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1 De l’enseignement de l'histoire à l’histoire dans les prétoires (et dans les mémoires) Attention : c’est un cours mis en forme . Il peut subsister des coquilles et erreurs. (37 pages) I Un enjeu social : écoles, manuels et professeurs au 19 ème siècle D’abord l’histoire n’est pas sub specie aeternitatis, elle est donc dans son temps, de son temps, et en cela elle est une pratique sociale . Les historiens sont condamnés à écrire l’histoire en se situant par rapport à leurs devanciers mais aussi par rapport à leurs contemporains. Il n’y a pas d’histoire qui s’écrit hors du monde. En France, l’enjeu social est d’autant plus grand que l’histoire a depuis le 19 ème siècle un statut prestigieux. On a pu parler de « passion française » pour l’histoire. En tous cas, l’histoire a eu un rôle majeur dans la construction d’une mémoire nationale, et un rôle tout aussi majeur (les deux sont liés) dans l’enseignement privé comme public. A cela s’ajoute le rôle dévolu par la République aux instituteurs et aux professeurs en général. 1. Les « hussards noirs » et la « République des professeurs » L'école est le lieu de diffusion d'une véritable « culture » civique nationale, une éducation à la démocratie. Les hussards « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes ; sévères ; sanglés. Sérieux, et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. » Péguy en 1913 Ce surnom vient, d'abord, de la couleur noire et austère des vêtements des instituteurs issus des Écoles Normales créées selon la loi Guizot de 1833 pour les hommes puis la loi Paul Bert de 1879 pour les femmes dans chaque département. L'institution bannit, en effet, toute ornementation et tout superflu. Mais d'autre part, et c'est là peut-être le plus important, de ces Écoles Normales sortent des instituteurs qui, s'ils étaient tous habillés dans les mêmes tons, avaient surtout reçu une véritable mission (le terme n'est pas trop fort) : instruire la population française. En 1875 2 739 0000 élèves inscrits dans le primaire laïc et 1871 0000 dans le primaire congrégationiste, en 1912 c’est

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De l’enseignement de l'histoire à l’histoire dans les prétoires (et dans les mémoires)

Attention : c’est un cours mis en forme. Il peut subsister des coquilles et erreurs. (37 pages)

I Un enjeu social : écoles, manuels et professeurs au 19ème siècle

D’abord l’histoire n’est pas sub specie aeternitatis, elle est donc dans son temps, de son temps, et en cela elle est une pratique sociale. Les historiens sont condamnés à écrire l’histoire en se situant par rapport à leurs devanciers mais aussi par rapport à leurs contemporains. Il n’y a pas d’histoire qui s’écrit hors du monde. En France, l’enjeu social est d’autant plus grand que l’histoire a depuis le 19ème siècle un statut prestigieux. On a pu parler de « passion française » pour l’histoire. En tous cas, l’histoire a eu un rôle majeur dans la construction d’une mémoire nationale, et un rôle tout aussi majeur (les deux sont liés) dans l’enseignement privé comme public. A cela s’ajoute le rôle dévolu par la République aux instituteurs et aux professeurs en général.

1. Les « hussards noirs » et la « République des professeurs »L'école est le lieu de diffusion d'une véritable « culture » civique nationale, une éducation à la démocratie. Les hussards « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes ; sévères ; sanglés. Sérieux, et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. » Péguy en 1913 Ce surnom vient, d'abord, de la couleur noire et austère des vêtements des instituteurs issus des Écoles Normales créées selon la loi Guizot de 1833 pour les hommes puis la loi Paul Bert de 1879 pour les femmes dans chaque département. L'institution bannit, en effet, toute ornementation et tout superflu. Mais d'autre part, et c'est là peut-être le plus important, de ces Écoles Normales sortent des instituteurs qui, s'ils étaient tous habillés dans les mêmes tons, avaient surtout reçu une véritable mission (le terme n'est pas trop fort) : instruire la population française.En 1875 2 739 0000 élèves inscrits dans le primaire laïc et 1871 0000 dans le primaire congrégationiste, en 1912 c’est 5631000 et…38 000 ! Quant aux instits ils sont en, 1876 53 000 dont 14000 femmes et en 1911 123000 dont 670000 femmes.

A la fin du XIX siècle, l'origine sociale des instituteurs traduit les bouleversements sociaux de cette période. Nombre d'instituteurs sont fils ou filles de petits paysans, de manœuvriers ou d'exploitants cultivant moins de dix hectares. Ils viennent aussi de familles touchées par la faillite ou par la disparition de certains artisanats. D'autres encore sont fils ou filles de petits fonctionnaires titulaires du certificat d'études, de postiers, de gardes champêtres, de cantonniers et, pour une forte minorité, d'instituteurs ruraux. Au cours des années 1880, à l'école normale de garçons de Saint-Lô, dans la Manche, les fils de paysans

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forment plus de la moitié des promotions, les fils d'artisans et commerçants représentent presque le tiers des effectifs, et les fils d'ouvriers et d'employés une poignée d'élèves. Le choix des familles se porte vers l'école normale, qui mène au métier d'instituteur, d'abord parce que son accès est gratuit. « [...] cette École Normale semblait un régiment inépuisable. Elle était comme un immense dépôt, gouvernemental, de jeunesse et de civisme. Le gouvernement de la République était chargé de nous fournir tant de sérieux. » (Péguy) «Je sortis de l'école normale profondément laïque et républicain, rêvant d'une société moins dure aux déshérités, plus humaine, plus égalitaire. J'avais la conviction profonde que seule l'instruction pourrait libérer les hommes, que le triomphe de la vérité par la science assurerait la paix et le bonheur de tous (Henri Villin, instit début XXème siècle) C’est aussi une sort de « couvent laïque » La profession, très prestigieuse, promet une vie meilleure, sans fatigue physique, avec des revenus sûrs et des congés payés, privilège rare jusqu'en 1936. Aux plus modestes, le métier offre une promotion sociale, culturelle et financière. A la fin du XIXe siècle, un ouvrier agricole gagne 400 francs par an quand un instituteur en début de carrière en perçoit le double.

« La république des professeurs »Durant toute la Ille République, le corps professoral de l'enseignement public est restreint: 7000 en tout en 1890 et 14000 après 1914, dont 2 000 femmes. La plupart des professeurs sont issus de la petite bourgeoisie ou des couches supérieures des classes populaires. Le professorat secondaire et supérieur attire les candidats des petites classes moyennes en raison de la quasi-gratuité des études supérieures qui y mènent. La scolarité ainsi que la pension à l'école normale supérieure (c’est elle qui prépare aux métiers de professeurs, donc l’ENS Ulm (rue d’Ulm depuis 1847, mais l’école existe depuis 1794 et elle a aussi été à LLG en 1826/27 sous le nom d’Ecole préparatoire) et à partir de 1881 l’ENS Sèvres pour les JF) sont entièrement gratuites. Contrairement à la scolarité en lycée (450F an – la moitié d’un salaire ‘instit pour un élève en classe de rhétorique à Paris équivalent e la 1ère).

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Et il faut le bac, évidemment. C’est en 1880 que sont créées dans quelques lycées des classes de rhétorique supérieure, spécialement réservées à cette préparation. La plupart, cependant, ne sont que de simples subdivisions des classes de rhétorique. Seuls quelques-unes sont autonomes. Les plus importantes de ces Khâgnes, et de très loin, sont celles de Louis-le-Grand et d’Henri IV, qui sont subdivisées en deux années, hypokhâgnes et khâgnes, dès le début du XXe siècle

À ceux qui fréquentent l'université de lettres et de sciences, les gouvernements républicains allouent des bourses qu'ils n'accordent qu'exceptionnellement aux étudiants en médecine et qu'ils refusent, par exemple, aux juristes. Ensuite, la fonction de professeur séduit ces enfants, car elle peut être exercée sans capital social ni financier, à la différence des professions libérales. Elle rassure aussi les familles sensibles à la sécurité matérielle de la fonction publique. Aux yeux des parents de la petite bourgeoisie, le professeur de lycée représente un personnage respectable et respecté. En témoignent la distribution des prix et les discours que l'on y prononce, qui sont à travers toute la France un rite important de la vie locale. Au-delà de ces motifs matériels, les élèves se laissent guider vers le métier par plaisir intellectuel. Ils sont attirés par l'étude et sont heureux de pouvoir approfondir à l'université leurs connaissances dans une discipline scolaire particulière, en lettres ou en sciences.

2. L’usage social de l’enseignement de l’histoire

L'école est le lieu de diffusion d'une véritable « culture » civique nationale, une éducation à la démocratie. par le contenu de l'enseignement : par les programmes adoptés

par le conseil supérieur de l'instruction publique qui comprend désormais une majorité d’universitaires et d’enseignants du Primaire et du Secondaire et plus aucun représentant des « Eglises »

le certificat d’études primaires devient en 1880 un examen national, mais aussi un lieu de mémoire scolaire qui incarne la République égalitaire et méritocratique.

par les manuels scolaires, la IIIe République « pédagogise ». Une pédagogie rationnelle, par l'image. La « bible » = le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, l'inamovible directeur de l'enseignement primaire de 1879 à 1890 qui fait appel à tous les grands pédagogues de l’époque : aux côtés de Lavisse qui rédige l’article « Histoire » et de Durkheim (« Education » « Pédagogie ») on trouve Viollet Le Duc (« architecture ») Aulard, Duruy, Marcelin Berthelot, Paul Bert, Jules Steeg : conçu comme un guide théorique et pratique pour tous ceux qui s'occupent d'enseignement primaire, public et privé « une inépuisable circulation intérieure s'organise dans cette encyclopédie des merveilles, véritable caverne d'Ali Baba qui du plus humble au plus important, de « Carnot » à « cartable » et de « vestiaire » à « Voltaire » reconstruit le monde des éducateurs de l'enfance » (Pierre Nora)

« l'école doit être à côté de la mairie, qui est la maison commune des intérêts et des droits, la maison commune des devoirs »

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(Ferdinand Buisson discours au congrès de la ligue de l'enseignement 1895)

le manuel de morale et d'instruction civique = au cœur de la querelle scolaire. Cf celui de Paul Bert mis à l'index en décembre 1882. Vise à développer « dans chaque enfant le sentiment de sa responsabilité civique »

- l’école permet de forger un citoyen patriote républicain, de « fonder une éducation nationale » (lettre aux instituteurs 17 novembre 1883) : - l'école « doit former un esprit civique amenant les Français à

penser leur appartenance à la communauté politique sous l'angle de l'universalité » (Yves Deloye), véritable « gymnastique de l'unité et de l'identité nationales » selon Mona Ozouf. Tout en respectant les cultures locales comme l'a montré Jean-François Chanet dans L'école et les petites patries.

- Elle doit permettre à tous les citoyens de voter en conscience, d'exercer un droit de vote acquis depuis 1848 : Jules Ferry déclare « la Première République nous a donné la terre, la Deuxième le suffrage et la Troisième le savoir »

- Pour suppléer les carences du service militaire national qui n’est pas encore « universel » c'est-à-dire offert à tous les jeunes (on pratique encore le tirage au sort entre les « bons » et les « mauvais numéros ») Paul Bert institue des « bataillons scolaires » par décret en juillet 1882 pour les jeunes de plus de 12 ans pour pratiquer des « exercices militaires ». Ils sont supprimés en 1889 après l'avènement du service militaire national (tableau d’Albert Bettanier, La tache noire, 1887 mais cette école au service du citoyen ne s’installe pas sans résistance

Ecole publique et école « libre »-Premier point, il ne faut pas nécessairement opposer radicalement enseignement religieux et enseignement laïc de l’histoire, du moins jusqu’aux années 1880

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Dans une lettre (célèbre) de cadrage destinée aux instituteurs le 17 novembre 1883, Jules Ferry tente de désamorcer la guerre scolaire en raison de la condamnation des manuels républicains par l'Eglise (mise en à l'Index et refus des sacrements aux instits qui les utilisent). Même si les nouveaux programmes évitent dans un premier temps l'histoire la plus contemporaine (depuis la Révolution française), ce sont bien deux visions de la France qui s'affrontent dans les années 1880.De fait la pression de l'Université est trop forte. Le 12 mars 1886 à 10h en Sorbonne, moment historique : Alphonse AULARD prononce la leçon inaugurale de la chaire d'histoire de la Révolution française, en présence d'un Clemenceau, enthousiaste.

Il faut malgré tout attendre la réforme de 1902 pour que le ministre Leygues ouvre à l'histoire contemporaine l'ensemble des programmes scolaires, mais cela relance le débat, que la loi de séparation ne clôt pas, au contraire, car l'Eglise est certes affaiblie mais plus libre de ses choix. L'Eglise en appelle à la « neutralité » des manuels et les évêques condamnent entre 1908 et 1910 plusieurs manuels. Face à cette offensive, le camp républicain est divisé entre modérés (un

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Briand, le père de la loi de 1905) et anticléricaux plus viscéraux (Combes).

Jaurès tente de promouvoir la « laïque » de façon plus originale (discours à la Chambre des 21 et 24 janvier 1910 : Pour la laïque). Il s'en prend à une Eglise fermée à l'esprit de raison, à la démocratie et au modernisme, laquelle condamne les chrétiens progressistes (Marc Sangnier et le Sillon), il promeut le droit de l'enfant en s' »inspirant de Proudhon mais il fait aussi des propositions constructives en, matière d'histoire de France : il ne faut pas juger toujours, juger tout le temps il faut être plus modéré sur la dénonciation du Moyen Age catholique obscurantiste il faut ouvrir l'histoire à celle des autres peuples, notamment d'Europe mais aussi d'Afrique et d'Asie (après avoir été favorable aux colonies dans les années 1880, Jaurès est devenu anticolonialiste). Sur tous ces points, Jaurès (lui-même historien de la Révolution française) n'est que peu entendu ou partiellement.

L’un des usages sociaux de l’histoire est donc son enseignement et le nombre d’heures qui y sont consacrées: L’histoire y apparaît très tôt dans le secondaire – matière obligatoire en 1818 depuis la 5ème, à raison de 2 heures/semaine. L’agrégation d’histoire et de géographie est créée en 1830 et elle existe encore (elle fut seulement supprimée de 1853 à 1860 par Napoléon III puis devient autonome avec deux agreg spécifiques en 1944, l'agrégation de géo ayant été souhaitées sous vichy en raison de l'importance prise par la géo dans les programmes de Vichy ), formant alors des professeurs spécialistes qui enseignent dans les lycées, à l'université et qui font souvent de brillantes carrières politiques. (ex. Victor Duruy, normalien, agrégé d’histoire, ministre de l’instruction publique de 1863 à 1869). Et contrairement à un idée reçue, on y apprend pas que de l’histoire antique. V.Duruy impose en classe de philo (Terminale, la plus prestigieuse) un programme d’histoire très contemporaine allant de 1815 à 1863…Le même Duruy (qui fut l’un des plus grands ministres de l’Instruction) rend l’histoire (et la géographie) obligatoires dans le primaire, et les républicains lui donnent en 1882 une place horaire obligatoire (2 heures). L’histoire prend dans le primaire toute sa fonction sociale. Lavisse, inspecteur général et historien républicain déclare « n’apprenons pas l’histoire avec le calme qui sied à l’enseignement de la règle des participes. Il s’agit ici de la chair de notre chair et du sang de notre sang. »Lavisse assigne un objectif commun au savant e professeur : former des citoyens pour la nation. Il est « l’instituteur national », celui qui règne sur la Sorbonne , puis l’ENS et aussi les programmes scolaires et les manuels.

Dans les écoles normales , l'enseignement général comprend aussi l'histoire de la France, notamment L'Histoire de France d'Ernest

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Lavisse qui reconsidère les études historiques pour en faire un puisant moyen d'éducation nationale afin de fortifier la démocratie républicaine. Lavisse réprouve le despotisme monarchique, l'orgueil des rois tout-puissants qui écrasaient le peuple d'impôts pour financer leurs dépenses luxueuses et leurs guerres de prestige. Les rois ne sont « admis» que dans la mesure où ils furent les artisans de l'unité de la patrie. La Révolution française est présentée comme un aboutissement qui fait de la France une nation universelle. Dans les écoles chrétiennes, l'Église, elle, multiplie les hagiographies des rois de France, tous présentés comme des catholiques fervents, et notamment Louis XVI, victime de 1789, dépeint comme un accident tragique. Les républicains reprennent paradoxalement les mêmes armes que l'Église tout en brandissant l'étendard de la liberté. Ils se méfient du peuple; il n’est pas question que les élèves-maîtres, hommes du peuple, puissent librement se forger une culture historique en confrontant des sources contradictoires sans risquer de dévier vers la réaction. Les cours de géographie décrivent le territoire de la belle France et glorifient l’œuvre coloniale; l'instruction civique énumère les libertés données par la République et insiste sur les droits et devoirs des citoyens. Ces disciplines sont destinées à développer chez les élèves-maîtres un patriotisme républicain. L'école doit susciter auprès de la jeunesse un réveil du sentiment national. Seul le renforcement du patriotisme peut conduire à un dépassement des oppositions idéologiques, sociales et régionales et faire progresser la conscience d'appartenance à une même nation.

L'efficacité des écoles normales est admirable, du moins jusqu'en 1914, tant que la République combat pour sa pérennité. La plupart des élèves-maîtres fondus dans le moule de l'école normale souscrivent pleinement à la culture qui leur est prodiguée, à tel point qu'ils entreront au Panthéon de l'imagerie d'Épinal avec la légende: «Les instituteurs, serviteurs mythiques et idéaux de l'école républicaine » Ce volontarisme républicain a pétri des générations de maîtres épris de justice. De même, les instituteurs vont partager avec les autres Français leur foi en la science et dans le progrès technique dont témoignent alors d'extraordinaires inventions.

A la Sorbonne, Seignobos défend de manière à peine plus subtile que Lavisse l’enseignement de l’histoire comme instrument d’éducation du citoyen et de l’opinion publique. La Sorbonne bénéficie en effet largement au tournant du siècle des faveurs de la République, une position dominante que Péguy attaque violemment en 1907 dans un texte célèbre, dénonçant « ces professeurs qui se conduisent dans leurs chaires comme des préfets (…), qui exercent littéralement une tyrannie mentale, intellectuelle, morale, civique [les historiens Aulard et Langlois sont visés ainsi que les sociologues). A note que le Dreyfusard Péguy dénonce à peu près la même chose que l’anti-dreyfusard Barrès à la fin du XIXème siècle dans les lycées (Les Déracinés), à savoir le magistère tyrannique de quelques professeurs, notamment de philo, qui avancent masquée et drapés de l’aura républicaine.

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Le roman de Barrès Les déracinés est publié en 1897, la même année que les Nourritures Terrestres de Gide (lequel Gide fait une critique très drôle des Déracinés) mais il décrit des événements se passant dans les années 1879-1885, à savoir l’histoire de 7 Lorrains, nés vers 1860, élevés ensemble au lycée Stanislas de Nancy, et qui se retrouvent pour faire leurs études à Paris, poussés en classe de philo par un professeur gambettiste et kantien, Mr Bouteiller, vite promu à Paris lui aussi au lycée Saint-Louis ; ce n’est pas à proprement parler un roman « revanchard », mais c’est un roman nationaliste, fédéraliste, anticapitaliste, anti opportuniste, qui va profondément influencer la génération intellectuelle de la Belle Epoque. La thèse centrale du roman est que l’Université et la capitale déracinent les jeunes gens, leur font perdre leurs racines lorraines et terriennes, ce que Lucien Herr appellera avec mépris les «petites patries locales » qui font la grande patrie française. Les socialistes sont pourtant séduits (Blum), mais les positions de Barrès lors de l’affaire Dreyfus vont lui faire perdre tout capital de sympathie de ce côté. En revanche, c’est pour une partie de la Droite une révélation (ainsi Charles Maurras). Trois ans plus tard en 1900, Barrès publie L’Appel au soldat, qui retrace l’épisode boulangiste, dans lequel l’écrivain a été on ne peut plus impliqué puisqu’il a été élu en 1889 à Nancy sur une liste boulangiste.

3. Histoire et manuels scolairesCes débats se cristallisent sous la IIIème République (et même au-delà) dans ce que Gilles Candar a appelé « la guerre des manuels », qui est pour résumer une guerre idéologique entre le parti de la Révolution et celui de ses adversaires, alliés pour la plupart à l'Eglise catholique, une guerre que redoutait déjà Hugo au moment de la Loi Falloux de 1850, guerre entre deux écoles, entre deux jeunesses.

Histoire et manuels scolaire-Jeanne d’Arc- La leçon orale- Le tour de la France

Jeanne d’Arc : célèbre affaire Thalamas en 1904 (Amédée Thalamas, professeur d’histoire à Condorcet , qui parle à ses élèves de 2de d’une Jeanne ayant « des hallucinations auditives et avait cru entendre des voix célestes lui ordonner d’aller faire sacrer le roi à Reims », qui n’a pas fait seule le siège d’Orléans et qui a désobéi à ses parents pour « aller vivre avec des hommes dans les camps militaires » Thalamas est pourfendu par les nationalistes, qui perturbent tous les mercredis le cours qu’il donne aussi en Sorbonne, des manifestations violentes ont lieu à Paris en 1908-9 entre thalamistes et anti-thamalistes, ces derniers (essentiellement les Camelots du Roi) accusant les Juifs de vouloir salir la Pucelle.

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La mise en place de la « leçon orale » d’histoire (1867 – années 1890) à partir de la lecture des manuels dans le primaire.

La plupart du temps, la leçon d’histoire se résume à la lecture d’un manuel scolaire que les enfants doivent apprendre par cœur, alors que les pédagogues insistent justement sur le cadre de la leçon orale d’histoire.

« On a décrit à l’écolier, au premier degré, la personne de Charlemagne, son visage, son vêtement, ses armes, l’emploi d’une de ses journées, la vie au palais d’Aix-la-Chapelle, l’école palatine. On l’a représenté au mi-lieu des assemblées et à la guerre, chevauchant plusieurs mois de l’an-née, sous le soleil d’Espagne et d’Italie, ou sous le ciel gris de la Saxe. On a raconté la légende de Roland à Roncevaux. […] après avoir réveillé ces souvenirs par des interrogations, expliquer l’admirable effort qu’a fait pour gouverner cet empereur pensant à tout, s’occupant de toutes choses, comme un père de famille qui commande pour le bien et a la charge d’âmes. Puis, après avoir décrit sommairement l’état de l’Europe, de la Gaule pacifiée, de l’Espagne où sont encore les Arabes, de l’Italie où le pape est menacé par les Lombards, de l’Allemagne païenne et encore barbare, sans ville et couverte de forêts, faire, sans aucun souci des dé-tails ni de l’ordre chronologique le tableau des conquêtes, et montrer la conclusion de cette histoire épique : Charlemagne réunissant la Gaule, l’Allemagne, une partie de l’Espagne et de l’Italie, couronné à Rome, et, après avoir entrepris de faire régner dans le monde l’ordre, la justice et la paix, allant dormir du sommeil éternel dans le caveau d’Aix-la-Cha-pelle, assis sur un trône de marbre, une croix d’or au cou et l’Évangile ou-vert devant lui. »

.Lavisse, article « Histoire » pour le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdi-nand Buisson (1887)

« L’histoire doit être présentée sous forme anecdotique. Les faits racon-tés doivent être non seulement choisis au point de vue moral, mais pré-sentés d’une manière animée et pittoresque. Que l’instituteur y mette un peu de cette action qui est recommandée à l’orateur afin que son récit fasse tableau dans l’imagination des petits élèves. Les enfants aiment dans un récit ce qui est dramatique… Nous devons donner du mouvement [aux] figures, les faire parler, agir, vivre en un mot… Il faudrait que chaque trait détaché fût, autant que possible, accompagné d’un tableau de mœurs contemporaines du fait raconté… Récits, tableaux, entretiens vifs et animés sont les procédés à mettre en œuvre »

Eugène Brouard, Charles Defodon, Inspection des écoles primaires. Ouvrage à l’usage des aspirants aux fonc-tions d’inspecteurs primaires, des inspecteurs primaires, des délégués cantonaux et généralement des per-sonnes chargées de la surveillance et de la direction des écoles, Paris, Hachette, 1881 (4e éd.)

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« Monsieur Poizat, de Chereilles, a la parole. Il prend pour sujet de sa le-çon la guerre de Cent ans. Le Conférencier a fait là un heureux choix, mais aussi, il a traité son sujet d’une manière heureuse. D’abord, il convient de dire qu’il s’exprime en forts bons termes, qu’il met du feu dans son débit, et qu’il a été admirablement bien servi par sa verve. D’un bout à l’autre de sa leçon (je suis tenté de dire de son discours), Monsieur Poizat a su intéresser vivement, non seulement ses élèves, mais la confé-rence toute entière. Voici en quelques mots, sa manière d’enseigner l’his-toire. Il fait l’exposé de sa leçon. Mais c’est dans cet exposé qu’il peut va-rier ses moyens d’action. Il donne tous les détails nécessaires sur les faits principaux et les personnages marquants, puis il glisse ensuite légère-ment sur tout ce qui est secondaire, mais pas assez cependant pour que cette partie de l’histoire passe inaperçue. Il sait aussi donner à sa voix l’expression des sentiments qui l’animent. C’est dire qu’elle est ironique et orgueilleuse après Cassel, triste et grave en parlant des malheurs de la France, douce et triste à l’endroit de Jeanne d’Arc, enfin mâle et fière après Castillon. Il est inutile, j’espère, de reproduire la leçon de M. Poi-zat. Aussi me contenterai-je de dire qu’au point de vue purement histo-rique, rien de ce qui devait être dit aux élèves d’un cours moyen, n’a été omis par le Conférencier, sauf l’épisode du siège de Calais. La leçon ter-minée, il a fait résumer par les élèves l’histoire de Jeanne d’Arc. Monsieur l’Instituteur de Chenereilles, en regagnant sa place, a été chaleureuse-ment applaudi par tous ses collègue. »

Archives départementales de la Loire, T 588 : conférences pédagogiques de 1884, circonscription de Montbri-son 1, canton de Saint Rambert.

« Dans plus d’une école encore, voici en quoi consiste l’enseignement de l’histoire: le maître ouvre le livre et dit : « vous apprendrez de telle page à telle page ou de telle ligne à telle ligne ». À la classe suivante, l’enfant se lève, récite par cœur ou à peu près, il se rassied et la leçon est finie. La méthode est simple, comme on le voit, et surtout commode pour les maîtres et point fatigante. J’en ai connu qui y regardaient de si près, qu’ils arrêtaient la leçon tout net au beau milieu d’un récit et coupaient un événement en deux, tout bonnement, comme la chose du monde la plus naturelle. Cette manière de découper ou plutôt de hacher menu l’his-toire et de la déchiqueter, n’est pas aussi rare qu’on pourrait le croire ; presque partout, l’histoire, c’est le livre, et on taille dans le livre plus ou moins grossièrement à la fortune des ciseaux. »

Alexandre Vessiot, De l’enseignement à l’école et dans les classes élémentaires des lycées et collèges, 2e éd. Paris, Lecène et Oudin, 1886

« M. l’Inspecteur s’occupe […] de montrer les heureux changements ap-portés dans l’enseignement de l’histoire, en nous rappelant la manière dont il était donné autrefois. On faisait usage dans un grand nombre d’écoles des traités de Mme de Saint-Ouen et de Mme Emma Morel, ou-vrages de composition fort mauvaise dans lesquels la plus grande place

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est accordée aux rois fainéants, tandis qu’il n’y est presque pas question de la Révolution française. La mauvaise direction imprimée à cette étude rendait encore plus difficile les progrès des élèves : la leçon orale, la pa-role du maître ou de la maîtresse et ses explications étaient complète-ment inconnues. On croyait avoir tout fait quand on avait fait réciter à la lettre à l’enfant la page ou le règne qu’on lui avait donné la veille à ap-prendre. Ainsi, la mémoire seule agissait, mais l’intelligence ne trouvait pas là son compte. »

Rapport d’inspection de la Loire (1885) : discours aux institutrices.

Pour en savoir plus, lire l’article publié sur le site : Angélina Ogier Le rôle du manuel dans la leçon d’histoire à l’école primaire (1870-1969), His-toire de l’éducation, 114 (2007)

Le manuel Belin donne le ton scolaire Il faut reconstruire la France, pour toute la période 1877- début du XXème siècle Les livres de classe révélaient les mêmes tendances. Le Tour de la France par deux enfants (G.Bruno, 1877), Les Enfants de Marcel (G.Bruno, 1887) Je me souviens d’un livre de morceaux choisis pour le Certificat d’études où, sur l’illustration qui accompagnait « Le loup et l’agneau », l’agneau était coiffé d’un képi et le loup d’un casque à pointe.Lorsqu’en 1902, je fus admis à l’École normale, je reçus pour prix un magnifique volume, fort bien illustré, intitulé Au drapeau !, relatant les faits glorieux de l’année à travers les siècles. C’était entendu, il y avait deux sortes d’êtres au monde: les Français qui étaient tous bons, les Prussiens qui étaient tous mauvais et qu’il fallait pourfendre. J’avais été bon élève : j’étais un revanchard.Témoignage H 1886 Gironde recueilli par M. et J.Ozouf, La république des instituteurs.

Préface Sans omettre dans cet ouvrage aucune des connaissances morales et pratiques que nos maîtres désirent trouver dans un livre de lecture courante, nous avons essayé d’en introduire une que chacun de nous considère aujourd’hui comme absolument indispensable dans nos écoles : la connaissance de la patrie. On se plaint continuellement que nos enfants ne connaissent pas assez leur pays s’ils le connaissaient mieux, dit-on avec raison, ils l’aimeraient encore davantage et pourraient encore mieux le servir. Mais nos maîtres savent combien il est difficile de donner à l’enfant l’idée nette de la patrie, ou même simplement de son territoire et de ses ressources. La patrie ne représente pour l’écolier qu’une chose abstraite à laquelle, plus souvent qu’on ne croit, il peut rester étranger pendant une assez longue période de la vie. Pour frapper son esprit, il faudrait lui rendre la pairie visible et vivante. Dans ce but nous avons essayé de mettre à profit l’intérêt que les enfants portent aux récits de voyages. En leur racontant le voyage courageux de deux jeunes Lorrains à travers la France entière, nous avons voulu la leur faire pour ainsi dire voir et toucher; nous avons voulu leur montrer comment chacun des fils de la mère commune arrive à tirer parti des richesses de sa contrée et comment il sait, aux endroits mêmes où le sol est pauvre, le forcer par son industrie à produire le plus possible.

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G.Bruno, Le tour de la France par deux enfants (Belin, 1877, multiples rééditions)

Ce livre scolaire est l’un des best-sellers du 19ème  siècle : en 1914, 7,5 millions d’exemplaires ont été vendus, dont 3 millions de 1877 à 1887. Ecrit par la femme du philosophe Alfred Fouillée, Augustine, sous le pseudo de Giordano Bruno – le philosophe maudit, brûlé à Rome en 1600 pour hérésie panthéiste – l’ouvrage richement illustré paraît même en 1906 dans une version expurgée de toute notation confessionnelle (on enlève même les « Mon Dieu »). A cette (belle) époque, on se déplace désormais en automobile et surtout en bicyclette, mais nos deux enfants poursuivent leur exploration à pied, le long des routes et des chemins, écrivant en quelque sorte une histoire multiséculaire, continue, qui établit le lien entre des ancêtres fondateurs plus ou moins mythiques et le présent, à travers une langue commune, des héros, des monuments et des lieux chargés d’histoire et de culture (on dit aujourd’hui lieux de mémoire), des traditions populaires, des paysages emblématiques. Tous les ingrédients qui feront le succès du « Tour de France » cycliste sont déjà présents dans le voyage des deux enfants lorrains. C’est d’abord la formation d’une langue nationale. Tout le monde parle « français » dans le Tour de la France. L’histoire (comme l’école) est bien le meilleur moyen de « franciser la France » pour reprendre l’expression de Eugen Weber dans La fin des Terroirs. Les régions traversées sont marquée par une hypothétique unité linguistique : le patois, les langues locales et régionales sont autant de survivances d’un monde cloisonné et a priori hostile à l’intégration républicaine. C’est ensuite la construction d’une histoire nationale plus ou moins mythique (où l’on rencontre les héros et les « grands hommes », région par région). Le Belin raconte une histoire nationale héroïque, de tendance politique « opportuniste » où les héros sont choisis pour leur contribution à la grandeur nationale, à l’exclusion notable des gloires régionales. Mais la contribution des héros est toujours défensive (Jeanne d’Arc, Du Guesclin) ou alors liée au travail, à l’effort, au progrès (Colbert, La Pérouse, Riquet, Sully, Pasteur dans l’édition de 1905) ; les conquérants et militaires n’ont pas ou peu leur place (presque rien sur Napoléon). On relève ainsi 10 gloires militaires, 25 gloires artistiques, 3 ministres et orateurs, 5 gloires religieuses (avant 1905 et qui n’ont qu’un rôle civil comme Saint Vincent de Paul). C’est pratiquement Colbert qui le héros du livre, grand constructeur de la grandeur nationale, avant que Louis le Grand ne vienne tout détruire par ses guerres. Les bâtisseurs sont aussi à la fête. Il se dégage finalement l’impression curieuse d’une France éternelle sans Dieu et sans Roi - telle la pensée de Jules Ferry révélée à Jean Jaurès en 1885 « Organiser l’humanité sans dieu et sans roi ». Même certains « bons rois » sont occultés car trop connotés religieusement comme Henri IV et Saint-Louis ou trop aimés sous la Restauration). C’est enfin le dessin d’une « nature nationale ». L’ouvrage Belin est abondamment illustré de paysages emblématiques des provinces traversées, à la fois en liaison avec la géographie et l’histoire nationales. Ce sont les mêmes paysages que magnifie le Tour de France de 1903 à nos jours, avec une étonnante continuité touristique et identitaire. Comme le rappelle Gilles Fumey dans un article très documenté :

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« Le succès du Tour de France dépasse l’enjeu cartographique mais c’est bien sur la carte du Tour, publiée chaque année, que se construit une petite part de la mémoire de la France, une leçon annuelle de géographie nationale, qui borne et jalonne la France et ses voisins de repères symboliques, constitutifs de l’identité française ».

cf. Anne-marie THIESSE La création des identités nationales, Europe, 18-20ème siècle, Seuil, 2001 (rééd)Anne-Marie Thiesse, La fabrication culturelle des Nations européennes, in « La culture », ed. Sciences Humaines, 2002C.Amalvi, Les Tours de France ou la fabrique des héros nationaux, communication inédite aux RV de l’Histoire de Blois (2002)

La construction d’un imaginaire national à travers les manuelsLa création de l’Europe des Nations, qui perdure au XXème siècle, date du 19ème siècle ; elle a été préparée puis accompagnée par une grande révolution idéologique et culturelle, à travers laquelle les nations ont été constituées comme êtres collectifs et acteurs politiques, ce qu’ils n’étaient pas avant le 18ème siècle : nation française, allemande, italienne, grecque etc..Lieu commun intellectuel de la fin du 19ème, deux conceptions antagonistes de la Nation ou plus précisément de « l’appartenance nationale ».1/Conception « objective » ou française, née de la révolution citoyenne de 89, l’appartenance nationale est l’expression d’un choix rationnel et contractuel à une communauté2/Conception objective ou allemande, rattachée au romantisme, qui détermine l’appartenance nationale par des critères ethniques et culturels…En fait, fausse opposition, les deux sentiments d’appartenance étant intrinsèquement liés, et reposent sur ce que Benedict Anderson appelle, L'imaginaire national: réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, La Découverte trad. fra. 1996). L’imaginaire, ce sont des « communautés imaginées », qui se construites sur un « imaginaire national », autour des ancrages que sont la langue, l’histoire, la culture commune…La mise en forme de l’identité collective d’une Nation n’a rien d’évident, c’est le travail de plusieurs décennies, travail d’homogénéisation dans un contexte d’hétérogénéité culturelle de l’ère pré nationale (ainsi dans les Royaumes, les Empires, y compris le Royaume de France). il n’y a donc – même en France – aucune téléologie possible du sentiment national ; il n’a rien d’une évidence.Définition moderne de « nation » : groupe humain assez vaste qui se caractérise par la conscience de son unité – historique, sociale, culturelle – et la volonté de vivre en communMais pourquoi vivre en commun ? C’est le fondement de l’idée nationale comme l’a souligné Renan en 1882 dans sa célèbre conférence « Qu’est-ce que la Nation ? » et c’est parce que l’on possède un patrimoine collectif, indivis et inaliénable. C’est selon Renan une âme, un principe spirituel, qui peut se définir par « un riche legs de souvenir commun », la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis »

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Toute Nation possède donc et construit lorsque cela est nécessaire une histoire multiséculaire, continue, qui établit le lien entre des ancêtres fondateurs plus ou moins mythiques et le présent, à travers

- une langue commune- des héros- des monuments et des lieux chargés d’histoire et de culture (on dit

aujourd’hui lieux de mémoire)- des traditions populaires- des paysages emblématiques

Le lien est enseigné très tôt aux enfants par le vecteur de l’école élémentaire, particulièrement à partir de sa laïcisation. L’école est sans aucun doute la matrice de toutes les représentations de la Nation et la condition de sa transmission. Il faut insister sur ces 4 constructions, que l’on retrouve d’ailleurs mêlées dans le manuel Belin :

1. La formation d’une langue nationale (tout le monde parle français dans le Tour de France)

2. La construction d’une histoire nationale plus ou moins mythique (on rencontre les héros et les grands hommes, région par région, mais dans une perspective nationale)

3. Le dessin d’une « nature nationale » L’ouvrage est abondamment illustré de paysages emblématiques des provinces traversées, à la fois en liaison avec la géographie et l’histoire nationale (ex. Cherbourg)

4. l’invention des traditions et des folklores nationaux

1/Langue nationaleFrontières du 18ème siècle ne sont pas des frontières linguistiques ; celles du 20ème le sont plus nettement, en dépit du maintien de langues frontalières – alsacien, catalan par ex.. De plus encore au 19ème, la masse rurale parle des dialectes oraux, tandis que coexistent plusieurs langues écrites, la langue du culte (le latin, en général), la langue administrative et dans de nombreux pays encore la langue de Cour (on parle français à la Cour de Russie ou de Prusse). On se souvient que Herder (Le Volksgeist (« l’esprit national »), tel qu’il s’exprime à travers la langue et la littérature d’une nation) reprochait à la fin du 18ème aux aristocrates allemandes de ne parler allemand qu’à leurs chevaux et leurs domestiques…Il est à noter que la royauté française n’a jamais sérieusement cherché à unifier les pratiques linguistiques et d’imposer le « langue du Roi » en dehors de son administration, de sa Cour et de l’Ile de France. Le changement date de la Révolution : la langue devient en 1789 un devoir de citoyen, indiquant l’appartenance à la communauté dans laquelle réside désormais la souveraineté. La France a toutefois la chance d’avoir une langue préexistante solidement établie et régulièrement modernisée, ce n’est pas le cas de l’italien et de nombreuses langues slaves, trop archaïques, ou de langues limitées à des usages cultuels (ainsi dans les Balkans, les pays baltes ou la Finlande, où l’on va s’appuyer sur des dialectes).Il est à noter que le processus d’unification et de création des langues nationales est loin de disparaître au XXème siècle, voire au XXIème siècle, ainsi le processus de distinction linguistique entre le Serbe et le

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Croate, entre le Slovaque et le Tchèque, le Macédonien et le Bulgare, la dissociation croissante entre le français et le Flamand dans le Royaume belge, l’affirmation linguistique d’ensembles régionaux se considérant comme des Nations (les Catalans et les Basques d’Espagne, les Corses), y compris d’ailleurs les Nations non territoriales. C’est ainsi qu’a été déposée en 2000 une demande officielle de reconnaissance d’une nation rom non territoriale, avec un projet de codification et d’unification des dialectes parlés par les différentes communautés européennes. [Les Rom sont divisés en groupes parfois désignés sous le nom de nations, généralement définies par leur zone géographique d'implantation ou d'origine récente. Les nations européennes comprennent : les Gitans d'Espagne, les Manouches de France, les Sinti d'Allemagne et d'Europe centrale, les Romanichels de Grande-Bretagne, et les Boiash, Arlie, Gurbeti, Lovara et Kalderach d'Europe de l'Est et des Balkans. Sous l'influence d'un mouvement en plein essor qui insiste sur l'unité culturelle et ethnique, les termes Bohémiens Romains et Tsiganes (jugés péjoratifs) sont progressivement remplacés par le mot Rom, terme qui fut longtemps réservé aux seuls Tsiganes d'Europe centrale.]2 Histoire et mythes nationauxL’histoire dite nationale est fondamentalement nouvelle en ce sens que la nation n’est pas conquérante, mais elle ne fait que résister au fils des siècles à l’oppression, l’invasion, tout ce qui menace l’unité nationale (ainsi Jeanne d’Arc, mais une Jeanne d’Arc lavissienne, délestée de toute spiritualité) et la terre léguée. On trouve donc non seulement des héros dans l’aristocratie mais dans les couches les plus humbles. De même, les (rares) moments d’unité sont valorisés (Gaulois contre César). Cette construction historique est d’abord celle de l’école. Le manuel Belin présente une histoire nationale héroïque, de tendance politique opportuniste (J.Ferry) où les héros sont choisis pour leur contribution à la grandeur nationale, à l’exclusion des gloires régionales. Mais leur contribution est toujours défensive (Jeanne d’Arc, Du Guesclin) ou alors liée au travail, à l’effort, au progrès (Colbert, La Pérouse, Riquet, Sully, Pasteur dans l’édition de 1905 ; les conquérants et militaires n’ont pas ou peu leur place (presque rien sur Napoléon).On relève ainsi dans le Belin 10 gloires militaires, 25 gloires artistiques, 3 ministres et orateurs, 5 gloires religieuses. C’est pratiquement Colbert qui le héros du livre, grand constructeur de la grandeur nationale, avant que Louis le Grand ne vienne tout détruire par ses guerres. Les bâtisseurs sont aussi à la fête. Ils se dégage finalement l’impression curieuse d’une France éternelle sans Dieu et sans Roi (même certains « bons rois » sont occultés car trop connotés religieusement comme Henri IV et Saint-Louis ou trop aimés sous la Restauration)..Mais l’histoire nationale n’est pas seulement scolaire, elle utilise aussi utilise le vecteur du roman historique (Walter Scott, A.Dumas, V.Hugo), les tableaux et gravures, les statues, les rues et les places, les fête commémoratives. Il se crée dans la deuxième moitié du 19ème la notion d’un patrimoine monumental collectif à préserver, en fonction de choix et de critères particuliers (Napoléon III a favorisé la restauration de nombreux monuments, et notamment le Louvre, mais inversement l’haussmannisation a détruit une bonne partie du patrimoine médiéval parisien. (Le Moyen-Age n’est guère attaché à la Grandeur nationale,

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moins en tous cas que la monarchie absolue de l’époque moderne ?). Du quartier de la Cité et de ND, il ne subsiste plus en 1870 que ND !En fait, le principe national du droit de la collectivité sur les édifices (qualifiés de « monuments nationaux ») change totalement – en France surtout depuis 1789 – le rapport à l’héritage monumental, jusque-là laissé aux initiatives privées ou municipales (on peut alors raser ou transformer n’importe quoi). Lorsque Hugo publie en 1831 ND de Paris, il s’exclame : « conservons les monuments nationaux. Inspirons, s’il est possible, à la Nation l’amour de l’architecture nationale ». Ainsi grâce aux monuments, la nation est appréhendée comme un « déjà là », impliquant pour les générations à venir un devoir de fidélité et de transmission du patrimoine. Le XXème siècle poursuivra cette patrimonialisation.

3/ La nature nationale et la création d’un paysage emblématiqueAffiche touristique aujourd’hui permet de deviner facilement la destination proposée. Résultat d’un long travail de codification de la nature en termes nationaux, qui a été élaboré au 19ème siècle. Mode de la différenciation, apparaît simple pour certains pays (de montagne comme la Suisse, de fjords comme la Norvège, de plaines comme la Hongrie ou les Pays-Bas), mais plus complexe en France. Ainsi la spécificité française se construit à partir de la diversité des paysages et des ressources naturelles, ce que montre parfaitement le Tour de la France. France = résumé idéal de l’Europe, concentré d’Europe, alliance harmonieuse des contrastes. Terre de la modération. Paysage archétypique n’est donc pas montagneux, rocheux ou lunaire, mais plutôt celui d’un vallon herbeux ondulant par temps calme et doux, sous un ciel légèrement nuageux, avec des arbres formant un bosquet, un village dans le lointain le Paysage emblématique est le paysage rural, ancré dans le terroir et symbole de la France, cas de la Lorraine de Jeanne d’Arc, mais aussi une Lorraine idéalisée par Barrès (Les déracinés) ou alors un paysage où l’on perçoit l’équilibre réalisé entre la France rurale et la France industrielle. Les peintures paysagères nationales emblématiques, que l’on va ensuite retrouver dans les photographies, les cartes-postales, puis les affiches touristiques

Ces thèmes seront largement exploités par la publicité ou la propagande politique. Image pétainiste de 1942…puis républicaine…(exploitation politique affiche de Mitterrand = la Force Tranquille en 1981).

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A noter que se constitue aussi l’idée d’un patrimoine naturel (site naturels protégés pour la première fois sous le Second Empire : en 1861, des zone de la forêt de Fontainebleau ont été délimitées pour être conservées à l’état naturel, c’est-à-dire à l’identique des tableaux peints à l’époque romantique. Construction d’un patrimoine naturel, prise de conscience de la nécessité de mettre en valeur les zones humides cf boisement des Landes, assèchement de la Sologne…sous l’Empire, puis la Camargue.

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4/ Le folklore et l’invention d’une traditionAu 19ème, le paysan est l’être national par excellence. Paysannerie, musée vivant des origines nationales, ayant maintenu grâce à ses traditions le fil direct avec les grands ancêtres, et ayant un rapport intime avec la terre nationale. On multiplie alors au 19ème les enquêtes et collectes ethnographiques, afin de fixer les traditions, d’étudier les costumes, les chansons, les fêtes…car il y a la crainte de la disparition des terroirs. (crainte parfaitement fantasmée)

Tout cela donne naissance à ce que l’on a appelé « l’invention de la tradition » (Hobsbawm dans The Invention of Tradition, Cambridge, 1983).Dans la deuxième moitié du 19ème, on photographie beaucoup (ex.doc), ce qui alimentera au début du XXème le marché de la carte-postale. La peinture réaliste s’en mêle, donnant une vision quasi idyllique du travail de la terre et du monde rural On retrouve ce folklorisme national dans les grandes expositions universelles du 19ème et leurs « villages ethnographiques » (on étendra le genre aux colonies avec les expositions ou les zoos coloniales). A partir des années 1880 s’ouvrent aussi en Europe des musées ethnographiques

II/ l’historien juge et l’historien expert, au service de la vérité ?

Le tribunal de l’histoire et la judiciarisation de l’histoire contemporaineGrands procès qui font intervenir l’histoire et la politique sont nombreux, ne serait-ce que celui de Socrate, de Jeanne d’Arc, des templiers, de Dreyfus etc… 1.Paradigme de l’Affaire Dreyfus : affaire politique, mais aussi judiciaire qui convoque aussi l’histoire et les historiens engagée dans ‘Affaire en tant qu’intellectuels Rôle spécifique des historiens chartistes ceux de l’École Normale Supérieure ou la Sorbonne, furent, elles aussi, au cœur de la crise. «Les historiens chartistes au cœur de l'affaire DreyfusThomas Ribémont dans Raisons politiques 2005/2 (no 18)Pourtant, les historiens chartistes furent au premier rang de la bataille d’expertise qui rythma l’Affaire. Lors du procès Zola, en 1898, pas moins

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de sept archivistes-paléographes issus de l’École des chartes – dreyfusards ou antidreyfusards – vinrent ainsi déposer devant les assises de la Seine au Palais de justice de Paris (Étienne Charavay, Émile Couard, Paul Meyer, Arthur Giry, Auguste et Émile Molinier, Fernand Bournon).Dans une institution qui compte parmi celles les plus étroitement liées à l’État  et dans laquelle le devoir de réserve se révèle habituellement de mise, leur expertise, lors des procès Zola et Dreyfus, met directement en débat la question de l’autonomie de la science historique et semble retraduire des fractures plus profondes qui, derrière l’unité parfois affichée, tendaient à diviser le corps universitaire Gérard Noiriel, Les fils maudits de la République. L’avenir des intellectuels en France, Paris, Fayard, 2005 décèle dans l’affrontement des universitaires pendant l’affaire Dreyfus l’opposition entre deux modèles de savants : celui, d’une part, de « l’homme complet », défendu par les anciennes élites qui, à l’instar d’Hippolyte Taine, se révèlent favorables au cumul des fonctions politiques et savantes ; celui, d’autre part, du « spécialiste », porté par une nouvelle génération de savants qui prônent, au contraire, une conception de la science « tournée vers la production de connaissances spécialisées Dans cette perspective, l’histoire est concernée au premier chef puisque c’est à elle que revient, en partie, la charge de former les « nouvelles couches », chères à Gambetta, en réunissant dans un même catéchisme républicain toutes les composantes de la société française. Pour la génération de Ferry et Gambetta, l’enseignement doit ainsi, par le biais de la science historique, « faire place à la science, à la connaissance du réel et à la recherche de la vérité Au nom de cet impératif civique, un certain nombre d’historiens chartistes, qui prônaient jusqu’alors la séparation du savoir et du politique, sortent, au moment de l’Affaire, de leur réserve pour mettre en doute le fonctionnement de l’institution militaire. C’est sur eux que se concentre une partie de la réaction antidreyfusarde : Pour Maurice Barrès et Ferdinand Brunetière, n’étant pas journalistes ou hommes de lois, ces historiens n’ont, en effet, aucune légitimité pour demander à ce que la lumière soit faite sur cette affaire. « Ce n’était pas non plus, écrit Gérard Noiriel, des écrivains. Ils n’avaient aucune notoriété personnelle à mettre de la balance. Le seul argument qu’ils pouvaient avancer pour justifier leur prise de parole collective tenait à leur propre conception de la vérité. Elle ne consistait pas à opposer le juste et l’injuste, mais à distinguer le vrai du faux à l’aide de moyens techniques qu’ils étaient les seuls à connaître De fait, l’affaire Dreyfus se clôt par la pleine réhabilitation de Dreyfus, fin d’une chronologie judiciaire qui a débuté Le 22 décembre 1894À l’unanimité du conseil de guerre de Paris siégeant à huis clos depuis le 19 décembre et disposant d’un dossier secret, le capitaine Dreyfus est condamné pour trahison, à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire.Et se termine 12 juillet 1906 Le président de la cour de cassation Ballot-Beaupré lit durant plus d’une heure l’arrêt annulant le jugement du conseil de guerre de Rennes et réhabilitant le capitaine Dreyfus.

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Le temps judiciaire est passé, celui de l’histoire a été contemporain de la période 1894-1906 mais les travaux historiques ne vont pas cesser de 1906 à nos jours.

2/ procès de Nuremberg de novembre 1945 à octobre 1946 est un procès hors normes car les juges qui représentent les pays alliés examinent le cas de 22 accusés allemands et d’organisations criminelles (la SS, la Gestapo).[A noter qu’il y en eut beaucoup d’autres entre 1945 et 1951 jugeant de Nazis au rang moins élevés dans les zones de l’Allemagne occupée (mais avec seulement 486 exécutions capitales en tout dans la partie occidentale)]Nuremberg ’est un procès devant l’histoire et pour l’histoire mais c’est bien sûr un procès des vaincus (le souci pédagogique est évident, surtout à destination des populations allemandes via les écoles, la radio, les cinémas) avec les connaissances et les archives de l’époque, avec certes une base juridique nouvelle, celle du « crime contre l’humanité » (La notion de crime contre l'humanité fut précisée par la résolution des Nations-Unies du 13 février 1946 : crime commis en exécution d'un plan concerté visant à détruire une communauté dans son ensemble).

Cependant, les bénéfices exemplaires des procès ne furent pas toujours très évidents. Dans une première série de procès de commandants et de gardiens de camp de concentration, beaucoup échappèrent à tout châtiment. Leurs avocats exploitèrent à leur avantage le système judiciaire anglo-américain fondé sur le débat contradictoire, faisant subir des contre-interrogatoires aux témoins et aux survivants, voire les humiliant. À Lüneburg, au procès du personnel de Bergen-Belsen (I7 septembre-17 novembre 1945), ce sont des avocats de la défense britanniques qui plaidèrent avec quelque succès que leurs clients n'avaient fait qu'obéir aux lois (nazies): 15 accusés sur 45 furent acquittés.

Malgré cela ces procès furent aussi de véritables procès de véritables criminels pour des conduites criminelles avérées, et ils établirent un précédent vital pour la jurisprudence internationale dans les décennies à venir. Les procès et enquêtes des années 1945-1948 (date à laquelle fut démantelée la commission des Nations unies sur les crimes de guerre) engrangèrent une masse considérable de documents et de témoignages (notamment concernant le projet allemand d'extermination des Juifs d'Europe), au moment même où les Allemands et d'autres étaient les plus enclins à oublier aussi vite que possible. Ils établirent clairement que les crimes commis par des individus à des fins idéologiques ou étatiques n'en étaient pas moins de la responsabilité des individus et étaient passibles de châtiments. Obéir aux ordres n'était pas une excuse.

La punition des criminels de guerre allemands par les Alliés pâtit cependant de deux défauts inévitables. De nombreux commentateurs, en Allemagne et en Europe de l'Est, interprétèrent la présence de procureurs et de juges soviétiques comme une manifestation d'hypocrisie. La conduite de l'Armée rouge et les pratiques soviétiques dans les territoires qu'elle avait « libérés» n'étaient un secret pour

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personne: peut-être même étaient-elles mieux connues et rendues publiques alors que par la suite. Et beaucoup de gens avaient encore un vif souvenir des purges et des massacres des années 1930. Voir des Soviétiques juger des nazis - parfois pour des crimes qu'ils avaient eux-mêmes commis dévalua les procès de Nuremberg et d'autres, les faisant apparaître exclusivement comme un exercice de vengeance antiallemand.

Procès de Tokyo Le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient, en abrégé TMIEON, aussi nommé Tribunal de Tokyo, Tribunal militaire de Tokyo ou encore Procès de Tokyo, est créé le 19 janvier 1946 (jusqu »à déc 48) pour juger les grands criminels de guerre japonais de la Seconde Guerre mondiale. Il y a 7 condamnations à mort sur 28 accusés. Aucun acquittement.

La Cour pénale internationale (CPI ; en anglais International Criminal Court ou ICC) est une juridiction pénale universelle permanente créée à Rome en 1998 et chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d'agression et de crime de guerre. Elle se tient à la Haye aux PB. De plus l'ONU a instauré des tribunaux pénaux internationaux temporaires (TPI). Ces tribunaux ont des compétences limitées et parfaitement définies. Aux total, quatre TPI ont vu le jour : Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) : mis en place en 1993 par les résolutions 808 et 827 du Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII et s'est établi à La Haye aux Pays-Bas. Le bilan de son travail est mitigé : 48 accusés détenus, 31 faisant l'objet d'un mandat d'arrêt, 23 personnes jugées ; Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) : créé en 1994 par la résolution 955 du Conseil de sécurité et s'est établi à Arusha en Tanzanie. Après des débuts peu encourageants, 50 personnes sont cependant mises en accusation, plus de 40 sont détenues, et 9 sont condamnées ; Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) : créé le 16 janvier 2002 en vue de juger les crimes commis durant la Guerre civile de Sierra Leone ; Le Tribunal spécial des Nations unies pour le Liban a été créé en 2009 après l’assassinat de Rafiq Hariri, le 14 février 2005. Cet événement provoque une grave crise politique. Même si la Syrie a dû retirer ses troupes du Liban, il est difficile de juger les responsables. Ce Tribunal a été créé par la résolution 1757 du Conseil de Sécurité ; il est loin d’avoir fait l’unanimité avec cinq abstentions estimant que l’ingérence est flagrante. Pour des raisons d’indépendance juridique, ce tribunal siège à Leidschendam, près de La Haye aux Pays-Bas, avec un budget annuel de 30 millions de dollars pour trois ans, financé à 49 % par le gouvernement libanais.

3/ La période de l’occupation (1940-44) et la Seconde guerre mondiale en général représente un véritable enjeu lequel pèse sur l’histoire politique et culturelle de la France mais aussi du monde depuis la Libération. C’est là que l’historien intervient, parfois comme témoin, le

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plus souvent, avec le recul, comme expert ou parfois comme juge , avec à chaque fois le statut ambigu de détenteur de la vérité. 2016 : sortie du film Le procès du siècle qui résume bien les problématiques de la vérité historique à travers un combat judiciaire entre une historienne américaine, Deborah Lipstadt et un historien (ou qui se prétend historien) britannique, David Irving. En 1993, l’historienne américaine Deborah Lipstadt, professeure d’histoire et d’études juives modernes à l’Emory University d’Atlanta, publie un ouvrage sur le négationnisme Denying the Holocaust: the growing assault on truth and memory, New York et Toronto, Free Press-Maxwell Macmillan, 1993.Quelques années plus tard, après la sortie de son livre en Grande-Bretagne, son confrère David Irving, dont elle a remis en cause les travaux, assigne en justice son éditeur anglais pour diffamation (Penguin), le procès aura lieu à Londres en 2000 (car dans le droit britannique, il lui faut prouver qu’elle a raison et Irving tort ! Or Irving (né en 1938 et qui n’est pas historien de métier) a écrit des dizaines de livres sur la période et se fait connaître en 1977 pour the Hitler’s war, David Irving estime que la solution finale a été élaborée par Himmler en cachette de Hitler, et malgré un ordre formel, donné par le chancelier allemand en novembre 1941, de ne pas exterminer les Juifs. Puis il prend des positions de plus en plus révisionnistes et négationnistes sur les chambres à gaz (elle n’ont carrément pas existé). Il est donc condamné en 2000 par la cour de Londres puis il est aussi incarcéré en Autriche en 2005/2006 pour propos négationnistes.

Cas de la FrancePlusieurs formes d’implications historiennes :1. Des procès intentés contre des nazis ou des collaborateurs français

des Allemands pour « crime contre l’humanité », ou complicité de crime contre l’humanité c’est le cas de :

- En 1979, Jean Leguay, qui était en 1942 délégué (auprès de bousquet) en zone occupée de la police de Vichy, est inculpé de crimes contre l'humanité pour son rôle dans l'organisation de la rafle du Vel'd'Hiv les 16 et 17 juillet 1942 à Paris, mais il meurt avant que son procès ait pu avoir lieu. (il a fait une belle carrière commerciale et industrielle aux USA)-Klaus Barbie (qui était le chef de la Gestapo (section IV du Sipo SD) de Lyon et celui qui a arrêté et torturé Jean Moulin), déporté les 44 jeunes enfants juifs d’Izieu. Extradé de Bolivie en 1983 par Serge et Beate Klarsfeld, il a été jugé et condamné en 1991 à la prison à vie pour crimes contre l’humanité- En 1989 une plainte est déposée contre René Bousquet, ancien s secrétaire général de la police du régime de Vichy du 18 avril 1942 au 31 décembre 1943 et qui a été condamné en 1949 (à 5 ans d’indignité nationale puis amnistié en 1958). Or dans les années 1970 et 80 les archives de Vichy et les archives allemandes montrent sa responsabilité directe dans la rafle du vel d’Hiv. Et sur la déportation de 194 enfants de six départements du Sud de la France ? Mais il est assassiné en 1993 à son domicile par un illuminé ( ?) : pas de procès.

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- Paul Touvier est lui chef régional de la Milice dans la région lyonnaise, où il procède à des arrestations, rafles, interrogatoires de résistants en 1943-44. Condamné à mort par contumace à la Libération, il se cache jusqu’en 1967, date de prescription de ses crimes, et est gracié par le président Pompidou en 1973, au titre de la nécessaire réconciliation nationale après 30 ans. Il est à nouveau jugé en 1994 par une Cour d’assise qui le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité. Il est à noter que la nature des responsabilités a changé. La grâce de 1973 s’appuie sur la volonté pompidolienne de réconciliation mais aussi par le fait que Touvier n’aurait agi au fond que comme un exécutant français d’ordres nazis. Le procès de 94 cherche au contraire à établir le degré d’implication personnelle de Touvier (et en filigrane de la collaboration, puisque la Milice est une création de Vichy, approuvée par Pétain) dans le crime contre l’humanité, notamment dans le choix des victimes, entre Juifs et non Juifs. Cela dénote aussi depuis les années 1960/70 un réveil de la mémoire juive, sous l’impulsion de Serge et Beate Klarsfeld, bien décidés à ne plus laisser en liberté ou en tous cas en paix certains criminels, à traquer aussi les propos négationnnistes. En nov 1968, Beate Klarsfeld, militante antinazie allemande, gifle dans l’enceinte du Bundestag Kurt Kiesinger, un chancelier au lourd passé nazi. Puis Klarsfled s’attelle à la rédaction du mémorial de la déportation des Juifs (publié en 1978) et crée en 1979 l’Association des Fils et Filles des déportés juifs de France, qui va se porter partie civile dans de nombreuses affaires. Il s’agit aussi de refuser la banalité historique du mot « déporté ». Ain si une décision de la cour d’appel de Paris interdit aux anciens du STO de se dire « déportés du travail », bataille sémantique certes mais aussi symbolique sur le statut de déporté, longtemps brouillé par les associations d’anciens du STO et aussi les « malgré nous », Alsaciens/Lorrains incorporés de force dans la Wehmacht et la SSC’est aussi en octobre 1978, que Louis Darquier de Pellepoix, ancien CGQJ et réfugié en Espagne accorde une interview dans l’Express, où il affirme qu’à Auschwitz « on a a gazé que des poux »Le procès de Maurice Papon apparaît dans ce contexte comme le plus important de l’après-guerre concernant un responsable lié à Vichy

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Papon était lui secrétaire général de la préfecture de Gironde et il a collaboré activement à l’arrestation et la déportation de juifs de la région. Il n’est pas inquiété par l’épuration, présente des brevets de résistance et il fait une brillante carrière préfectorale (préfet de Constantine, préfet de police sous de Gaulle) et ministérielle (ministre du budget du gv Raymond Barre : à noter que Raymond Barre a toujours soutenu son ministre, y compris au procès comme témoin de moralité). Assez paradoxalement c’est sous le septennat de VGE que les archives vont être ouvertes et permettre de revisiter le cas Papon. Loi du 3 décembre 1979 qui simplifie l’accès aux archives et permet des dérogations pour la recherche historique après 30 ans et non 50 ans). Son passé à Vichy est en tout cas révélé par le Canard en 1981 et il est inculpé en 1983 de crimes contre l’humanité. Son procès s‘ouvre en1997 et se termine en 1998 par une condamnation à 10 ans de prison pour complicité de crime contre l’humanité – on lui reproche l’arrestation de 1560 Juifs de la région bordelaise (il est remis en liberté en 2002 pour raisons de santé et meurt en 2007).

C’est vraiment un procès où les historiens sont appelés non en tant que témoins mais experts, cités autant par la défense que par l’accusation., dans un contexte de très forte médiatisation.

*Jean-Pierre Azéma (professeur des Universités à l’Institut d’études politiques de Paris), Marc Olivier Baruch (chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent/CNRS) et Robert O. Paxton (professeur à l’université Columbia de New York) ont été cités à comparaître par le ministère public. *Henri Amouroux (journaliste, doyen de la section d’histoire et de géographie de l’Académie des sciences morales et politiques), Michel Bergès (professeur des Universités en sciences politiques), Jacques Delarue (commissaire divisionnaire honoraire, historien), André Gouron (professeur des Universités en droit), André Kaspi (professeur des Universités, président de la Commission française des archives juives), Jean Lacouture (journaliste), Maurice Rajfus (historien et militant d’extrême gauche) et Henry Rousso (directeur de recherche au CNRS, directeur de l’Institut d’histoire du temps présent) ont été cités à comparaître par la défense.

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*Philippe Burrin (professeur à l’Institut des hautes études internationales de Genève), Eberhard Jäckel (professeur à l’université de Stuttgart), René Rémond (professeur émérite des Universités, président de la Fondation nationale des sciences politiques) et Pierre Vidal-Naquet (historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales) ont été cités à comparaître par les parties civiles. Le procès Papon est l’objet d’un débat entre historiens, entre ceux qui jugent utiles de témoigner comme « experts » et d’autres qui s’y refusent. Dans Vichy. L’événement, la mémoire, l’histoire(2001), H.Rousso admet que le passé est devenu un « champ d’action, et d’action publique il constate l’interdépendance entre travail scientifique et demande sociale. Il écrit que les historiens engagés sur les questions liées à l’Occupation « ont eu une certaine résonance dans l’espace public […] et […] ont été influencés en retour dans leurs problématiques par la remontée en puissance du souvenir traumatique de cette période. Néanmoins, cela ne justifie pas que l’historien soit promu au rang d’expert judiciaire du passé. Ainsi va-t-il à l’encontre des arguments qui sont devenus des topoï : la similitude des méthodes de travail des magistrats et des historiens (puisque la marge de manœuvre est sans commune mesure, dans la forme et dans le fond), les précédents depuis l’affaire Dreyfus (puisque l’expertise de documents par les historiens chartistes était strictement technique). Ce qui caractérise la situation du procès de Maurice Papon – mais aussi de ceux de Paul Touvier, Klaus Barbie, donc des procès pour crimes contre l’humanité déclarés imprescriptibles – est que la procédure « a placé les juges et les historiens dans un même espace réel et symbolique, les rendant à des degrés différents acteurs d’une même scène. Ils se sont retrouvés en compétition, pour ne pas dire en concurrence, chacun produisant des interprétations sur le passé qui pouvaient exercer une influence importante sur l’espace public 

III. Rôle social de l’historien face au déni d’histoire

a/ l’historien et la « preuve des archives »L’historien peut s’appuyer notamment sur la « preuve des archives », mais travailler sur les archives est un métier.

Mais qu’est-ce qu’une archive ?

Le code du Patrimoine définit les archives (code du Patrimoine L211-1) comme "l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou re-çus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité"

« Quelles que soient leurs dates »

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Les archives ne sont pas uniquement des « vieux papiers ». Tout document, à partir du mo-ment où il est émis ou reçu dans le cadre des compétences d'un service est un document d'ar-chive. Et ce, dès sa naissance.

« Quel que soit leur lieu de conservation »

Les archives de l'Université de Strasbourg peuvent être conservées aussi bien dans les bu-reaux des agents, dans les locaux d'archives de l'université, aux Archives départementales du Bas-Rhin, chez un tiers-archiveur agréé.

« Quelle que soit leur forme »

Les documents d'archives sont polymorphes : il existe d'autres formats que le format papier. Un document d'archives peut avoir un format écrit : texte, plan, dessin, un format oral : enre-gistrement radio, un format visuel : enregistrement d'images, photographies, un format en 3 dimensions : maquette, format numérique.

« Quel que soit leur support »

Les supports de documents d'archives sont polymorphes depuis le XXème siècle: papier, cas-settes audio et vidéo, CD, DVD, disque dur d'ordinateur, serveur informatique, cloud etc.

Les archives publiques sont (code du Patrimoine L211-4) :-les documents qui procèdent de l'activité de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements et entreprises publics-les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels.

Les archives ont pour objet la preuve et le droit des activités des institutions, administrations, collectivités... (code du Patrimoine article L211-2)Les archives sont propriété publique, imprescriptibles et inaliénablesLeur communication est régie par les loi 79-18 du 3 janvier 1979 et du 15 juillet 2008, qui détermine, selon la nature des documents, le délai à partir duquel ils peuvent être consultés.

Archives peuvent être déclassifiées : ex l’annonce mardi 7 avril 2015 de la déclassification des archives de la présidence française sur le génocide rwandais de 1994, suite à des polémiques relatives au rôle de l’armée française, sur la guerre d’Algérie. L’archive révèle beaucoup et elle bouleverse bien des certitudes acquises. Elles ont incontestablement un pouvoir immense et un enjeu de pouvoir. Leur destruction ou leur capture est dans l’histoire une perte de souveraineté et cela depuis Philippe-Auguste – (1194) 1194 : Les archives royales sont perdues à la bataille de Frétéval. Philippe-Auguste les fait reconstituer en deux exemplaires. L'un restera à Paris

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Quelques remarques supplémentaires :1. Les archives sont « instrumentalisables », manipulables, aussi bien par les Etats que par certains historiens qui voudraient faire triompher une thèse. D’où la nécessité d’un dépouillement et d’une lecture méthodique des archives par des spécialistes reconnus par leurs diplômes, dont les recherches sont validées par la communauté scientifique et qui présentent leurs résultats (avec leur méthodologie) à l’ensemble de cette communauté. Il est donc nécessaire qu’il y ait débat et confrontation.2. L’historien (du contemporain tout spécialement) est confronté dans son travail soit à la surabondance des sources (ainsi celle qui sont en

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dépôt légal), mais aussi parfois à leur absence ou leur dissimulation. La surabondance pose des problèmes de tri, de classement, de hiérarchisation. Il arrive aussi que des fonds d’archives soient ouverts sans grand discernement, selon des procédures et avec des buts discutables (archives de l’ex-URSS ouvertes entre 1991 et 2001, puis refermées)

-L’absence peut être due à la destruction (volontaire ou non), à la dissimulation ou la rétention ou le non versement des archives. C’est un problème que connaissent bien les historiens. On sait ainsi que les Nazis ont voulu laisser le moins de traces écrites du processus d’extermination (il y en a toutefois en dépit des idées reçues, qui sont publiées récemment, ainsi le procès-verbal d’une réunion à Paris de SS et de chefs militaires présidée par Heydrich le 6 mai 42 (quelques semaines avant son exécution), où Heydrich résume les termes de la conférence de Wannsee explique le système de gazage et préconise des « solutions plus perfectionnées » et annonce que « la condamnation à mort des Juifs européens a été prononcée »-Dire que le manque d’archives alimente un discours révisionniste ou négationniste est un faux problème : les négationnistes tiendraient exactement le même discours en présence d’une montagne d’archives, mais ils s’appuient sur les failles de toute documentation historique (qui n’est jamais exhaustive) au service d’une cause ou d’une idéologie et parlent ensuite de mythe, tout en niant l’évidence.3. La vérité dépend-elle d’un consensus sur l’exploitation des archives existantes ? Heureusement, non ! Car l’opinion majoritaire est tributaire, à un moment T, d’une époque et de l’état des recherches historiques. De ce point de vue, il faut utiliser prudemment le terme de « révisionniste » car toute histoire l’est à un moment donné lorsqu’elle révise des positions antérieures. L’Etat n’est pas non plus toujours prêt à communiquer ses archives. Débat a eu lieu en 2008 sur une loi qui restreint l’accès à certaines archives classifiées. Nouvelle notion grave d’archive « incommunicables » (relatives à la défense notamment). ou encore l’idée de collecte des « archives essentielles pour les générations futures » afin de limiter les coûts d’un archivage intégral.(une partie du dépôt légal des éditeurs entre 1925 et 1968 contenue aux archives nationales (site de Fontainebleau) a déjà été passée au pilon en 2013 pour faire de la place) puis une partie du dépôts légal des périodiques de 1939 à 1993 détruits en 2016. . Il faut savoir que 100kms linéaires d’archives entrent chaque année au dépôt légal, ce qui coute 6 millions par an. Tout numériser et dématérialiser fait de la place mais coûte aussi très cher. Le budget de la culture est porté en 2017 à 10 milliards d’euros, conserver l’intégralité des archives représente donc annuellement 0,06% du budget de l’Etat consacré à la culture et une portion infinitésimale du budget de la nation (le budget de la culture c’est 0,5% du budget total de l’Etat !)

b/ L’historien face aux « révisionnismes » (voir aussi le cours sur PVN)

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Les premiers « révisionnistes » modernes ont été, en France, les partisans de la « révision » du procès d'Alfred Dreyfus (1894), mais le mot a été très rapidement retourné par leurs adversaires et ce renversement doit être considéré comme symptomatique. (en effet, affirmer que Dreyfus est coupable au XXème siècle relève du même révisionnisme absolu que de de dire qu’Hitler est innocent du crime de génocide. ) D’ailleurs les premiers négationnistes sont ceux qui ont retourné le révisionnisme dreyfusard à leur profit, ainsi les Nationalistes de l’AF de Charles Maurras qui réactivent après 1906 la théorie de la culpabilité. Le mot a pris par la suite un sens tantôt positif, tantôt négatif, impliquant toujours la critique d'une orthodoxie dominante. Révisionnistes, Edouard Bernstein et ses amis face aux marxistes orthodoxes (militant social-démocrate allemand fin 19ème) , et le terme s'est transmis aux maoïstes qui qualifient ainsi leurs ennemis soviétiques de révisionnistes dans les années 1960. La volonté de lutter contre une orthodoxie historique supposée toute puissante prend un sens historiographique dans les années 30 à travers l’école historique américaine de Harry Barnes (en 1929, La Genèse de la Guerre mondiale), Barnes cherche à renverser dans les années 30 les thèses admises sur la responsabilité des empires centraux dans le déclenchement de la 1ère guerre mondiale mais c’est aussi pour justifier la politique isolationniste de son pays (les Américains pro-allemands dans les années 30 utilisent largement Barnes pour pousser l’adm américaine à ne pas intervenir, cf America First, lobby pro-nazi dirigé par l’aviateur Charles Lindbergh entre autres).Harry Barnes après la Seconde Guerre mondiale commence à prendre des positions ouvertement révisionnistes sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, qui vont déboucher sur le négationnisme ou selon la terminologie de Vidal Naquet un révisionnisme absolu. A ce propos il faut distinguer selon P .Vidal-Naquet (« Thèses sur le révisionnisme » in Les assassins de la mémoire, Points Seuil, 1995) le « révisionnisme absolu », à savoir la doctrine selon laquelle le génocide pratiqué par l'Allemagne nazie à l'encontre des Juifs et des Tsiganes n'a pas existé mais relève du mythe, de la fabulation, de l'escroquerie et un « révisionnisme relatif » qui est consubstantiel au travail historique mais qu’il faut nommer autrement (car les révisionnistes absolus se réclament d’un révisionnisme relatif !). Ce type de manipulation est consubstantiel à tous les génocides, un travail simultané de négation et de justification. Le négationnisme ou révisionnisme absolu ne consiste pas nécessairement à nier qu’il y ait eu des morts dans une crise majeure, mais d’abord à relativiser ou minimiser leur nombre et à diluer la perpétration de ce crime de masse dans un jeu de circonstances successives et aléatoires, et même à en attribuer la responsabilité aux victimes elles-mêmes ainsi qu’aux rescapés, coupables, selon une vision téléologique de l’histoire, d’avoir échappé à la mort pour mieux profiter des tueries qu’ils auraient eux-mêmes déclenchées (sur le thème, par exemple, de la responsabilité conjointe des Juifs et des Britanniques dans l’éclatement de la Seconde guerre !).

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Dans la catégorie du révisionnisme relatif, on peut inclure par exemple les thèses d’un historien allemand (philosophe en fait), Ernst Nolte (La guerre civile reuropéenne, 1917-45, et aussi Les Fondements historiques du national-socialisme) . Pour ce dernier, les crimes nazis (qu‘il ne nie pas) ne furent rien d'autre qu'une réplique aux exterminations pratiquées par les bolcheviks (nœud causal), la matrice ultime et décisive de toutes les horreurs du XXe siècle. Hitler se serait ainsi rendu coupable d'un excès déplorable dans l'effort historiquement justifié de défendre l'Allemagne et l'Occident contre la menace communiste. C'est pourquoi sa « guerre civile européenne » ne commence pas en 1914, avec l'effondrement de l'ancien ordre impérial et l'éclatement de la Première Guerre mondiale, mais en 1917, au moment de la révolution d'Octobre. Et selon lui le Goulag a précédé Auschwitz…, le national-socialisme étant une « copie brouillée » du bolchevisme…La complexité de la question du « révisionnisme » peut s’incarner d’une façon encore différente. Si l’on veut bien oublier le terme « révisionnisme », et s’en tenir à celui de « méthode critique » il est clair que l’exhumation des archives peut parfois bouleverser des orthodoxies, sans pour autant que la mémoire des victimes en soit atteinte, au contraire même. C’est du révisionnisme positif !

C’est le cas du travail obstiné d’un historien américain (juif), Raul Hilberg, raconté dans son autobiographie dans la La politique de la mémoire.Alors Hilberg est-il à sa façon un historien révisionniste ? Au sens des Dreyfusards, certainement, puisque le projet de sa vie d’historien est d’écrire une histoire de la destruction des Juifs d’Europe, à un moment (les années 40 et 50), où tout le monde veut oublier (ou ne pas voir) les réalités du génocide. Hilberg a toutes les peines du monde en 1961 à publier son immense travail (1000 pages aujourd’hui reconnu comme la somme inégalée et inégalable sur le sujet), face à des historiens sceptiques ou indifférentes). C’est le procès d’Eichmann en Israël la même année qui va donner un grand retentissement à ses travaux.

Dans son autobiographie intellectuelle, Raul Hilberg montre bien toutes les difficultés d'un chercheur isolé confronté dans les années 1950 au scepticisme de la communauté scientifique mondiale (y compris en Israël) sur l'importance de ses recherches et de sa thèse sur la destruction des Juifs d'Europe, essentiellement à partir des archives allemandes.

A propos du révisionnisme absolu (le plus inacceptable mais pas le plus pernicieux nécessairement car il n’avance pas masqué), il importe selon Vidal-Naquet d’en identifier les origines, géographiques et idéologiques, mais que cela vienne des Etats-Unis, d’Allemagne (majoritairement) ou de France ou du R-U, le fonds commun est toujours l’antisémitisme ou l’antisionisme + théories complotistes + troubles de la personnalité. Mais certains itinéraires restent troublants. Cf Paul Rassinier. Mais notons au passage qu’on ne trouve pratiquement aucun historien de métier parmi les négationnistes du génocide (Ils sont professeurs de littérature, philosophes, ingénieurs, instituteurs, sociologues, journalistes etc) et il s’appuie selon Raoul Girardet sur de vieux

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mythes, articulés sur la hantise du complot (complot juif, complot franc-maçon etc) Vidal-Naquet... : " A partir du moment où une théorie est lancée dans le public, il faut, si folle soit-elle, la prendre au sérieux, non pour établir un dialogue avec ses auteurs, mais pour expliquer au public qui la lit, quel en est l’enjeu "Mais il n’y a pas que le négationnisme lié à la Shoah. Autres formes de révisionnisme d’Etat : la négation du génocide des Indiens d’Amérique, le négationnisme turc concernant le génocide des Arméniens en 1915, le négationnisme hutu concernant le massacre des Tutsis par les Hutus aux Rwanda en 1994 (1 millions de morts en une centaine de jours). Ces négationnismes sont alimentés par une histoire controversée. L’historien français Jean-Pierre Chrétien dénonce ainsi un « négationnisme structurel » Très vite en fait, les massacres de Tutsi ont été présentés comme un des éléments d’une guerre civile et une balance a été établie entre les victimes de deux « camps » ethniques. Le fait que le Rwanda se situe en Afrique n’est pas un hasard dans le succès de ce relativisme. Nombre d’observateurs partagent plus ou moins confusément la conviction que les tueries sont dans l’ordre des choses sur ce continent et que la barbarie est à fleur de peau chez ses populations. Alfred Grosser pouvait écrire dès 1989 dans Le crime et la mémoire : « Non il n’est pas vrai qu’un massacre d’Africains soit ressenti de la même manière qu’un massacre d’Européens ». «Le génocide des Tutsis du Rwanda est, du point de vue des sciences sociales, l’événement le plus important de la fin du XXe siècle auquel elles puissent se confronter», écrit Stéphane Audoin-Rouzeau, un spécialiste de la Première guerre mondiale qui est devenu l’un des grands historiens du génocide des Tutsis et qui a dirigé la thèse de Hélène Dumas Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda (Seuil, 2014). 

Voir les polémiques récentes : S.Audoin-Rouzeau et le rapport Duclert sur le Rwanda.Depuis trente ans, le débat sur le génocide est terrible, plein de mensonges, de passions. Les services de l’État ont joué le jeu, nous avons eu accès à toutes les archives possibles. Je sais que la défiance envers les institutions est forte mais je tiens à attester que nous avons travaillé avec du soutien et de l’indépendance. Dans le rapport, nous le disons : certaines archives n’ont pas été retrouvées. Celles de Jean-Christophe Mitterrand par exemple, ainsi que celles de l’état-major où se concentrent beaucoup d’irrégularités.Cécité volontaireDes journalistes sont présents lors de l’opération Amaryllis. Les instructions données au commandant de l’opération, sont d’éviter que les journalistes ne voient des massacres et des corps. Aujourd’hui on se demande : pourquoi ces forces spéciales ne reçoivent pas l’ordre d’empêcher les massacres ? Et là c’est terrible : on est passé à un doigt d’éviter un génocideCertains alertent

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Sur le génocide des Tutsis, des connaisseurs tirent très tôt la sonnette d’alarme. L’historien Jean-Pierre Chrétien écrit un article dès le début des massacres, intitulé « Un nazisme tropical ». Des personnes incarnent l’honneur de la France. C’est le cas du ministre Pierre Joxe. De manière courageuse, il envoie des notes claires, qui ne sont pas toujours transmises. Une d’entre elles, sur la gestion de crise par exemple, demande d’arrêter les ordres à la voix et tout ce qui fait que les militaires sont dans une situation terrible.(extraits du rapport)

c/ L’historien face au « passé qui ne passe pas »exemple : La France sous l’occupation : « un passé qui ne passe pas » et « une histoire périlleuse » mais on pourrait aussi parler de la mémoire colonialeDeux livres nous rappellent les difficultés de la tâche de l’historien, du professeur comme de l’étudiant.

- Henri Rousso, Le syndrome de Vichy, 1944 à nos jours, Points Seuil, 1992

- Laurent Douzo, « La résistance française, une histoire périlleuse », Points-Seuil, 2005

Primo Levi « les peuples qui nient leur passé sont condamnés à le revivre »

*Histoire et mémoires*Mémoire : présence du passé, souvenir, représentation subjective du passé.*Histoire : acte raisonné de connaissance : expliquer, comprendre, inter-préter. On peut définir alors l' histoire de la mémoire comme « l'étude de l'évolu-tion des représentations du passé, entendues comme des faits politiques, culturels ou sociaux ».

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« La " mémoire " peut se définir de manière large comme la manière dont des sociétés, des groupes et des individus se représentent le passé. Son étude constitue un champ de recherche historique relative-ment récent, qui s’intéresse donc, principalement à travers les productions culturelles et les pratiques mémorielles, aux représentations du passé dans son ensemble, ou de tel personnage ou événement spécifique ».

André LOEZ, Petit répertoire critique des concepts de la Grande Guerre,

CRID 14-18, décembre 2005.Article « Mémoire »

« La mémoire, c'est le fait qu'une collectivité se souvienne de son passéet cherche à lui donner une explication au présent, à lui donner un sens » Annette WIEVIORKA

historienne de la ShoahMars 1999.

« L'histoire implique une comparaison tandis que la mémoire se veut incompa-rable » Paul Ricoeur.

*Occupation et résistanceLa période de l’occupation (1940-44) représente un fort enjeu de mémoire, lequel pèse sur l’histoire politique et culturelle de la France depuis la Libération. Cet enjeu de mémoire a été fortement réactivé depuis une vingtaine d’années pour 4 raisons au moins : 1. Des affaires politiques liées à Vichy ou à la résistance. C’est par

ex. les liens durable d’amitié – connu depuis longtemps mais révélé au grand public par le livre de P.Péan, Une jeunesse Française,

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entre Fr Mitterrand et René Bousquet, filmé par serge Moati pour la TV.

[Bio Ancien radical, René Bousquet est fin 1942 secrétaire général de la police, nommé par Laval. Il est celui qui organise avec l’Allemand Oberg la rafle du Vel d’Hiv et la collaboration en 1943 entre les polices françaises et allemandes contre le terrorisme et le communisme. Entre le 18 et le 22 août 1942, il envoie plusieurs télégrammes aux préfectures destinés à étendre aux enfants de la zone libre les mesures de déportation des Juifs. Il n’est condamné en 1949 qu’à 5 ans d’indignité nationale, aussitôt commuée, personne n’ayant vraiment connaissance de son rôle précis dans lé déportation des Juifs et aussi en raison de services rendus à la résistance en 1944. Mais il est inculpé en 1991 de crimes contre l’humanité, il est assassiné en 1993 par un déséquilibré (?) avant l’ouverture de son procès. ]Mitterrand ne le rencontre en fait qu’en 1949, alors qu’il est lui tout jeune ministre de l’outre-mer. Il le soutiendra toujours Bousquet de son amitié par la suite. Comme l’a « révélé » le livre de Pierre Péan, les ambiguïtés de Fr Mitterrand pendant l’occupation sont révélatrices de la position d’un certain nombre de jeunes fonctionnaires ambitieux, issus de la droite et que l’on peut considérer comme « maréchalistes », sans qu’ils adhèrent pour autant à l’ensemble de l’idéologie de la Révolution nationale. Lorsque Mitterrand reçoit la Francisque fin 1943 (la plus haute décoration de Vichy) pour son action à la Légion Française des Combattants puis au Commissariat aux Prisonniers de Guerre, il est en fait déjà entré dans la résistance – il a fondé dans la clandestinité le Rassemblement national des prisonniers de guerre et il a déjà fait pour cela un voyage à Londres puis à Alger. Est-ce tardif d’entrer dans la résistance fin 43   ? C’est toujours mieux qu’à l’été 44 ! – et Couve de Murville, gaulliste historique qui sera premier ministre du général en 1968-69, ne part lui en Afrique du Nord qu’en juin 43, après avoir occupé à Vichy un poste bien plus important que celui de Mitterrand (dir. des Finances extérieures et des Changes)Le principal reproche fait à Fr.Mitterrand a été en fait son passage à la Légion Française des Combattants dirigée par le catholique François Valentin. La LFC ne doit pas être confondue avec la LVF. C’est un mouvement de masse (1,2 million d’adhérents surtout en zone sud, les Allemands l’ont interdites en zone nord), qui fédère les anciens mouvement d’anciens combattants et qui est directement lié aux objectifs de la révolution nationale, avec une vocation familiale et sociale. Mais Mitterrand quitte la LFC lorsque Laval en avril 43 y place Raymond Lachal, un collaborationniste. Il vaut mieux, car désormais Vichy va largement puiser dans son service d’ordre (le SOL) pour constituer la Milice. 2. Des procès intentés contre des nazis ou des collaborateurs français

des Allemands pour « crime contre l’humanité » (lire plus haut)3. Des controverses historiographiques qui mettent en cause la

mémoireDe plus en plus, les jeunes historiens – surtout depuis 10 ou 15 ans – cherchent à se détacher des enjeux de mémoire et surtout à se détacher des mythes résistantialistes, à la fois des mythes

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communistes (la chute du communisme mondial depuis 1990 y a contribué) et de la vision gaullienne de la période (Vichy ce n’était pas la France, puisque la France était à Londres)Mais chose remarquable, cette attitude vaut aussi pour les acteur-historiens récemment disparus, tels Daniel Cordier à propos de Jean Moulin (dont il est le biographe après avoir été le secrétaire) et aussi Jean-Louis Crémieux-Brilhac sur la France libre, dont il fut jeune membre.Cordier est assez atypique. Royaliste, antisémite, il embarque de Bayonne pour l’Angleterre avec 16 amis d’extrême-droite le 21 juin 1940. Parachuté en France le 26 juillet 42 pour une mission, il rencontre Jean Moulin et devient son secrétaire pendant 11 mois, jusqu’à la mort de Moulin. Son mot d’ordre à la publication de sa biographie en 3 volumes (1989-93) : « Tout ce que j’ai trouvé, je le publie, n’ayant rien ni personne à ménager ». De fait, Cordier évitera le plus possible de travailler avec des témoignages, mais plutôt des archives.« La confrontation de ces sources à usage strictement interne, qui n’étaient pas destinées à être conservées et encore moins à être lues par d’autres que leurs destinataires -, avec les propos des témoins, même les plus honnêtes, et avec les écrits des « spécialistes» est parfois douloureuse, toujours édifiante. «À diverses occasions, j’avais pu faire moi-même l’expérience du peu de valeur historique des témoignages. [ ... ] La confrontation de ces récits avec les documents était révélatrice des mirages du souvenir. [ ... ] Ce procédé facilite évidemment les manipulations rétrospectives, mais prépare de grandes surprises et de rudes déceptions aux historiens quand viennent au jour les documents d’ époque’ ? » -J-L Crémieux, lui-même engagé très jeune dans la France Libre, pense avoir un lèger avantage sur le « pur manieur d’archive » mais il n’en demeure pas moins d’une implacable rigueur historique. « Aussi bien du côté de ceux qui sont venus à la France libre que du côté des communistes, il y a eu chez certains une réécriture de l’histoire — en partie de bonne foi, en partie de mauvaise foi. Parce que les dérives de la mémoire, l’évolution de l’histoire vécue font que la vision des événements change. »Toutefois l’histoire n’a pas encore gagné la partie, loin de là. Ainsi René Fallas en préface du livre de Gérard Chauvy sur Aubrac, Lyon 1943 :« Qu’en est-il de l’histoire de la Résistance ? Appartiendrait-elle aux seuls résistants, dont les témoignages seraient par nature et par définition exempts d’affabulations, d’ impostures et de contre-vérités ? Serait –elle la chasse gardée de quelques chroniqueurs ou historiens n’osant mettre en doute de grands témoignages et ne cherchant pas systématiquement à tout vérifier, à tout contrôler ? [ ... ] La Résistance n’est pas un mythe, mais les mythomanes de la Résistance et leurs thuriféraires sont légion. » Or qui est René FALLAS ? un ancien membre du comité directeur du MLN, vice-président de l’Association nationale des médaillés de la Résistance.

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4. Des commémorations qui relancent le débat, ainsi la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv de juillet 42 et la reconnaissance par l’Etat Français de sa responsabilité dans la déportation des Juifs

Il faudra attendre l’année 1995, plus de cinquante ans après les faits, pour qu’un monument commémoratif soit inauguré à proximité de l’ancien Vélodrome d’Hiver, dans le 15-ème. Voulu par M. François Mitterrand (décret du 3 février 1993), Président de la République, le monument du Vel’d’Hiv’ est inauguré, le 17 juillet 1994. En 1995, la cérémonie commémorative est l’occasion pour le nouveau Président de la République, M. Jacques Chirac, de prononcer un discours fort et inédit : il France la responsabilité de l’Etat français dans la mise en France de la « Solution finale » contre les Juifs.STELLE COMMEMORATIVE » La République française en hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites et des crimes contre l’humanité sous l’autorité de fait dite gouvernement de l’Etat français 1940-1944. N’oublions jamais. »Rappelons que le 16 juillet, les gendarmes et les Gardes Mobiles Républicains (4500) procèdent à l’arrestation des Juifs étrangers de paris et de la RP, sur les critères suivants : hommes de -60 ans et des femmes de moins de 55 ans, ainsi que des enfants ne pouvant être gardés par les personnes âgées. 12 884 Juifs sont raflés, une partie (7000) parquée dans des conditions intenables au Vel d’Hiv, puis déportés à Drancy, antichambre d’Auschwitz. Puis à nouveau un discours de repentance est prononcé en 2005 (27 janvier, inauguration de l’exposition du pavillon français du musée-mémorial d’Auschwitz) :

Nous le faisons, en France, en maintenant fermement l’exigence de mémoire, qui est une exigence de vérité et de responsabilité. C’est dans cet esprit que notre pays a reconnu en 1995 ce que fut la réalité de son histoire. Ce que furent ses responsabilités. C’est dans cet esprit que nos professeurs ont le devoir et la mission de transmettre et de transmettre encore aux jeunes toute la vérité sur ces années. De leur rappeler notre histoire pour que jamais ne s’efface le souvenir. De leur faire partager les valeurs de tolérance et de respect de la dignité humaine.

C’est dans cet esprit que nous opposons implacablement la rigueur de la loi à ceux qui prétendent nier l’horreur de ce qui s’est passé. Nier la réalité de la déportation. Nier la réalité des chambres à gaz et des crématoires. Nier la réalité de la Shoah. Nous combattons résolument toutes les résurgences de l’inacceptable.

-Un enjeu d’histoire : la colonisationLe mouvement Black Lives Matter, né aux Etats-Unis après la mort de George Floyd, a relancé la "question noire" dans les anciennes puissances européennes esclavagistes et colonialistes. Mais c'est depuis une dizaine d'années déjà que la question est soulevée officiellement en France, notamment à l'initiative du pouvoir exécutif. Le 10 mai 2006, pour la première fois, la France métropolitaine a organisé une journée nationale

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de la mémoire de l’esclavage et de la mémoire de l’abolition, alors que le thème de la colonisation refaisait surface, et après la création, en novembre 2005, du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) et la publication d'un grand dossier du journal La Croix (être noir en France) début 2006. Comme le soulignait alors l'anthropologue (et jésuite) Stéphane Nicaise dans "La question noire en France" (Études 2006/9): "Par le recours à l’histoire, et en particulier à l’histoire coloniale, est dénoncée l’inégalité des chances qui frappe des Français noirs par rapport à leurs concitoyens blancs aux mêmes niveaux de qualification qu’eux". La question de la colonisation en Afrique noire (et bien sûr aussi au Maghreb) n'a cessé ensuite d'inspirer de nombreux (et excellents) travaux historiques et de générer aussi des polémiques nouvelles, que le militantisme de certaines associations tout comme le discours public ont pu exacerber. Tout cela sur fond de rapports diplomatiques parfois compliqués avec les pays africains, d'une poussée de la droite identitaire et nationaliste et du développement d'un communautarisme ethnique. Exemple de polémique stérile, un alinéa qui avait été introduit dans la loi du 23 février 2005, avant d’en être retiré, voulait que «les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord». Comme sous la IIIème République d'Ernest Lavisse !En juillet 2007, le président Sarkozy, à peine élu, fit à Dakar un discours qui laissa pantois les spécialistes de la civilisation africaine et des grands royaumes africains : "Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles". Cette idée suppose en effet un degré de civilisation (histoire=civilisation et progrès) inférieur, une sorte de Moyen-Age éternel de l’Afrique et c’est une vision figée et surannée qui nous ramène au 19ème siècle, même si elle se rattache volontiers à un humanisme républicain généreux. Bref, les Européens  connaissent très mal l’Afrique et disent à peu près n’importe quoi à son sujet. Les politiques, de droite comme de gauche, sont donc les héritiers d’une longue tradition d’ignorance. Sans oublier un paternalisme colonial qui a été de toutes les époques, ainsi en 1958, le général de Gaulle, toujours à Dakar, défendait encore l’idée d’une communauté franco-africaine (contre celle d’indépendance) et c’est papa de Gaulle qui aimait l’Afrique et les Africains :Je tiens à répéter à cette Afrique que j'aime l'expression de mon amitié, l'expression de ma confiance, et je suis sûr que, malgré les agitations systématiques et les malentendus organisés, la réponse du Sénégal et de l'Afrique à la question que je lui pose, au nom de la France, sera OUI, OUI, OUI ! Vive le Sénégal !Dans le film un peu méconnu de Chris Marker et Pierre Lhomme, Le joli mai (1962, sorti début 1963), sorte d’enquête sociologique qui multiplie des interviews de Parisiens et de Parisiennes à la fin de la guerre d’Algérie (les accords d’Evian datent d’avril), on trouvait le récit d’un étudiant originaire du Dahomey (aujourd’hui Bénin et qui fut avant la colonisation et son intégration dans l’AOF un des plus grands royaumes africains). En quelques minutes, le jeune homme résumait parfaitement

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ce qu'était - et ce qu'allait être - la condition d'un jeune noir-africain en France dans les décennies à venir. Dans un registre comique, le très récent film Tout simplement noir tourne en dérision des clichés qui ont la vie dure depuis soixante ans, tout en stigmatisant le communautarisme "noir". Et l'acteur/réalisateur Jean-Pascal Zadi a cette formule (faussement) ironique que l'on pourrait croire dépassée en 2020 : "l'homme blanc doit comprendre que le Y'a bon Banania, c'est fini !".

Image extraite du Joli MaiMalgré tout, en février 2017, le candidat-président Macron a brisé un tabou, dans la droite ligne des reconnaissances tardives d'un "passé qui ne passe pas" (on pense au Vel d'Hiv et à Vichy). Oui, la colonisation a été un "crime contre l'humanité" et un "acte de barbarie" et il est temps d'oeuvrer désormais à une "réconciliation des mémoires". Et enfin, en 2019, le même Macron a estimé que le colonialisme a été une «faute de la République» lors d'une conférence de presse à Abidjan en compagnie du président ivoirien Alassane Ouattara. Réaction outrée de Mme Le Pen : "En se vautrant dans la repentance, qui plus est à l'étranger, en ne retenant que les aspects négatifs d'un processus complexe, Macron salit l'histoire de France et met en danger nos soldats en Afrique, déjà soumis à une haine anti-français croissante". Le roi des Belge Philippe a toutefois été un peu plus loin que l'exécutif français. Le 30 juin 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo, le roi a exprimé dans une lettre adressée au chef de l’État et au peuple congolais des regrets pour le passé colonial en ces termes : "A l’époque de l’État indépendant du Congo, des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations. Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés. Je continuerai à combattre toutes les formes de racisme." Pas question toutefois pour la Belgique de rétrocéder les biens volés au peuple congolais du temps de la domination de Léopold II sur le Congo et du temps de la période coloniale pendant laquelle le Congo a fait partie de la Belgique (1908-1960)  ni de déboulonner les statues de colonisateurs et autres symboles de l’époque coloniale dans l’espace public belge. De même en France, le président Macron s'est déclaré opposé à tout "déboulonnage", en particulier des statues de Colbert, tandis qu'un mouvement iconoclaste s'est manifesté dans certains territoires, visant notamment en Martinique Victor Schoelcher, l'abolitionniste d'avril 1848 (sous la Deuxième République,

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donc) qui a aussi été député de ce territoire. Cet acte a été condamné quasi unanimement, y compris par la Fondation pour la mémoire de l’esclavage et par l'écrivain Patrick Chamoiseau, qui demande à ce que l'on "respecte l'homme" Schoelcher. Ce qui est en jeu en réalité, c'est la captation d'un héritage au profit de quelques "héros" (désormais ce ne sont plus les "héros" de la colonisation comme Gallieni ou Lyautey mais ceux de l'abolition de l'esclavage ou de la décolonisation). 

Carte-postale de la statue de Schœlcher à Fort-de-FranceComme on le voit, la controverse reste vive, mais ce qui est intéressant dans ce débat (en France) concerne la responsabilité de "La République" comme une sorte de personne morale. C'est ce que je vais tenter de clarifier dans une courte synthèse historique qui rappelle ce qu'a été l'enjeu colonial en France de 1870 (aux débuts de la IIIème République, qui a relancé la colonisation) à 1962 (la fin de la guerre d'Algérie et de notre empire colonial). Il n'y a dans ce texte aucune volonté polémique, juste un rappel à l'histoire, devenu si nécessaire dans un monde à la mémoire volatile.

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Le débat Ferry/Clemenceau en 1885 : une autre voie était possibleClemenceau avait sans doute mesuré dès 1885 la contradiction fondamentale entre les principes de la République et l’action coloniale mais il n’avait pas les moyens d’inverser le cours de l’histoire européenne. Dans un article de La Dépêche datée du 20 mai 1900, le même Clemenceau était scandalisé par l'exposition au Trocadéro de "têtes de nègres coupées", tout en conseillant aux lecteurs de se procurer le pamphlet de Paul Vigné d'Octon, dédié au ministre des colonies, La Gloire du Sabre.

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