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ISSN 2112-6798 Revue n° 18 - octobre 2016 éditée par le Groupement des hôpitaux de jour psychiatriques - ASBL - Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles SOINS DE JOUR EN PSYCHIATRIE MULTIPLES DÉNOMINATIONS POUR UNE TENSION ENTRE PROGRAMME, ADAPTABILITÉ ET CRÉATIVITÉ XLIII ème Colloque des Hôpitaux de jour 2 et 3 octobre 2015 CAEN

Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

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ISSN 2112-6798

Revue n° 18 - octobre 2016

éditée par le Groupement des hôpitaux de jour psychiatriques - ASBL -

Hôpitaux de jour Psychiatriques

Thérapies Institutionnelles

SOINS DE JOUR EN PSYCHIATRIE MULTIPLES DÉNOMINATIONS POUR UNE TENSION ENTRE

PROGRAMME, ADAPTABILITÉ ET CRÉATIVITÉ

XLIIIème Colloque des Hôpitaux de jour

2 et 3 octobre 2015

CAEN

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 2

Groupement des Hôpitaux

de Jour Psychiatriques

ASBL

153, boulevard de la Constitution

B - 4020 LIÈGE

Président

Dr Christian MONNEY

Ancien Médecin Directeur Adjoint des

Institutions Psychiatriques du Valais Romand

La Jauguettaz 1

1808 LES MONTS-DE-CORSIER

SUISSE

Téléphone : 41 (0) 79 449 22 83

Courriel : [email protected]

Secrétariat général

Pr Jean BERTRAND

Marie-France CHARON

Hôpital de jour universitaire “La Clé”

Bd de la Constitution, 153

B-4020 LIEGE

BELGIQUE

Téléphone : 32 (0) 4/342 65 96

Télécopie : 32 (0) 4/342 22 15

Courriel : [email protected]

Courriel : [email protected]

Secrétariat français

Pr Bernard KABUTH

Service de pédopsychiatrie

Rue du Morvan

54511 Vandœuvre les Nancy

FRANCE

Téléphone : 00 33 (0)3 15 45 53

Télécopie : 00 33 (0)3 83 15 45 57

Courriel : [email protected]

Dr Patrick ALARY

Ancien psychiatre des hôpitaux

BP 90053

64990 MOUGUERRE

FRANCE

Téléphone : 33 (0) 6 80 21 16 28

Courriel : [email protected]

Secrétariat SUISSE

Dr Christian MONNEY

Courriel : [email protected]

URL : www.ghjpsy.be

Comité scientifique

Docteur P. ALARY Pau

Professeur J. BERTRAND Liège

Professeur W. BETTSCHART Crissier

Docteur H. BOOREMANS Bruxelles

Madame M.-F. CHARON Liège

Docteur J.-Y. COZIC BohAgence Régio-

nale de Santé

Docteur M.-F. DESSEILLES Beaufays

Docteur Patrick GENVRESSE Caen

Docteur Ph. GOOSSENS Bruxelles

Docteur Ph. GUIGNARD Corsier sur Vevey

Monsieur B. HUMBLET Liège

Monsieur B. HUNZIKER Lausanne

Docteur M. JADOT Verviers

Docteur G. JONARD Namur

Professeur B. KABUTH Nancy

Monsieur M. KYNDT Verviers

Docteur P. LISIN Liège

Docteur Ch. MONNEY Martigny

Docteur Ch. PLUMECOCQ Lille

Madame M. REBOH-SERERO Lausanne

Docteur M. SQUILLANTE Nantes

Professeur J.-M. TRIFFAUX Liège

© La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

et des Thérapies Institutionnelles

ISSN 2112-6798

est éditée par

Le Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques ASBL

– juillet 2016 – Liège

BELGIQUE

La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

et des Thérapies Institutionnelles n°18

octobre 2016

« Dans le Phédon, Platon pose que la construction de la science est la seule vraie réponse que l’on puisse faire à l’opinion (doxa). La mise en œuvre du savoir est en même temps la preuve de sa validité. Le Philodoxe se laisse fasciner par la perception, le philosophe accepte l’idée que connaître, ce n’est pas seulement percevoir, mais égale-

ment accéder au réel qui n’est pas que perçu… »

XLIIIème Colloque des Hôpitaux de jour

2 et 3 octobre 2015

CAEN

Soins de jour en psychiatrie

multiples dénominations pour une tension entre

programme, adaptabilité et créativité

On lit, parfois, que le premier hôpital de jour psychiatrique aurait vu le jour à Moscou en 1933

mais nul doute que cette “datation au carbone 14” est sujette à controverse !

L’hôpital de Jour en Psychiatrie fait partie de l’éventail des ressources de soins proposé à nos

patients, charnière entre l’intra et l’extra, entre l’hôpital et l’ambulatoire, certes le soin est hospi-

talier mais de Jour…

Qu’est-ce donc qu’un soin hospitalier de Jour en psychiatrie ?

En quoi s’origine-t’il à la fois d’une forme de sociothérapie, d’un accompagnement éducatif, de

la psychoéducation jusqu’au soin proprement dit chimiothérapique et relationnel ?

En effet, dans le gradient allant du plus près de l’environnement usuel au plus institutionnalisé, il

existe une succession de prises en charge entre l’accueil, prémisse d’une possible consultation et

l’hospitalisation. Cette chaîne à partir de l’ambulatoire déploie notamment ce que l’on appelle le

Centre de Jour, le club thérapeutique, l’atelier thérapeutique ou le Centre d’accueil Thérapeutique

à Temps Partiel. Pour les initiés, tout cela sonne comme une évidence et les différences entre ces

structures vont de Soi, mais pour les néophytes (les familles, les patients, les médecins de famille),

que d’interrogations que l’on pourrait condenser en une seule :

Quelles sont les différences fonctionnelles et d’objectifs entre le Centre de Jour, un club thérapeu-

tique et l’hôpital de Jour ?

Il est une question qui mérite d’être posée même si elle peut sembler triviale et réductrice aux

professionnels : lorsque les structures existent dans un dispositif de soins, avons-nous la réactivité,

le dynamisme et le courage nécessaire pour réinterroger leur pertinence, leur efficience au regard

des troubles, de la psychopathologie et surtout de la vie quotidienne de nos patients ?

Ce préambule propose une sorte de réflexion à rebours. En effet, il est de règle de partir du symp-

tôme du patient, de l’expression d’une souffrance pour penser le soin utile pour lui. On n’aura

jamais assez répété que ce ne sont pas les établissements qui soignent mais bien ce que l’on veut

bien y mettre dedans. Pour autant, pourquoi cela nous empêcherait-il de questionner notre façon

d’instituer le soin, ne serait-ce que pour en confirmer la validité ? L’adaptabilité et la créativité

sont deux idéaux fréquemment et fantasmatiquement convoqués en clinique psychiatrique. En

quoi peuvent-ils s’exprimer au travers de nos structures pour le mieux-être de nos patients ?

Docteur Patrick GENVRESSE

Maison des adolescents

Caen

France

Page 3: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 3

© La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

et des Thérapies Institutionnelles

ISSN 2112-6798

Comité de lecture

BELGIQUE : Pr J. BERTRAND, Liège

Pr M. ANSSEAU, Liège

Dr M.-F. DESSEILLES, Beaufays

Dr M. JADOT, Verviers

Pr J.-M. TRIFFAULT, Liège

FRANCE : Dr P. ALARY, Pau

Dr J.-Y. COZIC, Brest

Pr B. KABUTH, Nancy

Dr Ch. PLUMECOCQ, Lille

SUISSE : Pr W. BETTSCHART, Crissier

Dr Ph. GUIGNARD, Corsier sur Vevey

Dr Ch. MONNEY, Martigny

Rédacteur en chef de la Revue

Dr Patrick ALARY, Pau

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des

Thérapies Institutionnelles n° 18

ISSN 2112-6798

octobre 2016

Rédacteur en chef adjoint pour ce volume

Dr Patrick GENVRESSE, Caen

Organisation locale du colloque

Responsable :

Dr Patrick GENVRESSE

Maison des adolescents

9, place de la Mare

14000 CAEN

FRANCE

[email protected]

Secrétariat pour ce numéro de la Revue

Docteur Patrick ALARY

Les numéros antérieurs peuvent être commandés au secrétariat

général du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

sous réserve de leur disponibilité.

Tous droits de reproduction strictement réservés.

Toute reproduction d’article à des fins de vente, de location, de

publicité ou de promotion est réservée au Groupement des Hô-

pitaux de Jour Psychiatriques.

Toute reproduction d’article dans un autre support (papier, inter-

net, etc.) est interdite sans l’autorisation préalable de la rédaction

de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Théra-

pies Institutionnelles.

Les articles sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs.

Soins de jour en psychiatrie multiples dénominations pour une tension entre ...... 2

programme, adaptabilité et créativité ................................................................................... 2

La Revue évolue… ........................................................................................................................... 6

Hommage à Guy Jonard .............................................................................................................. 7

Allocutions de bienvenue ................................................................................................... 8 à 12

Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements ! ...................................... 13

Muriel Rebboh-Serrero

La clinique de concertation ..................................................................................................... 19

Dr Jean-Marie Lemaire

Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté Des recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé à l’application en France ................................... 25

Dr Jean-Luc Rœlandt

“Experiment” et compagnieQuand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”................................................................................................................ 32

Justine COUDOUX, Christine VANHAVERBEKE

Profamille : impact sur l’humeur des participants ......................................................... 38

Pierre TAVARES, Annick NEUVILLE, Aurélie MONTAGNE-LARMURIER

Quand les soignants mettent en scène les patients ......................................................... 43

Stéphanie BARON, Marie-Elodie DUBOST-VIEL

L’hôpital de jour : un menu unique ou des soins à la carte ? ........................................ 47

Kerstin WEBER, Michèle CHARTRIN, Anne-Charlotte PAPORÉ, Eric VERGER, Alessandra CANUTO

Visite à domicile ou quand la clinique amène l’hôpital de jour pour enfant à s’ouvrir et se montrer créatif .................................................................................................................. 50

Dr Yannick FISCHER, Aurélie GUASCH

Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés... ................................ 53

Dr Benjamin REUTER, Céline TIBERGHIEN, Stéphanie NOIRFALISE, Pr Jean-Marc TRIFFAUX

Privilégier l’ambulatoire même en phase aigüe L’expérience d’un hôpital de jour de courte durée en psychiatrie ..................................................................................................... 59

Dr Amélie DEROUET

Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents ............................................................................ 63

Delphine AUCOUTURIER, Jacques LEROY, Docteur Hélène NICOLLE, Anne-Françoise REGNOUF

Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion .......................................................................................................... 68

Christophe MILECAN, Claire BELLANGER, Anne BOEGNER, Docteur Vincent LUSTYGIER

Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ? ........................................................... 74

Dr Frédéric SCHNEEBERGER, Emmanuel PECHIN

L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent .................................................................................... 78

Dr Aymeric de FLEURIAN, Stéphane POULAIN

Incarcération et thérapie : deux “mondes” antagonistes ? L’expérience d’un Hôpital de Jour au Centre Pénitentiaire de Caen ............................................................................. 83

Virginie COLLOMB, Christel FERE

« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens » ............................................................................................................ 87

Dr Mazen ALMESBER, Christine GARCIA-ADAMEZ, Alexandra MIARD, Virginie PERRIN

A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent ................................................... 92

Emilie SNAKKERS, Carolin JANETSCHEK, Gabriel ZEGNA, Fiona PARMENTIER

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 4

Janus ou les mutations d’un hôpital de jour Le paradoxe de la femme aux chats 97

Dr Jean-Benoît DESERT, Joanne ARTUS, Isabelle GODFRIN, Viviane LOMBART, Latifa MACHKOURI, Dr Pierre GERNAY

Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève .................................... 104

Athina PETSATODI, Aline POCHON, Françoise LEBIGRE, Béatrice DELESSERT, Martine GOURNAY, Javier BARTOLOMEI

Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide ........... 108

Olivier RENARD, Alexandra SMAL, Dominique VALETTE, Ulrich WEILAND

Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS) : un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord ............................................................................................................................................... 112

Aurélie MONTAGNE LARMURIER, Leila VARGAS, Fabienne VRINAT

La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation psychosociale ............................ 116

Arnaud DUMOULIN, Dr Julie CAUCHY, Estelle LEROUX, Cécile PERRINE

Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après... ...... 121

Charles-Emmanuel BLONDIAU, Bruno MALEVEZ, Claire SAVEANT, Marguerite VAN DEN BERGH

Oublis et vivre, créer au présent .......................................................................................... 126

Dresse Dragana FAVRE, Eric LAUBER, Catherine GARDIOL, Dr Aimilios KRYSTALLIS

Synthèse du colloque ................................................................................................................ 134

Dr Xavier De LONGUEVILLE

Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation ................................................. 136

Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour : Cuisine, Contre-Transfert et Dépendances ....................................................................................... 142

Dr Gilles SIMON, Dr Dino CARNEVALE, Sophie CHAMPAGNE, Claire LEHMAN, Florence PILOTTI, Robin LEJEANNE

Amener le patient à bon port ? L’équipe soignante : entre singularités et synergies ......................................................................................................................................................... 149

Pr Yasser KHAZAAL

La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles151

BULLETIN DE DEMANDE D’ADHESION ................................................................................ 152

BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHESION .............................................................. 153

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 5

La Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

et des Thérapies Institutionnelles

Déjà parues

n° 1 : Entre idéal thérapeutique et réalité(s) économique(s): quel avenir pour les hôpitaux de jour?,

Martigny, 1999

n° 2 : Violences et hôpital de jour, Nancy, 2000

n° 3 : Place, magie et réalité du médicament à l’hôpital de jour pour enfants, adolescents et adultes,

Namur, 2001

n° 4 : Comprendre et (re)construire à partir de l’hôpital de jour, Brest, 2002

n° 5 : Évolution des structures de soins: rivalité ou partenariat?, Montreux, 2003

n° 6 : Actualités des psychothérapies institutionnelles pour l’hôpital de jour?, Lille, 2004

n° 7 : Quels projets aujourd’hui pour l’hôpital de jour... de demain?, Liège, 2005

n° 8 : Sorties, à quelles adresses?, Grenoble, 2006

n° 9 : diversite-hyperspecificite@hôpital de jour psy.lu, Luxembourg, 2007

n° 10 : Entre bouée et corset: devenirs de l’étayage à l’hôpital de jour, Champéry, 2008

n° 11 : Dépendances - d’une autonomie à l’autre, le risque de l’altérité, Bruxelles, 2009

n° 12 : Du sexe à l’hôpital de jour: place du pulsionnel dans la vie institutionnelle, Nancy, 2010

n° 13 : Émotions, résonance émotionnelle et hôpital de jour, Verviers, 2011

n° 14 : Dessine-moi un mouton… Cadre, permanence et temporalité à l’hôpital de jour, Saint Lô, 2012

n° 15 : Le modèle dans tous ses états, Lausanne, 2013

n° 16 : Le travail avec les familles en hôpital de jour, Brest, 2014

n° 17 : Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour, Namur, 2015

n° 18 : Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabi-

lité et créativité, Caen 2016

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 6

Cette année 2016 marque une importante

évolution pour notre Revue des Hôpitaux de

Jour Psychiatriques et des Thérapies Insti-

tutionnelles.

Le Colloque de Caen, en 2015, a été le mo-

ment de propositions d’évolution du Col-

loque, certaines ont bousculé les traditions

et les habitudes.

D’autres seront conservées, ayant fait la

preuve de leur intérêt. Comme les hôpitaux

de jour eux-mêmes, le Groupement évolue

et espère ainsi, sans rien trahir de ses va-

leurs, rester en phase avec le temps dans le-

quel son activité s’inscrit.

Il en va donc de même pour la Revue.

Née en 1979, elle est la fille naturelle des

Actes qui, depuis l’origine du Groupement,

(il en est cette année à son 44ème Col-

loque !), étaient publiés après chaque mani-

festation.

A partir de 2003, avec la création du site in-

ternet du Groupement, la revue est devenue

disponible sous forme informatisée un an

après le Colloque dont elle rendait compte.

Dans les prochains mois, le site est amené à

évoluer et nous envisageons de rendre ainsi

disponibles l’ensemble des revues depuis le

numéro 0, paru à la suite du Colloque de

Saint Lo, en 1978.

Depuis 2003, également, le Prix de la Revue

a été instauré qui récompense chaque année

le travail de qualité d’une équipe, une ma-

nière de rappeler qu’il faut plus que jamais

soutenir ce travail pluridisciplinaire qui

reste le fondement de l’activité en hôpital de

jour.

L’informatique a pris une part importante

dans l’activité des professionnels de santé,

certains le regrettent mais peut-on raisonna-

blement échapper aux conditions-mêmes de

notre existence ?

Et, si l’on en croit Michel Serres, « petite

poucette » est aujourd’hui le moyen le plus

usité pour communiquer, s’informer, sa-

voir…

Le personnel de soins, et bien entendu en

hôpital de jour comme ailleurs, use (et par-

fois abuse dirons les anciens qui en ont

même fait une addiction nouvelle !) de ces

nouveaux moyens de communication.

Au détriment du papier, écologie oblige !

Alors s’est posé la question de maintenir la

revue sous sa forme imprimée et notre Con-

seil d’administration en a âprement débattu,

sans que cela ne tourne à une querelle des

anciens et des modernes...

Pour les plus anciens cependant, l’attache-

ment à l’objet-revue est profond... ce qui ne

signifie pas qu’ils n’utilisent pas eux aussi

leur smartphone ! C’est vrai, il est impor-

tant, pour ceux qui ont animés un atelier ou

qui ont participé activement à l’un de nos

Colloques, d’en garder une trace concrète.

Mais, si nous voulons être présents auprès

du plus grand nombre, dans un moment où

la diversité des pensées et des pratiques est

un enjeu éthique majeur, si nous souhaitons

être reconnus de nos jeunes collègues, qui

sont la psychiatrie de demain, il faut désor-

mais que l’on puisse trouver la revue et ses

articles en tapant chaque titre sur Google,

ou tout autre moteur de recherche...

C’est pourquoi nous avons décidé de sauter

le pas.

A partir de 2016, la Revue sera disponible

au plus grand nombre sur Internet et sur le

site du Groupement.

Cela ne signifie nullement une moindre exi-

gence éditoriale, bien au contraire. Notre

comité de lecture ne modifie pas ses critères

de validation, on pourra le constater cette

année encore.

Nous continuerons également à publier des

articles concernant le travail en hôpital de

jour ou questionnant la psychothérapie ins-

titutionnelle, qui nous semble encore au-

jourd’hui un outil majeur.

Voici donc le premier numéro d’une nou-

velle aventure !

Nous la souhaitons longue et fructueuse !

Longue vie à la Revue des Hôpitaux de Jour

Psychiatriques et des Thérapies Institution-

nelles informatisée !

Je voudrais sincèrement remercier le Doc-

teur Marie-Noëlle Alary pour sa relecture

attentive qui m’a évité beaucoup d’erreurs

et fait gagner beaucoup de temps…

Le rédacteur en chef

Docteur Patrick ALARY

Page 7: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 7

Chers collègues, mon introduction sera un peu particulière cette année puisque le groupement des hôpitaux de jour est en deuil. Nous avons

perdu au mois de mai le docteur Guy Jonard, qui était l’un des membres fondateurs du groupement, et je vais laisser Jean Bertrand retracer

quelques lignes de sa carrière.

Bonjour Guy.

Il me revient de vous faire part de notre émotion, et de la souligner en raison du dernier voyage que notre ami et vice-président Guy Jonard a

entrepris, sans vraiment y croire, je peux en témoigner.

Il n’a pu surmonter les dernières interventions chirurgicales, qu’il croyait au départ bénignes.

Le connaissant bien, il n’aurait pas aimé nous voir s’apitoyer sur son départ. C’était pour nous un véritable ami, un compagnon de route, et

aussi un bon vivant, comme vous le verrez sur les clichés de la revue splendide qu’a réalisé Patrick Alary pour saluer sa mémoire, et de même

que le texte de Christian Monney.

Je voudrais simplement souligner qu’il a toujours été très actif dans le groupement. Je citerais entre autres le fait qu’à l’heure de la première

rencontre que nous avions initialisée en 73, il avait eu le plaisir de revoir le Docteur Georges Daumezon, qui était notre président à l’époque.

Moment historique et marquant pour l’histoire de notre Groupement. Rappelons aussi son originalité puisqu’il avait introduit dans un colloque

précédent, celui de Namur, en 2000, une réflexion originale pour l’époque : la place du médicament à l’hôpital de jour.

Enfin, je voudrais vous signaler qu’il adorait les photos, et qu’il aimait vraiment qu’on le photographie. Je pense que l’inconscient de Patrick

Alary était sans doute en action car on le retrouve à chaque page de la revue.

Grâce à ceci aussi, Guy, tu ne nous quittes pas.

Merci.

Merci Jean. Jean Bertrand est avec Guy Jonard le fondateur du groupement des hôpitaux de jour en Belgique. Ici, nous nous trouvons en

France, avec un président de ce groupement qui est suisse. En Suisse, nous avons une habitude, une tradition, qui est celle de faire une minute

de silence en l’honneur des personnes que nous avons perdues. Aussi, vous serai-je reconnaissant de bien vouloir vous lever et de faire une

minute de silence en la mémoire de Guy Jonard s’il vous plaît.

...

Je vous remercie.

Comme Jean Bertrand l’a rappelé, Guy Jonard était un bon vivant ; il aurait souhaité que ce colloque soit joyeux, et il le sera.

J’aimerais dédier ce colloque à sa mémoire, et j’espère que nos travaux seront à la hauteur de ce qu’il espérait, c’est-à-dire festifs, joyeux,

pleins d’échanges et de vivacité.

Je vous remercie de votre attention.

Page 8: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 8

Bonjour à tous,

Tout d’abord, je m’associe aux remercie-

ments :

- à l’Agence Régionale de Santé de nous

faire l’honneur d’ouvrir ce colloque ;

- à la municipalité Caennaise de son ac-

cueil et de son soutien dans la tenue de

ces journées ;

- à nos conférenciers d’avoir bien voulu

répondre présents ;

- à l’Etablissement Public de Santé

Mentale de Caen et l’Association

PRISME pour le travail en commun

dans l’organisation du colloque ;

- à Metilde et à Vincent, pour leur effi-

cacité et leur sympathie ;

- à vous tous d’être là et à tous ceux que

j’oublie, notamment notre équipe logis-

tique qui vous accueille.

Alors Soins de Jour en Psychiatrie, tel est

l’intitulé général de ces Journées.

Nous sommes convenus d’explorer les

différentes modalités des actions théra-

peutiques de Jour en Psychiatrie, selon le

lieu, le tempo, la technique, les principes

et jusqu’aux programmes. Ce n’est donc

pas étonnant que nous trouvions au fil des

intitulés des ateliers les mots tels que

« Expérience, Créativité, Hospitalité,

Autonomie, Capacités sociales, Menu,

Jeu, Laboratoire. » Ce sont tous ces mots

qui ont été le fil conducteur de l’organi-

sation de ce colloque.

Ainsi nous avons souhaité que ce col-

loque repose sur l’expérience, la créati-

vité, l’autonomie et la socialisation de

vous tous.

Nous proposons à chacun de déterminer

les 6 ateliers, une sorte de menu, auquel il

souhaite participer demain et d’en retenir

d’ores et déjà les lettres et les salles cor-

respondantes.

Un responsable d’atelier vous accueillera

et se chargera de la répartition dans la

salle.

Cette organisation qui semble flottante

n’a pas manqué d’inquiéter notre comité

scientifique…Nous comptons sur vous et

vos choix actifs d’ateliers (les sessions

sont affichées clairement dans le hall)

pour que tout se déroule aussi bien que

possible.

De Caen, vous direz soit qu’il s’agissait

d’un joyeux bazar, soit que tout cela

n’était pas si mal.

Nous comptons sur vous. Et pour ce faire,

nous vous le rappellerons tout au long de

nos journées, merci de penser à rensei-

gner la fiche d’évaluation qui vous a été

remise à votre arrivée

Par ailleurs, sachez que nous aurons au

cours de cet après-midi, des intervenants-

surprise.

Enfin, pensez, pour ceux que cela inté-

resse, à vous inscrire pour la visite guidée

du cloître et de l’hôtel de ville qui aura

lieu ce soir à 19 heures. Les inscriptions

se feront pendant la pause cet après-midi.

Je déclare officiellement le XLIIIème Col-

loque du Groupement des Hôpitaux de

Jour Psychiatriques ouvert !!!

Merci à vous.

L’AUTEUR

Dr Patrick GENVRESSE Psychiatre, Directeur médical

Maison des Adolescents du Calvados 9 Place de la Mare 14000 Caen France

Page 9: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 9

Bonjour,

Il m’appartient d’ouvrir ce colloque en

ma qualité de premier intervenant. Je ne

vais pas abuser de cette primauté pour

vous accabler sur des considérations gé-

nérales. Je souhaite simplement faire part

de quelques observations puis adresser,

en ma qualité de directeur de l’ETABLIS-

SEMENT PUBLIC DE SANTÉ MEN-

TALE, quelques remerciements et pour

conclure glisser une suggestion.

Je voudrais :

- Tout d’abord saluer l’existence du

Groupement des hôpitaux de jour psy-

chiatriques francophone, société qui a le

mérite d’être transnationale dans un con-

texte où, malheureusement, les nationa-

lismes s’affichent de plus en plus. La

présence de près de 80 belges, de 40

suisses et de 6 luxembourgeois à côté de

130 français est aussi l’illustration d’un

esprit européen à défendre.

- Saluer également la diversité des parti-

cipants français qui viennent de plu-

sieurs régions même si la composante

normande, forte de 80 personnes, est im-

portante, me réjouir de la présence d’une

vingtaine des congressistes venant d’une

région qui m’est chère, la Bretagne. A ce

propos on pourrait, au moment où les

deux Normandie vont se retrouver dans

une seule région, réévaluer l’importance

de cette délégation régionale en y inté-

grant les 6 autres participants venant de

Loire Atlantique. Mais j’en resterai là

car je ne voudrais pas susciter des réac-

tions à ce propos d’autant que nos amis

belges et suisses savent combien il peut

être difficile d’être confronté à l’altérité

dans son propre pays.

- Saluer aussi la diversité profession-

nelle de votre assemblée où se côtoient

nombre d’infirmiers, de médecins, de

psychologues, d’ergothérapeutes et

d’autres catégories professionnelles.

Cette diversité montre que la pluri-pro-

fessionnalité recommandée pour d’au-

tres spécialités médicales est une réalité

déjà ancienne dans le champ de la psy-

chiatrie.

- Souligner que dans une période où les

pouvoirs publics français nous invitent à

pratiquer avec le “benchmarking”, votre

société est depuis longtemps un lieu de

confrontation des pratiques où les lo-

giques comparatives sont à l’œuvre.

En matière de remerciements, je souhaite

tout d’abord remercier le Groupement des

hôpitaux de jour psychiatriques franco-

phones de la confiance qu’il a accordé à

l’établissement en lui confiant l’organisa-

tion de son XLIIIème colloque.

Je tiens aussi à remercier Patrick

Genvresse pour l’initiative qu’il a prise en

proposant au groupement que Caen soit le

lieu de cette manifestation.

Je me réjouis aussi que, compte tenu des

perspectives nouvelles que va fixer la loi

de santé en discussion devant le Parle-

ment français, les équipes de

l’ETABLISSEMENT PUBLIC DE

SANTÉ MENTALE de Caen et celles du

Centre Hospitalier Universitaire de Caen

ont pu travailler ensemble à la réussite de

cette manifestation. La nouvelle loi va

inéluctablement nous conduire à nous

rapprocher tant la situation Caennaise,

voire calvadosienne, est atypique. Il con-

vient, malgré les nombreuses inquiétudes

qui s’expriment quant à la place faite à la

psychiatrie dans le nouveau paysage hos-

pitalier qui se dessine, d’aborder cette

nouvelle période avec sérénité et con-

fiance.

Pour en terminer avec les remerciements,

je veux saluer la petite équipe au sein de

laquelle Métilde Havard et Vincent

Kubker ont occupé une place essentielle

et qui, depuis plusieurs mois, s’est activée

pour que ce colloque soit une réussite.

Mes remerciements seraient incomplets

si je ne mentionnais pas la Ville de Caen

qui, dès les premiers jours, nous a mani-

festé son soutien et dont une des modali-

tés pourra être appréciée par les person-

nes qui participeront ce soir au diner de

gala.

Enfin, Monsieur le Président, je vous sug-

gère de modifier le libellé de votre grou-

pement pour qu’il reflète mieux le champ

de vos intérêts et d’adopter comme déno-

mination l’intitulé de la thématique de ce

colloque : les soins de jour en lieu et place

des seuls hôpitaux de jour.

Bon colloque !

L’AUTEUR

Jean-Yves BLANDEL Directeur

Etablissement Public de Santé Mentale 15 ter, rue Saint-Ouen BP 223 14012 Caen cedex France

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 10

Bonjour à tous,

En tant que représentant de l’Agence Ré-

gionale de Santé de Basse-Normandie1,

c’est un grand honneur et un grand plaisir

de pouvoir accueillir à Caen le XLIIIème

Colloque du Groupement des hôpitaux de

jour psychiatriques francophones.

Vous le savez, notre offre de soins est en

constante évolution pour s’adapter aux

besoins d’une société en profonde muta-

tion, dans un contexte où la ressource mé-

dicale et les moyens financiers sont

comptés comme rarement auparavant.

Simultanément, l’interpellation forte de

notre système de soins par les individus,

les usagers, la société, la contestation par-

fois de ce système de soins, la dénoncia-

tion de ses manquements avérés ou sup-

posés, les difficultés de ce système de

soins, nous renvoient collectivement,

nous en tant qu’autorité de tutelle, vous

en tant que professionnels de santé, à la

question incessante de notre capacité

d’adapter nos organisations pour tenter de

répondre au mieux aux attentes expri-

mées, et en même temps, ce qui n’est

d’ailleurs pas forcément toujours la

même chose, de prendre en charge les pa-

thologies de la manière la plus appropriée

dans une interaction constante et parfois

compliquée avec la société.

En région Basse-Normandie, la directrice

générale de l’Agence Régionale de Santé,

que je représente aujourd’hui, a engagé

une profonde réorganisation de l’offre de

soins dans la région pour tenter de ré-

soudre les difficultés que nous rencon-

trons : démographie médicale atone, dif-

ficultés financières des établissements,

accès aux soins pour la population.

Nous pourrions croire que cette réflexion

n’aborde que très marginalement la psy-

chiatrie tant elle paraît aujourd’hui, en

tout cas dans cette région, se concentrer

sur la recomposition des plateaux tech-

niques spécialisés du court séjour. Ce

sont d’ailleurs les difficultés suscitées par

cette même recomposition que nous

avons engagée qui m’empêcheront d’as-

sister, je le regrette, à vos travaux cet

après-midi, pris par d’autres manifesta-

tions, sous une autre forme.

Je crois cependant que cette recomposi-

tion et que les réponses que nous tentons

d’apporter aux difficultés sur ces activités

peuvent peu ou prou inspirer des évolu-

tions que nous devons engager dans le do-

maine de la psychiatrie. Il nous faut réus-

sir en effet à concilier en permanence des

contradictions et relever au quotidien le

défi du soin juste et adapté.

Je souhaite vivement que ces journées

d’échanges puissent alimenter, par le

croisement des expériences menées dans

vos pays, nos réflexions et nos actions à

venir.

Bon colloque !

L’AUTEUR

Vincent KAUFMANN Directeur Général Adjoint

Agence Régionale de Santé de Normandie 31, rue Malouet BP 2061 76040 Rouen France

1 Le 1er janvier 2016, les deux Normandie

ont été réunifiée…

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 11

Bonjour,

Je suis ravie de représenter Monsieur le

maire, Joël Bruneau, pour vous accueillir

aujourd’hui.

Vous êtes tous des praticiens, des per-

sonnes au contact avec la société, qui a

besoin de vous, et vous venez de diffé-

rents pays européens : étant en charge

également dans ma délégation de maire-

adjoint aux délégations européennes, je

suis d’autant plus ravie de vous accueillir

aujourd’hui.

Je voudrais tout simplement rappeler et

saluer tout le travail accompli au niveau

des équipes de l’Etablissement Public de

Santé Mentale de Caen, car organiser un

colloque n’est pas toujours facile. Au

nom de toute l’équipe municipale, je te-

nais à vous en remercier, et à tous vous

souhaiter la bienvenue.

Très documentées et riches en échanges,

les conférences et ateliers sur le thème

des soins de jour en psychiatrie vont

ponctuer ces deux jours et favoriser, je

l’espère, les relations entre les différentes

structures, encourager une réflexion com-

mune sur les actions, la place, la spécifi-

cité de ces unités de soins dans la trajec-

toire du patient.

Les travaux de ce colloque vous donne-

ront aussi l’occasion de réfléchir et de tra-

vailler ensemble sur l’évolution des pra-

tiques en hôpitaux de jour.

Je tiens aujourd’hui à remercier et à avoir

un petit mot pour Monsieur Blandel, pour

l’implication de l’Etablissement Public

de Santé Mentale et de toute son équipe,

car ils sont très importants au niveau de

l’engagement actif au service de la lutte

contre les maladies mentales. Je salue

également le dévouement et le travail de

monsieur Patrick Genvresse, qui en tant

que chef du pôle de psychiatrie de l’en-

fant et de l’adolescent à l’Etablissement

Public de Santé Mentale et directeur mé-

dical de la maison des adolescents du Cal-

vados, est à l’initiative de ce colloque. Je

tiens à vous en remercier très sincère-

ment.

Comme vous le savez certainement, la

ville de Caen est assez au fait de toutes

ces problématiques et a réalisé un dia-

gnostic pour élaborer son plan local de

santé. Pour développer les initiatives et

faire de la ville de Caen un territoire

exemplaire, un conseil local de santé

mentale a été élaboré en partenariat avec

l’Etablissement Public de Santé Mentale.

Inscrit sur toute la durée du contrat local

de santé, ses missions vont consister à dé-

velopper un observatoire permanent des

questions de bien-être sur la ville de

Caen, à améliorer la gestion des situations

complexes, de crise, et des cas probléma-

tiques, à développer des espaces de for-

mation et d’information des acteurs du

terrain, à constituer un guichet unique

pour les Caennais, et enfin, développer

des événements et des actions visant à dé-

stigmatiser la souffrance psychique et lut-

ter contre l’exclusion des personnes en

souffrance psychique, car il est important

de savoir ne pas les exclure.

A ces fins, le conseil local de santé men-

tale sera composé de différentes instances

de coopération : je pense à la cellule de

coordination qui pourra saisir de théma-

tiques spécifiques et apporter des ré-

ponses collectives aux besoins des Caen-

nais et des acteurs du territoire, mais éga-

lement à la cellule de gestion de cas com-

plexes et de crise, qui aura pour mission

d’apporter des pistes de réponse à des si-

tuations complexes repérées. Pour toutes

ces raisons, la ville de Caen est très fière

d’accueillir votre colloque sur les soins de

jour en psychiatrie, car ce colloque œuvre

aussi pour l’évolution des pratiques par le

biais de vos conférences et ateliers.

En tant que maire-adjointe de la ville de

Caen, je peux affirmer que nous avons ré-

gulièrement l’occasion de nous rencon-

trer avec les associations et les structures

locales. Je pense à l’Agence Régionale de

Santé et je salue Monsieur Kaufmann. Je

tiens tout particulièrement au maintien de

ce lien pour permettre la mise en œuvre

des projets toujours plus adaptés aux

soins de jour.

J’en terminerai en remerciant toutes les

personnes qui sont engagées autour de ce

colloque dont la dynamique me ravit. J’ai

appris que votre colloque se déplace en

Europe, et donc je suis toujours très heu-

reuse de pouvoir faire de Caen le centre

sur une ou deux journées au niveau de ce

que nous pouvons vous aider à réaliser.

Je vous remercie de votre attention, et je

vous souhaite un excellent moment. Je ne

serai pas parmi vous ce soir, je vous prie

de bien vouloir m’en excuser.

Pour ceux qui l’ont souhaité, vous pour-

rez visiter notre Hôtel de ville, qui est

aussi un monument historique. Je vous

souhaite de travailler pour le mieux-être

de tous les patients et toutes les personnes

qui souffrent au niveau psychiatrique et

pour lesquelles on ne trouve pas toujours

la solution.

Bon colloque à tous et merci !

L’AUTEUR

Catherine PRADAL-CHAZARENC Maire-Adjointe

Mairie Esplanade Jean-Marie Louvel 14000 Caen France

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 12

Mesdames, Messieurs, chères consœurs,

chers confrères,

Je ne vais remercier personne mais je

n’en pense pas moins. Je vais surtout vous

remercier de votre présence, d’avoir pris

ce moment pour consacrer du temps à la

réflexion, à pouvoir enfin penser à nos

pratiques, à échanger, ce que nous avons

tant de mal à faire.

Je vois ma collègue qui va animer un ate-

lier demain, madame Aurélie Montagne-

Larmurier ; nous travaillons au même en-

droit très souvent mais nous passons

pourtant la journée sans avoir le temps de

nous poser pour discuter, et je crois que

ce doit être aussi pour vous souvent le

cas.

Avec cette première séance plénière,

nous allons d’emblée prendre les choses

en main puisque nous accueillons deux

professionnels de pratiques différentes,

peut-être complémentaires, nous le ver-

rons en prenant connaissance de leurs ex-

posés.

En tant que responsable de Centre Mé-

dico-Psychologique, nous sommes sou-

vent aux prises avec des situations de per-

sonnes de plus en plus complexes, de plus

en plus douloureuses, de plus en plus dé-

structurées, qui nous mettent personnelle-

ment en difficulté. Parfois, on se dit en ré-

union : « Mais par quel bout va-t-on

prendre cette histoire ? Par quel bout va-

t-on pouvoir aborder la personne telle-

ment tout semble chaotique et déstruc-

turé ? ».

Donc je pense que nous aurons grand pro-

fit à faire connaissance avec vos ap-

proches.

L’AUTEUR

Pr Perrine BRAZZO Praticien hospitalier universitaire

Centre Hospitalier Universitaire Avenue de la Côte de Nacre CS 30001 14033 Caen cedex 9 France

[email protected]

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 13

Réflexions introductives

À nouveau, Patrick Genvresse et son

équipe nous proposent, dans le XLIIIème

Colloque des hôpitaux de jour, de nous in-

terroger sur nos pratiques au travers de

trois questions principales :

- Qu’est-ce qu’un soin de jour en psy-

chiatrie ?

- Qu’est-ce que le soin en hôpital de

jour ?

- Une définition de l’hôpital de jour est-

elle possible ?

Après 42 colloques, on ne peut que faire

le constat d’une grande diversité parmi les

hôpitaux de jour, diversité fondée sur une

multiplicité de critères, modèle théorique,

structure architecturale, organisation des

soins, équipe thérapeutique, tranches

d’âges, pathologies traitées, situation géo-

graphique dans la ville...

Aujourd’hui, il faut ajouter à cette multi-

plicité les définitions administratives. En

Suisse, par exemple, pour prétendre à la

facturation “hôpital de jour”, il faut défi-

nir et justifier d’un nombre prédéterminé

d’heures d’activités thérapeutiques pro-

posées par une équipe composée de pro-

fessionnels bien spécifiques. Cela soulève

toute sortes de questions, on peut l’imagi-

ner. Ainsi, une question essentielle : qui

détermine le soin en hôpital de jour ?

Mais au-delà de ces tentatives de défini-

tion, ce qui demeure fascinant dans le

quotidien d’un hôpital de jour, c’est de

constater à quel point il est un espace de

vie, un organisme complexe qui se main-

tient en équilibre et, dans le même temps,

est en constante évolution.

Véritable bambou, subtile mais forte ten-

sion entre des racines solides, perma-

nentes et des branches souples, adap-

tables, le soin en hôpital de jour n’est pas

seulement technique, il est intriqué dans

la vie et donc animé par différentes ten-

sions sources de conflits, mais aussi diffé-

rents leviers, pour autant qu’on puisse en

avoir conscience et, encore mieux, en

jouer.

Qu’est-ce que le soin en hôpital de jour ?

Pourquoi va-t-on à l’hôpital de jour ?

Qu’y fait-on et comment le fait-on ?

Dans notre hôpital de jour, un jeune pa-

tient de 22 ans, en retrait, venait pour sa

2ème journée de visite en vue d’une inté-

gration. Il s’est subitement exprimé lors

de notre Forum hebdomadaire en ces

termes : « Comment l’Institut Maïeutique

soigne ses patients » ?

La question de ce jeune interpelle. Lui bé-

néficie d’un réseau de professionnels

composé de différents partenaires, il est

résident dans un foyer et il est également

suivi par une case manager et un psy-

chiatre dans le programme d’intervention

précoce pour la psychose émergente.

Que nous demande-t-il ? Comment la

psychiatrie soigne-telle ses patients ?

Comment l’hôpital de jour peut-il prendre

une part dans ses soins ? Sommes-nous

vraiment différents des autres interve-

nants ?

La question de ce jeune homme soulève

aussi la question de l’identité de l’hôpital

de jour. Nous y reviendrons car chaque

hôpital de jour a une identité et une cul-

ture différente.

Et si on remplaçait « Institut Maïeutique »

par le nom de d’un autre hôpital de jour ?

« Alors que l’avenir reste insaisissable, les incertitudes du présent exigent de maquiller l’angoisse par une hyperactivité leurrante. » Toute prise en charge multidisciplinaire est mise à l’épreuve de tensions. L’hôpital de jour n’échappe pas à cette réalité, pour ceux qui soignent ou accompagnent, comme pour ceux qui sont soignés et accompagnés. Après avoir mis en évidence ces diverses tensions, entre thérapeutique et éducatif, entre sources et continuité, entre soin et réinsertion, entre tension et flottement, entre imperméabilité et perméabilité, entre processus et résultat, entre changement et résistance au changement, entre clinique et administratif, entre professionnalisation et humanisme, entre homogénéité et hétéro-généité, entre psychothérapie institutionnelle et modèle du rétablissement, entre permanence et adaptabilité, entre besoins indi-viduels et besoins groupaux, entre appartenance et autonomie, entre espaces formels et informels..., l’auteur montre comment la conflictualité est inhérente à la vie institutionnelle. Les conflits doivent être regardés comme nécessaires et constructifs s’ils permettent à l’équipe et aux patients de sortir d’une zone de confort, d’explorer, de jouer, d’évoluer. Mettre l’institution sous haute tension, c’est accepter de cheminer ensemble vers un équilibre sensible qui traverse le séjour du patient en hôpital de jour. La condition de ce cheminement, prélude au changement, c’est que chacun garde la capacité de maintenir une écoute flottante du patient et de ce qui se passe au niveau institutionnel : c’est dans l’équilibre entre la tension et le flottement qu’émerge la rencontre authentique et la vitalité institutionnelle.

Mots-clefs : hôpital de jour, soin, changement, permanence, identité, médiations thérapeutiques, équilibre, alliance thérapeutique

High Voltage day hospital: attention changes!

“While the future remains elusive, the uncertainties of this demanding makeup anxiety by luring hyperactivity.” Any multidisciplinary care is put to the test voltages. Day Hospital is no exception to this reality, for those who care or accompany, as for those who are cared for and accompanied. Having highlighted these various tensions between therapeutic and educational, between sources and continuity between care and rehabilitation, between tension and flutter between waterproofing and permeability between process and result, between change and resistance to change, between clinical and administrative between professionalism and humanism, between homoge-neity and heterogeneity between institutional psychotherapy and model of recovery, between permanence and adaptability, be-tween individual needs and requirements grouped between belonging and autonomy, between formal and informal spaces ..., the author shows how conflictuality is inherent in the institutional life. The conflict must be regarded as necessary and constructive if they allow the team and patients out of a comfort zone, to explore, to play, to evolve. Turn on the high voltage institution is willing to walk together towards a delicate balance that runs through the patient’s stay in hospital day. The condition of this path, prelude to change, is that everyone keeps the ability to maintain a patient’s floating attention and what happens at the institutional level: this is the balance between tension and floating emerges authentic encounter and institutional vitality.

Keywords: day hospital, care, change, permanence, identity, therapeutic mediation, balance, therapeutic alliance

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 14

Que répondrait-on ? Au Centre Esquirol à

Caen ? A la clinique Saint Jean à

Bruxelles ? A l’ESCAL à Genève ? A la

Clé à Liège ?

Où situer les similitudes ? Comment dé-

crire les divergences ?

Et ces questions ne se posent-elles pas

aussi à l’intérieur même des structures ?

L’interpellation de ce patient a réactivé

une réflexion qui sourde constamment en

colloque d’équipe.

L’hôpital de jour “d’aujourd’hui” n’est

plus celui “d’hier”, le contexte dans lequel

il évolue s’est considérablement modifié.

Désormais, l’hôpital de jour fait partie

d’un système de santé psychiatrique qui

s’est métamorphosé, étoffé et diversifié. Il

en va ainsi au travers de la réorganisation

de l’hôpital et la diminution de la durée

des hospitalisations, du développement

des programmes spécifiques par patholo-

gie, tel que le programme de traitement et

intervention précoce dans les troubles

psychotiques, ou, encore, du développe-

ment des équipes mobiles qui intervien-

nent dans le milieu et qui sont parfois

d’excellentes alternatives à l’hôpital de

jour.

De l’hospitalier à l’intervention dans le

milieu, chacun voit sa mission et son man-

dat évoluer, le travail en réseau se multi-

plier. …Réseau de soin qui, soit dit en

passant, est tenu de bien s’articuler pour

la santé psychique de tous ! Des patients,

mais aussi des équipes !

Dans ce nouveau contexte, il est impor-

tant d’ajouter aussi les contraintes admi-

nistratives qui mettent en tension l’hôpital

de jour. D’un concept “vendu” » comme

une intervention moins onéreuse que l’hô-

pital, l’hôpital de jour devient parfois

“trop cher”. Mais, s’il est aujourd’hui im-

pératif de ne pas négliger le coût de la

santé, ce serait avoir une vision trop ré-

ductrice de l’évolution de l’hôpital de jour

que de limiter la logique de son évolution

à cette seule prise en compte des coûts.

Pour penser cette évolution, plus fruc-

tueuse est une piste multifactorielle qui

ajoutera à ce qui précède la modification

de l’attente des patients et des proches.

Avec sa question, le jeune homme, pas en-

core admis, nous invite à prendre en

compte ce que lui attend spécifiquement

des soins. Plus généralement, nous de-

vons nous laisser interroger par la de-

mande de chaque patient.

A la création de l’Institut Maïeutique en

1955, les patients et les proches venaient

chercher une alternative à l’asile. C’était

une communauté thérapeutique où l’hôpi-

tal de jour était investi comme un projet

de vie avec une prise en charge globale et

en continu.

Dans les années 80’, le projet de vie laisse

place au projet de soin, un soin qui s’as-

sume et se définit de plus en plus fine-

ment. La durée des hospitalisations ayant

beaucoup diminué, l’hôpital de jour de-

vient une alternative ou une intervention

post-hospitalière, la stabilisation y est une

forme de consécration.

Depuis une quinzaine d’années, l’hôpital

de jour est investi par le patient comme un

lieu de réinsertion, une structure intermé-

diaire, souvent fréquentée à temps partiel

et qui l’accompagne pour un temps… un

temps qui diminue de plus en plus avec le

temps !

Tous ces changements mettent l’hôpital

de jour sous haute tension !

De plus en plus, la prise en charge se

construit sur une conception où la maladie

devrait être une parenthèse vite fermée

qui conduite à une contraction du champ

du soin. Les impératifs, plus ou moins ex-

plicites, tendent vers un chevauchement

entre le processus et la finalité ce qui en-

gendre des enjeux de performance et d’ef-

ficience pour tous les acteurs de l’hôpital

de jour.

Ce nouveau contexte amène de nouvelles

questions : jusqu’où le soin reste-t-il le

soin ? Quelle est l’articulation entre le

soin et la réinsertion ? Et de quelle réin-

sertion parle-t-on ? Sociale ? Scolaire ?

Professionnelle ?

Le fil conducteur du soin en hôpital de

jour est-il encore l’accueil inconditionnel

de la souffrance ?

Comment donner du sens à ces change-

ments relevant de pressions intérieures et

extérieures ?

Le changement est un processus dyna-

mique et constant, à l’instar de la vie.

Alors que le non-changement, l’homéos-

tasie, implique la mort, lente, mais cer-

taine.

Dans ce contexte, les hôpitaux de jour

doivent-ils s’adapter pour survivre ? Et, si

la réponse est affirmative, jusqu’où peu-

vent-ils le faire sans se dévoyer ?

Derrière la porte d’un hôpital de jour sous haute tension…

A l’intérieur de l’hôpital de jour, cette

haute tension résonne et fait vibrer

d’autres cordes sensibles.

En pratique, bien que notre volonté d’ac-

cueillir une patientèle hétérogène en âge

et en pathologie ait toujours été constante,

la population a évolué. Aujourd’hui, 70%

des patients ont entre 16 et 30 ans. Et cette

patientèle arrive avec de nouvelles at-

tentes.

Nous constatons quotidiennement, que

peu d’adolescents et de jeunes adultes

sont demandeurs de soins. Période où

l’enjeu identitaire est sensible, l’adoles-

cence est en soi un bouleversement et une

perte de repères. La construction d’un

avenir y est centrale avec l’idée que le fu-

tur professionnel se joue à ce moment-là.

Les soins devant s’articuler avec ces con-

tingences, ils n’en sont que plus difficiles

à gérer et introduire.

Les jeunes patients n’ont donc pas tou-

jours de motivation pour un soin et n’en

voient pas souvent le sens. La demande

verbalisée c’est d’avoir une vie normale,

avoir des amis, sortir ou ne pas sortir de

son lit, ne pas prendre de médicaments, al-

ler à l’école... Souvent, dans un premier

temps, ils parlent peu de leur maladie

mais plutôt de ses conséquences sur la vie

concrète.

L’intégration à l’hôpital de jour peut re-

présenter une rupture dans la construction

sociale avec cette question sous-jacente,

comment construire un projet de vie alors

que la scolarité/la formation est mise de

côté ? Et pour nos patients, il est parfois

difficile de s’engager dans des soins sans

certitude quant à leur durée ou leur fina-

lité.

Il faut donc les amener à concevoir ce

temps du soin, perçu comme perdu,

comme un temps gagné.

On pourrait dire que notre défi va être de

“danser avec le patient” sur cette tension,

entre le projet du patient, parfois trop am-

bitieux, et le nôtre, parfois trop concret.

Notre objectif est alors de s’allier à l’at-

tente du patient qui se situe souvent dans

un premier temps au niveau de la forme,

tout en tentant de le mobiliser aussi autour

de la souffrance.

Nous avons besoin d’humilité et de sou-

plesse pour accompagner le jeune patient

à s’engager intentionnellement et contrac-

ter une part de responsabilité dans son

propre projet de soin. Le nom « Maïeu-

tique », avait d’ailleurs été choisi pour il-

lustrer cela à travers la métaphore de So-

crate de la sage-femme et de l’accouche-

ment pour valoriser la mobilisation des

ressources et du partenariat dans le soin.

La construction de ce partenariat prend

place dans la tension entre la pression des

différentes temporalités, celle du patient,

des proches, du réseau, et les hésitations

nécessaires et propres à ce processus

d’engagement.

Page 15: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements !

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 15

Dans ce sens, l’adhésion au soin est en soi

un processus thérapeutique car il renforce

le jeune dans une position d’autodétermi-

nation où il est accompagné dans sa glo-

balité, tout en étant un sujet singulier et

unique, pris dans sa culture et son histoire.

Dès le premier contact et pour tout le sé-

jour, le lien, la relation tissée avec le pa-

tient, la rencontre intersubjective va être

au cœur du soin de jour.

Le programme thérapeutique

Malgré la modification de la demande des

patients, le soin que l’on propose en hôpi-

tal de jour reste fondamentalement per-

manent. Mais cette stabilité est néanmoins

bousculée et animée par des tensions.

Pour le patient, le pari est de s’inscrire

dans un programme de soins personnalisé

qu’il aura co-construit. Il va investir cette

organisation en fonction de sa probléma-

tique, de ses ressources, et les enjeux pour

chacun se déploieront ensuite à des ni-

veaux différents, suivre ou non son pro-

gramme de soins, y être seulement présent

ou y travailler ses difficultés.

Il s’agit donc principalement d’activités

groupales et à médiation car la médiation

dans les groupes permet la rencontre avec

des patients qui ont des difficultés impor-

tantes de symbolisation, à penser, à se

penser. La médiation, le “faire ensemble”,

permet également la valorisation des res-

sources et chacun peut retrouver, voire

trouver, du plaisir. De plus, il s’agit aussi

d’être en lien avec les autres, les pairs, et

de développer ainsi un sentiment d’appar-

tenance au groupe.

Un travail thérapeutique individuel s’ef-

fectue au sein d’un groupe thérapeutique.

Et il y a toujours une tension entre les en-

jeux individuels et les enjeux groupaux.

De même, entre les aspects thérapeutiques

et les aspects éducatifs. Autrement dit,

entre des éléments relevant de la vie psy-

chique et ceux relevant de la réalité.

Au sein de cette permanence, les types de

médiations ont naturellement évolué avec

le rajeunissement de notre population, pa-

tiente et soignante, la comédie musicale,

les activités de la vie quotidienne, le slam,

la pâtisserie, le montage vidéo sont des

exemples d’activités qui ont vu le jour ces

dernières années à l’initiative des patients

et des membres de l’équipe. Ces nou-

velles activités côtoient des activités qui

existent depuis toujours comme la musi-

cothérapie, le psychodrame, le séminaire

de psychologie, l’ergothérapie.

Pour rencontrer le patient autour de sa de-

mande, nous avons aussi mis en place des

temps individuels pour accompagner les

jeunes dans leur projet de stage ou de re-

cherche de formation. L’expérience de

ces dernières années nous montre que

c’est finalement une médiation comme

une autre : le jeune a envie de parler de

son avenir, qui le préoccupe, mais il ne va

pas forcément au bout d’actions con-

crètes… Alors, bien souvent, il n’est pas

nécessaire dans un premier temps de réfé-

rer le jeune à un spécialiste en orientation

mais plutôt de porter ce projet d’ouverture

extérieure, au sein du soin. La situation

s’inverse évidemment lorsque le jeune se

prépare à partir.

L’équipe en tension

L’équipe doit s’adapter à l’évolution du

soin de jour. Par évolution, évidemment,

on n’entend pas roulement des collabora-

teurs mais bien conception d’une équipe

et de son fonctionnement au sein de l’hô-

pital de jour.

D’une équipe qui fonctionnait en continu

et plutôt comme un tout indifférencié, les

culture-métiers et les champs de compé-

tences se sont spécifiés à travers le temps

pour aboutir aujourd’hui à une équipe plu-

ridisciplinaire. La polyvalence des colla-

borateurs demeure un ingrédient fonda-

mental du soin en hôpital de jour. Et nous

veillons à préserver de nombreux mo-

ments de la vie institutionnelle où nous

nous retrouvons tous ensemble aux côtés

des patients car l’équipe forme un tout et

ce tout a une fonction contenante.

Cette différenciation à travers la « profes-

sionnalisation » de l’équipe a été vécue en

même temps comme une nécessité et une

évidence mais également, par moments,

comme un risque de perdre en humanité.

La tension est bien palpable… Il ne s’agit

pas de prendre une position d’expert tout

puissant, ni de se spécialiser indéfiniment

dans les actes, mais bien de percevoir la

possibilité d’émergence de capacités nou-

velles.

L’AUTEUR

Muriel REBOH SERERO Psychologue

Fondation Institut maïeutique Giovanni Mas-tropaolo Rue Sainte-Beuve 4 1005 Lausanne Suisse

[email protected]

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 16

BIBLIOGRAPHIE (suite)

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20. WINNICOTT D. W. (1975), Jeu et réa-lité : l’espace potentiel, Paris : Gallimard.

Parallèlement les exigences de transmis-

sions écrites, des procédures et du travail

administratif ont augmenté, possibles ori-

gines de résistances. Quoiqu’il en soit,

chaque membre de l’équipe peut être tra-

versé par des tensions entre sa fonction et

son vécu, entre un idéal et la réalité quoti-

dienne, sans compter les tensions qui ani-

ment les patients et qui entrent en réso-

nance avec celles de l’équipe.

Mais au sein de ces tensions, l’équipe fait

preuve d’une incroyable capacité d’adap-

tation et de créativité en se mobilisant

quotidiennement pour rencontrer de ma-

nière authentique les patients. Car c’est un

véritable travail d’équilibriste d’accueillir

leur demande, de les accompagner à pren-

dre un bout de vie psychique à travers

l’institution tout en les emmenant vers

l’autonomie. A l’hôpital de jour, les pa-

tients doivent pouvoir être accueillis tout

en se préparant à aller ailleurs. Cette ten-

sion entre le processus d’appartenance et

celui d’autonomisation est un autre axe

fondamental du soin en hôpital de jour.

La vie institutionnelle

Nous vivons chaque jour une vie institu-

tionnelle qui transcende la somme des

parties.

L’hôpital de jour est un tout complexe, vi-

vant et dynamique car il accueille heure

par heure la relation avec le patient. Et à

l’image de ce dernier, il peut s’adapter à

des changements mais ne peut pas se di-

viser indéfiniment et se retrouver déman-

telé et morcelé.

C’est d’ailleurs pour cette raison que nous

défendons la facturation forfaitaire, à

l’instar d’une facturation à l’acte qui

pourrait paraître de prime abord plus

avantageuse financièrement mais qui ne

traduirait pas l’entièreté de notre travail.

D’autre part, “l’action thérapeutique”

prend place dans un programme de soin

formel mais également dans des inters-

tices qui habitent différents espace-temps

du soin de jour.

Ces moments informels, parfois perçus

comme des flottements ou des vides, sont

loin d’être anodins car ils offrent la possi-

bilité de se rencontrer “sur le côté”, un

subtil jeu relationnel.

Ils sont également un excellent baromètre

ou régulateur des différentes tensions.

Certains espaces interstitiels ne sont pas

prévisibles. Certains sont proposés par les

patients alors que d’autres peuvent être

“construits” et pensés par l’équipe soi-

gnante pour favoriser l’émergence du lien

thérapeutique.

Dans ce sens, notre réflexion en équipe

sur les repas illustre de nombreux élé-

ments déjà abordés.

Il faut dire que même si nous nous

sommes installés en 1955 au centre-ville

pour favoriser l’insertion dans la cité, la

discrétion était de rigueur et les frontières

étaient plutôt imperméables. Les repas ont

toujours été un moment important de la

vie à l’hôpital de jour. Durant de nom-

breuses années, toute l’équipe et tous les

patients prenaient leur repas ensemble.

Chacun était accueilli à table par une pe-

tite plaquette personnalisée qui lui signi-

fiait où était sa place. C’était le rôle du

psychologue responsable que d’assigner à

chacun, chaque matin, sa place.

Progressivement, reflet de l’évolution de

nos réalités, les patients ont commencé à

venir à temps partiel, et certains souhai-

tent manger dans les bistrots du quartier,

ce que nous encourageons comme un

signe d’intégration. L’équipe, jusque-là

ensemble en continu, voit ses horaires se

diversifier et le nombre d’activités for-

melles augmente pour répondre aux exi-

gences administratives. L’espace-temps

repas se retrouve peu à peu compressé.

Et pourtant, on continue à défendre ce

moment comme un liant important de la

vie en hôpital de jour. On en parle beau-

coup en équipe, on laisse tomber les pla-

quettes, on met en place un soignant “hôte

d’accueil” qui place à table, on fait des

listes et des listes à n’en plus finir, on se

définit comme une salle à manger et non

comme une cafétéria, on se met même

d’accord sur un temps qui respecte les dif-

férents rythmes avant de se lever pour

faire la vaisselle ensemble car ce qui n’a

pas changé en 60 ans c’est « qui mange

range ! ». On refuse les pique-niques, ar-

gumentant qu’un repas partagé ou amené

n’a pas la même symbolique, on invente

un cybercafé dans la salle à manger après

le repas, on crée des ateliers cuisine…

Bref, par “essai-erreur”, nous cherchons à

combler une insatisfaction, la tension et

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Haute Tension en hôpital de jour : attention, changements !

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 17

l’écart qui se sont créés entre un mythe

fondé sur la nostalgie de la communauté

thérapeutique et notre réalité actuelle.

On continue à en parler régulièrement en

équipe.

Un jour, il y a quelques mois, un bel hôtel

lausannois procède à une liquidation et

nous offre des tables rondes en bois qui

font penser à ces tables conviviales.

Ce réaménagement d’intérieur imprévu

provoque un véritable changement. Il

prend évidemment place suite à une

longue élaboration mais néanmoins, du

jour au lendemain, le climat se modifie,

les échanges sont facilités, les frustrations

diminuent.

Encouragés par ce mouvement, nous pre-

nons ensuite la décision de prendre soin

de cet espace thérapeutique en restructu-

rant l’organisation de notre journée pour

nous donner ce temps de rencontre tout en

laissant aux jeunes comme à l’équipe la

possibilité de manger dans le quartier qui

est très animé.

L’hôpital de jour d’aujourd’hui a des

frontières claires et contenantes mais

aussi perméables. Et à l’image de l’impor-

tance de la relation au sein de l’hôpital de

jour, par la vie commune dans le quartier,

les patients et l’équipe sont des citoyens

qui évoluent dans la cité.

Rien n’est anodin à l’hôpital de jour !

L’identité de l’hôpital de jour en tension

L’institutionnel transcende la somme des

parties, mais ce tout occupe une place par-

ticulière, toujours singulière et symbo-

lique, empreinte de filiation. L’hôpital de

jour est un concept mouvant, en perpé-

tuelle adaptation, faisant face aux change-

ments mais aussi en défense de son iden-

tité propre.

Chaque hôpital de jour a une généalogie,

même si la filiation n’est pas biologique,

avec une évolution au cours du temps, un

moment fondateur allant vers des objec-

tifs constants ou changeants.

Il est donc fondamental de prendre soin de

l’institution qui se modifie en étant à

l’écoute de la crainte de ce qui disparaît et

de la curiosité de ce qui émerge. Avec

cette question sous-jacente, jusqu’où

l’hôpital de jour peut-il évoluer sans

perdre son âme ?

Cette question nous mène à un nouveau

champ de tension interne : la tension entre

les sources et la continuité, entre la

loyauté à l’histoire et l’évolution, entre la

permanence et l’adaptation ou encore,

entre le changement et la résistance au

changement

« Changement et résistance au changement

sont, comme les deux faces d’une même pièce, irrémédiablement liées. »

Bareil et Boffo, 2003

Cette tension résonne, vibre plus ou

moins, à différents moments et au sein de

différentes sphères de la vie institution-

nelle de l’hôpital de jour. En ce moment,

l’Institut Maïeutique est en pleine réso-

nance avec ce sujet puisque nous fêtons

cette année nos 60 ans mais également

parce qu’il y a un “passage de direction”

après 40 ans. C’est une période riche mais

tumultueuse. Va-t’on s’enraciner ? Se dé-

raciner ?

Pourquoi tenir tant à garder son identité ?

Pour qui est-ce important ? Pour les pa-

tients ? Pour l’équipe ? Pour la qualité du

soin en hôpital de jour ?

Nous sommes profondément convaincus

que l’identité se joue au quotidien à tra-

vers la culture institutionnelle et que c’est

un outil thérapeutique. C’est un référen-

tiel commun qui, certes, s’apparente par-

fois à un ensemble de croyances fantas-

mées sur ce qu’il constitue, mais qui offre

un cadre sécurisant tout en étant unique.

Qu’on s’entende bien… ce n’est pas notre

histoire qui remplit cette fonction mais le

simple fait qu’il y en ait une.

Chaque hôpital de jour a son histoire.

Nous pouvons faire de l’identité institu-

tionnelle un levier thérapeutique parce

qu’elle permet une rencontre à l’autre hu-

manisante et particulière. Tous ensemble,

patients, membres de l’équipe et chacun

individuellement, nous pouvons nous ins-

crire pour un temps dans cette histoire.

Cet ancrage permet à nos patients de cons-

truire et renforcer leur identité et leur rap-

port à leur propre historicité. Ainsi,

l’identité institutionnelle est utilisée

comme un élément du cadre de l’hôpital

de jour qui offre la possibilité aux patients

de trouver des repaires pour se structurer.

Les manifestations autour de notre 60ème

anniversaire illustrent ce propos.

Chaque année, nous avons l’habitude

d’organiser une soirée conférence, parfois

en lien avec la psychiatrie, la plupart du

temps non. Ainsi, l’année passée, avec

l’écrivain Joël Dicker ou le chef d’or-

chestre Michel Corboz l’année précé-

dente, et nous invitons les proches et les

membres du réseau.

Cet événement est toujours une occasion

de bousculer un rythme rassurant, de se

mobiliser ensemble pour un projet, de

penser autour du thème de la conférence,

ou encore de renforcer le sentiment d’ap-

partenance car “on reçoit à la maison”.

Différents événements ont traversé cette

année d’anniversaire, une présentation in-

titulée « Jouons ensemble », une visite

guidée d’une exposition et une soirée con-

férence donnée par Nicole et Philippe

Jeammet sur la transmission.

Au printemps, le groupe a mis en scène un

aller-retour entre l’ici et maintenant et

l’histoire de notre hôpital de jour.

Cette présentation dynamique a été prépa-

rée par tous, jouant et superposant les

sources et la continuité, composée de

textes, musique, théâtre, danse, montage

vidéo.

Cette élaboration groupale a été passion-

nante et a mis en tension la perception

commune, mais parfois également diffé-

renciée, du présent, du passé et de l’avenir

de l’Institut Maïeutique, des soins en psy-

chiatrie et, bien au-delà, du rapport au

temps et au vécu des patients.

Elle a permis à chacun de s’inscrire dans

des racines solides, vivantes, qui se déve-

loppent, foisonnent, se complexifient tout

en vivant l’expérience de la souplesse, de

l’évolution et du changement.

Le temps de conclure…

Tensions entre thérapeutique et éducatif,

entre sources et continuité, entre soin et

réinsertion, entre tension et flottement,

entre imperméabilité et perméabilité,

entre processus et résultat, entre change-

ment et résistance au changement, entre

clinique et administratif, entre profession-

nalisation et humanisme, entre homogé-

néité et hétérogénéité, entre psychothéra-

pie institutionnelle et modèle du rétablis-

sement, entre permanence et adaptabilité,

entre besoins individuels et besoins grou-

paux, entre appartenance et autonomie,

entre espaces formels et informels... Tant

de tensions animent l’hôpital de jour.

Toutes font vie tout en impliquant des

conflits. Ces conflits sont nécessaires et

même constructifs s’ils sont vécus comme

l’opportunité de sortir d’une zone de con-

fort, d’explorer, de jouer, d’évoluer.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 18

On pourrait débattre longuement sur cha-

cune de ces tensions, mais n’était-il pas

préférable de mettre sous haute tension

aujourd’hui, celles qui émanent de la de-

mande des patients, de l’articulation du

soin et de la construction de l’avenir. Un

équilibre sensible qui traverse le séjour du

patient en hôpital de jour.

A l’image de l’hôpital de jour, les patients

qui y cheminent devraient pouvoir être ac-

compagnés dans un processus de change-

ment et d’autonomisation.

Le souhait de chacun d’entre nous est de

permettre aux patients d’avancer, d’évo-

luer en dehors d’un projet psychiatrique.

Dans le même temps, nous savons que

cette perspective n’est pas adaptée pour

tous et qu’on peut se réinsérer sociale-

ment et professionnellement, y compris

de manière protégée, comme on peut ré-

ussir des parcours de vie en étant utile à

son institution.

Si le projet institutionnel à long terme

n’est jamais centré sur un projet de départ,

nous devons néanmoins donner du sens à

ce départ lorsqu’il se profile.

Nous avons vu à quel point l’hôpital de

jour est influencé par la culture actuelle.

Ce cadre nous rappelle que le soin se doit

d’être performant et ne peut pas être dé-

connecté du contexte dans lequel il prend

place.

Evidemment, affirmer cela n’amorce pas

même une once de réponse autour de la

question de ce qui constitue un soin ré-

ussi ? Ce que l’on sait, en revanche, c’est

qu’il n’y a pas de modèle performant en

lui-même.

Notre devoir de performance se situe au

niveau de la rencontre avec le patient,

c’est de toujours mettre au centre ce qu’il

exprime de son vécu. Mais c’est aussi

notre capacité à penser, à formuler des hy-

pothèses et à rester attentif à nos propres

résonances car, en dépit de notre inten-

tionnalité, de notre professionnalisme et

de notre humanité, nous ne sommes pas à

l’abri de sombrer dans un équilibre chro-

nicisant.

Ainsi, le défi de tous les professionnels du

soin est de rester en tension tout en ayant

la capacité de maintenir une écoute flot-

tante du patient et de ce qui se passe au

niveau institutionnel.

Car c’est dans l’équilibre entre la tension

et le flottement qu’émerge la rencontre

authentique et la vitalité institutionnelle !

« Alors que l’avenir reste insaisissable, les incertitudes du présent exigent de maquiller

l’angoisse par une hyperactivité leurrante.

C’est pourquoi, il s’agira tantôt de valoriser un temps de l’ennui, de substituer à l’avidité

ou à la boulimie d’activités programmées la

disponibilité d’un temps en jachère où l’im-prévu et la surprise peuvent advenir (…) »

Vacher Neill, 2001

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 19

Présentation

Je vous remercie de m’avoir invité à ce

joyeux bazar, à plus forte raison parce que

la clinique de concertation est, comme le

disait Lacan, « un dispositif qui laisse à

désirer ».

Depuis trente ans, dans la partie séden-

taire de mon travail, je suis directeur de ce

qui correspond à un Centre Médico-Psy-

chologique en France, un service de santé

mentale en Belgique, qui a cette particu-

larité de ne pas du tout être subordonné au

milieu médical mais au travail social.

C’est l’un des services du centre public

d’action sociale de notre commune, soit

l’équivalent de votre Centre Communal

d’Action Sociale, mais sachant que ce qui

est géré à l’échelle départementale en

France l’est à l’échelle municipale en Bel-

gique.

Depuis trente ans, j’évolue plus dans les

codes administratifs et le langage du sec-

teur social que dans les codes de commu-

nication médicaux, ce qui fait que, bien

souvent, les psychiatres disent qu’ils ne

me comprennent plus parce que je parle

comme un travailleur social, et les travail-

leurs sociaux me disent que je parle tou-

jours comme un psychiatre. Je vis donc

une vie très solitaire.

1 Conflits de pouvoir, émulations de compé-tences, partage des responsabilités, émulsion

de créativité

Je suis redevable de beaucoup à cet ac-

compagnement des travailleurs sociaux

dans ma carrière.

Aujourd’hui, je suis invité aussi en tant

que médecin directeur d’un centre de réa-

daptation fonctionnelle qui fonctionne

dans des dispositifs très proches de ce que

l’on a entendu décrire à Lausanne, c’est le

centre de réadaptation fonctionnelle du

Club André Baillon à Liège.

La clinique de concertation m’a alors

amené à avoir une partie de mon travail

qui est plutôt itinérant puisqu’aujourd’hui

existent des associations nationales de cli-

niques de concertation en Italie, en

France, en Belgique et en Algérie, et que

nous y avons des activités de formation et

des activités cliniques.

La clinique de concertation

J’ai repris dans le texte de présentation du

colloque, ce passage, une question qui

mérite d’être posée même si elle peut

sembler triviale et réductrice aux profes-

sionnels : « lorsque les structures existent

dans un dispositif de soins, avons-nous la

réactivité, le dynamisme et le courage né-

cessaires pour réinterroger leur perti-

nence, leur efficience, au regard des

troubles de la psychopathologie, et sur-

tout de la vie quotidienne de nos pa-

tients ? »

2 http://concertation.net/site/texte/les-lettres-concertatives/

La clinique de concertation essaie de ré-

pondre à cette question en incluant les

personnes qui bénéficient d’un diagnostic

de pathologie psychiatrique sévère, les fa-

milles en détresses multiples, en les asso-

ciant à des tentatives de réponse à ces

questions. Nous entendons, sous le terme

“clinique”, tout à la fois un dispositif thé-

rapeutique, un dispositif de recherche et

un dispositif de formation où se rencon-

trent les personnes qui vivent ensemble,

les membres d’une famille et leur envi-

ronnement, et les personnes qui travaillent

ensemble, c’est-à-dire qui sont mises au

travail par ces personnes bénéficiant d’un

diagnostic de pathologie psychiatrique sé-

vère.

Bien sûr, à l’échelle territoriale, à

l’échelle du réseau, nous rencontrons des

conflits. Comme l’indique l’intitulé de la

sixième journée de formation à la clinique

de concertation1, formations qui ont lieu à

Liège, Bruxelles, Turin et Alger, on pour-

rait dire que la clinique de concertation a

pour objet de passer des conflits de pou-

voir, présents souvent dans le réseau, à

des émulations de compétences. En effet,

ce qui apporte plus de bénéfice à partir du

moment où il existe une émulation des

compétences de chacun des cliniciens et

des services, cela peut également être au

bénéfice de ces personnes ; les conflits de

pouvoir, beaucoup moins. Éventuelle-

ment, il est possible d’évoluer vers des

partages de responsabilités et à une émul-

sion de créativité.

Lors du troisième congrès international de

la clinique de concertation à Paris, Patrice

Maniglier2, philosophe, était venu nous

aider, et a écrit un texte où il dit ceci :

« Ainsi, à un problème admirablement

terre à terre, les cliniques de concertation

apportent elles-mêmes une réponse admi-

rablement pragmatique : créer des es-

paces relativement neutres, permettant

aux différents individus engagés à un titre

ou à un autre, voire sans titre, simplement

parce qu’ils se sentent concernés, de se

retrouver de sorte à potentialiser ainsi les

dynamiques positives qui tiennent à ce

Le Travail Thérapeutique de Réseau soutenu par la « Clinique de Concertation » encourage les relations humaines les plus fiables (familiales, amicales, professionnelles, institutionnelles et politiques) et reconstruit des identités singulières. Activé dans et par le débat contradictoire convoqué par les personnes en détresses multiples, ce dispositif a été initié en 1996 par le Dr Jean-Marie Lemaire et de nombreux cliniciens de réseau. La « Clinique de Concertation » trouve ses étayages principaux dans l’éthique relationnelle posée par I. Boszormenyi-Nagy comme dimension incontournable de la relation.

Mots-clefs : Clinique de concertation, sociogénogramme, thérapie contextuelle, réseau, thérapie familiale, formation, Contexte Extensif de Confiance, nomadisme concertatif, résistance, justice relationnelle

Symptom, Diversity and Humanity Jivaros, Patterns of a Post-Modern Nosology?

“Work Therapeutics Network” supported by the “Concertation Clinic” encourages the most reliable human relationships (family, friends, professional, institutional and political) and rebuilt-border identities. Activated in and through open debate convened by multiple people in distress, this device was launched in 1996 by Dr. Jean-Marie Lemaire and numerous network of clinicians. The “Concertation Clinic” has its main underpinnings in relational ethics posed by I. Boszormenyi-Nagy as essential dimension of the relationship.

Keywords: “Concertation Clinic”, sociogénogramme, contextual therapy, network, family therapy, training, Extensive Back-ground Trust, “concertatif nomadism”, resistance, relational justice

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 20

que les uns sont prêts à faire pour les

autres, mais non pour soi. » Autrement

dit, mettez les problèmes ensemble et

vous trouverez une solution. C’est en ad-

ditionnant les problèmes qu’on les résout,

merveilleuse arithmétique de cette cli-

nique.

C’est donc un problème d’ingénierie du

travail social, de tuyauterie des institu-

tions de prise en charge. Le clinicien de

concertation est une sorte de plombier un

peu bizarre qui vient raccorder des canali-

sations orphelines et réagencer un réseau

qui ne conduit pas ses flux là où ils pour-

raient circuler. Il s’agit même d’un pro-

blème presque d’économie de l’état social

qui concerne l’efficacité des dispositifs de

prise en charge.

C’est d’ailleurs de ce point de vue écono-

mique qu’il convient d’évaluer ces dispo-

sitifs.

L’appui de ces cliniques de concertation

va trouver ses sources au bord du lac Le-

man dans les séminaires auxquels je par-

ticipais avec Ivan Böszörményi-Nagy,

thérapeute familial, hongrois d’origine,

avec qui j’ai travaillé pendant treize ans.

Les séminaires avaient lieu au-dessus de

Vevey. Ivan Böszörményi-Nagy définit

comme ceci le contexte : c’est le fil orga-

nique entre ceux qui donnent et ceux qui

prennent qui forme une toile de confiance

et d’interdépendance.

Le contexte humain étant les relations ac-

tuelles d’une personne autant à son passé

qu’à son avenir, il est constitué de la tota-

lité de tous les grands livres d’équité dans

lesquels les mérites et les obligations de

telles personnes sont enregistrés. Son cri-

tère dynamique relève de la considération

due et non de la réciprocité de donner et

prendre. Dans les cliniques de concerta-

tion, c’est bien par cette porte de la justice

relationnelle que nous entrons.

Ivan Böszörményi-Nagy , qui avait émi-

gré aux États-Unis et qui bénéficiait d’une

position particulière en termes de re-

cherche sur les personnes ayant un dia-

gnostic de psychose, et qui bénéficiait de

cette position dans le sens où il ne devait

pas respecter les standards de traitement,

constatait que quand on ouvrait la ques-

tion de la justice relationnelle dans une fa-

mille au sein de laquelle un membre bé-

néficiait d’un diagnostic de pathologie

psychiatrique sévère, la question de la jus-

tice remettait les propos dans la cohé-

rence.

Les cliniques de concertation sont héri-

tières de ce travail que j’ai eu la chance de

mener pendant treize ans avec lui en l’ac-

compagnant dans son travail, soit à Phila-

delphie, soit lorsqu’il venait en Belgique

3 http://concertation.net/site/ressources/le-

sociogenogramme/

dans les rencontres contextuelles qui ont

eu lieu dans les années 90.

Les formations de cliniciens de concerta-

tion ont débuté en 1999.

Il existe des associations belges, fran-

çaises, italiennes et algériennes. Dès lors,

quand une personne sur un territoire con-

naît le dispositif et le trouve intéressant,

elle sollicite l’association, qui dépêche un

clinicien de concertation.

Par exemple, en Champagne-Ardenne, la

Maison Départementale des Personnes

Handicapées et l’Agence Régionale de

Santé faisaient appel à eux pour des

jeunes gens de 16, 17 ans dont les Instituts

Médico-Educatifs ne voulaient pas. Ces

jeunes se retrouvaient en service de pé-

dopsychiatrie mais cela ne convenait car

on avait affaire à de grands jeunes gens, et

ils mettaient en péril la sécurité des petits.

On les plaçait alors dans le service de psy-

chiatrie pour adultes, mais on les mettait

en isolement pour qu’ils ne soient pas,

eux, influencés par les adultes. Pour finir,

les adultes venaient hurler à la Maison

Départementale des Personnes Handica-

pées ou à l’Agence Régionale de Santé en

disant que ce n’était pas possible, et à ce

moment-là, la réponse était, après des an-

nées pendant lesquelles on avait dit :

« Vous ne savez pas faire, nous allons

faire » que faute de mieux, on les rendait

à la famille. Cela ne convenait pas non

plus.

C’est dans ce contexte, à l’invitation de la

Maison Départementale des Personnes

Handicapées et de l’Agence Régionale de

Santé en Champagne-Ardenne, que nous

avons travaillé quelques années.

Le financement en est très divers. Dans

certains services, comme par exemple à

l’hôpital Malévoz, c’était “à monter”, tan-

dis que c’était une “belle idée” à Genève.

En l’occurrence, c’était plutôt une institu-

tion qui demandait des sensibilisations. A

Cergy-Pontoise, c’est la communauté

d’agglomérations qui finance. A Royan,

c’était le conseil général. Voilà un peu

comment cela fonctionne.

Le sociogénogramme3

La clinique de concertation a des outils.

Elle s’appuie aussi sur la réalisation d’un

sociogénogramme où nous soulignons les

mots “avec” » et “grâce à” la participation

de toutes les personnes concernées, ceux

qui travaillent ensemble et ceux qui vivent

ensemble, et parmi celles-ci, des per-

sonnes qui bénéficient d’un diagnostic de

pathologie psychiatrique sévère.

Le “avec” » et “grâce à” a été une bascule

qui a eu lieu à Brive-la-Gaillarde en Cor-

rèze, à un moment où, prévoyant avec un

service qui s’occupe plutôt de jeunes gens

dans des dispositifs de contrainte, à un

moment où ce service Trampoline travail-

lait autour des familles, des textes circu-

laient dans lesquels il était men-tionné

qu’ils accordaient de l’importance au tra-

vail qui se faisait autour des familles. Et

l’on pouvait, entre les lignes, lire “à

cause” des familles, ces familles qui sont

dans la désobéissance, qui sont inca-

sables, etc. En travaillant avec les

membres de cette équipe, nous nous

sommes dits que, tout compte fait, on tra-

vaillait “avec” les membres des familles,

et nous sommes même parvenus à pouvoir

dire que nous travaillons “grâce à” elles,

que nous sommes d’une certaine manière

redevables, dans les cas les plus com-

plexes, les plus difficiles, redevables à ces

personnes de nous aider à progresser dans

notre travail.

Progressivement, cette expression est de-

venue “avec”, puis “grâce à” la participa-

tion des membres des familles, et ce qui

s’est passé à Brive-la-Gaillarde, c’est

qu’une famille qui doutait ou qui hésitait

à nous rejoindre pour travailler avec nous

dans une clinique de concertation, quand

elle a entendu “avec” » et “grâce à”, a dé-

cidé de venir.

Le sociogénogramme est une représenta-

tion des circuits relationnels mis sous ten-

sion ; on va retrouver ces tensions dans les

cas complexes et les situations de dé-

tresses multiples.

Le sociogénogramme est né dans l’hôpital

psychiatrique de la Citadelle à Liège où,

en tant que thérapeutes familiaux, nous

nous intéressions aux génogrammes.

Nous avions un groupe au moment où se

mettait en place le travail de réseau des

plateformes psychiatriques, etc., dans les

années 80. Ce groupe s’appelait le tiers

demandeur.

Travaillant dans un CMP, dans un service

de santé mentale, nous étions frappés par

le fait que, dans notre monde, il existait

une hiérarchie de la qualité des de-

mandes : les demandes exprimées par la

personne qui avait bénéficié du soin

étaient mieux considérées que celles qui

étaient exprimées par un tiers demandeur.

A l’époque, Marcel Bini, qui a évolué,

c’était l’une de ses grandes qualités, dé-

nonçait le risque que le tiers demandeur

soit quelqu’un qui passe la “patate

chaude” et se débarrasse de la situation.

Nous avons dû sortir de ce regard suspi-

cieux, que l’on rencontre encore assez

souvent, sur le tiers demandeur. Nous

avons commencé à travailler, à réaliser

des génogrammes et nous nous sommes

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La clinique de concertation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 21

rendus compte, dans des situations com-

plexes, que notre dessin s’enrichissait : il

représentait au fur et à mesure, avec le

même feutre, l’école, le médecin généra-

liste, le juge, etc. Mais à un moment

donné, nous sommes arrivés à quelque

chose d’illisible.

Nous avons alors mis des couleurs pour

nous y retrouver. Nous avons choisi le

feutre vert pour représenter les profes-

sionnels, le noir pour représenter le géno-

gramme. Mais ce qui était surtout impor-

tant dans ce génogramme, c’était les flux

d’activation, et pas les demandes néces-

sairement ; le hurlement ou la récalci-

trance sont considérés comme ayant au-

tant de noblesse que la demande : nous

sommes “activés par”. Nous avons repré-

senté les flèches vertes entre les profes-

sionnels, bleues entre les gens qui vivent

ensemble, et pour ce qui concerne les rap-

ports entre les professionnels et les

membres de la famille, rouge quand c’est

à l’initiative des membres de la famille.

C’est de cette manière qu’est né le socio-

génogramme.

Aujourd’hui, c’est devenu ma façon de

prendre des notes. Si je décroche le télé-

phone, je ne prends pas de notes, je fais un

dessin. Je peux très facilement recons-

truire le récit à partir du dessin mais je ne

pourrais pas représenter la situation avec

autant de détails si je passais par mon écrit

pour refaire le dessin.

Le sociogénogramme, c’est un gribouillis

ou un embrouillis. Dans les cliniques de

concertation, bien souvent, des gribouillis

ont été effectués avant la rencontre.

Lorsqu’une rencontre a lieu, si celle-ci est

complexe, on fait appel à un clinicien de

concertation. Or, la formation d’un clini-

cien de concertation dure quatre ans.

Donc, le sociogénogramme devient un

objet transitionnel. Et il se construit avec

toutes les personnes concernées.

Dans le Gard en France, et nous avons tra-

vaillé la semaine dernière avec une petite

fille qui nous a demandé si l’on pouvait y

ajouter une feuille. Pendant tout le temps,

les enfants dessinent. Comme ils sont

moins paralysés que les grandes per-

sonnes, ils demandent des feutres, et il est

extrêmement étonnant d’observer à quel

point leurs dessins sont en rapport avec les

thématiques abordées.

Le temps de concertation

Il est d’une heure et demie. Une demi-

heure précède pour une rencontre des pro-

fessionnels, afin de vérifier la sécurité du

dispositif pour ceux-ci. En effet, les pro-

fessionnels qui rejoignent ce dispositif

pour la première fois peuvent être extrê-

mement inquiets quant au déroulement de

la concertation. On ne parle pas de la fa-

mille, on ne parle pas de la situation, on

parle plutôt de la procédure avec laquelle

les professionnels rejoignent ce dispositif.

Ensuite, une heure est consacrée au retour

sur l’expérience afin de déterminer com-

ment celle-ci a pu être formatrice.

Donc, une concertation clinique dure trois

heures. Cela, c’est le temps de la séance.

S’agissant de la feuille de route d’une cli-

nique de concertation, nous n’en organi-

sons pas plus d’une tous les six mois, de

façon à ce qu’il soit bien clair que la cli-

nique de concertation est au service du

travail thérapeutique. Si la fréquence de

ce dispositif, qui est assez spectaculaire,

était plus grande, nous risquerions de di-

minuer proportionnellement les interven-

tions quotidiennes, qui restent les inter-

ventions principales. La clinique de con-

certation est au service de ces interven-

tions. Il y a un remodelage du réseau.

A l’heure actuelle, les expériences les plus

longues que nous connaissons sont à

Cergy-Pontoise, où nous travaillons de-

puis 2005. Nous y suivons une famille de-

puis quatre ou cinq ans, au début tous les

six mois, puis tous les ans.

A l’heure actuelle, dans les recherches

que nous menons, nous essayons de

mettre en œuvre ce type de démarches

avec des jeunes gens qui bénéficient du

placement en famille d’accueil, etc. Nous

essayons de faire en sorte d’obtenir un fi-

nancement sur trois ans des cliniques de

concertation. Je pense à des jeunes gens

qui sont des « Formule 1 du réseau”,

comme par exemple Miguel, dans le

Gard, qui est passé par dix-sept services

en un an.

Il s’agit de faire en sorte qu’à partir du

moment où une personne n’appartient

plus à un service, ou en tout cas appartient

à un réseau, nous puissions avoir à es-

paces réguliers ce type de réunion, sans

qu’elle soit liée à un seul service mais plu-

tôt liée à un financement du conseil dépar-

temental.

Antonella

Nous sommes en 2003. La clinique de

concertation est activée par Francesca

Sacco et Silvia Vintimilla, qui travaillent

toutes les deux au service social d’Asti.

Elles sont mises au travail par Antonella,

qui a 31 ans à l’époque et dont les débor-

dements sont très difficiles : Antonella se

rend au service social sans respecter né-

cessairement les heures de permanence, et

menace de se jeter par la fenêtre dans des

récriminations où elle demande à récupé-

rer des contacts plus fréquents avec ses

enfants. A plusieurs reprises, l’hôpital

psychiatrique a été activé par Antonella,

où elle a effectué de nombreux séjours.

Elle est maman de Sara, qui est née en 91,

elle est séparée du papa, et la maman de

L’AUTEUR

Docteur Jean-Marie LEMAIRE Neuropsychiatre, thérapeute familial, Directeur de l’ILTF, Institut Liégeois de Thérapie Familiale et Directeur du Service de Santé Mentale de Flémalle en Belgique. Membre de l’EFTA (European Family Therapy Association)

26, Impasse de l’Ange 4000 Liège Belgique

[email protected]

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 22

BIBLIOGRAPHIE (suite)

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Gino était hospitalisée dans le même hô-

pital. Gino, qui rendait visite à sa maman,

a rencontré Antonella, ils ont formé un

couple, et Valentina est née en 1998. Les

inquiétudes des services sociaux ont ac-

tivé le juge, qui a décidé du placement de

Sara dans une famille d’accueil. Les pa-

rents essaient de maintenir des contacts

avec les enfants, et à un certain moment,

en 1999, ils font un enlèvement et partent

dans leur région d’origine, les Pouilles en

Italie, dans le talon de la botte, avec ceci

de particulier que, pendant le voyage, An-

tonella signale son départ aux travailleurs

sociaux.

Les travailleurs sociaux du service social

sont aussi mis au travail par des appels

très fréquents de la maman d’accueil

puisqu’Antonella ne fait pas qu’activer le

service social directement par ses me-

naces, etc., la maman de la famille d’ac-

cueil estime être harcelée par les visites

fréquentes, les rapprochements d’Anto-

nella de cette famille. Le service social est

en collaboration avec la doctoresse Bo-

rello, neuropsychiatre infantile, puisque le

comportement des petites filles inquiète

les services sociaux et la famille d’ac-

cueil.

Pendant ce temps, Antonella vit des con-

flits graves avec Gino, dans cette région

de l’Italie, et elle commet un acte gravis-

sime : elle incendie la grange de la ferme

du père de Valentina.

L’hôpital psychiatrique va mettre au tra-

vail le service d’hygiène mentale avec la

doctoresse Martinengo, psychiatre pour

adultes.

Cette situation active la commune d’Asti,

petite ville où nous avons commencé à

travailler invités par la prison, en 2003.

Nous y travaillions précédemment depuis

quatre ans. Les cliniques de concertation

ont lieu à Asti tous les mois, elles se dé-

roulent dans la Maison de la culture, qui

est un lieu de la ville fréquenté par les

jeunes gens et dans lequel sont organisés

des événements culturels. Tout travailleur

mis en difficulté, mis sous tension par des

situations complexes qui débordent les

compétences propres, spécifiques du ser-

vice, peut mettre au travail cette clinique

de concertation, et c’est ce qu’a fait Fran-

cesca Sacco.

Dès lors, une invitation se met en route,

une invitation rédigée et signée en colla-

boration entre les travailleurs sociaux les

plus proches de la famille et la famille

elle-même. Un lieu-dit neutre sera dési-

gné par le juge pour les visites des enfants

et d’Antonella.

Nous sommes dans ce que nous appelons

des situations activatrices du travail théra-

peutique de réseau, c’est-à-dire là où ré-

fléchir à ce qui peut se passer dans chaque

structure de soins n’est plus suffisant, et

que nous devons plus travailler sur les

flèches du schéma que travailler sur les

petites maisons qui représentent les ser-

vices. A titre de comparaison, on peut dire

que si nous nous intéressons à la SNCF,

nous ne pouvons pas nous intéresser seu-

lement aux gares, nous devons aussi nous

intéresser aux rails et à ce qui se passe

dans les wagons.

Donc, la clinique de concertation va pren-

dre soin des concertations. Je vais vous ci-

ter un mot qui n’existe pas en français,

« lo sconcerto », qui est la déconcertation,

c’est-à-dire cet état dans lequel nous pou-

vons être lorsque nous sommes perplexes,

lorsque nous sommes déprofessionnali-

sés, dépersonnalisés par des situations qui

dépassent nos compétences spécifiques.

A ce moment-là, se met en place un travail

qui, peut-être, doit plus remettre sur le

métier la question des compétences non

spécifiques, c’est-à-dire toutes celles que

nous partageons, les responsabilités que

nous partageons dans les différents ser-

vices, mis au travail par une situation de

détresses multiples.

Lucia Donadio est l’une des personnes qui

s’est formée à la clinique de concertation

et qui continue aujourd’hui à travailler à

Turin dans le service de détention pour

mineurs dans les mains de la justice.

Lors de la rencontre, Lucia fait une ré-

ponse remarquable. Lorsque Antonella

dit : « Sono agitata (je suis stressée) »,

elle répond : « Siamo in due. »

A partir de ce moment, lorsque se réunis-

sent cliniquement les réseaux de ceux qui

vivent ensemble et ceux qui travaillent en-

semble, effectivement, on se retrouve

dans une situation clinique de gestion de

stress et, curieusement, c’est du côté des

professionnels que c’est insupportable

plus souvent que du côté des membres des

familles. En général, nous avons plutôt

des familles.

Ici, Antonella est seule. Gino va la re-

joindre à la moitié de cette clinique.

Antonella est revenue en clinique de con-

certation six mois plus tard, et six mois

plus tard, étaient présents tous les acteurs,

ou au moins la plupart, une grande majo-

rité des soignants qui accompagnaient

Valentina et Sara. Je pense que deux ans

plus tard, avec des aides sociales, la fa-

mille s’est reconstruite, et nous avons en-

core aujourd’hui des nouvelles d’Anto-

nella.

Face aux résistances

Il est quand même très important de savoir

que la plupart des résistances que nous

rencontrons sont souvent des résistances

des professionnels à ce type de travail. Et

il est tout à fait acceptable et légitime que

les professionnels puissent dire que ce

dispositif menace leur sécurité : ils font

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La clinique de concertation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 23

partie d’une hiérarchie, ils font partie de

services, ils ont des missions, des respon-

sabilités, et nous n’avons pas la garantie,

dans une clinique de concertation, de pou-

voir assurer la sécurité des professionnels,

sachant que les professionnels entre eux,

souvent, et la famille et les professionnels,

peuvent vivre des conflits dangereux.

Qu’un professionnel dise qu’il ne veut pas

participer à une clinique de concertation

parce que le dispositif est insécurisé et in-

sécurisant, c’est tout à fait recevable et lé-

gitime. Ce qui est plus problématique,

c’est lorsque les professionnels refusent

de venir au nom de l’insécurité des

membres de la famille alors que les

membres de la famille, eux, en sont de-

mandeurs.

Par exemple, dans le Val d’Oise, à Cergy

Pontoise où existe une clinique de concer-

tation depuis 2005, les membres des fa-

milles communiquant entre elles ont évi-

demment connaissance de l’existence de

ce dispositif, notamment à partir de tout

ce qui se passe dans l’enseignement. C’est

à partir d’une association qui s’appelle

École et familles que nous travaillons.

Lorsque la porte d’entrée est l’Éducation

nationale, les enseignants, mais aussi les

parents, les familles, connaissent ce dis-

positif de clinique de concertation, et à

partir du moment où ils le connaissent, ils

peuvent le demander. C’est dans ce terri-

toire, principalement à partir de l’école,

qu’ont lieu les cliniques de concertation.

Une part importante du dispositif de la cli-

nique de concertation réside dans le fait

que ces cliniques de concertation sont des

lieux de recherche, ils peuvent s’apparen-

ter assez bien à ce que Kurt Lewin propo-

sait dans les recherches action. Ici, il

existe une part de recherche, toute une lit-

térature qui se construit autour des cli-

niques de concertation. C’est donc un lieu

de recherche, mais aussi un lieu de forma-

tion : dans ce type de laboratoire, s’orga-

nise une formation à ce type de travail, au

travail thérapeutique de réseau, soutenu

notamment par la thérapie contextuelle, et

les familles perçoivent qu’elles viennent

soutenir ce processus de formation.

Or, pour des familles qui sont la cible

d’interventions multiples, il se passe là

quelque chose qui est de l’ordre d’une in-

version du donner et du prendre. C’est-à-

dire que dans ces circonstances, on peut,

de manière congruente, dire aux familles

que nous les remercions de venir nous ai-

der à apprendre une partie du métier que

nous connaissons mal, celle de travailler

ensemble.

J’ai fait cinq années de spécialisation en

psychiatrie et, pendant ce temps, je n’ai

jamais appris à travailler avec les autres

dans une échelle qui serait plus large que

celle de l’équipe, à travailler avec les tra-

vailleuses familiales, les aides ménagères,

etc. C’est quand j’ai commencé à travail-

ler dans le service social qu’à un moment,

on m’a bombardé superviseur de quatre

équipes d’aides familiales, de travail-

leuses familiales, et je dirais que dans

cette position de superviseur, j’ai appris

mon métier, que ce sont elles qui ont pu

m’apprendre le travail dans la proximité,

un travail dans lequel on porte les res-

sources sur le lieu des détresses, et non

plus où l’on veut faire entrer les détresses

à tout prix dans le lieu des ressources.

Cette inversion de la flèche du donner et

du prendre est perçue par ces familles.

C’est-à-dire que ces familles à qui l’on dit

comment vivre, que faire, comment se

soigner, etc., de qui on demande une

obéissance, tout à coup, et elles le com-

prennent, elles viennent étayer un proces-

sus d’apprentissage dans lequel elles

n’ont pas cette position de cobaye.

Je me souviens, à Alessandria, d’un mon-

sieur dénommé Marco, qui avait une ex-

périence d’errance dans la rue, de con-

sommation de produits à haut risque, etc.

Avec lui, c’était la première fois que nous

recevions un an après une famille avec qui

nous avions travaillé un an précédem-

ment. Aujourd’hui, il est devenu beau-

coup plus courant que, pendant cinq ans,

nous ayons un processus dans lequel les

cliniques de concertation ont lieu, par

exemple, tous les six mois. Quand nous

avons demandé à Marco : « Qu’est-ce que

vous avez pensé de ce qui s’était passé

l’année dernière ? », il nous a ré-

pondu « Je ne me suis pas senti cobaye. ».

Et la réponse que je lui ai donnée, c’est

que, oui, évidemment, c’était nous qui

étions les cobayes dans cette histoire

parce que nous étions dans des dispositifs

improbables, des dispositifs à risque. Ce

Marco nous a bien aidés.

Les cliniques de concertation articulent ce

qui se passe entre les personnes qui vivent

ensemble, la plupart du temps la famille

(la petite famille, la grande famille).

Quand nous travaillons en clinique de

concertation, il est deux éléments au

moins sur lesquels les personnes ont rare-

ment pu être privées de leur position d’ac-

teur, de leur position de sujet.

Le premier élément, c’est de choisir com-

ment elles souhaitent que l’on s’adresse à

elles. On est toujours sûr de les rejoindre

sur un domaine d’expertise. L’autre do-

maine d’expertise, c’est l’échelle à la-

quelle les personnes ont envie que l’on

travaille. Lorsque s’organise une clinique

de concertation, l’expression standard

employée est : « Venez avec toutes les

personnes dont vous jugez la présence

utile. » Notre record, dans la banlieue

d’Alger, c’était 70 personnes dans la salle

de la municipalité.

Donc, sur certaines questions, nous ren-

controns des gens qui n’ont jamais perdu

leur place de sujet, leur place d’acteur ; le

problème, c’est de les rejoindre là où ils

l’ont gardée. Les cliniques de concerta-

tion réussissent cette opération.

Pratiques et décideurs

Il y a deux jours, j’ai reçu un courrier d’un

ami, Philippe Guillaumot, de Pau, dans

les Pyrénées Atlantiques. J’ai été ému par

ce texte. Il dit : « On est au cœur de la

triade concertative. ».

La triade concertative, c’est le fait que

l’on ne peut pas aborder des sujets de

santé mentale sans se poser des questions

dans une triade qui est évidemment celle

de ceux qui travaillent ensemble : nous,

les soignants, les travailleurs sociaux,

etc., les membres des familles et les res-

ponsables politiques élus ou les respon-

sables administratifs.

C’est cela que l’on appelle la triade con-

certative, qui est mise en action dans les

territoires où nous travaillons.

Il convient de préciser que ces territoires

où nous travaillons s’inscrivent la plupart

du temps dans des échelles relationnelles

qui varient entre 30 000 et 60 000 habi-

tants. Nous ne travaillons pas à l’échelle

de grandes métropoles, ou alors sur des

quartiers, mais pas à l’échelle de grandes

villes.

Philippe Guillaumot est médecin psy-

chiatre, thérapeute familial et contextuel

au CCAS de Pau, président de l’associa-

tion contre la maltraitance des personnes

âgées, et très actif dans cette ville.

Lors de la journée de sensibilisation à

l’Institut du travail social à Pau, il a pré-

senté la clinique de concertation en l’inté-

grant à la question du parcours de soins,

qui envahit à présent tous les discours mi-

nistériels, ceux des Agences Régionales

de Santé, ainsi que ceux des conseils dé-

partementaux, en plus des termes “coordi-

nation” et “intégration”.

La représentante de l’Agence Régionale

de Santé était dans la salle, elle m’en a re-

parlé car je l’ai revue récemment à une

inauguration. Elle a trouvé cela intéres-

sant. Elle a bien sûr saisi le clin d’œil sur

le parcours de soins. A partir du moment

où l’on a une ambition thérapeutique,

nous avons besoin de ces décideurs finan-

ceurs, surtout si un jour on lance une for-

mation action au travail thérapeutique de

réseau soutenu par la clinique de concer-

tation et la thérapie contextuelle sur le ter-

ritoire palois.

Le travail de proche en proche est-il né-

cessaire et suffisant pour faire reconnaître

la clinique de concertation dans le pay-

sage socio-sanitaire de notre société ?

Page 24: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 24

Faut-il viser l’institutionnalisation de la

clinique de concertation ?

Comment ?

Avec quels risques et avantages ? Le la-

bourage du travail de terrain, de proche en

proche, rendra-t-il évident ce passage

pour les décideurs ?

J’ai le sentiment que les convergences

n’ont jamais été aussi fortes entre le dis-

cours des décideurs et nos pratiques espé-

rées. Mais pour avoir fréquenté les arènes

du pouvoir, je les ai expérimentées

comme étant très fatigantes et souvent sté-

riles dans ma carrière.

La justice relationnelle

Le terme de « justice relationnelle4 »,

dans la thérapie contextuelle, a le mérite

d’être intégratif. Il reconnaît la dimension

des faits, c’est-à-dire peut-être un dys-

fonctionnement physiologique ; on n’a

pas besoin de nier l’existence du dysfonc-

tionnement physiologique, on peut agir

sur lui en administrant, par exemple, un

médicament.

Il reconnaît bien sûr la dimension indivi-

duelle de l’économie psychique, de la

psychodynamique, et donc, il reconnaît ce

type d’intervention, qui a toute sa place

dans un processus thérapeutique com-

plexe.

Ce terme reconnaît la dimension de la sys-

témie : le tout est plus que la somme de

ses parties, et par conséquent, il existe une

sorte de génie relationnel qui appartient à

l’ensemble et non pas à chacun des élé-

ments ensemble.

En outre, il introduit cette quatrième di-

mension que voit Imre Nagy : la régula-

tion des rapports humains par une justice,

ou comment les gens usent et abusent les

uns des autres. C’est là qu’il nous invite à

placer notre levier thérapeutique, en ou-

vrant ce débat. Ainsi, pour avoir rencontré

avec Imre Nagy des personnes qui bénéfi-

cient d’un diagnostic de pathologie psy-

chiatrique sévère dans les hôpitaux, à

l’hôpital Saint Vincent à Bordeaux par

exemple, un jeune homme délirant, quand

on ouvre cette question dans la famille et

dans le réseau : « Est-ce qu’il y a justice

relationnelle ou pas ? Est-ce que les gens

usent ou abusent les uns des autres ? »

Il se passe quelque chose d’extrêmement

étonnant, à savoir que se rétablit la cohé-

rence des choses, parfois dans des reven-

dications sous haute tension. C’est là que

Imre Nagy va placer son projet thérapeu-

tique.

Nous l’avons élargi : là où Imre Nagy le

situait, le focalisait très fort sur la dimen-

sion de la thérapie familiale, la clinique de

concertation accepte des échelles beau-

coup plus larges puisque nous avons des

situations qui n’entreront jamais dans le

cabinet du thérapeute familial. On peut

évidemment se lamenter et le regretter,

mais cela ne sert pas à grand-chose. En re-

vanche, ces familles sont activatrices de

réseaux extraordinaires. Si l’on prend le

risque de dire : « Mettons entre quatre

murs, dans une salle suffisamment

grande, toutes les personnes qui ont été

activées par cette famille, alors, nous

pourrons commencer à poser ces ques-

tions peut-être du côté des professionnels

avant d’aller vers la famille. ».

En effet, il existe aussi dans les institu-

tions, dans la vie d’un réseau, des conten-

tieux lourds entre les différents services,

les différentes institutions ; et la problé-

matisation familiale, souvent, se projette

dans le réseau, par exemple, autour d’un

enfant hyperactif avec le défenseur de

telle approche, le défenseur d’une autre

approche, et à l’intérieur de la famille, les

activations, les alliances qui s’organisent

dans le réseau.

La clinique de concertation n’est pas seu-

lement au service des familles, elle est

également au service des professionnels,

car ces derniers sont en danger dans ce

genre de situation.

En conclusion

C’est l’occasion d’aborder la question de

la thérapie contextuelle, où les pratiques

de dialogue sont éloignées de la relation

de pouvoir. Ce qui est difficile dans les

débats, par exemple sur la coordination au

conseil départemental, c’est de pouvoir

argumenter sa fondamentale différence

avec la concertation et son ambition

comme figure thérapeutique du travail

thérapeutique de réseau sans pouvoir in-

troduire la thérapie contextuelle de façon

simple. Dans ses interviews, Ivan Böször-

ményi-Nagy ne veut pas en faire une nou-

velle théorie, qu’il ne veut pas en faire une

école où il suffirait de connaître par cœur

le glossaire.

A l’heure actuelle, la clinique de concer-

tation continue à progresser de proche en

proche, avec les personnes qui s’y intéres-

sent, c’est-à-dire en général des travail-

leurs de proximité. Si jamais un jour cette

pratique s’institutionnalisait, il faudrait

rester vigilant à ce que l’institutionnalisa-

tion ne dénature pas la chance que nous

avons de travailler de cette façon, avec et

grâce aux familles en détresses multiples.

4 http://www.syste-

mique.be/spip/spip.php?article840

Page 25: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 25

Je remercie Monsieur Genvresse de cette

invitation.

Préambule

Je suis psychiatre. J’ai fait le psychiatre

pendant quarante-cinq ans, et actuelle-

ment, je suis directeur du Centre collabo-

rateur de l’Organisation Mondiale de la

Santé pour la recherche et la formation en

santé mentale, basé à Lille, qui travaille

également avec un groupement de coopé-

ration sanitaire en recherche et formation

en santé mentale regroupant quinze hôpi-

taux en France.

Les Centres collaborateurs sont au

nombre de douze en Europe, sachant qu’il

y a cinquante-deux pays et qu’il n’y en a

pas un dans tous les pays. Ce sont les re-

lais des politiques de l’Organisation Mon-

diale de la Santé au niveau local, et réci-

proquement, ils sont là pour faire con-

naître au niveau de l’Organisation Mon-

diale de la Santé ce qui se passe dans les

différents pays.

J’ai essayé de reprendre un peu les con-

cepts actuels qui mènent les politiques de

l’Organisation Mondiale de la Santé dans

le monde en santé mentale, puisque le

plan santé mentale mondial 2013-2020 a

été adopté par les 195 pays, dont la

France, mais aussi la Suisse, la Belgique,

tous les pays francophones, afin d’essayer

de voir ce que cela peut donner concer-

nant son application locale.

Le principe est toujours de penser global

et agir local.

Je vais vous parler de la conférence

d’Alma-Ata, de la charte d’Ottawa, de la

santé mentale dans le monde et en Europe,

avec les plans votés au niveau mondial et

au niveau européen, de l’application pra-

tique en France, à partir de trois concepts-

types, qui sont le rétablissement, le pou-

voir d’agir (l’empowerment) et la ci-

toyenneté. Je vous parlerai également un

peu de la santé mentale communautaire et

de la manière dont le secteur de la psy-

chiatrie peut appliquer ces concepts ac-

tuellement.

Nous menons à Lille l’expérience de cette

application.

Alma-Ata et Ottawa

Vous connaissez certainement la déclara-

tion d’Alma-Ata sur les soins de santé pri-

maire.

C’est là que l’Organisation Mondiale de

la Santé a sorti, pour la première fois, sa

définition selon laquelle la santé est un

état complet de bien-être physique, men-

tal et social, qui ne consiste pas unique-

ment en une absence d’infirmité. C’est un

droit fondamental de l’être humain et l’ac-

cession au niveau de santé le plus élevé

possible est un objectif social extrême-

ment important, qui intéresse le monde

entier. Cela suppose, bien entendu, la par-

ticipation de nombreux acteurs socio-éco-

nomiques puisqu’on voit bien que les dif-

férences d’espérance de vie dans les pays

sont aussi liées aux problèmes socio-éco-

nomiques. Quand il existe des problèmes

de dénutrition, des problèmes de guerre,

des problèmes de famine, bien évidem-

ment, le niveau de vie et le niveau d’accès

au système de santé diminuent considéra-

blement.

L’Organisation Mondiale de la Santé dit

que tout être humain a le droit et le devoir

de participer - ça a été le changement -,

d’une manière individuelle et collective à

la planification de la mise en œuvre des

soins de santé qui lui sont destinés. C’est

Les troubles mentaux touchent des centaines de millions de personnes. Lorsqu’ils ne sont pas traités, ces troubles engendrent un énorme tribut de souffrances, d’invalidité et de perte économique. Pourtant, malgré le potentiel de traiter avec succès les troubles mentaux, seule une petite minorité de ceux qui en ont besoin reçoivent le traitement le plus élémentaire. L’intégration des services de santé mentale dans les soins primaires est le moyen le plus viable de réduire l’écart de traitement et s’assurer que les personnes présentant un problème de santé mentale reçoivent les soins dont elles ont besoin. Dès 2001, l’Organisation Mondiale de la Santé a recommandé d’intégrer le traitement des troubles mentaux au niveau des soins primaires. Le principe général des actions de l’OMS est « penser global et agir local ». Depuis, l’OMS a produit des outils et des guides afin d’accompagner et orienter les pays pour intégrer les soins des troubles mentaux à un système de soins primaires holistique, centré sur la personne. Nous ferons référence dans cet article aux principaux textes fondateurs de l’OMS structurant les orientations de sa politique de santé mentale, qui est basée sur les trois concepts suivants : l’empowerment, le rétablissement et la citoyenneté. Le cadre conceptuel de la mise en place de ces trois concepts est la santé mentale communautaire. Nous illustrerons ces orientations politiques par l’exemple concret de services de santé mentale intégrés dans la banlieue est de Lille.

Mots-clefs : intégration, soins primaires, empowerment, rétablissement, citoyenneté, santé mentale communautaire

Recovery, power to act and citizenship Recommendations of the World Health Organization to the implementation in France

Mental disorders affect hundreds of millions of people. When not treated, these disorders create an enormous toll of suffering, disability and economic loss. Yet despite the potential to treat mental disorders with success, only a small minority of those in need receive the most basic treatment. Integrating mental health services into primary care is the most viable way to reduce the treatment gap and ensure that people with mental health problems receive the care they need. In 2001, the World Health Organization has recommended to integrate the treatment of mental disorders in primary care. The general principle of the WHO action is "think global and act local". Since then, WHO has produced tools and guides to accompany and guide countries to integrate the care of mental disorders in a holistic primary care system, centered on the person. We will refer in this article the main founding texts of the structuring WHO guidelines for mental health policy, which is based on three concepts: empowerment, recovery and citizenship. The conceptual framework of the implementation of these three concepts is the community mental health. We illustrate these policy orientations by the concrete example of mental health services integrated in the suburbs of Lille.

Keywords: integration, primary care, empowerment, recovery, citizenship, community mental health

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 26

un changement radical parce qu’aupara-

vant, c’était la relation médecin-malade,

système de soins-malade. Le malade était

passif et le système de soins actif. Ce

changement, on le situe généralement à

partir de l’épidémie de Sida.

En fait, pas du tout.

Il a eu lieu dès 78, quand l’ensemble des

pays s’est réuni lors de la conférence

d’Alma-Ata et a déclaré que les pro-

blèmes de santé étaient l’affaire de tout le

monde. C’est l’affaire de tout le monde.

C’est l’affaire de chacun d’entre nous

pour sa santé. Nous avons tous des pro-

blèmes de santé, nous les prenons en

charge. On doit faire attention à sa santé.

Mais c’est aussi une affaire collective.

L’Organisation Mondiale de la Santé ne

dit pas que c’est une affaire individuelle

uniquement. Elle dit que les États, en tant

que tels, doivent prendre en compte majo-

ritairement l’état de santé de leur popula-

tion.

La charte d’Ottawa va compléter la décla-

ration d’Alma-Ata. Cette charte, c’est la

promotion de la santé, qui a pour but de

donner aux individus davantage de maî-

trise sur leur propre santé et davantage de

moyens de l’améliorer. La santé est une

ressource de la vie quotidienne. Cela doit

être conçu comme tel, et cela doit être

promu. C’est un concept positif qui va se

baser sur les ressources sociales person-

nelles et les capacités physiques.

Les déclinaisons de la déclaration d’Alma-Ata et de la Charte d’Ottawa

pour la santé mentale

Parmi les conditions indispensables à la

santé, très peu dépendent du système de

soins. Ici, vous êtes quasiment tous des

agents du système de soins, votre part

dans la santé représente peut-être 10 ou

15 %.

La première condition, c’est de pouvoir se

loger. L’espérance de vie des SDF est

drastique. Les personnes qui vivent dans

la rue meurent beaucoup plus tôt : 45, 50

ans dans nos pays, bien moins dans

d’autres pays. Il faut également pouvoir

accéder à l’éducation : pas de santé sans

éducation. Il faut pouvoir se nourrir con-

venablement. Avec l’Organisation Mon-

diale de la Santé, on travaille avec des

pays où le problème de l’alimentation est

un problème récurrent. Je vous assure

qu’il n’est pas facile pour les gens, quand

ils ne se nourrissent pas convenablement,

d’avoir accès aux soins de santé. Il faut

pouvoir disposer d’un certain revenu ;

c’est vrai pour tout le monde, c’est vrai en

France aussi. Il faut bénéficier d’un éco-

système stable. Vous voyez ce qui se

passe en Syrie, je pense que les problèmes

de santé mentale et de santé physique sont

considérables. Il faut enfin pouvoir comp-

ter sur un apport durable de ressources et

avoir droit à la justice sociale.

Vous voyez là tous les préalables qui con-

ditionnent une bonne santé.

Par rapport à cela, quels ont été les plans

de santé mentale de l’Organisation Mon-

diale de la Santé ? Je ne vais pas tous les

reprendre, il y en a un certain nombre, je

vais reprendre les derniers : le plan de

2013, qui a été adopté à l’Assemblée

mondiale de la santé et le plan européen

qui a suivi.

L’Organisation Mondiale de la Santé dis-

tingue six régions dans le monde, et nous

faisons partie de la région Europe (soit

cinquante-deux pays, et pas uniquement

les vingt-huit de la Commission Euro-

péenne, mais aussi l’Azerbaïdjan, la Tur-

quie, et Israël qui est rattaché à l’Europe,

on ne sait pas pourquoi).

Dans son plan global, l’Organisation

Mondiale de la Santé développe une vi-

sion, la vision de tous les États. C’est un

monde où la santé mentale serait promue

véritablement, mise en valeur, protégée,

où les troubles mentaux seraient recon-

nus. En effet, une quantité de sociétés ne

reconnaissent pas les troubles mentaux, et

même dans la nôtre, parfois, on entend

dire : « Oh, ils le font exprès ». C’est un

vrai problème, que nous allons dévelop-

per par la suite.

Les personnes affectées par ce type de

troubles sont capables d’exercer tous

leurs droits humains ; et le problème, en

psychiatrie et en santé mentale, est essen-

tiellement celui des droits. Concrètement,

pour les personnes hospitalisées actuelle-

ment dans le monde, parfois dans des si-

tuations catastrophiques, mais en France

aussi (contention, isolement et compa-

gnie), quels sont véritablement leurs

droits ? Quels sont les droits des ci-

toyens ?

C’est, pour ce qui nous concerne, un accès

à des soins, à des services sociaux de qua-

lité et culturellement appropriés (il ne

s’agit pas d’importer des thérapies qui ne

sont pas culturellement appropriées à un

État, cela ne marchera jamais) à des per-

sonnes dans le but de promouvoir le réta-

blissement.

C’est la première fois que l’Organisation

Mondiale de la Santé utilise le mot « re-

covery » en anglais, donc « rétablisse-

ment ». Il va changer toute la donne en

santé mentale et en psychiatrie : essayer

d’atteindre le plus haut niveau possible de

santé, de participation complète à la so-

ciété, au monde du travail, libre de toute

stigmatisation et discrimination.

Quand on sait la stigmatisation, la discri-

mination liées aux personnes qui ont des

troubles mentaux, cette vision n’est pas

acquise et elle le sera à la fin du plan. Il

faudra encore attendre des siècles avant

que cela aille un peu mieux.

Donc, les principes transversaux sont les

soins universels pour tout le monde et par-

tout, les droits de l’homme, les pratiques

basées sur les preuves (ne pas faire n’im-

porte quoi), une approche tout au long de

la vie.

Dans la plupart des cas de troubles de

santé mentale, 50 % des troubles des

adultes ont commencé avant l’âge de

quinze ans. Ce sont des chiffres interna-

tionaux. Si vous ne prenez pas les choses

tout au long de la vie, vous risquez de ne

pas comprendre, en saucissonnant les

gens en tranches d’âge.

Il faut également une approche multisec-

torielle, parce que si quelqu’un n’a pas de

logement, vous aurez du mal à soigner sa

santé mentale.

Il faut donc une véritable approche avec

tous les domaines de la société.

Enfin, il faut se baser sur le pouvoir d’agir

des personnes. C’est le pouvoir d’agir des

personnes, qui effectivement doivent don-

ner leur opinion sur les soins qu’elles re-

çoivent, sur l’organisation des soins, et

doivent être intégrées dans les systèmes

d’organisation des soins.

Le plan d’action européen sur la santé

mentale va reprendre tout cela, en insis-

tant, en Europe, sur la question de la santé

physique des personnes qui ont des

troubles psychiques, puisqu’il existe un

fossé de vingt ans de différence d’espé-

rance de vie pour les hommes qui ont des

problèmes de santé mentale et de quinze

ans pour les femmes. Cette situation est

scandaleuse à plus d’un titre, elle n’a ja-

mais été abordée frontalement, et l’Orga-

nisation Mondiale de la Santé demande

actuellement que tous les États l’abordent.

C’est repris actuellement dans les plans

mis en place en France.

Le bureau régional va décliner tout cela.

Ce sont les cinquante-deux pays. Le péri-

mètre, c’est le bien-être, les droits et les

services. Les déterminants du bien-être,

comme je vous l’ai dit auparavant, cela re-

couvre beaucoup d’aspects en dehors des

soins : la petite enfance, l’école, l’emploi,

le statut social, le revenu, les relations, le

milieu, les groupes, les minorités.

Une série d’études épidémiologiques ont

été menées en Europe de l’Ouest.

Les gens de l’Europe du Nord et les An-

glais sont très pointus dans ce domaine et

leurs études montrent que, y compris dans

nos pays, le fossé est considérable entre

les gens qui ont des troubles et les gens

qui se soignent. Par exemple, pour la dé-

pression majeure et sévère, 45 % des gens

ne se soignent pas. Pour l’alcoolisme, en

France, c’est 92 %. Pour les cas de psy-

chose, c’est beaucoup moins en Europe de

l’Ouest, mais en Europe de l’Est, c’est

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Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 27

beaucoup plus important. En Afrique, on

est à des taux de 80 % de gens qui ne se

soignent pas. Et pour les troubles bipo-

laires, malgré les évolutions, encore 40 %

des gens ne se soignent pas. Ensuite,

quand les gens commencent un traite-

ment, 25 % ne viennent pas et 25 % se dé-

sengagent dès la première ou deuxième

visite.

Vous le voyez dans vos statistiques tous

les jours dans les hôpitaux, dans les files

actives.

Quels sont donc les objectifs ?

Le projet de vie

L’égalité et la possibilité de bien-être

mental à travers le projet de vie pour les

plus vulnérables (ce sont toutes les

équipes EMPP) est le premier.

La crise économique a fait augmenter

d’une manière importante le nombre de

tentatives de suicide et les suicides, ainsi

que les personnes ayant des problèmes de

troubles de santé mentale. Moins en

France qu’ailleurs tout de même ; à croire

que le système de protection sociale a été

plus amortisseur ici qu’ailleurs.

Vingt-cinq ans plus tôt, il n’y en avait pas

ou très peu de “SDF”, il s’agissait de

quelques clochards que l’on connaissait

tous. Ce phénomène a pris beaucoup

d’ampleur dans nos sociétés occidentales.

La citoyenneté

Les personnes avec problème(s) de santé

mentale sont des citoyens et leurs droits

humains sont mis en valeur, protégés et

promus. Cela, ce sont les asiles tels qu’on

les a connus, tels qu’ils existent encore.

J’ai appris que la mise en pyjama était une

pratique assez courante en France et ail-

leurs. Des gens qui devaient rester tout le

temps en pyjama, ce sont des atteintes à la

liberté, au respect des droits, au respect

des hommes. Quant aux histoires de con-

tention, d’isolement, ce sont des catas-

trophes. J’ai connu des périodes où cela

n’existait plus. Dans certains endroits,

cela n’existe d’ailleurs toujours pas. En

revanche, cela a fleuri en France.

Quant aux signataires de la convention

des droits des personnes handicapées,

comme vous le voyez, ce n’est pas encore

tout le monde. Cette convention est vrai-

ment bien faite, je vous conseille de la

lire, elle figure sur le site de l’Organisa-

tion Mondiale de la Santé.

L’accessibilité

La troisième condition, ce sont des ser-

vices de santé mentale accessibles. En

Turquie, il a été décidé voici quatre ans,

pour se mettre aux normes européennes,

de fermer les hôpitaux psychiatriques et

de rapatrier tous les services dans les

villes et dans les services d’hôpitaux gé-

néraux. Ils sont venus en France pour ob-

server comment fonctionnait le secteur et

ils ont découvert la psychiatrie de secteur,

la psychiatrie intégrée dans la commu-

nauté.

La fameuse pyramide de l’Organisation

Mondiale de la Santé, c’est intéressant.

En bas de la pyramide, c’est l’importance

des besoins de soins et services de soins.

On y retrouve le self care, les soins infor-

mels dans la communauté. Le self care si-

gnifie comment on prend soin de sa santé.

Les soins informels, c’est tout ce qui n’est

pas lié aux services de soins.

Ensuite, la pyramide diminue un peu,

c’est-à-dire qu’on a moins recours à la

médecine générale.

Puis on arrive aux services de psychiatrie,

ambulatoires et hospitaliers. Chez nous,

ils sont encore reliés, j’espère pour un cer-

tain temps.

Ensuite, viennent les services de long sé-

jour, qui coûtent très cher mais qui con-

cernent très, très peu de personnes.

Donc, quand vous êtes en santé mentale,

vous êtes en bas de la pyramide. Si vous

mettez un système qui est basé unique-

ment sur la psychiatrie, vous mettez la py-

ramide à l’envers. Cela devient un sys-

tème extrêmement coûteux et inefficace.

Donc, il faut remettre la pyramide à l’en-

droit, prendre les déci-sions quant aux be-

soins de soins tels qu’ils se manifestent

dans la société.

Si l’on reprend la définition du self care,

c’est l’ensemble des soins non dispensés

par les professionnels de santé. Le self

help, c’est le style de vie adopté pour pré-

server la santé (vous avez les groupes de

soutien, d’entraide, les GEM), les mouve-

ments d’émancipation des patients. Puis,

vient la trilogie qui va fonder la pair-ai-

dance. Les pair-aidants, des médiateurs de

santé, c’est une expérimentation qui a eu

lieu en France et dans bien d’autres pays.

Elle se base sur le self care, le self help et

les valorisations des acquis expérientiels.

Cela signifie que tout patient a une con-

naissance de sa maladie, que sa connais-

sance lui est propre, et que la connais-

sance de sa maladie par le patient doit être

prise en compte par le système hospita-

lier.

Reprenons le modèle du XXème siècle :

vous aviez un gros hôpital, un peu de

santé primaire, ambulatoire, quelques in-

firmiers psychiatriques qui allaient faire

des visites à domicile.

Au XXIème siècle, véritablement, on est

dans un système de réseau de soins. On

parle de parcours de soins et autres, mais

vous avez des systèmes avec des équipes

mobiles, des soins à domicile, un système

intégré dans la communauté, intégré avec

la médecine générale, qui tiennent compte

du self care, du self help. C’est ce qu’ont

mis en place les Anglais, qui nous ont dé-

passés de vingt ans depuis quelque temps,

et j’en suis tout à fait désolé en tant que

Français, d’ailleurs, pour des raisons di-

verses et variées. C’est ce que nous es-

sayons donc de mettre en place avec un

peu de retard.

Vous avez la déclaration de l’Organisa-

tion Mondiale de la Santé sur l’empower-

ment en santé mentale. Un groupe a tra-

vaillé avec les associations européennes

de familles et de patients sur l’empower-

ment dans la santé mentale, et il a produit

ce document que je vous conseille de lire,

qui est vraiment très intéressant et qui

donne une série d’orientations sur l’em-

powerment.

Respect, efficacité, sécurité

Quatrième objectif : les personnes ont

droit à un traitement respectueux, effi-

cace, garantissant la sécurité.

Cela concerne tout ce qui est médicamen-

teux ou autre, c’est le respect des doses,

notamment. Il existe maintenant des co-

mités de retours d’expérience dans les hô-

pitaux, où l’on fait attention aux erreurs

médicamenteuses, mais il faut bien savoir

aussi que les pratiques de soins doivent

être efficaces et sûres. On ne peut pas don-

ner n’importe quoi aux gens, il faut être

vraiment à des doses minimales de traite-

ment pour qu’ils se portent bien et il faut

toujours faire attention aux effets secon-

daires. C’est l’objet de toutes les recom-

mandations.

Dans notre pays, ainsi qu’en Suisse, en

Belgique, au Luxembourg, ces recom-

mandations existent, mais pas dans cer-

tains pays, et dans ce cas, on ignore ce que

les gens prennent comme médicaments.

Ensuite, vient l’intersectorialité : bien se

coordonner avec les autres secteurs, ce

que nous avons mis en place en France

avec les Conseils locaux de santé mentale.

La santé somatique

L’objectif cinq, c’était la santé somatique,

mais je vous en ai parlé.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 28

La gouvernance

Elle est organisée à partir de bonnes infor-

mations et connaissances.

L’Organisation Mondiale de la Santé a

diffusé aux 195 pays une demande pour

savoir précisément, dans chaque pays,

quelles étaient les sommes allouées à la

santé mentale, comment elles étaient al-

louées, ce qui allait aux patients, etc. Très

peu de pays ont pu répondre à tout. Même

en France, on n’a pas pu répondre à tout ;

nous avons pourtant des données en quan-

tité, mais elles ne sont pas utilisables pour

obtenir des comparatifs. Or, si nous vou-

lons que la santé mentale progresse dans

le monde, il faut que nous ayons des don-

nées stables, mondiales, et que nous exa-

minions d’année en année comment cela

progresse. Or, nous n’avons pas cela,

même en France.

Les priorités pour l’Organisation Mon-

diale de la Santé Europe, ce sont les op-

portunités associées à la pleine citoyen-

neté, égale à celle des autres personnes.

Quand on a des troubles mentaux (nous

sommes un certain nombre à en avoir eu),

on n’a pas une diminution de sa citoyen-

neté, et heureusement ; mais dans bien des

cas, dans le monde, lorsque l’on souffre

de troubles mentaux, on peut avoir une di-

minution de citoyenneté.

- Tenir compte des ajustements néces-

saires pour compenser les handicaps :

sur ce point, les lois françaises sur la

compensation du handicap sont bien

faites. Il reste à les appliquer, mais elles

sont relativement bien faites.

- Participer à la conception, à la mise en

œuvre et le suivi de l’évaluation des po-

litiques et services de santé mentale :

c’est vraiment important, il faut que les

usagers y participent. Ce sont eux qui de-

vraient être majoritaires dans les conseils

de surveillance, ils devraient être dans

les CME, ils devraient être un peu par-

tout.

- Rendre possible la mobilisation des re-

présentants des patients et des familles

avec le soutien financier (qui n’est ja-

mais suffisant), et impliquer les utilisa-

teurs et les familles dans l’amélioration

de la qualité. A L’Etablissement Public

de Santé Mentale Lille-Métropole à Ar-

mentières (je fais encore un peu partie de

cet établissement), toute la certification

s’est faite avec les représentants d’usa-

gers et de familles, qui étaient constam-

ment présents et ont donné leur point de

vue au fur et à mesure sur la manière

dont nous donnions les soins.

L’empowerment en santé mentale

L’empowerment fait référence au niveau

de choix et de contrôle que les usagers

peuvent exercer sur les événements de

leur vie. La clé de l’empowerment est la

modification des barrières informelles et

la transformation des relations de pouvoir

entre individus, communautés, services et

gouvernements. Faire donner du pouvoir

aux patients.

L’empowerment est complètement au

cœur de la vision de la promotion de la

santé prônée par l’Organisation Mondiale

de la Santé. Quand je dis « prônée par

l’Organisation Mondiale de la Santé »,

cela signifie prônée par tous les pays.

C’est le niveau de choix, de décision,

d’influence et de contrôle que les usagers

et services de santé mentale peuvent exer-

cer sur les événements de vie. J’ai déjà dit

que c’est une transformation des rapports

de force.

L’empowerment a commencé avec un

certain nombre de luttes.

C’est un mot qui vient d’abord des luttes

des femmes pour leurs droits et qui a été

repris par les Afro-Américains victimes

d’oppression (cela a été bien été étudié par

Salomon en 1976).

C’est le respect de la dignité, c’est l’infor-

mation partagée, la possibilité d’avoir ac-

cès aux informations. Les patients ont ac-

cès directement au dossier médical dans

les hôpitaux de jour. Ils peuvent regarder

un dossier médical. Cela se fait également

en médecine générale, où vous pouvez re-

garder votre dossier.

- La participation : est-ce qu’ils décident

de la manière dont ils sont soignés, dont

sont organisés les services ?

- Le soutien mutuel, l’entraide mutuelle.

- L’autodétermination : je fais ce que je

veux quand je veux, si je veux.

- Et l’autogestion (on en est loin) indivi-

duelle et collective, donc la promotion

de la santé.

Cela a été les domaines généraux des

luttes pour les droits des minorités. Il est

vrai que les femmes ne sont pas une mi-

norité mais bien plutôt une majorité, mais

considérée comme une minorité en termes

de droits, raison pour laquelle elles se

considéraient comme minoritaires.

Ensuite, dans le domaine de la santé, c’est

surtout le Sida qui a transformé les rap-

ports entre les soignants et les soignés,

très nettement, ce qui a donné les lois de

2002 chez nous, et qui a transformé tout

le système de santé dans le monde.

Le savoir médical n’est pas absolu, il ne

remplace pas le savoir expérientiel. En ce

qui concerne la défense des droits des ma-

lades, il y a eu une quantité de dysfonc-

tionnements, mais nous avons fini par

avoir la loi sur les class-actions, ici en

France. L’histoire du Mediator est un

scandale, mais il y en a eu d’autres.

La lutte contre les exclusions qui en dé-

coulent et l’autoformation, des soins plus

démocratiques, c’est vraiment ce qui a été

demandé.

L’association européenne d’usagers a

produit la déclaration de Bucarest pour

une meilleure santé et une meilleure vie,

qui reflète vraiment le système d’empo-

werment.

Une réunion s’est tenue à Lille avec l’Or-

ganisation Mondiale de la Santé Europe et

la Commission européenne, au cours de

laquelle 21 recommandations d’empo-

werment ont été faites avec 400 per-

sonnes, dont 150 représentants d’associa-

tions d’usagers et de familles euro-

péennes. Nous avons conçu quelles de-

vaient en être les définitions. Il y a trois

grands thèmes :

- La défense des droits fondamentaux,

c’est important, ainsi que l’assistance lé-

gale et juridique. Depuis cette réunion,

dans notre hôpital, dès que quelqu’un ar-

rive sous régime de contrainte, il peut

voir un avocat, qu’on lui fournit en plus

de son avocat, parce que ce dernier n’est

pas toujours au point. Cela permet de ga-

rantir l’accès des soins de santé mentale

en prison, et, évidemment, de limiter les

pratiques de soins sous contrainte. C’est

une demande générale. Les pratiques de

soins sous contrainte vont de 1 à 50 en

proportion des secteurs en France. On ne

me fera pas croire qu’il y a cinquante fois

plus de gens à mettre sous contrainte à

un endroit qu’à un autre ; ce sont, nette-

ment, des différences de pratique médi-

cale.

- La participation à l’organisation,

l’évaluation des soins. Il est vraiment

important qu’il y ait des commissions

des usagers dans les hôpitaux, des com-

missions des usagers dans les secteurs,

qui puissent participer aux conseils de

pôle, qui puissent être acteurs, ainsi

qu’une organisation de forums des usa-

gers si c’est nécessaire, et le développe-

ment des réseaux d’entraide mutuelle

entre eux.

- L’information et la communication,

qui sont essentielles car on ne peut pas

avoir de santé sans information et com-

munication.

Dans dix ou vingt ans, nous n’en serons

plus où nous en sommes actuellement

dans le domaine de la santé avec le déve-

loppement de la e-santé, y compris la e-

santé mentale. Tout notre dispositif psy-

chique d’organisation des soins devra

évoluer de manière considérable.

Le rétablissement

Pour terminer, cette définition fait à peu

près consensus : le rétablissement est un

processus fondamentalement personnel

(c’est-à-dire : mon rétablissement à moi,

ce n’est pas celui du voisin), unique, qui

vise à changer les attitudes, les valeurs,

ses sentiments, ses objectifs, ses aptitudes

et ses rôles.

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Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 29

Quand on a eu une maladie grave ou une

maladie chronique, des choses se modi-

fient en soi, et après, il faut se réappro-

prier sa manière de vivre. La question

n’est pas de savoir si l’on est guéri ou pas,

on est dans le rétablissement, en sachant

que le mot « recovery » n’est pas tout à

fait équivalent à « rétablissement » ; c’est

le processus de guérison, c’est un proces-

sus plus qu’un rétablissement qui se-

rait « Retomber sur ses pieds comme

avant ».

Mais ce n’est jamais comme avant.

Quand vous avez traversé un tel épisode

dans votre vie, ce n’est jamais ainsi. C’est

un moyen de vivre une vie satisfaisante,

remplie d’espoir, et productive malgré les

limites résultant de la maladie. C’est-à-

dire que l’on peut être malade et rétabli.

On peut être malade et en bien-être. Et on

peut ne pas être malade et être très mal. Il

faut réussir à modifier toutes ces concep-

tions traditionnelles habituelles, cela aura

des changements considérables dans vos

pratiques au jour le jour avec les patients.

Cela permet aussi de dire que toutes les

personnes peuvent réussir leur vie et avoir

des aspirations, comme tout un chacun,

malgré la maladie.

Sans refaire l’historique, cela a com-

mencé avec les malades alcooliques. On

est passé d’une vision très négative à une

vision un peu plus positive. La maladie a

été considérée très longtemps comme

quelque chose de négatif. Essayez de dire

à quelqu’un qu’il a une schizophrénie, par

exemple, vous allez voir. Il faudrait trou-

ver des mots qui donnent l’espoir, sinon

ce sera un peu compliqué.

Cela a entraîné un changement de para-

digme, que j’ai connu ; étant un vieux

psychiatre, j’ai connu une transformation

des services, qui étaient centrés unique-

ment sur le pouvoir sur la personne (la

personne devait rentrer dans un pavillon,

tout était fermé, elle ne pouvait rien faire)

à un changement de paradigme permet-

tant de s’orienter beaucoup plus sur le ré-

veil du pouvoir de la personne. A nous,

professionnels, de nous adapter à la per-

sonne, complètement ; il s’agit non pas

d’essayer de faire rentrer les gens dans des

structures, mais d’offrir des services aux

personnes, des services de soins, des ser-

vices sociaux.

C’est Marianne Farkas, de Boston, qui a

montré la situation en Albanie, à la fin du

soviétisme.

Vous avez bien vu que l’Union soviétique

avait inventé les hôpitaux de jour, mais

enfin bon... Ici, c’est la même personne, à

l’hôpital, après avoir travaillé avec elle

sur son rétablissement, l’avoir mise dans

un système à peu près normal. Donc, il

suffit de transformer les équipes, transfor-

mer la vision des choses, transformer les

structures, pour avoir une transformation

des personnes.

La citoyenneté

Tout cela pour en arriver à la citoyenneté.

Nous sommes tous citoyens, nous avons

tous le droit de vote, nous sommes recon-

nus comme membres d’une cité ou d’un

État. Cela implique la reconnaissance des

droits civils, des devoirs, et aussi d’avoir

un rôle dans la société (démocratie, accès

à l’État et autre). La pleine citoyenneté est

le principe directeur de tout cela.

C’est le principe actif du rétablissement :

non seulement de maintenir des gens dans

la communauté, mais faire en sorte qu’ils

soient de la communauté comme tout le

monde. On ne dit pas : « Un malade men-

tal, on va le réinsérer dans la cité. » C’est

quelqu’un qui vient de la cité, donc on es-

saie de trouver comment il peut continuer

à y vivre.

Le fait de la communauté implique des re-

lations de réciprocité entre concitoyens.

C’est surtout Larry Davidson, avec tous

les chercheurs de Yale, qui a développé

cela. J’ai eu la chance de travailler un peu

avec lui. C’est assez extraordinaire si vous

regardez tout ce qui a été écrit. Larry Da-

vidson dit lui-même qu’il a eu une dépres-

sion sévère, dont il est sorti, et il a remis

en place tout un service de recherche à

Yale avec des patients chercheurs.

Ces notions de rétablissement, pouvoir

d’agir et citoyenneté sont évidemment

très liées.

La santé mentale communautaire

L’outil de tout cela, c’est la santé mentale

communautaire. C’est important, mais

c’est un peu ce que le secteur a loupé

parce que le secteur est parti de l’hôpital

et il a essaimé dans la ville.

On parle de santé communautaire quand

les membres d’une collectivité géogra-

phique sociale réfléchissent en commun

sur leurs problèmes de santé.

En Suisse, une petite ville à côté de Ge-

nève est un exemple international (San-

drine Motamed a énormément publié à ce

sujet), où les habitants ont pris en compte

leurs problèmes collectifs de santé. Ils ex-

priment les besoins prioritaires et ils ont

eu le droit de prendre des décisions. Par le

système suisse, il leur est possible de

prendre des décisions adéquates à leur

santé, y compris dans l’urbanisme et dans

le fait d’avoir des personnes de différents

âges et de différentes classes sociales vi-

vant ensemble.

Donc, ils font participer activement à la

mise en place et au déroulement des acti-

vités les plus aptes à répondre à ces prio-

rités.

L’AUTEUR

Jean-Luc RŒLANDT Psychiatre

CCOMS 211, rue Roger Salengro 59260 Hellemmes France

[email protected]

BIBLIOGRAPHIE

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 30

L’institut Renaudot, en France, dispense

une série de formations sur ce thème, je

vous le recommande si vous avez le temps

dans vos formations. Vous pourrez vous

former à la santé communautaire. C’est

extrêmement intéressant et participatif.

Cela a donné aussi les ateliers Santé et

Ville, dans les communes, pour les quar-

tiers en difficulté dans le cadre de la poli-

tique de la ville, qui va créer par la suite,

à travers les ateliers Santé et Ville, les

conseils locaux de santé mentale qui se

développent maintenant partout en

France.

Une application pratique des prin-cipes de l’OMS en France : expé-

rience de psychiatrie citoyenne dans la banlieue Est de Lille

En ce qui concerne l’application pratique

en France, je vais essayer de vous parler

un peu de mon expérience. Comment

avons-nous essayé de mettre cela en ap-

plication concrètement ?

En France, la loi du 4 mars 2002 a modifié

considérablement les rapports entre pa-

tients et les services de soins, et donc,

l’accès à la prévention, l’information sur

les maladies, l’éducation thérapeutique et

les droits. Cela a constitué un changement

considérable, qui est encore en cours. Il

faudra des décennies pour qu’il soit com-

plètement effectif.

En outre, la loi du 11 février 2005 a créé

les GEM (les Groupements d’entraide

mutuelle), qui sont au nombre de 380 en

France maintenant, et prône l’égalité des

droits et des chances, la participation et la

citoyenneté des personnes en situation de

handicap.

Les principes

Les principes que nous avons mis en place

sur la psychiatrie citoyenne sont les sui-

vants :

- Le premier, c’est de ne pas avoir de

partenaire mais d’être partenaire. Les

mairies ont mis en place un conseil local

de santé, avec les usagers, le service de

santé et la psychiatrie.

- L’hospitalisation alternative aux soins

dans la communauté : sur ce secteur,

75 % du personnel est en ville et 25 % à

l’hôpital. Donc, l’hôpital est une alterna-

tive aux soins communautaires, très clai-

rement, avec des équipes mobiles un peu

partout.

- L’insertion à la porte du patient : vous

avez pu observer que lorsque les patients

viennent vers le système de soins, une

fois sur quatre, ils ne viennent qu’une

fois et ils arrêtent le traitement. Donc, si

vous n’allez pas vers les patients, si vous

ne bougez pas, si vous n’êtes pas à la

porte pour les accompagner, cela ne ser-

vira pas à grand-chose. C’est là qu’inter-

viennent les équipes mobiles. On a vu la

création des équipes mobiles en Angle-

terre, développées en France, sur toute la

Belgique (c’est l’expérience 107), et vé-

ritablement, c’est d’une efficacité ex-

traordinaire.

- L’autonomisation des usagers, c’est le

quatrième point : rien à propos de nous

sans nous. Ce sont les GEM, les média-

teurs de santé pairs.

On est passé en quarante ans de trois cents

lits en pavillon fermé en pyjama avec de

la contention à dix lits à l’hôpital général

entièrement ouvert, sans salle d’isolement

et autre. Il n’y avait qu’une contention par

an, qui est une catastrophe nationale. On

en est là. Tout cela parce que l’offre de

soins était complètement variée et organi-

sée dans la cité avec la cité.

L’accès aux soins immédiat pour tous

Nous avons passé un accord avec les mé-

decins généralistes. Nous leur avons dit :

« Maintenant, nous ne recevons plus un

patient s’il n’est pas envoyé par vous. »

En effet, les médecins traitants peuvent

prendre en charge un grand nombre de pa-

tients, et ils le font déjà.

Un grand nombre de personnes ne se tour-

nent pas vers le système de psychiatrie, et

pour un grand nombre d’entre elles, ce

n’est en effet pas nécessaire. C’est le self

help, le self care, et le médecin généraliste

suffit. Ces personnes vont voir le médecin

traitant ; soit il peut les prendre en charge,

soit il trouve ses réseaux. Les personnes

pour lesquelles c’est trop lourd, il nous les

envoie. Nous avons mis les infirmières en

première ligne, les fameuses pratiques

avancées, avec délégation de tâches et de

compétences. Nous voyons tout le monde

en moins de quarante-huit heures de ma-

nière systématique parce que plus vous at-

tendez, moins il y a d’accès aux soins,

plus les choses s’aggravent et plus vous

risquez de retrouver ces patients à l’hôpi-

tal. Le système fonctionne donc ainsi,

avec l’ISO pour bien vérifier.

Nous proposons donc un accueil infirmier

en moins de quarante-huit heures. Les in-

firmiers cliniciens sont excellents. J’avais

vu cela en Mauritanie, on comptait deux

psychiatres et trois infirmiers pour trois

millions d’habitants. Les infirmiers fai-

saient tout. J’ai fait venir les infirmiers

mauritaniens pour former les infirmiers

français en leur disant : « Vous êtes

bac+3, vous pouvez faire beaucoup plus

qu’eux. » Et nous avons mis en place les

pratiques avancées.

Lieux de soins psychiatriques

S’agissant des lieux de soins psychia-

triques intégrés, on essaye de fermer les

CMP et les hôpitaux de jour, qui sont des

émanations de l’hôpital psychiatrique. Il

faut parvenir à s’intégrer complètement

dans la cité. Il faut réussir à faire en sorte

que les activités aient lieu dans les centres

d’activité, que les dispenses de soins aient

lieu dans les cabinets de médecine géné-

rale, que l’on aille avec les infirmiers li-

béraux. On y arrive peu à peu, on s’est im-

planté dans la structure de la cité. On a

fermé l’hôpital de jour, qui a bien été utile

pendant vingt ans. On a dit : « Non, c’est

terminé, les groupes de malades s’en-

nuient trop, on va fermer. »

La disponibilité, la flexibilité, on a trans-

formé tout cela en équipes mobiles. Tout

notre dispositif a été transformé en

équipes organisées, avec deux types

d’équipes mobiles : des équipes mobiles

de crise, des équipes mobiles d’interven-

tion à domicile, de soins aigus (sachant

que les patients restent très peu à l’hôpital

parce qu’ils sont suivis quinze jours à do-

micile avec tout le dispositif de soins). On

prend le virage ambulatoire un peu par-

tout.

Les familles d’accueil

C’est le modèle de Madison aux États-

Unis, où on a vu des familles de crise.

C’est un peu compliqué chez nous. Aux

États-Unis, ils sont dans des ranches, ils

sont armés. On ne pouvait pas faire cela

chez nous.

On a créé des familles “aiguës” pour les

personnes ne pouvant pas rentrer chez

elles en raison de problèmes familiaux.

Auparavant, ces personnes étaient obli-

gées de rester à l’hôpital. Nous avons ré-

glé ce problème avec des familles d’ac-

cueil : les personnes restent trois semaines

dans la famille d’accueil, et tournent.

Comme à l’hôpital.

Le service hospitalier

En ce qui concerne le service hospitalier,

nous tenons bon sur les droits, avec des

forums organisés par les usagers eux-

mêmes dans le service pour savoir com-

ment apporter des améliorations à chaque

fois qu’une difficulté se présente, et faire

rentrer l’extérieur. Les familles y ont ac-

cès, nous avons installé des lits pour elles

afin qu’elles puissent rester avec leur pa-

tient. Je passe sur les contrats de soins et

les alternatives.

L’empowerment

Pour les actions d’empowerment, nous

avons intégré les médiateurs de santé

pairs, c’est une expérience que nous avons

menée au centre collaborateur nationale-

ment. Ce fut une aventure.

Je pense qu’en Suisse, ils ont attendu un

peu, mais le système des médiateurs est en

route. Je pense qu’il en sera ainsi dans le

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Rétablissement, pouvoir d’agir et citoyenneté : des recommandations de l’OMS à l’application en France

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 31

monde entier. Je peux vous dire qu’en

France, cela a bien résisté. Mais ceci dit,

quel bonheur d’intégrer des gens dans les

équipes en médiation ayant une expé-

rience de savoir expérientiel. Ils sont d’un

apport aux équipes qui est vraiment inté-

ressant. C’était une pièce manquante. Je

pense que plus il y a de compétences dans

les équipes et mieux cela vaut. On ne reste

pas dans l’entre soi. C’est donc vraiment

un point positif.

On les utilise pour l’éducation thérapeu-

tique aussi. Il existe deux GEM gérés par

les usagers eux-mêmes : ils participent

aux conseils de pôle, conseils de service

et ils sont intégrés dans le dispositif à tous

les niveaux.

Les fiches d’information

Enfin, nous avons distribué des fiches

d’information dans tous les services sur la

manière de faire avec les maladies. Nous

essayons maintenant d’avoir des fiches

pour les patients sur la présentation des

médecins, des infirmiers, des psycho-

logues, leurs compétences, afin qu’ils sa-

chent à qui ils s’adressent quand ils ren-

contrent des professionnels.

Mais aussi…

Il existe encore beaucoup d’autres choses,

comme les forums usagers, qui ont lieu en

ville mais également à l’hôpital.

Nous avons créé les conseils locaux de

santé mentale. Il s’agit d’un ensemble ré-

unissant tous les services sociaux, les usa-

gers, les familles qui décident de la poli-

tique de santé mentale d’une zone.

J’ai entendu dire que les zones, pour la

concertation, ne devaient pas excéder 20

à 30 000 habitants. Il est vrai que j’ignore

comment nous nous en sortirions avec une

zone de plus de 100 000 habitants. La

proximité est importante. Cela permet la

mise en place d’observations en santé

mentale : nous avons une série de chiffres

et de données qui nous permettent l’obser-

vation en santé mentale, en France, ac-

tuellement, dans tous les quartiers. C’est

très précis.

L’accès et la continuité des soins, l’inclu-

sion sociale, permettent de participer à la

lutte contre la stigmatisation. Toutes les

mairies se sont mises à organiser les se-

maines d’information en santé mentale. Je

pense que partout où l’on met en place ce

dispositif, cela permet une sensibilisation

de la population. Et promouvoir la santé

mentale, bien sûr.

Ce sont donc des actions très concrètes.

Le point le plus spectaculaire réside dans

le fait que les mairies ont mis à disposition

de personnes souffrant de troubles psy-

chiques, 170 appartements en trente ans.

On a sorti tout le monde de l’hôpital. Nous

avons mis en place des équipes mobiles

pour suivre les patients, pour les habituer,

puis on les a sortis de l’hôpital. Avec

l’autogestion des patients, cela a fonc-

tionné tout seul. Cela intègre maintenant

les contrats locaux des villes

Il existe actuellement 120 conseils locaux

en France, et 200 sont en voie de création.

C’est exponentiel. Je pense que c’est une

vraie résurgence pour la psychiatrie fran-

çaise de secteur.

Les chiffres montrent que nous sommes

passés d’une manière radicale d’un sys-

tème centré sur l’hôpital, avec ses émana-

tions qu’étaient le secteur, les hôpitaux de

jour, etc., à un système centré sur la com-

munauté, avec une hospitalisation qui de-

vient un temps de passage très court

puisque les patients restent sept jours en

moyenne à l’hôpital.

Nous avons réglé le problème des patients

chroniques depuis longtemps puisque ces

patients vivent en ville avec leur établis-

sement et les systèmes autour d’eux. Le

système est passé essentiellement de jour-

nées d’hospitalisation à un système entiè-

rement ambulatoire.

60 000 actes ont été faits par l’équipe

alors qu’elle n’en faisait aucun quarante

ans plus tôt ! Le personnel exerce ses mis-

sions à 72,5 % hors de l’hospitalisation.

D’où la diminution drastique des hospita-

lisations. Cela se poursuit dans la durée,

avec une augmentation de plus en plus im-

portante des prises en charge communau-

taires.

En conclusion

L’Organisation Mondiale de la Santé, qui

représente 195 États, peut paraître à cer-

tains moments comme ayant des positions

avancées, mais elle ne fait que reprendre,

d’une certaine manière, ce qui existe un

peu partout dans le monde.

Nous avons parlé de la France, mais

l’Australie a un système beaucoup plus

avancé que le nôtre, sur tous les thèmes.

On peut trouver des approches et des pra-

tiques très intéressantes un peu partout

dans le monde.

En Belgique, une grande réforme est en

cours.

En Suisse, on en parle depuis longtemps,

mais je ne suis pas sûr qu’elle aura lieu !

Quoi qu’il en soit, ce changement de pa-

radigme fait que l’espoir et le rétablisse-

ment sont certainement dans le camp de la

santé mentale des patients et des équipes

dorénavant.

Page 32: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 32

Présentation d’Helix

Helix est l’hôpital de jour psychiatrique

de la clinique Saint Jean, situé au cœur de

Bruxelles. Notre service accueille des pa-

tients adultes en souffrance psychique

pouvant profiter d’un suivi thérapeutique

en groupe et où le lien à la parole est pos-

sible.

Les patients nous sont adressés par les ser-

vices psychiatriques des différents hôpi-

taux de la région bruxelloise, par des ser-

vices de santé mentale, par des psy-

chiatres ou des psychologues indépen-

dants, par leurs médecins généralistes.

Rarement le patient se présente de lui-

même.

Nous travaillons avec différentes patholo-

gies, parmi lesquelles nous retrouvons

principalement les psychoses, les troubles

de l’humeur, les troubles anxieux, les né-

vroses, les troubles de la personnalité, les

problématiques d’assuétude.

Le travail thérapeutique au sein de notre

service est basé sur des ateliers de groupe.

A son entrée, le référent accueille le pa-

tient, ensemble ils établissent une grille

d’ateliers. Le référent est la personne qui

accompagne le patient durant son séjour

hospitalier en partenariat avec le médecin

et l’équipe pluridisciplinaire.

Lors de l’élaboration de la grille, le réfé-

rent veillera à ce que la personne puisse

investir les différents axes de travail pro-

posés, à savoir : la parole, le corporel, les

médias créatifs ainsi que certains ateliers

en lien avec l’extérieur.

Pourquoi présenter notre travail au colloque ?

Après presque un an d’atelier, nous avons

été marquées par la sensation, en fin de

parcours, qu’il s’était passé quelque chose

d’important, tant au niveau de la “créati-

vité” que du “vivre ensemble”.

Nous avions envie de :

- Prendre recul face à notre pratique

d’atelier.

- Relier certaines de nos observations à

des concepts théoriques. Lien avec le

jeu, l’espace, l’espace potentiel de D. W.

Winnicot

Nous souhaitions nous attarder sur

quelques observations effectuées en vi-

vant l’atelier durant neuf mois, telles que :

- La régularité des participants sur une

longue période.

- L’engagement, la ténacité et la volonté

dans le travail de création malgré les

nombreuses difficultés rencontrées.

- Les formes apparues au sein de l’ate-

lier, l’investissement affectif par l’appa-

rition de “petits noms” donnés à leur

pièce en cours de réalisation.

- Les retours des patients sur la “bonne

ambiance”, le plaisir de “chercher en-

semble” les rires, et l’envie de retrouver

le groupe pour vivre le temps de l’atelier.

- Nous avons aussi été étonnées par l’en-

vie manifestée par un participant de lais-

ser sa pièce pourtant fort investie à l’hô-

pital de jour, alors qu’il clôturait son sé-

jour

- Enfin nous avons aussi été intriguées

par l’envie d’exposer les pièces et la

question du choix du lieu pour cela.

Animation en duo

Qui a donc mis en place cet atelier ?

Deux femmes, 2 corps en présence, 2 voix

différentes, 2 âges, 2 fonctions diffé-

rentes, 2 prises de paroles à la fois diffé-

rentes et complémentaires.

Nous travaillons ensemble depuis 7 ans et

nous avions une envie grandissante de

mettre sur pied un atelier créatif.

Nous avions un point commun, une envie

de nouveauté et nous étions attirées l’une

l’autre par l’envie de découvrir le média

habituellement manié par l’autre en asso-

ciant nos compétences propres pour créer

un “tout” plus grand que nos deux singu-

larités.

Pour dire simple, l’une voulait sortir « de

la pose de mosaïque sur des planches

plates en bois », elle ressentait le besoin

L’atelier « Volume et mosaïque » est un élément du cadre de l’hôpital de jour Helix. Cet espace offre des possibilités théra-peutiques multiples. Dans cet atelier les attentes sont modestes, la performance, le résultat ne sont pas à l’ordre du jour, ne sont pas notre priorité. La seule chose qui est demandée aux patients, c’est de créer une forme en volume selon leur désir et de la couvrir de mosaïque. C’est ainsi que s’est créé un espace transitionnel où ce qui est mis en jeu est in fine le « vivre ensemble » avec toutes ses péripéties. La relation étant au cœur du processus thérapeutique. Contrairement à une hyper spécialisation qui se centrerait sur des objectifs à atteindre en fonction d’une pathologie déterminée, cette forme de travail transversal nous semble tout à fait pertinent pour la mission globale des hôpitaux de jour, et convoque nos propres ressources de créativité, de dynamisme et de courage. Cette mobilisation ne passe pas inaperçue auprès des patients et nourrit leur propre élan. L’exposé évoque la construction, le déroulement et l’aboutissement de cet atelier, tant auprès des soignants que des patients et tentera dans un second temps de déployer certaines balises théoriques permettant de comprendre ce qui était à l’œuvre.

Mots- clefs : Expérimentation, jeu, espace, corps, création, forme, processus, volume, dispositif groupal, espace/objet transi-tionnel

“Experiment” and company When the transitional space invites himself in a workshop “Volume and tiled”

The workshop "Volume and mosaic" is part of the framework of the Helix day hospital. This space offers multiple treatment options. In this workshop expectations are modest performance, the result is not in the agenda, are not our priority. The only thing that is required of patients is to create a shape in volume according to their desire and cover mosaic. Thus was created a transitional space where what is involved is ultimately the "living together" with all its vicissitudes. The relationship is at the heart of the therapeutic process. Unlike a hyper specialization that would focus on objectives based on a specific disease, this form of transversal work seems entirely relevant to the overall mission of day hospitals, and convene our own creative resources, dynamism and courage. This mobilization has not gone unnoticed with patients and feeds their own momentum. The statement mentions the construction, the progress and outcome of this workshop, both with caregivers and patients and will try a second time to deploy some theoretical guidelines for understanding what was at work.

Keywords: Experiment, play, space, body, design, form, process, volume, groupal device space / transitional object

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“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 33

d’explorer d’autres potentialités de ce mé-

dia.

L’autre avait envie de nourrir de possibi-

lités son expérience de créations de vo-

lumes en y incluant un média inconnu

pour elle, la mosaïque.

Notre ligne de conduite fût dès le départ

basée sur la confiance, l’écoute, le respect

de nos différences, le désir et la volonté de

dépasser les difficultés si elles devaient

survenir... Pas de « Mais... » Juste des

« Et-Et-Et... » pour ouvrir. Nous avons

donc décidé de nous engager l’une envers

l’autre pour une durée de 9 mois, ce qui

correspondait à la durée de la grille an-

nuelle.

Spontanément, une dénomination d’ate-

lier intitulé “Volumes et mosaïques” s’est

imposée à l’image du rassemblement de

l’accordage de nos deux compétences, ce

qui est apparu au sein du service dans la

grille proposée comme un nouvel atelier,

une nouvelle co-animation offerte à un

nouveau groupe de patients.

Que voulait-on y faire ? Quels en étaient

les moyens ?

- Une réelle autonomie en tant qu’ani-

matrices pour la création de l’atelier, en

nous dégageant d’une obligation de réus-

site d’une pièce aboutie, finalisée.

- Proposer aux patients un laboratoire de

découverte, de recherche, avec, comme

horizon, créer une forme en fil de fer,

n’importe laquelle, et tenter de la recou-

vrir d’une matière non encore définie

pouvant accueillir par la suite la pose de

tesselles de mosaïque. Nous proposions

ainsi un jeu à partir d’un bout de fil de

fer de deux tensions et duretés diffé-

rentes.

- Nous voulions un espace (un local) qui

grâce à son aménagement ouvrirait à la

possible création d’un terrain de jeu, afin

que le jeu puisse devenir une activité

dans laquelle le corps entier puisse parti-

ciper et pas seulement “le bout des

doigts” qui manipule de petites pièces

sur une table

- C’est ainsi qu’avant la naissance de

l’atelier, nous avons commencé à jouer,

un squelette de chien est alors né à l’aide

de tuyaux de chauffage récupérés. Ce

squelette de chien était posé dans le ser-

vice à la vue de tous, suscitant chez cer-

tains patients de la curiosité.

- La ligne de conduite importante qui

nous guidait en toile de fond était le res-

pect du patient, de son projet en devenir

ou pas, et sa sécurité au sein de l’atelier

pour que les mains puissent s’engager à

la naissance de formes.

- Afin que les patients puissent s’enga-

ger dans leur projet et faire naître des

formes, nous étions conscientes de l’en-

jeu d’offrir aux patients un espace sécu-

risé.

Comme Winnicott en a souligné l’impor-

tance, nous espérions tisser une relation

avec les patients basée sur un sentiment de

confiance. Confiance réciproque afin que

le jeu se développe en interaction avec les

participants, pour permettre l’investisse-

ment de la relation grâce à la création d’un

espace transitionnel. (Winnicott, 1971)

Comment avons-nous tenté d’amener

cette confiance, cette sécurité en nous ap-

puyant sur le cadre de notre environne-

ment de travail ?

Le cadre, structure spatio-temporelle

L’espace et le temps de la structure de

notre atelier furent au préalable pensés à

partir de ce dans quoi nous sommes ins-

crites, à savoir un hôpital de jour psychia-

trique ouvert 5 jours par semaine de 9h à

16h, chaque journée étant divisée en 2

plages de deux demi-journées où il est

possible de placer une période d’atelier

d’une durée de une ou deux heures, en

matinée ou en après-midi.

Rapidement, il nous a paru évident que le

média qui allait nous occuper durant ces 9

mois à venir nécessite une plage de 2h

d’atelier, défini par la suite dans la grille

annuelle, le mardi de 14h à 16h.

La construction de cet atelier nous a éga-

lement plongées dans la réflexion du lieu

qui allait pouvoir nous accueillir, et nous

donner suffisamment d’aisance et de con-

fort pour voir émerger croquis, formes,

volumes et outils parfois volumineux. Il

nous importait de pouvoir avoir la liberté

de travailler sans devoir trop nous soucier

de la propreté au moment même du temps

réservé à la création, permettant de nous

mouvoir dans un espace suffisamment

grand, pouvant permettre les allées et ve-

nues, un engagement corporel, mais aussi

permettre à chacun de voir ce qui se passe

chez son voisin.

Nous souhaitions qu’il y ait aussi la pos-

sibilité de créer au sein de cet espace de

“petites niches” de petites tables afin que

les patients ou nous-même puissions au

besoin modifier l’aménagement dans l’es-

pace du lieu pour, au besoin, pouvoir se

créer un espace adapté durant la séance.

Nous avons ensuite réfléchi au temps en

termes de structure au sein même de l’ate-

lier. Début d’atelier à 14h et qui se ter-

mine à 16h.

A 15h, il y avait une possibilité d’une

pause (si elle était souhaitée par les parti-

cipants ou nous-même en milieu de

séance).

La règle non négociable était le range-

ment collectif de l’atelier en fin de séance

et la responsabilité de chacun pour le ran-

gement de sa pièce en cours et ses “petites

affaires” (ex, Monique et ses photocopies,

Renata et ses plumes, Marianne et son

tissu…).

Nous étions décidées à ne pas devoir aller

“pêcher” les patients qui trainent dans les

couloirs ou autres, à rappeler notre souhait

de ponctualité pour le début d’atelier.

Nous étions dans une dynamique de res-

ponsabilité et d’engagement face à leur

inscription librement choisie pour ce

choix d’atelier. Dès lors, nous avons

énoncé notre souhait de commencer tous

ensemble notre travail à 14h et qu’au-delà

du quart d’heure dépassé, l’accès à l’ate-

lier ne serait plus possible pour cette fois-

là, ET... que nous les attendions à l’heure

la semaine d’après.

Au fil du temps, nous avons constaté que

les retardataires se faisaient de plus en

plus rares et dans les derniers temps, les

patients étaient devant la porte avant l’ou-

verture de l’atelier.

Accueil du groupe, début des premières expérimentations

La composition du groupe, animatrices

comprises, s’est avérée être multicultu-

relle : 2 personnes d’origine marocaine, 2

polonais, 1 roumain, 1 albanaise, 1 sici-

lienne, 1 espagnol, 2 français, 4 belges, 1

luxembourgeoise. L’échelle des âges des

participants était variée, allant de 24 ans

pour le plus jeune à 67 ans. Au-delà des

origines ethniques, la diversité se retrou-

vait aussi au niveau de la psychopatholo-

gie ayant justifié le séjour.

Cette diversité, évidente et riche d’entrée,

a ponctué le temps d’accueil en une table

de conversation où chacun a pu, s’il le

souhaitait, dire « bonjour » dans sa langue

d’origine. Les premiers regards et rires

sont apparus entre les patients, lorsque

nous essayions de les répéter pour ac-

cueillir chacun personnellement dans sa

langue maternelle. Ce petit rituel d’ac-

cueil s’est reproduit quelques séances.

L’empressement des patients à jouer avec

la mosaïque était tel que nous avons sorti

les raviers de tesselles, les carrelages, les

vaisselles cassées, et nous leur avons pro-

posé d’aller à la découverte de ces diffé-

rentes matières en les prenant en mains.

Rapidement, est venue la question du sup-

port en vue du titre de l’atelier “Volumes

et Mosaïques” et c’est ainsi que nous

avons demandé aux patients d’apporter

une bouteille vide tandis que nous, de

notre côté, allions approvisionner le stock

de tesselles. Nous étions conscientes que

nous leur demandions d’être acteurs, de

poser un acte d’engagement qui pourrait

éventuellement enclencher un début de

processus. Pourquoi une bouteille ? Pour

l’accessibilité de l’objet, l’absence d’in-

tervention financière, le fait que ce soit un

objet connu de tous et faisant partie de la

vie quotidienne. Un appui connu.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 34

A notre grand étonnement, à l’exception

d’un ou deux patients, la majorité avait

apporté sa bouteille pour la séance sui-

vante.

L’espace s’est agencé naturellement avec

la grande table de travail où les patients se

sont rassemblés avec leurs bouteilles et

une petite table recouverte de la bâche

verte où trônait le squelette du chien, ra-

mené du couloir dans l’atelier.

La découverte de la mosaïque a débuté par

quelques informations à propos de cette

technique, et la découverte tactile, tou-

cher, sentir, regarder, observer, recon-

naître parfois des morceaux de carrelage,

une anse de tasse, la lisière d’une jolie as-

siette, un reste d’un vase japonais. Nous

avions également des tesselles achetées

en pot dans des commerces, des tesselles

en pâte de verre, en céramique, des mini-

galets.

L’essence même de la mosaïque est l’as-

semblage de ces petits bouts qui, au dé-

part, ne semblent rien dire, ou sont les

souvenirs d’un bel objet passé et hérité, à

qui l’on souhaite redonner une vie, et qui

prendront formes aux côtés d’autres mor-

ceaux pour raconter une nouvelle his-

toire...

Ainsi Monique, qui a amené son assiette

cassée lors du précédent week-end, et qui

tenait à ce que cela soit donné à l’atelier

car elle appréciait le bord qui pourrait être

récupéré !

Ou encore une tasse cassée d’une collègue

peinte par l’un de ses enfants et qui ne

pouvait se résoudre à la jeter à la pou-

belle !

Les premiers essais de pose de la mo-

saïque sont apparus sur leur support en

3D ; premières réactions et ajustements.

En même temps, Christine s’essayait pour

la première fois à cette technique, Justine

faisant des allées et venues entre ses pre-

miers essais de plâtre sur le squelette du

chien ramené dans l’atelier sur la bâche

verte non loin de la grande table occupée

à l’apprentissage par essais erreurs de la

technique de la mosaïque. Pour jouer avec

la mosaïque, on peut la tailler, lui donner

une courbe, parfois la matière nous

échappe, ça s’effrite, ça se coupe dans le

mauvais sens, ça se casse complètement

et parfois cela peut blesser !

Petit à petit, des échanges sont apparus et

certains patients partageaient leurs trucs

et astuces pour que les tesselles ne tom-

bent pas du support. Certains travaillant à

plat, d’autres posant les petites tesselles

avec une pince à épiler afin de ne pas salir

leurs doigts et d’autres essayant tantôt

colle blanche, tantôt compactuna (adju-

vant pour ciment). Ces moments furent

précieux car ils nous donnaient à voir

comment ils abordaient le travail et ce qui

leur procurait une motivation, un désir.

Ainsi Saïd, attiré par les galets ronds et

qui les pose ensuite de façon répétitive et

qui semble aléatoire sur sa bouteille

comme un remplissage d’une surface. Re-

nata qui a un projet dessiné bien précis et

qui stocke à la manière d’un écureuil de

peur de manquer dans l’intérêt de sa

propre pièce sans conscience de la collec-

tivité. Pascal, tel un architecte fidèle à son

idée de départ, trace des lignes avec des

petits miroirs. Jean-François, discret, lent,

et qui avance son petit bonhomme de che-

min. Fernando, en partance du centre qui

souhaite enfin ramener quelque chose de

son passage à Helix pour ses enfants et qui

réalise en mosaïque le prénom de sa fille

sur la bouteille. Enfin Alita, qui fonce et

colle, colle pour s’apercevoir enfin de par-

cours qu’elle n’a pas assez de pièces pour

finaliser son dessin.

Petit à petit, les patients devenant auto-

nomes dans la pose de la mosaïque sur

leur bouteille, nous nous sommes retrou-

vées de plus en plus à deux autour du

squelette du chien, nous n’étions plus uni-

quement des “mères toujours bonnes”. Il

nous arrivait de demander aux patients un

temps de latence entre leurs demandes et

notre temps de réponse. Une émulation ré-

ciproque est rapidement apparue suite aux

difficultés rencontrées (ainsi le plâtre qui

n’adhère pas, recherche d’autres bandes

de résine en orthopédie, etc.), et une envie

d’apprendre, de chercher à résoudre en

analysant nos actions ou en tentant de les

anticiper. Nous nous sommes nourries

l’une, l’autre pour faire évoluer notre tra-

vail par des confrontations et des

échanges. Nous avons pris de risques, il y

a eu de la place pour l’approximation, le

questionnement, les tâtonnements et aussi

du vide.

Nos propres ressources différentes nous

amenant à répondre, agir différemment

face à la même situation vécue, nos ma-

nières de procéder étaient parfois bien

éloignées de ce que l’autre aurait imaginé

ou souhaité.

C’est sur cette petite table que nous avons

fait ce que nous appelons notre « petit

théâtre à deux ! » Et ce que les patients

ont appelé par la suite « tout votre petit

chipotage ! ».

Notre petit Théâtre à 2 !

Nous remarquions que nos discussions de

“coulisses” apparentes et visibles au

groupe, provoquaient de plus en plus de

réactions (enfin audibles !) au sein du

groupe de patients.

Parfois l’un d’eux venait voir le résultat

de nos recherches fructueuses ou plus dé-

sastreuses.

Les rires sont apparus, ou encore des re-

gards qui se voulaient discrets vers nous,

mais qui scrutaient nos réactions lorsque

l’une de nous deux osait plus que l’autre,

ou que l’une était en désaccord, ou mar-

quait son « ras-le-bol » et l’envie de tra-

vailler à un autre endroit sur la pièce. Cer-

taines fois, des participants sont venus ai-

der au travail en cours ou regarder ce qui

se passait.

Voici une petite illustration du contenu de

nos échanges. Avec le recul nous avons

constaté qu’ils avaient pour teneur des

propositions, des autorisations, du lâcher

prise, de l’audace quant à l’issue de l’ex-

périmentation, de la valorisation pour les

compétences reconnues, des demandes

d’aide, des étonnements, des inquiétudes,

des mises en action, des remises en ques-

tion, de la réserve, et de l’humour…

Nous en bruits de fond qui “chipotons...”.

« - Et si on essayait avec du plâtre ?

« - Tu crois que cela va marcher ?

« - On s’en fout on essaye, on verra

bien ! pourquoi pas ?

« - Zut, c’est moche, cela s’effrite...

« - Cela ne tient pas... Qu’est- ce qu’on

fait, tu as une idée ?

« - On casse ! Comment ? Avec la

pince ? Moi, je prendrais le marteau !

« - Vas-y, je te fais confiance, go !

« - Allez, pour la semaine prochaine, je

termine la tête.

« - Et si on essayait avec de la résine, il

y en a dans l’hôpital.

« - On aurait dû commencer par solidi-

fier les pattes... Mais oui, c’est évident !

La prochaine fois on commencera par

cela.

« - On ne peut plus avoir de résine, c’est

réservé pour les fractures, c’est coû-

teux ! Qui a une idée ? [attente...] Si on

essayait avec du ciment ? Qui a déjà fait

cela, qui a déjà fabriqué du ciment, qui

connait éventuellement la recette ?

« - Et moi après, je terminerai la patte

comme cela tu auras la surprise et enfin

il tiendra debout !

« - ET si on coulait du ciment dans un

pot de yaourt pour l’assise des pattes ?

« - Il y en a ?

« - NON, je vais voir dans le frigo ! J’en

ai trouvé un, je le mange, tiens voilà le

pot !

« - Et si on rajoutait de la colle compac-

tuna en plus grande quantité ? »

Comme nous jouions à une certaine dis-

tance « proche de l’espace de jeu des pa-

tients », cela a vraisemblablement permis

de faciliter les interactions.

Nous interpellions et demandions l’avis

du groupe pour valider une idée et/ou

nous aider à réfléchir sur une difficulté.

(Par exemple Pascal, qui propose une re-

cette de ciment où nous devions mettre

plus de sable). En dehors de ces appels de

notre part, aucun d’entre eux n’intervenait

spontanément dans notre “scène”.

Page 35: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 35

LES AUTEURS

Justine COUDOUX Assistante sociale

Christine VANHAVERBEKE Art-thérapeute

Hôpital de jour psychiatrique HELIX Clinique Saint-Jean 100, rue du Méridien 1210 Bruxelles Belgique [email protected]

BIBLIOGRAPHIE

1. FLORENCE J. (1997), Art et thérapie liaison dangereuse ?, Presses de l’Université Saint-Louis, Bruxelles, 159 p.

2. TELLIER-LOUMAGNE F. (2010), 1000 Ma-nières de créer, Editions de La Martinière, 365 p.

3. WINNICOTT D. W. (1975), Jeu et réalité, Gallimard, Paris.

C’est progressivement, que certains

d’entre eux ont commencé lors du tour de

table à évoquer la bonne humeur, impor-

tante à leurs yeux, parfois produite par nos

mini-scénettes, à dire leur étonnement

lorsqu’on osait tout casser et donc recom-

mencer, à sourire de nos petits défis lors-

que l’une de nous deux était absente lors

de la prochaine séance à finir ceci ou cela.

A cet instant, nous avons pu mesurer que

nos échanges avaient eu pour certains un

impact sur leur propre manière d’aborder

leur travail et quelque fois alimenter leurs

propres ressources afin de surmonter une

difficulté ou de faire appel à leur imagina-

tion ! C’était devenu une sorte d’appui, à

l’image d’un puits dans lequel ils pou-

vaient aller se servir à leur guise, une idée

pour leur pièce (Ex : naissance de formes

de différents animaux), une recette de ci-

ment, une méthode de pose de mosaïque,

etc, tout cela en toute liberté et avec le

même rapport que nous face à l’agir c’est-

à-dire, Se Permettre de faire/ Oser sans

objectif de réussite ! C’est ainsi qu’un

jour, en cours d’atelier, un patient a de-

mandé comment s’appelait le chien, un

patient a proposé un nom, « EXPERI-

MENT ».

Ces moments de rassemblement en fin

d’atelier ont naturellement été baptisés :

« les réunions de chantier ».

Retours de participants

Saïd : « Mes oreilles sont toujours ou-

vertes, pour apprendre beaucoup, être à

la hauteur. C’était un bon guide. Quand

je vois des problèmes chez les animateurs,

je fais attention pour ne pas tomber dans

le piège. Le mardi matin, je réfléchis à des

idées pour continuer mon boulot l’après-

midi ! »

Mihaï : « A entendre les animatrices dis-

cuter de leur projet, essayer, ne pas être

d’accord, casser, recommencer leur tra-

vail, tout ce chipotage, c’était amusant ! »

Les réunions de chantier...

Ces réunions se placent en fin d’atelier au

moment où le groupe après avoir bien

rangé la pièce de façon communautaire et

individuelle pour leur mise en sécurité de

leur pièce se retrouvent autour de la

grande table.

- Direction donnée de ces réunions de

chantier.

- Prise de risque de la parole pour les ani-

mateurs qui se propage au groupe, vigi-

lance à ce que la prise de parole soit tein-

tée de bienveillance, encouragement,

écoute des instants de doute, de vides, les

commentaires étant centrés sur la pièce

en cours et non sur son auteur, la valori-

sation et reconnaissance dans l’explora-

tion du potentiel de chacun (un mouve-

ment qui apparaît, une découpe, un lis-

sage, une façon de ligaturer le fil, la

force, la patience, la valorisation des

compétences).Et surtout pour chacun du

groupe le moment de se féliciter d’avoir

osé entrer et être présent dans l’atelier ce

jour-là. Avec humour on mimait qu’on

recevait une médaille !

- Inscrire l’expérience dans la continuité.

- Que s’est-il passé pour votre pièce de-

puis la dernière fois ? Avez-vous eu des

difficultés, tout en nommant les nôtres ?

Pour la semaine prochaine de quoi avez-

vous besoin ? Voulez-vous faire une de-

mande d’aide ? Y a-t-il un endroit de

votre pièce que vous aimez et où vous

souhaitez réintervenir ? Juste besoin de

réfléchir ou de ne plus y penser pour

l’instant…

C’est ainsi qu’un jour, Philippe qui sem-

blait impassible durant son temps de créa-

tion mais que nous ressentions comme

bloqué devant un obstacle de faire tenir

droite sa girafe, prend le risque de se dé-

voiler et nous confie en fin d’atelier avoir

ressenti une tension intense à l’intérieur

de lui et un besoin « de crier par la fenêtre

et de se défouler en tournant autour de la

table ». L’engagement dans le jeu avait

provoqué une tension, une pression in-

terne qui semblait insupportable. Un

échange s’est passé entre eux. Ils ont fait

des propositions “pour se soulager”,

comme quitter sa place, faire un tour dans

l’atelier, regarder ce que font les autres,

demander de l’aide, s’arrêter, prendre une

pause.

... Philippe, toujours, la semaine sui-

vante : « je vais m’attaquer aux pattes ! ».

... Saïd, pas satisfait de la tête de son ani-

mal décide pour la prochaine séance de re-

cimenter une partie afin que ce soit plus

lisse car il anticipait les problèmes à venir

lors de la pose des futures tesselles.

... Renata, qui parvient après plusieurs

séances à demander enfin de l’aide, ou

propose du bout des lèvres un peu de son

matériel “personnel” pour le groupe.

... Pascal, qui organise son travail dans la

durée et évalue le nombre de séances en-

core nécessaires selon lui tout en énumé-

rant ce qu’il lui reste à faire avant de pas-

ser à l’étape de la pose de mosaïque

... Aelita, qui réalise qu’elle ne sait pas

vraiment comment c’est une coccinelle,

combien elle a de pattes et décide de re-

garder d’ici la prochaine fois comment est

finalement une vraie coccinelle et finale-

ment réalise que sa coccinelle mesure en-

viron 80 cm !

... Monique qui doit s’acclimater de sa

surprise de la transformation de son bi-

chon frisé en oiseau « Bon, eh bien il lui

faut un bec, alors ! ».

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 36

Interrelation entre le jeu et l’espace

Au fil du temps, nous avons pu remarquer

l’évolution dans la taille, le volume des

pièces en cours de réalisation, des dépla-

cements des participants et l’apparition de

nouvelles aires de jeux.

Celles-ci se sont naturellement délimitées

de par la nature du jeu (cimentage, pose

de mosaïque, peinture, fil de fer, …) et de

par le volume des pièces prenant de l’am-

pleur.

En fin de parcours, il s’est créé un espace

de jeu polyvalent par l’apparition d’une

aire de jeu plus informelle qui a pu ac-

cueillir alternativement, moments de ci-

mentage, dessin, pose de mosaïque pein-

ture, petit à petit les patients ont pris pos-

session de l’espace en le modifiant.

Ceci nous ramène à l’idée de Winnicott

selon laquelle l’enfant joue en agissant sur

son environnement. Progressivement, les

patients ont étendu leurs espaces de jeux,

où ils se rencontrent, se croisent, pour se

retrouver en fin d’atelier autour de la

grande table pour les réunions de chan-

tier. L’espace s’est aussi modifié physi-

quement, des traces de ciment sont appa-

rues sur le sol, l’évier s’est bouché, les

pièces ont augmenté de volume, elles ont

commencé à joncher le sol, les tables...

Certaines pièces en cours se sont retrou-

vées suspendues au plafond de l’atelier.

Les petites maquettes ont occupé de l’es-

pace dans l’armoire ce qui a demandé une

réorganisation de celle-ci, certains maté-

riaux se sont épuisés, d’autres ramenés

par les patients sont apparus.

Quelques séances d’atelier...

Début octobre

Sur la table le fil de fer et les pinces, nous

ne savions pas ce qui allait se passer...

Comme le dit Winnicott, l’intérêt du jeu

est qu’il soit une expérience à l’initiative

de l’enfant. La première initiative posée

par les patients est de prendre la bobine,

dérouler le fil à la longueur voulue, et de

le séparer de son support en le coupant.

(Le choix de la pince, coupante, plate ou

ciseaux est laissé à l’initiative des pa-

tients.)

La mise en route a été plus ou moins

longue ; hésitations, impatience, agressi-

vité, sensation de vide, il a fallu un certain

temps pour que “la mayonnaise prenne” et

c’est ainsi qu’est apparu chez les patients

le désir de réaliser une forme d’animal.

Passer du croquis en deux dimensions

vers une maquette en 3D, fabriquer un

“squelette”, une armature solide, un sup-

port rigide qui restera à l’intérieur de la

pièce, prévoir les formes, comment les

agencer, rechercher l’équilibre, la stabi-

lité. Ce processus fut difficile pour les pa-

tients, et demandait de la vigilance, du

soutien de notre part.

Monique craint de se lancer sans appui,

dessine une forme au crayon sur laquelle

elle s’appuie pour tordre son fil. Elle res-

tera attachée à son “plan” jusqu’à cons-

truire le volume en papier sur ce même

appui, pour ensuite la déployer dans l’es-

pace.

Pour Pascal, ce fut un squelette de chat à

deux pattes qui ne trouvait pas de stabilité,

pour Philippe un projet de girafe qui se

transformera en ce qu’il appellera long-

temps « la chose » pour terminer « dino-

saure ». Renata et son perroquet baptisé

« Coco Chanel »

Février...

Brouette ! L’ambiance est au travail. Le

matériel se met à manquer, les patients

nomment ce dont ils ont besoin, en font la

liste et, cette fois, c’est ensemble que nous

sortons au Brico du coin, poussant une

brouette remplie de ciment, de sable, de

clôture, de plâtre, de compactuna, et que

nous traversions allègrement la salle d’at-

tente de l’hôpital, l’ascenseur pour arriver

au 7ème étage, passer la porte du service

Hélix et nous diriger vers la porte verte,

lieu de notre caverne créatrice !

Mars

Les corps sont engagés, un investissement

très physique pour certains participants,

« un bain d’expériences multisenso-

rielles ». Toucher, frotter, gratter, lisser,

arracher, casser, des actions qui s’exer-

cent sur une limite définie par le volume

de la pièce crée par chacun des partici-

pants, des actions qui s’impriment sur leur

peau…. (Rachida, à pleines mains, étale

le ciment sur la surface de son support,

l’odeur de la colle ; Monique coupe le mé-

tal, tord le fil qui la blesse, le sang qui

perle au bout du doigt).

L’espace est investi, on entend des bruits

de pinces, de fil de fer qui frottent sur la

table, l’eau qui coule dans la bassine en

fer, la cuillère qui tourne, racle le métal,

la consistance du ciment, trop liquide,

trop sec, mesurer, peser, lire des notices,

les roulettes du chariot de matériel qui se

déplace dans le local, l’armoire s’ouvre,

se ferme, un objet tombe, le froissement

du papier journal qui se glisse sous le mé-

tal pour faire apparaître le volume, le bruit

du scotch qui se déroule... Certains parti-

cipants échangent autour de ce qu’ils sont

en train de faire, une certaine collabora-

tion naî parfois entre eux.

Saïd, le costaud du groupe, tord à pleines

mains les tuyaux de métal pour Marianne

qui porte un corset. Raoul porte le sac de

sable. Le matériau, essentiellement “du

bâtiment” était une sorte de défi physique

où les patients semblent avoir voulu se

mesurer ou se retrouver, Raoul, qui a eu

une grande expérience de vie de chantier,

retrouve avec plaisir exprimé certains

gestes connus qu’il n’a plus pratiqués de-

puis son hospitalisation.

La couleur du ciment gris, la couleur du

journal, gris, le plâtre, blanc, la colle

blanche, nous avons baigné dans un dé-

gradé de tonalités de gris pour ensuite al-

ler vers la couleur, le gris qui nous a ac-

compagné durant toute la naissance de la

mise en forme du volume pour qu’appa-

raisse ensuite la couleur lors de la pose

des tessons sur le support et en finalité

pour certains le choix d’une pose de cou-

leur acrylique sur leur pièce venant la fi-

naliser.

L’humour est présent :

- « pin-pon ! Je vais à l’infirmerie me

soigner. », et nous, animatrices à rappe-

ler que nous ne sommes ni l’une ni

l’autre infirmières, alors « s’il vous plait

ne coupez pas votre doigt, on pourrait

tomber dans les pommes !!!! ».

- « Le coucou de trois heures ! » Rires,

toutes les onomatopées entendues durant

le temps de l’atelier qui, parfois avec

soutien à la mise en mots, signifiaient

avoir mal aux doigts, ressentir de l’impa-

tience, de la déception face aux ratages,

du découragement ou de l’enthousiasme.

Les visites durant le temps de pause

Les patients des autres ateliers curieux,

qui viennent voir l’évolution de la nais-

sance des pièces, les encouragements, les

surprises, les étonnements.

Etonnement car décalage entre le média,

le chantier et le cadre de travail : un hôpi-

tal !

Mai-Juin

La période de pose de mosaïque a fait

naître une nouvelle énergie au sein de

l’atelier. Tous étaient portés par un désir

d’esthétisme, de faire jaillir les couleurs

sur leurs pièces cimentées.

La nature des tons, exclamations, et con-

seils ont aussi changé à ce moment, fai-

sant place à des « WAW ! Oh c’est joli !

Tiens c’est original, ça ! Ce morceau tu

l’as trouvé où ? »

Nous avons pu observer le changement de

leur propre regard qui s’est ouvert pro-

gressivement tout au long des séances,

une ouverture qui a permis à chacun d’être

tantôt sensible à l’expérience de son voi-

sin de table, tantôt conseiller et solidaire,

on a pu entendre même dans la bouche de

certains s’appeler par « eh collègue ! ».

La difficulté de l’un devenait un souci de

groupe pour réfléchir ensemble et dépas-

ser celle-ci.

L’envie d’exposer les animaux dans le

service, une fierté de leur réalisation avec

un regard parfois critique, les pièces té-

moins des matériaux transformés, pièces

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“Experiment” et compagnie : quand l’espace transitionnel s’invite au sein d’un atelier “Volume et mosaïque”

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 37

en chantier, finalisées ou pas, données à

voir, transformant à leur tour l’espace du

couloir où elles se retrouvent groupées

non loin du local de jeu.

Conclusion

Etonnement grandissant de notre part

pour ces patients qui engagent une rela-

tion « corporelle intense » avec la matière

et en même temps trouvent là une sorte de

tremplin pour assouplir la rigidité de leurs

défenses psychiques. Jouer, créer...

C’est S’ajuster...

A chaque étape on se retrouve en ap-

prenti...

Chaque nouvelle expérience multiplie les

possibles...

Recherche de compromis satisfaisants...

Prévoir des stratégies...

S’ajuster...

Prendre du recul... Seul ou à plusieurs...

Organiser le travail, parfois déléguer, de-

mander de l’aide...

Partager son expérience, échanger, mettre

en commun...

Aller chercher dans l’environnement ce

dont on a besoin...

Regarder, s’enrichir, s’émouvoir...

Tester des recettes, déchiffrer des modes

d’emploi, attendre le résultat des expé-

riences qui si elles sont ratées révèlent des

informations souvent essentielles...

Faire des choix, se positionner...

En résumé, créer, jouer, c’est un peu

comme “jongler”, s’envoler d’une idée à

une activité et l’inverse.

C’est aussi expérimenter avec générosité,

sans s’économiser.

Les idées sont exponentielles. Il n’y a pas

d’irréversibilité, chaque nouvelle expé-

rience multiplie les possibles, permet

d’évoluer, de se renouveler, de se con-

naître...

Quand le jeu est divertissement, quand

chacun, soignants et patients, s’amuse, le

jeu permet d’explorer des positions psy-

chiques différentes, d’expérimenter d’aut-

res façons de jouer un rôle social.

Comme le dit Winnicott l’activité de jouer

favorise la croissance psychique, donc la

santé.

Laisser agir le temps avec confiance. Les

prises de conscience personnelles, qui

peuvent éventuellement surgir durant le

jeu, le processus de création dépendent de

la personnalité et de la disponibilité de

chacun.

L’effet thérapeutique, s’il y en a un, vient

« de surcroit ».

Page 38: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 38

Introduction Les programmes psychoéducatifs desti-

nés aux proches de malades souffrant de

schizophrénie se développent depuis plu-

sieurs décennies. Ces interventions, qui

avaient initialement comme objectifs le

soutien et la formation des familles, se

sont développés dans le contexte particu-

lier de l’évolution des structures de soins

et de l’ouverture de nouveaux champs de

recherche concernant les interactions

entre le malade et ses proches.

Le mouvement de désinstitutionalisation

et l’éloignement de la tradition asilaire,

depuis les années 1960, a eu pour objectif

le retour des patients dans la commu-

nauté. Comme le relève Carpentier, les

conséquences pour le milieu familial sont

de plusieurs ordres : « À mesure que s’in-

tensifie le mouvement de désinstitutiona-

lisation, les décideurs et les politiciens

considèrent la famille comme source pri-

vilégiée de soutien émotionnel et social

ainsi que comme place de choix pour re-

localiser le patient psychiatrique. On dé-

couvre alors les vertus des “soins infor-

mels” ; l’environnement professionnel

s’appuie de plus en plus sur la famille

pour, principalement, fournir du soutien

matériel et, potentiellement, des soins à

long terme aux personnes souffrant de

troubles psychiatriques. » (Carpentier

2001).

Les aidants dits naturels, ou informels,

sont alors confrontés à des difficultés liées

à la symptomatologie de la maladie schi-

zophrénique. D’une part une symptoma-

tologie bruyante, positive, hallucinations,

idées délirantes, bizarreries comporte-

mentales, troubles du cours de la pensée.

Et d’autre part une symptomatologie né-

gative, plus lancinante, comme l’appau-

vrissement des affects et du discours,

l’apathie, l’anhédonie, les troubles de l’at-

tention et de la mémoire, la perte de la

motivation. Cette symptomatologie est

plus difficile à repérer pour les familles, et

l’attribution de ces signes à la maladie n’a

rien d’évident.

Il en résulte un stress et des répercussions

sur le fonctionnement global et la qualité

de vie de la famille. Ce fardeau fait le lit

d’autres difficultés, notamment sur le plan

de l’humeur des aidants, ou encore sur

l’ambiance émotionnelle de la famille,

avec le risque d’entrer alors dans un en-

grenage : l’aidant naturel (typiquement un

membre de la famille), lui-même en diffi-

culté, réagit moins bien, perd sa capacité

à faire face, majorant en retour tous les

dysfonctionnements.

C’est dans ce contexte que les premiers

programmes psychoéducatifs destinés

aux familles se sont développés, avec

comme objectif d’apporter de l’aide, du

soutien, mais aussi des connaissances et

des savoir-faire aux proches, pour leur bé-

néfice et celui des malades.

Apparition des premiers programmes

Le premier programme psychoéducatif

dans la schizophrénie est celui du docteur

Carol Anderson en 1980 (Anderson et al.

1980). L’approche retenue consistait à dé-

velopper un modèle pour des interven-

tions familiales dans le but de diminuer le

taux de rechute des patients souffrant de

schizophrénie.

Ce modèle prend notamment acte de la

plus grande vulnérabilité des patients aux

stimuli externes et aux environnements

stressants, en s’appuyant sur un ensemble

de recherches pluri-disciplinaires concer-

nant l’étude du milieu familial.

Plus de 20 plus tard, Hogarty (Hogarty

2003) reviendra sur le contexte théorique

qui avait poussé l’équipe à développer un

tel programme. Il citera notamment 3

études décisives :

- en 1975, une étude (Hirsch, Leff 1975),

qui avait échoué à montrer la contribu-

tion du comportement parental dans

l’étiologie de la schizophrénie.

- en 1976, une autre étude (Vaughn, Leff

1976) qui montrait que le comportement

des proches pouvait influer sur le cours

de la maladie de façon favorable ou dé-

favorable.

- en 1978, une troisième étude (Gold-

stein et al. 1978) qui montrait l’efficacité

d’interventions familiales ciblées sur la

résolution des situations de crise sur les

taux de rechute à court terme.

Le programme Profamille

Le programme a été initialement déve-

loppé au Canada par Cormier en 1988,

avant de diffuser dans toute la francopho-

nie. Il est actuellement coordonné par le

Dr Hodé et son équipe du Centre Hospita-

lier du Rouffach en Alsace. Le réseau

comporte actuellement une cinquantaine

de centres organisa-teurs.

Profamille a pour particularités d’une part

d’être un programme standardisé - le con-

tenu et le déroulé des séances est théori-

quement identique pour chaque centre -

et, d’autre part, d’être un programme

Profamille est un programme de psychoéducation familiale dans la schizophrénie très utilisé dans la francophonie. Le but est de réduire le taux de rechute des malades et le fardeau familial. Il comprend des séances d’information et d’amélioration de la communication, de la capacité à faire face et de la résolution de problème. Un point clé du programme est l’amélioration de l’humeur. Nous avons étudié l’évolution de l’humeur de 57 participants au programme au cours des 4 dernières années. Nos résultats ont montré une amélioration significative de l’humeur, en particulier pour les sujets les plus déprimés initialement.

Mots- clefs : Schizophrénie, psychoéducation, fardeau familial, dépression

Profamille: impact on mood of participants

Profamille is, in the French-speaking world, one of the most used psychoeducation program for schizophrenia patients’ families. The goals of the program are to decrease the risk of the patient’s relapse and to decrease the family burden. It includes infor-mation about the illness, and training in coping, communication and problem-solving skills. A key characteristic of Profamille is that it targets mood improvement. We studied the program impact on the mood of 57 participants in the Profamille program over the last 4 years. Results show that Profamille enabled a statistically significant improvement for the most depressed participants.

Keywords: Schizophrenia, psychoeducation, family burden, depression

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Profamille : impact sur l’humeur des participants

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 39

long, puisque le module principal du pro-

gramme est composé de 14 séances de 4

heures chacune.

Enfin, le programme propose un en-

semble d’évaluations en début, en cours,

et en fin de programme. Ces évaluations

permettent de déterminer les répercus-

sions du programme, d’obtenir des don-

nées socio-démographiques sur les parti-

cipants, mais également de le faire évo-

luer au mieux et d’établir des critères de

qualité pour les centres organisateurs.

Les objectifs du programme sont mul-

tiples :

- directement, assurer un soutien aux fa-

milles, aux aidants naturels des malades,

soumis à un important fardeau lié aux

soins ;

- indirectement, améliorer le taux de re-

chute des malades et leur qualité de vie.

Profamille développe 3 aspects classiques

des programmes psychoéducatifs : un vo-

let pédagogique, un volet comportemental

et un volet psychologique.

Contenu du programme

La version V3 du programme se structure

autour de 14 séances de 4 heures dans un

premier module s’écoulant sur la pre-

mière année, et de séances de révisions et

d’approfondissement dans un deuxième

module qui se déroule dans un second

temps -quelques mois après la fin du pre-

mier module.

Module 1

Le module 1, au contenu dense, s’articule

autour de quatre étapes dont l’ordre ne

doit rien au hasard, les acquis de chaque

séance étant régulièrement réinvestis par

la suite et servant de base à la progression.

La première étape est consacrée à l’édu-

cation à la maladie et vise à corriger des

erreurs d’attribution (attribution de la res-

ponsabilité à la famille, attribution de la

responsabilité au malade), à favoriser une

meilleure acceptation de la maladie par

une meilleure compréhension du diagnos-

tic et de l’évolution de la maladie.

La seconde étape s’attache au développe-

ment des habiletés relationnelles, qui im-

pactent sur le fardeau porté par la famille

(à travers notamment les problèmes com-

portementaux, le défaut d’activité ou en-

core le risque suicidaire), afin de limiter le

niveau de conflit et mieux aider le malade.

La troisième étape est centrée sur les pa-

rents, elle aborde la gestion des émotions

et le développement de cognitions (repré-

sentations, jugements, croyances et con-

naissances de la personne) adaptées.

L’objectif visé ici est à la fois une action

directe, ciblée sur l’humeur des proches

des malades, mais également une action

indirecte intimement liée à la première :

abaisser le niveau d’émotions exprimées

dans la famille, améliorer la qualité de vie

et la santé des familles et enfin de faciliter

les apprentissages.

La quatrième étape enfin est consacrée au

développement des ressources, des possi-

bilités de trouver de l’aide (à la fois pour

le malade et pour le proche) à travers l’in-

sertion à un réseau social, le développe-

ment de liens d’entraide.

Séance 1 : Accueil

Cette séance permet de mettre en place en

place le groupe et de présenter le pro-

gramme. Au-delà de ces aspects, cette

première séance permet de procéder aux

évaluations initiales, sous forme de ques-

tionnaires :

- la situation au cours des douze derniers

mois : l’anxiété, l’irritabilité, l’activité

du malade, les hospitalisations, les fluc-

tuations de la symptomatologie, les ten-

tatives de suicide ;

- l’évaluation du malade et l’évolution

des troubles : le mode de vie du malade,

la gravité des symptômes, le fonctionne-

ment social et professionnel, la connais-

sance du diagnostic et ses répercussions ;

l’évaluation des pensées et émotions do-

minantes, avec la réalisation de l’échelle

Center for epidemiologic studies-depres-

sion scale (Radloff 1977) sur les impres-

sions ressenties, une échelle sur les juge-

ments et croyances et un questionnaire

sur le souci ;

- l’évaluation de la répercussion de la

maladie sur l’état de santé et le fonction-

nement du participant ;

- l’évaluation des connaissances, avec

quatre mises en situation ;

- l’évaluation du coping.

Séance 2 : Connaître la maladie

La séance aborde des données épidémio-

logiques, la symptomatologie, les comor-

bidités, le pronostic, les rapports au corps

médical, les causes possibles de la mala-

die. Une part importante de la séance est

consacrée à l’explication du fonctionne-

ment cérébral et aux mécanismes à l’ori-

gine des symptômes.

Le modèle de fonctionnement cérébral

schématise simplement les différentes

structures impliquées et leurs rôles res-

pectifs, les transmissions d’informations :

le thalamus filtre et oriente les informa-

tions, l’amygdale est impliquée dans la

gestion des émotions, l’hippocampe dans

la mémoire et la prise en compte du con-

texte, le cortex préfrontal dans l’initiative

et le maintien de l’action, l’action sur le

striatum. Il est ainsi exposé la notion de

neurotransmetteur, du déséquilibre de

l’activité du striatum et de l’excès de do-

pamine par le contrôle déficient en prove-

nance de l’hippocampe, de l’amygdale,

du cortex préfrontal.

LES AUTEURS

Pierre TAVARES Assistant Spécialiste

Annick NEUVILLE Aide-Soignante

Aurélie MONTAGNE-LARMURIER Praticien Hospitalier

Service de Psychiatrie du CHU de Caen Avenue de la Côte de Nacre CS 30001 14033 Caen cedex 9 France

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 40

Ces données théoriques, présentées

comme ayant valeur d’hypothèse, four-

nissent un support pour tous les autres

points clé du programme.

Séance 3 : Connaître son traitement

Cette séance développe les principes de

prise en charge, les différents traitements,

leur efficacité, effets secondaires.

Séance 4 : Développer des habiletés en commu-nication (1) Séance 5 : Développer des habiletés en commu-nication (2) Séance 6 : Développer des habiletés à poser des limites Séance 7 : Révision des séances 4 et 5 et 6

Cet ensemble de séances s’intéresse aux

règles de communication et à la relation

au malade. Il s’agit d’une part de mieux

communiquer avec le malade, mais égale-

ment avec les autres (pour demander de

l’aide, par exemple). Cela passe par l’ap-

prentissage d’un certain nombre de tech-

niques, et de nombreux exercices de mise

en pratique.

Le principe général des séances visant à

développer des habiletés de communica-

tion est d’établir avec le malade une com-

munication ouverte, claire et directe, en

évitant les fortes charges émotives. Un

rappel est fait sur les conséquences des

déficits cérébraux sur la communication

(dysfonctionnement de l’amygdale, de

l’hippocampe, du cortex préfrontal).

Des moyens mnémotechniques sont trans-

mis. On note en particulier la règle des 4P,

qui vise à augmenter le renforcement :

Être Prompt à être Positif sur des Petits

Progrès précis et éviter le “mais...” après

un point positif.

Cette règle sera mise en pratique à toutes

les séances et pendant les exercices à la

maison, avec de nombreuses mises en si-

tuation. On note également la règle des 4S

(diminution des facteurs négatifs) : éviter

la surcharge émotionnelle, la sur-stimula-

tion, le surinvestissement, la surprotec-

tion. D’autres techniques sont abordées

pour la formulation de demandes d’aides

efficaces, l’affirmation de soi, la négocia-

tion et l’amplification de la motivation.

Il s’agit, globalement, d’apprendre à dia-

loguer de façon pacifiée en pouvant abor-

der les sentiments positifs comme les sen-

timents négatifs.

Un autre point clé de ces séances concerne

la pose de limites, avec là encore de nom-

breux exercices de mise en situation. On

observe que les familles redoutent les li-

mites, craignant la réaction du malade. Il

s’agit ici d’éviter “d’acheter la paix” à

court terme ce qui favorise l’épuisement

des familles, la colère, les tensions qui fi-

niront par s’exprimer dans la communica-

tion et risquent de ne pas être compris par

le proche malade. L’absence de limites est

nocif pour le proche et pour les familles et

contribue à la majoration du niveau

d’Emotions Exprimées.

Les données théoriques abordées en

amont prennent ici tout leur sens, puisque

cette mise en pratique s’appuie sur la

compréhension des comportements du

malade résultant des dysfonctionnements

cérébraux et de l’importance des facteurs

de stress dans la rechute.

Séance 8 : Culpabilité et anxiété Séance 9 : Habiletés à gérer ses émotions / réduire sa souffrance Séance 10 : Habiletés à gérer ses pensées parasites / réduire sa souffrance Séance 11 : Approfondissement séance 10 et révision des séances 8, 9 et 10 Séance 12 : Développer des habiletés à avoir des attentes réalistes

Ce bloc de séances couvre la thématique

“Gestion des émotions et développement

de cognitions adaptées”.

Un des objectifs est une action ciblée sur

l’humeur des proches, qui est justifiée par

plusieurs études montrant que l’évolution

favorable de la maladie n’entraîne pas né-

cessairement une amélioration de l’hu-

meur des familles (Keitner et al. 2003,

Knight et al. 2000, cités dans le Guide de

l’animateur, Profamille 2012). L’amélio-

ration de l’humeur des proches permet

d’une part d’améliorer leur qualité de vie

et leur état de santé avec pour consé-

quence d’abaisser le niveau d’émotions

exprimées (qui a des répercussions,

comme vu plus haut, sur le taux de re-

chutes du malade), et d’autre part de faci-

liter les apprentissages du programme.

Le programme s’inspire ici de différents

courants, des thérapies cognitivo-compor-

tementales, du mindfullness, de la Théra-

pie d’Acceptation et d’Engagement.

D’une façon générale, l’accent est mis sur

l’apprentissage des différences et des

liens entre cognitions et émotions, l’in-

fluence de ces émotions sur les processus

cognitifs, sur le repérage de cognitions

inadaptées et de jugements erronés. Des

techniques pour la correction de ces co-

gnitions et la meilleure utilisation des

émotions sont mises en pratique.

La séance 8 s’intéresse au sentiment de

culpabilité. Elle permet de faire le point

sur les différents courants théoriques

ayant parfois attribué un rôle à la famille

dans l’apparition de la maladie ainsi que

d’aborder les différentes situations culpa-

bilisantes susceptibles d’être rencontrées

(hospitalisation par exemple). Elle décrit

également les mécanismes de l’anxiété et

des moyens pour la réduire. Enfin, une

partie de la séance est consacrée à la re-

connaissance des émotions et sur la rela-

tion entre pensées et apparition d’émo-

tions négatives.

La séance 9 va plus loin dans la reconnais-

sance des émotions. Les liens entre émo-

tions, cognitions et comportement sont

abordés, ainsi que des techniques pour ré-

duire l’intensité des émotions, ou encore

en réduire les influences négatives.

La séance 10, explicitement intitulée “Dé-

velopper des habiletés à gérer ses pensées

parasites et développer une bonne estime

de soi” est particulièrement riche. Les

thèmes abordés sont notamment :

- Agir sur les émotions par action sur le

comportement.

- Agir sur les émotions par action sur nos

pensées.

- Les pensées automatiques.

- Les règles de déduction et de raisonne-

ment rapide.

- Découvrir et adapter ses schémas de

pensée.

L’apprentissage des “attentes réalistes”

dans la séance 12 peut se décrire de façon

triviale comme “apprendre à voir la réalité

en face”. Il est ici question de l’avenir, et

des croyances et évitements qui s’y ratta-

chent. Le développement d’attentes réa-

listes permet d’éviter des situations de

souffrance et de stress à la fois au patient

et à sa famille, générées par des attentes

déçues.

Il s’agit donc de développer des projets et

des attentes en accord avec les capacités

réelles et actuelles du malade. A contrario

une attente irréaliste est décrite dans le

programme comme “les projets que l’on

aimerait voir se réaliser mais dont on per-

çoit intuitivement que les chances de réa-

lisation dans les 6 mois sont peu pro-

bables”.

Séance 13 : Savoir obtenir de l’aide Séance 14 : Développer un réseau de soutien

Il s’agit ici de développer les ressources

des proches face aux différents problèmes

et obstacles susceptibles d’être rencontrés

directement ou indirectement en rapport

avec la maladie : consolidation des pro-

grès obtenus auparavant et passage vers

une attitude active et efficace, avec l’ob-

tention d’un certain équilibre émotionnel.

Concrètement, le programme permet ici

de préciser les types d’aides et les divers

soutiens institutionnels ou associatifs ;

l’apprentissage d’une demande d’aide ef-

ficace ; la lutte contre la stigmatisation des

malades et de leurs familles.

Les familles apprennent à repérer les

signes d’alarme, à pouvoir en parler avec

le proche et être autorisé à joindre

l’équipe de soin.

Module 2

Le module 2 se déroule sur 24 mois et dé-

bute environ 3 mois après la fin du pre-

mier module. Il vise à maintenir les acquis

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Profamille : impact sur l’humeur des participants

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 41

et renforcer l’apprentissage, après un mo-

dule 1 très riche et souvent concentré sur

une période relativement courte.

Évaluation du programme

L’évaluation fait partie intégrante de Pro-

famille et a permis les nombreux ajuste-

ments et améliorations du programme au

fil du temps, aussi bien concernant le con-

tenu que l’animation.

L’efficacité du programme est évaluée à

travers des questionnaires (avant, après et

à distance des séances) qui en explorent

plusieurs aspects :

- les connaissances acquises

- l’amélioration de l’humeur

- l’amélioration de l’état du malade

- l’acquisition de savoir-faire

- le coping

- la gestion émotionnelle

- la modification des croyances et des ju-

gements

- l’évaluation de la validité sociale

- la santé somatique des participants

L’évaluation se fait également au fil du

déroulement du programme, avec des

exercices à réaliser entre les séances qui

permettent de mettre rapidement en pra-

tique les connaissances acquises.

Centralisés au niveau national, les résul-

tats recueillis permettent par ailleurs de

vérifier des critères de qualité pour les

centres dispensant le programme.

Etude de l’impact du programme sur l’humeur des participants

Objectif Une particularité du programme Profa-

mille est de cibler spécifiquement l’hu-

meur des participants grâce à des séances

dédiées. L’amélioration de cette humeur

est un paramètre essentiel des résultats

positifs du programme.

Elle doit permettre l’amélioration des ca-

pacités d’apprentissages des participants,

d’améliorer le climat émotionnel de la fa-

mille et de faciliter l’évolution des capa-

cités de coping.

Notre objectif a donc été de comparer

l’humeur des participants entre le début et

la fin du programme (Tavares 2015b).

Matériel et méthodes

Les sujets de l’étude sont les 57 partici-

pants de 4 sessions de Profamille au

Centre Hospitalo-Universitaire de Caen,

de 2010 à 2014.

L’échelle CES-D est l’outil d’évaluation

de l’humeur choisie par le programme

Profamille. Cette échelle a fait l’objet

d’une première publication en 1977

(Radloff 1977). La vocation première de

cette échelle est l’évaluation de l’humeur

dans des populations variées et non le dé-

pistage individuel de syndromes dépres-

sifs caractérisés. Il s’agit d’un auto-ques-

tionnaire de 20 items, qui interrogent la

symptomatologie présentée au cours de la

dernière semaine : appétit, concentration,

sommeil, tristesse, estime de soi, entrain,

pleurs, repli social notamment. Les scores

totaux vont de 0 à 60. L’échelle a été tra-

duite et validée en 1985 (Fuhrer, Rouillon

1985).

Le questionnaire est complété au cours

d’une séance, au début et à la fin du pro-

gramme.

Nous avons distingué pour l’analyse :

- les sujets à risque de syndrome dépres-

sif majeur (score initial > 16) ;

- les sujets à haut risque de syndrome dé-

pressif majeur (score initial >22) ;

- les sujets non déprimés initialement

(score initial inférieur ou égal à 16) ;

Les comparaisons de moyennes ont été ré-

alisées via le logiciel de statistiques R, en

utilisant un test de Wilcoxon bilatéral sur

données appariées.

Résultats

Trente-trois participants voient leur score

à la CES-D s’améliorer entre le début et la

fin du programme, soit 58% d’entre eux.

Les sujets initialement à risque de syn-

drome dépressif majeur (n=23), amélio-

rent de façon marquée et significative leur

humeur (p < 0,001, écart des moyennes de

12,1 points).

Pour les sujets initialement à haut risque

de syndrome dépressif majeur (n=18),

l’amélioration est également significative

(p < 0,001, écart des moyennes de 13,6

points).

Les résultats ne sont pas significatifs pour

les patients non déprimés initialement

(n=31). Notre étude ne permet pas de

mettre en évidence une dégradation de

l’humeur des participants non déprimés

initialement.

Discussion

Ces résultats sont importants sur plusieurs

plans.

Ils montrent tout d’abord que le choix fait

par Profamille de cibler spécifiquement

l’humeur des participants porte ses fruits :

en moyenne, l’humeur des participants

s’améliore entre le début et la fin du pro-

gramme et en particulier pour les plus dé-

primés d’entre eux. Le travail sur la ges-

tion des émotions et le développement de

cognitions adaptées (séances 7 à 11 en

particulier) semble donc efficace.

Il était par ailleurs important de vérifier

qu’en contrepartie d’une amélioration

pour les participants déprimés, l’humeur

des participants non déprimés ne pâtissait

pas du programme. Des participants ont

ainsi pu clairement exprimer verbalement

leurs craintes initiales : « si je parle de la

maladie, je vais aller moins bien ». Notre

étude ne permet pas de mettre en évidence

une dégradation de l’humeur pour ces su-

jets et ne valide donc pas cette inquiétude.

Enfin, il faut souligner que cette amélio-

ration de l’humeur est centrale parmi les

bénéfices attendus du programme. Les ef-

forts d’apprentissage demandés par le

programme, sur le plan théorique mais

aussi sur le plan des comportements, se-

ront facilités par la bonne santé psychique

des participants.

Le proche moins déprimé gère mieux le

stress aigu, les frustrations répétées, com-

munique mieux. Il peut observer les chan-

gements positifs et désapprend l’impuis-

sance. Par ailleurs, il apprend mieux les

apports de Profamille, les reproduit et les

maintient dans le temps. Ces différents as-

pects se renforcent mutuellement.

La figure 1 tente de représenter ces inte-

ractions.

Les conditions du changement pour le

malade sont alors réunies. Idéalement, il

ne subit plus de surprotection ni de sous-

stimulation, et l’aidant trouve une bonne

distance. Une étude complémentaire que

nous avons réalisée en 2015 permettait de

retrouver une amélioration statistique-

ment significative des capacités de coping

des participants (évaluées par le Family

Coping Questionnaire -Magliano et al.

1996), des connaissances (évaluées par un

auto-questionnaire spécifique au pro-

gramme).

Les bénéfices sont doubles : d’un côté la

famille est en meilleure santé et donc en

meilleur capacité d’apporter une aide

utile ; d’un autre côté, le proche acquiert

avec plus d’efficacité des connaissances

et des outils qui l’aideront à maintenir un

climat émotionnel favorable.

Conclusion

Notre étude a permis de mettre en évi-

dence une amélioration significative de

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 42

l’humeur des participants au programme

Profamille.

Une étude complémentaire (Tavares

2015a) a permis de confirmer que les as-

pects pédagogiques, psychologiques et

comportementaux du programme Profa-

mille s’articulent avec cohérence. Le

proche aidant, en moyenne, réagit mieux

face aux situations difficiles, connaît

mieux la maladie et ses conséquences, et

in fine adapte ses comportements -dans un

contexte global d’amélioration de son hu-

meur. Les bénéfices se retrouvent aussi du

côté du malade, dont les aptitudes et capa-

cités progressent. Ce double bénéfice il-

lustre de façon concrète le cadre théorique

dans lequel s’est développée la psychoé-

ducation familiale dans la schizophrénie,

qui montre l’importance des interactions

entre le malade et ses proches.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 43

Introduction

Pouvoir se voir, se regarder, accepter son

image, sa représentation face aux autres,

sont des difficultés souvent rencontrées

chez les patients psychotiques.

La possibilité d’accéder à ces capacités

parfois altérées peut être appréhendée à

travers l’imagination, la créativité, le dé-

passement de ses propres limites, etc.,

comme une opportunité d’avancer dans sa

prise en soin en accédant à la partie saine

de nos patients afin de les accompagner

vers des projets de réinsertion sociale, de

réhabilitation psychosociale et d’autono-

misation.

C’est à partir de ce postulat, que nous

avons choisi de travailler avec un nouvel

outil : la caméra. Ce médiateur s’est ré-

vélé un outil formidable et nous avons

souhaités vous faire part de notre expé-

rience à travers cet article.

Présentation

Le pôle de psychiatrie de Mantes compor-

tait deux hôpitaux de jour. Suite à des pro-

blèmes de locaux, les deux hôpitaux se

sont réunis en septembre 2014. La bruta-

lité du rapprochement a été source de con-

flits et de tensions assez importants. Com-

ment regrouper deux équipes aux fonc-

tionnements opposés et concepts de tra-

vail différents ?

C’est avec ces difficultés que le groupe Acteurs Studio est né.

Il s’est constitué à partir du désir des in-

firmiers des deux équipes de travailler au-

tour de la vidéo. Les soignants ont fait le

choix d’utiliser le conflit, la différence de

pratique, pour monter un groupe en-

semble. Nous avons réfléchi et collaboré

pendant plusieurs semaines afin de mettre

en commun les envies et les attentes de

chacun par rapport à ce groupe. Il s’est ra-

pidement avéré que les deux équipes

avaient une vision globale et assez simi-

laire des objectifs pour cet atelier, et c’est

très naturellement que les infirmières in-

téressées à mettre en œuvre ce groupe ont

pu se concerter et définir les fonctions de

chacune.

En effet, l’atelier est composé de trois in-

firmières, deux centrées plus sur la créati-

vité et l’écriture des scénarios tandis que

la troisième a un rôle plus axé sur la tech-

nique et le matériel. Le groupe étant nou-

veau, nous avons fait le choix pour cette

première expérience d’utiliser du matériel

personnel (caméra, logiciel vidéo), en es-

pérant selon l’avancée du groupe, pouvoir

obtenir un financement dans les mois à

venir pour l’achat de matériel adapté et

nécessaire à la continuité de l’atelier.

Les premières séances de travail, en

équipe réunifiée, ont permis de réfléchir

sur l’offre de soin de notre hôpital de jour

réuni qui avait déjà de nombreux ateliers

thérapeutiques. Il nous a semblé qu’il

manquait des ateliers permettant aux pa-

tients de se mettre en scène et de s’expri-

mer.

Lors de la création du groupe, il existait

déjà un groupe théâtre qui avait des objec-

tifs concomitants au groupe Acteurs stu-

dio mais qui, toutefois, n’étaient pas ac-

cessibles à certains de nos patients. C’est

dans cette optique que nous avons élaboré

les objectifs propres à notre groupe et à la

façon dont nous souhaitions le mener.

En effet, dans un premier temps, nous

avons voulu travailler autour de la restau-

ration narcissique à travers l’image de soi.

L’une des problématiques de nos patients

est d’arriver à exister en tant qu’individu

et non en tant que sujet malade. Si nous

définissons l’estime de soi comme étant

une adéquation entre l’amour du Moi (au-

trement dit le narcissisme) et l’idéal du

Moi (présentant un modèle d’identifica-

tion, qui décrit la satisfaction éprouvée

face à la représentation en étant conforme

aux représentations investies comme po-

sitives), nous pouvons accompagner le

patient à trouver ou à retrouver une image

de soi dans laquelle il ait assez confiance

pour s’autoriser à aller de l’avant. Prenons

l’exemple d’un patient que l’on nommera

Antoine, de nature plutôt introvertie et an-

goissée. Celui-ci a eu beaucoup de mal à

“jouer” un rôle mais, lors des répétitions,

il a été régulièrement sollicité et valorisé.

Si bien que, lors du visionnage du film

produit par le groupe, il se présente avec

un grand sourire disant que c’était bien,

sous-entendu « je me trouve bien », et

c’est alors qu’il nous demande quand

sera le prochain film ?

On peut comprendre cette situation, en

lien avec la pensée de Winnicott lorsqu’il

La fusion de deux hôpitaux de jour aux pratiques différentes n’est pas simple, il est parfois difficile de trouver une cohésion d’équipe. L’opportunité de créer un nouvel atelier thérapeutique nommé Acteurs Studio, basé sur l’utilisation de la vidéo, donne l’occasion à chacun d’apprendre sur la pratique de l’autre. Grâce à la mise en place conjointe de cet atelier, les soignants ont pu découvrir sur leur façon de travailler. Les infirmières référentes du groupe ont accompagné des patients psychotiques à travailler et dépasser leurs difficultés d’estime de soi en lien avec la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes, en stimulant leur créativité et leur imagination et en développant la communication, en favorisant l’échange, tout ceci pour une participation intégrante et totale au projet du groupe par la concrétisation d’un film nommé “Où est le Nord ?”.

Mots clefs : imagination, créativité, dépassement des limites, réinsertion sociale, réhabilitation psychosociale, autonomie, restau-ration narcissique, estime de soi.

When caregivers are staging patients

The merger of two hospitals in day to different practices is not easy, it is sometimes difficult to find a team cohesion. The opportunity to create a new therapeutic workshop named Actors Studio, based on the use of video, gives the opportunity for everyone to learn about the practice of the other. Through setting up joint workshop, caregivers were able to discover on their way to work. Referent nurses of the Group were accompanied by psychotic patients to work and overcome their difficulties of self-esteem in connection with the representation that they themselves, by stimulating their creativity and their imaginations and develop communication by promoting exchange all this for an integral and total participation in the project of the group by the realization of a film named “Where is North?”.

Keywords: imagination, creativity, exceeding limits, social reinsertion, psychosocial rehabilitation, autonomy, narcissistic resto-ration, self esteem

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 44

LES AUTEURS

Stéphanie BARON Marie-Elodie DUBOST-VIEL Infirmières Hôpital de Jour Corot Hôpital F. Quesnay 1 boulevard Sully 78200 Mantes-la-Jolie France [email protected]

BIBLIOGRAPHIE

1. GRUNBERGER B., (1975), Le narcissisme, Payot, p. 19.

2. Klein M. (1989), L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation, in L’amour et la haine, de Mélanie Klein et Joan Rivière, Petite Bibliothèque Payot, p. 145.

3. WINNICOTT D. W. (1986), Jeu et réalité. L’espace potentiel, Editions Gallimard, p. 155.

dit « Peut-être un bébé au sein ne re-

garde-t-il pas le sein ? Il est plus vraisem-

blable qu’il regarde le visage (...). Que

voit le bébé quand il tourne son regard

vers le visage de sa mère ? Généralement,

ce qu’il voit, c’est lui-même… » [3]. Nous

pensons que le cadre étayant et rassurant

du groupe a permis à ce patient de trouver

en lui une certaine estime de soi. D’autres

psychanalystes, en particulier Mélanie

Klein [2] et Bela Grunberger [1], nous ont

montré que l’amour de soi était une con-

dition indispensable pour s’ouvrir à la re-

lation objectale, c’est-à-dire à la relation

aux choses, aux autres et au savoir.

C’est à partir de ses réflexions que nous

avons pensé les objectifs suivants :

- relancer la créativité et le plaisir de

création,

- savoir se saisir de tout ce qui se passe

lors de l’atelier (dynamique du groupe,

ressentis, émotions, échanges, …),

- développer l’imaginaire, l’expression

de soi et la projection dans un person-

nage dans un but de valoriser le patient

et de diminuer l’isolement physique et /

ou psychique ainsi que l’autoriser à ac-

céder à une autre identité que celle de

malade,

- construire un projet commun et concret

et atteindre un niveau de reconnaissance,

auprès des autres patients de la structure

mais aussi au sein de la structure fami-

liale,

- aider à la reconstruction en favorisant

la perception que le patient a de lui-

même,

- rassurer, restaurer la confiance en soi et

l’estime de soi, réinvestir la réalité et

s’investir et s’impliquer sur l’extérieur,

- stimuler les fonctions cognitives et les

capacités sociales,

- redécouvrir son corps en tant qu’une

unité d’un ensemble,

- développer des techniques de commu-

nications verbales et non-verbales.

Impliquer les patients dans le champ artis-

tique, sous-tend une forte motivation et

une participation active lors de l’atteinte

d’un but précis : la production du film

comme objectif concret et l’opportunité

de le diffuser en public (professionnels du

pôle et familles) a permis une reconnais-

sance du travail fourni et surtout un inves-

tissement important des patients.

Une fois les objectifs pensés en commun,

nous nous sommes concentrées à la cons-

truction et au déroulement du groupe.

Nous avons décidé de partager la durée de

séances en 3 parties :

- écriture d’un scénario, par petits grou-

pes de 3à 4 personnes (45 mn)

- jeu et la mise en scène (45 mn)

- “débriefing” permettant de parler des

émotions ressenties lors du jeu, d’évo-

quer les difficultés rencontrées mais

aussi de stimuler et d’encourager les pa-

tients (30 mn).

Puis, nous avons réfléchi aux patients sus-

ceptibles de participer.

Cette étape nous a pris peu de temps car

nous étions d’accord sur les indications

des patients envisagés. Le plus difficile

fût finalement, lors de notre flash hebdo-

madaire en équipe complète, de présenter

notre projet d’atelier thérapeutique et de

proposer les patients pressentis. Il nous a

fallu longuement argumenter le bien-

fondé de l’indication de certains patients.

Une fois le groupe défini, nous avons ren-

contré chacun des 7 patients pressentis

lors d’un entretien individuel pour leur

présenter ce nouvel atelier et connaitre

leurs attentes. Tous ont eu l’envie de s’en-

gager dans cette aventure.

Pour respecter le cadre légal, nous avons

fait signer une autorisation de diffusion de

droit à l’image à chacun des participants.

Nous pensions rencontrer quelques réti-

cences de leur part, de celle des familles

ou des curateurs mais, à notre grande sur-

prise, il n’en a rien été.

Fin janvier 2015, le groupe commence.

Nous débutons la construction d’une his-

toire et d’un scénario. Rapidement, les

différents échanges entre les patients ont

permis la création d’un esprit d’équipe et

un lien de confiance entre eux et nous.

Cette cohésion a facilité le développe-

ment d’une communication entre eux en-

traînant une certaine aisance à jouer un

rôle, avec une capacité à différencier leurs

propres émotions et celles attribuées au

personnage, surprenante au regard de

leurs pathologies.

L’apport de la caméra s’est fait progressi-

vement au cours de séances afin d’habi-

tuer les patients à ce nouveau médiateur et

les préparer à intégrer la possibilité de

voir sa propre image et accepter qu’elle

soit regardée, observée, interprétée voire

critiquée par les autres. Tout un travail

préparatoire a été nécessaire pour arriver

à cette étape et éviter ainsi tout malaise ou

mal-être pouvant être engendré par son in-

troduction.

Il faut admettre que jouer un rôle devant

la caméra peut être un exercice difficile

pour les patients qui, au travers du jeu,

peuvent exprimer leurs fantasmes incons-

cients et leur agressivité. « C’est en jouant

et peut-être seulement quand il joue que

l’enfant ou l’adulte, est libre de se mon-

trer créatif » remarque Winnicott [3]. Il

précise que c’est un « processus exclusi-

vement intrapsychique et fantasmatique

où la représentation de soi est transférée

à une représentation de l’objet ». Comme

l’a défini Sigmund Freud à propos du

cadre de la cure, il s’agit de permettre un

transfert qui témoigne de la réalité psy-

chique interne du patient. Pour rendre ce

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Quand les soignants mettent en scène les patients

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 45

transfert possible, il convient de mettre en

place un cadre thérapeutique, c’est-à-dire

faire en sorte que les éléments de la réalité

du patient n’interviennent pas directement

sur le soin. Cette réalité n’est prise en

compte qu’à travers la subjectivité du pa-

tient.

D’où l’importance de l’alliance thérapeu-

tique créée dans la relation de soin et de la

mise en place d’une distance thérapeu-

tique adéquate entre patients et soignants.

L’idée étant que les soignants amènent les

patients à l’individuation en tant que su-

jet, à travers l’étayage porté par les soi-

gnants qui occupent le rôle d’une “mère

suffisamment bonne” au sein du groupe.

Dans les années 30, Winnicott élabore dif-

férents concepts, notamment l’interaction

de l’enfant avec sa mère qui va lui per-

mettre de forger son Moi.

Il utilise la notion d’une “mère suffisam-

ment bonne” qui doit prodiguer à l’enfant

des soins (Handling) en lui permettant de

prendre conscience de son corps et qui

doit aussi apporter un soutien physique

(holding). Si la mère est “suffisamment

bonne”, il développera un « vrai-self » à

partir duquel il pourra réaliser son iden-

tité.

Mise en place

Nous sommes mi-février et l’hôpital de

jour organise pour la première fois en mai

une représentation de ses ateliers auprès

du pôle de psychiatrie et des familles dans

une salle de spectacle.

A cette occasion, le groupe Acteurs studio

est sollicité.

C’est avec ce challenge que nous com-

mençons la construction du scénario du

film. Celui–ci s’est fait de manière collé-

giale et chaque patient a pu apporter ses

idées de façon à se sentir investi dans ce

projet. Le choix de la thématique s’est

porté sur un film à suspense en mettant à

profit l’expérience de l’angoisse, senti-

ment connu par l’ensemble des patients

sans qu’ils soient forcément eux-mêmes

toujours angoissés même au moment des

séances. Le titre choisit est « Où est le

Nord ? ».

La distribution des rôles s’est faite en pre-

mière intention sur des personnalités dif-

férentes des leurs mais il s’est avéré que

les traits-forts de caractères principaux de

chaque patient sont finalement ressortis

dans le personnage en conservant tout de

même cette distance entre personnalité

propre et personnage.

D’un commun accord, il a été décidé que

notre présence et notre rôle se centreraient

sur l’accompagnement et l’encadrement

de l’atelier. Cette participation hors

champ n’a jamais dérangé les patients qui

avaient conscience d’être les acteurs prin-

cipaux du film et de l’atelier en général.

Bien au contraire, on peut penser que cette

présence soignante, rassurante, a facilité

le déploiement de contenu chez les pa-

tients, qui se sont sentis sécurisés par la

prise en charge exclusive du cadre par les

soignantes.

Au niveau du scénario, nous avons fait le

choix de laisser les patients libres de se

laisser à l’improvisation, avec la possibi-

lité de s’appuyer sur une phrase type no-

tée sur le script. Cette façon de fonction-

ner s’est montrée apaisante et leur a donné

une certaine souplesse et liberté dans la

façon de tourner et de s’approprier leur

rôle. Ce mode de fonctionnement a ren-

forcé la confiance avec l’équipe soignante

qui n’attendait pas la perfection et l’at-

teinte d’un résultat précis.

De ce fait, toutes les séances consacrées à

ce projet ont développé au fur et à mesure

une ambiance de groupe solidaire, atmos-

phère souvent ressentie dans les groupes

où les patients se “mettent à nu”.

De plus, de par leur investissement et leur

motivation, les patients ont répondu pré-

sents et se sont montrés actifs lorsqu’il

leur a été demandé de venir pour des

séances de tournage supplémentaires,

souvent hors planning. Ils ont été particu-

lièrement présents, participants et ont res-

pecté les consignes comme l’apport de

leurs tenues quelques semaines avant le

tournage. Le groupe s’est montré très pro-

ductif à l’annonce de ce projet et l’histoire

a été rapidement choisie.

Le scénario parle d’un groupe de randon-

neurs qui partent pour la journée accom-

pagné d’un guide.

Or, rien ne se passe comme prévu. Les

randonneurs, en fait un groupe d’amis,

sont accompagnés par un guide, François,

qui les emmène en forêt, mais celui-ci

perd vite ses repères et ne trouve plus le

nord. Jean-Pierre marié à Cinderella se

rapproche d’Isabelle, flattée par cette

marque d’attention. Claire, la meilleure

amie d’Isabelle se montre jalouse et ne

supporte pas l’attitude de son amie. Yacin

profite de la situation et essaye désespéré-

ment de séduire Claire sans succès. Jo-

seph, vieil ami de François est à l’origine

de cette randonnée. Lors de celle-ci, des

évènements étranges se produisent : des

disparitions curieuses notamment. Voilà

en quelques mots l’intrigue développée

par le groupe.

De la mi-février à la mi-avril, nous avons

travaillé sur la mise en scène du scénario

et le jeu d’acteur. Il est important de rap-

peler que l’introduction de la caméra ne

s’est faite que plus tard et de manière pro-

gressive au fur et à mesure des répétitions,

de façon à ce que les patients mémorisent

l’histoire et se familiarisent avec leur per-

sonnage. L’interaction entre eux s’est dé-

ployée assez facilement, résultat du tra-

vail élaboré tout au long des séances et a

permis un jeu de rôle assez juste et adapté.

Dès lors, la caméra a pu être introduite de

manière à habituer le groupe à sa présence

et envisager, enfin, le tournage en condi-

tion réelle. A chaque étape de travail, les

échanges se sont montrés de plus en plus

constructifs amenant les patients à bien

supporter le regard des autres, la critique

- positive comme négative – mais, surtout,

un lien de confiance s’est confirmé lors du

tournage, les uns connaissant les phrases

et les moments d’intervention des autres.

Réalisation

Pour le tournage, nous avons filmé en ex-

térieur et, pour ce faire, nous avions pro-

grammé plusieurs jours.

Or, le jour du tournage, les patients se sont

montrés très impliqués malgré la diffi-

culté de la tâche. Il faut rappeler que ce

sont des randonneurs dans l’histoire et

qu’il a fallu plusieurs prises pour obtenir

l’effet souhaité, ce qui veut dire qu’ils ont

beaucoup, beaucoup marché et jamais ils

ne sont plaints, alors qu’en temps normal,

il s’agit de patients plutôt apathiques.

Finalement, le tournage s’est effectué en

une seule journée. Les patients satisfaits

de pouvoir enfin concrétiser leur travail

ont montré un certain professionnalisme.

Une fois le tournage terminé, nous avons

mis les patients à contribution pour le

choix des prises de vues lors du montage,

toujours en maintenant cette cohésion

créée par le film, de façon à les impliquer

à toutes les étapes du projet commun.

Cela nous a donné un film de 22 minutes

au lieu des 15 envisagées.

Un peu intimidés lors des premières dif-

fusions, ils ont au fur à mesure développé

un esprit critique et su apprécier à juste

titre leur prestation et leur travail.

Lors de la diffusion du film au spectacle,

les patients ont eu de nombreux retours

positifs des familles, des soignants et des

autres patients ce qui a été très valorisant

pour des personnes ayant peu l’occasion

de se mettre en valeur, et a été source de

fierté et de satisfaction pour chacun. Cela

a également suscité chez d’autres patients

l’envie de vivre à leur tour cette expé-

rience si enrichissante et constructive.

Nous sommes début juin. Le groupe n’est

pas terminé, il nous reste un mois avant la

fin du groupe qui fera une pause pendant

l’été. La construction du film ayant été

menée à bien, nous avons eu l’idée de pro-

poser un travail sur des publicités. Nous

avons demandé aux patients de créer une

publicité plutôt humoristique et une plutôt

classique autour d’un même produit.

Mais dès la première séance, nous consta-

tons une baisse manifeste d’investisse-

ment et de créativité. Ils sont de moins en

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 46

moins assidus, on note beaucoup d’absen-

téisme et le groupe s’arrête ainsi.

L’été se passe, période qui est l’occasion

chaque année de mettre en place des ate-

liers ponctuels. Nous avons ainsi créé un

groupe Jeux de mimes lors duquel nous

demandions aux patients, par petits

groupes, de jouer une scénette préalable-

ment définie. Ce groupe était ouvert à tous

les patients, afin de se faire une idée de

ceux étant susceptibles de pouvoir inté-

grer notre groupe à la rentrée.

Fort du résultat, nous avons pu intégrer 3

nouveaux patients aux 7 déjà présents

dans le groupe. Nous nous orientons, en

effet, vers un agrandissement du groupe et

la production d’un second film.

Conclusion

Le groupe Acteurs studio est un jeune

groupe qui a su tirer profit d’une situation

difficile pour inventer un nouveau dispo-

sitif de soins. L’engouement provoqué par

le film auprès du public ainsi que la moti-

vation et l’envie du groupe dans l’inves-

tissement et la réussite de ce premier film

ont permis de concrétiser cette fusion des

deux hôpitaux de jour “au pas de course”,

pour les soignants mais aussi pour les pa-

tients, en la transformant en quelque

chose de positif.

Il convient de pointer que la finalité du

projet a été un moteur des plus stimulants

pour nos patients et a mis l’équipe soi-

gnante sous tension pour produire un ré-

sultat satisfaisant. En effet, chacun a dû

puiser au fond de ses réserves psychiques

et émotionnelles pour développer ses ca-

pacités de dépassement et de sublimation.

A la reprise du groupe en septembre, nous

avons émis le souhait d’assister au festival

Vidéo psy en santé mentale à la Villette

en novembre 2015 afin de pouvoir ren-

contrer d’autres équipes et de découvrir le

travail d’autres structures de psychiatrie.

Pour autant, la pérennité de cet atelier thé-

rapeutique n’est pas acquise aux vues de

la situation économique de l’hôpital. En

effet, aujourd’hui, nous ne sommes pas

sûres d’obtenir les fonds nécessaires à la

poursuite du groupe pour l’achat du maté-

riel.

Il reste que cette expérience innovante

laissera une trace stimulante à l’hôpital de

jour et source, nous le souhaitons, d’une

certaine émulation.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 47

Introduction

Chacun de nous a sa propre ligne mélo-

dique, son rythme, son tempo. Cette mé-

lodie nous caractérise comme individu de

manière unique. Elle s’exprime notam-

ment dans notre relation avec la nourri-

ture, une relation de nature archaïque et

complexe. Nous mangeons trop ou pas as-

sez, parfois jusqu’à nous mettre en dan-

ger. Avec le temps, certaines personnes -

nos patients -, à force de rejouer leur mé-

lodie trop souvent de la même manière, ne

savent plus comment faire pour la jouer

d’une façon différente.

Cette mélodie caractérise l’expression de

la souffrance des patients, mais également

leur manière de demander de l’aide, d’en-

trer en soin, d’accepter du soutien et un

cadre thérapeutique, de s’engager dans un

processus de guérison, de s’adapter au

changement et de quitter la relation

d’aide. La mélodie du patient est compo-

sée d’un côté, de répétitions et de retours

à l’identique, et, de l’autre côté, d’une or-

ganisation singulière de la temporalité.

En psychothérapie, la mélodie du patient

rencontre la mélodie du soignant, les deux

s’expriment, se mêlent, se lient. Chacune

de ces rencontres est unique. En décrivant

la rencontre entre une mère et son enfant,

Daniel Stern utilise la métaphore d’une

chorégraphie musicale pour décrire les re-

lations mère-bébé ou thérapeute-patient.

Les accordages et les ajustements de cette

chorégraphie visent à trouver ou à créer le

rythme qui soutiendra la rencontre inter-

subjective, la communauté d’expérience,

le partage d’expérience (Ciccone, 2006).

Dans cette rencontre, l’improvisation du

patient consiste à avancer sans cesse dans

sa phrase musicale, en ayant l’impression

de se tromper à tout moment, mais de se

rattraper à chaque instant. L’intensité et le

rythme des soins se doivent d’être iso-

morphes à cette dynamique émotionnelle.

Le rythme comme base de sécurité

Une infirmière décrit sa rencontre avec

une jeune patiente anorexique au sein de

l’unité hospitalière des Espaces de soins

pour les troubles du comportement ali-

mentaire (ESCAL) des Hôpitaux univer-

sitaires de Genève. Mlle A. arrive dans le

service, accompagnée par sa mère. Elle

est admise en hospitalisation non volon-

taire. La mère exprime son sentiment

d’impuissance face aux malaises à répéti-

tion de sa fille, qui mange une galette de

riz le matin et boit des jus et de l’eau le

reste de la journée. L’infirmière accom-

pagne la patiente pendant les repas en

chambre pour éviter le dégoût face aux as-

siettes des autres. La première semaine, la

patiente est en observation sans obligation

de manger. Le but est d’éviter un syn-

drome de renutrition : ¼ d’une portion

normale est servie. « Mlle A. me dit avoir

des angoisses dès qu’elle entend la sonne-

rie retentir au sein de l’unité à 8h, elle sait

que ce sont les chariots repas qui arri-

vent. Elle nécessite un calmant pour dimi-

nuer ses pensées obsessionnelles. Mlle A.

décide de regarder le plateau repas, me

dit être rassurée de voir qu’un quart du

plateau. Elle commence par enlever le

surplus de mie de pain puis elle effleure le

couteau de beurre sur son pain et boit

normalement son thé. Pendant le repas, la

patiente me raconte le divorce de ses pa-

rents, sa relation avec ses parents et ses

frères et sœurs et m’avoue à la fin du re-

pas que cela lui permet de ne pas penser

à ce qu’elle mange. »

Après le repas, l’infirmière débarrasse le

plateau. La patiente est allongée sur son

lit en pleurs. « Elle me dit ne pas se sentir

bien, et avoir l’impression de ressembler

à E.T., notamment le gros ventre... me dit

aussi avoir l’impression d’avoir un ventre

de femme enceinte... Je lui rappelle que

son BMI est inférieur à la moyenne,

qu’elle présente une atrophie cérébrale et

que son bilan sanguin présente des

troubles électrolytiques. La patiente est

d’accord avec les données que je lui an-

nonce mais me dit avoir tout de même ses

ruminations. »

L’infirmière lui propose des techniques

de relaxation, elle a pu observer dans la

chambre que la patiente a des huiles es-

sentielles. Puis elle lui accorde un temps

de repos. Sachant qu’elle doit passer régu-

lièrement pendant cette heure afin de vé-

rifier que la patiente ne se lève pas ou

fasse des exercices abdominaux. Le res-

pect du rythme de la patiente lui offre une

base de sécurité. Daniel Stern dirait que

pour cela, l’objet ne doit pas s’absenter un

temps au-delà duquel le bébé est capable

d’en garder le souvenir vivant. L’objet ne

doit pas démentir la promesse de retrou-

vaille, et la retrouvaille doit s’effectuer de

manière rythmique, et à un rythme qui ga-

rantisse la continuité (Ciccone, 2006).

Deux mois plus tard, la patiente est sortie

de l’unité hospitalière et intègre l’hôpital

de jour d’ESCAL. Elle participe à présent

Chaque patient a son rythme et évolue selon sa propre mélodie. La rencontre psychothérapeutique nécessite un accordage et ajustement constant du rythme du dispositif de soin à celui du patient. Les programmes des Espaces de soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL) offrent au patient la possibilité d’une chorégraphie personnalisée, modulable selon ses besoins, son évolution clinique et les indications médicales du moment. Afin de garantir la synchronisation du rythme des soins avec la mélodie du patient, il importe d’accorder les objectifs et les délais psychothérapeutiques dans une relation de co-expertise entre le patient et l’équipe soignante. La modulation du rythme nécessite un jonglage constant entre continuité et rupture de l’intensité thérapeutique, les fausses-notes faisant partie intégrante du processus.

Mots-clés : Trouble du comportement alimentaire, intensité des soins, rythmicité, rencontre psychothérapeutique

Day hospital: same treatment for everyone or treatment “à la carte”?

Each patient has his own rhythm and evolves according to his own melody. The psychotherapeutic relationship needs constant attunement and adjustment between the care setting and the patient’s rhythm. The treatment program of the “Espaces des troubles du comportement alimentaire” (ESCAL) offers the patient the possibility of a personalized choreography, customized according to his needs, the evolution of his clinical state and the actual medical indications. To ensure the synchronicity between the care intensity and the patient’s melody, it is necessary to tune the psychotherapeutic treatment objectives and deadlines, within a co-expertise relationship between the patient and the caregiving team. The modulation of the rhythm requires a continuous juggling between continuity and interruption of care intensity. Hitting the false note is an integral part of the process.

Keywords: Eating disorders, intensity of care, rhythmicity, psychotherapeutic relationship

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 48

LES AUTEURS

Kerstin WEBER Michèle CHARTRIN Anne-Charlotte PAPORÉ Eric VERGER Alessandra CANUTO

Espaces de soins des troubles du comportement alimentaire (ESCAL) 15, rue des Pitons 1205 Genève Suisse

[email protected]

BIBLIOGRAPHIE

1. AUSLOOS G. (1995), La compétence des fa-milles : temps, chaos, processus, Toulouse : Erès Relations, 174 p.

2. CICCONE A. (2006), Partage d’expériences et rythmicité dans le travail de subjectiva-tion, Le Carnet PSY, 109, pp. 29-34

3. DELLUCCI H. (2014), Psychotraumatologie centrée compétences, Thérapie Familiale ; 35, pp. 193-226.

4. FRAMBATI L., PLUCHART K., WEBER K., CANUTO A. (2014), Quand les mains parlent : le jeu de sable, Rev Med Suisse ; 385-388

5. MEKUI C., WEBER K. (2015), Troubles du comportement alimentaire et prise en charge en hôpital de jour psychiatrique, Rev Med Suisse ; pp. 406-408

6. ONNIS L. (2013), Anorexie et boulimie, le temps suspendu. Individu, famille et société, Paris : De Boeck, 336p.

aux repas en groupe. Dans la salle à man-

ger commune, elle aide à mettre la table

pour les autres patients et les soignants

dans la salle à manger. Elle angoisse face

à ce moment de convivialité, d’échange,

de partage. Elle se sent terriblement seule

avec les autres. Elle se sert elle-même son

assiette. Très peu de féculents, beaucoup

de légumes. Les jours suivants, un tout pe-

tit peu plus de féculents, toujours beau-

coup de légumes. Et elle boit de l’eau,

toujours de l’eau.

Sa nouvelle infirmière référente raconte à

nouveau la rencontre. « Un jour, en man-

geant mon orange, grosse, juteuse, appé-

tissante, je lui tends un quartier. Elle le

goûte, le termine, l’avale. Trois semaines

plus tard, elle peut déjà manger trois

quartiers en ma compagnie. Après 3 mois,

elle se sert elle-même une orange entière

et m’en tend une par la même occasion...

Elle se demande comment elle pourrait

arriver à faire de même à la maison... »

Une chorégraphie personnalisée

Cette vignette clinique illustre l’évolution

de la mélodie de la patiente et la modula-

tion de la rencontre thérapeutique par

l’équipe de soins pour accompagner les

changements progressifs de l’état clinique

de la patiente. Le programme ESCAL

(www.escal.ch) s’adresse à toute per-

sonne dès 16 ans exprimant une souf-

france psychologique à travers un trouble

du comportement alimentaire (associé ou

non à d’autres problématiques psy-

chiques). Il offre une porte d’entrée

unique, une évaluation multidisciplinaire,

puis ensuite une orientation de la prise en

soins selon les besoins identifiés.

L’intensité et le rythme des soins sont

ainsi à tout moment adaptés et modulés

selon les besoins du patient, afin de tenir

compte au mieux de son évolution cli-

nique. Trois niveaux de prise en soins sont

à disposition :

- La Consultation offre une prise en

soins psychothérapeutique individuelle

et groupale, à travers des approches di-

verses (thérapie cognitivo-comporte-

mentale, psychothérapie psychodyna-

mique, thérapie par le jeu de sable, thé-

rapie de famille).

- L’Hôpital de jour, sur le modèle de la

communauté thérapeutique, propose une

approche intensive (plusieurs jours par

semaine) en individuel et en groupe. La

psychothérapie, la psychomotricité, l’er-

gothérapie et la thérapie par le jeu de

sable sont les axes d’intervention de

l’équipe multidisciplinaire (Mekui &

Weber, 2014).

- L’Unité de psychiatrie hospitalière

adulte accueille les personnes nécessi-

tant des soins en milieu hospitalier. Elle

possède des compétences à la fois psy-

chiatriques et somatiques.

Des approches transversales (groupe mul-

tifamilial, auto-traitement par Internet,

travail en réseau) s’intègrent dans les trois

niveaux de soins.

Accordage des instruments

Un autre patient, âgé de 17 ans, ne vient

plus à l’hôpital de jour. Il consulte aux ur-

gences psychiatriques, ayant mis son état

de santé en danger. Trop de vomissements

ont fait ralentir son cœur. Après avoir sta-

bilisé ses constantes vitales, l’équipe des

urgences psychiatriques le ré-adresse à

l’hôpital de jour pour une nouvelle éva-

luation.

A travers des productions dans le groupe

de psychothérapie par le jeu de sable

(Frambati et coll., 2014), le patient ex-

prime son ambivalence face aux soins. Il

dit avoir besoin d’aide, mais il redoute

l’intensité de ses soins.

« Je ne veux pas être hospitalisé à nou-

veau, j’ai besoin d’aide… mais je ne veux

pas annuler mes vacances... »

Il pose deux murs faits des petits mor-

ceaux mobiles entre lui (pantin en bois) et

tous les intervenants de son suivi, l’équipe

de l’hôpital de jour, la psychologue sco-

laire, le thérapeute de famille, le doyen de

l’école, le médecin traitant, etc.

Une autre patiente du groupe lui propose

« Pourquoi tu ne penses pas à la possibi-

lité d’enlever un morceau à la fois au lieu

de penser de les abattre tous d’un

coup ? ». En retirant une brique du mur, il

explique aux membres du groupe qu’il y

a qu’une seule possibilité d’ouverture

pour lui, une seule proposition de soins à

la fois. Il illustre ainsi clairement qu’il ne

sert à rien de multiplier les intervenants,

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L’hôpital de jour : un menu unique ou des soins à la carte ?

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 49

et de jongler avec différents lieux et inten-

sités de soins. Le patient ne peut se mon-

trer disponible que pour un seul projet à la

fois.

Cette vignette illustre comment les instru-

ments s’accordent parfois difficilement.

Tout accordage demande d’abord de ré-

gler les instruments du patient et des soi-

gnants et de déterminer la note selon la-

quelle les instruments seront accordés.

Dans notre cas, il s’agit de définir si le but

du suivi du trouble du comportement ali-

mentaire sera la reprise d’un poids dans la

norme, la résorption des symptômes dé-

pressifs, la normalisation des valeurs mé-

taboliques et du rythme cardiaque, l’amé-

lioration de la qualité de vie, ou la reprise

de l’école ou du travail ?

Deuxièmement, il importe de fixer un dé-

lai pour l’objectif retenu, afin d’accorder

le tempo de la mélodie et le degré d’ur-

gence. Or, ce délai varie selon l’état de

santé physique du patient, les exigences

familiales, les limites fixées par l’école ou

l’employeur et enfin des contraintes des

assurances maladie. Luigi Onnis (2013)

souligne que toute chorégraphie est orga-

nisée par une logique familiale, une lo-

gique qui dit comment les membres doi-

vent se comporter dans la famille, mais

aussi comment ils doivent sentir, ressentir

et même penser. Souvent, il s’agit d’une

logique, d’un mythe, qui exalte l’unité et

l’harmonie familiale et qu’il faut mainte-

nir à tout prix. Le fantasme de rupture est

constamment présent avec la peur qu’une

manifestation conflictuelle menace et

rompt la chorégraphie familiale. Ainsi,

l’adhésion du patient à la chorégraphie fa-

miliale est profonde, et il est indispen-

sable de composer avec cette chorégra-

phie dans tout objectif thérapeutique du

patient et du délai associé.

Le positionnement thérapeutique est

orienté vers les compétences et les res-

sources, l’équipe psychothérapeutique et

le patient travaillent ensemble avec une

expertise partagée, mais différente. Dans

cette relation de co-expertise, les théra-

peutes, avec tout ce qu’ils ont appris, leur

expérience, leurs acquis, leurs ressources,

sont expert que de la thérapie en général.

La personne est experte de sa vie dans son

contexte, de ses ressources et de son

symptôme et, par là même, capable d’éva-

luer les procédés de sa thérapie (Ausloos,

1995 ; Dellucci, 2014).

De cette expertise partagée découle égale-

ment la notion de responsabilité partagée :

le thérapeute est responsable d’un cadre

de travail sécurisant et de la mise en place

de bonnes conditions de travail, sans les-

quels il serait illusoire de demander à des

personnes, même motivées, de se mettre

au travail. La personne, elle, est respon-

sable du contenu qu’elle amène en théra-

pie et des changements dans sa vie.

Modulation du rythme

Une fois les instruments accordés, la mé-

lodie se joue, se rejoue, s’affine et se per-

fectionne, toujours en adaptant le rythme

des soins au plus près de l’état, des res-

sources et des limites du patient et des

équipes. Afin de réussir la modulation de

ce rythme, le programme ESCAL concilie

deux dynamiques, respectant à la fois la

continuité et la rupture du rythme.

A tous les niveaux d’intensité et à chacun

des trois niveaux, que ce soit à la consul-

tation, à l’hôpital de jour ou dans l’unité

hospitalière, tous les types de troubles ali-

mentaires sont confondus. Tout au long

du suivi, la prise en charge est pluridisci-

plinaire, l’approche est globale, tenant

compte de la personne dans son entièreté

avec des axes de travail à la fois corporels,

verbaux et artistiques. Les temps indivi-

duels alternent avec les espaces psycho-

thérapeutiques de groupe. Le travail en ré-

seau et avec les familles et les autres in-

tervenants extérieur (médecin traitant,

école, etc.) se poursuit lorsque le patient

passe d’un des trois niveaux à un autre.

Simultanément, cette continuité est vo-

lontairement interrompue pour souligner

l’évolution de l’état clinique, que ce soit

la survenue d’un moment de crise ou

l’amélioration du trouble. L’intensité du

suivi peut être à tout moment accrue ou

diminuée, selon un gradient allant d’un

entretien d’une heure de Consultation en

passant par un suivi semi-intensif de 3-4

demi-journées en hôpital de jour et, ce,

jusqu’à une hospitalisation temps com-

plet.

De même, la fréquence peut être modulée

et varie d’un rythme hebdomadaire à quo-

tidien à un rythme de jour ou de jour et

nuit. Les délimitations avec l’extérieur du

lieu de soins, la contenance et la sécurité

offertes par les soins sont modulées pour

favoriser l’autonomie du patient, allant

d’espaces ouverts et libres d’accès aux

chambres avec contacteurs et un contrôle

alimentaire et hydrique strict. La perméa-

bilité entre le lieu de soin et l’environne-

ment se diminue ou s’accroît selon les in-

dications et les besoins du moment.

La rythmicité est une succession d’enga-

gements et de retraits (Ciccone, 2006). Un

sur-engagement continu conduira à la dé-

pendance, si les anticipations sont trop

confirmées, le jeu devient monotone.

C’est dans le manque que naît l’anticipa-

tion, l’autonomie.

C’est là que commence, potentiellement,

le ludique.

Potentiellement, car l’écart peut être an-

goissant, faire craindre le manque, la soli-

tude. Or, si après le défaut survient les re-

trouvailles, l’écart produit de la jubilation,

du plaisir.

Les fausses notes

Mme A, 27 ans, est accompagnée à sa pre-

mière évaluation par trois amis, à vélo.

Les amis souhaitent qu’elle soit prise en

soins car elle est très maigre et tellement

faible qu’elle tombe de son vélo.

Suite à l’évaluation, la patiente est orien-

tée vers le service des urgences qui lui

sauve la vie et elle est ensuite admise à

l’unité hospitalière d’ESCAL. Après plu-

sieurs mois à l’hôpital, Mme A. a repris

quelques kilos et, sortie de l’hôpital, elle

intègre le programme de l’hôpital de jour

d’ESCAL.

Mme A décrit ce changement d’intensité

comme une bouffée d’air, une façon de

sortir la tête de l’eau. Or, après quelques

semaines à l’hôpital de jour, Mme A. a de

nouveau perdu du poids. Elle est ré-hos-

pitalisée. Elle sortira à nouveau après

quelques semaines, mais refusera cette

fois-ci tout nouveau suivi à l’hôpital de

jour. Elle tient cependant à venir dire « au

revoir ! » à l’équipe de l’hôpital de jour.

Sur son choix, elle sera suivie en cabinet

privé hors ESCAL.

Il y a de nombreux “faux-pas” dans les

danses chorégraphiques.

La majorité des interactions sont des inte-

ractions d’ajustement.

Selon Ciccone (2006), les microanalyses

des interactions révèlent que les trois-

quarts environ sont des interactions

d’ajustement. Seuls un quart des interac-

tions sont des interactions de communica-

tion, ou de communion.

Autrement dit, il est normal de se rater, la

dysrythmie est normale.

Conclusion

Albert Ciccone (2006) souligne que le

partage émotionnel et affectif repose sur

et suppose l’implication, contrairement à

l’explication. Seule l’implication permet

la rencontre et la compréhension. Un pa-

tient qui ne se sent pas compris d’un autre

ne peut pas en apprendre quelque chose.

On ne peut rien apprendre de quelqu’un

qui ne nous comprend pas, même s’il sait

très bien tout nous expliquer.

La position clinique, thérapeutique et ses

effets de soin supposent une implication,

un accordage, un ajustement (se mettre au

plus juste et renvoyer le plus juste de l’ex-

périence subjective, affective, émotion-

nelle de l’autre), qui conduit à un partage

suffisant (pas trop mais suffisant) de l’ex-

périence subjective pour produire une

compréhension.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 50

Introduction

On entend souvent que les hôpitaux de

jours pour enfants en pédopsychiatrie sont

des lieux clos, peu perméables et pas as-

sez ouverts sur l’extérieur. Si cette “im-

perméabilité” permet une contenance psy-

chique des troubles psychotiques des en-

fants accueillis, il n’en est pas moins vrai

qu’une nécessité d’ouverture vers l’exté-

rieur semble de nos jours de plus en plus

d’actualité.

Le cas d’un jeune accueilli à l’hôpital de

jour, que nous nommerons Denzel, a été

pour nous l’occasion de nous questionner

sur nos pratiques et à nous encourager à la

créativité en le replaçant, lui et sa mère,

au centre du soins institutionnel par le

biais d’une visite à domicile réalisée par

son infirmière référente. Cet effort d’ou-

verture s’est fait naturellement en permet-

tant à l’institution d’être au service du pa-

tient.

Nous vous proposons, après une courte

présentation de l’hôpital de jour, de vous

montrer, à partir du cas clinique de Den-

zel, comment l’inattendu de la situation a

permis une évolution de nos pratiques en

nous offrant l’opportunité d’une nouvelle

ouverture vers l’extérieur par le biais de

visite à domicile réalisée par les infirmiers

de l’hôpital de jour.

Présentation de l’hôpital de jour

L’hôpital de jour de Cormelles le Royal

est une unité du secteur de pédopsychia-

trie Caen-Falaise qui appartient au pôle de

pédopsychiatrie de l’Etablissement Public

de Santé Mentale de Caen. Nous accueil-

lons des enfants âgés de 3 à 11 ans présen-

tant des pathologies diverses telle que des

troubles envahissants du développement,

des troubles de l’attachement, des dyshar-

monies psychotiques, ou des troubles

graves de la personnalité.

L’équipe soignante se compose de trois

infirmiers, de deux aides médico-psycho-

logiques, d’une aide-soignante et d’une

maitresse de maison qui sont présents tous

les jours sur les temps d’ouverture de

l’hôpital de jour. Elle comprend égale-

ment une cadre de santé, un psychiatre, un

psychologue et une assistante sociale qui

interviennent régulièrement sur l’hôpital

de jour dans la semaine.

L’hôpital de jour accueille actuellement

14 enfants avec une prise en charge sous

forme de journée complète ou de demi-

journée. Nous fonctionnons avec des ate-

liers à médiation thérapeutique qui sont

menés par 2 soignants pour des groupes

de 2, 3 ou 4 enfants.

La prise en charge des enfants suivis à

l’hôpital de jour repose sur un axe théra-

peutique, un axe éducatif et un axe péda-

gogique ou scolaire.

Un système de référence des enfants par

un soignant et un co-référent est mis en

place à l’arrivée de l’enfant. Aucune visite

à domicile n’était pratiquée à l’hôpital de

jour par les soignants. Celles qui pou-

vaient avoir lieu étaient effectuées par

l’assistante sociale.

La situation de Denzel a été l’occasion

d’instaurer cette “nouvelle” pratique, la

visite à domicile par un soignant.

Présentation de Denzel

Denzel est né en juin 2011, il a au-

jourd’hui 4 ans.

Il consulte pour la première fois en dé-

cembre 2013 pour un retard global de dé-

veloppement affectant notamment l’ac-

tualisation du langage et s’accompagnant

d’un trouble relationnel majeur et d’une

agitation psychomotrice nécessitant une

contenance permanente.

Le contexte familial et social est très pré-

caire. Sa mère, d’origine Malienne, est ve-

nue seule en France enceinte pour fuir un

mari violent et ce en désaccord avec sa fa-

mille. L’accouchement a lieu 48 heures

après son arrivée sur le territoire Français

à 32 semaines d’aménorrhée. S’en suit

une hospitalisation d’un mois du nou-

veau-né pour une maladie des membranes

hyalines. Il est à noter que le bilan soma-

tique de Denzel, comprenant un élec-

troencéphalogramme, des potentiels évo-

qués auditifs et une échographie trans-

fontanellaire, est normal.

Denzel et sa mère sont ensuite initiale-

ment pris en charge par le Centre d’ac-

cueil de demandeurs d’asile puis sa mère

obtient un droit de séjour au titre d’ac-

compagnante d’un enfant malade et ils

sont alors hébergés par le 115 (durant sa

prise en charge, leur appartement restera

le même).

Cet article a pour but de vous montrer la créativité dont a fait preuve l’hôpital de jour de Cormelles le Royal par l’instauration de visite à domicile par des soignants. L’un des enfants accueillis a beaucoup questionné l’équipe de l’hôpital de jour notamment en raison de sa situation familiale et de ses troubles. En ce sens, nos interrogations ont rejoint celles des équipes l’ayant précédemment ou conjointement pris en charge. Ainsi nous souhaitons vous faire partager le cheminement clinique qui a abouti à cette visite à domicile et vous la présenter.

Mots- clefs : hôpital de jour, enfant, visite à domicile, psychose, créativité, ouverture, trouble envahissant du développement, pédopsychiatrie, retard global de développement

Home visits, when clinical facts brings the day hospital for children to open itself to the outside and to be creative

The aim of this article is to show how the creativity of the day hospital of Cormelles le Royal led to the instauration of home visits by its caregivers. One of the children we are taking care of questioned a lot the team because of his mental disorders and family situation. Our interrogations were the same has the teams that had previously or jointly taken care of him. We would like to share the clinical path that has led to this home visit and give a brief view of the visit itself.

Keywords: day hospital, children, home visit, psychosis, creativity, pervasive development disorder, child psychiatry, global de-velopment delay.

Keywords: Eating disorders, intensity of care, rhythmicity, psychotherapeutic relationship

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Visite à domicile, ou quand la clinique amène l’hôpital de jour pour enfant à s’ouvrir et se montrer créatif

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 51

Sur le plan clinique, l’évaluation initiale

montre une absence de réactions aux sol-

licitations (aucune réaction verbale, ni vi-

suelle de sa part), une absence d’investis-

sement du jeu et la nécessité d’une conte-

nance permanente au domicile car il pré-

sente des conduite auto-agressives (ingère

ses excréments et se tape la tête contre les

murs).

Une hospitalisation à temps complet à vi-

sée évaluative est programmée et des

soins sont mis en place au sein du service

(groupe thérapeutique bi-hebdomadaire et

prise en charge individuelle) en attendant

une hospitalisation de jour.

En avril 2014, la mère de Denzel est hos-

pitalisée en urgence pour un pneumotho-

rax ce qui entraine le placement en foyer

de Denzel.

Devant les difficultés du foyer à le conte-

nir malgré un renforcement de l’équipe,

l’hospitalisation à temps complet se fait

en urgence. Après une évaluation de deux

semaines et devant l’amélioration du ta-

bleau clinique dans le contexte d’un cadre

hospitalier sécure, les soins se poursui-

vent en ambulatoire conjointement à des

temps d’hospitalisation séquentielle jus-

qu’en novembre 2014, date du début de

l’hospitalisation de jour.

A son arrivée à l’hôpital de jour

Sur le plan symptomatique on note une

agitation psychomotrice modérée, exacer-

bée par la présence de sa mère. Denzel ga-

zouille, ne parle pas mais est en mesure de

pointer pour se faire comprendre. Il a ten-

dance à coller l’adulte et ne cherche pas le

contact de ses pairs (il ne les rejette pas et

peut même les imiter à postériori ou se

saisir des jouets qu’ils ont utilisé). On

note une ébauche de jeu symbolique qui

se construira en cours de prise en charge.

La propreté diurne est acquise mais pas

nocturne. La séparation ne semble pas af-

fecter Denzel, ce qui avait déjà été ob-

servé lors de l’hospitalisation à temps

complet.

Parallèlement aux soins, une scolarité en

classe passerelle se met en place. Des dif-

ficultés sont rapidement pointées et la pré-

sence d’une Auxiliaire de Vie Scolaire est

nécessaire.

Les rencontres avec la mère sont régu-

lières par le biais d’entretiens médicaux

en présence de son infirmière référente.

Le lien mère/fils semble pathologique (un

peu comme si le lien primaire ne s’était

pas mis en place). Cette maman ne met

pas les choses en mots. Les affects ne sont

pas exprimés verbalement et quasi ab-

sents physiquement voire même, par mo-

ment, discordants. Son récit n’est pas

teinté d’émotion et reste très vide et assez

flou. Elle semble de bonne volonté et ac-

cepte les soins et les conseils prodigués

sans forcément s’en saisir et les mettre en

œuvre. Elle se montre peu accessible à

l’élaboration (malgré la volonté de bien

faire les choses).

Parallèlement à ces rencontres, il nous

semble que Denzel progresse. Il se montre

moins agité, est plus en relation avec les

autres enfants et est en recherche de celle-

ci. Les premiers mots apparaissent. Cette

évolution positive est également observée

à l’école.

Au domicile, la mère est en mesure de

percevoir quelques progrès mais, globale-

ment, le tableau qu’elle dépeint semble

peu évoluer (contenance quasi perma-

nente, mise en danger). Les échanges sont

peu informatifs sur le plan clinique mais

nous tentons tout de même d’appréhender

au mieux cette relation mère/fils par le

biais de son parcours de vie et de sa cul-

ture. Malgré nos efforts pour étayer au

mieux cette mère, elle se montre de plus

en plus épuisée et nous lui faisons part de

notre inquiétude.

Devant l’épuisement maternel, le peu

d’informations que celle-ci est en mesure

de nous donner et, enfin, son appréhen-

sion plutôt dramatique de la situation, il

nous paraît important de réfléchir à

d’autres modalités d’intervention. Après

concertation et échanges au sein de

l’équipe, nous envisageons de proposer

une visite à domicile par l’infirmière réfé-

rente, eu égard à plusieurs questions qui

se posent :

- Tout d’abord, qu’en est-il du cadre

éducatif au domicile ? En effet, nous

avons été informés à plusieurs reprises

des difficultés comportementales au do-

micile (mise en danger, fugue). Sa mère

peut dire que c’est difficile, que son fils

s’agite beaucoup, qu’il se tape la tête

contre les murs, qu’il dérange tout, qu’il

jette les objets, qu’il ne parle pas, qu’il

s’endort le soir par épuisement, alors

qu’à l’hôpital de jour il semble plus posé

et calme ne présentant que peu de mo-

ments d’agitation.

- Ensuite, se pose la question du lien

mère/fils devant l’absence d’émotion et

d’ajustement maternel dans les interac-

tions dont nous sommes les témoins.

Ainsi, lors des retrouvailles avec sa

mère, Denzel peut manifester des émo-

tions en se mettant à courir ou en se je-

tant sur elle. Du côté de sa mère, nous ne

ressentons aucun affect. Notre regard sur

ce lien qui semble perturbé est croisé

avec celui de l’équipe de l’hospitalisa-

tion à temps complet (nombreux progrès

de Denzel durant l’hospitalisation et ab-

sence de prise de nouvelles de sa mère et

absence de désir de revoir son enfant)

Nous notons également une certaine dif-

férence d’appréciation dans les données

cliniques. En effet, la psychologue ayant

LES AUTEURS

Dr Yannick FISCHER médecin psychiatre Aurélie GUASCH infirmière

Hôpital de jour 25 rue de la libération 4123 Cormelles le Royal France

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 52

initialement pris en charge Denzel pensait

qu’une guidance et un accompagnement

maternel suffirait à améliorer l’état psy-

chique de Denzel alors que l’équipe de

l’hospitalisation à temps complet pensait

plutôt à un placement familial.

Bien qu’à l’hôpital de jour l’état psy-

chique de Denzel s’améliore, il semble

qu’au domicile, sa mère ne relate que peu

d’amélioration malgré le travail de gui-

dance parentale que nous lui prodiguons.

Par ailleurs, l’épuisement maternel de

plus en plus visible, à la fois physique et

psychique, et ce, malgré notre interven-

tion, semble renforcer l’idée qu’un étay-

age plus important est nécessaire pour

permettre à Denzel d’aller mieux et pour

permettre un travail du lien mère/fils.

Enfin, il nous semble essentiel d’avoir

une approche clinique au plus juste du

quotidien en raison des difficultés d’éla-

boration de cette mère.

Ainsi, face aux interrogations soulevées

par les équipes ayant précédemment pris

en charge Denzel concernant les troubles

de la relation mère-enfant, nos propres in-

terrogations, le peu d’éléments cliniques

obtenus en entretien avec sa mère et l’état

de fatigue qu’elle présente, il est décidé de

réaliser une visite à domicile dans le but

d’ajuster notre prise en charge thérapeu-

tique.

Déroulement de la visite à domicile

Le logement est vétuste et se trouve au

rez-de-chaussée d’un vieil immeuble du

115. La mère de Denzel attendait l’arrivée

de l’infirmière. Lorsqu’elle a vu l’infir-

mière, elle est sortie pour l’accueillir. La

pièce principale est composée d’un lit

pour 2 personnes, d’une armoire qui ne

ferme pas et d’une petite table où est po-

sée la télé. Denzel et sa mère dorment

dans le même lit. Il a des jouets à disposi-

tion (jouets dont il ne se sert pas selon sa

mère). La télé est allumée en permanence

et diffuse en boucle des clips musicaux.

Denzel ne doit pas sortir car l’entrée de

l’immeuble donne sur la route.

Le garçonnet est surpris de cette visite,

surprise marquée par un long moment

d’excitation et d’agitation. Sa mère tente

en vain de le canaliser en lui demandant

d’arrêter sur un ton monocorde, lisse, puis

tente de le contenir physiquement sans lui

parler. L’enfant crie, se débat et finit par

se calmer. Sa maman le lâche alors. Un

temps de jeu très bref est alors possible

mais Denzel se disperse et s’agite à nou-

veau.

A aucun moment de la visite, madame

n’élèvera le ton de la voix et ce malgré la

forte agitation et la mise en danger de

Denzel. Il court partout, grimpe sur les

meubles et rapporte tous les objets qu’il

peut saisir (médicaments, ustensiles de

cuisine…). Lorsqu’il arrache un fil élec-

trique, elle lui demande simplement de le

rebrancher.

Madame explique qu’habituellement,

Denzel reste tout nu dans l’appartement,

et qu’elle ne l’habille que pour sortir. Elle

n’a pas expliqué à Denzel qu’il est habillé

en raison de la visite et non en raison

d’une sortie. De ce fait, il cherchera à de

multiples reprises à sortir en mettant ses

chaussures, en essayant d’ouvrir la porte,

en mettant son manteau...

Durant la visite, il n’y a eu que très peu

d’interactions entre la mère et l’enfant,

peu de paroles, Denzel allant plus volon-

tiers vers l’infirmière lorsqu’il veut

quelque chose (pas de jeux de regards

entre la mère et l’enfant).

Quand l’infirmière annonce son départ,

Denzel met son manteau et son écharpe

très rapidement et sa mère dit « il va me

faire une crise quand vous allez partir »

et, effectivement, l’enfant se met à crier

quand la porte se referme

En sortant du domicile, l’infirmière se

sent vidée et presque déprimée. La ques-

tion d’une pathologie dépressive chez la

mère de Denzel semble s’objectiver.

Apports de cette visite et évolution de nos pratiques

Cette visite au plus près du quotidien nous

a permis de repenser nos interventions et

d’ajuster notre prise en charge pour Den-

zel et sa maman. Nous avons renforcé la

prise en charge de Denzel mais également

de sa mère en proposant à la fois un ac-

cueil plus important à l’hôpital de jour et

des entretiens médicaux plus fréquents.

Nous avons également sollicité nos parte-

naires, notamment sociaux, pour renfor-

cer l’étayage de cette mère.

Cette visite à domicile nous a encouragé à

repenser nos façons de faire notamment

en estimant indispensable de concevoir

notre pratique de l’hôpital de jour beau-

coup plus ouverte vers l’extérieur en lais-

sant libre cours à l’initiative de chacun.

Ouverture non seulement auprès du pa-

tient mais également au sein de l’équipe

par une réflexion prospective concernant

nos “habitudes” professionnelles (cette

visite dont l’initiative et l’indication a

beaucoup fait débat - les limites du soin,

la redéfinition des missions d’un hôpital

de jour pour enfants…).

Au-delà de notre structure, cette visite à

domicile a également permis de stimuler

la créativité du secteur. Une prise en

charge singulière nous semblait indispen-

sable pour cette maman devant ses diffi-

cultés dans le lien mère/fils, devant son

parcours de vie chaotique et traumatique

et devant son épuisement psychique.

En ce sens, une consultation transcultu-

relle est en train de se créer au sein du ser-

vice de pédopsychiatrie.

Conclusion

La visite à domicile est devenue pour nous

un nouvel outil à notre disposition mais

nous ne l’utilisons pas systématiquement.

Nous l’employons au cas par cas, selon le

tableau clinique présenté par l’enfant et

ses parents.

Initialement questionnant l’équipe, la vi-

site a permis de faire évoluer l’institution

en l’ouvrant un peu plus sur l’extérieur et

sur le quotidien de nos patients. Au-delà

d’une simple visite, cet outil permet un

apport clinique d’éléments à travailler

avec les parents.

Plus globalement il pose la question au

sein de notre secteur de pédopsychiatrie

de créer une équipe mobile de soins dé-

diée à cette tâche pour l’ensemble des uni-

tés du service de pédopsychiatrie.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 53

Introduction

L’Hôpital de Jour a-t-il une fonction soi-

gnante spécifique ? Si oui, laquelle ?

N’obtiendrions-nous pas des résultats

comparables si nos patients se rencon-

traient quotidiennement dans un club de

loisirs ?

Telle est la question qui pourrait être po-

sée par un profane ou par un neuroscien-

tifique positiviste.

La thérapie institutionnelle mériterait au-

jourd’hui d’être confrontée aux données

récentes des neurosciences et de sou-

mettre son modèle à l’évaluation théra-

peutique de sa fonction soignante.

Accordant la priorité à la clinique du su-

jet, nous avons pris le parti d’avoir,

comme fil conducteur, le discours d’une

patiente au travers de son parcours insti-

tutionnel, ce qu’elle nous a confié lors

d’un entretien-vidéo réalisé plusieurs se-

maines après sa sortie de l’Hôpital de

Jour.

Au travers de ce cheminement, de cette

progressive transformation, nous avons

tenté d’en comprendre les enjeux.

Caractéristiques de l’Hôpital de Jour La Clé

Notre Hôpital de Jour La Clé est un hôpi-

tal autonome pouvant accueillir quoti-

diennement 30 patients pour des séjours

de 6 à 12 semaines.

Sa gestion n’est inféodée ni à une grande

structure hospitalière, ni à un groupe

d’hôpitaux, ni à l’Université de Liège.

Dans le trajet de soin du patient, l’hôpital

de Jour se situe en première ligne dans

75% des cas. Ce sont principalement les

psychiatres traitants (40%) (Annexe I) qui

nous adressent leurs patients. Certains

services partenaires (centres de réadapta-

tion, clubs thérapeutiques) sont également

des interlocuteurs privilégiés.

25% des patients sont admis en seconde

intention (transfert d’une prise en charge

hospitalière à temps complet). Certains

ont bénéficié d’un sevrage en toxique (al-

cool, drogues), d’autres ont bénéficié de

la fonction de contenance plus dévelop-

pée qu’offre l’hospitalisation à temps

complet (patients suicidaires, patients

avec délires agissants…).

A l’instar d’autres institutions psychia-

triques, l’Hôpital de Jour La Clé remplit

une fonction phorique dans un découpage

spatio-temporel particulier inhérent à l’es-

pace et la temporalité des soins prodigués.

Cette fonction primaire d’accueil « per-

met de se sentir porté et conduit et de se

porter soi-même » (P. Delion [1]). L’ac-

cueil, le cadre, le portage sont les premiers

ingrédients d’une nouvelle aire transition-

nelle dans laquelle le patient va rejouer sa

problématique bien souvent à son insu.

Grâce à cette fonction de portage, la souf-

france subjective va pouvoir s’exprimer à

l’attention de l’équipe soignante devenant

porteuse et décodeuse des signes émis par

le patient.

Selon Milner, « la substance malléable

est une substance d’interposition à tra-

vers laquelle les impressions sont trans-

mises aux sens. Cette substance, à la-

quelle on peut faire prendre la forme de

nos fantasmes, peut inclure la substance

du son et du souffle qui devient nos pa-

roles ». P. Delion reprend cette notion en

ces termes : « l’équipe soignante va pou-

voir être considérée comme ce medium

malléable, qui va se déformer par ce qui

vient des patients, elle ne peut pas se dé-

truire de les recevoir tout en conservant

une trace sur sa feuille sémaphorique ».

La fonction sémaphorique est donc le re-

cueil des signes par l’utilisation des mots,

par l’usage de la parole. A l’Hôpital de

Jour, le nombre élevé d’activités et de mo-

ments partagés ainsi que l’intensité des

contacts patients-soignants, font que nous

observons énormément de ces signes. Au-

delà de l’observation, le vécu des patients

transféré sur l’équipe sera analysé et mé-

tabolisé notamment lors des réunions

d’équipe quotidiennes et des supervi-

sions. Cette fonction métaphorique per-

met de découvrir et de mettre en sens ce

qui paraissait impensable voire insensé.

Dans une nouvelle vague de désinstitutionalisation rompant avec la tradition hospitalière des soins psychiatriques, la plus-value thérapeutique de l’Hôpital de Jour reste à démontrer. La dimension métaphorique du “passe-partout” pourrait s’appliquer aux hôpitaux qui s’inscrivent encore aujourd’hui dans l’histoire de la thérapie institutionnelle : les équipes soignantes ont efficacement remplacé les murs pour accueillir les souffrances psychiques les plus complexes. Différentes “clés” thérapeutiques y sont ainsi fabriquées et co-construites avec pour objectif fondamental de permettre au patient de (re)conquérir des parcelles de liberté perdues sous le poids de sa psychopathologie. Si depuis 40 ans l’Hôpital de Jour ne cesse d’évoluer et de se réinventer, il traverse étonnamment les crises avec une stabilité inhérente à son originalité. Stabilité ne signifie pas pour autant immobilisme : la remise en question quotidienne du travail thérapeutique en groupe nous amène à nous adapter en permanence aux réalités de nos patients. A travers cet article, nous mettrons en lumière plus spécifiquement l’impact thérapeutique observé au travers des différents modèles de prise en charge à l’Hôpital de Jour.

Mots-clefs : Hôpital de Jour, psychothérapie institutionnelle, transfert/contre-transfert, symbolisation

Care day hospital: the keyhole to the key set

During a new period of disruption with the hospital-tradition of psychiatric care, the specificity and originality of the Day Hospital remains to be defined. The metaphoric dimension of the therapeutic “passe-partout”, could be appliqued to hospitals which are to this day, part of institutional therapy story: The care teams have effectively replaced the walls to accommodate the most complex mental diseases. Several therapeutic “keys” are well produced and co-constructed with the fundamental goal of allowing the patient to (re) gain freedom-bridges lost under the weight of his psychopathology. Even though in 40 years the Day Hospital continues to evolve and reinvent, it interestingly gets through crises. This ability to overcome crises is seen in the deinstitutionalization crisis where it was handled with stability due to its originality. Stability does not mean stagnation: the daily questioning of the therapeutic work group leads us… Through this article, we will specifically highlight the therapeutic effect observed across the different support models to the Day Hospital.

Keywords: day-hospital, institutional therapy, transference/counter-transference, symbolization

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 54

Thérapie institutionnelle et

dynamique de groupe

Tout au long de sa prise en charge, le pa-

tient va être stimulé par de nombreuses in-

teractions groupales. Nous observons très

rapidement une activation de leurs méca-

nismes de défense habituels, associés aux

manifestations pulsionnelles et à leurs re-

lations d’objets internalisés. Un conti-

nuum apparaît entre ce qui a été assimilé

durant leur construction psychique et la

réactivation durant le “bain institution-

nel”. L’équipe, le cadre, l’institution vont

être à leur tour le support de projections

transférentielles complexes que nous veil-

lons ensuite à méta-analyser.

« Le groupe est thérapeutique parce qu’il

est le lieu de la réunification interne, le

lieu du sens et le lieu du lien, l’accord re-

trouvé entre le rêve et le mythe » (Kaes,

1999).

Le groupe va également pouvoir renvoyer

en miroir les comportements qui pertur-

bent l’homéostasie de ce dernier, il va

avoir un rôle régulateur des excitations

psychiques des membres qui le compo-

sent.

La dynamique du groupe dans notre insti-

tution peut être analysée en 3 niveaux

principaux :

- Le groupe dans son ensemble peut être

considéré comme une entité psychique

unique, avec ses aspirations, ses méca-

nismes de défense, sa pulsionnalité ten-

dant vers des objets qui lui sont propres.

Cette entité psychique va bien au-delà de

la somme des entités psychiques des

membres qui la composent.

- La place du sujet dans le groupe est

analysée ainsi que ses modalités de rela-

tions intersubjectives. Au travers d’acti-

vités groupales codifiées, les processus

d’empathie sont particulièrement activés

au cours du traitement.

- La thérapie institutionnelle va avoir

une implication sur la vie intrapsychique

des membres qui composent le groupe.

Chacun réagira de façon individuelle au

bain institutionnel. Les psychés peuvent

réagir de manières très différentes à des

stimulations groupales similaires. Les

paramètres qui régissent ces différences

sont souvent à mettre en perspective

avec la structure de personnalité et le

vécu antérieur des patients.

René Kaes a identifié une série de prin-

cipes (Kaes, 1999) qui tentent de com-

prendre et d’analyser la vie du groupe. La

constante mobilité du groupe et les diffé-

rentes oscillations qui permettent de

maintenir une homéostasie groupale im-

pliquent une série d’allers-retours entre

principes qui s’opposent ou plutôt se com-

plètent.

Plaisir / Déplaisir

Cela se traduit par le plaisir d’être en

groupe, de former un tout, d’être protégé,

de recevoir une stimulation de pensée ré-

gulée. Le groupe se constitue et se main-

tient selon le principe de plaisir et d’évi-

tement du déplaisir. Le principe de plaisir

s’oppose également au principe de réalité,

basé sur la dimension de loi sociale qui en

est le principe organisateur. L’individu va

pouvoir revivre ce passage de la toute

puissance confronté au principe de réalité

inhérent au groupe.

Indifférenciation / Différenciation L’oscillation entre l’indifférenciation des

psychés suite à la vie de groupe et la pro-

gressive différenciation s’observe quand

le patient prend de la distance psychique

avec le groupe. On peut faire le parallèle

avec le progressif détachement de l’enfant

de la dyade maternelle.

Dehors /Dedans Le groupe va créer une frontière, sorte de

nouvelle peau englobant l’entièreté des

psychismes du groupe. Cela va également

permettre, pour les patients présentant un

pôle d’organisation de personnalité fragi-

lisé, de réassimiler, ou du moins, d’appro-

cher ce principe de base de la construction

psychique.

Autosuffisance / Interdépendance Cela organise les relations dans le groupe

et se base sur des présupposés incons-

cients organisateurs.

Constance / Transformation C’est le rapport qui met en évidence la

tendance du groupe à maintenir une ten-

sion minimale malgré les excitations et les

conflits intragroupes.

Répétition / Sublimation Le groupe va permettre de surmonter les

expériences traumatiques qui traversent

l’expérience collective. Le passage de la

horde au groupe se dégage du meurtre du

père par le renoncement à la réalisation di-

recte des buts pulsionnels (Freud, Totem

et Tabou,1913).

Le patient acteur du changement

A La Clé, le patient établit lui-même,

chaque semaine, son propre programme

d’activités. Il privilégie des ateliers ex-

pressifs, corporels ou productifs, ce qui

lui semble porteur et en phase avec son

propre rythme. Il s’engage dans les sorties

extérieures ou les activités sportives.

Chaque activité se veut réfléchie et ré-

flexive. Premièrement réfléchie dans le

sens où chaque atelier est pensé, travaillé

en équipe, évalué, amélioré et adapté aux

symptomatologies individuelles.

Deuxièmement, réflexive par le fait que

tant le groupe constitué par les patients

que l’animateur sont un miroir pour le pa-

tient lui-même. « Le patient est au centre

de la prise en charge, il bénéficie d’une

équipe soignante à son service, cela va lui

permettre de s’appuyer sur cette constel-

lation transférentielle, quel que soit son

état clinique et ce tout au long de son par-

cours. » (Delion, 2012).

La temporalité

L’observation de l’équipe soignante dans

le processus évolutif du patient au décours

de l’hospitalisation a permis de mettre en

évidence une succession de phases quasi-

ment communes à tous. La différenciation

se transcrit dans la durée de chaque phase

et l’aisance pour le patient à passer de

l’une à l’autre.

Une première phase, qualifiée d’isolation,

est associée à une grande détresse, à une

phase d’observation du groupe, au fonc-

tionnement de l’Hôpital, à la prise de con-

naissance des autres patients et de

l’équipe de professionnels. Plus la dyna-

mique du groupe est à un niveau de bien-

veillance suffisant, moins cette phase va

être longue.

Une seconde phase souligne l’ouverture

du patient, une participation plus active à

la vie de groupe, aux ateliers. C’est l’em-

preinte sociale du groupe sur l’individu.

L’hôpital devient alors un port d’attache

pour le patient (Désert, 2013).

Survient alors la troisième phase, la re-

mise en question personnelle, qui s’ac-

compagne d’une affirmation de soi au

sein du groupe permettant, à ce moment-

là, la différenciation sociale.

Finalement, une quatrième phase de dis-

tanciation prend sens : distance par rap-

port au groupe, naissance d’un sentiment

de nécessaire sevrage, du besoin de lar-

guer les amarres, de s’éloigner du port

d’attache.

Evaluation du travail clinique

A l’heure de l’evidence-based medecine,

les soins psychiatriques n’échappent pas

aux procédures d’évaluation afin de vali-

der la pertinence de ses interventions dont

la plus-value reste à démontrer.

Dans ce contexte, nous évaluons systéma-

tiquement en fin d’hospitalisation le par-

cours du patient selon l’échelle STAR (J.

Bertrand, M. Jadot, J.-M. Triffaux, An-

nexe II) dans laquelle nous cotons collé-

gialement l’évolution du symptôme, l’at-

titude face à celui-ci et la dynamique rela-

tionnelle. Nous invitons également le pa-

tient à s’auto-évaluer avec les mêmes cri-

tères. Généralement, nous notons peu de

différences entre la cote du patient et celle

de l’équipe (Annexe III).

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Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés...

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 55

LES AUTEURS

Dr Benjamin REUTER Médecin-assistant en Psychiatrie Céline TIBERGHIEN Psychologue Stéphanie NOIRFALISE Infirmière en chef Pr Jean-Marc TRIFFAUX Médecin Directeur

Hôpital de Jour Universitaire « La Clé » Boulevard de la Constitution, 153 4020 Liège Belgique

[email protected] [email protected] France

BIBLIOGRAPHIE

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2. DELION P. (2012), Qu’est-ce que la psycho-thérapie institutionnelle ? Yapaka.be, http://www.yapaka.be/video/quest-ce-que-la-psy-chotherapie-institutionnelle.

3. DESERT J.-B., CHARON V., TRIFAUX J.-M. (2012), Chronos et la clé du temps, Revue des hô-pitaux de jours psychiatriques, pp.79-85.

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9. VANDER BORGHT C. (2014), Travailler en-semble en institution, Yapaka.be.

Afin de tester l’impact de la thérapie ins-

titutionnelle sur les processus émotion-

nels de nos patients, nous évaluons depuis

2008, en début et fin d’hospitalisation, les

dimensions suivantes : perceptions phy-

siologiques internes (PERINT) et ex-

ternes (PEREXT) des émotions, représen-

tations cognitives des émotions (REP-

COG), capacité de communication des

émotions (COMEMO) et capacité de ré-

gulation des émotions (REGEMO).

Pour ce faire, nous avons utilise la DOE-

36 (Dimension Ouverture Emotionnelle)

a laquelle nous avons associe une auto-

évaluation de l’alexithymie en adminis-

trant simultanément la TAS-20 (Toronto

Alexithymia Scale de Taylor, Bagby &

Parker, 1992).

Cet échantillon, constitue de 240 patients

âgés de 16 à 75 ans, présente les caracté-

ristiques démographiques suivantes : 71

sont classés comme état-limites, 82

comme névrotiques, 31 comme psycho-

tiques, 6 comme troubles adolescentaires

et 50 comme diagnostics non spécifiés.

Les différences entre l’entrée et la sortie

ont été testées pour chaque variable avec

un t-test de Student pour données appa-

riées (test t paire).

La majorité des variables montre une dif-

férence significative entre l’entrée et la

sortie (cf Annexe IV). Les variables CO-

MEMO, REGEMO et TAS-20 en particu-

lier présentent une différence entrée/sortie

nettement plus marquée, ce qui plaide en

faveur d’une meilleure gestion des émo-

tions tant sur le plan individuel que social

a l’issue du traitement.

Symbolisation du changement

Lors de leur hospitalisation, les patients

sont amenés à réfléchir à ce processus de

changement que ce soit au travers des ate-

liers d’expression ou des entretiens psy-

chothérapeutiques. D’autre part, ils sont

encouragés à “matérialiser” ce processus

d’évolution au travers d’une création per-

sonnelle de “leur propre clé symbolique”.

Le but étant de permettre au patient un tra-

vail de symbolisation de leur voyage psy-

chique à l’Hôpital de Jour.

Cette activité a souvent l’art de réactiver

leurs capacités de symbolisation, d’oni-

risme, de souplesse, capacités souvent fi-

gées sous l’éteignoir de la souffrance psy-

chique.

Le développement concernant la fonction

sémaphorique de l’institution a introduit

cette notion de médium malléable. Dans

la Revue du Colloque 2014, G. Micko-

lajack l’évoquait, en parlant de l’objet

ainsi créé, mais également en parlant du

thérapeute. Si nous élargissons notre vi-

sion, cette « substance intermédiaire au

travers de laquelle des impressions sont

transportées aux sens » pourrait s’appli-

quer à l’ensemble de l’équipe, de la théra-

pie voire de l’institution comme un mé-

dium malléable. Cinq caractéristiques ont

été définies par R. Roussillon : l’indes-

tructibilité, l’extrême sensibilité, l’indéfi-

nie transformation, l’inconditionnelle dis-

ponibilité et l’animation propre (Roussil-

lon, 1991).

Indestructibilité Malgré les constants mouvements pul-

sionnels envers l’équipe et la structure,

l’Hôpital de Jour a trouvé, depuis 40 ans,

les moyens de les contenir, de les absor-

ber, de les métaboliser et de les analyser.

Pour ne pas imploser, les pare-feux

comme les réunions d’équipes et les su-

pervisions, sont indispensables afin de

maintenir cette capacité d’accueil de la ré-

alité psychique des patients.

Extrême sensibilité La proximité du groupe et de l’équipe per-

met d’être au plus près des réalités vécues

par les patients.

Indéfinie transformation « On ne se baigne jamais deux fois dans

la même eau du fleuve » disait Héraclite.

A l’Hôpital de Jour La Clé, la constella-

tion transférentielle et ses infinis mouve-

ments, font en sorte que le moment vécu

est unique. Si cette mutation constante est

inhérente à la thérapie institutionnelle, le

cadre est, lui, garant d’une certaine idée

d’inflexibilité et d’intemporalité. Il devra

aussi être réfléchi, réévalué et réapproprié

par tout le monde.

Inconditionnelle disponibilité Nous pouvons tout entendre, mais le

groupe et à travers lui la vie psychique qui

lui est propre, primera si un de ses

membres la met en danger. Ici, l’incondi-

tionnalité reste particulièrement difficile-

ment transposable à la vie institutionnelle.

Animation Propre Si nous arrivons à positionner notre insti-

tution comme un médium malléable suf-

fisamment efficace, les patients vont don-

ner sens au travail de l’Hôpital de Jour,

vont lui donner vie et le rendre animé.

Cas clinique

Lors de notre présentation, 3 extraits vi-

déo nous ont montré la réalité psychique

d’une patiente avant, pendant et après son

hospitalisation. Ce cas clinique fût choisi

pour être présenté lors du colloque au vu

de l’illustration de ce processus de chan-

gement observé dans l’histoire de cette

patiente.

Madame A. est une patiente de 48 ans. Le

motif d’admission est un épisode dépres-

sif majeur. Début 2015, suite à une tenta-

tive de suicide médicamenteuse, elle a été

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 56

hospitalisée dans le service de psychiatrie

d’un hôpital général de la région.

C’est un médecin de ce service qui a pro-

posé à la patiente de poursuivre sa “reva-

lidation” à l’Hôpital de Jour La Clé.

Lors de l’entretien de pré-admission, on

note des symptômes dépressifs de forte

intensité : anhédonie, aboulie, pleurs,

perte de poids... La profondeur du déses-

poir de la patiente et sa rigidité nous ont

particulièrement interpelés. Elle présente,

et ce depuis de nombreuses années, de

gros troubles relationnels tant au niveau

familial que professionnel.

Au moment de son entrée dans notre ser-

vice, aucun investissement libidinal ne

semblait émerger de cette personnalité ri-

gidifiée. Son implication dans la vie du

groupe fût, au début, très limitée. Elle

était pourtant présente dans le groupe, elle

en faisait partie, elle écoutait beaucoup,

parlait peu.

Parfois nous avons observé des manifes-

tations pulsionnelles massives, des mo-

ments de colères, vis à vis du groupe et de

l’équipe. Elle était profondément sous le

poids d’un contrôle de ses désirs. Petit à

petit au travers des ateliers, notamment

ceux axés sur l’aspect corporel, nous

avons vu la vie progressivement réinté-

grer ce corps vide de sens.

Lors d’entretiens individuels, à contrario

des ateliers d’expressions en groupe, elle

élaborait, remettait sans cesse en question

ses expériences passées et présentes.

Il a fallu du temps, du soutien, pour que la

patiente puisse à nouveau élaborer sur sa

vie psychique et petit à petit appréhender

son mode de fonctionnement qu’elle a pu

regarder d’un point de vue différent lors

de son parcours grâce à une prise en char-

ge psychothérapeutique aux multiples fa-

cettes qui s’est révélée d’une grande ri-

chesse.

Lentement nous avons vu s’amorcer ce

processus de mutation.

La capacité de symbolisation est peu à peu

réapparue chez la patiente. Si bien qu’elle

a produit, via l’atelier « Ma Clé », un ob-

jet particulièrement “parlant” (Annexe

V). Elle a illustré sa capacité à intégrer le

lien qui s’est développé entre elle et l’ins-

titution. Par un jeu de représentation

d’elle-même, elle a symbolisé son évolu-

tion en appui sur un pilier. Ce pilier repro-

duit étonnamment la sculpture qui orne

l’entrée de l’Hôpital (Annexe VI).

Cette sculpture ornementale est symbo-

lique par bien des aspects, chacun y trou-

vera la signification qu’il voudra y voir. Il

a été demandé à l’artiste de créer libre-

ment une œuvre d’art représentant l’Hô-

pital de Jour.

L’assise en triangle peut évoquer, entre

autres, le triangle œdipien. Les strates de

plus en plus convexes vers le haut symbo-

lisent la possibilité de quitter le, trop con-

traignant, principe de réalité.

Pas de clé, mais un trou de serrure, lais-

sant entrevoir l’avenir et la réactivation

des capacités oniriques.

L’animal chimérique, posé au sommet,

est un être avec des caractères de lapin,

d’oiseau, de chat... Il symbolise une forme

de mixité et hybridité entre espèces diffé-

rentes formant néanmoins un tout : il

semble saluer les patients qui entrent puis

sortent de l’Hôpital de Jour, métaphore ar-

tistique du cadre thérapeutique que l’on

intègre et que l’on quitte quotidienne-

ment...

Conclusion

Un jeu de Clé(s), voilà une image faite sur

mesure pour conclure notre réflexion.

Si le changement est un processus émi-

nemment personnel voire intime, cet ar-

ticle tente de trouver les déterminants

communs aux mouvements d’évolution

des patients lors de leurs parcours en hô-

pital de jour.

Pour construire, pour grandir, pour évo-

luer, le patient doit se trouver dans un cli-

mat de sécurité, de portage qui est apporté

par la structure ferme de l’hôpital, ainsi

que par une équipe pluridisciplinaire et

cohérente.

Le patient est au centre de la prise en

charge, il va, via les différents moments

thérapeutiques (ateliers, entretiens psy-

chothérapeutiques), être l’acteur principal

de son changement.

La thérapie institutionnelle est au cœur de

notre philosophie de travail. La méta-ana-

lyse de tous les enjeux qui en découlent

est un défi que nous tentons de relever au

jour le jour.

Au rythme de chacun, nous veillons à ce

que les psychés des patients puissent tra-

verser les différentes phases jusqu’à ce

qu’ils puissent conclure le parcours par un

travail de symbolisation.

Annexe I

Distribution des différents modes d’arrivée des patients, (n=170) Source : Rapport d’activité 2013 (HJU La Clé)

Annexe II

Statistiques liées à l’admission

H.J.U. La Clé - Rapport d’activité 2013 14

3. Origine du patient

a) Données

Psy

chia

tre T

raitant

(consu

ltation h

ors

Hôpital)

Médeci

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Hôpital

/ Serv

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CR

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CSM

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Lui-

mêm

e

Ento

ura

ge

FO

REM

Autr

e

Inco

nnu

NOMBRE 67 9 42 5 10 12 21 2 0 2 0 170

POURCENTAGE 40% 5% 25% 3% 6% 7% 12% 1% 0% 1% 0% 100 %

b) Représentation graphique

67

9

42

5 10 1221

2 0 2 00

1020304050607080

NO

MB

RE

DE

PA

TIEN

TS

MODE D'ARRIVÉE

Graphique 10 : Distribution des différents modes d'arrivée des patients (n = 170)

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Les soins en hôpital de jour : du trou de serrure au jeu de clés...

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 57

Echelle STAR (J. BERTRAND, M. JADOT)

Axe 1 Axe 2 Axe 3

Symptômes cibles Attitude face aux

symptômes Relations humaines

Disparition 3

Amélioration 2 2 2

Stagnation 1 1 1

Aggravation 0 0 0

Annexe III

Distribution des patients en fonction de leur combinaison de scores sur l’échelle STAR (n = 170). On note qu’une majorité de patients sont évalués avec au

moins 1 item en amélioration (n=22), la cote la plus fréquemment retrouvée est 222 (n=36), ce qui signifie une amélioration sur les 3 axes.

Source : Rapport d’activité 2013 (HJU La Clé)

Annexe IV

Comparaison des scores aux échelles DOE-36 et TAS-20 évalués en début et fin d’hospitalisation.

Légende : REPCOG Représentation cognitive des émotions REGEMO Capacité de régulation des émotions

COMEMO Capacité de communication des émotions RESNOR Restrictions normatives du vécu émotionnel

PERINT Perceptions physiologiques internes TAS-20 Toronto Alexithymia Scale

PEREXT Perceptions physiologiques externes

Annexe V

ENTREE SORTIE

Variables Moyenne Ecart-type Moyenne Ecart-type p d

REPCOG 1.99 0.80 2.35 0.74 0.000001 0.46

COMEMO 1.60 0.78 2.08 0.72 0.000001 0.63

PERINT 2.30 0.74 2.18 0.78 0.014 0.16

PEREXT 2.18 0.80 2.09 0.65 0.085 -

REGEMO 1.38 0.83 1.92 0.76 0.000001 0.64

RESNOR 2.40 0.75 2.42 0.71 0.59 -

TAS-20 57.42 12.08 50.93 12.56 0.000001 0.58

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 58

Photographie de l’objet réalisé par la patiente lors de l’atelier « Ma Clé »

Annexe VI

Photographie de la sculpture ornant l’entrée de l’Hôpital de Jour La Clé.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 59

Introduction

L’Hôpital de Jour de Courte Durée

(HJCD) « Dour-Tan » a ouvert ses portes

au Centre Hospitalier Guillaume Régnier

(CHGR), hôpital psychiatrique de Ren-

nes, en juin 2012.

Cet outil de soins a été créé par l’établis-

sement dans une période particulière qui

faisait suite à plusieurs années de majora-

tion des demandes d’hospitalisation abou-

tissant à un surencombrement de l’établis-

sement, notamment de ses unités d’admis-

sions.

Cette augmentation des besoins, ressentie

et identifiée sur l’ensemble du territoire

français (Cases C., 2004), était en lien

avec une nette augmentation de la popula-

tion rennaise, des files actives et de l’acti-

vité sur ces dernières années, le nombre

de lits restant constant sur l’établissement.

Le tout aboutissant à une saturation des

services, alors même que les durées

d’hospitalisation complète étaient en di-

minution, ainsi qu’à une altération de la

qualité des soins.

Des moyens de soins supplémentaires

étaient donc indispensables à court terme.

Deux services du CHGR ont souhaité les

privilégier en dehors de l’hospitalisation

complète en proposant une alternative

supplémentaire aux outils thérapeutiques

déjà existants, notamment en phase aigüe

de la pathologie, en proposant via cet hô-

pital de jour mutualisé, des soins intensifs

ambulatoires regroupés sur la journée.

Concept

Le concept initial était donc la création

d’un hôpital de jour de courte durée, pro-

posant des prises en charge d’une durée

moyenne de quelques semaines pour des

problématiques psychiatriques aigües à

subaiguës.

Ce projet place le patient dans une pers-

pective plus active et plus dynamique, en

visant une rémission symptomatique et

fonctionnelle à court terme dans certaines

situations cliniques habituellement plutôt

prises en charge en unité d’hospitalisation

complète. L’hôpital de jour de courte du-

rée a été pensé comme une alternative qui,

lorsqu’elle est possible, est préférable

pour le patient. En effet la modalité de

prise en charge à la journée est souvent

mieux acceptée par le patient et sa famille,

ce qui influe sur l’engagement dans les

soins (Seulin C., 1995). Elle permet éga-

lement de diminuer les complications

liées à l’hospitalisation complète, la stig-

matisation, l’évolution vers la régression

(Ferrero F., 1986) et la chronicité ; le tout

à moindre coût et, du fait de son implan-

tation sur le site, en utilisant de façon op-

timale les ressources du plateau technique

du Centre Hospitalier Guillaume Régnier.

L’hôpital de jour de courte durée assure

des soins polyvalents individualisés en fa-

vorisant le maintien des patients dans leur

milieu habituel de vie. C’est un espace in-

termédiaire, un lieu temporaire permet-

tant au patient de continuer à investir ou

de réinvestir son propre lieu de vie.

Chaque soir constitue un point d’appui à

la dynamique des soins (Barrelet L.,

1983).

L’hôpital de jour de courte durée permet

d’accueillir aussi bien des patients connus

que des premières admissions et propose

à la fois des admissions directes, des re-

lais d’hospitalisation, et des accueils de

week-end.

Les admissions directes ont lieu en phase

aigüe ou subaiguë, dans un but thérapeu-

tique ou préventif. Il peut s’agir d’hospi-

talisations en urgence, d’hospitalisations

programmées, ou de séjours de rupture.

Les relais d’hospitalisation doivent per-

mettre de raccourcir les durées d’hospita-

lisation complète, de consolider la rémis-

sion clinique et d’insister sur le travail de

liens avec les structures de soins qui ac-

cueilleront le patient au décours de leur

L’hôpital de jour « Dour-Tan » a été créé en Juin 2012, au Centre Hospitalier Guillaume Régnier, dans l’idée de proposer une alternative aux hospitalisations temps plein, pour des troubles psychiatriques aigüs ou subaigüs. Cet hôpital de jour de courte durée accueille des patients, déjà suivis ou non, en admission directe afin d’éviter une hospitalisation temps plein. Il propose également des relais pour des patients en hospitalisation complète, permettant ainsi un retour au domicile plus rapide. Cet outil de soins se situe dans une perspective active et dynamique, qui vise une rémission symptomatique et fonctionnelle à court terme en proposant des soins polyvalents et en favorisant le maintien des patients dans leur milieu de vie habituel. L’hôpital de jour n’est exclusif d’aucune pathologie, dès qu’il y a chez la personne l’autonomie suffisante et le consentement aux soins. Cette modalité de prise en charge est souvent mieux acceptée par les patients et leurs familles. Cet article nous permettra de revenir sur la genèse du projet, les principes et modalités de fonctionnement de l’unité, le rythme des soins, les principes thérapeutiques. Puis nous terminerons par une analyse de notre activité sur l’année 2014.

Mots-clés : hôpital de jour, soins aigüs, intensif, courte durée, autonomie

Emphasize even outpatient acute phase Experience a brief psychiatric day hospital

The day hospital “Dour-Tan” was founded at psychiatric hospital “Centre Hospitalier Guillaume Régnier”, Rennes, France, on June 2012. The main objective is to offer an alternative approach to full-time hospitalization in the cases of acute and subacute disorders. This short-stay day hospital receives patients, already followed or not, with a direct admission, in order to avoid a full-time hospitalization. The Dour-Tan day hospital can also represent a stepping stone for patients coming from full-time hospitalization, enabling to fasten the transition from hospital to home. This structure puts the patient in a more active and dynamic behavior, aiming at a short-term clinical remission, by offering polyvalent cares and favoring keeping patients as much as possible in their living environment. There are no restrictions in terms of targeted disorders, as long as the patient is autonomous enough and consents to treatment. Such a day hospitalization is often better accepted by patients and their relatives. In this paper, we present the genesis of the Dour-Tan project, its therapeutic approach, its main modalities, and the various cares which are offered. The paper ends with a synthetic report of its activity for year 2014.

Keywords : day hospital, acute care, intensive, short stay, autonomy

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 60

prise en charge à l’hôpital de jour de

courte durée.

Les accueils de week-end, comme un deu-

xième projet au sein du projet initial, doi-

vent permettre d’accueillir les patients

déjà pris en charge la semaine sur l’hôpi-

tal de jour, mais ils sont également propo-

sés à une population non prise en charge

la semaine par notre structure. Il peut

s’agir de patients suivis dans un centre

médico psychologique, en consultation li-

bérale, de patients pris en charge sur

d’autres hôpitaux de jour en semaine, qui

nécessitent soutien et étayage soignant les

week-ends et qui jusque-là ne pouvaient

le trouver qu’en hospitalisation complète

sur le temps du week-end.

Les spécificités de cette structure sont :

l’accueil d’une population adulte, pour

une durée de séjour variant de quelques

jours à quelques semaines au maximum,

et des soins dispensés 7 jours sur 7.

Structure

La structure a été créée en Juin 2012, au

sein de l’établissement Guillaume Ré-

gnier, dans des locaux déjà existants, ré-

habilités pour le projet.

Sur le plan architectural elle s’étend de

plein pied, sur un seul niveau, et com-

prend deux ailes principales réparties au-

tour d’une véranda centrale donnant sur

un jardin. L’entrée pour les patients s’ef-

fectue par ce jardin, et l’accueil dans la

véranda.

La véranda centrale est donc utilisée pour

les temps d’accueil du matin, et de prépa-

ration au retour au domicile en fin

d’après-midi. Elle sert également au

temps du repas du midi et aux temps

libres. Son orientation sur le jardin en fait

un puits de lumière et un lieu convivial

ouvert sur l’extérieur. Autour de cette vé-

randa, deux ailes sont réservées aux

soins : une première où sont répartis les

bureaux médical, infirmier, la salle de

soins, la pharmacie, une salle de repos,

une chambre à deux lits, et une seconde

réservée aux activités thérapeutiques.

L’hôpital de jour Dour-Tan étant une

structure mutualisée nous accueillons les

patients de deux secteurs géographiques

de Rennes (secteurs G5 et G10). Il s’agit

de deux secteurs urbains. L’hôpital de

jour est situé de manière centrale et faci-

lement accessible depuis ces deux sec-

teurs géographiques, et au sein de l’hôpi-

tal psychiatrique Guillaume Régnier.

Il a été choisi pour cet hôpital de jour le

nom breton de Dour Tan, dans l’idée de

s’harmoniser avec les hôpitaux de jour

déjà existants sur le secteur G10 (« Ster-

gann » et « Pen-Ty »). Dour Tan signifie

« le phare », symbole positif qui guide et

indique une direction notamment durant

les soins.

La structure est ouverte tous les jours de

l’année, 7 jours sur 7, y compris les jours

fériés. Sa capacité d’accueil est de 20 pa-

tients.

L’équipe soignante

Elle est composée d’un médecin psy-

chiatre, d’un cadre de santé, de 7 infir-

miers, de 2 agents hôteliers, d’une psy-

chologue et d’un médecin généraliste.

Dès le début de la prise en charge des pa-

tients dans notre unité, nous travaillons en

étroite collaboration avec leurs deux sec-

teurs de rattachement. Ceci dans un souci

de continuité du lien thérapeutique. Une

attention particulière est accordée au tra-

vail de transmission entre les équipes in-

firmières et les médecins référents de

chaque patient. Chaque patient peut, du-

rant la prise en charge, débuter, reprendre,

ou poursuivre sa psychothérapie sur son

secteur d’origine. Nous sommes égale-

ment très en lien avec les assistantes so-

ciales des secteurs.

Les critères d’admission

Comme sur d’autres structures de jour et

pour d’autres équipes, la question des cri-

tères d’admission s’est également posée

(Bouvet C, 2006). Par principe, l’hôpital

de jour de courte durée n’est exclusif

d’aucune pathologie, dès qu’il y a chez la

personne l’autonomie suffisante et le con-

sentement aux soins. Les facteurs limi-

tants se situent également en termes d’in-

tensité des symptômes, de comportement

suffisamment adapté, de facteurs environ-

nementaux suffisamment favorables pour

permettre un retour au domicile le soir.

Concernant les hospitalisations sous con-

trainte, le cadre de l’hospitalisation de

jour ne nous permet pas d’admission di-

recte en soins à la demande d’un tiers

(SDT), ou à la demande du représentant

de l’état (SDRE) sur l’hôpital de jour de

courte durée, mais nous proposons des

prises en charge dans le cadre de pro-

grammes de soins, souvent en relais

d’hospitalisations complètes.

Les modalités d’admission

Les admissions se font sur indication mé-

dicale, d’un médecin psychiatre : psy-

chiatres des deux secteurs G5, G10, des

urgences, du service d’accueil et d’orien-

tation du CHGR, ou psychiatres libéraux.

Les demandes nous sont adressées par

contact téléphonique et via une fiche mé-

dicale de liaison. Cette fiche médicale re-

prend l’ensemble des caractéristiques in-

dividuelles (nom, prénom, date de nais-

sance, adresse, mesure de protection

éventuelle, personne de soutien, etc) et

des éléments cliniques nécessaires à

L’AUTEUR

Docteur Amélie DEROUET Psychiatre

Centre Hospitalier Guillaume Régnier 108 Avenue du Général Leclerc 35703 Rennes France

[email protected]

BIBLIOGRAPHIE

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Privilégier l’ambulatoire même en phase aigüe : l’expérience d’un hôpital de jour de courte durée en psychiatrie

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 61

l’évaluation de la situation par l’équipe de

l’HJCD : motif de la demande de soins,

état clinique du patient et symptômes

cible, objectifs de la prise en charge à

l’HJCD, outils de soins déjà existants, et

prise en charge en soins libres ou en pro-

gramme de soins. Elle comprend égale-

ment à titre indicatif, pour aide à la pres-

cription, un tableau récapitulatif des situa-

tions cliniques et des facteurs environne-

mentaux favorables ou limitant les prises

en charge à l’HJCD.

A la réception de la demande de soins par

l’équipe de l’HJCD, un entretien de pré

admission est proposé au patient. Cet en-

tretien peut, en fonction des besoins, être

proposé très rapidement (le jour même ou

dans les 48 heures), ou programmé, l’im-

portant, dans ce type de projet, étant de

pouvoir traiter les demandes de manière

réactive et proposer des admissions ra-

pides lorsque nécessaire.

L’entretien de pré admission est réalisé

par le psychiatre de l’unité et un membre

de l’équipe infirmière, à l’HJCD. Cette

première rencontre permet de préciser

l’historique des troubles, d’évaluer leur

intensité, les facteurs psychosociaux pré-

cipitants ou protecteurs, la pertinence de

la prise en charge à l’HJCD, les objectifs

thérapeutiques, la durée des soins et leur

fréquence.

Cet entretien va permettre de définir un

premier programme de soins personnalisé

du patient, qui s’apparente à un contrat

thérapeutique (Barrelet L., 1983), ainsi

qu’une date d’admission, et d’initier sa

prise en charge. Cet entretien permet éga-

lement de présenter l’unité au patient, de

lui faire visiter la structure, de lui présen-

ter l’équipe, l’organisation des soins et les

activités thérapeutiques proposées.

Suite à cela l’équipe de l’HJCD reprend

contact avec l’équipe qui adresse le pa-

tient (service, centre médico psycholo-

gique, psychiatre libéral), transmet les in-

formations relatives à l’admission en

cours (date et des modalités d’admission

définies lors de l’entretien de préadmis-

sion) et au programme de soins initié.

Déroulement d’une journée type

La journée de soins commence par un

temps d’accueil le matin entre 9h30 et

10h. Ce temps permet une reprise de con-

tact du patient avec les soignants et le lieu

de soins après la rupture de la nuit. C’est

un temps qui permet la reprise des soins

avec l’évaluation du déroulement de la

soirée de la veille et de l’état de santé du

patient en début de journée, et l’organisa-

tion de la journée.

La matinée est consacrée aux entretiens,

médicaux, infirmiers, psychologues, aux

activités thérapeutiques et aux rendez-

vous divers.

Le repas du midi est un repas thérapeu-

tique auquel participent 2 soignants. Il

permet également l’évaluation des moda-

lités relationnelles du patient, de ses com-

pétences fonctionnelles, de son hygiène

de vie, de ses conduites alimentaires.

Le temps de l’après-midi commence par

un temps de transmissions pour l’équipe,

d’une trentaine de minutes. C’est un

temps libre pour les patients qu’il est né-

cessaire d’anticiper et d’expliquer, car pas

toujours facile pour eux à investir. Le con-

tenu de l’après-midi est assez similaire à

celui de la matinée et centré sur la reprise

des entretiens et des activités thérapeu-

tiques.

La journée de soins se clôture entre 16h30

et 17h30 sur un moment convivial autour

d’un goûter. Il est accordé une attention

particulière à ce moment qui doit per-

mettre au patient de quitter l’unité en se

projetant sur une interruption des soins

durant laquelle il testera son autonomie,

devra investir sa soirée et son lieu de vie,

avant de reprendre les soins le lendemain

matin.

Les actions thérapeutiques

Les soins proposés par l’hôpital de jour de

courte durée sont des soins polyvalents et

individualisés (Ferrero F., 1986), adaptés

aux demandes du médecin qui adresse,

aux besoins du patient, et aux difficultés

identifiées durant la prise en charge. Le

projet de soins est individualisé et person-

nalisé.

Les actions proposées peuvent être des ac-

tions d’évaluation : des symptômes, de

leur intensité, de l’autonomie du patient

notamment par rapport à son traitement,

de ses habiletés sociales. Des outils d’éva-

luation peuvent nous servir de support

pour cette évaluation, comme par

exemple le RUD (Risque Urgence Dange-

rosité) concernant le risque suicidaire

(Walter M., 2003), ou l’échelle ELADEB

(échelle Lausannoise d’autoévaluation

des difficultés et des besoins) concernant

les difficultés et les besoins du patient

(Pomini V., 2008).

Il peut s’agir d’actions thérapeutiques ci-

blées, par des instaurations ou des adapta-

tions thérapeutiques. Elles ciblent l’en-

rayement d’un processus aigu, une conso-

lidation clinique, une surveillance d’un

traitement d’entretien (traitement par Zy-

padhera® par exemple).

Il peut s’agir également d’actions de pré-

vention, par des séjours séquentiels, par

des hospitalisations programmées, ou par

un travail d’éducation à la santé.

Une attention particulière est également

accordée au maintien ou à la reprise

d’autonomie.

Ainsi chaque soirée constitue un point

d’appui à la dynamique des soins à

l’HJCD (Barrelet L., 1983). Par ailleurs,

toute démarche allant vers un réinvestis-

sement du patient à l’extérieur (réinser-

tion sociale, professionnelle) et en dehors

du soin est valorisée. Chaque patient peut

voir ses soins aménagés autour de ses dé-

marches personnelles de réinsertion.

Activités thérapeutiques et autres actions spécifiques proposées

Les activités thérapeutiques sont diversi-

fiées et ciblent 4 axes principaux, à sa-

voir :

- L’anxiolyse : via la relaxation, la bal-

néothérapie, la gymnastique douce, la

marche.

- L’expression des émotions : via les arts

créatifs, l’art floral, la musique, l’écri-

ture.

- La restauration narcissique : via l’at-

tention portée au patient, la valorisation

de ses compétences, via des soins de

bien-être et d’esthétique.

- Le maintien de la santé : via des ap-

proches de sensibilisation concernant

l’hygiène de vie (le sommeil, l’alimenta-

tion, la gestion du traitement) et l’éduca-

tion thérapeutique du patient, et par

l’orientation vers des programmes psy-

choéducatifs spécifiques concernant la

maladie.

D’autres actions spécifiques sont propo-

sées :

- Les évaluations à domicile : elles sont

proposées dans des situations bien spéci-

fiques, soit par l’équipe elle-même en

cas de besoin ponctuel ou d’absence pré-

occupante du patient, soit en partenariat

avec le service d’ergothérapie du CHGR

(service d’ergothérapie et d’intervention

à domicile ou SEDOM). Ces évaluations

à domicile permettent une vision com-

plémentaire des difficultés et besoins du

patient. Elles peuvent déboucher sur des

interventions programmées, et parfois

durables, pour le traitement des difficul-

tés identifiées.

- La reprise de la socialisation (Barrelet

L., 1983) : la prise en charge en elle-

même relance cette dynamique de rela-

tion à l’autre, par le contact avec les soi-

gnants, avec les autres patients, par la re-

prise pour certains d’un rythme de vie

compatible avec une vie sociale et des

activités. Durant la prise en charge nous

incitons et accompagnons nos patients

vers une reprise du lien social et la fré-

quentation de lieux d’activités, soit en

lien avec les soins (comme les ateliers

d’ergothérapie extériorisés ou les

groupes d’entraide mutuelle), soit en de-

hors du soin (associations, maisons de

quartiers, centres départementaux d’ac-

tion sociale ou CDAS).

- Le travail des relais : nous accordons

une grande attention, notamment en fin

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 62

de prise en charge, au travail des relais

avec les partenaires (soignants et autres).

Un accompagnement des patients vers

leur(s) lieu(x) de soins ultérieurs est pro-

posé, avec une visite des structures

(centres médico-psychologiques, centres

d’activités thérapeutiques à temps par-

tiel, unité d’ergothérapie extériorisée,

autres hôpitaux de jour). Enfin un

compte-rendu d’hospitalisation est sys-

tématiquement rédigé et adressé, avec

l’accord du patient, aux médecins parte-

naires (traitant, psychiatre).

Quelques indicateurs

Sur l’année 2014, l’hôpital de jour de

courte durée a pris en charge 158 situa-

tions.

Concernant la provenance des patients, il

s’agissait d’entrées directes dans 38% des

cas, et d’entrées mutations, donc de relais

après une hospitalisation temps plein,

dans 62% cas, avec une légère majorité de

femmes (56% de femmes et 44 %

d’hommes).

L’âge moyen des patients était de 40 ans,

avec une forte disparité (âges compris

entre 18 et 75 ans).

Concernant le type de pathologies prises

en charge, une majorité des patients pré-

sentait des troubles schizophréniques

(40,5%) et des troubles de l’humeur

(30,7%), puis des troubles de l’adaptation,

de la personnalité et autres troubles

(28,8%).

La durée moyenne de séjour était de 14

jours. Ceci correspond au nombre de jours

de présence moyen des patients sur l’unité

(il peut s’agir de 14 jours en continu, ou

en discontinu, la durée réelle du séjour

étant alors plus conséquente).

Concernant les relais proposés à la fin de

la prise en charge à l’hôpital de jour de

courte durée, il s’agissait en grande majo-

rité d’un relais vers les centres médico-

psychologiques, les centres d’activité thé-

rapeutiques à temps partiel, le psychiatre

traitant libéral, ou le médecin généraliste.

Des relais ont également eu lieu vers des

hôpitaux de jour proposant des prises en

charge plus longues. Pour certaines situa-

tions une hospitalisation complète s’est fi-

nalement avérée nécessaire. Celle-ci pou-

vant d’ailleurs déboucher à nouveau sur

un relais à l’hôpital de jour de courte du-

rée. Enfin dans de rares situations le pa-

tient ne souhaitait pas de suivi au décours

de sa prise en charge à l’hôpital de jour de

courte durée. Dans ces situations les coor-

données du centre médico-psychologique

de son secteur lui sont remises lors de la

sortie.

Pour une grande majorité des patients la

prise en charge à l’hôpital de jour de

courte durée a été vécue de manière très

positive, avec une bonne adhésion, une

bonne implication dans les soins, et une

évolution favorable permettant d’éviter

l’hospitalisation temps plein.

Conclusion

Dans cet article nous avons présenté le

projet et la mise en place d’un hôpital de

jour de courte durée en psychiatrie au

Centre Hospitalier Guillaume Régnier de

Rennes.

L’objectif de ce nouvel outil de soins était

de proposer une alternative supplémen-

taire aux hospitalisations temps plein, soit

par des admissions directes, permettant

d’éviter l’hospitalisation temps plein, soit

par des relais permettant d’écourter l’hos-

pitalisation temps plein. Les particularités

de ce dispositif de soins sont de proposer

une prise en charge intensive du patient,

sur des durées courtes de quelques se-

maines en moyennes, via un hôpital de

jour ouvert 7 jours sur 7. Les moyens né-

cessaires pour développer un projet de ce

type sont un personnel qualifié, multidis-

ciplinaire, une disponibilité particulière

des soignants, et un travail de collabora-

tion étroite avec les secteurs ou soignants

référents du patient en amont et au dé-

cours de leur prise en charge à l’HJCD.

Le bilan, après 3 années d’exercice, est

que, pour une grande majorité des patients

admis à l’HJCD, l’hospitalisation com-

plète est évitée et que l’insistance sur le

travail des relais permet une sortie sécuri-

sée du patient à la fin de sa prise en

charge. Cet hôpital de jour de courte durée

reste, à l’heure actuelle, le seul outil de ce

type sur l’établissement. Il permet d’ac-

cueillir une partie de la population ren-

naise correspondant uniquement à deux

secteurs de la ville. Les résultats actuels

nous laissent penser que ce modèle de

soins constitue un complément straté-

gique à l’offre de soins ambulatoire per-

mettant de pallier davantage les hospitali-

sations temps plein et que son extension

au-delà des secteurs actuellement concer-

nés serait profitable au reste de la popula-

tion rennaise.

Page 63: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 63

Introduction

L’espace de soin et de médiation (ESM)

est un accueil de jour à temps partiel, thé-

rapeutique, éducatif et pédagogique. Ou-

vert en 2007 au sein de la Maison des

Adolescents du Calvados (MDA14), il

est, historiquement, le prolongement

d’une équipe mobile de soins destinés aux

adolescents hospitalisés en service de

psychiatrie d’adultes, à l’EPSM de Caen.

Comme dans tout le dispositif de la

MDA14, l’équipe de l’ESM souhaite

s’inscrire dans une prise en charge globale

de l’adolescent en multipliant les regards

et les approches : soignante, éducative,

sociale et pédagogique. L’équipe est ainsi

composée de professionnels issus de l’hô-

pital psychiatrique, de l’Education Natio-

nale et du champ socio-éducatif. Si les

différences entre les formations initiales

de chacun, les milieux professionnels

d’où nous venions, nos référentiels, nos

modes de lecture pouvaient être une véri-

table richesse dans le regard que nous por-

tions sur les adolescents, il nous a fallu

quelques années pour trouver une com-

préhension des problématiques et un lan-

gage suffisamment communs... au risque

de laisser certaines questions de côté,

comme ce fut le cas de la question de la

fin de la prise en charge.

Modalités de prise en charge à l’Espace de Soin et de Médiation

Nous disposons de 10 places d’accueil, 5

au titre de l’hôpital de jour et 5 au titre du

médico-social, de par notre montage ad-

ministratif original.

Nous y recevons des jeunes de 12 à 18 ans

à raison d’une à quatre demi-journées par

semaine, pour des problématiques di-

verses mais dont le dénominateur com-

mun est la difficulté d’intégration dans le

monde usuel, celui de l’école ou des lieux

de formation, celui des pairs et de la so-

ciété, mais aussi celui de la famille ou

d’autre lieu de vie (famille d’accueil,

foyer…). Toutefois, on peut distinguer 2

grandes catégories de symptômes condui-

sant à une admission : la 1ère est celle des

troubles du comportement, qui existent

souvent de longue date et peuvent s’ins-

crire dans des troubles de personnalité sur

fond de failles narcissiques massives, des

dysharmonies évolutives de l’enfance, ou

des troubles émergents de type dépressif

ou psychotique lors de troubles du com-

portement plus récents. Les autres types

de symptômes sont des difficultés à fré-

quenter l’école en raison de phobies sco-

laires, de phobies sociales, d’inhibitions,

d’angoisses de séparation ou de mouve-

ments dépressifs, et le plus souvent la

combinaison de ces différents facteurs.

De notre point de vue, ces problématiques

s’ancrent aussi bien dans le champ de la

psychopathologie individuelle et fami-

liale que dans celui de l’éducatif. C’est ce

pourquoi l’équipe en lien direct avec les

adolescents est composée d’infirmiers,

d’éducateurs spécialisés et d’un ensei-

gnant, au sens où ces métiers sont en com-

plémentarité opérante pour la plupart de

ces adolescents. Au-delà d’hypothèses de

compréhension à la fois psychodyna-

miques et systémiques, un travail de par-

tenariat étroit avec les autres services en

charge de l’adolescent est indispensable,

que ces services soient du champ du sco-

laire, du sanitaire, du socio-éducatif ou du

handicap.

La prise en charge des adolescents s’ef-

fectue dans un collectif restreint (maxi-

mum 12 jeunes accueillis en même temps

dans la structure), avec un taux d’encadre-

ment important d’un adulte pour 2 jeunes

en moyenne.

Nous utilisons comme support à la rela-

tion et à la parole les activités de média-

tion : corporelles, manuelles, d’expres-

sion, pédagogiques ou socialisantes. Les

principaux axes de travail des médiations

sont l’intégration dans le groupe de pairs,

le travail de confiance et d’estime de soi,

le travail autour de l’image corporelle, le

réinvestissement de la pensée et de pos-

sibles projets. La participation à tel ou tel

groupe est autant déterminée par la mé-

diation en elle-même que par la dyna-

mique que nous présupposons de ces

groupes fermés. Pendant les temps inters-

titiels où tous les jeunes se croisent, la part

d’accompagnement éducatif est plus

large. La permanence de lieu, la pérennité

des temps d’accueil et encore plus des

personnes, soignants et pairs apportent

Après quelques années d’expérience, l’équipe de l’Espace de Soin et de Médiation constate que les sorties des adolescents de l’hôpital de jour sont peu satisfaisantes, pour les jeunes comme pour les professionnels. La question de la séparation, inhérente à la problématique d’adolescence, était contournée. Afin de mettre cette question au cœur du travail de l’hôpital de jour, l’équipe décide d’aménager différemment la prise en charge, notamment en introduisant une temporalité spécifique dans la prise en charge et en abordant d’emblée la sortie à venir…au plus tard à 18 ans. Nous présentons ici les outils que nous avons mis en place pour travailler cette sortie dans le souci de rendre ce temps de la prise en charge thérapeutique : le groupe de parole des jeunes en partance et l’accueil libre dit « auto-prescription ». Quelques exemples cliniques illustrent les enjeux de cette mise au travail de la séparation.

Mots-clefs : adolescence, hôpital de jour, séparation, groupe de parole, fin de prise en charge

Leaving the day hospital: how to give a therapeutic dimension at the end of the treatment of adolescents

After a few years of experience, the team of the “Espace de Soin et de Médiation” noted that the releases of the adolescent day hospital are unsatisfactory for young people as for professionals. The question of separation inherent in adolescence problematic, was avoided. To treat this subject, the team decides to develop differently the care in the day hospital, including the introduction of temporality in the processing and talking immediately the next release …at the latest 18 years. We present here the measures we have implemented to work this release in order to make therapeutic this time of the care: the speaking group of young people leaving and free reception called "auto-prescription ". Some clinical examples illustrate the issues of this work of separation.

Keywords: adolescence, day hospital, separation, group therapy, end of care

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 64

une sécurité indispensable à l’investisse-

ment de ce lieu et à la possibilité de l’uti-

liser comme un espace thérapeutique.

De la difficulté à penser la séparation aux remaniements de la proposition

de soin

Après 5 années de fonctionnement,

l’équipe a constaté qu’à défaut de s’inter-

roger sur la fin de la prise en charge avec

le jeune et ses parents, celle-ci finissait

toujours par se déliter ou être escamotée.

Petit à petit, certains jeunes manifestaient

une lassitude, une démotivation vis à vis

des médiations... avec un absentéisme de

plus en plus marqué. Les jeunes finis-

saient par ne plus venir sans que cela

puisse être parlé ou reparlé, ils actaient

pour nous la séparation. L’équipe restait

alors avec le sentiment d’un travail non

accompli. Et, pour ces adolescents, il est

possible, bien qu’ils aient été acteurs de la

rupture, qu’ils en aient gardé un sentiment

d’abandon, de lâchage, bien peu structu-

rant pour eux.

D’autres jeunes, au contraire, conti-

nuaient à venir à l’ESM, bien qu’irrégu-

lièrement, et leur prise en charge ne pre-

nait plus sens pour eux, ni pour l’équipe.

Pour autant, l’équipe avait bien du mal à

mettre fin à ces prises en charge... et, ré-

gulièrement, l’équipe demandait à ce que

l’âge de sortie de l’ESM soit retardé, 19

ans, puis 20 ans... c’était sans fin ! Il y

avait là une forme d’évitement pour ne

pas travailler la séparation : la difficulté à

se séparer était notable tant pour les

jeunes que pour l’équipe.

Car la fin de prise en charge, c’est aussi

regarder l’écart entre ce que nous avions

projeté initialement, la réalité du projet

engagé et l’aboutissement. Cela peut acti-

ver du déplaisir et de la déception. Proba-

blement que dans notre toute jeune struc-

ture, nous n’avions pas envie de regarder

nos “échecs”, et tentions de reculer cette

échéance. Pour autant, la séparation ne

peut pas être évitée.

Nous avons constaté combien cette posi-

tion de l’équipe rendait plus difficile le

départ des adolescents de l’ESM et que

nous escamotions ainsi l’accompagne-

ment du processus d’individuation-sépa-

ration propre à l’adolescence, décrit par

Peter Blos. Se posait alors la question de

comment soigner et penser la dernière

étape de la prise en charge à l’ESM pour

mieux se séparer ?

Nous avons alors repensé les prises en

charge, leur inscription dans le temps et la

nécessité d’un travail au plus tôt concer-

nant la sortie de l’ESM, et de là, la possi-

bilité d’un véritable travail autour des

questions de séparation et dépendance

chez les adolescents.

Dès le début, quelque chose est dit de

cette séparation à venir, dans le sens où la

prise en charge est limitée dans le temps,

au maximum à l’échéance des 18 ans. Il

s’agit d’un repère temporel connu de tous,

c’est la loi du temps. Les bilans intermé-

diaires de prise en charge sont de véri-

tables moments où la séparation est mise

en scène, puisque la question de continuer

ou de s’arrêter s’y trouve posée.

Pour structurer de manière plus lisible

pour tout le temps de prise en charge,

l’équipe a fait évoluer l’organisation de

l’ESM en 3 temps successifs de prise en

charge avec :

- un temps d’évaluation et d’observa-

tion, nommé « Groupe entrants », de 2 à

4 mois, où il s’agit essentiellement de

travailler “l’accroche” avec le jeune et

élaborer son projet de soin à l’ESM.

- un temps de prise en charge avec des

médiations spécifiques, qui se décline en

cycle d’une vingtaine de semaines, re-

nouvelable autant de fois qu’utile au

jeune. Le projet de soin évolue lors des

synthèses pluridisciplinaires et des bi-

lans avec le jeune et sa famille.

- un temps de travail de la sortie de

l’ESM, qui s’articule autour du « Grou-

pe de parole de Jeunes en Partance ».

La fin de la prise en charge des jeunes à

l’ESM s’envisage dans trois situations :

- dans le meilleur des cas, elle est déter-

minée par l’atténuation des symptômes,

une insertion scolaire ou professionnelle,

la reprise d’une vie sociale de meilleure

qualité et la possibilité de poursuivre un

travail thérapeutique en individuel.

- Pour d’autres, l’arrêt s’impose en rai-

son de leur âge et des limites d’accueil

que nous nous sommes fixées. Les 18

ans viennent alors marquer la fin de la

prise en charge à l’ESM, avec un relais

vers d’autres structures du champ du

soin, de la Protection de l’Enfance ou du

handicap, qui s’est travaillé au cours des

derniers mois de prise en charge.

- Il arrive aussi que nous décidions d’ar-

rêter la prise en charge avant la majorité

malgré la persistance de certains symp-

tômes, lorsque nous pensons que notre

structure ne peut pas apporter plus à ce

jeune ou que la prise en charge ne prend

plus de sens pour les uns et les autres.

Quoiqu’il en soit, la fin de la prise en

charge à l’ESM a pu être anticipée et pen-

sée avec le jeune et sa famille. L’arrêt dé-

finitif est alors programmé pour le cycle

suivant : l’intégration du groupe de parole

des jeunes en partance vient symboliser le

début du processus de sortie et de sépara-

tion. A l’issue des 8 séances du groupe de

parole, le jeune sort de la structure, il n’y

est plus attendu de manière programmée

et contractualisée. Toutefois, le travail de

séparation peut se poursuivre, si besoin,

par la fréquentation d’un temps d’accueil

libre, que nous nommons « Auto-pres-

cription ».

Le groupe de parole des jeunes en partance : un cheminement

progressif vers une séparation

Afin de travailler cette fin de la prise en

charge à l’ESM, nous avons pensé la mise

en place d’un groupe de parole fermé, qui

se déroule sur 8 séances hebdomadaires

de ¾ d’heure.

Le groupe a lieu le mercredi en fin de

journée en dehors des vacances scolaires.

Il peut se dérouler au maximum 2 fois par

an, comme les autres cycles. Le groupe

accueille l’ensemble des jeunes pour qui

une décision de sortie a été prise, le

nombre de jeunes varie donc d’un cycle à

l’autre. Idéalement composé pour la dyna-

mique de groupe, de 4 à 6 jeunes, il n’a

jamais dépassé 5 jeunes et ne se tient pas

si le nombre de participants initiaux est in-

férieur à 3.

Afin de créer une cohésion suffisante à la

venue dans le groupe, nous proposons

préalablement 2 temps d’accueil à l’en-

semble des jeunes de ce groupe à venir.

Cela leur permet de s’identifier, car tant

bien même qu’ils sont pris en charge de

longue date à l’ESM, certains d’entre eux

ne se sont que croisés en raison de par-

cours pour soin bien différents.

Les règles de fonctionnement sont fixées

en groupe à la première séance. Nous in-

sistons sur les questions d’écoute mu-

tuelle et du respect de la parole de l’autre,

la prise de parole se fait au rythme de cha-

cun. Ce qui est dit dans le groupe reste

dans le groupe sauf si le jeune était amené

à exprimer des éléments inquiétants qui

nécessiteraient une forme de protection.

La participation au groupe est un engage-

ment sur les 8 séances et un calendrier des

rencontres est remis à chaque participant.

En cas d’absence, le jeune se doit d’en in-

former son référent afin que nous puis-

sions le relayer auprès du groupe. En cas

de refus de poursuivre la participation au

groupe de parole, la sortie de l’ESM est

prononcée de manière prématurée.

Les objectifs du Groupe sont de clore avec

les jeunes le travail thérapeutique mené à

l’ESM et de se donner du temps pour se

dire au revoir, avant de partir. Pour cela,

nous proposons aux jeunes de :

- revisiter, relire leur parcours de soin ;

- relier, reconnecter le passé au présent

pour pouvoir aborder l’avenir...

- partager leur expérience individuelle

de leur intégration à l’ESM, car il y a

certes un trajet commun, mais chacun y

a mené un parcours singulier.

- Echanger autour de ce que l’ESM a pu

leur apporter et éventuellement de ce que

cela pourrait apporter à d’autres.

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Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 65

- Partager leurs projets et leurs projec-

tions dans l’avenir, et les doutes atte-

nants, se soutenir mutuellement dans

leurs projets et dans leur nécessaire dé-

part de l’ESM.

En parallèle à la participation à ce groupe

de parole, le jeune est reçu par son réfé-

rent en entretiens individuels et c’est aussi

l’occasion de reprendre et d’analyser avec

le parcours réalisé au sein de l’ESM, à

partir d’éléments de leur histoire person-

nelle qui ne peuvent être évoqués dans le

groupe. Il s’agit d’affiner et confirmer

l’éventuel projet de prise en charge ulté-

rieure.

Le dispositif groupal a été pensé avec une

co-animation du groupe à 3 adultes de

l’équipe de l’ESM, dont 2 adultes en prise

directe avec les jeunes lors de leur accueil

à l’ESM. Ces 2 soignants, qui sont té-

moins du parcours des jeunes au sein de la

structure, vont être eux aussi mis au tra-

vail. En effet, il y a un double travail de

mémoire et de séparation à l’œuvre dans

ce groupe, celui des jeunes qui vont partir

mais aussi celui des adultes qui vont res-

ter. La présence de ces 2 soignants permet

de rendre dynamique un échange, qui se

déroule parfois devant les adolescents,

avant de pouvoir s’effectuer avec eux.

Chacun des soignants a un regard diffé-

rent sur les jeunes, avec qui ils ont partagé

des relations singulières et différenciées.

Cette co-animation à 3 permet aussi qu’un

adulte puisse accompagner un jeune qui

sortirait au décours de la séance, du fait

des émotions suscitées par ce processus

de sortie-séparation. Nous avons pensé

utile la présence d’un tiers médiateur dans

cette co-animation : parce qu’il n’a pas

d’histoire commune avec les adolescents,

il facilite les témoignages et le partage

d’expériences vécues. Il peut aussi ques-

tionner un discours trop convenu et tenter

de le reformuler, interroger des évi-

dences pour le groupe, des modes rela-

tionnels jeunes - adultes qui se reprodui-

sent. Le tiers médiateur introduit une pen-

sée, un mode relationnel différents et une

possible différenciation. Il est enfin le ga-

rant du cadre et assure la mémoire du

groupe.

C’est l’assistante sociale de l’ESM qui

joue cette fonction tierce. Elle a, en effet,

une place singulière au sein de l’ESM :

d’une part, elle n’est pas engagée avec les

jeunes dans un suivi où l’intime vient

s’exprimer et, d’autre part, de par son tra-

vail d’accompagnement des jeunes et de

leur famille, dans la construction de relais

de prise en charge et des dossiers inhé-

rents, elle vient symboliser quelque chose

de l’ordre du passage.

Or l’adolescence n’est-elle pas un passage

de l’enfance à l’âge adulte, d’un état de

dépendance totale aux parents à un état

d’autonomie psychique suffisant ?

Lors de la première séance, les jeunes

marquent chacun à leur manière leur en-

trée dans le groupe et disent quelque

chose de leur problématique de départ et

de leurs éprouvés quant à la sortie de

l’ESM et à la séparation imposée. La fin

de la prise en charge ne manque jamais de

réactiver les séparations passées, s’expri-

ment alors des affects dépressifs, des fan-

tasmes d’abandon, et l’intérêt du groupe

est questionné... de cette question com-

mune, nait le groupe qui peut se mettre au

travail. Ainsi, Louis dit combien il ne veut

pas partir « je veux rester toute ma vie, il

faudra me tuer pour que je parte ».

Sophie, jeune fille carencée au passé trau-

matique, était un peu sauvage à son arri-

vée à l’ESM, qu’elle avait eu beaucoup de

mal à intégrer. Elle s’était d’abord présen-

tée particulièrement grossière, avec moult

propos sexualisés, cherchant à mettre

l’autre à distance, puis elle s’était montrée

de plus en plus confiante à l’égard des

adultes, voire profondément attachée

même si cela était impossible à recon-

naître pour elle. Elle progresse beaucoup

au décours de sa prise en charge et ses

troubles du comportement s ’amendent. A

son arrivée dans le groupe de parole de

jeunes en partance, elle se présente de

nouveau comme à son arrivée à l’ESM,

elle arrive dans la salle en vociférant,

grossière, elle jette son sac à travers la

pièce puis s’assoit bruyamment. Elle en-

voie des messages avec son téléphone,

provoque les adultes, déclare que sa « ré-

férente est une mongole » et qu’elle ne re-

viendra pas. Elle quitte de manière préci-

pitée la salle, mais finalement juste à

l’heure de fin, et sera présente à l’en-

semble des séances suivantes.

Au cours des séances suivantes, nous tra-

vaillons à l’expression des souvenirs en

s’appuyant sur des techniques imagées :

nous proposons aux jeunes d’ouvrir en-

semble “l’album photos de leur histoire à

l’ESM”, de revenir sur les premiers pas de

chacun dans cet espace, de se rappeler des

moments clef qu’ils y ont vécus et de re-

visiter les différentes étapes de leur prise

en charge. Les soignants aident les jeunes

dans ce travail par un « je me rappelle

que... », « est-ce que tu te souviens de... »

afin de convoquer la mémoire, faciliter

l’émergence des souvenirs de chacun. Les

souvenirs des uns réactivent les souvenirs

des autres, les jeunes et les adultes conju-

guent leurs souvenirs de manière différen-

ciée, les adultes y associent des ressentis

pour amener les adolescents à exprimer

leurs émotions.

Le groupe prête sa mémoire, chacun ap-

porte son témoignage et partage ses sou-

venirs : chacun se souvient avec l’autre et

vient ainsi valider son témoignage. Le

groupe a une fonction contenante et de ré-

ceptacle de cette histoire.

Après les souvenirs collectifs joyeux,

vient l’expression de souvenir plus per-

sonnel…on passe du groupal à l’indivi-

duel. Au-delà de faire revivre le passé, il

s’agit de le reconsidérer, notamment à la

lumière du présent : se rapprocher de son

passé pour mieux prendre de la distance.

Les 2ème et 3ème séances sont consacrées à

l’évocation de l’avant, de la période de

pré-admission et nous demandons aux

jeunes de créer une image photographique

de ce moment et de se représenter « moi

tel que j’étais, tel que je me percevais, tel

que je me sentais être à mon arrivée ».

En écho aux propos de Christine Ulivucci

dans son livre « Ces photos qui nous par-

lent », les photos proposées par les jeunes

mettent en scène une part de leur problé-

matique. Ces images photographiques

questionnent l’absence, l’illusion de ce

qu’on montre à voir ou pas, les confusions

et les différenciations difficiles par le flou,

le brouillard dans lequel ils peuvent se

trouver au moment de leur arrivée à

l’ESM. Une narration se crée autour de

cette première image de soi et de la mise

en scène... c’est une révélation progres-

sive... petit à petit, le jeune parle de ce

qu’il était, de ses difficultés, de sa place,

de sa souffrance, de ce pourquoi il est ar-

rivé à l’ESM...

Sophie se décrit sur une photo en noir et

blanc, « elle était violente, une sorte de

bandit, elle faisait des fugues, elle traitait

les éducateurs et les tabassait », « sur la

photo, il y avait mon père, j’étais toujours

avec mon père, triste ».

Martin décrit lui une photo de son arrivée

à l’ESM, « j’étais timide, j’étais étonné de

ce qui se passait ici », « il y avait des gens

qui n’avait pas les mêmes problèmes que

moi, je me demandais pourquoi je suis

seul à être différent, pourquoi je suis

comme ça », « j’étais limite pas con-

cerné », il évoque alors une scène sympa-

thique de jeux extérieurs avec d’autres

jeunes de l’ESM, la photo est haute en

couleur.

Lors des séances suivantes, nous revisi-

tons les temps forts de leur accueil à

l’ESM : la rencontre avec les jeunes, les

adultes, les médiations qu’ils ont aimées,

les séjours thérapeutiques, les contrariétés

et déceptions éprouvées. Nous tentons de

déterminer ceux qui pourraient être à

l’origine de changement chez eux.

Alors, est abordée la question de leur

changement : « Comment je me suis vu

grandir ? comment je t’ai vu changer ?

comment les parents me voient grandir ?

comment cela se traduit ? ». A partir de

cette réflexion, nous leur proposons de

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 66

LES AUTEURS

Delphine AUCOUTURIER Monitrice-éducatrice Jacques LEROY Educateur Docteur Hélène NICOLLE Psychiatre Anne-Françoise REGNOUF Assistante sociale

Maison des Adolescents du Calvados 9, place de la mare 14000 Caen France

[email protected]

BIBLIOGRAPHIE

1. CLEACH C. (2015), Adolescents en hôpital de jour : comment envisager l’après, Le journal des psychologues, /4 n°327, p. 38-42.

2. HAGMANN V., SERVANT B. (2011), Se ren-contrer, se connaître, se séparer : la cure des états limite en hôpital de jour soins-études, Re-vue française de Psychanalyse, /2 vol.75, p. 451-465.

3. HOCHMAN J. (1994), La consolation : Essai sur le soin psychique, Editions Odile Jacob.

4. JEAMMET P., CORCOS M. (2001), Evolution des problématiques à l’adolescence. L’émer-gence de la dépendance et ses aménagements, Doin, Références en Psychiatrie.

5. ULIVUCCI C. (2014), Ces photos qui nous parlent : une relecture de la mémoire familiale, Essais Payot.

WEBOGRAPHIE

6. VIRLOUVET N., La fin de la prise en charge, enjeu de séparation, http://www.meta-bole.asso.fr/espace-de-recherche/114-la-fin-de-la-prise-en-charge-enjeu-de-separation.html

créer une 2ème image photographique,

sorte d’« auto-portrait d’aujourd’hui tel

que je suis, tel que je me sens ». Le groupe

mesure et valide ensemble le chemin par-

couru en faisant retour sur la 1ère image

photographique, celle de l’arrivée à

l’ESM.

Martin qui a été longtemps déscolarisé dit

« aujourd’hui j’ai grandi mentalement,

mais en plus j’ai changé », « je vais en

cours, tout est mieux globalement, je

m’amuse en cours, avec les autres, je suis

content d’être avec les autres, c’est un

changement ». « J’ai de la barbe mainte-

nant, je suis un homme ». « J’ai changé de

rail et j’ai continué... ».

Sophie évoque une photo très en lien avec

la séparation en cours, « mon père n’est

plus là sur la photo, il est mort… il y a

plus d’éduc’ », « je suis trop bonne, je

suis courageuse depuis la maternelle »,

« une éducatrice m’a dit que j’étais cou-

rageuse, elle ressemble à ma mère [décé-

dée pendant l’enfance de Sophie], c’est

mon père qui le dit ».

Nous pouvons alors aborder la question

du départ et de la séparation, qu’est-ce

que cela leur fait, qu’est-ce que cela nous

fait de les voir partir. Chacun peut repartir

enrichi l’un de l’autre et de l’expérience

partagée à l’ESM...

Comme de bons parents, nous leur rappe-

lons une dernière fois les projets que nous

avons construits avec eux, les points d’ap-

pui possibles, auprès de leurs consultants,

des institutions où ils peuvent être ac-

cueillis... et la possibilité de revenir par-

fois en auto-prescription.

Ce groupe de parole des jeunes en par-

tance repose ainsi sur une co-construction

du “roman thérapeutique” de chacun : le

jeune va déplier son vécu, partager avec le

groupe les événements marquants de son

parcours à l’ESM, et l’écoute des autres,

leurs témoignages participent à la mise en

forme du roman thérapeutique par la mise

en lien du vécu du jeune et des évène-

ments de son parcours de soin. Le récit

prend petit à petit sens, s’enrichit d’émo-

tions, de ressentis... ceux du jeune mais

aussi ceux du groupe, c’est ainsi que le

“roman thérapeutique” peut s’élaborer...

« Voilà ce que j’ai traversé et ce que je

suis devenu aujourd’hui. ». Le “roman

thérapeutique” devient pensable et racon-

table, d’autant plus que le groupe assure

une fonction contenante et rassurante. Il y

est possible de penser ensemble pour

l’autre, penser l’autre, se laisser penser

par l’autre et être pensé par le groupe. Un

décalage des statuts s’opère au décours du

groupe, de soigné, on devient soignant,

“co-thérapeute” les uns pour les autres.

De la prise en charge groupale proposée

par l’ESM, peut renaitre une individualité

de par ce roman thérapeutique singulier.

Poursuivre le travail de séparation malgré la sortie de l’ESM

« l’Auto-prescription »

Dès l’ouverture de l’ESM, nous avions

pensé un espace d’accueil libre, d’une

heure fixe par semaine, pérenne toute

l’année, que nous nommions « Auto-pres-

cription ». Nous pensions cet espace-

temps, soit comme un temps supplémen-

taire que les jeunes pouvaient se prescrire

dans la semaine alors qu’ils étaient enga-

gés dans un contrat de soins avec nous,

soit comme une veille possible pour les

jeunes sortis de l’ESM, qui pouvaient

continuer à nous interpeller.

Lorsque les jeunes sont sortis de l’ESM,

la possibilité de participer à l’auto-pres-

cription a des intérêts multiples :

- aménager la séparation après la sortie.

Si nous signifions clairement aux adoles-

cents que nous les croyons capables de

poursuivre leur évolution sans venir à

l’ESM et capables de s’éloigner de nous,

nous leur offrons la possibilité de s’ap-

proprier l’objet de la séparation. Ainsi,

ils deviennent acteur complet de leur

prise en charge, en décidant de venir ou

non, au moment où ils le souhaitent et

quelles que soient leurs attentes.

- Activer, réactiver devant nous une

bonne image interne, par la validation

avec nous de leur parcours, leurs choix et

leur évolution globale.

- Venir réactiver après de nous les

images, les identifications insuffisam-

ment intériorisées au décours de leur

prise en charge.

- S’émanciper de nous, se hisser avec

nous dans un rapport d’adulte à adulte,

en nous exprimant leur reconnaissance

pour l’attention que nous leur avons

porté, dans une forme parfois de contre-

don.

Jacques vient depuis 2 ans en auto-pres-

cription après 3 ans de prise en charge

dans un contexte d’angoisses massives en

milieu scolaire, pouvant mettre en péril la

poursuite de sa scolarité. Il s’agissait au-

tant d’angoisses de séparation que d’an-

goisses de performance apparues lors de

son entrée au collège. Cette étape d’indi-

viduation-séparation était difficile pour ce

fils unique de parents se montrant assez

déprimés, d’autant plus qu’il était victime

de moqueries des pairs, notamment du fait

de son manque d’habiletés sociales. Pen-

dant la prise en charge, il se montre très

volontaire, se surpassant dans certaines

activités comme la réalisation d’un court-

métrage.

Si d’emblée, il est en mesure de s’appuyer

sur les relations avec les soignants, il ne

trouve que petit à petit sa place dans le

groupe de pairs de l’ESM. Il gagne en

confiance en lui et peut prendre de la dis-

tance avec ses parents avec sécurité, au

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Quitter l’Espace de Soin et de Médiation : donner une dimension thérapeutique à la fin de la prise en charge des adolescents

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 67

point d’envisager un internat après son

cursus au collège. Il l’intègre sans diffi-

culté et poursuit sa scolarité avec beau-

coup plus d’apaisement. Jacques vient

nous rendre visite 2 à 3 fois par an et fait

à chaque fois état de progrès, il semble

avoir besoin de vérifier ce que nous en

pensons.

Lisa a été accueillie pendant 4 ans à

l’ESM, sa prise en charge a été extrême-

ment difficile du fait de l’attaque récur-

rente du lien : fréquemment, elle s’op-

pose, elle s’absente, fugue ou ne vient pas,

elle refuse de participer aux activités. Elle

continue malgré tout de fréquenter l’ESM

malgré les changements de lieux de vie

itératifs, et peut investir pendant quelques

semaines certaines médiations. Elle se dé-

brouille pour que nous lui montrons com-

bien nous tenons à elle et à son mieux-

être... toutefois, elle rompt brutalement

peu de temps avant sa majorité de par une

longue fugue de son lieu de vie. Nous

avons quelques nouvelles peu rassurantes

par téléphone, ou par le biais d’autres

jeunes qui la croisent. Elle nous contacte

deux ans plus tard pour nous annoncer la

naissance de son enfant, elle tient à venir

le présenter à l’équipe avec son conjoint :

elle a pu enfin se poser et accepte de s’ap-

puyer sur différents professionnels pour

accompagner son enfant.

Pour les jeunes majeurs qui ont rompu

avec nous avant qu’ils aient pu s’appro-

prier un projet d’accompagnement ulté-

rieur, c’est la possibilité de les amener à

réfléchir aux possibles en termes de relais.

En effet, certains réalisent dans l’après-

coup que leurs difficultés perdurent et

peuvent enfin être demandeurs de prise en

charge adaptée. Ce travail est d’autant

plus important que nous constatons régu-

lièrement qu’il existe un fossé entre le

type de prise en charge proposée aux mi-

neurs et celui proposé aux majeurs, et que

les structures pour jeunes adultes sont

bien peu nombreuses. Un travail de mail-

lage, sans se réengager complétement, est

indispensable pour soutenir ces jeunes

majeurs dans l’élaboration de leur projet

d’accompagnement et l’attente de la mise

en place de celui-ci.

Nous évoquons ici le cas de Corinne, ad-

mise dans un contexte de déscolarisation

après une tentative de suicide, elle présen-

tait des carences narcissiques sévères et

majorées par une histoire traumatique.

Soutenue par l’équipe de l’ESM, elle

avait réussi à retourner en scolarité et ob-

tenir son diplôme de fin d’étude malgré

ses difficultés cognitives. Elle avait

trouvé à l’ESM un espace où elle prenait

de plus en plus confiance en elle et s’ex-

périmentait dans des relations différentes

avec les pairs et les adultes, qu’elle avait

beaucoup investi au cours de ses 2 années

de prise en charge. L’annonce de la fin de

prise en charge est compliquée pour Co-

rinne qui aurait souhaité poursuivre des

accueils à l’ESM malgré sa majorité, nos

propositions de soins ultérieurs ne peu-

vent être alors acceptés. Elle participe

avec difficulté au groupe de parole de

jeunes en partance, puis vient chaque se-

maine en auto prescription. Lorsqu’elle

réalise qu’elle ne peut plus faire les

mêmes activités dans ce contexte, elle

rompt tout lien avec nous pendant deux

ans. Elle revient finalement en auto-pres-

cription pour évoquer ses difficultés à

s’insérer dans le monde du travail et à

s’émanciper de ses parents. Elle est alors

prête à engager de nouveau des consulta-

tions, qu’elle avait cessé, et à demander

une reconnaissance de handicap pour être

accompagnée dans son insertion socio-

professionnelle.

Il s’agit bien plus d’une aide à la réflexion

et à l’élaboration que d’un travail d’ac-

cueil. En effet, après quelques années de

fonctionnement mal défini, nous avons

constaté que cet espace d’auto-prescrip-

tion était beaucoup fréquenté et même

embolisé par les jeunes les plus carencés,

dans une demande plus affective qu’une

réelle mise au travail psychique. Nous

mesurions alors le risque d’entretenir une

dépendance à notre service, et de contra-

rier d’autres projets ou une adhésion aux

services adaptés. Nous avons alors décidé

d’imposer aux jeunes un entretien indivi-

duel systématique à chaque visite, en plus

d’un temps plus convivial d’accueil, afin

de pouvoir évaluer et travailler la de-

mande, sans leurrer le jeune sur la possi-

bilité de maintenir une pseudo-prise en

charge en l’état.

Sauf inquiétude majeure de notre part,

nous ne fixons pas de rendez-vous à ces

jeunes, qui peuvent nous interpeller quand

ils le souhaitent : c’est ainsi que nous pou-

vons revoir certains jeunes pendant plu-

sieurs années, avec des présences souvent

très espacées dans le temps.

Conclusion

Il nous semble utile de nous rappeler que

se séparer à l’adolescence signifie aussi

grandir et devenir sujet. Aussi, il est de

notre devoir d’aider les adolescents à nous

quitter.

S’il est indispensable que les soignants

s’engagent fortement dans la relation avec

ces jeunes pour que la prise en charge

puisse commencer, nous ne devons pas

les leurrer sur ce que nous pouvons leur

apporter et sur le temps possible de notre

accompagnement. Pour l’équipe, il faut

opérer là un véritable renoncement aux

fantasmes de toute puissance et de sauve-

tage…et ceci n’est pas sans douleur et de-

mande toujours à être remis au travail.

Comme l’a théorisé Jacques Hochmann

pour les enfants psychotiques, bien que

proposant une approche globale des ado-

lescents, l’ESM a tout intérêt à rester par-

tielle, “lacunaire” et à renoncer à servir les

jeunes de façon totale, à satisfaire tous

leurs “besoins”.

Car du manque peuvent naitre l’envie et

l’échange, et n’avons-nous pas tous

quelque chose à y gagner ?

Chaque départ est l’objet d’une interroga-

tion. Que savons-nous de l’avenir de ces

adolescents lorsqu’ils nous quittent ?

Nous espérons qu’eux savent que la porte

de l’ESM leur reste ouverte pour un autre

travail, celui de la séparation et du relais,

cela témoignerait d’une forme d’internali-

sation du travail que nous avons mené

avec eux.

Page 68: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 68

Introduction

En 2007, débutait à l’Hôpital de jour Paul

Sivadon le projet pilote Archimède, mo-

dule de réhabilitation psychiatrique à des-

tination de jeunes patients schizophrènes

entre l’âge de 20 à 35 ans, au décours

d’une des premières décompensations. Le

développement de ce projet a fait l’objet

d’une communication au colloque des

Hôpitaux de jour en 2008 [3]. A l’époque,

l’ensemble du programme n’avait pas en-

core été mis en œuvre totalement, ce qui

rendait l’évaluation du travail réalisé dif-

ficile.

Huit années plus tard, que peut-on dire de

l’évolution de ce projet ? Comment-a-t-il

mis l’équipe à l’épreuve ? Comment-a-t-

il fait évoluer la dynamique institution-

nelle ? Quels sont les défis et les perspec-

tives d’avenir ?

1 L’IPT, Integrated Psychological Treatment ou Programme Intégratif de Thérapies Psy-

chologiques, est une approche de réadapta-

tion destinée aux personnes souffrant de

Pour rappel, le projet Archimède se don-

nait comme objectif de permettre une ré-

insertion de jeunes patients schizo-

phrènes, basée sur leur environnement

spécifique, les habilités revalidées et les

déficits résiduels dans le cadre d’un séjour

de neuf mois en hôpital de jour.

Basé sur les données scientifiques de la

littérature sur les troubles psychotiques,

ce module de réhabilitation psychiatrique

avait pour objectif d’intégrer différentes

dimensions considérées comme majeures

dans la prise en charge des pathologies

psychotiques [3], à savoir :

- la disponibilité et la motivation du pa-

tient à s’engager dans son traitement,

- le traitement médical prenant en

compte les différents déficits observés, y

compris les symptômes négatifs et dé-

pressifs,

schizophrénie, développée en 1992 en Suisse par Brenner et ses collaborateurs.

- la revalidation cognitive des déficits

observés dans la psychose,

- l’aménagement psychosocial de l’envi-

ronnement du patient.

Le travail réalisé dans ce module visait à

la fois à évaluer les déficits cognitifs et à

établir un programme de revalidation spé-

cifique et non spécifique de ces déficits,

de manière à permettre un retour à une

autonomie maximale dans l’environne-

ment choisi par le patient, voulant ainsi

éviter autant que faire se peut la chronici-

sation. Il existait une volonté d’intégrer

les programmes de revalidation cognitive,

tel l’IPT de Brenner1 [1].

Pour l’implémentation du programme Ar-

chimède, c’est le modèle de réhabilitation

psychiatrique développé par Anthony,

Farkas et Cohen (2004) dans le cadre de

l’école de Boston qui a été utilisé, modèle

d’orientation Cognitivo-Comportemen-

tale. Ce modèle intègre une approche mé-

dicale (incluant notamment la revalida-

tion cognitive) et psychosociale, dans une

vision bio-psycho-sociale de la maladie

mentale. Le modèle de réhabilitation psy-

chiatrique tel que développé par l’école de

Boston consiste en une tentative d’inté-

gration du modèle médical de la psychia-

trie et du modèle social de la réhabilitation

psychosociale. Le patient est envisagé

dans sa globalité et dans l’environnement

dans lequel il évolue. Il s’agit d’un mo-

dèle pluridisciplinaire, pluridimension-

nel, sensé faciliter le retour d’un individu

à un niveau optimal de fonctionnement

autonome dans la communauté [3].

Ce modèle différencie et intègre diffé-

rentes phases de traitement :

- le traitement médical : traitement mé-

dicamenteux, traitement psychothéra-

peutique, approche psycho-éducative

(familiale et individuelle), revalidation

cognitive.

Prolongeant le projet pilote « Archimède », module de réhabilitation psychiatrique à destination de jeunes patients schizo-phrènes débuté en 2007, nous développerons les différentes étapes et processus qui ont abouti à l’élaboration d’un programme thérapeutique spécifique, appelé module Emergence, destiné à une patientèle majoritairement psychotique ou souffrant de troubles bipolaires. Nous discuterons des modalités d’interventions progressivement déployées, évolutives et dynamiques (activités à médiation, psychoéducation, modèle ergothérapeutique KAWA, revalidation cognitive…), dans une démarche d’intégration des référents théoriques, des modèles psychothérapeutiques et des apports de la pluridisciplinarité. Nous verrons, au travers de l’évolution du projet Archimède, comment la cohésion de l’équipe a été mise à l’épreuve, comment la dynamique institutionnelle a évolué, comment les soignants ont été confrontés et ont pu réagir aux spécificités du transfert psychotique. Enfin, après quasiment deux ans de fonctionnement de ce module Emergence, nous aborderons la question de l’évaluation des pratiques et des inter-ventions.

Mots-clefs : projet Archimède, intégration des modèles théoriques, cohésion d’équipe, modèle ergothérapeutique KAWA, trans-fert psychotique, isomorphisme, évaluation des pratiques

Evolution of the pilot project “Archimedes” Adapt, create, for the sake of coherence and cohesion

As a continuation of the Archimedes project, psychiatric rehabilitation module for young schizophrenic patients started in 2007, we will develop the steps and processes that led to the development of a specific therapeutic program called Emergence module. We will discuss the modalities of interventions gradually deployed, scalable and dynamic (mediated activities, psy-choeducation, KAWA model, cognitive revalidation...), in a process of integration of theoretical referents and psychotherapeutic models. We will see, through the evolution of the Archimedes project, how the cohesion of the team was put to the test, how the institutional dynamic has evolved, how caregivers have faced and have responded to the specificities of psychotic transference. Finally, we will approach the issue of the evaluation of the practices.

Keywords: Archimedes project, integration of theoretical referent, team cohesion, KAWA model, psychotic transference, iso-morphism, evaluation of the practices

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Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 69

- le traitement psycho-social, visant à

améliorer le fonctionnement concret du

patient dans ses environnements de vie,

à trouver ou retrouver des rôles sociaux

valorisants. Le but est d’aider le patient

à choisir, obtenir puis garder les environ-

nements et les rôles qu’il préfère [3].

La littérature scientifique de ces 15 der-

nières années donnant aux déficits cogni-

tifs (par lesquels on entend classique-

ment : troubles de l’attention, de la mé-

moire, des fonctions exécutives) une

place centrale dans la schizophrénie, une

partie importante du projet consistait à

tenter d’y remédier. Les hypothèses scien-

tifiques évoquaient l’existence dans la

schizophrénie d’un déficit fondamental de

remémoration consciente. Fondé sur ces

hypothèses, la revalidation des stratégies

de remémoration consciente et de projec-

tion dans le futur devait permettre une

amélioration de la capacité d’identifica-

tion des patients, favorisant les prises de

décision et la résolution de problèmes.

Le projet consistait également à accompa-

gner le patient sur le terrain et développer

des tâches spécifiques en fonction des

souhaits exprimés (suivre une formation,

reprendre une activité professionnelle,

vivre seul en appartement...). En fonction

des déficits résiduels observés, une aide

de réseau était organisée avec le patient,

sa famille et les différents intervenants

potentiels. Ce qui impliquait dès lors de

travailler avec l’environnement proche

pour aider celui-ci à accepter les fragilités

du patient et s’y adapter.

Il existait également au sein du projet ini-

tial une volonté de proposer à l’admis-

sion, à la sortie et six mois après la sortie,

une évaluation globale pluridimension-

nelle (symptomatologie présentée, éva-

luation neuropsychologique, évaluation

de la qualité de vie…). Il s’agissait d’éva-

luer les déficits mais aussi les ressources

disponibles.

Evolution du projet Archimède Confrontation à la pratique

Une thérapeute a été formée en IPT Bren-

ner et il existait une volonté d’implémen-

ter le programme tel qu’il avait été éla-

boré.

Confronté à la pratique, le constat majeur,

qui a débouché sur la nécessité de s’adap-

ter, a certainement été celui de la diffi-

culté de constituer une patientèle homo-

gène, répondant aux critères de départ :

jeunes patients schizophrènes entre l’âge

de 20 et 35 ans, dans le décours d’une des

premières décompensations. Difficulté de

constituer une patientèle homogène sur le

plan du diagnostic, de la conscience mor-

bide, de la stabilisation de l’état psy-

chique général, de l’âge ou encore de la

chronicité.

A l’été 2013, une transition s’est progres-

sivement effectuée entre le programme

initial Archimède et sa version actuelle

appelée module Emergence.

Comment s’est opérée cette transition ?

Un épuisement se faisait ressentir : lutter

pour garder une dynamique de groupe

avec trois patients qui n’arrivaient pas à

être présents le même jour devenait épui-

sant.

A cette même période, il n’y avait pas

d’autres candidats susceptibles d’intégrer

le programme Archimède, même en ne re-

tenant que le diagnostic comme unique

critère d’inclusion. Pendant plus de trois

mois, nous nous approchions à reculons

des ou le plus souvent DU patient, ne sa-

chant plus que “faire avec”. Celui-ci per-

dait toute motivation à revenir le lende-

main... et DES participants nous sommes

passés à UN (et en fin de séjour !!). La dé-

cision du staff de clôturer le groupe, mo-

mentanément, fût inévitable et nous avons

trouvé un programme individuel pour ce

patient avec soulagement. Mais la belle

saison passant, il n’y avait toujours pas de

candidatures à l’horizon et rester à ne rien

faire n’était pas acceptable, tant du point

de vue des thérapeutes que de l’institu-

tion, d’autant que la liste d’attente de pa-

tients pouvant intégrer les autres modules

de l’Hôpital de jour s’allongeait de ma-

nière de plus en plus conséquente. Nous

partîmes alors de l’idée de créer un nou-

veau module pouvant à la fois accueillir

les “profils” Archimède, où un travail spé-

cifique continuerait d’être réalisé, et

d’autres patients sur liste d’attente depuis

plusieurs mois parfois. Le binôme des

thérapeutes engagés au sein du pro-

gramme Archimède (ergothérapeute-as-

sistante sociale) ressentait également le

besoin de vivre d’autres expériences pour

se ressourcer, retrouver de l’énergie,

avant peut-être de s’y remettre par la

suite, d’une autre façon.

La nouvelle structure, sans assistante so-

ciale impliquée au quotidien, compren-

drait 2 ergothérapeutes (devenus 3 un an

plus tard) avec intervisions avec le psy-

chologue fraîchement arrivé dans

l’équipe. Le psychiatre responsable du

projet Archimède interviendrait régulière-

ment dans le programme de réhabilitation,

tout particulièrement sur les aspects de

psychoéducation, avec une volonté de dé-

marrer un programme spécifique autour

des troubles bipolaires.

Il y eu beaucoup de débats au sein de

l’équipe de l’Hôpital de jour, période

éprouvante pour les porteurs du nouveau

projet, et quelques mois plus tard, le pro-

jet s’est définit et, la poussée d’Archi-

mède aidant, le nom d’EMERGENCE... a

fini par émerger. L’importance voulait

être donnée aux activités à médiation,

mettant en jeu l’infra verbal : faire émer-

ger un désir, une étincelle, une lueur dans

l’univers intrapsychique du patient... et un

nouvel élan vital pour les soignants con-

frontés aux spécificités du transfert psy-

chotique ?

L’accent voulait être mis sur l’utilisation

d’un tiers, le média, pour amener progres-

sivement, si possible mais pas nécessaire-

ment, à une verbalisation.

L’utilisation du corporel, la mise en mou-

vement serait également privilégiée.

Il était important de ne pas oublier la pré-

cédente structure Archimède et de pou-

voir continuer à travailler avec certains

concepts du modèle de Boston.

Le projet consistait à repenser la prise en

charge de patients considérés comme

“plus fragiles”, telles que les structures

psychotiques et les personnes souffrant de

troubles bipolaires, en conservant les élé-

ments positifs du programme Archimède

tout en ayant à l’esprit les difficultés prin-

cipales progressivement rencontrées sur

le terrain au fil des années (voir tableau I,

infra).

Ce sont sur ces bases que le module Emer-

gence a débuté en novembre 2013, avec

une capacité d’accueil maximale de 10

patients, pour une durée de séjour de 6

mois. Le travail, articulé sur cinq jours par

semaine et non plus trois, y était envisagé

autour de trois axes : l’activité, le travail

dans le présent, la communication non

verbale et verbale, facilitée par l’utilisa-

tion de différents médias concrets et/ou

créatifs, artistiques.

Exemples d’outils proposés

- Psychoéducation, entretiens avec la fa-

mille,

- Cercle relationnel, gestion du temps,

- Collage, l’île, le blason...

- Jeux de rôles (type mise en situation),

- Bilan patient, activité patient,

- Écriture, dessin, bois, terre, corporel...

- Photo, image, livre,

- Sorties diverses,

- Cycle avec intervenants extérieurs.

Dès le début, les activités à médiation ont

été nombreuses et diversifiées : picto-

grammes, photos, marionnettes... Les in-

tervenants extérieurs multiples : kinési-

thérapeute diplômé en sophrologie, artiste

intervenante, psychiatre. Mais la conti-

nuité dans la venue des intervenants exté-

rieurs a été difficile à assurer.

Il existait également une volonté de tenir

compte de ce qui émane du groupe : adap-

ter notre programme en fonction de la dy-

namique observée, comme il est de tradi-

tion de travailler à l’Hôpital de Jour. Nous

avons pris en compte certains besoins. Par

exemple, la rigidité du corps, la mécon-

naissance du schéma corporel nous a

amené à proposer de la danse, du corps en

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 70

mouvement, de la relaxation, plus de

sport. Nous avons également travaillé

avec certains désirs, si désir il y a, ou

centres d’intérêt. Ce qui nous a entrainé

vers une activité de jardinage.

Dans le panel d’outils proposés et d’acti-

vités à médiation déployées, dont un des

objectifs est d’aider les patients psycho-

tiques à reconstruire un espace intersub-

jectif cohérent et petit à petit rassurant [2],

nous voulions détailler un outil de ma-

nière un peu plus spécifique : le modèle

KAWA.

Le modèle KAWA

Basé sur l’utilisation des métaphores, le

modèle KAWA, qui signifie rivière en ja-

ponais, est le premier modèle ergothéra-

peutique non occidental. Ce modèle, où le

patient détermine lui-même ses difficul-

tés, permet de valider les objectifs ergo-

thérapeutiques.

Il s’agit de dessiner une rivière, qui repré-

sente le cours de la vie, jusqu’à l’arrivée à

la mer qui symbolise la mort. L’eau repré-

sente la capacité d’agir, inséparable des

facteurs environnementaux représentés

par les rives et le lit de la rivière. Les ro-

chers représentent quant à eux les obs-

tacles, les problèmes rencontrés.

Ce modèle, qui respecte la culture des per-

sonnes concernées, se donne comme ob-

jectif de « permettre au sujet de perce-

voir, de décrire intuitivement ses pro-

blèmes et ses déterminants personnels

dans son environnement » [5]. Il donne un

cadre pour organiser les problèmes de fa-

çon plus signifiante, permet de valider les

objectifs ergothérapeutiques, de négocier

les moyens à mettre en œuvre et de ren-

forcer le courant de vie.

Fort de quelques résultats encourageants

chez plusieurs patients, il existe une vo-

lonté de poursuivre l’utilisation de cet ou-

til au sein du module Emergence et de

l’intégrer à divers projets d’études au sein

de l’Hôpital de Jour.

Cohérence et intégration des modèles théoriques, mise à l’épreuve

de la cohésion de l’équipe thérapeutique

Depuis les années quatre-vingt, l’Hôpital

de jour Paul Sivadon s’inscrit dans une

démarche d’intégration et de complémen-

tarité des référentiels théoriques, mul-

tiples en institution. Le cadre se veut inté-

gratif, multiple, inspiré des différents ré-

férents théoriques : analytique, cognitivo-

comportemental et systémique, mais

néanmoins contenant et limitant [6].

Ces dernières années, l’équipe de l’Hôpi-

tal de jour a vécu beaucoup de départs

(mise à la pension essentiellement) avec,

en contrepartie, de nouveaux arrivants qui

sont venus la rejoindre. Ainsi, une nou-

velle dynamique d’équipe animait les ré-

unions, chacun essayant d’y trouver et de

s’y faire une place. De nouvelles idées, se

mêlant aux anciennes, étaient lancées lors

des réunions institutionnelles : psychoé-

ducation des troubles bipolaires, intégra-

tion de projets d’intervenants extérieurs,

repenser la structure des modules…

Nous avons pu alors constater la difficulté

de faire s’accorder et coexister des désirs

multiples portés par différents membres

de l’équipe. Chacun défendait son do-

maine, son orientation spécifique, avec

des objectifs bien différents, et parfois op-

posés.

Il y eu beaucoup de débats au sein de

l’équipe avant que le projet ne se définisse

sous le nom de module Emergence, où

l’importance voulait être accordée aux ac-

tivités à médiation, tout en conservant un

travail spécifique avec les patients schizo-

phrènes.

Mais, pour reprendre la vision développée

par Kinoo quand il décrit le paradigme

multifonctionnel interactif [4], il man-

quait un “liant”, le ciment du projet théra-

peutique commun.

Dans le modèle multi-référentiel décrit

par Kinoo, la cohérence se fait par adhé-

sion dynamique et réfléchie des travail-

leurs au projet thérapeutique [4]. C’est

cette dynamique interactive entre les tra-

vailleurs, avec leurs propres références,

qui cimente l’équipe et construit les pro-

jets thérapeutiques. « Ce n’est pas le col-

lage des références qui fait le projet, c’est

la reconnaissance de fonctions multiples

et également nécessaires, assumées par

des professionnels chacun compétent

dans son domaine » [4].

Ce qui, progressivement, a pu faire lien,

en dépassant les clivages d’écoles et de

professions, s’est déroulé au sein de la ré-

union d’équipe, via l’engagement dans un

projet collaboratif et par l’intégration

d’expériences professionnelles com-

munes et conjointes. Progressivement, la

cohésion et la confiance entre les diffé-

rents membres de l’équipe s’est installée

par la réunion d’équipe et par des mo-

ments de “travailler ensemble” : être in-

vité sur le terrain de l’autre et s’y laisser

emmener. Comme le souligne Kinoo : « Il

ne suffit pas d’avoir les meilleurs profes-

sionnels, compétents dans leurs fonctions,

il faut pouvoir travailler ensemble. Pas

seulement dans le respect des différences

mais dans une réelle intégration des ap-

ports différents de chacun » [4].

Illustrons ces deux points

Importance de la réunion d’équipe et élabora-tion d’un premier projet collaboratif commun.

En réunion d’équipe, temps minimum

pour partager convergences et diver-

gences, nous avons pu faire l’expérience

d’un premier véritable projet collaboratif

mais aussi de l’importance de disposer

d’un espace de partage autour des diffi-

cultés rencontrées par chacun. La commu-

nication et la transmission des informa-

tions en a été sensiblement améliorée, de

même que le sentiment de confiance entre

les collègues. Il existait une volonté par-

tagée de se réunir une matinée par mois,

en plus de nos intervisions hebdoma-

daires, afin de construire notre projet

commun et de consacrer suffisamment de

temps à des moments d’élaboration théo-

rico-clinique. Ce premier projet collabo-

ratif commun, qui a commencé à produire

du lien et à cimenter l’équipe, est celui

que nous avons appelé « L’accueil amé-

lioré ».

Nous sommes partis du constat suivant :

nous étions interpellés par le nombre con-

séquent de patients qui arrêtaient rapide-

ment leur séjour (parfois après un ou

quelques jours), et n’arrivaient donc pas à

“accrocher” avec l’Hôpital de jour et avec

le module Emergence. Cela a fait partie

d’une réflexion globale étalée sur plu-

sieurs mois qui a fini par aboutir à l’éla-

boration d’un trajet de candidature spéci-

fique appelé accueil amélioré.

Nous avons fait l’hypothèse que cette pa-

tientèle, présentant pour la plupart une

fragilité psychotique, présentait fort pro-

bablement des difficultés à établir un lien

sécurisant et à contenir leurs angoisses,

par moments massives.

Le premier objectif de cet entretien d’ac-

cueil amélioré, réalisé par le binôme d’er-

gothérapeutes présents en module, est de

“faire du lien”, expliquer le cadre théra-

peutique et le travail en module aux pa-

tients qui restent sur liste d’attente plus

d’un mois. Dans le cours de nos réflexions

et de nos échanges, est survenue une pro-

position créative d’un membre de

l’équipe d’aller, à la fin de cet entretien,

visiter l’accueil avec le futur patient afin

d’amorcer un lien avec les infirmières

d’accueil. La production d’un schéma

couleur à destination de tous les membres

de l’équipe est en cours d’élaboration.

S’il est trop tôt pour évaluer l’impact au-

près des patients de ce nouveau dispositif

(peu de patients en ont encore bénéficié)

il est certain qu’il a permis d’apporter de

la cohésion dans l’équipe par l’engage-

ment dans un projet commun qui donne

du sens au travail d’équipe.

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Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 71

“Etre invité sur le terrain de l’autre et s’y laisser emmener”

Pour véritablement être intégratif, le tra-

vail d’équipe se construit par des mo-

ments de travail en commun, des ateliers

en partage [4]. C’est le principe de la co-

intervention, déjà pratiquée au sein du

module, que nous avons étendue aux en-

tretiens avec la famille. Cela a été pour les

thérapeutes un moment de découverte de

l’autre, d’écoute et d’enrichissement mu-

tuel. Cela a certainement modifié notre fa-

çon de percevoir le travail de l’autre et de

travailler ensemble.

Dans le même ordre d’idées, une demande

a été faite pour que le psychologue tra-

vaille en co-thérapie au sein du module, et

ne soit plus limité aux intervisions et aux

échanges informels, car il existait et per-

sistait au fil du temps un sentiment d’in-

compréhension réciproque. Cette de-

mande, récemment rencontrée, participe

certainement au nouage et au recouvre-

ment des fonctions [4].

Ce sont ces éléments, et probablement

bien d’autres, qui mis bout à bout ont per-

mis d’engager une dynamique cohésive et

d’amener du liant entre les différents

membres de l’équipe.

Transfert psychotique, contre-transfert soignant, réactions

isomorphiques et épuisement thérapeutique

En préparant cette communication et en

échangeant entre thérapeutes, un élément

est apparu : l’épuisement ressenti et rap-

porté après deux ans de fonctionnement

du module Emergence. Epuisement mis

en lien avec les efforts déployés pour

créer une cohésion d’équipe autour d’un

projet thérapeutique commun mais aussi,

et sans doute de manière plus fondamen-

tale, en lien avec les spécificités du trans-

fert et des angoisses psychotiques, aux-

quelles les thérapeutes étaient à présent

confrontés au quotidien et non plus trois

jours par semaine. Comme le précise Hen-

drick : « le contact avec les patients psy-

chotiques, avec son cortège d’angoisses

de mort, de morcellement, d’éclatement,

de perte d’élan vital, évoque une confron-

tation avec la mort » [2].

Hendrick nous rappelle également que

soulager la souffrance psychotique ne se

fait pas sans souffrance pour le personnel

soignant et utilise le concept de « souf-

france psychique partagée » pour décrire

l’idée « que le patient ne souffre jamais

seul et que son entourage d’abord, les

équipes soignantes ensuite peuvent elles

aussi entrer en souffrance. Ce qui peut

amener son cortège d’épuisement théra-

peutique, burn-out mais aussi rejet des

patients par le personnel » [2].

Il s’est également intéressé aux processus

dit isomorphiques, dont la nature est dy-

namique et groupale : « comme un phéno-

mène contagieux, l’exposition continue à

la psychose conduit l’équipe soignante à

des angoisses, vers des modes de pensée,

des attentes réciproques et des processus

relationnels similaires à ceux qui sont

éprouvés par la famille du patient. Un

système thérapeutique, une équipe psy-

chiatrique, adopte et répète les patterns

interactionnels dysfonctionnels de cer-

taines familles de patients » [2].

En vertu du principe d’isomorphisme,

« cette perte d’élan vital finit par affecter

les membres de l’équipe. On en arrive à

des réactions défensives compréhensibles

mais inappropriées du personnel soi-

gnant. Dans l’équipe thérapeutique, des

sentiments d’être déniés, inexistants, sans

rôle peuvent se développer. Pour se pro-

téger, on incrimine le patient, la famille.

Les soignants voudraient voir évoluer les

comportements “inadaptés” du psycho-

tique mais les mesures qui sont prises vi-

sent bien plus à se protéger des affects

éveillés par le psychotique que de soigner

celui-ci » [2].

Les réactions défensives inappropriées

que décrit Hendrick, telles un resserre-

ment du cadre, où le patient est obligé de

faire comme le soignant l’entend, ou un

activisme thérapeutique, qui consiste à ré-

pondre à la passivité chronique et dépri-

mante des patients par l’activité, voire la

suractivité, pour éviter sentiment d’im-

puissance et perte de contrôle [2], ont été

certainement présentes, à des degrés di-

vers, au sein du module Emergence.

Nous avons également pu expérimenter

toute l’importance qu’il accorde à la con-

certation clinique, « qui fonctionne

comme un antidote face à la pensée chao-

tique et au fonctionnement fragmenté des

patients psychotiques, qui permet d’iden-

tifier les phénomènes d’isomorphisme et

d’assurer la cohérence des interventions,

cohérence structurante pour le patient »

[2].

Dans ce contexte de prise en charge insti-

tutionnelle de patients psychotiques, nous

voulions proposer une illustration du tra-

vail quotidien qui témoigne de difficultés

spécifiques à travailler avec les personna-

lités psychotiques autour d’un projet com-

mun mais aussi des émotions que les thé-

rapeutes peuvent ressentir lorsqu’une

étincelle jaillit, quand il “se passe quelque

chose” d’inattendu et sans doute d’ines-

péré.

A nos yeux, il s’agit d’un exemple illus-

tratif de la nécessité d’adapter le pro-

gramme initialement prévu (en fonction

de la pathologie des patients, de la dyna-

mique qui s’installe) et de faire preuve de

créativité.

LES AUTEURS

Christophe MILECAN Claire BELLANGER Anne BOEGNER Docteur Vincent LUSTYGIER

Hôpital de jour Paul Sivadon Institut de Psychiatrie et de Psychologie médicale 4, place Van Gehuchten 1020 Bruxelles Belgique

[email protected]

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 72

Illustration : film d’animation

Ce projet a été présenté au festival

« Images Mentales » (Bruxelles, 11-12-

13 février 2015) en présence des patients.

Au départ, il s’agissait de proposer un tra-

vail sur les émotions en réalisant un livre

pop-up à base d’ombres chinoises. Deux

ergothérapeutes encadraient l’activité, à

raison d’une séance hebdomadaire de

deux heures.

Première séance

Après avoir défini les émotions de base,

nous proposons aux patients de les repré-

senter derrière un drap. Un patient est très

motivé et amène une certaine dynamique.

Les autres se laissent entrainer. En deu-

xième partie, voyant que la dynamique est

un peu retombée, nous leur laissons la li-

berté de faire ce qu’ils veulent derrière

l’écran.

Deuxième séance

Nous leur proposons de refaire le même

exercice que la séance précédente mais

nous remarquons qu’il est très difficile de

les faire bouger. Les patients semblent

peu motivés : « Je n’ai pas envie », « Je

ne sais pas quoi faire », « Je ne sais pas

comment faire », « Encore pareil ! »...

Peu de patients osent participer. Nous

nous interrogeons. Différentes hypothèses

sont envisagées : nous ne sommes pas

dans le même local, nous ne sommes pas

les mêmes thérapeutes, le nombre de pa-

tients est différent, sont-ils fatigués ? Se

lassent-ils de la répétition de l’activité ?

Nous leur proposons de seulement traver-

ser l’écran et ensuite de mimer des petites

scènes collectives du quotidien. Certains

tentent de faire quelques propositions

mais beaucoup restent en retrait. Entre

thérapeutes, nous devons nous concerter

et trouver comment adapter, réarticuler le

projet pour que les patients aient envie de

l’investir. Nous nous rendons compte que

nous n’avons pas assez de matière pour

continuer le projet pop-up mais que les

photos les unes à la suite des autres peu-

vent créer une histoire. Nous vient alors

l’idée de réaliser un mini-film d’anima-

tion.

Troisième séance

Nous leur proposons la nouvelle orienta-

tion du projet : ils sont d’accord. Nous dé-

cidons donc de choisir collectivement les

photos que nous garderons pour le mini

film. Les choix semblent évidents et assez

unanimes. Seul un patient reste en retrait

avec des « Comme vous voulez ».

Comment intégrer ce patient dans le projet ?

Nous avons réussi à attirer l’attention de

tous les patients, chacun a trouvé sa place,

à sa manière, dans ce projet qui est devenu

le leur. Nous avons du mal à accepter

qu’un seul reste en retrait. Nous savons

qu’il adore la musique et qu’il joue de la

guitare.

Vient alors l’idée de proposer une séance

musicale qui pourrait compléter le film.

Pour la prochaine séance, nous leur de-

mandons, s’ils le souhaitent, d’apporter

une guitare ou un autre instrument de mu-

sique de leur choix.

Quatrième séance

Nous mettons à leur disposition des per-

cussions et le patient resté à l’écart la

séance précédente a apporté sa guitare.

Nous leur demandons de découvrir, de

tester les instruments mis à disposition.

Ce patient, habituellement très en retrait,

qui ne verbalisait pas, rentre directement

dans cette proposition et commence à

jouer de la guitare (magnifique !!). Les

autres patients l’ont instinctivement ac-

compagné avec les percussions. Nous ne

nous attendions pas à un résultat aussi

concluant, aussi rapidement ! Après un

échauffement, nous leur proposons de les

enregistrer pour créer un fond sonore au

film. Tous sont d’accord et même enthou-

siastes. Ce média a permis à ce patient de

lui donner une autre place dans le groupe.

Il a mené le groupe quelques minutes.

Nous pensons qu’il a apprécié ce nouveau

rôle mais jamais il ne nous l’a dit, évidem-

ment !

Cinquième et dernière séance

Pour clôturer le projet, nous organisons

un atelier écriture, « Pour vous, l’Emer-

gence, qu’est-ce que c’est ? ».

Les patients paraissent peu enthousiastes

dans un premier temps mais finissent par

se prendre au jeu. Nous lisons les textes et

le retour est très positif, pour un des textes

en particulier. Proposition leur est faite de

lire ce texte en voix-off et de l’insérer au

film. Après de longues conversations, tout

le monde lira une phrase !

Epilogue

L’investissement des patients a claire-

ment grandi au fur et à mesure de la cons-

truction du projet. Nous avons, après

chaque séance et parfois même au milieu

de certaines séances, imaginé la suite, ré-

orienté, réadapté le projet sans savoir où

nous allions. Nous avons abouti à un ré-

sultat très éloigné de ce que nous avions

prévu de faire. Ce type de projet, avec une

population majoritairement psychotique,

demande une grande capacité d’adapta-

tion, de réactivité et de créativité. Ce qui

peut, à long terme, être épuisant.

Evaluation des pratiques

Prendre le temps et le recul suffisant pour

tenter d’évaluer la pertinence, l’apport

d’un projet, ce qui fonctionne, ce qui peut

être amélioré ou repensé, nous semble être

un moment indispensable. L’évaluation

des pratiques peut se concevoir à diffé-

rents niveaux, dont par exemple celui

d’une supervision externe mais aussi, et

c’est ce point que nous souhaitons briève-

ment aborder pour en souligner toute la ri-

chesse, celui de l’utilisation réfléchie de

données statistiques.

L’apport des statistiques nous semble

riche d’enseignements lorsque l’on se

pose la question de l’évaluation des pra-

tiques. Il s’agit de confronter nos expé-

riences subjectives, recueillies au contact

quotidien des patients et de la vie institu-

tionnelle, qui ont évidemment tout leur in-

térêt, à des données objectives que sont

les statistiques.

Depuis 2014, à l’initiative de la psycho-

logue S. Ouehhabi qui y consacre une pu-

blication à venir, il existe à l’Hôpital de

jour un recensement statistique plus

fourni, qui ajoute aux traditionnelles dates

d’entrée, date de sortie, diagnostic, des

éléments pertinents, comme par exemple,

une éventuelle reprise du travail, une for-

mation, une rechute avec hospitalisation

résidentielle, une prise en charge en centre

de jour…

Cet outil statistique permet de réfléchir à

nos pratiques sur base de données objec-

tives. Il permet des réflexions pouvant

servir de base à d’éventuels ajustements,

évolutions, remises en question et orienta-

tions futures.

Cela permet aussi de constater que la con-

frontation aux statistiques amène son lot

de surprises et ouvre la voie à des ques-

tionnements qui n’auraient sans doute pu

advenir autrement. C’est sur cette base

que l’on est parfois amené à constater

l’écart qu’il existe entre la perception sub-

jective amenée par le fonctionnement

quotidien et la réalité des données statis-

tiques.

Au sein du module Emergence, nous

avons pu faire l’expérience de l’intérêt de

ces statistiques (pourcentage élevé de pa-

tients qui arrêtent leur séjour avant terme,

absence de réintégration professionnelle

des patients…) pour entamer des chan-

tiers de réflexion. Cette démarche quanti-

tative peut certainement s’intégrer et

coexister en bonne intelligence avec une

démarche qualitative, centrée sur le vécu,

l’histoire, la subjectivité du patient.

Se passer des statistiques, en tout cas de

leur utilisation et de leur intégration dans

une réflexion globale, c’est se priver d’un

levier majeur et puissant dans l’évaluation

de la pertinence des pratiques et comme

source d’orientations thérapeutiques fu-

tures.

Page 73: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Evolution du projet pilote “Archimède” : s’adapter, créer, dans un souci de cohérence et de cohésion

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 73

Conclusions et perspectives d’avenir

Le projet Archimède, dans son évolution

depuis 2007 jusqu’à ce jour, a mis

l’équipe à l’épreuve dans ses capacités

d’adaptabilité, de créativité et de cohésion

autour d’un projet thérapeutique com-

mun. Sur le plan de la dynamique institu-

tionnelle, on peut constater qu’il a intro-

duit à l’Hôpital de jour une dimension de

travail spécifique (la revalidation cogni-

tive et la psychoéducation au sens large),

tout en conservant une approche globale

du patient, où le lien reste au centre de nos

pratiques et l’institution envisagée

comme agent thérapeutique.

Comme le souligne S. Ouehhabi, « notre

ambition reste avant tout que le patient

puisse recréer du lien avec lui-même et

autrui » [6]. Le lien : la manière dont il se

fait, dont il ne se fait pas, dont il peut être

brisé, cassé, reconstruit, dont il peut être

levier thérapeutique... reste le cœur de

notre travail quotidien.

Cela étant, il ne nous semble pas incom-

patible et dénué d’intérêt thérapeutique,

de proposer à nos patients des moments de

travail spécifique tout en les conservant

comme sujets.

Au cours des années, le projet Archimède

a certainement ouvert l’équipe à une vi-

sion Cognitivo-Comportementale de la

maladie mentale et ouvert la voie à

d’autres projets orientés Thérapies Cogni-

tivo-Comportementales (dont ACT, Ac-

ceptance and Commitment Therapy, Thé-

rapie d’Acceptation et d’Engagement en

français, en cours d’implémentation ac-

tuellement). Il a fait évoluer le fonction-

nement de l’Hôpital de jour en y amenant

des ateliers et programmes spécifiques, en

fonction des difficultés et des déficits ob-

servés mais aussi de la demande du pa-

tient et de ses ressources.

Les perspectives du module Emergence

impliqueront avant tout de maintenir la

cohérence et la cohésion dans l’équipe,

d’essayer de continuer à fonctionner en

bonne articulation et complémentarité.

Dans les années qui viennent, il existe

également une volonté de mettre en œuvre

des chantiers autour de l’évaluation de

l’efficacité thérapeutique de nos pro-

grammes et de nos prises en charges.

Tableau I Programme Archimède : aspects positifs et difficultés rencontrées

Ce qui nous est apparu positif Difficultés rencontrées

- Psychoéducation

- Remédiation cognitive avec ou sans pro-

gramme précis (petits jeux)

- Entretien de famille/travail en réseau

- Bilans centrés sur la qualité de vie

- Travail sur les émotions

- Travail avec interprétation des images

(émotions, journaux)

- Sorties /situations concrètes

- Intégration les après-midis aux autres pa-

tients de l’Hôpital de jour

- Réunion hebdomadaire pluridisciplinaire

-

- Côté stigmatisant du regroupement par symptôme et d’un rythme différent (3j/semaine pendant 9 mois au lieu

de 5j/semaine durant 6 mois pour la plupart des autres modules de l’Hôpital de jour)

- Difficulté de constituer un groupe homogène pour appliquer le programme initial

- Peu de personnel et peu de pluridisciplinarité

- Résistance d’une partie de l’équipe à ce nouveau concept (base TTC, vision de la psychose)

- Résistance à accueillir cette population spécifique dans les activités

- IPT peu adaptée à une patientèle pas suffisamment déficitaire

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 74

Les ateliers de

l’unité de réhabilitation

L’unité de réhabilitation est intégrée dans

un dispositif de soins complexes au sein

du Centre Hospitalier Universitaire Vau-

dois de Lausanne – Suisse. Elle s’adresse

aux personnes pour lesquelles les consé-

quences psycho-sociales de leurs troubles

psychiques sont importantes. Elle vise à

favoriser leur rétablissement.

Il s’agit non seulement de soigner médi-

calement leurs troubles, mais aussi de les

aider à retrouver un rôle et des relations

sociales, une identité intégrée et la satis-

faction d’une vie remplie. L’unité com-

prend une dimension thérapeutique (con-

sultation ambulatoire, hôpital de jour,

soutien à l’emploi) et ateliers de travail.

Durant l’année 2014, les Ateliers ont ac-

cueilli 343 personnes, dont 112 entrées et

107 sorties. Ces personnes signent un

contrat de collaboration et sont reconnues

en qualité d’employés ou d’artisans sui-

vant leur activité, qu’ils soient rattachés

aux Ateliers de production ou aux espaces

de création. L’âge moyen est de 45 ans et

le groupe est composé de 131 femmes et

212 hommes. L’équipe d’encadrement

compte 19 collaborateur(trice)s salariés,

dont une grande majorité de maîtres so-

cioprofessionnels.

Plus précisément, la mission des Ateliers

de l’Unité de Réhabilitation est de fournir

à des personnes présentant des difficultés

passagères, récurrentes ou invalidantes

sur le plan psychosocial, des activités de

production (sous-traitance industrielle),

artisanales, artistiques et de bien-être.

Les participants aux espaces de création,

reconnus comme artisans, évoluent au

sein de Césure (peinture, dessin, poterie,

céramique et textiles), de Baz’art (créa-

tions avec divers matériaux), d’Erga-

sia (galerie d’art, expositions) et de la bu-

reautique (initiation au traitement de

texte, image).

Quant aux ateliers de production, leurs ac-

tivités se déploient sous les filières et les

appellations suivantes : Imprim’ser-

vices (travaux pour l’imprimerie, coupe

pliage, façonnage, reliure, assemblage),

Conditionnement et recyclage informa-

tique (emballage, étiquetage, expédition,

démontage et récupération de matériel in-

formatique), Artisanat bois (fabrication et

restauration de meubles, travaux d’artisa-

nat, d’ébénisterie et de menuiserie), Agro-

alimentaire (espaces verts, huile de noix,

bois de feu, tresses et pain), Maintenance

informatique (récupération, assemblage

et configuration d’ordinateurs).

Préambule à l’audace

L’audace est sans doute une qualité, on

peut aussi la considérer comme une vertu

politique, sociale, sportive. Elle se noue

dans un élan, une expression, un geste, qui

impriment leur marque dans un temps

donné. L’audace et l’audacieux ou l’auda-

cieuse se déploient ainsi dans un champ

d’activités qui les précède, qui est donc

antérieur à leur propre déploiement. L’au-

dace n’est pas l’innovation, bien qu’elle

puisse concourir à une nouvelle forme

d’expression qui ouvrira un nouveau

champ d’activités. Par exemple, dans le

champ des arts, modifier le cadre et cer-

taines règles qui permettaient l’émer-

gence d’un objet considéré jusqu’alors

comme relevant de leur champ, est un

geste initiateur de nouvelles expériences,

restant néanmoins soumis aux critères

d’évaluation antérieurs dont sont garants

le cadre et les règles.

Mais il peut aussi s’en écarter pour finale-

ment les contester dans l’espoir d’ouvrir

de nouvelles perspectives qui, solidifiées,

après leur déstabilisation, édifieront un

nouveau champ d’activité. Ou bien il peut

mener directement à ce que l’on nomme

prosaïquement “le bide”, l’échec. Il ne

faut pas l’oublier : modifier le cadre et les

règles dans le champ des arts est un risque

L’Unité de Réhabilitation du Service de Psychiatrie Communautaire de Lausanne (DP CHUV) est composée d’une unité de soins ambulatoires, d’un hôpital de jour et d’ateliers. La démarcation entre lieux de soin pour les deux premiers et lieu d’activité, de production et de création artistique pour les derniers ne dépend pas exclusivement de leurs modes de financement (pour les deux premiers, par l’assurance maladie de base obligatoire en Suisse ; par le Service de Prévoyance et d’Aide Sociales (SPAS) pour les derniers). En effet, l’expérience lausannoise montre que la prescription du soin est sous tension et solidaire de l’inscription des patients dans la formulation personnelle, singulière, de nouvelles marques, de nouveaux sillons, pourvoyeurs d’identités. L’engagement et le travail par une activité spécifique aux ateliers peut en faire partie. Sans doute des lieux deviennent des lieux de soin, des lieux d’activité et sont investis comme tels à condition d’être des lieux de mise en relation, mise en circulation (mise en circulation de la parole, mise en circulation de biens à produire, produits). Ainsi, de la prescription du soin à l’inscription personnelle, et de leur dynamique propre peut émerger ce que nous empruntons volontiers au domaine musical : une forme de transcription. La phase de reconstruction, décrite dans le processus de rétablissement, fait appel à l’audace (« oser faire autrement ») et aux ressources de chacun, comme la transcription musicale qui consiste à noter de la musique pour un instrument autre que celui pour lequel elle est initialement écrite, dans la perspective d’une exécution différente.

Mots-clefs : psychiatrie, travail, travail social, rétablissement

Being oneself, being healed: to take care of oneself or to shape one’s life?

The Psychiatric Department of Community Unit of Lausanne (CHUV DP) is composed of the ambulatory care unit, of the day hospital and of workshops. The separation in terms of location between medical care and activities for the ambulatory care unit and the day hospital, as well as the separation between production and artistic creation for the workshops, is not only a consequence of their source of funding (the ambulatory care unit and the day hospital are financed by the mandatory Swiss basic health insurance whereas the workshops are financed by the Welfare Services and Social Assistance (SPA)). Indeed, the Lausanne experience shows that the prescription of care is under tension but also linked with the inscription of the patients in personal language, new landmarks, new paths and finally produces new identities. The engagement and the work itself in a specific activity made in workshops can also participate to it. There is no doubt that the spaces used for medical care or activities are experienced as such, provided that these spaces allow personal relations and the circulation of speech, of the things to produce and goods. Thus, from the prescription of medical care to the personal engagement with their own dynamic, it may emerge a kind of transcription that is used in the musical field. The reconstructing phase, described in the process of recovery, needs audacity (“dare to do things differently”) and personal strength. A comparison can be made with the musical transcription that would consist to write a piece of music for another instrument that is initially written for and in the perspective to play the piece of music differently.

Keywords : psychiatry, employment, social work, recovery

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Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ?

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 75

à prendre, sans garantie contre l’apprécia-

tion négative, le rejet ou l’incompréhen-

sion.

L’audace et l’audacieux ne s’autorisent

donc pas que d’eux-mêmes, ils prennent

leur élan dans un lieu et en un temps ins-

titués. En terres normandes, qui nous in-

vitent en octobre 2015 à partager l’expé-

rience lausannoise concernant certains as-

pects des soins en psychiatrie sociale de

l’unité de réhabilitation, l’audace n’est

pas un vain mot, il résonne même histori-

quement avec force, en nous renvoyant,

nous qui ne l’avons ni vécu ni connu, sur

le théâtre des opérations militaires du dé-

barquement allié en juin 1944. L’audace

commémorée, illustrée par différents

“moments du combat militaire” et de leur

répercussion immédiate au niveau de la

population civile, prend une dimension

héroïque, dimension que nous n’occul-

tons pas mais que nous souhaitons, à notre

mesure, questionner : quelle place pour

l’audace, dans un rapport institué, entre

clinique, malades psychiques et interven-

tions sociales ?

Pour nous aider nous nous appuyons sur

un livre remarquable de l’écrivain suisse-

allemand Ludwig Hohl, « Die Notizen

oder Von der Unvoreiligen Versöh-

nung » [2], traduit en français en 1989,

sous le titre : « Notes ou de la réconcilia-

tion non–prématurée ». Dans ce livre

dense, foisonnant, un peu fou, l’écrivain

prospecte, en notre compagnie, différents

territoires plus ou moins connus, dans un

style d’écriture sobre, précis. Le territoire

humain qu’il sonde en un premier cha-

pitre, réparti en 51 notices, prend en con-

sidération la notion du travail.

Nous avons choisi, dans la première no-

tice de ce chapitre, les trois phrases sui-

vantes :

- « La vie humaine est brève. »

- « Car la mesure d’une vie, ce n’est pas

une horloge, c’est le contenu de cette

vie. »

- « Ce faire-là, est nul autre, voilà ce que

j’appelle le travail. »

Ces trois phrases n’ont pas pour nous va-

leur de vérité mais de guide pour dévelop-

per une perspective, c’est-à-dire échafau-

der un point de vue sur notre pratique ins-

titutionnelle.

Ce point de vue, Monsieur Gérald, patient

rencontré dès août 2012, par son histoire

et sa maladie, le complexifiera.

La vie humaine est brève

Monsieur Gérald est arrivé aux ateliers de

l’unité de réhabilitation à l’automne 2013,

en rage et sans espoir, dans le cadre d’une

mesure de réinsertion socioprofession-

nelle, sous mandat de l’office de l’assu-

rance invalidité (AI). Il fulminait, ne se re-

connaissant plus ni dans ce qu’il était ni

dans ce qu’il avait traversé. Sa vie n’était

plus vraiment sa vie, son sentiment

d’existence en voie d’extinction. Il n’était

plus temps de penser à ses origines, à

l’élève moyen qu’il disait avoir été.

Quand on a été très investi dans son tra-

vail, quand on est méticuleux, apprécié

par sa hiérarchie, quand on a obtenu à de

nombreuses reprises des postes à respon-

sabilité, “l’utilité sociale” devient une se-

conde nature, une forme d’assurance,

l’assurance que l’on existe bien, pour soi

et pour autrui. Alors, se retrouver dans un

endroit un peu vétuste, confiné, où l’on

vous propose comme activité la mise sous

pli... à proximité d’un hôpital psychia-

trique en plus...

Et on aura beau expliquer au psychiatre

qu’on consulte depuis 2012 sur le même

site que les ateliers qu’on ne se sent plus

utile à rien, comment... Comment d’ail-

leurs lui expliquer que jamais, par le

passé, on ne s’était figuré qu’un jour on

aurait recours à lui ?

La santé, c’est le travail, et ce n’est pas à

un homme approchant la soixantaine à qui

on dira le contraire, surtout quand il en est

la preuve vivante ! Trente-cinq ans dans

un service après-vente comme technicien,

que ce soit pour les pompes à essence ou

encore les machines à café, appelable

dans toute la Suisse, couvrant l’ensemble

de ce petit territoire d’accord, mais qui

connaît cette terre ? En effet, en 1997,

suite au décès de son beau-père, Monsieur

Gérald reprend l’exploitation agricole de

feu celui-ci, tout en conservant son acti-

vité professionnelle habituelle. Créatif, il

développe, avec l’aval de sa famille, l’éle-

vage d’autruches, d’alpagas et, plus ré-

cemment, la culture d’épeautre. La santé,

c’est le travail à condition de pouvoir gar-

der la main mise sur la gestion du do-

maine et du travail technique. Se retrouver

à travailler dans une mesure à caractère

socioprofessionnel, dans une activité ré-

pétitive et évaluée par un maître sociopro-

fessionnel, a suscité frustration et dépit

qui nourrissaient sa colère.

Au début, Monsieur Gérald subit la me-

sure qu’il lui avait été demandé d’entre-

prendre. Il ne s’inscrit pas dans ce “pro-

jet” préférant faire valoir son caractère

obstiné, « je n’accepte pas ». Il restait à

son poste de travail, sans contacts avec ses

collègues d’atelier et bougonnait. Iro-

nique, « un technicien qui plie des enve-

loppes », remarque adressée aux profes-

sionnels d’encadrement. D’avoir son

corps à “l’arrêt” et statique sur un poste de

travail qui l’exigeait remet en cause son

identité de travailleur “actif”, remet en

cause son statut ainsi que l’emploi et l’in-

telligence de son corps.

Assez rapidement, malgré les réticences,

Monsieur Gérald s’est intéressé au sens de

son “nouveau job” et a posé des questions

quant à la commande : mailing publici-

taire d’une entreprise d’horlogerie. Il a

alors commencé à s’inscrire dans la com-

munauté de travail, communiquant son

enthousiasme et discutant avec ses col-

lègues d’atelier. Il profite des pauses et

des repas pour partager avec fierté son ex-

périence personnelle d’agriculteur et éle-

veur. La cafétéria devient pour lui un lien

de convivialité.

D’une mesure à “remplir”, prescrite admi-

nistrativement, Monsieur Gérald choisit

de négocier cette période de son existence

et d’en faire une nouvelle inscription dy-

namisant sa vie.

Car la mesure d’une vie, ce n’est pas une horloge, c’est le contenu de cette

vie

La vie humaine est brève, elle est rythmée

par des obligations, des enthousiasmes et

des déceptions. Ludwig Hohl affirme de

manière lapidaire « Sans la conscience

que notre existence est brève, nous n’ac-

complirons aucune action qui vaille ».

La vie de Monsieur Gérald, “avant”, était

séquencée par sa vie de famille et ses dif-

férentes casquettes, son emploi de techni-

cien, d’agriculteur et l’engagement en po-

litique auquel il renoncera plus tard.

Dans son dernier emploi, Monsieur Gé-

rald, alors chef de groupe, accumule stress

et “usure”. Il fait remonter son mal-être à

l’arrivée d’un nouveau responsable au-

quel il doit rendre des comptes, celui-ci

« voulant montrer qu’il est le chef » en le

dénigrant, le critiquant.

Monsieur Gérald bénéficie d’un certificat

d’arrêt de travail dès juin 2012. Des négo-

ciations avec son employeur sont menées

mais celui-ci se montre peu enclin à pro-

poser des alternatives à son retour au tra-

vail (aménagement du poste de travail).

Sa situation de santé générale s’exacerbe

suite à l’annonce de son licenciement

pour fin janvier 2013.

A ce moment-là, un retournement de si-

tuation se produit : le licenciement est ré-

voqué et une proposition de poursuite du

contrat de travail est discutée au même

poste de technicien-chef de groupe. Il re-

fuse. Dans l’intervalle, au niveau médical,

le diagnostic d’épisode dépressif sévère

est posé et confirmé par une expertise psy-

chiatrique.

Monsieur Gérald essaie, puis refuse, puis

essaie à nouveau, dans un va-et-vient in-

cessant, de mesurer sa vie, d’en faire le bi-

lan comme les professionnels le disent

parfois, mais à quelle aune ? A l’aune

d’une horloge implacable comme toutes

les horloges ?

Et le temps qui passe, et avance, avance...

Ou bien en sous-pesant « le contenu de

cette vie », comme l’écrit Hohl.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 76

LES AUTEURS

Dr Frédéric SCHNEEBERGER Médecin Chef de clinique adjoint Emmanuel PECHIN Intervenant socio-éducatif

CHUV, Département de psychiatrie Service de psychiatrie communautaire Les Ateliers de l’Unité de réhabilitation Route de Cery 1008 Prilly Suisse

BIBLIOGRAPHIE

1. Guide du rétablissement, Unité de réhabilita-tion, Lausanne, 2013, 61, pp. 5-6.

2. HOHL L., (1981), Die Notizen oder Von der Unvoreiligen Versöhnung, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 536, 11

Il n’y a sans doute pas de réponses

simples à ces questions, des réponses im-

médiates, évidentes, tranchées. Et c’est

justement ce dont il dit souffrir le plus,

« Vous savez, je n’arrive plus à prendre

de décisions, je remets au lendemain ;

même pour les foins... ».

La maladie psychique de Monsieur Gé-

rald le rend, pense-t-il, inutile. Ce qui

rythmait sa vie prend des allures morbides

de tocsin, comme si le contenu de sa vie

ne devenait par moments plus qu’affaire

d’horloge. D’ailleurs, il voudrait en finir.

Il dit sa lassitude de cette attente d’un

meilleur jour… qui s’éloigne de jour en

jour. A ce propos, Ludwig Hohl écrit :

« [...] nous serons peut-être actifs en ap-

parence, mais nous vivrons, pour l’essen-

tiel, dans une attente perpétuelle [...] ».

Dans le cas de Monsieur Gérald, ce senti-

ment d’attente, en dehors des circons-

tances et des événements extérieurs l’af-

fectant au moment de l’acmé de sa mala-

die, a peut-être aussi été favorisé, du

moins nous sommes-nous posés la ques-

tion, par les échéances de la mesure de ré-

insertion socioprofessionnelle aux ate-

liers, les bilans fixés périodiquement,

avec des objectifs “serrés” le mettant dans

la position de devoir rendre des comptes

concernant sa capacité de travail.

En progression ? Stationnaire ? Nulle ?

Durant le suivi thérapeutique, Monsieur

Gérald s’est ouvert de ses idées suici-

daires, douloureuses pour lui, d’autant

plus quand un voisin agriculteur dont il

était proche a mis fin à ses jours. Il a pu

reconnaître que le fait “d’en parler” le

soulageait un peu. Au fil des mois, et bien

après sa mesure de réinsertion aux ateliers

(soit fin 2014), sa situation clinique

s’améliore jusqu’au moment où il nous

annonce vouloir innover « en cultivant de

l’épeautre ».

Ce qui nous frappe, durant ce laps de

temps, c’est sa meilleure santé, et son si-

lence quant à celle-ci, perçue par nous. Il

faut dire que notre suivi thérapeutique

s’échelonne toujours sur un rythme heb-

domadaire, alterné en binôme médico-er-

gothérapique... comme si Monsieur Gé-

rald était encore en pleine période de cas-

sure, brisure ! En évoquant avec lui cette

absence d’ajustement du suivi thérapeu-

tique en fonction de son évolution, il ap-

paraît que Monsieur Gérald, effective-

ment, ne sait plus trop comment investir

les soins : comme s’il devait répondre à

l’exigence de voir les soignants régulière-

ment, « parce qu’au fond ça ne va pas

vraiment », alors même qu’il se sent

mieux et nous fait part de ses projets ! Le

cadre des soins l’a mis dans une situation,

là aussi, d’attente perpétuelle « de revenir

comme avant » alors même que le proces-

sus de changement est enclenché...

Ce faire-là, et nul autre, voilà ce que j’appelle le travail

Dans notre expérience lausannoise, les

personnes qui ont vécu une cassure, une

brisure, et se retrouvent en soins, nous

parlent souvent du travail et des compé-

tences qu’ils ont perdu suite aux symp-

tômes de la maladie.

La capacité de reprise d’une activité pro-

fessionnelle peut être le signe que le pro-

cessus de rétablissement dans leur vie est

en action. Travailler est aussi le signe de

la récupération d’une place dans la com-

munauté, d’une source de motivation

mais cette perspective de reprise d’acti-

vité engendre aussi des anxiétés, la con-

frontation à la réalité, et la perte d’illu-

sions.

L’écrivain Ludwig Hohl oppose de ma-

nière radicale ce qu’il nomme « des forces

extérieures » et « sous la contrainte de

forces extérieures, étrangères » à « ce qui

t’est propre, sous la seule poussée de

force intérieure », faisant de cette der-

nière l’unique moteur de l’action et du tra-

vail. Il semble qu’à la question devant la-

quelle nous souhaitions trouver au moins

une prémisse de réponse il oppose une fin

de non-recevoir. En effet, toujours dans

cette première notice, il écrit « Faire

quelque chose, et de cette manière, c’est-

à-dire faire ce qui t’est propre, sous la

seule poussée de forces intérieures : cela

seul donne la vie, cela seul peut sauver ».

Au vu de notre pratique institutionnelle,

nous nuançons cette affirmation. En effet,

nous pouvons assimiler « les forces exté-

rieures » de Hohl à la prescription médi-

cale mais aussi sociale et sa « seule pous-

sée de force intérieure » aux ressources de

chacun favorisant le jeu de nouvelles ins-

criptions, l’enjeu des soins psychiques

étant alors l’art de les connecter.

D’une certaine manière, Monsieur Gérald

était “holhien” avant que nous ne lisions

Hohl, un tenant de cette position tranchée

qui compte, exige tout de soi, puise à l’in-

térieur - pour s’orienter vers l’extérieur ;

il exigeait de ses forces intérieures seules

qu’elles le portent et le mènent là où il de-

vait aller, ne comptant que sur elles pour

faire ce qu’il avait à faire. L’histoire de sa

vie en témoignait... jusqu’à l’épuisement !

Evidemment, nous ne nous permettrons

pas de porter un jugement sur cette atti-

tude et conviction humaines, relevant sans

doute aussi d’un choix - et donc à respec-

ter en tant que tel -, préférant nous con-

centrer sur ce que Monsieur Gérald nous

a donné à saisir de certains enjeux au cœur

de notre travail, au moment où nous

l’avons rencontré et suivi.

Pour terminer, nous aimerions souligner

que Monsieur Gérald a aussi osé faire au-

trement quand il a conjugué et travaillé un

Page 77: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Etre soi, être soigné : se soigner ou se travailler ?

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 77

élément hétérogène à sa vie et à son iden-

tité professionnelle vacillante : être tech-

nicien et plier des enveloppes ; sans

doute, nous rétorquerait-il, qu’il s’en se-

rait bien passé, et qu’il n’a cessé d’oser

faire autrement, en tant qu’agriculteur vi-

vant dans le canton de Vaud, en conti-

nuant de construire des projets à la ferme.

Conclusion

De la prescription du soin à l’inscription

personnelle émerge une forme de trans-

cription qui, comme dans une partition de

musique, compose une harmonie de vie.

Dans l’exemple cité dans notre présenta-

tion, nous relevons que “la mélodie” de

Monsieur Gérald a été ponctuée de

croches et de modulations, de soupirs et

d’altérations, d’a capella et d’orchestra-

tion.

La prescription du soin couplée à l’ins-

cription du patient exécute une mélodie

qui se module et évolue apportant ainsi de

riches et différentes exécutions.

Page 78: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 78

Introduction

L’Hébergement Thérapeutique (HT) est

une structure médico-sociale rattachée à

la Maison des Adolescents (MDA) du

Calvados. Il est ouvert depuis le mois de

février 2012 bien que son projet existe de-

puis la création de la MDA en 2006.

C’est un dispositif d’accueil de soirée et

de nuit pensé dès l’origine en complémen-

tarité de l’Espace de Soin et de Médiation

(Hôpital de jour pour adolescents de la

MDA). Il a pour fonction d’accueillir des

adolescents en état de souffrance psy-

chique quel que soit le contexte psycho-

pathologique.

Ce projet expérimental a pu se mettre en

œuvre au regard du constat d’un manque

dans le soin aux adolescents, particulière-

ment pour les problématiques de sépara-

tion de plus en plus présentes dans la cli-

nique actuelle. Dans le panorama local,

les seules solutions pour permettre une

mise à distance du milieu usuel sont l’hô-

pital ou le placement au titre de la protec-

tion de l’enfance, l’un comme l’autre ne

convenant pas à toutes les situations cli-

niques. Il nous semblait alors important

de développer une alternative ancrée dans

le champ du soin.

Les objectifs princeps de ce dispositif sont

de permettre une séparation partielle

d’avec le milieu usuel pour favoriser un

apaisement psychique, d’engager l’ado-

lescent dans une autre dynamique rela-

tionnelle au sein d’un collectif de jeunes

et d’adultes et ainsi de lui offrir une scène

pour agir et penser sa souffrance avec

l’aide de l’équipe.

Les trois “conditions” permettant un ac-

cueil sont l’existence d’un état de souf-

france psychique, l’absence de décom-

pensation psychiatrique aigue qui relève-

rait de l’hôpital, et d’avoir un lieu d’hé-

bergement usuel en dehors de la structure.

L’HT a été pensé dès son origine comme

un espace à même de soutenir un travail

d’élaboration chez l’adolescent, à l’instar

du concept de psychothérapie par l’envi-

ronnement énoncé par Botbol, « Un “trai-

tement par l’environnement” a certes un

but limité : permettre aux patients aux-

quels nous le proposons de se réappro-

prier leur espace psychique élargi grâce

au travail élaboratif dont il est l’objet.

C’est bien sûr moins que les visées habi-

tuelles d’une psychothérapie analytique.

Mais, pour autant, c’est plus que l’objec-

tif contenant classiquement dévolu aux

institutions soignantes ». (Botbol M.

2000)

Ainsi, le travail psychothérapeutique mis

en œuvre au sein de l’HT doit permettre à

l’individu de mettre en lien sa réalité psy-

chique interne avec la réalité externe, les

deux venant souvent s’entrechoquer dans

le social, entraînant souffrance et aliéna-

tion. Ce travail de lien doit s’appuyer sur

une articulation entre l’enveloppe formée

par l’HT au sein même de ses murs – lieu

privilégié de l’expression de la réalité in-

terne – et la réalité externe s’exprimant au

sein du lieu de vie habituel, du lieu

d’étude ou de travail, dans la famille.

C’est pourquoi ce dispositif a été pensé

dans des modalités d’intervention discon-

tinues où l’HT n’est pas l’acteur central

du projet. En effet, être seul rendrait ca-

duque ce travail, l’élaboration psychique

dans un système différencié devenant im-

possible. De plus, un travail partenarial

soutenu s’est imposé comme une néces-

sité afin de s’assurer de la continuité des

espaces d’accompagnement autour de

l’adolescent.

Au travers de la présentation formelle du

dispositif, nous essaierons de décrire les

bases du fonctionnement de l’HT pour en-

suite en développer certain aspects et va-

leurs cliniques fondateurs de notre pra-

tique.

Le dispositif

L’HT accueille 8 à 10 adolescents de 12 à

18 ans tous les soirs de la semaine sauf le

samedi soir. Les accueils sont pensés sur

des temps séquentiels fixes sur chaque se-

maine (entre deux et six nuits par se-

maine). La file active représente une ving-

taine de jeunes différents accueillis sur

chaque semaine. Les projets s’inscrivant

sur des durées allant de 3 à 6 mois, nous

accueillons une cinquantaine de jeunes

différents chaque année. De manière ex-

ceptionnelle, les durées d’accueil peuvent

être plus longues si la situation clinique le

nécessite.

L’encadrement est assuré par des infir-

miers diplômés d’état, des éducateurs spé-

cialisés, une maitresse de maison, un chef

de service éducatif, un interne en psychia-

L’Hébergement Thérapeutique a été pensé dès l’origine en complémentarité fonctionnelle avec les autres espaces de soin de la Maison des Adolescents du Calvados. On le nomme communément « La Maison des Ados de nuit » puisqu’il permet de recevoir des adolescents en souffrance psychique sur des temps d’accueil de soirée et de nuit dans le cadre de projet à moyen terme. En quoi un accueil de nuit est-il pertinent face aux évolutions de la clinique de l’adolescence ? Cette question rythme les évolutions nombreuses de ce dispositif encore très récent. Au travers de la présentation du dispositif, de son fonctionnement et ses étayages théoriques, nous discuterons en quoi ce type d’accueil nous paraît nécessaire et pertinent dans le panorama des soins aux adolescents et comment il s’inscrit dans une continuité avec les soins de jour.

Mots-clefs : hébergement, soin, cadre, institution

Night Care as an alternative way of treatment in adolescent psychiatry

Originally, the “Therapeutic Accommodation” was thought to function in synergy with la Maison des Adolescents as a whole. Usually, we name it the Maison des Adolescents of the night as it permits to take in adolescents in psychic suffering from the evening until the morning. Care last from 3 to 6 months. What profit does adolescents can take from such a night medical facility in the light of recent adolescence disorders development? This issue constantly shapes the various evolutions of this young facility. Through a description of the facility, her organization and theoretical principles, we will discuss how this innovative approach might help suffering adolescents by creating efficient links with adolescent psychiatric day care.

Keywords: accommodation, care, environment, institution

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L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 79

trie et un médecin psychiatre. Nous es-

sayons d’assurer la permanence d’un bi-

nôme infirmier/éducateur au quotidien.

Trois à quatre professionnels sont pré-

sents dans les temps forts de l’accueil

pour permettre un accompagnement per-

sonnalisé de chaque jeune aussi bien en

collectif qu’en individuel. Les nuits sont

assurées par un infirmier pour permettre

la continuité des soins.

Le processus d’admission se décline en

plusieurs étapes afin de permettre un in-

vestissement progressif du projet par

l’adolescent mais aussi par les adultes qui

l’entourent (famille et partenaires). En ef-

fet, l’accueil à l’HT n’étant pas contraint

par un mandat ou un besoin de soin en ur-

gence, il est indispensable que l’adoles-

cent et son entourage puissent y mettre du

sens.

La première étape de ce processus est la

pré-admission qui permet la rencontre des

différents partenaires engagés dans la si-

tuation, notamment le service demandeur.

C’est à cette occasion que le projet d’ac-

cueil est co-construit afin d’en assurer la

cohérence. En effet, l’HT ne doit pas

prendre une place centrale dans l’accom-

pagnement mais plutôt s’adosser à un dis-

positif pluriel déjà existant et venir le sou-

tenir. Les demandes peuvent émaner aussi

bien des services de soin (hospitalier ou

ambulatoire), que d’établissements mé-

dico-sociaux, de services de la protection

de l’enfance ou de la protection judiciaire

de la jeunesse (PJJ).

Par la suite, l’adolescent est reçu avec ses

représentants légaux durant le temps de

l’admission. Le dispositif est présenté et

une visite des locaux est proposée. C’est

le premier temps de l’investissement du

lieu et de l’équipe. C’est aussi l’occasion

de la contractualisation formalisée de

l’accueil avec la signature du contrat de

séjour par le jeune et ses parents. C’est un

temps qui permet un échange autour de la

problématique, même si nous faisons le

choix de ne pas revenir sur l’anamnèse

des troubles. Les échanges se construisent

principalement autour des objectifs envi-

sagés par chacun.

Enfin, une soirée de contact, une semaine

avant l’accueil définitif, est organisée afin

que l’adolescent puisse venir “tâter” le

terrain avant d’y dormir. Durant cette soi-

rée, il rencontre plusieurs membres de

l’équipe et les autres adolescents accueil-

lis ce soir-là. Il participe à la vie du groupe

et notamment aux médiations proposées

s’il y en a.

Ce processus doit s’accompagner d’un

travail avec les partenaires demandeurs.

En effet, nous avons l’expérience que le

fait de s’engager dans un tel projet mobi-

lise espoirs et résistances tant chez l’ado-

lescent que chez les parents et partenaires.

Cela doit être mis en pensée pour per-

mettre que le lieu soit investi pour les

bonnes raisons. Ainsi, nous évoquons tou-

jours avec les partenaires demandeurs

l’importance de faire vivre le projet dans

la tête de l’adolescent et de ses parents,

même quand le délai d’attente semble

long.

Durant l’accueil, le travail thérapeutique

s’ancre sur deux axes principaux : le col-

lectif et les médiations. Le collectif per-

met une expérimentation relationnelle

dans un cadre contenant, aussi bien avec

des adultes aux postures différenciées

qu’avec des jeunes de provenances di-

verses permettant une réelle hétérogénéité

du groupe (âge, milieu social, parcours,

problématique, psychopathologie). Le

partage de la vie quotidienne autour de

temps symboliques forts (goûter, diner,

coucher…) permet une richesse des inte-

ractions et des émotions qui y sont liées.

Les médiations s’appuient sur de mul-

tiples supports centrés aussi bien autour

du corps que d’approches culturelles. Ce

sont des groupes ouverts le plus souvent

avec une modification du groupe régu-

lière tant au niveau des adolescents que

des professionnels qui l’encadrent. Par-

fois, les jeunes bénéficient de groupes fer-

més en lien avec la MDA.

Outre l’accueil de soirée et de nuit, l’HT

est en mesure de s’appuyer sur un en-

semble d’autres possibilités d’accompa-

gnement qui ont pour fonction de per-

mettre à des adolescents trop en difficulté

d’accéder différemment à un accueil clas-

sique. Les séjours thérapeutiques en sont

une illustration, de même que l’accueil de

journée ou les suivis extérieurs. Les sé-

jours permettent en outre un accueil sur

les périodes de vacances scolaires en évi-

tant l’écueil d’aller et retour entre l’HT et

le domicile, peu efficient dans un travail

de séparation. Ils sont construits autour de

projets de cinq jours durant les petites va-

cances, et de neuf jours durant les grandes

vacances. Nous essayons autant que pos-

sible de les inscrire dans une thématique

qui donnera envie aux adolescents de s’y

investir tout en s’assurant une continuité

entre les différents supports de médiation.

L’accompagnement des familles est un

point central du travail, tout comme le

partenariat. Il nous paraît en effet primor-

dial de pouvoir intervenir auprès de l’en-

vironnement des adolescents accueillis en

parallèle de leur accompagnement en hé-

bergement. Ce travail se décline à plu-

sieurs niveaux, tant dans le quotidien dans

des espaces interstitiels que dans des ren-

dez-vous plus formalisés avec les réfé-

rents, le coordinateur ou les cadres. Les

bilans réguliers de l’accompagnement en

sont la déclinaison la plus formelle. Ils

rythment la prise en charge et permettent

d’ajuster régulièrement les objectifs et les

modalités d’accueil.

Au décours de cette présentation non ex-

haustive du dispositif, nous souhaitions

proposer quelques pistes de réflexion cli-

nique autour de notre pratique. Ce sont

des aspects qui nous apparaissent particu-

lièrement importants et opérants dans la

clinique actuelle de l’adolescent. (Saint

André et al. 2008)

Le travail du cadre

Le cadre thérapeutique de l’HT s’inscrit

dans une filiation qu’on ne peut renier.

L’HT s’inscrit dans la continuité de la

MDA. Il est à la fois dans le champ sani-

taire, social, médico-social. Le cadre syn-

thétisé par l’HT ne peut s’extraire de cette

filiation.

A contrario, le cadre singulier, adressé à

un individu, est modulable, adaptatif et

évolutif. Ce cadre singulier ne peut être

englobant du sujet et ne doit pas être ex-

haustif, au risque d’enfermer le sujet, de

l’aliéner dans une vision fermée de lui-

même : « La marge, l’espace vide définis-

sant le “partiel” du “cadre singulier”,

sépare et individualise » (Chaperot,

2003).

C’est cet espace de liberté subjectivant

qui peut activer des processus psychiques

et donner une valeur thérapeutique au dis-

positif. C’est la rencontre du cadre théra-

peutique et du cadre interne de l’individu

qui va permettre un jeu au sens de Winni-

cott et la réactivation de processus transi-

tionnels. En suivant Chaperot, on peut po-

ser au sein du cadre thérapeutique une dis-

tinction entre l’épi-cadre et l’hyper-

cadre : « l’épi-cadre correspondra à l’ap-

port institutionnel. L’hyper-cadre quant à

lui, correspondra à l’élaboration par le

sujet de son propre système de balisage de

la jouissance. Cela invite à penser un hy-

per-cadre en croissance amenant l’épi-

cadre à se restreindre jusqu’au “point li-

mite” au-delà duquel le sujet se sent “lâ-

ché”. Il s’agit bel et bien de la mise en

dialectique dynamique des composantes

d’étayage (épi) et d’élaboration singu-

lière (hyper) » (Chaperot, 2003).

L’épi-cadre, du fait de son incomplétude,

de sa dimension partielle laisse la place à

un hyper-cadre appartenant au sujet.

L’enjeu est donc bien d’offrir un cadre

flexible et malléable par le sujet mais suf-

fisamment solide pour que le sujet ne le

détruise pas en le manipulant, « le jeu pru-

dent d’un vide peut amener le sujet à s’ap-

proprier la béance pour y fonder son dis-

cours, son repérage, sa vérité : autrement

dit son hyper-cadre balisant sa jouissance

propre comme celle de l’Autre » (Chape-

rot, 2003).

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 80

Le cadre doit donc pouvoir accueillir la

vie de l’autre sans la restreindre, sans la

contraindre. Sinon, l’institution est prise

dans une dynamique mortifère où le sujet

n’est plus pensant. Il ne peut alors plus al-

ler mieux. La dialectique entre épi-cadre

et hyper-cadre va permettre au soignant

de progressivement se représenter l’évo-

lution des jeunes accueillis, jusqu’à pou-

voir penser leur capacité à être seul, lâché.

« De fait, l’Epi-cadre peut se réduire,

hors conceptualisation, à mesure de la

naissance d’un hyper-cadre qui est in-

consciemment perçu et dont la qualité

amènera les soignants à penser puis à

dire « il va mieux », « il peut sortir » (de

l’épi-cadre actuel, pour un autre ména-

geant un espace partiel plus vaste). »

(Chaperot, 2003)

Un patient qui va mieux se caractériserait

alors par un hyper-cadre ayant pris une

ampleur suffisante pour permettre à l’in-

dividu d’exister dans la relation à l’autre

sans avoir besoin du soutien de l’epi-

cadre. Il peut donc nous quitter ! L’epi-

cadre dans sa dimension partielle offre un

espace fondateur de l’hyper-cadre, c’est

l’effet thérapeutique véritable de l’institu-

tion. D’où la nécessité que l’HT ne soit

pas engagé dans tous les domaines qui en-

toure l’individu. On ne doit pas penser son

projet dans une pensée désubjectivante ne

laissant plus place à l’autre. Il faut que

l’hyper-cadre de l’individu trouve un es-

pace pour grandir. L’hébergement théra-

peutique doit faire advenir du Sujet là où

il n’y en avait plus.

La mise en œuvre du cadre a donc avant

tout pour fonction de permettre l’émer-

gence d’un espace-temps propice à l’acti-

vation de processus psychiques proches

de ce qui peut se mobiliser dans un travail

psychothérapeutique. Ce travail peut être

artificiellement décrit en trois temps dis-

tincts : « Dans un premier temps, il s’agit

de donner forme à la conflictualité du pa-

tient, cette conflictualité qui, à l’évidence,

ne peut s’accommoder d’un espace théra-

peutique comme la psychothérapie indivi-

duelle, du fait de la violence et de l’am-

pleur des mouvements excitatoires mobi-

lisés, trouve un terrain propice au niveau

d’une multitude d’intersubjectivités : plu-

sieurs parties de cette conflictualité se

trouvent comme détachées les unes des

autres et mises en acte dans les relations

différenciées que le patient noue avec les

différents membres de l’équipe. Aucun

travail de mentalisation des conflits n’est

encore en cours, mais il y a modification

dynamique et économique : tout ne se joue

plus en même temps et avec tout le monde.

Il y a alors mise en forme du conflit et

fragmentation de sa densité. » (Botbol,

2000).

Dans un second temps, les équipes doi-

vent se saisir de ce qui a été déposé auprès

d’eux avec toute leur subjectivité. Alors,

« les témoignages des soignants concer-

nant le même patient commencent à diver-

ger, pour peu que le médecin responsable

reste vigilant afin que le discours et les at-

titudes des soignants ne soient pas conti-

nuellement soumis à une exigence d’ho-

mogénéité. Ces différents témoignages se

parlent, s’élaborent et convergent vers la

mise en forme d’une série de pensées »

(Botbol, 2000). Le dernier temps est celui

de la restitution de ce travail d’élaboration

auprès du patient : « cet ensemble plus ou

moins cohérent est progressivement resti-

tué au patient en cours de traitement, lors

des entretiens avec le médecin ou dans les

interactions et médiations multiples avec

les soignants » (Botbol, 2000).

Un tel travail ne peut se dérouler qu’en

adoptant trois positions successives : ex-

position - construction - restitution. Il

s’agit donc « d’exposer une équipe aux

mouvements d’identification projective

du patient qui contre-investit sa conflic-

tualité interne et l’“exporte” dans cet en-

vironnement psychique disponible ».

Puis, « à partir des effets de cette exposi-

tion produire de la représentation, en s’en

tenant au plus près de ce que l’on peut

percevoir ou co-construire du monde in-

terne et de l’histoire du patient, en s’ap-

puyant sur les capacités d’empathie mé-

taphorisante de chaque soignant en parti-

culier et de l’équipe dans son ensemble ».

Enfin, il faut « restituer au patient les ef-

fets de cette élaboration, sous une forme

acceptable par lui : par la parole ou, plus

souvent, au travers d’actes multiples à

l’occasion d’interactions quotidiennes,

d’interactions plus exceptionnelles ou de

recontractualisation du cadre des soins.

On aura ici recours, le plus souvent, à ce

que, avec Racamier, nous dénommerons

des actions parlantes, c’est-à-dire des ac-

tions qui valent plus par leur sens que par

ce qu’elles réalisent concrètement. »

(Botbol, 2000)

Bien évidemment, ces postures se recou-

vrent en permanence et ne se succèdent

pas de manière artificielle dans le temps.

Dans le quotidien, les professionnels sont

dans des va et vient permanents entre les

différentes postures pour se situer à la

juste distance et produire de la représenta-

tion partageable. Pour autant le cadre

pensé au sein de l’institution doit per-

mettre ces mouvements. Il est le support

élaboré qui donne accès à un mode de

mise en relation des jeunes avec les pro-

fessionnels ouvrant l’accès à un travail

psychothérapeutique par l’environne-

ment.

La dynamique thérapeutique de l’HT ne

semble alors pouvoir être pensée que dans

un travail constant d’élaboration du cadre

thérapeutique au sens de ce qui « consiste

en l’ensemble des mesures et prescrip-

tions qui établissent des limites aux com-

portements, de même qu’il consiste en la

matrice sensée favoriser l’élaboration

psychique ou l’articulation au champ so-

cial » (Chaperot, 2003). Il est finalement

l’outil par lequel le collectif vient organi-

ser et médier les échanges afin de les

rendre supportables pour ceux qui n’ont

pas les moyens de s’en protéger avec leur

seul psychisme, et enfin permettre aux

professionnels de leur donner du sens.

Dans cette mesure, les questions de l’ac-

cueil, du travail du sens de la séparation et

la flexibilité du dispositif sont au centre de

nos préoccupations quotidiennes.

L’accueil, la fonction phorique, la contenance psychique

L’accueil est un aspect particulièrement

important à l’HT. Il se décline à différents

niveaux et peut concerner aussi bien les

jeunes, les parents, nos partenaires, de

nouveaux professionnels de l’équipe que

des stagiaires. Prendre le temps de rece-

voir l’autre dans de bonnes conditions est

le préalable à une rencontre de qualité. La

sensibilité d’un individu pour l’autre, le

fait de prodiguer de l’attention, sont le lit

d’une relation de confiance qui permettra

à chacun de se sentir sécurisé. Cet énoncé

semble une évidence, mais le fait de le si-

gnifier permet de prendre conscience de

tous les écarts qu’un quotidien parfois

sous tension peut amener dans le désir de

bien accueillir.

Le sentiment de sécurité nous semble être

le fondement d’une éventuelle contenance

psychique tant de l’équipe que des jeunes.

Cette notion de contenance que l’on peut

rapprocher du holding de Winnicott

(Winnicott, 1992) ne se construit que lors-

que la singularité de l’autre est respectée

et entendue pour ce qu’elle est. C’est ce à

quoi nous nous attachons dans le lien quo-

tidien avec les adolescents. Depuis leur

retour de l’école avec un accueil indivi-

dualisé pour faire le point, accompagné

d’un temps de gouter, jusqu’au coucher,

source d’angoisse, et nécessitant parfois

de savoir s’accorder avec une ritualisation

nécessaire, l’accueil de la sensibilité de

l’autre est au centre de nos réflexions quo-

tidiennes.

Cette question de l’accueil nous semble

rejoindre les conceptualisations clas-

siques de la psychothérapie institution-

nelle autour de la fonction phorique : « La

fonction phorique concerne l’accueil, le

cadre de la thérapeutique, le portage, tout

ce qui est nécessaire pour définir une

scène sur laquelle le patient va pouvoir

jouer sa problématique, souvent à son

insu dans un premier temps » (Delion,

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L’Hébergement Thérapeutique : des soins de nuit comme alternative aux soins de jour dans la clinique de l’adolescent

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 81

2006). Comme le signifie bien Pierre De-

lion, la fonction phorique est une posture

qui permet d’accueillir la souffrance de

l’autre dans la rencontre. Cette posture se

travaille au quotidien dans une volonté de

portage de l’individu afin de lui permettre

l’expression de sa subjectivité. Il faut lui

permettre de prendre une position de su-

jet, seule apte à lui offrir l’opportunité de

s’engager dans un processus de change-

ment.

Prendre cette posture implique d’offrir un

espace propice à la mise en scène de la

subjectivité, mais aussi d’être prêt à rece-

voir cette subjectivité et de s’en impré-

gner. La scène que l’on propose trouve

tout son intérêt en institution où les es-

pace-temps sont multiples permettant une

multiplication des contextes. On s’assure

ainsi qu’il y ait une place pour que l’indi-

vidu dépose ses difficultés. On peut alors

envisager d’y avoir accès : « Prétendre

appliquer à des pathologies délirantes ou

comportementales une écoute stricte, ne

considérant que ce qu’ils peuvent verba-

liser en séance, nous ferait ressembler au

quidam s’obstinant à chercher sous un ré-

verbère sa montre perdue – non qu’il

pense que c’est le lieu probable de cette

perte, mais simplement parce que là au

moins il trouve de la lumière ! » (Penot,

2004)

En effet, le premier pas vers la compré-

hension et l’élaboration des troubles pré-

sentés par un adolescent est de s’offrir en

tant que réceptacle et conteneur de l’ex-

pression de la souffrance psychique, ce

que permet la fonction phorique. « L’ins-

titution qui assure cette fonction d’ac-

cueil, de mise à l’abri et de contenance

devient le lieu fécond où une conflictualité

psychique peut se faire jour, en ce qu’elle

permet aux forces en présence de se ren-

contrer et de se dire sur la scène institu-

tionnelle, afin qu’un travail de transfor-

mation et de subjectivation puisse

s’amorcer » (Billard, 2011).

Ces préoccupations constantes nous sem-

blent permettre l’émergence d’un désir,

d’une parole signifiante qui nous aide

chaque jour à mieux cerner les adoles-

cents et à leur proposer un sens à leur

souffrance dans une pensée collective.

Cette pensée collective n’est possible que

si l’équipe se sent elle-même suffisam-

ment sécurisée pour se risquer à la ren-

contre avec l’autre dans une intersubjecti-

vité authentique. L’équipe doit donc être

contenue, portée et accueillie. C’est donc

bien une culture de l’accueil qui est culti-

vée à tous les niveaux afin que chacun soit

contenu.

La séparation comme outil de pensée

L’HT a pour particularité d’offrir des

temps de séparation d’avec le milieu usuel

qui peuvent parfois être de plusieurs jours

consécutifs. On peut le prendre comme un

simple fait ou l’exploiter comme un outil

de travail pensé dans le champ de la cli-

nique.

Le premier aspect d’importance est

l’apaisement que peut offrir une sépara-

tion. Quand le symptôme est trop bruyant

et qu’il envahit chaque aspect du quoti-

dien, ce qui s’avère de plus en plus vrai

avec l’ensemble des conduites externali-

sées (Jeammet, 2006), il devient difficile

pour un adolescent, des parents ou des

professionnels de se décaler et de mettre

du sens sur cette « violence » relation-

nelle. Se séparer c’est s’apaiser pour pen-

ser et peut-être pouvoir commencer à aller

mieux.

A un autre niveau, la séparation physique

peut être une nécessité pour mettre en

mouvement les processus de différencia-

tion et de subjectivation propres à l’ado-

lescence. La clinique de l’adolescence

nous confronte de plus en plus à des situa-

tions dans lesquelles les problématiques

de séparation sont au premier plan. Il est

parfois nécessaire que l’adolescent et les

parents l’expérimentent dans le réel pour

envisager de s’y confronter psychique-

ment. Dans ces contextes, la mise en

œuvre d’une hospitalisation à temps com-

plet peut s’avérer difficile et la flexibilité

d’une séparation sur mesure permet une

expérimentation progressive et moins an-

xiogène pour tous. De plus, l’alternance

entre les temps au domicile, en scolarité et

à l’HT permet les allers et venues propres

au travail psychique de l’adolescence.

Enfin, se séparer de ses attaches habi-

tuelles c’est aussi pouvoir venir se jouer

différemment, s’autoriser à être un autre

soi dans cet autre lieu. Cet aspect est par-

ticulièrement saillant chez les jeunes

d’institution pour qui cet espace tiers dé-

gagé des enjeux habituels permet éven-

tuellement de s’autoriser à aller mieux.

Pas à pas ce mieux-être, initialement loca-

lisé à l’HT, peut se translater aux autres

espaces de vie de l’individu. Peut alors

émerger une réelle amélioration clinique

là où cela compte pour l’adolescent.

La flexibilité et l’adaptabilité pour répondre au temps de l’adolescence

Dans toute institution à dimension théra-

peutique se joue le temps du cadre : « or-

ganisation sociale réelle et symbolique du

dispositif soignant, inscription des par-

cours dans des limites chronologiques,

durée des activités, des interventions, des

séances, rythmes institutionnels, person-

nels, corporels, psychiques, rythmes des

LES AUTEURS

Dr Aymeric de FLEURIAN Psychiatre Stéphane POULAIN Chef de service éducatif

Maison des Adolescents du Calvados 9, place de la Mare 14000 Caen France

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 82

échanges, de leur intégration, interpréta-

tion, perlaboration, répartition des actes

et de leurs niveaux de sens dans le temps

en fonction des interventions tierces et des

repères chronologiques extérieurs. » (Ké-

bir, 2008)

En effet, le soin psychique est une pra-

tique du temps, les cadres cherchant un ef-

fet de contenance et de transformation à

visée thérapeutique étant pris dans une

temporalité spécifique. Ce constat est par-

ticulièrement juste quand on s’occupe

d’adolescent dont la temporalité est prise

dans les allers et retours entre immédia-

teté et passivité. Un dispositif de soin qui

leur est destiné doit pouvoir prendre en

compte cette spécificité, avec en filigrane

l’idée d’amener l’adolescent dans le

temps du soin qui nécessite une certaine

continuité.

L’adolescent en souffrance est par es-

sence dans l’urgence. Sa temporalité s’ac-

corde souvent mal avec celle des institu-

tions. Bien qu’il ne faille pas se laisser

emporter par cette urgence, au risque de

ne plus penser, il nous paraît nécessaire de

la prendre en compte pour contenir psy-

chiquement l’adolescent. Il faut recevoir

et entendre pour mieux penser et mettre

du sens dans un temps plus long.

Pour pouvoir s’accorder avec ce besoin

parfois irrépressible d’être entendu, pris

en compte, il nous semble nécessaire de

se montrer flexible et adaptable dans nos

modalités d’accueil et de travail. Cela

nous semble vrai autant dans le quotidien

(se rendre disponible quand l’adolescent

va mal) que sur le cadre plus large de la

prise en charge (pouvoir augmenter le

nombre de nuits d’accueil ou le dimi-

nuer).

Le fonctionnement même de l’HT de-

mande beaucoup de flexibilité psychique

aux professionnels puisque sur deux sé-

quences de travail d’un jour sur l’autre, le

groupe peut être sensiblement différent

avec une dynamique et des besoins spéci-

fiques. Cette adaptation permanente, bien

qu’éreintante, réinterroge à chaque fois

sur sa posture vis à vis des jeunes et du

groupe et nous semble être porteuse d’une

disponibilité à être dans le tempo de

l’autre.

Encore une fois, s’accorder avec le

rythme des adolescents en souffrance ne

veut pas dire fonctionner en miroir et dans

l’urgence. Les temps de réflexion clinique

hebdomadaires sont le lieu de la pensée et

de la décision hors de l’urgence. Pour au-

tant il est toujours urgent de savoir écou-

ter de la bonne oreille.

La complémentarité du soin et de l’éducatif

La spécificité historique de la MDA du

Calvados est d’avoir voulu associer au

même niveau l’intervention socio-éduca-

tive et le soin dans l’approche thérapeu-

tique des adolescents en souffrance. L’HT

n’échappe pas à cette philosophie et cette

réalité s’exprime d’emblée dans la com-

position de l’équipe : des éducateurs et

des infirmiers en première ligne - un chef

de service éducatif et un psychiatre

comme cadres responsables.

Cette double valence dans l’approche thé-

rapeutique, théorique à l’origine, nous ap-

paraît aujourd’hui comme une évidence.

Le regard croisé des deux champs nous

offre une richesse dans la compréhension

des situations, mais nous permet aussi une

diversité des modes d’intervention auprès

des adolescents. Les professionnels, au-

delà de leur individualité, s’engagent dif-

féremment dans la relation et offrent ainsi

des figures d’identification variées et pro-

pices à de multiples mouvements transfé-

rentiels.

Enfin, la spécificité des cultures de l’édu-

catif et du sanitaire nous permet de béné-

ficier de compétences tant dans la prise en

compte des dynamiques groupales que de

l’écoute singulière de la souffrance de

l’individu. En résulte un équilibre propice

à l’épanouissement de chaque individua-

lité dans le groupe sans que les troubles de

l’un ou de l’autre ne viennent entraver la

place de chacun.

Conclusion

L’HT du haut de ses trois années de fonc-

tionnement n’a que peu de recul. Cepen-

dant, les évolutions de nos modalités de

travail ont déjà été nombreuses et nous

semblent encore rester en constante évo-

lution. Chaque situation nouvelle est pour

nous l’occasion de créer un nouveau dis-

positif singulier. Cette créativité remanie

nos pratiques enrichissant ainsi le disposi-

tif.

La “bonne disponibilité psychique” des

professionnels est un enjeu majeur du bon

fonctionnement du dispositif et s’appuie

sur un co-pilotage médical et socio-édu-

catif quotidien qui doit garantir une orga-

nisation sécure.

L’autorisation “expérimentale” de l’HT

nous force pour le moment à être dans

cette permanente remise en question. Es-

pérons que la possible reconduction du

dispositif ne nous enferme pas dans nos

habitudes !

Page 83: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 83

Introduction

Si carcéralité et psychiatrie peuvent appa-

raître de prime abord comme deux

“mondes” antagonistes, ceux-ci coexis-

tent depuis 1994 et trouvent leur point

commun dans la notion de l’institution to-

tale de Goffman (1968).

Ces deux institutions auraient alors une

même définition, « un lieu de résidence et

de travail où un grand nombre d’indivi-

dus, placés dans la même situation, cou-

pés du monde extérieur pour une période

relativement longue, mènent ensemble

une vie recluse dont les modalités sont ex-

plicitement et minutieusement réglées »

(Goffman E., 1968). Mais deux logiques

et deux missions s’opposent fondamenta-

lement : la privation de liberté sous sur-

veillance et soigner la souffrance psy-

chique.

Grâce à la loi 94-43 du 18 janvier 1994

relative à la Santé Publique et à la Protec-

tion Sociale, la prison a ouvert ses portes

à l’hôpital public par la création des Uni-

tés de Consultations et de Soins Ambula-

toires (Unité Sanitaire-Dispositif de Soins

Somatiques) et des Services Médico-Psy-

chologiques Régionaux (Unité Sanitaire-

Dispositif de Soins Psychiatriques).

Les SMPR, rattachés aux Etablissements

Publiques de Santé Mentale, permettent

aux détenus de bénéficier d’un accès aux

soins comparables à ceux dispensés en

milieu libre, à savoir le repérage, la pré-

vention, le diagnostic et la prise en charge

des troubles psychiques. S’y ajoutent

deux axes spécifiques au monde carcéral :

le suicide et l’addiction.

Dans cette même logique, en 2010, le rôle

spécifique des SMPR a été redéfini par le

Plan d’Actions Stratégiques 2010-2014

relatif à la Politique de Santé des Per-

sonnes Placées sous mains de Justice :

toutes les régions devront disposer d’au

moins une Unité Sanitaire de niveau 2, en

d’autres termes une unité d’hospitalisa-

tion de jour.

Depuis août 2012, le SMPR de Caen dis-

pose d’une nouvelle offre de soin : un Hô-

pital de Jour. Nous vous proposons donc

de visiter cette nouvelle unité : un espace

contenant dans un milieu fermé.

Pour une meilleure compréhension des

enjeux et limites de cet Hôpital de Jour, il

est nécessaire que vous puissiez vous le

représenter.

De l’indication à l’admission

Il est essentiel de spécifier au préalable

qu’en aucune façon l’Administration Pé-

nitentiaire influe sur l’indication, l’admis-

sion ou encore la fin d’hospitalisation

d’un patient détenu. Face à une popula-

tion incarcérée parfois agitée, transgres-

sive même derrière les murs voire indisci-

plinable pour certains, l’Administration

Pénitentiaire pensait trouver un nouveau

“quartier” de mise à l’écart à travers la

création de cette unité d’hospitalisation de

Jour annexée à des cellules d’héberge-

ment spécifiques. Ce “lieu de vie” ratta-

ché à l’Unité de Jour répond de prime

abord du fonctionnement pénitentiaire

mais il s’articule également avec celui du

soin. Un espace au sein du milieu carcéral

où seul le médical, en l’occurrence psy-

chiatrique, décide. L’admission se fait

donc sur décision pluridisciplinaire mé-

dico-psychologique uniquement.

Quels patients peuvent bénéficier de cette

prise en charge ? Pour quelles indications

thérapeutiques un patient va être adressé ?

Combien de temps une hospitalisation

peut-elle durer ?

Cinq temps seront nécessaires pour une

décider d’une admission : celui de

l’Orientation par les soignants, puis la

Présentation de la situation en staff, les

Echanges et regards croisés qui vont don-

ner lieu à la Décision. Et enfin celui de la

Proposition de l’hospitalisation au patient

avec signature du contrat de soin et con-

sentement du patient avec le référent mé-

dical.

Le milieu carcéral se définit comme un lieu de privation de liberté et non comme un espace thérapeutique, où la qualité de “détenu” prend souvent le pas sur celle de “malade”. Le Service Médico-Psychologique Régional de Caen a été créé en 1995 pour pallier ce clivage et répondre à l’objectif principal de la loi du 18 janvier 1994 stipulant « faire rentrer l’hôpital dans les prisons » en y prodiguant des soins psychiatriques comparables à ceux dispensés en milieu libre, au travers du service public hospitalier. Depuis 3 ans, le SMPR a élargi son offre de soin par la création d’un Hôpital de Jour. Pour certains patients-détenus, ce lieu permet un premier contact avec les soins psychiatriques et pour d’autres la continuité de leur prise en charge initiée avant l’incarcération. Cette unité hospitalière est située dans les murs du Centre Pénitentiaire : quand deux logiques se doivent de coexister. Nous vous présenterons ce nouvel espace de soin, ses principes et ses outils de médiation, ses différents intervenants, mais aussi les limites et perspectives de cette activité thérapeutique hors norme...

Mots-clefs : hospitalisation de jour, incarcération, rupture, pluridisciplinarité, violence, bienveillance

Incarceration and therapy: two antagonists “worlds”? The experience of a Day Hospital in Caen Prison

The prison is defined as a place of deprivation of liberty not as a therapeutic space where the quality of “detainee” often takes precedence over that of “sick”. The Regional Medico-Psychological Service (SMPR) was created in Caen in 1995 to address this divide and meet the main objective of the law of 18 January 1994 stating “back to the hospital in prisons” are in providing psychiatric care comparable to those provided in free society, through the public hospital service. For 3 years, the SMPR expanded its care offer by creating a Day Hospital. For some patients, prisoners, this place makes first contact with psychiatric care and for other their continued support initiated prior to incarceration. This hospital-based unit is located within the walls of Prison when two logics have to coexist. We present this new treatment area, its principles and tools of mediation, its stakeholders, but also the limits and prospects of this exceptional therapeutic activity ...

Keywords: day hospital, incarceration, rupture, multidisciplinarity, violence, kindness

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 84

Les patients susceptibles d’être accueillis

sont tous des hommes majeurs, prévenus

ou condamnés, incarcérés à la Maison

d’Arrêt ou au Centre Pénitentiaire de

Caen ou dans d’autres Etablissements

Pour Peines de la région Basse Norman-

die. En revanche, un refus d’admission se

motivera pour un patient en crise suici-

daire ou en décompensation psychotique,

celui qui ne pourra gérer sa prise de trai-

tement seul le soir et le week-end, un pa-

tient sous prescription de Méthadone® et

enfin pour les mineurs et les femmes.

Pour quelles indications thérapeutiques

adresse-t-on un patient ? On en compte

cinq. Pour quatre d’entre elles, l’unité de

jour est alors utile comme rupture d’avec

une carcéralité souvent pathogène : l’ob-

servation à visée diagnostique, la prépara-

tion à la sortie, l’initiation d’un nouveau

traitement et son observance, le séjour de

rupture nécessité par une souffrance car-

cérale trop prégnante. La cinquième indi-

cation consiste en l’évaluation clinique de

la prise en charge des Auteurs de Violence

Sexuelle.

Un séjour à l’Hôpital de Jour

« Exercer la psychiatrie en détention c’est

prendre en compte la coexistence de deux

logiques, celle du soin et celle de l’enfer-

mement. » (Lhuilier D., 2001).

Comment cette coexistence s’articule et

fonctionne au sein de notre Unité de

Jour ?

Le patient sera accueilli à 9h00 par son ré-

férent infirmier puis par un Chef de Dé-

tention détaché à l’hébergement SMPR. Il

est à noter que toute admission se fait en

début de semaine pour permettre un temps

d’observation suffisant avant le week-

end. Une cellule lui est attribuée, le règle-

ment intérieur donné et le contrat de soin

bien réexpliqué.

Quelle prise en charge pluridisciplinaire

sera proposée au patient ? L’équipe est

composée de psychiatres, de deux in-

ternes en psychiatrie, d’une équipe infir-

mière, d’une psychologue référente ainsi

que d’une assistante sociale. Il s’agit éga-

lement de travailler avec les partenaires

quotidiens de l’univers carcéral, à savoir

l’Administration Pénitentiaire, le Service

Pénitentiaire d’Insertion et de Probation,

l’US-DSS (CHU de Caen), l’Association

Nationale de Prévention en Alcoologie et

Addictologie, les familles et enfin le culte.

C’est un travail de lien et en lien, autour

du patient souvent mis à mal par le choc

carcéral (traumatisme d’arrivée en déten-

tion), le monde carcéral et sa violence in-

trinsèque, les faits commis et une possible

pathologie psychiatrique.

Cette unité de Jour résonne pour certains

comme un premier contact avec la psy-

chiatrie ou la continuité d’une prise en

charge initiée à l’extérieur et pour

d’autres, un premier contact avec une en-

ceinte bienveillante. Certains patients

vont découvrir le jeu, la notion de cadre

contenant résistant aux angoisses et à la

destructivité. L’hospitalisation proposée

se situera entre individualité et groupe, un

cadre thérapeutique où règnera reconnais-

sance de l’altérité, parole, corps et jeux.

Temps carcéral et temps de soin s’allient

et se superposent. Nous proposons, dans

l’Annexe 1 (cf infra), une semaine type

pour un patient : quelles activités lui se-

ront proposées et pourquoi ?

Dans le contrat de soin et règlement inté-

rieur donné est souligné que les activités

thérapeutiques sont obligatoires (sauf cas

exceptionnels). Il est expliqué aux pa-

tients qu’accepter de participer aux activi-

tés signifie prendre une part active à la vie

de groupe de l’Hôpital de Jour.

La prise en charge du patient accueilli à

l’hôpital de jour s’effectue du lundi au

vendredi de 9h à 17h par l’équipe médi-

cale pluridisciplinaire. Elle est ponctuée

par des temps alloués aux soins et au

temps carcéral. Cette unité de soins à

taille humaine a pour vocation d’offrir un

espace bienveillant, bien traitant avec une

prise en charge individuelle et groupale.

Le patient est pris en charge dans sa glo-

balité.

Le matin est un espace où l’on propose

des entretiens individuels, lors de la déli-

vrance des traitements en cellule ou dans

un bureau de consultation. C’est souvent

un moment propice pour évaluer l’intérêt,

le regard du patient sur sa prise en charge,

comment il va, d’évoquer les projets en

lien avec l’accompagnement à la sortie,

l’attente d’un jugement ou la mise en

place de nouvelle thérapeutique. L’après-

midi est un temps dédié aux médiations

thérapeutiques qui ont lieu de 14h30 à

16h00 dans la salle d’activité ; pour la mé-

diation sport elle a lieu le matin, deux

jours par semaine. Elles se déroulent au

sein des structures sportives du Centre Pé-

nitentiaire.

Les activités sont animées par un binôme

infirmier, pour certaines médiations en

présence d’un intervenant extérieur (ani-

mateurs sportifs ou diététicienne) ou

d’une psychologue (médiation Photo-

Langage). Les médiations thérapeutiques

permettent d’évaluer la capacité d’inté-

gration, d’échange au sein du groupe.

Elles sollicitent l’accès au champ émo-

tionnel, l’imaginaire, la créativité. Elles

mobilisent le corporel, tout en respectant

les limites de chacun. Elles permettent de

collecter des éléments cliniques. Nous

proposons un panel large de médiation

thérapeutique tels que le Photo-langage,

Relaxation, Écoute Musicale, Atelier Su-

cré Salé, Groupe de paroles autour de dif-

férentes thématiques (addictions, échange

sur l’actualité, sensibilisation aux phéno-

mènes sociétaux). Les médias utilisés sont

très variables : extrait de musique, photos,

journaux...

La fin d’après-midi est dédiée à la déli-

vrance des traitements médicamenteux,

aux entretiens médicaux, au suivi psycho-

logique. En dehors de ces différents temps

de prise en charge soignante, les patients

sont sous le régime pénitentiaire.

Comme énoncé précédemment, les pa-

tients hospitalisés peuvent bénéficier de la

prise en charge d’une assistante de service

social.

Quelles sont ses fonctions spécifiques et

leur mise en œuvre ?

Evaluer les besoins sociaux des patients

détenus au cours de leur prise en charge

thérapeutique constitue sa mission princi-

pale. L’accompagnement social doit con-

sidérer les difficultés psychologiques lors

de l’évaluation globale de la situation de

la personne et lui permettre l’accès aux

droits sociaux (très restreints en déten-

tion). Pour ce faire, l’assistante de service

social interpelle les partenaires internes et

externes compétents selon les demandes

exprimées par le patient et les besoins

évalués par l’équipe soignante (SPIP, fa-

milles, mandataires judiciaires, avocats,

associations, structures médicales et

d’aide à l’insertion professionnelle, etc.).

La mise en place d’un projet de sortie est

une des actions centrales de l’assistante de

service social. Le projet doit prendre en

compte les obligations et restrictions judi-

ciaires post-carcérales de la personne con-

damnée, ses souhaits et projections quant

à sa sortie, l’état de santé global du patient

ainsi que son degré d’autonomie. Cet ac-

compagnement comprend d’une part la

réalisation de dossiers de demandes liés à

des pathologies psychiatriques (ex : re-

connaissance du handicap, aide à l’ouver-

ture de mesure de protection, demande

d’admission en foyer de vie ou Etablisse-

ments et Service d’Aide par le Travail,

etc.) et d’autre part l’accompagnement de

demandes liées à des troubles de l’addic-

tion visant à orienter les personnes vers

des structures spécialisées et adaptées

(ex : postcure en Alcoologie, communau-

tés thérapeutiques, orientation vers des

Centres de Soins d’Accompagnement et

de Prévention en Addictologie).

Cet accompagnement social se fait majo-

ritairement dans le cadre d’entretiens in-

dividuels, mais également au cours de co-

entretiens avec un soignant afin de faire le

point sur le projet thérapeutique et de vie

post-carcérale du patient. Des co-entre-

tiens avec les Conseillers d’Insertion et de

Probation (SPIP) peuvent être également

proposés au patient détenu pour l’aider à

Page 85: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Incarcération et thérapie : deux “mondes” antagonistes ? L’expérience d’un Hôpital de Jour au Centre Pénitentiaire de Caen

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 85

comprendre sa réalité pénale, parfois très

complexe. En outre, des rencontres avec

les familles peuvent avoir lieu, visant à

créer une certaine cohérence dans les pro-

jets de sortie, tout en leur permettant de

questionner les soignants sur l’évolution

des symptômes du proche détenu, la prise

du traitement, le dispositif de soins exis-

tants en vue de sa prise en charge future,

etc.

En résumé, l’assistante de service social

participe à la co-construction du projet de

sortie, de vie et de soin de la personne. En

ce sens, elle peut accompagner des pa-

tients détenus pour la visite de structures

extérieures après l’accord de la Juge

d’Application des Peines.

La place du psychologue au sein de l’Hô-

pital de Jour s’articule autour de deux psy-

chologues distincts et donc de deux fonc-

tions : celle de la supervision clinique et

celle de la prise en charge psychologique

du patient hospitalisé. Les jeudis, une se-

maine sur deux, se déroule au sein de

l’unité un temps de supervision de

l’équipe infirmière où participe également

la psychologue référente. Ce temps est

destiné à croiser les regards sur les pa-

tients accueillis, de faire part des difficul-

tés rencontrées, de pouvoir constater une

évolution chez le patient et d’analyser la

prise en charge et la pertinence de l’indi-

cation d’hospitalisation.

Le patient hospitalisé peut également bé-

néficier d’un suivi psychologique, celui-

ci n’est pas automatique mais il est pro-

posé au patient lors de son admission. Soit

il s’en saisit et dans ce cas, la demande

peut se faire par le patient lui-même et elle

sera relayée par l’équipe infirmière. Soit

elle peut éclore au cours de l’hospitalisa-

tion sur idée de l’équipe soignante soit du

patient. Un suivi initié en Maison d’Arrêt

ou au Centre Pénitentiaire pourra se pour-

suivre avec le même psychologue, sinon

le patient sera pris en charge par la psy-

chologue référente.

La participation à l’évaluation clinique

des Auteurs d’Infractions à Caractère

Sexuel représente une autre mission de la

psychologue au sein de l’Hôpital de Jour.

Depuis 2011, le SMPR de Caen s’est doté

d’une Unité Clinique d’Evaluation des

Auteurs de Violence Sexuelle. Le suivi

médico-psychologique des AICS est sou-

vent complexe en raison de la structure

psychique des patients, de la gravité des

faits et du risque potentiel de récidive.

Cette unité clinique offre aux soignants en

difficulté dans une prise en charge de re-

penser le dispositif proposé au patient. La

psychologue référente de l’Hôpital de

Jour procède en binôme avec un psy-

chiatre à ces évaluations dans le cadre

d’une admission pour cette indication.

Quand l’hospitalisation prend fin

A la signature du contrat de soin, il est ex-

plicité au patient que la durée d’hospitali-

sation est d’un mois renouvelable. Après

ce mois d’hospitalisation, les référents du

patient (psychiatre, infirmiers, psycho-

logue, assistante sociale) procèdent à une

synthèse qui a lieu en équipe. Il sera alors

décidé soit du retour du patient dans son

lieu d’incarcération soit d’une poursuite

de l’hospitalisation. Dans le cas où le pa-

tient reste hospitalisé jusqu’à sa libéra-

tion, la continuité des soins est organisée :

un rendez-vous sera pris avec le Centre

Médico Psychologique de secteur, une

hospitalisation en psychiatrie pourra être

envisagée. Pour certains patients dont les

pathologies sont lourdes, les soignants

pourront présenter le patient aux futures

équipes qui le prendront en charge.

L’hospitalisation de jour est définie par la

Circulaire DHOS/F3/02 no 2005-553 du

15 décembre 2005. C’est « une alterna-

tive à l’hospitalisation complète et se ca-

ractérise, à cet égard, par des soins poly-

valents et intensifs prodigués dans la

journée[...] A l’appui de projets indivi-

dualisés de prise en charge, des activités

polyvalentes et collectives sont privilé-

giées alors que les temps de prises en

charges individuelles, qui doivent rester

minoritaires, doivent permettre notam-

ment une réévaluation périodique de la

prise en charge du patient, afin d’éviter

toute chronicisation et d’introduire, dès

que possible, les éléments de préparation

à la sortie et à la réinsertion ». L’Hôpital

de Jour du SMPR de Caen n’a donc de

spécifique que son lieu d’implantation.

Retours d’expériences et bilan

Quelles sont les difficultés les plus fré-

quemment rencontrées ? Quelles sont les

limites de ce dispositif ? Quels sont les

avantages d’une telle structure au sein

d’un SMPR et donc de l’univers carcé-

ral ?

Depuis son ouverture, l’Hôpital de Jour a

accueilli 52 patients (pour une moyenne

de 20 par an) et majoritairement incarcé-

rés à la Maison d’Arrêt. Les séjours ont pu

durer de trois jours à plus d’un an. Les

deux principales indications ont été l’ob-

servation à visée diagnostique et la prépa-

ration à la sortie.

Depuis ces trois ans, les difficultés les

plus récurrentes ont été l’apparition de dé-

compensations psychotiques au décours

de l’hospitalisation, le recours pour cer-

tains patients à des gestes suicidaires et

auto-mutilatoires. Ces situations ont né-

cessité des hospitalisations sous con-

trainte à l’EPSM de Caen ou à l’Unité

Hospitalière Spécialement Aménagée de

Rennes.

LES AUTEURS

Virginie COLLOMB Psychologue Clinicienne Christel FERE Infirmière Sophie GUEGUEN Assistante de Service Social

SMPR 36, rue du Général Moulin 14000 Caen France

BIBLIOGRAPHIE

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 86

La question de l’hygiène et notamment de

l’incurie a nécessité de se questionner sur

la limite entre soin de jour et respect des

cellules d’hébergement pénitentiaires.

Certains patients ont montré des pro-

blèmes disciplinaires et de comportement

tels que le trafic de stupéfiants, des com-

portements agressifs vis-à-vis des surveil-

lants pénitentiaires ainsi que des compor-

tements sexuels non adaptés. Une bonne

entente et compréhension entre le corps

pénitentiaire et le corps soignant est alors

primordiale. Ceci nécessite un ajustement

et une réflexion sur ce qui relève de la

pure transgression et de la pathologie. La

maltraitance du cadre de l’Hôpital de Jour

est fréquente, des mouvements de des-

tructivité, de tests de l’équipe médico-

psychologique mais parfois il s’agit de

difficultés à tenir et respecter le cadre pro-

posé et donc la question d’une orientation

inadaptée se pose. Mettre fin à un séjour

est souvent compliqué car la plupart du

temps synonyme de retour en détention.

Mais nous avons pu nous apercevoir que

malgré la crainte de l’équipe soignante, le

patient n’a aucune difficulté à réintégrer

la détention.

Concluons ce retour d’expériences sur les

bénéfices apportés par cette unité au sein

du SMPR.

Nous avons pu noter pour la majorité des

patients une véritable amélioration des

symptomatologies observées avant

l’orientation, un réel investissement de

leur part dans la vie de l’unité de jour.

Avoir la possibilité d’accompagner les

patients dans leur projet de sortie, de

mettre en place des médiations avec la fa-

mille, de créer un tissu pluridisciplinaire

et avec tous les partenaires loin des fracas

de l’univers carcéral constitue une véri-

table respiration pour le patient. Pour

l’équipe du SMPR, c’est un nouvel outil

de prise en charge, permettant un autre re-

gard sur le patient. L’Hôpital de Jour

amène aussi au SMPR un nouveau temps

et un nouvel axe de réflexion institution-

nel créant une nouvelle dynamique au

sein de l’équipe.

Conclusion

Exercer en milieu fermé dans un service

extra-hospitalier suppose de ne pas se

laisser enfermer dans un fonctionnement

psychique et institutionnel sclérosant.

Cette clinique nécessite donc d’être en

lien, de sans cesse questionner sa position

et réfléchir à sa pratique. Agis par la vio-

lence intrinsèque à l’univers carcéral,

contenants d’une souffrance archaïque et

crue, les acteurs du SMPR se doivent de

respirer psychiquement, tout comme leurs

patients.

Annexe 1

Annexe 2

Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi

7h00 Douche

8h00 Promenade

A partir de 9h00 Délivrance du traitement

Sport

adapté

Sport

adapté

Midi Repas en cellule

Promenade Jeudi : Régulation des soignants (1 semaine sur

2)

14h00 Consultations: infirmier référent, psychiatre, psychologue ou assistante

sociale

14h30 activités

obligatoires

Groupe

Photo

Langage

Relaxation, atelier Sucré Salé, groupe de parole, médiation

autour du jeu,

Ecoute musicale, sensibilisation aux risques de consommation

de toxiques

16h00 Délivrance du traitement pour le soir & coucher / Consultations

Parloirs, accès au téléphone….

18h00 Fermeture des cellules pour la soirée et la nuit

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 87

Il n’existe rien dans l’intelligence qui ne préexiste dans nos sens physiques

Ludwig Feuerbach1

Introduction

L’hôpital de Jour (HJ) de Psychiatrie de

l’Âge Avancé à Lausanne fait partie du

centre ambulatoire du Service Universi-

taire de Psychiatrie de l’Âge Avancé (SU-

PAA), qui appartient lui-même au dépar-

tement de psychiatrie du Centre Hospita-

lier Universitaire Vaudois (CHUV).

Ouvert du lundi au vendredi, de huit

heures à dix-sept heures, l’HJ suit actuel-

lement une soixantaine de personnes

âgées de plus de soixante-cinq ans, vivant

à domicile (sauf Etablissements Médi-

caux Sociaux, c’est-à-dire les maisons de

retraite). La fréquence de suivi à l’hôpital

de jour est décidée en fonction des besoins

1 Pensées sur la mort et l’immortalité (1830)

individuels, de un à cinq jours par se-

maine. Nous accueillons des personnes

souffrant de différents troubles psychia-

triques (psychose, troubles de l’humeur,

troubles anxieux, troubles de l’adaptation,

dépendance à l’alcool, troubles cognitifs

légers), excepté les démences avancées.

Notre équipe, sous la responsabilité d’un

médecin cadre, est composée de six infir-

miers(ères), une infirmière cheffe, deux

ergothérapeutes, une psychomotricienne,

une assistante sociale, une psychologue et

un médecin responsable.

Les objectifs généraux de l’hôpital de jour

sont l’évaluation diagnostique et théra-

peutique, la stabilisation psychique, la ré-

intégration dans la communauté, le main-

tien du lien avec le réseau et la prévention

des rechutes.

Le rétablissement psychologique

Au niveau conceptuel, le département de

psychiatrie a choisi de travailler sur la

base du modèle d’Andresen et al. (2003),

qui définissent le « rétablissement psy-

chologique » comme « la réalisation

d’une vie pleine et significative, d’une

identité positive fondée sur l’espoir et

l’auto-détermination ».

Ce modèle comporte cinq stades :

1. Le moratoire : ce stade se caractérise

par le déni, le repli, la confusion, la perte

d’espoir, et une limitation de l’identité à

la maladie.

2. La conscience : il s’agit de la première

lueur d’espoir en une vie meilleure et

dans la possibilité se rétablir.

3. La préparation : la personne com-

mence à travailler sur le rétablissement,

en faisant le bilan de ses ressources, va-

leurs et limitations, en s’informant sur

ses troubles et sur les soins disponibles,

en s’impliquant dans des groupes ou en

établissant des contacts avec des pairs

engagés dans ce processus.

4. La reconstruction : c’est le stade le

plus difficile, impliquant de se forger

une identité plus positive, d’établir de

nouveaux objectifs personnels et de tra-

vailler à leur réalisation. L’individu as-

sume la responsabilité de gérer sa mala-

die, en prenant des risques et en surmon-

tant les rechutes.

5. La croissance : l’individu, souffrant

encore ou non de symptômes, sait com-

ment gérer sa maladie et rester stable.

Les caractéristiques associées à ce stade

sont la résilience, la confiance en soi et

l’optimisme pour le futur, une estime de

soi positive et la croyance que l’expé-

rience du rétablissement rend l’individu

meilleur.

S’inspirant d’une expérience réalisée en psychiatrie adulte auprès de personnes déprimées (Croquet-Kolb C. et Sachetto S.), le groupe « Les cinq sens » propose une médiation inédite dans notre unité, stimulant notre créativité. Dans le cadre d’une approche multidisciplinaire, nous utilisons le modèle de la médiation par l’objet, en trois étapes successives au cours d’une séance : la description objective de l’objet (perception sensorielle), la description subjective (expression des émotions) puis l’élaboration et la mise en lien (accès aux représentations). Chaque participant est aussi encouragé à se concentrer sur le moment présent. D’un point de vue théorique, ce groupe s’appuie sur le constat suivant : un certain nombre de patients de notre unité présentent des troubles de l’élaboration, exacerbés par la crise. Beaucoup d’entre eux présentent un déficit de mentalisation, entraînant des difficultés à élaborer leur souffrance par la parole seule. Dès lors, en quoi ce groupe est-il thérapeutique ? Quelles sont ses indications ? Comment s’inscrit-t-il dans l’offre des soins de jour ? Quelle place tient la créativité dans ce projet ?

Mots-clefs : groupe thérapeutique, cinq sens, créativité, multidisciplinarité, médiation, crise, mentalisation

“The Earth is blue like an orange” The perception in the development, the group “The Five Senses”

The group “The Five Senses”, a new kind of mediation in our geriatric psychiatry center, which stimulate our creativity, is inspired by a research realized in adult psychiatry with adults suffering from depression (Croquet-Kolb & Sachetto). As part of a multidisciplinary approach, we use the model of mediation by therapeutic object in three successive stages during a single session: an objective description of the object (sensory perception), a subjective description (expression of emotions) and finally, a psychological development process (access to mental and psychological representations). We guide each patient in order to focus on the present moment. From a theoretical perspective, this group is based on the following observations: numerous patients present difficulty in thought process, which is exacerbated by the crisis. Many of them have a mentalizing deficit, causing difficulty in verbalize their suffer-ings. Therefore, in which way this group is therapeutic? What are the indications? How is it integrated into the whole therapeutic process at the psychiatric unit? What is the place of the creativity in this project?

Keywords: therapeutic group, five senses, creativity, multidisciplinary approach, psychiatric crisis, mentalization

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 88

Des allers-retours sont possibles entre les

stades, et font du rétablissement un pro-

cessus plutôt qu’un résultat (voir d’autres

auteurs comme Huguelet, 2007 ou An-

thony, 2003).

Ce concept s’appuie sur les récits, abon-

dants dans la littérature, de personnes re-

latant leur expérience personnelle du réta-

blissement. Andresen et al. sont partis de

récits d’individus souffrant de schizo-

phrénie ou d’autres maladies psychiques

sérieuses, pour en faire une synthèse et fi-

nalement aboutir à quatre dimensions es-

sentielles constitutives du rétablissement

et à une modélisation du rétablissement en

stades.

Les quatre dimensions constituant la clé

de voûte du rétablissement psychologique

sont selon eux : l’espoir, la redéfinition de

l’identité, le fait de trouver un sens à sa

vie et la prise de responsabilité dans son

rétablissement.

Les cinq sens

Selon ce modèle, le groupe « Les cinq

sens » s’inscrit dans le stade du moratoire.

Les patients traversant cette phase identi-

fient difficilement leur problème, car ils

sont, soit dans le déni de la maladie, soit

dans l’incapacité de mettre leur souf-

france en mots.

Notre groupe thérapeutique peut jouer un

rôle important en aidant ces personnes à

franchir cette étape.

En s’inspirant du modèle de symbolisa-

tion de R. Roussillon, nous pensons que la

médiation par les sens permet de travailler

les capacités représentatives à partir des

perceptions. C’est ce processus qui per-

met de développer la capacité de mentali-

sation, dont nous parlerons un peu plus

loin.

Ainsi, nous définissons le groupe « Les

cinq sens » comme un « groupe thérapeu-

tique utilisant des médiums afin de stimu-

ler chaque sens, ceci permettant au pa-

tient de se centrer sur ses perceptions sen-

sorielles, d’exprimer les émotions qui en

émergent, puis de travailler le lien entre

les affects et les représentations ».

Il s’agit d’un groupe semi-ouvert, qui se

déroule sur dix séances d’une heure cha-

cune, à raison d’une par semaine.

Chaque sens occupe deux séances.

Après un rapide tour de table, nous distri-

buons une feuille (cf infra, Annexe 1) et

un crayon à chacun des participants. Nous

observons alors différentes réactions en

lien avec la prise de notes : la surprise (le

support écrit est rarement utilisé dans les

autres groupes), la méfiance, l’appréhen-

sion (en lien avec des troubles cognitifs

débutants ou des difficultés avec la langue

ou l’écriture par exemple). Par ailleurs,

écrire demande un investissement impor-

tant et empêche les tentatives de se mettre

en retrait du groupe. Nous avons égale-

ment constaté que les participants avaient

besoin d’être rassurés au sujet du devenir

de leurs écrits. Nous leur indiquons donc

que cette feuille leur appartient et qu’en

fin de groupe ils peuvent soit nous la don-

ner, soit la jeter, soit la garder. Quant aux

personnes d’origine non francophone,

elles peuvent écrire dans la langue qui leur

convient (langue maternelle par

exemple).

Nous pouvons citer ici l’exemple de Mon-

sieur G., qui présentait une dépression

mélancoliforme.

Né en Suisse et de langue maternelle fran-

çaise, Monsieur G. mettait en avant le fait

d’être allé à l’école jusqu’à quatorze ans

seulement et d’avoir peu écrit dans sa pro-

fession de boucher. Nos interventions

consistaient alors à le rassurer autour du

devenir de la feuille et de l’absence d’en-

jeu de performance. Au bout de quelques

séances, son vocabulaire s’est enrichi, ses

descriptions se sont structurées, il évo-

quait plus facilement ses souvenirs.

Ajoutons que durant toute la séance, nous

invitons les participants à se concentrer.

Le support écrit, s’il peut être anxiogène

comme nous venons de le voir, peut aussi

devenir le support physique de cette con-

centration.

La suite consiste à présenter deux mé-

diums en lien avec le sens concerné (par

exemple : ail et vanille pour l’odorat, bet-

terave crue et cuite pour le goût, tableau

abstrait et figuratif pour la vue, musique

de film et musique classique pour l’ouïe,

perles et papier de verre pour le toucher).

L’objectif ici est de mobiliser les fonc-

tions sensorielles et cognitives.

Lors des premières séances de ce groupe,

nous proposions trois objets. Nous nous

sommes rapidement aperçus que ce

nombre était trop ambitieux, au vu du

temps imparti et des difficultés psy-

chiques des patients. Nous avons entre

autres constaté qu’au-delà de deux propo-

sitions, les capacités de concentration des

participants étaient mises à rude épreuve.

L’expérience nous a aussi conduit à faire

des propositions contrastées pour amener

les membres du groupe en dehors de leur

zone de confort et favoriser la perception

des sensations. Cela autorise également

les personnes à expérimenter un ressenti

négatif ou désagréable. Par exemple, lors

d’une séance sur le toucher, nous avons

proposé du gravier et de la laine mohair.

S’agissant de la description à proprement

parler, nous proposons d’abord aux per-

sonnes de décrire de façon objective le

premier objet, afin de permettre à chacun

d’identifier et de nommer ses sensations.

Au fil des séances, nous nous sommes

aperçus qu’il était nécessaire d’accompa-

gner la réflexion sur la méthodologie de la

description. Nous avons donc ajouté une

étape préalable consistant à réfléchir en-

semble à la façon de décrire un objet, une

image, une odeur, une musique, un ali-

ment. Comme nous l’avons expliqué plus

haut, le fait de proposer des objets con-

trastés facilite également la description.

Citons par exemple une des premières

séances sur le goût. Nous avions proposé

la dégustation de trois types de chocolats

différents. Les nuances entre ces trois pro-

positions gustatives étaient trop subtiles à

décrire pour les participants.

Par la suite, nous avons pu proposer par

exemple pomme et fromage. Nous nous

sommes également aperçus que les parti-

cipants avaient tendance à vouloir nom-

mer directement l’objet, le “reconnaître”,

plutôt que le décrire. Cela nous a conduits

à proposer des objets difficilement identi-

fiables, comme par exemple de l’écorce

de bois, des musiques de films, des mu-

siques contemporaines.

Concrètement…

Voici deux types de réaction rencontrées

dans le groupe, allant d’une description

assez pauvre en termes de vocabulaire, à

une extrême précision.

Face à un tableau de Rothko, Monsieur A.

pouvait seulement dire : « Je vois des cou-

leurs », tandis que Monsieur J. nous dé-

crivait la largeur des bandes au centimètre

près, les différentes nuances de couleur,

etc.

Par ailleurs, nous nous attendions à ce que

les descriptions objectives se recoupent

plus ou moins. Or nous avons constaté

que chacun, dès cette étape pouvait voir,

entendre ou sentir de façon différente.

Citons l’exemple de Madame P.. Lors des

séances sur l’ouïe, nous utilisons un ordi-

nateur pour diffuser la musique, Madame

P. décrivait le fond d’écran plutôt que le

morceau de musique. Ensuite, nous pro-

posons aux participants de décrire l’objet

de façon subjective. L’objectif est de fa-

voriser la mise en lien des sensations avec

les émotions.

Décrire ce qu’elles ressentent s’avère dif-

ficile pour certaines personnes. Repre-

nons l’exemple de Monsieur A.. Quel que

soit le sens étudié ou l’objet proposé, il

partageait un vécu très ritualisé et peu ha-

bité émotionnellement, « Je ressens le

calme ».

Pour certains, se positionner déjà entre

l’agréable et le désagréable est complexe.

En revanche, certaines personnes, comme

Madame P., sont plus à l’aise pour déve-

lopper cette partie. Il arrive aussi que les

descriptions objectives divergent entre les

membres du groupe, tandis que l’expé-

rience subjective est partagée. Nous nous

souvenons ici d’une séance sur l’ouïe

dans laquelle nous avions écouté une

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« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens »

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 89

chanson de l’artiste Woodkid. Plusieurs

participants avaient évoqué la musique

sacrée, alors que cette chanson n’appar-

tient pas à proprement parler à ce réper-

toire.

Suite aux étapes descriptives, nous de-

mandons aux participants d’évoquer un

souvenir en lien avec l’objet. L’objectif

est alors d’échanger autour des expé-

riences sensorielles de chacun.

Pour l’ouïe et la vue, nous proposons sou-

vent non pas d’évoquer un souvenir, mais

de donner un titre à l’œuvre proposée. De

façon un peu caricaturale, nous sommes

dans le domaine des réminiscences avec

les sens plus archaïques que sont le tou-

cher, l’odorat et le goût, et dans le do-

maine de la créativité avec les sens plus

“évolués” que sont la vue et l’ouïe.

Nous avons également constaté que l’évo-

cation des souvenirs peut conduire à un

échange qui se fait difficilement en entre-

tien individuel. Cela permet parfois de fa-

voriser le lien avec la personne par le re-

cueil d’éléments biographiques et l’accès

à la sphère émotionnelle.

Nous pensons ici à Monsieur N. au début

de son suivi à l’hôpital de jour. Il se mon-

trait très méfiant en entretien individuel,

et il était difficile de recueillir des élé-

ments anamnestiques. Lors d’une séance

sur l’odorat, il a pu exprimer que l’infu-

sion de sauge lui rappelait que durant la

guerre, en Italie, sa mère cultivait des

plantes aromatiques dans leur jardin en

l’absence de médicaments à cette période.

Ce souvenir a été pour Monsieur N. l’oc-

casion de s’exprimer sur son rapport à sa

mère.

Nous émettons l’hypothèse que le cadre

structuré et rassurant du groupe, ainsi que

l’utilisation d’un medium, facilitent l’ex-

pression des émotions. Le groupe permet

aux personnes d’être accompagnées dans

leurs perceptions, pour les mettre en lien

avec leurs émotions, afin qu’ils puissent

avoir une meilleure perception de soi-

même et de l’autre. Ici apparaît la notion

de mentalisation, que nous allons déve-

lopper maintenant.

Mentaliser...

Nous pouvons penser le groupe « Les cinq

sens » de plusieurs manières.

Il s’agit d’un groupe hétérogène du point

de vue diagnostique, au sens de la CIM 10

(dépression sévère avec symptômes psy-

chotiques, trouble délirant persistant,

trouble de l’humeur...).

Nous repérons toutefois deux éléments de

dysfonctionnement chez les patients : un

2 Peter Fonagy et Anthony Bateman ont dé-veloppé la psychothérapie par mentalisation

MBT.

défaut de mentalisation et une pensée opé-

ratoire, qui, au fond, sont liés. Nous pou-

vons aussi parler de problème de symbo-

lisation.

Bateman et Fonagy2 définissent la menta-

lisation comme « le mécanisme mental

par lequel un individu interprète implici-

tement et explicitement ses actions et

celles des autres comme ayant un sens,

sur la base d’états mentaux intentionnels

comme les désirs, les besoins, les senti-

ments, les croyances et les raisons ». John

G. Allen, quant à lui, indique que « l’ac-

tion de mentaliser consiste à percevoir et

interpréter d’une manière imaginative les

comportements comme étant liés à des

états mentaux intentionnels ».

La mentalisation est une notion mise au

point au début des années 1970 par P.

Marty. Elle s’intéresse à des dimensions

de l’appareil mental. Dans le concept de

mentalisation, il est question de la qualité

des représentations psychiques consti-

tuant la base de la vie mentale de chacun

d’entre nous. Ces représentations appa-

raissent le jour sous forme de fantasmes et

la nuit sous forme de rêves. Elles permet-

tent les associations d’idées, les pensées,

la réflexion intérieure et sont constam-

ment utilisées dans nos relations directes

ou indirectes avec les autres. La mentali-

sation traite donc de la quantité et de la

qualité des représentations chez l’indi-

vidu. Elle n’a pas été objet direct des tra-

vaux de Freud, sans doute dans la mesure

où il s’intéressait spécialement à certaines

organisations pathologiques de l’époque,

c’est-à-dire les névroses mentales.

La mentalisation est en lien avec la fonc-

tion alpha proposée par Bion, qui est un

processus de mentalisation du monde. Ce

processus permet de passer de l’expé-

rience sensorielle à la forme mentale de

cette expérience. Bion déploie la concep-

tualisation suivante :

1. Certains éléments peuvent être appré-

hendés par le sujet, tel des phénomènes.

Ces éléments sont dit éléments-alpha.

2. Certains éléments, par contre, ne sont

pas appréhendables, et conservent une

valeur de chose en soi, mais continuent

cependant de travailler l’expérience du

monde. Ce sont des éléments-béta.

Les éléments-béta sont des impressions

de sens, et les éléments-alpha sont des

éléments de pensée. Il s’agit d’une déli-

mitation assez classique, mais toute

l’originalité de Bion est de penser la

transformation du béta en alpha.

P. Marty, quant à lui, nous a indiqué com-

bien nous construisons la réalité à partir

LES AUTEURS

Dr Mazen ALMESBER psychiatre hospitalier, psychothérapeute FMH Christine GARCIA-ADAMEZ ergothérapeute Alexandra MIARD infirmière Virginie PERRIN infirmière

Hôpital de Jour de Psychiatrie de l’Âge Avancé CAPAA – CHUV ch. de Mont-Paisible 16 1011 Lausanne Suisse

BIBLIOGRAPHIE

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 90

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22. WINNICOTT D. W. (1970), Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 259 pages.

de la sensorialité éprouvée, des émotions

vécues et des représentations plus ou

moins disponibles dans le préconscient,

en fonction de nos mécanismes de dé-

fense.

Marty et Fain ont formalisé le concept de

mentalisation grâce à des patients qui

semblaient présenter un déficit de l’es-

pace imaginaire avec une défaillance des

capacités de mentalisation. Ceci conduit à

ce que l’on décrit comme la pensée opé-

ratoire (pensée essentiellement orientée

vers des préoccupations concrètes), ou en-

core l’alexithymie (difficulté à identifier,

différencier et exprimer ses émotions, ou

parfois celles d’autrui), se traduisant par

un discours sans expression émotionnelle.

A. Fonagy et ses collègues (Fonagy. Tar-

get–1997) ont considéré quant à eux la

mentalisation à partir de la théorie de l’at-

tachement et de leurs travaux sur la “fonc-

tion réflexive”, tributaire de la “théorie de

l’esprit”.

Commençons par la matière première du

psychisme, les traces psychiques, que

Freud appelle traces mnésiques. Ce qui

est inscrit sur la surface du psychisme,

que l’on appellera plus tard, quand la

symbolisation sera apparue, le Ça, part du

“soi brut” à laquelle nous n’avons pas

d’accès direct. Ce sont des traces infraver-

bales, polysensorielles, de nos expé-

riences passées et présentes.

Nous avons parlé plus haut de défaut de

mentalisation. Dès lors, qu’est-ce qu’une

“bonne mentalisation” ?

Pour Pierre Marty, la qualité de la menta-

lisation dépend de l’inscription psychique

des perceptions et de la possibilité de les

évoquer ultérieurement sous forme de re-

présentations accompagnées d’affects.

Lorsque la mentalisation est défaillante,

les représentations semblent reproduire

des perceptions vécues dans la réalité. Ces

représentations sont de simples témoi-

gnages de perceptions inscrites.

Nous pensons par ailleurs que cette

“bonne mentalisation” serait activement

soutenue par le processus de symbolisa-

tion. Attardons-nous un instant sur ce

point.

R. Roussillon propose de différencier

deux modalités du processus de symboli-

sation, en faisant la distinction entre sym-

bolisation primaire et symbolisation se-

condaire. De manière schématique, la

symbolisation primaire concerne la pro-

duction des représentations de choses, ou

« symboles primaires », à partir d’une

première inscription essentiellement per-

ceptive. La symbolisation secondaire relie

quant à elle la représentation de choses et

la représentation de mots. Ce modèle

s’appuie sur une différenciation entre

trois types d’inscriptions psychiques de

l’expérience vécue, décrites dans les tra-

vaux de S. Freud : la trace mnésique per-

ceptive, la trace inconsciente (la représen-

tation de choses) et la trace verbale pré-

consciente (la représentation de mots). La

nécessité de définir une symbolisation

primaire vient d’une réflexion sur les con-

ditions permettant la mise en place de

l’activité représentative, qui échoue, au

moins en partie, dans les problématiques

psychotiques ou limites.

La notion de symbolisation primaire per-

met de compléter et complexifier le mo-

dèle classique du passage de la trace mné-

sique perceptive à la représentation basée

sur la “simple” rétention énergétique,

comme le propose S. Freud dans « L’es-

quisse pour une psychologie scienti-

fique ». Ce modèle est essentiel pour ex-

pliciter la différenciation entre l’expé-

rience première et sa représentation. Cette

théorie de la retenue, fondée sur la perte

et le deuil, rend nécessaire les notions de

“symbolisation”. En effet, selon ce mo-

dèle, la capacité de représentation im-

plique de renoncer à retrouver une « iden-

tité de perception » au profit d’une iden-

tité symbolique, une « identité de pen-

sée ». C’est l’absence qui est alors le mo-

teur du travail représentatif, soutenu par la

rétention d’énergie.

Pour finir, il nous semble aussi qu’un lien

existe entre défaut de mentalisation et

crise.

En effet, la crise comporte plusieurs as-

pects. En mettant en tension le système

défensif, elle exacerbe la difficulté rela-

tionnelle, perturbe l’équilibre psychique

et favorise la pensée de type opératoire

chez les patients qui ont un problème de

mentalisation.

Si le groupe « Les cinq sens » permet

d’accompagner les patients vers une sor-

tie de la crise par un renforcement des ca-

pacités de mentalisation, il implique un

investissement important de la part des

soignants. En ce sens, la créativité joue un

rôle majeur, afin de renforcer la fonction

alpha de Bion citée plus haut. La dimen-

sion créative de ce groupe nous permet

également de le préparer et de l’animer

avec plaisir, ce qui contribue d’après nous

à sa dimension thérapeutique. Nous es-

sayons également de rendre une part de

cette créativité aux patients, à l’intérieur

du cadre très étayant du groupe. Par

exemple, nous changeons parfois la der-

nière consigne, qui est habituellement

d’évoquer un souvenir en lien avec le sup-

port sensoriel présenté. Ainsi, pour la vue

et l’ouïe, nous proposons de donner un

titre au tableau ou au morceau.

Conclusion

Nous avons montré la place que notre

groupe occupe au sein de l’hôpital de jour.

Page 91: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

« La Terre est bleue comme une orange » : de la perception à l’élaboration, le groupe « Les cinq sens »

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 91

S’inscrivant dans la phase du moratoire

du rétablissement psychologique, il joue

un rôle très spécifique chez des patients

qui ont une difficulté de mentalisation.

Nous avons aussi abordé la base théorique

qui a permis de faire le lien entre la men-

talisation et le processus de symbolisation

en travaillant à partir de la perception sur

les trois étapes du groupe.

Ce travail thérapeutique en groupe permet

une progression dans le processus de réta-

blissement de nos patients en développant

leurs capacités représentatives. Cette évo-

lution participe au traitement de la période

de crise et très probablement à la préven-

tion de la rechute. Des études plus pous-

sées permettraient de valider nos observa-

tions cliniques.

Nous avons enfin évoqué la question de la

créativité qui nous aide à accompagner les

patients vers cet objectif : leur permettre

de se centrer sur leurs perceptions senso-

rielles, d’exprimer les émotions qui en

émergent, puis de travailler le lien entre

les affects et les représentations.

Le titre, La terre est bleue comme une orange, est

le 7ème poème du 1er chapitre « Premièrement » du

recueil 1 L’amour la Poésie, de Paul Eluard.

.

Annexe 1

exemple de feuille utilisée dans le groupe

Page 92: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 92

Lors du Colloque, la présentation s’est accompa-

gnée de la réalisation d’un atelier photo selon les modalités pratiquées au CITE.

Ainsi, cet atelier a permis de se plonger au cœur

même du travail effectué au CITE avec les enfants et de découvrir les sensations, émotions et pen-

sées qui peuvent émerger au cours d’un tel atelier

à médiation.

Introduction

Le travail qui est réalisé au Centre d’In-

tervention Thérapeutique de l’Enfance de

Lausanne est riche et varié, requérant des

soignants - et de l’équipe multidiscipli-

naire dans son ensemble - une grande sou-

plesse psychique et une créativité cer-

taine, afin de faire face aux aléas des

jeunes Sujets qui y séjournent. Ainsi,

chaque enfant accueilli au CITE intègre

un groupe - encadré par plusieurs soi-

gnants, éducateurs ou infirmiers - où il re-

trouve des pairs du même âge et voit sa

journée structurée dans ses grandes

lignes, toute adaptation ou changement

impromptu n’étant par essence pas à ex-

clure, au vu de la souffrance psychique

des enfants et des adolescents. Dans ce

cadre-là, divers ateliers à médiation sont

proposés, au fil de la journée – dans des

temps bien précis et avec un ou deux soi-

gnants de référence -, ateliers qui sont par

ailleurs entrecoupés par des moments de

jeux libres sous l’œil bienveillant des soi-

gnants ou par des entretiens individuels

ou familiaux, avec l’équipe médico-psy-

chologique du Centre. Les patients peu-

vent ainsi être amenés à faire de la cuisine

- tout en étant accompagné de manière

plus ou moins soutenue en fonction de

leur degré d’autonomie -, à travailler la

terre, le plâtre ou la peinture dans un ate-

lier à visée créatrice ou encore à expéri-

menter divers sports d’équipe dans l’ate-

lier d’exercices physiques. Tous ces ate-

liers permettent à l’équipe - dans une at-

mosphère ludique et vivante - de se faire

une meilleure représentation des enfants

accueillis, afin de mieux comprendre la

singularité du fonctionnement psychique

de chacun, avec ses difficultés propres et

ses fêlures mais également avec toutes les

potentialités qui peuvent germer sous de

meilleurs auspices, familiaux, sociaux et

environnementaux. L’atelier photo s’ins-

crit donc pleinement dans ce contexte de

prise en charge, permettant aux enfants

une véritable « forme de participation em-

pathique au monde » pour reprendre

l’heureuse expression de Tisseron. Cet

atelier à médiation permet de mettre au

travail le « champ de l’intermédiaire »

(Kaës, 1983), véritable ouverture tant spa-

tiale que temporelle entre plusieurs psy-

chés en présence, afin que se développe

une aire de jeu commune, à même de ma-

térialiser et de transformer certains pro-

cessus, certaines problématiques psycho-

pathologiques dont l’abord ne peut se

faire, à ce moment précis, par un autre

biais. L’atelier photo sera présenté de ma-

nière plus détaillée dans la seconde partie

de cet article, après celle portant sur le

CITE.

Notre travail s’inscrit donc bien dans le

cadre du colloque qui se tient à Caen en

octobre 2015.

L’atelier photo met en exergue de manière

spécifique la tension entre le “pro-

gramme” qui se doit d’être tenu dans un

centre d’intervention thérapeutique tel

que le nôtre mais ne pouvant faire fi de la

nécessaire adaptabilité créatrice qui est à

rechercher en chacun de nous afin de

transformer, quand cela s’avère néces-

saire, la destructivité à l’œuvre en proces-

sus de liaison, menant alors à un dire por-

teur de sens et d’ouverture vers une alté-

rité - certes parfois anxiogène - plutôt qu’à

un retour vers un informe angoissant.

Néanmoins, et afin de ne pas vous laisser

sur votre faim, nous avons choisi d’illus-

trer in vivo nos propos en invitant certains

Le CITE est une structure de soins pédopsychiatriques qui accueille des enfants présentant des troubles psychiques dans une situation de crise et /ou dans une impasse thérapeutique, pédagogique ou sociale. Dans le cadre de ce travail institutionnel, différentes modalités d’interventions sont proposées, notamment des ateliers à média-tions artistiques effectués par des soignants, permettant un abord de la symptomatologie et de son dépassement afin de créer un nouvel espace d’expérience à même d’aider l’enfant à être dans un lien secure avec lui-même et autrui. La dimension créative des processus soignants mis en jeu permet une souplesse de fonctionnement non négligeable face à des psychopathologies souvent graves, portant atteinte au narcissisme même de l’individu, qui entravent la qualité d’un espace transitionnel apte à favoriser un jeu souple entre réalité interne et réalité externe. Il s’agit de pouvoir encourager ici une « activité libre spontanée » de l’enfant, en ne cherchant pas à tout prix ni à ne le comprendre ni à le “calibrer” selon certains standards. L’un des objectifs est d’aider l’enfant à avoir accès à son monde interne et ses vécus archaïques, non intégrés dans la personnalité en devenir, pour leur donner voix au chapitre et consistance, dans un processus de liaison et de symbolisation au travers d’une activité ludique. Ces espaces permettent aux patients et aux soignants de s’appréhender mutuellement d’une manière non conventionnelle afin de découvrir le plaisir « d’être ensemble » dans l’ici et maintenant via les médiations. Dans cet atelier, nous allons vous proposer de participer à une expérience interactive et ludique pour vous permettre une immersion vivante dans l’univers d’un de nos ateliers à médiation, ou quand les pixels sont à mêmes de faire des étincelles !

Mots-clefs : Créativité, processus, informe, plaisir ludique, transformation, médiations artistiques

Hue and cry: when pixels and brushes get involved

CITE is a child psychiatric care structure that welcomes children with psychological problems in a crisis and / or a therapeutic impasse, educational or social. As part of this institutional work, different types of intervention are proposed, including workshops in artistic mediations performed by caregivers, allowing first of symptomatology and its overflow to create a new space of experience in a position to help the child to be in a secure relationship with himself and others. The creative dimension of caregivers involved processes enables significant operational flexibility in the face of often severe psychopathology, affecting the same narcissism of the indi-vidual, which hinder the quality of a transitional space adapted to promote a flexible game between reality internal and external reality. This is to encourage here a "spontaneous free activity" of the child, by not trying at all costs not to understand nor to the "calibrate" according to certain standards. One goal is to help the child to have access to his inner world and its archaic lived not integral personality in the making, to give them a voice and consistency in the process of connecting and the symboli-zation through a fun activity. These spaces allow patients and caregivers to understand each other in an unconventional way to discover the pleasure of "being together" in the here and now through mediations. In this workshop, we will offer you to participate in a fun, interactive experience for you a living immersion in a universe of our workshops in mediation, or when the pixels are similar to sparks!

Keywords: creativity, processes, reports, playful enjoyment, transformation, artistic mediations

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A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 93

d’entre vous à participer à notre atelier,

afin de comprendre de l’intérieur - mais

surtout de ressentir au plus profond de soi

-, quels sont les processus qui peuvent être

remis en jeu dans un tel contexte, cela

pouvant déboucher sur une rêverie... créa-

trice !

Présentation du CITE

Le Centre d’Intervention Thérapeutique

pour Enfants (CITE) est une unité du Ser-

vice Universitaire de Psychiatrie de l’En-

fant et de l’Adolescent (SUPEA) du

Centre Hospitalier Universitaire a Lau-

sanne (CHUV).

Le CITE est un espace de soins qui ac-

cueille des enfants de la naissance a 13

ans, répartis en deux groupes distincts :

celui des 0-7 ans et celui des 8-13 ans. Ini-

tialement le CITE s’appelait Centre de

soins pédopsychiatriques, créé en 1989, il

voit son mandat redéfini en 2003 et il

s’oriente dès lors vers la crise, comme

conceptualisée par Nicolas de Coulon. Le

CITE offre des soins pédopsychiatriques

intensifs et donne a l’enfant, a sa famille

et au réseau, la possibilité d’une reprise

évolutive par la construction d’un projet

de soins, pédagogique et/ou social. Le

CITE est un lieu d’observation et d’éva-

luation permettant d’offrir la compréhen-

sion du fonctionnement de l’enfant, de sa

famille et du réseau, mais également la

compréhension des ressources de chacun.

Cadre de notre pratique

Le CITE fonctionne sur le modèle d’un

hôpital de jour et accueille les enfants

toute l’année. Selon les indications défi-

nies par les cadres de soins, ils seront pris

en charge suivant trois modalités :

- sur un mode ambulatoire, deux jours

par semaine pendant trois mois ;

- sur un mode d’hospitalisation complète

pendant trois semaines ;

- sur un mode ambulatoire intensif jus-

qu’a cinq jours par semaine.

A noter que lors d’une hospitalisation

complète, les enfants sont accueillis et

pris en charge par le service de pédiatrie

de l’hôpital de l’enfance et par le service

de liaison pédopsychiatrique du SUPEA.

Cliniquement nous accueillons une

grande diversité de tableaux cliniques et il

n’y a pas de restriction “pathologique”,

mis a part les troubles du comportement

alimentaire. Les enfants présentent ainsi

des troubles du comportement, de la com-

munication, du langage, des refus sco-

laires, des tableaux d’hyperactivité, des

dépressions... Ils appartiennent au registre

des troubles du spectre autistique, des pa-

thologies limites, dysharmoniques et des

troubles de l’humeur ou alors n’appartien-

nent a aucun registre.

Les demandes de prise en charge sont

adressées au cadre infirmier du service,

qui peut ainsi centraliser et coordonner les

demandes. Elles sont ensuite examinées et

triées par le cadre infirmier et le chef de

clinique selon un rapport indications/mis-

sions du CITE. Le cadre infirmier, dans

son rôle de coordinateur, peut écarter des

demandes pour lesquelles le CITE ne

pourrait pas répondre, du fait de critères

tels que l’âge ou d’indications hors man-

dat.

Le soin au CITE est conceptualise comme

un travail d’équipe. C’est l’intervention

groupale coordonnée qui est thérapeu-

tique, tout le monde participe au soin, in-

dépendamment des activités, ateliers ou

moyens de médiation et de rencontre.

L’efficience au CITE réside dans une

équipe pluridisciplinaire qui réunit méde-

cins, psychologue, infirmiers, éducateurs,

enseignant spécialisé et cuisinière.

L’atelier photographique au CITE

L’atelier en pratique

La particularité de cet atelier photo est de

permettre un rendu de très grand format.

C’est sur papier ordinaire, provenant

d’une simple imprimante de bureau, celle

qui imprime vos mails et vos synthèses,

que l’on tire les photos, on obtient un

grand format en recomposant une mo-

saïque composée de fractions de la photo.

L’intérêt est multiple :

- avoir un objet photographique, maté-

rialisé, conservable par les participants ;

- obtenir de très grands formats ;

- avoir une activité peu onéreuse.

Ainsi, ce grand format permet, outre l’as-

pect esthétique, d’obtenir une confronta-

tion avec sa propre image. Un alter égo de

taille identique peut facilement être ob-

tenu, la photo se fait plus présente, à l’op-

posé d’une photo sur un écran, plus petite,

que l’on peut zapper.

L’image papier, elle, est immuable,

l’image sur écran est labile.

Une autre particularité de cet atelier est de

donner les pleins pouvoirs à la personne

qui est prise en photo. Cela fait partie des

conditions pour sécuriser l’atelier : c’est

elle qui choisit qui doit la prendre en

photo, qui va déterminer quelle est la

bonne photo à exploiter, à imprimer…

À tout moment il lui est possible de sortir

du travail, effacer son image, avoir un

veto absolu quant à l’utilisation de celle-

ci.

De ce fait, on se retrouve entre le portrait

et l’autoportrait.

L’atelier est proposé de façon collective :

un groupe de 3-5 enfants accompagné de

2 soignants, ceux-ci sont là pour donner

des conseils dans la réalisation, c’est à

dire adapter les idées aux contraintes tech-

niques, pour maintenir une atmosphère

sécurisante, propice à la créativité et au

confort des patients.

L’atelier d’autoportrait s’articule autour

de 3 parties distinctes :

- la séquence de prises de vue ;

- la partie informatique de choix, de tra-

vail et de mise en valeur de la photo ;

- la partie de l’impression, la recomposi-

tion, l’exposition de la photo.

Peu importe le type d’atelier photo, peu

importe le thème, nous suivrons toujours

cette trame qui revient à un allez retour

entre la personne et son image où l’on

capture puis apprivoise et enfin restitue

une image de soi.

Ainsi l’on peut aussi noter un aller/retour

entre la réalité et le virtuel, qui transforme

la personne.

Un large éventail de possibilités est offert

allant d’une prise de vue directe sans arti-

fice (portrait simple) à une photo faisant

appel à plus de trucages et de manipula-

tions.

L’atelier présenté au Colloque est celui du

« portrait en exposition multiple ».

Parmi ces différents processus, le portrait

en exposition multiple est exactement à

mi-chemin entre la simplicité d’un rendu

brut et celui d’un trucage photo plus éla-

boré, mais pas toujours facile d’accès

pour tous.

Le principe, simple, est d’additionner plu-

sieurs clichés sur la même exposition qui

vont s’entremêler par transparence.

Pour la première séquence de l’atelier,

celle de la prise de vue. Le visage ou le

corps est, plusieurs fois, pris en photo, su-

perposé, par exemple face, profils ne lais-

sant que quelques détails apparents et in-

telligibles, ceux qui se recoupent, se che-

vauchent.

La notion de “être beau/être moche” dis-

parait puisque la personne est rendue mé-

connaissable, du moins n’est reconnais-

sable uniquement que par elle-même ou

des personnes connaissant bien son vi-

sage.

Le trucage est réalisé directement par le

boitier, sans l’aide d’un ordinateur, ren-

dant les opérations très intuitives.

Le rendu, sans pour autant être aléatoire,

n’est pas maitrisable, ni par le sujet pris en

photo, ni le photographe, permettant ainsi

d’éluder les questions de maîtrise de l’ap-

pareil pour le photographe comme de

maîtrise des poses et attitudes pour le mo-

dèle.

La technique peut être utilisée pour un

portrait en gros plan comme pour un plan

plus général (visage, buste, vues d’en-

semble). La distance sera clarifiée au dé-

but de l’atelier, tout en laissant finalement

le choix à la personne prise en photo d’en

changer.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 94

LES AUTEURS

Emilie SNAKKERS Carolin JANETSCHEK Gabriel ZEGNA Fiona PARMENTIER

CITE (Centre d’intervention Thérapeutique pour Enfants) Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) Avenue d’Echallens 9 1004 Lausanne Suisse [email protected]

BIBLIOGRAPHIE

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5. TISSERON S. (1996), Le mystère de la chambre claire, Photographie et inconscient, Pa-ris : Les Belles Lettres.

Le cadre de l’atelier implique aussi, autant

que possible, de demander aux modèles

de garder une expression neutre, évitant

un rendu parfois monstrueux avec des gri-

maces, évitant aussi de rentrer dans des

critères esthétisants (beau sourire...) au

moment de la prise de vue, pouvant dé-

courager les moins à l’aise.

Pas non plus de mélange de visages de

plusieurs personnes, pour rester à chaque

fois centré sur la personne prise en photo,

mais aussi pour des questions de partage

et de droit à l’image de chacun.

Ensuite, la partie de choix de la photo, de

mise en valeur de celle-ci, est faite sur

l’écran de l’ordinateur : il faut donc avoir

réussi à faire faire plusieurs prises par per-

sonne, ce qui n’est pas toujours facile.

Il faut accompagner ce choix, souvent

l’animer, par exemple en donnant assez

rapidement un rendu esthétique, un ca-

drage, qui mettra au mieux en valeur

chaque photo.

Parfois, la motivation du groupe, ou de

certains s’effrite à cette étape.

Plusieurs explications :

- le changement de support, qui implique

d’être tous proches autour d’un même

objet, pouvant entraver certains pa-

tients ;

- le temps d’attente qu’il va mécanique-

ment produire (chacun son tour) avec ce

qu’implique l’attente comme difficul-

tés ;

- l’implication dans cet atelier devient

d’un coup tangible : on a un résultat, on

est présent ailleurs, sur l’ordinateur, à la

vue de tous, cela peut être gênant.

Le choix se fait à plusieurs, chacun donne

son avis mais c’est, bien sûr, la personne

sur la photo qui donne l’avis décisif. En-

core une fois, cette liberté est à rappeler

pour sécuriser l’atelier.

La partie où l’on choisit et travaille sa

photo peut être exécutée de façon auto-

nome par un participant plus chevronné,

l’apprentissage fait aussi partie des inté-

rêts de l’atelier.

Pour la partie d’impression, de restitution,

le rendu sur papier, en grand format, la re-

construction (assemblage des feuilles)

rend les détails du visage, du corps, plus

visibles, moins intimes.

Ces mêmes parties se chevauchent, se mé-

langent pour donner un rendu éthéré, dé-

sincarné.

Cette reconstruction, monumentale, de-

mande de trier, de recomposer un puzzle,

et de joindre bord à bord chaque fraction

de la mosaïque. Le processus est facilité

car l’aspect irréel demande beaucoup

moins de rigueur que dans un portrait

classique pour lequel il faudrait joindre

très précisément les feuilles A4 entre

elles.

Enfin, pour l’exposition, il est important

de souligner encore une fois que le choix

est laissé au propriétaire de la photo : l’af-

ficher ou pas, la mettre dans un lieu de

passage, dans un endroit plus discret...

C’est une fois la photo accrochée, et par-

fois après avoir dû soutenir le regard du

participant sur celle-ci, par exemple en

proposant de faire le tour des réalisations,

que l’intérêt s’éveille, certains vont préfé-

rer être seul pour regarder les photos.

Les patients pris en photo témoignent sou-

vent d’un sentiment de non reconnais-

sance, d’étrangeté, alors que les specta-

teurs (les autres), connaissant celui-ci,

vont y retrouver certains détails du visage,

des traits familiers.

“Oui c’est vraiment toi” en parlant de dé-

tails inconnus par le sujet.

La technique de la double exposition per-

met d’accueillir avec plus de sécurité psy-

chique quelqu’un qui ne veut pas se voir

de façon trop brute.

Elle peut faire réagir, rire ou déranger

quelqu’un dont l’image, l’image de soi est

problématique.

Aspects théoriques des ateliers à médiation

Cette capacité peu commune...

de muer en terrain de jeu le pire désert. Michel Leiris

L’atelier photographique a pris corps dans

le courant de l’année 2014, au CITE,

après l’arrivée de Gabriel Zegna, infir-

mier, photographe semi-professionnel à

ses heures, adepte de nouvelles tech-

niques et de matériaux novateurs dans ce

champ spécifique. C’est donc tout natu-

rellement que l’idée d’ouvrir un tel atelier

s’est faite, dans le but de rencontrer les en-

fants par le biais des images réalisées tant

par eux-mêmes que par les soignants réfé-

rents de l’atelier, et de les travailler en-

suite à l’aide de l’informatique, avant

qu’elles ne soient exposées dans le couloir

du Centre, visibles à tous, matières à par-

ler, échanger, critiquer, frémir, sourire, vi-

brer... à chaque fois différemment.

Le champ de la photographie est resté

longtemps lettre morte de nombreux do-

maines relatifs aux sciences humaines, si

ce n’est Roland Barthes qui a rédigé deux

essais à ce sujet au début des années 1980

ou bien la photographie se retrouvait

noyée dans le domaine plus vaste de l’ico-

nographie - Debray, Sontag, etc.-, n’ac-

quérant que le statut d’une façon de cap-

turer le monde tel qu’il était, sans ré-

flexion plus approfondie au sujet des pro-

cessus psychiques à l’œuvre (Tisseron,

1996). A cette époque, la photographie

est surtout comprise comme étant une ma-

nière de figer un événement, afin que ce

dernier reste inchangé dans la mémoire de

celui qui l’a capturé, véritable crypte in-

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A corps et à cri : quand pixels et pinceaux s’en mêlent

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 95

tangible, prémices de la mort à venir (Tis-

seron, 1996). Cependant, la fin du XXème

siècle - et les développements technos-

cientifiques fulgurants qui l’accompa-

gnent - verra s’ouvrir d’autres horizons en

ce domaine et la photographie pourra se

conceptualiser, progressivement, comme

faisant partie intégrante du processus de

symbolisation, permettant alors au sujet

de retrouver des émotions, des sensations,

des traces fugitivement éprouvées et de

pouvoir enfin les intégrer au sein de son

monde interne (Tisseron, 1996). La pho-

tographie serait donc un moyen - à l’occa-

sion de la vision d’une image - de pouvoir

retrouver et revivre les diverses compo-

santes d’une expérience - avec un certain

recul néanmoins - pour pouvoir se les ap-

proprier d’une manière plus sereine, en

étant éventuellement accompagné par un

autre, à même de refléter et de nommer ce

qui se joue pour le sujet à cet instant, tout

comme l’a fait une mère suffisamment

bonne en son temps (Tisseron, 1996).

L’atelier photographique s’inscrit dans le

champ des ateliers à médiation qui font

florès dans les institutions soignantes à

l’heure actuelle, l’idée de médiation en

tant que telle n’étant pourtant pas nou-

velle. En effet, ces derniers donnent l’op-

portunité à des sujets en grande souf-

france psychique - ayant de ce fait peu ac-

cès à l’espace transitionnel au sens de

Winnicott - d’éprouver, mais également

de partager et de pouvoir intérioriser - tout

en étant accompagné par un soignant dont

le regard fait office de psyché maternelle

dans son sens large - une expérience qui

apporte satisfaction et qui assouplit

quelque peu les imposantes barrières nar-

cissiques mises en place par certains pa-

tients limites face à autrui (Chouvier et al.,

2002). Le « médium malléable » pour re-

prendre l’expression que l’on doit à Mil-

ner (Brun, 2011) - si tant est que le statut

de la photographie puisse être considéré

comme tel - permettrait à ces patients de

matérialiser hic et nunc certains aspects

de leur problématique intrapsychique

(Roussillon, 1991, in Brun, 2011) mais de

manière externalisée, évitant ainsi une

confrontation trop directe avec ce qui fait

souffrir et permettant alors une certaine

latence pour traiter ce qui est source de

douleur (Gimenez, in Chouvier, 2002).

Dans ce champ spécifique qualifié d’in-

termédiaire, il est à souligner que les ob-

jets - cela peut être une photographie en

l’occurrence - possèdent un statut particu-

lier, n’étant ni interne ni externe mais

étant plutôt « entre deux » (Gimenez, in

Chouvier, 2002). Cependant, et il est im-

portant de le relever, un objet n’a pas un

statut d’intermédiaire par essence, ce der-

nier n’étant acquis et ne prenant sens qu’à

travers une relation de soin, devenant par

ce biais même un véritable « objet de re-

lation » (Gimenez, in Chouvier, 2002).

Bien que l’analyse du transfert et du

contre-transfert ne soit pas l’objet du tra-

vail dans le cadre de notre atelier à média-

tion, notre médium permet par divers

biais - cela va de l’attitude envers soi -

même, envers d’autres patients ou les soi-

gnants dans le contexte d’une séance

d’atelier à la manipulation du papier sur

lequel est imprimé la représentation pho-

tographique – de révéler des facettes de la

dynamique transféro-contre-transféren-

tielle en présence (Gimenez, in Chouvier,

2002). En outre, le point nodal de tout

atelier à médiation est la rencontre senso-

rielle avec les qualités - à chaque fois di-

verse et diversement vécu par chacun - du

médium, ce qui met en route une dyna-

mique sensorimotrice que l’on retrouve

dans tout groupe à médiation, que cette

dernière soit analysée ou qu’elle reste en

arrière-fond, ne faisant pas l’objet d’un

travail plus spécifique (Brun, 2014).

C’est effectivement cette rencontre, ce

vis-à-vis particulier avec la sensorialité du

médium mais également avec l’espace-

temps dans lequel l’atelier se déroule qui

va véritablement réactualiser sur la scène

psychique des expériences dites sensori-

affectivo-motrices qui n’ont pas pu être

parlées en leur temps et qui trouvent ici

une nouvelle chance d’être non seulement

exprimées mais aussi reçues et entendues

et mises en forme (Brun, 2014).

La photographie étant un domaine de pré-

dilection pour Gabriel Zegna, il est tout à

fait envisageable que certains patients

aient repéré que cela représentait un lieu

d’investissement privilégié pour notre in-

firmier et qu’ils aient donc utilisé cet es-

pace de façon particulière, « pensant »

sans doute que ce dernier pouvait être à

même de repérer des mouvements et pro-

cessus passés jusqu’alors inaperçus aux

yeux des autres (Gimenez, in Chouvier,

2002). La photographie en tant qu’objet

médiateur peut ici acquérir une fonction

pare-excitante, permettant d’élaguer et de

tenir à une distance raisonnable ce qui ris-

querait sinon - via des vagues d’affects

non métabolisées - de déborder tant le pa-

tient que le soignant et qui entraverait le

bon déroulement du travail psychique ul-

térieur (Gimenez, in Chouvier, 2002).

« L’objet de relation » est à même de ré-

activer toute la machine du préconscient

et permet alors une reprise associative au

sein même de la relation, mettant à jour

des aspects en souffrance enfouis depuis

longtemps mais dont les effets ne ces-

saient de se faire ressentir, sans qu’aucune

pensée ne puisse s’y accoler (Gimenez, in

Chouvier, 2002). Cet auteur insiste sur

l’importance de la relance d’une « fonc-

tion métaphorique » sur soi et son exis-

tence - même courte ! -, apte à permettre

enfin l’introjection d’une problématique

restée alors en suspens, en attente d’un ré-

cepteur potentiel. L’objet de relation

donne aux interlocuteurs en présence l’es-

pace et le temps pour explorer dans un

cadre qui se veut sécure – mais aussi fil-

trer et reconnaître - ce qui est là - en fili-

grane - touchant la problématique d’un

sujet (Gimenez, in Chouvier, 2002). Le

but de ce processus est ainsi de co-créer

un lieu permettant dans un premier temps

le partage d’une expérience sensorielle,

affective, cénesthésique puis de la trans-

former petit à petit en expérience de pen-

sée, rendant incongrue la part dévolue aux

impensés.

Il serait injuste, dans cette partie du tra-

vail, de ne pas mentionner Winnicott qui

a tant apporté à l’espace de jeu, à l’aire de

jeu à laquelle le travail avec les média-

tions se réfère, souvent de façon non ex-

plicite. En effet, ce que le médium permet

souvent - et avant tout - c’est un certain

plaisir du jeu au sens large, donnant l’oc-

casion à chacun de donner forme à ce qui

est d’abord informe, en soi, face à l’autre,

en l’autre et de commencer à pouvoir

amorcer une pensée – par le biais de sen-

sations, émotions, images brutes – sur ce

qui se passe en soi, dans son monde in-

terne, qui peut parfois se résumer à des

tensions à peine nommables, au-delà de la

sensation désagréable et douloureuse.

Mais, comme l’affirme Winnicott (1971),

c’est d’un état de non intégration de la

personnalité que peut surgir l’acte créa-

teur, porteur d’un sens en devenir. Et c’est

seulement si cette créativité trouve à être

réfléchie – comme le fait la mère miroir

dans les premiers temps de l’infans -

qu’elle pourra s’intégrer harmonieuse-

ment à la personnalité, de façon authen-

tique et pérenne, l’humain se donnant

ainsi la capacité de ressentir ce qu’il sent

vraiment. Pour ne pas paraphraser mala-

droitement Winnicott (p. 85, 1971), nous

préférons le citer in extenso : « c’est en

jouant et seulement en jouant que l’indi-

vidu, enfant ou adulte est capable d’être

créatif et d’utiliser sa personnalité toute

entière ; c’est seulement en étant créatif

que l’individu découvre le soi ».

Aspects théoriques portant sur la photographie

L’appareil photographique est l’instru-

ment de familiarisation, d’assimilation et

d’appropriation du monde le plus efficace

que l’être humain ait jamais mis à son ser-

vice et le champ de la photographie cons-

titue également un terrain très favorable

pour travail d’introjection psychique et de

symbolisation sensori-affectivo-motrice

et verbale, étant en continuité immédiate

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 96

avec la vie psychique. L’ensemble des

gestes par lesquels le preneur de vue se

déplace, se rapproche ou s’éloigne de son

objet, participe à l’opération de symboli-

sation de l’évènement, sur un mode sen-

sori-affectivo-moteur.

Le cadrage participe plus particulièrement

à la mise en forme et à l’appropriation

symbolique du monde de façon certaine.

Le travail de développement et de tirage

des images confronte en effet le "tireur" à

une fabrication de la représentation du

monde, représentation qu’il a choisie de

privilégier. Ne montrant qu’un fragment

de la réalité, la photographie nous renvoie

alors le fait que le monde n’est pas non

plus semblable à l’image que nous en

avons ou que nous souhaitons.

Chaque acte photographique s’intrique

dans deux d’ensembles d’opérations psy-

chiques, à la fois contradictoires et com-

plémentaires, de coupure (de flux lumi-

neux, fermeture de la lentille) de capture

(l’ombre, la lumière, l’image) d’une part,

d’ouverture-connexion (la connexion a-

vec le monde permet le geste de coupure,

psychique et physique, qui fixe l’ima-

ge) d’autre part.

L’ensemble de ces différentes étapes éta-

ye la certitude du photographe d’être pré-

sent au monde de la même façon que les

premiers traits de l’enfant étayaient sa

certitude d’être psychiquement présent

pour la figure maternelle. Enfin, au mo-

ment où l’on regarde la photographie,

s’ajoute, en règle générale, la symbolisa-

tion verbale à la symbolisation sensori-af-

fectivo-motrice. Parler autour d’une pho-

tographie mobilise les processus de sym-

bolisation propres à chacun(e).

Certaines des expériences soumises à

l’assimilation par la photographie

sont partagées par l’ensemble des êtres

humains. D’autres, au contraire, sont par-

ticulières à chaque individu et à chaque

groupe. Certaines sont liées à des conflits

entre désir et interdit, des évènements

traumatiques, un sentiment de honte ou de

culpabilité ou des secrets appartenant aux

générations précédentes alors que d’au-

tres ne le sont pas. Ainsi, selon Barthes, le

noème de toute photographie renverrait,

au-delà du contenu anecdotique de

l’image, au questionnement central de

chaque spectateur sur ses propres ori-

gines, le “ça a été” de sa propre concep-

tion. Il est également possible que les

images témoignent d’expériences diffi-

ciles à introjecter, et sont à peine regar-

dables. Il semble que, dans ces cas, le pro-

cessus de symbolisation sensori-affec-

tivo-moteur mis en jeu dans le moment de

la prise de vue ait alors été suffisant.

Conclusion

Notre objectif, dans le cadre de cette pré-

sentation et du présent article, était de pro-

poser et mettre en pratique un alliage -

heureux espérons-le - entre le soin et la

photographie, plus particulièrement dans

le cadre de notre Centre d’Intervention

Thérapeutique de l’Enfance, à Lausanne.

Il nous importait de pouvoir tenter une

théorisation générale des éléments psy-

chiques qui sont en jeu dans le contexte

d’un tel atelier, mettant alors l’accent sur

les processus et leur développement plu-

tôt que sur tel ou tel aspect trop techniciste

à notre goût. L’atelier photographique a,

en tout cas, pleinement sa place dans un

centre tel que le nôtre, donnant alors l’op-

portunité aux patients mais aussi aux soi-

gnants de se rencontrer de manière peu

formelle autour d’un média à même de

susciter des réactions diverses et variées,

au-delà de toute stigmatisation psychopa-

thologique. C’est le corps, dans toute son

incarnation - et avec ses avatars - qui est

reçu dans cet atelier, véritable aire transi-

tionnelle de rencontre dans laquelle les

subjectivités se croisent et s’entrecho-

quent parfois, donnant alors lieu à des

étincelles riches en découverte de soi, des

autres et de soi en présence des autres. Un

tel espace peut aussi donner la possibilité

à un enfant ou à un jeune adolescent de

rêver son corps, de virtualiser des possibi-

lités non encore advenues ou plus simple-

ment non réalisables afin d’appréhender

progressivement ce qui relève de l’imagi-

naire et ce qui revient à la réalité, de sentir

plus finement que les désirs ne peuvent

pas tous prendre forme dans l’instant et

que la transformation, le fait de grandir,

est un processus sur le long terme. Tel

peut être l’une des métaphorisations

propres à cet atelier photographique.

Si le ‘voir” permis par la photographie fait

sans aucun doute appel à la pulsion sco-

pique avec toute la charge libidinale et /

ou agressive qu’elle peut entraîner et dé-

chaîner, l’appareil photo permet égale-

ment de mettre un tiers entre soi et

l’image qui en est rendue, permettant

donc d’aborder certaines problématiques

liées à la chair et à la psyché au sens large

au travers d’un filtre, de façon pare-exci-

tante. Cette mise à distance entraîne ainsi

la possibilité d’un espace ludique et expé-

rientiel qui va favoriser l’émergence de

processus créatifs dont l’une des finalités

serait de pouvoir appréhender certains as-

pects de soi et du monde avec davantage

de sécurité, de confiance et peut-être de

force. Ainsi donc, l’atelier photogra-

phique participe - au sein d’une large pa-

lette d’ateliers - à favoriser, mettre en jeu

ce qui est du ressort de la symbolisation

sensori-affectivo-motrice, symbolisation

première sur laquelle se construiront la

symbolisation primaire et secondaire, au

fil des expériences de la vie, des ren-

contres, des hasards et des reprises inéluc-

tables. Cet atelier est alors une « petite

pièce » parmi d’autres donnant toute sa

vitalité et sa force à la co-construction

d’un sujet en devenir, dont les avatars

psycho-affectifs et / ou développemen-

taux l’ont amené à être pris en charge dans

notre centre, entre créativité et lucidité.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 97

Introduction

Un an avant d’établir nos quartiers aux

pieds du magnifique château de Caen,

nous avons pris connaissance de l’argu-

mentaire de ce 43ème colloque des hôpi-

taux de jour.

Si nous étions déjà coutumiers de la ma-

nière toute singulière que les normands

ont de répondre aux questions, nous avons

agréablement découvert leur remarquable

aptitude à questionner.

Ainsi, derrière une réflexion qui nous était

annoncée comme triviale, nos collègues

caennais nous ont en fait dirigés dans un

mouvement interrogatif vers les fonde-

ments même de l’hôpital de jour et l’iden-

tité propre de chacune de nos institutions.

« Multiples dénominations pour une ten-

sion entre programme, adaptabilité et

créativité » ...

Il n’en fallut pas plus, effectivement, pour

que, suite au questionnement de notre dé-

nomination, nous entreprîmes un travail

réflexif de fond sur notre identité.

« Qui sommes-nous ?»

De la sorte, pouvions-nous résumer notre

compréhension globale de la question qui

nous était posée à travers l’argumentaire

de ce colloque caennais ?

Cette question fondamentale, nous avons

souhaité l’aborder au travers d’un raison-

nement capable de figurer tant la com-

plexité de notre existence institutionnelle

que la pluridisciplinarité de notre travail

au quotidien. Ainsi sommes-nous partis, à

l’instar d’Erikson, dans une quête intros-

pective de notre identité au travers de cinq

axes privilégiés capables de relever ce

défi figuratif lors de notre atelier pour ce

43ème colloque des hôpitaux de jour.

Nous proposons donc ici de reprendre ce

raisonnement et de déployer notre pensée

selon ces cinq pôles.

Le questionnement fondamental pouvant

se résumer par « Qui sommes-nous ? »,

nous aborderons un premier axe que l’on

pourrait identifier à l’aphorisme suivant :

« D’où venons-nous ? ».

Au travers de cette interpellation, nous in-

troduirons la question de l’Histoire. Sans

résister aux plaisirs poétiques de la my-

thologie, nous commencerons par une

présentation succincte du Dieu antique Ja-

nus que nous avons choisi comme guide

pour notre aventure réflexive. Ce bref

aperçu de notre Histoire commune sera le

prélude à un développement plus abouti

sur notre Histoire institutionnelle avec un

intérêt particulier porté sur les éléments

historiques conditionnant notre pratique

psychiatrique actuelle.

Le deuxième pôle réflexif s’établira sur

l’aphorisme « Que pensons-nous que

nous sommes ? ». Il sera ici question de

notre philosophie de soins. Nous rendrons

compte du travail d’analyse de cette phi-

losophie, auquel nous nous sommes atte-

lés en nous basant sur l’ouvrage récent de

notre confrère, le Dr Jean-Louis Feys.

Concernant le troisième pôle, et reprenant

avec Roussillon les étapes du développe-

ment psycho-sexuel des individus, nous

rappellerons que la structure œdipienne,

point culminant de ce développement, ar-

ticule la question de la différence des

sexes et la question de la différence des

générations. Nous conviendrons égale-

ment que l’identité, sujet de notre propos,

se forge au chiasme de ces deux diffé-

rences et de leur articulation. (Roussillon

R., 2007)

Transposant la théorie métapsycholo-

gique à l’échelle institutionnelle, nous re-

tiendrons l’importance accordée à la

question de la différence, qui implique

une nécessaire altérité. Nous développe-

rons donc une réflexion concernant notre

identité par rapport aux autres structures

de jour ; et tout particulièrement la singu-

larité de notre hôpital de jour semi-inten-

sif - l’Envol - par rapport à son binôme

intensif - Goéland -.

Janus, Dieu antique tourné à la fois vers le passé et vers l’avenir, sera la figure représentative de la réflexion d’équipe que nous avons entrepris dans le cadre de ce 43ème colloque des hôpitaux de jour et que nous retranscrivons ici sous forme d’article. Cette réflexion s’est construite sur deux piliers principaux. Le premier pilier est bien entendu l’argument de ce 43ème colloque qui, derrière une question présentée comme triviale, interrogeait en fait l’essence même de notre existence institutionnelle de jour. Le deuxième pilier de notre réflexion est l’ouvrage récent du Dr Jean-Louis Feys, « Quel système pour quelle psychiatrie ? », qui constitue un effort remarquable et sans précédent de clarification épistémologique des systèmes de pensées philosophiques caractérisant le soin en psychiatrie. « Qui sommes-nous ? ». Voici donc la question essentielle que nous développons dans notre article au travers d’une quête d’identité institutionnelle introspective. Nous avons tenté que cette dernière représente tant notre complexité existentielle que notre travail en pluridisci-plinarité. Notre démarche introspective aborde donc successivement des aspects historiques, philosophiques, politiques, pratiques et créatifs pour tenter de figurer le développement de notre service de jour et ses mutations récentes qui, d’un outil occupationnel, l’ont transformé en un outil médical psychiatrique complexe visant des objectifs affirmés de réinsertion sociale.

Mots-clefs : hôpital de jour, désinstitutionalisation, système, humanisme, liberté, nosographie, modèle, droits du patient, psy-chose, loi

Janus or mutations in a day hospital: the paradox of the cats’ women

Janus, ancient God oriented towards both the past and the future, will be the representative figure of the team-reflection process we have undertaken as part of this 43th symposium of the Psychiatric Day Hospitals and that we transcribe here into an article. This thinking is built on two main pillars. The first pillar is of course the argument of this 43th symposium that, behind a question introduced as trivial, is in fact questioning the very essence of our day hospital existence. The second pillar of our thinking is the recent work of Dr. Jean-Louis Feys, “Which system for what psychiatry” which constitutes a remarkable and unprecedented epistemological clarification effort between the philosophical thoughts systems characterizing the psychiatric care. “Who are we? “. Here is the key issue that we develop in our article through an introspective search of institutional identity. Our answer to this question will try to represent the complexity of our existence as an institution and the diversity of our work as a team. Our approach therefore addresses successively historical, philosophical, political, practical and creative aspects trying to shape the development of our day service and its recent mutations, an occupational tool turned into a complex psychiatric medical tool targeting stated goals of rehabilitation.

Keywords: day hospital, deinstitutionalization, system, humanism, freedom, nosology, model, patient rights, psychosis, law

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 98

LES AUTEURS

Dr Jean-Benoît DESERT Joanne ARTUS Isabelle GODFRIN Viviane LOMBART Latifa MACHKOURI Dr Pierre GERNAY

Clinique Notre-Dame des Anges Rue Emile Vandervelde 67 4000 Liège Belgique

BIBLIOGRAPHIE

1. DAMIRON Ph ; (1842), Cours de philoso-phie : deuxième partie : Morale, Paris : Hachette

2. FEYS J.-L. (2014), Quel système pour quelle psychiatrie ?, ISBN 978-2-13-063208-5, Paris : Presses Universitaires de France

3. Guide vers de meilleurs soins en santé men-tale par la réalisation de circuits et de réseaux de soins, consultable à l’adresse http://www.psy107.be

4. HUME D. (1740), Traité de Nature Humaine et appendice, L’entendement, Garnier Flamma-rion / Philosophie, 1999, 433 pages

5. KEMPENEERS J.-L. (2004), Philosophie des soins et politique organisationnelle à la Cli-nique Notre Dame des Anges, Liège : Clinique Notre Dame des Anges

6. KEMPENEERS J.-L. (2014), Inauguration du nouvel Hôpital de jour au CHS N.D. des Anges, Liège : Clinique Notre Dame des Anges

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8. ROUSSILLON R., CHABERT C., CICCONE A. et al. (2007), Manuel de psychologie et de psy-chopathologie clinique générale, ISBN 978-2-294-04956-9, Issy-les-Moulineaux : Elsevier-Mas-son

9. ROUSSILLON R. (2013), Paradoxes et situa-tions limites de la psychanalyse, ISBN 978-2-13-062061-7, Paris : Presses Universitaires de France.

Imprégnés de la théorie œdipienne, nous

ferons précéder cette réflexion identitaire

par un développement théorique tradui-

sant les exigences surmoïques étatiques

incarnées dans les lois en matière de santé

publique. Nous transcrirons ensuite les

mutations que notre offre de soins de jour

a subies pour tenir compte du récent pro-

jet de Loi 107, en matière de soins en

santé mentale, établi dans notre pays en

2012.

L’aphorisme choisi pour cette partie sera

« Nous et les Autres, Nous et l’Etat », et

nous y rendrons compte de notre politique

appliquée.

A la suite de ces développements théo-

riques sur notre philosophie et sur notre

politique appliquée, nous exposerons

notre Pratique - « Que faisons-nous ? ».

Nous traiterons alors d’un cas clinique qui

nous éclairera sur les spécificités de notre

pratique et qui nous permettra, par un dé-

tour dans le paradoxe, d’établir des liens

entre théorie et pratique institutionnelles.

Notre dernier aphorisme, « Comment

nous repensons-nous ? », nous amènera

enfin, à travers un exemple concret, à

montrer comment notre pensée théorique

institutionnelle, qui se veut évolutive et

créative, peut nous conduire à matérialiser

des projets au quotidien.

D’où venons-nous ? Notre Histoire

Suivant Roussillon, nous aborderons cet

axe en nous basant sur le premier énoncé

fondamental de la métapsychologie psy-

chanalytique :

« Le premier énoncé - ce fut le premier

formulé par Freud - est que le signe, le

symptôme porte la trace d’un moment de

l’histoire passée, d’une relation, d’une si-

tuation ou d’un événement de celle-ci. »

(Roussillon R., 2007)

Nous pouvons relever ici la place majeure

attribuée par Freud à l’histoire de l’indi-

vidu dans son effort pour théoriser la mé-

tapsychologie.

A l’échelle d’une institution, il nous a

donc paru essentiel, même si partant d’un

raisonnement à l’inverse, de nous intéres-

ser à notre Histoire pour prétendre abor-

der notre existence, notre identité et notre

fonctionnement institutionnel. Si François

Mitterrand a pu dire qu’« un peuple qui

n’enseigne pas son histoire est un peuple

qui perd son identité », vous nous laisse-

rez probablement inférer qu’une institu-

tion qui entreprend une quête de son iden-

tité se doit d’analyser son histoire.

Par politesse, nous faisons précéder ce dé-

veloppement historique par une brève

présentation de celui que nous avons

choisi comme guide pour notre entreprise

réflexive, le Dieu Janus.

« Janus est le dieu romain des commence-

ments et des fins, des choix, du passage et

des portes. Il est bifron et représenté avec

une face tournée vers le passé, l’autre sur

l’avenir. Son mois, Januarius (Janvier),

marque le commencement de l’année

dans le calendrier romain. » (Wikipédia

citant Ovide, Les Fastes, 15 ap. J. C.)

Ainsi faites les présentations, nous pou-

vons entamer notre périple historique en

revenant sur les fondements mêmes de

notre institution et sur les évènements qui

ont marqué son développement ainsi que

celui de notre hôpital de jour.

En 1928, la Clinique Notre Dame des

Anges ouvre ses portes. Mère Marie Mag-

deleine, fondatrice de la congrégation, et

le Professeur Divry pour l’Université de

Liège, jettent les bases du premier hôpital

psychiatrique de Liège qu’ils voulaient

moderne et dynamique, à la pointe de la

recherche biomédicale.

D’emblée les valeurs d’accueil, chères à

la communauté chrétienne fondatrice, se

matérialisent en la volonté d’accepter

sans condition et discrimination sociale,

nationale et religieuse, tout patient en né-

cessité de soins. Le souci des familles est

également présent au cœur même des fon-

dements de l’hôpital.

Cette volonté transparait clairement dans

le projet des Pères fondateurs de la cli-

nique et que nous rappelle notre médecin

directeur, le Dr Kempeneers : « Accueillir

en leur sein les plus souffrants et les plus

rejetés, exemplairement les souffrances

psychiques, et les accompagner sans ju-

ger, quel que soit leur parcours de vie ».

(Kempeneers J.-L., 2004)

La prise en charge des pathologies les plus

complexes s’est, par ailleurs, d’emblée

transformée en un moteur d’innovations

qui ont été légion jusqu’à nos jours. Nous

en retraçons ici les plus marquantes. En

1943, la sismothérapie est introduite dans

la clinique par le Pr Jean Bobon. En 1953,

de nouveaux pavillons sont construits et

un nouvel outil diagnostic est introduit :

l’électroencéphalogramme. En 1958,

commence « l’inauguration des premiers

traitements efficaces sur les psychoses

hallucinatoires et délirantes, qui ont per-

mis de briser les chaînes de nombres de

nos patients et de leur ouvrir l’espoir d’un

après hors les murs ». (Kempeneers J.-L.,

2014)

Dans les années soixante, un atelier créa-

tif d’art-thérapie voit le jour et la psycho-

thérapie est introduite dans la clinique. Un

service social et un service de kinésithéra-

pie sont créés ainsi qu’un service d’ergo-

thérapie, d’abord occupationnel puis thé-

rapeutique. C’est également durant cette

décennie que le ministère nous accorde

une orientation psychiatrique définitive

pour deux cent trente lits.

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Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 99

Nous pouvons observer que la clinique a

toujours mis un point d’honneur à « adap-

ter ses outils aux nouvelles données des

sciences biomédicales, aux possibilités

nouvelles de désinstitutionalisation of-

fertes par les avancées chimiothérapeu-

tiques et psychothérapeutiques et les in-

novations en thérapie institutionnelle ».

(Kempeneers J.-L., 2014)

Par ailleurs, notre Clinique a compris de-

puis longtemps le phénomène de désinsti-

tutionalisation amorcé dès l’après-guerre

et s’accompagnant d’un effort d’écono-

mie demandé au secteur de la santé qui se

concrétisent actuellement dans le projet

107. Dans son discours pour l’inaugura-

tion de notre nouvel hôpital de jour, notre

médecin directeur revient sur les jalons

historiques de ce mouvement vers la dé-

sinstitutionalisation : « La clinique s’est

[...] rapidement tournée vers des solu-

tions alternatives à l’hospitalisation. En

1989, la clinique créait ses premières ha-

bitations protégées. En 1992, l’hôpital de

jour ouvrait ses premiers lits. La polycli-

nique devenait un outil d’orientation et

permettait d’affiner les indications d’hos-

pitalisation en vue d’éviter les hospitali-

sations superflues. Le mécanisme de post-

cure était organisé et utilisé intensive-

ment pour poursuivre en ambulatoire la

thérapie institutionnelle et rétrécir les du-

rées d’hospitalisation. Enfin, dès les pre-

miers moments, nous nous sommes empa-

rés du projet 107 pour déposer, dans le

même esprit, un projet intégré, avec une

proposition de réforme fondamentale de

notre institution, réforme qui ne se limi-

tait pas à la création d’équipes mobiles,

mais voulait s’inscrire dans un réseau de

soins étendu, pluraliste et multitâche, ca-

pable de s’articuler adéquatement aux

besoins multiples du patient et de la pre-

mière ligne. » (Kempeneers J.-L., 2014)

Ainsi exposés les repères de notre histoire

institutionnelle, nous voyons plus claire-

ment les évènements qui ont mené à la

naissance de notre hôpital de jour. Avant

de détailler les contours fonctionnels de

notre outil, il nous paraît indispensable de

caractériser le système de pensées qui lui

a donné sa forme par les décisions prises.

Que pensons-nous que nous sommes ?

Notre Philosophie

Encouragée par le Pr Jean Bertrand, la

lecture du récent et passionnant ouvrage

de notre confrère le Dr Jean-Louis Feys,

« Quel système pour quelle psychia-

trie ? », sur les systèmes philosophiques

en psychiatrie, nous a permis de porter sur

les fonds baptismaux de notre institution

une réflexion fondamentale sur la maladie

mentale et sur le soin en psychiatrie.

Une analyse détaillée de cet ouvrage nous

a permis d’entreprendre un travail de ré-

flexion, en équipe pluridisciplinaire, sur

la maladie mentale, la philosophie du soin

et le déterminisme en psychiatrie.

Ce travail d’analyse a pu aboutir à une

confrontation de la théorie développée par

l’auteur à nos propres représentations in-

dividuelles et à une riche discussion

d’équipe.

Au-delà des représentations individuelles,

nous avons entrepris un travail de con-

frontation de la thèse développée par le Dr

Feys à notre philosophie institutionnelle

et nous proposons de développer ici ce

travail.

Dans son introduction, le Dr Feys établit

le constat selon lequel « la psychiatrie ne

possède pas de fondement conceptuel

propre et que la pratique clinique y est

dominée, selon les époques et les régions,

par le bon sens, l’humanisme, la morale,

le paternalisme médical, les statistiques

ou le souci sécuritaire. La psychiatrie ne

serait qu’un conglomérat de sciences et

de disciplines. En résulterait un manque

de cohérence entre les principes explica-

tifs utilisés par les différents psychiatres

[...] » et donc un discrédit de leur propos

qui « [...] disqualifie politiquement la dis-

cipline et contrarie son enseignement. »

(Feys J.-L., 2014)

Le Dr Feys constate aussi que « Certains

auteurs auraient tenté une synthèse de

modèles dont le plus emblématique est le

modèle bio-psycho-social ». Mais ces mo-

dèles sont pauvres sur le plan épistémolo-

gique et ils ne résolvent pas la question

fondamentale de la psychiatrie, « Quelle

idée nous faisons-nous des phénomènes

psychiatriques ? ». De cette question en

découlent d’autres tout aussi impor-

tantes : « Quelles sont les lois qui permet-

tent de classifier ces phénomènes ? »,

« Quelles sont les lois qui permettent d’en

penser une causalité ? », « La classifica-

tion et la causalité laissent-elles une place

à la liberté de la personne ? ». » (Feys J.-

L., 2014)

Selon le Dr Feys, « nous occultons toute

question concernant les fondements de la

discipline et nous nous limitons à une pra-

tique qui a la prétention d’être globali-

sante. Or, nous finissons toujours par bu-

ter sur certaines questions telles que

celles de la responsabilité du patient. La

question de la responsabilité du patient

est inséparable de la question qu’on se

fait de la pathologie, qui elle-même déter-

mine la classification. Notre tentative d’y

répondre variera en fonction de notre

conception personnelle de la pathologie

en présence, même si, faute de fondement

épistémologique, c’est souvent le bon sens

supposé commun qui dicte la pratique cli-

nique. » (Feys J.-L., 2014)

L’hypothèse développée dans l’ouvrage

est celle-ci : « Tous ces courants et ten-

dances s’appuient, le plus souvent sans le

savoir, sur des épistémologies différentes

qui, toutes, se réfèrent à un système phi-

losophique déterminé. Derrière chaque

courant psychiatrique se cache un cou-

rant philosophique. Différencier et préci-

ser ces systèmes philosophiques permet

ainsi de clarifier les différentes tendances

rencontrées dans le champ de la psychia-

trie ». (Feys J.-L., 2014)

L’ambition de l’ouvrage s’ensuit. « Au-

delà de l’effort de clarification des diffé-

rents modèles rencontrés, il s’agit de ne

pas se limiter à une position relativiste (à

chaque modèle sa vérité) mais de claire-

ment et cliniquement prendre position

pour une conception intuitionniste des

soins psychiatriques. » (Feys J.-L., 2014)

La dernière partie de l’ouvrage entend dé-

velopper cette philosophie - la conception

intuitionniste - pour démontrer la domi-

nance de sa valeur épistémologique sur

les autres systèmes philosophiques.

Acquis au raisonnement et à la cause du

Dr Feys, l’enjeu est pour nous de nous as-

surer que notre pratique psychiatrique re-

pose bien sur cette philosophie intuition-

niste du soin en psychiatrie.

Afin de démontrer cette hypothèse nous

détaillons donc ici les éléments de la con-

ception intuitionniste du soin psychia-

trique telle que développée par le Dr Feys

afin de les comparer à la philosophie de

soin stipulée dans l’article rédigé par

notre médecin directeur en 2004 : « Phi-

losophie et politique organisationnelle à

la Clinique Notre-Dame des Anges ».

Le Dr Feys, se référant au philosophe

français Jules Vuillemin, établit une liste

exhaustive de six systèmes philoso-

phiques. De ces six systèmes philoso-

phiques, quatre sont des systèmes dogma-

tiques et deux sont des systèmes de l’exa-

men. Les systèmes dogmatiques ont ceci

de caractéristique qu’ils ne tiennent pas

compte, au contraire des systèmes de

l’examen, de la subjectivité de celui qui

est à la source de l’acte de connaissance.

Les symptômes psychiatriques sont de

l’ordre du relationnel. Il n’est donc pas

possible de les extraire d’une dimension

d’échange et de réflexivité pour les ins-

crire dans un système philosophique dog-

matique.

Des deux systèmes de l’examen, le scep-

ticisme mène à un relativisme qui renonce

à la notion de vérité, ce à quoi on ne peut

concéder. Seule la méthode intuitionniste

s’avère appropriée pour fonder la pratique

psychiatrique.

Toujours selon le Dr Feys, « au sein du

système intuitionniste une pathologie

n’existe pas en tant que telle. Il s’agit tou-

jours d’un diagnostic, d’un processus de

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 100

construction, d’un acte de connaissance

et de classification de la part du soignant.

Cet acte n’a de sens qu’à l’intérieur du

soin lors d’une rencontre avec le patient

et à partir d’une réflexion sur la pensée,

la définition et la classification. Accueillir

les troubles psychiatriques est le fonde-

ment de toute attitude thérapeutique. Etre

avec le patient ici et maintenant et l’ac-

compagner à partir de cette situation pré-

sente vers l’avenir, en lui ouvrant le

champ des possibilités. Ceci n’empêche

pas un traitement psychothérapeutique ou

médicamenteux mais ils sont secondaires.

C’est sur cette dimension de rencontre

(l’être avec l’autre) que reposent la thé-

rapie et le savoir médico-psychologique,

fait de connaissances médicales, pharma-

cologiques et de techniques psychothéra-

peutiques. Une telle situation n’est pos-

sible qu’à partir d’une conception intui-

tionniste du phénomène. Elle doit per-

mettre une méthode de construction avec

le patient qui laisse une possibilité à l’im-

prévisibilité et à l’improvisation. Le soi-

gnant peut se laisser porter par le mouve-

ment existentiel qui se manifeste par la li-

berté de sa relation avec son patient. »

(Feys J.-L., 2014)

Le Dr Feys conclut sur l’importance du

transfert qui nécessite l’abandon des lo-

giques de vérité propres aux systèmes

dogmatiques qui évoluent par ailleurs

sous le primat de la loi du tiers exclu1. Il

insiste sur l’importance d’intégrer l’équi-

voque comme part indissociable du dis-

cours du patient et la nécessité de prendre

appui sur ces équivoques afin de provo-

quer le mouvement et le changement.

Nous pouvons maintenant détailler les

principes fondateurs de notre institution

afin de nous assurer de la compatibilité

avec les caractéristiques de la philosophie

intuitionniste telle que développée ci-des-

sus. L’article développant la philosophie

des soins et la politique organisationnelle

dans notre institution prend appui sur

notre appartenance chrétienne pour déve-

lopper ses principes fondateurs résumés

ci-dessous.

- Le malade est une personne dont l’inté-

grité et le respect ne peuvent être amoin-

dris par le statut momentané de patient

- Au-delà du statut de thérapeute, cha-

rité, commisération et solidarité doivent

prendre le pas sur la technicité et la thé-

rapeutique

- Ce respect de la personne humaine doit

imprégner la relation thérapeutique et

implique une exigence de responsabilité

1 La loi ou principe du tiers exclu affirme la

disjonction d’une proposition p et de sa né-

gation non-p. Il faut choisir entre p et non-p : si l’une est vraie, l’autre est fausse. Un objet

existe ou n’existe pas sans autre possibilité.

réciproque et partagée, malgré la limita-

tion des ressources personnelles du pa-

tient, conséquence de la maladie psy-

chiatrique

- Les choix thérapeutiques doivent repo-

ser sur des valeurs humaines avant des

convictions scientifiques.

- Le souci du patient doit être au centre

de nos préoccupations, avec un souci

d’abnégation plus grand que celui d’une

activité économique quelconque

- Un souci concomitant doit exister con-

cernant la qualité de vie, l’épanouisse-

ment et le plaisir au travail de l’ensemble

de la communauté thérapeutique

Ce travail de synthèse de l’ouvrage du Dr

Feys et de l’article reprenant nos principes

fondateurs nous permet de conclure à une

cohérence manifeste sur l’importance ac-

cordée à la notion de Rencontre2, base et

préalable incontournable au soin psychia-

trique. Il nous permet, dès lors, de pouvoir

revendiquer la conception intuitionniste

comme système philosophique sous-ja-

cent à notre fonctionnement institution-

nel.

Conscient de notre système philoso-

phique, il nous appartient maintenant

d’envisager les applications décision-

nelles de ce système d’idées et leur agen-

cement en une politique appliquée.

Nous et les Autres, Nous et l’Etat Notre Politique Appliquée

Nous allons ici détailler comment nos

décisions théoriques, méthodiques et

pratiques nous positionnent dans le pay-

sage psychiatrique liégeois au cœur des

réformes politiques actuellement en cours

dans notre pays.

« L’objet social d’une clinique hospita-

lière est d’offrir, dans un cadre thérapeu-

tique efficace, au plus grand nombre, les

soins les plus adéquats à sa patientèle.

Les moyens mis en œuvre doivent corres-

pondre aux normes édictées par le pou-

voir subsidiant, et au-delà répondre à des

critères de qualités humaines et scienti-

fiques les plus performants possibles dans

un cadre de contraintes économiques qui

définit en grande partie la politique d’or-

ganisation des soins et des investisse-

ments. » (Kempeneers J.-L., 2014)

Ces “normes édictées par notre pouvoir

subsidiant” trouvent leur transcription la

plus formelle dans le Guide vers de meil-

leurs soins en santé mentale et plus légiti-

mement dans la déclaration conjointe du

24 juin 2002 des Ministres de la Santé pu-

Pour les systèmes dogmatiques, un énoncé

complet est vrai ou faux, sans alternative

possible. 2 Au sens du concept « Umgang » tel que dé-

veloppé par Viktor von Weizsäcker (1886 –

blique et des Affaires sociales sur la poli-

tique future en matière de soins de santé

mentale.

Cette déclaration prescrit neuf principes

de base qu’elle somme de respecter. Nous

proposons d’en dégager ici les éléments

essentiels afin d’expliciter plus loin com-

ment nous avons pu en tenir compte lors

de la conception de notre nouvel hôpital

de jour.

- Premier principe : la politique en ma-

tière de soins de santé mentale doit être

fondée sur les besoins du patient.

- Deuxième principe : la population de

patients sera subdivisée en groupes

cibles selon l’âge.

- Troisième principe : nécessité d’une

nouvelle organisation des soins de santé

mentale suivant les concepts de circuits

de soins ou de réseaux d’équipements de

soins ou de prestataires de soins.

- Quatrième principe : un point crucial

au sein d’un circuit de soins, de même

par-delà les limites des circuits de soins,

est la liberté de choix du patient et l’exer-

cice de ses droits. La responsabilité de la

continuité des soins au patient incombe

aux prestataires de soins.

- Cinquième principe : les soins doivent

de préférence être offerts dans un cadre

ambulatoire ou à domicile.

- Sixième principe : le réseau doit accor-

der de l’importance à la prévention, à

l’éducation et à la promotion des soins de

santé mentale.

- Septième principe : il faut encourager

la collaboration au sein des circuits.

- Huitième principe : les autorités con-

viennent de coordonner leurs politiques

respectives.

- Neuvième principe : la réforme préco-

nisée est fondée sur l’offre existante.

En reprenant un passage de l’exposé tenu

lors de l’inauguration de nos nouveaux

hôpitaux de jour, nous pourrons mettre en

exergue comment nous avons pu tenir

compte de ces principes dans la concep-

tion de ces deux nouveaux outils de jour :

« Il faut [...] que l’hôpital abandonne sa

fonction asilaire, à charge pour nos déci-

deurs de trouver des solutions alterna-

tives. Nous acceptons ce prérequis. Mais

l’hôpital psychiatrique a une fonction

beaucoup plus incontournable, c’est celle

de restauration des compétences sociales

minimales, nécessaires à la réinsertion. Si

nous définissons comme intensives les

fonctions diagnostiques et thérapeu-

tiques, centrées sur le contrôle des symp-

tômes florides, l’hospitalisation peut être

courte dans la plupart des cas. Mais nos

1957), médecin allemand ayant théorisé une

science de l’être vivant dans une démarche

typiquement intuitionniste.

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Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 101

équipes savent bien que c’est alors que

commence le vrai travail psycho-socio-

thérapique qui implique toutes les res-

sources pluridisciplinaires les plus poin-

tues. En dehors de la gestion de la crise,

souvent résolutive à long terme, pour

toute autre décompensation psychia-

trique, négliger cette phase est synonyme

de rechute rapide et in fine de chronicisa-

tion. Que l’on appelle ce travail : soin

semi-intensif, raison d’être des lits T, ou

fonction 3 du réseau en hôpital psychia-

trique, voilà qui est au fond de peu d’im-

portance. Mais nous savons que pour être

efficace ce travail nécessite les outils plu-

ridisciplinaires pointus [...]. Et le temps

nécessaire. Maximum 6 mois. Avant de

pouvoir passer la main à la fonction 1 ou

au CRF pour la réhabilitation socio-pro-

fessionnelle proprement dite. » (Kempe-

neers J.-L., 2014)

Nous voyons se dessiner ici les contours

de nos deux nouveaux hôpitaux de jour

dans une esquisse qui poursuit des objec-

tifs essentiels : la gestion intensive des

symptômes, une durée limitée en hospita-

lisation résidentielle, voire un court-cir-

cuit de cette dernière quand la situation le

permet mais aussi une efficacité de la

prise en charge ambulatoire, la poursuite

de projets individualisés, un travail en

pluridisciplinarité et l’ancrage au sein de

circuits et de réseaux de soins. Un hôpital

de jour est dit intensif, et il est baptisé

Goéland. L’autre hôpital de jour est décrit

comme semi-intensif, et il est baptisé

l’Envol.

Le Goéland est un lieu de mise au point

diagnostique et de mobilisation de

moyens thérapeutiques multidiscipli-

naires. Il s’adresse à toute personne ayant

besoin d’une prise en charge thérapeu-

tique brève (six semaines) et dont ses res-

sources lui permettent de rester dans son

milieu de vie.

L’Envol est un service accueillant des pa-

tients ayant besoin d’un encadrement mé-

dico-psycho-social en vue d’accroître leur

autonomie et de favoriser leur réinsertion

tout en les maintenant à domicile. La du-

rée d’hospitalisation y est limitée à un

maximum de six mois.

Notre équipe travaillant majoritairement

dans l’hôpital de jour semi-intensif l’En-

vol, nous proposons maintenant de vous

présenter un cas clinique qui permettra de

mettre en évidence le fonctionnement de

notre outil.

3 Ce cas clinique très félin nous a, par asso-

ciations, amenés à réfléchir sur l’expérience du chat de Schrödinger que nous détaillons

ici : Erwin Schrödinger, physicien, philo-

sophe et théoricien scientifique autrichien, imagina en 1935 une expérience de pensée

dans laquelle un chat est enfermé dans une

boîte avec un dispositif qui tue l’animal dès

Que faisons-nous ? Notre Pratique : Le paradoxe de la

femme aux chats

Reprenant Roussillon dans l’introduction

de son ouvrage « Paradoxes et situations

limites de la psychanalyse » nous pou-

vons dire que « En chauffant à blanc la

situation psychanalytique, les formes du

transfert paradoxal qui s’y déploient

alors amènent celle-ci à expliciter ses

conditions de possibilité. » (Roussillon

R., 2013)

Poursuivant notre logique d’application

de la pensée métapsychologique à

l’échelle institutionnelle, nous choisis-

sons donc de vous exposer un cas clinique

difficile qui questionnera les limites théo-

riques des outils décrits ci-avant pour in-

sister sur l’indispensable réflexion qui

doit subsister à la manœuvre de ses outils.

Volontairement, notre description cli-

nique éclipsera les aspects anamnestique,

sémiologique et thérapeutique pour faire

la part belle aux enjeux de l’hospitalisa-

tion de jour et pour mettre en exergue

l’application concrète des réflexions phi-

losophiques et politiques développées ci-

avant.

La patiente est âgée de soixante-et-un ans.

Elle est célibataire et sans enfant. Elle est

la deuxième d’une fratrie de trois enfants.

Sa sœur aînée est son administrateur de

biens et a été notre unique allié familial

durant la prise en charge.

Elle souffre d’un trouble psychotique de-

puis quarante ans, un diagnostic de schi-

zophrénie ayant été posé lorsqu’elle était

âgée de vingt-et-un ans.

Originaire de Bruxelles, un délire enva-

hissant de persécution l’a poussée à démé-

nager à Liège début 2014.

Alertées par le voisinage de la patiente

suite à des troubles du comportement de

cette dernière sur la voie publique, les

forces de police sont intervenues pour que

la patiente puisse, en urgence, être éva-

luée par un psychiatre. Le délire agissant

a pu être objectivé par les psychiatres des

urgences, la patiente expliquant devoir

courir après ses chats bien-aimés sous

peine qu’ils ne soient agressés par des

turcs malfaisants.

Suite à cette prise en charge au service des

urgences, la patiente accepte un suivi par

une équipe mobile de soins psychia-

triques. Elle n’acceptera de participer

qu’à trois entretiens avant de marquer son

qu’il détecte la désintégration d’un atome

d’un corps radioactif. Si les probabilités in-diquent qu’une désintégration a une chance

sur deux d’avoir lieu au bout d’une minute,

la mécanique quantique indique que, tant que l’observation n’est pas faite, l’atome est

simultanément dans deux états (intact et dé-

sintégré). Or le mécanisme imaginé par

refus de prise en charge dans une opposi-

tion qui aboutira à une hospitalisation

sous contrainte légale.

Elle est admise dans un service résidentiel

de notre clinique où elle est prise en

charge par un des psychiatres de notre ins-

titution.

Deux mois plus tard, la patiente est trans-

férée dans notre hôpital de jour semi-in-

tensif l’Envol. Si les règles théoriques

sous-jacentes au fonctionnement pratique

de notre hôpital de jour semi-intensif, ex-

plicitées plus haut, sous-entendent qu’un

transfert survient lorsque la symptomato-

logie est maîtrisée, tel ne fut pas le cas

pour notre patiente. En effet, aucun des

traitements chimiothérapeutiques instau-

rés ne parvint à juguler le processus déli-

rant en cours chez cette patiente.

C’est en fait le paradoxe à l’œuvre dans

cette situation clinique qui nous a poussé

à activer notre créativité thérapeutique

pour tenter de répondre à cette impasse

clinique avec comme aboutissement un

transfert dans notre hôpital de jour.

Le paradoxe se cristallise dans l’inadé-

quation fondamentale entre le soin requis

par la situation et le caractère néfaste de

ce dernier.

En effet, l’état clinique de cette patiente

est tel qu’un soin a été imposé juridique-

ment en réponse à son refus de prise en

charge. D’autre part, l’intensité de la

symptomatologie nécessite assurément

une prise en charge hospitalière. Cepen-

dant, la patiente, fortement isolée sociale-

ment, semble avoir établi un attachement

sans commune mesure envers ses chats

qui comblent son domicile comme son es-

prit. Toute mise à l’écart de ces derniers

est donc vécue comme une atteinte persé-

cutrice à la raison de vivre de la patiente

dont le vécu subjectif paranoïde ne fait

que s’intensifier.

Cette situation clinique nous a ainsi placés

face à un dilemme que nous n’aurions ja-

mais pu dépasser en usant d’une pensée

dogmatique, mais qu’une pensée intui-

tionniste nous a permis de solutionner.

La question qui nous était posée était ef-

fectivement « comment être et ne pas être

hospitalisée ? ».

Une approche dogmatique nous aurait

probablement poussés à choisir de ma-

nière univoque entre ces deux proposi-

tions.

Mais si Schrödinger a pu mettre en évi-

dence dans sa célèbre expérimentation3

Schrödinger lie l’état des particules radioac-

tives à l’état du chat (mort ou vivant), de sorte que le chat serait simultanément dans

deux états (l’état mort et l’état vivant),

jusqu’à ce que l’ouverture de la boite (l’ob-servation) déclenche le choix entre les deux

états.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 102

qu’un chat pouvait être conceptuellement

tout à la fois mort et vivant, être et ne pas

être, il nous appartenait de trouver une

prise en charge qui permettrait à notre

« femme aux chats » d’être hospitalisée

sans l’être. Cette solution équivoque,

nous avons pu la concrétiser par une prise

en charge dans notre hôpital de jour.

Dans notre cas clinique, la prise en charge

de jour est clairement le fruit de l’imagi-

nation d’une pensée clinique et institu-

tionnelle fondamentalement intuitionniste

par son acceptation de l’équivoque et son

refus de la loi du tiers exclu (p et non-p ne

sont pas les seules propositions pos-

sibles).

Par une adaptation de notre politique de

fonctionnement, nous avons ainsi choisi

de prendre en charge dans notre hôpital de

jour cette patiente à la symptomatologie

active. Ce faisant, nous avons ainsi pu

prendre en considération son vécu subjec-

tif paranoïde en évitant corollairement la

position de persécuteur dans laquelle cette

situation clinique plaçait chacun des soi-

gnants actifs dans cette prise en charge.

C’est donc bien le transfert qui, au-delà de

toute position dogmatique sur la maladie

mentale, fut le moteur de cette prise en

charge.

Une fois dépassée cette impasse thérapeu-

tique, notre travail a pu se focaliser sur les

objectifs de réinsertion inhérents à la mis-

sion thérapeutique de notre structure de

jour. La volonté d’inscription de notre ac-

tion dans un réseau et des circuits de

soins, telle que préconisée par les recom-

mandations officielles susmentionnées, a

pu se matérialiser au cours de plusieurs ré-

unions extra-institutionnelles pluridisci-

plinaires visant à réunir la patiente, son

entourage familial et son réseau de pre-

mière ligne (maison médicale de quartier,

aides sociales, infirmières à domicile) afin

de renforcer les liens entre ces différents

acteurs.

La patiente a ensuite pu quitter notre ser-

vice après une hospitalisation d’une durée

de six mois pour réintégrer complètement

son domicile, conformément à ses at-

tentes, mais tout en bénéficiant d’un ré-

seau de soin de première ligne qui a pu

être considérablement renforcé par notre

prise en charge.

Comment nous repensons-nous ?

Notre créativité

S’il est vrai qu’on ne puisse bien vivre en ce

monde sans songer sérieusement à l’autre, si le présent même le meilleur ne vaut que par cet

avenir, comme le réel ne vaut que par l’idéal, la

vertu par la sainteté, la perfection de la terre par la perfection du ciel ; Si le commencement n’a

de prix que par la fin qui le couronne, si, en un

mot, notre grande affaire est de vivre pour mou-rir, c’est à dire pour revivre, et pour suivre, en

passant du temps à l’éternité, de l’ordre de

l’épreuve à celui de la justice, le cours de notre destinée ; la philosophie, qui, ainsi que je l’ai

dit, a charge d’âmes comme la religion, n’a pas de devoir plus sacré que de s’occuper de ces

questions, non pas sans doute pour les agiter

précipitamment et sans règle, mais pour les

aborder à leur rang, au terme, et non au début

de ses sérieuses recherches, avec les précau-

tions, les soins et le respect qu’elles méritent. Ph Damiron

Cours de philosophie volume 2

page 475-476

Vivre pour mourir... Etre et ne pas être...

Etre et ne pas être hospitalisé... Etre et ne

plus être hospitalisé.

D’un paradoxe à un autre, notre pensée est

ainsi inlassablement mise au défi de

mettre du sens dans l’absurde. Ainsi, par-

tant qu’une hospitalisation à l’hôpital de

jour n’a d’autre but que de quitter l’hôpi-

tal, notre équipe n’a pourtant de cesse de

s’interroger sur ce qui crée et nourrit le

lien thérapeutique momentané dans ce

qu’il a de plus concret.

Comme annoncé dans notre introduction,

il nous est essentiel que notre réflexion

laisse transparaître de manière cristalline

l’importance que nous accordons au tra-

vail en pluridisciplinarité dans ses aspects

les plus abstraits comme les plus concrets.

C’est pourquoi nous souhaitons laisser la

place aux images pour exemplifier ce qui,

à l’instar de l’argument de ce colloque

peut paraître trivial, mais représente la

concrétisation d’un travail d’amélioration

de notre local de vie par notre personnel

et symbolise notre réflexion continue sur

l’accueil et le partage dans le lien.

Conclusion

Si le philosophe anglais David Hume a pu

dire que «(…) Former l’idée d’un objet et

former tout simplement une idée, c’est la

même chose, puisque la référence de

l’idée à un objet est une dénomination ex-

trinsèque dont elle ne porte ni marque ni

caractère en elle-même », nous avons,

pour notre part, voulu relever le défi lancé

par ce 43ème colloque de marquer et ca-

ractériser notre dénomination.

Au terme de notre développement, nous

pouvons dès lors énoncer notre dénomi-

nation complète, « L’hôpital de jour semi-

intensif l’Envol de la Clinique Notre-

Dame des Anges », et inférer des caracté-

ristiques à partir de chaque mot et que

nous résumons ici.

- Le mot “Hôpital” renvoie, par la dia-

lectique Hôpital-Médecin-Maladie, à la

notion de prise en charge médicalisée et

de travail dans le champ de la maladie

mentale telle qu’elle a été définie dans le

chapitre sur la philosophie.

- Le mot “Jour” implique un engagement

en faveur de la “désinstitutionalisation”.

- “Semi-intensif” signale un rythme

propre caractérisé par une souplesse et

une adaptabilité.

- “Envol” souligne l’intérêt porté à la ré-

insertion et à l’intégration dans un réseau

social tourné vers l’extérieur.

- Enfin, l’annexion du nom “Clinique

Notre-Dame des Anges” garantit une

prise en charge s’inscrivant dans une

philosophie intuitionniste des soins.

Nous terminerons cet article en nous per-

mettant de marquer notre stupéfaction

suite à l’intervention du Docteur Rœlandt

lors de la séance plénière de ce 43ème col-

loque.

En toute humilité et suite à l’étude de

l’ouvrage de notre confrère le Dr Feys,

nous nous étonnons en effet que les re-

commandations préconisées par l’Organi-

sation Mondiale de la Santé en matière de

santé mentale ne semblent reposer que sur

un prétendu bon sens s’inspirant unique-

ment d’une comparaison statistique entre

différents pays. Les éléments de réflexion

sur la conception de la maladie mentale et

sur la politique des soins en matière de

santé mentale nous ont paru d’une grande

pauvreté.

Si dans la description de notre cas clinique

nous nous sommes targués d’avoir pu

court-circuiter une hospitalisation à temps

complet grâce à notre prise en charge de

jour, il n’en reste pas moins que le par-

cours psychiatrique de cette patiente a

quand même nécessité, et à bon escient,

une prise en charge temporaire à temps

complet. Il nous semble donc que la poli-

tique aveugle de fermeture de lits en psy-

chiatrie, préconisée par l’Organisation

Mondiale de la Santé, ressort d’un déni de

la maladie mentale dont les conséquences

sont aussi délétères qu’une politique op-

posée, d’enfermements arbitraires, pour-

rait l’être également. Il nous semble que

Page 103: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Janus ou les mutations d’un hôpital de jour : Le paradoxe de la femme aux chats

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 103

seule une réflexion profonde et continue

puisse permettre de trouver, entre ces

deux positions dogmatiques, une position

juste et équivoque dans la question de

l’hospitalisation des malades mentaux.

Nous nous réjouissons dès lors d’apparte-

nir à un Groupement qui, malgré cette

mouvance politique actuelle peu consis-

tante, nous encourage continuellement à

réfléchir à notre pratique.

Nous exprimons enfin notre satisfaction

que ce 43ème colloque des hôpitaux de jour

nous ait permis cette aventure introspec-

tive institutionnelle. Nous avons souhaité

que ce travail réflexif tende vers une cer-

taine globalité. Toutefois, une telle dé-

marche introspective institutionnelle ne

pourrait prétendre à une forme d’exhaus-

tivité, si tant est qu’il en soit possible,

qu’en abordant les enjeux inconscients de

notre fonctionnement.

Un tel développement nécessiterait un ar-

ticle à part entière et nous nous réjouis-

sons donc que le colloque de l’année pro-

chaine nous permette d’aborder en partie

cet aspect du fonctionnement institution-

nel par son questionnement sur la division

du pouvoir au sein des équipes, compor-

tant nécessairement des enjeux incons-

cients.

Page 104: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 104

Introduction

Un long chemin a été parcouru dans le

service ambulatoire du service de psy-

chiatrie adulte à Genève, depuis la créa-

tion d’un hôpital de jour dans les années

1970 jusqu’à l’actuel Programme de Jour.

Inspirée par le thème de ce colloque,

l’équipe du Programme de Jour du secteur

Servette a tenté de revisiter sa courte et ré-

cente histoire en s’interrogeant sur les dif-

ficultés rencontrées dans la création d’une

identité de soignant œuvrant dans un hô-

pital de jour. En découle une réflexion sur

les conditions nécessaires à l’émergence

d’un sentiment d’appartenance à un

groupe thérapeutique chez les soignants,

et à ses répercussions sur le groupe de pa-

tients.

A Genève, les programmes de jour en

psychiatrie adulte ont été en activité dès

les années septante puis interrompus à

l’aube des années 2000.

Depuis près de 2 ans, ils participent à nou-

veau à l’offre de soins de nos structures

ambulatoires. Différentes interrogations

sont apparues au cours de leur processus

de reconstruction : dans quelle filiation

s’inscrivent-ils après quinze ans d’inter-

ruption d’activité ? Comment construire

une identité de soignants de Programme

de Jour après plusieurs années pendant

lesquelles les centres de crise étaient à

l’avant-plan des soins ambulatoires à Ge-

nève ?

Nous verrons dans cet atelier quels ont été

les modèles prédominants dans le passé,

quelles évolutions nous nous sommes ef-

forcés de développer et les écueils qui en

ont découlés. Actuellement, le Pro-

gramme de Jour offre une prise en soins

qui se veut singulière et adaptée à la psy-

chopathologie de chaque patient. Une at-

tention particulière est donnée à cette no-

tion de singularité, tout en veillant à ce

qu’une dynamique groupale puisse émer-

ger et permettre à chacun de ressentir un

sentiment d’appartenance ayant souvent

fait défaut dans sa trajectoire de vie.

Retour sur l’Histoire

A partir de 1970 jusqu’à 1983 se met en

place une ébauche d’Hôpital de Jour sur

Genève pour pallier au manque de struc-

tures intermédiaires entre l’hospitalier et

les consultations ambulatoires. Il fait donc

office de lieu de transition entre l’hôpital

et les soins communautaires usuels. Ce

changement est inspiré par le mouvement

de désinstitutionalisation qui se déploie à

cette époque dans toute l’Europe ainsi

qu’aux Etats-Unis (Basaglia, 1970 ; Ross-

man-Parmentier, 1984). L’hôpital de jour

se voulait un lieu d’accueil et d’expéri-

mentation de nouvelles approches théra-

peutiques d’inspiration psychodynamique

et visait à favoriser le processus d’autono-

misation de chaque patient, entravé ou

mis à mal par l’émergence d’un trouble

psychique.

Dès 1983, l’hôpital de jour s’agrandit et

se dénomme Centre de Thérapie Brève

(CTB). Il réunit en un même lieu un centre

de crise et un hôpital de jour. L’Hôpital de

Jour se structurait comme un lieu de tra-

vail thérapeutique avec un horaire précis

dans lequel différentes activités devaient

permettre au patient un réentraînement

progressif à la vie en société. Le modèle

systémique s’impose peu à peu comme

une nouvelle référence théorique. Ainsi

tout patient était reçu avec son entourage

pour l’élaboration d’un projet thérapeu-

tique commun. La famille du patient était

considérée comme un partenaire de soin

incontournable, et la dynamique familiale

indissociable de la compréhension et de

l’accueil du symptôme. L’institution s’ex-

porte de plus en plus dans la ville et se

transforme peu à peu en un lieu de travail

et d’entraînement où le patient va em-

ployer “ses collègues patients” et l’équipe

soignante jour après jour afin de (re)trou-

ver certaines capacités, de développer des

liens sociaux et/ou d’initier des projets

d’activité ou de formation (Barrelet,

1983, 1987). Initialement les soins étaient

adressés aux jeunes patients souffrant de

troubles psychotiques pour finalement

Les soins en hôpital de jour en psychiatrie adulte à Genève ont commencé en 1974 pour s’interrompre en 1998. Presque 15 ans se sont écoulés avant la remise en place en janvier 2013 de ces programmes de soins dans les différents secteurs du service de psychiatrie adulte. La réinstauration de ce type de prise en charge a pour but d’offrir des soins ambulatoires intensifs et au long cours à des patients souffrant de psychopathologies graves et chroniques qui multipliaient les hospitalisations dans un phénomène de “porte tournante”. La création du Programme de Jour au Centre Ambulatoire de Psychiatrie et de Psychothérapie Intégrées (CAPPI) de la Servette est passée par différentes étapes. Le processus de construction d’un cadre thérapeutique a en effet buté contre différents écueils chez les soignants dont nous pûmes observer les résonances auprès de nos patients. Par le présent travail, nous aimerions mettre l’accent sur les conditions d’émergence au fil du temps d’un sentiment d’appartenance à une entité groupale, tant chez les soignants qu’auprès des patients. Ce document vise également à reporter comment la constitution d’une identité thérapeutique a finalement permis de partir à la recherche d’une filiation conceptuelle dans le contexte d’une histoire institutionnelle complexe et marquée par la discontinuité.

Mots-clefs : hôpital de jour, programme de jour, centre de crise, sentiment d’appartenance, généalogie institutionnelle

Reflection on the history of day hospital programs at Geneva

The adult psychiatric day hospital program of Geneva began in 1974 and ended in 1998 undergoing a series of changes and modifications throughout this period. After a pause of almost 15 years, the programs were reinstated progressively in different sectors of the adult psychiatry program in Geneva in January of 2013. The reinstatement of these programs was designed to offer intensive outpatient and long-term care for patients with serious and chronic psychopathology who were being cared for at the time by crisis centers which were experiencing a multiplication of hospitalizations, also known as the “revolving door” phenomenon, with these patients. Since its inception, the adult psychiatric day hospital program at the Ambulatory Centre of Psychiatry and Psychotherapy (CAPPI) of the Servette district of Geneva passed through different stages during which the process of building a therapeutic setting stumbled against various pitfalls notably amongst the caregivers which resonated onto the patients. In this work we aim to describe the conditions that emerged over time that allowed for a sense of belonging to the group to develop for both the caregivers and the patients and how the creation of this therapeutic identity came into being despite the complex institutional history and often marked by discontinuity.

Keywords: psychiatric day hospital program, day program, crisis centre, sense of belonging, institutional genealogy

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Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 105

s’élargir à d’autres pathologies. Les soins

- essentiellement groupaux - étaient dis-

pensés de 9 h à 17 h du lundi au vendredi

(quatre groupes par jour et un repas théra-

peutique) et ponctués d’entretiens médi-

caux et infirmiers. Le programme de soins

se voulait le même pour tous, sans diffé-

renciation, et l’accent était mis sur leur ef-

fet structurant.

En 1997, les hôpitaux de jour sont fermés

en psychiatrie adulte suite à une restructu-

ration de l’institution. Les CTB en tant

que centres de crise ambulatoires, tout

comme les programmes spécialisés cen-

trés sur un type de pathologie spécifique

(trouble borderline, trouble bipolaire,

etc), prennent leur essor. S’inspirant des

centres de crise tels qu’ils ont été dévelop-

pés aux Etats-Unis, les CTB développent

une pratique clinique d’inspiration psy-

chanalytique et centrée sur la notion de

conflit intrapsychique réactualisé suite à

différents facteurs de crise (De Coulon &

Von Oberbeck Ottino, 1999 ; Andreoli et

al., 1986). Ces centres étaient destinés es-

sentiellement aux patients souffrant de

troubles de l’humeur ou de l’adaptation et

leur offraient une véritable alternative à

un séjour en hôpital psychiatrique (Bac-

chetta et al., 2009 ; Sentissi El Idrissi et

al., 2014, Dorsaz, 2006). En revanche, les

patients souffrant de pathologies psycho-

tiques ou de troubles graves de la person-

nalité nécessitant régulièrement des hos-

pitalisations y avaient peu accès (Bartolo-

mei, 2011).

La création de programmes de jour secto-

risés, début 2013, se veut une réponse à

une surcharge hospitalière croissante en

partie alimentée par un phénomène de

“porte tournante” particulièrement mar-

qué chez les patients souffrant de psycho-

pathologies chroniques, de désinsertion

sociale et échappant au concept de l’inter-

vention de crise focalisée et résolutive

(Sentissi El Idrissi et al., 2014). Ils font ré-

férence au modèle de psychiatrie commu-

nautaire et sont très centrés sur la réim-

mersion et le maintien du patient dans sa

communauté, au sein de la cité. Une inva-

lidité psychique peut être au premier plan,

souvent associée à de graves difficultés

d’adaptation au milieu socio-profession-

nel et conduisant à des isolements sociaux

conséquents. Ce modèle de soins s’étaye

sur la notion de réhabilitation, c’est-à-dire

la réalisation pour le patient d’une vie

pleine et significative, d’une identité po-

sitive fondée sur l’espoir et l’autodétermi-

nation. Le fonctionnement du Programme

de Jour est ainsi organisé pour que le pa-

tient soit un partenaire actif dans les soins,

ayant accès à un large dispositif thérapeu-

tique (Henzen, 2015 ; Baeriswyl-Cottin et

al., 2015).

Mise en place d’un Programme de Jour au CAPPI Servette de 2013 à

aujourd’hui : contre vents et marées

La remise en place des programmes de

jour dans le Service de Psychiatrie Adulte

découle, comme nous l’avons vu précé-

demment, d’une volonté institutionnelle.

Différents groupes de travail impliquant

les équipes soignantes de chaque secteur

se sont dès lors déployées au cours de

l’année précédant le début de leur activité

afin de jeter les bases d’un concept théra-

peutique dans lequel chacun puisse se re-

connaître. De ce fait, il n’existait pas de

modèle unique et défini pour tous les sec-

teurs du service.

Néanmoins, chaque Programme de Jour

devait répondre à des exigences com-

munes : être accessibles aux patients les

plus sévèrement touchés par la maladie

psychique en leur offrant une opportunité

de sortir de l’isolement dans lequel ils

étaient confinés, mais sans pour autant re-

créer des “poches d’exclusion organisées”

dans chaque secteur. Dans notre centre

ambulatoire, au cours de ces séances de

groupe de travail, différents fantasmes

groupaux émergent au fil des discussions.

Parmi ceux-ci principalement des peurs

d’intrusion voire d’annihilation des soi-

gnants du pôle crise : il est alors évoqué

que les patients chroniques pourraient ve-

nir en nombre “envahir” le centre et y de-

meurer toute la journée, que les soins de

crise disparaîtraient au profit du retour des

soins asilaires. En filigrane apparaissait

sans être nommée la menace d’une “ré-

institutionnalisation”.

D’un point de vue organisationnel, au mo-

ment de la création du Programme de Jour

dans le secteur Servette en janvier 2013,

deux infirmières à 130% et un médecin

chef de clinique sont attribués au pro-

gramme.

Toutefois, les infirmières ont de multiples

autres activités et le médecin rattaché au

Programme de Jour n’intervient que

ponctuellement auprès du groupe de pa-

tients, chacun d’entre eux ayant gardé son

médecin référent initial. Une réunion cli-

nique hebdomadaire entre soignants est

également mise en place : elle vise à favo-

riser la réflexion et l’échange sur ce nou-

veau type d’activité, et par là même l’ap-

propriation par les soignants de la nou-

velle identité thérapeutique qu’implique

cette activité. La répartition diagnostique

correspondait à seulement 27 % de

troubles psychotiques, contre 59 % de

troubles de la personnalité associés à des

troubles dépressifs récurrents, 9% de

troubles anxieux sévères (agoraphobies

LES AUTEURS

Athina PETSATODI cheffe de clinique Aline POCHON infirmière Françoise LEBIGRE infirmière Béatrice DELESSERT infirmière Martine GOURNAY infirmière Javier BARTOLOMEI médecin adjoint responsable de secteur

Hôpitaux Universitaires de Genève Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothé-rapie Intégrées (CAPPI) secteur Servette, Programme de Jour Rue de Lyon 89-91 1203 Genève Suisse

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 106

BIBLIOGRAPHIE (suite)

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ou TOCs) et 5% de troubles cognitifs.

L’ensemble de la cohorte (n = 22 pour les

derniers chiffres) présentait un retrait so-

cial sévère associé à un fort apragmatisme

et à une perte de motivation majeure. On

retrouvait sans surprise également des dif-

ficultés prononcées sur le plan relationnel,

avec une tendance à éviter toute forme de

contact social par manque de confiance et

d’estime de soi. La grande majorité des

patients bénéficiait d’une rente (pension)

d’invalidité et la tranche d’âge se situait

entre 30 et 65 ans.

Initialement, un seul groupe thérapeu-

tique est destiné uniquement aux patients

du Programme de Jour, qui est combiné à

un « Espace Accueil ».

Il s’agissait d’un groupe de parole ayant

pour objectif d’aider les patients à remo-

biliser leurs compétences sociales, à

structurer leur semaine et à pouvoir parta-

ger certains de leurs ressentis. Les patients

du Programme de Jour avaient par ailleurs

accès à l’ensemble des groupes thérapeu-

tiques proposés dans le centre ambula-

toire (plus d’une dizaine de groupes diffé-

rents, combinant groupes de paroles et

groupes à médiation). Il faut par ailleurs

mentionner qu’à l’époque, si la singularité

des soins proposés et la volonté d’ouver-

ture sur la cité vectorisaient le déploie-

ment de cette nouvelle activité thérapeu-

tique, les critères d’indication et les mo-

dalités de prise en charge (durée, objec-

tifs, outils psychométriques employés, in-

terface avec les autres programmes de

soins) n’étaient pas encore définis, ame-

nant un sentiment de confusion parmi les

soignants, et de manière similaire auprès

des patients.

Ceux-ci en réponse ramenaient diffé-

rentes interrogations : en quoi leurs pro-

jets de soins étaient-ils différents de ceux

des autres patients ? Quelle était la réalité

de leur statut de patient faisant partie du

Programme de Jour ? La volonté de faire

des soins “à la carte” contribuait proba-

blement au maintien d’un flou identitaire

et nos observations allaient dans le sens

d’un manque d’engagement de la part des

patients qui semblaient éprouver de

grandes difficultés à adhérer aux soins.

Parallèlement, les soignants du Pro-

gramme de Jour décrivaient le sentiment

que leur activité était peu reconnue par les

autres soignants du centre ambulatoire,

mais peut-être également peu reconnais-

sable du fait d’un manque de différencia-

tion par rapport aux autres activités théra-

peutiques proposées par leurs collègues.

Ils éprouvaient de ce fait certaines diffi-

cultés à se sentir appartenir à ce nouveau

programme. Après ces douze premiers

mois de vie, l’effectif infirmier est doublé,

tandis que le nouveau médecin respon-

sable commence à suivre en tant que réfé-

rent direct tous les patients inscrits dans le

programme. Une majoration du temps de

travail exclusivement consacré à ce sous-

groupe de patients est négociée par les

soignants tandis qu’un bureau leur est at-

tribué, aménagements qui pourraient être

lus comme une reconnaissance des be-

soins primaires d’espace et de temps d’un

groupe de soignants émergeant. Un senti-

ment d’appartenance semble peu à peu

naître et il est observé en écho de la part

des patients un plus grand investissement

du seul groupe thérapeutique spécifique

existant. Notre prise de conscience de

l’importance d’éprouver un tel sentiment

alimente alors une volonté de développer

également notre cadre thérapeutique sur

ces dimensions d’espace et de temps. Se-

lon Neuburger (2012), la construction de

notre sentiment d’exister dépend essen-

tiellement des relations que nous établis-

sons avec les autres et celles que les autres

établissent avec nous, ainsi que nos appar-

tenances à des groupes qui nous recon-

naissent et nous acceptent. Nous mettons

ainsi l’accent sur le développement de

l’appareil groupal spécifiquement pro-

posé aux patients du Programme de Jour

afin de renforcer le sentiment d’exister

mutuel entre patients et soignants, per-

mettant également de clarifier les fron-

tières avec les autres programmes de soins

dans un mouvement de différenciation.

Parmi ceux-ci on retrouve :

1. Le groupe « Eveil Corporel » conduit

par une psychomotricienne et une infir-

mière du programme qui a pour objectif

d’aider les patients à prendre conscience

de leur état du moment, dans leurs sen-

sations, leurs tensions, leurs émotions,

ainsi qu’apprendre à se relâcher, respi-

rer, se mobiliser et trouver de l’énergie

au travers d’exercices de centration et

d’activation corporelle.

2. Le groupe « Espace et Découvertes »

animé par deux infirmières du pro-

gramme. Le nom du groupe a été défini

par les patients et les principes de son

fonctionnement ont été élaborés avec

eux afin de mieux répondre à leurs be-

soins. Il vise ainsi à les accompagner

dans une redécouverte de la cité, dans un

mouvement de réappropriation de la

ville, faisant parfois suite à de longues

années d’isolement. Il s’inscrit dans cette

volonté déjà nommée de maintenir un

contact permanent avec l’extérieur afin

d’éviter un fonctionnement en “circuit

fermé” qu’un tel programme pourrait gé-

nérer.

3. Enfin, assez rapidement, en miroir au

groupe de parole déjà mentionné du dé-

but de semaine, apparaît le groupe « Bon

Week-End » : par son contenu, il a pour

objectif un bilan de la semaine et un

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Réflexion sur l’historique des programmes de jour à Genève

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 107

échange sur l’organisation du week-end,

afin que ces 2 jours particuliers puissent

devenir autre chose qu’un moment de so-

litude programmé. Par son contenant, il

vise à marquer les contours d’une enve-

loppe groupale se déployant tout au long

de la semaine.

Nous observons que ce dernier groupe est

d’emblée fortement investi par les pa-

tients, qui le présentent comme un point

d’ancrage et une source d’étayage à un

moment de la semaine où certains décri-

vent l’impression de « n’avoir plus rien à

quoi s’accrocher ». Nous décidons rapi-

dement de rendre ce groupe obligatoire

pour tous les patients du Programme de

Jour tout comme celui du début de se-

maine, les autres groupes restant faculta-

tifs.

Dans la dialectique singularité/collecti-

vité, nous prenons ainsi le parti de définir

certains éléments invariants dans l’orga-

nisation des soins, tout en maintenant une

spécificité pour chaque patient. Les

groupes obligatoires visent à définir un

socle commun et à développer un senti-

ment d’appartenance qui peut enfin faire

écho à celui que nous avons vu émerger

dans le groupe de soignants. Les groupes

optionnels visent plutôt à personnaliser

notre offre de soins en restant au plus près

de la singularité du tableau clinique de

chaque patient. La souplesse du cadre que

nous nous efforçons de proposer nous per-

met de ne pas exclure les patients qui ne

supporteraient pas un cadre trop rigide et

trop exigeant (présence continue du matin

au soir). L’espace accueil prend une autre

forme, celui d’échanges informels autour

d’un café avant le début des groupes, un «

sas » de transition entre l’univers des pa-

tients et leur lieu de soins.

Au fil de notre pratique, nous avons éga-

lement déterminé un cadre temporel glo-

bal se divisant en trois étapes de soins

pour une durée de traitement de trois ans

au plus. Chaque étape (phase initiale et

évaluative, phase de stabilisation et de

consolidation et phase d’accompagne-

ment sur l’extérieur) implique des objec-

tifs définis avec le patient. Dans la pre-

mière phase, nous avons par ailleurs sys-

tématisé l’usage de deux outils psycho-

métriques : l’échelle ELADEB et le plan

de crise conjoint. Ils visent à s’approcher

au plus près des véritables besoins de cha-

cun de nos patients, aussi bien en cas de

crise qu’au long cours, en les désignant

comme les coauteurs du projet de soins

que nous sommes amenés à définir avec

eux.

1. Pour l’identification et la clarification

des objectifs et des attentes de chaque

participant, nous nous basons sur ELA-

DEB, un outil d’autoévaluation des dif-

ficultés et des besoins (Pomini et al.,

2008). ELADEB est une échelle de me-

sure subjective des difficultés et du be-

soin d’aide de la personne évaluée. Le tri

d’une série de cartes thématiques effec-

tué par le patient permet de dresser rapi-

dement son profil de difficultés psycho-

sociales et de mettre en évidence les do-

maines dans lesquels il estime avoir be-

soin d’une aide supplémentaire. Cet outil

peut être employé dans différents con-

textes cliniques et convient particulière-

ment aux personnes peu à même de ver-

baliser une demande de soins, maîtrisant

mal le français et/ou plutôt réticentes de-

vant des questionnaires classiques.

2. Le Plan de Crise Conjoint (PCC) est

un outil qui permet une réflexion avec le

patient et son entourage sur les facteurs

de risque qui pourraient entraîner une dé-

compensation de son état et sur les trai-

tements souhaités afin qu’une interven-

tion thérapeutique contre sa volonté ne

s’avère pas abusive. Lors de la rédaction

du PCC, le patient énonce les traitements

qu’il souhaite et ceux qu’il refuse en cas

de perte de discernement et confie à un

tiers (membres de la famille, conjoint ou

autre proche) certaines tâches à effectuer

au cas où il serait hospitalisé. De même,

il expose les circonstances habituelles et

les premières manifestations d’une crise

contribuant ainsi à la détection rapide et

au traitement précoce d’une rechute

(Bartolomei et al., 2012).

Conclusion

A travers notre expérience de mise en

place d’un Programme de Jour, nous

avons été conduits à nous interroger sur

les conditions nécessaires à l’émergence

d’un sentiment d’appartenance à un

groupe thérapeutique.

Elles impliquent notamment la prise en

compte des besoins primaires du groupe

de soignants et une différenciation des ac-

tivités de ce groupe permettant la création

d’une assise identitaire. Ce n’est qu’après

le vécu de ce sentiment que le groupe de

soignants a pu commencer à se penser et

à construire un cadre de soins dans lequel

il pouvait y retrouver les valeurs thérapeu-

tiques auxquelles il se savait attaché. En

écho, nous avons pu observer comment ce

sentiment d’appartenance pouvait être

peu à peu partagé avec le groupe de pa-

tients et favoriser leur investissement.

Cependant, tout programme est évolutif,

ce qui suscite en permanence des ques-

tions sur notre rôle et notre mission. Com-

ment garder un équilibre entre souplesse

et cohérence du cadre ? La participation

des patients à un tel programme thérapeu-

tique permet-elle de gagner en autonomie

ou représenterait-elle un risque de déve-

lopper une dépendance institutionnelle ?

Quel équilibre garder entre soins indivi-

duels “à la carte” et soins invariants per-

mettant de définir un socle thérapeutique

commun ? Autant de questions que nous

désignons comme compagnons de route

sur le chemin que nous avons commencé

à parcourir.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 108

Trente rayons convergent en un moyeu. Ce qui n’est pas là, rend la roue utilisable.

La terre glaise est pétrie et forme un vase.

Ce qui n’est pas là, rend le vase utilisable. Des portes et des fenêtres sont percées dans les

murs.

Ce qui n’est pas là, rend l’espace utilisable. Prends soin de ce qui est là, utilise ce qui n’est

pas là.

Utilise ce qui n’existe pas versets du Tao Te King

Des blancs dans le programme.

D’un côté, remplir le vide, prévoir un pro-

gramme, donner des réponses. Quand il

s’agit de rassurer, qui et quoi (r)assurons-

nous ?

D’un autre côté, accompagner l’expé-

rience du vide, permettre de prendre posi-

tion, accueillir les questions…

Cette tension constructive entre deux

pôles, certainement inhérente à toute

structure liant le “psycho” et le “social”,

l’individuel et le collectif, est probable-

ment un axe principal de notre travail :

nous la rencontrons si fréquemment sous

différentes apparences, elle surgit si sou-

vent dans le travail clinique et social, que

nous souhaitons y regarder de plus près

encore une fois, et partager ce que nous

pourrons en dire.

Avant-Propos

Des blancs dans le programme... Voilà

tout un programme. Nous nous proposons

ici d’envisager la question de ces blancs

aux différents niveaux de la vie institu-

tionnelle que nous partageons au quoti-

dien avec les patients que nous accueil-

lons.

Pour ce faire nous vous ferons part de la

conception que nous nous sommes faite

du “programme thérapeutique”. Ensuite,

nous examinerons comment nous nous si-

tuons au sein de notre équipe par rapport

aux blancs en soi. Puis, nous ferons un

tour du côté des patients afin de soumettre

à l’écoute ce qu’ils nous disent de ces

blancs.

Ceci nous amènera, vous le verrez, à re-

définir ce que nous entendons par blancs.

Nous parlerons successivement de trou,

de vide et de bord. Ceci permettra de

mieux cerner les enjeux de notre clinique

à cet égard.

Ensuite, nous réexaminerons, à la lumière

de ces considérations, ce qu’il en est de

notre pratique. Nous prendrons quelques

exemples tirés de notre clinique institu-

tionnelle afin de mieux cerner quelques

enjeux de cette clinique du trou, du vide

et du bord.

Finalement, nous vous proposerons de

vous étonner avec nous du fait que les

avancées réalisées au fil du texte nous ra-

mèneront à peu près six siècles avant Jé-

sus-Christ.

Les blancs aux différents niveaux de vie institutionnelle

Le programme thérapeutique

Avant de rentrer dans le vif de notre sujet,

comment appelons-nous les outils de

notre “programme thérapeutique” ? Glo-

balement nous évoluons autour de trois

pôles thérapeutiques principaux :

- La vie communautaire qui comprend

les différents moments partagés dans les

espaces communs ainsi que la réunion

hebdomadaire où tous les patients et

membres de l’équipe sont attendus. La

vie communautaire est également ryth-

mée par le “service repas” (l’équipe cui-

sine journalière est composée de plu-

sieurs patients ainsi que d’un soignant).

- Les activités qui fonctionnent grâce à

une grille horaire plus ou moins fixe du-

rant l’année. La présence à ces activités

n’est pas obligatoire mais nous deman-

dons aux patients, dans la mesure du pos-

sible, de participer à deux activités par

semaine, au choix.

- La fonction d’accueil et de référence.

Chaque patient est suivi plus précisé-

ment par deux membres de l’équipe, un

accueillant et un référent.

Maintenant que nous avons un peu balisé

notre cadre thérapeutique, nous pouvons

nous interroger sur les “blancs” dans le

programme.

A priori, l’ensemble de l’équipe du Wops

de jour s’accorde à ce que notre pro-

gramme thérapeutique comporte des

“blancs”. Ce fut d’ailleurs notre première

idée de titre d’intervention : « Des blancs

dans le programme thérapeutique ».

Nous précisons que nous utilisons le mot

“blanc” comme un espace où il est pos-

sible d’inscrire quelque chose, comme

une page blanche, le support d’une pos-

sible construction.

Ces “blancs” constituent en quelque sorte

des zones laissées libres au sein de notre

programme thérapeutique. Ils seraient

l’occasion de permettre à chaque patient

de se constituer sujet de son parcours psy-

chothérapeutique. Nous pensons qu’un

programme plein, sans blancs, amènerait

nos patients à se constituer objets de nos

soins. En effet, nous misons sur le fait

qu’il est tout à fait opportun que chaque

patient puisse se constituer acteur, à un

moment donné, de son propre parcours

psychothérapeutique.

Ces derniers temps, le mot et l’idée de « programme » semblent omniprésents dans notre secteur ainsi que dans une certaine forme de clinique. En tant qu’équipe pluridisciplinaire, nous avons choisi de nous réunir et de nous questionner ensemble autour de ce qu’il n’y a pas dans le programme... les blancs, les trous, les vides. Que faire de la clinique ainsi que de nous-mêmes là où la tentation de “combler” est si forte ? C’est ce travail de réflexion en équipe que nous vous livrons dans ce texte commun, témoin d’un processus de travail en cours.

Mots-clefs : blanc, institution, programme thérapeutique, trou, vide, bord

Mind the gap!

Recently, the word and the idea of “program” seems ubiquitous in our sector and in some kind of clinic. As a multidisciplinary team we have chosen to meet and question us together around this that there is not in the program ... the white, holes, voids. What of the clinic and of ourselves where the temptation to “fill” is so strong? It is this reflection as a team that we deliver in this joint text, witness of a current working process.

Keywords: “white”, institution, therapeutic program, hole, empty, board

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Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 109

LES AUTEURS

Olivier RENARD Alexandra SMAL Dominique VALETTE Ulrich WEILAND

WOPS Chaussée de Roodebeek 471 1200 Woluwe-Saint-Lambert Belgique

BIBLIOGRAPHIE

1.ZENONI A. (2009), L’autre pratique clinique : psychanalyse et institution thérapeutique, 1ère édition, Toulouse : Erès,

2.RILKE R. M. (1898), Die frühen Gedichte, Leipzig Insel-Verlag, 162 pages

3.LAO-TSEU (2012), 道德經 Tao-Te-King : Le Livre de la Voie et de la Vertu, Librio Spiritualité, J’ai lu,75 pages

Là où nous laissons ou connaissons des

“blancs” dans notre savoir, dans notre or-

ganisation, dans nos actions... nous espé-

rons que surgira pour chaque patient la

question du trajet psychothérapeutique

qui lui revient. Il est à remarquer d’ail-

leurs que la surprise de ce surgissement

concerne tout autant l’équipe thérapeu-

tique que le patient en question.

Notre travail consiste donc à trouver une

juste interaction entre deux pôles. Le pre-

mier recouvre le programme thérapeu-

tique que nous proposons ainsi que le

cadre institutionnel dont nous sommes les

garants. Le second est tissé de ces

“blancs”, voulus (ou non) que nous espé-

rons propices au travail singulier de

chaque personne que nous accueillons.

Du côté de l’équipe

Malgré ce projet commun institué en-

semble, nous constations dans la pratique

que nous vivions de manière très diffé-

rente voire opposée notre propre rapport à

l’existence de ces “blancs”. Pratiquement,

lors de nos réunions, nous faisions sou-

vent le constat que nous étions divisés en

deux camps opposés :

- d’un côté nous avions ceux qui sont

partisans de “ne pas combler les trous”,

de “supporter le manque”, du “non-

faire”, de “ne pas répondre à la de-

mande” afin de laisser aux patients eux-

mêmes la responsabilité d’en faire

quelque chose.

- De l’autre côté, il y avait ceux qui met-

tent en avant que les blancs ont bien sou-

vent un effet mortifère, ils avancent que

notre rôle est bien souvent de lutter

contre celui-ci en injectant de la vie dans

l’institution.

Ces deux positions (coexistantes) dans

l’équipe nous amènent à évoquer le rap-

port que nous avons individuellement à

l’institution et à ce que nous tentons d’y

faire. Travailler en centre thérapeutique

de jour, c’est être un professionnel de la

santé mentale mais c’est également tra-

vailler avec nous même, ce que nous

sommes, ce que notre histoire personnelle

a imprégné dans notre manière d’être à

l’autre, d’être au soin. Ce qui nous pré-

cède teinte également notre propre rap-

port à l’espace blanc, au trou, au vide et

par conséquent au “rempli”. Finalement,

et parce qu’au Wops nous aimons méta-

phoriser, toutes ces données font de cha-

cun de nous une sorte de funambule au

style particulier.

Concrètement, la vie quotidienne en

centre de jour est une succession de

“trous” et de “remplis” qui réveille le fu-

nambule au style particulier qui som-

meille en chacun de nous ainsi que ses

propres questions.

Pour donner corps à cette métaphore du

funambule et aux débats qu’elle peut ame-

ner en équipe, nous pouvons évoquer une

de nos histoires d’équipe.

Il y a quelques temps, nous avons été tra-

versés par une question institutionnelle

autour du vide : lors de l’absence d’un

collègue, faut-t-il assurer le remplace-

ment de son activité ou donner corps à

cette absence en mettant un “blanc” à la

place de l’activité prévue. Débat et retour

des deux positions : « oui, nous devons as-

surer une autre activité »/« non, nous

laissons une plage horaire blanche ». Au

bout de cette discussion, une décision a

été prise : lorsqu’un collègue est malade,

on ne remplace pas automatiquement son

activité. Or, souvent et malgré cette déci-

sion d’équipe, nous continuons de com-

bler le trou laissé par l’absence de notre

collègue. Cette pirouette régulière sert-t-

elle à protéger les patients de la rencontre

avec un ”trou à remplir” ou à nous proté-

ger du vide que nous devrions traverser

avec eux si nous laissions cette case

blanche ? Les funambules que nous

sommes auraient-ils peur de tomber ?

Récemment, grâce à ce projet commun de

présentation d’atelier, nous nous sommes

attablés pour échanger autour de ces no-

tions de blancs, vides et trous. Au fil de

ces discussions s’est dessinée non pas

deux camps de funambules aux opposés

de la corde mais une troupe. En effet, l’es-

pace blanc que nous avons ouvert entre

nous s’est constitué comme un espace de

rencontre, un vide médian permettant à

chacun de faire un pas dans la direction de

l’autre et d’être entendu pour dépasser la

dichotomie dans laquelle nous pouvons

être pris parfois. Finalement, à l’image de

notre projet thérapeutique destiné aux pa-

tients que nous suivons, c’est peut-être

dans cet espace à remplir que chacun peut

négocier sa position et stabiliser notre fil

commun sans être happé par un côté ou

l’autre.

Du côté des patients

De même, les rapports des patients à ces

blancs semblent différer pour de nom-

breuses raisons.

Voici, en vrac, ce qu’il nous est souvent

donné d’entendre ou d’observer :

- certains paraissent vouloir éviter les

“temps morts” en prétextant que leur

présence n’a pas de sens s’il n’y a pas

d’activité organisée pour eux tout en di-

sant qu’il serait mieux chez eux à faire ce

qu’ils doivent faire.

- Beaucoup campent dans une attitude

passive attendant que nous organisions

des activités toutes faites pour eux et

bien-sûr que nous sachions les soigner

malgré eux.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 110

- Certains s’engouffrent de manière agi-

tée dans une activité démesurée.

- D’autres disent que les temps d’attente

(suspendus) entre deux activités les con-

frontent à un vide plus ou moins difficile

à supporter...

- D’autres encore circulent à la périphé-

rie de la vie institutionnelle laissant sou-

vent des blancs là où l’institution ou ses

membres les attendent.

- D’autres ne trouvent pas de porte d’en-

trée dans le décours de certaines journées

et flottent dans une sorte de no man’s

land...

- Etc...

Nous pensons bien-sûr que la confronta-

tion au manque ou au vide est vécue de

manières bien différentes en fonction du

type de personnes que nous accueillons.

L’épreuve du manque (ou du bouche trou)

chez les personnes névrosées recouvre

d’autres enjeux que celle du vide (ou du

trop-plein) chez les personnes psycho-

tiques...

Sur le versant névrotique, il nous paraît

opportun de ne pas satisfaire à la demande

d’une personne qui viserait à lui épargner

de faire l’épreuve de son manque. Et d’un

autre côté, sur le versant psychotique,

nous sommes parfois appelés à accompa-

gner, en nous sentant sur un fil (si tout va

bien !), des personnes qui se démènent

face au Vide.

Et comme nous accueillons des personnes

sans réserve de diagnostic, il nous arrive

bien souvent de jongler avec bon nombre

de numéros d’équilibristes sollicités par

les différences relevant tant des structures

psychiques que des personnes elles-

mêmes.

Funambules, équilibristes, fil, jonglerie,

... ces mots nous mènent peu à peu avec

leur propre force à la notion abordée au

point suivant de notre “cirque-confé-

rence”. Il s’agit de la notion de bord...

Trou, bord, vide

Ayant retenu comme titre de notre ex-

posé : « Des blancs dans le programme »,

nous nous sommes risqués à faire un tour

de table en équipe afin d’écouter ce que

cela inspirait à chacun de nous. Et sur-

prise, nous avons commencé à dépasser

notre vieille opposition stérile entre les

partisans du “non-faire” et les partisans du

“faire”.

Tout d’abord, l’un d’entre nous a amené

la différence entre « les vides qui tirent

vers le bas et qui sont mortifères » et « les

blancs qui peuvent être des occasions de

prendre en main les choses et de créer ».

Nous sommes donc passés de la notion de

1 Intervention :"la forclusion du Nom du Père", Jean Luc Graber, Formation pour In-

firmier(e)s de Secteur Psychiatrique, mars

“blancs” dans le programme aux deux no-

tions différenciées de “blancs” et de

“vide”.

Puis au fil des discussions, nous avons af-

finé cette première différenciation en par-

lant de “trou” et de “vide”. De là est sur-

venue la notion de “bord”.

Tout d’abord, il nous a semblé que le trou

était muni d’un bord, à l’opposé du vide.

Puis après examen, nous pensons qu’il se-

rait plus juste de dire que le trou comporte

un vide qu’il borde ou pas de son bord.

Nous avons appris qu’il existait des trous

bordés (où le vide est bordé) et des trous

non bordés (où le vide n’est pas bordé).

Nous vous proposons de vous faire part de

l’image que Serge Leclaire a donné des

effets du refoulement et de la forclusion

sur la structure psychique en termes de

trou et de bord : « D’après une image em-

pruntée à Serge Leclaire, on peut compa-

rer l’expérience constituée à un tissu. Ce

tissu est composé d’une trame qui permet

au tissu de tenir. Dans le cas du refoule-

ment, il y aurait une déchirure, une sorte

d’accroc dans cette trame, qui est tou-

jours susceptible d’être reprisée. Par-

contre dans le cas de la forclusion, il y au-

rait un défaut dans la trame même,

comme si les fils, au moment de la confec-

tion, ne se seraient pas mis en place. Le

trou qui en résulte ne peut pas, cette fois,

être reprisé, puisqu’il n’y a pas de prise à

la reprise. Alors pour combler ce trou il

faudrait mettre une autre pièce d’étoffe,

ce qui n’empêche pas le trou en lui-même

d’exister.

La forclusion est donc un trou, un vide. Il

va aspirer toute une série de signifiants, à

la place du signifiant qui manque.1 ».

Ceci nous paraît fondamental afin de

mieux saisir les enjeux cliniques qui sur-

gissent lorsque nous faisons avec l’un ou

l’autre patient (en fonction de sa structure

psychique) l’expérience d’un trou ou du

vide.

Le bord nous est donc apparu comme

étant fondamental car il permet de prendre

appui sur lui par-delà le vide qu’un “trou

bordé” comporte. Par contre dans le cas

des “trous non bordés”, le vide appelle à

s’y engouffrer, faute d’y trouver un point

d’appui.

D’un côté donc (névrose) : des trous bor-

dés comme possibles espaces de création,

à condition de ne pas trop vite céder à la

tentation de les boucher. D’un autre

côté (psychose) : des vides plus radicaux,

sans bord face auxquels un appui exté-

rieur tel que le cadre institutionnel, une

co-présence, ou une activité artistique ou

quelque trouvaille que ce soit est d’un

1983, http://psychiatriinfirmiere.free.fr/in-firmiere/formation/psychologie/psycholo-

gie/forclusion.htm

grand secours si cela parvient à border

malgré tout le sans-bord qu’est le vide

dans ce cas-là. Il s’agit donc dans ce cas

de se trouver un point d’appui extérieur

(institutions, activité artistique, branche-

ment sur un autre, etc. (cf clinique de la

psychose)).

Ainsi, il nous est apparu que notre travail

consistait à de nombreux égards à border

les trous avec les ajustements relatifs à la

prise en compte des différents types de

structure psychique (névrose/psychose en

ce qui concerne notre pratique).

Quelques exemples cliniques

Afin d’avoir une piste de départ, nous

avons voulu différencier les termes, trou,

vide et blanc en cherchant leurs défini-

tions sur internet. Il ne s’agit pas, ici, de

les détailler, ce n’est pas le propos, mais,

après lecture de ces différentes défini-

tions, ce qui ressort est que dans le terme

trou, il y a la notion de contour, de matière

qui entoure. Le blanc est plutôt perçu

comme un arrêt, un silence et le vide

comme quelque chose de plus angoissant,

lié au rien, au manque, à l’absence.

En pensant au vide comment ne pas pen-

ser, en conservant la métaphore du

cirque, aux trapézistes qui se lancent d’un

trapèze à l’autre, au-dessus du vide. Du

vide oui, mais il y a le filet qui garantit la

survie.

Nous sommes tous un peu trapézistes, et

venir au WOPS pour certains patients

c’est se lancer d’un trapèze à l’autre. C’est

quitter quelque chose qu’on connait, pour

découvrir d’autres choses, vivre de nou-

velles expériences. L’expérience du vide

aussi. Celui-ci s’installe à certain moment

de la journée, sans qu’il soit provoqué.

C’est quelque chose que chacun vit, res-

sent différemment, et tente de “faire

avec” comme il le peut.

Comment peut-on amener chacun à com-

poser avec ce vide ?

Peut-être en garantissant une sorte de filet,

gardien d’une certaine sécurité qui nous

permet de s’essayer à d’autres trapèzes.

Intuitivement, on met en place des choses

qui servent de filet. Se lancer sur le tra-

pèze du lundi après un week-end n’est pas

toujours facile, tout comme se lancer sur

le trapèze du week-end après une semaine

passée au Wops. Entourer ces 2 moments

par des rencontres conviviales autour

d’un petit déjeuner, en début de semaine

et un goûter, qui la clôture, c’est rajouter

quelques mailles au filet.

De même, lors de notre déménagement, il

y a de ça à peu près un an, nous avons mis

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Des blancs dans le programme : exercer en équipe l’art de border le vide

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 111

aussi en place quelques maillons, une pe-

tite fête dans l’ancienne maison avec la

création d’une petite chanson, il y a eu

aussi une brocante avec les objets qu’on

ne souhaitait pas déplacer dans la nou-

velle maison, et également des visites ré-

gulières lorsque la nouvelle maison était

encore en travaux et, pour finir, une inau-

guration où les patients et leurs familles

étaient invités.

Il y a quelques années dans les lieux de

vie commune, quelques patients étaient là

et ne faisaient apparemment rien...

Manque de désir, vide intérieur, impossi-

bilité de penser, fatigue... des après-mi-

dis, où flotte l’impression d’être aux côtés

des patients, sans filet, face à leur vide, à

son vide. En commençant à tricoter, cro-

cheter, des écharpes, tentative sans doute

de se créer un filet, maille après maille,

certains patients ont accompagné la dé-

marche. Le fil ténu d’un nouveau projet

commun devenait possible. Celui de rê-

ver, de rêver de ce qu’on pourrait faire ou

pas, si on décidait de sortir du centre. Où

irions-nous ? Pour y faire quoi ? Or, après

quelques modifications et remanie-

ments, certains de ces rêves étaient réali-

sables et ont été réalisés. Mailles après

mailles, un filet, lui-même percé de trous,

a été tissé. Incertitudes, improvisations,

ajustements, complicités, partage, décep-

tions, négociations font la trame de ces

aventures diverses.

Depuis, une activité issue de ces rêves

éveillés est entrée dans le programme thé-

rapeutique. C’est la sortie du mois.

Organisée le dernier vendredi du mois.

Nous mettons à disposition des patients

deux membres du personnel, éventuelle-

ment un véhicule (une camionnette) ou

des tickets de train et une somme d’argent

non fixe mais raisonnable. Face à l’infini

des possibilités, apparenté au vide pour

certains, nous avons balisé le chemin en

proposant chaque mois une province dif-

férente. Rien n’est organisé par l’équipe

soignante. On accompagne ce qui émerge

et si c’est le rien, le vide, on l’accom-

pagne aussi. S’il n’y a pas de sortie, ce

n’est pas grave... ça laisse la possibilité de

rêver à la suivante en évitant, et ce n’est

pas toujours facile, de prendre les patients

dans nos filets de l’activisme forcené am-

biant.

En vrac pour conclure Faire et laisser être :

le Tao de l’Emmental

L’“Activisme forcené” c’est, quand on

vient des chantiers d’insertion, la philoso-

phie du « Tu fais quelque chose, donc tu

es quelqu’un » (à peine caricaturé). Or,

ici, prise de conscience : avant de faire, il

faut être, et il y a des personnes qui ont

“un mal fou” à être, à exister.

Or, faire peut aussi amener à découvrir

qui l’on est.

Mais des patients témoignent du vide qui

les “empêche d’être” : intérieur ou exté-

rieur, il traduit un grand manque de désir,

de motivation, comme de contacts so-

ciaux ou repères extérieurs...

Ce vide qu’ils fuient. Ils cherchent une ré-

ponse au Wops, ils cherchent au premier

plan un “remplissage” de ce vide.

Quand l’absence et le manque sont si mas-

sifs, la réponse ne doit pas être en miroir,

mais présence aérée, avec des vides

comme dans l’emmental. D’où l’autre

titre initial, « Le Saint Emmental de la

Santé Mentale ».

Car dans ce vide peut opérer la part du pa-

tient, son être sujet, être acteur. On ne peut

pas lui confisquer cette place, cette res-

ponsabilité.

Nous pouvons aider à border le vide,

comme les collègues mais aussi dévelop-

per la perception de quand les patients le

font tout seuls. Ils matérialisent pour ainsi

dire leurs limites face au néant, ils font

exister, même momentanément, un bord

où s’appuyer face au vide.

Image d’un ponton éphémère posé sur un

rivage marécageux : « Je n’arrive pas à

parler ». Il n’arrive pas à parler, mais il le

dit ! C’est aussi l’art de jeter des pontons,

même éphémères, sur les rivages maréca-

geux du vide.

Pour finir, comment travailler avec ces

“bordures” en équipe ?

Le non-manifeste est par définition une

affaire délicate, si bien illustré par le

poème de Rilke « Ich fürchte mich so vor

der Menschen Wort » (« Je crains tant la

parole des hommes »).

Extraire un creux d’un Emmental et se le

passer, revient à travailler avec des bulles

de savon, à les déplacer en délicatesse, y

toucher c’est les casser, donc apprendre à

se les passer “sans y toucher”. En équipe,

sans tapage, nous bordons les absences et

donc le manque, c’est notre manière d’uti-

liser de manière consciente le “Bonjour”

et le “Au revoir”, ponctuant nos pré-

sences/absences.

« Le travail en équipe, c’est simple

comme Bonjour ! »

Enfin, nous avons vu avec un certain éton-

nement que les mêmes observations ou

idées que nous élaborions en équipe trou-

vaient une formulation assez précise dans

la pensée taoïste.

Le manifesté et le non manifesté, l’exis-

tant et le possible, se conditionnent mu-

tuellement.

Dans cette lecture, le clivage entre « faire

ou laisser être » n’est plus une ligne qui

traverse l’équipe, mais une polarité que

chaque travailleur peut expérimenter et

porter à tout moment.

Notre activité crée un cadre, comme une

porte ou une fenêtre ont un cadre, mais

pour qu’elles fonctionnent, pour que ren-

contre, dialogue, passage ont lieu, la porte

et la fenêtre sont pleins de... vide !

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 112

Le PRACS

Le PRACS est destiné à aider les per-

sonnes souffrant de troubles schizophré-

niques à trouver des solutions concrètes

aux problèmes de la vie quotidienne, à les

amener à un niveau d’autonomie sociale

satisfaisant [3]. Le but est d’améliorer la

qualité de vie, les relations, la vie sociale.

Son intérêt porte sur le lien qui existe

entre ce qui est travaillé en séances théra-

peutiques et la vie au quotidien, ce qui

renforce l’estime de soi et le sentiment de

responsabilité. Il s’adresse en priorité à

des patients souffrant de schizophrénie

présentant une symptomatologie stabili-

sée, certaines équipes le proposent à

d’autres patients ayant des troubles psy-

chiatriques. A l’issue d’une présentation,

à un groupe assez nombreux de patients

relativement stabilisés suivi en CATTP

ou Hôpital de jour, axée sur le quotidien

de la personne, il est demandé à un groupe

de 5 à 10 patients de se déterminer pour

s’engager dans ce module. Un des préa-

lables est la capacité à interagir en petit

groupe, à soutenir son attention et sa mo-

tivation.

Les quatre domaines de compétence sociale travaillés

Le PRACS aide les personnes à repérer,

dans certains domaines de leur vie quoti-

dienne, ce qui ne les satisfait pas et qui fait

obstacle à leur autonomie [4]. Ainsi, il

s’agit de repérer les besoins et les difficul-

tés auxquels ils peuvent être confrontés

dans quatre domaines de compétence so-

ciale spécifiques, puis d’élaborer des so-

lutions efficaces permettant de les sur-

monter. Le PRACS s’articule autour de

quatre domaines de compétences so-

ciales :

- Gérer son argent

Ce domaine vise à apprendre aux partici-

pants à gérer un budget, à avoir de meil-

leures notions du coût de la vie, à aug-

menter leurs connaissances sur leurs

droits et devoirs financiers. Des rensei-

gnements quant aux documents adminis-

tratifs (technique d’archivage, durée de

conservation des différents documents,

...) sont également dispensés.

- Gérer son temps

Ce domaine vise à apprendre aux partici-

pants à mieux gérer leur temps au quoti-

dien. L’objectif est de leur faire prendre

conscience de certains déséquilibres (pé-

riodes de creux, d’ennui) pouvant appa-

raître dans leurs journées et de certains

impératifs à respecter (être à l’heure aux

rendez-vous, payer ses factures dans les

délais, ...)

- Développer ses capacités de communi-

cation et ses loisirs.

Ce troisième domaine vise à renforcer

les habilités sociales et relationnelles des

participants, à leur proposer un cadre

pour mettre en place des sorties sans l’in-

tervention du personnel soignant ou thé-

rapeutique, à les amener à s’inscrire dans

une activité enrichissante sur le plan per-

sonnel et à orienter certains d’entre eux

(ceux pour lesquels cela est possible et

souhaitable) en dehors du milieu psy-

chiatrique.

- Améliorer sa présentation

Ce domaine vise à apprendre aux partici-

pants à améliorer leur présentation. Le

travail est axé sur l’hygiène, la tenue ves-

timentaire et la posture. En effet, la stig-

matisation de la maladie passe, entre

autres, par l’image que l’on renvoie aux

autres. Cette stigmatisation « surajou-

tée » est un obstacle de plus à franchir en

termes de réhabilitation psychosociale.

Il s’agit d’un programme créé par l’équipe marseillaise du Pr Lançon qui aborde plusieurs domaines très pragmatiques du quotidien. PRACS permet d’évoquer des thèmes très variés au travers de 4 modules : gérer son argent, gérer son temps, développer des capacités de communication et de loisirs et enfin améliorer sa présentation qui permet d’accéder à la question de l’hygiène. Ce programme se déroule sur 4 mois, 1 mois par thème, chaque thème est abordé par une alternance entre des séances collectives avec un support pédagogique et ludique et les séances individuelles avec le référent. Les séances individuelles permettent de suivre la progression chaque semaine dans le thème et de faire un parallèle direct avec le quotidien du patient. Des objectifs particuliers et concrets sont ainsi mis en place. C’est un accompagnement individualisé pour mettre en place les propres objectifs du patient dans chacun des domaines afin d’améliorer sa qualité de vie.

Mots-clefs : réhabilitation, psycho-éducation, patients en ambulatoire, hôpital de jour, psychose, difficultés au quotidien, hygiène des patients, objectifs et accompagnements individualisés, troubles schizophréniques

Strengthening Program Autonomy and Social Skills (PRACS) An original module psychotics patients at the Day Hospital of Caen North sector

The “PRACS” program is a rehabilitation training to enhance autonomy and social relationship. The French psychiatric unit in Marseille elaborated this program in order to take into account several very pragmatic aspects of outpatients ‘daily activities. “PRACS” is consisted of four parts: let’s talk about money; about time organization; how to develop abilities of communication and hobbies; how to improve his presentation, this part allowing to approach hygiene. The “PRACS” works through four months, one theme by month. For each part, collective time using a pedagogic and attractive support alternates with individual work with a referent care professional. This individual work allows to evaluate every week the patient’s progression on each theme and to build a really personal response, close to the patient’s real lifetime. Pragmatic and personal goals are defined on the base of discussion between each patient and his referent. This individual care is very helpful for outpatients to organize their own and useful purposes in order to reach a better global quality of life.

Keywords: rehabilitation, psycho-educational program, outpatients, individual purposes and individual care, daily difficulties, hygiene, schizophrenia

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Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS)

Un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 113

Ce domaine permet aux participants de

réfléchir sur les codes sociaux liés à la

“présentation” et sur la nécessité d’adap-

ter cette dernière aux circonstances de la

vie.

Le PRACS doit permettre aux partici-

pants de gagner en autonomie à l’intérieur

de chacun de ces quatre domaines de com-

pétence. L’objectif est de leur faire pren-

dre conscience que certaines améliora-

tions sont possibles dans la gestion de leur

argent, de leur temps, dans leurs activités

de loisirs et capacités de communication

et dans leur présentation.

Un des intérêts du PRACS est que c’est

un programme basé sur une psycho-édu-

cation de groupe (où l’on recueille des in-

formations et où on fait l’apprentissage de

nouveaux savoir-faire) [5] et sur une prise

en charge individuelle (où l’on travaille

des objectifs personnels à chacun des par-

ticipants, prenant en compte les possibili-

tés et les envies des personnes) ce qui ren-

force l’alliance thérapeutique [2].

Déroulement

Les quatre domaines de compétences sont

travaillés en individuel avec, pour chaque

participant, des objectifs personnels à at-

teindre et en groupe selon plusieurs tech-

niques d’apprentissage (résolution de pro-

blèmes, jeux de rôle, prescription de

tâches hors séance...).

Les groupes, de 5 à 10 participants, sont

animés par deux animateurs qui se parta-

gent à tour de rôle la fonction d’animateur

et de co-animateur. L’animateur est celui

qui anime la séance et qui doit favoriser

les échanges, l’interactivité, l’entraide et

la convivialité au sein du groupe. Le co-

animateur a un rôle de soutien auprès de

l’animateur et n’intervient pas (ou très

peu) verbalement lors de la séance. Il doit

écrire sur le tableau les points importants

signalés par l’animateur et être proche des

participants.

Un support d’animation, le Manuel de

l’animateur fourni lors de la formation

par l’équipe du Pr Lançon, est destiné aux

deux animateurs et sert de guide pour le

déroulement de chaque séance.

Le PRACS est composé d’une trentaine

de séances. A raison de deux par semaine

(une séance de groupe et une séance indi-

viduelle), il s’étend sur 3 à 4 mois. La du-

rée des rencontres est de 2 heures pour les

séances de groupe et d’une ½ heure pour

la séance individuelle. Sont également

prévues, à la fin du module, des séances

de rappel à raison d’une rencontre en

groupe tous les 6 mois pendant 2 ans.

Le contenu de chaque domaine de compé-

tence se déroule selon le même principe

sur un mois. Lors d’une première séance,

les participants sont reçus par un des deux

animateurs en individuel pour identifier,

par le biais de questions prédéfinies, les

acquis et les déficits (selon le domaine de

compétence travaillé), les objectifs, obs-

tacles et solutions à envisager [1]. Puis al-

ternent 5 à 6 séances : en groupe (un par

semaine environ) et en individuel (entre

les séances de groupe) effectuées sur un

mois.

Les séances de groupe permettent aux

participants d’acquérir des savoir-faire

par le biais des techniques d’apprentis-

sage telles que les jeux de rôle, les tâches

hors groupe qu’un certain nombre d’in-

formations utiles. Il est possible de discu-

ter à bâtons rompus des différents sujets

abordés.

Les séances individuelles permettent aux

participants de travailler leurs objectifs

personnels à partir de tout ce qu’ils ont pu

retirer des séances de groupe et des acti-

vités effectuées. On peut définir un ou

plusieurs objectifs par participant pour

chacun des domaines de compétences

abordés [1]. Lors de ces séances, il est

possible de revenir sur les difficultés ren-

contrées au cours des séances précé-

dentes.

C’est le même animateur qui suit en indi-

viduel les participants qu’il a reçus lors de

la première séance d’entretien, tout au

long du domaine de compétence. Les ob-

jectifs fixés doivent être établis en fonc-

tion du niveau de chacun des participants

et doivent être réalisables. Il est clair que

ce n’est pas en quatre séances que l’on

trouve des solutions miracles. Un patient

sous curatelle ne deviendra pas autonome

financièrement après avoir suivi le

PRACS, mais pourra par exemple avoir

de meilleures notions du coût de la vie,

avoir une meilleure connaissance de ses

ressources et de ses dépenses, même si

elles sont gérées par le mandataire de la

mesure de protection.

Domaine 1 : gestion de l’argent

Le but est d’améliorer ses connaissances

et sa gestion du budget, d’améliorer ses

notions de coût de la vie et d’améliorer ses

connaissances sur les droits et devoirs ad-

ministratifs.

- 1ère séance groupe : jeu « gestion du

budget » : savoir gérer entrées/dé-

penses/épargne et faire des choix en

fonction des objectifs d’une personne

fictive : cela permet de mettre en évi-

dence certaines difficultés (capacité à

économiser ? S’accorder des plaisirs ?

Équilibrer le budget ?).

- 2ème séance groupe : 4 tableaux pour gé-

rer le budget : savoir utiliser les 4 ta-

bleaux (ressources ; charges fixes ; dé-

penses courantes ; épargne) pour la tenue

mensuelle du budget d’une personne fic-

tive.

- 3ème séance groupe : informations ad-

ministratives ; organisation documents :

rôle de l’assistant social qui intervient en

séance et explique les domaines où il

peut intervenir et répond aux différentes

questions des personnes ; enfin entraîne-

ment archivage documents administra-

tifs.

- 4ème séance groupe : technique de réso-

lution de problème : présentation de la

technique et application à une personne

fictive.

Les séances individuelles s’intercalent

entre les séances de groupe.

La première séance individuelle se fait

grâce à un questionnaire sur la gestion de

son budget : géré par qui ? Ressources ?

Charges fixes ? Dépenses courantes ? Dé-

penses loisirs ? Tabac ? Équilibre bud-

get ? Épargne ? Difficultés ? Gestion pa-

piers administratifs ?

L’objectif est d’acquérir les connais-

sances sur son budget, identifier les com-

pétences et les difficultés, les objectifs à

envisager. Il peut déboucher sur une ren-

contre, la séance suivante, avec la per-

sonne qui aide à gérer le budget. Une

tâche supplémentaire peut être proposée,

comme noter les dépenses sur 1 semaine.

La deuxième séance permet l’identifica-

tion des objectifs personnels et de la

marche à suivre pour les réaliser avec

l’utilisation des 4 tableaux pour gérer son

budget. Lors de la troisième séance indi-

viduelle il est effectué un retour sur les

objectifs personnels : sont-ils atteints ?

Quelles difficultés persistent ? Qui peut

éventuellement aider ?

Le domaine sur l’argent est un module

bien investi par les participants car il les

rend acteurs, même pour les personnes

sous mesure de protection. De plus ils

soulignent qu’il leur donne une meilleure

perception de leur budget ; une meilleure

évaluation de leurs dépenses courantes ;

une prise de conscience des choix dans

l’établissement d’un budget ; la notion

pour certains de “s’autoriser” à dépenser,

se faire plaisir ; pour d’autres de se cons-

tituer une épargne en modifiant leur con-

sommation de tabac par exemple ; fait

émerger l’idée d’un rendez-vous plus ap-

profondi avec l’assistant social. Pour cer-

tains patients ce module a été le déclen-

cheur pour rendre possible des projets

comme des vacances, un séjour de voile

pour lequel il fallait économiser sur toute

une année. Il est important de réaliser ce

domaine en premier car les domaines 2 et

3 (gestion du temps, des loisirs) en dépen-

dent pour s’adapter au contexte de réalité.

Ce qui reste difficile pour certains est la

réappropriation de la technique de résolu-

tion de problèmes et la gestion des docu-

ments administratifs [4].

Domaine 2 : gestion du temps

Il s’organise comme suit avec l’alternance

des séances :

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 114

LES AUTEURS

Aurélie MONTAGNE LARMURIER praticien hospitalier, psychiatre référente de l’hôpi-tal de jour Leila VARGAS infirmière Fabienne VRINAT ergothérapeute

Centre Accueil MedicoPsychologique d’Hérouville Saint Clair Centre Esquirol, service de Psychiatrie Adulte du CHU de Caen avenue de la Côte de nacre 14033 Caen cedex France

BIBLIOGRAPHIE

1. COTTRAUX J. (2011), Les thérapies cogni-tives et comportementales, Masson, 5ème ed. : Pa-ris, 384 pages.

2. CUNGI Ch., COTTAUX J. (2006), L’alliance thérapeutique, Retz : Paris, 286 pages.

3. HERVIEUX C., GENDRON A.-M., LANCON C., MARTANO B., UMIDO G. (2007), Un nou-veau programme psycho-éducatif de Renforce-ment de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS), L’Information Psychiatrique, 83 (4) : p 277-283.

4. LIBERMAN R. P. (1991), Réhabilitation psy-chiatrique des malades mentaux chroniques, Masson : Paris.

5. SIMONET M., BRAZO P. (2004), Modèle co-gnitivo-comportemental de la schizophrénie, EMC Psychiatry, art. 37-290-A-10 :1-19

- Séance 1 de groupe avec l’introduction

du thème et des jeux de questions/ré-

ponses autour de « c’est quoi gérer son

temps ? Quelles sont les différentes acti-

vités d’une journée ? » puis faire l’em-

ploi du temps d’une personne fictive en

groupe. Une tâche est à réaliser à l’issue

de cette première étape : remplir le même

tableau avec leur emploi du temps per-

sonnel.

- Séance 2 en individuel autour d’un

questionnaire personnel sur la gestion du

temps

- Séance 3 en groupe centrée sur l’utili-

sation de l’agenda et un jeu fictif avec

une liste de courses à faire dans diffé-

rents lieux, dans un temps limité, en uti-

lisant le plan de la ville pour s’organiser.

A domicile, les personnes doivent rem-

plir leur agenda pour les 15 jours à venir.

- Séance 4 en individuel qui sert à déter-

miner un à deux objectifs puis les dé-

marches à faire pour réaliser son objec-

tif.

- Les séances 5 et 6 en groupe sont des

mises en situation : emploi du temps fic-

tif à réaliser, avec l’itinéraire pour se

rendre aux lieux de rendez-vous pour

préparer le voyage d’un cousin. Chaque

petit groupe de 2 à 4 patients présente ses

solutions.

- Séance 7 individuelle qui permet un re-

tour sur les objectifs personnels et bilan

de ce domaine.

Domaine 3 : développer des capacités de loisirs et de communication

Pratiquer une activité de loisirs permet de

lutter contre le repli sur soi, l’isolement et

le manque de communication. Une acti-

vité enrichissante sur le plan personnel

permet de renforcer l’estime de soi et ré-

activer une motivation souvent éteinte du

fait de la maladie [5]. Les objectifs de ce

domaine sont de renforcer les habiletés re-

lationnelles et sociales pour s’inscrire

dans une activité de loisirs. On travaille à

l’aide de jeux de rôles filmés, autour de

l’organisation d’une sortie et sa réalisa-

tion dans le groupe PRACS.

- La 1ère séance groupe redonne les bases

de la communication et propose un jeu

de rôle (faire une demande/ un refus/une

critique...) en fonction de la probléma-

tique principale du groupe.

- La séance 2 individuelle propose un

questionnaire sur les satisfactions/insa-

tisfactions dans le domaine de la com-

munication, de la vie sociale et des acti-

vités de loisirs (TV ? Radio ? Lecture ?

Musique ? Lieux fréquentés ? Intérêt et

difficultés à pratiquer une activité de loi-

sirs ? Difficulté de communication ?).

- La séance 3 groupe a pour but de : dé-

velopper des aptitudes au choix et à la

mise en place d’une activité de loisirs. Il

est proposé de lister les activités de loi-

sirs puis les catégoriser (artistiques,

sportives, culturelles, bénévolat, ...), puis

de noter les avantages/inconvénients des

activités et enfin les démarches néces-

saires pour s’y inscrire. Le groupe s’im-

plique dans un jeu de rôle filmé autour

d’une activité de loisirs de groupe et cha-

cun s’entraîne à se présenter.

- Séance 4 individuelle qui cible l’intérêt

à pratiquer 1 à 3 activités de loisirs, la

motivation et les avantages/inconvé-

nients.

- Séances 5 et 6 en groupe qui analysent

des jeux de rôle et proposent un entraî-

nement aux situations de groupe dans les

loisirs avec, comme mise en situation,

une discussion pour organiser une sortie

en groupe et de faire la sortie prévue hors

séance. Il est proposé également d’invi-

ter des amis dans le groupe et de cons-

truire un projet de sortie.

- Séance individuelle 7 qui permet de re-

venir sur le vécu de l’activité de groupe,

l’activité choisie, les acquis du partici-

pant et son inscription à une activité de

loisirs.

Ce domaine reste difficile dans la mise en

application dans la vie courante, car c’est

un domaine qui met en jeu les capacités

relationnelles, organisationnelles. L’im-

plication dans les jeux de rôles et l’accep-

tation de la caméra peut être compliquée

pour certains. Un autre point difficile est

de faire une demande pour inviter

quelqu’un à une séance, de réussir à inte-

ragir en groupe, savoir se présenter en te-

nant compte du contexte et de s’organiser

concrètement pour mettre en place une

sortie. Ce domaine permet de commencer

à faire les démarches pour mettre en place

une activité de loisirs, mais les maintenir

sur le court/moyen terme restent diffi-

ciles. Ces aspects restent à travailler en

dehors du module et nécessitent pour cer-

tains la poursuite d’un accompagnement

individuel.

Domaine 4 : améliorer sa présentation

- Séance 1 de groupe autour d’un jeu

questions/ réponses « Améliorer sa pré-

sentation c’est quoi ? A quoi ça sert ? Ça

signifie quoi une présentation correcte ?

Qu’est ce qui détermine l’idée qu’on se

fait de quelqu’un ? » et réflexions autour

d’adapter l’apparence aux circonstances

afin de préparer la dernière séance de

groupe.

- Séance 2 individuelle qui aborde l’hy-

giène personnelle au travers d’un ques-

tionnaire sur la présentation globale et

sur les actions quotidiennes d’hygiène

des différentes parties du corps.

- Séance 3 de groupe qui reprend les

règles d’hygiène corporelle (vu en indi-

Page 115: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS)

Un module original pour patients psychotiques à l’Hôpital de jour du secteur Caen Nord

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 115

viduel) ; les règles d’hygiène alimen-

taire, avec un jeu sur les aliments et

l’équilibre alimentaire, composer un dé-

jeuner fictif et un calcul de l’IMC1.

- Séance 4 individuelle qui travaille sur

l’hygiène corporelle, alimentaire, mé-

nage-santé : points forts?/points faibles ?

Pour en faire découler des objectifs per-

sonnels identifiés par la personne.

- Séance 5 de groupe qui retrace les

règles d’entretien de sa maison (salle de

bain, WC, cuisine, lit...) et aussi une édu-

cation à la santé globale mais précise :

suivi médical (médecin traitant, dermato,

gyneco, dentiste, ophtalmo ...), activité

physique, tabac et alcool avec un ques-

tionnaire d’auto-évaluation consomma-

tion alcool/tabac/cannabis.

- Séance 6 de groupe dont le but est

d’adapter sa présentation aux circons-

tances et de la mettre en pratique grâce à

des scénarii où chacun vient avec la te-

nue adaptée.

- Séance 7 individuelle qui fait le bilan et

revient sur les objectifs personnels de ce

domaine et de l’ensemble du PRACS.

Les bilans en groupe à la fin, à 6 mois et

1 an, ont pour but de valoriser les ouver-

tures qu’ont apporté le PRACS, de conti-

nuer de garder des objectifs au quotidien

et de les consolider.

Retour d’expériences et impact sur le quotidien des patients

Les expériences cliniques de deux

groupes sur 4 mois ont été très riches pour

les patients et pour les soignants. Le vécu

est souvent dit “dense” pour les patients

mais reconnu utile. Les domaines sont ré-

ellement interdépendants et confèrent une

cohérence à l’ensemble, très aidant pour

les patients. Les objectifs personnels des

personnes évoluent au cours des 4 mois

pour chacun, avec des bénéfices parfois

très à distance pour certains plus d’un 1 an

après comme si le PRACS permettait le

travail préparatoire, la gestation d’un em-

bryon de projet comme celui de partir un

jour en vacances quand cela fait des an-

nées que la personne se dit que c’est im-

possible ; ou encore une amorce pour aller

vers un rendez-vous en tabacologie avec

comme motivation initiale le budget.

D’autres ont beaucoup plus facilement ac-

cepté suite à ce module la mise en route

d’une aide-ménagère.

Le PRACS a l’art d’aborder de façon

simple et rassurante via le groupe, des su-

jets “complexes” du point de vue du soi-

gnant qui hésite parfois, de peur de trop

confronter la personne à ses difficultés ou

d’être trop intrusif.

Le PRACS est un outil “facilitateur” et

qui demande aussi de travailler en parte-

nariat avec les différents intervenants

dans la prise en charge auprès du patient

afin de poursuivre la réalisation pas à pas

de petits objectifs de réhabilitation sur le

moyen terme et le long terme.

Les quatre domaines du PRACS travaillés

ont pour but d’avoir une influence sur la

qualité de vie des participants à différents

niveaux :

- Le domaine 1 permet d’être plus indé-

pendant au niveau économique, ce qui

peut amoindrir les tensions familiales et

permet de mieux s’organiser pour effec-

tuer certains achats ou projets (voyages,

sorties, appartement...).

- Le domaine 2 améliore le rythme des

participants en diminuant les périodes

d’ennui et en structurant la journée en

différentes périodes.

- Le domaine 3 développe le réseau rela-

tionnel et les activités des participants, et

prend en considération ses difficultés

d’initiative et de maintien d’un engage-

ment dans un groupe lié aux soins et/ou

dans une association en milieu ordinaire,

palier souvent difficile à franchir. Un tra-

vail motivationnel est réalisé.

- Le domaine 4 favorise l’approche de

l’hygiène de façon relativement simple

et non stigmatisante pour les per-

sonnes. Ce domaine permet de mobiliser

le patient autour du soin global de sa per-

sonne au niveau santé (domaines sou-

vent laissés de côté et pourtant si impor-

tants : dentaire, ophtalmologique, car-

diologique, effets d’éventuelles addic-

tions).

Tout cela contribue à améliorer diffé-

rentes dimensions de la qualité de vie :

l’autonomie, les relations sociales, le

bien-être physique et potentiellement psy-

chologique, ainsi que l’estime de soi.

Conclusions

Un des aspects novateurs et stimulant est

l’alternance des séances de groupe et in-

dividuelles qui permet d’essayer de tou-

cher du doigt cette généralisation des

“compétences” acquises en module ou en

atelier thérapeutique qui reste si difficile

dans le soin au patient psychotique.

Ce programme de psychoéducation a été

apprécié par les groupes de patients qui y

ont participé du fait qu’il s’intéresse à la

partie “non malade” des personnes, pro-

gramme qui fait le pont entre la psychia-

trie et le quotidien ; un carrefour entre

psychoéducation, éducation thérapeu-

tique centrée sur les besoins et difficultés

des personnes, et réhabilitation pragma-

tique du quotidien en intégrant les outils

et techniques de remédiation.

1 Indice de Masse Corporelle

Page 116: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 116

Introduction

Après plusieurs années d’évolution du

projet de soin de la ferme, nous avons

voulu partager notre pratique à propos de

cet outil atypique.

Les usagers de l’hôpital de jour viennent

avec cette idée d’évaluation de leurs com-

pétences et pour certains d’entre eux l’en-

vie de réintégrer un travail.

Ainsi, afin de répondre à cette demande

nous avons modifié les objectifs du projet

de soin de la structure et fait évoluer nos

médiations en collaboration avec les usa-

gers.

Après avoir retracé l’histoire et l’évolu-

tion de la ferme thérapeutique, nous illus-

trerons par une vignette clinique le par-

cours de l’usager afin de mieux com-

prendre notre prise en charge actuelle.

La ferme thérapeutique de la naissance à aujourd’hui

Un peu d’histoire

La « ferme de May » est une structure en

milieu rural située à une quinzaine de ki-

lomètres de Caen. Elle est desservie par

les Bus verts qui sont les bus départemen-

taux.

Le projet de départ a été initié par des

équipes hospitalières qui se rendaient

avec des patients hospitalisés sur la ferme

de May. Ces prises en charge s’organi-

saient avec des membres de l’équipe dis-

ponibles selon le planning.

Le but principal était de limiter la chroni-

cisation, d’évaluer et mettre en place des

projets de soin afin de sortir les patients

d’hospitalisation.

En septembre 1991, cette structure de-

vient administrativement un Hôpital de

Jour avec un élargissement des prises en

charge à des patients hospitalisés ou à do-

micile.

Pendant ces 15 dernières années, la ferme

s’est ouverte à d’autres secteurs psychia-

triques pour devenir une structure inter-

sectorielle.

Les objectifs de prise en charge s’orien-

tent vers une préparation aux structures

appelées à l’époque CAT (Centres d’Aide

par le Travail) ce qui implique :

- d’une part, des prises en charge plus

précoces dans la maladie avec un rajeu-

nissement des patients présents en soin à

la ferme ;

- d’autre part, une temporalité adaptée

avec la notion de synthèse tous les six

mois donnant une notion de début et de

fin aux prises en charge et la précision

des objectifs de soin du patient.

Evolution du projet de soin

Elle s’est faite autour de plusieurs axes et

de manière concomitante, nous essayons

tout de même de la chronologiser ainsi.

Tout d’abord en lien avec la loi n°2002-

303 du 4 mars 2002 relative aux droits des

malades et à la qualité du système de santé

[1] qui indique que « toute personne a le

droit d’être informée sur son état de

santé » et où la place centrale du patient

dans le soin est repositionnée. Mais aussi

en lien avec la loi n° 2009-879 HPST du

La Ferme Thérapeutique de May sur Orne, une structure extra hospitalière de l’EPSM de Caen (14 Calvados), est depuis maintenant 26 ans un lieu de soin pour les personnes souffrant d’une maladie mentale. Pendant ce temps, le projet thérapeutique de la structure s’est naturellement enrichi, en fonction des besoins de la population prise en charge. D’un projet initialement teinté de psychothérapie institutionnelle, il nous semblait pertinent d’intégrer des outils afin de mieux travailler autour des compétences sociales des patients. Ainsi, tout en gardant nos médiations rurales, nous prenons également en compte les troubles cognitifs et la symptomatologie résiduelle. Comment à travers les objectifs du projet de soin individualisé, la malléabilité du cadre thérapeutique et les moyens proposés tentons nous de nous inscrire dans cette réha-bilitation, tant dans un but de réadaptation que de réinsertion ? De la même façon, la place de la structure qui initialement permettait aux patients de sortir de l’institution évolue comme un tremplin vers l’insertion. Pour une structure intersectorielle, comment réinterroger nos liens avec les structures et les établissements qui nous sollicitent ? Comment communiquer auprès d’eux ? Qui plus est, nous devons redéfinir nos attentes et les liens avec les structures d’aval. Quels sont les attentes et les besoins des patients que nous suivons ? Enfin, en fonction du contexte général, quelles sont les perspectives d’avenir d’un tel outil au regard de la pertinence de l’offre et de la situation des hôpitaux ? C’est sur ces questions que l’équipe souhaite échanger et communiquer lors des ateliers en table ronde.

Mots-clefs : ferme thérapeutique, hôpital de jour, information du patient, éducation thérapeutique, projet de vie, évaluation, réhabilitation psychosociale, schizophrénie

The therapeutic farm in May sur Orne: cohabitation of institutional psychiatry and psychosocial rehabilitation principles

May sur Orne’s Farm Therapeutic, which is an extra-hospital structure of the EPSM Caen (Calvados 14) is fore 26 years a place of care for people with mental illness. During this time, the treatment plan of the structure was enriched. He said to the needs of the care population. From an initially tinged institutional psychotherapy project, it seemed appropriate to integrate tools to better work around social skills of patients. Thus, while keeping our rural mediations, we also take into account the cognitive and residual symptomatology. How goals through individualized care project, the malleability of the therapeutic framework and the proposed means we are trying to register us in this rehabilitation as a rehabilitation goal of reintegration? Also, instead of the structure which initially allows patients to leave the institution operates as a springboard to insertion. For an intersectoral structure, how to re-examine our relationship with the structures and institutions that solicit us? How to communicate with them? Moreover, we need to redefine our expectations and links with downstream structures. What are the expectations and needs of the patients that we follow? Finally, depending on the context, what are the prospects of such a tool in relation to the relevance of the offer, and the situation of hospitals? It is on these issues that the team wishes to exchange and communicate during workshops roundtable.

Keywords: therapeutic farm, day hospital, patient information, patient education, life project, assessment, psychosocial rehabil-itation, schizophrenia

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La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation

psychosociale

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 117

21 juillet 2009 [2] qui introduit l’Educa-

tion Thérapeutique du Patient (ETP) par

l’article 84 qui « a pour objectif de rendre

le patient plus autonome en facilitant son

adhésion aux traitements prescrits et en

améliorant sa qualité de vie ».

Il est apparu important de tenir compte du

projet de vie et de soin du patient, de ses

demandes et besoins pour adapter et amé-

liorer la prise en charge en fonction des

attentes du patient.

Nous avons repensé les objectifs du jardin

qui, au départ, était un jardin productif

avec de grandes bandes de terre cultivées

de façon intensive. Les usagers trouvaient

ce travail pénible entraînant une perte de

la motivation. Les soignants n’y trou-

vaient pas d’objectifs thérapeutiques pour

faire avancer les patients dans leur projet

individuel.

Ainsi après une formation d’hortithérapie,

le jardin évolue. Nous redessinons des pe-

tits carrés de terre moins pénibles à entre-

tenir. Nous nous servons du jardin pour

développer la sensorialité et le plaisir de

faire en proposant différentes techniques

de jardinage et en s’adaptant au rythme du

patient [3+5].

Un autre domaine à prendre en compte :

les troubles cognitifs des usagers souf-

frant de psychose majoritaires dans le pu-

blic pris en charge.

Il est démontré que 70% des personnes

souffrant de schizophrénie présentent un

déficit cognitif [6]. Plus précisément des

troubles de l’attention, de l’apprentissage,

de la mémoire, de la résolution de pro-

blème, du langage et des facultés sensori-

motrices [7].

A partir de plusieurs rencontres organi-

sées par le cadre avec l’équipe avec un

psychiatre rompu à la prise en compte des

troubles cognitifs, nous avons pu mieux

comprendre l’impact des troubles cogni-

tifs dans la vie quotidienne, l’insertion

professionnelle et le fonctionnement so-

cial du patient [8].

Le but à ce moment était d’essayer d’inté-

grer cette notion de troubles cognitifs

dans la présentation des ateliers et dans

l’organisation du service.

Nous avons ainsi développé notre intérêt

pour la psycho-éducation et la remédia-

tion cognitive, deux approches de la réha-

bilitation psychosociale que nous avons

développées, au travers de médiations par

des aides cognitives, une mise en lien des

difficultés avec les symptômes de la per-

sonne et une prise en compte des diffé-

rentes aides pour que le patient puisse les

intégrer dans sa vie quotidienne [9, 10, 11,

12].

En intégrant la réhabilitation psychoso-

ciale [13, 14, 15] en utilisant, d’une part,

ses treize grands principes [4].La réhabi-

litation psychosociale pouvant se définir

d’une manière générale comme l’en-

semble des actions mises en œuvre auprès

des personnes souffrant de troubles psy-

chiques au sein d’un processus visant à fa-

voriser leur autonomie et leur indépen-

dance dans la communauté [16].

Nous avons tout d’abord créé une grille

d’évaluation qui nous semblait pertinente

par rapport à nos ateliers. Celle-ci quanti-

fie les habiletés du patient observables en

médiation. Nous les avons classées en

trois catégories principales : les habiletés

cognitives sur les cognitions froides, les

habiletés de vie sociale et les habiletés de

vie quotidienne (10+13+14+15+16 et An-

nexe 1].

Cette évaluation est faite toutes les six à

huit semaines.

Nous utilisons également une évaluation

cognitive, l’évaluation neurocognitive ra-

pide pour la schizophrénie et troubles ap-

parentés (ENRS) [17] et une auto-évalua-

tion de l’autonomie sociale créée par deux

ergothérapeutes |18 et Annexe 2]. Elles

sont reconduites tous les ans.

Ces évaluations nous permettent de met-

tre en lumière les difficultés réelles du pa-

tient nous donnant les axes thérapeutiques

à travailler avec la personne et réajuster

ces axes tout au long de la prise en charge.

Nous avons donc en parallèle réajusté la

portée thérapeutique de nos médiations en

y ajoutant des objectifs de réadaptation et

de réinsertion.

En intégrant tout l’apport théorique dé-

taillé au préalable et en s’appuyant sur les

items de nos différentes évaluations.

Nous nous sommes appuyés sur des tech-

niques pour les médiations qui sont struc-

turantes, de réhabilitation professionnelle

et d’activité de vie quotidienne [19].

Une des dernières démarches a été de ren-

contrer les différents ESAT de notre ag-

glomération pour faire du lien et essayer

d’ouvrir des perspectives lorsque les pa-

tients semblent prêts à expérimenter le

monde du travail.

Ainsi nous pouvons avancer que, depuis

le début, il y a un axe de réhabilitation dé-

veloppé toutes ces années aboutissant à

une véritable inscription dans ce concept.

Néanmoins, la réflexion analytique de la

médiation demeure et nous tâchons de

faire cohabiter les deux approches

Composition de l’équipe

En 1991, l’équipe était composée de 7 in-

firmiers, puis de 5 infirmiers et 2 aides-

soignants.

A ce jour l’équipe est composée d’un mé-

decin psychiatre, de 4 infirmiers, 1 aide-

soignante, 1 cadre à mi-temps, un

LES AUTEURS

Arnaud DUMOULIN cadre de santé Dr Julie CAUCHY médecin psychiatre Estelle LEROUX aide soignante Cécile PERRINE ergothérapeute

Ferme thérapeutique de May sur Orne EPSM Caen 4 rue de la Mine 14320 May-sur-Orne France

[email protected]

WEBOGRAPHIE 1. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2002/3/4/MESX0100092L/jo/texte

2. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2009/7/21/SASX0822640L/jo/texte

3. http://hortitherapie.avenir.overblog.com/hor-tith%C3%A9rapie-le-jardinage-%C3%A0-vis%C3%A9e-th%C3%A9rapeutique-l-hor-tith%C3%A9rapie-est-la-r%C3%A9habilitation-pratique-et-globale-de-la-personne-par-la-pr

4. http://www.club-association.ch/rehab/ar-ticle_16.htm

BIBLIOGRAPHIE

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6. PALMER et al., 1997.

7. HEINRICHS & ZAKZANIS, 1998 ; SAYKIN et al., 1991,1994

8. BOWIE et al., 2008; GREEN, 1996 ; GREEN et al, 2000 ; 2004 ; MCGURK & MELTZER, 2004.

9. FAVROD, J. MAIRE, A. REXHAJ, S. NGUYEN, A. (2015), Se rétablir de la schizo-phrénie. Guide pratique pour les profession-nels, Ed Elsevier Masson SAS. Chapitre 4 : Psy-choéducation. pp.45-60.

10. FRANCK N. (2012), Remédiation cognitive, Ed Elsevier Masson.

11. FRANCK N. (2014), Cognition sociale et schizophrénie, Ed Elsevier Masson.

12. BAZIN N. (2014/2), La remédiation cogni-tive des troubles de la cognition sociale, pp.23-26. Le journal des psychologues : Schizophrénie et remédiation cognitive. n°315. Ed Martin Média

13. VIDON G. (1995), La réhabilitation psycho-sociale en psychiatrie, Ed. Frison-Roche.

14. CHAMBON O. (1992), La réadaptation so-ciale des psychotiques chroniques approche cognitivo-comportementale, Ed. Presse Univer-sitaire de France.

15. LIBERMAN R. P. (1991), Réhabilitation psy-chiatrique des malades mentaux chroniques, Ed. Masson.

16. DUPPREZ M. (2008), Réhabilitation psy-chosociale et psychothérapie institutionnelle, L’information psychiatrique. N°10. Vol. 84. pp. 907-912.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 118

BIBLIOGRAPHIE (suite)

17. BRETEL F., OPOLCYNSKI G., COGNARD C., SOYER C., BIRIEN G., BOURGEOIS V., FRANCK N., HAOUZIR S., GUILLIN O., (2010), A new neurocognitive scale for schizo-phrenia which could be used daily practice, Eu-ropean Psychiatry, Volume 25, Supplement 1, Page 1157

18. POMINI V. NEIS L. BRENNER H. HODEL B., RODER V. (1998), Thérapie psychologique des schizophrénies : Programme intégratif IPT de Brenner, Ed Mardaga.

19. PIBAROT, I. (1977). Dynamique de l’ergo-thérapie essai conceptuel.

20. LIBERMAN R. P. (1989), Entraînement aux habiletés sociales pour les patients psychia-triques, Ed Retz.

1 Direction Départementale des Affaires sa-

nitaires et Sociales

ergothérapeute à 40% et nous avons la

présence d’un psychologue une fois par

mois (2h) pour évoquer les prises en

charge plus complexes.

Les objectifs de soin en 2015

La population prise en charge suppose un

projet en deux temps :

- l’évaluation des compétences et apti-

tudes générales dans le quotidien :

- un projet de retour à l’emploi et donc

une évaluation des compétences en lien

ainsi qu’une prise en charge autour d’un

réentrainement ou d’une mise en place

de compensation des incapacités et d’un

maintien ou renforcement des capacités ;

Les objectifs de soins en lien avec le pro-

jet sont globalement :

- prévenir les rechutes en observant l’état

clinique de l’usager ;

- favoriser la mise en activité de l’usa-

ger ;

- évaluer les capacités et incapacités de

l’usager par l’intermédiaire de diffé-

rentes médiations ;

- mettre en place un projet de soin ouvert

sur des activités extérieures ;

- accompagner l’usager dans son projet ;

- favoriser la ré-autonomisation de vie

quotidienne et de vie sociale.

Avec des objectifs individualisés selon le

projet de soin de chacun des usagers.

Illustration par une vignette clinique

Anamnèse

Nicolas est âgé de 30 ans. Il est hospitalisé

pour la première fois en 2006 (21 ans)

pour angoisses majeures et consommation

de cannabis. Il est hospitalisé une deu-

xième fois en 2008 pour angoisses ma-

jeures, idées noires, idées délirantes à

thème mystique, sensation de vide inté-

rieur et repli.

Il se sent comme différent, solitaire, pré-

sente une difficulté à communiquer et dit

avoir subi du harcèlement à l’école pri-

maire par d’autres enfants puis au collège.

Il a développé une phobie scolaire avec de

multiples échecs, un parcours chaotique et

de multiples orientations.

Ses parents sont issus de la DDASS1 : son

père n’accepte pas la maladie, il est très

autoritaire, il n’a pas de gestes d’amour.

Sa mère est traitée pour un cancer du sein.

Il a une sœur dont il ne parle jamais.

Son diagnostic est celui d’une schizophré-

nie paranoïde.

Il est également affecté d’une maladie de

Verneuil (dermatologie).

Nicolas a une bonne conscience de ses

troubles et investit les différentes proposi-

2 Etablissement et Service d’Aide par le

Travail

tions thérapeutiques. Une très bonne al-

liance thérapeutique, de ce fait, et une

confiance sont instaurées.

Le travail psychothérapeutique lui a per-

mis d’accepter sa maladie et le diagnostic.

Actuellement, il vit avec son amie qui a

une obésité morbide. Nicolas s’occupe de

l’ensemble des activités de vie quoti-

dienne à domicile. Il est autonome pour

ses transports.

Il bénéficie d’un suivi au Centre Médico

Psychologique (CMP) et participe aux

ateliers créatifs au Centre d’Activité Thé-

rapeutique à Temps Partiel (CATTP)

ainsi qu’à des cours de percussions dans

une association dans son quartier.

Il a une orientation ESAT2 depuis 2013.

Suite à la porte ouverte de la ferme théra-

peutique en 2014, il est demandeur d’une

prise en charge pour se donner un rythme

de travail au quotidien ainsi qu’évaluer et

développer ses compétences en vue d’in-

tégrer un ESAT.

Début de prise en charge

Nicolas débute la prise en charge le 12 no-

vembre 2014 en intégrant le groupe du

mardi/mercredi. Après une période d’es-

sai d’environ un mois, concluante pour

Nicolas comme pour l’équipe, l’équipe

convient, en synthèse, de poursuivre cette

prise en charge.

De nouvelles synthèses sont program-

mées tous les six mois.

Les médiations

Nicolas participe aux différents ateliers :

les animaux, le jardin, le bricolage, l’ate-

lier bois, la préparation des repas.

Tous les ateliers ont des objectifs orien-

tés vers la réhabilitation : - stimuler les fonctions cognitives (atten-

tion, concentration, fonctions exécu-

tives...) ;

- développer des habiletés de vie sociale

(vie en groupe, respect des consignes et

des règles de vie...) ;

- développer les habiletés de vie quoti-

dienne (repas, déplacement...) ;

- tenter de préparer les usagers aux at-

tentes d’un ESAT (Etablissement et Ser-

vice d’Aide par le Travail).

Mais aussi des objectifs plus analytiques :

- observer la symptomatologie et détec-

ter d’éventuelles difficultés (rechute,

mauvaise observance du traitement) ;

- favoriser l’expression du ressenti de

l’usager ;

- appréhender la réalité ;

- prendre du plaisir à faire ;

- valoriser l’usager.

Voici une présentation des différents ate-

liers dans lesquels évolue Nicolas :

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La ferme thérapeutique de May sur Orne : cohabitation d’une psychiatrie institutionnelle et des principes de réhabilitation

psychosociale

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 119

- l’atelier bricolage a pour objet premier

d’entretenir nos locaux. Il permet aux

patients de stimuler la résolution de pro-

blème, d’utiliser de nombreux outils et

de collaborer en équipe.

Nous utilisons des tableaux (aide cogni-

tive) pour les outils, des bacs pour la vis-

serie permettant aux usagers de se repé-

rer dans l’atelier, de répondre plus faci-

lement à une demande d’outillage et

d’être autonome dans le rangement.

Le jardin propose aux patients d’utiliser

les outils nécessaires, de s’entraîner à la

réalisation de tâches imposées et répéti-

tives (désherbage, tonte, plants…) mais

aussi de ressentir une forme de satisfac-

tion lorsque les légumes ou les fleurs

poussent. Ils peuvent acquérir les pro-

duits récoltés, qui, par ailleurs, agrémen-

tent les repas thérapeutiques (herbes aro-

matiques, légumes, confitures…)

Les ESAT ayant souvent un atelier es-

pace vert, nous invitons nos usagers à

utiliser la débroussailleuse, la tondeuse...

en vue de leur éventuelle intégration.

Les usagers peuvent également disposer

d’un carré de terre où ils font pousser ce

qu’ils veulent en autonomie complète.

- L’atelier animaux permet de s’occuper

des volailles, lapins, chèvres en respec-

tant différentes étapes (nettoyage des

poulaillers, changement de la paille, net-

toyage des bacs à eau, remplissage de

l’eau, nourrir les animaux, sortir les ani-

maux, ramasser les œufs...). Ce sont des

ateliers structurants sur le plan des fonc-

tions exécutives, chaque étape y est im-

portante et est répertoriée sur un tableau

favorisant la mise en autonomie des usa-

gers.

Les usagers sont également confrontés à

la mort, aux naissances, autant de sollici-

tations à des échanges volontiers délicats

et la possibilité de mettre en lien ces su-

jets avec la réalité du quotidien.

L’atelier bois offre la possibilité de tra-

vailler étape par étape et la résolution de

problèmes autour de la restauration de

meubles divers ou la fabrication de petits

meubles (étagères, nichoirs à oiseaux...).

C’est un travail mené en binôme avec le

patient qui permet un échange individua-

lisé. Le temps dans cet atelier n’est pas

“compté” car il n’y a pas de délai à res-

pecter contrairement aux autres ateliers.

- L’atelier cuisine est le creuset d’éva-

luation et d’amélioration des habiletés

nécessaires à confectionner un repas, à

s’organiser, à planifier, à résoudre les

difficultés rencontrées, à utiliser diffé-

rents ustensiles de cuisine... Il donne

également lieu à un accompagnement en

individuel, favorisant les échanges à par-

tir d’un objet de médiation.

Ainsi, Nicolas change régulièrement

d’atelier en fonction de ses demandes et

des évaluations que nous souhaitons ap-

profondir avec lui.

Les évaluations

L’évaluation des cognitions froides

Elle permet de quantifier la cognition

froide sur plusieurs items (mémorisation

court terme, long terme, de travail, atten-

tion, concentration...)

Elle donne un score sur 25 points.

Le score de Nicolas est de 19/25 ce qui

nous indique qu’il n’a pas de déficit ma-

jeur au niveau cognitif mais que nous pou-

vons améliorer ce score grâce à la stimu-

lation cognitive en atelier.

Une évaluation de réhabilitation psychosociale [Annexe 1]

Elle est menée par les soignants après ob-

servation de l’usager en atelier.

Elle côte trois habiletés : cognitive, de vie

sociale et de vie quotidienne.

Nous avons choisi de coter ces trois habi-

letés afin de tenir compte des troubles des

cognitions froides des usagers en atelier,

des difficultés dans l’intégration dans un

environnement et les difficultés sociales

qui en découlent [20] et les éléments de

vie quotidienne que nous pouvons évaluer

à la ferme (hygiène, déplacements, cui-

sine).

Chaque habileté est cotée sur 126 points

et chaque évaluation nous permet d’avoir

une évolution du patient sous forme de

graphique.

Pour une reprise professionnelle ce sont

les compétences de base que nous pou-

vons améliorer avec les usagers.

La cotation se fait en 0/1/2/3.

Cette évaluation se répète toutes les six à

huit semaines.

Une auto-évaluation de l’autonomie sociale

Cette auto évaluation a été conçue par

deux ergothérapeutes dans le but premier

d’harmoniser les groupes de patients par-

ticipant à l’Integrated Psychological The-

rapy (IPT) [18].

C’est le patient qui auto évalue ses capa-

cités sur un panel d’items. Cela permet de

faire des liens avec notre propre observa-

tion et la cotation à l’évaluation de réha-

bilitation. Cette auto évaluation rend

compte également de la connaissance et

de la prise de conscience des difficultés

pour le patient.

Les différents items cotés sont [Annexe

2] :

- les capacités attentionnelles ;

- les capacités d’organisation et de mise

en action ;

- la confiance en soi ;

- la gestion des émotions ;

- l’ouverture subjective à autrui ;

- et la flexibilité mentale.

Chaque item est coté sur 72 points.

Ces différentes évaluations nous permet-

tent de suivre l’évolution du patient selon

nos observations en atelier et selon la per-

ception que le patient a de lui-même.

Ceci permet de revoir les objectifs de

prise en charge et d’objectiver avec le pa-

tient ses progrès et ses difficultés.

Témoignage de Nicolas

Nicolas nous livre son ressenti après plu-

sieurs mois de prise en charge à la ferme :

« Ce que la ferme thérapeutique m’ap-

porte, c’est de pouvoir sortir de mon ap-

partement et de parler avec des gens, de

m’occuper d’animaux et de travailler la

terre et de faire d’autres activités comme

travailler le bois ou faire du béton. »

« J’aime bien car je ne me sens pas jugé

ni sous pression et j’apprends de nou-

velles choses. Ces conditions me donnent

de nouvelles connaissances, du bien-être

et c’est valorisant. »

Conclusion

Par cette illustration et le contenu de notre

présentation, nous vérifions le développe-

ment concomitant des deux grands axes

qui régissent nos prises en charge :

- l’axe structurel de fond dans le registre

analytique et institutionnel qui prend en

compte le patient dans sa singularité, son

histoire, ses ressentis, son vécu et sa ma-

ladie.

- L’axe plus symptomatique et opéra-

tionnel de réhabilitation psychosociale

afin de permettre aux usagers de ré-en-

traîner leurs compétences de vie sociale,

de vie quotidienne, de stimuler leurs

fonctions cognitives et de mener à bien

leur projet de réinsertion.

Cette cohabitation est récente et nous sou-

haitons développer encore l’axe de réha-

bilitation au travail en partenariat avec les

différents ESAT de la région, en réfléchis-

sant à la mise en place d’un atelier espace

vert extérieur à la ferme... mais aussi en

continuant à nous former afin de pérenni-

ser notre action.

Page 120: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 120

Annexe 1

Annexe 2

0,0

10,0

20,0

30,0

40,0

50,0

60,0

70,0

80,0

90,0

100,0

110,0

120,0

12/yy 01/yy 02/yy 03/yy 04/yy 05/yy 06/yy 07/yy 08/yy

sco

res

dates de passation

Graphique des scores à l’évaluation de réhabilitation psychosociale

HABILETES COGNITIVES /126 HABILETES DE VIE SOCIALE /126

HABILETES DE VIE QUOTIDIENNE /126

Page 121: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 121

Introduction

Dans l’argument du Colloque 2015, le

Docteur Genvresse nous propose de ques-

tionner notre efficience dans le soin ap-

porté aux patients, en sollicitant adaptabi-

lité et créativité pour ajuster les apports

thérapeutiques - le cas échéant notre

structure - à leurs besoins spécifiques.

S’il est indispensable de s’interroger ré-

gulièrement sur la juste adéquation de

notre dispositif au public accueilli et aux

troubles présentés, il nous a semblé tout

aussi important de nous pencher sur ce qui

perdure des progrès et améliorations en-

grangés, une fois l’enfant sorti du KaPP.

Ainsi, après une présentation de notre

unité, nous centrerons notre exposé sur la

réinsertion de nos patients dans leur mi-

lieu de vie, dans leur “vie d’avant”, avec

des aménagements selon les cas et sur les

facteurs qui favorisent un désengagement

réussi.

Le KaPP : le dernier maillon d’une chaîne de soins

En Belgique, il existe un dispositif de soin

d’intensité croissante pour prendre en

charge les enfants en difficulté et leur fa-

mille :

à l’hôpital, en ambulatoire : consulta-

tions et bilans multidisciplinaires,

dans les services de santé mentale :

consultations, bilans, suivi, groupes de

parole, thérapie familiale,

à l’école : enseignement spécialisé

(différents types selon la difficulté mise

à l’avant plan) avec soutien de logopé-

die, de psychomotricité et encadrement

éducatif, selon le type,

autour de l’école, ordinaire et spéciali-

sée : les cellules psycho-médico-sociales

venant en soutien de l’école pour un ap-

profondissement de certaines situations,

voire la réorientation de l’enfant dans un

enseignement plus adapté,

avec la famille : différents dispositifs

d’intervention et de soutien à domicile,

en renfort de la famille : internats spé-

cialisés, internats thérapeutiques,

pour coordonner les soins : le Service

d’Aide à la Jeunesse (SAJ, cadre non

contraignant), le Service de Protection

de la Jeunesse (SPJ, cadre contraignant)

à l’hôpital, en hospitalisation de jour

ou de jour/nuit : quand les autres dispo-

sitifs ne parviennent pas ou plus à appor-

ter un soin suffisant pour apaiser l’enfant

et lui permettre de rester inséré dans son

environnement actuel (école et/ou fa-

mille ou institution d’accueil).

Notre unité, le KaPP, fait partie du service

de Psychiatrie infanto-juvénile des Cli-

niques universitaires Saint-Luc à

Bruxelles. C’est un hôpital de jour pou-

vant accueillir 25 enfants, avec une possi-

bilité de jour/nuit pour 4 d’entre eux. Les

enfants accueillis ont entre 0 et 13 ans. Ils

présentent un large spectre de troubles

psychopathologiques, incluant l’anorexie

(du 1er âge et de la pré-adolescence), les

troubles du développement et du langage

avec troubles du comportement associés,

l’autisme sévère pour 5 d’entre eux, la

psychose infantile, les phobies. Nous

sommes sollicités en dernier recours

quand les autres interlocuteurs ont épuisé

leurs possibilités d’intervention.

Notre dispositif est d’emblée intensif : il

s’agit d’un accueil à temps plein de jour,

comme une école, pour une prise en

compte thérapeutique intensive pensée en

fonction de la demande. À chaque nou-

velle admission, nous interrogeons la né-

cessité de notre intervention et tentons, le

plus possible, de faire appel à des struc-

tures plus légères pour maintenir l’enfant

à l’école.

Si l’hospitalisation de l’enfant est la

bonne indication, nous déployons l’en-

semble de notre dispositif pour lui appor-

ter le maximum de soins : ateliers de

groupes (7 enfants maximum, entre 2 et 4

adultes professionnels) travaillant les

compétences et la socialisation, séances

individuelles, entretiens avec les parents.

En interne, notre adaptabilité repose sur la

personnalisation des soins en fonction des

troubles à traiter. En premier lieu, la durée

d’hospitalisation dépendra de ce que nous

avons défini comme objectif de travail :

de 5 semaines à 2 ans. Par ailleurs, si tous

les enfants bénéficient de la prise en

charge collective, les séances indivi-

duelles sont adaptées dans leur fréquence

et leur domaine (kiné, logo, psycho). De

même, le dispositif de travail familial peut

s’intensifier avec des “ateliers parents”,

des entretiens avec la fratrie, des accom-

pagnements au SAJ ou SPJ. Enfin, la ré-

insertion dans le milieu scolaire peut être

étayée par un accompagnement éducatif

selon la nécessité et la demande de l’école

(ré)accueillant l’enfant.

Tout ce dispositif crée de fait un attache-

ment thérapeutique de la famille à notre

Le KaPP, hôpital de jour pédopsychiatrique a pour mission une intervention ponctuelle alliant un psychodiagnostic précis à une intervention thérapeutique pluridisciplinaire modulable selon les besoins. De façon itérative, la même question revient sur nos lèvres : quand et comment terminer le suivi ? Comment réinsérer les petits patients et leurs parents dans leur milieu de vie, leur vie d’avant. Quels sont les facteurs, la modalité, le style qui favorisent un désengagement réussi faisant suite à un engage-ment qui l’était tout autant ? Comment devons-nous nous y prendre avec nos collègues du réseau, en amont, en aval ? Comment moduler le transfert pour le liquider sans trop de dégâts ? C’est sur ces questions que l’équipe souhaite échanger et communiquer lors des ateliers en table rond.

Mots-clefs : réseau, passage, engagement, désengagement

The therapeutic farm in May sur Orne: cohabitation of institutional psychiatry and psychosocial rehabilitation principles

The KaPP, pediatric psychiatric day hospital, strives to provide a time-appropriate treatment using a combination of accurate psychometrics, along with a flexible, multi-disciplinary therapeutic approach adapted to the needs of the individual. A recurrent question arises: when and how to terminate the treatment? How to reintegrate the little patient and their parents into their former lives? What are the factors, the manner, the approach which will favor successful disengagement and reintegration following a just as much successful engagement? How can we ensure effective communication with other involved healthcare providers, either before or after us? How to manage psychological transference to ensure its clearance without damage?

Keywords: network, transition, engagement, disengagement

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 122

structure, qui porte ses fruits et se montre

efficient la plupart du temps, tant que

l’enfant est hospitalisé chez nous.

Une difficulté que nous rencontrons est

alors de transposer ce lien et ce qu’il pro-

duit dans le système de l’enfant en dehors

de nous afin de garantir le passage pour la

suite du travail dont l’enfant aura encore

besoin pour progresser.

L’efficience de notre intervention n’existe que si le relais est réussi

Comme nous l’avons dit plus haut, l’arri-

vée d’un enfant au KaPP est en général

l’aboutissement d’un cheminement de la

famille et elle est souvent vécue comme le

recours ultime.

L’avantage de ceci est que dans la ma-

jeure partie des situations, la confiance se

tisse facilement et l’alliance thérapeutique

avec les parents peut opérer. Mais cet

avantage comporte un risque, celui de voir

la famille déposer son inquiétude, ses es-

pérances et son « attachement » chez nous

à un niveau tel qu’il nous apparaît très dif-

ficile de passer la main. Le moment de la

sortie du KaPP provoque un nouveau dé-

séquilibre.

Or l’efficience de notre intervention s’ins-

crit, nous semble-t-il, dans une tempora-

lité qui va au-delà de nous, celle de l’en-

fant et de la pérennisation de “ses pro-

grès” dans la suite de sa vie et de son dé-

veloppement.

Pour la famille, il s’agit de retrouver une

certaine autonomie dans le pilotage des

soins.

Pour nous, il s’agit de sortir de la position

d’expert et de référence, dans laquelle

nous nous trouvons placés au cours du sé-

jour, pour confier le pilotage du soin à

d’autres et redonner à l’extérieur et à la

famille toute autonomie pour affronter la

suite. C’est ici que nous devons nous

montrer créatifs et adaptables, tout en po-

sant un programme et un cadre qui nous

permettent d’assumer le reste de nos mis-

sions (en priorité dédiés aux enfants qui

sont “dedans”), et en tenant compte des

différentes durées d’hospitalisation : de 5

semaines (notre durée minimale) à 2 ans.

Dans bon nombre de cas, il faut même

penser le plan de sortie au moment de

l’admission de l’enfant. Dans tous les cas,

il faut l’évoquer dès l’entrée.

Les types de familles

Nous sommes frappés par le nombre

croissant de familles qui présentent des

difficultés financières. Les familles qui

nous confient leurs enfants représentent

un éventail moins varié de niveaux so-

ciaux qu’il y a quelques années. De plus

en plus de familles sont en situation de

précarité : chômage, isolement, mixité

culturelle complexe, endettement, suivi

par des services sociaux et de protection

de l’enfance. Ces familles sont isolées et

en perte de repères.

Les changements dans les structures fami-

liales sont essentiellement constitués par

une augmentation des familles monopa-

rentales (surtout des femmes seules avec

un risque de paupérisation). Nous devons

tenir compte de l’absence des pères, des

familles recomposées avec beaux-pères et

belles-mères qui vont revendiquer leur

place (ou non), davantage de familles en

situation d’isolement et de rupture par

rapport à la famille élargie. Nous recevons

de plus en plus d’enfants de familles mi-

grantes. Au gré des migrations internatio-

nales, les familles arrivent du Maghreb,

d’Afrique noire, de Turquie, mais aussi

d’Europe de l’Est, ... Aux difficultés de

compréhension linguistique, s’ajoutent

des difficultés à partager les représenta-

tions culturelles de la famille et à accepter

leurs manières de penser et de faire. Nous

sommes confrontés à l’impact du voyage

migratoire, potentiellement traumatique,

pour la famille et les enfants.

Un certain nombre de familles nous

semble également de plus en plus submer-

gées/entravées par les difficultés de leurs

enfants. Ce sont des enfants “difficiles”

qui « coûtent » beaucoup en temps, en

rendez-vous, en organisation, en adapta-

tions, en remise en question. Et certains

parents sont en difficulté pour faire face

au quotidien, y compris pour organiser un

loisir pour leurs enfants. Le risque est

double, voir la famille se replier sur elle-

même et voir se mettre en place des

formes de nouvelles “carences” éduca-

tives, par défaut de stimulation et d’ou-

verture.

Nous observons des comportements nou-

veaux de « consommation » de soins ou

de services, les parents voulant toujours

davantage. Parfois la demande peut aller

jusqu’à la substitution. Par exemple, pour

un enfant hospitalisé au KaPP, le parent

demande aussi de s’occuper des soins so-

matiques de celui-ci (dentiste, consulta-

tion ORL, consultation ophtalmo, ...) pen-

dant ce temps d’hospitalisation de jour en

pédopsychiatrie.

Nous rencontrons aussi des parents qui

sont à la recherche de l’immédiateté, de

“solutions clés en main”.

Il faut inventer des pratiques au plus près

de nos patients et des acteurs du réseau de

santé mentale, lui aussi en évolution.

LES AUTEURS

Charles-Emmanuel BLONDIAU psychologue Bruno MALEVEZ éducateur Claire SAVEANT coordinatrice Marguerite VAN DEN BERGH assistante sociale

Cliniques universitaires Saint-Luc Le KaPP Avenue Hippocrate, 10 1200 Bruxelles Belgique

WEBOGRAPHIE 21. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2002/3/4/MESX0100092L/jo/texte

22. http://www.le-gifrance.gouv.fr/eli/loi/2009/7/21/SASX0822640L/jo/texte

23. http://hortitherapie.avenir.overblog.com/hor-tith%C3%A9rapie-le-jardinage-%C3%A0-vis%C3%A9e-th%C3%A9rapeutique-l-hor-tith%C3%A9rapie-est-la-r%C3%A9habilitation-pratique-et-globale-de-la-personne-par-la-pr

24. http://www.club-association.ch/rehab/ar-ticle_16.htm

BIBLIOGRAPHIE

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3. KINOO P. (2012), Psychothérapie institu-tionnelle d’enfants. L’expérience du KaPP, Coll. Empan. Editions Erès, Bruxelles.

Page 123: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après...

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 123

Les champs d’action de l’assistante

sociale

Veiller à penser ensemble et avec la fa-

mille aux meilleurs parcours de vie pos-

sibles en tenant compte des ressources

mises à disposition par la société : les ai-

der dans des tâches administratives

comme par exemple la reconnaissance

d’un handicap pouvant donner droit à

des allocations familiales majorées pour

leur enfant, mettre en place des aides à

domicile via le CPAS, un suivi par une

maison médicale, une maison de quar-

tier, ...

Maintenir le réseau vivant, rester et/ou

renforcer le lien avec le réseau déjà exis-

tant avant l’hospitalisation : Service de

Santé Mentale (SSM, service ambula-

toire) envoyeur, école d’enseignement

ordinaire ou spécialisé, maison médi-

cale, ...

Soutenir la famille dans les démarches

qu’elle devra effectuer pour réaliser son

propre réseau et (re)créer ainsi du lien

social. La particularité de notre travail

d’assistante sociale est de pouvoir sortir

des murs de l’institution hospitalière

pour accompagner la personne à l’exté-

rieur et l’aider dans la reconstruction de

liens sociaux.

Soigner et coordonner les plans de sor-

tie vers les écoles fondamentales ordi-

naires et/ou spécialisées, vers les ser-

vices ambulatoires tels que les SSM ou

les services résidentiels thérapeutiques.

Cette mission reste capitale car considé-

rée selon moi comme le franchissement

d’un cap. Ceci demande un réel engage-

ment de la part du travailleur social et de

l’équipe toute entière, mais aussi une

bonne connaissance des partenaires du

réseau, afin de pouvoir proposer à la fa-

mille la formule la plus adéquate.

Pour illustrer ceci, prenons l’exemple

d’un enfant qui a été hospitalisé au KaPP

pour phobie scolaire. Il est en situation de

décrochage scolaire. Pendant le temps

d’hospitalisation, un travail institutionnel

va s’opérer pendant lequel l’équipe va

être soucieuse de prendre en considéra-

tion l’expertise de chacune des personnes

concernées par les soins de l’enfant hos-

pitalisé. A la fin de l’hospitalisation, au

moment de la sortie, une école d’ensei-

gnement spécialisée a été choisie pour le

soutenir dans ses apprentissages. L’enfant

sera accompagné à l’école pendant la du-

rée nécessaire à une insertion suffisam-

ment solide. L’équipe du KaPP portera

une attention particulière à garantir la

continuité des soins et à passer le relais

vers un service ambulatoire qui veillera à

être à l’écoute de la souffrance du jeune,

de celle de sa famille tout en travaillant

avec lui le lien avec l’école et le parasco-

laire. Il s’agira de trouver les accroches

qui lui permettront de se réinsérer dura-

blement dans un projet scolaire.

Les enjeux du travail en réseau

Pour une situation familiale qui arrive au

KaPP, il n’est pas rare qu’un grand

nombre de professionnels gravitent autour

de la famille (SAJ, Service de Santé Men-

tale, Centre Psycho-Médico-Social,

Centre Public d’Aide Sociale, assistante

sociale du CPAS, infirmière de l’Office

National de l’Enfance, aide familiale, aide

et soins à domicile...). Même si tout le

monde est ouvert à la collaboration, les

professionnels sont différents les uns des

autres, dans les différents services qui tra-

vaillent avec la famille. Préoccupés par

ces situations, ils peuvent avoir des ap-

proches ou des points de vue pouvant pa-

raitre contradictoires ou inconciliables, du

fait de leurs places respectives par rapport

à la situation, ou encore de par leurs ap-

proches théorico-pratiques différentes.

Nouer tout cela, c’est le travail en réseau.

L’aptitude à travailler ensemble nécessite

une bonne articulation entre les équipes

psycho-médico-sociales et les services re-

lais concernés pour aboutir à une zone de

collaboration commune. De cette ren-

contre naît un espace partagé où s’échan-

gent les informations concernant le pa-

tient et les soins/suivis qu’il pourra poten-

tiellement recevoir. L’équipe soignante

doit être attentive à ne pas imposer ses

choix à la famille. Provoquer, par

exemple, des contacts variés avec des ser-

vices psychosociaux sans attendre que ces

démarches acquièrent du sens pour la fa-

mille risque d’aboutir à la construction

d’un réseau tout à fait artificiel qui s’avè-

rera plus investi par la famille, et dès lors,

peu efficace, se démantelant rapidement.

Le cadre de notre travail, au travers de la

modalité de l’hospitalisation de jour, est

un outil précieux dans le champ de la pé-

dopsychiatrie, elle permet une remobilisa-

tion intensive des ressources propres à la

famille et à l’enfant et un soutien vers un

développement plus harmonieux et le

maintien de son inscription dans son tissu

familial et social.

Ces soins incluent une évaluation de la de-

mande, la formalisation du projet théra-

peutique qui se fait lors des deux pré-ac-

cueils et une réévaluation régulière des

partenariats, des échanges avec les pa-

rents tenant compte des projets de vie

pour leur enfant. Il est important de rap-

peler que nous devons tenir compte de la

réalité de ce qui est possible en termes de

moyens, de disponibilité, d’adhésion à

nos propositions.

« Ainsi font les éducateurs, trois p’tits tours et puis s’en vont... »

Le travail de l’après KaPP est parfois dif-

ficile. Nous avons le sentiment, depuis

quelques années, que les enfants doivent

s’ajuster à des situations de plus en plus

compliquées et que nous avons bien du

mal, dans le champ social, à répondre cor-

rectement à leurs besoins.

Maxime est arrivé au KaPP à l’âge de 12

ans. Il vit seul avec sa mère depuis le dé-

cès du père, survenu quand Maxime était

encore très jeune. Madame est africaine et

son arrivée en Belgique survint dans des

circonstances dramatiques. Le père de

Maxime fut la personne qui extirpa la

mère d’une situation périlleuse. Dès lors,

sa disparition laisse un vide immense, ja-

mais comblé, plongeant la mère dans le

désespoir. Ils vivent tous deux dans des

conditions précaires et sont fort isolés.

C’est une psychologue du SSM (Service

de Santé Mentale) qui nous adresse le gar-

çon. Elle suit la situation depuis des an-

nées mais se trouve impuissante face à la

dégradation de celle-ci.

Maxime se trouve en première année se-

condaire différenciée. Il est au bord de

l’exclusion et arrive chez nous pour une

hospitalisation de cinq semaines en vue

d’un bilan global, de la recherche de

pistes thérapeutiques et d’une éventuelle

réorientation scolaire.

Dès les premiers jours, nous nous rendons

bien compte que le comportement de

Maxime est difficile à gérer. Il est impré-

visible, se comporte tantôt comme un

ange, tantôt comme un démon. Il est tou-

jours à la limite de déroger aux règles de

la vie en communauté. Il peut à la fois être

très gentil avec les plus jeunes et en riva-

lité avec les enfants de son âge, les provo-

quant, les poussant à faire des bêtises pour

nier ensuite toute responsabilité.

Déjà dans son école, l’équipe éducative a

mis en place un espace contenant, une

“bulle” où certains enfants peuvent

s’apaiser. Maxime y a fréquemment re-

cours.

Chez nous, il lui a fallu très peu de temps

pour se sentir en sécurité et très vite des

liens se sont créés.

Les signes de révolte annoncés se sont

avérés moindres que prévu, en tout cas,

n’allant jamais jusqu’à la rupture. À

chaque fois il a pu revenir dans le lien, re-

prendre contact avec nous, mettre des

mots, présenter ses excuses, effectuer une

réparation.

Les entretiens entre la mère et nous se

sont avérés positifs, nous avons pu abor-

der des problèmes personnels, ouvrir à

des questions sur son histoire que Maxime

n’osait pas lui poser, par respect ou

crainte de sa mère (elle le “corrigeait” par-

fois physiquement).

Page 124: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 124

Plusieurs rencontres ont eu lieu avec

l’équipe éducative de son école. Celle-ci

attendait de nous une solution “miracle”.

Nous avons quant à nous “concrètement”

proposé trois pistes :

qu’il puisse être responsabilisé afin de

terminer son année scolaire dans de

meilleures conditions ;

qu’il y ait une meilleure communica-

tion entre la mère et son éducateur réfé-

rent scolaire; celui-ci s’est engagé à télé-

phoner à la mère pour lui donner réguliè-

rement des nouvelles de son enfant,

qu’elles soient positives ou négatives ;

que l’éducateur référent du KaPP se

rende tous les lundis matin à l’école afin

de faire un débriefing de la semaine

écoulée et de soutenir Maxime dans ses

comportements et ses apprentissages.

Lors du retour à l’école, les deux pre-

mières semaines se sont bien déroulées.

Hélas, il n’en a pas été de même par la

suite.

Afin de voir quelles stratégies adopter, le

psychologue et l’éducateur référent du

KaPP ont rencontré l’équipe éducative et

le Centre Psycho-Médico-Social de

l’école.

Les contacts entre le psychologue du

KaPP et la psychologue du SSM se sont

maintenus pendant le séjour.

À l’issue de ces contacts, il a été décidé

qu’il fallait :

Continuer de soutenir l’école.

Rechercher une école d’enseignement

spécialisé plus adapté pour l’année sui-

vante.

Installer une aide supplémentaire par

“l’éducateur scolaire” du KaPP (en plus

de l’éducateur référent) pour soutenir

Maxime lors des examens.

Poursuivre le travail thérapeutique in-

dividuel et familial.

À la sortie, une réunion a été organisée

rassemblant la famille, l’ambulatoire et le

KaPP afin de transmettre toutes les infor-

mations nécessaires.

Nous avons également rencontré l’assis-

tant social du SSM pour qu’il puisse faire

le pont avec la nouvelle école de Maxime.

En septembre, lors du passage vers l’école

spécialisée pour trouble de la personnalité

et des comportements, nous en avons ren-

contré l’équipe éducative.

Quelques heures après cette rencontre,

Maxime est revenu nous voir au KaPP

pour nous annoncer qu’il avait été exclu

une journée de son école. Nous avons té-

léphoné au SSM : un rendez-vous a été

fixé le jour même.

À suivre donc...

C’est “Caen” qu’on s’arrête où ?

Comme nous l’avons vu, sous l’angle so-

cial et éducatif, les enfants et leur(s) fa-

mille(s) qui accèdent - certains pourraient

dire échouent - au KaPP, ont toujours ef-

fectué un long parcours où ils se sont sen-

tis isolés ou incompris.

Maxime, lors de l’entretien de pré-accueil

alors que nous ne sommes ensemble que

depuis cinq minutes, me demande brus-

quement : « Monsieur, vous avez des en-

fants... ici en Belgique ? ». Relativement

décontenancé, je lui réponds : « Oui. Mais

pourquoi me demandes-tu cela ? ». Il me

répond alors : « Parce que quand vous me

regardez comme ça, Monsieur, on croi-

rait que je suis votre fils ! ». Pour

Maxime, comme souvent pour d’autres,

l’attente est énorme, le transfert massif.

Nos hospitalisations sont presque toujours

consécutives à un appel à l’aide émanant

du réseau scolaire, médical ou psychoso-

cial au sens large. Quelle que soit l’ori-

gine de l’appel, on doit constater que la

souffrance des enfants et de leur famille a

débordé le réseau ambulatoire par sa com-

plexité, sa violence ou sa chronicité. Plus

rarement, elle est restée invisible. Y ré-

pondre va donc demander un investisse-

ment important dans la contenance et

l’étayage et, ce, dans une constellation

transférentielle que nous espérons la plus

riche possible.

Comment déployer notre dispositif dia-

gnostique (recherche active et “fonction-

nelle” dans le cadre d’une expérience de

psychothérapie institutionnelle) dans un

temps court (cinq à dix semaines pour une

prise en charge “standard”) avec suffi-

samment de pertinence, de rapidité et de

finesse, sans mettre à mal l’aval potentiel,

sans discréditer l’amont envoyeur par la

“puissance” de notre action pluridiscipli-

naire conviée instamment à faire auto-

rité ?

Comment donc doser cet apport massif

d’attention et d’intention thérapeutiques

afin qu’il soit suffisamment robuste dans

sa construction et progressivement rem-

plaçable dans sa déconstruction partielle ?

Nous devrions en fait pouvoir nous pré-

senter d’emblée comme substituables

alors qu’on nous voit comme indispen-

sables ; notre expertise devrait se dis-

soudre dans le champ psychosocial.

En d’autres mots, il nous faut tendre à être

à la fois “méta” - et “inter”-communi-

cants, nous constituer comme référence

(n+1) ponctuelle et perdre rapidement

notre verticalité par une inclinaison vers

“les autres” pour retrouver l’horizontalité

dans le réseau. Notre présence ne trouvera

son effectivité thérapeutique qu’à se pro-

filer comme absence annoncée. Nous de-

vons faire en sorte, ayant accompli notre

mission catalytique, que "l’avant" se re-

trouve compétent dans “l’après”.

Quel que soit le type de famille rencon-

trée, quelle que soit la pathologie de l’en-

fant hospitalisé, nous ne pouvons éviter la

lourdeur d’une prise en charge complète.

Souvent auparavant une scolarité à temps

partiel a été tentée, souvent l’irrégularité

de la fréquentation scolaire pose pro-

blème, souvent l’enfant a été écarté plu-

sieurs fois pour mesure disciplinaire, par-

fois il se trouve déjà dans une institution

de l’aide à la jeunesse qui, elle-même, est

aux abois.

Nous sommes donc amenés à nous ériger

(verticalement). Nous ne pouvons nous si-

tuer dans le cercle du réseau qu’à y figurer

comme repère, mât totémique ou de co-

cagne, d’où pourrait enfin venir une solu-

tion définitive.

Cette position où on nous met, où nous

nous mettons, nous l’occupons, que l’en-

fant souffre de trouble névrotique, de dys-

harmonie évolutive, d’état limite, de psy-

chose ou d’autisme.

Dès que l’accord se fait avec la famille,

accompagnée ou non par une ou plusieurs

personnes du réseau en amont, ce n’est

pas l’enfant seul mais le plus souvent

toute sa famille qui va profiter de la fonc-

tion phorique de l’institution.

Si le circuit (P. Delion, 2001) se met

Phorique

Métaphorique Sémaphorique

bien en place pour l’enfant, nous avons

l’impression que la famille est maintenue

dans l’étayage, se reposant, voire se ré-

pandant dans le champ institutionnel sans

participer à l’avènement de sens, à l’émer-

gence d’éléments significatifs qui lui per-

mette de nous accompagner dans une éla-

boration, une interprétation.

Nous nous offrons, je pense, comme élé-

ment plus substitutif de la famille que

comme instance prolongeant celle-ci ou

palliant ses difficultés (ce qui serait un

moyen terme).

La famille ayant trouvé le KaPP risque de

ne pas le garder comme direction à suivre

(il y a longtemps qu’elle a perdu la bous-

sole et nous peinons à lui faire retrouver

le Nord), ni de le franchir après avoir sur-

monté une part de ses difficultés, mais

plutôt de s’y appuyer comme sur un pro-

montoire, un genre de KaPP de Bonne Es-

pérance, essuyant les tempêtes.

Comment donc éviter cela, car dès lors

qu’il en est ainsi, tout transfert vers une

autre structure (de soin, scolaire, psycho-

thérapique, rééducationnelle...) risque de

s’avérer périlleux.

En effet, même si cette nouvelle structure

(ancienne déjà investie, mais ayant fait

long feu) nous a suivi dans la façon dont

Page 125: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Soins de jour au KaPP : la pertinence et l’efficience mesurées dans l’après...

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 125

nous avons élaboré de manière construc-

tive, c’est-à-dire en posant un diagnostic,

en proposant un dispositif de soin qui

tienne la route, à partir de nos sensations

contre-transférentielles, elle ne peut occu-

per la même place de par sa fonction am-

bulatoire.

Nous pouvons faire une exception pour

les situations où, en accord avec la fa-

mille, et avec parfois, chose étonnante, la

demande expresse de l’enfant, nous nous

dirigeons vers un internat thérapeutique

ou une structure d’accueil de l’Aide à la

Jeunesse. Les parents auront alors accepté

une aide qui tient compte à la fois de leurs

difficultés et de leurs souhaits de demeu-

rer complètement parents, mais à temps

partiel. Dans ces situations, nous avons pu

travailler, d’une part, la différenciation et

la place dans le rang générationnel,

d’autre part, la capacité de la famille à se

remettre en question en libérant l’enfant

d’une fonction lourde à porter qui a fait de

lui le patient identifié. L’induction au

changement est alors souvent mise en

branle. Nous aurions pu y penser avec

Maxime, sa mère et le SSM.

La plupart du temps, nous restons dans la

difficulté de passer la main car ne peut se

passer d’un lieu à l’autre que ce qui a été

symbolisé, nommé et donc ouvert. On ne

peut faire passer le lien, mais ce qui dans

le lien a été travaillé.

S’ils ne sont que soutenus par l’équipe, les

problèmes familiaux demeurent des élé-

ments bruts et improductifs de l’expé-

rience. Ils constitueront moins des souve-

nirs mentalisés que des faits non digérés,

non symbolisés, non disponibles à la pen-

sée. La famille pourra parler de l’expé-

rience commune mais non des traces

qu’elle a laissées au sein de son propre es-

pace psychique familial. Si Alberto Ei-

guer parle d’un « Divan pour la famille »

[2], ce n’est certes pas pour qu’on s’y as-

seye avec les patients pour les prendre

dans nos bras et les protéger d’un monde

extérieur menaçant.

Quoique convaincus des approches de

Neuburger et Caillé, nous touchons peu

aux mythes familiaux souvent en contra-

diction avec la phénoménologie quoti-

dienne des familles. Nous percevons les

doubles liens mis en évidence par Ferreri

et Ausloos, nous vibrons empathiquement

avec les enfants soumis à divers conflits

de fidélité et d’appartenance mise à jour

par Boszormenyi-Nagy. Nous y touchons

peu.

Le fait est que la massivité de notre prise

en charge, le peu d’espace dévolu au tra-

vail de la demande, contraints que nous

sommes par l’insistance de l’adresse et la

médicalisation (on doit guérir l’enfant),

par la notion d’urgence, même si nous

avons souvent une longue liste d’attente,

tout cela fait que nous sommes peu en-

clins à nous interroger sur les possibilités

de changement de la famille dans l’élabo-

ration de notre prise en charge.

Dès le premier appel et, a fortiori, dès que

nous avons rencontré l’enfant et ses pa-

rents, nous nous posons là, là où personne

n’est plus, comme ultime essai et dernier

recours. Humblement, sans jouer les hé-

ros, mais quasi sans condition, en tout cas

sans période d’essai, ni jour de rencontre

préalable.

Comment garder le même engagement, la

même multidisciplinarité (pédopsy-

chiatres, psychologues cliniciens, ensei-

gnant(e)s, logopèdes, psychomotri-

ciennes, éducateurs(trices), infirmière,

aide-soignante, assistantes sociales en

coordination serrée (fonction de la

coordinatrice) tout en garantissant à

l’issue de la prise en charge une conti-

nuité des soins dont nous ne serons plus

les garants. Si la famille ne peut être ga-

rante de son propre dispositif de prise en

charge, qui doit en assurer par la suite la

responsabilité ? Que devons-nous faire pour redevenir ho-

rizontaux, pour reprendre une place dans

le réseau non encombré d’une autorité que

nous n’avons plus, d’un pouvoir usurpé à

la famille qui paradoxalement nous prête

une toute puissance dont nous n’avons ap-

paremment que faire ?

Ou alors, de quoi devons-nous nous dé-

barrasser pour ne pas occuper cette place

qui nous encombre tant par la suite ?

N’installons-nous pas “à l’insu de notre

plein gré”, un dispositif qui nous rend in-

dispensables... ?

Bref, comment faire trace (ne pas dispa-

raître) sans faire tiers (garder une position

d’autorité) ?

L’intensité de l’engagement, la gratifica-

tion des résultats obtenus ainsi que le fait

que les parents se sentent redevables à

notre égard, nous empêchent trop souvent

de lâcher à bon escient, de renoncer à nous

repointer là où nous n’avons plus à être.

Le KaPP perd-il le Nord magnétisé par sa

culpabilité judéo-chrétienne ? Ou alors,

perd-il complètement la boussole et se

prend-il pour le Nord, égaré par son ego ?

Nous travaillons régulièrement à ques-

tionner le dispositif interne du KaPP, veil-

lant à lutter contre l’augmentation inéluc-

table de l’entropie qui frappe toute insti-

tution, par la créativité et le réaménage-

ment des structures.

Ne serait-il pas temps de reconsidérer la

place qu’on occupe dans le réseau de

soins afin de réinterroger la raison sociale

de notre pratique, les attentes autant en

amont qu’en aval ?

Ou encore... la valeur ajoutée du KaPP

doit-elle toujours se communiquer ? Peut-

elle demeurer dans le champ de la liqui-

dation du transfert sans être absolument

l’objet de transmissions diverses ? Ou du

moins peut-on énoncer ce qui est trans-

missible et ce qui ne l’est pas ?

Le rapport d’hospitalisation doit faire

œuvre utile et il n’est l’objectivation que

d’une partie de ce qui s’est joué entre

nous, l’enfant et les parents. Celui-ci peut

être le passage témoin d’un lieu à l’autre.

Pour le reste, cela va dépendre du contact

et certaines choses demeureront intrans-

missibles.

« La vie est une trajectoire... »

Il y a dix ans déjà, Anne Mathy, assistante

sociale, et Philippe Kinoo, pédopsy-

chiatre, se posaient la question de l’aval

du KaPP, « Sorties, à quelle adres-se ? »

lors du Colloque des Hôpitaux de Jour

psychiatriques de Grenoble, repris par la

suite dans le livre du KaPP [3].

Ils parlaient à l’époque de la réhabilitation

du lien thérapeutique chronique et propo-

saient d’imaginer que chaque structure

puisse être pour un patient à la fois le de-

hors et le dedans, et que celui-ci pourrait

changer de lieu en gardant le lien.

Dix ans plus tard, aujourd’hui, comment

ne pas encore adhérer à ces propos huma-

nistes et généreux ?

Et en même temps, le quotidien des hos-

pitalisations qui se succèdent et se bous-

culent nous permet-il toujours de gérer la

noblesse de la chronicité des soins, nous

qui sommes happés par l’évènementiel ?

Ou encore, garder le lien n’est-il pas une

entrave à l’avancée thérapeutique de la fa-

mille avec d’autres dans d’autres lieux

mais aussi lors d’autres liens ? Le lien qui

rassure peut aussi retenir, figer la créati-

vité, freiner l’induction thérapeutique...

Comment faire ? Comment défaire ? Cela

tient à si peu de choses et pourtant cela

nous tient à cœur... mais pas trop quand

même...

Bon on s’arrête quand ?

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 126

Le sujet vieillissant est condamné à la créativité

Jean-Marc Talpin

La créativité et nous

Dans la définition de la créativité par

Freud (1908), il y a la notion d’« une ca-

pacité de faire des fantasmes, une réalité

inscrite dans une œuvre et donc parta-

geable avec d’autres ». Le fait d’être par-

tageable relève d’une sorte de communi-

cation. Cette communication relie des

êtres humains, elle se situe entre leurs

mondes intérieurs, leurs inconscients et,

également, entre leur inconscient et leur

réalité subjective objective. Par consé-

quent, on peut comprendre la créativité

comme un langage symbolique et univer-

sel. Cette universalité comprend une in-

différence à l’âge, aux symptômes psy-

chiques observables et au pronostic. Le

monde fantasmatique nous appartient tou-

jours.

Dans notre travail quotidien, à l’hôpital de

jour pour patients atteints de troubles co-

gnitifs du Centre Ambulatoire de Psychia-

trie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA)

à Genève (PTC en abrégé), nous essayons

de garder ouverte la porte à ce monde.

Une autre théorie sur la créativité par Mé-

lanie Klein (1929) met en avant la fonc-

tion réparatrice de la créativité, une force

créatrice qui a pour but d’unifier les objets

primitivement clivés durant notre petite

enfance. Dans notre travail quotidien,

nous ne nous sommes pas basés sur les en-

jeux psychodynamiques dans le dévelop-

pement des troubles cognitifs. Les objets

primaires restaient souvent inaccessibles

à une exploration auto- ou hétéro-anam-

nestiques.

Néanmoins, les contenus et les formes de

l’expression de nos patients dans les

groupes de médiation nous montrent une

force individuelle et déterminée qui tra-

verse la problématique cognitive. La force

de la créativité, semble-t-il, gardait son

aspect réparateur même si les enjeux qui

avaient promu le besoin de la réparation

étaient inaccessibles.

Finalement, Winnicott (1971) a souligné

l’importance de la créativité en tant qu’at-

titude face à la réalité extérieure, « Je crée

donc je suis », disait-il. Pour lui, la créati-

vité est synonyme de « vie », « d’être vi-

vant », de « se sentir réel » et « sain » ; et

ce n’est qu’en étant créatif que l’on peut

vivre pleinement.

Il s’oppose aux aspects fantasmatiques de

la créativité qu’on a vus dans les essais de

Freud. Selon Winnicott, « la pulsion créa-

tive apparaît aussi bien [...] chez l’enfant

retardé [...] que chez l’inspiration de l’ar-

chitecte... » et le modèle principal de l’ac-

tivité créative est le jeu.

Nous avons été attentifs aux notions de

fantasmes de nos patients et nous avons

essayé avec une réussite modérée voire

faible de distinguer les pulsions observées

chez nos patients, leurs origines, leurs

formes et leurs relations avec la vie quoti-

dienne. Quant au jeu, nous avons été at-

tentifs. Nous l’avons utilisé quotidienne-

ment sans le nommer étant donné la fragi-

lité de nos patients quant à la perte de leur

autonomie et une certaine “infantilisa-

tion” dont ils souffraient dans plusieurs

aspects de leur vie.

La spécificité du travail avec les patients

âgés, atteints des troubles cognitifs modé-

rés à sévères est leur accès à l’inconscient

qui est plus intuitif et irrationnel. Les ou-

blis qui les détachent de leurs souvenirs,

de leurs sens de vie et de leurs buts anté-

rieurement imaginés. Les oublis les coin-

cent dans l’« ici et maintenant » qui est,

de son côté, influencé par le passé inac-

cessible. Que faire face à cette incon-

gruence, à cette relation entre vivre, ou-

blier et créer ?

Notre monde fantasmatique envahit de temps en temps le monde réel : dans les rêves, dans l’art, dans les gestes, dans les regards et dans le silence. Notre créativité est présente dans tout ce que nous observons, ce que nous changeons, ce que nous construisons et ce que nous sommes. Le processus créatif et le plaisir de la création associé sont probablement les meilleurs moyens dont dispose l’appareil psychique pour lutter contre les effets négatifs des nombreuses pertes rencontrées lors du vieillissement. En ce sens, la créativité, en tant que sublimation (source de plaisir substitutif), est souvent un moyen de pouvoir continuer la création de Soi jusqu’au bout. Mais peut-on encore créer quand les troubles neurocognitifs entraînent la perte des liens avec les représentations, coupant par là même l’accès à la dimension symbolique ? On assiste chez les patients souffrant de troubles neurocognitifs à un retour massif de la psyché au corps et au perceptif. La créativité quitte alors le monde symbolique pour devenir un processus qui permet d’exprimer des sensations et émotions non représentables et non verbalisables. Nous accompagnons nos patients aînés dans l’exploration de leur créativité en mettant en lumière leurs capacités et en les aidant à les mobiliser. Cette invitation entraîne des mouvements propices à l’expression de ce monde intérieur, plus “brut”, pour trouver le chemin menant vers un possible apaisement et pour soutenir l’identité personnelle jusqu’au bout. Nous vous proposons un atelier pour explorer une forme de liberté, à l’instar de nos patients, au-delà des frontières imposées par les symptômes des troubles neurocognitifs. L’hôpital de jour, pour les patients atteints de troubles cognitifs du Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA) à Genève, se base sur notre observation et notre certitude que la créativité peut toujours être trouvée si nous la cherchons. Nos patients nous le démontrent quotidiennement dans nos groupes de théâtre, de photo-langage, d’habiletés sociales, et dans nos partages formels et informels.

Mots-clefs : sénior, démences, créativité, parole, habiletés sociales, photo-langage, théâtre, cinq sens

Oblivions but create and live, now...

Our fantasy world could be spread through the real world: via dreams, via art, in the gestures, in facial expression, in silence. Our creativity is present in everything we see, what we influence, what we shape or what shapes us, in whom we are. The creative process and the associated pleasure of creation probably are the best means the psychic apparatus has to fight against the negative effects of numerous losses experienced during aging. In this sense, creativity as sublimation (unwitting substitution of a satisfaction) pursues the creation of the Self throughout life. Still, are we able to continue to create when neurocognitive disorders separate us from the mental representations, thereby cutting off access to the symbolic dimension? We are witnessing in patients with neurocognitive disorders to a massive return of the psyche toward the body and toward the perception. Creativity leaves the symbolic world to become an instrument of expression of feelings and sensations, often non-verbalizable and non-representable. We encourage our patients in exploring their creativity by highlighting their capabilities and helping them to mobilize them. This leads to the expression of that inner world, more “direct” and “raw”, in order to find the path towards healing and toward a further development of one’s identity, regardless their age and difficulties. Here, we offer one workshop in which we try to explore the creativity beyond the boundaries imposed by the symptoms of neurocognitive disorders. The daily outpatient hospital for patients with cognitive disorders at the Psychiatry and Psychotherapy Centre of the Elders (CAPPA) in Geneva, is based on our observation and our belief that creativity can always be found if we search for it. Our patients demonstrate it on a daily basis in theater groups, photo-language groups, social skills groups, and in “sense in sensations”-groups.

Keywords: senior, dementia, creativity, speech, social skills, photo-language, theater, five senses

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Oublis et vivre, créer au présent l’après

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 127

LES AUTEURS

Dresse Dragana FAVRE Eric LAUBER Catherine GARDIOL Dr Aimilios KRYSTALLIS

Hôpital de jour pour les patients atteints de troubles cognitifs (HdJ-PTC) Centre Ambulatoire de Psychiatrie et Psychothérapie de l’Âgé (CAPPA) Hôpitaux Universitaires de Genève 10, rue des Épinettes 1227 Acacias Suisse

BIBLIOGRAPHIE

1. DE MIJOLLA A. (2013), Dictionnaire interna-tional de psychanalyse, Grand Pluriels Hachette, 2122 pages.

2. FREUD S. (1907), Der Dichter und das Phan-tasieren, Erstveröffentlichung: Neue Revue,Bd. 1 (10), 1908, S. 716-24. Gesammelte Werke, Bd. 7, S. 213-223, 1908.

3. KLEIN M. (1929), Infantile anxiety-situations reflected in art, creative impulse, Int. J. Psycho-anal., 10:436-443.

4. WINNICOTT D. W. (2005), Playing and real-ity, London: Routledge; 2 edition (November 11, 204 pages.

Nous allons démontrer au fil de cet atelier

notre méthode, nos questionnements et

nos observations.

Les groupes

Nous allons présenter quatre groupes,

leurs déroulements, leurs objectifs, leur

cadre et les exemples sous forme de vi-

gnettes cliniques.

Tous ces groupes sont hebdomadaires,

chaque groupe a des conducteurs fixes, le

temps et l’espace sont fixes et les patients

sont membres du même groupe passant

ensemble deux ou trois jours par semaine.

Groupe Habiletés Sociales

Ce groupe se base sur notre hypothèse que

l’on peut essayer de contourner des

troubles cognitifs en mettant en avant les

capacités préservées. Ce cadre contenant

va diminuer l’anxiété et permettre à la

personne d’exprimer ses ressources.

Nos objectifs principaux sont de rester en

contact avec le quotidien (« qu’est-ce qui

donne envie de se lever le matin ? »,

« quel plaisir je trouve à vivre ? »,

« qu’est-ce qui motive et non pas ce que

je dois stimuler »), d’échanger les préoc-

cupations, de trouver des solutions

propres à chacun, et de rester connecté à

sa propre créativité. Ce mot créativité les

surprend, ils sont déjà “habitués” aux

pertes. Nous ne négocions pas avec leurs

convictions et leurs peurs, nous les lais-

sons découvrir leur créativité au fil du

groupe et leur montrons les résultats au

bout de la séance.

La disponibilité et l’ouverture des con-

ductrices sont privilégiées. Elles pour-

raient naturellement préparer des thèmes

et les aborder les uns après les autres.

Néanmoins, nous préférons laisser émer-

ger ce qui vient et favoriser la rencontre.

Si nous arrivons à amener un climat de

confiance par le jeu et la créativité, cela

laisse spontanément place aux ressources

de la personne. Ce partage permet parfois

de rassembler les morceaux épars de sa

vie.

Quant aux mots, nos patients ont de la

peine à exprimer une émotion, ou simple-

ment ce qui se passe. Parfois, nous expri-

mons les mots de ce que nous avons com-

pris pour l’autre en lui demandant si c’est

bien cela qu’il souhaite dire (reformula-

tion). La règle de l’expression verbale est

simple : la liberté de dire ou de ne pas

dire.

L’ouverture du groupe se déroule toujours

par un rituel. Ceci est une façon de retrou-

ver le connu, pour se voir et s’entendre -

pour se rencontrer. Le rituel est d’abord

une cymbale, ou un objet de la nature qui

circule puis une trace de couleur, qui de-

viendra une composition du groupe. Cette

trace a été utilisée à l’ouverture de cet ate-

lier. Nous avons construit une chose en-

semble, nous avons vécu l’expérience,

nous avons utilisé le geste qui se trans-

forme. Ce lien est là, visualisé et nous al-

lons le défier à la fin de cet atelier, nous

allons vivre ensemble sa transformation

au fil de notre rencontre, ici, maintenant.

Ensuite, dans notre groupe habiletés so-

ciales, nous abordons un thème, ou l’évè-

nement du moment, par exemple le mé-

tier. Pratiquement nous montrons un geste

pour se présenter, un geste pour un métier

qui nous a occupé une partie de notre vie,

qui deviendra une danse... une chorégra-

phie. Par exemple, le geste permet à Mme

B. qui ne s’exprime plus par les mots, de

nous montrer avec un mouvement ryth-

mique du pied, le geste de la pédale de la

machine à coudre. Elle a été couturière et

elle nous parle de cette partie d’elle. Les

participants se lancent chacun à leur tour,

l’un a été enseignant, l’autre garde-fron-

tière... Et tous ces gestes que l’animateur

rassemble à la fin comme une danse de

groupe.

Un autre exemple : on attrape une idée

comme une collègue qui part en vacances,

et les proches quand ils s’en vont. Qu’est-

ce que ça nous fait ?

A un autre moment, peut-être avons-nous

“juste” trop chaud : nous essayons de mi-

mer cette sensation, de décrire comment

on s’habille quand il fait trop chaud.

Nous abordons les sujets simples, mais in-

dispensables : comment prendre le petit

déjeuner, le décrire, le mimer et, égale-

ment, nous, boire le café pendant le

groupe.

Ou encore une appréhension en cas d’en-

trée en maison de retraite. Par exemple M.

R., actuellement seul et handicapé à la

maison, raconte combien c’est difficile de

ne plus retrouver ses amis au parc pour

jouer aux boules. Son voisin dans le

groupe, qui lui est déjà rentré en EMS et

continue à venir au groupe, lui raconte

que dans son établissement, il existe un

groupe de boulistes. M. R. l’écoute inté-

ressé.

En résumé, on essaie de créer un climat de

jeu, d’ouverture, qui nous semble être fa-

vorable à l’accueil des propositions des

participants. On observe que ce dispositif

met les personnes en confiance et leur per-

met d’exprimer leurs ressources.

Groupe Photo-langage

Ce groupe est en forme de cercle, au mi-

lieu il y a une table. Sur la table, il y a une

dizaine de photos. L’objectif est simple :

choisir une photo et se prononcer sur ce

choix, ensuite la faire circuler dans la salle

et écouter les commentaires des autres.

Il est facile d’expliquer, facile de com-

prendre le but initial : faire des associa-

tions, partager, échanger.

Page 128: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 128

Néanmoins, c’est le choix qui signifie. Le

choix leur appartient – c’est cette photo-là

qui a réussi à détourner leur attention, de

lui consacrer une, deux secondes de plus.

Durant une seconde, nous avons été là, de-

vant ce choix et durant cette seconde,

nous avons été tous là, synchronisés.

Nous nous sommes réveillés de nos rêve-

ries sur le passé, de notre flottement dans

le fil du temps, nous sommes juste là. En-

suite, nous nous perdons à nouveau, cha-

cun avec son histoire, ce que l’autre

écoute ou pas. On la passe, la photo. Ce

que nous observons, nous sommes là du-

rant les commentaires d’autrui sur notre

choix. Tout à coup, le choix, même si

nous nous sommes prononcés sur son ca-

ractère randomisé, il devient notre choix.

Ce que l’autre dit est important. Tout à

coup, nous élargissons notre attention de

quelques secondes. L’autre est là, dans

notre vie personnelle, il ose faire des com-

mentaires sur notre choix.

Ceci est le moment que nous, les conduc-

teurs, aimons le plus, la concentration éle-

vée, l’appropriation de notre choix, les pe-

tits gestes pour le protéger. Tout à coup,

nous sommes auteurs de quelque chose

qui se passe - nous avons produit quelque

chose et cette chose a une influence sur les

autres. Nous sommes importants. Nous

donnons un puzzle de nous. Il circule, nos

patients le récupèrent. Le cercle se com-

plète presque chaque fois. On regarde

notre photo encore une fois avec un nou-

veau regard. Les autres l’ont modelée,

modifiée, épicée.

Nous regardons souvent les réactions

avec les photos qui se répètent, qui prend

la même photo d’autrefois, quelle est la

nouvelle association et qui se l’approprie

cette fois. Comment réagit la personne

dont le choix a été “pris” ?

Par exemple, une image de cercles con-

centriques, une vue sur les escaliers de

l’étage supérieur. Le patient avec une

aphasie et des troubles cognitifs débu-

tants, probablement atteignant l’aire

fronto-temporale, M. S., nous fit part de

son admiration d’une image, selon lui,

parfaite, un équilibre harmonieux et natu-

rel. La semaine suivante, la patiente avec

une démence à corps de Lewy, Mme P., la

choisit. Elle la décrivit comme un cercle

perforé, une activité artistique artificielle

ressemblant aux oreilles perforées des

femmes en Éthiopie. M. S. reconnaît son

image d’autre fois, décidant de ne pas la

décrire à nouveau. Le patient atteint de

démence vasculaire, M. F., la décrit en-

suite, il s’oppose à la patiente Mme P., en

décrivant « un équilibre harmonieux ».

La discussion s’intensifie.

Nous regardons aussi les motifs qui se ré-

pètent dans les choix de certains patients.

Est-ce que les choix similaires suscitent

forcément les mêmes associations ?

Mme I. choisit les animaux. Elle trouve

une gentillesse chez les lions et chez les

tigres, une tranquillité chez les serpents, le

regard calme chez les chats. Une fois,

alors qu’il n’y a pas d’animaux, elle choi-

sit une fille asiatique et décrit sa colère

derrière ses larmes. Les autres patients

voient une tristesse chez cette fille. Mme

I. insiste sur la colère. Mme I. est atteinte

d’une démence très avancée. Elle oublie

régulièrement que son fils cadet est mort

dans un accident en juin cette année et

qu’il avait une fille mineure avec une

femme thaïlandaise que la patiente n’a ja-

mais vue. Une fois, Mme I. choisit un vieil

homme. Les autres patients le trouvent

dur, inquiet, en pleurs, dramatique. Mme

I. trouve que le vieil homme est content,

qu’il a trouvé la tranquillité dans la vieil-

lesse. Elle construit un récit sur sa vie. Sa

voisine dans le cercle change l’opi-

nion : « oui, cet homme est tranquille ».

Parfois, on se pose la question. Ces asso-

ciations sont-elles influencées par le quo-

tidien (comme chez Mme B. qui choisit la

femme qui pleure 5 jours après le décès de

son époux, le décès qu’elle nie, s’oppo-

sant à aller aux funérailles et riant avec les

patients de son groupe) ou par une pul-

sion, un désir (Mme L. qui cherche sa fa-

mille dans toutes les images, dans les

fleurs, les chiffres, les jouets), ou par une

force inconsciente (Mme P., envahie par

la réalité qui change autour d’elle et qui

décrit l’image de pissenlit comme le sym-

bole de filiation et du recueillement des

connaissances que le groupe transmet, ou

les feuilles comme le cycle de vie, le fait

qu’une feuille tombe sur le terrain fertile

pour renaître pour coloniser le territoire).

Est-ce que ces descriptions et ces récits

parlent de leur intérieur et de leur créati-

vité ou de leur besoin de savoir, de con-

naître, de nous impressionner ? Les pa-

tients qui avaient eu une carrière dans le

domaine intellectuel, technique, artis-

tique, se trouvent souvent perdus dans les

définitions sans structure, dans le brouil-

lard d’informations et d’un message très

clair de vouloir transmettre, garder, pré-

server les connaissances d’avant.

On est également attentifs à ceux qui

s’adaptent, qui utilisent ce qui a été dit au-

paravant (les photos répétées, les choix ré-

pétés), à ceux qui oublient, aux associa-

tions liées au passé et celles liées à notre

Hôpital de Jour-PTC.

Vignette clinique

Madame ME. présente une démence à

corps de Lewy (DCL) qui se manifeste

notamment par des troubles du comporte-

ment (une agressivité verbale et une irri-

tabilité surtout l’après-midi), des halluci-

nations visuelles, une désorientation tem-

porelle et surtout une fluctuation impor-

tante de ces symptômes. Le maintien à do-

micile devient difficile en raison des

troubles du comportement. Néanmoins, la

famille de la patiente, notamment son

époux, n’accepte pas une hospitalisation,

ni un placement dans une maison de re-

traite. Il faut noter que la patiente est par-

tiellement anosognosique et que l’époux

et la patiente démontrent un haut niveau

socio-éducatif. Ils connaissent les symp-

tômes de la démence à corps de Lewy et

les décrivent bien. Néanmoins, l’époux

banalise les difficultés dans l’optique du

fonctionnement quotidien et notamment

le style de vie du couple qui est radicale-

ment changé. L’irritabilité et une appré-

hension diffuse et chronique s’avèrent

être en phase avec ce que l’investigation

de la psychopathologie prémorbide révèle

comme étant des traits anankastiques.

D’un autre côté, un haut niveau socioédu-

catif masque les symptômes durant les

moments de nadir de sa maladie fluc-

tuante. Ceci permet à l’époux de la pa-

tiente de la resocialiser et de l’amener à

l’opéra, au théâtre et en vacances. Cepen-

dant, une surexposition de la patiente aux

matériaux culturels et scientifiques creuse

l’écart entre elle et ses anciens amis. Le

contraste est difficilement abordable, la

patiente n’arrive pas à l’exprimer et son

époux le nie, cherchant de l’aide dans les

traitements médicamenteux (notamment

la rivastigmine). Les entretiens du couple

et de famille n’ont qu’un effet transitoire,

la patiente ne pouvant pas exprimer ses

sentiments et se renseignant uniquement

sur les aspects techniques de la prise en

charge. Comme les traits de la personna-

lité font partie intégrante de la personne et

ne sont pas facilement endigués par un

traitement pharmacologique destiné à ré-

duire les symptômes de la démence, nous

avons décidé d’utiliser le cadre stable et

rigide qui était sécurisant et contenant

pour la patiente. Nous n’avons pas pu ré-

duire la fluctuation des symptômes sans

une stabilisation de son entourage, au

moins celui qu’on a pu contrôler. Ensuite,

nous avons introduit la patiente aux

groupes d’expression théâtrale et de

photo-langage. Les rituels et le cadre ai-

daient pour une intégration. Une fois

ayant trouvé sa place, nous avons donné

la chance à la spontanéité. Cette patiente

donnait initialement des réponses très

soutenues, dénuées de charge émotion-

nelle. Au fil de la prise en charge, le con-

cept de “contraste” a commencé à appa-

raître, le contraste entre le naturel et l’ar-

tificiel, entre les fleurs fanées et les fleurs

qui colonisent le territoire, entre les ponts

sur les glaciers et les glaciers. Ne pouvant

pas nous communiquer sa souffrance à

Page 129: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Oublis et vivre, créer au présent l’après

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 129

cause de sa symptomatologie et, proba-

blement, ses traits de personnalité, elle a

trouvé un moyen de nous raconter des his-

toires mises en scènes par son incons-

cient. Ses métaphores et ses récits nous

ont aidés à trouver son alliance durant les

entretiens de couple et de communiquer

l’importance d’un rythme tranquille.

Groupe théâtre

L’activité théâtrale consiste à placer des

personnages dans une situation fictive et

de les faire réagir. Elle demande un inves-

tissement au niveau cognitif, émotionnel

et physique. Elle requiert des participants

de réagir véritablement à des situations

fictives, stimule la concentration, la mé-

moire, demande de la confiance au

groupe, une présence sur scène, de pren-

dre des risques et ainsi renforce la con-

fiance en soi et en l’autre et favorise les

interactions sociales.

S’amuser en faisant du théâtre, permet de

dédramatiser la maladie, les troubles asso-

ciés, en reprenant confiance en soi, les

choses redeviennent possibles.

Quant à l’apport de l’activité théâtrale,

notamment dans le travail avec les pa-

tients atteints des troubles cognitifs, nous

soulignons son rôle pour améliorer la

communication. L’improvisation permet

un travail sur la diction. Elle stimule

l’adaptabilité pour répondre au jeu à

l’autre. Pour être prêt à réagir, il faut

écouter l’autre, être attentif. Le plaisir de

jouer sera trouvé dans cet échange, ce par-

tage d’un moment ludique. Etre sur scène,

c’est communiquer entre acteurs, mais

également entre acteurs-spectateurs (im-

portance de changer de rôle).

L’activité théâtrale stimule également le

travail corporel. Jouer dans l’espace, c’est

créer le mouvement, apprivoiser les

rythmes et développer les réflexes. Possi-

bilité d’imiter l’autre, mais en tenant

compte de son corps, de ses possibilités

physiques rend l’interprétation unique, et

l’exposition du corps au regard de l’autre,

nécessite d’avoir confiance en soi, au

groupe.

La socialisation demeure un des rôles

principaux. Le plaisir d’être en groupe, de

travailler ensemble. Le plaisir d’être vu, le

plaisir de voir l’autre.

Nous revenons toujours à l’importance du

travail émotionnel. L’imaginaire permet

l’accès aux émotions, à la mémoire des

émotions. Grâce au jeu, les émotions sont

vécues réellement, mais avec un écart par

rapport à la réalité. S’identifier aux per-

sonnages permet un travail des émotions.

Le jeu théâtral demande la mobilisation

des souvenirs, des sentiments et de l’ima-

gination. Se dominer, se maîtriser pour

jouer, mais également accepter les frustra-

tions liées au jeu, ses limites, ses difficul-

tés.

Ce qui est spécifique pour l’activité théâ-

trale est l’invitation de changer les re-

gards. Les troubles cognitifs n’empêchent

pas de jouer au théâtre, il y a une place

pour chacun en fonction de ses possibili-

tés. Créer en fonction du groupe auquel on

appartient, besoin de se comprendre, s’ai-

der dans l’action. Face au regard de

l’autre, il faut trouver sa place, se situer

par rapport à l’autre.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer les bé-

néfices de la créativité. Le jeu stimule les

fonctions cognitives. Les participants doi-

vent élaborer un scénario, le construire

dans leur tête, puis le réaliser. Ils doivent

tenir compte de l’autre et se repositionner,

s’adapter à nouveau en fonction de

l’autre. Le jeu permet de proposer des ré-

ponses nouvelles aux difficultés : adapta-

bilité.

Les objectifs de notre groupe théâtre sont

divers. Nous ciblons à améliorer la moti-

vation à participer aux groupes. Par le jeu,

l’aspect ludique, il s’agit de faire naître le

plaisir d’être ensemble, de susciter l’at-

trait, la curiosité prompts à favoriser la

mobilisation et la motivation à participer.

Nous favorisons les interactions. Il s’agit

de se placer dans l’ici et maintenant et de

favoriser l’échange des ressentis, des

émotions, des pensées. Etre sur scène, se

mesurer aux regards des autres permet

d’explorer ses émotions et apprendre à les

maîtriser.

La première tâche est de “mettre en mou-

vement”, par l’improvisation, par l’ab-

sence de décors, de costume, elle de-

mande de développer le gestuel par la pos-

ture physique.

Par moments, nous “oublions” la maladie.

La maladie entraîne une perte d’autono-

mie. Ne pas stigmatiser le malade, lui re-

donner un rôle en fonction de ses possibi-

lités, permet de redonner de l’espoir,

rendre possible les choses en s’adaptant,

en reprenant confiance en soi, en l’autre...

On peut se soigner en s’amusant, dédra-

matiser les soins.

Selon nos observations, ceci aide à amé-

liorer la mémoire, par l’apprentissage des

stratégies, en utilisant le support de l’ex-

pression artistique et le travail sur les

émotions.

Le rôle du thérapeute est d’être garant du

cadre (lieu, horaire, organisation, respect,

sécurité...) ; de “toujours faire semblant”

(les situations sont fictives, les person-

nages sont imaginaires) ; de donner des

indications, de ne pas diriger, ne pas im-

poser les rôles (il ne s’agit pas de faire un

spectacle). Le thérapeute renforce le

groupe, permet l’expression du vécu, fa-

vorise les échanges lors du jeu et après le

jeu. S’il prend un rôle d’acteur, il joue un

rôle différent, sur joue les émotions, prend

de la distance pour donner l’exemple. Ce

qui demeure l’essentiel est que le théra-

peute accepte de ne pas avoir le contrôle

sur tout. Il ne sait pas ce qui sera joué, ni

comment, ni par qui. Il ne s’attend pas à

un résultat artistique.

(En annexe, une description détaillée du

déroulement d’une séance du groupe

théâtre)

Quelques actrices qui ont marquées la parenthèse théâtrale

Paulette et son comique

Mme O. est une patiente souffrant d’une

démence dans le déni de ses difficultés

quotidiennes à domicile, palliées par son

fils vivant à proximité et lui-même rédui-

sant l’importance des troubles. Durant les

groupes de l’Hôpital de Jour, madame ne

participe pas aux échanges, évoquant des

problèmes d’audition tout en précisant

son refus d’être appareillée. En cas de de-

mandes insistantes, elle demandera à aller

aux toilettes et quittera le groupe. Durant

les moments informels, les problèmes

d’audition disparaissaient en l’absence

des soignants.

Au groupe théâtre, madame participe

comme spectatrice, refuse de monter sur

scène pour jouer. Après quelques séances,

madame accepte mais sous l’identité de

Paulette et prend du plaisir à faire rire les

autres, plaisir qui restera intact jusqu’à la

fin de sa prise en soins. (C’est à ce mo-

ment qu’on réalise l’importance du nom

de scène et qu’on le généralise à l’en-

semble du groupe). Elle se montrera à

l’aise dans l’improvisation quelles que

soient les sujets abordés, allant même à

improviser sans connaitre le sujet.

Dans les autres groupes, madame ne

change pas d’attitude, sauf si on l’appré-

hende par le biais de l’humour. Lors des

moments informels, madame se montre

plus participative en présence des soi-

gnants.

Madame la marquise et son souci de la diction

Une patiente, Mme D. est diagnostiquée

« Démence débutante », malvoyante et

dépressive, en retrait à domicile depuis le

décès de son mari et en conflit avec ses

enfants qui la sollicitaient pour sortir de

son lit. Durant les groupes, madame ne

s’exprime que sur demande et de manière

limitée.

Au théâtre, Madame la Marquise ne peut

prendre toute sa place comme spectatrice,

ne voyant pas les autres sur scène. Mais

lorsqu’elle intervient comme actrice, ma-

dame peut exprimer son ressenti, ce

qu’elle pense de sa situation, ce qu’elle ai-

merait, ce, par le biais de son personnage.

Elle prend confiance envers les soignants

puis le groupe et participe plus aux

échanges sans être sollicitée.

Page 130: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 130

Cerise et son franc-parler

Mme B. présente des troubles cognitifs

débutants et une dépression sévère avec

beaucoup de dévalorisation et une perte

d’élan vital. Elle se montre réticente à ve-

nir à l’Hôpital de Jour et ne prend plaisir

qu’à se mettre à distance de son conjoint

avec qui elle a des conflits.

Cerise accepte de venir pour voir les

autres, exprime son peu d’envie, mais se

montre intriguée par les possibilités des

autres malgré leurs troubles. Elle accepte

de participer après quelques séances et se

montre très convaincante, parvenant à ex-

primer sa colère refoulée. Elle reprend

confiance en elle et prend du plaisir à voir

les autres et à jouer des rôles de composi-

tion où elle s’exprime avec force ou pro-

vocation. « C’est dingue ce que l’on est

capable de faire », c’est la phrase que Ce-

rise répète à la fin de chaque groupe

théâtre.

Après trois mois, madame part en va-

cances et arrête son suivi, les tensions

avec son conjoint sont moindres, sa dé-

pression est en régression et l’envie d’en-

treprendre retrouvée.

Mary Lou et sa sensibilité

Mme L est une patiente présentant une

maladie d’Alzheimer avancée, s’expri-

mant avec difficulté et présentant des

fausses reconnaissances importantes gé-

nérant des conflits avec les autres patients

qui gardent leur distance et ne discutent

pas ou peu avec elle.

Au théâtre, Mary Lou refuse de prendre

plaisir à regarder les autres. La compré-

hension des consignes est difficile voire

impossible et elle n’agit que par mimé-

tisme. Après quelques demandes, ma-

dame accepte de venir sur scène en expri-

mant son incapacité de jouer mais elle se

sent en confiance d’être avec un soignant

malgré les remarques des autres patients

sur son incapacité. Elle ne comprend pas

le thème mais se laisse guider par le soi-

gnant qui s’adapte. Ses mimiques, les qui-

proquos font fuser les éclats de rires au-

près des spectateurs et la scène se termine

sous un tonnerre d’applaudissement et

d’émotions.

Dès lors les fausses reconnaissances de-

viennent non plus une source de conflits

avec les autres patients, mais des mo-

ments d’acceptation et de complicité.

Groupe essence du sens

Ce groupe est issu d’une perplexité abor-

dée par les patients concernant l’évoca-

tion des 5 sens. Nous avons décidé d’ex-

périmenter de manière plus consciente

nos sensations aux moyens techniques

adaptés à chaque sens. Notre hypothèse

est qu’un lien entre les patients, une place

dans le groupe au travers de leurs ressen-

tis, une ouverture aux autres façons de

voir, sentir, entendre, toucher et goûter

peuvent aider à appréhender une meil-

leure compréhension de soi et une plus fa-

cile compréhension d’autrui.

Nous utilisons des objets, des couleurs,

des sons, des photos, des odeurs et des

matières. Nous jouons avec les contrastes

(par exemple : chocolat-citron, poivre-

yaourt), avec les surprises (la peau de

mandarine dans le sac noir), les objets pu-

tativement dangereux (foulard attaché),

les pulsions libidinales (les parfums

homme vs femme), la confiance (goûter

les yeux fermés), l’orientation (écouter

l’autre les yeux bandés). L’échange ver-

bal est continuel, il y a une liberté d’ex-

pression.

Parfois les groupes sont chargés d’émo-

tions intenses. Par exemple, la demande

d’écrire un sms magique aux membres de

la famille. Ces messages-sms ont été in-

fluencés suite aux différentes images pro-

posées aux patients. Les patients ont été

encouragés à écrire ce qu’ils veulent à

ceux qui leur manquent (pas forcément les

vivants). Une fluidité de parole et une au-

thenticité partagée marquent ce groupe

qui ouvre la semaine de l’hôpital de jour

et l’influence. Les sms ont été une ouver-

ture à une exposition aux sens liés à la fa-

mille (la pomme cuite avec cannelle, la

chanson de C. François : « Si j’avais un

marteau », les photos jaunies...).

Parfois, les patients peuvent juste partager

un morceau de pain afin d’inciter la dis-

cussion autour de l’intimité et les relations

de couple. Au fur et à mesure de l’avancée

de ce groupe, nous nous sommes rendu

compte que les sujets dont on a peur : les

conflits, le contrôle, le respect, les

hommes et les femmes sont en fait les su-

jets dont nos patients ont le plus besoin de

parler. Le fait de s’éloigner d’une vie ha-

bituelle et dynamique ne signifie pas le

besoin de simplification des thèmes abor-

dés.

Discussion

Nous avons présenté certains aspects de

notre travail quotidien. Nous avons ap-

proximativement 12 patients par pro-

gramme et il va de soi que nous nous

adaptons continuellement. Néanmoins, un

fil conducteur persiste, quels que soient la

salle, le cadre, quels que soient les visages

des conducteurs, il s’agit d’un espace con-

tenant où l’angoisse n’est pas persona non

grata mais où elle se perd spontanément.

Nous sommes convaincus que le fait

d’être ensemble, non-jugés, libres, mais

aussi encouragés à s’exprimer, aide à dé-

bloquer la porte de l’inconscient. Et une

fois cette porte ouverte, nous avons accès

à une richesse et à des ressources inesti-

mables.

Néanmoins, certaines questions demeu-

rent. Est-ce que la créativité est un danger

pour nos patients ? Peuvent-ils oser flotter

dans l’imagination ? Craignent-ils cette

imagination, cette ouverture vers le jeu ?

... Et s’ils se perdaient ? ... Et si cela les

éloignait ? ... Et s’ils ont passé leur vie en-

tière afin de refouler ce besoin de rêver ?

Où est la frontière entre le choix conscient

et l’inconscient ? Finalement, est-ce que

la démence avancée est forcément une

porte vers l’inconscient ou est-ce un

leurre qu’on aime conserver ?

Nous réfléchissons continuellement sur

ces questions. Nous sommes sûrs qu’être

ici et maintenant est un pas supplémen-

taire vers les réponses.

Conclusion

La créativité, comme décrite ci-dessus,

est un pont entre l’inconscient et le cons-

cient, entre les inconscients, entre les

rêves et les jeux. Il ne faut pas oublier que

nous, les conducteurs des groupes, les soi-

gnants, nous participons avec notre passé,

nos associations, nos personnalités. Nous

les amenons, nous les dispersons, nous les

échangeons.

Nous créons une vie du groupe pour le

faire évoluer, nous avons besoin de l’ex-

plorer et de la partager avec nos collègues.

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Oublis et vivre, créer au présent l’après

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 131

Annexe 1

Déroulement de la séance

Le groupe est animé par deux soignants au minimum. Il est ouvert afin de pouvoir bénéficier de l’appui des pairs aidants. La pièce comprend un espace libre pour les exercices corporels, les discussions et un espace théâtre avec scène, coulisses et places spectateurs. La séance dure 90 min. La séance comprend cinq moments : 1- Comment ça va ?

- Tour d’horizon des personnes - Prise en compte de l’atmosphère, de l’état émotionnel du groupe. - Être dans « l’Ici et Maintenant »

- Durée 5 à 10 min

2- Tour de chauffe

Exercices corporels - Mouvements dans la salle - Mobilisations des membres - Associer gestes et paroles - Mimiques/masques

Exercices vocaux - Exprimer les émotions - Chants - Imitations - Respirations

Exercices en cercle - Passer la parole - Jeu de mots - Écoute active - Thèmes

- Durée 20 à 30 min

3- Seul sur scène - Travail le lien. L’acteur part des coulisses et monte seul sur scène, sans rien dire. Il crée et garde le lien avec le public jusqu’au retour dans les coulisses. Évaluation du ressenti.

- Durée 10 à 15 min

4- Jeu d’improvisation - Se fait toujours à deux - On joue un rôle, un personnage fictif dans une situation fictive. (change les prénoms) - Sur scène, pas de décors, pas de costumes, pas d’accessoires

- Durée 20 à 30 min

5- Comment ça va ? - Tour d’horizon des personnes après avoir passé la séance ensemble. - Modifications ou non des points de vue, de la situation.

- Durée 5 à 10 min

Annexe 2

Avec l’accord des participants de notre atelier, nous présentons deux illustrations du travail du groupe habiletés sociales.

Nous avons demandé aux participants du colloque à Caen de faire une trace (Traces 1 et 2) spontanée durant notre présentation.

Nous avons présenté notre travail à deux reprises. La première présentation a eu plus de participants et un échange plus vif.

Durant la deuxième présentation qui a enchainé la première et qui s’est déroulé à la fin de journée, les animateurs ont été plus fatigués

et moins de gens ont y participé.

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Soins de jour en psychiatrie : multiples dénominations pour une tension entre programme, adaptabilité et créativité

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 132

Trace 1

Première présentation

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Oublis et vivre, créer au présent l’après

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 133

Trace 2

Deuxième présentation

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 134

Permettez-moi, tout d’abord de remercier

le Docteur Genvresse et son équipe pour

leur accueil dans cette belle ville de Caen,

pour leur organisation sans faille et leur

disponibilité tout au long de ces deux

jours de Colloque.

Permettez-moi également de le féliciter

pour son initiative de doubler les ateliers

afin de permettre un partage plus long des

expériences et des vécus. Cela a amené du

dynamisme et une mise en mouvement

pour le coup aussi pratique que symbo-

lique.

Je m’en voudrais aussi de ne pas avoir

une pensée pour celui qui m’a lancé dans

l’aventure des hôpitaux de jour, le Doc-

teur Jonard.

Venons-en à la synthèse.

A la première lecture des arguments de

cette année, je me demandais bien par

quel bout nous allions aborder la vaste

question posée par le Docteur Genvresse

sur les tensions entre programmes, créati-

vité et adaptabilité en hôpital de jour.

Comme l’argument proposait un plon-

geon dans le temps, à l’époque des pre-

miers hôpitaux de jour, revenons donc à

la situation qui prévalait à cette époque.

Les patients psychiatriques étaient soi-

gnés dans des structures asilaires très

lourdes dans un modèle de soin asymé-

trique où il est vrai que la liberté du ma-

lade et la vie quotidienne et dans la com-

munauté étaient systématiquement mises

de côté.

Viennent alors les psychothérapies insti-

tutionnelles et les hôpitaux de jour. Ils

s’adressent comme alternative à l’hôpital

psychiatrique sur le fond et sur la forme.

Ils proposent des soins différents. Ces

soins sont d’abord plus ouverts ; ouverts

sur le monde bien sûr, et sur la vie dans

son milieu, ce qu’aucun autre mode de

prise en charge ne permettait à l’époque.

C’était, et c’est toujours, une révolution.

Face à la maladie mentale, l’hôpital de

jour se présente donc comme une struc-

ture d’ouverture, de dés-hospitalisation

et, déjà, de dé-psychiatrisation au sens le

plus noble du terme.

Le deuxième sens de l’ouverture, et on l’a

beaucoup entendu dans les ateliers, c’est

celui de l’ouverture des possibles pour le

patient. Dans cette époque où il n’existe

aucune alternative à l’hospitalisation, la

possibilité de vivre “une vie normale”

était une énorme avancée pour les pa-

tients comme Muriel Reboh-Serero nous

l’a rappelé. Après cette phase d’alterna-

tive à l’hospitalisation, l’hôpital de jour

est devenu le lieu de postcure puis, au-

jourd’hui, devenu un espace de suivi in-

termédiaire qui peut encadrer le patient

pour un temps, de plus en plus court. Cet

espace de vie, comme le caractérise Mu-

riel avec justesse, nous amène à un deu-

xième principe de base : la convivialité.

Quand le Président Monney interroge le

Docteur Rœlandt sur le travail groupal, je

pense que c’est cette dimension qu’il

aborde aussi. L’hôpital de jour est un lieu

de convivialité, de vie sociale pour les pa-

tients de plus en plus isolés, éloignés du

travail, et d’une société féroce pour la-

quelle ils ne sont pas toujours armés.

Avec le développement des équipes mo-

biles en Belgique, qui se rendent sur le

lieu de vie du patient qui n’a souvent pour

seul contact que ce passage mensuel,

j’ajouterai même un point : l’hôpital de

jour est la structure la plus adéquate dans

de nombreuses pathologies psychia-

triques car il offre cette convivialité et

cette socialisation par le groupe que le

contact individuel de la visite au domicile

ne permet pas.

A ces deux prérequis, j’en ajouterai un

autre : la temporalité de l’hôpital de jour.

Elle est pour moi spécifique et double : il

y a la temporalité du quotidien, on rentre

chez soi, l’hôpital de jour a une fonction

structurante pour des patients qui, parfois,

ne quittaient plus leur lit ou ne sortaient

plus de leur chambre comme nous l’a ex-

pliqué Muriel Reboh-Serero. L’autre

temporalité, et je la relis à l’ouverture,

c’est celle du temps du soin dans un sys-

tème de santé de plus en plus statistique

et technique. Quand on entre en hôpital de

jour, un autre temps s’ouvre : celui du pa-

tient. On l’a entendu plusieurs fois dans

les ateliers : se mettre au rythme du pa-

tient.

Contrairement à ce que nous a dit le Doc-

teur Rœlandt, les hospitalisations très

brèves, les soins à domicile, l’aide dans la

famille, ne sont pas toujours des disposi-

tifs les plus adaptés au patient. Si on veut

une clinique centrée sur les besoins du pa-

tient et pas sur la structure de soin exis-

tante, comme il la propose, il faut, c’est

vrai, disposer de plus de moyens théra-

peutiques mais aussi se centrer sur la tem-

poralité du patient, sur le temps qui lui est

nécessaire à lui. C’est la grande lacune de

la pensée de l’Organisation Mondiale de

la Santé avec celle de l’inexistence de la

maladie mentale : c’est celle de s’imagi-

ner que tout patient bénéficiera de la

même manière et dans le même temps des

mêmes soins. C’est l’uniformisation des

soins en santé mentale face à la variété

des situations pathologiques. L’hôpital de

jour, par son dispositif souple et adap-

table, a toute sa place dans un dispositif

de soins en santé mentale.

Le représentant des autorités de l’agence

de soins de Basse-Normandie nous a

d’ailleurs rappelé combien la structure de

soins de jour s’inscrivait également dans

un système large de soins de santé dont la

contingence imprime leur marque sur le

fonctionnement respectif. Ajoutons qu’il

nous faut sans cesse rappeler combien

l’hôpital de jour est quelque chose d’autre

que l’hospitalisation ou l’ambulatoire pur

avec ses propres besoins, sa propre tem-

poralité, ses patients qui ne sont pas spé-

cialement ceux des autres types de struc-

tures. Ces deux structures partagent des

points communs, Muriel Reboh-Serero

nous a aussi rappelé leur grande diversité

selon les modèles théoriques, la situation

administrative, la géographie des lieux et

les alentours, le personnel de soins, les

pathologies des tranches d’âges suivies,

l’articulation favorisée avec la revalida-

tion et la réhabilitation. Voilà une preuve

du mouvement de réflexion permanent

des hôpitaux de jour : il y a quelques an-

nées, ce type de concept n’était pas

abordé au Colloque. C’est la preuve de

l’adaptabilité, on y revient, de nos struc-

tures aux exigences administratives et so-

ciétales modernes. La construction de

l’avenir est aujourd’hui centrale dans les

soins de jour, comme l’a rappelé Muriel,

et l’hôpital de jour va employer une large

palette de moyens tournés vers la créati-

vité, d’activités différentes de travail,

comme le rappelait un atelier ce matin,

par l’absence d’une demande de produc-

tivité et de résultats en termes de rende-

ment, mais dans le souhait de permettre

au patient de construire son projet et d’y

adhérer à son rythme. Dans ce cadre,

Page 135: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Synthèse

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 135

l’hôpital de jour peut être vécu par le pa-

tient comme une rupture dans sa demande

de normalisation, comme réappropriation

progressive de son projet de vie.

Muriel Reboh-Serero nous a aussi donné

une liste de tensions qu’elle avait identi-

fiées dans les fonctionnements des hôpi-

taux de jour. Je vous la livre en vrac : ten-

sions entre processus d’appartenance et

processus d’autonomisation, entre théra-

peutique et éducatif, entre ancrages et

changements, entre soins et réinsertion,

entre processus et résultats, entre imper-

méabilité et perméabilité, entre clinique

et administratif. L’équilibre doit être

constamment recherché entre la tension,

nécessaire au changement, tant pour le

patient que pour l’institution et le flotte-

ment, afin de soigner le patient et de gar-

der la qualité de l’institution. Comme le

disait un atelier ce matin, si l’hôpital de

jour avait un Dieu, ce serait Janus, le Dieu

à la tête unique et aux deux visages, Dieu

du changement et de la transition.

Le Docteur Lemaire nous a parlé d’un

élément central dans le travail en hôpital

de jour moderne : la concertation.

S’il veut s’inscrire dans le parcours de

soin du patient, l’hôpital de jour ne peut

se passer de ce tissage qu’est la concerta-

tion autour et avec le patient et ses

proches. Son idée de mettre ensemble les

problèmes pour leur trouver une solution

illustre bien la nécessité d’un travail par-

tagé autour du patient. Il nous est aussi

rappelé quelque chose qui peut représen-

ter un obstacle majeur dans l’accompa-

gnement de nos patients : c’est plus ou

moins difficile pour les professionnels

que pour les patients de se concerter, ver-

sion moderne de la “résistance et du côté

de l’analyste” de Lacan.

La présentation du courant antipsychia-

trique anglo-saxon par le Docteur

Rœlandt nous a proposé un point de vue

original : il n’y a pas de maladie mentale,

il n’y a que des troubles du social. A l’op-

posé de l’antipsychiatrie francophone qui

a donné naissance aux psychothérapies

institutionnelles soucieuses de faire chan-

ger les institutions de l’intérieur, le mo-

dèle anglo-saxon propose de les suppri-

mer pour concentrer ses efforts sur le so-

cial. Si nous ne pouvons qu’être d’accord

avec l’idée qu’une société en souffrance

produit du trouble psychique, on ne peut

évidemment pas oublier le double-sens de

cette affirmation : le trouble psychique

produit aussi du trouble social, ce que

semble oublier le Docteur Rœlandt. Et

c’est là encore la place des hôpitaux de

jour, au carrefour du social et du médical,

de la société et de l’hôpital, de l’activité

et du soin. Plus ironiquement, le Docteur

Rœlandt a raison sur un autre point : si un

schizophrène ne rencontre jamais un soi-

gnant, il ne saura jamais qu’il est malade.

En effet, comme le rappelait un atelier de

ce matin, c’est dans la rencontre que se

produit l’élaboration. Les symptômes ne

peuvent pas être extraits de la dimension

d’échange et de réflexivité, du transfert.

C’est là qu’est l’ouverture au possible. Le

modèle de soins sans rencontre du Doc-

teur Rœlandt nous prive de ce qui fait le

soin. Mais si le Docteur Rœlandt avait

participé aux ateliers aujourd’hui, il pour-

rait être rassuré. Il existe des structures où

le patient est respecté comme être humain

et citoyen, où les responsabilités de son

bien-être lui sont confiées, où son entou-

rage est entendu, où l’activité est considé-

rée comme un droit, où l’accompagne-

ment permet au patient, qui n’y serait pas

arrivé sans cela, de retrouver le chemin de

la réintégration. Ce sont les hôpitaux de

jour, vos hôpitaux de jour.

Dans les ateliers de ce matin, la créativité

était omniprésente : dans les films, dans

les productions artistiques, dans le travail

à la ferme, dans la photo, et j’en passe,

nos patients peuvent se confronter à leurs

possibilités et les repousser. Nos struc-

tures se sont toujours adaptées aux con-

tingences administratives et légales mais

aussi aux besoins différents des patients,

arrivant avec des demandes, des con-

textes, des attentes différentes.

Merci à tous durant ces deux jours d’avoir

partagé votre créativité, d’avoir montré

votre adaptabilité. Finalement, l’argu-

ment de cette année nous a permis un

beau voyage au Pays des Possibles.

L’AUTEUR

Dr Xavier De LONGUEVILLE Psychiatre

Hôpital de jour du Beau Vallon Rue de Bricgniot, 205 5002 Saint-Servais Belgique [email protected]

Page 136: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Synthèse des questionnaires d’évaluation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 136

Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation

I - Composition du public présent au Colloque

1 Personnel soignant : aide-soignant, cadre supérieur de santé, cadre de santé, infirmier ; Personnel paramédical : aides mé-dico-psychologique, art-thérapeute, agent des services hospitaliers qualifié, assistant en psychologie, ergothérapeute, kinésithé-

rapeute, psychomotricien, logopédiste, psychologue ; Personnel médical : chef de clinique, cadre de pôle, médecin, interne ;

Personnel Educatif et social : animateur, assistant de service social, éducateur, moniteur éducateur ; Autre : personnel admi-nistratif, personnel de direction, coordonnateur ou n’ayant pas renseigné sa profession.

France49%

Belgique34%

Suisse

15%

Luxembourg2%

PAR PAYS

personnel soignant

40%

personnel paramédical

23%

personnel médical

19%

personnel éducatif et

social9%

autre9%

PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE 1

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Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 138

II - Taux de retour des questionnaires de satisfaction

59% des congressistes ont répondu au questionnaire de satisfaction

- soit 150 personnes sur les 255 présentes

83% des répondants attribuent une note égale ou supérieure à 4 sur 5 au Colloque

- (NR : le répondant n’a pas renseigné leur profession)

Sur l’ensemble du personnel soignant présent au Colloque GHJPF, 65% ont répondu au questionnaire de satisfaction

Le personnel soignant représente 44% des répondants au questionnaire de satisfaction

III - Appréciations générales

Lecture : « En moyenne, les répondants évaluent à 5 la qualité de l’accueil qui leur a été fait ».

65 %

51 % 53 %46 %

59 %

0

25

50

75

100

Personnelsoignant

Personnelparamédical

Personnelmédical

Personneléducatif et

social

Répondants

PART DES RÉPONDANTS PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE

44%

20%

17%

7%

12%

RÉPARTITION DES RÉPONDANTS PAR FILIÈRE PROFESSIONNELLE

Personnel soignant

Personnelparamédical

0

1

2

3

4

5

L'organisationdu colloque

L'accueil

Le choix dulieu

L'accessibilité

La pertinencedu thème

L’ACCUEIL ET L’ORGANISATION

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 139

En moyenne, les répondants évaluent à 4 les apports théoriques et pratiques qu’ils ont reçu au cours des séances plénières

En moyenne, les répondants évaluent à 4 la diversité des présentations d’expériences auxquelles ils ont pu assister au cours

des sessions d’ateliers

55% des répondants évaluent en moyenne à 4 sur 5 le Colloque

0

1

2

3

4

5

Apportsthéoriques et

pratiques

Enrichissementprofessionnel

Modifier lareprésentationdu soin de jouren psychiatrie

LES SÉANCES PLÉNIÈRES

012345

La diversité desprésentations

L'intérêt decomposer sonprogramme

Le temps deparole etd'échange

La découverte depratique(s)

intéressante(s)

LES ATELIERS

1%5%

11%

55%

28%

0

25

50

75

100

note 1 note 2 note 3 note 4 note 5

NOTE GÉNÉRALE ATTRIBUÉE AU

COLLOQUE

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Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 140

Lecture : « 61% des répondants, qui ont attribué la note 5 au colloque, font partie du personnel soignant »

41% des répondants, qui ont attribué la note 4 au colloque, font partie du personnel soignant

IV - Les suggestions des répondants

90 participants sur les 255 personnes présentes ont fait part aux organisateurs du Colloque de leurs observations, critiques, propositions pour les colloques à venir.

1 - Les thématiques suggérées par les répondants

Pédopsychiatrie, jeunes enfants, petite enfance (4 occurences)

L’intégration des personnes déficientes intellectuelles : perspectives et limites (3 occurences)

Les relations amoureuses, la sexualité chez les patients (2 occurences)

Moins de 2 occurrences :

L’hétérogénéîté des patients dans un même hôpital de jour (pathologies, âges, cultures…)

Le parcours de soin du patient

Le travail avec les familles

L’image de soi, bien-être, estime de soi, affirmation de soi

Logement communautaire

La place des aides-soignants en HJ

Les activités sportives

2 - Axes d’amélioration quant au contenu

Les intervenants devraient veiller à articuler les apports théoriques avec les spécificités des contextes locaux et les pratiques développées dans les

Hôpitaux de Jour (présenter des cas cliniques, des pratiques concrètes).

Comparer les modalités de prise en charge et de financement selon les pays.

Engager le débat entre participants.

3 - Axes d’amélioration quant à la forme

Augmenter le temps dédié aux ateliers.

Aménager davantage de temps pour penser, pour débattre, pour échanger, même de manière informelle, entre professionnels (organiser des « tables

rondes », par exemple).

61%

9%

14%

2%

14%

NOTE ATTRIBUÉE : 5

Personnel soignant

PersonnelParamédical

Personnel Médical

Personnel Educatif etSocial

NR

41%

25%

12%

10%

12%

NOTE ATTRIBUÉE : 4

Personnel soignant

Personnel Paramédical

Personnel Médical

Personnel Educatif etSocial

NR

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 141

Prévoir 10 minutes de battement entre chaque atelier pour laisser aux congressistes le temps de changer de salle.

Mettre en lien les animateurs d’ateliers et les congressistes (les intervenants pourraient reporter leurs adresses mail sur leurs présentations Power

point, par exemple).

Mettre à disposition des congressistes, sous format numérique, les apports théoriques issus des séances plénières et des ateliers.

Elargir la participation aux autres pays francophones.

Prévoir un seul bulletin d’inscription pour le colloque et le diner de Gala.

Le Comité Organisateur du XLIIIème Colloque du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques remercie

les personnes qui ont accepté de participer à l’évaluation de cet évènement

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Synthèse des questionnaires individuels d’évaluation

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 142

ndrc : il n’y a pas de Revue sans un gag... Celle de 2015 n’a donc pas échappé à la règle ! Mes excuses à l’équipe de Porrentruy...

P. A.

Introduction-Présentation

Cuisine et Clinique

Même si comparaison n’est pas raison, le

fait d’utiliser une métaphore culinaire

pour évoquer le travail en Hôpital De Jour

peut s’avérer séduisant et nous allons

donc essayer, au risque de quelques em-

bûches ou autres fautes de goût, de nous

ajuster à cette idée.

Effectivement la cuisine d’un grand res-

taurant, juste en amont d’un service, a

parfois des allures d’Hôpital de Jour

lorsqu’il se trouve en pleine phase d’acti-

vités. Visuellement l’impression générale

est proche, sur le plan sonore aussi d’ail-

leurs : même agitation ou effervescence

avec des personnes se déplaçant sans

cesse, se démultipliant même, laissant vo-

lontiers l’image d’une ruche sous le re-

gard tantôt bienveillant, tantôt critique ici

d’un chef, là d’un responsable pédago-

gique, attentif au moindre aléa qui vien-

drait altérer la “production” du jour. En

gastronomie, tout au moins lorsque l’on

1 Asafumi Yamashita est un maraîcher japo-

nais hors du temps. Son nom est murmuré

avec révérence dans les cuisines des plus grands étoilés. Et seuls quelques chefs, dont

Eric BRIFFARD et Pierre GAGNAIRE ont

aspire à l’excellence, le recours à cer-

taines règles de base ou formulations

nous permet de poursuivre ce parallèle

sans doute audacieux avec la thérapie ins-

titutionnelle qui nous sert de modèle.

Pour des raisons de temps et également

pour rester en phase avec le thème de

cette journée, nous n’en mentionnerons

qu’une seule, “Respecter le produit” ver-

sus “respecter le symptôme”.

Certains parmi vous ont probablement en

mémoire cette scène un peu surréaliste où

Asafumi Yamashita1 [4], en compagnie

de Pierre Gagnaire2, est littéralement

scandalisé à la vue d’un des candidats de

“Top chef” en train de martyriser un de

ses navets blancs, dépecé de manière

grossière à coups d’économes.

Quelle faute de goût pour ce légume pro-

duit par ce maraîcher d’exception où la

culture devient synonyme d’aventure au

singulier, au rythme de chaque plan, de

chaque pousse, et donc de ses aléas pos-

sibles, à des années lumières de toute no-

tion de rentabilité ou de production auto-

matisée.

l’honneur de cuisiner ses légumes uniques,

bichonnés avec amour. La haute couture des

légumes, en somme. (L’express Style du 22 février 2014)

Accompagner le fruit ou le légume jus-

qu’à sa maturité, quel que soit le temps et

les soins que cela requière, quitte à ce que

cela n’aboutisse pas, telle est l’idée maî-

tresse qui guide Asafumi Yamashita [1]

dans l’approche de son travail.

De notre côté également nous considé-

rons aussi le symptôme comme un bien

précieux, unique, fragile, qu’il faudrait

surveiller comme le lait sur le feu et pré-

server de toute intervention intempestive.

En clair, cela signifie que dans notre es-

prit le symptôme n’a pas de valeur dans

l’absolu ni en comparaison avec celui

d’un autre patient ; il n’acquière sa pleine

saveur qu’à la faveur de notre accompa-

gnement, sur un mode aussi singulier que

celui développé par Asafumi Yamashita

[4] dans son jardin potager ; c’est à dire,

au plus près de chaque patient, au rythme

des saisons de son évolution psycho-pa-

thologique et en fonction de paramètres

qui n’appartiennent effectivement qu’à

lui, qu’à son histoire et/ou son environne-

ment.

En bon artisan de la psychothérapie insti-

tutionnelle, seule cette position peut ga-

rantir un véritable travail psychique avec

l’enfant et sa famille.

Mais, un peu comme notre maraîcher cé-

leste, de multiples dangers nous guettent,

nous n’en évoquerons qu’un seul: ici la

cuisine moléculaire, exercice de style

cher à Thierry Marx, sorte de métaphore

chimique de la saveur, qui vise à réduire

un noble légume en une simple pulvérisa-

tion sur le rebord d’une assiette, repro-

ductible à l’envie ; là, une psychiatrie trop

sensible à la pression administrative qui

troquerait ses références à la psychothé-

rapie institutionnelle, et à Marx, Karl

cette fois, pour réduire, là aussi, un symp-

tôme à sa plus simple expression sous

2 Chef trois étoiles, spécialiste des légumes,

dans son restaurant, « L’Arpège »

Les auteurs se proposent d’établir un parallèle entre le fonctionnement de la cuisine d’un restaurant gastronomique et celui d’un Hôpital De Jour. Cette métaphore culinaire servira de fil rouge à ce travail qui porte sur l’importance du contre transfert en lien avec les symptômes de deux enfants pris en charge dans l’Hôpital de Jour la « Villa Blanche ». Les réflexions de C. Gardou et A. Ciccone alimentent notre réflexion sur la bipolarité du contre transfert, à la fois comme outil de connaissance de la psychopathologie de l’enfant et également comme instrument d’évaluation de la qualité de sa prise en charge.

Mots-clefs : gastronomie, contre transfert, institution, symptôme, psychopathologie

On the menu: symptoms on its caregivers’ bed served in day hospital Kitchen, counter-transference and dependencies

The authors propose to establish a parallel between the operation of the kitchen of a gourmet restaurant and a day hospital. This culinary metaphor will be the “red wire” for this work which focuses on the importance of transfer in relation to the symptoms of two children supported in “Villa Blanche” day hospital. C. Gardou & A. Ciccone’s reflections feed our reflection on the bipolarity of transfer, both as a tool of knowledge of psychopathology of the child and also as a tool for assessment of the quality of its support.

Keywords: gastronomy, transfer, institution, symptom, psychopathology

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Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour ; cuisine, Contre-Transfert et Dépendances

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 143

l’effet d’une molécule psychiquement

abrasive.

Dans un cas comme dans l’autre, la mo-

dernité escamote une démarche matura-

tive au profit d’une idéologie frappée du

sceau de l’efficacité scientifique qui di-

minue d’autant la part d’humanité qui fait

le sel de notre travail.

C. Gardou et A. Ciccone

Encore quelques mots pour situer notre

travail à l’Hôpital de Jour de la Villa

Blanche, à Porrentruy donc ; globale-

ment, si nos deux grands maîtres restent

P. Delion et P. Kinoo, véritables chefs

trois étoiles de la Psychothérapie Institu-

tionnelle dans sa spécificité pédopsychia-

trique, il nous a paru intéressant ce jour

de présenter deux autres références, peut-

être moins connues, mais qui viennent

éclairer la pratique au quotidien et consti-

tuent à ce titre deux ingrédients tout aussi

incontournables.

Un peu comme des épices qui viendraient

singulariser un plat, que ce soit par la cou-

leur, la saveur, les senteurs, bref, l’ex-

pression et la créativité au sens large ; à

titre d’illustration on pourrait citer le cur-

cuma ou le piment d’Espelette qui allient

les différentes qualités.

Revenons à nos deux références évoquées

à l’instant. Il s’agit de C. Gardou [2], et

A. Ciccone [32], l’un s’est intéressé aux

particularités de la fonction soignante,

l’autre, à l’importance du Contre-Trans-

fert dans la mise en place du soin.

La fonction soignante selon C. Gardou

C. Gardou, anthropologue de formation,

s’est beaucoup intéressé à la vulnérabi-

lité, au handicap, au sens large, que ce

soit du côté du sujet handicapé ou de celui

de l’éducateur confronté à la prise en

charge de la personne handicapée.

Dans un style quasi lyrique, C. Gardou

isole les aléas propres à la fonction soi-

gnante autour de trois couples opposés,

dont certains rejoignent les hypothèses

d’A. Ciccone, comme nous le verrons

plus avant. Quels sont ces trois points ?

« Refuser le bricolage, rejeter le scien-

tisme »

C’est-à-dire, ne pas se fondre dans l’idéo-

logie de l’expérience, du vécu, des “on a

l’habitude avec ces enfants-là”, “avec

eux, on sait faire”, etc. ; et cela au mépris

du savoir. Mais dans le même temps, ne

pas faire de la science une valeur absolue

avec le risque de décliner les soins sur un

mode de technicité, cette sacralisation qui

nous menace actuellement, expose à

l’éclatement du sujet (évaluation, quanti-

fication, protocolisation des soins, etc.) ;

en d’autres termes, si la théorie peut éclai-

rer la pratique ou la clinique, elle ne doit

pas les supplanter.

« Apprendre le doute, accepter l’impuis-

sance »

Éviter de désespérer de tout progrès chez

un enfant, ne voir que ses manques, ses

difficultés en occultant ce qui va mieux

par ailleurs ; mais d’un autre côté, éviter

également “l’acharnement”, le désir de le

faire changer à tout prix, de le faire ren-

trer dans la norme. Soit, prendre en

compte le rythme de chacun, rester dans

une position d’attente au risque d’avoir

une action limitée, mais respectueuse du

sujet.

« Récuser la relation métallique, se gar-

der de la fusion »

La relation métallique, c’est une relation

superficielle, non investie affectivement,

très défensive, qui ne permet pas l’empa-

thie. Se garder de la fusion, c’est à dire,

éviter la sympathie précisément pour per-

mettre l’empathie. L’idéal étant de pou-

voir accommoder les deux. En d’autres

termes, être disponible, sans être trop dis-

tant ni trop envahissant.

Le Contre Transfert selon A. Ciccone

A. Ciccone postule que le contre-trans-

fert, s’il n’est pas suffisamment pris en

compte, peut être non seulement à l’ori-

gine d’agirs (néologisme employé par A.

Ciccone) violents de la part des soignants

mais également, de façon sans doute

moins spectaculaire mais de manière tout

autant dommageable pour l’enfant, pro-

duire des effets de distorsion sur le soin,

en “pervertissant” les tenants et les abou-

tissants du projet établi initialement.

En outre, A. Ciccone, avance, suivant en

cela H. Rosenfeld ou W. Bion, que le

contre-transfert peut constituer un instru-

ment de connaissance très précieux pour

approcher le fonctionnement psychique

de l’enfant.

Pour ce faire A. Ciccone isole principale-

ment trois formes possibles de contre-

transfert :

« Impuissance et culpabilité »

En premier lieu, configuration la plus ré-

pandue, le contre-transfert marqué par

l’impuissance et la culpabilité, sachant

que c’est régulièrement l’impuissance,

vécue face à l’âpreté de la psychopatho-

logie des enfants, qui fait le lit de la cul-

pabilité ; il n’est pas anodin que C. Gar-

dou ait insisté de son coté sur ce qu’il a

appelé « Apprendre le doute, accepter

l’impuissance ».

Mais, en général, la culpabilité est “tra-

vaillable”, c’est un affect qui reste acces-

sible à l’échange en équipe.

Lorsque ces aspects ne sont pas abordés

institutionnellement, on glisse vers la se-

conde configuration décrite par A. Cic-

cone.

« La honte et la sidération »

La honte et la sidération, comme une

sorte de prolongement de ce sentiment

d’impuissance où la culpabilité, laisserait

place à la honte : on a honte de ne pas ré-

ussir alors qu’on a l’impression que

d’autres, dans des circonstances ana-

logues, parviendraient à de meilleurs ré-

sultats.

Ainsi la honte devient vecteur d’une auto-

dévalorisation, puis d’une disqualifica-

tion. A. Ciccone ajoute que la honte est

moins “partageable” que la culpabilité,

c’est à dire qu’elle risque d’être vécue par

le soignant dans l’isolement car le sujet

honteux est particulièrement sensible au

regard d’autrui ; pour citer A. Ciccone,

« la honte verrouille la relation, elle

pousse au silence, au repli et conduit à la

sidération ».

« Le gel des affects »

Ici, pour citer à nouveau A. Ciccone, « le

sujet se retire de la scène, il n’est ni cou-

pable, ni honteux, il devient indifférent et

étranger à ce qui se passe », c’est-à-dire,

coupé de lui-même et de ce qu’il ressent,

suite à une réaction primaire « qui se tra-

duit par une immobilisation de tout mou-

vement psychique ». Notons que cela se

rapproche de la “relation métallique” dé-

crite par C. Gardou. Pour être moins

spectaculaire cette alternative n’en est pas

moins péjorative pour l’enfant victime

d’un « processus de dé-subjectivation »

où il perd son statut d’être humain, c’est-

à-dire d’un autre semblable.

A. Ciccone insiste sur ces différentes dé-

clinaisons possibles du contre-transfert

dans la mesure où elles peuvent conduire

à des impasses dans le soin ou à des choix

de prise en charge inadaptés.

Afin de confronter cette approche théo-

rique nous nous proposons dans un se-

cond temps de vous exposer deux situa-

tions qui reflètent bien la complexité du

travail au quotidien, d’un côté nous avons

un enfant “qui parle”, de l’autre un enfant

qui “ne parle pas”.

Menu à deux plats

En entrée, quelques points d’anamnèse

Mélanie, « sans accent sur le “e” »

comme elle aime à le préciser est une jolie

fille de 11 ans. Elle passe les 3 premières

années de sa vie avec sa maman, chez les

parents de celle-ci. Le père et la mère de

Mélanie ayant des conduites addictives,

elle est placée en famille d’accueil durant

Page 143: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 144

l’année de ces 3 ans. Peu après ses 4 ans,

sa maman décède et les contacts avec son

père (vivant à l’étranger) sont rarissimes.

Dès lors, elle aura un tuteur et sera placée

en famille d’accueil. Actuellement, Méla-

nie vit toujours dans la même famille

d’accueil et a encore des contacts régu-

liers avec sa famille maternelle (grands-

parents ou oncles).

Plats n°1 : Plat aigre-doux nommé

« Mélanie »

Suite à des observations faisant état de

troubles de la communication et de

l’adaptation sociale en milieu scolaire,

elle est orientée vers une psychologue qui

posera le diagnostic “TED” (troubles en-

vahissants du développement, terme gé-

nérique qui ne présage pas de sa psycho-

pathologie précise, bien sûr). En été 2012,

elle entre à l’hôpital de jour à temps par-

tiel (50 %). Quelques mois plus tard, son

temps de présence dans l’institution a

augmenté de 30 % pour atteindre 90 % en

été 2013, en conservant une intégration

partielle dans l’école de son village.

Selon la “salle à manger” où elle se

trouve, Mélanie dégage des saveurs diffé-

rentes. Nous pouvons la décrire comme

un plat aigre/doux.

Le plat : Mélanie

aigre doux

Elle a un sourire dé-moniaque

Elle a un sourire « angélique »

Elle détecte facile-ment LA faille de

son interlocuteur

Elle a une élocution élevée pour son âge

Elle connaît et peut

utiliser un langage très cru et provoca-

teur

Elle peut se montrer

adéquate, adaptée, voire avec un air ti-

mide.

Elle met régulière-

ment en échec les jeux de groupe si ce

dernier ne lui con-

vient pas

Elle se montre très habile physique-

ment

Elle teste de manière systématique chaque

intervenant (enfant

ou/et adulte)

Elle est preneuse, voir enthousiaste,

de ce qui lui est

proposé

Elle exprime peu

d’émotion et se montre froide, indif-

férente face aux re-marques

Elle a plein d’idées quand cela ne la

concerne pas

Elle peut se montrer violente

Elle est plutôt me-neuse

Elle est très souvent

dans la maîtrise

Elle a un tempéra-

ment décidé

De par ses symptômes, Mélanie dépose

sur nos papilles soit un goût aigre, soit un

goût doux. Non seulement à nous, soi-

gnants, mais aussi à tous ceux qu’elle a

l’occasion de côtoyer. En effet, on ressent

une certaine crispation chez les interlocu-

teurs de Mélanie par rapport à ce qu’elle

peut dire ou pas, à l’un ou à l’autre, elle

exprime parfois des éléments différents,

contradictoires, pouvant déboucher sur

un clivage au sein de l’équipe, ou entre

l’équipe et la famille d’accueil, et/ou

l’école par exemple. Au maximum on a

l’impression qu’elle “ment”, ou ne dit pas

la “même vérité” selon les interlocuteurs,

selon les lieux ou les moments.

Si on se permet de faire quelques liens

avec la première partie théorique, il y a 3

points qui nous paraissent parlant vis à

vis de Mélanie.

A propos du soignant : « apprendre le

doute, accepter l’impuissance... ».

Pour nous, il est vrai qu’au vu du po-

tentiel de Mélanie, de ses capacités

cognitives et psychiques, il nous est

difficile de rester dans une position

d’attente vis à vis d’elle, on serait vite

tenté “d’agir”, d’être dans une posi-

tion plus “éducative”, au sens restric-

tif de ce terme, plus “directive”.

C. Gardou dit également, « récuser la

relation métallique, se garder de la

fusion... », ou A. Ciccone qui parle lui

de « gel des affects ».

Un exemple, lorsque sa maman d’ac-

cueil rentre dans la pièce où Mélanie

est en train de jouer, celle-ci se fige,

stoppe ses activités, cesse toute inte-

raction laissant sa maman d’accueil

d’abord désabusée puis « interdite »,

comme figée elle aussi. La consé-

quence pouvant être une relation mé-

tallique, c’est-à-dire une relation où la

personne (maman d’accueil ou soi-

gnant) va préférer se protéger en se

désengageant de la relation, en évitant

tout investissement affectif, soit un

“gel des affects” ou une « immobili-

sation de tout mouvement psychique »

selon A. Ciccone.

le risque d’une “pseudo écoute”,

c’est-à-dire prendre ce que Mélanie

exprime comme une parole “vraie” et

non comme l’expression de sa

psychopathologie. Par sa manière

déconcertante d’être, Mélanie, proba-

blement, tente de nous faire vivre ce

qu’elle aurait elle-même vécu au

contact de sa mère...

Plat n° 2 : Pain-surprise

Quelques mots d’anamnèse

Hélène, 9 ans, est entrée à l’Hôpital de

Jour en été 2012 avec un diagnostic de

mutisme sélectif, depuis peu elle est par-

tiellement intégrée en classe de soutien.

Elle est l’aînée d’une fratrie de deux en-

fants. La maman se qualifie elle-même

comme étant une personne timide.

Hélène nous renvoie l’image d’un “pain

surprise”, d’aspect lisse et au premier

abord sans grand intérêt mais avec l’idée

d’une certaine richesse intérieure, comme

des saveurs “enkystées”, dont l’expres-

sion resterait entravée.

En effet, Hélène se présente chaque matin

vêtue d’une jupe et d’un pull dans les

teintes roses. Son manque de communi-

cation verbale surprend de prime abord,

de même que la pauvreté de sa mimique

ou sa posture, figée. Hélène n’est pas à

l’aise au sein du groupe, mais également

dans la relation avec l’adulte et certains

enfants. Dans les situations où elle est in-

terpellée verbalement, on la sent dému-

nie, se grattant machinalement la tête et

se touchant les oreilles, parfois elle pro-

nonce un mot, timidement. Lorsqu’elle a

une demande basique (pipi, demande ali-

mentaire, …), elle nous répond par “oui”

ou “non”. Actuellement, nous la sollici-

tons pour qu’elle fasse des phrases, ce qui

semble représenter un réel effort pour elle

et si elle parvient à s’exprimer c’est sur

un ton aigu, stéréotypé et dénué d’affects.

Si l’équipe soignante s’arrête à « l’image

du pain surprise, cela peut susciter une

forme de désintérêt à l’égard d’Hélène. Si

le cadre soignant est défaillant, si le soi-

gnant lui-même présente des défaillances,

il existe un risque que celui-ci se “retire

de la scène” et que la rencontre possible

avec ce sujet en devenir n’ait pas lieu

pour glisser vers ce que A. Ciccone ap-

pelle un “gel des affects” ou une “relation

métallique”, pour citer cette fois C. Gar-

dou.

Page 144: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles

Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour ; cuisine, Contre-Transfert et Dépendances

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 145

Voici pour ce qui est de l’aspect extérieur

du plat susmentionné. Si ce pain se laisse

ouvrir, nous découvrons les surprises.

Rapidement, Hélène a trouvé ses repères

au sein du groupe après avoir intégré le

fonctionnement de ce dernier dans un

court délai. Elle se montre performante

dans les diverses situations d’apprentis-

sages scolaires, ainsi que dans les ateliers

proposés pour son accompagnement jour-

nalier. Elle est à l’aise à la gymnastique et

douée dans les jeux stratégiques. Au vu

de ses capacités, nous avons pu envisager

un retour progressif en scolarité ordinaire

sous la forme d’une intégration partielle

dans une classe à petit effectif.

Depuis plusieurs années, Hélène est sui-

vie en logopédie. Dans cet espace théra-

peutique, elle a un langage beaucoup plus

élaboré, teinté d’affects et sa prononcia-

tion est plus distincte.

Le fait d’avoir pu la découvrir pleine de

surprises nous permet d’éviter de « déses-

pérer de tout progrès » (C. Gardou). Ce-

pendant, lorsque l’équipe prend connais-

sance de la manière dont Hélène fonc-

tionne dans le cadre de la logopédie (lors

d’une séquence filmée, il apparaît claire-

ment qu’avec la logopédiste, Hélène

parle, avec des propos relativement

fluides et des intonations quasi nor-

males), le contraste est saisissant : à l’Hô-

pital de Jour, Hélène se montre encore

toujours “empruntée”, réticente pour par-

ler, pour formuler une demande, même

évidente, comme “interdite” dans ce

cadre relationnel, qui lui est pourtant fa-

milier. Grande était la tentation de “faire

changer” Hélène afin qu’elle ait la même

attitude à notre égard et entrer dans une

forme d’acharnement ou de forçage (se-

lon C. Gardou), c’est-à-dire ici, de la

“faire parler”. Autre hypothèse face à

cette situation, la vivre sur le mode de la

rivalité, vis à vis de la logopédiste, « si

elle (la logopédiste) y arrive et moi pas,

c’est que je ne suis pas assez compé-

tente », et basculer sur de la culpabilité ou

le sentiment d’inefficacité profession-

nelle, voire de la honte, terme ultime,

d’un contre transfert non élaboré, comme

l’a montré A. Ciccone.

Visionnage du film

Il apparaît clairement qu’avec la logopé-

diste, Hélène parle, avec des propos rela-

tivement fluides et des intonations quasi

normales. Le contraste est saisissant avec

la séquence filmée sur l’Hôpital de Jour

où Hélène se montre “empruntée”, réti-

3 spécialité dont le but est l’étude et le trai-tement des troubles du langage

cente pour parler, pour formuler une de-

mande, pourtant évidente, comme inter-

dite dans ce cadre relationnel, qui lui est

pourtant familier.

Questions

Le fait de voir parler Hélène en logopé-

die3 (ce qui indique qu’elle en est ca-

pable) a-t-il un effet rassurant ? Ou, à

l’inverse, est-ce que cela remet en ques-

tion les compétences des soignants par

rapport à celles supposées de la logopé-

diste ? Ainsi, je ne serais pas un(e) pro-

fessionnel(le) aussi compétente que la lo-

gopédiste ??

Quelles sont les questions plus géné-

rales qui peuvent se poser après ces deux

observations, ces deux “plats” ? Com-

ment les “métaboliser” ou les “dégus-

ter” ?

- Qu’est-ce qui peut “faire symptôme”

dans ces deux situations, ce qui est vi-

sible, ce que l’on perçoit en creux ?

- Faut-il se focaliser sur le symptôme

pour tenter de le diminuer, de

l’éteindre, avec le risque qu’il soit

remplacé “ailleurs”, ou faut-il essayer

d’amener l’enfant à l’accepter ?

- Doit-on être plus “attentiste”, laisser

davantage émerger les ressources

propres à chacune d’entre elles, avec

l’espoir d’un effet indirect positif sur

son symptôme ?

- Pour ces deux enfants le symptôme

s’exprime et est vécu différemment se-

lon les lieux, les personnes, pour ces

deux enfants, selon des modalités par-

ticulières, comment articuler le tout

dans un accompagnement harmo-

nieux, respectueux de la place de cha-

cun, et de l’enfant ?

- Selon la place que chaque profession-

nel accorde au symptôme, selon la ma-

nière dont il le “reçoit”, régulièrement

à son insu, comment prendre en

compte le contre-transfert, que ce soit

à l’échelon individuel ou sur un plan

plus institutionnel ? Quels enseigne-

ments pourrait-on en extraire ?

Dégustation

Une fois ces deux plats mitonnés avec un

savant dosage alliant passion et savoir-

faire, il est temps de passer à la dégusta-

tion et d’observer par la même selon

quelles modalités l’institution va être en

mesure de les digérer, psychiquement

parlant, de les “métaboliser” donc.

LES AUTEURS

Dr Gilles SIMON Dr Dino CARNEVALE Sophie CHAMPAGNE Claire LEHMAN Florence PILOTTI Robin LEJEANNE

Centre médico-psychologique pour enfants et ado-lescents Hôpital de jour « Villa Blanche » 16 rue Thurmann 2900 PORRENTRUY Suisse [email protected]

BIBLIOGRAPHIE

1. CHAIGNEAU H., Paroles, Editions La boite à outils, Collection dirigée par Jean Oury et Pierre Delion, 2011.

2. CICCONE A., Le contre transfert dans le quotidien des éducateurs avec les enfants qui poussent à bout, Congrès ITEP, Besançon, 11 mai 2011.

3. GARDOU Ch., Les professionnels auprès des jeunes en difficulté, Congrès ITEP, Besan-çon, 11 mai 2011.

4. YAMASHITA A., Yamashita, maraîcher ja-ponais surdoué que se disputent les grands chefs, L’express Style du 11 février 2014

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Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 146

Le plat numéro un, “aigre doux”

Les saveurs aigres douces sont par nature

des saveurs éloignées, “extrêmes”, elles

nécessitent probablement un estomac

“bien préparé” si l’on veut à la fois en sai-

sir toutes les subtilités mais également se

prémunir de certains désagréments.

Quels outils l’institution peut-elle mettre

en place dans ce but ?

Comme nous l’avons déjà évoqué précé-

demment, l’analyse la plus exhaustive du

contre-transfert représente à notre avis

l’outil central de cette stratégie car non

seulement il peut nous renseigner sur le

fonctionnement psychique de l’enfant

mais, en outre, il permet en certaines si-

tuations de moduler ou réajuster sa prise

en charge.

Schématiquement cette hypothèse se con-

crétise sur le plan institutionnel par trois

séquences :

- Première séquence : La psychopatho-

logie de l’enfant peut laisser une em-

preinte, parfois une simple trace, dans

l’appareil psychique du soignant, un

peu comme une pièce le ferait au con-

tact de la cire chaude, en “négatif” en

somme.

- Seconde séquence : il nous appartient

de faire apparaître cette empreinte en

pleine lumière à la faveur d’un travail

de “tamisage” de tout le matériel dé-

posé par les soignants, à partir des dif-

férentes réunions institutionnelles.

- Troisième séquence : “Traduire” ces

signes en essayant de les intégrer dans

un réseau d’hypothèses sur le fonc-

tionnement psychique de l’enfant avec

l’idée que cela produirait, dans notre

idéal bien sûr, des effets thérapeu-

tiques mutatifs en retour.

Une telle perspective recoupe les descrip-

tions de Delion ou Kinoo sur le fonction-

nement institutionnel. Chez Mélanie la

complexité vient du fait que ce qui fait

symptôme apparaît volontiers en creux,

voire de manière décalée et/ou indirecte,

presqu’insidieuse, dans la durée : cela

peut générer des effets péjoratifs à deux

niveaux :

- Non seulement sur l’équilibre, la cohé-

rence de l’équipe, la fluidité des

échanges au sein de l’institution, suite

aux clivages ainsi générés.

- Mais également sur l’aspect qualitatif

du travail sous la forme d’un risque de

glissement vers un accompagnement

plus éducatif, dans sa dimension res-

trictive, au détriment d’une prise en

compte plus large de la souffrance

psychique de l’enfant.

Avec Mélanie, l’utilisation du langage

fonctionne comme un leurre ; ses capaci-

tés à développer des échanges a priori

adaptés, au moins par moments, par

phases, peut nous piéger au sens où nous

risquons de concevoir son discours com-

me quelque chose d’abouti et non comme

le reflet de sa psychopathologie.

C’est ce que A. Ciccone appelle la

« pseudo écoute », c’est-à-dire que cha-

cun écoute, “de son côté”, sans cette arti-

culation plus générale, qui “transcende-

rait” les positionnements divergents.

De manière conjointe, on observe régu-

lièrement un autre “danger”, la confusion

entre les parties saines ou malades de

l’enfant avec forcément des effets néga-

tifs sur la prise en charge de l’enfant.

Les réunions de synthèse en fournissent

un bon exemple par l’expression d’avis

différents, voire opposés sur Mélanie.

Cette impression se redouble aussi dans

les ressentis des soignants, volontiers

aussi séparés et tranchés, à tel point qu’un

observateur extérieur aurait vite le senti-

ment que les gens ne parlent pas du même

enfant.

Pour essayer d’approcher le fonctionne-

ment psychique de Mélanie il faudrait

donc “renverser” cette perspective. En ef-

fet, chez Mélanie, c’est le recours au

multi clivage et aux projections répétées

qui provoquent cet effet de morcellement

chez les soignants. Pour avoir une idée de

son fonctionnement psychique dans sa

globalité il faudrait aller chercher chez

chaque soignant les “morceaux” qu’elle y

a déposé ainsi que les ressentis qui y sont

attachés, tout en les élaborant.

En procédant ainsi, une image à peu près

fidèle de Mélanie pourrait se dessiner.

Dans cette configuration on mesure com-

bien le contre-transfert peut nous être

utile, que ce soit en termes descriptifs du

fonctionnement psychique de l’enfant

mais aussi par l’éclairage qu’il nous ap-

porte concernant les incidences éven-

tuelles sur sa prise en charge.

Le second plat, le “pain surprises”

On peut dire qu’il mérite bien son nom

car même si l’on ne sait pas ce qu’il con-

tient à l’intérieur, il suscite en général

plutôt la curiosité et l’envie bien que chez

certain la part d’inconnue puisse alimen-

ter malgré tout une forme de méfiance.

A la différence de Mélanie ici, le symp-

tôme d’Hélène se montre en “positif”, de

manière “offensive”, on pourrait dire

qu’il “s’affiche” comme le ferait un plat

principal.

Avec un enfant au mutisme sélectif on ne

sait jamais réellement ce qu’il y aura une

fois que la fluidité du langage pourra

s’exprimer dans les différents lieux où il

a l’habitude d’évoluer, si tant est que cela

soit envisageable un jour.

Sous-entendu, derrière le symptôme, y a

t-il quelque chose ou pas ?

Pour ajouter à la complexité du tableau,

quand on sait que l’enfant parle, “pour de

vrai”, comme ici Hélène chez sa logopé-

diste, cela ne facilite pas nécessairement

le travail et ne présage pas non plus de

son bon déroulement.

En effet, cette “preuve dans la réalité”

peut solliciter diverses réactions chez les

soignants, on peut citer : des sentiments

(ou impressions) d’incompétence, voire

de culpabilité de ne pas y parvenir de la

même manière que la logopédiste.

Cela pourrait interférer avec la prise en

charge de l’enfant, au sens où l’idée que

le symptôme serait contrôlable ou maîtri-

sable pourrait s’imposer du simple fait

que l’enfant parvient quand même à par-

ler en certains lieux. Des pensées ou as-

sociations du style, « si elle veut, elle

peut », « il faut la forcer, on sait qu’elle

peut, c’est une question de volonté », etc.

pourraient flotter dans l’esprit des soi-

gnants.

En quoi le contre-transfert peut nous être

utile ici ?

Probablement au moins en partie pour les

mêmes raisons que lors de la situation

précédente, avec cette double dimension

du contre-transfert et, d’une part, des don-

nées qui vont documenter le fonctionne-

ment psychique d’Hélène, ainsi que,

d’autre part, celles qui vont permettre de

moduler ou ajuster sa prise en charge.

Les nuances à introduire concerneraient

plus la temporalité de ces différents phé-

nomènes.

Avec Mélanie les éléments contre-trans-

férentiels auraient plus tendance à se ma-

nifester progressivement, dans la durée,

de façon insidieuse, nous éclairant

d’abord sur son fonctionnement psy-

chique avec des déductions secondaires

pouvant permettre de moduler sa prise en

charge.

Chez Hélène, c’est d’emblée la question

de “s’emparer” du symptôme, et des mo-

dalités pour s’y employer, qui se pose

puisque la présence du mutisme sélectif

est connue des soignants bien avant l’ad-

mission de l’enfant. Il y aurait donc même

une forme d’attention particulière pour le

symptôme et le contre-transfert que l’on

pourrait “imaginer”, un peu pas “antici-

pation”.

Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il fau-

drait exclure des effets de la pathologie

sur l’équipe dans la durée mais, avec Hé-

lène, on peut avancer de manière certes

simpliste que cette “anticipation” contre-

transfert pourrait permettre une forme de

“vigilance” quant à la mise en place de la

prise en charge.

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Au menu : symptôme sur son lit de soignants servi en hôpital de jour ; cuisine, Contre-Transfert et Dépendances

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 147

On peut aussi envisager un scénario en

deux temps, le premier que nous venons

d’’évoquer, le second si le mutisme se

chronicise, avec une partition à plusieurs

tonalités du côté de l’équipe soignante, en

suivant les hypothèses de C. Gardou ou

A. Ciccone, on peut citer, liste non ex-

haustive, bien sûr :

- Ceux qui acceptent l’impuissance et

récusent le “forçage”.

- Ceux qui, à l’inverse, récusent l’im-

puissance et s’attachent à un “forçage”

sous couvert de continuer à aider l’en-

fant.

- Ceux encore qui sont dans l’évitement

ou se désengagent affectivement de la

relation avec l’enfant, pour se proté-

ger.

- Enfin, toujours à titre d’hypothèse, on

peut aussi envisager qu’il y ait des soi-

gnants qui, après avoir été dans la cul-

pabilité, glissent lentement vers la

honte.

Comme on peut l’imaginer, ces position-

nements divers ne sont pas forcément pré-

sents tous ensemble et en même temps, ils

peuvent évoluer différemment selon les

modalités contre-transfert de chaque soi-

gnant mais aussi en fonction des moyens

que l’institution pourra déployer pour y

être suffisamment attentif.

Mais, ce qui nous paraît judicieux de rap-

peler ici, c’est que, quelles que soient les

configurations contre-transfert, que nous

n’avons pas toutes évoquées, l’incidence

d’une pathologie comme le mutisme sé-

lectif peut s’avérer dans la durée particu-

lièrement péjorative sur l’équipe soi-

gnante et venir ainsi altérer sa potentialité

soignante.

Pour conclure

Nous pourrions “boucler la boucle” en

nous inspirant à nouveau de ces émis-

sions culinaires dont il a été question en

introduction. Deux expressions revien-

nent régulièrement dans la bouche des

présentateurs ou des chefs invités, “s’ap-

proprier” et “revisiter”, sous-entendu le

classique de la gastronomie demandé en

guise d’épreuve.

Ces deux expressions s’intégreraient dans

un gradient plus large, à quatre niveaux,

sensé évaluer les qualités des candidats

face à une recette donnée.

Le candidat se “plante”, passe à côté de

l’épreuve, en accumulant les erreur ; son

plat n’est pas présentable et l’aventure

s’arrête là pour lui. C’est le niveau le plus

bas.

Deuxième niveau, le candidat “bricole”

quelque chose qui ressemble à ce qui est

demandé, mais le produit n’est pas bien

fini ; il y a trop de défauts, mais le candi-

dat aura une seconde chance.

Puis nous arrivons à sensiblement mieux.

Ici le candidat parvient à “s’approprier”

la recette en question, c’est-à-dire bien la

maîtriser, la faire sans trop de panique en

cuisine en la reproduisant quasiment à

l’identique. Avec du travail le candidat

peut continuer à progresser.

Idéalement, un cran au-dessus donc, il

s’agirait de “revisiter” le grand classique

demandé par exemple. En d’autres

termes, non seulement maîtriser la re-

cette, mais aussi pouvoir y mettre un peu

de soi-même, son grain de sel, “un sup-

plément d’âme” pourrait-on dire, qui fe-

rait que l’on saurait qui a pu le réaliser,

juste en dégustant le plat en question, sans

avoir pu observer qui en est l’auteur.

On le comprend, pour l’association qui

nous intéresse aujourd’hui entre théorie,

symptôme et institution, il nous a paru in-

téressant de reprendre cette grille de lec-

ture, juste sur un mode anecdotique,

comme ça, sachant qu’il n’y a rien de

scientifique dans cette approche. Il s’agit

plus d’un prétexte pour confronter nos ex-

périences cliniques avec les vôtres.

Commencer par le bas de l’échelle, ce se-

rait être “hors sujet”, à entendre au propre

comme au figuré, cela renvoie à ce que A.

Ciccone a appelé la « non écoute ou

pseudo écoute » de l’enfant (ou du pa-

tient). C’est-à-dire qu’ici, on a tendance à

interpréter les projections du patient

comme des attaques sadiques contre les

parties nobles des soignants et/ou de

l’institution.

Le risque est alors que les choix thérapeu-

tiques, comme la sortie ou la réorientation

d’un patient par exemple, puissent se

faire non pas en prenant en compte les be-

soins réels du patient mais plus à partir

des effets du patient sur le soignant.

Bien sûr, exprimé de cette façon, cela

sonne comme un jugement lapidaire et

sans appel. De fait, la formulation a un

côté réducteur, voire violent pour une

équipe soignante dévouée et compétente

par ailleurs mais sans doute chacun con-

naît des exemples qui, a postériori, pour-

raient entrer dans cette catégorie.

Ensuite, le “bricolage”. Là encore, nous

allons reprendre une des alternatives dé-

crites par A. Ciccone : l’équipe s’appuie

sur une base théorique a priori “solide”

mais faute de recul, faute de travail d’éla-

boration, faute de “souplesse” aussi, cette

théorie risque d’être utilisée sur un mode

idéologique. Ici « la clinique n’a aucune

chance de démentir la théorie » car la cli-

nique est tellement anticipée pour s’ajus-

ter aux présupposés théoriques que cela

annule tout espace de discussion ou re-

mise en question. Au total, « dans ce cas

de figure la prise en compte du patient est

secondaire, ce qui compte c’est la sou-

mission du patient, de sa pathologie, au

modèle, à la théorie devenue idéologie ».

A un degré supplémentaire, il s’agirait

donc de pouvoir travailler avec les outils

théoriques de base propres à la psycho-

thérapie institutionnelle, déjà évoqués ici

(soit, P. Delion et P. Kinoo pour ce qui

nous concerne), en ayant pensé en amont

les conditions minimales pour que chaque

soignant, chaque thérapeute puisse “s’ap-

proprier” les outils en question afin de ne

pas basculer dans l’alternative que nous

venons d’envisager.

Très rapidement, quelles peuvent être ces

“conditions minimales” ?

Pour des raisons de temps, nous n’en ci-

terons qu’un qui s’inscrit dans la série des

invariants de la psychothérapie institu-

tionnelle, le passage à une hiérarchie dite

“fonctionnelle”.

Cela correspond à ce que H. Chaigneau

[4] appelle « l’égalité de parole » au sein

d’une équipe.

Il s’agit d’une condition nécessaire mais

pas toujours suffisante. Cela ne garantit

pas forcément la fluidité ou la diversité

des échanges lors des réunions par

exemple. S’exprimer, témoigner d’une

séquence avec un enfant lors d’une syn-

thèse, devant les autres, quand bien même

il s’agit de collègues et parfois d’amis,

c’est aussi s’exposer, c’est aussi accepter

une forme de risque. Cela ne va pas de

soi, cela n’est pas donné à tout le monde

et, en tant que tel, cela ne saurait être

exigé de tout le monde.

A nous de délimiter ce qui serait une sorte

“d’espace Schengen institutionnel” dont

le but serait de permette une libre circula-

tion de la parole et des ressentis ou asso-

ciations de chacun, en ayant en tête qu’ef-

fectivement la parole de l’un vaut la pa-

role de l’autre, au-delà d’enjeux en lien

avec la hiérarchie, en deçà de tout juge-

ment, qu’il soit moral ou qualitatif, débar-

rassée de toute anticipation théorique,

historique ou réductrice.

Enfin, le terme ultime consisterait à “re-

visiter” les classiques de nos deux pen-

seurs incontournables de la psychothéra-

pie institutionnelle en y apportant une sa-

veur particulière, conséquence de nou-

velles “rencontres ou hypothèses théo-

riques”.

Comme celles dont nous vous avons

voulu témoigner aujourd’hui auprès de

vous.

Bien sûr, il serait à la fois présomptueux

et indélicat de nous situer dans cette

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Au-delà du symptôme… la porte du soin en hôpital de jour

Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 148

échelle, si tant est qu’elle recouvre effec-

tivement une approche à peu près fiable

des aspects qualitatifs de notre travail.

Plus simplement, reste, sans exclusive, à

questionner ce qui constitue le fondement

de notre exercice, à savoir les articula-

tions si complexes entre clinque, théorie

et dispositif institutionnel.

.

Page 148: Hôpitaux de jour Psychiatriques Thérapies Institutionnelles · Professeur J. BERTRAND Liège Professeur W. BETTSCHART Crissier Docteur H. BOOREMANS tôme du patient, de lBruxelles
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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 149

Esquiper, étymologiquement lié au mot

équipe, veut dire pourvoir un navire de ce

qui est nécessaire à la navigation et lui

faire prendre la mer. Chaque hôpital de

jour comporte une équipe soignante. Elle

se compose de différentes personnes, de

différentes professions, et de différentes

fonctions, réunies autour d’une tâche

commune : prendre soin des patients. Se-

lon la métaphore du navire, l’esprit

d’équipe, la possibilité de coopérer, la ca-

pacité de construire une cohésion et de

poursuivre une cohérence dans les soins,

sont tous des éléments qui permettront au

bateau de faire face aux difficultés, de

supporter les tempêtes et parfois aussi de

résister aux pirates.

Garder le cap est un défi que nous rele-

vons quotidiennement. Mais qu’est-ce qui

est nécessaire à la navigation ?

La diversité de fonctions, de savoir-faire,

et d’appréciations nous permet de faire

face aux situations les plus disparates, à

des problématiques diverses, à des ques-

tionnements auxquels nous n’étions pas

préparés. Dans ce sens, les ressources de

l’équipe ne s’additionnent pas de manière

arithmétique, mais constituent plutôt un

ensemble d’expériences thérapeutiques

qui se complètent et se différencient, dans

un mouvement constant, dans la même

matrice : celle du projet de soin.

Mais parfois le projet n’est pas partagé, la

direction à prendre est soumise à discus-

sion, les individus se fatiguent et ont l’im-

pression de ne pas avancer, les ambiva-

lences du patient semblent se répartir en

plusieurs fractions de l’équipe, qui s’af-

frontent dans le quotidien. Pour faire face

à ceci, l’équipe met en place des stratégies

pour faire en sorte que le travail commun

devienne un lieu de partage, de communi-

cation et une occasion d’accueillir de la

différence et de la déviance.

Enfin, les caractéristiques du bateau, la

mission confiée par l’armateur, le temps à

disposition et les coûts à assumer sont au-

tant d’éléments qui s’inscrivent dans la

vie de l’équipe.

Ce colloque vous invite à débattre de cet

équilibre complexe et ambitieux :

• Une fois embarqués, qui donne le cap et

comment se divise le pouvoir de décision

?

• Comment gérer les espaces communs et

comment structurer le temps, la durée et

la fréquence des différents soins ?

• En plein orage ou dans le brouillard,

quelle place, quelle légitimité donner aux

réunions d’équipe et aux supervisions ?

Quelle gestion des conflits adopter ?

L’infinité des expériences en relation

avec le travail en équipe nous donnera

l’occasion d’échanger autour des solu-

tions trouvées, des inquiétudes partagées

et des questions qui, pour le moment,

n’ont pas encore trouvé de réponse.

.

XLIVème COLLOQUE DES HÔPITAUX DE JOUR

PSYCHIATRIQUES

7 et 8 octobre 2016

Genève, SUISSE

L’ORGANISATEUR

Pr Yasser KHAZAAL Psychiatre

Société Suisse de Psychiatrie Sociale, section Romande Hôpitaux Universitaires de Genève Grand pré 70 C 1202 Genève Suisse

[email protected]

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 150

Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

- ASBL -

www.ghjpsy.be

BREF RAPPEL HISTORIQUE

À la fin des années 60, quelques années après la France, la Belgique ouvre une nouvelle structure thérapeutique au sein du Département

de Psychologie Médicale et de Médecine Psychosomatique de l’Université de Liège. Elle sera appelée “Hôpital de jour Universitaire

La Clé” en référence à ce qui avait été antérieurement créé au Canada.

L’hôpital de jour est pour nous une unité thérapeutique à temps partiel où sont dispensés des soins intensifs variés. Dans ce tte unité,

le patient est pris en charge par une équipe multidisciplinaire. Le but recherché est bien sûr adapté aux problèmes mis en évidence au

début de la prise en charge.

Très rapidement, le besoin s’est fait sentir d’organiser des rencontres entres équipes soignantes de Belgique et de France pour réfléchir

à nos actions, notre place et notre spécificité comme unité de soins dans la trajectoire psychiatrique du patient.

Ces rencontres ont évolué ensuite vers des échanges autour d’un thème général stimulant et l’on a rapidement constaté une participa-

tion nombreuse et de plus en plus interactive des équipes à l’occasion de ces colloques.

Il fallait une structure juridique pour informer les pouvoirs publics et la société de l’existence voire de la pertinence de ce modèle de

prise en charge. En 1979, le Groupement ainsi que son Comité Scientifique se réunissent pour la première fois de manière officielle à

Liège, à l’occasion du VIIème colloque. Le Luxembourg et la Suisse s’associant à ce Groupement, le Groupement des Hôpitaux de

Jour Psychiatriques Belgique - France - Suisse, sous la forme qu’on lui connaît actuellement, est créé en 1986.

Le premier président, fondateur du Groupement et de l’association, est le Professeur Jean Bertrand.

De 2000 à 2012, le flambeau a été transmis au Docteur Patrick Alary.

L’un et l’autre sont aujourd’hui présidents d’honneur et, depuis le 6 octobre 2012, le président est le Dr Christian Monney.

MEMBRES DU GROUPEMENT

- membres institutionnels : ce sont les hôpitaux de jour psychiatriques de Belgique, de France, de la Suisse et du Luxembourg.

- membres individuels : ils se répartissent en membres effectifs, ce sont les divers professionnels des structures sus-nommées, et

membres adhérents, tout professionnel de la santé mentale qui montre un intérêt particulier pour les activités de l’association.

OBJECTIFS DU GROUPEMENT

- favoriser les relations entre les différentes structures “Hôpital de jour psychiatrique”.

- faciliter la diffusion des travaux réalisés au sein du Groupement.

- organiser des conférences, des réunions, des colloques.

- coordonner et promouvoir les échanges et la formation continue de ses membres.

- être un centre de diffusion de l’école de psychothérapie institutionnelle en hôpital de jour.

- coordonner les contacts avec les personnalités et les pouvoirs, publics ou privés, du monde médical et scientifique aux niveaux

nationaux et international.

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 151

RECOMMANDATIONS AUX AUTEURS

DES ACTES À LA REVUE…

De 1973 à 1997, les actes des colloques ont été

régulièrement édités sous forme de monogra-

phies. Les textes des présentations en séance plénière et

en ateliers et ceux des discussions sur ces présen-

tations ont été rassemblés par l’organisateur de chaque colloque.

Depuis 1998, les actes sont publiés dans la Revue

des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thé-rapies Institutionnelles.

La Revue des Hôpitaux de jour psychiatriques

et des thérapies institutionnelles est éditée à l’occasion de chaque Colloque des Hôpitaux de

jour.

Elle publie les actes du Colloque de l’année pré-cédente et des textes concernant l’activité des

Hôpitaux de jour psychiatriques et les thérapies

institutionnelles.

COMITÉ DE LECTURE

Les propositions de texte sont soumises à un co-

mité de lecture composé de membres du comité

scientifique du groupement des hôpitaux de jour psychiatriques.

Il est le garant de la qualité des publications et

peut refuser certains textes, en particulier lorsque les règles éditoriales n’ont pas été respectées.

Il prend contact, s’il y a lieu, avec les auteurs,

pour les modifications qui lui paraissent oppor-tunes.

Les décisions du comité de lecture sont sans ap-

pel.

CONDITIONS DE PUBLICATION

Les manuscrits sont rédigés en langue française

et doivent être dactylographiés en TNR corps 10.

Ils seront adressés à l’organisateur du colloque par courriel.

Dès réception, deux exemplaires seront adressés

par l’organisateur du colloque concerné l’un au rédacteur en chef de la revue l’autre à l’un des

membres du comité de lecture.

L’organisateur du colloque communique la ré-

ponse du comité de lecture à l’auteur principal de

l’article.

Si des changements sont demandés, l’article, une fois modifié, est relu par l’organisateur du col-

loque avant toute acceptation définitive.

DÉLAIS DE PUBLICATION

Après chaque Colloque : les textes doivent être adressés au plus tard le

30 novembre suivant le Colloque,

l’avis du Comité de lecture sera donné au plus tard le 31 décembre suivant le Colloque,

en cas de demande de modifications par le Co-

mité de lecture, le texte définitif doit parvenir à l’organisateur du Colloque le 31 mAgence

Régionale de Santé de l’année suivant le Col-

loque.

PRÉSENTATION

La première page comporte en haut :

le titre de l’article (court, explicatif, facile à ré-

pertorier dans les index, éventuellement suivi

d’un sous-titre succinct), le nom du (des) auteur(s), en majuscules, pré-

cédé du (des) prénom(s), en minuscules en

dehors des initiales et de la fonction, l’adresse de l’auteur.

Puis :

le résumé, en français, 15 lignes au maximum,

le titre de l’article en anglais,

le résumé, en anglais, 15 lignes au maximum,

les mots-clés, en français et en anglais, 10 au maximum.

En l’absence de ces éléments, les articles ne se-

ront pas publiés. Les manuscrits doivent comporter 25 lignes par

page, recto seulement, en double interligne, avec

une marge de 5 cm à gauche et une numérotation des pages.

TEXTE

Les textes ne doivent pas dépasser 20 pages dac-

tylographiées, bibliographie comprise. Ils doivent commencer par une introduction et se

terminer par une conclusion.

ILLUSTRATIONS ET TABLEAUX

Leur nombre doit être limité. Ils doivent être nu-mérotés (en chiffres arabes pour les graphiques,

en chiffres romains pour les tableaux) et corres-

pondre à un appel précis dans le texte.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Elles doivent être classées par ordre alphabétique

d’auteur, numérotées et dactylographiées, en

double interligne, sur une page séparée. Il ne sera fait mention que des références appelées dans le

texte ou dans les tableaux ou figures.

Leur nombre maximum est de 30. Elles doivent être conformes aux normes interna-

tionales.

formats des citations : Les appels bibliographiques (citations des réfé-

rences) se font par le nom de famille et de l’ini-

tiale du prénom, année (Bertrand J., 2006). Ils

doivent renvoyer à une référence bibliographique

en fin d’article. Les mentions du type loc. cit ou

op. cit., id., ibid., etc. sont absolument proscrites. Si le nombre d’auteurs est supérieur à six, seuls

les trois premiers auteurs sont indiqués. L’intitulé

est alors suivi de « et al. ». La liste bibliographique

Chaque appel fait dans le texte doit être déve-

loppé dans la bibliographie. Réciproquement, chaque référence bibliographique doit avoir été

appelée dans le texte.

Ouvrage

Auteur., Année, Titre de l’ouvrage, numéro

d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur.

Ouvrage édité

Auteur., Année, Titre de l’ouvrage, numéro

d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur.

Chapitre d’ouvrage

Auteur de la partie., Année, Titre de la partie, In

Auteurs de l’ouvrage, Titre de l’ouvrage, numéro

d’édition, Ville de l’éditeur : Nom de l’éditeur, pp-pp.

Article Auteur., Année, Titre de l’article, Titre de la re-vue, Volume, Numéro, pp-pp.

Pour les revues électroniques, faire suivre la ré-

férence de l’adresse électronique du document.

Par exemple : Article : Auteur. (Année). Titre de

l’article. Titre de la revue. Volume (Numéro), pp-

pp. http://www.xxx.yyy /zzz.htm (date : jour, mois, année de la consultation par l’usager).

Thèse, mémoire, etc.

Auteur., Année, Titre, Intitulé du diplôme, éta-blissement universitaire.

Rapport Auteur., Année, Titre, Références du rapport, Ville : Institution.

Pour les sites web

Auteur (Organisme ou auteur personnel dans le cas d’une page personnelle), Titre de la page

d’accueil, Type de support, Adresse URL : four-nir l’adresse URL de la ressource (date : jour,

mois, année de la consultation par l’usager).

ABRÉVIATIONS, SIGLES, UNITÉS DE

MESURES

Pour les unités de mesure et les sigles, elles doi-

vent être conformes aux normes internationales.

Pour les noms, l’abréviation doit être indiquée dès son premier emploi, entre parenthèses.

Si le nombre d’abréviations est important, leur si-

gnification doit être fournie sur une page séparée.

NOTES DE BAS DE PAGE

Elles doivent être limitées. Elles seront désignées

uniquement par des chiffres, sans se répéter d’une

page à l’autre, et doivent correspondre à un appel précis dans le texte.

OBLIGATIONS LÉGALES

Les manuscrits originaux ne doivent pas avoir fait

l’objet d’une publication antérieure, ni être en

cours de publication dans une autre revue.

Les opinions exprimées dans l’article ou repro-

duite dans les analyses n’engagent, sur le plan

scientifique, que leurs auteurs. Tout article est une œuvre de l’esprit, il est donc

à ce titre protégé par le droit d’auteur. En soumet-tant son article au Comité de lecture de la Revue,

l’auteur autorise de facto sa publication dans la

Revue. Il peut, avant la publication, retirer à tout moment son texte s’il n’en souhaite plus la publi-

cation. Dès lors que l’article est publié, l’auteur

est réputé avoir transféré ses droits à l’éditeur à qui devront être adressées les demandes de repro-

duction.

TIRÉS À PART

Actuellement, il n’est pas édité de tirés à part.

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Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

- ASBL -

BULLETIN DE DEMANDE D’ADHESION

Vous souhaitez devenir membre du Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques :

à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF

à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF

Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous

complété.

La cotisation annuelle vous donne droit :

à être tenu régulièrement au courant de nos activités

à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité

à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de

l’équipe)

à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institution-

nelles (cotisation institutionnelle = 2 exemplaires)

à une voix à l’Assemblée Générale statutaire

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………...

Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat natio-

nal dont vous dépendez accompagné de votre règlement :

À TITRE INDIVIDUEL

NOM : PRÉNOM :

FONCTION :

ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) :

ADRESSE PROFESSIONNELLE :

TÉLÉPHONE PERSONNEL : TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL :

TÉLÉCOPIE : E-MAIL :

Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins

Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

À TITRE INDIVIDUEL

NOM DE L’INSTITUTION :

NOM DU MEDECIN RESPONSABLE :

ADRESSE :

TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE :

e-mail :

Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

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Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles 2016 - n° 18 153

Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

- ASBL -

BULLETIN DE RENOUVELLEMENT D’ADHESION

Vous souhaitez renouveler votre adhésion au Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques :

à titre individuel : cotisation annuelle 50 € ou 80 CHF

à titre institutionnel : cotisation annuelle 210 € ou 350 CHF

Vous pouvez adresser au secrétariat national dont vous dépendez le bulletin d’adhésion ci-dessous complété.

La cotisation annuelle vous donne droit :

à être tenu régulièrement au courant de nos activités

à une priorité à l’inscription au colloque annuel dont le nombre de participants est limité

à un tarif réduit à l’inscription (cotisation institutionnelle = tarif valable pour 5 membres de l’équipe)

à un exemplaire de la Revue des Hôpitaux de Jour Psychiatriques et des Thérapies Institutionnelles

(cotisation institutionnelle = 2 exemplaires)

à une voix à l’Assemblée Générale statutaire

Renvoyez le bulletin ci-dessous complété (en caractères d’imprimerie SVP) au secrétariat national

dont vous dépendez accompagné de votre règlement :

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………..………………………………………….………..

À TITRE INDIVIDUEL

NOM : PRÉNOM :

FONCTION :

ADRESSE PERSONNELLE (facultatif) :

ADRESSE PROFESSIONNELLE :

TÉLÉPHONE PERSONNEL :

TÉLÉPHONE PROFESSIONNEL :

TÉLÉCOPIE : COURRIEL :

Je travaille en hôpital de jour depuis 2 ans au moins

Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

À TITRE INSTITUTIONNEL

NOM DE L’INSTITUTION :

NOM DU MÉDECIN RESPONSABLE :

ADRESSE :

TÉLÉPHONE : TÉLÉCOPIE :

COURRIEL :

Noms de deux parrains, membres du Comité scientifique :

DATE : SIGNATURE :

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Groupement des Hôpitaux de Jour Psychiatriques

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www.ghjpsy.be