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Axel Honneth Un monde de déchirements Théorie critique, psychanalyse, sociologie Traduit de l’allemand par Pierre Rusch et Olivier Voirol Préface d’Olivier Voirol

HONNETH - Le travail de la négativité - Une révision psychanalytique de la théorie de la reconnaissance

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French translation of Axel Honneth's text "Das Werk der Negativität"

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    Axel Honneth

    Un monde de dchirementsThorie critique, psychanalyse, sociologie

    Traduit de lallemand par Pierre Ruschet Olivier Voirol

    Prface dOlivier Voirol

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    Note sur ldition franaise

    Le chapitre 1 a t initialement publi sous le titre Logik derEmanzipation. Zum philosophischen Erbe des Marxismus dansHans-Leo KRMER et Claus LEGGEWIE (dir.),Wege ins Reich der Freiheit. AndrGorz zum 65. Geburtstag, Rotbuch, Berlin, 1989. Traduit de lallemand parPierre Rusch.

    Le chapitre 2 a t initialement publi sous le titre Arbeit und instru-mentales Handeln : kategoriale Probleme einer kritischen Gesellschafts-theorie dans Axel HONNETH et Urs JAEGGI (dir.), Arbeit, Handlung,Normativitt. Theorien des Historischen Materialismus, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1980. Publi en franais dans la revue Travailler, n 18,2007/2. Traduction revue et corrige ; traduit de lallemand par IsabelleGernet et Olivier Voirol.

    Le chapitre 3 a t initialement publi sous le titre Eine Welt derZerrissenheit. Zur untergrndigen Aktualitt von Lukacs Frhwerk dansAxel HONNETH, Die zerrissene Welt des Sozialen, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1990 (2e d., 1999). Traduit de lallemand par Pierre Rusch.

    Le chapitre 4 a t initialement publi sous le titre Horkheimersursprngliche Idee. Das soziologische Defizit der Kritischen Theorie dans Axel HONNETH, Kritik der Macht. Reflexionstufen einer kritischen Gesells-chaftstheorie, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1986. Traduit de lalle-mand par Olivier Voirol.

    Le chapitre 5 a t initialement publi sous le titre Kritische Theorie.Vom Zentrum zur Peripherie einer Denktradition dans Axel HONNETH,Die zerrissene Welt des Sozialen, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1990(2e d., 1999). Traduit de lallemand par Olivier Voirol.

    Le chapitre 6 a t initialement publi sous le titre Halbierte Rationa-litt. Erkenntnisanthropologische Motive der Frankfurter Schule dansJoachim FISCHER et Hans JOAS (dir.), Kunst, Macht und Institution, Campus,Francfort-sur-le-Main, 2003. Traduit de lallemand par Olivier Voirol.

    Le chapitre 7 a t initialement publi sous le titre Von Adorno zuHabermas. Zum Gestaltwandel kritischer Gesellschaftstheorie dans

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    Wolfgang BON et Axel HONNETH (dir.), Sozialforschung als Kritik, Suhr-kamp, Francfort-sur-le-Main, 1982. Traduit de lallemand par PierreRusch.

    Le chapitre 8 a t initialement publi sous le titre Jrgen Habermas dans Dirk KAESLER (dir.), Klassiker der Soziologie, vol. 2. Von Talcott Parsonsbis Pierre Bourdieu, Beck, Munich, 1999. Traduit de lallemand par PierreRusch.

    Le chapitre 9 a t initialement publi sous le titre Das Werk derNegativitt. Eine psychoanalytische Revision der Anerkennungs-theorie dans Werner BOHLEBER et Sibylle DREWS (dir.), Die Gegenwart derPsychoanalyse die Psychoanalyse der Gegenwart, Klett-Cotta, Stuttgart,2001. Traduit de lallemand par Pierre Rusch.

    Le chapitre 10 a t initialement publi sous le titre Facetten desvorsozialen Selbst. Eine Erwiderung auf Joel Whitebook dans Psyche Zeitschrift fr Psychoanalyse und ihre Anwendungen (Klett-Cotta, Stutt-gart), vol. 55, n 8, aot 2001. Traduit de lallemand par Olivier Voirol.

    Le chapitre 11 a t initialement publi sous le titre Arbeit und Aner-kennung. Versuch einer Neubestimmung dans Axel HONNETH,Das Ich imWir, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 2010. Traduit de lallemand parSusanne Friedrich et Olivier Voirol.

    Le chapitre 12 a t initialement publi sous le titre Zur Zukunft desInstituts fr Sozialforschung dans Mitteilungen des Instituts fr Sozialfors-chung, n 12, 2001. Traduit de lallemand par Olivier Voirol.

    Le chapitre 13 a t initialement publi sous le titre Gerechtigkeits-theorie als Gesellschaftsanalyse. berlegungen im Anschluss an Hegel ,dans ChristophMENKE et Juliane REBENTISCH (dir.), Axel Honneth : Gerechtig-keit und Gesellschaft. Potsdamer Seminar, BWV-Berliner Wissenschafts-Verlag, Berlin, 2008, p. 11-29. Traduit de lallemand par Olivier Voirol.

    Un monde de dchirements

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    Troisime partie

    Psychanalyse et Thorie critique

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    Chapitre 9

    Le travail de la ngativitUne rvision psychanalytiquede la thorie de la reconnaissance

    Sur un thme aussi complexe, il est recommand de prsenterquelques thses qui expriment mon point de vue de la manire la plusconcise possible. Je procderai en trois temps, en esquissant premirementles raisons pour lesquelles la Thorie critique a besoin de la psychanalyse,en voquant deuximement la ncessit dintgrer la thorie de la rela-tion dobjet, contre le reproche de rvisionnisme adress celle-ci par lesanciens reprsentants de lcole de Francfort, et enfin, en me demandantsi le prix payer pour ce changement de paradigme nest pas trop lev,dans la mesure o il priverait certains gards lapproche psychanalytiquede cette ngativit qui constituait le vritable aiguillon de Freud.Cest seulement dans cette troisime thse que jaborderai le problme quiest lorigine du titre de mon article ; le dtour par les deux premierspoints est toutefois ncessaire pour mettre en lumire limportance de laquestion concernant la force du ngatif 1 .

    IIl y a au moins deux raisons de penser quune thorie critique

    de la socit dans la tradition de lcole de Francfort continue entre-tenir une relation troite avec la thorie psychanalytique. Cependant, celien ne se justifie pas par la seule rfrence la tradition des critsdAdorno ou Marcuse. Vu daujourdhui, la coopration de la Thoriecritique et de la psychanalyse, telle quelle avait t envisage par MaxHorkheimer et mise en uvre par Erich Fromm, a quelque chose defortuit. Il existait lpoque un vaste courant fait de multiples tentativesvisant intgrer le marxisme et la psychanalyse, et dont le but tait essen-tiellement de complter la thorie sociale au cur du matrialisme

    1 Voir Reimut REICHE, Subjekt, Patient, Auenwelt , Psyche, n 53, 1999, p. 572-596,ainsi que Joel WHITEBOOK, Mutual recognition and the work of the negative , inWilliam REHG et James BOHMAN (dir.), Pluralism and the Pragmatic Turn. The Transforma-tion of Critical Theory, Essays in honor of Thomas McCarthy, MIT Press, Cambridge, MA,2001, p. 257-291.

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    historique en lui ajoutant une dimension psychologique destine expli-quer labsence de soulvement rvolutionnaire, cest--dire le degrdintgration sociale de la classe ouvrire. La psychanalyse pouvait icioffrir ses services, parce quelle semblait en mesure dclairer les forcesinconscientes qui empchaient les sujets opprims dagir conformment leurs intrts rationnels.

    Ds la fin de la priode nazie, mais plus encore aprs le retour (partiel)des membres de lInstitut dans la jeune Rpublique fdrale, la situationsocioculturelle avait considrablement chang, pour autant que leproblme ne semblait plus tre lintgration psychique du proltariat,mais lapathie singulire, labsence de rsistance de lensemble de la popu-lation. nouveau, la psychanalyse se proposait comme une stratgiethorique dappoint, parce que, combine certaines hypothses sur ladisparition dumarch capitaliste, elle offrait la perspective dinterprter laperte du Moi par les sujets, la crise de lindividu, comme une cons-quence psychique de la perte de lautorit paternelle. Depuis, la transfor-mation dramatique de lexprience historique a aussi fait perdre de vue lancessit dune telle fusion de la psychanalyse et de la Thorie critique dela socit. une poque de rapide dtraditionalisation dumonde vcu, oles individus semblent sengager avec leurs propres forces dans leprocessus dindividualisation et dautonomisation, il nest plus si videntde dire quel besoin explicatif rpondrait une Thorie critique de lasocit nourrie de concepts psychanalytiques et lappel fusionner lesdeux dispositifs nest souvent que lexpression dune orthodoxie hostile lexprimentation, dun refus born de toute innovation conceptuelle. Laquestion de savoir quelle combinaison interdisciplinaire doit raliser uneThorie critique de la socit ne se laisse pas rsoudre une fois pour toutes,la rponse dpend des concepts fondamentaux mis en uvre, non moinsque de la situation expliquer. Aussi Jrgen Habermas, en dveloppantsa Thorie de lagir communicationnel (1981), tait-il parfaitement fond prendre ses distances avec la psychanalyse, et lui substituer une psycho-logie volutive inspire de Kohlberg et Piaget, qui devait expliquer enaccord avec les concepts directeurs du systme les possibilits de russitedune conscience morale postconventionnelle.

    Cest cette historicit interne de la Thorie critique qui oblige sinter-roger, chaque nouveau stade, sur la valeur particulire de la psychana-lyse pour la Thorie critique. part la tradition historique ne dunerencontre largement contingente dans le Francfort des annes 1920et 1930 , rien a priori ntablit la ncessit dintgrer les deux approchesthoriques. Je suis nanmoins convaincu, contre Habermas, quil y abeaucoup de bonnes raisons de renvoyer une thorie critique de la socit

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    la psychanalyse (au sens le plus large). Jen indiquerai deux, lune etlautre tant lies limage du sujet que met en jeu la thoriepsychanalytique :

    Premirement, sur le plan normatif, une thorie critique de la socitrequiert une conception raliste de la personne humaine, aussi procheque possible des phnomnes observs, qui doit aussi tre capable de faireune place approprie aux forces de liaison inconscientes, non ration-nelles, du sujet. Si elle ne prenait pas en compte ces motifs et ces affectsindociles la rflexion, la thorie courrait en effet le risque de succomber un idalisme moral qui prsumerait trop des ressources rationnellespropres des individus. Or la psychanalyse, toutes tendances confondues,reprsente jusqu ce jour la thorie qui prte la plus grande attention auxlimites constitutives de la rationalit humaine : que ce soit dans sesfantasmes pulsionnels refouls, le destin impntrable de ses liaisons oudans ses constellations affectives inaccessibles la volont, la personnehumaine est ici toujours considre du point de vue des lans incons-cients qui imposent la dlibration rationnelle des limites difficilementfranchissables. Pour se prserver des illusions dune morale rationnelle, laThorie critique a besoin dtre complte par une psychologie moraleouverte aux apports de la psychanalyse. Celle-ci montre que ltre humainnest pas de taille affronter lobligation dadopter une hypothtiqueimpartialit, parce que cela signifierait pour lui ignorer les fondementsexistentiels de sa condition. Sur le plan normatif, la psychanalyse jouedonc le rle que Horkheimer attribuait plus gnralement au matria-lisme : elle signale que ltre humain tient sa propre vie par despulsions inconscientes ou des forces de liaison irrductibles la rflexion,quune morale rationnelle dirige par des principes doit intgrer dans leurralit lmentaire.

    Deuximement, ce nest pas seulement sur le plan normatif, mais aussisur le plan explicatif que la Thorie critique de la socit a besoin dtrecomplte par la psychanalyse, dans la mesure o celle-ci semble le mieux mme de rendre compte des motifs de la conduite humaine qui chap-pent la rflexion. On argumentera ici dans le mme sens que pour destendances idalistes de la morale rationnelle : les processus sociaux nepeuvent tre expliqus dune manire approprie que sils sont aussicompris, par-del les dclarations des sujets eux-mmes, comme lersultat dactions dans lesquelles se sont dposs des mouvementspulsionnels ou des besoins de liaison inconscients. Sur un plan fonda-mental, il faut compter, au sein du monde social, avec des affects et desmotifs qui sont dans une large mesure soustraits la conscience delacteur. Pour prendre en considration ces motifs opaques, trangers au

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    Moi, tels quils sexpriment dans les angoisses, les besoins de liaison, lesdsirs de fusion, les fantasmes de soumission, il faut une thorie psycholo-gique du sujet, une thorie de la socialisation, qui sintresse la gensedes affects inconscients dans lhistoire individuelle du sujet. Jusquici,aucune autre thorie ne me semble pouvoir sacquitter de cette tchemieux que la psychanalyse dans lune ou lautre de ses multiples versions.

    Cest prcisment ce point quil faut se demander laquelle de cesversions est la plus qualifie pour remplir cette tche ; et lon en jugera mon avis selon leur capacit clairer le milieu de socialisation de lasocit dans son ensemble. Une autre manire de formuler ce critreconsisterait dire que le bon candidat pour apporter le complmentsouhait la Thorie critique serait lorientation psychanalytique dont lesconcepts fondamentaux se laissent traduire dune manire relativementfluide dans les catgories de la thorie sociale. Dans un deuxime temps,jindiquerai les raisons pour lesquelles cest la thorie de la relation dobjetqui semble la mieux dsigne pour cette tche.

    IIJe commencerai par prsenter brivement les ides fondamen-

    tales de la thorie de la relation dobjet, avant de donner les raisons qui ladsignent tout particulirement pour entrer dans une combinaison inter-disciplinaire avec une thorie critique de la socit. Naturellement, je veuxaussi montrer par ces rflexions que les efforts de rvision entrepris il y atrente ans par Alfred Lorenzer 2 et Jrgen Habermas 3 nont pas t pousssassez loin, parce que ces auteurs ont limit lintersubjectivisme la mtho-dologie de la dmarche psychanalytique, au lieu de lappliquer auxconcepts fondamentaux de la thorie de la socialisation que celle-ciimplique. La thorie de la relation dobjet part de lanalyse thrapeutiquedes pathologies relationnelles, pour en tirer des consquences quant auxconditions ncessaires dune liaison affective russie. Avant que ne sedessine au sein de la psychanalyse un tel intrt pour les aspects interper-sonnels de lagir humain, il avait certes fallu une srie dimpulsions tho-riques qui branlrent la vision orthodoxe du dveloppement pulsionneldu jeune enfant. Pour Freud et ses disciples, en effet, les partenaires dinte-raction de lenfant ne jouaient un rle quen tant quobjets des investisse-ments libidinaux rsultant du conflit intrapsychique entre les demandes

    2 Alfred LORENZER, Sprachzerstrung und Rekonstruktion, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main,1971.

    3 Jrgen HABERMAS, Thorie de lagir communicationnel, 2 tomes, trad. J.-M. Ferry etJ.-L. Schlegel, Fayard, Paris, 1987.

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    pulsionnelles inconscientes et linstauration progressive du contrle duMoi. Au-del de ce rle indirect et secondaire, seule la mre se voyait encoreattribuer une valeur propre comme personne de rfrence, parce que la peurde la perdre, dans la phase de dpendance psychique du nourrisson, taitconsidre comme lorigine de toutes les formes ultrieures dangoisse. Onavait ainsi construit une image du dveloppement de lenfant o ses rela-tions avec dautres personnes taient considres comme une simple fonc-tion dans le dploiement des pulsions libidinales.

    Les premiers doutes sur la validit de ce modle dcoulrent des tudesempiriques de Ren Spitz 4. Les observations de ce psychanalyste avaienten effet montr que la privation de soins maternels causait de gravesperturbations dans le comportement du nourrisson, alors mme que tousses besoins matriels taient par ailleurs satisfaits. Dans sa prsentationdes nouveaux dveloppements de la psychanalyse 5, Morris Eagle rapportecomment ces premires indications sur la signification autonome desliaisons motionnelles dans le dveloppement du nourrisson furenttayes et renforces par une srie de travaux psychologiques : des tudesthologiques exprimentales parvinrent dmontrer que le lien des bbssinges avec leur mre dite de remplacement ne pouvait pas venir de lasatisfaction de leurs besoins pulsionnels, mais devait plutt senracinerdans lexprience du plaisir de contact . Les recherches pionnires deJohn Bowlby 6 tablirent que le bb humain, ds ses premiers mois de vie,dveloppe une aptitude active tablir une proximit interpersonnelleavec son entourage, laquelle fournit la base de toutes les formes ult-rieures de liaison motionnelle. Enfin Daniel Stern, largement inspir parles travaux de Spitz et Bowlby, put apporter des preuves convaincantesque linteraction entre la mre et lenfant constitue un processus extrme-ment complexe dans lequel les deux parties senseignent mutuellement lafacult de partager leurs sensations et leurs sentiments.

    Toutes ces avances devaient profondment aiguillonner unmilieu aussiouvert la recherche que ltait la psychanalyse anglaise et amricainedaprs-guerre. Elles semblaient en effet tablir, contre le schma freudiena-Moi-Surmoi, limportance durable des premires expriences prverbalesdinteraction : si le processus de socialisation tait essentiellement dpen-dant des expriences que le jeune enfant fait dans lchange affectif avec ses

    4 Ren A. SPITZ, De la naissance la parole : la premire anne de la vie, PUF, Paris, 1993(1965).

    5 Morris N. EAGLE, Recent Developments in Psychoanalysis. A Critical Evaluation, HarvardUniversity Press, New York, 1988.

    6 John BOWLBY, Attachement et perte, t. I, trad. J. Kalmanovitch et D. E. Weil, PUF, Paris,1978.

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    premiers partenaires, alors il fallait renoncer lide orthodoxe selonlaquelle lvolution psychique seffectue comme une suite de formes dorga-nisation de la relation monologique entre les pulsions libidinales et lacapacit construire le Moi. Il fallait au contraire largir le cadre conceptuelde la psychanalyse de manire intgrer cette dimension spcifique desinteractions sociales, au sein de laquelle lenfant apprend par le biais de larelation affective autrui se comprendre comme un sujet autonome. Ceraisonnement thorique se trouva confort sur le plan thrapeutique,lorsquon se rendit compte quun nombre croissant de patients souffrait demaladies psychiques qui ne pouvaient plus tre imputes des conflitsintrapsychiques entre le Moi et le a, mais seulement des troubles interper-sonnels dans le processus de dtachement de lenfant. Ces formes de patho-logies, telles quelles se manifestaient dans les symptmes borderline ounarcissiques, obligeaient de plus en plus les praticiens recourir des modesdexplication qui ntaient plus compatibles avec les conceptions ortho-doxes, parce quils tendaient attribuer une signification autonome auxliens mutuels entre lenfant et ses personnes de rfrence.

    La thorie psychanalytique de la relation dobjet est la premire tenta-tive dapporter une rponse conceptuelle aux dfis que je viens desquisserbrivement. En gnralisant, on pourrait dire que le processus psychiquede socialisation de lenfant se prsente dsormais tout autrement que nese ltaient dabord figur Freud et ses disciples : la construction desinstances intrapsychiques, cest--dire de ce que nous pouvonscomprendre en termes philosophiques comme la relation soi du sujet,seffectue comme un processus dintriorisation par lequel lenfant assi-mile progressivement les schmas dinteraction quil doit apprendre dansla rencontre avec les personnes de rfrence successivement apparues : samre, son pre, ses frres et surs, et finalement aussi ses pairs. Lorgani-sation de la psych saccomplit donc comme un processus interactif, danslequel le sujet mesure quil grandit apprend reconnatre lindpen-dance des relations dinteraction objectivement donnes en les reprodui-sant dans son propre psychisme, pour faire natre en lui-mme unemultitude dinstances oprant selon des modes diffrencis.

    Cette formulation montre bien en quoi la thorie de la relation dobjetest une discipline susceptible de cooprer avec une thorie critique de lasocit : la structure psychique, ce qui sappelait encore chez Erich Frommla formation de caractre 7 , tant ici conue comme lempreinte de

    7 Erich FROMM, Tche et mthode dune psychologie sociale analytique , Freudo-marxisme et sociologie de lalination, textes choisis et prsents par Boris Fraenkel, UGE,Paris, 1974, p. 41-88.

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    schmas dinteraction ramens leur profil typique, il est facile de faire lelien avec une thorie de la socit qui de son ct sintresse la formationsociale des relations dinteraction. Chez Fromm, seule une mince frangede la ralit sociale se laissait intgrer dans la construction thorique dela psychanalyse : cela se limitait au mode de comportement du pre, quitait cens tre responsable du blocage un certain stade du dveloppe-ment psychosexuel 8. Pour la thorie de la relation dobjet, en revanche,la socit est prsente dans tous les schmas dinteraction dans lesquelslenfant se trouve successivement engag au cours de son dveloppementet quil doit progressivement parvenir matriser. Chacune des relationsdobjet de lenfant, cest--dire chacune de ses interactions stabilises avecun autrui concret ou gnralis, possde une forme sociale typique, desorte que la structure spcifique des relations sociales dinteraction sereflte toujours dans les instances acquises par internalisation. Abordantbrivement le troisime point de mon expos, je vais maintenant medemander dans quelle mesure cette association avec la thorie de la rela-tion dobjet expose la Thorie critique de la socit au danger de perdrelaiguillon psychanalytique de la ngativit cest du moins ainsiquAdorno laurait formul.

    IIIDaprs ce qui a t dit jusqu prsent, il pourrait sembler que

    la socialisation de lenfant seffectue dune manire relativement nonconflictuelle, dans un processus dinternalisation des schmas dinterac-tion qui ne laisse subsister ni blessures ni cicatrices dans la structurepsychique de lindividu. Mme si ce modle de socialisation est compltpar une thorie des pulsions reformule dans le sens correspondant, o lespulsions apportent lnergie ncessaire la constitution des instancespsychiques 9, cela ne semble rien changer dessentiel cette image dunprocessus non conflictuel. On pourrait donc reprocher une telleapproche de sous-estimer ces forces ngatives qui soit sous la forme de lapulsion de mort, soit sous la forme dune tendance endogne lagres-sion ont toujours t au centre de la psychanalyse orthodoxe. Ce que laThorie critique pourrait perdre dans une certaine mesure par son associa-tion avec la thorie de la relation dobjet, ce serait le sens de cette

    8 Voir Gunzelin SCHMID NOERR, Zwischen Sozialpsychologie und Ethik. Erich Frommund die Frankfurter Schule , Mitteilungen des Instituts fr Sozialforschung, Francfort-sur-le-Main, 2000, p. 7-40.

    9 Voir Hans W. LOEWALD, Triebtheorie, Objektbildung und psychische Strukturbil-dung , Psychoanalyse. Aufstze aus den Jahren 1951-1979, Klett-Cotta, Stuttgart, 1986,p. 193-205.

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    inadquation constitutionnelle de ltre humain, en quoi Adorno a toujoursvu lapport central de la psychanalyse. La question souleve, si je nemabuse, se ramne pour lessentiel au point suivant : cette force nga-tive, ou peut-tre mieux : cette tendance psychique au dpassement desoi, ce clivage psychique de ltre humain, doit-il ncessairement treconu comme une composante de son bagage pulsionnel, ou peut-onaussi y voir le rsultat invitable dune socialisation qui seffectue sous laforme dun processus dinternalisation ? Si cette question est dcisive,cest parce quelle dtermine le potentiel critique de la thorie de la rela-tion dobjet : car cette thorie admet elle aussi, par exemple dans leconcept winnicottien d objet transitionnel , que lenfant oblig dereconnatre un monde dinteraction indpendant subit une blessure diffi-cilement compensable, qui toute sa vie nourrira en lui une tendance restaurer des units symbiotiques. Avec le psychanalyste franaisCornelius Castoriadis, on peut mme comprendre un tel besoin commeune source de force intrapsychique, qui pousse constamment le sujet dpasser les frontires tablies du Moi et tendre vers de nouvelles formesdinteraction largies 10. La diffrence dcisive avec la conception ortho-doxe est que cette ngativit dynamique nest pas conue comme un donde notre nature pulsionnelle, mais comme le rsultat invitable de notresocialisation. Cette diffrence ne devrait gure affecter ni le rle normatifni le rle explicatif de la psychanalyse pour la Thorie critique : lune etlautre de ces approches dessinent limage dun sujet qui nest capabledaccder qu une forme partielle dintersubjectivit, parce quil narrivepas assumer le caractre indpendant, non matrisable, du monde delinteraction. Et lune et lautre nous obligent prendre en compte chezles sujets, dans une perspective la fois normative et explicative, la mmepart de dsirs inconscients dattachement, de besoins de soumission, defantasmes de domination.

    Dans cette situation, et compte tenu des nombreux doutes que lexp-rience empirique a fait natre entre-temps quant lhypothse detendances endognes dagression chez lindividu 11, il me semble perti-nent de renoncer une thorie forte des pulsions : nous ne perdons pasgrand-chose pour le projet critique dune thorie de la socit, si nousrenonons supposer que ltre humain est constitutionnellement dotdune pulsion de mort ou dagression.

    10 Cornelius CASTORIADIS, LInstitution imaginaire de la socit, Le Seuil, Paris, 1975, chap. 6.11 Voir Martin DORNES, Psychanalyse et psychologie du premier ge, PUF, Paris, 2002, chap. 9.

    Psychanalyse et Thorie critique

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    Chapitre 10

    Les facettes du soi prsocialUne rplique Joel Whitebook 1

    Dans son texte sur la reconnaissance rciproque et le travail dungatif 2 , Joel Whitebook sappuie sur plusieurs approches thoriquesclassiques pour esquisser une thse qui contient une objection fortecontre les Habermassiens , comme il les appelle. Selon lui, le tournantintersubjectif de la Thorie critique conduit forcment un conformismesur le plan de la thorie de la socialisation, consistant en un renonce-ment lide de la non-conformit entre le sujet et la socit, trahissantainsi le motif dune ngativit du sujet individuel qui sest maintenude Hobbes jusqu Freud. Mme si Whitebook lui-mme ne fait pas cettecomparaison, son argumentation rappelle nanmoins fortement dans sonintention et sa mise en uvre la critique faite par Marcuse et Adorno il ya prs de cinquante ans aux rvisions au sein de la psychanalyse : sictait alors le renoncement la thorie freudienne des pulsions qui faisaitoffice de preuve dune tendance conformiste 3, cest aujourdhui le renon-cement lide dune asocialit dans le sujet qui est cens indiquer unetelle tendance au conformisme. Cette apprciation repose videmmentsur une certaine ide des tches dvolues une thorie critique de lasocit, qui na rien dvident et ncessiterait donc une justification parti-culire. Pourquoi, en effet, une thorie de la socit ne pourrait tre critique que si elle part, dans ses prmisses relatives sa thorie de la

    1 Je remercie Martin Dornes pour ses remarques et ses conseils. Par ailleurs, jai profitdes discussions au sein du groupe de discussion Psychanalyse de lInstitut derecherche sociale Francfort-sur-le-Main ; jaimerais remercier tous les participants nos rencontres bimensuelles pour leurs multiples suggestions. Le texte a t remis lardaction le 16 mai 2001.

    2 JoelWHITEBOOK, Mutual Recognition and theWork of the Negative , inWilliam REHGet James BOHMAN (dir.), Pluralism and the Pragmatic Turn. The Transformation of CriticalTheory, Essays in honor of Thomas McCarthy, MIT Press, Cambridge, Ma, 2001,p. 257-291.

    3 Theodor. W. ADORNO, Zum Verhltnis von Soziologie und Psychologie (1955),Gesammelte Schriften, Bd. 8., Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1972, p. 42-85 ; HERBERTMarcuse, Le vieillissement de la psychanalyse (1963), Culture et socit, Minuit, Paris,1970, p. 249-269.

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    socialisation, de lide dun conflit structurel entre le sujet individuel etlordre social, se manifestant sous la forme dune ngativit des sujets ?Dans ma rplique, je souhaite cependant mettre entre parenthses ceproblme mtathorique pour me concentrer uniquement sur le pointqui, pour Joel Whitebook, est vraiment fondamental ; au cur de marplique se trouve ainsi la question de savoir si, et comment, le caschant, nous devons accepter une nature prsociale dans ltre humain,susceptible de valoir comme une ngativit indracinable. Bien sr,dans ce qui suit je ne peux parler que pour moi-mme, sans prtendreprsenter la position de ceux que Whitebook dcrit de manire quelquepeu imprcise comme Habermassiens ; je mne ainsi une discussionavec un ami de longue date, avec lequel je partage certes lorientation versla Thorie critique mais manifestement plus la conception quant auxmoyens thoriques de son actualisation contemporaine.

    I la premire lecture du texte, lide centrale que Joel White-

    book tente de dfendre aux diffrents niveaux de son argumentationsemble claire : ds lors que dans le tournant intersubjectiviste de laThorie critique lhumain est pens comme un tre dont la subjectivitdoit entirement au processus social de la reconnaissance, tout espacethorique pour des hypothses quant la constitution prsociale du sujetse trouve supprim. travers cela disparat en mme temps la possibilitde voir dans lindividu humain une force quasi naturelle de ngativit aufondement du non-conformisme, de la rsistance et de la rvolte, en dede toute influence sociale. Cependant, aussi percutante quelle puisseparatre au premier abord, cette thse, lorsquon la considre de plus prs,seffiloche en diffrentes composantes qui ncessitent chaque fois unexamen particulier. Si je vois juste, Joel Whitebook prsente au fil de sonargumentation trois conceptions extrmement diffrentes de ce qui,gntiquement, prcde le processus de la reconnaissance, et donc de cequi est cens prsenter un potentiel prsocial de ngativit. Par souci desimplicit, jexposerai chaque fois ces trois alternatives en me rfrant lauteur classique voqu dans le texte comme rfrence pour la thsecorrespondante. Le texte introduit les unes aprs les autres des rflexionsde Hobbes, Kant et Freud pour faire ressortir cette strate prsociale dusujet individuel que le tournant intersubjectiviste risque de ngliger.

    Avec Hobbes, Joel Whitebook prsuppose chez les tres humains uneforme dagressivit naturelle qui sexprime dans une attitude hostilefondamentale face leurs semblables et quaucune forme de socialisationne peut entirement contrler, et encore moins dpasser. Se rfrant

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    linstitutionnalisation du march capitaliste, il soutient que les socitsmodernes sont parvenues riger une institution sociale dans laquelle lepotentiel humain dagression peut plus ou moins sextrioriser dans unsens propre au contrat social, sans perdre entirement sa force destruc-trice. En ralit, jai les plus grands doutes quant au fait que lanthropo-logie politique de Hobbes puisse tre comprise dans le sens duneagressivit inne de ltre humain. Selon ma propre lecture, Hobbes ditseulement que le sujet individuel a un instinct naturel lauto-prserva-tion, susceptible de sexprimer dans des besoins trs diffrents, alors quelagression peut tre un produit psychologique driv de la lutte de touscontre tous, rsultant de lopacit gnrale des motifs dautrui 4. Pournotre discussion, on peut toutefois partir de la prmisse selon laquelle latradition de la thorie sociale remontant Hobbes considre quen raisondune agressivit naturelle, les tres humains se font face lun lautredans une attitude hostile. Ce que la thorie de la reconnaissance perdraitalors de vue sur le plan de la thorie de la socialisation serait un potentieldagression propre tout tre humain qui, en tant que reste prsocial,demeurerait insoluble mme dans une forme russie de socialisation.

    Avec Kant, Joel Whitebook prsuppose tonnamment en ltrehumain un autre potentiel prsocial quil dcrit comme une forme derflexivit originaire de lindividu. Ici, convergent deux courants desdiscussions rcentes sur le concept de subjectivit, et je ne vois pas encorevraiment, au premier regard, dans quelle mesure ils doivent tre effective-ment relis de manire systmatique : dun ct, Joel Whitebook se rfreau dbat complexe entre Jrgen Habermas et Dieter Henrich poursoutenir, avec le second et contre le premier, quen cherchant expliquerde manire indubitable la possibilit de la conscience de soi , lintersub-jectivisme doit prsupposer un sens intuitif de soi (Vertrautsein) origi-naire chez le sujet individuel. Comment, en effet, justifier autrement lefait quun individu doive toujours stre dj reconnu comme destinatairede la reconnaissance dun partenaire dinteraction, sinon travers lidedun sens pralable et rudimentaire de soi-mme, du ct du sujetreconnu 5 ? De lautre ct, Joel Whitebook se rattache une ide de MarkSacks selon laquelle une intuition du subjectivisme transcendantal

    4 Sur ce point, voir Christine CHWASZCZA, Anthropologie und Moralphilosophie imLeviathan , inWolfgang KERSTING (dir.), Thomas Hobbes : Leviathan. Oder Stoff, Form undGewalt eines brgerlichen und kirchlichen Staates, Akademie-Verlag, KlassikerAuslegen , Berlin, 1996, p. 83-108.

    5 Dieter HENRICH, Selbstbewusstsein und spekulatives Denken , Fluchtlinien. Philoso-phische Essays, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main, 1982, p. 125-131 ; Dieter HENRICH,Bewusstes Leben. Untersuchungen zum Verhltnis von Subjektivitt und Metaphysik,Reclam, Stuttgart, 1999.

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    kantien mrite dtre rhabilit grce largument selon lequel le sujetindividuel ne saurait tre considr comme apte la critique et la distan-ciation face son environnement social si sa capacit de rflexion estconue tout entire comme le produit dune socialisation par la reconnais-sance. En effet, si le soi individuel ntait rien dautre que le produit duneinteraction socialisatrice, alors on ne pourrait pas indiquer do provientla force rflexive qui lui permet de se distancer du donn social 6. La diff-rence entre les deux chanons argumentatifs rside dans le fait que, dansle premier cas, cest une prsence soi prrflexive et, dans le second, unecapacit rflexive originaire contre toute intersubjectivit qui doit treintroduite.

    Enfin, avec Freud, Joel Whitebook prsuppose en ltre humain unephase ontogntique originaire de laspiration lomnipotence, dont lasingularit consiste en labsence de toute reprsentation dune ralitobjective, laquelle demeure inaccessible pour le sujet. Selon la concep-tion des thories psychanalytiques du narcissisme primaire ou de lasymbiose, dans cette premire phase, le nourrisson ne peut se sparer delenvironnement, pas plus quil ne peut sparer sa personne de rfrencedautres objets, car il exprimente la ralit face lui de manire halluci-natoire, comme une masse disposition de ses propres intentions. Cepen-dant, nous ne parvenons la thse que Whitebook a lesprit quenconsidrant les restes dune telle phase omnipotente comme agissantsencore lge adulte, et donc en considrant laspiration lomnipotencecomme constitutive pour le sujet humain : dans tout individu il y a unreste prsocial dans la mesure o, tout au long de sa vie, continuentdexister des tendances dune hallucination omnipotente qui se sontdveloppes pralablement toutes les expriences de la reconnaissancesociale et qui rsistent toujours ces dernires. Ce qui serait alors ngligpar le tournant intersubjectif de la Thorie critique est cette masse de dnide ralit, d irrationalit dans chaque sujet, due linfluence persis-tante de la fantaisie domnipotence enfantine.

    La difficult du texte de Joel Whitebook tient mes yeux au fait quilcroit pouvoir prendre simultanment en considration ces trois motifssans sinterroger suffisamment sur leur compatibilit interne. Avantdentreprendre dexaminer en dtail la pertinence de ses objections contrelintersubjectivisme (III), jexaminerai la consistance de son argumenta-tion. Une entre adquate est ici la question de la manire dont les troismotifs se rapportent les uns aux autres lorsquils sont restitus dans lestermes actuels de la discussion fondamentale en psychanalyse (II).

    6 Mark SACKS, Objectivity and Insight, Oxford University Press, Oxford, 2000.

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    IIPour les trois ides amenes par Whitebook contre lintersubjec-

    tivisme, on peut trouver des quivalents dans les discussions actuelles surla relation entre la psychanalyse et la recherche sur les nourrissons enpsychologie du dveloppement. Une reformulation de la terminologieclassique dans le vocabulaire de cette nouvelle littrature de recherchepermet didentifier plus facilement les questionnements qui sont aucentre de la discussion entre Joel Whitebook et moi-mme. De plus, unetelle actualisation permet mon sens de faire ressortir encore davantagele fait que Whitebook court le risque irrflchi dassocier des prmissesincompatibles. Si lon suit la classification utilise jusquici, le premierreproche porte sur la thse de lagressivit humaine, appelant ignorerlintersubjectivisme car il ne laisse aucune place des tendances destruc-tives dans le processus de reconnaissancemutuelle. Cette ide dune hosti-lit intersubjective introduite ici avec Hobbes a une histoiremouvemente dans la tradition de la psychanalyse 7 : aprs que Freud arvis sa premire version de la thorie des pulsions et a abouti la thsedune pulsion de mort et dune pulsion de vie, manifestement souslinfluence de la Premire Guerre mondiale, sest vite dveloppe dans lacorporation psychanalytique la conception selon laquelle il doit y avoir, ct de la pulsion sexuelle, un second potentiel pulsionnel physiquementdtermin, responsable des tendances agressives et destructives du sujet.Aujourdhui, la discussion pour savoir si la conception dune telle pulsion lagression est effectivement requise se poursuit en recourant au mat-riel dobservation empirique fourni par la recherche exprimentale sur lesnourrissons. Lorsquon rsume les rsultats rassembls par cette dernire,la majorit dentre eux va dans le sens de lide selon laquelle les manifes-tations agressives des nourrissons, cest--dire des expressions de colre etdhostilit, doivent tre comprises comme des ractions des expriencesde dplaisir et non pas comme des pulsions endognes. Plus nous pn-trons dans lunivers des nourrissons, plus on tend interprter leurstendances agressives comme des efforts ractifs dchecs et de blessuresdont la source se trouve dans les relations sociales. Tout en haut de la listefigurent ici bien sr les traumatismes rels, comme ceux accompagnantles mauvais traitements ou les abus sexuels, mais les frustrations lies langligence affective ou les inscurits relationnelles ne jouent pas unmoindre rle dans ces dmonstrations dagressivit. Dans tous les cas, queces rsultats de recherche soient interprts comme des indicateurs dune

    7 Martin DORNES, Psychanalyse et psychologie du premier ge, PUF, Paris, 2002 (1997),chap. 9.

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    disposition lagression existante de manire gntique ou comme untraitement ractif et secondaire, rien aujourdhui ne tend lacceptationdune pulsion dagression dtermine sur le plan gntique. En fin decompte, Winnicott, un Kleinien dans un certain sens, avait djcompris les tendances destructives du nourrisson, mordant la poitrine desa mre, comme des manifestations dune forme de problmatisationontologique servant tester le caractre indpendant du monde 8.

    Avec ce dernier aspect, il va de soi de passer dabord la troisimeobjection de Whitebook avant de considrer ensuite son second argu-ment, plus complexe. Avec la thse selon laquelle le dbut de tout dve-loppement individuel est marqu par une phase domnipotencehallucinatoire, on touche un thme qui, de nos jours, fait lobjet dediscussions particulirement vives entre les reprsentants de la psychana-lyse et ceux de la recherche empirique sur les nourrissons. Le mouvementpsychanalytique vit apparatre une nouvelle tendance qui, fonde sur desspculations thoriques de Freud pour lequel il existe chez le nourrissonun narcissisme primaire , part de lhypothse dune phase initiale danslaquelle les enfants entretiennent un fantasme domnipotence. Incapablede distinguer cognitivement entre le monde et lui-mme, le nourrissonexprimente les comportements de son environnement perceptiblecomme tant fusionns ses propres activits, de sorte quil semble tre sa disposition sans rsistance. La thorie de la relation dobjet, qui reposesur le rle central de linteraction avec la personne de rfrence, contrelorthodoxie freudienne, a largement repris cette image de la phaseinitiale. Certes, la place du narcissisme primaire , il est avant toutquestion de symbiose initiale, mais lenfant vit largement cet tat defusion avec la mre comme une expansion grandiose de son proprepouvoir 9.

    Cest surtout la synthse des recherches exprimentales effectues parDaniel Stern qui a port un rude coup cette conception dune phaseinitiale domnipotence, en montrant que les enfants dveloppent dj unsens lmentaire de soi dans les tout premiers mois aprs la naissance 10.Lhypothse de la psychanalyse selon laquelle le jeune enfant est inca-pable, au dbut de son existence, de se distinguer de lenvironnement ne

    8 Donald W. WINNICOTT, Usage dun objet et identification , Jeu et ralit, trad.J.-P. Monod et J.-B. Pontalis, Gallimard, Paris, 2002 (1969).

    9 Martin DORNES, Der kompetente Sugling. Die prverbale Entwicklung des Menschen,Fischer-Taschenbuch-Verlag, Francfort-sur-le-Main, 1993. Voir en particulier lechapitre 3.

    10 Daniel N. STERN, Le Monde interpersonnel du nourrisson. Une perspective psychanalytique etdveloppementale, trad. A. Lazartigues et D. Prard, PUF, Paris, 1989 (1985), partie II.

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    pouvait plus tre maintenue sans modification, de sorte que lide mmedune phase initiale domnipotence hallucinatoire fut branle sur le planempirique. Depuis, la discussion se concentre principalement sur la ques-tion des correctifs ncessaires apporter la conception dune symbioseprimaire afin de la faire concider avec le constat empirique dun sens desoi lmentaire du nourrisson : plutt que dun tat cognitif, on parledsormais plus souvent dun tat vcu de manire affective en relation la symbiose , et plutt que dune phase entire, on voque plus souventdes priodes temporelles intrimaires dun vcu symbiotique 11. Sansprjuger des aboutissements de ces ajustements thoriques, il est dj clairaujourdhui que lide classique dune phase infantile premire defantasme domnipotence est incompatible avec les rsultats de larecherche exprimentale sur le sens de soi prcoce.

    Ce constat est dautant plus tonnant que, dans son texte, Whitebooklaisse les deux thses lune ct de lautre sans accorder dattention parti-culire la question de leur compatibilit rciproque. Sa troisime objec-tion contre lintersubjectivisme, on la vu, consiste faire valoir lidedun sens de soi originaire et prsocial du sujet, linstar de Daniel Sternqui a soutenu cette thse en psychologie du dveloppement, avec saconception dun sens de soi prcoce du nourrisson. Si la thse de Stern estcertes conue comme un nonc empirique alors que les rflexions deHenrich visent fournir une dfinition conceptuelle ou transcendantale,les rsultats issus de lexprimentation peuvent dans une certaine mesureavoir valeur de preuves quant la plausibilit de la rflexion philoso-phique : ltre humain doit dj disposer gntiquement dune intuitionquant un noyau du soi et dun noyau dautrui , selon les proprestermes de Stern, avant de pouvoir crer un monde interpersonnel 12 .Toutefois, largumentation de Stern ne sen prend pas en premier lieu lintersubjectivisme, quil entend au contraire contribuer clarifier, mais la tradition psychanalytique dans la mesure o elle saccroche lidedun tat initial de fusion ou d union : cette thse repose en effet surlide dun tat primaire dindistinction entre le soi et lenvironnement,et elle est inconciliable avec le constat empirique selon lequel le nour-risson dispose dj aprs quelques semaines de la capacit rudimentaire dedistinguer entre soi et autrui comme de percevoir une autre intentionna-lit. La conclusion que Daniel Stern tire de ses recherches exprimentales

    11 Martin DORNES, Psychanalyse et psychologie du premier ge, PUF, Paris, 2002 (1997),chap. 5.

    12 Daniel N. STERN, Le Monde interpersonnel du nourrisson. Une perspective psychanalytique etdveloppementale, trad. A. Lazartigues et D. Prard, PUF, Paris, 1989 (1985).

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    est par consquent la suivante : Les observations suggrent que la capa-cit avoir des expriences dunion ou semblables de la fusion, commela psychanalyse les dcrit, dpend dun sens de soi dj existant et estsecondaire par rapport ce dernier 13. Or cest justement devant cetteconclusion que Whitebook semble hsiter lorsque, dun ct, il introduit,contre lintersubjectivisme, un tat initial de sens de soi, alors quil refuse,de lautre ct, lide dun tat pr-ordonn de non-sparation cognitiveentre le soi et lenvironnement : soit le nourrisson est enclin des tatsdomnipotence hallucinatoire en raison de son exprience fusionnelle,soit il possde dj un sens lmentaire de soi, ce qui laisse peu sinon pasdespace psychique des fantaisies domnipotence.

    Cependant, la question se complique encore car, en plus de cela,Whitebook projette dans la thse dune intuition initiale du soi dfendue par Henrich, lide selon laquelle le sujet doit tre capable derflexion autonome pralablement toute interaction sociale. Indpen-damment du fait que Henrich cherche justement viter conceptuelle-ment une telle insistance, en parlant dune intuition du soi plutt quedune conscience de soi , cest--dire en postulant non pas un rapportde connaissance mais un tat de conscience quasiment affectif, le sujetprsocial se voit ainsi attribuer une quatrime qualit qui semble finale-ment le surcharger : ce sujet existant gntiquement avant toute interac-tion sociale et toute reconnaissance est non seulement dfini commetant naturellement dot de besoins dagression, domin par desfantasmes domnipotence et comme capable de distinguer entre soi et lemonde, mais aussi comme ayant cette capacit rflexive que nousdcrivons le plus souvent laide du concept d autoconscience . Cepen-dant, le prsuppos de cette dernire qualit a incontestablement sasource dans une rinterprtation relative la psychologie du dveloppe-ment dune thse uniquement comprise comme transcendantale dansun premier temps : ce que Mark Sacks a lesprit est la contrainte concep-tuelle consistant devoir penser le sujet individuel comme indpendantde toute convention sociale et de toute attente de reconnaissance afin depouvoir lui confrer le rle dun tre rationnel et responsable. Si un telsujet ntait rien, et rien dautre, que le produit de sa reprise dattentessociales de comportement, alors il ne pourrait en rien disposer de ce genrede convictions propres qui sont ncessaires pour examiner individuelle-ment des normes donnes ou des noncs. Cet nonc ne devraittoutefois pas tre formul stylistiquement, comme le fait Sacks, en

    13 Daniel N. STERN, Le Monde interpersonnel du nourrisson. Une perspective psychanalytique etdveloppementale, trad. A. Lazartigues et D. Prard, PUF, Paris, 1989 (1985).

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    objection gnrale contre lintersubjectivisme. Si ce dernier identifiait lemcanisme par lequel nous adoptons la perspective de lautre (Mead) ouacqurons une forme de vie langagire (Wittgenstein) une adoptiontotale des croyances substantives correspondantes, il serait alors inca-pable de prendre en considration la capacit individuelle de rflexion. Aucontraire, selon Mead et Habermas il en va tout fait diffremment,puisque le sujet nacquiert la capacit de distinguer ses propres convic-tions de celles de ses partenaires dinteraction, et dvaluer le noyau indi-viduel de sa personnalit, que par ladoption formelle dune perspectivesociale ou dun langage intersubjectivement partag 14. Avant tout, il nefaudrait pas confondre lobjection de Sacks avec la thse, invraisemblablesur le plan de la psychologie du dveloppement, selon laquelle le sujetindividuel dispose dj de sa propre gamme de convictions pralable-ment toute interaction sociale. Car cela donnerait limpression dran-geante que nous ne serions pas seulement, trs tt dj, intuitivementfamiliers avec nos propres tats motionnels, mais aussi que nous poss-derions leur propos une connaissance exprimable avant mme lappren-tissage dun langage par le biais de nos changes intersubjectifs. La thseselon laquelle le sujet possde une sorte de rflexivit pralable linterac-tion sociale nest approprie qu titre dindication dun fait structurel etnon pas comme la base dune reconstruction en psychologie du dvelop-pement. Depuis les crits de Dewey, Mead, Wittgenstein et Habermas,aucun doute ne subsiste quant au fait que nous nacqurons la capacitde justifier rationnellement nos convictions et nos jugements qu traverslinteraction mdiatise par des symboles. Cela ne saurait toutefois qui-valoir lide selon laquelle le sujet individuel serait uniquement fait deces convictions, dsirs et intentions quil a apprises en adoptant la pers-pective dun partenaire dinteraction. Un individu naccde bien plutt lindividualit caractristique de la personne adulte que dans la mesure oil est capable darticuler ses propres pulsions et perspectives travers lemedium dun vocabulaire gnral intersubjectivement partag.

    Ce nest bien sr pas lobjection laquelle Whitebook veut aboutirdans son essai, car il admet lui-mme que penser le processus ontogn-tique dindividualisation au sein dun cadre intersubjectif nest gureproblmatique. Si lon tente toutefois dextraire lessence rationnelle desobjections contenues dans le texte de Whitebook, non pas du contenumme de ses thses relativement dconnectes les unes des autres, mais en

    14 Lutz WINGERT, Der Grund der Differenz : Subjektivitt als ein Moment von Intersub-jektivitt , in Micha BRUMLIK et Hauke BRUNKHORST (dir.), Gemeinschaft und Gerechtig-keit, Fischer, Francfort-sur-le-Main, 1993, p. 290-305.

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    quelque sorte de laffect fondamental de lensemble du texte, alors onbute effectivement sur un problme qui reprsente un dfi non ngli-geable pour lintersubjectivisme. premire vue, la manire dont on peutconceptualiser llment de divergence et de rsistance dans le sujet indi-viduel nest pas claire, si ce dernier doit son identit et sa structure depersonnalit uniquement un processus de reconnaissance sociale. Pourpouvoir penser la possibilit toujours ouverte dune divergence incontr-lable sur le plan rationnel, ne devons-nous pas prsupposer, commeWhitebook semble se demander dans toutes ses thses inconciliables, quelindividu porte en lui une trace indlbile de pulsion antisociale ?

    IIIManifestement, ni la thse dune pulsion dagression inne, ni

    lide dun sens initial du soi ne sont susceptibles doffrir une expressionadquate la question de savoir comment le travail du ngatif peuttre conu au sein du cadre de lintersubjectivisme. La premire thse estaujourdhui bien trop controverse sur le plan empirique pour pouvoirconstituer la base dune objection srieuse contre lintersubjectivisme ; deplus, lide dune pulsion dagression nobligerait pas forcment aban-donner le concept de reconnaissance, mais impliquerait seulement deconcevoir quon a toujours affaire, en plus de cela, une source endognedhostilit sociale. Par contre, la seconde conception, cest--dire lidedune exprience de soi pralable, ne conduit, ni chez Henrich ni chezStern, dont les arguments se situent bien sr des niveaux trs diffrents, postuler lexistence dune instance structurelle dhostilit chez les treshumains. Au contraire, ils cherchent plutt montrer que la rencontreintersubjective doit toujours tre prcde, conceptuellement ou gnti-quement, dune sorte de sens de soi lmentaire, pour expliquer le fait quelindividu est capable de se comprendre comme destinataire de laffectionet de la reconnaissance. En fin de compte, et par consquent, partir dela multiplicit de thormes que Whitebook mobilise, seule la concep-tion psychanalytique de la fantaisie domnipotence infantile demeure uncandidat possible pour la justification de son principal prsuppos.Cependant, comme on la vu plus haut, il y a une tension vidente entrecette thse classique et la conception fonde selon laquelle le nourrissonpossde dj un sens intuitif de soi. Car on ne peut parler, dun ct, dunephase dindistinction initiale entre le soi et le monde et, de lautre ct,supposer une formation dun noyau du soi durant cette mme phase.Nanmoins, une fantaisie domnipotence ancre dans la premire enfancedont linfluence sexerce cependant tout au long de la vie semble consti-tuer le noyau fondamental de largumentation de Whitebook ; elle est

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    clarifie dans sa digression sur la Phnomnologie de lesprit 15. Elle expliquela gense de cette hostilit sociale cense contredire le processus de recon-naissance et, enfin, rvle ce quil faut comprendre dans son essai parlide dune irrationalit constitutive ltre humain.

    Pour restituer adquatement cette thse, il conviendrait dintroduireune distinction conceptuelle implicite qui se trouve au fondement delessai de Whitebook sans tre jamais explicitement justifie. Alors quelide dune forme pralable de lintuition de soi lmentaire peut tre vuecomme lindice dune dimension constitutive de l asocialit au sein detoute subjectivit, parce quelle tente de prserver une perspective irrduc-tible de lexprience subjective en tant quoppos de lintersubjectivit,largument dune aspiration permanente domnipotence doit tre inter-prt comme lindice dune strate antisociale en chaque sujet, renvoyantainsi des tendances dune ngation constante de lintersubjectivitsociale. Une telle distinction entre asocialit et antisocialit marqueprcisment le pas conceptuel que doit faire Whitebook, au-del de lathse dj soutenue par George Herbert Mead, selon laquelle lindividuali-sation du sujet se ralise dans un processus souvent conflictuel de dploie-ment de la tension entre intersubjectivit internalise (moi) et sentimentsubjectif (je). Dans cette conception de l antisocialit , on ne trouve passeulement une perspective subjective plus ou moins exprimable dans toutsujet, en tant que ple oppos de la perspective intersubjective, on trouveaussi une pulsion perptuelle au dni ou la lutte contre lintersubjecti-vit, dans la mesure o lon entend par l lexistence dautres sujets ind-pendants. Cette strate d antisocialit constitutive est ce queWhitebook semble avoir lesprit lorsquil parle du travail de la ngati-vit comme desiderata thoriques de lintersubjectivisme.

    Lorsquon aborde la question de savoir si lintersubjectivisme peutintgrer lide de ce genre daspiration antisociale, et comment il peut lefaire, chaque tape supplmentaire dpend dune clarification plus prcisedu concept fondamental d omnipotence . Ici, souvre un vaste espacedassociation entre spculations thoriques et observations cliniques, quela recherche empirique sur le dveloppement des nourrissons commenceseulement explorer peu peu. Il semble vident, selon ltat actuel de la

    15 Sur ce point, je nentre pas en matire ici sur mon apprciation diffrente du rle quepeut jouer la Phnomnologie de lesprit dans une thorie de la reconnaissance. Jecontinue de penser que lintroduction du concept de reconnaissance dans la Phnom-nologie nest pas claire et ne nous aide gure, la diffrence de la conception de lareconnaissance sur laquelle Hegel fonde sa Philosophie du droit, qui mapparat entre-temps de manire bien plus positive. Voir Axel HONNETH, Les Pathologies de la libert.Une ractualisation de la philosophie du droit de Hegel, trad. F. Fischbach, La Dcouverte, Thorie critique , Paris, 2008.

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    recherche, quil est dsormais impossible de prsupposer un tat initial defusion totale de soi et du monde. Cela supprime aussi la possibilit deconsidrer laspiration inconsciente lomnipotence comme un traitpresque naturel du sujet, issu du dsir de compenser linvitable percep-tion dune ralit donne de manire indpendante. linverse, nonseulement les observations cliniques mais aussi les trouvailles en psycho-logie de la foule et les observations en phnomnologie existentielleparlent en faveur dune rceptivit, profondment ancre dans le sujetindividuel, des expriences de fusion avec dautres personnes. La dispo-sition retomber en de du seuil du moi dj tabli et de plonger dansun tat de fusion avec dautres semble tre tellement rpandue quellerequiert une explication anthropologique 16. mes yeux, une issue cedilemme, qui semble aujourdhui constituer une anomalie au sein de lapsychanalyse 17, serait dadmettre que la phase prcoce de lenfance repr-sente non pas un tat permanent de fusion mais seulement des pisodesmomentans de fusion avec un objet de rfrence. Bien que le jeuneenfant soit souvent capable de ressentir un noyau de soi spar de lenvi-ronnement, il entre sporadiquement dans un mode dexprience danslequel les actions de sa personne de rfrence primaire apparaissentcomme des extensions de ses propres besoins, au point quil peut sexpri-menter lui-mme comme fusionnant avec sa personne de rfrence 18. Sinous admettons que ces pisodes sont remplis du sentiment trs fort defusion/expansion voluptueuse du ct du jeune enfant, alors il est certai-nement justifi de dcrire le dveloppement progressif dun sens de lind-pendance de lautre comme une phase vcue ngativement desparation/non fusion. Ce nest pas de manire brutale et dfinitive maispar tapes que se dveloppe chez le jeune enfant la certitude affective quelobjet de rfrence aim possde durablement une ralit incontrlablequi doit tre dornavant tolre.

    Cette rinterprtation exige bien sr que lon abandonne une srie deprmisses jusquici centrales pour la psychanalyse : les expriences de

    16 Matthias Baumgart, indique une telle voie dans Psychoanalyse und Suglingsfors-chung. Versuch einer Integration unter Bercksichtigung methodischer Unters-chiede , Psyche-Z Psychoanal, n 45, 1991, p. 780-809. Pour de riches descriptions desphnomnes de transcendance de soi, voir Hans JOAS, Die Entstehung der Werte, Suhr-kamp, Francfort-sur-le-Main, 1997.

    17 Thomas S. KUHN, La Structure des rvolutions scientifiques, trad. L. Meyer, Flammarion,Paris, 1972 (1962), chap. 6.

    18 Fred PINE, Infant research, the symbiotic phase and clinical work. A case study of aconcept , Drive, Ego, Object and Self. A Synthesis for Clinical Work, Basic Books, NewYork, 1990, p. 232-246 ; Martin DORNES, Psychanalyse et psychologie du premier ge, PUF,Paris, 2002 (1997), chap. 5.

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    fusion noccupent plus prsent quun petit espace du monde exprien-tiel prcoce du nourrisson ; la dissolution de ces expriences travers unsens accru de la ralit indpendante perd son moment de choc etlensemble du processus prend plutt le caractre dune adaptation ult-rieure une perception dj existante de la sparation entre soi et lemonde. Bien quun tel processus segment de sparation cause gale-ment du dplaisir, de la tristesse et de la douleur, lexprience dindpen-dance de la personne de rfrence nest plus perue comme une sortedimposition extrieure sur le monde dexprience de lenfant et peutdonc difficilement tre vue comme traumatique. Un changement suppl-mentaire concerne galement notre conception de la qualit dtatsencore partiels de fusion : parce quelle ne couvre plus lentiret ducontact de lenfant avec le monde extrieur, mais seulement des pisodestemporels dinteraction intensive avec la personne de rfrence primaire,il serait faux de continuer de dcrire ces expriences avec le conceptd omnipotence . Selon cette nouvelle conception, lenfant ne peroitpas le monde dans son ensemble comme une simple masse sa disposi-tion mais simagine lui-mme dans certaines situations comme tant enfusion avec sa personne de rfrence. Lexpression correcte de cet tatserait par consquent celle dun tat de fusion , alors que la conceptiondun fantasme domnipotence est errone parce que, ce que le nourrissonabandonne en acqurant un sens de la ralit indpendant de sa personnede rfrence, ce nest pas un tat domnipotence imaginaire mais desobjets aims expriments occasionnellement comme fusionnant avec sapropre exprience 19.

    ce stade, cependant, apparat le problme que Whitebook pose juste titre lorsquil pointe dans mes travaux une confusion conceptuelledcoulant de lutilisation que je fais occasionnellement du terme inter-subjectivit pour dcrire galement ces phases prcoces de fusion. Cestseulement partir de la perspective de lobservateur et non pas partir dela perspective du jeune enfant (ou de la personne de rfrence) que lonpeut dcrire les pisodes de fusion avec lobjet aim comme relevant dunestructure dinteractions. Si lon prend au contraire la perspective de ceuxqui sont impliqus, ces tats de fusion ne peuvent justement pas treconus comme une forme dintersubjectivit, parce que le prsupposdune rencontre suffisamment mre entre deux sujets indpendants faitdfaut. Mais cette limite naffecte gure la thse gnrale selon laquellenous ne devrions aujourdhui retenir de lide classique dun narcissisme

    19 Joachim KCHENHOFF, Verlorenes Objekt, Trennung und Anerkennung , Forum derPsychoanalyse, 15, 1999, p. 189-203.

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    primaire, un tat initial dexprience domnipotence, quune partieminime, celle de loccurrence pisodique dexpriences de fusion. Parconsquent, le dbut du processus individuel dematuration se dfinit nonpar une phase de fantasme domnipotence mais par une phase derencontre progressive entre la distanciation soi/monde et les expriencesde fusion qui laccompagnent.

    La difficult relle concerne cependant la manire dtablir un pontentre cette nouvelle conception et lhypothse spculative quant auconcept de ngativit qui constitue le noyau central des considrations deWhitebook. Existe-t-il, parmi ces prmisses revisites, une ide fonde quisuggrerait dattribuer ltre humain une tendance lantisocialit ou unbesoin de lutter contre une ralit indpendante du social et qui prendraitsa source dans la premire enfance ? Dans ce cadre modifi, cest aussi leconcept de sparation qui a acquis une signification nouvelle, nette-ment plus faible, de sorte quil ne constitue plus la cl vidente pour dter-miner la cause de lhypothse dantisocialit postule. Si lexprience dela sparation ne rside plus que dans le processus graduel par lequel lenourrisson est forc dabandonner un tat de fusion avec son objetdamour, sous la pression dune perception croissante de la ralit, alorscette exprience perd le caractre choquant, traumatique, quelle avaitjusquici dans la thorie psychanalytique, comme cause de lexistencetout au long de la vie de fantasmes domnipotence. Nanmoins, sil y aune rceptivit constitutive des expriences de fusion galement chez lesadultes, alors ces expriences doivent avoir leur cause initiale dans laffo-lement du jeune enfant occasionn par labandon dobjets aimsfusionnels, lorsque de tels stades de fusion ne sont que des pisodes.Comment expliquer autrement les peurs manifestes de la sparation chezle jeune enfant lorsquil est sevr, quil tente de sendormir ou se sent seul,sans admettre quil tend tre dpass lorsquil ralise que sa personne derfrence est indpendante et ne peut tre soumise son contrle ? Lesexpriences de fusion que le nourrisson a pu faire dans les moments parti-culirement intenses o il est port doivent avoir veill en lui un schmapsychologique dattentes de scurit physique et mentale qui est aussittdu par son sens accru de la ralit, de sorte que nous pouvons supposerque ses ractions notoires forment un ensemble tendu de peur et dedouleur, de colre et de tristesse. Il convient en plus dadmettre que ceschma dattentes reste profondment ancr dans chaque sujet bienau-del de la petite enfance, pour pouvoir expliquer le fait notoire quemme les adultes ragissent la sparation sur le mode nigmatique de lapanique et dune tendance constante la rgression dans un tat de fusionavec dautres comme sils taient rests enfants dans ce genre de

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    relations, au sein desquelles ils rencontrent souvent des difficults affec-tives reconnatre lindpendance des sujets aims et dsirs et donc accepter la dchirure de lintersubjectivit. Cest seulement dans ce sensque lon peut comprendre la fonction hautement signifiante que peuventavoir les objets transitionnels dcouverts par Winnicott, non seule-ment dans lenfance mais aussi ladolescence et mme un ge avanc.En ouvrant un espace potentiel entre le simple fantasme et la ralit objec-tive, ils permettent de composer avec la douleur de la sparation 20.

    La question de savoir si linfluence long terme dattentes prcoces descurit peut tre dcrite comme le travail du ngatif , ou plutt commeun besoin largement inconscient, peut relever de certaines inclinaisonsscientifiques. Dans tous les cas, voir cela comme une source infinied antisocialit ne me semble pas compltement aberrant, car il sagitdune rsistance toujours renouvele face au caractre indpendant etincontrlable de lautre, incarn par la sociabilit. Mais la raison pourlaquelle ce motif doit tre oppos de manire radicale lintersubjecti-visme, et pour laquelle lide dune recherche de fusion effective tout aulong de la vie contredit le concept de reconnaissance, mchappe encore.Le fait que des objets transitionnels nous servent travailler motionnel-lement notre sparation des objets relationnels dsormais reconnuscomme indpendants, nest-il pas justement une indication du rlecentral de lintersubjectivit ? Il est vrai que les premires expriences defusion faites par le jeune enfant ne peuvent avoir une structure intersub-jective parce quil leur manque la forme dun partenaire suffisammentdiffrenci avec lequel une relation pourrait se construire. Mais, paradoxa-lement, nous ne pouvons saisir adquatement ce premier tat quen dve-loppant le concept dintersubjectivit primaire, parce que cest seulementen tant port, soign et aim par un autre tre humain que le jeuneenfant peut faire lexprience de la fusion. Par consquent, il serait justede comprendre les expriences sporadiques de fusion du nourrissoncomme le point zro de toutes les expriences de la reconnaissance :en tant que code secret dun sentiment de scurit profondment ancr, jamais derrire nous, elles nous poussent aspirer ces formes brisesdintersubjectivit qui prennent la forme de la reconnaissance mutuelleentre sujets adultes.

    20 Tillman HABERMAS, Geliebte Objekte. Symbole und Instrumente der Identittsbildung, Suhr-kamp, Francfort-sur-le-Main, 1999. Voir en particulier le chapitre 5.

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    Table des matires

    Prface 5par Olivier Voirol

    Note sur ldition franaise 19

    Premire partie

    Les origines dune tradition de pense

    Chapitre 1 La logique de lmancipation 23Lhritage philosophique du marxisme

    Chapitre 2 Travail et agir instrumental 38Problmes catgoriels dune thorie critiquede la socit

    Chapitre 3 Unmonde de dchirements 79Lactualit souterraine de luvrede jeunesse de Lukcs

    Deuxime partie

    Les transformations de la Thorie critique

    Chapitre 4 Lide initiale de Max Horkheimer 93Le dficit sociologique de la Thorie critique

    Chapitre 5 Thorie critique 121Du centre la priphrie dune tradition de pense

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    Chapitre 6 Une rationalit divise 160Les motifs dune anthropologiede la connaissance de lcole de Francfort

    Chapitre 7 De Adorno Habermas 178Sur la transformation de la thorie critiquede la socit

    Chapitre 8 La thorie de la socit de Jrgen Habermas 212

    Troisime partie

    Psychanalyse et Thorie critique

    Chapitre 9 Le travail de la ngativit 231Une rvision psychanalytique de la thoriede la reconnaissance

    Chapitre 10 Les facettes du soi prsocial 239Une rplique Joel Whitebook

    Quatrime partie

    Actualit de la Thorie critique

    Chapitre 11 Travail et reconnaissance 257Une tentative de redfinition

    Chapitre 12 La difficile tche de prservation dune tradition 278Sur lavenir de lInstitut de recherche sociale

    Chapitre 13 La thorie de la justice comme analyse de la socit 287Rflexions partir de Hegel

    Un monde de dchirements

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