude Rey ; Mlle Dr Bâtard.

Candidatures

Les candidatures suivantes sont présentées : Mlle Colette Cramoisy, maître-assistant d'allemand à l'Université René-Descartes,

246, faubourg Saint-Martin, 75010 Paris, présentée par Mlle Dumaître et M. Vetter. M. le Dr Jacques Guttières, 106, rue Lamarck, 75018 Paris, présenté par MM. Van der

Elst et Valentin. M. le Dr Jean-Paul Vassal, 5, avenue Daniel-Lesueur, 75007 Paris, présenté par

MM. Hillemand et Delavierre.

M. le Dr Michel Bursaux, 23, rue Lochet, 51000 Châlons-sur-Marne, présenté par MM. Masingue et Bailliart.

« JOURNEES PRUNELLE » A MONTPELLIER

Le Vice-président Sournia donne lecture d'une lettre du Dr Dulieu qui fait part de l'intention de la Faculté de médecine de Montpellier d'organiser au mois d'octobre 1978 les « Journées Prunelle ». La Faculté de médecine de Montpellier ainsi que la Société montpelliéraine d'histoire de la médecine seraient heureuses si la Société française voulait bien s'associer à ces journées. En remerciant le doyen Mirouze de son invitation, acceptée en principe, le Vice-président Sournia précise qu'une réponse sera donnée ultérieurement

Le Secrétaire général Dr Valentin donne lecture de deux lettres de remerciements, celle du doyen Giraud, de Lyon, élu à la Société, et celle du Dr Steinmann, professeur à Fribourg.

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OUVRAGES REÇUS

Paule Dumaître : « Médecine et médecins, la longue marche de la médecine ». Paris, Magnard, 1977, offert par l'auteur.

Emile Fcrgue : « Une vie de chirurgien », offert par le Vice-président Pr. Sournia.

PRESENTATION D'OUVRAGES

Le Médecin-Général des Cilleuls présente l'ouvrage de :

André Rôle : « La vie étrange d'un grand savant, le professeur Brown-Séquard », Paris, Pion, 1977, in-8, 221 p., 4 pl. h.t.

COMMUNICATIONS

a) Dr A. Finot : « Les médecins des premiers Valois » (suite et fin), (lu par le Vice-président Pr. Sournia).

(Voir texte plus loin.)

Intervention : Pr. Cheymol.

b) Dr Jean-François Lemaire : « A partir de son livre posthume sur la folie de Charles VI. (Le roi empoisonné. La vérité sur la folie de Charles VI., Paris, Société de productions littéraires, 10, rue du Regard), l'œuvre d'historien de la médecine de Jean-Claude Lemaire, membre de la Société ».

Interventions : Prs. Sournia, Hillemand, Cheymol, Grmek.

c) Dr J.-J. Peumery : « Conversations médico-scientifiques de l'Académie de l'abbé Bourdelot (1610-1685) ». (Voir texte plus loin.)

Interventions : M. Théodoridès, Mlle Dumaître, Pr. Hillemand, Pr. Grmek, Dr Gignoux.

La séance est levée à 18 h 15.

Signé : Paule Dumaître.

PROCES-VERBAL DE LA SEANCE DU 28 JANVIER 1978

La séance a été ouverte à 16 h 30 par le Président Vetter. Le Secrétaire général Dr Valentin lit le procès-verbal de la séance du

17 décembre 1977 qui est adopté. Il présente les excuses de Mme Légée, Mme Chevassu, Pr. Kernéis et du

Médecin-Général Dulieu.

Elections

Les candidats présentés à la séance du 17 décembre sont élus : Mlle Colette Cramoisy ; Dr Jacques Guttières ; Dr Jean-Paul Vassal ; Dr Michel

Bursaux.

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Candidatures

Les candidatures suivantes ont été présentées :

Dr Pierre Latil, Assistant des hôpitaux de Marseille, 20, rue du Quatre-Septembre, 13000 Aix-en-Provence, présenté par MM. Vetter et Valentin.

Dr P.-E. Cassan, 4, rue Eblé, 75007 Paris, présenté par MM. Gutmann et Poulet.

Mme Lubovici, Conservateur de !a bibliothèque de l'Académie de médecine, 16, rue Bonaparte, 75006 Paris, présentée par Mlle Dumaïtre et Mlle Chapuis.

Pr. Fasquelle, 8, route de Malabry, 92 Plessis-Robinson, présenté par MM. Hillemand et Cheymol.

Pr. André Dufour, 2, chaussée de la Muette, 75016 Paris, présenté par MM. Poulet et Valentin.

Dr Patrice Josset, 6, rue de Lyon, 75012 Paris, présenté par MM. Vetter et Orcel.

OUVRAGES REÇUS

André Jacquet : « Histoire de l'enseignement médical universitaire en Franche-Comté ». Thèse (médecine). 2 janvier 1977, Besançon, dactylo, 270 p.

M. Schachter : « Etude psycho-pathographique d'Oscar Wilde (1854-1900 », tiré à part du Journal de Médecine de Lyon, 1977, 58, 613-621.

V. Comiti : « Variations conceptuelles de la géographie médicale et diagnostic médical historique à propos de la Corse aux XVIII e, XIX e et XX e siècles ». Tiré à part de Médicina nei Secoli, 3, 1976, p. 607 à 629.

QUESTIONS DIVERSES

Le Secrétaire général annonce une séance sur Claude Bernard dont la date n'est pas fixée.

Il annonce que le 38e Congrès des Sociétés Savantes aura lieu à Nancy-Metz, les 10-15 avril 1978.

Il signale une très intéressante exposition sur l'œuvre de Marey qui se tiendra au Centre Pompidou jusqu'au 21 février.

COMMUNICATIONS

Dr André Dufour, Secrétaire de l'Académie nationale de médecine : « Cent ans de lutte contre le tabagisme ».

Dr René Nicolle : « Un précurseur de la lutte contre le tabagisme ». Interventions pour ces deux communications : Dr Valentin, Pr. Hillemand,

Pr. André Meyer, Pr. Chigot, Pr. Gutmann, Pr. Cheymol, Dr Jean-François Lemaire.

Médecin Général A. Camelin : « Faut-il remettre en cause la naissance d'Eugène Delacroix ? ».

Interventions : Pr. Hillemand, Dr Pecker, Dr Lemaire.

Dr Philippe Delavierre : « L'hôpital de Vaugirard, des origines à nos jours ». Interventions : Pr. Hillemand, Pr. Gutmann. (Voir textes plus loin.)

La séance est levée à 18 h 30. Signé : Paule Dumaïtre.

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Alain BRIEUX 48, rue Jacob 75006 PARIS Tél. 260 21-98

L I V R E S ET I N S T R U M E N T S SCIENTIFIQUES ET M É D I C A U X A N C I E N S

ACHAT - VENTE EXPERTISE - PARTAGES

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Eloge du Professeur Jacques POULET

par Th. VETTER

En 1974, le Prés ident Cheymol a p résen té dans no t re Bulletin le Professeur Jacques Poulet en t an t que d i rec teur nouvel lement n o m m é à la chaire d 'histoire de la médecine et de la chirurgie (1). Quat re années sont à peine révolues, et j ' a i le douloureux privilège d 'adresser un dern ier hommage à no t re éminent collègue, qui vient de s 'éteindre, âgé de soixante ans seulement, le 14 m a r s 1978.

En cet te pér iode de muta t ion , le nouveau t i tulaire n 'a plus prononcé de leçon inaugurale , dans laquelle il aura i t pu nous livrer ces résonnances int imes, les détails sur les c i rconstances qui ont pu induire une vocation, les échos du cœur qui conduisent l'élève depuis l ' admirat ion jusqu ' à la respectueuse amit ié envers un maî t re . Dans sa concision, la liste des t i t res et t ravaux n 'est qu 'un laconique reflet d 'une vie active (2).

Certes, il appar t i en t à d 'aut res , plus qualifiés, d 'évoquer en détail la car r iè re du clinicien. Externe des Hôpi taux de Paris dès 1938, in terne en 1943, il est n o m m é à l 'assistanat onze années plus ta rd . Après le concours de 1958, il obtient le t i t re de Médecin des hôpi taux en 1960, puis en 1963 celui de Professeur agrégé de médecine générale à la Faculté de Par is . Ses dernières fonctions hospi tal ières , il les a exercées à l 'hôpital Tenon, dont il fut le médecin-chef du service de médecine générale. Général is te dans la pleine acception du te rme , il cultivait un a t t achement envers les spécialités « dont la réunion cont r ibua à sa format ion ». Et il n 'a pas manqué de rendre un

(1) Cheymol, Jean. Le Professeur Jacques Poulet, vingt-deuxième titulaire de la Chaire d'Histoire de la Médecine et de la Chirurgie. Hist. Sci. Méd., 8, 1974, pp. 677-681.

(2) Poulet, Jacques. Titres et travaux scientifiques. Paris, 1973, 82 pp. et complément dactylographié.

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hommage par t icul ier à ses maî t res : « Maurice Bariéty a guidé [ses] pas en pneumologie, André Lemaire en médecine générale, Lucien de Gennes en endocrinologie, Rober t Degos en dermatologie, Pierre Mollaret en neurologie pendan t [ son] in ternat , et en pathologie infectieuse du ran t [ son] clinicat »(3).

Deux cents publ icat ions originiales ayant t ra i t à la pathologie médicale t ra i tent de la pneumo-phtisiologie, de l 'appareil cardio-vasculaire, de la neuro­psychiatr ie , de l 'hématologie, des maladies dysmétabol iques , de la derma­tologie, de la parasitologie. Plusieurs ouvrages didact iques concernent le pneumo-médias t in artificiel (1954), le B.C.G., les aspergilloses bronchiques et pu lmonai res (1957), la sarcoïdose de Besnier-Boeck-Schaumann (1958), les act inomycoses pu lmonai res (1959).

L 'appar tenance aux Sociétés savantes les plus dist inguées, françaises et é t rangères , devait consacrer ses mér i tes . L'Université du Brésil le n o m m a à la dignité de Docteur Honoris Causa.

Si le Professeur Poulet se voit confier la chaire d 'histoire de la médecine et de la chirurgie par décret du 31 juillet 1974, ce n'est en fait pas pour l 'engager dans une voie nouvelle et uni la térale . Comme son prédécesseur , le Professeur Charles Coury, il va mener de front une double activité. Le lien se re t rouve, qui nous fait r emon te r à une époque déjà reculée, vers l 'exemple du Grand Pa t ron c o m m u n que fut le Professeur Maurice Bariéty.

Le Professeur Poulet nous en donne lui-même le témoignage en intro­duisant l 'exposé de t ravaux : « Pendant no t re in te rna t chez no t re regre t té ma î t r e Maurice Bariéty, et les quinze années d 'assis tanat passées dans son service, nous n 'avons cessé de subir son influence bénéfique et ainsi, en t re au t res , de p rend re goût à l 'histoire de la médecine dont il avait dirigé la chaire ». La personnal i té exceptionnelle, les dons bri l lants d 'éloquence, la dist inct ion du style ne pouvaient m a n q u e r de m a r q u e r ceux qui l 'approchaient de près comme ils subjugaient les audi teurs lors des congrès in ternat ionaux.

Un travail en col laborat ion fut présenté ici m ê m e l 'année 1970, sur « les débuts de l 'homéopathie en France ». Si l ' installation à Paris de Hahnemann , qui venait d 'épouser sa j eune pa t ien te Mélanie d'Hervilly, a donné son essor à la doctr ine et à la mé thode à pa r t i r du second t iers du XIX e siècle, un cl imat passionnel ne m a n q u e pas de diviser les adeptes et les dé t rac teurs .

Au vrai, le Professeur Poulet avait déjà abordé la pér iode de conflit au tou r de l 'homéopathie à p ropos du t ra i t ement d 'un gigantesque kyste de l 'ovaire dont était a t te in te Bathi lde de Cambacérès , « deux fois pet i te nièce de l 'Empereur ». Cette p remière publ icat ion médico-historique avait t rouvé ses sources lors du dépoui l lement d 'archives familiales.

L'année 1970 m a r q u e aussi la confirmation de cet a t t ra i t pour l 'histoire, par la récept ion en Sorbonne à une licence ès-lettres.

Alors, un changement manifeste devient percept ible si l'on observe la liste chronologique des t ravaux : les thèmes h is tor iques p rennent , pendant un temps , ne t t ement le pas sur les é tudes de pathologie médicale. Un certain n o m b r e d 'entre eux localise les sujets au X I X e siècle : sur les troubles

(3) Ibid., p p . 34-35.

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psychiques du général Juno t ; la personnal i té d 'Antonmarchi ; la médecine physiologique de Broussais ; le ba ron Alibert et la dermatologie française ; la dynast ie médicale de Pelletan, le choléra à Paris en 1832, la naissance de la mé thode anatomo-cl inique et les répercuss ions sur le développement des écoles médicales é t rangères ; Semmelweiss et la fièvre puerpéra le , la médecine germanique au XIX e siècle, de Schelling à Virchow.

Cette prédi lect ion pour une époque se t radui t encore dans le choix d 'un sujet de thèse de t rois ième cycle sur « les médecins par is iens sous le Consulat et l 'Empire , é tude d 'une catégorie sociale », par des conférences à l ' Inst i tut Napoléon.

En dehors de ce cadre, nous t rouvons des é tudes sur les doctr ines médicales à la Renaissance et la fin de l 'empir isme, la physiologie respi ra to i re avant et après Lavoisier, sur l 'histoire de la cardiologie au X V I I I e siècle, les cont r ibut ions françaises avec Sénac, Corvisart , Laennec, Bouillaud, René-Marie ; la dermatologie et l 'histoire de la syphilis moderne , l 'histoire du diabète, l 'histoire de la variole. Les nombreuses années passées à l 'hôpital Saint-Louis et à l'Hôtel-Dieu devaient logiquement about i r à des cont r ibut ions à l 'histoire hospital ière.

Il faudrai t a jouter à cet te liste qui ne peut ê t re qu 'énuméra t ive , les t ravaux sur les bézoards, indui ts par la découver te de trois cas humains , sur les médecines t radi t ionnel les africaines, sur la médecine arabo-islamique et son influence sur la médecine occidentale, sur les t répana t ions crâniennes dans la civilisation Chimou. Nous pour rons ainsi recenser 56 t i t res publiés ju squ ' à ce jour du ran t la dernière décennie (4). De plus, une quaran ta ine de thèses h is tor iques de doctora t en médecine ont été élaborées sous sa direction.

Il faut a jouter la col laborat ion de ses élèves, n o t a m m e n t le Docteur Heymans , Mesdames Buffet et Confais.

Dans l 'organisation de son enseignement , il a choisi successivement les médecines ant iques extra-européennes (1974-1975), les médecines an t iques médi te r ranéennes jusqu ' à la chute de Byzance (1975-1976), la médecine a rabe et la médecine du Moyen Age (1976-1977), la médecine à la Renaissance ( 1977-1978).

Il dispensa également des cours à la IV e Section de l 'Ecole p ra t ique des hau tes é tudes .

Sa nominat ion aux Sociétés é t rangères d 'histoire de la médecine, à l ' Ins t i tu t brésilien, au Venezuela, au Mexique, à l 'Athénée de Buenos-Aires const i tue une reconnaissance de son œuvre .

Si la guer re est venue i n t e r rompre ses é tudes en 1939, il s'est, du ran t ce long in te rmède , dist ingué au cours d 'une car r iè re mil i ta ire qui lui fait honneu r : volontaire pour le corps expédi t ionnaire en Scandinavie, il le sera encore, après son évasion de captivité, pour la Première a rmée , pour la Légion é t rangère .

(4) Il f a u t s o u l i g n e r ici la p a r t a c t i v e d u P r o f e s s e u r P o u l e t avec le P r . J.-Ch. S o u r n i a e t les D o c t e u r s A. P e c k e r , M. M a r t i n y e t R. R u l l i è r e d a n s l ' éd i t i on d ' u n e m o n u m e n t a l e « H i s t o i r e d e la m é d e c i n e , d e la p h a r m a c i e , de l ' a r t d e n t a i r e e t d e l ' a r t v é t é r i n a i r e » en 8 v o l u m e s (Alb in Miche l , La f fon t , T c h o u ) d o n t le p r e m i e r t o m e es t d é j à p a r u .

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Promu Officier de la Légion d 'honneur , il est également Officier de l 'Ordre nat ional du Mérite, t i tulaire de la Croix de Guerre 1940 et de celle de 1944-1945 avec deux ci tat ions, de la Presidential Citation, Commandeur de l 'Ordre nat ional brésilien, de la Croix du Sud, Grand-Croix de l 'Ordre nat ional Haït ien « Honneur et Méri te », Officier de l 'Ordre nat ional sénégalais du Lion.

En au tomne 1975, le Professeur Poulet brava une t radi t ion bien établie, en se subs t i tuan t à no t re collègue Mademoiselle Jacquel ine Sonolet, p o u r p r e n d r e en t iè rement en charge l 'exposition aux Ent re t iens de Bichat . E t la réussi te fut complète . Il est vrai que le sujet étai t en thous iasmant qui avait pour t i t re : « Tradi t ions et Médecine ». La p laque t te laissée représente davantage qu 'un catalogue (5). D'entrée de jeu, l 'auteur expose ses idées qui sont un manifeste : « En un t emps où bien des valeurs semblent ê t re remises en cause, où, dans tous les domaines , appara issent des évolutions imprévues , quand il ne s'agit pas d 'au thent iques révolut ions, où chacun veut faire sa réforme, il peut ê t re in téressant de rappeler la pérenni té de quelques t radi t ions médicales ». Alors, il évoque tour à tour l 'histoire des t radi t ions morales qui ont donné à la médecine française ses moyens phi losophiques et idéologiques devant les confrontat ions actuelles et futures avec l 'emprise des techniques nouvelles ; les t radi t ions univers i ta i res depuis la p remière faculté de médecine par is ienne dont les faits dignes de mémoi re sont consignés dans les « Commenta i res », jusqu ' à l 'Ecole de Santé formée le 14 Fr imai re an I I I , sa t ransformat ion en Ecole de médecine et à nouveau en Faculté lorsque Bonapar te devient Napoléon I e r , m a r q u a n t cet te fois l 'union de la médecine à la chirurgie ; les t radi t ions humanis tes par t icu l iè rement vives dans tous les domaines de la l i t té ra ture , des a r t s et des sciences non médicales ; les incurs ions des médecins dans l 'économie, la philosophie, voire la poli t ique et na ture l lement les t radi t ions mili taires dans lesquelles le dévouement va de pai r avec l'efficacité ; sur le ton de la tolérance, les t radi t ions moliéresques , depuis les cr i t iques d 'une incompréhens ion ja louse jusqu ' aux railleries souvent empre in tes d ' humour et aux charges par t iquées dans les salles de garde.

De cet te fresque habi lement brossée, il reste aussi le souvenir des obje ts et des images, des por t ra i t s des grands p récurseurs , de l 'émotion devant les composi t ions si délicates de Henr i Mondor . La discipline médico-historique ne pouvait , selon la concept ion personnel le du t i tulaire de la chaire, qu 'ê t re la complémenta r i t é de son activité de prat ic ien, l 'histoire de la médecine é tant en fait celle de « l 'humani té toute ent ière »(6).

A sa tâche de médecin, le Professeur Jacques Poulet a fait face jusqu ' au dern ier jour . Mais au jourd 'hui , après un bref recul, nous savons aussi , pa r l 'abnégation dont il a fait m o n t r e dans cet te l imite extrême, quel fut le degré de son courage. Que Madame Poulet et sa famille veuillent bien accepter , dans la pa r t que nous prenons à leur deuil, l 'expression de no t re profonde sympathie , avec le réconfort de la fidélité à la mémoi re de celui dont le n o m est inscrit doublement dans l 'histoire.

(5) P o u l e t J a c q u e s . T r a d i t i o n e t m é d e c i n e . P a r i s , E x p a n s i o n , 1975, in-4", 59 p p .

(6) P o u l e t J a c q u e s . I n t é r ê t d e l ' h i s t o i r e d e la m é d e c i n e . Hist, des Se. Méd., 8, 1974, p p . 683-692.

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Page 17: histoire des sciences medicales

André Rôle :

" L a vie étrange d'un grand savant, le Professeur BROWN-SÉQUARD "

Paris , Plori 1977, in-8, 221 p . 4 pi. h.t.

Analyse présentée par M. Jean des C I L L E U L S

Notre collègue, le Docteur André Rôle, de Saint-Benoit (Réunion) m'a demandé de présen te r à no t re Société son ouvrage int i tulé : « La vie é t range d 'un savant : le Professeur Brown-Séquard », préface du Professeur Rober t Debré, publié cette année par Pion.

Je le ferai d 'au tant plus volontiers que cet ouvrage est d 'une lecture capt ivante . De père Américain et de mère Française, Brown-Séquard naît sujet b r i t ann ique , le 8 avril 1817, à l'île Maurice, mais il se sent Français de cœur et d 'espri t . Dès le début de l 'année 1817 ; l'île Maurice souffre d 'une pénur ie a l imenta i re telle que le gouvernement envoie le capi ta ine Brown, de la mar ine marchande , aux Indes chercher une cargaison de riz. Mais son navire, vict ime d 'un typhon, est englouti, avec lui-même, dans les flots.

Il laissait une femme sans ressources .

Quand celle-ci eut donné naissance à l 'enfant pos thume qu'elle a t tendai t de lui, elle fut recueillie par des voisins compat i san ts .

Quand elle est remise de ses couches, elle ouvre un pet i t atelier de couture pour compléter la maigre pension de re t ra i te de son vieux père devenu veuf.

Tous les deux t iennent à donner à l 'enfant, à pa r t i r de l'âge de cinq ans , une bonne éducat ion et une solide ins t ruct ion et le placent dans la meil leure pension de l'île. Il est intelligent et s tudieux.

A quinze ans, il se rend compte des difficultés f inancières de sa mère et de son grand-père qui se pr ivent du nécessaire pour qu'il puisse faire des é tudes .

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Il se fait engager dans un grand bazar, situe près du por t où l'on vend de tout .

Le soir venu, le magasin se t rans forme en cafe.

Le bazar a une bibl iothèque ; il reçoit beaucoup de livres. Brown-Séquard les lit en cachet te pendan t la nuit . Il écrit des poèmes qui en thous iasment les jeunes filles. Il est dès lors considéré comme le grand poète de l'île. Sa mère et lui décident de pa r t i r pour Paris pour p résen te r ses œuvres à Charles Nodier, auquel il est r e commandé et savoir ce qu'il pense des œuvres que Charles Edouard lui soumet . Quelques jou r s après , le ma î t r e de l'Arsenal émet un jugement accablant et lui conseille de faire au t r e chose pour gagner sa vie, pa r exemple des é tudes jur id iques ou médicales afin de s 'assurer une car r iè re .

Il b rû le ses manuscr i t s et, au prix d 'un travail accablant il passe le baccalauréat et, à 19 ans, il s ' inscrit à la Faculté de médecine comme é tudiant .

Là, il se fait t rès vite r e m a r q u e r de ses maî t res pour son intelligence, son travail et sa mémoire prodigieuse. Martin Magron, le professeur de physiologie, s ' intéresse à lui et lui offre une place d'aide p r é p a r a t e u r non rémunérée ; son ma î t r e et lui se lient d 'une solide amit ié .

Il se fait une p iqûre ana tomique , avec septicémie consécutive, il s'en remet mais a le chagrin profond de pe rd re sa mère qui m e u r t vict ime du labeur que lui cause la maison de famille qu'elle a fondée.

Il est reçu à l 'externat et sout ient sa thèse de doctora t le 3 janvier 1846, int i tulée « Recherches et expériences sur la physiologie de la moelle épinière ».

La p remiè re par t ie a t ra i t à l 'étude des mouvements réflexes ; la seconde m o n t r e que la sensibilité est t r ansmise pa r la substance grise, notion encore inconnue à l 'époque. Il laisse prévoir ce qu'il sout iendra plus tard, le croise­men t au niveau de la moelle des voies de la sensibili té.

Il connaît la misère ; pendan t deux ans, il ne vit que de pain et de lait.

En 1948, Rayer, médecin de la Charité, lui offre une place d 'assis tant non rémunérée . En 1849, l 'épidémie de choléra le met en r appo r t avec Hippolyte Larrey, médecin de l 'hôpital du Gros Caillou. Il s'y fait r e m a r q u e r p a r son zèle, son courage, son mépr i s du danger. Il r ep rend ensuite le chemin de son laboratoi re . Ayant démon t ré le croisement des voies de la sensibilité au niveau de la moelle, il p ra t ique une hémi-section médul la i re qui se t rouve m ê m e accrue. Il y a paralysie locomotrice avec phénomènes t rophiques de vaso­dilatat ion. Du côté opposé à la lésion il y a anesthésie , su r tou t p o u r le tac t et la douleur .

Cette découverte devait faire faire à la neurologie de grands progrès car elle pe rmet ta i t d 'établir un diagnostic topographique des lésions et des compress ions de la moelle. Elle se m o n t r e su r tou t uti le quand la chirurgie médul la i re pri t son essor. Quand Brown-Séquard défendit son Syndrome devant l 'Académie des sciences, il y eut quelques r emous . Il fallut l 'éloquence de Broca pour faire a d m e t t r e ses conclusions.

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Chemin faisant et dans les années qui suivirent, Brown-Séquard effectue toute une série de découvertes dont le bilan est impress ionnant :

— Conduction de la sensibilité par la subs tance grise.

— Croisement des voies de la sensibilité : syndrome de Brown-Séquard.

— Physiologie des nerfs vaso-moteurs .

— E tude sur la greffe.

— Physiologie des surrénales , qu 'on ignorait et sa relat ion avec la maladie d'Addison ; leur des t ruct ion ent ra îne la m o r t ; la conservat ion d 'une seule pe rme t la survie.

— Etudes des forces isolatrices, associatr ices, du Corps calleux.

— Tra i tement de l 'épilepsie pa r les ba rb i tu r iques .

— E tude de l 'action physiologique du C 0 2 , ses p ropr ié tés anes thés iques .

— Les tentes à oxygène.

A la fin de l 'année 1857, la reine Victoria accorde un prix de 100 livres à Charles-Edouard. Il est invité pa r les médecins de Londres à p rononcer une série de conférences qui ob t in ren t un immense succès. Elles seront publiées l 'année suivante, grâce à Jules Chauvin, son ami d'enfance, sous le t i t re : « Cours et conférences sur la physiologie et la pathologie du système nerveux centra l » ; l 'édition comprena i t 6 gros volumes. Elle se cont inua jusqu 'en 1865.

En 1859, il devient médecin-chef de l 'Hôpital p o u r paralysés et épi lept iques de Londres , où il cont inue ses t ravaux sur l 'épilepsie. Il y res t re trois ans .

Jusqu 'en 1894 il se por te t rès bien mais, à ce moment , une mauvaise phlébi te l'oblige à se m e t t r e au lit. D 'autre pa r t sa femme, qui est de santé médiocre , est vict ime de la gr ippe. Elle ne s'en remet pas et décède rap idement .

Accablé et malade lui aussi, il res te plusieurs jours sans p rendre de nour r i t u re suffisante. Il est veillé par son élève Dupuis . Allant un peu mieux il se lève et reçoit m ê m e quelques amis mais sa parole est embroui l lée ; il a encore la force d 'écrire au Docteur Waterhouse , grand spécialiste londonien et cousin de sa femme, sa le t t re est r emarquab l emen t rédigée avec un sens clinique parfai t .

Le samedi 30 mars , il ne peut plus s 'exprimer. Le 1" avril au soir il en t re en agonie et m e u r t vers minui t .

Il est i nhumé au cimetière Montparnasse .

Avec lui s 'éteint le dernier des trois grands physiologistes du XIX e siècle : Magendie et Claude Bernard .

Ce fut un savant toujours prê t à se dévouer p o u r les deshér i tés , honnê te j u squ ' à la naïveté, sans méchanceté , ni rancune, un travail leur infatigable qui mena une vie épuisante jusqu ' à sa dernière heure .

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Les médecins des premiers Valois (Fin) *

par le Docteur A . F I N O T

La mor t de Charles VI en 1422, à c inquante-quat re ans, dans la déchéance et l ' abandon ne laissait qu 'un dauphin , déshéri té pa r lui, le Roi de Bourges, le futur Charles VII (1403-1461). Agé alors de dix-neuf ans, il n 'avait pas l 'aspect physique de son père , qui était de hau te taille, mais bien p lu tô t celui de son aïeul, Charles V. Petit , la tête t rop grosse, quoique de figure assez agréable, malingre, avec des j ambes cour tes , il souffrit, comme Charles V, d'ostéite, mais d 'un m e m b r e inférieur, fistulisée « qui tandis couloit et rendoi t mat iè re incessamment ». Sujet, dans sa jeunesse, à des sautes d 'humeur , mais sans vigueur ni fermeté, il ne fut, pendan t ses p remières années de règne, qu 'un joue t en t re les mains des Armagnacs, pa rmi lesquels se place en bon rang son Premier médecin, Jean Cadart .

Ce personnage, natif de Thérouanne , ma î t re en médecine en 1415, était déjà le médecin de Charles Dauphin. Avec Tanneguy du Chatel, Pierre Frot ie r et quelques au t res , il mi t le t résor royal en coupe réglée pendan t t rois ans , jusqu 'en 1424, où le connétable de Richemont et ses par t i sans , devenus les ma î t r e s , le firent chasser . Cadar t sut se t i rer d'affaire, pu isque le Roi lui accorda une pension de 1 200 florins et lui conserve son canonicat de Saint-Mar t in de Tours . Il jugea néanmoins plus p ruden t de se re t i re r dans le Midi, où il m o u r u t en 1445.(1)

Charles n 'en pr i t pas moins dans son Conseil d 'aut res de ses Premiers médecins . Ainsi d 'Adam Fumée, N o r m a n d et laïque, un des ra res médecins royaux issus de Montpell ier . Sa faveur fut cour te : deux ou trois ans, jusqu 'en 1457, où, soupçonné de p répa re r l ' empoisonnement du Roi (à l ' instigation du futur Louis XI) , il fut incarcéré dans la grosse tour de Bourges, d'où il ne devait sor t i r qu 'à l 'avènement de Louis XI . (2)

* C o m m u n i c a t i o n p r é s e n t é e à la s é a n c e d u 17 d é c e m b r e 1977 de la S o c i é t é f r a n ç a i s e d ' h i s t o i r e d e la m é d e c i n e .

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Un au t re Premier médecin devait en t re r au Conseil du Roi : Guil laume de Traverse, qui succéda au précédent , exerça sans encombre jusqu ' au décès de Charles. Laïque également, il reçut la noblesse en 1459 et devint seigneur de Bressange et garde des sceaux de la vicomte de Murât . (3)

Parmi les médecins ordinaires , on compte un seul doyen de Paris : Jean Avis (ou Loisel), élu en 1470 et m o r t en 1501, et un chancelier de la Faculté de Montpellier, Deodat Bassol, décédé à Béziers en 1484.(4)

Citons encore : Giraud Bresson, anobli pa r let t res pa ten tes de Tours en 1444 ; Guil laume Girard (mor t en 1480) ; Alain Blanchet , au teu r d 'un pet i t t rai té Contra Pestilentiam ; et Simon de Pavie, qui rédigea des Dictata Contra Pestem ; ce dernier non seulement laïque, mais mili taire, et non seulement Médecin du roi, mais capi ta ine et châtelain de Trévoux, qu'il avait défendu cont re le duc de Savoie. (5)

En revanche, Rober t Poitevin, maîLre-régent de Paris, était Trésor ier de l'église Saint-Hilaire-le-Grand, à Poitiers, qui garda longtemps son effigie tombale , après sa mor t en 1497.(6) (Chereau en fait un Premier médecin) .

11 est probable aussi que Jean Despars fut médecin de Charles VII . On le connaî t pa r ses bienfaits à no t re Faculté, à qui il donna trois cents écus d'or p o u r s 'acheter une maison et une masse d 'argent, et légua ses livres, p a r m i lesquels son Commentaire d'Avicenne, en 15 volumes. Chanoine de Notre-Dame, il m o u r u t le 3 janvier 1458. Né à Tournai , il avait été rec teur de l'Uni­versi té de Paris en 1406, et ma î t re en médecine en 1410.

Pas plus que ses devanciers, Charles en se passa d 'astrologues. Deux de ses médecins sont comptés comme tels : Arnoul de la Palu, d'origine f lamande, médecin de l 'Université de Louvain, et au teur d 'une Astrologia, qui m o u r u t de la pes te en 1465 à Paris ; et Jean Colleman, docteur de Paris (1465). (7)

Notons enfin deux chirurgiens : H e r m a n n de Vienne (mor t en 1491). D'abord chirurgien du roi René (1439-1448), puis passé au service de Charles VII , doyen de Saint-Martin et chanoine de Saint-Maurice d'Angers, il avait été autor isé à exercer son ar t pa r le pape Nicolas V ; et Jean de Jadoigne, envoyé pa r le roi dans Orléans assiégé (1428), et anobli pa r Charles d 'Orléans (mor t vers 1477).

Charles VII mouru t , dit-on d'un ictus, mais plus p robab lemen t de m a r a s m e et d 'épuisement , n 'osant plus se nourr i r , dans la perpétuel le t e r r eu r d 'ê tre empoisonné par son fils (1461).

En p renan t le pouvoir, un des premiers actes de Louis XI fut de délivrer Adam Fumée de la Tour de Bourges ; ce qui pouvait ê t re s implement pour rendre just ice à un innocent, mais r isquai t aussi de donner corps aux accusat ions por tées contre lui (et cont re le Dauphin) . Il fut n o m m é Maître des requêtes , et reçut par ail leurs d ' impor tan tes missions, (malgré une disgrâce passagère de deux ans) .

Louis XI, qui régna vingt-deux ans, eut une Maison médicale assez nombreuse . Mais, comme en poli t ique générale, il élut plus de pet i tes gens

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que de maî t res de la profession. Qu'on se souvienne des deux plus impor­tants : Olivier Le Mauvais, anobli sous le nom de Le Daim, simple barb ie r de robe cour te , qu'il fit comte de Meulan et une espèce d ' ambassadeur ; et Jean Coictier, dont il est impossible de découvrir les t i t res médicaux et la Facul té où il aura i t pu les acquér i r .

Né à Poligny, et d 'abord médecin de Phil ibert de Savoie, Coictier passe au service de Louis XI en 1467 au plus tard . Il deviendra successivement chambel lan du roi, Vice-président, puis Président de la Chambre des Comptes (1482), Seigneur d'Aulnay-le-Bondy (1484), sans compter une gratification royale de 55 000 écus d'or, ce qui lui pe rmi t de se faire bâ t i r , rue Saint-André-des-Arcs, un fort bel hôtel, dont il subsis te encore quelques vestiges, dont une borne (ou pas) servant au montoi r , dans le vieux passage du Commerce . Très b ru ta l avec son maî t re , affirme Commynes, qu'il te r ror isa i t avec la menace d 'une mor t rap ide si ses soins venaient à lui manquer , il para î t qu'il n 'étai t pas si noir que le disait le chroniqueur , et qu'il rendi t , dans ses divers emplois, d ' indiscutables services. Ce qu'i l y a d 'assuré, c'est qu'il devait décéder t ranqui l lement dans son lit (peut-être, dit-on, parce qu'il avait versé à Charles VII I , en joyeux avènement , une rançon de 480 000 livres, tournois , soit 2 400 000 francs-or (8) et ê t re inhumé en grande p o m p e à Saint-André des-Arcs (1506), tandis que l ' infortuné Olivier Le Daim avait été pendu hau t et court , après procès, par jugement du Par lement , peu après le décès de Louis XI .

Parmi les médecins ordinaires , on compte deux doyens de la Faculté de Paris : Denis de Soubzlefour, élu à deux reprises , en 1454 et 1480 (1425-1489) ; et Enguer rand de Parenty (1433), qui fut aussi médecin des frères et sœurs de l'Hôtel-Dieu et chanoine de Notre-Dame ; il m o u r u t en 1481. D'autres sont maî t res en médecine de Paris, comm e Guil laume Poirier, qui y étudiai t en t re 1451 et 1456; Philippe Esselet ; Guil laume Leotier, maî t re en 1416, et assez ta rd ivement médecin de Louis XI (de 1436 à 1455, da te de son décès) (9) ; Chrest ien Chastel, é tudiant en 1464, qui donna ses soins au fameux cardinal La Balue, pendan t sa captivité.

D'autres venaient de Facultés provinciales ou é t rangères , tels Claude de Moulins, de Narbonne , médecin de Montpellier, p ro tec teur du collège de Péronne (1479), qui reçut du Roi, pour ses bons soins, la seigneurie d 'Eselas, (près de Narbonne) en 1477 ; Rober t de Lyon, de Montpellier également (1455) ; et deux Ital iens : Angelo Cato, originaire de Bénévent, d 'abord au service du pr ince de Tarente , puis de Charles le Témérai re , puis de Louis XI, qui lui donnai t cent écus d'or pa r mois, et qu'il t ra i ta avec succès lors de son p remie r ictus, en 1479. Devenu veuf, il reçut la prê t r i se , fut n o m m é aumônie r du roi, puis archevêque de Vienne (Dauphiné) , siège que de graves démêlés avec son Chapi t re l 'empêchèrent d 'occuper. Devenu médecin de Charles VI I I , il l 'accompagna dans son expédit ion d 'I tal ie (1494). Il m o u r u t en 1496, laissant un Traité de Epidemia, et sur la Comète de 1472.(10)

Pantaleone, au t re I tal ien et médecin de l 'Université de Pavie, d 'abord au service du duc de Savoie, passa à celui de Louis XI en 1472. « Il m 'a t rès bien pansé , écrit le roi au duc de Milan, et fait de grands services, et c'est

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un t rès bon h o m m e et loyal. »(11). Pantaleone r en t ra plus ta rd à Pavie, où il professa jusqu ' à sa mor t , en 1494. Il écrit un Pilullarium, et une Summa Lacticina (é tude sur le lait).

Notons encore, comme médecins ordinai res : Philippe Potard et Guil laume Girard (1474). (12)

En fait de médecins-astrologues, on peut en citer au moins trois : Pierre Choinet, le plus connu, et que le Roi appréciai t par t icu l iè rement . Normand , et d 'espri t sage et pondéré , c'est pa r l 'ordre et sous l ' inspiration de Louis XI qu'il composa son Rozier des Guerres. « Le pr ince, écrit-il, doit penser à Testât de son peuple, et le visiter aussi souvent comme ung bon ja rd in ier faict de son ja rd in . » (Cela fut toujours un pr incipe de condui te pour Louis XI.) Choinet a aussi laissé d'assez médiocres poésies sur les Trois Ages, où il disser te sur les t rois âges de la vie de l 'homme. (13)

Jacques Loste, médecin d'Avignon, fut également astrologue du roi à pa r t i r de 1467, et même, dit-on, son Premier médecin. (14) Astrologue encore, Conrad Hungar te r , originaire de Zurich, mais ma î t r e en médecine de Paris (1466), d 'abord médecin de Jean II de Bourbon, puis de Louis XI tout à fait à la fin de sa vie. Il étai t le t t ré , et a laissé deux ouvrages sur Ptolémée, une Defensio Astronomiae (1488) et un Regimen Sanitatis. (15)

On peut sans doute a jouter aux précédents un certain Maître Arnoul, qui « étai t fort h o m m e de bien, sage et plaisant », vict ime de la « pest i lence » de l 'été 1466, qui fit 40 000 victimes à Paris . Il est cité pa r Jean de Troyes comme astrologue du Roi, mais sans qualification de médecin. (16)

Quant aux chirurgiens, on en cite un cer ta in nombre . En effet, Louis XI , dans sa jeunesse bon soldat, et chasseur plein d 'entrain, malgré son aspect chétif (il ressemblai t à son père) n 'en souffrit pas moins de bonne heure de cer ta ines infirmités : dermatoses et su r tou t hémorro ïdes , avec per tes de sang fréquentes , nécessi tant l ' intervention du chirurgien.

Le plus connu de ceux-ci (en dehors d'Olivier Le Daim) est Mathieu Fer rar i de Gradi (Mathaeus Fer ra r ius de Gradibus) , I talien et cer ta inement chirurgien de robe longue. Il est l ' auteur de Consilia et Practica, où il in te rprè te sur tou t Rhazès et Avicenne, avec des observat ions personnelles in téressantes sur l 'épilepsie et la paralysie faciale (17). Né vers 1410, il m o u r u t en 1472).

Un au t re , Jean d'Orléans, joignit à ses quali tés chirurgicales celles de l 'astrologue. On cite encore Elion de Brie, Geoffroy Allenquin, qui soigna aussi Charles d 'Orléans ; Jean de Brissy, Jean de Laon, Jean de Saunay, Jean de Saint-Firmain, et une chirurgienne, Guil lemette de Luys, (1479).

Vers la c inquanta ine , le Roi commença à souffrir d 'athéro-sclérose et, en m a r s 1480 à Forges, p résen ta un p remier accident ( spasme ou ictus ?), avec per te de connaissance et aphasie t ransi to i re , r ap idement jugulés pa r son médecin Angelo Cato, avec des moyens simples (aérat ion, car il étai t t ombé près du foyer) ; il peut m ê m e remon te r à cheval quelques heures après , dîner normalement , nous raconte Commynes , avec deux de ses physiciens,

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Adam Fumée et Maître Claude (de Moulins), et se juger à peu près remis après une dizaine de jours . Mais il commença à maigr i r et à s'affaiblir, et l'on pensa m ê m e au poison. En 1481, à Tours , nouvel ictus, à symptômes analogues. Il cont inue son voyage, mais r e tombe malade à Argenton, chez Commynes , où il doit sé journer un mois . Au début de 1483, Coictier le considère comme guéri (ou le dit) et le roi le gratifie des chatellenies de Brazay et de Saint-Jean-de-Losne « pour les g rands services rendus à nos t re personne , tel lement qu'il nous a guari de la t rès grave maladie que nous avions, et mis en bonne santé ». Guérison bien relative, dit Commynes , « car depuis lors il ne cessa de traîner.. . » F rappé à nouveau en août 1484, cet te fois avec paralysie du b ras droit , Coctier, le considérant cet te fois cemme perdu , et oublieux des bienfaits du roi, le t ra i ta avec une telle bru ta l i té que Commynes en fut révolté. Il mit une dizaine de jours à mour i r , ayant recouvré à la fin toute sa lucidité d 'espri t .

Charles VI I I (1470-1498), le nouveau roi, n 'étai t qu 'un adolescent de treize ans, pas t rès intelligent pa r surcroî t . Comme son père et son aïeul, il était peti t , avec une grosse tête et des j ambes grêles : mais actif, r emuant , brave, il possédai t l 'esprit mil i taire, à l'excès même . Pendant les p remières années d'ail leurs, il res ta sous la coupe de sa sœur, Jeanne de France, épouse de Pierre de Beaujeu, la célèbre Dame de Beau jeu.

Il n 'eut guère le t emps d 'être malade , puisqu' i l ne régna que qua torze ans , mais il forma cependant une maison médicale assez nombreuse (une vingtaine de personnes) . Il conserva quelques médecins de son père , tel le vieil Adam Fumée, qu'il fit Garde des Sceaux de France en 1490 et anobli t en lui donnant comme armoir ies : « d 'azur à 2 fasces d'or et 6 besants d 'argent, 3 en chef, 2 en cœur et 1 en pointe ».(18) Adam Fumée devait mour i r à Lyon, en 1494.

Cette fois, Montpell ier va fournir les deux Premiers médecins : Jacques Ponceau et Jean Trousselier .

Jacques Ponceau, originaire d 'Orléans, fut aussi ma î t r e des Comptes au Par lement de Paris (1484) ; il en profi ta pour faire bénéficier de son crédit , à p lus ieurs reprises , la Facul té de Montpell ier .

Jean Troussel ier , né en Gévaudan vers 1440, fut aussi ma î t r e en médecine de la Facul té de Montpellier, dont il devint Chancelier en 1484. Il accompagna Charles VI I I dans sa campagne d'Italie, et m o u r u t au re tour , à Sienne, en 1495.

Jean-Michel de Pierrevive, au t r e Premier médecin, soigna le Roi dès son avènement . Lui aussi l 'accompagna en Italie, et devait, comme le précédent , et la m ê m e année, m o u r i r au cours de l 'expédition, à Chiéri (Piémont) , le 22 août .

Cette campagne d 'I tal ie devait encore ê t re funeste à un t rois ième médecin ordinai re celui-là, François Miron, né à Perpignan et médecin encore de Montpellier, qui m o u r u t à son re tour , en 1494, à Nancy. Son frère, Pierre Miron, qui l'avait accompagné outre-monts , m o u r u t l 'année suivante, à Nevers, p robab lement des suites de la guerre . Il était également de Montpellier.

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Parmi les médecins ordinai res , nous en t rouvons deux d'origine i talienne : Théodore Gaynier (Guainerius) , docteur de Pavie, que Charles pr i t à son service dès 1489, et n o m m a son chambel lan. Lui aussi accompagna le Roi en Italie en 1491, et l'y soigna de la variole. Il assis ta en 1495 à la batai l le de Fornoue, mais s'en t ira indemne. Il vécut j u sque vers 1517, après avoir été médecin de Louis XI I ; et Jean Ludovico, agrégé vers 1472 a u Collège des médecin de Turin, fixé ensui te à Lyon, où Charles le pr i t à son service.

On ne compte qu 'un seul doyen de la Facul té de Paris dans la Maison royale : Richard Hélain, doc teur en 1470, doyen de 1485 à 1488, médecin du Roi à pa r t i r de 1491. Il était seigneur de Brécour t (Seine-et-Oise), et m o u r u t le 25 mar s 1516.

Citons ensuite : Michel le Caron, né à Nointel (Oise), licencié de Paris en 1490, chanoine d'Auxerre (1493) et lecteur du Chapi t re (1505); il m o u r u t le 13 m a r s 1528, et fut i nhumé dans la ca thédra le (19) ; Jean de Bourges, né en 1434, p rès de Dreux. Il est su r tou t connu comme médecin de Louis XI I , en faveur de qui il témoigne en just ice pour l 'annulat ion de son mar iage (1498) ; Guil laume Myette, doc teur de Paris en 1472 ; Girard Cochet, le seul médecin royal issu de la Facul té de Reims ; Jean Godefroy, docteur de Paris , chanoine de Reims (1472) et doyen de l'église de Laon (1498); Jean de Quercigny, médecin du Roi en 1595 ; et Jean Avantaige, qui fut évêque d'Avignon. (20)

Comme astrologues, Charles se conten ta de ceux de son père , sans en n o m m e r de nouveaux. C'est ainsi que Pierre Choinet, Jacques Lostes, Conrad Hungar t e r et Jean d 'Orléans cont inuent à figurer dans sa Maison.

Quant aux chirurgiens, il en choisit au moins sept, ce qui est explicable à cause de sa longue guer re d'Italie, et dont on ne connaît guère que les noms : Jean Laisné, qui fut aussi prévôt de Sens, où il m o u r u t le 3 août 1520, et fut inhumé à Saint-Pierre-le-Rond ; Louis Jean Saint-Pic, qui soigna aussi Louis XI I pour une f racture de l 'épaule ; Jean Raymond ; Jean de Breysset , chirurgien de Lyon ; Guil laume Lebel, d 'abord au service du duc de Bretagne, François , et qui passa à celui de Charles après son mar iage avec Anne de Bretagne, en 1495 (22) ; Et ienne Mathe et Antoine Bast ien.

On sait l 'accident b ru ta l qui mit fin à la vie de Charles V I I I . S'étant heur té la tê te au l inteau d 'une por te basse du châ teau d'Amboise (qu 'on mon t r e encore), il perd i t connaissance quelques m o m e n t s après , puis, ayant repr is ses sens, se plaignit de violentes céphalées, et m o u r u t neuf heures après , p robab lement d 'hémorragie méningée (7 avril 1498). Il avait vingt-huit ans .

Avec lui s 'éteint la lignée mascul ine des Valois directs ; la couronne passe sur la tête de Louis d 'Orléans (fils du poàte Charles d 'Orléans) qui régnera sous le nom de Louis XI I , et sera l 'unique représen tan t des Valois-Orléans.

J ' aura is dû a r rê t e r ici l 'état des médecins des p remiers Valois ; mais cet état , qu 'on peut établir pa r les archives des Maisons royales, n 'est pas

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réuni cou rammen t par les his tor iens médicaux, et ne l'est vra iment qu 'à pa r t i r de François P r . Je pense donc qu'il peut ê t re utile aux chercheurs de connaî t re la Maison médicale de Louis XI I , mais la place m 'é t an t s t r ic tement mesurée , je n'en donne ici qu 'une liste nominale , sans commenta i res . La voici :

Premiers médecins : Salomon de Bombelles, médecin de Pavie (1445 ou 51 - 1520) ; Louis Burgensis (dit aussi de Bourges)* (vers 1480-1556).

Médecins ordinaires (de Paris) : Jean Burgensis , père du précédent (1443-après 1500) ; Jean Avis ( ? -1527) ; Jean Thomas ( ? -1500) ; Gabriel de Buysse ; Guil laume Сор ( ? -1532).

Médecins ordinaires (Montpell ier) : Jean Garcin ( ? -1502) ; Pierre Tré-molet ; Honoré Piquet ( ? -1513) ; Gabriel Miron ( ? -1524) ; André Briau ( ? -1530) ; Rober t Dupuy (vers 1470).

Médecins italiens : Andréa Turini (Florence) ; Vicenzo Sa r ra ; Andréa Focati .

Chirurgiens : Rober t de Montmori l lon ( ? -1511) ; Jacques .

Les médecins-astrologues ont d isparu .

Sous cet te dynast ie des p remiers Valois, on voit d ispara î t re peu à peu la médecine des gens d'Eglise, qui va passer aux mains des simples clercs (dispensés du célibat depuis 1452), issus des Universités ou Facultés, pour les médecins royaux comme pour les au t res . En m ê m e temps , leurs services sont r émunérés de moins en moins pa r des bénéfices ecclésiastiques, mais p lu tô t par des t ra i t ements fixes, de 400 à 800 livres tournois en général , ceux a t te ignant 1 000 ou 1 500 livres comme pour le médecin d'Anne de Bretagne en 1498, res tant exceptionnels. (23)

La Renaissance a déjà commencé (1450 env.) et b r i l l amment en ce qui concerne les ar ts , mais la médecine, dans ses grandes lignes, reste encore médiévale. Cependant , après l 'autor isat ion de disséquer (en 1407 à Paris) qui a rendu possibles une ana tomie et une chirurgie plus exactes, la sup­press ion des médecins-astrologues p a r Charles VI I I et Louis X I I mon t r en t la volonté de se délivrer des vieux arcanes et d ' inaugurer , l ' imprimerie a idant (1448), une médecine plus ouver te et déjà scientifique. Nous sommes dans une ère de t rans i t ion ; c'est pourquoi il n 'est pas inutile, je pense, de rappeler les noms et les œuvres de ces ancêtres , oubliés ou enfouis sous la gangue de leurs manuscr i t s latins, mais où les humanis tes d 'au jourd 'hui (rari nantes,..) pour ra ien t peut-être glaner quelques notes in téressantes pour no t re Histoire médicale.

* E n l a t in c o r r e c t , B u r g e n s i s n e v e u t p a s d i r e d e B o u r g e s , m a i s de Burgos.

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B I B L I O G R A P H I E

(1) - L A V I S S E , H i s t o i r e de F r a n c e , T. IV (2), 21 et 23.

(2 et 3) - DU F R E S N E , H i s t o i r e de C h a r l e s V I I . p a s s i m .

( 4 ) - A S T R U C , M é m . s u r la F a c u l t é de M é d e c i n e de M o n t p e l l i e r .

(5) - D E LA M U R E , H i s t o i r e de s d u c s de B o u r b o n .

(6) - Bu l l d e la S o c . d e s A n t i q u a i r e s de l 'Oues t , 1966.

(7) - D E P H A R E S , Rec . de s p l u s c é l è b r e s A s t r o l .

(8) D ' A V E N E L , Les R e v e n u s d ' u n I n t e l l e c t u e l de 1200 à 1913, p . 171.

(9 à 11) - C H A M P I O N , Lou i s X I e t ses P h y s i c i e n s , p a s s i m .

(12) - J . C O L O M B E , P o r t r a i t s d ' A n c ê t r e s , H i p p o c r a t e , 1949. ( j a n v . )

(13) - C H A M P I O N , L.c.

(14) - D A R E M B E R G , H i s t . de s Se . Méd. , I, p . 337.

(15) - W I C K E R S H E I M E R , Bu l l . S o c . fse d ' H i s t . d e la Méd. , 1913, X I I , p . 321.

(16) Le l iv re d e s F a i t s a d m i r a b l e s . . . d u ro i L o u i s X I (1468).

(17) - D A R E M B E R G , L.c. p . 359.

(18) - E M I L E M A L E , A r t s e t A r t i s t e s d u M o y e n Age, p . 275.

(19) - A b b é L E B E U F , H i s t . e cc l é s i a s t . d ' A u x e r r e .

(20) - P E T R O Z , Dic t . de M é d . ( a r t . A r c h i â t r e ) .

(21 et 22) - G O D E F R O Y , H i s t . d e C h a r l e s V I I I , p a s s i m .

(23) - D ' A V E N E L , L.c, p . 171.

P o u r les a u t r e s r é f é r e n c e s , cf. p a r t i c u l i è r e m e n t .

A. D E C H A M B R E . — Dict . encyc l . des S c i e n c e s M é d .

W I C K E R S H E I M E R . — Dic t . d e s M é d . d u Moyen Age.

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Page 29: histoire des sciences medicales

Conversations médico-scientifiques de l'Académie de l'abbé BOURDELOT

(1610-1685) *

par Jean-Jacques P E U M E R Y

Au XVII e siècle, des savants , des gens de le t t res ou des médecins se réunissaient en assemblées ou compagnies , pour s 'entretenir de quest ions relatives à leur discipline. Par tan t du pr incipe que l 'esprit humain s ' instruit de trois façons, par la lecture, par la réflexion et par la conversat ion, ces assemblées t rouvaient bien leur ra ison d 'être ; on les désignait sous le nom d'Académie, ce qui autrefois avait signifié « école publ ique ». Souvent prises sous la pro tec t ion d'un grand de la Cour, les Académies se réunissaient en un lieu un jour de la semaine ; elles avaient des const i tu t ions et des lois qu'elles observaient rel igieusement. Variable d 'une Académie à l 'autre, le n o m b r e de m e m b r e s était l imité ou non. L'Académie de l 'abbé Bourdelot fut l 'une des plus fameuses, et, bien qu'elle comptâ t des m e m b r e s de grand talent, elle res ta toujours ouver te à toutes personnes désireuses d'y ê t re in t rodui tes ; ce fut donc une Académie publ ique, ce qui étai t r a re à l 'époque

*

Né à Sens le 2 février 1610, Pierre Bourdelot était le fils de Maximilien Michon, un chirurgien-barbier , et d'Anne Bourdelot . Vers 1629, il commença ses é tudes de médecine à Paris, où il avait deux oncles materne ls : Edme Boudelot, médecin ordinai re de Louis XI I I , et Jean Bourdelot , ju r i s te et dist ingué helléniste. Ils adop tè ren t le jeune Pierre Michon, en 1634, et ob t inrent pour lui le droi t de por te r le nom de Bourdelot . Ils l ' in t roduisirent alors dans la société intellectuelle de Paris. François de Noailles fit de Bourdelot son médecin et l 'emmena avec lui à Rome en 1634.

* C o m m u n i c a t i o n p r é s e n t é e à la s é a n c e d u 17 d é c e m b r e 1977 d e la S o c i é t é f r a n ç a i s e d ' h i s t o i r e d e la m é d e c i n e .

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Page de titre des « Conversations de l'Académie de Monsieur l'abbé Bourdelot, par Le Gallois (édition de 1675).

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3 0 i 8 1

C O N V E R S A T I O N S D E

L A C ADEMI E D E M O N S I E V R L'Aß BE'

B O V R D E L O T , Contenant diverfes Recherches, Ob

rérvàtions :)Èxpcrieiicesi<& Raifon-nemens de Phyficjue, Médecine, Chymie , & Mathématique.

Le tout recatiti)'.par leS*hE G A L L O Ì S .

Et le Parallele de la Phy.ilque d'Ariftotc, ôc de celie de Moni'. Des Carccs^JLeu dans Udite Académie.

A P A R I S ,

^f icz T H ÖI$A s M o E T T E , au uts de ta fo/ÊÉ$ de J t f t a r p e , à Saint A l e x i s .

M A C . L X X V .

w&« Brtvileze du Xojl Ci J

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Quand il revint à Paris en 1638, Bourdelot en t ra au service du pr ince Henr i I I de Condé. Il accompagna ce dernier dans sa campagne d 'Espagne, t i ran t avantage de cour t s séjours à Paris pour passer ses examens médicaux. Ayant pr is le bonnet doctoral en 1640, il obt in t le t i t re de Médecin du roi, puis il s 'établit à Paris , dès 1642, et devint le médecin de la famille Condé. C'est en 1641 qu'il fonda l 'Académie Bourdelot dont les séances du m a r d i furent fort appréciées des nobles, des hommes de let t res , des phi losophes et des fervents de toutes nouvelles modes , qui étaient en réali té plus cr i t iques que connaisseurs . Les h o m m e s vra iment intéressés par les sciences vinrent également, ainsi que de réels savants . Durant l 'hiver de 1647-1648, de nom­breuses et nouvelles expér imenta t ions sur le vide furent présentées et discutées.

A la m o r t de Henr i I I de Condé, en 1646, Bourdelot servit son fils Louis I I . Les désordres pol i t iques de la Fronde in te r rompi ren t l 'activité de l 'Académie, et, lorsque Condé fut a r r ê t é en janvier 1650, Bourdelot suivit la duchesse douair ière dans sa re t ra i te à Bordeaux. En octobre 1651, il qui t ta la famille Condé pour se r end re en Suède où il étai t appelé co mme médecin de la reine Christ ine, sur qui il exerça une influence marquée . Ce succès suscita une animosi té générale, et, en juin 1653, la reine fut convaincue de la nécessité de renvoyer Bourdelot en France.

De re tour à Paris , il obt in t la cure de l 'abbaye de Massay, dans le Berry, ce qui lui donna le droi t au t i t re d'Abbé. Quand le Grand Condé revint d'exilé en 1659, Bourdelot redevint son médecin. Les résul ta ts qu'il obt int p a r son t ra i tement de la gout te , p réa lab lement expér imenté sur lui-même, lui va lurent une clientèle de choix, pa rmi laquelle compta i t Mme de Sévigné. Dès 1664, il r é suma les séances de son Académie. Ces réunions étaient a t t endues par les futurs m e m b r e s de l 'Académie royale des sciences, pa r des savants é t rangers de passage à Paris , pa r les a rden t s par t i sans de Descartes ou de Gassendi, et pa r toutes sortes d 'alchimistes et de visionnaires qui épousaient les idées du passé. L'Académie Bourdelot cont inua à tenir ses réunions plus ou moins régul ièrement jusqu ' à 1684, un an avant la m o r t de son fondateur : le 9 février 1685.

* *

Les comptes rendus des séances de l 'Académie Bourdelot furent consignés p a r Le Gallois en un ouvrage int i tulé : « Conversat ions de l 'Académie de Monsieur l 'abbé Bourdelot , contenant diverses recherches , observat ions, expériences et r a i sonnements de physique, chymie et ma thémat ique , le tout recueilli pa r le Sr Le Gallois ; et le parallèle de la physique d'Aristote et de celle de Mons. Descartes , leu dans ladite Académie ». Il y eut trois édi t ions, à Paris , chez Thomas Moette : 1672 (1 volume in-12, 76-350 pages) ; 1673 {Ibid. in-16, 76-350 pages) ; 1675 {Ibid. in-16, 76-350 pages) . En 1674, p a r u t une édition, chez Claude Barbin, à Paris : « Conversat ions académiques t irées de l 'Académie de Monsieur l 'abbé Bourdelot » (2 volumes in-16).

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Le livre de Le Gallois (édition de 1675) commence par une épî t re dédica-toire à « Monseigneur le Duc », petit-fils de pr ince Henr i I I de Condé. On apprend ainsi que l 'abbé Bourdelot fut le médecin de trois générat ions de Condé, à savoir : Henr i I I , son fils Louis II , dit le Grand Condé, et le duc, fils aîné de ce dernier . On y apprend encore que l 'Académie Bourdelot a commencé dans l 'Hôtel de Condé, sous l 'autori té protec t r ice du prince Henr i I I d 'abord, puis sous celle du pr ince Louis I I . Les deux pr inces , le père et le fils (duc d 'Enghien du vivant de son père) , honora ient souvent de leur présence les séances de l 'Académie, et ils par t ic ipaient aux débats ; leur espri t , écrit Le Gallois, était appl iqué aux « mat iè res de doctr ine ». Ensui te , les réunions de l 'Académie euren t lieu au domicile de Pierre Bourdelot , qui habi ta i t rue de Tournon ; plus tard, les assemblées se t inrent rue Guénégaud, où Bourdelot avant t r anspor t é son Académie.

Parmi les sujets t rai tés , nous soulignons les suivants : « Description d'un mal de mère ext raord ina i re ; — De la cause de ce mal ; — De l 'épilepsie, sa cause et ses effets ; — D'où proviennent les suffocations et au t res mots de cet te na ture , que l'on a t t r ibue improp remen t à cer ta ines causes ; — S'il y a des maladies as t ra les , raisons pour et cont re ; — Si la pression de l'air peut causer des maladies ; — Pourquoi le froid du mat in redoublai t le mal de la femme tourmen tée de cet te é t range suffocation ; — Pourquoi il fait plus froid au mat in ; — De la na tu re et de la cause du froid ; — Expériences curieuses sur le froid ; — Pourquoi les bonnes et mauvaises odeurs i rr i ta ient également le mal de cette femme ; — De l 'odeur, ce que c'est ; — Des sympathies , ant ipathies , et effets su rp renan t s , dont on a peine à t rouver la cause ».

Plus loin, nous relevons : « D'une p ier re opaque et blanche qui, ayant été dans l'eau pendan t une demi-heure, devient claire et t r anspa ren te ; — Philo­sophie d'Aristote comparée à celle de Descartes sur le sujet de la lumière , et ce que c'est ; — De la b lancheur , d'où elle provient ; — Pourquoi cet te p ie r re devient t r anspa ren te dans l'eau et opaque en l'air, divers ra i sonnements sur ce sujet ; — D'une pierre qui a t t i re le venin des morsu res vénéneuses ; — D'un jeune enfant qui, sans douleur, je ta i t une prodigieuse quant i té de p ier res par la verge ; — Observat ion touchant la mor t d 'un enfant nouvel­lement né ».

Ailleurs : « D'une dent qui, ayant été a r rachée à un jeune h o m m e et mise en un coffre, en produis i t t rois au t res à côté d'elle ; — D'une au t re dent d 'une grosseur prodigieuse ; — Qu'il y a eu autrefois des géants ; — Si les os végètent ; — Si les os se peuvent changer en pierres ; — Si les cerfs, les corbeaux et les brochets vivent aussi longtemps que l'on dit, ra isons pour et cont re ; — D'une femme qui, ayant pe rdu les dents à l'âge de 30 ans, les recouvra à l'âge de 90 ; — D'un jeune h o m m e bien fait et de belle taille qui, sans avoir été malade , devint tout d 'un coup si courbé et si bossu qu'il en paraissai t difforme ; — D'un au t re qui, en mouran t , ressembla tou t à fait à son père , à qui il n'avait point ressemblé pendan t sa vie, la cause de cet te ressemblance ».

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Nous notons encore : « Des ouragans et des tempêtes qui ar r ivent ordi­na i rement aux îles Antilles ; descr ipt ions des effets qu'i ls produisent ; — Du vent, ce que c'est, d'où il provient , et ses effets ; — Divers moyens de prévoir les orages ; — Trou sur une montagne , lequel é tan t bouché produi t un orage dans le lieu m ê m e ; — Diverses observat ions curieuses ; — D'une herbe fort singulière ; — Du soufre, si la puan t eu r en provient ; — Choux préservés des chenilles en empêchant la rosée de tomber dessus ; — Si chaque plante a son ver ; — Des vers qui se t rouvent dans les bêtes et dans les hommes , divers exemples là-dessus t rès curieux ».

Et plus loin : « De deux pierres tombées du ciel près de Vérone, diverses opinions sur ce sujet ; — D'un enfant t rouvé dans un des côtés de la mat r ice ; — D'une femme qui sentai t souvent dans le ventr icule des débordement s d 'une mat iè re aigre ; — De la cra inte et de la t r is tesse ».

Enfin : « Pourquoi l'or du Potosi ne peut ê t re fondu que par le moyen du vent qui souffle dans le pays ; — De la pierre phi losophale ; — Si l'on peut r endre l'or potable ; — Let t re écri te à l 'auteur sur le sujet de l 'appari t ion des espr i ts ».

Sans aller j u squ ' à par le r de « billevesées », comme le fit le docteur Cabanes, nous dirons seulement que toutes ces thèses extravagantes soutenues à ces assemblées n 'é ta ient en fait que les objets de préoccupat ion des médecins ou des savants du XVI I e siècle.

Deux sujets par t icul ièrement in téressants furent t ra i tés au sein de cet te Académie et mér i ten t une ment ion spéciale.

Il s'agit d 'abord « De la t ransfusion du sang ». On y re t rouve les idées de Jean-Baptis te Denis, 1'« idole des t ransfuseurs », qui p ra t iqua pour la p remiè re fois dans l 'histoire cette opéra t ion sur l 'homme, le 15 juin 1667, et se m o n t r a assidu auprès des réunions chez le docteur-abbé. « Vous me ferez plaisir, Monsieur » — trouve-t-on écri t à p ropos de la t ransfusion (p. 89, édit ion de 1675) — « de me dire les raisons qui vous ont obligé de la rejeter . Je n 'en ai qu 'une , Monsieur, répondi t Pér iandre (1), mais elle en vaut mille, et seule elle suffit pour empêcher qu 'on ne s'en serve communémen t . C'est que, pour un bien qu'elle peut causer , elle peut faire cent maux pa r l ' impru­dence de ceux qui ne s'en serviraient pas bien. »

L 'aut re sujet, d 'un réel intérêt , t ra i té dans les « Conversat ions » de Le Gallois, se t rouve ê t re la peste . La Compagnie y a consacré deux communi­cat ions : « Si la pes te procède de pet i tes bestioles, co mme quelques-uns ont cru » et « De la peste , sa cause et ses effets » (pp. 171-180, édit ion de 1675).

« Je crois m ê m e que les maladies malignes et popula i res ne proviennent que de ces bestioles qui, en t ran t dans nos corps avec l'air qu 'on respire , y causent les accidents qui sont par t icul iers à ces maladies », trouve-t-on écrit page 171, et p lus loin (page 172) : « ... que si c'est pa r un poison qu'ils infectent et qu'ils tuent , pourquoi l 'aller chercher si loin, pu isqu 'on le t rouve en quelques vapeurs malignes que les vents nous appor ten t , ou que la t e r re

(1) P s e u d o n y m e de l ' a b b é B o u d e l o t d a n s les « C o n v e r s a t i o n s » d e Le Gal lo i s .

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t ranspi re , ou qui proviennent de la putréfact ion de quelques corps co r rompus ». Quant à la prévent ion de la peste , elle se t rouve résumée en ces t e rmes (page 180) : « Comme il y a peu de personnes qui s 'exposent à ce mal... lequel empor t e le médecin, aussi bien que le malade, cela est cause qu 'on ne le connaît pas encore bien, non plus que les remèdes qui en guérissent ou qui en préservent . Cependant , le meil leur de tous les préservat ifs , selon mon sens, c'est de fuir loin et de revenir tard , comme aussi de ne point c ra indre ce mal, parce que la peur re t ient le venin au-dedans, où il s 'ancre ».

Le livre de Le Gallois comprend ensui te une longue par t ie , divisée en douze chapi t res , qui t ra i te du « Parallèle des pr incipes de la physique d'Aristote et de celle de Monsieur Descartes , où l'on m o n t r e c la i rement la conformité des sen t iments de ces deux phi losophes » (p. 279 à 350).

En fin d 'ouvrage, on t rouve un appendice de 76 pages : « Ent re t i ens servant de Préface, où il est t ra i té des origines des Académies, de leurs fonctions et de leur uti l i té, avec un discours par t icul ier des Académies de Paris ».

Le Gallois est-il sincère, lorsqu' i l écrit : « Monsieur Bourdelot est du n o m b r e de ces génies subl imes que le Ciel a faits d 'une t r empe extra­ordinai re » ; car il décri t les prouesses de ce médecin en mat iè re de thé rapeu t ique : « Toute l 'Europe sait que la reine de Suède lui est redevable de la vie, et qu'il l'a guérie d 'une langueur où tous les plus habiles médecins des pays septent r ionaux l 'avaient abandonnée . On sait encore que Monseigneur le pr ince de Condé a été guéri par lui d 'une langueur et d 'une sécheresse morte l le , de sor te que ce grand pr ince lui doit aussi la vie « (« Ent re t iens servant de préface », p . 50).

Ailleurs (loco citato, p . 51), Le Gallois affirme : « Il suffit de dire que la médecine est fort redevable à Monsieur Bourdelot . Ce fut lui qui découvrit les vaisseaux lymphat iques ».

Selon Le Gallois, cet te découverte fut faite à Copenhague, où Bourdelot était p résent avec d 'aut res savants ; voulant mon t r e r les veines lactées, r écemment découvertes par Jean Pecquet , il aperçu t dans la dissection les veines lymphat iques . Quand Bourdelot eut découvert ces vaisseaux remplis d'eau, qui se renda ien t au foie, Thomas Barthol in s'écria : « Voici donc les lactées, Monsieur », et Bourdelot lui sout int qu'il fallait que ce fussent d 'aut res vaisseaux, parce que les lactées étaient blanches, alors que ces veines étaient rempl ies d 'une l iqueur t r anspa ren te . Quant au Suédois Olaf Rudbeck, il n ' appr i t que p lus de trois mois plus t a rd la découverte de Copenhague, et, p o u r s 'a t t r ibuer la gloire de cette invention, il fit impr imer en hâ te un Trai té sur les lymphat iques . Tels sont les dires de Le Gallois.

*

Quelques his tor iens se sont réunis pour dire beaucoup ae mal de l 'abbé Pierre Bourdelot . Avec son espri t caust ique, Gui Patin en par le sans ména-

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gement : « Le docteur Bourdelot — écrit-il — men t p resque au tan t qu'il par le et, quand il faut, il t r o m p e ses malades aussi . Il s'est ici vanté en de bonnes maisons qu'il étai t l ' inventeur de la circulat ion du sang, et que ses compagnons faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour lui en ôter le nom. »

On raconte aussi l 'anecdote suivante. Un jou r que le pr ince Henr i I I le poursuivai t pour lui donner des coups de canne, il lui cria : « Monseigneur, souvenez-vous que je suis votre médecin. » Cette phrase fut mal in te rpré tée ; il fut reproché à Bourdelot d'avoir fait sentir qu'il savait empoisonner par ses drogues ; en réalité, il voulait seulement r amene r le pr ince à de meil leurs sent iments , en lui faisant comprendre qu'il l 'honorai t de sa confiance et que pa r conséquent cet indigne t r a i t ement n 'étai t pas mér i té . On ne peut que louer le doc teur Boudelot d'avoir suppor té , avec au tan t de courage, les sautes d 'humeur de son caractér iel pat ient .

Auprès de la reine Christ ine, il eut aussi, si l'on en croit cer ta ins écrivains, un compor t emen t singulier, et Daniel Huet l 'avait s u r n o m m é « le bouffon de la reine ». Au vrai, c o m m e l'a soutenu l 'historien de la reine, Bourdelot avait un espri t vif et plaisant ; il chanta i t agréablement et pinçai t fort bien de la gui tare , et ces qual i tés , jo intes à ses ta lents de cour t i san et à son a r t de se r endre nécessaire, le firent parveni r à la faveur auprès de Christ ine. Il n 'est pas sûr, comme on l'a beaucoup dit, qu'il ait fait éloigner de la Cour de Suède les différents savants qui en faisaient l 'ornement .

L'Académie Bourdelot compta i t p a r m i ses conférenciers un grand n o m b r e de médecins , de chimistes , de physiciens et de mathémat ic iens , tous célèbres ; des pr inces , des seigneurs, des évêques et des magis t ra t s , tous recomman-dables p a r leur doctr ine . Au n o m b r e de ces « athlètes qui s 'exercent dans ces comba t s d 'espri t », pour r ep rend re les t e rmes de Le Gallois, nous relevons : E t ienne et Biaise Pascal, le comte Henri-Louis Habe r t de Montmor t , qui fut de l 'Académie française, le révérend père Talon ; Conrad, p remie r médecin du roi de Pologne, François de Monginot, Jean-Baptis te Denis, tous médecins célèbres ; Mathieu Ber thereau , chirurgien mil i ta ire français ; l 'abbé Jean Gallois, de l 'Académie française, et les savants Adrien Auzout, Jean Pecquet , Giovanni Alfonso Borelli, Edme Mariot te , Gilles Personne de Roberval , Pierre Gassendi. Nous c i terons encore, en t re au t res personnes t rès remarquab les , Henr i Justel , Jacques Rohaul t , Géraud de Cordemoy, de l 'Académie française ; et de t rès doctes é t rangers , le Danois Nicolas Stenon et le Hollandais Régner de Graaf.

E n réali té, les fidèles de l 'Académie Bourdelot pouvaient ê t re divisés en t rois classes. La p remiè re concernai t ceux qui n'y faisaient qu 'ass is ter et n 'é taient là que pour s ' instruire ; la seconde, ceux qui y par la ient r a r emen t ; la t rois ième, ceux qui tenaient la conférence. Mais ce qu'il faut avouer, à la louange de cet te Académie, c'est que chacun pouvait y par ler avec l iberté . L'abbé Bourdelot avait soin, non seulement de faire donner audience à tout le monde , mais aussi d 'applaudir à ceux qui en thous iasmaien t leur audi to i re c omme de ne pas r ebu te r ceux qui ne disaient que des choses banales ; il appuyai t m ê m e quelquefois ces derniers et les encourageait , afin de soutenir

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la conversat ion. Ainsi, les plus bri l lants prenaient plaisir à se faire entendre , comme ceux qui l 'étaient moins se perfect ionnaient et acquéra ient peu à peu l 'art de bien dire les choses et de les bien penser .

Les his tor iens n 'ont pas m a n q u é de dire qu 'après ces séances, les acadé­miciens étaient nour r i s . Si l'on se réfère à Henr i Malo : « grand dîner a l imenté par des pièces de venaison fraîche, des pâ tés de sanglier expédiés par le pr ince, pa r des lapins qu'offrait M. le Premier Président et des vins de divers crus , cadeau de la Palat ine ». Mais où est la pa r t de vérité ? S'agissait-il de ripaille, ou d 'agapes ?

*

La mémoi re du docteur-abbé PierreBourdelot doit ê t re réhabil i tée. On a tor t de ne voir en lui qu 'un intr igant , capable de tout m e t t r e en œuvre pour ar r iver à ses fins, po r t é à la flagornerie et an imé d 'un espri t fantasque allant jusqu ' à la bouffonnerie.

Si cer ta ins ont p ré tendu que son œuvre médicale a jus te un peu plus qu 'un intérêt anecdot ique et ont su r tou t re tenu son « Histoire de la mus ique » (1 volume in-16, 487 pages, à Paris , chez Cochart et Ganeau, 1715) et son « Histoire générale de la danse sacrée et profane » (1 volume in-16, XL-269 pages, à Paris , chez d 'Houry, 1732) qui furent publiées pos thumes p a r Jacques Bonet, son neveu, on doit reconnaî t re qu'il a joué un rôle impor tan t dans la vie scientifique à Paris, en pourvoyant à une ass is tance matér iel le et en établ issant des contacts intellectuels avec l 'étranger, en par t icul ier l 'Italie ; et cela se révèle, non seulement dans les « Conversat ions » réunies p a r Le Gallois, mais aussi dans sa cor respondance personnel le qui fut impor tan te . On lui doit également un ouvrage sur la médecine p ra t ique de Fabricio d 'Aquapendente (1634) et des « Recherches et observat ions sur les vipères » (1671). Son Académie a rendu de réels services à la médecine en t re les annés 1641 et 1684 ; elle a aidé à éveiller la sympathie et l ' intérêt en faveur de la science, pr inc ipa lement à une époque où la discrét ion en touran t les t ravaux de l 'Académie royale des sciences s 'opposait à toute incursion dans le domaine de la connaissance et du développement scientifiques.

B I B L I O G R A P H I E

1) OUVRAGES ORIGINAUX

L E G A L L O I S : « C o n v e r s a t i o n s d e l 'Académie de M o n s i e u r l ' a b b é B o u r d e l o t , c o n t e n a n t d i v e r s e s r e c h e r c h e s , o b s e r v a t i o n s , e x p é r i e n c e s e t r a i s o n n e m e n t s de p h y s i q u e , m é d e c i n e , c h y m i e et m a t h é m a t i q u e . Le t o u t recue i l l i p a r le S r L e Ga l lo i s . E t l e p a r a l l è l e d e la p h y s i q u e d ' A r i s t o t e e t de cel le de M o n s . D e s c a r t e s , leu d a n s l a d i t e A c a d é m i e ». 1 v o l u m e in-12, 76-350 p a g e s , P a r i s , T h o m a s M o e t t e , 1672 ; 1673, Ibid., in-16, 76-350 p a g e s ; 1675, Ibid., in-16, 76^-350 p a g e s .

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LE G A L L O I S : « C o n v e r s a t i o n s a c a d é m i q u e s t i r é e s d e l ' A c a d é m i e d e M o n s i e u r l ' a b b é B o u r d e l o t ». 2 v o l u m e s in-16, P a r i s , C l a u d e B a r b i n , 1674.

2) OUVRAGES ET ETUDES HISTORIQUES

C A B A N E S ( D o c t e u r ) : « Les o r d o n n a n c e s d ' u n a b b é m é d i c a s t r e . — D a n s les c o u l i s s e s de l ' h i s t o i r e », P a r i s , A lb in Miche l , 1923, p p . 93-123.

C A R R E R E ( J o s e p h F r a n ç o i s ) : « B o u r d e l o t ( P i e r r e ) ». — B i b l i o t h è q u e l i t t é r a i r e h i s t o r i q u e e t c r i t i q u e d e la M é d e c i n e a n c i e n n e e t m o d e r n e , P a r i s , R u a u l t , 1776, T o m e II, p . 115-118.

MALO ( H e n r i ) : « Le G r a n d C o n d é », P a r i s , A lb in Miche l , 1837, p . 456-462.

P A N C K O U C K E (C.L.F.) : « B o u r d e l o t ( P i e r r e ) ». — Dictionnaire des sciences médicales, Biographie médicale, P a r i s , 1820-1825, T o m e s e c o n d , 1820, p . 468469.

R O M A N D'AMAT : « B o u r d e l o t ( P i e r r e M i c h o n , l ' a b b é ) ». — Dictionnaire de biographie française, p a r P r é v o s t (M. ) e t R o m a n d ' A m a t ; P a r i s , L e t o u z e y e t Ané , 1954, T o m e s ix i ème , p . 1440.

T A T O N ( R e n é ) : « B o u d e l o t , P i e r r e M i c h o n ( b . S e n s , F r a n c e , 2 F e b r u a r y 1610 ; d. P a r i s , F r a n c e , 9 F e b r u a r y 1685), m e d i c i n e , d i s s e m i n a t i o n of s c i ence ». — Dictionary of Scientific Biography ( C h a r l e s C o u l s t o n Gi l l i sp ie) , N e w Y o r k , C h a r l e s S c r i b n e r ' s s o n s , 1970, v o l u m e II, p . 353-354.

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Cent ans de lutte antitabagique *

par le Docteur André D U F O U R Prés iden t du C o m i t é na t iona l con t re le t a b a g i s m e

Pour bien en c o m p r e n d r e le sens il faut revenir aux environs de 1560, année où Cather ine de Médicis se mi t à uti l iser la pr ise et les fumigations de tabac afin de soulager ses migraines .

L 'herbe à la Reine, la Cather inaire , connue encore sous une série d 'autres noms, fut sacrée « panacée universelle » et l 'engouement populaire en consacra l 'usage.

Mais la Facul té veillait ; au bout de peu de t emps , des écri ts médicaux contes tèrent l 'omnipuissance de cette drogue, ses p ré t endus effets bénéfiques se t rouvant en contradict ion flagrante avec les dogmes médicaux, eux-mêmes fort discutables, de cet te époque.

Ces affrontements , la mor t de la Reine en 1589 provoquèren t une réact ion et en 1600 un acte du roi Henr i IV interdisai t l 'usage du tabac en France . Deux ans plus ta rd une o rdonnance de la Police de Paris en interdisai t la vente et l 'usage dans les débits de boisson « sous peine de pr ison et de fouet ». Le m ê m e mouvement ant i tabac , sous des formes différentes souvent plus sévères et plus violentes, est observé en Angleterre, en Italie, au Danemark , en Transsylvanie, en Russie, en Turquie et m ê m e en Perse.

Mais cet te rés is tance sporadique s 'épuisa et l 'usage du tabac se répandi t dans le monde entier .

Au cours du 17e siècle un h o m m e , issu du peuple , joua en France un rôle impor tan t . Jean Bart , dont les exploits de corsaire firent t an t de mal aux navires anglais et hollandais , fut p r o m u pa r le Roi « capi ta ine de vaisseau », cela sans tenir compte de sa basse extract ion.

Jean Bar t int roduis i t à la Cour royale l 'usage de la pipe, emprun tée aux Caraïbes et qui ne le qui t ta i t j amais . Les grands t rouvèrent vulgaire ce mode de tabagie, mais la popular i té de Jean Bar t fit adop te r la pipe pa r le peuple .

* C o m m u n i c a t i o n p r é s e n t é e à la s é a n c e d u 28 j a n v i e r 1978 d e la S o c i é t é f r a n ç a i s e d ' h i s t o i r e de la m é d e c i n e .

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Ainsi l 'usage du tabac se répandi t de plus en plus et J.-B. Colbert en profita pour , en 1674, créer le « monopole du tabac ». La vogue du tabac s 'accrut encore au cours des nombreuses campagnes qui i l lus t rèrent la Révolution et l 'Empire . L 'ar is tocrat ie qui boudai t la pipe, adopta le cigare au début du XIX" siècle et son usage se répandi t r ap idement dans la société.

Toutes ces façons de fumer étaient re la t ivement bien suppor tées et ne donnaient pas lieu à des accidents majeurs .

Alors survint la cigaret te, dont nos amis anglais nous firent le présent en 1843. Son succès a été foudroyant et elle se propagea en envahissant toutes les couches de la popula t ion. Cet embal lement provoqua les p remie r s accidents et la réact ion des espr i t s lucides. Wur tz en 1864, Jolly en 1865 rédigèrent de véritables réquisi toires présentés à l 'Académie des sciences et à l 'Académie de médecine.

Un h o m m e se lève alors ; il va, tout seul, se j e te r à corps pe rdu dans la batail le. C'est un mil i taire, cél ibataire et vétér inaire dans l 'armée. Au cours d 'une campagne en Afrique il observe une différence de quali té et de r endemen t en t re les t roupiers fumeurs et non fumeurs . Il observe le phéno­mène, l 'étudié et en conclut à la toxicité et à la malfaisance du tabac . En 1861, à Alger, devant la Société d 'agricul ture , Emile Decroix dénonce publ iquement les méfai ts du tabac ; les espr i ts n'y étaient pas p réparés ; son exposé souleva un tollé général et Decroix fut dans l 'obligation d ' in te r rompre sa conférence. Cet échec ne le découragea pas . Sa ténaci té lui fit poursu ivre les démons t ra t ions de la nocivité du tabac dans de nombreux écri ts , dans de p i t to resques communica t ions aux Sociétés savantes, dans des conférences publ iques avec project ions et enfin dans l 'acte décisif que fut la fondation de la « Société contre l 'abuse du tabac » ; celle-ci pr i t sa forme définitive en 1877, et c'est le centenaire que nous avons r écemment fêté, no t re Comité nat ional cont re le tabagisme é tan t l 'hérit ier et le con t inua teur de cet te Société.

L'influence de Decroix fut considérable jusqu ' à sa mor t en 1901 ; il inonda vér i tablement les Sociétés savantes et les Pouvoirs publics de consta ta t ions indiscutables , de réc lamat ions parfa i tement fondées et obtint d'ail leurs un cer ta in n o m b r e de résul ta ts positifs.

De 1865 à 1900 environ le mouvement ant i tabagique en t re tenu pa r la verve et par les deniers de Decroix, se manifeste de façon positive ; quelques exemples le démont ren t :

En 1876, sous l'égide de la « Physiologie sociale », le docteur Depierr is fait pa ra î t re un volume de 500 pages inti tulé : « Le tabac qui contient le plus violent des poisons : la nicotine, abrège-t-il l 'existence ? Est-il la cause de la dégénérescence physique et mora le des sociétés modernes ? ».

Dans les mêmes années :

Un a r rê té préfectoral in terdi t de fumer à l ' intérieur de la Bourse de Paris ;

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la Préfecture de la Seine invite les p r o m e n e u r s du Bois de Boulogne à é te indre soigneusement cigares et a l lumet tes et in terdi t de fumer dans les massifs ;

la Société cont re l 'abus du tabac demande au Préfet de police d ' in terdire de fumer dans les t r anspor t s en commun et de séparer les fumeurs des non-fumeurs ;

elle fait la m ê m e demande pour les théâ t res , pour les bureaux de poste , pour les t ra ins .

A la suite de ces réc lamat ions adressées aussi bien aux Ministères qu 'aux Préfectures et qu 'aux Académies, le Préfet de police précise que l ' interdict ion de fumer dans les théâ t res comprend aussi bien les loges d 'ac teurs que le foyer et les coulisses ;

Le Directeur général des Postes p rend la décision de faire afficher au-dessus des guichets, en carac tères t rès visibles, l ' interdict ion de fumer ;

le Directeur de l 'Assistance Publ ique interdi t l 'usage du tabac dans tous les é tabl issements hospi tal iers ;

le Ministre des Finances finit pa r céder aux réc lamat ions de Decroix et double les impôts sur le tabac .

Ces mesures fort ra isonnables étaient pr ises pa r a r rê tés et pouvaient ê t re rappor tées par un au t re a r rê té . On sait combien peu de ces mesures furent réel lement appl iquées .

En 1881, Decroix demande au Par lement d 'accorder à la Société cont re l 'abus du tabac, le label de l 'utilité publ ique . Elle lui est refusée. Notons en passan t qu 'après 96 ans de demandes réi térées et d'efforts, l 'utilité publ ique vient d 'ê t re conférée au Comité nat ional con t re le tabagisme, t r adu i san t ainsi une modificat ion cer ta ine de la menta l i té française vis-à-vis du tabac.

En 1838, Decroix fait adop te r pa r le Congrès scientifique universel de prévoyance une proposi t ion visant à p r é m u n i r les jeunes con t re l 'habi tude de fumer.

Il demande au Ministre de la Guerre de ne pas faire d is t r ibuer de tabac aux soldats non fumeurs , et d ' in terdire l 'usage du tabac dans les chambrées et dans les corps de garde.

Il dénonce au Ministre des Travaux publics les excès commis pa r les fumeurs dans les wagons de chemins de fer et demande qu 'on les isole dans des compar t imen t s spécialement réservés.

Il demande enfin au Gouvernement une loi in terdisant l 'usage du tabac avant l'âge de 16 ans .

On pour ra i t r empl i r des pages et des pages avec ses demandes . Il faut reconnaî t re à Decroix le mér i t e d'avoir envisagé toutes les solutions ra isonnables et d 'avoir échoué par suite du scepticisme aussi bien de la foule que des dir igeants ; il lui a manqué l 'appui d 'un h o m m e au pouvoir par tageant ses idées.

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Et puis l 'époque ne se prê ta i t pas aux res t r ic t ions . C'était la belle époque, insouciante et joyeuse. Pourquoi empêcher de braves gens de p rend re le plaisir là où ils le t rouvent ?

En t r e 1914 et 1955, les deux guerres avec leurs conséquences avaient dé tourné l 'at tention du public vers des prob lèmes plus graves, et pendan t cet te pér iode de 40 ans environ le tabagisme pr i t un essor qu'il n 'avait j amais connu. D'un mill iard pa r an en France en 1900, la consommat ion de cigaret tes bondi t à 50-60 mil l iards pour , en 1975, a t t e indre 83 mil l iards de cigaret tes , alors que la populat ion n'a progressé que de 36 % environ. Les maladies provoquées pa r le tabac ont suivi le mouvement et c'est ce qui a fini p a r a ler ter l 'opinion.

En effet, en 1956 a eu lieu à Londres la p résen ta t ion du film « Un sur vingt mille » réalisé en 1954 aux Etats-Unis sous les auspices de « l 'Inter­national Tempérance Association » ; on voyait l 'extirpation d'un cancer du poumon chez un fumeur invétéré. Son passage provoqua une vive émot ion chez les Br i tanniques .

Des recherches sérieuses furent en t repr ises pa r le « Royal Collège of Physicians » (Collège royal de médecine) de Londres . Son r appor t « Smoking and Heal th » (Tabac et santé) pa ru en 1962, tout à fait r emarquab le , eut un grand re ten t i ssement en par t icul ier aux Etats-Unis.

John Kennedy, Président de la Républ ique, chargea le Dr Luther Terry de p répa re r un r appor t sur le tabac ; il pa ru t en 1964 et le « r appor t Terry » a fait date , ayant servi de point de dépar t à la campagne ant i tabagique ent repr i se avec mé thode pa r les Américains.

De 1956 à 1970 les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont réalisé des t ravaux remarquab les , grâce à une pléiade de savants et de cliniciens dont les noms prestigieux évoquent l ' immense effort ant i tabagique de ces deux pays : Doll, Hill, H a m m o n d , Cole, Fleicher, Horn, Lynch, Schwartz , Lockwood, Case, Auerbach, Wakefield ; on pour ra i t en citer deux fois au tan t sans avoir épuisé la liste. La plus grande par t ie de leurs t ravaux représen te le contenu de « Smoking and Heal th now » pa ru en 1971 à Londres ; ce volume const i tuera la base de l 'action ant i tabagique qui va commencer en France, a lors que d 'autres pays — la Suède, le Japon, la Hongrie , la Pologne, l 'Autriche, le Canada — ont suivi act ivement de près les efforts des Anglo-Saxons.

Revenons à la France .

Pendant la longue pér iode qui nous sépare de 1900, le mouvement anti­tabagique n'avait pas beaucoup progressé en France . Certes le Comité nat ional cont re le tabagisme agissait toujours , mais en sourdine. Après bien des f luctuations il avait t rouvé dans les 20 dernières années une animatr ice hors pai r dans la personne du Dr Maud Cousin, mais le m a n q u e de moyens financiers empêchai t toute action d 'envergure. Une res t ruc tu ra t ion du Comité est in tervenue en 1970 et le C.N.C.T. disposa à pa r t i r de ce m o m e n t de moyens d'action élargis.

Il a fallu reprendre , à 100 ans de dis tance, le plus souvent en les mécon­naissant , les consta ta t ions d 'Emile Decroix, redécouvr i r ses exigences et envisager les mêmes difficultés.

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Cette consta ta t ion incite à la plus grande modest ie .

Un long travail p répa ra to i r e fut nécessaire dans la recherche d 'un appui légal avant de déclencher le mouvement .

C'est le mér i te de Paul Fréour d'avoir sonné l 'alerte en appor t an t en oc tobre 1970 à l 'Académie nat ionale de médecine un travail int i tulé : « Approche pour une lut te cont re l ' intoxication tabagique », réalisé dans la région de Bordeaux.

E n mai 1971, j ' a i pu établ i r une vue d 'ensemble sur « Le tabagisme en France », en ut i l isant l ' immense documenta t ion anglo-saxonne et a l lemande, sans oublier l 'apport des Français : Daniel Schwarz, Pierre Denoix, Kourilsky, Guérin, Chrétien et Fréour . A la suite de cet te communica t ion faite à l 'Académie nat ionale de médecine, une « commission du tabac » a été formée ; après un long travail de p re squ 'un an nous avons pu p résen te r à l 'Académie, le 7 m a r s 1972, un r appor t c irconstancié accompagné d 'une série de vœux qui furent adoptés à l 'unanimité . Ces vœux vont p ra t i quemen t ê t re réalisés dans les mesures adoptées p a r les textes légaux.

Présentés la m ê m e année au Gouvernement , ils n 'ont à ce m o m e n t — 1972 — eu aucun effet. J 'ai pu cependant obtenir , à t i t re personnel , auprès de Michel Debré, alors Ministre des a rmées , une modification dans les modal i tés de d is t r ibut ion du tabac dans l 'armée ; cet te réforme, en apparence min ime, a été suivie d 'une baisse appréciable — 15 à 20 % — de l 'usage du tabac dans le cont ingent .

Nous avons eu plus de chance lorque M. Giscard d 'Estaing, non fumeur , a succédé à M. Pompidou, fumeur invétéré. Convaincu de la jus tesse de no t re posit ion, le Prés ident de la Républ ique a confié au Ministre de la santé, Madame Simone Veil, la tâche a rdue de m e t t r e en p ra t ique les pr incipes énoncés pa r l 'Académie de médecine.

Je t iens à dire ici toute no t re admira t ion pour la façon dont Madame Simone Veil a conçu et poursui t , sous la forme d'un rappel annuel , l 'action ant i tabagique.

Elle le fait en plein accord avec les plus hau tes instances du pays et a ob tenu l 'adhésion des minis t res intéressés : Finances, Agriculture, Travail , Commerce , Educat ion nat ionale et Université. Aussi avec l 'Académie nat ionale de médecine et sur tout no t re Comité cont re le tabagisme qui, pendan t 18 mois, a par t ic ipé aux t ravaux du Ministère de la santé dans la recherche et la mise au point des textes nécessaires à la rédact ion d 'une loi cont re le tabagisme.

De nombreuses associat ions ont appor t é leur actif concours :

— Le Comité français d 'éducat ion pour la santé ;

— Le Comité nat ional cont re la tuberculose et les maladies respi ra to i res ;

— La Ligue nat ionale française cont re le cancer ;

— La Fondat ion nat ionale de cardiologie ;

— Le Comité d 'éducat ion sani ta i re et sociale de la pharmac ie française ;

— La Ligue vie et santé ;

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— Le Comité nat ional cont re l 'alcoolisme ;

— L'ensemble des Caisses d 'assurance maladie .

Le fondement légal de l 'action ant i tabagique en France existe désormais et c'est ce qui avait m a n q u é à l 'action d 'Emile Decroix il y a 100 ans . C'est la loi p romulguée le 9 juillet 1976 par le Président de la Républ ique, « loi relative à la lut te cont re le tabagisme », après son adopt ion pa r le Par lement . Cette loi l imite de façon précise la publici té en faveur du tabac, en l'enfer­m a n t dans des l imites t rès s tr ictes. Elle in terdi t toute variété de dis t r ibut ion gra tu i te de tabac et de p rodui t s du tabac . Elle inst i tue l 'obligation d'infor­mat ion sur le tabagisme dans tous les é tabl issements scolaires et dans l 'armée. Elle oblige tous les fabr icants de tabac, dans un délai de 2 ans , (soit juillet 1978), de ment ionner sur chaque uni té de condi t ionnement des cigaret tes sa composi t ion intégrale et de por te r , en carac tères par fa i tement apparen t s , la ment ion « abus dangereux ».

Elle établi t enfin, pour la défense des non-fumeurs, le pr incipe de l ' interdict ion de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif où cet te p ra t ique peut avoir des conséquences dangereuses pour la santé. Dans les locaux ou véhicules susceptibles d 'ê t re cloisonnés l 'espace dévolu aux non-fumeurs ne peut ê t re inférieur à la moit ié de l 'ensemble.

Enfin elle a t t r ibue le carac tère de méd icament s aux produi t s p résentés com me suppr iman t l'envie de fumer ou réduisant l ' accoutumance au tabac.

Le 1 e r décret d 'application, pr is au Conseil d 'E ta t a pa ru le 12 sep­t embre 1977.

DANS LE TITRE PREMIER, il établi t les disposi t ions applicables aux locaux, dont le cubage m i n i m u m et l 'aération sont fixés. Dans tous les collèges et écoles publics et privés il est in terdi t de fumer pendan t la durée de f réquenta t ion des locaux pa r les élèves. De m ê m e dans les locaux dest inés à accueillir des jeunes de moins de 16 ans . Aussi dans tous les é tabl issements hospi ta l iers publics et privés ; de m ê m e dans tous les locaux où sont entre­posées, manipulées ou proposées à la vente les denrées a l imentai res .

Ce t i t re est en vigueur depuis le 12 oc tobre 1977.

DANS LE TITRE II , le pr incipe d ' interdict ion s 'applique à l ' intérieur des véhicules de t r anspor t s rout ie rs collectifs, à l ' intérieur des t r anspor t s u rba ins , ainsi que dans les ascenseurs , les funiculaires et les té léphér iques . Dans les t r anspor t s ferroviaires et aér iens la moit ié , au moins, des places doit ê t re réservée aux non-fumeurs, avec l 'obligation d'isoler les fumeurs afin d 'empêcher la propagat ion de la fumée. Il en est de m ê m e pour les navires des lignes commercia les régulières.

Ces disposi t ions vont en t re r en vigueur le l ' r oc tobre 1978.

Le 2 e décert d 'application, pr is en Conseil d 'Etat , pa ru le 17 novembre 1977 est relatif aux surfaces publici taires admises dans la presse : il met au point les détails d 'applicat ion du 3 e alinéa de l 'article 8 de la loi du 9 juillet 1976 et inst i tue une commission chargée d 'observer le déroulement des campagnes publ ici ta i res dans la presse .

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Telles sont les p remières disposit ions légales obtenues pa r l 'action anti-tabagique en France. Cette action doit ère poursuivie avec persévérance car, si une tendance vers une stabil isat ion et m ê m e une diminut ion du tabagisme, se dessine depuis l'an dernier , c'est là encore un progrès fragile, alors que le tabac pèse toujours lourdement sur la morbid i té et la mor ta l i té de no t re pays

On a es t imé à 72 000 au moins en 1976 le n o m b r e de m o r t s en France, dus aux maladies a t t r ibuées d i rec tement au tabac ; ce qui représen te un coût social de 22 mil l iards de francs actuels pa r an.

C'est la just if icat ion des campagnes ant i tabagiques dont le coût est dérisoire en face des économies de vies et d 'argent qu'elles peuvent faire réaliser.

Aussi me permet t ra i - je d 'affirmer une fois de plus que la lut te cont re l 'habi tude de fumer peut plus, pour amél iorer la santé et prolonger la vie, que n ' impor te quelle a u t r e mesu re de médecine préventive.

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Un précurseur de la lutte contre le tabagisme *

par Pierre N I C O L L E Pro fesseu r et C h e f de se rv i ce h o n o r a i r e de l ' Inst i tut Pas teur

Il y a des coïncidences vra iment curieuses : lorsque j ' a i reçu l 'ordre du jou r de la séance d 'aujourd 'hui annonçan t la communica t ion de not re collègue le Dr André Dufour, je venais de rouvr i r un dossier de famille dans lequel se t rouvaient quelques b rochures .

C'était le texte de conférences se r appor t an t à la santé publ ique et à l 'hygiène. De toute évidence, elles é taient dest inées à ins t ru i re de nombreuses personnes , n ' appa r t enan t pas exclusivement à la profession médicale, des dangers de cer ta ins abus .

L'une d 'entre elles était consacrée au tabac pr inc ipalement , et en caractères plus pet i ts , au haschich et aux fumeurs d 'opium.

L 'auteur était médecin en chef de l'Hôtel-Dieu de Rouen et du lycée Impér ia l , devenu aujourd 'hui le lycée Pierre-Corneille.

Il était aussi , ce médecin, professeur de sciences naturel les à l 'Ecole des sciences et des le t t res de la capitale n o r m a n d e où l'avait placé son ma î t r e Félix-Archimède Pouchet (**), qui, on s'en souvient, fut l 'un des plus a rden t s , et par là m ê m e le plus malheureux cont rad ic teur de Louis Pas teur dans la fameuse controverse sur les générat ions « dites spontanées ».

Le nom du conférencier était Engène Nicolle (***). Tous ceux qui ont laissé des témoignages sur lui l 'appelaient « le bon doc teur Nicolle ». Il c o m m u n i q u a son en thous iasme sur la médecine et pour les sciences à ses deux fils aînés, Maurice et Charles qui devinrent (horresco referens) d 'éminents pas tor iens . Il fut de plus le p remie r d 'une série de six médecins en qua t re générat ions de la m ê m e famille, auxquels on m e p e r m e t r a d'en ajouter deux p a r mar iage .

* C o m m u n i c a t i o n p r é s e n t é e à la s é a n c e d u 28 j a n v i e r 1978 de la Soc i é t é f r a n ç a i s e d ' h i s t o i r e de la m é d e c i n e .

** F é l i x - A r c h i m è d e P o u c h e t (1800-1872) — D i r e c t e u r d u M u s é u m d ' h i s t o i r e n a t u r e l l e , p u i s p r o f e s s e u r à l 'Eco le de m é d e c i n e de R o u e n . L i r e à ce s u j e t la m o n o g r a p h i e de P i e r r e Nico l l e : H o m m a g e d ' u n p a s t o r i e n à Fél ix P o u c h e t , in P r é c i s d e s t r a v a u x de l ' A c a d é m i e d e s s c i ences , b e l l e s - l e t t r e s e t a r t s d e R o u e n , s é a n c e d u 5 m a i 1973. L. D u r a n d fils, F é c a m p , 1975.

*** E d o u a r d - E u g è n e Nico l l e (1832-1884), né à B o i s s a y - s u r - E a u l n e ( S e i n e M a r i t i m e ) , m o r t à R o u e n . Il é t a i t le fils d ' E d o u a r d Nico l l e : « A r q u e b u s i e r » à R o u e n , r u e G a n t e r i e e t le pet i t - f i l s de L o u i s Nicol le , g a r d e - c h a s s e , j a r d i n i e r et n o t a b l e de son v i l lage .

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Mais revenons à la b rochure sur le tabac . En exergue, on lit cet te citation de La Fontaine :

Je ne vois pas de créature Se comporter modérément ; Il est certain tempérament Que le Maître de la nature Veut que l'on garde en tout — Le fait-on ? Nullement.

Puis l 'auteur est ime, comme l'a dit l 'éminent physiologiste Flourens , qu 'avec nos m œ u r s , nos passions, nos misères , l ' homme ne meu r t pas , il se tue.

De nombreuses pages sont consacrées à l 'histoire naturel le de l 'herbe à Nicot ou nicotiane ou encore herbe à la Reine, car Cather ine de Médicis en pr isai t .

Puis, il nous rappel le l 'extrême et incompréhens ib le engoûment pour cet te p lante malodoran te qui s ' imposa t rès vite à t ravers le monde entier, et aussi , la ha ine furieuse de cer ta ins cont re elle, en par t icul ier celle du Sul tan de Turquie Mehemet IV qui, au XVI I e siècle, faisait pendre les fumeurs qu'il surprena i t lors de ses rondes . Voilà bien une énergique mesure cont re le tabagisme. Espérons que Madame Simone Veil ne sera pas obligée d'en venir à de telles ext rémités dans sa louable campagne cont re le tabac .

Enfin, il énumère ses inconvénients , su r tou t pour les bronches , le système nerveux, la mémoi re et l ' intelligence. Il nous dit n o t a m m e n t qu 'un d i rec teur de l 'Ecole polytechnique a observé que les bons élèves étaient , en général , des non-fumeurs, ou des fumeurs modérés , tandis que les « fruits secs » étaient des fumeurs invétérés.

Mais à l 'époque, les effets néfastes (cancérigènes et cardio-vasculaires) de la cigaret te é taient encore inconnus .

Quels moyens cet h o m m e de bien propose-t-il pour remédier à cet te déplo­rable hab i tude ? Il en cite cinq.

1° S 'appuyant sur les dosages de nicotine publiés pa r Joly, il préconise de subs t i tuer aux tabacs t rès r iches en cet alcaloïde, en par t icul ier ceux de Virginie, du Kentucky et de divers dépa r t emen t s français, ceux plus pauvres du Levant, de Grèce, d'Arabie, du Paraguay et lu Mexique.

2° Suivant les conseils de Joly et de Dumesnil , il p ropose d 'éclairer le publ ic pa r des conférences c o m m e celle qu'il est en t ra in de faire.

3° D' interdire la vente du tabac aux enfants et aux adolescents .

4° Il r e commande sur tou t aux médecins de famille d 'user de leur au tor i té pour a r racher la jeunesse à ses habi tudes en mat iè re de fumerie.

5° L'espoir lui para î t venir de la format ion à Paris en juil let 1869 d 'une Société de t empérance cont re l 'abus du tabac. Il souhai te que cet te œuvre humani ta i r e , dont les p romoteu r s ont été MM. Blatin, Joly et Decroix. ob t iennent des résul ta ts saisfaisants.

Si les mesures proposées pa r Eugène Nicolle, mon grand-père, en 1869 font sour i re cer ta ins , il n 'en res te pas moins que la lut te cont re le tabagisme est, dès cet te époque, bel et bien engagée.

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Faut-il remettre en cause la naissance d'Eugène DELACROIX ? *

par A . C A M E L I N

Le prob lème de la naissance d 'Eugène Delacroix a été main tes fois examiné, ici même, voici quarante-cinq ans , pa r M. Maurice Genty (4) et, plus récemment , il y a une quinzaine d 'années pa r no t re excellent collègue B e n a s s i s ( l ) et M. André F ino t (3 ) .

Rappelons seulement que le bru i t d 'une pa te rn i té possible de Talleyrand a pr is naissance à la fin du X I X e siècle dans des conversat ions de salon auxquelles les his tor iens n 'aura ien t pas dû appor t e r la. caut ion de leurs é tudes . L'affaire para î t donc définit ivement jugée après les t ravaux de M. Léon Noël (7) et de M. Paul Loppin (6).

Eugène Delacroix est donc bien le fils de Charles Delacroix, minis t re des Relat ions extérieures, et de son épouse née Victoire Oeben, fille de l 'ébéniste du roi.

Pourquoi a-t-on été amené à en dou te r ? Tout s implement sur un médisan t pos tu la t colpor té a posteriori : Charles Delacroix aura i t été inapte à p rocréer en raison d 'une t rès volumineuse t u m e u r scrotale appa rue progress ivement en 13 ou 14 années . C'est faire bon marché de ses ap t i tudes . Et cet te not ion a permis aux mauvais espr i t s du t emps de rechercher une au t re pa te rn i t é . Celle qui venait à l 'esprit étai t de l ' imputer à Talleyrand, successeur de Charles Delacroix. Or, il est cer ta in que les r appor t s de Talleyrand et de Delacroix furent ceux d'un prédécesseur à un successeur, et un peu plus ta rd , ceux d 'un min is t re des Relat ions extér ieures à son ambassadeur . Le res te est invention, en par t icul ier les visites qu 'aura i t faites Talleyrand à Charenton-Saint-Maurice, lieu de résidence des Delacroix, où ceux-ci vivaient avec leurs t rois enfants .

C'est donc à une véri table exégèse des textes et des dates qu'il convient de se livrer pour essayer de démêler cet écheveau.

* C o m m u n i c a t i o n p r é s e n t é e à la s é a n c e d u 28 j a n v i e r 1978 de la Soc i é t é f r a n ç a i s e d ' h i s t o i r e d e la m é d e c i n e .

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Il est cer tain que pa rmi les t rès nombreuses é tudes — la p lupar t assez fantaisistes — faites de cete affaire, celles de M. Léon Noël et de M. Paul Loppin ont exposé et in te rpré té les faits avec une louable r igueur h is tor ique . M. Paul Loppin, hélas r écemment décédé, a rassemblé le résu l ta t de ses recherches dans une dernière édition de son livre réunissant ses publ icat ions an tér ieures : « Delacroix, père et fils ».(6) Remarquab le synthèse de tou te l'affaire, t ra i tée avec l 'expérience d'un hau t magis t ra t , l 'objectivité d 'un historien, et la ténacité d 'un chercheur .

La pa te rn i té de Charles Delacroix é tant admise , un au t re p rob lème se pose : après l 'ablation de la t rès volumineuse t u m e u r scrotale, l 'opéré aura i t récupéré sa virilité. C'est à celle-ci, re t rouvée, que serait due la conception qui about i ra à la naissance d 'Eugène Delacroix. Mais a lors il faudrai t a d m e t t r e que la grossesse ait été de cour te durée : moins de 6 mois à moins de 7 mois . M. Paul Loppin en ret ient l 'hypothèse, mais en soulignant toutefois sa fragilité.

Il en est de m ê m e pour celle que vous est proposée , assez hasardeuse , mais cependant qui doit ê t re envisagée.

Charles Delacroix et sa famille

Charles Delacroix est né à Givry-en-Argonne le 15 avril 1741. Avocat, puis , d 'aventure , professeur à Rodez, il va avoir la chance d 'être à Limoges le col laborateur et le disciple d'Anne Rober t Turgot qu'il suivra à Par is jusqu ' à sa disgrâce du 12 mai 1776. Il se re t i re alors près de Givry, à Contault , village dont il accolera le nom au sien pour se différencier de son frère qui de la m ê m e façon s 'appelera Delacroix d'Ante.

Marié à Paris avec Victoire Oeben, il en au ra qua t r e enfants : le premier , Charles Henry, né à Paris le 9 janvier 1779 et m o r t à Bordeaux en 1845. Puis, à Givry, naissent Henr ie t te , le 4 janvier 1782, qui sera Madame de Verninac, et Henry en 1784, qui sera tué le 14 juin 1807 à Fr iedland.

Enfin, Ferd inand Victor Eugène, né à Charenton-Saint-Maurice le 26 avril 1798 (7 floréal an VI) .

La car r iè re pol i t ique de Charles Delacroix l 'amène du Conseil général de la Marne en 1791 au Directoire du dépa r t emen t et à la Convention, puis au Directoire dont il sera pendan t 27 mois le p remier minis t re des Relat ions extér ieures , du 15 b ruma i r e an IV (6 avril 1795) au 30 mess idor an V (18 juillet 1797) t ra i tant , lui, e ex-conventionnel régicide, avec les Cours d 'Europe .

C'est au cours d 'un changement p resque total du minis tère , qu'il a é té remplacé pa r Talleyrand, à l'affût de sa place grâce à sa t rès in t r igante amie Madame de Staël.

Libéré de ses fonctions, Charles Delacroix va pouvoir s 'occuper de sa santé.

Considérablement gêné par cet te t u m e u r scrotale, il est l 'objet d 'une consul ta t ion de huit médecins dont Sabat ier , Pelletan, Boyer et Imbert-Delonnes. Par sept voix cont re une, celle d ' Imber t , l 'abstent ion opéra to i re est

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décidée. « Cette opérat ion é tant à l'avis du plus grand n o m b r e des consul tan ts l 'opprobe de la chirurgie ». Mais Delacroix, impress ionné pa r les succès an té r ieurs d ' Imber t , et la présenta t ion de malades guéris par lui, va accepter l ' intervention. Ce par t i n 'é tonne pas chez un h o m m e réputé pour son courage, son espri t de décision et sa ténaci té . Il p rend le r i sque qu'il sait pouvoir ê t re morte l . L 'opérat ion aura lieu plusieurs semaines après , à son domicile de Saint-Maurice, le 27 fructivor an VI (13 sep tembre 1797), facilitée par la proximi té de leurs résidences.

Ange Imbert-Delonnes

La personnal i té de ce chirurgien mili taire, né le 30 janvier 1747 à Vacqueyras , dans le Comtat Venaissin, et m o r t à Paris le 23 août 1818, est des p lus curieuses (9). Docteur en médecine et en chirurgie de Caen, chirurgien du duc de Char t res , il est connu pour son t ra i t ement chirurgical de l 'hydrocèle depuis 1781 et la quali té de ses pa t ien ts dont Bougainville, Vintinille-Lascaris, etc., qui l 'ont autor isé à en faire état . Impor t an t , vaniteux, sûr de soi, Imber t n 'a t t i re pas la sympathie ; ses qual i tés d 'opéra teur suscitent la jalousie. Lui-même, ayant été passagèrement (du 2 floréal an VI au 17 fructivor an VII — 25 avril 1798 au 3 sep tembre 1799) l 'un des inspecteurs généraux du Service de Santé , n o m m é à t i t re personnel après l 'opérat ion de Charles Delacroix, deviendra récr iminateur , inondera les autor i tés , Bernadot te , Bonapar te , Lacépède, et beaucoup d 'aut res , de ses réc lamat ions . Il finira sa carr ière , qui fut assez lucrative, comme chirurgien chef de la succursale des Invalides d'Avignon de 1801 à 1816(2).

Mais c'est à la reconnaissance de son opéré Charles Delacroix, et au soutien de Palissot (devenu son beau-père) qu'il devra cet te nominat ion . Sa radiat ion, en sep tembre 1799, est le fait d 'une mesure générale d 'économie r emanan t de 8 à 3 le n o m b r e des inspecteurs .

L'intervention du 27 Fructidor, an V (13 septembre 1797)

Ce sommet des succès chirurgicaux d'Ange Imbert-Delonnes fut connu pa r la publ icat ion qu'il en fit dès fr imaire an VI, publiée « par o rd re du gouvernement » le 24 germinal an VI (14 avril 1798) après une communica t ion à l ' Inst i tut , puis dans d 'autres ouvrages (5 et suivants) .

Il s'en réclame de modes tes p ropos : « J 'ai a r raché des b ras de la m o r t le brave républicain de Lacroix (sic) par une opérat ion jugée imprat icable d 'après l 'opinion de tous mes collègues. » Il est au moins certain qu'il a prolongé l 'existence de son pat ient .

Le protocole opéra to i re est donc connu pa r ces publ icat ions , et la descrip­tion la plus complète est de 1812 (5 e) en réponse à des a t t aques . On en laissera de côté les détails pour n 'en re teni r que l 'essentiel. L'ablation de la tumeur , à l 'époque dénommée sarcocèle, compor te ra celle du testicule gauche

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L'intervention dure ra deux heures et demie, avec qua t r e poses de dix minutes . Elle s'effectuera, au milieu des douleurs que l'on suppose, en présence de six au t re s médecins : Monier, Duchanoy, Collet, Coecou, Poisson et Guille-marde t . Ce dernier , également m e m b r e du Conseil des Anciens, était t rès lié avec les Delacroix au point que les enfants se seraient élevés ensemble (8).

L 'opérat ion réalisée, I m b e r t exécutera lui-même tous les pansemen t s à la décoction de quinquina . Il fera lever son opéré au 30 e j ou r (mi-octobre 1797), le fera marche r au 40 e (fin oc tobre 1797) et « la cure fut parfai te le 60 e j our » (mi-novembre 1797). Ces dates au ron t leur impor tance .

Un mois encore, et redevenu disponible pour le service de la Républ ique, Charles Delacroix est n o m m é par le Directoire minis t re plénipotent ia i re auprès de la Républ ique batave. Les archives du minis tère des Affaires é t rangères apprennen t qu'il est arr ivé à La Haye le 10 nivôse an VI (30 décembre 1797) pour succéder à Noël, et qu'il en reviendra le 19 prair ial an VI (7 ju in 1798). Ses let t res de recréance sont datées du 21 prair ia l motivées par des événements pol i t iques en Hollande. Madame Delacroix est res tée à Charenton-Saint-Maurice avec ses deux fils, Charles Henry 19 ans, et Henry 14 ans . Henr ie t te , mar iée à 16 ans , est déjà devenue Madame de Verninac Saint-Maur.

A son re tour de La Haye, Charles Delacroix t rouve donc à son foyer un nourr i sson de six semaines .

Le problème : naissance prématurée ou naissance à terme ?

Une naissance p r éma tu ré e serait celle succédant à une conception après l ' intervention chirurgicale.

Une naissance à t e rme serait celle due à une conception an té r ieure à celle-ci. Selon le postula t admis , cet te dernière ne serait pas possible.

M. Paul Loppin a penché pour la p remière hypothèse. La seconde se débar rasse du postula t .

M. Paul Loppin a appor t é en 1965 (6) un fait nouveau et combien impor t an t ; il s'agit de la publicat ion d 'une par t ie de la cor respondance privée échangée pendan t les p remie r s mois de 1798 en t re Charles Delacroix à La Haye et sa femme, Victoire Oeben, à Saint-Maurice. Le ton des le t t res des deux époux a pe rmis à Paul Loppin de m e t t r e un point final à la malveil lante légende d 'une mésen ten te du couple, comme à celle d 'un adul tè re . Toutes les le t t res por t en t l 'accent de la plus affectueuse et mutuel le a t tent ion, aussi bien avant qu 'après la naissance d 'Eugène.

Ainsi le 14 pluviôse an VI (2 février 1798), il donne à sa femme des nouvelles de sa santé « qui se fortifie tous les jou r s . Les suites de mon opéra t ion disparaissent peu à peu. L'insensibilité locale diminue, et j ' a i tout lieu d 'espérer que le p r in t emps r eme t t r a tout dans son é ta t na ture l . Je ne connais plus aucune espèce de douleur , et le plaisir pour ra i t me visiter

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encore.. . » et dans cet te m ê m e let t re , il s ' inquiète de l 'état de santé de sa femme « ... il te serait impossible sans tout r i squer de faire à présent le voyage de La Haye ». Quinze jou r s plus tard , dans une au t r e cor respondance « ... ne considère que ta santé , la posit ion où tu te t rouves, ce que tu aura is à souffrir si les c i rconstances m'appela ient ai l leurs et que ta grossesse te forçât à res te r ici... »

Ce que M. Paul Loppin a appelé la clef de l 'énigme est contenu dans une let tre de Victoire datée de Charenton du 30 germinal an VI (19 avril 1798) « ... Je souffre toujours de cet effort que j ' a i eu en mon tan t en voi ture en revenant de Paris ; cela ne me re t ient pas tou t à fait, mais j e ma rche diffici­lement . J 'espère pour t an t que cela n ' aura pas de suite... Henry me charge de te dire qu'il t ' a ime de tout son cœur ainsi que Charles. »

Sept jou r s plus tard, le 7 floréal an VI (26 avril 1798), va na î t re à Charenton-Saint-Maurice, Ferd inand Victor Eugène Delacroix, déclaré le 8 floréal an VI par le citoyen Guil lemardet , législateur, et la ci toyenne Adélaïde Denise Oeben, en présence du citoyen Jean Henry Riesener.

M. Paul Loppin a établi un r appo r t de cause à effet en t re « la douleur en mon tan t en voi ture » et un accouchement p r éma tu ré . On ne saurai t , certes, le cont redi re .

Toutefois l ' incidence de cette douleur sur une grossesse à t e rme est tout aussi plausible et peut-être davantage.

Il faut en appeler à I m b e r t quan t à la res t i tu t ion de la virilité de Delacroix ; cela fait par t ie de son besoin de publici té . Il a décri t la verge enfouie dans la masse et f igurant un véri table ombilic d'où suintai t l 'urine ; mais sans doute ne s'est-il pas avisé, ni permis , d ' in terroger son pat ient sur la possibil i té des érect ions. Or les corps caverneux n 'é tant pas intéressés par la tumeur , l 'érection res te possible modif iant l 'aspect de l 'organe, saillant a lors au-dessus de la masse tumora le . Qui dit possibil i té d 'érection, dit possibil i té de r app rochemen t conjugal. Que le volume de la t u m e u r ait gêné l 'acte sexuel, c'est indubi table . Mais il faut s 'a r rê ter là à la bar r iè re infranchissable des secrets d'alcôve, des grossesses accidentelles non désirées.

Delacroix, débar rassé de ses fonctions ministériel les qu'il remplissai t sc rupuleusement , avait aussi tôt songé à l ' intervention chirurgicale. Celle-ci décidée, pourquo i ne pas adme t t r e , vu les r i sques considérables de celle-ci un r app rochemen t conjugal sous le signe du « moriturus te salutat » ? Tout est possible, et on connaî t en effet de considérables déformat ions constitu­tionnelles chez des malformés qui n 'ont empêché ni l 'acte sexuel ni la grossesse.

Si l'on admet le pr incipe d 'une conception fin juillet 1797, l 'accouchement du 26 avril 1798 serait dans les délais d 'une grossesse normale . Lorsque Delacroix est par t i en Républ ique batave le 30 décembre 1797, il savait donc sa femme enceinte de cinq mois, ce qui explique sa rét icence à l ' emmener dans une jeune républ ique sœur encore en pleine agitat ion poli t ique.

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Les hypothèses conceptionnelles

La première^ hypothèse est celle d 'une naissance p réma tu rée . Or, l 'élément majeur qui pe rme t t r a i t de l 'affirmer m a n q u e r a toujours , sauf surpr ise d 'une cor respondance inconnue : c'est le poids d 'Eugène à sa naissance. Sa connaissance lèverait tous les doutes .

En l 'absence de cete précision, il faut s 'adresser à des preuves négatives.

La cor respondance publiée pa r Paul Lopp in (6 ) en donne les moyens . On n'y t rouve aucune allusion, après la naissance, à une préoccupat ion de la mère ; or celle qui va ê t re évoquée serait majeure . En effet, non seulement elle n 'en fait pas état , mais encore peut avant le re tour de Delacroix, elle écrit « ... mes forces reviennent tout doucement , Eugène souffre beaucoup des coliques, malgré cela il commence à profi ter , son lait pas.se bien... » C'est donc que cet te mère de famille t rouve normale l 'a l imentation du nouveau-né.

On a fait longtemps la dist inct ion en t re p r é m a t u r é non viable, p r é m a t u r é difficilement viable, p r é m a t u r é facilement viable. Les pédia t res spécialisés en néonatalogie p rê ten t moins d ' impor tance à ces c loisonnements , mais pa r cont re s 'a t tachent aux not ions de poids et de robustesse du nouveau-né à l 'aide d'indices t rès précis qui condi t ionnent ou non la réanimat ion .

Manifestement Eugène Delacroix n 'aura i t pas présenté de difficultés à sa naissance.

Le seul fait que la succion-déglutition n 'ai t posé aucun prob lème suffit à p rouver que le nouveau-né est survenu à te rme, ou au moins au cours du hui t ième mois, pu isque l 'al lai tement a été possible et normal . Car la médecine pér ina ta le admet la succion-déglutition possible seulement vers la fin du huitième mois de grossesse, et dans de bonnes condit ions de poids et de robustesse .

Tout au t re naissance p r é ma tu ré e remonte ra i t à une conception du 25 octobre 1797 au plus tôt , et de fin novembre au plus tard , fixant la naissance à 6 mois ou, pire , à 5 mois de gestat ion. Le nouveau-né n 'aura i t pu exercer de lui-même sa succion-déglutition. Il n 'aura i t pas survécu à cet te époque, alors que main tenan t les ext raordinai res techniques modernes pe rme t t r a i en t de l 'amener à l'âge du t e rme . Ce sont ju s t emen t ces possibil i tés actuelles qui ont permis de s i tuer à la fin du hui t ième mois le début de l 'automonie a l imentai re .

Par conséquent , et à l 'époque considérée, Eugène Delacroix n'est pas né p r éma tu ré .

Reste à examiner la seconde hypothèse : celle de la naissance après une grossesse normale de neuf mois .

Elle est liée à l 'abandon du malveillant postulat de l ' impossibili té pa r Delacroix à procréer .

Elle est par cont re entachée de la difficulté de l 'acte sexuel en raison du volume de la t umeur .

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Mais elle est justifiée pa r un t emps de grossesse normal de plus de hui t mois , et sans doute de neuf, avec une concept ion possible en t re fin juillet et fin août 1797.

Ajoutée aux a rgument s psychologiques et familiaux, cet te hypothèse , sans carac tère pérempto i re , mér i te au tan t d 'a t tent ion que la précédente . Il faut r e m a r q u e r aussi , la not ion qu ' Imber t -Delonnes n'a jamais fait état de cet te naissance, qu'il n ' aura i t pas m a n q u é d 'a t t r ibuer à son intervent ion. Car, en 1812, il écrivait avoir donné onze ans de vie à Delacroix, a lors que ce ne fut que hui t ans , ce qui est déjà un beau succès, et, le connaissant , il n ' aura i t pas hési té à t i rer a rgumen t de cet te naissance.

Telles sont les ra isons qui ont semblé mér i te r une révision du p rob lème de la naissance du célèbre pe in t re Eugène Delacroix.

Si l'on compare , en effet, les deux opinions, émanan t des deux hypothèses opposées, ne convient-il pas d ' admet t r e qu'il y a davantage de chances p o u r l 'affirmation d 'une naissance à t e rme , que pour celle de la naissance d'un p r é m a t u r é ? L'excellente é tude cr i t ique de M. Paul Loppin a été déviée à sa base pa r deux conseils peu ra t ionnels : le pos tu la t de Delacroix hors d 'état de procréer , et pa r celui de la viabilité en 1798 d 'un p r é m a t u r é de 6 mois dont on ignore le poids. Sans doute , ceux de nos confrères interrogés pa r M. Paul Loppin sur les espérances de vie d 'un p r éma tu ré , ne pensaient-ils qu 'aux condit ions des techniques actuelles.

Les deux explications proposées , pour cont ra i re qu'elles soient, ne pour ron t pas ê t re prouvées . Jeux de l 'histoire ? Peut-être. Comme l'a écrit Montaigne, « nulle proposi t ion ne m'é tonne , nulle croyance ne me choque quelque cont ra i re qu'elle soit à la mienne ; il n 'est si frivole et extravagante fantaisie qui ne me semble digne de l 'esprit huma in . »

B I B L I O G R A P H I E

N o n e x h a u s t i v e c e t t e b i b l i o g r a p h i e es t l i m i t é e à l ' e ssen t ie l d u p r o b l è m e de la n a i s s a n c e d ' E u g è n e De l ac ro ix . On e n t r o u v e r a le c o m p l é m e n t d a n s l ' o u v r a g e de M. P a u l L o p p i n .

1. B E N A S S I S . — « E u g è n e D E L A C R O I X ». Revue thérapeutique des alcaloïdes, j a n v i e r -f é v r i e r 1932.

2. C A M E L I N A. — « La s u c c u r s a l e de s I n v a l i d e s d ' A v i g n o n (1801-1850) ». Histoire des sicences médicales, T. I X , n° 1, 1975-1976, p p . 51-64.

3. F I N O T A. — « E u g è n e D E L A C R O I X est-i l né à s e p t m o i s ? » Histoire de la médecine, s e p t e m b r e - o c t o b r e 1964, p p . 23-29.

4. G E N T Y M. — « Le c h i r u r g i e n Ange I m b e r t - D e l o n n e s et l ' o p é r a t i o n de C h a r l e s De lac ro ix ». Le Progrès médical, 9 e a n n é e , n° 4, s u p p l . m e n s u e l ill., 1932, p p . 25-29.

5. I M B E R T - D E L O N N E S A.B. — ( M u s é u m Calve t , A v i g n o n ) .

a ) « C u r e r a d i c a l e de l ' h y d r o c è l e »... à P a r i s chez l ' a u t e u r , r u e d e s B o n s - E n f a n s n° 20, a v e c a p p r o b a t i o n e t p r iv i l ège d u Roi , 1791, 1 vol . , 421 p .

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b ) B r o c h u r e d e f r i m a i r e a n VI ( d é c . 1797) s u r « l ' o p é r a t i o n de D e l a c r o i x e t r é f l ex ions à l ' I n s t i t u t n a t i o n a l 1 e r v e n t ô s e a n VI (fév. 1798) » e t Moniteur d u 13 av r i l 1798.

c ) « P r o g r è s d e la c h i r u r g i e en F r a n c e », p u b l i é p a r o r d r e d u g o u v e r n e m e n t . 1 vol . , 60 p . , I m p r . d e la R é p u b l i q u e , P a r i s , n i v ô s e a n V I I I .

d ) « O p é r a t i o n c o u r t e , faci le e t s a n s d a n g e r p o u r g u é r i r s û r e m e n t l ' h y d r o c è l e ». 1 vol . , a n X I (1802).

e) « N o u v e l l e s c o n s i d é r a t i o n s s u r le c a u t è r e a c t u e l ». 1 vol., 456 p . , S e g u i n , i m p r . , A v i g n o n 1812.

6. L O P P I N P a u l . — « D e l a c r o i x p è r e e t fils ». 2" é d i t i o n , 1973, 1 vol. , 126 p . , L i b r a i r i e d u Z o d i a q u e . G. e t P . B e a r n , 60, r u e M o n s i e u r - l e - P r i n c e .

7 . N O Ë L Léon . — a ) « De lac ro ix étai t - i l le fils d e T a l l e y r a n d ? » Historia, n" 321, a o û t 1973, p p . 57-65. b ) « E n i g m a t i q u e T a l l e y r a n d ». 1 vol . , in-8, 251 p . A r t h è m e F a y a r d , éd . 1975, p p . 49-61.

8. P A L E W S K I G. — « P r o p o s ». Revue des Deux Mondes, j u i l l e t 1977 p p . 124-125.

9. R O B E R T J. — « La vie e t l ' œ u v r e d u c h i r u r g i e n I m b e r t - D e l o n n e s . (1747-1818) ». T h è s e m é d . Lyon 436, o c t o b r e 1976, I m p r . 100 p .

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L'hôpital de Vaugirard :

des origines à nos jours -

par Ph. D E L A V I E R R E

Ayant consacré de nombreux t ravaux à la Facul té de médecine et aux hôpi taux de Paris , Pierre Vallery-Radot publiai t , en 1948, un livre sur nos hôpi taux par is iens où il re t raçai t , no t ammen t , l 'historique de l 'hôpital de Vaugirard .

Trente ans se sont écoulé depuis . Aussi n'est-il pas inutile de compléter cet h is tor ique en r emon tan t aux sources .

I. Les origines

Sous la dépendance de l 'abbaye de Saint-Germain des Prés depuis le VI e siècle, la c o m m u n e de Vaugirard doit son nom à un abbé de ce monas tè re , Gérard de Moret , qui cont r ibua à sa prospér i té en y faisant cont ru i re , en 1256, une maison de campagne (1) : d'où le nom de Val Gérard (puis Vaugirard) donné à la c o m m u n e qui compta i t à peine 2 000 habi tan ts , il y a deux siècles. Jusqu ' à son r a t t achemen t à Paris en 1859, cette c o m m u n e qui avait a t te int près de 40 000 habi tan ts , était t raversée pa r une grande rue, bapt isée rue de Vaugirard p a r la suite.

A la hau teu r de l 'actuel n° 389 (où se si tue l 'entrée de l 'hôpital de Vaugirard) , cet te g rande rue était bordée , il y a plus de trois siècles, par la maison de campagne d 'un ordre religieux, les Théatins (2), maison acquise p a r eux en 1661 et qui était la dernière de la rue à gauche avant d 'arr iver à Issy. Il s'agissait d 'une maison modes te à deux étages qui possédai t un long ja rd in r emon tan t vers l'est et se t e rminan t , le long de la rue Vaugelas, p a r un verger (où siège à présent la Clinique thé rapeu t ique chirurgicale) .

* C o m m u n i c a t i o n p r é s e n t é e à la s é a n c e d u 28 j a n v i e r 1978 d e la Soc i é t é f r a n ç a i s e d ' h i s t o i r e de la m é d e c i n e .

(1) A la h a u t e u r des n o s 335 à 353 d e la r u e d e V a u g i r a r d .

(2) F o n d é en I t a l i e , a u X V I e s ièc le , p a r l ' a r c h e v ê q u e de T h é a t e ( o u Ch ié t i ) e t f u t u r p a p e P a u l IV , ce t o r d r e a v a i t u n c o n v e n t à P a r i s , q u a i V o l t a i r e o ù se t r o u v a i t le c o n f e s s e u r d e M a z a r i n , q u i a v a i t a t t i r é ces r e l ig i eux en F r a n c e .

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De l 'autre côté de la rue de Vaugirard et en face de la maison des Théat ins , se t rouvai t la communauté des Sulpiciens qui comprena i t un séminaire fondé pa r 01ier(3) en 1642 (à l 'emplacement de l 'actuelle rue de Langeac), mais r ap idemen t t ransféré à Paris près de l'église Saint-Sulpice, et un peu plus à l 'ouest, une vaste maison de campagne (si tuée en t re les deux rues de Langeac et Olier). Grâce à un passage souter ra in creusé sous la rue de Vaugirard, cet te maison de campagne communiqua i t avec un grand j a rd in longeant la p ropr ié té des Théat ins et possédant , sur la hau teur , une te r rasse avec belvédère d'où la vue étai t admirable .

A la Révolution, la maison de campagne des Théat ins était acquise p a r la ville de Paris en 1791. Il en était de m ê m e de la c o m m u n a u t é des Sulpiciens qui était rachetée, sous la Res taura t ion en 1829, pa r l 'abbé Poiloup pour y instal ler une annexe de son collège paris ien de la rue du Regard ; dans l 'ancien ja rd in des Sulpiciens, on bât issai t de grands locaux (4). Sous Louis-Philippe, l ' inst i tut ion Poiloup qui pr is le nom de Collège de l'Immaculée Conception, occupa une grande place dans le monde univers i ta i re et compta jusqu ' à 400 élèves dont les enfants des plus grandes familles de France.

Ayant péricl i té après 1848, cet é tabl issement était repr is par les Jésuites et sa prospér i té fut telle qu'il fallut l 'agrandir en cons t ru isant deux grandes ailes qui about issaient rue de Vaugirard. En 1865, on édifiait un peti t collège au fond de l 'ancien ja rd in des Théat ins , le long de la rue Vaugelas : il s'agit des locaux actuels de la Clinique thé rapeu t ique chirurgicale. Pa rmi les élèves de ce peti t collège, figura Charles de Gaulle aux a lentours de 1900(5). Après la loi de 1901 in terdisant aux congrégat ions religieuses d'enseigner, les Jésui tes fermaient leur por te en 1904 (6). Le pet i t collège fut t ransformé en hôpi ta l du ran t la Première Guerre mondia le : nous y reviendrons . Les au t res locaux eurent un sor t différent : dans l'aile si tuée le long de la rue Lacretelle, la Facul té de médecine installa, en 1928, un laboratoi re de vivisection qui fonctionna peu de t emps , car les cris des an imaux qu 'on y manipula i t , ne t a rdè ren t pas à ameu te r le quar t i e r ! L 'aut re aile, ayant son ent rée 391-393 rue de Vaugirard, abr i ta un certain t emps , une c o m m u n a u t é de Sœurs bleues dont il ne subsis te aucune t race bien que leur souvenir demeure vivant en ces lieux ; à présent , cette aile ainsi que l 'ancienne chapelle sont occupées par cer ta ins services des minis tères du Travail (7) et des Finances (8).

(3) Disc ip le d e Sa in t -V incen t -de -Pau l , O l i e r se c o n v e r t i t d a n s u n c o u v e n t d ' A u v e r g n e , à L a n g e a c , a v a n t d e f o n d e r le p r e m i e r s é m i n a i r e f r a n ç a i s e t d e c r é e r , à ce t effet , la c o m m u n a u t é de s S u l p i c i e n s .

(4) La c h a p e l l e r e n f e r m a i t le c o r p s d ' u n j e u n e m a r t y r d e 16 a n s r é c e m m e n t d é c o u v e r t à R o m e et o f fe r t , en 1839, p a r le p a p e G r é g o i r e X V I c o m m e p r o t e c t e u r de la j e u n e s s e .

(5) Le p è r e d u G é n é r a l , H e n r i de G a u l l e , é t a i t p r o f e s s e u r de p h i l o s o p h i e e t d ' h i s t o i r e chez les J é s u i t e s , a v a n t de f o n d e r , a p r è s 1904, u n é t a b l i s s e m e n t p r i v é d u c ô t é d e Sa in t -T h o m a s - d ' A q u i n .

(6) A la m ê m e é p o q u e , le p a s s a g e s o u t e r r a i n p a r o u c o m m u n i q u a i t l e u r s b â t i m e n t s s i t u é s d e p a r t e t d ' a u t r e d e la r u e de V a u g i r a r d , d i s p a r a i s s a i t avec le p e r c e m e n t de la l igne de m é t r o N o r d - S u d .

(7) I n s p e c t i o n d u T r a v a i l e t d e la M a i n - d ' Œ u v r e é t r a n g è r e ( d é l i v r a n c e de s c a r t e s de t r a v a i l .

(8) T r é s o r e r i e a u x a r m é e s .

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II. L'hospice de Vaugirard

Avant d 'aborder l 'hôpital de Vaugirard, il est bon d 'évoquer le souvenir! de l 'hospice du m ê m e nom dont l 'existence fut brève à la fin du XVI I I e siècle (une douzaine d 'années seulement) e qu'il ne faut pas confondre avec l 'hôpital actuel , car il se t rouvait , dans la g rande rue de Vaugirard, à 300 mè t res de là en amont .

En 1780, le l ieutenant général de police Le Noir, qui était également conseiller d 'E ta t et l 'un des chefs de l 'adminis t ra t ion des hôpitaux, créait , dans la commune de Vaugirard, un hospice de santé dest iné à recueillir les nouveau-nés et enfants t rouvés a t te in ts de maladie vénérienne (enfants « gastez »), leurs mères , les femmes enceintes ainsi que les nourr ices a t te in tes de la m ê m e maladie. Jusqu 'a lors , ces enfants « gastez » étaient mis en pension dans Paris ou envoyés à Bicêtre et à la Salpêtr ière où aucun t ra i t ement ne leur étai t appl iqué. Aussi Le Noir chercha-t-il à les guér i r en les faisant allaiter pa r des femmes at te int du m ê m e mal .

Cet é tabl issement qui pr i t peu après le nom d'hôpital de Vaugirard ou hospice de Vaugirad, fut installé dans les locaux de la seigneurie laïque (9) où il occupai t un espace considérable , délimité de nos jours pa r la rue de Vau­girard à la hau teu r des actuels n o s 355 à 371, et p a r les rues Dombasle , Olivier-de-Serres et Eugène-Gibez. En venant de Par is , il étai t s i tué à côté et j u s t e avant la maison de campagne du séminaire des Trente-Trois ( 10), qui se t rouvait elle même, un peu avant la maison des Théat ins .

Dans un livre écrit en 1785, et consacré à quelques hôpi taux civils, F. Doublet donne des rense ignements t rès détaillés sur cet é tabl issement qui compor ta i t 130 lits environ. Il indique tout d 'abord la composi t ion des bâ t imen t s : les chambres et les dor to i r s des malades que l'on séparai t tout à fait des sujets convalescents ou guéris ; la salle d 'accouchement , la phar­macie, le laboratoire , la lingerie... Ensui te , il développe le règlement qui visait à la fois l 'ordre, les soins et la police in tér ieure . Puis, il m o n t r e c o m m e n t se faisait l 'admission des femmes, à raison de 60 à 70 par an, par pr ior i té dans l 'ordre suivant : femmes vivant à Paris sans domicile, femmes se dérobant à leur famille, incapables de nour r i r , habi tan t la campagne ou la province, et enfin, celles qui étaient mar iées et domiciliées. Il t e rmine pa r les méthodes de t ra i t ement où dominaient , chez les femmes, les frictions avec l 'onguent mercur ie l c amphré auxquelles on ajoutai t la panacée à faible dose (deux grains seulement) répétées à intervalles plus ou moins éloignés ; on util isait plus r a remen t le subl imé et le mercu re gommeux ; chez les tout jeunes enfants, on se contenta i t de l 'al laitement pa r des nourr ices soumises au t r a i t ement mercur ie l ; et cet te mé thode consis tant à in t rodui re des molécules mercurie l les « dans les h u m e u r s » des enfants pa ru t donner de bons résul ta ts .

(9) C 'es t là q u e r é s i d a i e n t , d e p u i s t r o i s o u q u a t r e s ièc les , les s e i g n e u r s o u p a t r o n s de l 'égl ise p a r o i s s i a l e de V a u g i r a r d , d e v e n u e égl ise S a i n t - L a m b e r t .

(10) S é m i n a i r e , f o n d é en 1633, en f a v e u r d ' é co l i e r s i n d i g e n t s d e s t i n é s à la p r ê t r i s e , q u i r e c e v a i e n t d ' A n n e d ' A u t r i c h e de s b o u r s e s , a u n o m b r e de 33, en s o u v e n i r d e l 'âge d u C h r i s t .

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L'hospice de Vaugirard, qui dépendai t de l 'Hôpital général, subsis ta jusqu 'à la fin de 1792, da te à laquelle on le t ransféra au couvent des Capucins, faubourg Saint-Jacques, où fut créé le nouvel hôpital des Vénériens.

III. L'hôpital de Vaugirard

De 1914 à 1918, les locaux de l 'ancien pet i t collège des Jésui tes abr i tè rent un hôpital militaire, franco-brésilien, où des chirurgiens brésil iens étaient venus soigner nos blessés avec un matér ie l chirurgical offert pa r leur pays ; ceci explique les noms brésil iens (Bulhoès, Saboïa, Panas) por té , de nos jours , pa r quelques salles de malades ; s'y associe le nom d'un in terne (Clunet) tué du ran t la Première Guerre mondiale .

En 1921, l 'Université de Paris , à laquelle appar tena ien t les bâ t imen t s de l 'ancien hôpi ta l mili taire, met ta i t ces locaux à la disposit ion de l 'Assistance Publ ique qui créait l 'hôpital de Vaugirard et y installait une Clinique théra­peutique chirurgicale (de 160 lits) en accord avec la Facul té de médecine.

Dès l 'origine, l 'hôpital de Vaugirard étai doté d 'une instal lat ion radio-logique, de t rois laboratoi res (anatomie pathologique, bactériologie et chimie biologique) et de consul ta t ions .

Péné t ran t dans cet hôpital au n° 389, rue de Vaugirard, on pa rcour t une longue allée ombragée en laissant sur sa droi te les bâ t imen t s adminis t ra t i fs puis le service de médecine. Ayant gravi un vaste escalier bo rdé de pa r t e r r e s fleuris, on accède à une te r rasse sur laquelle s 'ouvre la Clinique thérapeut ique chirurgicale dont la façade por te encore l ' inscription des différents organismes ayant cont r ibué à sa créat ion (11) ; il s'y ajoute la m a r q u e personnel le de la Facul té de médecine de Paris dont les a rmes (12) ornent le fronton du bâ t imen t : t rois cigognes tenant dans le bec un r ameau d'origan et passant à gauche sous un soleil rayonnant , le tout su rmon té de la devise : Urbi et orbi salus (13).

Depuis la créat ion de la Clinique thé rapeu t ique chirurgicale, t rois chefs de service seulement se sont succédés du ran t soixante ans ou p resque : les professeurs Pierre Duval de 1921 à 1941, Jean Sénèque de 1943 à 1960, Marcel Roux de 1961 à nos j ou r s .

A leurs ta lents d 'opéra teur et d 'enseignant, ces t rois chirurgiens ajoutaient un penchant réel pour la pathologie digestive. Aussi s 'entouraient-ils de col laborateurs médicaux t rès qualifiés en gastro-entérologie : médecins

(11) U n i v e r s i t é de P a r i s ; F a c u l t é de m é d e c i n e ; A s s i s t a n c e P u b l i q u e de P a r i s ; F o n d a t i o n f r a n c o - b r é s i l i e n n e .

(12) T r è s r a r e s à p r é s e n t , c e s a r m e s se r e t r o u v e n t s u r q u e l q u e s b â t i m e n t s p a r i s i e n s : l ' a m p i t h é â t r e de W i n s l o w , 13, r u e d e la B u c h e r i e e t la g r a n d e gr i l le d u m u s é e Orf i la o u m u s é e D u p u y t r e n , s i t u é à l 'école p r a t i q u e d e la F a c u l t é de m é d e c i n e .

(13) I n s p i r é e d e la b u l l e d u p a p e N i c o l a s IV , en 1292, q u i a c c o r d a i t a u x l i cenc iés de P a r i s , le d r o i t d ' e n s e i g n e r d a n s t o u t e s les u n i v e r s i t é s , c e t t e dev i se d e la « t r è s s a l u t a i r e F a c u l t é » p r o c l a m a i t q u ' e l l e f o u r n i s s a i t en m é d e c i n s n o n s e u l e m e n t la vi l le , m a i s le m o n d e e n t i e r .

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consul tants (M. Chiray, Ch. Debray, P. Hil lemand, pour ne citer que les plus éminents) , radiologues (H. Béclère, P. Porcher , R. Le Canuet...), p ionniers de l 'endoscopie digestive (F. Moutier , Ch. Debray).

Complément indispensable d 'une clinique chirurgicale, un service de médecine était installé, en 1962, dans un bâ t imen t neuf (14) où se sont succédés, depuis la créat ion, plusieurs chefs de service : un général iste (M. Pestel), un gastro-entérologue (F. Besançon), deux cardiologues (A. Ger-baux, R. Picard) .

Mais on ne peut re la ter l 'his torique de l 'hôpital de Vaugirard sans re t racer l 'histoire des trois t i tulaires successifs de la Clinique thé rapeu t ique chirur­gicale.

Le professeur Pierre Duval

Pour le cent ième anniversaire de sa naissance, en 1974, son éloge a été p rononcé à l 'Académie de médecine, p a r Sylvain Blondin dans les t e rmes suivants .

Ce fut un grand opéra teur , d 'une vir tuosi té exceptionnelle et un savant intègre, d 'une br i l lante intelligence.

Après avoir été l 'assistant préféré d 'Edouard Quénu, il p rena i t la tête de la Clinique thérapeut ique chirurgicale que la ville de Paris créait pour lui en 1921, à l'âge de 47 ans.

Une fois à Vaugirard, il se consacrai t p resque exclusivement à la chirurgie digestive et devenait le chef d 'une école br i l lante dont les élèves furent pa rmi les meil leurs . Citons Jean Quénu, Banzet, Oberlin, Redon, Fèvre, Patel, Merle d'Aubigné, Jean Gosset, Billet, Mialaret , Mouchet, Dufour, Aboulker ; et pa rmi les in ternes des dernières années , Cauchoix, Marcel Roux, Morel-Fatio, J.-P, Binet.

Son service était é t ro i tement hiérarchisé . Une cour en toura i t le pa t ron et dès que sa voiture était annoncée, chefs de clinique et in ternes se préci­pi ta ient vers son bu reau pour l 'accueillir. Détail p ra t ique , il revêtait une tenue b lanche pour opérer , ce qui était une ra re té à l 'époque.

Avec ses ass is tants médicaux, Jean-Charles Roux, F. Moutier, et ses radiologistes, H. Béclère et P. Porcher , il publ ia deux gros at las de radiologie clinique sur les maladies de l 'estomac, du d u o d é n u m et des glandes annexes.

C'est dans les salles de radiologie de Vaugirard que furent vus, pour la p remiè re fois, les calculs du cholédoque et les calculs du pancréas .

Pa rmi ses nombreux t ravaux anatomo-cliniques, Pierre Duval décrivait , dès 1920, les carac tères de l 'ulcère de la pet i te courbure et il évaluait à 7 % le r i sque de dégénérescence des ulcères gas t r iques .

Il é tudiai t , également le t r a i t ement chirurgical d 'urgence de l 'appendicite aiguë, des perforat ions d 'ulcère, des rup tu re s de pyosalpinx.

(14) B a p t i s é d u n o m d e M a r c e l B r û l é q u i fu t l u i - m ê m e u n g a s t r o - e n t é r o l o g u e é m i n e m .

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Son rôle pendan t la guer re de 1914 fut considérable . Organisant les soins chirurgicaux à l 'arr ière du front, il s 'a t taqua n o t a m m e n t aux plaies de poi t r ine, aux plaies de l 'abdomen, aux f ractures des m e m b r e s .

La seconde guerre , le dépar t aux Armées de ses ass is tants et de ses in ternes , le laissèrent p resque seul dans son service de Vaugirard.

Le re tour de R. Merle d'Aubigné, son dernier assis tant , lui pe rmi t de rédui re son activité opératoi re . Ce fut celui-ci qui l 'opéra, en janvier 1941, d 'un mal fatal, au-dessus de toute ressource chirurgicale, dont il décédait peu après , à l'âge de 66 ans, dans son service : dans la pièce a t t enan te à son bureau , où il s 'était fait installer.

Le professeur Jean Sénèque

Il succède à Pierre Duval dont il n 'étai t pas l'élève, après u n in tér im de deux années assuré successivement p a r les professeurs Funck-Brentano et P. Brocq.

Pour re t racer sa personnal i té et sa carr ière , faisons appel aux éloges rédigés pa r deux de ses élèves, André Sicard et Marcel Roux.

L 'é tendue de son savoir, la sûre té de ses diagnostics, la c lar té de son exposit ion en firent un ma î t r e incomparable . Habile chirurgien, on eut dit qu ' en t re ses mains , le b is tour i devenait intelligent. Ce fut aussi u n h o m m e de conscience ; et quand on cherchai t à définir les ver tus du chirurgien, c'est son nom qui venait aussi tôt à l 'esprit .

L 'homme avait de l 'allure, de la p res tance : haut de taille, u n m a s q u e f inement bur iné qui eut comblé l 'a t tente du graveur s'il avait accepté de poser.

N o m m é à son deuxième concours d ' in ternat , en 1913, il fera toute la guerre dans des format ions régimentai res et n 'occupera son p remier pos te d ' in terne que six années plus tard , alors qu'il approchai t de la t ren ta ine .

Après avoir été successivement l'élève de Lecène, Gosset, Lenorman t et su r tou t de Be rna rd Cunéo dont il avait les mêmes origines méridionales , Jean Sénèque accédait à la Clinique thérapeut ique chirurgicale de Vaugirard, à l'âge de 53 ans .

Dans sa leçon inaugurale , il avait exposé sa conception de la chirurgie qui, selon lui, reposai t sur la méthode anatomo-clinique, tou en sachant uti l iser les méthodes modernes : physiologique, chimique, biologique.

A l 'exemple de son ami, Henr i Mondor, il avait le goût d 'écrire : rédigeant de nombreux « mouvement s chirurgicaux, col laborant à la Presse médicale et au Journal de chirurgie dont il fut l 'un des d i rec teurs les plus actifs, part i­c ipant au Précis de pathologie chirurgicale, au Précis de diagnostic chirurgical, à la Pratique médico-chirurgicale.

Avec M. Chiray et R.-A. Gutmann , il fondait , en 1944, les Confrontat ions radio-anatomocliniques de Vaugirard qui se t iendront , pendan t plus de vingt ans, à l 'hôpital de Vaugirard, dans l ' ampi théâ t re de la Clinique thé rapeu t ique chirurgicale. S 'adressant également à la pathologie osseuse, pu lmonai re , rénale..., ces confrontat ions se l imiteront b ientôt à la gastro-entérologie.

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Sur le plan opératoire , il fut le p remie r à réaliser une hépatec tomie gauche réglée en 1953. Avec ses élèves, n o t a m m e n t MM. M. Roux et C.-L. Châ-teloin, il décrivait des techniques chirurgicales, en par t icul ier pour le traite­men t des ulcères gas t roduodénaux, des cancers du bas-œsophage, des t umeur s de la jonct ion recto-sigmoïdienne.

Mais sa prédilect ion pour la gastro-entérologie ne l 'éloigna j amais d 'une p ra t ique é tendue à p resque tous les champs de l 'activité chirurgicale : il réalisait aussi volontiers une ostéosynthèse qu 'une gas t rec tomie ou une amputa t ion du rec tum ; et bon n o m b r e de ses publ icat ions concernent le t ra i t ement chirurgical des f ractures des m e m b r e s .

Un événement cruel m a r q u a la vie du professeur Sénèque. Ce fut la m o r t accidentelle de son ifls aîné qui br isa son élan vers le succès et l 'ancra davantage encore dans son sens du devoir.

Son dern ier ouvrage fut le Traité de thérapeutique chirurgicale qu' i l rédigea avec ses élèves : C.-L. Châtelin, J. Judet , R. Judet , M. Mercadier , L. Quénu, H.-G. Rober t .

Il étai t élu à l 'Académie de médecine, l 'année de sa re t ra i te , puis se ret i rai t dans le Midi pour y finir ses jou r s en 1968.

Le professeur Marcel Roux

Très a t taché à l 'hôpital de Vaugirard où il fut tour à tour élève de ses deux prédécesseurs , il y arr ivai t dès l'âge de 20 ans pour ê t re successivement externe puis in terne de Pierre Duval et p lus t a rd ass is tant de Jean Sénèque duran t de longues années ; et il y revenait définit ivement, en 1961, comme t i tulaire de la Clinique thé rapeu t ique chirurgicale à l'âge de 52 ans .

De l'avis unanime, on le t ient pour excellent opéra teur , formé dans les meil leures écoles chirurgicales. Son ta lent opéra to i re et ses vastes connais­sances le classent p a r m i les sommités actuelles de la chirurgie .

S'il est sobre de paroles à l 'Académie de chirurgie où il fait au tor i té , ses in tervent ions y sont pe rcu tan tes ; il en est de m ê m e aux Confrontat ions de Vaugirard n o t a m m e n t .

Successivement élève de Pier re Duval d 'où lui vient sa vocation chirur­gicale, de Lardennois , Mondor , Cunéo et enfin de Sénèque dont il par tage les origine médi te r ranéennes , le professeur M. Roux s'est or ienté pr inc ipa lement vers la gastro-entérologie et plus spécialement vers la pathologie du colon et des voies bil iaires.

Par ses concept ions chirurgicales , il au ra m a r q u é le t ou rnan t de la chirurgie moderne , basée sur la physiopathologie et l 'expérimentat ion, tou t en conservant la mé thode anatomo-cl inique i r remplaçable .

Alors qu'il étai t ass is tant du professeur Sénèque, il faisait équipe avec Ch. Debray et R. Le Canuet pour perfect ionner la r ad iomanomét r i e per-opéra to i re des voies biliaires et p o u r é tudier des sujets nouveaux : sipho-pathies , oddi tes , l i thiase cholédocienne.. . Les recherches dans cet te voie ont

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été poursuivies par ses ass is tants : M. Arsac et R. Ret tor i tout d 'abord, P. Vayre et J. Hureau ensui te . En m ê m e temps, il créait un Centre de chirurgie expérimentale , en annexe avec la Clinique thé rapeu t ique chirurgicale.

Sur le plan opératoi re , il s 'associait à son ma î t r e Sénèque, pour décrire des techniques de chirurgie gastr ique, œsophagienne, hépat ique ; et il fut le p remier à p roposer la résection recto-sigmoïdienne par voie abdominale pour le t ra i t ement des t u m e u r s de la jonct ion recto-sigmoïdienne.

A ses nombreuses publ icat ions et communica t ions , s 'ajoutent quelques t ra i tés de chirurgie et de pathologie digestive : Cancer du colon (avec F. Carcassonne) ; Pathologie chirurgicale des voies biliaires (avec Ch. Debray. R. Le Canuet et R. Laumonier ) ; Chirurgie de l'intestin grêle et du mésentère (avec J. Natali et P. Vayre).

Sa r enommé et l ' ampleur de ses t ravaux lui ont valu d 'être élu à l 'Académie de médecine en 1975.

Dans son service, il fait preuve de vivacité d 'espri t avec ses col labora teurs dont je suis ; et à l 'un d'eux (J.-P. Bourdais) qui l'a connu plus jeune, son regard vif dans un visage un peu émacié évoquait , à l 'époque, l 'expression de son il lustre concitoyen d'Ajaccio, « Bonapar t e au pont d'Arcole ».

Avec les années , le professeur Roux a fait école. Un cer ta in n o m b r e de ses élèves (une vingtaine environ) , sont devenus à leur tour chirurgiens des hôpi taux, professeurs ou agrégés ; et à l 'approche de la re t ra i te , sa succession s 'annonce assurée par l 'un d'eux (15).

Ainsi se cont inuera l 'or ientat ion gastro-entérologique qui a été celle de la Clinique thé rapeu t ique chirurgicale depuis sa créat ion.

IV. De nos jours

Depuis l 'éclatement de la Faculté de médecine de Paris , d u r a n t l 'année univers i ta i re 1968-1969, l 'hôpital de Vaugirard fait par t i e du Centre hospitalo-univers i ta i re Necker-Enfants-Malades qui regroupe également les hôpi taux Laënnec, Boucicaut et Corentin-Celton.

Ces dernières années, différents secteurs de l 'hôpital ont subi des modi­fications impor tan tes qui é taient motivées par les per fec t ionnements des moyens techniques (radiologiques, opéra to i res) : modern isa t ion du Service de radiologie ; rénovat ion du bloc opéra to i re auquel on donnai t le nom de Jean Sénèque d 'au tant que le pavillon des grands opérés qui lui fait suite por ta i t depuis longtemps le nom de Pierre Duval. Dans le cadre de l 'humani­sation des hôpi taux, les salles communes vétustés étaient remplacées pa r des chambres t rès modernes ; de même , les abords de l 'hôpital et ceux de la chirurgie subissaient un ra jeunissement au goût du jour .

Quant aux Confrontat ions de Vaugirard, elles ont été t ransférées , en 1968, à l 'hôpital Laënnec dans un ampi théâ t r e plus vaste, devant l 'affluence toujours plus grande des par t ic ipants .

(15) II s ' ag i t d u p r o f e s s e u r M i c h e l A r s a c , 4' t i t u l a i r e d e la C l i n i q u e t h é r a p e u t i q u e c h i r u r g i c a l e ; t o u t c o m m e s o n m a î t r e M a r c e l R o u x , il fut é lève d e ses d e u x p r é d é c e s s e u r s ( l e s p r o f e s s e u r s S é n è q u e et R o u x ) .

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En re t raçan t l 'histoire de l 'hôpital de Vaugirard, la vocation humani ta i re des lieux s'est imposée à nous . En effet, depuis plus de trois siècles, on a vu se succéder, au m ê m e endroi t ou dans les parages , t rois ou qua t re commu­nautés religieuses, deux é tabl issements scolaires, un hospice au m o m e n t de la Révolution, puis deux hôpi taux, l 'un mil i ta ire du ran t la Première Guerre mondiale , l 'autre civil, ayant dès l 'origine une dest inat ion à la fois hospital ière et univers i ta i re .

B I B L I O G R A P H I E

— Abbayes, monastères et couvents de Paris. — P a u l c i M a r i e - L o u i s e B I V E R . N o u v e l l e s E d i t i o n s L a t i n e s . P a r i s ( V I ) 1970.

— L'assistance ci Paris sous V Ancien Régime et pendant la Révolution. — L o u i s P . A R T U R I E R . L i b r a i r i e L a r o s e . P a r i s 1897.

— L'assistance aux enfants abandonnés à Paris du XVIe au XVIII" siècle. — F e r n a n d B O U S S A U L T . L i b r a i r i e L. R o d o t e i n . P a r i s 1937.

— Dictionnaire historique des rues de Paris. — J. H I L L A I R E T . Les E d i t i o n s de M i n u i t . P a r i s 1963.

— Eloge de Pierre Duval (1874-1941). — Sv lva in B L O N D I N . Bull. Acad. Nat. Méd. 1974, 158, 18-28.

— Histoire des communes annexées à Paris en 1859 : Vaugirard. — L u c i e n L A M B E A U , F . L e r o u x E d i t . 1 vol . P a r i s 1912.

— Histoire de la médecine et du livre médical. — A n d r é H A H N et P a u l e D U M A I T R E . Ol iv ier P e r r i n E d i t . P a r i s 1962.

— Histoire de la paroisse Saint-Lambert de Vaugirard. — J e a n R E B U F A T . I m p r i m e r i e Aux i l i a i r e . P a r i s 1930.

— Jean Sénèque (1890-1968). — A n d r é S I C A R D . La Presse médicale, 1968, 76, 2477-2478; M a r c e l R O U X . Journal de chirurgie, 1968, 96, 487-500.

— Leçon inaugurale (15 avril 1943). — J e a n S E N E Q U E , I m p r i m e r i e de P e r s a n - B e a u m o n t . P e r s a n (S-et -O) .

— Leçon inaugurale (25 octobre 1961). — M a r c e l R O U X . M a s s o n et Cie, P a r i s .

— Nos hôpitaux parisiens : un siècle d'histoire hospitalière. — P i e r r e V A L L E R Y - R A D O T . E d i t i o n s P a u l D u p o n t . P a r i s 1948.

— Observations faites dans le département des hôpitaux civils. — F r a n ç o i s D O U B L E T . P a r i s 1785.

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SOCIÉTÉ MONTPELLIÉRAINE D'HISTOIRE DE LA MÉDECINE

Rapport d'activité 1977 La Société montpelliéraine d'histoire de la médecine a poursuivi ses travaux

durant le premier trimestre 1977 sous la présidence du Dr Henri Estor. Voici les résumés des communications entendues :

Mademoiselle Odette Callamand : L'hôpital Saint-Marthe d'Avignon. Son histoire à travers un manuscrit inédit de Pierre Pansier. Il s'agit du manuscrit n° 5699 conservé à la bibliothèque Calvet d'Avignon. I!

comporte 334 feuillets. Il était prêt à l'impression lorsque son auteur mourut (1934). Son titre complet est « Histoire de l'hôpital Saint-Marthe d'Avignon depuis sa fondation jusqu'à la Révolution ». La fondation de Sainte-Marthe en 1354 est due à l'Avignonnais Bernard de Rascas. Elle a été autorisée par le pape Innocent VI, la papauté résidant alors à Avignon. Le fondateur précise les modalités de gestion : recteurs se réunissant en bureau particulier — personnalités de la ville se réunissant en bureau général — service religieux confié aux trinitaires, etc. On étudie particulièrement une boutique de chirurgie et une apothicairerie. Il y a, entre autres choses, une minutieuse description de la longue et solennelle préparation de la thériaque.

Professeur Jacqueline Caillé : Hôpitaux et charité publique à Narbonne au Moyen Age (fin Xr-fln XV e siècle). La documentation médiévale dont on dispose permet de dresser un tableau

assez complet de la vie hospitalière et charitable dans cette agglomération de la fin du XI e à la fin du XV e siècle. Cet historique montre le développement continu et régulier du nombre des établissements hospitaliers et institutions charitables de cette ville jusqu'au milieu du XIV" siècle. Ensuite, après un temps de « main­tenance », s'amorce un certain déclin qui est loin cependant de laisser Narbonne dépourvues. D'autre part, l'étude de l'organisation topographique des dits établis­sements, permet de constater qu'étroitement liés au réseau routier antique, ils sont répartis de manière équilibrée entre cité et bourgs, intra et extra muros. II est également possible d'analyser l'organisation administrative et économique des institutions charitables narbonnaises : direction supérieure et éminente, direction immédiate, temporels. Enfin, la description de la vie quotidienne, dans la mesure où elle est possible, amène à présenter le personnel d'exécution (frères et sœurs hospitaliers, domestiques, médecins), les assistés (pèlerins, malades pauvres) et le type d'assistance dont ils sont l'objet (soins de l'âme et soins du corps) et, enfin, les locaux où vit l'ensemble de la communauté hospitalière.

Professeur Andrée Mansau : Les médecins dans le théâtre au XVII siècle. Lope de Vega, Tirso de Molina et Molière, deux Espagnols, un Français. Dans

Les fontaines de Madrid, L'amour médecin, les farces jouées à Pézenas, ou Dom Juan, Monsieur de Pourceaugnac et Le malade imaginaire, ces trois auteurs de comédie mettent en scène des médecins, travestis ou authentiques. Leurs pièces révèlent une satire fort répandue au XVII e siècle contre le jargon des médecins, leur tenue et leur ignorance ; elles montrent aussi le déguisement du valet ou de la servante, la condition féminine, l'influence du théâtre espagnol sur le

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théâtre français. Lope de Vega peint l'aventure amoureuse d'une jeune file qui va prendre l'eau ferrée au petit matin dans les bois de Madrid ; Tirso de Molina, à partir d'une authentique femme médecin, analyse les sentiments amoureux d'une femme, travestie en homme, pour faire triompher ses sentiments ; Molière révèle « Le roman de la médecine ». Les trois auteurs font écho aux querelles et connaissances médicales du temps : maladie atrabilaire, chlorosis, querelle des circulateurs, remèdes minéraux, soins par l'eau, influence du psychisme sur l'état des malades. Si le théâtre réduit souvent le médecin à l'état de truchement qui favorise l'intrigue et les amours, il montre aussi l'angoisse devant la maladie et les relations entre les médecins et les malades.

Le bureau de la Société montpelliéraine d'histoire de la médecine a été renouvelé comme suit :

Président Docteur Henri ESTOR Vice-présidents Professeur Claude ROMIEU

Madame Claude FONTAINE Secrétaire général Docteur Louis DULIEU Trésorier Mademoiselle Yvette TITO

Le secrétaire général, Dr Louis Dulieu.

La Société mont pelliér aine d'histoire de la médecie a poursuivi ses réunions au cours du second trimestre de 1977, sous la présidence du Dr Henri Estor.

Voici les résumés des communications qui y furent faites :

Monsieur Jean-Denis Bergasse : La fondation de l'hôpital rural de Cazouls-lès-Béziers et le richissime Jean Anglade. Cazouls-lès-Béziers (Hérault) possède encore cet hôpital Saint-Jean sous forme

de maison pour vieillards et la survie de cette fondation effectuée en 1735 par un riche receveur des décimes natif du lieu, Jean Anglade, est trop rare pour rester si peu connue. Grâce à des archives privées, il est possible désormais de faire revivre l'aventure de cette fondation et de l'exemplaire donation de Jean Anglade qui, grâce à de sérieuses structures administratives, a établi une fondation durable. Par chance, les témoignages iconographiques sont encore nombreux pour faire revivre la plus grande fondation effectuée au XVIII e siècle dans cette région pour le plus grand soulagement d'une société déshéritée.

Docteur Bernard Long : Le « Livre du Cœur » du papyrus Ebers. C'est un ouvrage fondamental pour la compréhension des textes médicaux

égyptiens. Il contient une sorte d'anatomie et de physiologie du corps humain. Le cœur y est décrit comme le point de départ d'un système de « conduites » qui charrient les humeurs les plus diverses. L'organe cardiaque est situé à gauche et « parle » dans les conduits. Le médecin le perçoit par la palpation des pouls et des membres. L'air, l'eau et le sang courrent dans les m t w, canalisations et complexes musculo-tendineux du corps. La circulation est essentiellement pneu­matique et le « souffle de vie » innonde l'organisme. La théorie médicale égyptienne antique étonne par sa clairvoyance ; de nombreux aspects sont encore

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actuels. L'originalité, parfois naïve de cette science, mérite un intérêt particulier ; par ce côté, elle stimule notre intelligence comme un regard lucide et spontané.

Pharmacien Pierre Couetard : Aperçu nouveau sur Jean-Baptiste Fournier, pharmacien et académicien nîmois (1757-1833). Né le 7 janvier 1757, ce savant nîmois effectua une partie de son apprentissage

à Montpellier, termina ses études de pharmacie à Genève et revint à Nîmes en 1780 où il acheta, au mois de juin, une officine rue Saint-Antoine, qu'il transféra en 1793 à son emplacement actuel, 1, boulevard Victor-Hugo où elle représente, de nos jours, la plus ancienne pharmacie de la ville encore existante. Ornithologiste et taxidermiste réputé, directeur de la Salpêtrière à la Révolution, il réalisa trois tableaux authentiques de chimie qui, selon une lettre presonnelle de Lavoisier « ont résolu un problème difficile : celui de présenter dans un très petit espace l'ensemble de la chimie ». Il inventa un « appareil ambulant propre à la distillation des esprits, eaux-de-vie et principalement des marcs de raisin » et effectua une démonstration publique à Mèze le 16 fructidor an XIII .

Cité par Parmentier pour ses travaux sur le sirop de raisin, il introduisit dans le département du Gard la culture du ricin et extraya des graines une huile purifiée qui fut primée, après sa mort, lors de l'Exposition sur les produits de l'Industrie française, qui se tint à Paris le 1" mai 1834.

Le secrétaire général, Dr Louis Dulieu.

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La Société montpelliéraine d'histoire de la médecine a poursuivi ses travaux au cours du quatrième trimestre de 1977, endeuillée par le décès de son président, le docteur Henri Estor, survenu au mois d'octobre 1977.

Voici les résumés des communications qui furent présentées :

Professeur Hervé Harant : L'écologie : naissance, évolution et pathologie d'un mot.

« Ecologie » est un mot récent qui a été, de nos jours, galvaudé et déformé. C'est Haeckel qui l'employa pour la première fois en 1866, encore le fit-il en allemand (oekologie). Il s'agissait de l'étude du milieu dans lequel vivent les êtres vivants et, surtout, l'interaction entre êtres vivants et milieu. Mais il est bien évident qu'on avait fait de l'écologie sans le savoir depuis Hippocrate et Aristote en passant par les maîtres de la Renaissance. Plus près de nous, on pourrait citer Charles Darwin et l'entomologiste Fabre. L'apparition de cette science remonte pourtant au XIX 1 siècle avec A.-P. de Candolle, créateur de la phytosociologie et ses élèves montpeiliérains parmi lesquel Charles Flahault et M. Braun-Blanquet. La phytosociologie était la science de la végétation dans son ensemble (biocénèse) dont Georges Kuhnholtz-Lordat fut un des grands artisans à Montpellier même et au Muséum. Les zoologistes se penchèrent à leur tour sur l'interaction des animaux et de leur milieu. Parmi ceux-ci, on peut citer Etienne Rabaut, de Paris, ainsi que François Pichard. Montpellier s'y intéressa à son tour avec Jean Lichtenstein puis avec Pierre-Paul Grasse, Montpelliérain et Parisien. Par la suite, les savants portèrent leur attention sur l'épidémiologie comme Emile Brunet, Max Sorre et Charles Nicolle. Comme on le voit, Montpellier et Paris ont joué un rôle important dans la genèse et dans l'évolution de l'écologie et ce n'est pas par hasard si l'ancienne chaire de botanique et d'histoire naturelle médicale de Montpellier est devenue, de nos jours, îa chaire d'écologie et de parasitologie médicale.

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Abbé René André : Un ami du Languedoc : le Majorquin Raymond Lulle. Sa vie, sa pédagogie. Raymond Lulle (1235 ?-1316 ?), Majorquin, penseur profond, écrivain très

prolifique, apôtre de la conversion des musulmans, fut un ami du Languedoc et vint souvent à Montpellier où il retrouvait son souverain le roi d'Aragon Jacques II. A côté d'ouvrages philosophiques, théologiques et de controverse, il a laissé des livres de pédagogie, le Blanquerna, écrit en grande partie à Montpellier, et le Doctrina puéril. Sa méthode d'éducation est particulièrement novatrice pour son temps : on doit partir du connu à l'inconnu et du concret à l'abstrait. L'esprit de cet enseignement est très juvénile car Lulle est affectueux et gai. Il valorise la personnalité de l'élève. Beau programme toujours actuel

Docteur Louis Dulieu : Le professeur Pierre Chirac. Pierre Chirac naquit à Conques (Aveyron) au mois de juillet 1648. Il est le

fils d'un humble menuisier. Après ses études secondaires à Rodez, il envisagea un moment la prêtrise puis se dirigea vers la médecine à l'âge de 29 ans. Ses études médicales se déroulèrent à Montpellier en 1683 seulement, probablement à titre exceptionnel car, au cours des années précédentes, il avait longuement fréquenté les bancs de l'Université à titre bénévole pendant qu'il remplissait, pour vivre, les fonctions de précepteur, d'abord chez l'apothicaire Jean Carquet, ensuite chez le chancelier de l'Université de médecine Michel Chicoyneau. Il obtint très rapidement la survivance de la chaire de Jérôme Tenque dont il hérita à sa mort en 1687. Son professorat fut assez révolutionnaire pour l'époque car il envisagea de traiter la médecine dans son ensemble. Cet enseignement ne l'empêcha pas de s'absenter longuement pour aller servir aux armées, en Espagne d'abord, à Rochefort ensuite, en Italie et à nouveau en Espagne enfin, cette fois-ci auprès du duc d'Orléans qu'il eut la chance de guérir d'une blessure au poignet grâce à des applications d'eau de Balaruc. Son séjour à Montpellier fut marqué par une controverse entre Raymond Vieussens et Jean Astruc au sujet d'un « sel acide » du sang. Appelé à Paris auprès du duc d'Orléans devenu Régent de France en 1716, il le servit jusqu'à sa mort en 1723. Son fils le retint alors auprès de lui. Les honneurs affluèrent en même temps : intendant du Jardin du Roi, lettres de noblesse, premier médecin du Roi enfin, en 1731, à la mort de Jean-Baptiste Dodart. Sa carrière touchait alors à sa fin puisqu'il mourut à Marly le 1 e r mars 1732.

Son œuvre, sans être importante, touche à des sujets très divers. A travers elle et à travers son activité médicale, il apparaît à la fois comme un anatomiste, un anatomo-pathologiste, un chimiste, un médecin, un chirurgien et un botaniste. Ses doctrines le rapprochèrent d'abord de Van Helmont puis des iatro-mécaniciens, notamment de Borelli. Il montra enfin un penchant pour ce qu'on allait appeler au siècle suivant l'anatomie comparée. Ses écrits n'ont pas une portée de premier plan bien que certains ne manquent pas d'originalité. A noter cependant son traité sur les maladies des gens de mer, sujet dans lequel il se montra un véritable précurseur car il y aborde non seulement la médecine navale mais encore la médecine exotique. Chirac lutta mais en vain pour obtenir la création d'une Académie de médecine, ayant échoué devant l'obstination de la Faculté de médecine de Paris. Par contre, il fit créer à Montpellier un doctorat mention chirurgie qui, sur le moment, ne connut pas de succès mais qui devint de rigueur après sa mort, amorçant ainsi la réunion de la chirurgie à la médecine qui fut enfin consacrée en 1794.

Le secrétaire général, Dr Louis Dulieu.

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Le doyen Gaston Giraud et l'histoire de la médecine

par le docteur Louis D U L I E U *

Le 16 février 1975 moura i t le doyen Gaston Giraud, prés ident de la Société montpel l iéra ine d 'his toire de la médecine. Il ne nous appar t i en t pas de re t race r ici sa vie et son œuvre , tan t professorale que décanale, mais nous ne saur ions laisser passer sous silence le rôle qu'il a joué touchan t à l 'histoire de la médecine montpel l iéra ine .

Il ne semble pas que celle-ci ait é té une de ses préoccupat ions d u r a n t une bonne par t ie de sa vie en t iè rement or ientée vers l 'exercice de la médecine et l 'enseignement clinique, mais il n 'en sera plus de m ê m e le j o u r où il accédera aux fonctions décanales, recevant en héri tage le prest igieux passé de cet te vénérable maison qu 'est la Facul té de médecine de Montpellier.

Ayant pr is conscience de ce passé, il en t repr i t sans plus t a rde r la res taura t ion des bâ t imen t s de l 'ancien monas t è r e Saint-Benoît et Saint-Germain, siège de la Facul té depuis la Révolution seulement , mais auquel se ra t t achen t t an t de souvenirs du passé médical montpel l iéra in depuis le Moyen Age jusqu ' à la fin du X V I I I e siècle. Le t emps avait fait son œuvre et aussi les hommes , modif iant les façades pa r des cons t ruc t ions de mauvais goût ou pa r l 'ouver ture de fenêtres , faisant d i spara î t re inut i lement les amé­nagements ou les décorat ions in tér ieures , etc. M. Giraud se donna pour tâche de r end re à ces vieux m u r s leur aspect an té r ieur chaque fois que cela étai t possible, r edonnan t à l 'ensemble une uni té depuis longtemps oubliée. Ces res taura t ions en profondeur pe rmi ren t en ou t re de révéler à chacun les précieux vestiges du passé complè tement oubliés comme la salle ogivale souter ra ine si tuée sous la salle Dugès ou un passage longitudinal malheu­reusement inaccessible au publ ic .

(*) C o m m u n i c a t i o n fa i t e à la S o c i é t é m o n t p e l l i é r a i n e d ' h i s t o i r e d e la m é d e c i n e le 20 d é c e m b r e 1975.

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L'intérieur de la Faculté ne fut pas oublié chaque fois que la res taura t ion s'avéra possible comme la salle Dugès, dont les fresques remonta ien t à Jacques Lordat ou sur tou t la salle des Actes, encombrée de tou te pa r t par les tableaux accumulés en un siècle et demi. Dans cette « Aula », un revê tement vert pâle plus en r appo r t avec le lieu fut choisi cependant que les fresques de l 'ancienne chapelle étaient remises en valeur. Les tableaux furent disposés pa r o rd re chronologique tout en tenant compte de leur taille, de la valeur de cer ta ines toiles, des personnal i tés médicales les plus éminentes mais aussi du fond des toiles, sombre ou clair, suivant les m u r s exposés ou non à la lumière .

Dans les au t res salles d 'appara t , c omme dans la salle des Actes d'ail leurs, les toiles furent net toyées avec soin, débarassées pour cer ta ines de la fumée des bougies qui s'y étaient amoncelée depuis plus de 3 siècles, ce qui fut, pour cer ta ins por t ra i t s , une véri table révélation. Quelques toiles détér iorées l u ren t res taurées avec ar t ainsi que cer ta ins cadres .

La bibl iothèque, elle, ne connut pas de grandes t ransformat ions , les salles ayant conservé leur aspect d 'antan. L'une d'elles, sous les combles, permi t toutefois de faire r éappara î t r e les mâchicoulis médiévaux qui avaient é té enrobés dans les const ruct ions de l'aile Béra rd le long du boulevard Henri-IV.

Le musée Atger fut cependant mis en valeur d 'une façon originale grâce à des armoires-vi tr ines qui pe rmet ten t , depuis , d ' admirer commodémen t les chefs-d'ceuvres qu'elles cont iennent tout en les protégeant d 'un publ ic un peu t rop empressé . Dans une salle voisine, des vi tr ines d 'un au t re genre pe rmi ren t une meil leure conservat ion des archives tout en offrant à la curiosi té des vis i teurs quelques-unes des pièces les plus impor tan tes de cet te collection un ique au monde .

Il faudrai t , pour en t e rmine r avec cet te œuvre grandiose, par ler de la res taura t ion des amphi théâ t res , du musée ana tomique , des salles de rayonnage de la bibl iothèque, mais tout cela nous en t ra înera i t t rop loin de no t re sujet .

Il est cependant une dernière œuvre à laquelle Gaston Giraud a t tachai t beaucoup de prix mais qu'il ne pu t mene r à bien : une nouvelle énuméra t ion des premiers maî t res de l 'Ecole, en r emplacement de celle f igurant sur les p laques de m a r b r e de l ' a t r ium dont le texte est p o u r le moins fantaisiste. De nombreux scrupules quan t au choix des noms à retenir , compte tenu de leur t rès g rand n o m b r e et de l'exiguité relative de ces plaques de m a r b r e , ne lui pe rmi ren t pas d ' a r rê te r à t emps un texte définitif ! Son souhai t au ra pu toutefois ê t re réalisé quelques années plus t a rd sous le décanat de M. le professeur Jacques Mirouze.

Ce passé ainsi ressurgi sous nos yeux devait inciter le doyen Giraud à p rendre la p lume, se serait-ce que pour présenter à tous celui de la maison dont il avait la charge. Ceci nous valut une t rès impor t an te Vue panoramique sur l 'histoire de la médecine à Montpellier ainsi qu 'un remar­quable Atlas iconographique dont les exemplaires sont au jourd 'hu i introu­vables. Bien plus tard, il devait re t racer , à son tour, l 'histoire de la Société montpel l iéra ine d 'histoire de la médecine lors de la publ icat ion d 'une p laquet te consacrée à cette société. ..

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Il est cependant un au t re sujet h is tor ique auquel le doyen Giraud t int tout par t icu l iè rement : l 'histoire de l ' internat des hôpi taux de Montpell ier dont l 'origine vénérable remonta i t au 23 août 1732. Ayant pr is en main les dest inées de l'Annuaire de l'Internat, il en fit un impor tan t volume dans lequel il nous fit l 'honneur de publ ier l 'historique que nous avions rédigé à son intention, y appor t an t une foule de précisions complémenta i res sur l 'époque contempora ine au m o m e n t où l ' internat a connu de si grands bouleversements . Ainsi pa ru ren t deux impor t an t s Annuaires, l 'un en 1958, l 'autre en 1968. La maladie ne lui pe rmi t pas d'en publ ier un t rois ième mais sa famille, dans un geste pieux, utilisa les notes accumulées qui pe rmi ren t l ' impression d'un nouvel annuai re , pos thume, dès la fin de l 'année 1975.

Outre la foule de rense ignements divers contenus dans les annuai res (listes chronologiques, adresses , etc.), ces édit ions cont iennent encore une collection absolument r emarquab le de photographies représen tan t la total i té des groupes d ' internes depuis 1886 jusqu ' à 1975. Sous chaque photographie , le n o m de l ' interne a été donné suivant la place qu'il occupe dans le groupe, ce qui const i tue, à lui seul, un travail de bénédict in.

Nous ar r ivons ainsi au XVI" Congrès international d'histoire de la médecine qui se t int à Montpellier au mois de sep tembre 1958. Gaston Giraud avait accepté avec empressement que cet te grande rencon t re internat ionale , qui devait réuni r les his tor iens de la médecine du m o n d e entier, ait lieu dans sa vénérable faculté désormais complè tement res taurée . C'est lui-même qui t int à faire les honneurs de « sa » maison à chacun des congressistes, p r enan t une pa r t active au déroulement des t ravaux du Congrès.

Cette année 1958 coïncidait , avec bonheur , avec le cent ième anniversai re de l 'organe officiel de la Facul té de médecine : Montpellier médical. C'était une occasion à ne pas laisser passer , aucun organe officiel univers i ta i re français ne pouvant se pa re r d 'une pareille ancienneté . A cet te occasion-là, Gaston Giraud décida la publ icat ion d 'un n u m é r o spécial en t iè rement consacré à l 'histoire médicale montpel l iéra ine. Y par t ic ipèrent , ou t re le doyen Giraud, MM. les professeurs Turchini , Granel, Ha ran t et Laux ainsi que Mademoiselle Vidal et nous-même. Un exemplaire de ce n u m é r o fut offert à chacun des congressi tes .

Parvenu à la re t ra i te , le professeur Giraud, qui était depuis longtemps m e m b r e de la Société montpel l ié ra ine d 'histoire de la médecine, décida de par t ic iper plus act ivement encore aux t ravaux qui s'y déroulaient . C'est ainsi qu'il accéda tout na ture l lement à la prés idence en 1968 et qu'il ne devait p lus la qui t te r jusqu ' à la dernière réunion du mois de décembre 1974.

Ces séances ne le t rouvèrent j amais pr is de court , mon t ran t , dans les commenta i res qui s 'ensuivaient, combien grande était son érudi t ion, ce qui nous valut, bien souvent, une seconde conférence dont la durée égalait parfois la p remière .

L'histoire de la médecine montpel l iéraine doit donc beaucoup à M. le doyen Gaston Giraud. Il était bon que toutes ces choses-là soient dites pour m o n t r e r combien, avec un peu d ' amour du passé , il est possible, en mat iè re d 'his toire de la médecine tout au moins , de faire de grandes choses.

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Communications faites par le doyen Gaston Giraud à la Société montpelliéraine d'histoire de la médecine.

— Quelques précisions sur l'élection du professeur Grasset à la municipalité de Montpellier (1965).

— Sur un remarquable souci d'orthodoxie en matière d'inventaire (1965).

— Une figure médicale et spirituelle extraordinaire de notre temps : Elisabeth Lafourcade (1966).

— Le professeur Alexandre Aimes. Souvenir d'un ami et d'un témoin (1970).

— Le pain maudit de Pont-Saint-Esprit et ses mystères (1972).

*

Publications médico-historiques du doyen Gaston Giraud (à l'exception des notices nécrologiques).

— Annuaire de l'internat des hôpitaux de Montpellier. Montpellier, Causse — Graille — Castelnau, 1958.

— La Faculté de médecine de Montpellier à travers les âges. Vue panoramique. Montpellier médical, 99e année, 3E série, tome 54, n" 1, 1958.

— La Faculté de médecine de Montpellier (texte et atlas iconographique). Mont­pellier, Causse — Graille — Castelnau, 1959.

— La Faculté de médecine de Montpellier (texte et atlas iconographique). Avignon, Aubanel, 1965.

— Annuaire de l'internat des hôpitaux de Montpellier. Avignon, Aubanel 1968.

— La Société montpelliéraine d'histoire de la médecine. Montpellier, Publioffset, 1972.

— Supplément à l'annuaire de l'internat des hôpitaux de Montpellier (1908-1975). Montpellier, le Paysan du Midi, 1975.

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Prosper-Hippolyte Golfin

par le docteur Louis D U L I E U

Guillaume-Prosper-Hippolyte-François-Antoine Golfin naqui t à Béziers le 25 juin 1780. Il est le fils de François-Aphrodise Golfin, greffier en chef à la Cour royale de Montpellier, et de Cather ine Javes. Il fit ses é tudes secon­daires à Béziers et sa phi losophie à l 'Ecole centra le de Montpell ier en 1797, après quoi il aborda les é tudes pha rmaceu t iques . A ce moment- là , l'école de pharmac ie de Montpell ier n 'avait pas encore été ouver te alors que la Révolution avait suppr imé la format ion donnée aux apothicai res de l'Ancien régime. L'école de médecine avait donc décidé m o m e n t a n é m e n t d 'assurer la relève grâce à un cycle de trois années d 'é tudes te rminées p a r une sor te de thèse modes t emen t appelée Essai (1). C'est ainsi que Golfin reçut son diplôme de pharmac ien le 28 the rmidor an VI I I .

La f réquentat ion de l'école de médecine avait-elle influencé ses idées ? Toujours est-il qu'il abandonna alors ses pro je t s pr imit i fs pour se livrer aux é tudes médicales , é tudes qui furent couronnées p a r un essai le 21 pluviôse an XI (1803) après avoir servi un ins tant c omme chef de clinique à l 'hôpital Saint-Eloi dans les services d 'Henri Fouquet et de Victor Broussonnet qui y enseignaient tous deux la clinique in terne.

Not re nouveau médecin se fixa alors à Montpell ier où il exerça tout en faisant quelques publ icat ions dans les j ou rnaux médicaux de l 'époque. En même temps , à la demande du préfet de l 'Héraul t , Nogaret , il avait ouvert et dirigé dès 1806 un véri table cen t re de réanimat ion puisqu' i l s 'agissait de por t e r secours aux asphyxiés et aux noyés. Golfin resta longtemps, dit-on, à la tête de cet é tabl issement sur lequel nous aur ions a imé en savoir davan­tage car son di recteur a cer ta inement fait figure de p récurseur dans ce domaine .

Il est curieux que l 'activité alors déployée ne l'ait pas incité à tenter sa chance dans les concours ouver ts à la faculté de médecine dans les dernières années de l 'Empire . Il le regre t ta pa r la suite et fit m ê m e une pét i t ion à Paris pour le ré tabl i ssement de ces concours suppr imés par Louis XVII I . Est-ce cet te démarche ou plus s implement sa valeur ? Toujours

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est-il qu'il fut compr is pa rmi les agrégés inst i tués à Montpell ier le 5 janvier 1825. Il n 'assura pas ces fonctions pendan t longtemps cependant , ayant ob tenu dès le 3 sep tembre 1827, la chaire d'hygiène. Celle-ci était devenue vacante par suite du passage de son t i tulaire, Frédér ic Bérard , dans la chaire de thé rapeu t ique et de mat iè re médicale le 23 m a r s précédent . Trois agrégés avaient été proposés pa r la Facul té : Golfin, Hippolyte Rech et Jean-Pierre-César Bourquenod (2). C'est Golfin qui fut choisi. Il n'y avait pas eu de concours , celui-ci é tant réservé aux agrégés qui seraient nommés après 1825. Béra rd é tant m o r t peu après , Golfin obt in t à son tour de passer dans cet te chai re de thé rapeu t ique et de mat iè re médicale plus conforme à ses goûts, ce qui eut lieu en 1828. Il devait res ter dans cet te place j u squ ' à sa m o r t survenue à Montpell ier le T"" février 1863 à l'âge de 82 ans.

Prosper-Hippolyte Golfin avait épousé Marguerite-Jeanne-Claire-Rose Coste de Béziers comme lui (3). De ce mar iage devait na î t re un fils, Charles-Louis-François-Antoine Golfin, qui fut docteur en médecine (4).

Golfin nous a laissé un cer ta in n o m b r e de t ravaux. Son essai pour obteni r le d iplôme de pha rmac ien démon t re combien la bo tan ique le captivait dans sa jeunesse mais , après avoir é tudié les différentes par t ies de végétaux, il aborde l 'influence que peuvent avoir sur eux les agents chimiques (5). Ce dern ier mot est cependant employé ici dans un sens t rès large puisqu' i l y est su r tou t quest ion du calorique, de la lumière et du fluide électr ique. Dans ce dernier domaine, il avait é té influencé pa r les t ravaux de l 'abbé Pierre Ber tholon sur l 'électricité des végétaux (6).

Sa thèse de médecine aborde pa r cont re les asphyxies. C'est là u n travail t rès consciencieux et t rès complet pour l 'époque. Après avoir établi le diagnostic différentiel, il examine tou r à t ou r les différents modes d'asphyxie connus de son t emps ainsi que les t r a i t ements cor respondan t s (7). On comprend mieux, à la lecture de cet te thèse, pourquo i le préfet de l 'Héraul t lui demanda , t rois ans plus tard , de diriger un cen t re de « réanimat ion » public. Disons que cet te thèse n 'étai t pas encore le t r ibu t académique condui­sant au doctora t car, à cet te époque-là, le doc tora t en médecine n 'avait pas encore été ré tabl i . Il s'agit-là d 'une formali té équivalente qui fut reconnue comme thèse pa r la suite. Une par t ie de ce travail , le chapi t re concernant les nouveau-nés, devait faire l 'objet d 'une au t r e publ icat ion en 1808 (8).

Les journaux montpel l iéra ins nous font connaî t re , par la suite, qua t r e observat ions différentes. La première por te sur une fièvre in te rmi t ten te o r t i ée (9 ) qui fit l 'objet d 'un mémoi re plus impor tan t l 'année suivante (10). La seconde, sur u n cas qui n 'est peut-être pas t rès différent du p remie r (11). La t rois ième sur une observat ion de ré tent ion d 'ur ine (12). La dernière , sur le t ra i t ement de la « b lennhorragie syphili t ique » par la thérébent ine de copahu (13).

Golfin n 'ayant pas abordé les g rands concours pour devenir agrégés puis professeur, nous n 'avons pas de lui de thèses de concours . Par contre , son

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accession à la chaire d'hygiène puis à celle de thérapeut ique nous vaudont plusieurs leçons qui seront impr imées .

La p remiè re sera sa leçon d 'ouver ture du cours d'hygiène dans laquelle il expose son p r o g r a m m e (14). Les suivantes in téresseront pa r cont re son au t re chaire . Nous aurons ainsi un discours sur la thé rapeu t ique chez l 'homme (15), une é tude sur la mat iè re médicale et ses indicat ions (16), un travail t rès fourni sur la pha rmacodynamie (17), un essai sur la vérification scientifique dans les sciences en général et dans la médecine en par t icul ier (18), enfin une é tude sur les affections spécifiques (19).

Le p remier de ces t ravaux est d ' inspirat ion h ippocra t ique . Après différentes générali tés sur la maladie , les agents modif icateurs , etc . Golfin m o n t r e comment on doit é tudier l 'homme, quelle est la doctr ine qui pe rme t le mieux de le connaî t re , quelles sont les méthodes susceptibles de modifier un état pathologique et de r amene r l 'organisme à l 'état normal ?

Le second précise quand on doit agir et commen t dé te rminer ce moment-là.

Le t rois ième, véri table t ra i té de 240 pages, a p o u r bu t de préciser l 'emploi des médicaments pha rmacodynamiques . Le mot « pha rmacodynamie » est ainsi précisé p a r l 'auteur : « La connaissance des propr ié tés physicochimiques et dynamiques de substances naturel les ou artificielles dont l 'usage est, en général, é t ranger au régime de la santé et p resque exclusif au t ra i t ement de l 'état morb ide ». Ce livre s ' inspire des précédents écri ts mais il aborde aussi la p répara t ion des agents médicamenteux , leur association, l 'art de formuler , les différentes voies d 'adminis t ra t ion , etc. Certes, Golfin y démont re large­m e n t que le vi tal isme est sa doct r ine et il le défend au besoin cont re le contro-st imuline, l 'anatomo-pathologisme, l 'organicisme et le physiologisme, mais il est t rès à son aise dans ce domaine car le vi tal isme n'exclut aucune théra­peut ique de son système. Malgré ces considérat ions, ce livre res te quand m ê m e un ouvrage essentiel lement p ra t ique .

L'avant-dernier travail envisage les différentes méthodes de vérification scientifique : l 'observation, l 'expérience, l 'analogie, l 'éducation, la s ta t i s t ique et m ê m e le calcul des probabi l i tés . L 'auteur sait ut i l iser les moyens mis à sa disposit ion, mais il veut aussi qu 'on s'en serve p o u r réfléchir et en déduire des pr incipes généraux. D'où son désir de voir créer à Montpell ier une chaire de philosophie médicale.

Le dern ie r écrit enfin a pour bu t de démon t r e r l 'existence d'affections po r t an t sur l 'al térat ion des forces vitales, sujet alors controversé dans les écoles anti-vitalistes. C'est dans ce travail qu'il sera amené à par ler d 'une « force modificatr ice » à laquelle il donne à peu près le m ê m e sens que celui qu 'Hippocra te donnai t au mot « na tu r e ».

Golfin devait encore publ ier une é tude secondaire sur l 'usage du mercure dans l 'hydrocéphalie (20).

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Nous avons mis à pa r t pour t e rminer l'Eloge funèbre qu'il p rononça lors de la m o r t de Jean-Baptiste-Thimotée Baumes en 1828. C'est là une impor t an t e cont r ibut ion à l 'histoire de la médecine bien que cet éloge n'ait qu 'un faible n o m b r e de pages. Baumes , en effet, n 'a pas eu d 'au t res b iographes que lui en raison de son carac tère qui lui avait valu beaucoup d 'ennemis pa rmi ses collègues profeseur . Golfin n 'en a que plus de mér i t e d'avoir évoqué la vie et l 'œuvre de ce ma î t r e qui a quand m ê m e g randement honoré l'école à laquelle il a appa r t enu (21).

En résumé, Prosper-Hippolyte Golfin appara î t , à t ravers ses œuvres , comme un prat ic ien de beaucoup de bon sens, sachant à la fois observer et réfléchir. Ses connaissances sont t rès grandes , souvent même poussées à l 'extrême, mais il ne m a n q u e jamais de général iser afin de s'élever au-dessus des cas par t icul iers , embrassan t ainsi de plus vastes domaines . E n mat iè re de doctr ines , ses conclusions sont ne t t ement vitalistes, non pas tel lement parce qu'il est un élève de Montpellier, que parce qu'il es t ime que c'est la seule doctr ine qui élève la pensée. La thé rapeu t ique sera pour lui u n moyen d 'aider la na tu re et non pas une façon de se subs t i tuer à elle. A côté de vitalistes parfois t rop figés dans le respect de la parole du maî t re , il se m o n t r e un défenseur intelligent de la doct r ine de Montpell ier qu'il explique et justifie pa r ses nombreuses années de p ra t ique .

ΠU V R E S D E P R O S P E R - H I P P O L Y T E G O L F I N

— « C o n s i d é r a t i o n s s u r le végé ta l vu d a n s ses r a p p o r t s a n a t o m i q u e s , p h y s i o l o g i q u e s e t c h i m i q u e s ». M o n t p e l l i e r , V e , J . M a r t e l a î n é , a n V I I I (45 p a g e s in 4°) .

— « E s s a i s u r l ' a s p h y x i e ». M o n t p e l l i e r , J .G. T o u r n e l , a n X I (84 p a g e s in 4°) .

— « O b s e r v a t i o n s u r u n e a s p h y x i e d ' u n n o u v e a u - n é c a u s é e p a r la s u r a b o n d a n c e d e s m u c o s i t é s e t s u r la n é c e s s i t é d e l ' e m p l o i d ' u n é m é t i q u e p o u r p r é v e n i r la j a u n i s s e q u i , q u e l q u e f o i s , e s t c o n s é c u t i v e à l ' a sphyx i e ». Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie ou Recueil périodique de la Société de médecine de Paris. T o m e X X X I , 1808 (5 p a g e s in 8").

— « O b s e r v a t i o n d ' u n e f ièvre p e r n i c i e u s e i n t e r m i t t e n t e o r t i é e ». Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie ou Recueil périodique de la Société de médecine de Paris. T o m e 55, 1816 ( I I p a g e s in 8°).

— « O b s e r v a t i o n s u r u n c a s d e m e r b u s m a c u l o s u s h e m o r r h a g i c u s s t é n i q u e ». Annales cliniques de la Société de médecine pratique de Montpellier. T o m e 9, 1820 (8 p a g e s in 8°) .

— « Réf lex ion s u r l ' e spèce p r é c é d e n t e d e r é t e n t i o n d ' u r i n e ». Nouvelle annales cliniques de la Société de médecine pratique de Montpellier. T o m e I , 1822 (3 p a g e s in 8°) .

— « O b s e r v a t i o n s u r les e f fe ts p r o d u i t s p a r t r o i s o n c e s d e t é r é b e n t h i n e de c o p a h u p r i s e s en u n e d o s e d a n s u n c a s d e b l e n n h o r r a g i e s y p h i l i t i q u e ». Nouvelles annales cliniques de la Société de médecine pratique de Montpellier. T o m e 2, 1822 (10 p a g e s in 8°) .

— « N o t i c e b i o g r a p h i q u e s u r M. B a u m e s , p r o f e s s e u r à l a f acu l t é d e m é d e c i n e d e M o n t p e l l i e r ». Ephémérides médicales de Montpellier. T o m e 8, 1828 (15 p a g e s in 8°) .

— « M é m o i r e s s u r l ' e x a n t h è m e ortie o u l ' u r t i c a i r e e t o b s e r v a t i o n s u r l a f i èv re i n t e r ­m i t t e n t e p e r n i c i e u s e p o u r s e r v i r à l ' h i s t o i r e d e s f ièvres i n t e r m i t t e n t e s p e r n i c i e u s e s ».

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Ephémérldes médicales de Montpellier. T o m e 9, 1828 (81 p a g e s in 8°) . A u t r e é d i t i o n s é p a r é e : M o n t p e l l i e r , J . M a r t e l a î n é , 1829 (83 p a g e s in 8°).

— « P r o g r a m m e d u c o u r s d ' h y g i è n e p r i v é e e t p u b l i q u e a p p l i q u é e à l ' é t io logie , à la p r o p h y l a c t i q u e et à la t h é r a p e u t i q u e ». M o n t p e l l i e r , J . M a r t e l a î n é , 1828 (39 p a g e s in 4°) .

— « D i s c o u r s s u r l ' h o m m e c o n s i d é r é c o m m e s u j e t de la t h é r a p e u t i q u e ». M o n t p e l l i e r , J M a r t e l a î n é , 1836 (39 p a g e s in 8°).

— « D e l ' o cca s i on ou d e l ' o p p o r t u n i t é en m a t i è r e d e t h é r a p e u t i q u e ». M o n t p e l l i e r , J M a r t e l a î n é , 1839 (117 p a g e s in 8°).

— « E t u d e s t h é r a p e u t i q u e s s u r la p h a r m a c o d y n a m i e a u p o i n t d e v u e d e la s o l u t i o n de ces q u e s t i o n s : P o u r q u o i , q u a n d e t c o m m e n t le m é d e c i n doi t- i l e m p l o y e r les a g e n t s p h a r m a c o d y n a m i q u e s ? » M o n t p e l l i e r , J . M a r t e l a î n é , 1845 (240 p a g e s in 8° ).

— « E s s a i s u r la m é t h o d e de vé r i f i c a t i on s c i e n t i f i q u e a p p l i q u é e a u x sc i ences en g é n é r a l , à la m é d e c i n e e t à la t h é r a p e u t i q u e en p a r t i c u l i e r ». M o n t p e l l i e r , J . M a r t e l a î n é , 1846 67 p a g e s in 8°).

— « De l ' ex i s t ence d e s a f f ec t i ons s p é c i f i q u e s de l ' a g r é g a t h u m a i n d é m o n t r é e p a r la m é t h o d e de vé r i f i c a t i on s c i e n t i f i q u e ». M o n t p e l l i e r , L. C a s t e l , 1847 (63 p a g e s in 8°).

— « De la p r é é m i n e n c e d e la m e r c u r i a l i s a t i o n s u r les a u t r e s m é d i c a m e n t a t i o n s d a n s la t h é r a p e u t i q u e d e l ' h y d r o c é p h a l i e a i g u ë p a r v e n u e à la p é r i o d e d ' é p a n c h e m e n t ». Gazette médicale de Montpellier n° 11 (15 f é v r i e r 1847) e t 12 (15 m a r s 1847).

B I B L I O G R A P H I E

I. — S O U R C E S M A N U S C R I T E S

A r c h i v e s d e la f acu l t é de m é d e c i n e de M o n t p e l l i e r : S. 109 t e r ( R e g i s t r e s de s d é l i b é r a t i o n s ) .

I I . — A U T E U R S

B O U I S S O N F . — D i s c o u r s p r o n o n c é a u x funé ra i l l e s de M. le p r o f e s s e u r Golf in . Montpellier médical, m a r s 1863.

D U L I E U L. — Les r é c e p t i o n s p r o v i s o i r e s d e p h a r m a c i e n s fa i t es p a r l 'école d e m é d e c i n e d e M o n t p e l l i e r . Languedoc médical, n° 1, 1964.

H A H N L. — Ar t ic le Golf in , in : Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales d e A. D e c h a m b r e . P a r i s , Assel in e t C ' e , G. M a s s o n , 1883.

I I I . — A U T R E S S O U R C E S

Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie ou Recueil périodique de la Société de médecine de Paris. T o m e 19 ( a n XII-18U4) et 31 (1808).

Gazette médicale de Montpellier. A n n é e s 1840 (n° 8), 1841 (n° 29), 1846 ( n o s 8 e t 11).

Journal de la Société de médecine pratique de Montpellier. T o m e I I (1845).

N O T E S I N F R A P A G I N A L E S

(1) V o i r à ce s u j e t L. D U L I E U : « Les r é c e p t i o n s p r o v i s o i r e s d e p h a r m a c i e n s f a i t e s p a r l ' école de m é d e c i n e de M o n t p e l l i e r ». Languedoc médical, n° 1, 1964.

(2) E n ce q u i c o n c e r n e R E C H , v o i r L. D U L I E U : « Le p r o f e s s e u r R E C H ». Monpeliensis Hippocrates », n° 33, 1966. P o u r B O U R Q U E N O D , v o i r é g a l e m e n t L. D U L I E U : « Les B o u r q u e n o d », Languedoc médical, n° 4, 1962. J e a n - P i e r r e - C é s a r B O U R Q U E N O D e s t le fils de P i e r r e B O U R Q U E N O D et le pet i t - f i l s d ' a u t r e P i e r r e B O U R Q U E N O D , t o u s d e u x p r o f e s s e u r s a u Col lège r o y a l d e c h i r u r g i e d e M o n t p e l l i e r . S a m è r e s ' appe l l a i t P h i l i p p i n e -M a r g u e r i t e F E R R I E R E . Il é t a i t n é à M o n t p e l l i e r le 22 ju i l l e t 1789 e t il y m o u r u t le 7 f év r i e r 1840. I l a v a i t é t é a g r é g é de 1825 à 1838 et c o n s e i l l e r m u n i c i p a l . J .P .C. BOUR-

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Q U E N O D ava i t é p o u s é le 2 m a i 1811 C a t h e r i n e - A m i n t e C H R E S T I E N , fille d e J e a n - A n d r e C H R E S T I E N e t d 'Anne -F ranço i se -Fé l i c i t é B O U R E L Y

(3) Fi l le d e J a c q u e s - A n t o i n e C O S T E , n é g o c i a n t d e B é z i e r s , e t de M a r i e - M a d e l e i n e T H E V E N E A U .

(4) I l deva i t s ' a p p a r e n t e r a u x B O U R O U E N O D c i t é s p l u s h a u t p a r s o n m a r i a g e avec A m i n t e - R a y m o n d e - M a r i e B O U R Q U E N O D .

(5) Considérations sur le végétal vu dans ses rapports anatomiques, physiologiques et chimiques. M o n t p e l l i e r , V e , J . M a r t e l a î n é , a n V I I I (45 p a g e s in 4") .

(6) V o i r à ce su j e t L. D U L I E U : « L ' a b b é B e r t h o l o n ». Cahiers lyonnais d'histoire de la médecine, t o m e V I , n" 2, 1961.

(7) Essai sur l'asphixie ( s ic ) . M o n t p e l l i e r , J .G. T o u r n e l , a n X I (8 p a g e s in 4") .

(8) « O b s e r v a t i o n s u r u n e a s p h y x i e d ' u n n o u v e a u - n é c a u s é e p a r la s u r a b o n d a n c e d e s m u c o s i t é s e t s u r la n é c e s s i t é d e l ' e m p l o i d ' u n é m é t i q u e p o u r p r é v e n i r la j a u n i s s e q u i , q u e l q u e f o i s , es t c o n s é c u t i v e à l ' a s p h y x i e ». Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie ou Recueil périodique de la Société de médecine de Paris. T o m e X X X I , 1808 (5 p a g e s in 8°) .

(9) « O b s e r v a t i o n d ' u n e f ièvre p e r n i c i e u s e i n t e r m i t t e n t e o r t i é e ». Journal général de médecine, de chirurgie et de pharmacie ou Recueil périodique de la Société de médecine de Paris. T o m e 55, 1816 (11 p a g e s in 8°) .

(10) « M é m o i r e s u r l ' e x a n t h è m e ortie ou l ' u r t i c a i r e e t o b s e r v a t i o n s s u r la f ièvre i n t e r m i t t e n t e p e r n i c i e u s e o r t i é e , p o u r s e r v i r à l ' h i s t o i r e d e s f i èvres i n t e r m i t t e n t e s p e r n i c i e u s e s ». M o n t p e l l i e r , J . M a r t e l a î n é , 1829 (83 p a g e s in 8°) ; e t Ephémérides médicales de Montpellier. T o m e 9, 1829 (83 p a g e s in 8°).

(11) « O b s e r v a t i o n s u r u n c a s de M o r b u s m a c u l o s u s h e m o r r a h a g i c u s s t é n i q u e ». Annales cliniques de la Société de médecine pratique de Montpellier. 2 : s é r i e . T o m e 9, 1820 8 p a g e s in 8° ).

(12) « Réf l ex ions s u r l ' e spèce p r é c é d e n t e de r é t e n t i o n d ' u r i n e ». Nouvelle annales de la Société de médecine pratique de Montpellier. T o m e 1, 1822 (3 p a g e s in 8°).

(13) « O b s e r v a t i o n s u r les effe ts p r o d u i t s p a r t r o i s o n c e s d e t é r é b e n t h i n e d e c o p a h u p r i s e s e n u n e d o s e d a n s u n c a s d e b l e n n h o r r a g i e s y p h i l i t i q u e ». Nouvelle annales cliniques de la Société de médecine pratique de Montpellier. T o m e 2, 1822 (10 p a g e s in 8°).

(14) « P r o g r a m m e d u c o u r s d ' h y g i è n e p r i v é e e t p u b l i q u e a p p l i q u é e à l ' é t io log ie , à la p r o p h y l a c t i q u e e t à la t h é r a p e u t i q u e ». M o n t p e l l i e r , J. M a r t e l a î n é , 1828 (39 p a g e s in 4°) .

(15) « D i s c o u r s s u r l ' h o m m e c o n s i d é r é c o m m e s u j e t de la t h é r a p e u t i q u e ». M o n t p e l l i e r J. M a r t e l a î né , 1839 (71 p a g e s in 8°).

(16) « De l ' occas ion o u de l ' o p p o r t u n i t é e n m a t i è r e d e t h é r a p e u t i q u e ». M o n t p e l l i e r J. M a r t e l a î n é , 1836 (117 p a g e s in S " ) .

(17) « E t u d e s t h é r a p e u t i q u e s s u r la p h a r m a c o d y n a m i e a u p o i n t d e v u e de la s o l u t i o n d e c e s q u e s t i o n s : P o u r q u o i , q u a n d e t c o m m e n t le m é d e c i n doi t- i l e m p l o y e r les a g e n t s p h a r m a c o d y n a m i q u e s ? ». M o n t p e l l i e r , J. M a r t e l a î n é , 1845 (240 p a g e s in 8° ).

(18) « E s s a i s u r la m é t h o d e d e vé r i f i c a t i on s c i e n t i f i q u e a p p l i q u é e a u x s c i e n c e s e n g é n é r a l à la m é d e c i n e e t à la t h é r a p e u t i q u e en p a r t i c u l i e r ». M o n t p e l l i e r , J. M a r t e l a î n é , 1846 (67 p a g e s in 8°) .

(19) « De l ' ex i s t ence d e s a f f ec t i ons s p é c i f i q u e s d e l ' a g r é g a t h u m a i n d é m o n t r é e p a r la m é t h o d e d e vé r i f i c a t i on s c i e n t i f i q u e ». M o n t p e l l i e r , L. Cas t e l , 1847 (63 p a g e s in 8°) .

(20) « D e la p r é é m i n e n c e de la m e r c u r i a l i s a t i o n s u r les a u t r e s m é d i c a m e n t a t i o n s d a n s la t h é r a p e u t i q u e de l ' h y d r o c é p h a l i e a i g u ë p a r v e n u e à la p é r i o d e d ' é p a n c h e m e n t . » Gazette médicale de Montpellier, n" 11 ( p . 163) e t 12 ( p . 177), 1847.

(21) « N o t i c e b i o g r a p h i q u e s u r M. B a u m e s , p r o f e s s e u r à la f a c u l t é d e m é d e c i n e de M o n t p e l l i e r ». Ephémérides médicales de Montpellier. T o m e 8, 1828 (15 p a g e s in 8°) .

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Page 79: histoire des sciences medicales

Un manuscrit inachevé de Grasset : Pierre Pomme et les maladies nerveuses

au XVII I e siècle

par Jean M O N T E I L *

La bibl iothèque de la Faculté de médecine de Montpell ier a reçu en don, de la famille du professeur Joseph Grasset (1849-1918), un manusc r i t inachevé du ma î t r e et un dossier qui en éclaire l 'é laborat ion (H 721).

L'ouvrage qui nous est ainsi révélé devait t ra i te r de Pierre P o m m e (1728-1814), médecin qui se spécialisa dans le t r a i t ement des maladies nerveuses ou, comme il disait aussi , dans le langage du temps , « vaporeuses ». En t r e sa biographie et l 'étude de son œuvre , Grasset se proposa i t d ' insérer une série de por t ra i t s cons t i tuant un tableau des maladies nerveuses au X V I I I e siècle : si ce tableau est t rès avancé et la biographie achevée, l 'étude de l 'œuvre se rédui t à une in t roduct ion bibl iographique.

L'histoire du manuscr i t revit, d ' au t re par t , dans le dossier joint , qui nous offre des notes de lecture de Grasset et une abondan te cor respondance , avec, sur tout , un ami dont les recherches lui appor t è ren t beaucoup : le docteur Guil laume Martin-Raget, d'Arles (1859-1912). Grasset lui demanda , le 12 sep tembre 1895, quelques compléments b iographiques sur P o m m e : il combla son a t tente , avec une passion é tonnan te et un dés in téressement admi­rable .

Cette corespondance nous m o n t r e Grasset p le inement engagé dans la recherche , aux vacances de 1895 et de 1896. Après un silence de deux ans et demi, désespérant de t rouver le t emps nécessaire, il suggère à Martin-Raget (avril, juil let 1899) d 'écrire lui-même u n ouvrage complet sur P o m m e : de ce projet , auquel celui-ci semble avoir songé, on ne connaî t aucune réalisation. Nouveau silence de trois ans . Enfin, le 30 mai 1902, Grasset écrit à Martin-Raget son intent ion de lui r emet t re , le 3 juin, tous les documents dont il dispose, avec une ent ière délégation pour l 'achèvement.

(*) C o m m u n i c a t i o n fa i t e à la Soc i é t é m o n t p e l l i é r a i n e d ' h i s t o i r e d e la m é d e c i n e .

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Page 80: histoire des sciences medicales

Un document t rès émouvant semble ê t re la suite immédia te de cet te entrevue : un brouil lon de let tre , où Martin-Raget supplie Grasset d 'achever le manusc r i t dont il vient de p rend re connaissance. Il y proc lame l ' importance h is tor ique de P o m m e : « C'est un jalon, un t e rme à exhumer , une de ces colonnes romaines qui m a r q u e n t les routes » et juge Grasset seul digne de r endre à ce « révolut ionnaire médical » l 'hommage nécessaire et u rgen t qui lui est dû. « Il faudrai t », ose-t-il lui écr ire , « ne plus penser qu ' à cela ».

Ici s 'a r rê tent les documents : sans doute Grasset confirma-t-il son pre­mier refus. Dix ans plus ta rd , moura i t à Arles l 'auteur de ce plaidoyer passionné, à qui l 'ouvrage inachevé devait t an t et sans qui peut-être Grasset , — à supposer qu'i l y ait songé —, se serait fait scrupule de le publier .

L'équilibre de l 'ouvrage semble avoir donné quelque souci à Grasset : nous voyons Martin-Raget, dans le broui l lon de le t t re cité plus haut , regre t te r avec lui la longueur relative excessive de la deuxième par t ie , qui étai t le fruit d 'un labeur considérable . Celle-ci répondai t pou r t an t à la conception, qu'il expr ime ail leurs (1), de l 'homme expliqué par l 'étude de son milieu. Les por t ra i t s qu'elle t race gardent , en tout cas, le plus vif intérêt .

Mme du Deffand est, pour Grasset , l 'un des r ep résen tan t s les plus comple ts du siècle. Il d iagnost ique chez elle une névrose dont il voit dans son « ennui à la mor t » le symptôme capital . Il décri t la duchesse de Chaulnes, avec l ' incohérence de tout son compor t emen t . Il mon t re , chez la pr incesse de Lamballe, le courage effaçant les anciens symptômes de névrose. De la névrose de Mme du Châtelet, il d iscerne un facteur favorisant dans l 'insuffisance du sommeil . En Mlle de Lespinasse, il voit une grande hystér ique. Il r emarque , chez Mme du Barry, l 'a l ternance de gaieté factice et de noire mélancolie. Il considère Voltaire sous l 'aspect de malade imagi­naire , c'est-à-dire, selon lui, névrosé ; des ci tat ions, étalées su r un demi-siècle, le mon t r en t annonçan t régul ièrement sa mor t imminen te à ses corres­pondan t s : « J 'ai passé m a vie à mour i r », « Je m e u r s en détail »...

Mais le vrai sujet du livre était Pierre Pomme . Ses dates de naissance et de mor t , longtemps indiquées de façon fantaisiste, ont été, pour la p remiè re fois, établies pa r Grasset et Martin-Raget. Issu d 'une famille de médecins , t rès considérée à Arles, il vint, dès l'âge de 16 ans (1744), é tud ie r la médecine à Montpell ier ; il est reçu docteur le 10 août 1747. Il devait se t rouver , pa r la suite, en cons tante opposi t ion avec sa Facul té d'origine

Son premier séjour à Arles (1751-1766) établi t sa réputa t ion , qui s 'étend t rès au-delà de la ville et de la région. Voici b ientôt la p remiè re œuvre sur un cas d 'hystérie, longuement suivi, j u squ ' à la guérison : Relation de la maladie de Mlle ... (1754) (2). Voici le p remier essai de synthèse : Essai sur les affections vaporeuses des deux sexes... (1760) (3). Voici enfin, derr ière u n libellé anonyme, les p remiers ennemis .

(1) Le m é d e c i n de l ' a m o u r a u t e m p s de M a r i v a u x . E t u d e s u r B o i s s i e r de S a u v a g e s d ' a p r è s d e s d o c u m e n t s i n é d i t s . — M o n t p e l l i e r , C. Cou le t ; P a r i s , G. M a s s o n , 1896.

(2) Ar les , i m p r . G a s p a r d M e s n i e r .

(3) P a r i s , D e s a i n t e t S a i l l a n t .

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Pomme s'installe à Paris en 1766 : médecin consul tant du roi, il le peut sans se soumet t r e à de nouvelles é tudes . Il y connaît à la fois la grande vogue et de féroces persécut ions . Attaqué pa r le Journal de médecine, il donne, dans le Nouveau recueil des pièces publiées pour l'instruction du procès que le traitement des vapeurs a fait naître parmi les médecins... (1771) (4), le texte des a t t aques et de ses p ropres réponses .

Cependant s'est levé pour lui un défenseur i l lustre : Voltaire, à l 'article Démoniaques du Dictionnaire philosophique, le donne comme pro to type de la médecine scientifique qui remplace les anciens exorcismes. Ayant rappelé un exorcisme a t t r ibué à saint Paulin, il a joute : « Nous pouvons doute r de cette his toire en conservant le plus profond respect pour les vrais miracles ; et il nous sera pe rmis de dire que ce n 'est pas ainsi que nous guérissons au jourd 'hu i les démoniaques . Nous les saignons, nous les baignons, nous les purgeons doucement , nous leur donnons les émolliens ; voilà co mme M. Pomme les t ra i te ; et il a opéré plus de cures que les p rê t res d 'Isis et de Diane, ou d 'aut res , n 'ont j amais fait de miracles ». Cet hommage public amène un échange de let t res : « Quand je vous en tends célébrer mes miracles vous me donnez envie d'en faire », écrit P o m m e à Voltaire (5), qui r épond ' « J'ai de la foi à votre Evangile » (6).

P o m m e qui t te b r u s q u e m e n t Paris pour Arles, en février 1772, après que ses ennemis ont exploité le décès de deux clientes, la marqu i se de Bezons et la comtesse de Belzunce. Là-dessus, une campagne d'affiches le donne tantô t pour mor t , t an tô t pour expatr ié , tan tô t pour fou.

Son dernier séjour à Arles n 'est guère i n t e r rompu que par un voyage à Paris , en 1776, pendan t lequel P o m m e place un épisode sinistre : le médecin par t icul ier de Mgr de Broglie, évêque de Noyon, auprès de qui P o m m e a été appelé, aura i t fait intoxiquer son client (qui m o u r u t b ientôt ) , dans le seul dessein de déconsidérer son confrère. Selon la t radi t ion ar lésienne, bien des grandes dames de la Cour viennent à Arles consul ter Pomme. Celui-ci cont inue à écr i re : il publie, en 1782, la 5 e édit ion de son ouvrage le plus célèbre, qui s ' inti tule ma in tenan t : Traité des affections vaporeuses des deux sexes... (7) ; la 6 e et dernière édition pa ra î t r a en l'an VII (8). Il joue, sous la Révolution, un rôle poli t ique, qu 'a pour la p remiè re fois élucidé le docteur Martin-Raget : il incarne la rés is tance d'Arles à l 'extrémisme que p ré tend imposer Marseille. Il t e rmine sa vie tapageuse dans un oubli dont l 'ouvrage de Grasset, res té inédit, n 'a pu le t i rer .

Ouvrage substant iel , malgré son inachèvement , et assez r iche pour intéresser , de l 'historien de la l i t t é ra ture au psychiatre , un vaste public .

(4) P a r i s , i m p r . J . T h . H é r i s s a n t p e r e . (5) Journal encyclopédique, 15 j u i n 1771, p . 63. (6) Id . , 15 n o v e m b r e 1771, p . 124. (7) P a r i s , I m p r . r o y a l e . (8) P a r i s , C u s s a c .

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Balzac et les savants de l'Université de Montpellier :

Pyrame de Candolle et Chaptal

par G e o r g e s P R A D A L I É *

L'historien Ch. Moragé a pu dire : « En 180U ce qui gouverne la science occidentale c'est l ' Inst i tut de France, plus par t icu l iè rement l 'Académie des sciences. » Balzac, historien de la société de son temps , est un excellent témoin de ce développement scientifique. Sa p remière rencont re avec la science de son t emps a dû se faire au collège de Vendôme où il fit ses é tudes . Dans la bibl iothèque, il existait de nombreux ouvrages scientifiques : les œuvres de Gassendi, Newton, la physique de l 'abbé Nollet. Un des d i rec teurs du collège était Jean-Philibert Dessaignes, savant et phi losophe. Mais il ne ne faut pas exagérer cet te influence : « la pente du goût du jeune Balzac était a lors l i t téraire ».

C'est à Paris, dans ses années de format ion (ent re 1820 et 1824), que tout en poursuivant des é tudes l i t téraires et phi losophiques , il en t re en contact avec les milieux scientifiques de son t emps . Pour Balzac il existe deux pôles d 'a t t rac t ion : le Muséum d'histoire naturel le où enseignent des gens aussi prest igieux que Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire et l 'Observatoire dont le d i rec teur est François Arago.

Balzac, qui d'ail leurs hab i te ra de 1828 à 1836 rue Cassini (près de l'Obser­vatoire) , est t rès lié avec toute la famille Arago. D 'abord avec Et ienne Arago (frère de François) , son col laborateur pour les r o m a n s de jeunesse , sous le pseudonyme de Dom Rago. Plus tard, il songera à composer des pièces de théâ t re avec E m m a n u e l Arago. L'un comme l 'autre facili teront ses r appor t s avec François Arago. Celui-ci est un des h o m m e s les plus célèbres de Paris p a r sa vaste intelligence, sa science et l 'exquise u rban i té de ses maniè res . Comme Balzac, il a une vitalité ext raordinai re . « C'était le feu et la poudre , et

(*) C o m m u n i c a t i o n fa i te à la S o c i é t é m o n t p é l l i é r a i n e d ' h i s t o i r e de la m é d e c i n e .

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il s 'emparai t , bon gré, mal gré, de ses audi teurs , avec sa parole claire, incisive, pareil le à ces to r ren t s en tumul t e qui s 'élancent des rochers avec une sorte de joie impétueuse en para issant au j o u r » (Brongniar t ) . Pour le g rand savant Humbold , c'était « la plus forte tê te de son t emps ». Comme l'a m o n t r é Madeleine Fargeaud dans sa thèse (p . 107), c'est d 'une conversat ion scientifique avec Balzac qu 'a dû na î t re en 1834 le thèse du grand r o m a n « La Recherche de l'absolu ».

Mais l 'autre grand cent re scientifique était le Muséum d'histoire naturel le où se t rouvaient quelques savants fameux en par t icul ier Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Balzac a dû suivre leurs cours , lire leurs ouvrages. Son admi­ra t ion pour Cuvier s'affirme dans « La Peau de chagrin » de 1831. Plus ta rd en 1835 il r encon t re ra Geoffroy Saint-Hilaire qui aura , nous le savons pa r la préface de la Comédie humaine (1842), une influence capitale sur sa conception de « l 'unité de composi t ion » du m o n d e vivant.

Mais c'est un personnage beaucoup moins prestigieux qui sera l ' intro­duc teur de Balzac au Muséum : Lemercier , suppléant de Deleuze. C'est Lemercier qui m e t t r a en r appor t Balzac avec Pyrame de Candolle.

**•

Pour tan t à côté des rencont res de Balzac, il faut tenir compte de ses innombrables lectures dont l 'abondance défie note imaginat ion. E t ici, il faut faire une place à Jean-Antoine Chaptal , comte de Chante loup. Ce Lozérien fut docteur en médecine de Montpell ier en 1777, professeur de chimie en 1781. Il créa une indus t r ie chimique à Montpell ier (fabricat ion d'acide sulfurique, d 'a lum artificiel). En 1793, quoique condamné à m o r t par con tumace co mme Girondin, il organisa le Service des poudres qui con t r ibua à la victoire des a rmées révolut ionnaires . A la fondation de l ' Ins t i tu t de France, il en devint un m e m b r e éminent . Plus ta rd Bonapar t e en fit, de 1800 à 1804, son min is t re de l ' In tér ieur et c'est à ce t i t re qu'i l pe rmi t à la vieille faculté de médecine de Montpell ier de ressusci ter après la t ou rmen te révolut ionnaire . Il a publié des ouvrages impor tan t s , en par t icul ier de nombreux t ra i tés de chimie a p p l i q u é e ; en par t icul ier : L'art de faire le vin (1801-1819); un Traité théorique et pratique de la culture de la vigne (1801-1811) ; un Traité de chimie appliquée aux arts (en 1807). Or Chaptal est souvent cité dans l 'œuvre de Balzac. Dans sa b rochure Du droit d'aînesse (1824) où il défend, cont re l 'opinion libérale, le droi t pour le fils aîné de recueillir la plus grande par t ie de l 'héritage de ses pa ren t s , il cite Chaptal . Le droit d 'aînesse se justifie, dit-il, pa r les avantages économiques de la g rande propr ié té . Une grande par t ie du sol de la France consiste en forêts et en vignobles, la s ta t i s t ique l 'évalue au t iers . Or, d 'après une au tor i t é reconnue, Chaptal , il est avéré que la cul ture de la vigne demande une grande fixité dans la p ropr ié té et su r tou t une for tune considérable . Cet économiste a r e m a r q u é que les seuls beaux vignobles étaient (avant 1789) ceux qui avaient pour propr ié ta i res l 'Eglise et les grandes familles ; il en est de m ê m e pour les forêts... « les forêts d'Eglise étaient les plus belles... » .

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Or l ' information est exacte. Dans son « Traité sur la culture de la vigne » (1801) Chaptal es t ime que la division ter r i tor ia le excessive ru ine le pet i t p ropr ié ta i re . « Il faut ê t re dans l 'aisance pour cultiver la vigne avec avantage.. . Avant la Révolution, les mei l leurs vignobles appar tena ien t aux moines.. . » E t c'est vrai, en par t icul ier en Bourgogne. « Les moyens d 'amé­liorer, de renouveler , ne leur m a n q u e n t jamais. . . » Sur les forêts , on t rouve dans « l 'analyse des procès-verbaux » des conseils généraux pour l'an X (Chaptal é tant minis t re de l ' In tér ieur) , une é tude qui conclut au lamentable état des forêts dont les causes de des t ruct ion viennent de la division des propr ié tés et des mult iples abat t i s que font la p lupa r t des nouveaux acqué­reu r s ; pa r cont re la magnif ique forêt de la Grande Char t reuse s 'explique pa r la sagesse des moines qui font des coupes chaque 80 ans pour des taillis et chaque 150 ans pour les g rands bois . Cette idée de la supér ior i té de la g rande propr ié té sur le plan économique sera développée en 1840 dans Le Curé de village et aussi dans Les Paysans.

Dans César Birotteau, Balzac par le beaucoup d ' industr ie chimique et il a dû s ' informer dans le livre si impor t an t de Chaptal De l'Industrie française où le Comte de Chanteloup récapi tule avec en thous iasme les progrès « des a r t s chimiques en France depuis 30 ans ».

Mais la rencon t re capitale de Balzac fut celle qu'il eut avec Pyrame de Candolle à Genève en 1833. Il était a lors au sommet de sa carr ière , il avait écrit quelques-unes de ses œuvres les plus impor t an te s : Les Chouans, les Scènes de la vie privée, La Peau de chagrin, Le Médecin de campagne, Louis Lambert, e tc . Il venait à Genève pour r encon t re r la grande dame dont il étai t follement amoureux , la comtesse polonaise Eveline Hanska . Mais chez Balzac, les préoccupat ions sent imenta les s 'accompagnent d 'obligations litté­ra i res . Le d imanche 17 novembre 1833, il avait été chez le sculpteur Bra, cousin de son amie Marceline Desbordes-Valmore. Il r aconte ainsi cet te visite à Madame Hanska . « ... J'y ai vu le plus beau chef-d'œuvre qui existe. C'est Marie t enan t le Christ enfant adoré pa r deux anges... Là j ' a i conçu le plus beau livre, un pet i t volume dont Louis Lamber t serait la préface, une œuvre inti tulée Séraphi ta . Séraphi ta serai t les deux na tu res en un seul ê t re comme Fragolet ta , mais avec cette différence que je suppose cet te c réa tu re en ange arr ivé à sa dernière t ransformat ion en br i san t son enveloppe, pour m o n t e r aux cieux. Il est a imé p a r un h o m m e et pa r une femme auxquels il dit, en s 'envolant aux cieux, qu' i ls ont a imé l'un et l 'autre l ' amour qui les liait en le voyant en lui, ange tout p u r ; et il leur révèle leur passion, leur laisse l ' amour en échappant à nos misères t e r res t res . Si j e le puis , j ' éc r i ra i ce bel ouvrage à Genève p rès de toi... »

Balzac veut placer cet ouvrage en Norvège : or, il ne connaî t pas le pays . Il va demande r des rense ignements sur la flore à un des plus grands savants européens , Pyrame de Candolle. Comment se présente Balzac en 1833, personne mieux que la femme aimée ne peut nous le faire connaî t re . Madame

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Hanska écrit le 10 décembre 1833 à son cousin le comte Henr i Rzeweski. « Nous avons fait en Suisse une connaissance dont nous sommes charmée , c'est celle de M. de Balzac, l ' auteur de La Peau de chagrin et de tant d 'ouvrages délicieux. Cette connaissance est devenue une véri table liaison et j ' e spè re qu'elle du re ra au tan t que no t re vie... Balzac vous rappel le beaucoup, mon cher Henr i ; il est gai, r ieur , a imable co mme vous ; il a m ê m e dans l 'extérieur quelque chose de vous et tous les deux vous ressemblez à Napoléon... Balzac est un véri table enfant . S'il vous aime, il vous le dira avec la candide franchise de cet âge... Enfin, en le voyant, on ne conçoit pas comment , à tan t de science et de supér ior i té , on peut jo indre tan t de fraî­cheur , de grâce, de naïveté enfantine dans l 'esprit et le sentiment. . . ». Balzac loge à l 'auberge de l'Arc, près de la maison Mirbaud qu 'hab i te la famille Hanska au Pré-l 'Evêque. « Il passe là qua ran te jou r s de travail et d ' amour » (A. Maurois) .

Mais à présent , il est nécessa i re de p résen te r le grand botanis te Pyrame de Candolle. Il étai t né à Genève le 4 février 1778. Sa famille réfugiée en Suisse au t emps de la Réforme appar tena i t à la noblesse de Provence (alliée aux Castellane, aux Suffren, aux d'Albertas, aux Bausset ) . L 'ancêtre Pyrame de Candolle se fit p ro tes tan t et devint i m p r i m e u r à Genève (il t raduis i t en français Xenophon, Tacite). Le père de no t re savant, Bernard , fut p remier syndic de la Républ ique. Pyrame fut élevé dans un cl imat human i s t e et sa vocation appara î t d 'abord comme l i t téraire. « Je savais pa r cœur tout le théâ t re de Racine et les meil leures pièces de Voltaire » nous dit-il dans ses Mémoires . Lui-même a écri t des poèmes et su r tou t nous a laissé ses célèbres Mémoires et Souvenirs publiés en 1862 par son fils et qui sont un chef-d'œuvre p a r la simplicité, le na ture l , l 'élégance du style.

Il va à Paris en 1797 et se pass ionne pour les sciences physiques et naturel les à une époque où Paris était le cent re scientifique du monde . Il suit les cours de Fourcroy, Vauquelin, Por ta i et su r tou t Cuvier dont il dit : « Je pr i s u n in térê t par t icul ier à celui de Cuvier et je conçus une admira t ion sincère pour son talent r emarquab le d 'observateur et de professeur . Sa clar té cont inue, l 'élégance de son style, l 'élévation de ses idées générales révélaient l 'homme d'un talent supérieur. . . ». Par cont re il t rouvai t chez Fourcroy « t rop de rhé tor ique », chez Vauquelin « t rop de confusion », quan t à Portai avec son accent gascon il p résen ta i t u n e « véri table car ica ture de l 'enseignement.. . son cours était composé d 'his tor ie t tes plus ou moins spiri­tuelles ». Pyrame cont inue à s ' intéresser à la l i t t é ra ture . Il suit les cours de Fontanes , l 'ami de Chateaubr iand, et l ' amant d'Elisa Bonapar te . Ce poète néo-chrétien est un arr ivis te qui pense qu 'une religion est nécessaire au peuple . Il fait ses confidences au j eune Genevois : « Nous avons l ' intention de pousser la France au p ro tes t an t i sme ». Ces p ropos lui sont revenus vingt ans p lus ta rd lorsque « le m ê m e Fontanes a refusé de me n o m m e r rec teur de Montpell ier parce que p ro tes t an t ».

Après quelques mois d 'é tudes paris iennes, il r e tourne à Genève. Mais en m a r s 1798 c'est la fin de l ' indépendance de Genève qui est ra t t achée à la France . Pyrame va faire une car r iè re univers i ta i re en France . Il habi te au

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cœur du Paris savant, près du Ja rd in des Plantes . Il suit les cours de médecine sans en thous iasme, pa r cont re il se pass ionne p o u r les cours de Lacépède, Lamarck, Cuvier, Haiiy. Il travaille au dict ionnaire encyclopédique de Lamarck, herbor ise en forêt de Fonta inebleau avec Cuvier, Brongniar t , Duméri l , Dejean. Il f réquente les salons des idéologues hér i t iers de la philo­sophie des lumières .

Il par t ic ipe t rès act ivement à la 3 e édit ion de La flore française de Lamarck. Grâce à Chaptal il devient docteur en médecine sans avoir suivi à Paris d 'enseignement clinique. Le minis t re de l ' In tér ieur a homologué de p ré t endus cours de médecine suivis à Genève (Mémoires, p . 125). Après son doctora t , ses amis lui font une réception bur lesque en grand cos tume du « Malade imaginaire » ; p a r m i eux, Cuvier et Biot. Ses amis l 'appuient pour obteni r des crédi ts pour une herbor isa t ion sys témat ique de la France. Il s'agit de parcour i r en cinq ans toute la France impéria le « pour en é tudier la bo tan ique dans ses r appor t s avec la géographie et l 'agricul ture ». En 1803 (il a vingt-cinq ans) il devient suppléant de Cuvier au Collège de France .

Les premières ouver tures pour aller à Montpell ier vinrent d'Amédée Berthollet dont le père était t i tulaire de la sénator ie de Montpell ier et su r tou t de Chaptal p ro tec teu r de l'école de médecine. Mais il hésite, il a la passion de la cherche, il espère ê t re élu m e m b r e de l ' Inst i tut . Mais on t ient à Montpell ier à ce j eune savant qui sera la gloire de l'école. Le doyen Dumas lui offre des condit ions exceptionnelles. Il pou r r a résider à Paris et se contenter de faire de loin en loin un cours à Montpell ier . Après avoir longtemps hésité il finit pa r se laisser séduire ; en part icul ier , il n 'étai t pas indifférent « au plaisir de diriger un j a rd in botanique , de former des élèves... ».

Il a t ren te ans . Arrivé à Montpel l ier en m a r s 1808, il y passera hui t ans , à l 'apogée de sa car r iè re universi ta i re et scientifique. Il est reçu avec honneur . « Le jour m ê m e de mon arrivée, tous mes collègues vinrent me faire des visites t rès amicales, les employés du ja rd in vinrent p r en d re mes ordres , le préfet vint lui-même m'engager à dîner chez lui, et les familles protes­tantes , qui me connaissaient de nom pa r leurs relat ions avec Genève m'accuei l l i rent avec une bonté parfai te . Je fus, je l 'avoue, ex t rêmement sensible à cet te réception, et une impress ion t rès favorable se fit dès ce m o m e n t dans mon espri t , je dirai p resque dans mon cœur... ».

Il fait l'éloge d'Auguste Broussonnet , son i l lustre prédécesseur , assisté de Victor Broussonnet . Celui-ci devient un ami t rès cher qui guéri t Alphonse de Candollc d 'une t rès grave maladie . Son p remier cours a un grand succès car il joint à des connaissances botan iques originales le don pédagogique. Dans ses cours il improvise ce qui est une nouveauté à Montpell ier . Aussi a-t-il 400 élèves pendan t ses deux mois de cours . Les six j ou r s de la semaine il donne son cours , le d imanche il herbor ise avec ses é tud ian ts . Ceci lui pe rme t un contact avec le peuple languedocien mais par l ' in termédiaire d 'un in terprè te , les paysans du Languedoc ne par len t pas français. Après ses cours il en t reprend son enquête botanique dans l 'Empire français. En 1808 il herbor ise en Toscane.

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A par t i r de 1809 il en t r ep rend un agrandissement sys témat ique du Jard in des p lantes . « ... Je lis faire de g rands t ravaux pour p lan te r et employer convenablement le te r ra in . Tout cela marcha i t concu r remmen t avec les au t res devoirs de m a place, avec mes t ravaux par t icul iers de bo tan ique , avec des encouragements soutenus donnés aux élèves qui témoignent du zèle, avec une vie assez mondaine. . . ». Il est sévère pour ses prédécesseurs à la direct ion du Jard in des plantes . « ... Depuis sa fondation jusqu ' à l 'époque de l 'Empire , ce ja rd in , const ru i t sur un plan gothique et bizarre , dirigé pa r les chanceliers de l 'Université, qui n 'é taient p resque jamais botanis tes , eut un rang secondaire.. . ». Il n'a commencé à se t rans former qu'avec Brous-sonnet : « h o m m e capable et ins t ru i t ».

Dans son œuvre de t ransformat ion profonde, Pyrame est aidé par Chaptal qui abandonne aux frais du Ja rd in son t ra i t ement de professeur honora i re (6 000 francs pa r an) . La ville de Montpell ier donne 60 000 francs pour l 'achat du ja rd in I t ier qui double l 'é tendue du ja rd in bo tan ique .

Un ma î t r e aussi r emarquab le ne pouvait que former des élèves. Deux sur tou t ont été impor t an t s : Félix Dunal, qui fut son principal col laborateur , ensui te son successeur et sur tou t Flourens, de Béziers, qui fut r e commandé à Cuvier pa r Pyrame et qui devint t rès j eune m e m b r e de l 'Académie des sciences et son secrétaire perpétue l après Cuvier.

A Montpell ier , Pyrame de Candolle mène une vie monda ine et ses souvenirs sont une source in téressante sur la vie de Montpell ier à l 'époque de Napoléon. « .. La vie sociale de Montpell ier offrait alors cet te par t icu lar i té qu'elle se fractionnait en une mul t i tude de pet i ts groupes composés de 5 ou 6 familles qui se voyaient habi tuel lement à pa r t et ne se réunissa ient en grand cercle que chez les fonct ionnaires publics.. . ». D'abord les préfets M. Nogaret et Aubernon, ensui te le général de division Chabot, enfin le p remie r prés ident à la Cour impériale Duveyrier. Les notables se rencont ra ien t aussi à la Loge, « espèce de cercle dans lequel on lisait les j ou rnaux publics ». Les vieilles sociétés scientifiques du X V I I I e siècle renaissent : l 'Académie des sciences et belles-lettres, la Société d 'agr icul ture , mais Pyrame leur t rouve « t rop peu de vie ». Aussi a-t-il créé avec une douzaine d 'amis une société de lecture « où chacun appor ta i t revues et livres nouveaux.. . ».

Mais avec sa femme il f réquente sur tou t la société p ro tes t an te où il est accueilli en ami et il nous donne un tableau vivant de ce monde des notables p ro tes tan t s .

Ce ma î t r e prest igieux aura i t pu faire toute sa car r iè re à Montpell ier si la poli t ique n 'en avait décidé au t r emen t . A la fin de l 'Empire , il avait posé sa cand ida tu re pour ê t re rec teur à Montpell ier . Appuyée pa r Chaptal , Camba-cérès, elle a cont re elle cer ta ins é léments cathol iques qui lui reprochent son origine et ses amit iés p ro tes tan tes . Aussi le grand ma î t r e de l 'Université, Fontanes, est-il rét icent .

Pour son ma lheur et celui de l 'Université de Montpell ier, de Candolle finit par ê t re n o m m é rec teur pendan t les Cent-Jours, ce qui lui fut

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violemment reproché pa r les ultra-royalistes après Water loo, si bien qu'il fut malgré l 'amitié de ses collègues et l 'appui de ses é tud ian t s obligé d ' abandonner son poste .

C'est alors qu'il devint professeur à Genève où il joua un t rès grand rôle, il y fut le c réa teur du Ja rd in bo tan ique . Il est considéré co mme le plus grand botan is te de l 'Europe. Très accueil lant il reçoit les g rands savants et les g rands écrivains de son t emps . Nous avons vu que c'était Lemercier , biblio­thécaire au Muséum, qui r ecommanda Balzac à de Candolle. Cette rencon t re fut pour Balzac t rès impor tan te .

Pyrame de Candolle venait de publ ier en 1832 sa Physiologie végétale, livre admirab le qui a été lu ce r ta inement pa r Balzac et aussi pa r le g rand poète languedocien Maurice de Guérin qui nous en a par lé avec en thous iasme : « Achevé de lire la Physiologie végétale pa r Candolle, 3 volumes in 8°. Le p remie r t ra i te de la nutr i t ion, le deuxième de la reproduct ion , le t ro is ième de l 'influence des agents extér ieurs . Malgré la chimie qui est pour beaucoup dans cet ouvrage et dont je n ' en tends pas un mot , j ' a i pr is un vif plaisir à cet te lecture . Un m o n d e tout nouveau s'est ouver t devant moi... ce n 'est pas un pet i t bonheur que de s 'ouvrir une nouvelle perspect ive dans la contempla t ion de ce monde et de soupçonner quelques choses de la vie et de la beau té de la nature. . . ». Cette lecture « a redoublé mon a t t ra i t pour l 'observation des choses naturel les et m'a fait pencher vers une source inépuisable de conso­lation et de poésie... » (Le cahier vert).

L'admira t ion n 'étai t pas le seul mobile de la visite à Pyrame de Candolle, en réali té les intent ions du romanc ie r avaient un carac tère intéressé. Dans sa p remiè re le t t re il avouait tout s implement prof i ter des « immenses connaissances » de M. de Candolle qu'il alla voir le 27 décembre 1833. Il r e tou rna chez lui aux environs du 1 e r janvier 1834, afin d'avoir, dit-il, quelques rense ignements sur la flora danica. Une le t t re du 5 m a r s 1835 précise m ê m e le carac tère de cet te det te .

« Monsieur,

En rep renan t ces jours-ci mes t ravaux sur Séraphita, j ' a i t rouvé la note que vous avez eu la complaisance de me faire vous-même sur les p lan tes de la Norvège, et tout à coup il m 'a pr is , en voyant vot re écr i ture , un r emords non pas de vous avoir oublié car, Dieu merci , je n 'ai pas que la mémoi re des choses, des idées et des faits, j ' a i aussi celle du cœur ; mais de ne pas vous avoir envoyé aucun témoignage de mon souvenir et de la reconnaissance de votre gracieuse hospitalité. . . ». Aussi connaissons-nous avec exact i tude l 'objet de la documenta t ion de Balzac, pendan t son séjour à Genève la flore de la Norvège pour les pages descript ives de Séraphi ta , l 'œuvre conçue chez le sculp teur Bra, le 20 novembre 1833 et qui l 'occupe à Genève en cet te pér iode a rden te et myst ique de ses a m o u r s avec la comtesse Hanska .

La mei l leure source, le célèbre herb ie r étai t ouver t à tous les visi teurs , il comprena i t la descr ipt ion de tous les végétaux connus en Europe . C'est

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un énorme ouvrage achevé par son fils Alphonse, mais lui-même avait décrit 6 000 plantes et publié 7 volumes. « Aux connaissances M. de Candolle joignit les dons de clar té dans l 'explication » et l 'un de ses élèves les plus i l lustres, le chimiste J.-B. Dumas , le décrivait à son pè re co mme « a imable dans le monde , savant dans le cabinet , ra isonnable pa r tou t ». Il ventai t sa gaîté, sa puissance de travail , le cha rme de ses récits , et concluait « je n'ai pas connu d 'homme plus heureux ».

Balzac se rendi t p lus ieurs fois chez M. de Candolle ; après les deux visites de documenta t ion de la fin de décembre , nous savons qu'il alla d îner au moins une fois chez lui, au mois de janvier 1834.

Ev idemment les conversat ions ne concernaient pas un iquement la végé­tation de la Norvège. D'abord le botanis te genevois a imai t toujours par le r de Paris avec quiconque en arr ivai t . A Genève il accueillait avec empressemen t les jeunes savants venus de France . Il avait dirigé, nous l 'avons vu, les p remie r s pas dans la car r iè re scientifique du Languedocien J.-B. Dumas dont il disait : « J 'ai su r tou t influé sur son sort en ce que, sur m o n témoignage consciencieux, mon ami Brongniar t se décida à lui donner sa fille aîné en mariage ».

Il est possible que Pyrame de Candolle ait commun iqué à Balzac les théories de Dumas sur l 'hypothèse uni ta i re et l 'ait m ê m e encouragé à inter­roger ce savant et ce phi losophe, don t les t ravaux co mme l'a m o n t r é Madeleine Fargeaud ont joué un rôle dans la documenta t ion chimique de l 'auteur de La Recherche de l'absolu.

De toute façon, Balzac s ' intéresse sû rement aux recherches et aux théories de Pyrame de Candolle car ce na tura l i s te était doublé d 'un phi losophe. Flourens, son ancien élève, définissant ainsi le rôle qu'il joua dans l 'histoire de la bo tan ique : « Tournefor t ayant const i tué la science, Linné lui ayant donné une langue, les deux Jussieu ayant fondé la méthode , il ne res ta i t qu 'à ouvrir à la bo tan ique l 'étude des lois in t imes des ê t res , et c'est ce qu 'a fait de Candolle » (hommage prononcé à l 'Académie des sciences en 1841).

Dans son p remier ouvrage, une Théorie élémentaire de la botanique, paru en 1813, Pyrame de Candolle avait expr imé ses idées essentielles. Convaincu du « véri table encha înement des ê t res na ture l s », es t imant que chaque classe d 'être est soumise à un plan général , et que dans ce p lan la symétr ie joue un rôle fondamenta l « l 'étude de cet te symétr ie » déclarait de Candolle, « est la base de tou te la théorie des r appor t s na ture ls » et « la vraie science de l 'histoire nature l le générale consiste dans l 'étude de la symétr ie p rop re à chaque famille, et des r appor t s de ces familles entre-elles ». Il accordai t une place impor t an te à la p ropor t ion d'oxygène dans l 'explication des phénomènes de la colorat ion des végétaux. Dans La Recherche de l'absolu, B. Claës développe des pr incipes analogues.

Cette idée du pr incipe un ique nous r amène d i rec tement à celle de l 'unité de composi t ion des ê t res vivants qu 'aff i rme Balzac dans la préface de La Comédie humaine. Ceci nous est confirmé pa r Alphonse de Candolle dans

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son in t roduct ion aux Mémoires. « Le sent iment de l 'unité de composi t ion a toujours existé, d 'une man iè re plus ou moins claire, dans l 'esprit des natural is tes . . . Goethe l'avait conçu for tement , Geoffroy Saint-Hilaire en zoo­logie, de Candolle en bo tan ique l 'ont développé sans avoir la mo ind re connaissance des opuscules sur l 'histoire naturel le de leur i l lustre devancier... »

Il semble donc qu 'avant la rencont re de Geoffroy Saint-Hilaire, avant l 'époque où Balzac concevait La Recherche de l'absolu, l 'hypothèse uni ta i re lui avait été développée p a r Pyrame de Candolle.

Nous voyons que le rôle des ma î t r e s de l 'université de Montpell ier dans la connaissance scientifique de Balzac est impor tan t , en par t icul ier celui de Pyrame de Candolle. A ceci il faudrai t a jouter le rôle capital des médecins de Montpellier, en par t icul ier des vitalistes, élèves de Bar thez , dans sa connaissance de la médecine de son t emps , mais ceci a déjà été évoqué dans une communica t ion sur la nosographie balzacienne en 1964 et nous n'y reviendrons pas .

I N D I C A T I O N B I B L I O G R A P H I Q U E

H . de B a l z a c : La Recherche de l'absolu. Séraphita.

Correspondance générale — T o m e I I .

P y r a m e d e C a n d o l l e : Mémoires et souvenirs ( p u b l i é s p a r s o n fils A l p h o n s e ) .

J . -H. D o n n a r d : Les réalités économiques e t s e s n o t e s d a n s la Comédie humaine.

M a d e l e i n e E a r g e a n d : La Recherche de l'absolu.

M o ï s e Le Y o u a n g : La Nosographie balzacienne.

G e o r g e s P r a d a l i é : Balzac historien.

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Les étapes montpelliéraines de la vie médicale du docteur Jamot, vainqueur de la maladie du sommeil

par MM. Jules E U Z I E R E et Hervé H A R A N T *

Au cours de ces derniers mois, la mémoi re du médecin-colonel Jamot , le va inqueur de la maladie du sommeil , a été honorée de diverses manières . Sur une place de son village natal à Saint-Sulpice-les-Champs, p rès de Guéret , un m o n u m e n t le r eprésen tan t a été inauguré . Au Cameroun, théâ t r e de son œuvre , un t imbre à son effigie a été émis ; tout r écemment enfin, paraissai t dans la Biologie Médicale un art icle qui lui est consacré .

Or le médecin-colonel Jamot , originaire de la Creuse, grand pionnier de la France noire, est docteur en médecine de la Faculté de Montpell ier . Il est bien na tu re l que no t re Ecole s'associe aux hommages qui lui sont décernés de toute par t . Il nous a semblé tout indiqué de le faire au cours d 'une séance de la section montpel l iéra ine de la Société d 'histoire de la médecine.

Le cadre choisi pour cet hommage en fixe la forme et le fond. Il consis tera s implement dans le rappel des é tapes montpel l iéra ines de la vie de Jamot . Ce faisant, nous honore rons sa mémoi re dans un milieu qui lui fut familier et peut-être devant cer ta ins m e m b r e s de no t re Société qui furent ses condisciples. Nous ferons ensui te œuvre ut i le en précisant quelques points peu connus de sa biographie et en redressan t quelques e r r eu r s qui t ransmises de textes fautifs à textes copiés tendent à se fixer et à se perpé tuer .

Ces e r reur s sont nombreuses ; pour s'en convaincre, il suffit de lire pa r exemple un entrefilet p a r u le 18 sep tembre 1954 dans un grand journa l du soir, généralement bien informé. Voici ce qu'i l dit : « Né le 14 novembre 1870 à Saint-Sulpice-les-Champs, Eugène Jamot , bachelier à qua torze ans, était professeur de sciences au lycée de Montpellier, quand il décida de faire ses é tudes de médecine ».

(*) C o m m u n i c a t i o n fa i te à la Soc i é t é m o n t p e l l i é r a i n e d ' h i s t o i r e d e la m é d e c i n e .

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Trois lignes qui ne cont iennent à peu près que des inexact i tudes.

J a m o t est né en effet un 14 novembre mais en 1879 et non en 1870. Il a passé son baccalauréa t à Clermont le 26 m a r s 1898 à 19 ans et non à 14. Il a été non pas professeur de sciences au lycée de Montpell ier, mais professeur adjoint ; c'est le t i t re qu 'au début du vingtième siècle on donna à ceux que l'on appelai t jadis des répé t i teurs . Ce n 'est pas enfin à Montpell ier que s'est éveillée chez lui la vocation médicale mais à Alger. C'est en effet à Alger qu'i l fit en 1902-1903 son P.C.N. ; c'est également à Alger qu'il pr i t les six p remières inscr ipt ions en vue de l 'obtention du t i t re de docteur en médecine . Il suivit les cours de l 'Ecole de médecine d'Alger de novembre 1903 à janvier 1905 et c'est seulement en 1905, au milieu de sa deuxième année, qu'il vint à Montpell ier .

Ces e r r eu r s de fait une fois redressées , nous pouvons nous a t t aque r aux e r r eu r s par omission. Il en est une d ' impor tance . Avant de songer à faire sa médecine, J a m o t s'était d 'abord dirigé vers les sciences. Il s 'était inscri t à la faculté de Clermont et c'est là que le 7 juil let 1900, il reçut le t i t re de licencié ès sciences.

Voilà que pa r la cr i t ique de trois lignes er ronées d 'une informat ion de presse, nous avons amené Jamot à Montpell ier . 11 y poursuivi t ses é tudes et les mena rondement . Le cycle des é tudes médicales était à cet te époque de qua t r e années seulement , mais déjà la p lupar t des é tud ian t s les prolon­geaient de quelques mois . Ceux qui, n ' en t ran t pas dans la voie des concours , les achevaient le plus r ap idement ne les te rminaient qu ' au cours d 'une c inquième année . C'est ce que fit J amot et c'est le 16 juin 1908 qu'il sout int sa thèse.

Elle est int i tulée : Contribution à l'étude de la méthode de Bier. C'était a lors une quest ion d 'actual i té . Le ju ry était prés idé par le professeur Es tor et comprena i t en ou t re le professeur Granel et les professeurs agrégés Soubeyran et Leenhardt . Il est toujours in téressant de lire les dédicaces des thèses. On y t rouve bien des rense ignements sur la s i tuat ion de famille, l 'état d 'âme et la personnal i té de l 'auteur. C'est ainsi que dans le cas d'espèce, nous apprenons que dès cet te époque, J amot était mar ié et avait déjà un fils : Jean . Au t emps d 'aujourd 'hui , de pareil les dédicaces sont couran tes et bien souvent elles pe rme t t r a i en t d 'a jouter aux t i t res des impé t r an t s celui de père de famille nombreuse . En 1908 c'était la s i tuat ion exceptionnelle, les j eunes doc teurs de cet te époque étaient en général cél ibataires et a t tendaien t avant de fonder un foyer d 'être installés et en mesure de pourvoi r pa r eux-mêmes aux charges d 'une famille.

Sans doute est-ce cet te s i tuat ion familiale qui poussa J amot à achever p r o m p t e m e n t ses é tudes . Jusqu 'a lors , il n 'avait p a s m o n t r é grande hâ te mais les préoccupat ions matér iel les par len t souvent plus hau t que les voca­tions et deviennent un facteur p répondé ran t d 'or ienta t ion professionnelle. J amot avait ce r ta inement songé à suivre la voie des concours ; en 1906, il en avait franchi la p remiè re é tape en devenant externe des hôpi taux. Aussitôt après il avait en t repr i s la p répa ra t ion de l ' internat . Leenhardt , Soubeyran, Roman t furent ses chefs de conférence ; il les en remerc ie dans une des

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dédicaces de sa thèse ; deux d 'entre eux qui faisaient par t ie du corps enseignant siégaient dans le j u ry qui lui décerna la ment ion très bien. Mais J amot abandonna bien vite cet te voie et il n 'est pas in terdi t de penser que sa s i tuat ion de famille lui imposa ce sacrifice. Il sout int donc sa thèse et mun i de son diplôme, il suivit sa dest inée. L'étape montpel l ié ra ine de sa vie était terminée.. . du m ê m e coup le sujet de no t re communica t ion se t rouve épuisé.

Nous ne suivrons pas J amot plus avant . Sa vie fertile en péripét ies et féconde en bienfaits a été écri te p a r d 'aut res , n o t a m m e n t pa r le docteur Bebey-Eyidi qui a consacré sa thèse à ce grand Français . Il l'a int i tulée : « Le vainqueur de la maladie du sommeil ». J amot a bien mér i t é ce t i t re . C'est en effet en suivant son exemple et ses ins t ruct ions qu 'au cours du vingtième siècle, ce fléau de l'Afrique noire a reculé au point de faire entrevoir sa dis­par i t ion prochaine . Cette heureuse issue d 'une lu t te longtemps poursuivie n 'a pas été ob tenue sans discussions, sans heur t s , sans incidents parfois drama­t iques . Rien ne m a n q u e à la gloire de Jamot , pas m ê m e d'avoir été méconnu, incompris et d'avoir souffert pour ses idées. Aujourd 'hui , l 'heure de la gloire et de la reconnaissance a sonné pour lui. A sa mémoi re sont r endus des hommages de toutes sor tes . Parmi eux, il en est un par t icu l iè rement é loquent et ce r ta inement le mieux adap té à la personnal i té de Jamot . C'est j u s t emen t le livre que nous cit ions tout à l 'heure. Son au teur , M. Bebey-Eyidi fut en effet un des p remie r s Camerounais à accéder au t i t re de doc teur en médecine . En consacrant sa thèse inaugurale à re t racer la vie et l 'œuvre du docteur Jamot , il s'est acqui t té avec piété de la det te de reconnaissance contrac tée pa r ses compat r io tes envers cet insigne bienfai teur .

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Quelle a été la suite de la carrière de Eugène JAMOT ? La communication des Drs Euzière et Harant retrace l'époque montpel-

liératne — mal connue — d'Eugène Jamot. Bien que beaucoup se souviennent de l'œuvre africaine de ce médecin généreux et ardent, la Rédaction de / 'Histoire des sciences médicales a pensé qu'il convenait de faire suivre la communication des Drs Euzière et Harant de détails sur l'action de Jamot contre la maladie du sommeil et le Médecin-Général Inspecteur P. Richet a bien voulu lui remettre le texte suivant :

P.D.

La maladie du sommeil et E. JAMOT

par Pierre R I C H E T

Histoire de la maladie du sommeil

S'il nous fallait r emon te r aux époques obscurant ines , nous rappel ler ions les textes de l 'écrivain a rabe Qualquasandi qui, en l 'an 1373, par le d 'une maladie qui, p a r le sommeil , conduisai t à la m o r t les chefs du sul tanat de iMelle — tel le sul tan Mari Diat ta I I — se l ivrant à la chasse sur les bo rds du Niger.

En 1734, le chirurgien de la mar ine anglaise John Atkins décri t une maladie mor te l le avec excès de sommeil c o m m u n e chez les Noirs de la côte de Guinée.

En 1793, Win te rbo t tom la n o m m e « Lethargus » et lui reconnaî t co mme symptôme essentiel l 'hyper t rophie des « glandes du cou ».

En 1840, le miss ionnai re Rober t Clarck décri t les pr inc ipaux symptômes ei p r a t i que des autopsies qui lui révèlent l ' inf lammation de la pie-mère et l'excès de sérosi té dans les ventr icules et à la base du cerveau.

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A par t i r de 1861 ce sont les r emarquab les observat ions cliniques et anatomo-pathologiques de tou te une pléiade de nos grands Anciens médecins de la mar ine française : Guérin (1869), r appor t an t dans sa thèse ses observat ions faites pendan t 12 ans à la Mar t in ique chez les Noirs originaires de la côte occidentale d'Afrique, de Corre sur la « Nélavane » (nom oualaf de la maladie) .

A par t i r de 1880, une nouvelle é tape relie mieux en t re elles les données cliniques, ana tomiques et histologiques ; Mott décr i ra les cellules m o n d é e s en 1905.

La t rois ième étape commence en 1901 avec la découver te par Fordes et Dut ton de l 'agent causal (Trypanosoma gambiense) dans le sang. Dut ton et Todd le re t rouvent en Gambie et ail leurs en Afrique occidentale ; E. B r u m p t en Afrique équator ia le en 1903 ; Castellani le découvre la m ê m e année dans le L.C.R. de Noirs de l 'Ouganda.

Bruce et Naba r ro incr iminent Glossina palpalis comme vecteur possible.

Progress ivement de nombreuses missions françaises, anglaises, por tugaises , a l lemandes , é tudient la répar t i t ion et l 'épidémiologie de l'affection, les carac tères des différents t rypanosomes , l 'évolution chez l 'homme et les animaux, le cycle évolutif chez l 'hôte in termédia i re .

La maladie du sommeil était donc connue depuis longtemps en « Afrique Occidentale française », c'est-à-dire en t re 15° nord et sud, l imite de l 'extension de la « tsé-tsé », glossine vectrice.

En avril 1903, le minis tère des Colonies français à l 'époque avait prescr i t une enquête généralisée avec des a t t endus au moins curieux prouvant que l'on n 'étai t guère convaincu pa r tou t du rôle causal du t rypanosome r écemment découvert .

Cependant , en 1905, G. Mart in observe des cas microscopiquement confirmés et A. Thiroux, en 1907, en découvre d 'aut res au Sénégal.

De 1908 à 1920, la maladie est signalée p a r les médecins mil i ta ires français dans divers colonies de l 'époque.

E n 1920, une Commission de la Société de pathologie exotique prés idée pa r Laveran, composée de B r u m p t , Gouzien, Lebœuf, Martin, Mesnil et Roubaud, est chargée de faire le point et conclut dans son r appor t final que la t rypanosomiase est p résen te au Sénégal (Niayes, Peti te Côte, Casamance) , au Dahomey, dans le Hau t Sénégal Niger (boucle du Niger, rives du Bam) , en Haute-Volta dans les pays Mossi et Lobi.

L ' inst i tut Pas teur de Brazzaville est créé en 1910 et par t ic ipe ac t ivement aux recherches (Laveran, Mesnil, Mart in, Bouet , Roubaud, Lebœuf, etc.).

En 1910, S tephens et F a n t h a m découvr i ront en Rhodésie une trypano­somiase humaine et un t rypanosome — T. rhodesiense — différent quan t au réservoir an imal et au vecteur et, en 1912, Kinghorn et Yorke é tabl i ront qu'il est t r ansmis p a r Gl morsitans.

En 1926, Hérivaux découvre le g rand foyer du Nord Dahomey (Cercles de Nat i t ingou et de Djougou) c o m m u n avec celui, t rès impor t an t aussi , du pays cabrais togolais.

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Montes t ruc confirme ces deux gros foyers en fin 1931 début 1932 et y cont rac te d'ail leurs, pour la deuxième fois — la p remiè re au Cameroun — la t rypanosomiase .

Nous n 'avons pas à décr i re ici tous les signes et l 'évolution de la maladie du sommeil ; rappelons quand m ê m e le pr incipal :

Le p remie r signe, qui n 'est pas toujours perçu ou signalé, peu t ê t re une sor te de pseudo-furoncle sans tê te et sans pus qui survient en 4 à 10 jours à l 'endroit m ê m e de la p iqûre de la tsé-tsé infectante. C'est l 'accident p r imai re . C'est, si l 'on veut, une sor te de chancre d ' inoculation dans le genre de celui de la syphilis à cela près qu 'au lieu d'y t rouver des t réponèmes , le microscope décèle dans la sérosité de nombreux t rypanosomes .

Immédia t emen t , l 'envahissement de l 'organisme pa r les t rypanosomes engendre un état fébrile septico-infectieux rés is tant aux ant ipa ludéens , de l 'asthénie, des céphalées, des œdèmes et tout un cortège de t roubles organiques .

Il est habi tuel de décr i re l 'évolution en deux phases :

— une phase di te « p remiè re pér iode » ou phase hémo-lympathique de généralisat ion ;

— une deuxième pér iode dite nerveuse, méningo-encéphali t ique ou de polar isat ion cérébrale .

Ind iquons t rès r ap idement que la p remiè re pér iode se caractér ise p a r les symptômes suivants plus ou moins intenses : fièvre, œdèmes , adénopathies , exanthèmes t rypanides , symptômes cardio-vasculaires, digestifs, génitaux ( impuissance, aménor rhée , avor tements ) , t roubles psychiques.

Dans la deuxième pér iode on observe sur tou t :

— des t roubles généraux : amaigr issement , cachexie, frilosité ;

— des t roubles de la vigilance : somnolence, assoupl issement menan t à l 'hypersomnie ;

— des t roubles des inst incts : boul imie, anorexie, t roubles de la libido ;

— des t roubles mo teu r s ;

— des t roubles de la coordinat ion ;

— des t roubles de la sensibilité ;

en somme, tous les t roubles possibles de l 'at teinte généralisée du névraxe.

Mais il faut r e m a r q u e r que cet te différenciation classique et habituel­lement décri te en deux pér iodes bien t ranchées , si elle est commode p o u r la descr ipt ion et satisfaisante pour l 'esprit est, en fait, quelque peu a rb i t ra i re car t rop schémat ique et pas tou t à fait exacte.

E n réali té, p resque dès le début , c'est-à-dire dès la p remiè re pér iode, dès les p remières semaines, le sys tème nerveux est touché, les deux pér iodes se « télescopent ». Le prouvent bien : — les pet i ts t roubles précoces du carac tère et du compor t emen t ; — les modificat ions précoces des L.C.R. et céphal ique en ce qui concerne

le taux d 'a lbumine et l ' augmentat ion du n o m b r e des cellules ;

— les a l téra t ions précoces de l 'é lectro-encéphalogramme.

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Plus ou moins rap idement si le diagnostic n 'a pas été fait, si le malade n'est pas t ra i té ou l'a été t rop ta rd ivement ou i r régul ièrement ou si ses t rypanosomes sont rés is tants aux thé rapeu t iques classiques, le malade évolue vers la cachexie, le gât isme, la déchéance organique totale, en une fin misérable souvent, mais pas obl igatoirement , dans ce si carac tér is t ique sommeil invincible, fin précédée parfois de t roubles psychiques démentiels obligeant à isoler ces malheureux dans des services spécialisés pour grands agités.

L'évolution peut ê t re longue — plusieurs années — et ent recoupée de rémiss ions laissant croire à des guérisons spontanées . En règle, non trai tée, la maladie est fatale. C'est du moins no t re avis. Personnel lement , nous n 'avons jamais observé de guérisons spontanées car, des milliers de t rypanosomes que nous avons dépistés , t rai tés , guéris, les ra res malheureux qui se sont sous t ra i t s au t ra i t ement soit pa r évasion, soit pa r inconscience, ignorance ou fatalisme, ont toujours été re t rouvés plus t a rd — quand ils le furent — soit cons idérablement aggravés soit... agonisants .

Et ce que l'on ne dira et répé tera j amais assez, c'est que le fléau du « sommeil » est un véri table incendie toujours p rê t à rena î t re de ses cendres quand la surveil lance se relâche. Le fléau n'a aucune tendance à s 'éteindre de lui-même.

Sans les Services créés pa r les Jamot , les Muraz, ma in tenus pa r leurs successeurs , les popula t ions des régions à glossines vectrices euren t été amenées à l 'extinction, les villages eussent confiné d 'être effacés de la car te .

Souvenez-vous des paroles t ragiques de Mgr Dupont , évêque en Haute-Volta : « On n'avait plus le t emps d 'en te r re r les mor t s et de procéder aux funérailles... »

Au cours des années 50, 400 000 t rypanosomes étaient encore en compte sur les registres du Service général d'Hygiène mobile et de Prophylaxie (S.G.H.M.P.). Oui, sans la merveil leuse action de nos grands Anciens et de leurs dévoués et modes tes col laborateurs sur le terrain, d ' immenses régions couraient à la dépopulat ion et à la misère .

Eugène, Léon, Clovis Jamot

Comme le précisent MM. Euzière et Haran t , Jamot , âgé de 29 ans , sout int sa thèse en 1908. Il exerce d 'abord, avec un dés in téressement inoui, dans le pet i t village de Sardent , dans sa Creuse nata le puis , poussé pa r un désir d'évasion vers les Tropiques , il passe en 1910 à 31 ans le concours d 'entrée à l 'Ecole d 'applicat ion du Pharo à Marseille, dont il sor t en 1911.

Il fait d 'abord campagne du Tchad, au Ouaddaï, d'où il r appor t e une citation mil i ta i re pour sa br i l lante condui te et des notes sur la géographie médicale du Ouaddaï .

En 1913-1914, au cours de son p remie r congé métropol i ta in , il suit les cours de l ' Inst i tut Pas teur de Paris et commence à s'y pass ionner p o u r les grandes endémies t ropicales et, s ingul ièrement , les t rypanosomiases .

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En juillet 1914, n o m m é sous-directeur de l ' inst i tut Pas teur de Brazzaville, il e m b a r q u e pour re joindre ce poste mais la guerre éclate pendan t la t raversée. Mobilisé comme médecin-chef de la colonne Sangha-Cameroun, J amot par t ic ipe b r i l l amment à la conquête du Cameroun, regagne Brazzaville en 1916 et y devient d i rec teur de l ' insti tut Pas teur .

C'est alors que, ayant r ap idement apprécié combien la maladie du sommeil était en « Afrique Equator ia le française », comme au Cameroun, le mor te l incendie menaçan t de t r ans former les t ropiques en désert , J amot me t sur pied (1917) en Oubangui-Chari , sur les rives de la Fafa, dans la région de l 'Ouham, la p remière équipe itinérante de dépistage et de traitement systé­matiques de la maladie du sommeil .

Dirigée par J amot lui-même et comprenan t deux caporaux européens et quelques auxiliaires rap idement formés comme microscopis tes , cet te équipe pa rcouran t un grand n o m b r e de villages que le « sommeil » menaçai t d'effacer de la car te , dépis tant les malades et les p r e n a n t de suite en trai te­men t arsenical pa r VAtoxyl (sel sodique de l 'acide p-aminophénylars inique, in t rodui t dans le t r a i t ement de la maladie pa r Thomas en 1905).

D'emblée, les résul ta ts s 'avèrent sensat ionnels , les index de contaminat ion suivants s 'effondrent après le passage de l 'équipe.

Aussi, les équipes de prospect ion et de t ra i t ement furent-elles p a r Jamot rap idement mult ipl iées selon les besoins.

La mé thode Jamot fut é tendue en 1919 pa r son ami Gaston Muraz à toute 1' « Afrique Equator ia le française » dont p resque toute la popula t ion était alors menacée de dispari t ion pa r le t rypanosome.

En 1922, J amot t ranspor ta i t sa mé thode au Cameroun où la si tuation était encore plus t ragique.

De 1922 à 1925, avec la col laborat ion de nos « Anciens », les médecins mil i ta ires Corson, Evrard , de Marqueissac, Marquand , Odend'hal , il dresse l 'effrayant bilan du fléau, commence à le rédui re et, en 1925, finit p a r obtenir de la mét ropole d 'ê t re mis à la tête d 'une « Mission permanente de prophylaxie » dotée de moyens enfin suffisants.

Aidé de camarades jeunes médecins mil i taires d'élite — les Montes t ruc qui fut lui-même deux fois t rypanosome, les Le Rouzic, Chambon, Bauguion, Meydieu, Lotte, Vernon, Lavergne, etc. — il obt in t en cinq ans un éclatant succès prouvant l'efficience et l 'excellence de ses méthodes , à tel point qu'i l peu t écr i re en 1931 : « La maladie du sommeil est contenue. Le fléau n 'est p lus , au Cameroun, un p rob lème gravissime de santé publique.. . »

Cette année 1931 m a r q u e l 'apogée de sa car r iè re et coïncide avec la remar­quable Exposi t ion coloniale de Vincennes, inaugurée pa r le maréchal Lyautey.

J a m o t est au faîte des honneurs , au point d 'être p roposé pour le prix Nobel.

Certes, le fléau n 'est pas complè tement vaincu. Lut te , surveillance, contrôles méthodiques , devront ê t re — et seront — poursuivis depuis pour main ten i r les résul ta ts acquis sur une endémie tenace qui ne demande qu 'à exploser de nouveau tan t que le réservoir huma in de flagellés et le vecteur glossine ne seront pas — et c'est difficile — to ta lement anéant i s .

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Tout est fonction de la foi, du dynamisme, du sérieux que les responsables appor t en t au maint ien de cet te lu t te qui se r é sume aux deux pos tu la ts de J amot : dépistage sys témat ique cont inu de la maladie , t ra i tement exhaustif des malades . Cette méthodologie implacable demeure indiscutable et ne devrait pas ê t re discutée.

Nos moyens actuels théor iques de dépistage, t ra i tement , prophylaxie, lu t te antiglossines, sont plus puissants que ceux de l 'époque Jamot-Muraz.

Nous devons ê t re confondus d 'admira t ion devant les résul ta ts inouïs que ces deux géants ont ob tenus jadis en Afrique tropicale, au milieu de difficultés qui eussent été invincibles pour d 'au t res et nous devons à leur mémoi re de ne jamais laisser r eme t t r e en cause la r igueur des méthodes qui pe rme t t en t de tels succès.

Et cependant , les adversai res — aussi nombreux que passionnés — de Jamot ne désa rmèren t pas .

Il fut accusé de vouloir recréer — comme au Cameroun — un service au tonome échappant à la tutelle des grands chefs du Service de Santé de l 'époque, en somme de vouloir « recréer un état dans l 'Etat (c 'était la formule consacrée pa r tous les jaloux ou les incompétents — toujours les deux à la fois).

La responsabi l i té de la poursu i te de la lu t te fut donc dévolue aux différents chefs locaux des ex-colonies, à charge pour eux de l 'organiser c o m m e ils l 'entendaient , en fonction du fameux slogan, si faux, que « la maladie du sommeil est une endémie comme une au t re ». Chaque d i rec teur du Service de Santé organisa donc à sa guise méthodologie, logistique du dépistage, thé rapeu t ique , prophylaxie agronomique, etc. Ce fut un échec re tent issant . Dès 1938 l ' incendie t rypanique ref lambait de toutes pa r t s . Des voix autor isées de savants comme le médecin-colonel Lefrou en Haute-Volta, Sica au Soudan, dénonçaient le désas t re en des r appor t s a l a rman t s . Des 70 000 t rypanosomés de Jamot , on en était déjà à plus de 150 000. Un r appo r t écrasant d 'une mission de l ' Inspecteur général des Colonies Huet confirmait la ca tas t rophe et le minis t re des Colonies de l 'époque, Georges Mandel, créait le Service général au tonome de la maladie du sommeil en « A.O.F.-Togo » et en confiait la direction au médecin-colonel Gaston Muraz, celui-là m ê m e qui avait en 1922 si bien organisé la lu t te cont re la maladie du sommeil en A.E.F.

Dès 1939, Muraz créait de toutes pièces son Service fédéral et se lançait dans la batail le avec sa fougue habituel le . Grâce à son génie organisa teur et nonobs tan t les difficultés inouïes de l 'état de guerre , les résul ta ts de ses « secteurs » et de son action furent si sensat ionnels que, dès 1944, la maladie du sommeil apparaissa i t jugulée et que le quasi monovalent « Service général au tonome de la maladie du sommeil » (S.G.A.M.S., de l'O.A.F.) changeait de sigle et de fonction pour devenir le polyvalent S.G.H.M.P. dont il a été par lé plus hau t et qui était désormais capable de lu t ter cont re les au t res grandes endémies , les plus graves et les plus inquié tantes .

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J'ai connu Jamot en 1934, il y a donc 44 ans ! En t r e 1931 et 1934, j 'effectuais mon premier séjour colonial de 3 ans

et demi dans le rude poste sahélien de N'Guigmi, si tué sur la rive nord du Tchad, tou t à fait à l'est du Niger, en bo rdu re de l 'actuel E ta t tchadien.

J 'é tais p resque en fin de séjour lorsque le médecin-colonel J amot arr iva en voi ture venant de Niamey avec quelques infirmiers dans le bu t de vérifier si la maladie du sommeil existait en ce Cercle sahélien et, sur tout , de préciser la présence ou l 'absence de glossines vectrices, n o t a m m e n t sur les rives du Tchad et de la rivière Komadougou Yobé, cours d 'eau tempora i re , affluent du Tchad et qui représenta i t la frontière en t re Niger f rancophone au nord et Nigeria anglophone au sud.

J amot établi l 'absence de tou te glossinc vectrice, comme de tou t cas de t rypanosomiase pa rmi la populat ion rassemblée de N'Guigmi et de villages envi ronnants .

Je passai ainsi quelques jours merveilleux avec lui. C'était un h o m m e pass ionnant , disert , dynamique au possible ; un chef-né, certes , mais d 'une incroyable cordial i té avec les j eunes camarades auxquels il savait d 'emblée insuffler son tonus et sa foi, sa polyvalence pr ior i ta i re , aucun problème d 'endémie ne le laissait indifférent. Ensemble , nous conf i rmâmes au micros­cope l ' intense infestation bi lharzienne de la populat ion ressemblée et fîmes le tour de toute la pathologie que j ' avais rencont rée au cours de mon séjour. Pendant des heures , nous pa r lâmes . Il m'ouvr i t son cœur , raconta en toute simplicité sa belle œuvre en A.E.F., au Cameroun, puis ici en A.O.F. Sans se dépar t i r de sa gaîté et de son merveilleux sourire , il nous fit c o m p r e n d r e la mons t rueuse disgrâce dont il avait été frappé... sa prochaine re t ra i te .

Tout cela, le docteur camerounais Bebey Eyedi l'a raconté dans sa r emarquab le thèse * de 1950 sur « le va inqueur de la maladie du sommeil », jus te hommage d 'un Africain reconnaissant à no t re grand h o m m e .

Quand je le connus en 1934, J amot était déjà frappé à mor t . Usé pa r sa terr ible activité sous les t rop iques depuis plus de 20 ans, aussi pa r les incroyables injustices subies depuis 1931, il venait d 'éprouver la p remiè re crise cardiaque du mal qui devait l ' empor ter en 1937 à l'âge de 58 ans . Il ne s'était pas a r rê té pour au tan t .

En 1936, il se réinstal la dans son pet i t village creusois natal . Miné p a r les soucis financiers — incapable qu'il avait toujours été de demande r des honora i res à ses clients impécunieux — cer ta inement aussi par le chagrin, il s 'éteignit le 26 avril 1937. Il repose à Saint-Sulpice-les-Champs.

Tous les ans, un pieux hommage rassemble devant sa t ombe ses anciens col laborateurs , au pied d 'une p laque ainsi libellée :

« Les Médecins des Troupes coloniales de la Mission de prophylaxie de la maladie du sommeil au Cameroun

1926-1932.

Au Médecin-Colonel J a m o t qui fut leur chef vénéré. »

* T h è s e P a r i s 1950. V o i r au s s i : L a p e y s o n n i e , « J a m o t p a r m i n o u s », Revue de médecine tropicale, 1963, 23, 461

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Appel en faveur d'une Bibliothèque hippocratique

Docteur André P E C K E R

Il y a quelques années , le professeur Spyridion Oeconomos en t reprena i t une campagne en faveur de la créat ion dans la pa t r ie d 'Hippocra te d 'une Fondat ion in ternat ionale dont à différentes repr ises j ' a i eu l 'honneur de vous ent re teni r .

En octobre 1977, à l 'occasion du X e Congrès in ternat ional de médecine néo-hippocrat ique u n e séance de travail avait pour cadre grandiose l'Asclépéion de Cos ; ensui te les congressistes eurent la joie de visiter le bâ t imen t de la Fondat ion. Le gros œuvre en est t e rminé et dès cet été le professeur Nicolas Oeconomos, qui a succédé à son père à la prés idence de la Fondat ion inter­nat ionale h ippocra t ique de Cos, es t ime que des congrès pou r ron t s'y tenir dans de bonnes condit ions techniques . Certes les 18 hectares de te r ra in appa r t enan t à la Fondat ion ne seront pas encore tous aménagés , mais plus ieurs pays é t rangers dont le Japon et l 'Allemagne de l 'Ouest ont déjà manifesté leur désir de cons t ru i re un pavillon.

Ainsi revivra ce hau t lieu de la médecine, celui à pa r t i r duquel , il y a 2 400 ans, la médecine cessa d 'être « sacerdotale pour devenir un sacerdoce » (Bariéty et Coury).

La Société française d 'histoire de la médecine avait dès 1960 appor t é son appui à l 'œuvre du professeur Oeconomos et de ce fait a l 'honneur de figurer comme seule associat ion avec l 'Université San Carlos du Guatemala , dans les s t a tu t s de la fondation. Aussi souhaitons-nous qe la France puisse, à l ' instar d 'aut res pays, posséder un pavillon à Cos. Comme les services hôtel iers seront assumés pa r les hôtels de Cos et la Fondat ion in ternat ionale nous pensons que ce pavillon devrait a t t e indre deux objectifs :

— Organiser des exposit ions tempora i res prolongées concernant de grands savants français ayant honoré la médecine tels : Claude Bernard , Pasteur. . . Par exposit ion t empora i re prolongée nous en tendons des exposit ions d 'une année pa r exemple, ce qui est justifié par la présence tous les ans à Cos d'un grand n o m b r e de médecins , n o m b r e qui ira en s 'accroissant rap idement dès l 'ouverture du Pavillon h ippocra t ique internat ional .

— Posséder une bibl io thèque - salle de travail qui groupera i t le max imum possible d 'ouvrages en langue française consacrés à Hippocra te et à l 'h ippocrat isme.

E tan t donné le bu t poursuivi nous avons déjà reçu la p romesse d 'une aide substant iel le du Conseil in ternat ional de la langue française pour la cons t ruct ion d'un pavillon qui devrait s 'appeler : Fondation hippocratique de la France et des pays d'expression française.

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Si la const ruct ion de ce pavillon nécessi tera plus ieurs années il faut peu à peu mais dès ma in tenan t const i tuer le fonds de sa bibl iothèque. Les ouvrages collectés seront conservés à la Chaire d 'histoire de la médecine de la Facul té de Paris qui en t iendra d ' inventaire en no tan t le nom du dona teur et la da te du don. Un ex-libris dû au talent du prés ident de la Société française d 'histoire de la médecin, Th. Vet ter sera apposé sur chaque volume et ment ionnera le nom du donateur . (Reproduct ion ci-dessous.)

L'Association générale des médecins de France qui groupe 40 000 médecins nous a assuré de son appui . Son prés ident Rober t Sonrier qui assistait , en ocobre 1977 au X e Congrès de médecine néo-hippocrat ique, a pu en effet se r endre compte de l ' intérêt nat ional d 'une présence française à Cos ; à sa demande , l 'Association générale des médecins de France nous a accordé une subvent ion de 10e000 francs pour favoriser le démar rage de la b ibl io thèque. Cette somme devrai t pe rme t t r e l 'achat de quelques é léments de bibl iothèque car pour les livres nous comptons sur tou t sur nos confrères, e spéran t qu'ils consent i rons à se séparer des ouvrages h ippocra t iques qu'i ls pour ra ien t pos­séder et dont nous sollicitons le don. Vous pour rez donc nous les déposer dès la p rocha ine séance. Ils seront un appor t cul turel à l 'h ippocrat isme, au sujet duquel médecins , his tor iens, philologues poursuivent des t ravaux dans le monde entier .

A not re époque de hau te technici té médicale il impor te de rappeler que les médecins qui ne peuvent , comme les physiciens, se prévaloir de l 'expres­sion : « toutes choses égales d'ailleurs » exercent un ar t ; son é thique qui s'est certes modifiée au cours des siècles a été essent iel lement m a r q u é par Hippocra te .

FONDATION HIPPOCRtëCIQVE DE IAFI?ANŒ BTBBSmSS DEXPRESSlON^Fl^ANC^feE

T H V 1978

CE V O I A ÉTÉ OPEEKT

Reproduction de l'ex-îibris qui sera apposé sur les livres offerts.

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A N A L Y S E S D ' O U V R A G E S

André Jacquot. — « H i s t o i r e d e l ' e n s e i g n e m e n t m é d i c a l u n i v e r s i t a i r e e n F r a n c h e -C o m t é ». T h è s e ( m é d e c i n e ) — 2 j a n v i e r 1977 — B e s a n ç o n , d a c t y l o , 270 p .

D e 1287 à 1967, t e l l e s s o n t l e s j a l o n s e x t e r n e s d e c e t t e h i s t o i r e q u i s e d é r o u l e d e G r a y à D o l e , d e P o l i g n y à B e s a n ç o n , s o u s l e s d u c s d e B o u r g o g n e e t l e s e m p e r e u r s d ' A l l e m a g n e , l e s r o i s d e F r a n c e e t l e s r é p u b l i q u e s , l e s r o i s d ' E s p a g n e , l e s p a p e s e t l e s B o n a p a r t e .

R e m a r q u a b l e m e n t i l l u s t r é e d e r e p r o d u c t i o n s d e d o c u m e n t s r a r e m e n t s o r t i s d e s A r c h i v e s , b o u r é e d e c i t a t i o n s d e t e x t e s , e t c e p e n d a n t a g r é a b l e à l i r e , c e t t e t h è s e e s t u n t r a v a i l m é r i t o i r e s u r c e t t e l e n t e é v o l u t i o n d e l ' e n s e i g n e m e n t m é d i c a l d a n s u n e r é g i o n - c l e f , p u i s q u e d e c u l t u r e f r a n ç a i s e m a i s l o n g t e m p s e n d e h o r s d u R o y a u m e , l a « C o m t é » b é n é f i c i a p a r u n e s o r t e d ' o s m o s e d e r e l a t i o n s f r u c t u e u s e s a v e c t a n t d e v o i s i n s o u d e s u z e r a i n s v a r i é s . A l ' i n t é r i e u r m ê m e d e l a p r o v i n c e , l e s r i v a l i t é s e n t r e l e s v i l l e s s o n t u n e s o u r c e d ' é v é n e m e n t s p a r f o i s p a s s i o n n a n t s e t t o u j o u r s i m p r é v u s .

L ' o u v r a g e s e c o m p l è t e p a r u n « D i c t i o n n a i r e d e s p r o f e s s e u r s d e s F a c u l t é s d e m é d e c i n e d e D o l e e t d e B e s a n ç o n » d e 1423 à 1793 q u i e s t u n t r è s i n t é r e s s a n t t r a v a i l b i o g r a p h i q u e s u r d e s p e r s o n n a g e s d o n t l ' i n f l u e n c e f u t p a r f o i s i m p o r t a n t e , e t e n f i n p a r u n e é t u d e s e m b l a b l e s u r l e s e n s e i g n a n t s d e l ' E c o l e d e m é d e c i n e d e B e s a n ç o n d e 1086 à 1825, e t s u r l e s m é d e c i n s d e F r a n c h e - C o m t e n o t a b l e s à d ' a u t r e s t i t r e s .

M. Schachter. — « E t u d e p s y c h o - p a t h o g r a p h i q u e d ' O s c a r W i l d e (1854-1900 » T i r é à p a r t d u Journal de médecine de Lyon, 1977, 58 , p . 613-621.

C e t a r t i c l e d e n o t r e é m i n e n t c o l l è g u e a n a l y s e à l a f o i s l ' œ u v r e e t l a v i e d ' O s c a r W i l d e , e t t e n t e d ' e x p l i q u e r l a p e r s o n n a l i t é c o m p l e x e d e l ' é c r i v a i n e n m a r g e d e la s o c i é t é v i c t o r i e n n e .

Oliver S. Hayward et Elizabeth H. Thomson. — « T h e J o u r n a l o f W i l l i a m T u l l y ». S c i e n c e H i s t o r y P u b l i c a t i o n s . N e w Y o r k 1977, in -8 , 88 p . I n t r o d u c t i o n p a r J o h n F . F u l t o n .

W i l l i a m T u l l y (1785-1859) a é t é u n e p e r s o n n a l i t é m é d i c a l e c é l è b r e d e l ' e s t d e s E t a t s - U n i s , m é d e c i n é m i n e n t e t d i s t i n g u é e n s e i g n a n t r e n o m m é . C e q u i l e c o n c e r n e i n t é r e s s e l e s é r u d i t s d e l a m é d e c i n e a m é r i c a i n e e t c ' e s t c e q u i a c o n d u i t l e s é d i t e u r s à i m p r i m e r l e c a h i e r q u ' i l a t e n u e n 1808 e t 1809, a u t o u t d é b u t d e s e s é t u d e s m é d i c a l e s l o r s q u e , v e n u e d e Y a l e , il s u i v i t l ' e n s e i g n e m e n t d e N a t h a n S m i t h à D a r t m o u t h .

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La part tenue par la médecine dans cet agenda journalier n'est pas dominante, bien qu'on voie peu à peu se muer en admiration la réserve initiale que lui inspirait la brusquerie de N. Smith. Tully est un bon observateur de la vie quotidienne à cette charnière du XVIII e et du XIX e siècle ; on le suit dans ses voyages, ses logements, les familles qu'il rencontre et dans la fréquentation des autres étudiants.

La préface d'Elizabeth Thomson, l'introduction de John F. Fulton et les commentaires d'Oliver Hayward donnent une bonne « silhouette » — Tully était un bon artiste en silhouettes — du jeune étudiant et décrivent sa carrière.

Symposium. — « Médecine without Doctors ». Science History Publications. New York 1977, 124 p., 14 ill.

Cette publication réunit les études de huit historiens qui ont analysé les principaux livres édités aux Etats-Unis et dont le but était de mettre la médecine à la portée du public. Ces études ont servi à un symposium tenu en avril 1975 par le Département d'histoire de la médecine de l'Université du Wisconsin.

On rappelle la constante curiosité du public pour la médecine et son goût pour se traiter sans recourir aux médecins ; ce désir est légitimé en outre par la faible densité médicale en Amérique il y a quelque 150 ans et le fréquent éloignement de toute possibilité d'aide médicale rapide.

Diverses illustrations reproduisent les première pages des manuels les plus connus ou donnent certaines vues pittoresques comme la photographie du « medicine wagon » (tiré par deux chevaux) d'un certain Dr Krohn, de Black River Falls.

On retrouve dans les textes, selon leurs auteurs, d'utiles conseils ou recettes ou des fantaisies, naïves ou commerciales.

Se lit avec agrément.

Richard L. Blanco. — « The diary of Jonathan Potts : a Quaker medical student in Edinburgh (1766-67) ».

Trans, and Studies of the College of Physicians of Philadelphia, 1977, 44, 119-130.

Il s'agit cette fois non du texte lui-même de l'agenda d'un étudiant en médecine américain de la deuxième moitié du XVIII e siècle, mais du résumé de son carnet de voyage. Après un apprentissage de cinq ans auprès d'un médecin de Philadelphie, qui comptait B. Franklin parmi ses malades et appartenait au milieu quaker, Potts s'embarqua pour Liverpool et l'Ecosse. Le journal décrit ses démarches pour s'introduire à Edimbourg (grâce aux recommandations de Franklin), sa fréquentation des « Amis », et son assistance aux cours des maîtres médicaux du moment.

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Il revient à Philadelphie en 1767, y devint célèbre tant comme médecin que comme homme politique ; il joua un rôle important comme médecin des troupes confédérées, responsable de douze hôpitaux militaires (en 1778-1780).

Né en 1745, Potts mourut en 1781.

E. Gilbrin. — « Thomas Dover (1660-1742) médecin et boucanier ». Arch. Méd. de Normandie. Janv. 1978, p. 13-18.

C'est la vie aventureuse de Dover, l'inventeur de la poudre à base d'opium et d'ipéca, que nous conte notre érudit collègue Gilbrin dans un récent article.

Dover naquit dans le Warwickshire ; on ne sait où il étudia la médecine, mais il se vantait d'être l'élève de Sydenham.

En 1864, il s'installe médecin à Bristol mais abandonna cet état pour devenir... corsaire, non comme médecin mais comme 3 e capitaine de l'expédition Dampier, avec 300 hommes sous ses ordres, sur la Duke.

On le retrouve dans le Pacifique. En 1709, Dover commande une pinasse chargée d'aller faire de l'eau dans une île inconnue ; il la croyait inhabitée mais y aperçoit un feu. Il rebrousse chemin et y retourne le lendemain avec six hommes armés : il s'agissait de l'île San Juan Fernandez et l'allumeur de feu était Selkirk, alias Robinson Crusoë, qu'il aurait donc découvert. On sait l'exploitation que D. Defoe fit du récit de l'aventure.

Devenu riche par la course, Dover repense à la médecine et publie « Le testament d'un vieux médecin » où il vante en particulier l'emploi du mercure-métal per os dans diverses affections (11 g par jour ! ) . Le mercure, inerte par cette voie, est relâché par l'autre extrémité et on en retrouve sur les planchers où certains croient qu'il s'agit de petits diamants !

Mais Dover formula aussi la poudre diaphorétique, à base d'opium et d'ipéca, qui a prolongé son nom jusqu'à nous. Il la préconisait contre la goutte mais nos presque contemporains l'avaient retenue surtout pour faciliter l'administration de l'opium.

P.D.

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