Histoire Des Théologies Chrétiennes Dans l'Occident Médiéval

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  • Alain de Libera

    Confrence de M. Alain de LiberaIn: cole pratique des hautes tudes, Section des sciences religieuses. Annuaire. Tome 98, 1989-1990. 1989. pp.391-396.

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    de Libera Alain. Confrence de M. Alain de Libera. In: cole pratique des hautes tudes, Section des sciences religieuses.Annuaire. Tome 98, 1989-1990. 1989. pp. 391-396.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ephe_0000-0002_1989_num_102_98_14347

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    HISTOIRE DES THEOLOGIES CHRETIENNES DANS L'OCCIDENT MEDIEVAL

    Directeur d'tudes : M. Alain DE LIBERA

    Directeur d'tudes associ : Mme M. CHRISTIANI

    Confrence de M. Alain DE LIBERA

    I. Psychologie philosophique et thologie de l'intellect : Albert le Grand, De intellectu et intelligibili (suite).

    Le livre II du De intellectu et intelligibili est compos d'un trait unique divis en douze chapitres : Albert y expose une thologie de l'assimilation au Premier principe - ce qu'il appelle la perfection naturelle de l'intellect, fonde sur une notion philosophique de conjonction ou connexion de l'intellect de l'homme avec l'Intellect spar, qu'il emprunte diverses sources pripatticiennes : Farabi, Avicenne et Averros. Le cycle complet de cette Odysse de l'intellect - avec le dtail de ses tapes ou de ses figures (intellect possible, intellect formel, intellect en acte, intellect des principes, intellect acquis, intellect assimilatif , intellect saint, intellect divin) - a t anticip par l'tude du De summo Bono d'Ulrich de Strasbourg (I, 7 ; Mojsisch, p. 18, 74 sqq.)- On a ensuite tudi systmatiquement les chapitres 1-4 du De intellect ou Albert met en place les lments de cosmologie, de thologie et de mtaphysique ncessaires au dploiement de sa notique spculative. Le chap. 1 rpond en termes pripatticiens (c'est--dire en des termes emprunts au Liber de causis) la question de l'origine des ides : d'o viennent les formes intelligibles, selon quel mode arrivent-elles et se fixent elles dans l'intellect de l'homme ? Le chap. 2 est un expos d'ensemble de la cosmologie des Intelligences et de leur influence ou procession dans l'me humaine (on sait que les

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    deux termes 'influentia et de processdo sont, aux yeux d'Albert, quivalents - le premier tant, pour lui, de provenance arabe, le second de provenance grecque). L'tude de ce chapitre a t l'occasion d'une analyse spcialement consacre la notion albertinienne de forme du monde (l'Intelligence) oppose aux formes de la matire - terminologie difficile qu'Albert emprunte sans doute Farabi (De intellectu et intellecto; Gilson, p. 110, 198- 202) lu travers les notions de forma totius mvndi ou de forma vniversi esse illustres par Avicenne (Metaph. IX, 7 ; Van Riet, 510, 72-511, 83) et Mamonide. Le chap. 3, l'un des plus complexes de tout le livre, veut expliquer la manire dont l'Intellect agit dans l'me humaine. Albert y relie les lments de thologie de l'Intellect tirs du Liber de cousis aux doctrines, elles spcifiquement aristotliciennes, de la causalit de l'intellect (l'intellect agent est comparable un art) - une synthse puissante, parfois obscure, qui engage une vritable thorie de l'origine de l'intellect de l'homme, et qui puise largement dans les opuscules d'Aristote sur les Animaux. Pour tenter d'clairer ce qui constitue le coeur de l'enseignement d'Albert, pour montrer la singularit de cette rencontre de la biologie, de l'astrologie et de la psychologie philosophique, on a analys un texte de Dante (Convivio IV, XXI) exposant la gense des mes vgtatives, sensitives et intellectives selon l'opinion d'Aristote et des pripatticiens. De ce point de vue, on a soigneusement discut les notions de vertu formative, de vertu clestiale et de vertu du moteur du ciel, qui, chez Dante comme chez Albert, instrumentent l'ide d'une divinisation de l'homme pense dans le cadre d'une conception la fois astrologique et philosophique de 1' influence des astres. L'examen de la notion de vertu formative (vis formativa), atteste la fois chez Galien et Averros, a t l'occasion d'un expos sur la thorie aristotlicienne du se me a, dont on a montr la valeur paradigmaque chez Albert et l'Alighieri. Plusieurs sances ont t ainsi consacres la lecture des Quaestiones super De animalibus o Albert explique les thses d'Aristote dans le De generatione animalium II, 1, 735a4-9 et la Mtaphysique VII, 9, 1034a33-34 (sperma facit sicut ea quae sunt ab art). Le chap. 4 du De intellectu exposant les thses des philosophes sur la nature de l'intellect possible, on a, pour finir, identifi ses sources relles chez Aristote, Farabi et Avicenne. Deux remarques : la description de l'intellect possible comme lieu des intelligibles plutt que matire des intelligibles est implicitement tourne contre le

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    matrialisme d'Alexandre d'Aphrodise - thme classique de la psychologie philosophique d'Albert forg sur les pas d'Averros. La substitution du modle de la lumire et du diaphane celui, farabien (cf. De intellects ; Gilson, p. 118, 103-112) du cube de cire et du sceau, tmoigne d'un primat du paradigme optique (perspectiviste) en psychologie de la connaissance qui s'inscrit lui-mme dans le mouvement gnral de la thorie de rintentionnalit progressivement difie par les auteurs du XIIIe sicle partir d'Avicenne, d'Averros et d'Alhazen. Un expos de Mme K. Tachau (Universit d'Iowa) sur l'optique et la psychologie mdivales a permis de suivre la fortune de ce modle et de cette problmatique jusqu' la fin du XIVe sicle.

    II. Philosophie et mystique au XIVe sicle : les Sermons latins de Matre Eckhart.

    L'essentiel du travail de sminaire a port sur la rception de la prdication d 'Eckhart Strasbourg et Cologne. Deux textes ont t privilgis : le trait apocryphe connu sous le titre de Also waz schwester Katerei (Telle tait sur Katerei, la fille que Matre Eckhart avait Strasbourg) ; le Buchlein der Wahrheit d'Heinrich Seuse. Also waz scbwester Katerei est le rcit d'une exprience et d'une relation dont les protagonistes sont Katerei et son confesseur (bihter) - qu'il faut bien distinguer d'Eckhart lui-mme. L'ouvrage est un produit de l'activit littraire des bghards et des bguines : c'est, vraisemblablement, un manifeste de la secte du Libre Esprit.

    On peut y distinguer deux temps forts. Un premier ensemble narratif nous dpeint les efforts de Katerei avant l'exprience cruciale de ce qu'elle appelle sa confirmation (beweren). Un second ensemble nous la montre enseignant son confesseur le chemin de la dification.

    La premire squence est consacre la qute d'une demeure fixe, stete bliben, dans l'ternit - c'est la reprise de la mansio, rsidence ou fixation qui polarise le cycle noplatonicien de la sortie (exitus) et du retour (reditus). Sur le conseil du bihter, K. entre dans une simplicit vritable (blzheit), terme dionysien typique de la prdication eckhartienne. Aussi longtemps que cela dure, elle a l'impression d'tre un avec Dieu. Mais ce n'est pas encore la demeure, c'est une dure (es wert) s c'est--dire un devenir. En fait, la vision de Dieu repousse violemment K. en elle-

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    mme, lui rvlant ainsi l'abme de de la sparation. On reconnat l un des thmes centraux de la thologie eckhartienne des batitudes. La vision rflchie (visio reflex) de Dieu, chre aux grand matres de Paris est privation de Dieu. Aprs un temps de retraite, K. revient, mais son discours a chang du tout au tout : Herre, dit elle, wrevet iuch mit mir, ich bin got worden (Je suis devenue Dieu) ! Aprs cette rvlation, accepte par le Confesseur, K. retourne l'glise, et durant trois jours, elle sombre dans les apparences de la mort. C'est cette mort qui signe le passage de la qute la rcompense, l'articulation du beweren et du bewert sein. Mais que reste-t-il faire aprs le beweren ? K. rpond : rien, Ich bin beweret, c'est--dire : Je suis, confirme. Je suis : dans la dit nue, l o il n'y a ni images ni formes. En d'autres termes : aprs la confirmation, il y a encore et toujours la confirmation, il n'y a pas ' aprs la confirmation, car il n'y a pas d'aprs dans la confirmation. L o il n'y a ni images ni formes : images renvoie la vision spculaire, la saisie de Dieu et du cr dans le miroir de la vrit. La rsidence dans la dit abolit la vision spculaire: elle supprime la fois le miroir, le modle et l'image. Cette abolition est ce que Denys appelait V apbairesis, ce qu'Eckhart nomme lui- mme Ventbildung. Cet tat d 'inconnaissance ou plutt de connaissance aphairtique est dcrit par Eckhart ds le sermon 40. L'entbildung se retrouve dans les passages du Livre de la consolation divine et du Sermon sur l'homme noble mis en cause par la commission d'Inquisition de Cologne. Katerei fait dire Eckhart que Ventbildung permet d'accder l'unition, einfrmicbeit, divine (autre terme dionysien), comme si cette uniformit tait en de et au-dessus de la Trinit des Personnes. L'tat qui rsulte de la pratique de l'entbildung est dcrit comme constant : c'est la vie bienheureuse de ceux qui sont (re)devenus blzgot undegott Dieu avec dieu, Dieu en Dieu. Tel est Vbervart, le passage dans la dit.

    Cette doctrine a t condamne. Est-ce celle d'Eckhart ? Ce n'est pas l'avis de son principal lve, Henrich Seuse. Pour mettre en perspective les aspects supposs hrtiques de l'enseignement eckhartien, on a donc analys le chapitre VI du Petit livre de la vrit, qui met en scne sous forme de dialogue, la rencontre fictive de Seuse avec un membre de la secte du Libre Esprit : celui que Seuse appelle le Sauvage sans nom (daz namelos wilde). Seuse pose deux questions : O aboutit l'intelligence du Sauvage ? Et, puisque c'est l son terme prtendu, que nomme-t-il pure

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    libert ou pure vacuit (le ternie ledic signifiant la fois libre et vide) ? Suivant ces deux axes on a pu reconstituer la fois ce qu'taient les fondements thoriques de la thologie du Libre Esprit et ce que pouvait tre, aux yeux d'un eckhartien orthodoxe comme Seuse, la vritable thologie de la pauvret d'esprit selon Eckhart. Ces analyses ont permis de dgager deux modles distincts du dtachement (abegescheidenheit) : l'un, non eckhartien, supposant l'identification de l'essence ou fond (grnt) de l'me l'essence ou fond de Dieu, l'autre eckhartien, qui ne la rclame pas, du moins en ces termes - puisqu'il passe, au contraire, par la mise en uvre d'une dialectique de la diffrence- indiffrente (expose, notamment, dans le Commentaire de la Sagesse), qui ne saurait tre considre part des autres positions fondamentales de la pense eckhartienne : thologie des Missions divines et thologie de la grce d 'inhabitation.

    PUBLICATIONS DU DIRECTEUR D'TUDES

    La problmatique de 1'" instant du changement" au XIIIe sicle : contribution l'histoire des sophismata physicalia , in : Stvdies in Mdival Natural Philosophy, (Biblioteca di Nuncius. Studi e Testi, I), Edited by S. Caroti. Introduction of J. E. Murdoch, Florence, Lo S. Olschki, 1989, p. 43-93.

    P. Alfri, Guillaume d'Ockbam. Le singulier , in : Annuaire philosophique, 2, Paris, Le Seuil, 1989, p. 11-38.

    Philosophie et thologie chez Albert le Grand et dans l'Ecole dominicaine allemande, in : Die Klner Universitt im Mittelater, (Miscelianea Mediaevalia, 20), Berlin-New York, De Gruyter, 1989, p. 49-67.

    Einleitung [en collaboration avec B. Mojsisch] in : Ulrich von StraBburg, De summo bono, Liber I [Corpus Philosophorum Teutonicorum Medii Aevi, Band I], Hambourg, Flix Meiner, 1989, p. IX-XXVIII.

    Les sources grco-arabes de la thorie mdivale de l'analogie de l'tre, Les Etudes philosophiques, 3-4 (1989), p. 319-345.

    Le sophisma anonyme "Sor desinit esse non desinendo esse" du Cod. Parisinus 16135, Cahiers de l'Institut du Moyen Age Grec et Latin, Universit de Copenhague, 59 (1989), p. 1 13-120.

    Albert le Grand et la philosophie, (A la Recherche de la Vrit), Paris, Vrin, 1990 [289 pages],

    A Filosofia Mdival, (Coleo Cultura Contempornea, 15),

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    Rio de Janeiro, Jorge Zahar Editor, 1990 [105 pages] De la logique la grammaire : Remarques sur la thorie de la

    determinatio chez Roger Bacon et Lambert d'Auxerre (Lambert de Lagny), in : De ortu grammaticae. A Tribute to Jan Pinborg, d. par G. Bursiil-Hall et S. Ebbesen, Amsterdam, J. Benjamins, 1990, p. 209-226.

    La logique de la discussion dans l'Universit mdivale, in : Figures et conflits rhtoriques, d. par M. MeyeretA. Lempereur, Bruxelles, Editions de l'Universit de Bruxelles, 1990, p. 59-81.

    Auditeurs, tudiants, lves assidus : ANDUJAR Eduardo, AYMONIER Charles- Job, BALADIER Charles, BALLEUR Rmi, BEN NACEUR Adel, BROUSSEAU Christine, CONTICELLO Carmelo-Giuseppe (Universit catholique de Milan), DOURTHE Pierre, DUPONT Frdric, FOURNIER Gilbert (Universit de Strasbourg), GALLY Michle, GAROCHE Claude, LIE Genevive, MICHON Cyrille, MILON Jean-Franois, PINCHARD Bruno (CNRS), POITEVIN Hlne, POULAIN Caroline, POSTIC Josine, PROTZ Krysztof, RICHARD Anne, TCHO Hye Young, ROSIER Irne (CNRS), VERNIER Jean-Marie, WEBER Edouard-Henri.

    Ont assist une partie des confrences : BERTIN Francis, CALVET Antoine, CEAUCESCU Gilles, CHASE Michael, COLOSSIMO Jean-Franois, MICHON Hlne, OZILOU Marc, SERVERAT Vincent, SOLERE Jean-Luc.

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    PlanI. Psychologie philosophique et thologie de l'intellect : Albert le Grand, De intellectu et intelligibili (suite)II. Philosophie et mystique au XIVe sicle : les Sermons latins de Matre EckhartPublications du directeur d'tudes