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La critique génétique du Horla de Maupassant par Isabelle Nolin Département de langue et littérature françaises Université McGilI, Montréal Mémoire soumis à l'Université McGill en vue de l'obtention du grade de M.A. en langue et littérature françaises mars 2005 © Isabelle Nolin, 2005

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La critique génétique du Horla de Maupassant

par

Isabelle Nolin

Département de langue et littérature françaises

Université McGilI, Montréal

Mémoire soumis à l'Université McGill en vue de l'obtention du grade de M.A.

en langue et littérature françaises

mars 2005

© Isabelle Nolin, 2005

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RÉsUMÉ

Résultat des recherches formelles et thématiques entreprises par l'auteur durant la

décennie 1880, Le Borla (1887) de Maupassant, en raison de son originalité, est devenu un

classique de la littérature fantastique. Constitué du recyclage de plusieurs passages de textes

indépendants dont La Lettre d'un fou (1885) et Le Borla paru en 1886, le récit, construit par

reprises et variations, offre une voie d'exploration tout à fait pertinente pour la recherche

génétique. Par l'étude des différences entre le manuscrit du Borla (1887) et des contes qui

se présentent comme les éléments de la genèse du texte, nous effectuerons la remontée

génétique de la célèbre nouvelle afin d'affiner notre connaissance de l'évolution thématique

et stylistique de Maupassant ainsi que de mettre en lumière la poétique de son fantastique.

ABSTRACT

The result of formai and thematic research undertaken by the author in the 1880s,

Maupassant's Le Borla (1887), owing to its originaIity, became a fantastic literature classic.

Constituted from the recycling of severaI passages of independent texts among which La

Lettre d'un fou (1885) and Le Borla published in 1886, the tale, built by recoveries and

variations, offers a completely relevant exploratory way for genetic research. By studying

the differences between the Borla manuscript (1887) and short stories which present

themselves as genesis elements of the text, we will perform the genetic rise of the famous

text in order to refine our knowledge of Maupassant's thematic and stylistic evolution as

well as clarifying the poetics ofhis fantastic.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier les professeurs de l'Université McGill qui, par leurs compétences et

leur dynamisme, contribuent à dispenser une formation de qualité. Proches des étudiants et

soucieux de leur réussite, ils ont su me transmettre leur passion pour les lettres à travers

leur enseignement qui a constamment nourri mes réflexions. Un merci plus particulier à

ma directrice, Madame Chantal Bouchard qui, grâce à son enthousiasme, a stimulé mon

intérêt pour la critique génétique. Sans ses conseils judicieux, ce projet n'aurait pu être

mené à terme. Finalement, un gros merci à tous ceux de mon entourage qui m'ont offert

leur soutien moral. Patrick, Julia, Chantal, Lorraine et Pierre, vos encouragements ont été

fort appréciés.

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RÉsUMÉ REMERCIEMENTS TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

TABLE DES MATIÈRES

Maupassant et la critique génétique États des recherches sur Maupassant Description du projet de mémoire

CHAPITRE 1 Le remaniement du premier Horla : vers une nouvelle poétique du fantastique

La supériorité du Horta II Un journal intime truqué Les journaux intimes virtuels avant Le Horla Les écrits théoriques de Maupassant sur le fantastique

CHAPITRE 2 Études des modifications opérées dans les passages recyclés de la première version : vers une redéfinition du personnage-narrateur et du phénomène-Horla.

La recherche de perfection formelle Les modifications apportées au narrateur Les modifications apportées au phénomène-Horla

CHAPITRE 3 Les passages ajoutés: symbolisme des lieux dans

l'univers maupassien La Normandie de Maupassant La description des paysages normands Le Mont-Saint-Michel Le Paris de Maupassant Les descriptions de Paris Le Paris du Horla Mise en parallèle des deux épisodes

CONCLUSION Pour un fantastique intériorisé: folie et sciences occultes Pour un nouveaufantastique : attrait pour la psychologie moderne D'un Horla à l'autre: vers une nouvelle poétique dufantastique Le manuscrit: la volonté réaliste

ANNEXE BIBLIOGRAPHIE

11

111

1 2 3 8

11 16 19 23 27

33 34 41 47

55 57 59 62 66 68 70 73

75 75 76

77 79

............................. 82 85

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Introduction

Les manuscrits, les plans et les brouillons des grands auteurs exercent sur

nous une fascination incroyable, puisque nous avons l'impression d'accéder à travers

eux au secret de la fabrication des chefs-d' œuvre de la littérature. Leur pouvoir

d'attraction est d'autant plus grand qu'ils donnent l'impression d'entrer en fusion

avec l'auteur et de pénétrer dans l'espace interdit du laboratoire mental d'où le texte

est né. Or, aussi séduisante qu'elle puisse être, l'étude des manuscrits nécessite

également le dépouillement d'une masse de matériaux qu'il faut patiemment

déchiffrer et classer pour arriver à interpréter le processus de création. Effectivement,

la critique génétique, qui renouvelle la connaissance des textes à la lumière de leurs

manuscrits, «cherche à reconstituer la formation du texte à l'état naissant avec

l'objectif d'élucider son processus de conception et de rédaction1 .» Envisageant

l' œuvre littéraire comme le résultat d'un travail composé de différentes étapes,

depuis la recherche d'informations et l'élaboration de plans jusqu'à la phase de

rédaction en passant par diverses campagnes de corrections, la génétique analyse les

traces matérielles des transformations qui ont conduit au texte fmal dans le but

d'obtenir une meilleure connaissance de ce dernier.

Développée dans les années 1970, cette approche est héritière du

structuralisme dans la mesure où elle lui emprunte ses méthodes d'analyse tout en s'y

opposant, puisqu'elle refuse de voir l'œuvre tel un objet clos et fixe2• Au contraire, la

littérature est perçue comme un processus et l' œuvre, dans sa perfection fmale, reste

le produit de multiples métamorphoses. En réaction contre l'image de l'écrivain

inspiré par ses muses ou doté d'un talent divin, la génétique souligne que l'activité

d'écriture, sans être mécanique, met en place différents rouages et nécessite un

calcul, une organisation successive de différents éléments textuels en vue de produire

un effet sur le lecteur.

1 Pierre-Marc de Biasi, Lagénétique des textes, Paris, Nathan, 2000, p. 9. 2 Selon Pierre-Marc de Biasi, en revendiquant la théorisation d'une dllnension historique à l'intérieur de l'écrit, la critique génétique s'est immédiatement posée, dans le courant des années soixante-dix, comme prolongement inattendu des recherches structurales qui se donnaient pour espace de définition ce qui avait fait le plus cruellement défaut aux analyses formelles: le devenir-texte comme structure à l'état naissant et l'étendue d'un nouvel objet, concret et spécifique, structuré par le temps, le manuscrit. Avec cette quatrième dllnension de l'écriture, la recherche post-structuraliste se dotait de ce qui manquait à l'analyse structurale: la notion de processus. Pierre-Marc de Biasi, op. cit., p. 27.

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Maupassant et la critique génétique

Conscients des mystères que révèle le dévoilement des esquisses qui ont

donné naissance aux textes défmitifs, les auteurs ne sont pas tous prompts à léguer à

la postérité les témoins matériels de leur processus de conception et de rédaction.

Alors que certains souhaitent dissimuler la manière dont ils élaborent leurs œuvres en

éliminant toutes traces matérielles qui laisseraient deviner un blocage, un retour en

arrière ou un lapsus, d'autres nous font aisément entrer dans l'espace intime de leur

création en rendant accessibles leurs brouillons et leurs documents préparatoires.

Extrêmement discret sur la façon dont il conçoit ses textes comme en font foi les

rarissimes références à ses écrits dans sa correspondance pourtant volumineuse,

Maupassant semble vouloir masquer les étapes de la genèse de ses récits. Étudier son

œuvre par le biais de l'approche génétique demeure donc une entreprise à la fois

incertaine étant donné sa résistance à vouloir dévoiler son jardin secret, et

paradoxale, parce que l'on ne connaît pas de notes, pas de plans ni de scénarios de sa

main. En l'absence de tels documents, presque tous ses manuscrits apparaissent

comme des mises au net d'une production littéraire méditée, de sorte qu'un véritable

mythe de l'écrivain qui compose son œuvre mentalement s'est édifié à son sujet.

Maupassant lui-même se plaît à raconter qu'il pense ses nouvelles en marchant, en

travaillant à autre chose et lorsqu'il prend la plume, il ne lui reste plus qu'à copier le

récit achevé dans sa tête. Puisqu'il est affligé de troubles oculaires causés par la

syphilis qui l'obligent à se limiter à deux ou trois heures devant une page blanche, il

se doit d'être prêt à coucher le texte sur papier le plus rapidement possible. Ainsi, de

cette façon, il aurait pu rédiger en près de dix ans, durant la décennie 1880, plus de

300 contes, et pas moins de six romans, trois récits de voyage et un recueil de vers,

ce qui fait en moyenne un rythme de 37 pages par jour. Cette prolificité

extraordinaire pousse à croire que l'écriture chez Maupassant demeure un acte

naturel et spontané.

Doit-on abandonner l'idée de faire une étude génétique des textes de

Maupassant? Non. D'ailleurs, l'étude du Horla, nouvelle publiée en 1887, constitue

une voie d'exploration tout à fait pertinente pour la recherche génétique, car elle

permet de mettre à l'épreuve les méthodes d'investigation propres à cette démarche.

Résultat d'un travail dans le temps, ce récit est le point vers lequel culminent les

recherches formelles et thématiques de l'écrivain. Sans constituer à proprement

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parler des états antérieurs de textes, La lettre d'un fou (1885) et Le Horla de 1886

attestent du fait que l'auteur a dû passer par différentes étapes pour aboutir à un texte

jugé satisfaisant étant donné que des phrases entières du texte de 1885 se retrouvent

dans les deux versions successives du Horla alors que des passages entiers du récit

de 1886 sont récupérés et remaniés dans le manuscrit du dernier texte publié. Si

plusieurs spécialistes se sont penchés sur les différences entre les deux versions du

Horla, aucun ne s'est servi de l'approche génétique pour mesurer l'évolution du

récit. Pourtant, que l'auteur ait franchi mentalement toutes les étapes préparatoires ou

qu'il ait fait disparaître ses notes, il reste des traces de l'élaboration de la célèbre

nouvelle: les écarts entre le manuscrit, les écrits préliminaires et le texte publié

relèvent bel et bien de la critique génétique. Bien que certains critiques attribuent la

reproduction de passages à un trait que l'auteur aurait conservé de son métier de

journaliste3, cette explication s'accorde mal avec le caractère de l'écrivain: réputé

pour son perfectionnisme, Maupassant, qui a retenu la leçon de Flaubert, est à la

recherche d'une langue originale dont la maîtrise s'acquiert au prix d'une discipline

rigoureuse. Peu enclin à bâcler son travail, il s'applique à se forger un style dans

lequel son tempérament se révèle, ce qui ne s'obtient que par un travail long et

acharné. Cherchant constamment à peaufmer ses récits, l'écrivain s'inspire bien

souvent de ses propres textes qu'il enrichit, modifie et corrige pour produire une

œuvre nouvelle, plus riche sur le plan formel.

États des recherches sur Maupassant

Jugés comme des œuvres mineures écrites dans un but purement commercial

pour un public à la recherche d'un divertissement facile, les contes et les nouvelles

de Maupassant ont longtemps été boudés par la critique universitaire. Il faut attendre

qu'une véritable recherche sur la nature et le fondement de la littérature fantastique

3 A l'emploi de trois journaux différents, Le Gaulois, Le Gil Bias et Le Figaro, Maupassant vit depuis les années 1880 de sa plume. Devant rencontrer d'énormes obligations familiales, il assume la charge financière de ses trois enfants qu'il ne reconnaîtra cependant jamais, en plus d'assurer la subsistance de sa mère et de la famille de son père. il fréquente les salons aristocratiques, gâte ses maîtresses et voit à l'entretien de sa villa à Étretat et de son voilier Le Bel Ami, ce qui le force à produire énormément de textes pour combler les exigences de ce train de vie luxueux. L'habitude de reproduire certains passages sans les modifier ou presque lui permettrait d'accélérer le rythme de sa production. D'ailleurs, pour le lecteur de feuilletons, la reprise de courts passages importe peu; lorsqu'il n'a plus le joumal sous les yeux, il a déjà oublié ce qu'il a lu plusieurs mois auparavant. Françoise Rachmuhl, Le Horla et autres contes jàntastiques, Paris, Hâtier, 1992, p. 8.

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se constitue pour que s'érige, dans son sillage, un corpus de textes critiques sur les

récits de l'auteur du Horla. Abordant un domaine encore marginal, Pierre-Georges

Castex publie en 1951 une thèse intitulée Le conte jantastique en France de Nodier à

Maupassant qui servira de base aux chercheurs de la décennie suivante, période

durant laquelle les travaux sur le fantastique fleuriront. Grâce à son approche

historiciste4, Castex étudie l'évolution du genre en s'appuyant sur ses principaux

représentants en France, ce qui lui permet d'affirmer que Maupassant a su renouveler

le fantastique en lui donnant une orientation plus psychologique et intérieure. À son

avis, l'originalité de cet auteur est d'avoir inscrit le fantastique dans l'homme, ultime

territoire inconnu que la science commence à peine à explorer. À la suite de Castex,

plusieurs théoriciens se sont penchés sur le fantastiqueS et, parmi les plus connus,

Roger Caillois insiste sur un aspect un peu négligé par Castex: sur le plan de la

fiction pure, le fantastique est un jeu avec la peur. Ainsi, il observe que les récits de

Maupassant ne cherchent pas à faire croire au surnaturel (comme c'était le cas chez

ceux qui l'ont précédé) mais à communiquer le sentiment de peur. Selon lui, le

célèbre auteur d'Une vie est celui qui a le mieux réussi à traduire cette émotion en la

liant à l'idée d'impuissance ressentie par l'homme devant l'incompréhensible6.

Bien que les travaux de Castex et de Caillois sur Maupassant restent

lacunaires parce qu'ils tentent d'abord et avant tout de mettre sur pied une défmition

opératoire du genre fantastique capable d'englober une multitude de récits et de tenir

compte de la spécificité de chaque auteur7, ces deux critiques ont défriché le champ

4 Attentif à l'histoire des idées, Castex remarque que l'avènement du genre correspond, aux alentours de 1770, à une réaction face à l'esprit des Lumières. En même temps que la science progresse et que la soif de connaissances rationnelles s'accentue, le goût pour le mystère et l'occulte triomphe. La vague fantastique a ensuite déferlé sur les Romantiques qui ont produit une quantité prodigieuse de récits éttanges ou terrifiants. Attirés par un genre qui s'oppose au réel banal en privilégiant l'imaginaire et qui met l'accent sur un personnage unique aux prises avec une situation hors du commun, les écrivains romantiques ont assuré le rayonnement de cette littérature. Pierre-Georges Castex, Le t'onte jantastique en France, Paris, José Corti, 1951. 5 À titre d'exemples, on peut mentionner l'ouvrage de Marcel Schneider intitulé L'histoire de la littérature jantastique en France publié en 1964 et suivi par Le sentiment de l'étrange de Louis Vax paru en 1965. 6 Roger Caillois, Anthologie de la littérature jantastique, Paris, Gallimard, 1966. 7 La définition de Castex est restée célèbre et demeure encore reprise dans les ouvrages critiques plus contemporains. Il affirme que le fantastique se distingue de l'affabulation traditionnelle des récits mythologiques ou des féeries, et il se caractérise au contraire par « une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle ; il est lié généralement aux états morbides de la conscience qui, dans des phénomènes de cauchemar ou de délire, projettent devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs. » Pierre-Georges Castex, Le conte jantastique en France, Paris, José Corti, 1951, p. 8.

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de la recherche sur l'auteur du Horla. D'ailleurs, de façon presque systématique, les

chercheurs actuels citent leurs défmitions ou leurs travaux (soit pour appuyer les

hypothèses avancées ou le contraire), ce qui témoigne de leur importance et du fait

qu'ils servent toujours de fondements aux théories élaborées plus récemment. En

réaction à leur approche historique où l'aventure fantastique apparaît tel un itinéraire

interne lié à l'existence d'un écrivain, différentes tendances critiques s'inscriront

dans son prolongement ou tenteront de s'en détacher. Les tenants de l'approche

psychanalytique, par exemple, ont tôt fait de s'emparer des récits de Maupassant, car

ils y ont vu une matière riche pouvant nourrir leurs réflexions. Inaugurée en 1973 par

Otto Rank.8, l'un des premiers à voir dans l'œuvre de Maupassant le pronostic de sa

future aliénation mentale, la critique psychanalytique s'est ensuite détachée de la

question de la folie de l'auteur pour tenter d'établir un lien entre la structure

psychotique de sa personnalité et la matière de ses textes. Alors que les adeptes de la

psychanalyse considèrent que le Horla constitue une marque de l'inachèvement de

l'évolution psycho-sexuelle de l'écrivain9, les spécialistes de la sociocritique

À son tour, Roger Caillois donne une définition générique du fantastique en opposition au merveilleux, ce qui le conduit à la formulation suivante: «Le féerique est un univers merveilleux qui s'ajoute au réel sans lui porter atteinte ni en détruire la cohérence. Le fantastique, au contraire, manifeste un scandale, une déchirure, une irruption insolite, presque insupportable dans le monde réel. » Roger Caillois, Anthologje de la littérature jantastique, Paris, Gallimard, 1966, p. 8. .

8 Dans Don Juan et son double, Rank affinne que Maupassant décrit la folie sous la dictée de ses propres dérèglements. Pour appuyer ses propos, il soutient que ses premiers contes appartiennent plus au domaine du rêve qu'à celui du cauchemar puis, plus il éprouve de façon progressive la dissolution de son être, plus ses écrits portent les marques d'une angoisse existentielle. Il dénombre un certain nombre de textes qui sont le produit d'une conscience malade. Le narrateur de Sur l'eau, par exemple, est un être schizophrénique, tiraillé entre son « moi» brave et son « moi» poltron, alors que celui de Lui ?, pénétré d'une tristesse sans cause, oscille entre la volonté de se dominer et la crainte d'un éternel retour des épisodes de troubles psychotiques. Quant au Horla, il s'agit de l'œuvre dans laquelle l'auteur exprime la montée de ses symptômes. Le terrifiant personnage qui s'immisce dans l'âme du narrateur fictif représente l'ennemi intime avec qui l'auteur lui-même lutte. Maupassant, assimilé au narrateur de cette nouvelle à caractère autobiographique, transpose sa souffrance ainsi que ses propres hallucinations à travers son écriture et s'il parvient à être aussi convaincant, c'est parce qu'il vit la matière de son texte. Otto Rank, Don Juan et son double, Paris, Payot, 1973.

9 Depuis Rank, les études psychanalytiques remettent toutes en question l'idée que le nouvelliste écrit ses récits sous l'emprise de la folie. Pour Antonia Fonyi, auteure de maints articles sur Maupassant parus notamment dans La Revue d'histoire littéraire de France, la confusion des principes féminin et masculin se remarque d'abord par le titre énigmatique: le déterminant est masculin alors que la tenninaison en« a» du nom évoque une identité féminine. Éprouvé par l'absence de son père, il aurait inconsciemment fait commencer le joumalle 8 mai, date à laquelle son père spirituel, Flaubert, est mort en plus d'aborder son œuvre par une description de sa maison située près de la Seine, description qui s'apparente au monde utérin où la chaleur et l'humidité sont sources de réconfort. Puis, le schéma narratif du conte montre que l'image de la mère est si puissante que cette dernière exercera un contrôle absolu sur le narrateur, de telle sorte qu'il verra son identité s'annihiler, comme en fait foi la scène de la perte du reflet. Pour tenter de reprendre son autonomie, il se sentira dans l'obligation de détruire sa maison en la brûlant. Cependant, dans l'impossibilité de se dégager des liens maternels, il sera contraint de se tuer lui-même. Antonia Fonyi, « La limite: garantie précaire de l'identité »,

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l'envisagent comme le reflet de la société parisienne fin-de-siècle lO, En proie à de

vives angoisses existentielles et constatant la faiblesse de l'homme, le narrateur du

Horla se présente comme l'emblème de la génération décadente qui a perdu tout

espoir de voir l'humanité progresser. Porte-parole de la population désenchantée, le

héros de la nouvelle, suicidaire et désillusionné, jette un regard sombre sur le monde

à travers le prisme déformant de' son pessimisme et transmet sa détresse à la suite

d'une prise de conscience de la vanité de son existence.

RHLF, nO 75, septembre-octobre 1974, p. 757-764. Poursuivant la réflexion entamée par Fonyi, Sylvie Deboslcre, cherche ure à l'Université de Lille III et spécialiste du XIXe siècle ayant participé à la publication d'articles dans Romantisme et dans Les Cahiers naturalistes, voit dans l'écriture de Maupassant un travestissement inconscient de la féminisation de l'écriture. À l'instar de sa collègue, elle observe que la parfaite communion entre le narrateur et la nature au début du récit traduit l'état de symbiose avec la mère. Or, l'arrivée du Horla, en tant que corps féminin, prive le narrateur de toute possibilité de reconnaissance. En l'absence de figure paternelle, ce dernier est dépossédé de repères pour fonder son identité sexuelle et sera condamné à être envahi par la Mère-Horla. Séduisante au départ comme le suggère son attirance pour les objets odoriférants comme les fraises et les roses, elle se transfonnera en vampire en se nourrissant de son souffle et en le privant d'eau, son liquide vital. C'est d'ailleurs sa propre identification avec la mère (et les angoisses qui en découlent) que Maupassant décrit dans Le Horla, comme l'indiquent les sonorités comprises dans le titre même de la nouvelle évoquent le nom de sa mère (Laure). Comme elle, Maupassant a durement subi le départ de son père mais, surtout, l'auteur peut s'identifier physiquement à la mère qui éprouve des problèmes de santé héréditaires. Craignant d'être sujet comme elle à des crises nerveuses, il redoute cette image maternelle, mais il ne peut s'empêcher de vivre à travers elle. Sylvie Deboslcre, « La Mère-Horla », Les cahiers naturalistes, n° 73, 1999, p.255-262.

10 Selon Marie-Claire Bancquart, chercheure qui a participé aux récents numéros spéciaux de revues consacrés à l'auteur (dont Europe et RHLF), Maupassant a choisi le parti d'instaurer une communication avec son public fondée sur un effet de miroir, puisqu'il lui renvoie sa propre image. Né dans une période trouble caractérisée par un pessimisme généralisé à la suite de la défaite de 1870 où le repli sur soi demeure une solution provisoire pour lutter contre le sentiment d'un crépuscule de la culture, l'écrivain fonde son fantastique sur cette impression diffuse de médiocrité. Dieu sadique et cruel, Maupassant crée des personnages marqués par l'absence de relations gratifiantes, ce qui donne naissance à un fantastique intérieur. Le Hor/a, plus que tout autre récit, porte la marque de cette déficience du « moi ». Poussée à l'extrême, la mélancolie du narrateur débouchera sur une psychose intolérable qui s'achèvera sur une promesse de suicide. Marie-Claire Bancquart, «Un auteur fin-de­siècle ?», Magazine littéraire, nO 310, mai 1993, p. 47-50. Grande spécialiste de l'œuvre de Maupassant et maître de conférences à la Sorbonne, Mariane Bury, qui a contribué à diverses revues consacrées au XIXe siècle dont Romantisme et Europe, affinne, tout comme Bancquart, que l'originalité des textes de Maupassant tient au fait qu'ils intègrent les idées reçues de l'ère positiviste. Elle met par contre l'accent sur un aspect précis de la seconde moitié du siècle: la diffusion des sciences occultes à travers une littérature pseudo-scientifique. À l'affût des nouvelles pratiques médicales de son temps, Maupassant, qui a fréquenté tout comme Freud les cours du Dr Charcot et qui a suivi de près les expériences paramédicales telles que les séances d'hypnosè, de magnétisme et de spiritisme, s'est inspiré de ces sciences occultes pour mettre au point un fantastique combinant le rationnel et l'irrationnel. Mariane Bury, « Maupassant pessimiste? », Romantisme, nO 61, 1988, p. 75-83.

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Prenant le contre-pied des approches psychanalytique et sociocritique, la

critique structuraliste, par son parti pris d'anhistoricité, engage les recherches sur le

Horla dans une tout autre voie. Joël MaIrieu, dans une excellente étude de 1992

intitulée Le Fantastique, renoue avec le formalisme en tentant de trouver un principe

de structure universel au genre. Il conçoit le récit fantastique tel un schéma selon

lequel un phénomène se charge de faire évoluer un personnage. Le phénomène, qu'il

soit omniprésent, supérieur ou étranger au personnage, invite ce dernier à la

confrontation, ce qui débouche inévitablement sur un rapport de force conflictuel,

souvent compris dans un dO)lble rapport d'attirance et de répulsion. Pour MaIrieu, Le

Horla de Maupassant est un modèle parfait de récit fantastique, étant donné que la

nouvelle réduit son schéma au minimum ; l'auteur a, à son avis, poussé à la limite

extrême la logique du genre en imaginant « un personnage vide face à un phénomène

qui lui-même n'existe pasll .» Solitaire, sans occupation et dépourvu de traits

moraux distinctifs, le personnage semble se créer de toutes pièces un être occulte

dont l'existence objective demeure difficilement admissible, d'où l'originalité de la

nouvelle.

Finalement, un siècle après la mort de l'écrivain, une nouvelle forme

d'investigation du texte permet d'envisager Le Horta sous un oeil nouveau et d'en

peaufmer l'interprétation. En 1993, Yvan Leclerc publie le manuscrit du Horta

auquel il adjoint une préface dans laquelle il procède à l'analyse de la graphie de

l'auteur, du support matériel qu'il utilise et de sa gestion de l'espace scriptural, ce

qui lui permet de sonner défmitivement le glas du vieux mythe de l'œuvre rédigée

par un fou génial. Le document nous rassure en effet sur l'état de santé de son

auteur: constitué de trente-cinq feuillets écrits uniquement au recto et marqués d'un

pli visible réglé au tiers de sa largeur en prévision des corrections et des additions, le

manuscrit se présente comme l'un des plus soignés et témoigne de l'extrême lucidité

de l'écrivain. L'étude de la composition du document l'amène à poser des

hypothèses quant au processus d'élaboration du récit, qui, à son avis, s'est édifié à

partir de multiples reprises et variations du Horta de 1886.

11 Joel Malrieu, Le Horla de Maupassant, Paris, Gallimard, 1996, p. 125.

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Description du projet de mémoire

Notre projet, qui s'inscrit dans la lignée des recherches entreprises par Yvan

Leclerc, visera une meilleure compréhension de l'évolution de la conception de

l'activité littéraire de l'écrivain. Ainsi, des textes qui forment la genèse du Horla au

récit défmitif, il est possible d'observer un chevauchement des mêmes thèmes (la

faiblesse des sens humains, la dépossession de soi par un Autre maléfique, la folie)

qui s'épanouissent, se précisent et mûrissent au fil des réécritures. Bien que

récurrents, ces thèmes n'en demeurent pas moins perméables aux changements: les

motifs et le matériel linguistique à travers lesquels ils se déploient varient, ce qui

confère aux nouvelles une signification nouvelle. De plus, les changements apportés

par Maupassant d'une version à l'autre correspondent nécessairement à des enjeux

d'ordre littéraire: on peut supposer qu'en reprenant trois fois la même histoire,

Maupassant cherche davantage à perfectionner son art de conteur qu'à étonner son

lecteur. En effet, il est possible d'observer que l'écrivain explore différentes formes:

alors que la Lettre d'un fou se présente sous la forme d'une lettre écrite par un

épistolier espérant que son médecin trouve un remède capable de soigner son âme

malade, le premier Horla prend la forme d'un discours prononcé par un pensionnaire

d'asile et le second revêt la forme d'unjoumal intime.

L'analyse des effets entraînés par ces métamorphoses nous permettra de

découvrir la façon dont Maupassant tente de traduire avec une plus grande acuité

l'ambiguïté inhérente au fantastique. Caractérisé par « l'intrusion brutale du mystère

dans le cadre de la vie réelle1 », le fantastique lance un défi à la raison dans la mesure

où l'inadmissible rompt l'ordre reconnu du quotidien, ce qui provoque, chez le

lecteur, un conflit entre la possibilité d'admettre le surnaturel et l'intelligence

rationnelle qui le refuse. Pour parvenir à faire osciller le lecteur entre l'explication

logique et l'acceptation de l'insolite, le conteur doit constamment, par divers

moyens, renouveler les conditions de cette incertitude. L'étude de la progression des

ajustements faits par Maupassant d'un texte à l'autre nous permettra d'attribuer une

valeur significative aux modifications opérées et enrichira notre connaissance de son

évolution stylistique. En somme, l'étude des transformations opérées dans ce que

1 Cette définition du fantastique fonnulée par Pierre-Georges Castex, spécialiste du genre, est celle qui est le plus communément admise. Pierre-Georges Castex, Anthologie du conte jàntastique jrançaiJ~ Paris, Corti, 1963.

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l'on pourrait qualifier de versions antérieures nous aidera à mesurer le trajet parcouru

par le nouvelliste pour arriver au texte jugé satisfaisant. Les mouvements de

condensation, d'amplification et de diversification des éléments initiaux sont autant

de traces de modifications des contenus précédents qui soulignent la volonté de

l'écrivain de les adapter à de nouvelles perspectives d'écriture que nous nous devons

de mettre en lumière.

Nous commencerons par établir la filiation thématique existant entre La Lettre

d'un fou, Le Horla de 1886 et celui de 1887 pour ensuite nous pencher sur les

variations formelles effectuées par Maupassant, ce qui nous permettra d'apprécier sa

motivation à employer la forme du joumal intime. Pour ce faire, nous jugeons

important d'examiner la place qu'occupe la production de manuscrits à l'intérieur

même de ses fictions en raison du fait que la nouvelle défmitive, à la différence de la

première version, redouble la représentation de l'acte d'écriture. Afm de dégager le

sens du motif de l'activité de rédaction, nous étudierons le rôle que joue l'insertion

d'écrits virtuels dans la trame narrative des contes antérieurs au Horla pour en

dégager les constantes qui serviront· de bases à une étude comparative des effets

dramatiques qu'ils produisent. Dans le but de comprendre dans quelle mesure le

second Horla demeure plus conforme à sa vision fluctuante de l'écriture fantastique,

nous consulterons les articles parus dans Le Gaulois qui se présentent comme des

réflexions personnelles sur cette littérature marginale. Nous serons ainsi en mesure

d'établir la concordance ou l'écart existant entre les présupposés théoriques de

Maupassant sur le fantastique et sa pratique du genre. L'examen des changements

formels faits par l'écrivain conduira à la mise en lumière de la poétique de son

fantastique.

Ensuite, nous passerons à une analyse plus fme des opérations de

suppression, d'ajouts et de ratures effectuées par Maupassant. Puisque Le Horla de

1887 est constitué d'une reprise d'un certain nombre de passages de la version parue

un an plus tôt, nous pourrons émettre des hypothèses sur les chemins parcourus par

l'écrivain avant d'aboutir au texte définitif. Afm d'interpréter la signification des

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choix qui ont donné forme au récit final, nous procéderons à l'examen minutieux des

différences entre Le Horla de 1886, celui de 1887 et le manuscrit en nous appuyant

sur les quatre épisodes repris presque intégralement: la page du livre qui tourne

toute seule, l'élévation de la rose, la carafe vide et la scène du miroir. Cette étude des

transformations débouchera sur un travail plus subjectif d'interprétation de l'écriture.

Nous dégagerons les modifications apportées au phénomène fantastique et au

personnage-narrateur pour mettre en lumière la structure des nouveaux liens qui les

unissent, ce qui nous permettra d'apprécier le changement de sens qu'ils confèrent à

l'ensemble de la nouvelle.

Finalement, nous nous intéresserons à l'ajout par Maupassant de trois

passages qui correspondent à trois sorties plus ou moins longues du narrateur à

l'extérieur de sa demeure. Ces trois déplacements posent problème: d'abord, pour ce

qui a trait au voyage au Mont St-Michel, on note que l'auteur emploie une tonalité

mystico-religieuse qui rompt avec celle du récit, et, à prime abord, les voyages à

Paris et à Rouen brisent la cohérence des événements rapportés. Afm de reconstituer

la remontée génétique de ces passages, de comprendre leur rôle dans l'œuvre et de

formuler des hypothèses sur la portée symbolique de chacun d'eux, nous aurons

recours aux récits antérieurs au Horla dont l'action se déroule à ces mêmes endroits

de même qu'à sa correspondance et sa biographie. Bien que nous soyons consciente

du fait que nous ne sommes jamais assurée de détenir l'exhaustivité des indices de

genèse, nous croyons qu'en interrogeant d'autres sources que le manuscrit, nous

parviendrons à mettre au jour les processus de rédaction et de création du Horta.

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CHAPITRE 1

Le remaniement du premier Horla : vers une nouvelle poétique du fantastique.

Maupassant étonne ses lecteurs lorsqu'il fait paraître en 1887 chez Ollendorff

un recueil de textes intitulé Le Horla comprenant en place inaugurale une version

remaniée d'une nouvelle du même nom parue en 1886 dans le Gif BIas. Publiés à

quelques mois d'intervalle, les deux Horla reprennent de plus le sujet de l'individu

convaincu d'être possédé par un être invisible supérieur à la race humaine, sujet

abordé dans une nouvelle de 1885, La Lettre d'un fou (voir le dossier génétique

complet en annexe, p. 82). De ce récit à la version défmitive du Horla, Maupassant

développe les mêmes thèmes, notamment celui de l'imperfection des sens de

l'homme, en s'inspirant d'écrits littéraires et philosophiques parus sur le sujet. On

retrouve en effet dans ces textes maintes références aux thèses de Pascal qui

affIrmait, deux siècles plus tôt, qu'en occupant une place intermédiaire entre

l'infmiment grand et l'infmiment petit, les hommes possèdent des sens limités

incapables de percevoir les extrêmes. De la même manière, les idées du philosophe

allemand Schopenhauer, qui considère que la connaissance très partielle du monde

par l'homme résulte de ses organes imparfaits et de son intelligence limitée, forment

la matière première des intrigues des nouvelles:

[ ... ] parce que nos sens étant au nombre de cinq, le champ de leurs investigations et la nature de leurs révélations se trouvent fort restreints. Je m'explique. - L'œil nous indique les dimensions, les formes et les couleurs. Il nous trompe sur ces trois points [ ... ] parce que sa faiblesse ne lui permet pas de connaître ce qui et trop vaste ou trop menu pour lui 12. - La Lettre d'un fou (1885)

Mais notre œil, messieurs, est un organe tellement élémentaire qui peut distinguer à peine ce qui est indispensable à notre existence. Ce qui est trop petit lui échappe. Il ignore les milliards de petites bêtes qui vivent dans une goutte d'eau. Il ignore les habitants, les plantes et le sol des étoiles voisines; il ne voit même pas le transparent 13 • - Le Horla (1886)

Et je songeais encore: mon œil est si faible, si imparfait, qu'il ne distingue même point les corps durs, s'ils sont transparents comme le verre ! ... Qu'une glace sans tain barre mon chemin, il me jette dessus comme l'oiseau entré dans une chambre se casse la tête aux vitres. Mille choses en outre le trompent et l'égarent ?14 - Le Horla (1887)

12 Guy de Maupassant, « La Lettre d'un fou» dans Le Hor/a et autres récitsfan/astiques, Paris, L.G.F. édition établie et annotée par Mariane Bury, 2000, p. 197. 13 Guy de Maupassant, « Le Horla (1886) » dans Le HOr/a et aums récits fantastiques, op. cit., p. 247. 14 Guy de Maupassant, « Le Horla (1887) » dans Le Hor/a et autres récits fantastiques, op. cit., p. 288.

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Foncièrement pessimiste15, Maupassant trouve chez ces auteurs la confIrmation de

l'absurdité de l'existence : l'homme est une machine mal réglée qui ne cesse de

souffrir moralement et physiquement. Solitaire et incompris, il évolue dans une

société inique où l'amour et Dieu sont des leurres. À l'image de Des Esseintes, le

personnage décadent du célèbre roman À rebours de Huysmans, le

désenchantement de l'écrivain, né d'une extrême lucidité face à la nature

humaine, nourrit son désespoir. Son œuvre, miroir de son monde intérieur pavé

d'incertitudes et de mélancolie, présente une vision tragique de l'humanité et

reflète son époque décadente rongée par l'esprit fm-de-siècle. Emblématique de

cette ère pessimiste, le thème de l'apparition d'une forme de vie supérieure à la

nôtre et susceptible de nous supplanter accapare les esprits et confrrme le malaise

éprouvé par l'homme devant sa propre condition. Chère à Maupassant, la théorie

quasi-apocalyptique de la fm de la domination de l'humanité sur Terre et de son

éventuelle servitude à des êtres pourvus de caractéristiques physiques

avantageuses constitue une autre filiation thématique dans les récits de La Lettre

d'unfou et des deux Horla:

Alors, plus que personne, je les sentais, moi, ces passants surnaturels. Êtres ou mystères? Le sais-je? Je ne pourrais dire ce qu'ils sont, mais je pourrais toujours signaler leur présence. Et j'ai vu - j'ai vu un être invisible- autant qu'on puisse les voir ces êtres 1 6

• - La Lettre d'un fou (1885)

Donc, messieurs, un Être, un Être nouveau, qui sans doute se multipliera bientôt comme nous nous sommes multipliés, vient d'apparaître sur la terre. Ah ! vous souriez! Pourquoi ? parce que cet Être demeure invisible17

• - Le Horla (1886)

12

15 Mariane Bury et Marie-Claire Bancquart ont étudié précisément le pessimisme dans les textes du célèbre auteur. Bury, qui retrace l'origine de ce concept depuis les tout premiers exégètes de l'œuvre, affirme que le traumatisme de la séparation de ses parents, celui de la mort de Flaubert, de même que son expérience de la guette et sa formation intellectuelle, ont ruiné toute velléité d'optimisme chez l'auteur. Depuis ses premiers poèmes de jeunesse jusqu'aux derniers romans, Maupassant laisse les traces de son désenchantement face à la vie dans son œuvre. Mariane Bury, « Maupassant pessimiste? », Romantisme, nO 61, 1988, p. 75-85. Bancquart se penche, quant à elle, sur le fait que le statut de journaliste de Maupassant le rend très au fait des scandales du monde politico-financier, ce qui lui donne une vision lucide de la société, mais confirme la perfidie et la cruauté de la nature humaine, d'où sa conception désenchantée de l'existence. Marie-Claire Bancquart, « Un auteur "fin de siècle" ?», Magaifne littéraire, nO double, dossier Guy de Maupassant, pp. 16-97, nO 310, mai 1993, pp. 47-50. 16 Guy de Maupassant,« La lettre d'un fou» dans Le Hor/a et au/ms récitsfan/astiques, op. cit., p. 201.

17 Guy de Maupassant, « Le Hotla (1886) » dans Le Hor/a et autres récits fantastiques, op. cit., p. 247.

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Un être nouveau ! pourquoi pas? Il devait venir assurément! Pourquoi serions­nous les derniers? Nous ne le distinguons point, ainsi que tous les autres créés avant nous?18 -Le Horla (1887)

13

L'idée que l'univers puisse être habité par des êtres pensants différents de nous n'est

pas nouvelle et n'a rien d'étonnant aux yeux du public qui dispose d'un large

éventail d'ouvrages exposant l'hypothèse d'une forme de vie intelligente sur d'autres

planètes. Parmi ceux-ci, on retrouve Pluralité des mondes habités (1862) et Les

Terres du ciel (1877) de Camille Flammarion dans lesquels il pose l'existence d'êtres

sur Mars et Saturne, ouvrages certainement lus par Maupassant qui rappelle maints

détails de leurs propos dans L 'homme de Mars (1887-88i 9• Abordant les

préoccupations majeures de ses contemporains en ce qui a trait au rôle que joue

l'homme dans le cosmos, Maupassant se fait le porte-parole d'une génération

désillusionnée qui a perdu tout espoir de salut.

Bien que l'écrivain ait recours aux mêmes thèmes d'un récit à l'autre, il se

livre toutefois à une exploration formelle intense, cherchant à traduire le plus

adéquatement possible l'expérience fantastique vécue par son personnage.

Considérée comme le premier crayon du Horla, La Lettre d'un/ou raconte la terreur

d'un homme en proie à de si terribles hallucinations qu'il songe à se réfugier dans

une maison de santé. Il écrit une lettre à son médecin dans laquelle il lui fait part de

ses angoisses: convaincu que la Terre est entourée «d'Inconnu inexploré» étant

donné que les sens et les organes humains sont trop faibles pour détecter l'ensemble

des composantes du monde, il craint d'être envahi par une forme de vie supérieure:

Or, l'esprit craintif qui croit à des êtres incorporels n'a donc par tort. Qui sont­ils? Combien d'hommes les pressentent, frémissent à leur approche, tremblent à leur inappréciable contact. On les sent auprès de soi, autour de soi, mais on ne peut les distinguer, car nous n'avons pas l'œil qui les verrait... 20

18 Guy de Maupassant, « Le Horla (1887) » dans Le Horta et autres récits font astiques, op. cit., p. 288. 19 Clairement inspirée des observations faites par Camille Flammarion, la nouvelle L'Homme de Mars présente certaines données sur la planète rouge directement puisées des Tems du ciel: « Mars présente à nos yeux à peu près l'aspect que la Terre doit présenter aux observateurs martiaux [ ... ] Elle a des saisons semblables aux nôtres, des neiges aux pôles que l'on voit croître et diminuer suivant les époques. Son année est très longue, six cent quatre-vingt-sept jours terrestres, soit six cent soixante-huit martiaux, décomposés comme suit: cent quatre-vingt-onze pour le printemps, cent quatre-vingt-un pour l'été, cent quarante-neuf pour l'automne et cent quarante-sept pour l'hiver. » Guy de Maupassant, dans Le Horta et autres récits fantastiques, op. cit., p. 316. 20 Guy de Maupassant, dans Le Horta et autres récits fantastiques, op. cit., p. 201.

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Il affirme également qu'il se croyait fou jusqu'au jour où son image est disparue de

la glace dans laquelle il se regardait, dissimulée par un être invisible qui se tenait

entre lui et le miroir. Depuis cet instant, l'épistolier ne cesse d'être terrassé par des

visions cauchemardesques. Dans ce récit, Maupassant jette les bases de son

fantastique, tel qu'il le conçoit à ce moment, en mettant en scène un personnage

raisonnable et intelligent confronté à un événement en apparence inexplicable qui

changera à tout jamais le cours de son existence: « Mais moi je sens que je l'[l'être

invisible] attendrai toujours jusqu'à la mort, que je l'attendrai sans repos, devant

cette glace, comme un chasseur à l'affût. 21» Bien que le lecteur puisse éprouver une

certaine pitié pour ce triste individu dont le passé tragique a laissé des traces

indélébiles, la nouvelle, présentée sous la forme d'une missive, parvient difficilement

à ébranler, puisque le moment fantastique tarde à venir. En effet, ce n'est qu'au

terme d'une longue réflexion à caractère philosophique sur l'impotence des organes

dont l'homme dispose que l'épistolier avoue fmalement être hanté par une nouvelle

race d'êtres supérieurs. En raison du caractère très théorique de sa méditation et

parce que l'expérience surnaturelle se limite à une seule occurrence, celle de son

reflet dérobé dans la glace, le lecteur n'a pas le temps d'éprouver les angoisses de

celui qui se sent menacé par des êtres nouveaux ni même de craindre leurs

manifestations. Insatisfait de cette version, Maupassant reprend le thème de

l'individu persuadé d'être le jouet de forces occultes, mais procède à d'importantes

modifications.

Le Horla de 1886, né du remaniement de La lettre d'un/ou mais souvent vu

comme une ébauche de la seconde version, met en scène un éminent psychiatre, le

docteur Marrande, qui rassemble des confrères afm de leur présenter un cas

particulièrement extraordinaire. Le patient paraît devant l'assemblée de scientifiques

pour leur exposer son étrange histoire. Il raconte qu'il vivait paisiblement dans une

vaste demeure blanche bordant la Seine jusqu'au jour où il fut pris, sans raison

apparente, d'une inquiétude nerveuse qui rendait ses humeurs changeantes, troublait

son sommeil et l'amaigrissait. Témoin d'une série de phénomènes inexplicables, il

redoute qu'un être invisible - qu'il nomme Horla - rôde autour de lui pour le rendre

fou. Une nuit, en se retournant vers un grand miroir, il remarque que son reflet a

21 Guy de Maupassant, {( Le Horla (1886) »dans Le Horla et autres récitsfontastiques, op. cit., p. 247.

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disparu, intercepté par une brume opaque. Ce phénomène traumatisant le persuade de

la réalité du Horla et pour en être protégé, il se fait volontairement interner dans une

maison de santé où il élabore une théorie: une puissance invisible originaire du

Brésil est sur le point d'envahir la Terre et d'assujettir la race humaine. Des preuves

en faveur de cette hypothèse s'accumulent : alors que le malade se rappelle avoir vu

un trois-mâts brésilien voguer sur la Seine peu avant l'apparition de ses symptômes,

un article de journal confirme qu'une épidémie de folie sévit dans la province de Sao

Paulo. De plus, des voisins souffrent de malaises identiques à ceux de l'interné et

constatent qu'on boit leur eau et leur lait ... Pour cette version, Maupassant dynamise

son récit en substituant la forme de la lettre à celle du discours prononcé par un

pensionnaire d'asile qui retrace à rebours les étapes de sa hantise pour un auditoire

recevant en même temps que le lecteur les dires de l'interné. À la vivacité des

paroles rapportées s'ajoute une montée de l'intensité dramatique dans le rapport des

manifestations du surnaturel: d'abord discret, le Horla se contente de vider l'eau de

la carafe du narrateur pour insinuer le doute dans son esprit, avant de lui dérober une

rose de son parterre et de feuilleter un de ses livres, ce qui engendrera une crise qui

atteindra son paroxysme lors de la scène du reflet disparu du miroir. L'écrivain a de

plus choisi de peaufmer le cadre de l'intrigue en employant la technique du récit

enchâssé englobé dans un récit-cadre dans lequel le médecin, destinataire absent de

La lettre d'un fou, occupe une fonction déterminante en cautionnant les paroles du

narrateur. Puisque le Dr Marrande, personnage sensé et respectable, estime que son

patient possède toutes ses facultés mentales lorsqu'il affirme voir des êtres invisibles,

la crédibilité de l'orateur s'en trouve mieux assurée. De La Lettre d'un fou au

premier Horla, Maupassant s'emploie à varier les éléments textuels susceptibles à la

fois de gagner l'adhésion de ses lecteurs au surnaturel et de les bouleverser. Pour ce

faire, il a donc décuplé les pouvoirs du phénomène occulte tout en veillant à bien

établir la confiance dans le personnage qui rapporte les faits étranges, de sorte que

l'indispensable effet d'oscillation entre la volonté de croire à l'impensable et la

logique qui l'en empêche devient plus manifeste. En achevant son histoire sur le

questionnement du Dr Marrande qui ne sait si le successeur de l'homme est

véritablement arrivé, l'écrivain contribue d'autant plus à laisser une forte impression

dans l'esprit du lecteur, qui doit à son tour prendre position sur la question.

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Malgré que cette version soit beaucoup plus convaincante pour nous faire

croire à l'inadmissible (l'existence d'une fonne de vie autre), Maupassant juge bon

de reprendre une seconde fois son histoire, cette fois-ci en la présentant sous la fonne

d'un journal intime dans lequel sont transcrits les mésaventures et les états d'âme

d'un narrateur anonyme. Lorsqu'il réécrit le Horta, le nouvelliste, qui s'adresse cette

fois-ci à un public plus littéraire et restreint que celui des journaux, enrichit

considérablement son récit en plus de procéder à une mise au point de sa structure.

En effet, des changements notables peuvent être observés entre les deux Horta: bien

qu'il reprenne les mêmes éléments distribués dans un ordre identique, les

événements étranges racontés de manière plus détaillée ont lieu très précisément

entre le 8 mai et le 10 septembre. Outre le fait que toute allusion à des voisins atteints

de malaises a été supprimée et que trois épisodes racontant des voyages effectués au

Mont St-Michel, à Paris et à Rouen ont été ajoutés, la fm de la nouvelle est modifiée.

Au lieu d'avoir recours à la protection d'un aliéniste pour se mettre à l'abri du Horla,

le narrateur met le feu à sa propriété. De crainte que l'envahisseur n'ait survécu, il

tennine son journal sur une promesse de suicide. Dans cette dernière version,

Maupassant fait passer son héros de témoin rétrospectif à celui de chroniqueur

incapable de prendre du recul par rapport aux événements saisissants qui le troublent

presque quotidiennement, ce qui change considérablement la donnée fantastique et

invite à expérimenter une nouvelle fonne de littérature étrange.

La supériorité du Horla II

L'efficacité du récit fantastique qui repose, entre autres, sur l'identification

entre le lecteur et le personnage confronté au surnaturel, se trouve mieux assurée

dans la dernière version. Effectivement, puisque nous avons désonnais affaire à une

actualisation des angoisses du narrateur débouchant sur une réaction spontanée qui

n'a pas encore eu le temps de décanter, la tension dramatique du récit est

considérablement resserrée. Ignorant son destin, le diariste ne connaît ni la suite ni

les conséquences de chacune de ses mésaventures, ce qui permet davantage au

lecteur de partager son expérience horrifiante. Alors que nous n'avons pas la

possibilité de craindre l'apparition du Horla dans la première version puisque les faits

survenus un an plus tôt sont racontés de manière précipitée et disséminés dans un

passé imprécis, nous sommes plus directement touchés par la panique du diariste en

raison de la très légère rétrospection entre l'instant où les événements sont vécus et le

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moment où ils sont transcrits. Nous réussissons à éprouver sa souffrance, car elle

appartient à un passé si récent que les effets restent intenses quand le diariste prend la

plume pour coucher sur papier ses émotions. À ce propos la critique maupassienne

demeure unanime quant à la supériorité du Horla de 1887. André Targe, qui s'est

penché sur les différences entre les deux versions de la nouvelle, considère que

Maupassant a voulu renforcer la crédibilité de son narrateur en mettant en scène un

diariste écrivant pour lui-même, étant donné que celle du patient de l'asile du

premier récit demeurait trop faible :

Comment croire aux aventures d'un malade mental dont la confession, limitée par deux univers dévalorisants (celui de l'asile et de l'obsession) s'insère dans le cadre d'un récit objectif? [ ... ] Les explications envisagées par le malade (psychose collective, contagion des voisins) loin de le servir, prendront des valeurs de justification et entraveront notre crédulité. Son éloignement, qui le mène du présent de l'asile au passé de la peur, va même le desservir et trouvera un écho inévitable dans la distance du lecteur, peu convaincu par cette narration suspecte22

Il est vrai que l'orateur se doit d'user d'une rhétorique de persuasion artificielle pour

rassurer son auditoire quant à sa santé mentale. Son discours rigoureusement

construit agence avec soin des preuves de tout genre - expériences personnelles,

témoignages d'un expert, coupures de journaux, - en plus d'être prononcé dans une

langue parfaitement claire. Ce plaidoyer manque visiblement de naturel

contrairement au discours du diariste qui, lui, porte toutes les marques d'énonciation

subjective propres à l'écriture personnelle: la prédominance de la première personne

et la fréquence des phrases nominales créent l'illusion d'une expression immédiate et

sans apprêt, ce qui nous permet d'octroyer à cet auteur fictif la volonté de fournir des

informations vraies auxquelles lui-même croit.

Todorov, qui soutient aussi que la seconde version demeure plus efficace, part du

principe que la prise de parole par les personnages demeure suspecte, alors que les

affirmations du narrateur restent crédibles dans la mesure où celui-ci sert à

authentifier ou démentir les propos des protagonistes. Il affirme que mettre en avant­

plan un personnage-narrateur rend parfaitement l'effet d'hésitation tant souhaité par

les auteurs fantastiques car, grâce à ce type de personnage à la fois sujet et objet du

22 André Targe,« Trois apparitions du Horla », Poétique, Seuil, 1975, p. 447.

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récit et en l'absence d'autres pour cautionner les faits rapportés, le lecteur est déchiré

entre sa volonté de croire à l'étrange expérience décrite et la certitude qu'il existe

une explication logique :

Mais dans ses meilleures nouvelles fantastiques - Lui ?, La Nuit, Le Horla, Qui sait ? - Maupassant fait du narrateur le héros même de l'histoire. L'accent est alors mis sur le fait qu'il s'agit du discours d'un personnage plus que du discours de l'auteur: la parole est sujette à caution, et nous pouvons bien supposer que tous ces personnages sont des fous ; toutefois, du fait qu'ils ne sont pas introduits par un discours distinct du narrateur, nous leur prêtons une paradoxale confiance. On ne nous dit pas que le narrateur ment et la possibilité qu'il mente, en quelque sorte structuralement nous choque ; mais cette possibilité existe, et l'hésitation peut naître chez le lecte~3.

De la même manière, Claudine Giacchetti, qui a étudié la structure narrative des

nouvelles de Maupassant, précise que les récits doubles comme la version première

du Horla, c'est-à-dire ceux qui comportent un récit englobant narré à la troisième

personne et un second, le récit englobé, raconté à la première personne par un

personnage, parviennent difficilement à accrocher le lecteur. Elle affirme d'une part

que le récit englobant, sorte de récit anti-narratif car rien ne s'y passe, présente une

situation figée; il ne s'agit que d'un simple tableau immobile pouvant être répété à

l'infini: réunion de vieux copains, dîner de magistrats, causerie de salon, etc. D'autre

part, le récit englobé, autonome et dynamique, bien qu'il soit responsable de

l'évolution et du changement de signification de la nouvelle en entier, ne réussit pas

à convaincre :

Le personnage chez Maupassant ne peut jamais vivre le présent de son discours. Il ne peut élaborer une instance discursive qu'en se déplaçant dans un passé qui se limite à une accumulation invraisemblable de détails, qui est inexistant pour les interlocuteurs, et qui frise toujours le fantastique24

En effet, parce que dans le récit enchâssé nous avons affaire à un auditoire qui

n'intervient pas dans le moment fantastique, nous avons l'impression que le

personnage s'écoute parler avec une complaisance narcissique. Nous lui accordons

ou non une crédibilité sur sa vision d'un passé révolu, mais son histoire est achevée

et ne vient en rien modifier le présent. À l'opposé, dans le deuxième Horla qui se

présente comme une nouvelle à récit unique, le lecteur se trouve pris dans la situation

23 Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, p. 91. 24 Claudine Giacchetti, « La structure narrative des nouvelles de Maupassant », Neophi/ologus, nO 65, janvier 1981, p. 18.

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intolérable du personnage, ce qui lui permet de partager son aberration, voire son

affolement. Il semble donc que la forme du journal intime convient mieux pour

traduire l'extraordinaire aventure du narrateur du Horla aux pnses avec un

phénomène des plus irrationnels. L'illusion d'entrer dans l'espace privé des pensées

intimes de cet homme est si bien créée qu'elle réussit à communiquer le frisson de

peur ressenti alors qu'il demeure impuissant, démuni devant cette chose qui l'habite.

Un journal intime truqué

Si les spécialistes n'ont cessé de juger Le Horla de 1887 supérieur au premier en

raison de la forme du journal intime qui confère plus de naturel, de dynamisme et de

cohérence au discours, il semble que certaines incongruités introduites dans l'oeuvre

à la suite des corrections apportées leur aient échappé. D'abord, la durée du récit pose

problème: l'histoire qui s'étend du 8 mai au 10 septembre correspond à une période

durant laquelle le narrateur passe d'un état parfaitement sain à un état psychotique

grave. Si certains critiques considèrent que la description de la maladie mentale et

son évolution sont traduits avec rigueur25, nous sommes d'avis que les maux dont le

personnage souffre progressent avec une rapidité exagérée. En ce sens, nous nous

accordons avec Joël Malrieu, qui met en doute la possibilité qu'un être humain

puisse développer en un si court laps de temps autant de symptômes de démence :

La rapidité d'évolution de cette supposée maladie n'est pas moins problématique que son apparition soudaine. L'action s'étendait sur plusieurs mois dans la première version, alors même que Maupassant laissait entendre que le narrateur était sain d'esprit; elle se réduit désormais à quatre mois qui suffisent à faire passer un homme parfaitement sensé à un état de délire paranoïaque qui aboutit à une folie meurtrière et s'achève probablement sur un suicide. Pour cet auteur qualifié de réaliste, spectateur assidu des leçons de

25 Anne-Marie Baron aborde la question de la filiation entre les discours scientifiques et la création littéraire de Maupassant et elle est d'avis que Le Hoda présente une description convaincante des symptômes cliniques de la démence. En observant la trame narrative du récit, elle constate que l'évolution du mal se fait progressivement: l'apparence d'équilibre (attachement à la terre natale) laisse place à des signes de trouble (hypersensibilité, fièvre, tristesse, angoisse devant des mystères inexplicables) qui s'aggraveront par paliers successifs et qui aboutiront à la paranoïa finale. Elle justifie la rapidité de l'évolution de la maladie par le fait que le sujet a toujours porté en lui les germes de la démence ; il apparaît normal au début parce que sa solitude l'a préservé de rencontres traumatisantes pouvant provoquer des crises sérieuses. Or, il ne suffit que d'une frustration pour le faire basculer dans un état de psychose interrompu par des périodes d'accalmie où le personnage devient un « cas-limite» ou borderline. Puisque les personnes atteintes de paranoïa vivent souvent des périodes de crises intermittentes, Le Hor/a épouse l'état d'une personne psychotique. Anne-Marie Baron, « La description clinique et l'analyse des états-limites chez Maupassant », RHLF, nO 75, septembre-octobre 1994, pp. 765-773.

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Charcot, voici une bien étrange entorse aux règles élémentaires de la vraisemblance, ou la représentation d'une psychose foudroyante qui constituerait un cas unique dans les annales de la psychiatrie26

.

20

De plus, la première entrée du journal datée du 8 mai plonge le lecteur in media res

au sein d'une journée en apparence tout à fait ordinaire, mais qui aura une incidence

déterminante sur le reste de sa vie. Rédigée le jour même comme en fait foi

l'expression « comme il faisait bon ce matin », la note exprime l'attachement du

diariste à sa terre natale, en plus de souligner le fait banal qu'il a passé la matinée à

regarder passer les bateaux sur la Seine, dont un trois-mâts brésilien:

Vers onze heures, un long convoi de navires, traîné par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille. Après deux goélettes, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois-mâts brésilien tout blanc, admirablement propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pas pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir27

Cette première donnée du journal constitue une vaste mise en scène préparant le

développement d'une explication logique au sujet du phénomène-Horla venu du

Brésil. À supposer que l'apparition du navire sud-américain et la découverte

ultérieure de l'épidémie de folie ravageant la même région ne soient que pure

coïncidence, comment justifier le fait que dès la seconde entrée en date du 12 mai, le

narrateur soit brutalement frappé de malaise? Il demeure peu probable que l'idée de

réaliser un journal soit venue à l'esprit du narrateur purement par hasard, sans raisons

ni motifs valables, et que sa vie prenne soudainement un tout autre tournant quelques

jours plus tard. Maupassant va à l'encontre de la vraisemblance de l'écriture intimiste

en inaugurant son récit par la présentation d'un personnage parfaitement équilibré,

jouissant d'un bonheur tranquille et aucunement enclin à se poser des questions

d'ordre métaphysique. En effet, comme le souligne Françoise Simonet-Tenant,

auteure d'un ouvrage consacré à l'étude des journaux intimes, différentes

circonstances favorisent ou précipitent le déclenchement de l'entreprise d'écriture :

26 Joël Mahieu, Le Hor/a de Ct!)' de Maupassant, Paris, Gallimard, 1996, pp. 92-93. 27 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, Édition de Louis Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,1974, pp. 913-914.

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... l'écriture du journal survient le plus souvent lorsque l'identité du sujet se voit mise en danger ou, tout au moins, se trouve dans une situation de vulnérabilité. Aussi, l'écriture journalière est-elle fréquemment liée à des expériences physiques de détresse (souffrance de la vieillesse et du déclin de soi, maladie), de transformation (troubles de l'adolescence, grossesse), à des situations d'enfermement (journaux de prison, de captivité), à des crises affectives (amour, deuil, séparation, douleur de la solitude), spirituelles et intellectuelles ou à des périodes de profonds bouleversements et violences historiques, crises collectives qui ont des retentissements sur le plan individuel (fréquence des journaux de guerre). De telles expériences ou crises apparaissent comme un facteur favorable au déclenchement de l'écriture journalière qui est amenée parfois à se poursuivre au-delà des circonstances qui l'ont entraînée28

21

L'ouverture du journal sonne faux: le geste d'écriture inaugural demeure

inacceptable dans la mesure où l'auteur paraît connaître la suite des événements avant

même qu'ils ne se soient produits. Pour être crédible et garantir un souci d'exactitude,

l'écriture journalière, reconnaissable par son caractère improvisé puisqu'elle exclut

toute forme d'élaboration possible (autre que le brouillon mental), se doit d'être le

plus immédiat possible29. Le passé évoqué par le diariste est nécessairement proche

et consigné dans un présent ignorant l'avenir. Au risque d'exagérer l'importance de

détails anodins ou de négliger l'essentiel, l'écriture au ras du quotidien ne tombe pas

dans le piège de la reconstruction altérée du passé comme le font les mémoires par

exemple. Ainsi, le commencement de la seconde version du Horla s'apparente

davantage à un récit rétrospectif porté par un plan d'ensemble : en attendant

l'apparition des premiers symptômes, le narrateur se présente tel un homme

parfaitement normal et jouissant d'une tranquillité d'esprit. Bien que l'assurance de sa

lucidité et que son existence paisible soient des conditions essentielles à

l'établissement de l'effet fantastique30, ces éléments rapportés en début de texte

nuisent à l'effet d'authenticité du document écrit.

28 Françoise Simonet-Tenant, Lejournal intime, Paris, Nathan, 2001, p. 69. 29 Au sujet des caractéristiques essentielles du journal intime, nous nous sommes appuyée principalement sur les recherches de Françoise Simonet-Tenant qui donne une définition du genre à la fois précise et nuancée. Au premier chapitre de son ouvrage, elle donne un aperçu de l'évolution de l'acception du terme « journal intime» et dégage ensuite une définition générale qui rend compte de son aspect protéiforme sans masquer ses spécificités formelles. Françoise Simonet-Tenant, op. cit., chapitre 1, p. 8 à 26. 30 La vacuité intrinsèque du personnage demeure une condition essentielle du récit fantastique. Peu de marques distinctives ou de traits particuliers lui sont conférés, de sorte qu'il apparaît comme un homme ordinaire, sans relief. Puisque rien ne semble le prédisposer à être confronté à un phénomène hors normes, son incrédulité face à l'extraordinaire trouve un écho dans celle du lecteur, ce qui permet à sa parole d'être au-dessus de tout soupçon. Barricadé derrière son existence tranquille, il vit Wl choc terrible devant l'expérience surnaturelle que le lecteur peut également ressentir. A ce sujet, consulter le chapitre 2 : Joël Malrieu, Le jantastique, Paris, Hachetre, 1992.

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22

L'analyse rythmique du récit suggère également que l'auteur connaît le mot

de la fm dès le début de l'histoire. La grande variabilité de la fréquence et de la

longueur des entrées confère au journal un rythme méticuleusement calculé, peut-être

trop calculé. Si l'alternance des comptes rendus minutieux d'un seul moment et des

ellipses traduit avec justesse la réalité de l'écriture au quotidien faite de tarissements

et d'expansions, l'ensemble des entrées, lapidaires ou prolixes, n'est concentrée

qu'autour d'un seul et unique thème: les manifestations du Hoda. La brièveté des

notes en l'absence de signe du phénomène contraste avec l'avalanche de mots que

déclenche sa présence. « Tout va bien» ou « Rien de nouveau, mais j'ai peur» écrira

sèchement le narrateur lors de périodes d'accalmie, alors que ses observations

peuvent s'étendre sur plusieurs pages à d'autres moments. À l'image de

l'autobiographe qui connaît le point d'arrivée de son entreprise, le narrateur semble

opérer une sélection des événements qu'il raconte en rejetant toutes les ouvertures

sans suite. À la manière d'un auteur qui aurait supprimé après coup les instants

banals de son existence, celui-ci paraît ne transcrire que l'essentiel. L'absence de

détails insignifiants dans le journal laisse croire que certaines coupures esthétiques

ont été effectuées pour ne pas ennuyer le lecteur. En effet, bien qu'il soit constitué

d'énoncés fragmentés épousant le dispositif du calendrier, le journal ne tend pas à

reproduire le quotidien dans son ensemble depuis l'anecdotique jusqu'aux plus

profondes pensées. Nettoyé de ses aspérités, le document, fruit d'une mémoire

sélective et indûment organisatrice, présente un succédané tronqué de la vie de son

auteur qui semble s'être livré à une reconstitution artificielle et épurée de son destin.

Outre cette impression de reconstitution a posteriori des faits passés, la

reproduction de dialogues distribués sur des pages entières jette un doute sur la

sincérité du diarlste. À deux reprises, lorsque le narrateur part en voyage, on retrouve

une fréquence inhabituelle de paroles rapportées. En date du 3 juin, le narrateur

envisage d'effectuer un voyage de quelques semaines au Mont St-Michel et, ayant

vraisemblablement oublié son cahier à la maison, il rend compte un mois plus tard de

ses impressions en reproduisant mot à mot et de mémoire une longue conversation

tenue avec un moine. De la même manière, au moment où il séjourne à Paris chez sa

cousine, il transcrit dans son journal les répliques prononcées par la multitude

d'invités qui y sont rassemblés. Le discours direct, bien qu'il dynamise le récit en

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23

mimant le naturel et la spontanéité de l'échange verbal, trahit les préoccupations

esthétiques de l'auteur tout en ébranlant notre confiance dans son souci d'exactitude :

personne en réalité ne possède une faculté de mémorisation capable de restituer un

aussi grand nombre d'informations. De plus, jamais le diariste ne fait mention de son

activité d'écriture pour justifier l'irrégularité de son entreprise. Bien qu'il ait cessé

toute activité entre le 9 juin et le 10 juillet, il demeure silencieux sur les causes de

cette interruption. De manière générale, le diariste n'est pas avare de commentaires

sur la régularité ou l'intermittence de son écriture. Bien que la contrainte de la stricte

quotidienneté reste illusoire pour la plupart des auteurs de journaux, ceux-ci

souhaitent, par souci de fournir une image cohérente de leur personne et pour ne pas

négliger un aspect important de leur vie, tenir une chronique régulière de leur

existence. Il n'est donc pas rare qu'ils adjoignent au récit d'événements des

considérations sur les circonstances de l'écriture pour justifier notamment un arrêt

volontaire ou impromptu. Rien ne tel dans Le Horla. Aucune forme de métadiscours

sur les particularités de l'écriture journalière (moment, lieu et flux de l'écriture,

support utilisé, qualité de ses instruments, etc.) ne vient souligner les préoccupations

du diariste ou mettre en scène son activité. En somme, ce journal imaginé par

Maupassant demeure si improbable qu'on en vient à douter de son existence

matérielle.

Les journaux intimes virtuels avant Le Horla

Peut-on véritablement attribuer cette impression de journal truqué à une

maladresse de la part de Maupassant? Nous pouvons certes en douter. Au moment

de la publication du Horla, il est un auteur accompli qui compte déjà à son actif plus

d'une centaine de contes qui lui ont permis d'expérimenter maintes techniques

narratives. Or, tout au long de sa création, une d'elles frappe par son usage récurrent,

celle de l'imbrication de manuscrits virtuels à l'intérieur des fictions. Plus qu'un

simple subterfuge bénéficiant d'un effet de mode et répondant au goût du public31, le

31 Louis Forestier qui a étudié le rôle des manuscrits virtuels dans l'oeuvre de Maupassant fait observer que l'insertion de textes manuscrits dans la trame narrative des romans et des contes constituent un topos en vogue à l'époque puisqu'elle est l'apanage de nombreux auteurs tels que Potocki, Stendhal et Gautier qui l'ont popularisée. Or, Maupassant ne fait pas qu'imiter paresseusement les auteurs à la mode; l'emploi de manuscrits divers n'est pas un simple artifice esthétique, il obéit à une nécessité formelle. Louis Forestier, « Le manuscrit dans l'oeuvre de Maupassant », Travaux de littérature, voL Xl, 1998, pp. 315 à 324.

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recours à l'insertion de manuscrits fictifs dans la narration reste un procédé possédant

une valeur emblématique dans l'imaginaire maupassien. Après s'être livré à une

recherche intense et soutenue de l'écriture intimiste comme en témoignent les

nombreux récits qui font intervenir des lettres, des confessions, des testaments32,

Maupassant s'applique plus particulièrement dans la seconde moitié de la décennie

1880 à créer des fictions qui revêtent la forme du journal intime. C'est le cas, entre

autres, des nouvelles Un fou (1885), Mes vingt-cinq jours (1885), Nos Anglais (1885)

et Un cas de divorce (1886). Or, dans cet ensemble de nouvelles antérieures au

Horla, en aucun cas le récit n'est formé uniquement du journal. Bien qu'il occupe en

terme de proportion la très grande majorité du texte, le manuscrit virtuel est toujours

précédé d'une introduction relatant les circonstances de sa découverte ou de sa

lecture. Le préambule d'Un cas de divorce par exemple met en scène un avocat

amené à défendre la cause d'une femme, Madame Chassel, qui réclame le divorce.

Son plaidoyer de défense des droits de la jeune femme repose entièrement sur une

pièce à conviction: le journal du mari qui démontre la progression rapide d'une

perversion sexuelle. Le paratexte inital d'Un fou, quant à lui, s'apparente à une

notice nécrologique : un juge respecté et intègre qui a passé sa vie à défendre les

faibles et à se faire redouter des criminels dont il devinait l'arrière-pensée, vient de

mourir. Or, en procédant au ménage de ses effets personnels, un notaire découvre un

surprenant journal intime qui nous fait comprendre que derrière sa façade publique

de vénérable magistrat remplissant sérieusement ses devoirs se cache une brute

sanguinaire assoiffée du désir de tuer. Plus simplement, la note introductive de Mes

vingt-cing jours précise qu'un journal intime oublié dans une chambre d'hôtel par le

dernier occupant vient d'être trouvé. Le personnage qui en a fait la découverte

l'ouvre pour y apprendre qu'un homme, venu entreprendre une cure dans cette

région, est tombé follement amoureux de deux jeunes femmes mystérieuses.

Sans faire la nomenclature de l'ensemble des notes préliminaires, il est

possible de constater que le journal, qu'il serve de pièce à conviction lors d'un

procès, qu'il soit découvert par hasard après la mort de son auteur ou qu'il ait été

oublié à la suite d'un départ précipité, est d'abord et avant tout un objet. Par

32 Sous une forme ou une autre, Maupassant fait intervenir un manuscrit dans une proportion significative de contes et nouvelles que Louis Forestier estime à 12,5%. Ibid., p. 316.

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conséquent, il possède une nature matérielle, palpable, dont Maupassant rend

compte. Ainsi le narrateur de Nos Anglais trouve «un petit cahier relié [qui] gisait

sur la banquette capitonnée du wagon33 », celui de Mes vingt-cinq jours aperçoit dans

le tiroir de l'armoire à glace de la chambre d'hôtel dont il vient de prendre possession

« un cahier de papier roulë4 » alors que le notaire d'Un fou tombe, éperdu sur « un

étrange papier35 » en ouvrant le secrétaire contenant les grands dossiers criminels

traités par le juge. Or, dans le Horla, les références à la nature palpable du document

sont absentes. Nous ignorons complètement qui est le diariste, quelles sont ses

motivations à écrire, et surtout par quels moyens ce document est entré en notre

possession. Le lecteur a réellement l'impression que le journal lui est tombé

miraculeusement entre les mains.

On constate également que pour chacun de ces récits, Maupassant multiplie

les marques d'authenticité du document écrit. D'abord, sa découverte purement

accidentelle atteste que le sujet écrivant rédige pour lui-même, il n'a rien à prouver à

quiconque au moment de coucher sur papier ses pensées. N'étant pas écrit en vue

d'une publication ou en prévision d'être lu par autrui, le manuscrit, du moins on peut

le croire, traduit les sentiments réels de l'auteur. De plus, l'emploi de la première

personne, c'est-à-dire le «Je» qui écrit son histoire, renvoie à un auteur fictif dont

l'identité est établie plus ou moins solidement soit par son nom, soit par sa fonction

ou ses actions. Les cahiers découverts consignent une séries de faits, d'actions et de

pensées qui sont autant de fragments de vérité (subjective) qui participent à la

construction de son identité. Ainsi, par l'éclairage qu'il fournit sur son auteur, le

journal s'impose comme véridique ou vraisemblable dans l'univers de la nouvelle.

Le caractère impudique, voire scandaleux, de ce que révèlent les écrits intimes donne

véritablement l'impression d'accéder aux profondeurs secrètes de l'âme. Ainsi, l'acte

d'écriture permet à Chasselle (Un cas de divorce) de se libérer d'un trop plein

d'émotions. Puisqu'il se trouve dans l'impossibilité de se confier à une tierce

personne étant donné l'aspect licencieux de ses penchants sexuels, il a trouvé un

moyen idéal de soulager ses angoisses. Interlocuteur idéal, le journal le dispense de

33 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles 1, p. 453. 34 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, p. 531. 35 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles l, p. 522.

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garder en lui des passions trop violentes. On retrouve la même fonction d'exutoire

née du besoin de purgation de l'espace mental chez le magistrat d'Un fou qui ne peut

révéler publiquement son irrépressible besoin de tuer.

Afm de doter les manuscrits d'une crédibilité à toute épreuve, Maupassant

trouve le moyen de nous faire croire à l'existence réelle des journaux sans pour

autant négliger leur fonction. de rendre le récit dramatique. Conscient du fait qu'il

s'attardent parfois à des expansions anodines qui risqueraient d'allonger indûment

l'histoire, l'auteur précise constamment qu'il s'agit d'une version tronquée, ou

réduite du manuscrit. Différentes stratégies sont employées pour ne présenter que ce

qui essentiel. La plupart du temps un narrateur externe précise le sens des coupures :

celui d'Un cas de divorce annonce que l'avocat procède à une lecture de fragments

choisis du journal étant donné son caractère trop indécent, alors que celui d'Un fou

abandonne sa lecture avant de l'avoir tenninée en affirmant que «le manuscrit

contenait encore beaucoup de pages, mais sans relater un crime nouveau». Ces

procédés confnment donc que l'éerivam tente par divers subterfuges d'mtroduire de

manière réaliste le journal intime dans ses courts récits qui par défmition se doivent

d~avoir une construction serrée. Toutefois, dans le Horla(2), rien ne nous indique la

façon dont le journal nous a été transmis (qui l'a découvert et à quel endroit), ni le

nom de son propriétaire ou s'il visait des destinataires précis. En l'absence de ces

renseignements essentiels à l'authentification du document et vu l'anonymat de

l'auteur, nous hésitons à accorder notre confiance aux propos qui sont tenus. Bien

que notre premier réflexe soit de tenir pour vrai ce qui y est exprimé en raison de la

forme du journal intime, nous devenons méfiants lorsque nous constatons que la voix

qui nous parle ne mentionne jamais son nom, qu'elle rapporte des pensées grotesques

et que son récit manque de cohérence. Sachant que Maupassant a su par le passé

imiter avec brio les marques propres à l'écriture du journal intime, nous devons

maintenant nous interroger sur les raisons qui l'ont motivé à dénaturer

volontairement son oeuvre.

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Les écrits théoriques de Maupassant sur le conte fantastique

Les écrits théoriques de l'écrivain sur le fantastique facilitent grandement

cette enquête. À une époque où le genre reste dénigré par l'élite intellectuelle qui le

taxe de divertissement facile, Maupassant profite de ses liens avec les directeurs de

journaux pour publier quelques articles portant sur cette littérature marginale. Dans

ses réflexions, il constate que la montée du positivisme et du matérialisme comme

valeurs dominantes a entraîné un net déclin des croyances traditionnelles et

populaires. Nostalgique d'une époque où les superstitions, les légendes et le

merveilleux peuplaient l'imaginaire, il regrette que la science et le progrès,

désormais légions, tentent de trouver une explication rationnelle à tout ce qui

autrefois demeurait insolite. Puisque la science lève le voile sur les mystères de la

création, il est presque impossible d'éprouver le frisson de peur qui jaillit en nous

lorsque nous nous trouvons, impuissants, devant l'incompréhensible:

Adieu, mystères, vieux mystères du vieux temps, vieilles croyances de nos pères, vieilles légendes enfantines, vieux décor du vieux monde ! [ ... ] Le grand ciel étoilé ne nous étonne plus. Nous savons les phases de la vie des astres, les figures de leurs mouvements, le temps qu'ils mettent à nous jeter leur lumière. La nuit ne nous épouvante plus, elle n'a point de fantômes ni d'esprit pour nous. Tout ce qu'on appelait phénomène est expliqué par une loi naturelle. Je ne crois plus aux grossières histoires de nos pères. J'appelle hystériques les miraculés, je raisonne, j'approfondis, je me sens délivré des superstitions. Eh bien, malgré moi, malgré mon vouloir et la joie de cette émancipation, tous ces voiles levés m'attristent. Il me semble qu'on a dépeuplé mon monde36

Maintenant que la science a repoussé les frontières de l'inexpliqué, les auteurs qui

s'adonnent au fantastique doivent modifier leur approche. Plus question de faire

appel au vieux fonds imaginaire de personnages diaboliques (prêtres possédés,

momies, revenants) tombés en désuétude ou d'insérer ses histoires dans des lieux

trop convenus de la littérature d'horreur (châteaux hantés, cimetières maudits,

monastères diaboliques). Pour séduire le nouveau public, incrédule ou indifférent

face aux croyances naïves de ses ancêtres, Maupassant est d'avis que les auteurs

doivent se détourner des excès du roman noir pour rechercher plus de subtilité dans

leur art :

36 Guy de Maupassant,« Adieu mystères », Paris, Le Gaulois, 1881. Repris par Joël Malrieu, op. cit., p. 141.

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Quand l 'homme croyait sans hésitation, les écrivains fantastiques ne prenaient point de précaution pour dérouler leurs surprenantes histoires. Ils entraient, du premier coup, dans l'impossible et y demeuraient, variant à l'infmi les combinaisons invraisemblables, les apparitions, toutes les ruses effrayantes pour enfanter l'épouvante. Mais quand le doute eut enfm pénétré dans les esprits, l'art est devenu plus subtil. L'écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d'y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur la limite du possible, en jetant les âmes dans l'hésitation, dans l'effarement. Le lecteur indécis ne savait plus, perdait pied comme en une eau dont le fond manque à tout instant, se raccrochait brusquement au réel pour s'enfoncer tout aussitôt, et se débattre à nouveau dans une confusion pénible et enfiévrante comme un cauchemar37

28

Suivant ses propres prescriptions, l'écrivain renouvelle le fantastique en lui donnant

une orientation plus intérieure. Par intérêt pour tout ce qui touche aux dérèglements

psychologiques ou en raison des symptômes de démence qui commencent à le

terrasser, il s'aventure sur le terrain à peine défriché des dérèglements

psychologiques. Ses personnages, toujours placés dans un environnement en

apparence banal, vont soudainement percevoir le monde de manière étrange et nous

transmettre leur vision délirante de la réalité. La voix de leur conscience située à

l'intersection du normal et du pathologique déformera le réel pour en donner une

image trouble et intrigante.

De là découlent les principales différences entre les deux versions successives

du Horla. Dans la première, l'écrivain cherchait à nous faire croire au surnaturel en

tentant de nous convaincre qu'un être nouveau, plus perfectionné que l'homme,

pourrait envahir la Terre et assujettir la race humaine, mais, dans la seconde, il

montre que le quotidien, même en apparence banal, peut prendre des allures

inquiétantes selon le degré de conscience d'un individu. D'ailleurs, la forme du

journal intime paraît idéale pour rendre compte de la part de subjectivité incluse dans

la perception de la réalité quotidienne. L'écriture privée (celle du narrateur de la

fiction) fausse immanquablement le vécu, car, programmé ou non, l'écart entre la

personne réelle et celle que construit l'écriture est inévitable. Parce qu'il demeure

impossible de copier avec des mots une réalité - les faits ou les émotions bruts

37 Guy de Maupassant, « Le fantastique », Paris, Le Gaulois, 1883. Repris par Joel Malrieu, op. cit., p. 143.

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n'existent pas sur papier- celle-ci doit passer par l'écran du langage qui ne peut se

défaire d'artifices rhétoriques. Il demeure illusoire pour un diariste de prétendre à la

plus stricte objectivité; outre les effets de style, la sélection d'événements qu'il

choisit de raconter, laissant tomber les plus anodins par vanité ou ceux trop

incriminants pour lui ou des proches par pudeur, trahit le fait que tout discours sur

soi demeure subjectif et partiel, car il ne peut rendre compte de la totalité de sa

personne. De plus, la perspective d'un éventuel lecteur, parfois aberrante, souvent

fantasmée, est susceptible d'entraîner une vision déformée du quotidien, contaminée

par des effets de fiction. En ce sens, le journal transmet non pas une image réelle de

la personne, mais la reconstruction de soi qu'on a l'intention de fournir à la postérité.

Le journal du narrateur du Horla nous engage d'ailleurs dans cette voie: ayant

constaté la vanité de son existence en faisant le bilan de sa journée du 8 mai, le

narrateur aurait peut-être été enclin à se réinventer une vie plus excitante. Pour

combler le vide de son existence superficielle ou pour échapper à la monotonie des

jours qui passent, il aurait très bien pu se fabriquer une histoire fantastique dans

laquelle il serait devenu la proie d'un phénomène tout-puissant sur le point d'envahir

la Terre entière. Le journal est susceptible de n'être qu'un récit entièrement construit

par un personnage-auteur (et narrateur), qu'une pure fiction comprise à l'intérieur

d'une autre fiction, celle de Maupassant.

En outre, s'il est essentiel que le lecteur du premier Horla considère le

phénomène comme une entité susceptible d'exister, cette question reste largement

secondaire pour celui du second. Toutefois, il est impératif que ce dernier partage les

angoisses du diariste et vibre au son de ses cris de désespoir. Contrairement aux

nouvelles antérieures au Horla qui se présentaient sous forme de journal intime pour

assurer la véracité des faits rapportés, l'accent, dans ce récit, n'est pas mis sur la

création d'un personnage dont l'autorité garantirait une vue exacte de la réalité. Si

l'on peut douter de la réalité des faits dont il rend compte, tout est mis en place pour

qu'on sente véritablement sa crainte face à la chose inexplicable qui menace son

intégrité. En fait, dans le Horla de 1887, Maupassant souhaite que le lecteur vibre au

rythme des incertitudes et des angoisses de son protagoniste, sans cesse déchiré entre

sa crainte de devoir accepter le surnaturel et son désir de trouver une explication

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logique aux événements anormaux qu'il s'imagine avoir vus. L'écrivain espère non

plus que le lecteur voie dans le discours une profession de foi en faveur de l'insolite,

mais un témoignage saisissant et profondément humain de l'expérience de la terreur.

Du premier au second Horla, Maupassant redéfmit sa poétique du fantastique

en se détournant des récits ouverts sur l'acceptation du surnaturel qui supposent

l'existence objective de phénomènes extraordinaires pour composer des nouvelles

qui se présentent comme une intrusion dans la conscience défaillante d'un être en

proie à de vives angoisses. La nouvelle intrigue désormais limitée à la crise

existentielle d'un unique personnage nécessite donc quelques ajustements. Le

problème auquel l'écrivain est confronté devient clair: comment raconter l'histoire

d'une conscience perturbée de manière vraisemblable, sans ennuyer le lecteur

contraint de suivre les égarements psychologiques d'un unique protagoniste? Pour y

parvenir, Maupassant choisit d'abord de rétrécir la durée romanesque d'un an à

quatre mois afm de traduire de manière détaillée l'écroulement des certitudes de son

narrateur tout en évitant toutes sortes de développements ne participant pas

directement à l'évolution psychologique de ce dernier et qui, par conséquent,

éloigneraient le lecteur du fil unique de l'intrigue. La forme du journal intime permet

justement au diariste de se concentrer sur l'évocation de ses propres sensations sans

surcharger son récit de longueurs. Il choisit d'éclairer son confident sur les moments

de crise qu'il traverse en évitant soigneusement de rendre compte des menus

événements qui traversent le quotidien. Par exemple, il préfère se limiter au rapport

de ce qu'il a vu et entendu lors de ses visites au Mont Saint-Michel et à Paris plutôt

que de narrer le voyage comme tel (moyen de transport utilisé, durée du

déplacement, etc.)

Largement préoccupé par la lisibilité immédiate de son récit comme le note

Mariane Bury38, Maupassant préfère faire pénétrer directement son lecteur dans

38 BU1y, qui s'est penchée sur la structure des contes de Maupassant, affinne que « Maupassant nous plonge dans un milieu et ses habitudes sans nous laisser le temps de repérer par quels moyens : on pénètre toujours très vite dans ses microcosmes. Dès les premiers mots, voilà le lecteur pris dans les rets de la narration. » Mariane Bury, La poétique de Maupassant, Paris, Sedes, 1994, p. 227.

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l'univers intérieur de son personnage sans le recours à une mIse en scène qUi

risquerait d'allonger indûment le narration, et ce, au risque de nuire à l'authenticité

du document. Ainsi, dès la première ligne, nous entrons subitement dans la

conscience du narrateur : «Quelle journée admirable ! l'ai passé toute la matinée

étendu sur l'herbe, devant ma maison, sous l'énorme platane qui la couvre, l'abrite et

l'ombrage tout entière. J'aime ce pays.39» Cette entrée en matière directe dans

laquelle un «Je» exprime sa sensibilité sous forme exclamative a véritablement

l'allure d'un fragment autobiographique qui présente l'avantage de rapidement faire

du lecteur le confident et le complice de l'auteur fictif; n'ayant d'autre choix que

d'épouser son point de vue, il s'immisce dans ses pensées.

Étendue sur un laps de temps plus restreint (quatre mois) que dans la première

version (une année), la démonstration de la perte de contact avec la réalité qui est

vécue par le diariste est toutefois beaucoup plus détaillée, ce qui la rend plus

crédible. Le principal intérêt de la forme du journal intime consiste donc en sa

capacité de conduire le lecteur à expérimenter le passage d'un long moment à

l'intérieur d'un espace narratif réduit. En consignant ses pensées par écrit dans des

entrées précédées d'une date, le diariste donne l'impression de rendre compte de

chaque moment de son existence, ce qui donne l'illusion de l'écoulement du temps.

Outre ces multiples indicateurs temporels, les ellipses d'intentions participent

grandement à la sensation de la durée. En effet, le journal présente un enchaînement

d'actions perturbé par des sauts dans le temps qui invitent le lecteur à combler le vide

laissé par la narration. Forcé de déduire ou d'imaginer ce qui se passe dans les

moments non rapportés, le lecteur doit interpréter les silences et chercher la

signification de ce qui est tu ou suggéré sans être raconté. Ainsi, lorsque l'auteur du

journal affirme vouloir se débarrasser du Horla, bien des idées se bousculent dans sa

tête et il est possible de deviner tout ce qui se passe dans son esprit, sans qu'il n'ait

besoin d'expliciter, puisqu'une simple conjonction ou même un signe de ponctuation

remplace la description de l'émotion qui peut dès lors se passer de toute explication

superflue:

39 Guy de Maupassant, Contes et nouvel/es II, op. cit., p. 913.

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Le tuer, comment? puisque je ne peux l'atteindre? Le poison? mais il me verrait le mêler à l'eau; et nos poisons d'ailleurs, auraient-ils un effet sur son corps imperceptible? Non ... non ... sans aucun doute ... Alors? .. alors ? ..

32

La réussite de Maupassant consiste donc à maintenir son lecteur en éveil en insérant

des bonds dans le temps remplacés par un hors texte chargé de significations sur

lequel ce dernier médite sans pouvoir obtenir la confrrmation ou l'assurance d'être

sur la bonne voie. Il importe davantage de le maintenir dans un état permanent

d'hésitation par un flou narratif établissant une frontière indécise entre le dit et le tu

que d'assurer l'authentification du document. Le lecteur du second Horla se retrouve

par conséquent dans une position très inconfortable, car il peut interpréter ce qu'il a

sous les yeux de plusieurs façons jusqu'à la toute fm du texte. Alors que la

conclusion de la première version, qui se termine par le refus du Docteur Marrande

de trancher en faveur du surnaturel, se voulait une dénonciation de la rhétorique

fantastique traditionnelle présentant une formule présupposant l'admission de

l'insolite, dans la seconde, nous avons affaire à une véritable révolte de l'auteur qui

charge le lecteur d'interpréter son non-dit empreint de suggestions et d'équivoques.

Sorti du champ du texte en affIrmant qu'il va falloir qu'il se tue, le narrateur

suicidaire ne lève pas du tout les doutes qu'entretient son lecteur à propos de son

récit. Cette fm, qui élude toute forme de clôture, laisse planer le mystère dans l'esprit

du lecteur qui doit lui-même prolonger le sens du texte en plus de sonner davantage

comme une invitation à relire, à réinterpréter l'histoire et tenter une seconde fois de

résoudre l'ambiguïté du texte.

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CHAPITRE 2

Étude des modifications opérées dans les passages recyclés de la première version : vers une redéfinition du personnage-narrateur et du phénomène Horla.

Au XIXe siècle, l'écriture de la nouvelle demeure une pratique largement

dépréciée par l'élite intellectuelle qui la considère comme l'apanage des auteurs

médiocres et dépourvus d'idées. L'organisation simple de sa matière et son étendue

restreinte concentrée sur le renversement fmal en font un genre simpliste loin

d'égaler le roman dont la complexité permet de mesurer le véritable talent d'un

écrivain. Prêtant le flanc à la critique, Maupassant s'adonne avec enthousiasme à

l'écriture de brefs récits, qui seront malheureusement longtemps perçus comme des

historiettes portant le fâcheux défaut d'être le fruit d'une recette maintes fois

appliquée. Porter un tel jugement sur l'oeuvre de l'auteur des Contes dujour et de la

nuit équivaut à nier la richesse de son écriture qui a permis à la nouvelle de sortir de

son carcan. Il faut cependant attendre la critique moderne pour que l'on cesse de voir

dans la production maupassienne un rabâchement des mêmes thèmes, un recours aux

mêmes anecdotes reprises avec d'infimes variations. Aujourd'hui, les qualités

littéraires des nouvelles de l'écrivain sont reconnues au point où on les associe à la

poésie 40. À l'instar du langage poétique qui transfigure le monde, la prose de

Maupassant disloque le réel et substitue à notre vision routinière une nouvelle

optique sans toutefois tomber dans l'ornementation artificielle. Puisque chaque terme

semble pesé et chaque phrase demeure bien équilibrée, il est légitime de penser que

sa pratique de l'écriture s'inscrit dans une recherche de perfection formelle. L'image

de l'artisan produisant en série des nouvelles rapidement expédiées aux journaux est

désormais vétuste.

40 Pascal Maillard postule que la nouvelle plus que le roman entretient des rapports avec la poésie dans la mesure où le recueil de textes courts forme un champ de forces dans lequel les signifiants excèdent leur fonction référentielle pour atteindre une valeur poétique. Il observe que chez Maupassant, la combinaison de motifs récurrents acquiert une valeur symbolique et une richesse herméneutique qu'on ne saurait enfermer dans une seule et unique interprétation. À l'image du poème dont le sens paraît inépuisable, les nouvelles de Maupassant comprennent une variation infinie de significations. Pascal Maillard, « L'iooomable et l'illimité, Poétique de la nature et du souvenir dans quelques nouvelles de Maupassant », Romantisme, nO 81, 1993, p.95.

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Jean Thoraval, un des premIers à démentir la légende d'un Maupassant

rédigeant ses contes en moins d'un quart d'heure, agité par une fièvre créatrice hors

du commun, affirme que l'oeuvre féconde de l'écrivain résulte d'une discipline de

travail rigoureuse. Selon ce critique, l'auteur est parvenu à produire un aussi grand

nombre de récits en s'inspirant constamment de ses écrits antérieurs desquels il puise

non seulement les thèmes, mais également des pages entières. Ces reprises, non pas

engagées par une volonté d'économie d'efforts, témoignent de la conscience

méticuleuse de l'écrivain souhaitant maîtriser davantage son art :

Parmi toutes ces pages qu'il transcrit d'une oeuvre à l'autre, il n'en est autant dire pas une seule qu'il n'ait pris soin de retoucher, d'améliorer. Quand il modifie le dessein d'une phrase, le détail des mots, la ponctuation même, c'est presque toujours à bon escient. Et qu'il s'agisse d'oeuvres déjà publiées et remises à d'autres [ms sur le métier ou de manuscrits raturés qui révèlent, à partir du premier jet, les tâtonnements de la mise au point, l'enseignement qu'on peut en tirer est à certains égards le même. Les unes et les autres nous invitent à une comparaison riche de sens entre les stades intermédiaires et l'expression à laquelle s'est arrêté défmitivement l'artiste dans la patiente lucidité de son talent41

.

Après s'être livré à l'étude d'un ensemble de variations comprises à l'intérieur de

l'oeuvre maupassienne, le critique en arrive à la conclusion que le secret de l'art de

l'écrivain prolifique réside dans un long apprentissage de son métier. Au prix de

longues heures passées à retoucher avec soin ses textes, le « probe ouvrier des

lettres », comme il le désigne, a acquis une sûreté de la technique qui lui a permis

d'être plus spontané et naturel à mesure qu'il gagne en expérience.

La recherche de perfection formelle

L'étude du manuscrit du Horla tend à confirmer les propos de Thoraval;

rédigé au moment où le talent de l'auteur est à son apogée, le document fait montre

d'une écriture présentant une aisance certaine. Comme le souligne Yvan Leclerc, le

phénomène de mise en réserve de mots, récurrent tout au long du manuscrit, fait

sentir une « écriture en constante anticipation, pratiquant la fuite en avant, poussée,

tirée par l'urgence 42.» En observant que près de la moitié des mots biffés

réapparaissent un peu plus loin dans le texte, Leclerc déduit que Maupassant pressent

les futurs développements de son récit de sorte qu'il est amené à corriger rapidement

41 Jean Thoraval, L'art de Maupassant d'après ses variantes, Paris, Imprimerie Nationale, 1950, pp. III-IV. 42 Yvan Leclerc, Le Horta de GI!Y de Maupassant, Paris, CNRS, 1993, p. 22.

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les expressIOns qui viennent tout juste d'être couchées sur papIer, ce qui donne

effectivement une impression d'écriture hantée par le texte à venir43• Or, il ne

faudrait pas croire que l'écrivain compose mentalement son oeuvre, qu'il élabore

dans sa tête la trame du récit pour ensuite transcrire hâtivement sur papier ce qu'il

aurait longuement ruminé4• Au contraire, Maupassant fonctionne, principalement

dans le cas du Horla, par reprises et variations. Ne se contentant pas de reprendre

sous forme de journal intime la version primitive de la nouvelle, vu l'importance des

changements apportés - ajout considérable de texte, déplacement de passages,

substitution, etc. - le premier Horla a toutefois frayé l'itinéraire du récit en jetant

les bases de l'intrigue. À partir du texte déjà écrit, l'auteur réinvente, corrige, ajoute

pour arriver à construire une oeuvre nouvelle, plus conforme à sa nouvelle vision du

fantastique.

L'adaptation du Horla sous forme de journal intime permet d'abord à

Maupassant de revisiter son oeuvre et d'y apporter les modifications jugées

opportunes après avoir bénéficié d'un recul de plusieurs mois. Bien qu'il ne

comporte pas un nombre important de ratures, le manuscrit fournit la preuve que

l'écrivain retouche scrupuleusement sa nouvelle avec une nette volonté de rendre le

récit avec plus de clarté et de justesse. Ayant retenu la leçon de l'auteur de Madame

Bovary, il cherche à traduire ses pensées le plus fidèlement possible par l'emploi

d'épithètes suggestives, la construction de phrases élégantes et le recours aux images

vigoureuses dans le plus pur respect de la langue. L'attention qu'il porte au choix du

mot juste et à la variété du vocabulaire demeure si soutenue que nous avons

l'impression qu'il s'est livré à une re~ecture du manuscrit en ayant pour dessein

d'embellir et d'enrichir le lexique employé.

43 Sans reprendre les explications données par le spécialiste dans son éclairante préface à l'édition du manuscrit, nous pouvons observer que l'apriJ-encore-à-émre transforme régulièrement le tout juste écrit. L'exemple le plus probant de ce phénomène demeure la rature de l'expression« de là» au profit« d'elle» au dernier feuillet: « La destruction prématurée? Toute l'épouvante humaine vient [de là] d'elle 1 Après l'homme, le Horla. » Dans ce cas, l'élimination du « de là» ne peut se justifier que par le respect d'une règle euphonique: Maupassant anticipe l'emploi du terme le Horla, ce qui entraîne la correction. Ibid., p.22. 44 L'image mythique de Maupassant alignant spontanément les phrases est longtemps demeurée. Ce cliché d'écrivain disposant d'un don naturel est souvent repris par les critiques du début du siècle, étant donné que ceux-ci ont accordé beaucoup de crédit au témoignage de son valet de chambre, François Tassart, qui dépeignait son maître tel un homme de lettres produisant ses oeuvres comme un pommier ses pommes. À ce sujet, voir la préface des oeuvres complètes de Maupassant par Pol Neveux aux éditions Conard, 1907-1910.

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Bien qu'il soit difficile de dater avec précision chacune des modifications -

certaines ont été effectuées dans le moment de l'écriture par un trait horizontal

suivant l'axe du mot alors que d'autres sont vraisemblablement survenues une fois

l'oeuvre achevée, par un ajout interlinéaire ou marginal - les corrections visant à

améliorer la terminologie sont apportées de manière constante et soutenue. Le souci

d'employer le mot propre s'harmonisant avec l'ensemble du récit se manifeste

également dans les descriptions de lieux et dans les compte rendus de gestes ou

d'actions.

Dans cette optique, il procède à une vaste campagne de corrections destinées

à rehausser la qualité du vocabulaire : substitution du mot vague par un terme précis,

élimination des vocables communs, suppression des répétitions, etc. On en retrouve

un exemple typique au troisième feuillet dans un passage où le narrateur médite sur

la faiblesse des sens humains. Maupassant avait d'abord écrit: « ... avec nos oreilles

qui nous révèlent le son, qui nous trompent, car elles changent pour nous les

vibrations de l'air en notes de musique, elles sont des fées qui font ce miracle de

changer en bruit ce mouvement! » pour ensuite modifier certains éléments : « ... avec

nos oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations de l'air en

notes sonores, elles sont des fées qui font ce miracle de changer en bruit ce

mouvement!» La suppression de l'expression «qui nous révèlent le son» est

heureuse; en plus d'alléger une phrase longue qui s'étend sur plus de onze lignes, elle

évite une erreur de sens dans la mesure où révéler signifie « faire connaître ce qui

était inconnu ou secret». L'emploi du verbe «transmettre» au lieu de «changer»

demeure un terme beaucoup plus juste qui empêche de plus une redite en fm de

phrase. Les notes de musique devenues notes sonores après un examen de l'auteur

font référence de manière générale à toute forme de son qui parvient à nos oreilles,

sans nécessairement suggérer l'idée plus poétique d'une harmonie musicale, idée qui

sera pourtant évoquée plus tard dans un ajout marginal: «... et par cette

métamorphose donnent naissance à la musique qui rend chantante l'agitation muette

de la nature». Le même souci de précision anime l'écrivain lorsqu'il écrit: « ...

sombrait dans cet océan confus, effrayant et furieux, plein de vagues énormes

bondissantes, de brouillard, de bourrasques, qu'on nomme La Démence », pour se

repentir après mure réflexion: «... sombrait dans cet océan effrayant et furieux,

plein de vagues bondissantes, de brouillard, de bourrasques, qu'on nomme La

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Démence ». L'effacement après coup des adjectifs « confus» et« énormes» semble

savamment calculé. Dans le premier cas, si la sonorité en « f» formait un mariage

intéressant avec les autres termes, le sens du mot ne convenait pas puisque la suite

des qualificatifs met l'accent sur l'effet de terreur engendré par la colère de l'océan.

L'idée de confusion limiterait alors la portée du courroux dont il est question. Dans

le second cas, le mot « énorme », à la fois imprécis et trop usuel, brise l'harmonie en

« B » formée par le groupe adjectival suivant.

En plus de réviser la langue pour employer le vocabulaire le plus adéquat

possible, Maupassant cherche à rendre compte du trouble ressenti par le narrateur en

usant d'une variété de synonymes qui réapparaissent çà et là dans son oeuvre, mais

de manière décalée. Ainsi, au fil de son histoire, il confie qu'il se sent tour à tour

« souffrant », «fiévreux », «confus », «inquiet », «affolé », « éperdu », « agité »,

« bouleversé », « épouvanté» à cause d'un phénomène « inconnu », « mystérieux »,

« inexplicable », «effrayant », «surprenant », «impénétrable », «surnaturel »,

«redoutable », etc. Malgré toute l'attention que Maupassant met à peaufmer la

langue, il demeure impossible d'éluder le nombre effarant de répétitions qui peuplent

Le Horla de 1887. Non seulement celles-ci se présentent comme une cascade de

substantifs (<< Je marche alors dans mon salon de long en large, sous l'oppression

d'une crainte confuse et irrésistible, la crainte du sommeil, la crainte du lit45 » ), mais

elles peuvent également pervertir l'articulation même de la phrase qui prend alors

l'allure d'une anaphore (<< Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le

regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le

palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer a sur nous [ ... ] des effets

rapides surprenants et inexplicables?46»). Outre ces répétitions rapprochées de

termes qui peuvent être attribuées à des effets de style voulus par l'auteur, on note

une récurrence accrue de l'usage de plusieurs épithètes telles que «invisible» et

« bizarre », de verbes, notamment « sentir» et «troubler », qui peuvent apparaître

entre dix et douze fois chacun, disséminés à travers la nouvelle relativement brève.

Comme le souligne Jacques Bienvenu, qui estime à 230 le nombre de répétitions, Le

Horla est si saturé de ces interdits tlaubertiens que l'œuvre apparaît comme une

45 Ibid., p. 915.

46 Ibid., p. 914.

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révolte contre les principes édictés par son maître47• Expliquer cette tendance par la

négligence de l'auteur à retravailler le premier jet de son manuscrit équivaut à nier

tout le passé d'écrivain de Maupassant qui, sous l'influence de Flaubert, a combattu

les reprises48• Rejeter la faute sur la peine qu'il éprouve à traduire les émotions49 ou

émettre l'hypothèse que le sujet extrêmement pointu permet difficilement à l'auteur

d'éluder les répétions n'est guère plus envisageable. Le manuscrit fournit la preuve

que le système de redites est mis en place volontairement par l'auteur qui sélectionne

avec soin celles qui seront conservées et celles qui seront éliminées.

Plus qu'une simple rébellion contre son maître adoré, le système de redites

obéit, à notre avis, à une nécessité d'ordre formel. Entre l'instant où une sensation est

vécue par un sujet et le moment où elle est consignée par écrit, il existe un écart

temporel qui permet à la personne d'intellectualiser ou de rationaliser son

expérience. Maupassant, désireux de conférer une plus grande puissance dramatique

à son oeuvre, réduit au maximum cet écart en suggérant que le diariste couche ses

pensées sur papier avant même d'avoir pu réfléchir sur ce qui vient de se produire.

Ce dernier semble procéder à l'analyse de ses perceptions au moment même où il

prend la plume: « J'ai une fièvre, une fièvre atroce ou plutôt un énervement

fiévreux ... 5o », «Un frisson me saisit soudain, non pas un frisson de froid, mais un

étrange frisson d'angoisse ... 51». À chaque reprise du terme correspond une précision

sur la nature des sensations éprouvées comme si le processus d'écriture permettait au

scripteur de mettre de l'ordre dans ses pensées. L'impression d'un journal rédigé à

47 Jacques Bienvenu considère Le Hor/a comme une oeuvre anti-flaubertienne dans laquelle Maupassant tente d'affirmer un style qui lui est propre: « Ici se trouvent cumulés les répétitions, les « qui» et les « que », et un jeu étonnant où l'on voit les assonances se croiser avec des synonymes [ ... ] de quoi faire mourir une deuxième fois le pauvre Flaubert d'une crise d'apoplexie! [ ... ] Sans aucun doute cetre nouvelle est une machine de guerre dirigée contre le style de Flaubert. Jacques Bienvenu, « La lettre volée », Bulletin Flaubert, nO 29, octobre 2002, p.32-33. 48 Pierre-Marc de Biasi, dans un article du numéro spécial consacré à Maupassant, est d'avis que les descriptions hyperboliques où sont convoquées une « ribambelle d'épithètes ultraplats» s'expliquent par l'écriture improvisée et de premier jet de l'écrivain. Pierre-Marc de Biasi, « Flaubert, le père symbolique», Maga!(jne littéraire, 1993, p. 45. Toutefois, l'étude approfondie de Thoraval confirme que l'auteur s'est acha1né pendant de longues années à supprimer toutes formes de répétitions, surtout celles à moins de sept lignes d'intervalle (voir Thoraval, op. cit., p. 7.) De plus, Jacques Bienvenu rapporte une anecdote convaincante sur le même phénomène: dans une lettre datée de mars 1883, Maupassant prie son éditeur de corriger un terme, car il vient de s'apercevoir qu'il constitue une répétition à trois lignes de distance. Jacques Bienvenu, op. cit., p. 28. 49 Yvan Leclerc rapporte les confidences de Maupassant à une amie, Hermine Lecomte du Noüy, dans une lettre qui lui est adressée: « Je fais une histoire de passion très exaltée, très alerte et très poétique. Ça me change - et m'embarrasse. Les chapitres de sentiments sont beaucoup plus raturés que les autres. Enfin, ça vient tout de même.» Yvan Leclerc, op. dt., p. 15. 50 Ibid., p. 916. 51 Ibid., pp. 914-915.

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chaud sans aucune forme d'élaboration mentale se dégage. De plus, si au départ le

phénomène de répétitions de mots semble associé à l'affolement dont le narrateur est

la proie, il ne se limite pas à traduire le désarroi de ce dernier. La redondance du

lexique jumelée à la ponctuation expressive contribuent effectivement dans un

premier temps à rendre compte du profond déchirement subi par le diariste en raison

du rythme saccadé qu'elles produisent, ( .. .les arbres dansaient, la terre flottait; je

dus m'asseoir. Puis, ah ! je ne savais plus par où j'étais venu! Bizarre idée!

Bizarre! Bizarre idée !52), mais plus le récit avance, plus les répétitions se propagent

et contaminent l'ensemble du discours. Selon Alain Schaffner, qui s'est penché sur

les différences entre les discours des narrateurs de chacune des versions, les

répétitions du second Horla viennent trouer la linéarité du texte pour mettre en relief

l'idée que tout le parcours du personnage-narrateur procède de l'urgence d'un doute

à lever, «non certes la résolution de l'incertitude fantastique, mais du moins une

possible élucidation. 53 » Il est juste de constater que ce dernier tente constamment de

fournir une interprétation rationnelle et vraisemblable à l'inexplicable, ce qui le force

à constamment trouver une caution scientifique aux apparitions du Horla. AffIrmant

d'abord que le phénomène est le produit de son imagination, G' ai dû être le jouet de

mon imagination énervée 54), il ne cesse de douter de l'existence objective du

phénomène sous prétexte de souffrir de troubles psychologiques, (Décidément, je

suis fou !55), ou physiologiques (Ne se peut-il pas qu'une des imperceptibles touches

du clavier cérébral se trouve paralysée chez moi ?56). Ce n'est qu'après avoir épuisé

les hypothèses acceptables qu'il sera contraint de considérer l'existence objective du

Horla. Encore là, la venue de cet être fantastique s'insère dans le cadre de la théorie

scientifique de Darwin, celle de l'évolution des espèces:

Un être nouveau! Pourquoi pas? Il devait venir assurément! Pourquoi serions-nous les derniers ! Nous ne le distinguons point, ainsi que tous les autres créés avant nous ? C'est que sa nature est plus parfaite, son corps plus fin et plus fmi que le nôtre, le nôtre si faible, si maladroitement conçu, encombré d'organes toujours fatigués [ ... ] Nous sommes quelques-uns, si peu sur ce monde, depuis l'huître jusqu'à l'homme. Pourquoi pas un de plus, une fois accomplie la période qui sépare les apparitions successives de toutes les espèces diverses57.

52 Ibid., p. 917. 53 Alain Schaffner,« Pourquoi« Horla ? », Les Temps modernes, vol. 43, nO 499, fév. 1988, p.152. 54 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. cit., p. 921. 55 Ibid., p. 927. 56 Ibid., p. 928. 57 Ibid., p. 934.

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Oscillant entre la crainte de devoir admettre le surnaturel et la volonté de fournir une

explication logique aux faits étranges dont il est témoin, il modifie ses hypothèses sur

la nature du Horla après chacune de ses apparitions. Néanmoins, devant

l'impossibilité de cerner le phénomène avec exactitude, le diariste se doit de

réorienter ses réflexions dans des directions contradictoires, ce qui introduit une

abondance de répétitions comme dans la note du 6 juillet: «Je deviens fou. On a

encore bu toute ma carafe cette nuit; - ou, plutôt, je l'ai bue! Mais, est-ce moi? Est­

ce moi? Qui serait-ce? Qui? Oh! mon Dieu! Je deviens fou !58» Celles-ci font

partie intrinsèque de la nouvelle rhétorique fantastique de Maupassant qui souhaite

mettre en scène un personnage déchiré entre le fait d'accepter l'inadmissible et sa

logique qui lui interdit de croire au surnaturel. L'écrivain cherche donc moins à

provoquer un effet de balancement entre les pôles rationnel et irrationnel chez son

lecteur qu'à illustrer les conséquences de cette incertitude en mettant en scène un

individu qui en est la proie.

Nous pouvons cependant remarquer que les répétitions ne sont pas uniquement

de simples marques de la peur ou de l'incertitude qui envahissent le diariste, car elles

sont présentes même dans les moments d'accalmie, comme lorsque le narrateur est

en voyage à Paris et qu'en l'absence de manifestations du Horla, son esprit peut

vaquer à une réflexion sur les dirigeants politiques: « ... ils obéissent à des principes,

lesquels ne peuvent être que niais, stériles et faux, par cela même qu'ils sont des

principes, [ ... ] en ce monde où l'on n'est sûr de rien, puisque la lumière est une

illusion, puisque le bruit est une illusion59 » . Elles prolifèrent de manière croissante,

quasi exponentielle, tout au long du récit de sorte qu'elles atteignent un paroxysme à

la fm du récit :

La maison, maintenant, n'était plus qu'un bûcher horrible et magnifique, un bûcher monstrueux éclairant toute la terre, un bûcher où brûlaient des hommes, et où il brûlait lui aussi, Lui, Lui, mon prisonnier, l'Être nouveau, le nouveau maître, le Horla! [ ... ] S'il n'était pas mort? .. seul peut-être le temps a prise sur l'Être invisible et Redoutable, Pourquoi ce corps transparent, ce corps inconnaissable, ce corps d'Esprit, s'il devait craindre, lui aussi, les maux, les blessures, les infirmités, la destruction prématurée? La destruction prématurée toute l'épouvante humaine vient d'elle6o !

58 Ibid., p. 932 59 Ibid., p. 921-922. 60 Ibid., p. 938.

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Elles en viennent donc à abîmer carrément la représentation du réel qui nous est

transmise. Puisque toute la fiction de ce second Horla repose sur le langage,

intermédiaire entre la réalité et ce qui en est perçu, et que ce même langage se

compose de syntagmes sans cesse réutilisés, nous avons l'impression que le narrateur

appréhende le monde par battements. Son style stéréoscopé fait d'avancements suivis

de continuels retours en arrière évoque l'idée de la perte d'équilibre. Hoquetant des

bribes de phrases hachurées, il exprime à travers le halo de conscience son sentiment

de vivre dans un environnement flou, indéterminé, où la solidité des choses est

abolie, bref un environnement qui s'apparente de plus en plus à celui du Hoda. Cet

être étranger au corps invisible, se nourrissant d'eau et du souffle du narrateur, est en

effet constamment associé aux éléments fluides et aériens qui par définition sont

impénétrables et insaisissables61• Entraîné dans cet univers ondoyant malgré lui, le

narrateur use d'un langage propre à exprimer la perte de repères et l'instabilité

provoquées par l'envahisseur. En somme, le passage du Horla 1 au Horla II

correspond non seulement à une réorientation du fantastique chez Maupassant, mais

procède également d'une volonté de traduire plus efficacement, au point de vue

formel, l'étrangeté, de l'expérience surnaturelle. Mettre au point un langage

susceptible d'évoquer l'inquiétant glissement du monde quotidien vers un univers

inconnu pénétré de forces occultes de même que le sentiment de devenir de plus en

plus étranger face à une réalité paraissant insaisissable, d'être pris en charge par un

esprit manipulateur, est au cœur des préoccupations de l'auteur.

Les modifications apportées au narrateur

En transformant le langage par lequel le narrateur s'exprime, Maupassant

transfigure son oeuvre et lui donne un nouveau souffle, puisqu'en réformant la

cadence des phrases, le rythme de l'ensemble du récit s'en trouve bouleversé. «Je

sens, messieurs, que je vous raconte cela trop vite », lance le patient de la première

61 Dans une étude très pointue du vocabulaire employé par le diariste du second Horla, Martin Calder met en lumière l'idée que le thème de l'Autre, l'envahisseur nommé HorIa, est constamment amené par le motif de l'instabilité. Cet être informe est déflni par des éléments associés à des ondes ou des courants tels que l'air et l'eau. Ainsi il migre de la Seine à la carafe d'eau du narrateur, préfère les liquides (eau-lait) aux aliments solides et compacts comme le pain en plus de se nourrir du souffle du narrateur. Plus la présence du Horia se fait sentir, plus l'univers du diariste qui au départ connotait la solidité (il habite une maison près d'une forêt d'arbres hauts, dort dans un lit à colonnes, etc.) deviendra mouvant. Martin Calder, «Something in the Water: Self as other in Guy de Maupassant's Le HorIa: A Barthesian Reading», French Studies, vol. 52, 1998, p. 42-55.

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version dans une adresse à son auditoire. Insatisfait du débit trop rapide de l'exposé

mais toujours attaché à son sujet, Maupassant conserve la trame générale de son

premier récit, tout en étant guidé par le souci de rendre avec plus d'acuité la tragique

expérience de se sentir dépossédé de son identité. Pour y parvenir, l'écrivain ajoute

plusieurs développements significatifs qui permettent de mieux inscrire le

personnage dans l'épreuve fantastique. Loin d'épurer et d'alléger son premier texte,

il se donne pour mission de traduire de manière plus détaillée les actions et les

émotions de son unique protagoniste. Conscient du fait que la psychologie d'un

personnage passe non seulement par le détail des émotions, mais aussi par les

attitudes, il reprend certains passages, notamment celui de la disparition de l'eau

dans la carafe du narrateur, première manifestation de l'étrange phénomène, afm de

lui donner plus de vraisemblance et de vivacité. Il a d'abord exposé la scène à travers

la voix de son narrateur de la manière suivante dans le Horla 1 :

J'eus pendant la nuit, un de ces réveils affreux dont je viens de vous parler. J'allumai ma bougie, en proie à une épouvantable angoisse, et, comme je voulus boire de nouveau, je m'aperçus que ma carafe était vide. Je n'en pouvais croire mes yeux. Ou bien on était entré dans ma chambre, ou bien j'étais somnambule62

pour finalement la transposer ainsi :

Ayant enfin reconquis ma raison, j'eus soif de nouveau; j'allumai une bougie et j'allai vers la table où était posée ma carafe. Je la soulevai en la penchant sur mon verre; rien ne coula - elle était vide! Elle était vide complètement! D'abord je n'y compris rien; puis tout à coup, je ressentis une émotion si terrible, que je dus m'asseoir, ou plutôt que je tombai sur une chaise! puis, je me redressai d'un saut pour regarder autour de moi! puis je me rassis, éperdu d'étonnement et de peur, devant le cristal transparent! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant à deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau ? Qui ? Moi ? Ce ne pouvait être que moi ? Alors j'étais somnambule ... 63

L'amplitude donnée à la scène permet d'apprécier plus nettement le déroulement

logique de l'action. En effet, dans la première version, il est difficile de croire qu'une

personne complètement affolée et encore sous l'emprise d'un cauchemar terrible

puisse aussi bien réagir. Non seulement, le personnage parvient à éclairer la scène

du crime tout en étant paralysé par la peur, mais il arrive également à analyser avec

clairvoyance ce qui vient de se produire par l'émission d'hypothèses.

62 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. tit., p. 824. 63 Ibid., pp.919-920.

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Plus crédible, le second passage commence par l'idée que le moment de crise causé

par d'affreux cauchemars s'est estompé, ce qui laisse le temps au protagoniste de se

saisir. Remis de ses émotions, il fait machinalement le geste de se verser un verre

d'eau, puis constate que le liquide a disparu. Les troubles qui l'assaillaient sont alors

ravivés, entraînant la perte de contrôle physique; il doit alors se laisser choir sur le

premier meuble pouvant l'accueillir, car ses membres sont atteints au point où ils ne

le soutiennent plus. À la rigueur du raisonnement implacable incompatible avec son

ébranlement se substitue le questionnement qui marque de manière plus appropriée le

début d'une explication rationnelle encore teintée d'effroi.

Toutefois, Maupassant n'effectue pas ces modifications dans le simple but de

conférer plus de réalisme aux scènes racontées d'abord plus succinctement, car le

remaniement des épisodes de manifestations du Horla est systématique. D'une

version à l'autre, il transforme considérablement la façon dont le narrateur envisage

les événements troublants dont il est témoin de même que sa personnalité : alors que

celui du premier récit se présente comme un homme réfléchi étant donné sa capacité

de rendre compte calmement des événements hors du commun qui ont subitement

troublé son existence, celui du second paraît hésitant, doutant constamment de la

réalité de ce qu'il voit et très enclin à remettre en question ses facultés mentales. En

fait, le sang-froid du premier narrateur s'explique d'abord par sa situation

privilégiée: puisqu'une année s'est écoulée entre son expérience traumatisante et

l'audition de son témoignage auprès des psychiatres, il bénéficie d'une perspective

globale qui lui permet de raconter son histoire de façon organisée et d'élaborer une

interprétation unique aux faits insolites. Puisque son rôle consiste à faire reculer les

frontières de l'acceptable auprès des spécialistes en les convainquant de la réalité du

surnaturel, il doit témoigner d'une assurance à toute épreuve tout au long de son

exposé pour éviter qu'on le prenne pour un halluciné. Il en va tout autrement dans la

seconde version où le narrateur consigne quotidiennement ses expériences dans un

journal qui dévoile page après page les morceaux d'une réalité insaisissable en raison

des faits contradictoires qui la composent. Enfermé dans sa propre subjectivité, sans

personne pour le contredire ou l'approuver, il adresse à lui-même les objections qu'il

pressent chez un hypothétique destinataire. N'ayant plus à affronter le scepticisme

d'autrui, le diariste peut, sans craindre d'être raillé, exposer en toute liberté ses états

d'âme. Pour preuve, le passage de la rose s'élevant dans les airs mue par une main

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invisible, seconde manifestation du Horla, démontre à quel point la manière

d'évoquer l'épouvante du personnage devant les manifestations de l'être redouté est

modifiée. Les assertions du premier narrateur primitivement formulées avec rigueur:

L'hiver était passé, le printemps commençait. Or, un matin, comme je me promenais près de mon parterre de rosiers, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d'une des plus belles roses se casser comme si une main invisible l'eût cueillie; puis la fleur suivit la courbe qu'aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile, effrayante à trois pas de mes yeux. [ ... ] Alors je fus pris d'une colère furieuse contre moi-même. Il n'est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d'avoir de pareilles hallucinations. Mais était-ce bien une hallucination? Je cherchai la tige. Je la trouvai immédiatement sur l'arbuste, fraîchement cassée, entre deux autres roses demeurées sur la branche64

acquièrent une tonalité tragique dans la seconde version:

Cette fois, je ne suis pas fou. J'ai vu ... j'ai vu ... j'ai vu ... ! Je ne puis plus en douter ... j'ai vu!' . .J'ai encore froid dans les ongles ... j'ai encore peur jusque dans les moelles ... j'ai vu!. .. Je me promenais à deux heures, en plein soleil, dans mon parterre de rosiers... dans l'allée des rosiers d'automne qui commencent à fleurir. Comme je m'arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d'une de ces roses se plier, comme si une main invisible l'eût tordue, puis se casser comme si cette main l'eût cueillie! Puis la fleur s'éleva, suivant la courbe qu'aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux. [ ... ] Alors je fus pris d'une colère furieuse contre moi-même, car il n'est pas permis à un homme raisonnable et sérieux d'avoir de pareilles hallucinations. Mais était-ce bien une hallucination? Je me retournai pour chercher la tige et je la trouvai immédiatement sur l'arbuste, fraîchement brisée, entre deux autres roses demeurées ~ la branche 65.

On voit d'abord que Maupassant, dans la version remaniée, multiplie les points de

suspension et d'exclamation en plus de segmenter les phrases à la fois pour signifier

là. totale désorganisation de la pensée et pour introduire un rythme haletant épousant

parfaitement les spasmes de la peur. L'écrivain, qui avait déjà exploré l'écriture du

désarroi dans la version antérieure, réservait pourtant son usage pour la scène de la

dernière apparition du Horla, celle du reflet dérobé66. Il souhaite désormais faire

sentir plus ardemment et sur une base régulière la surexcitation du personnage qui ne

parvient plus à produire des phrases syntaxiquement correctes. L'usage presque

64 Ibid., pp. 825-826. 65 Ibid, p. 927. 66 .•. et je ne me vis pas dans ma glace! Elle était vide, claire, pleine de lumière. Mon image n'était pas dedans ... Et j'étais en face ... Je voyais le grand verre, limpide du haut en bas! Ibid, p. 828.

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abusif d'une ponctuation folle de même que la prédominance des parataxes qui

attestent la profonde angoisse marquent la volonté accrue de mettre au point une

écriture susceptible de prendre en charge la communication de l'émotion. La panique

du diariste n'est plus simplement perçue par le sens des paroles émises, malS

également par le contenu formel qui évoque en lui-même l'état de crise.

Pourtant, on note que le second narrateur se montre plus apte à dégager les

étapes du phénomène extraordinaire qui l'a stupéfié en faisant preuve d'une plus

grande cohérence dans son discours. Il conserve paradoxalement mieux sa faculté de

raisonnement, car il est capable de décomposer en deux moments successifs

l'élévation de la fleur qui subit une torsion avant d'être cueillie et le mouvement de

son propre corps qui doit effectuer une rotation avant de trouver la tige de la rose.

Traduisant les exigences d'un esprit lucide, les articulation logiques composées de

points-virgules et de coordonnants (Puis, car, et) mettent en relief l'ébauche du

raisonnement d'un homme qui pose un regard objectif sur les causes de son agitation.

L'écrivain souhaite donc montrer que le personnage, bien qu'il soit sous le coup de

l'épouvante, reste un homme logique. D'ailleurs, tout au cours de la nouvelle, il

accentue l'esprit scientifique du diariste. On relève d'une part que ce dernier se

promène dans son parterre de rosiers non plus parce qu'il aime les fleurs, mais pour y

observer une espèce très particulière appelée géant des batailles. En plus de son

intérêt pour les sciences botaniques, sa curiosité pour les connaissances empiriques

est aussi soulignée plus tard par le fait que le livre ouvert sur sa table de chevet n'est

plus l' œuvre poétique de Musset très en vogue à l'époque, mais un ouvrage

scientifique du docteur Hermann Herestauss, spécialiste de philosophie et de

théogonie. De plus, ce n'est plus un simple article de journal qui lui révélera qu'une

épidémie de folie sévit au Brésil, mais bien un article de La Revue du monde

scientifique qu'il doit consulter sur une base régulière. Sa capacité à nommer

précisément les choses qui l'entourent jumelée au fait qu'il se nourrit de textes

érudits font de lui un être curieux, préoccupé d'accroître sa connaissance du monde

et peu enclin à admettre aisément l'intrusion du surnaturel.

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Le remaniement des scènes dans lesquelles le narrateur rapporte avoir vu le

Horla de même que l'insertion de détails sur l'érudition du personnage démontrent

que Maupassant souhaite suggérer que son personnage possède des facultés

intellectuelles supérieures à la moyenne et qu'il est en mesure de raconter avec

justesse ses expériences aussi traumatisantes soient-elles. Ne ressemblant en rien à

un fou, le personnage mis en scène par l'écrivain reste suffisamment lucide pour

juger avec pertinence de sa situation. Capable de raconter ce qui lui arrive avec

cohérence, il possède des dons remarquables pour le raisonnement, ce qui prouve que

ses facultés intellectuelles restent intactes. Par contre, ce qui le distingue des autres,

c'est sa capacité à voir, à sentir et à entendre des choses qui échappent au reste du

monde. Très conscient que sa réalité diffère de celle de la masse, cet hypersensible

sera traumatisé par sa différence, de telle sorte qu'il se définit lui-même comme un

« halluciné raisonnanë7 ». S'autoproclamant fou, il mesure la distance qui le sépare

des autres humains et ne cesse de se reprocher de posséder des organes plus

sensibles. Le drame du narrateur consiste donc à tenter de nier ce qu'il voit au lieu

d'assumer sa condition :

L'individu qui doute de son équilibre mental parce qu'il sent la présence constante d'un être ou d'une chose invisibles devrait se rassurer quant à son état aussitôt qu'il voit l'être ou la chose: ce que l'on peut voir existe et voir ce qui existe n'est pas de la folie. [ ... ] Les hallucinés raisonnants, eux, s'écroulent au moment de voir, parce qu'ils sont persuadés d'avoir vu l'invisible et l'inexistant. C'est cette aberration qui les range , en défmitive, dans la catégorie de la folie ... 68

Paradoxalement, sa force de jugement et sa propension à user de ses facultés

intellectuelles confrontées à l'évidence de la présence de l'occulte le conduiront à

adopter un comportement se rapprochant de celui du fou. Torturé à l'idée que l'irréel

existe et qu'il est le seul qui puisse le distinguer, il ne cessera de lutter contre sa

propre sensibilité en élaborant différents arguments logiques pouvant réduire la

possibilité d'une manifestation objective du surnaturel. Contrairement à ce qui se

passe dans les récits traditionnels fantastiques, le narrateur n'est plus un être

67 Comme le fait remarquer Charlotte Schapira, qui s'est penchée sur le thème de la folie dans l'œuvre maupassienne, l'auteur avait d'abord inscrit « halluciné raisonneur» pour ensuite modifier l'expression. Le participe présent « raisonnant» suggère plus précisément que le personnage ne contrôle pas son raisonnement, alors que l'adjectif en -eur mettait trop l'accent sur l'action de réfléchir. Charlotte Schapira, «La folie - thème et outil narratif dans les contes de Maupassant », Neophilologus, n074, 1990, pp. 30-43. 68 Ibid., p. 41.

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marginal simplement pour avoir été choisi comme témoin par des forces

supranaturelles. Possédant des sens suraigus, sa physiologie se distingue de celle du

commun des mortels. Ainsi, l'écart entre le personnage principal et le phénomène est

réduit, car tous deux restent des êtres différents possédant des attributs hors normes.

Les modifications apportées au phénomène appelé Horla

Outre la psychologie de son personnage principal qu'il complexifie,

Maupassant modifie les caractéristiques du phénomène. Mi-vampire, mi-extra­

terrestre, le Hoda est tour à tour désigné comme « le nouveau maître », «un corps

d'esprit », «une âme parasite », « un rôdeur d'une race étrangère». Ce phénomène

invisible, inodore, intangible, silencieux, ne se laisse pas facilement cerner étant

donné l'étrangeté et l'imprécision de sa forme. Il échappe à l'entendement humain et

met en lumière les limites du langage, comme le démontre l'incapacité du narrateur à

le nommer autrement que par des périphrases ou des métaphores allusives. Réalité

nouvelle et aberrante ne pouvant être décrite que par des sous-entendus

approximatifs, le Hoda dispose cependant de caractéristiques permettant de le classer

parmi les êtres fantastiques. N'étant point soumis aux lois naturelles de notre planète,

il peut, sans risquer d'être aperçu et sans devoir déplacer quoi que ce soit, pénétrer

dans une pièce pour déposséder la personne qui s'y trouve de ses énergies vitales.

Cette première épreuve que devra subir le narrateur a longuement été travaillée par

Maupassant qui, d'une version à l'autre en passant par le manuscrit, procède à

d'importantes variations:

À peine couché, je fermais les yeux et je m'anéantissais. Oui, je tombais dans le néant, dans un néant absolu, dans une mort de l'être entier dont j'étais tiré brusquement, horriblement par l'épouvantable sensation d'un poids écrasant sur ma poitrine, et d'une bouche qui mangeait ma vie, sur ma bouche69

Cette nuit, j'ai senti quelqu'un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme un enfant qui tette un sein. Puis, il s'est levé, repu, et moi, je me suis réveillé, tellement meurtri, brisé, anéanti, que je ne pouvais plus remuer70

69 Ibid., p. 823. 70 Yvan Leclerc, Le Ror/a de GI!Y de Maupassant, Paris, CNRS,« coll. Manuscrits »,1993, feuillet 9.

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Cette nuit, j'ai senti quelqu'un accroupi sur moi, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme l'aurait fait une sangsue. Puis, il s'est levé, repu, et moi, je me suis réveillé, tellement meurtri, brisé, anéanti, que je ne pouvais plus remuer71

.

48

L'incident de l'intrusion nocturne met primitivement l'accent sur une impression

d'anéantissement liée au sommeil suivie d'une sensation d'écrasement et d'ingestion

par l'Autre, sorte de monstre massif qui s'appuie sur sa victime avant de la dévorer.

Maupassant reconsidère l'aspect colossal de son phénomène puisqu'il le dote ensuite

d'une légèreté presque gracile qui lui permet de s'accroupir sur l'individu sans pour

autant l'écraser. Cette correction apparue dans le manuscrit s'inscrit dans l'ordre

logique d'un nouveau développement: l'ajout du voyage au Mont St-Michel où le

narrateur a conversé avec un moine au sujet du vent, cette puissance invisible

capable de détruire des régions entières:

Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d'eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l'avez-vous vu, et pouvez-vous le voir? Il existe, pourtant72

Profondément marqué par les paroles du religieux, le narrateur reprend les attributs

associés à cet élément pour les investir dans le Hoda. On note aussi que la chose se

nourrit des énergies du personnage, non plus en les mangeant, mais en exerçant une

sorte de succion à la manière des nourrissons, puis à la façon des sangsues. La figure

de l'enfant qui s'abreuve au sein de sa mère est probablement venue spontanément

en tête du nouvelliste, car elle revient fréquemment tout au cours de son oeuvre pour

évoquer la relation parasitaire qui s'établit entre la femme et son bébé73, relation qui

redouble celle du personnage avec le Hoda. Le foetus/Horla constitue cet Autre qui,

malgré sa fragilité, s'agrippe au corps engendrant maintes souffrances

(accouchement/énervement fiévreux) pour ensuite y puiser les substances essentielles

à sa survie et à son développement. L'enfantIHorla abuse d'un corps qui n'est pas le

71 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. cit., p. 919. 72 Ibid., p. 917. 73 Au sujet de cette relation, Claudine Giacchetti écrit qu' «occupant la bosse du flanc, l'embryon est une autre forme du Rorla, envahisseur inséparable du corps qu'il torture pour se nourrir. Pour s'en délivrer la violence est systématique». Claudine Giacchetti, «Étranger à lui-même: figures de l'autre dans l'oeuvre de Maupassant », Romance Note, no 2, vol 42, 2002, p. 261.

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sien en le vidant de son énergie pour le laisser anéanti, souffrant, meurtri, mais en

même temps, il demeure entièrement dépendant de son géniteur/créateur qui a un

pouvoir de vie ou de mort sur lui. Voilà où le bât blesse : Maupassant ne souhaite

sûrement pas suggérer, du moins à cette étape-ci, l'emprise du narrateur sur celui qui

jusqu'à présent le soumet entièrement à sa volonté. Ainsi, plutôt que d'infantiliser

son phénomène, il préfère utiliser la comparaison de la sangsue qui incidemment

rappelle la façon dont le narrateur décrit lui-même la manière dont il s'y prend pour

se ressourcer :

Tantôt, pour fatiguer mon corps, si las pourtant, j'allai faire un tour dans la forêt de Roumare. Je crus d'abord que l'air frais, léger et doux, plein d'odeur d'herbes et de feuilles, me versait aux veines un sang nouveau, au coeur une énergie nouvelle 74.

L'identité dans la façon d'absorber l'air et d'y puiser les énergies essentielles à la

régénération des fluides sanguins correspond à un choix calculé de la part de

Maupassant qui souhaite marquer davantage la communauté entre le personnage et le

phénomène. Les corrections effectuées dans le manuscrit confIrment d'ailleurs que

ce passage a été retouché pour établir un lien plus étroit entre les deux seuls

protagonistes du récit. Ayant d'abord écrit: «l'air frais, léger et doux, plein d'odeur

de sève, de feuilles, de terre fécondée ... » pour ensuite rayer cette dernière

expression, Maupassant, élimine, comme ce fut le cas' dans le passage où le Horla

absorbe le souffle de sa victime, toute référence à l'idée d'enfantement.

L'épisode de la disparition de l'eau dans carafe qui correspond au premier

signe visible de la présence du Horla montre aussi que Maupassant s'applique à

établir un rapport de ressemblance plus étroit entre son phénomène et le personnage.

Dans les deux versions, les personnages commencent par supposer qu'ils ont eux­

mêmes bu l'eau dans un état de demi-conscience lié au sommeil ou tout simplement

en étant somnambule, mais ils sont également rongés par le doute qu'un Autre leur a

dérobé ce liquide. Ils se livrent donc à des expériences pour reconstruire la vérité. À

la manière d'un détective, le narrateur du premier Horla opère une ruse contre lui­

même et place une bouteille de vieux Bordeaux, des gâteaux au chocolat qu'il

affIrme adorer ainsi que du lait frais dont il a horreur. En constatant que le liquide

74 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. cit., p. 914.

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tant détesté a disparu, il doit admettre qu'un être étranger à lui-même le lui a pris:

«Jamais on ne toucha aux choses solides, compactes, et on ne but, en fait que du

liquide, que du laitage frais et de l'eau surtout75 » conclut-il, au terme de sa

démonstration. Plutôt que de se soumettre lui-même à des tests, le second narrateur

dispose alors près de sa carafe des aliments; du vin, du pain, du lait et de l'eau pour

lesquels il n'éprouve aucun goût particulier, ni répugnance ni affection, ce qui ne lui

permet pas d'aboutir à l'évidence d'une présence objective distincte de lui-même. En

fait, dans la seconde version, les deux uniques acteurs du récit sont si semblables que

le narrateur en viendra à se sentir aussi liquide que le phénomène apparenté à une

nappe d'eau: « Quand on est atteint par certaines maladies, tous les ressorts de l'être

physique semblent brisés, toutes les énergies anéanties, tous les muscles relâchés, les

os devenus mous comme la chair et la chair liquide comme de l'eau. J'éprouve cela

dans mon être moral d'une façon étrange et désolante?6 »Le diariste perd donc peu à

peu de ses attributs humains pour revêtir ceux du Hoda.

On remarque dans ce sens que Maupassant apporte dès la première entrée une

série de correctifs destinés à assimiler les personnalités du narrateur et du

phénomène. Le discours du narrateur du premier Horla débute par une présentation

succincte de son état civil suivie d'une brève remarque au sujet de sa localité:

Donc j 'habitais une propriété sur les bords de la Seine, à Biessard, auprès de Rouen. J'aime la chasse et la pêche. Or, j'avais derrière moi, au­dessus des grands rochers qui dominaient ma maison, une des plus belles forêts de France, celle de Roumare, et devant moi un des plus beaux fleuves du monde. [ ... ] J'ajoute que la Seine qui longe mon jardin, est navigable jusqu'à Rouen, comme vous le savez sans doute ... 77

Dans la seconde version, les renseignements sur la situation personnelle et sociale du

narrateur prennent un tout autre ton. Ce dernier prend la plume pour se livrer à une

dissertation lyrique sur son attachement à sa terre natale, en plus d'évoquer le charme

presque mystique de sa propriété:

« J'aime ma maison où j'ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route presque chez moi, la grande et large Seine, qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui

75 Ibid., pp.824-825. 76 Ibid., p. 929. 77 Ibid., pp. 822-823.

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passent. À gauche, là-bas Rouen, la vaste ville aux toits bleus sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont innombrables frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l'air bleu des belles matinées, jetant jusqu'à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d'airain que la brise m'apporte tantôt plus fort et tantôt affaibli, suivant qu'elle s'éveille ou s'assoupit. 78 »

51

Rompant avec l'allure sèche du premier texte, cette description poétique pleine de

couleurs et de sonorités peut cependant sembler artificielle; pourquoi l'auteur d'un

journal intime tient-il à décrire, pour lui-même, les lieux qui lui sont connus depuis

toujours? Cette peinture grandiloquente de l'environnement familier joue pourtant un

rôle essentiel dans le développement de l'action, puisqu'elle montre à quel point le

narrateur est attaché à sa demeure. Le ton exalté de cette entrée en matière du journal

dévoile subtilement le côté casanier du personnage. L'enthousiasme de son transport

au moment de décrire sa demeure met en valeur son goût pour l'isolement. Par

ailleurs, cette recherche de solitude trouvera un écho dans un second ajout au feuillet

treize : « Le peuple est un troupeau imbécile, tantôt stupidement patient et tantôt

férocement révolté 79», affIrme-t-il dans un élan de misanthropie. Loin d'être gratuit,

ce commentaire péjoratif sur la société explique pourquoi il s'est retiré de la vie

mondaine. À son image, le Horla est un phénomène solitaire, marginal et

autosuffisant qui de surcroît ne se manifeste que sur la propriété du bord de la Seine,

exception faite du moment où il ordonne au narrateur de rentrer à la maison alors

qu'il se trouve à Rouen. Ainsi, le phénomène tant redouté ne semble pas modifier les

habitudes de vie du narrateur, puisqu'il ne lui impose rien qui le rebute

véritablement. Bien au contraire, même s'il affirme avoir été gouverné par un Autre

en demandant à son cocher de rentrer à la maison, on devine qu'il demeure content

d'avoir gagné sa propriété.

Au fil du récit, le Horla en viendra même à s'approprier des traits de

caractères typiquement humains qui coïncident pourtant très mal avec sa propriété

d'être une force occulte surpuissante, comme en font foi les changements effectués

par Maupassant lors de son remaniement de la scène de la page flottante :

78 Ibid., p. 913. 79 Ibid., p. 921.

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Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis, messieurs, de mes yeux, une autre page se soulever et se rabattre sur la précédente comme si un doigt l'eût feuilletée. Mon fauteuil semblait vide, mais je compris qu'il était là, lui! Je traversai ma chambre d'un bond pour le prendre, pour le toucher, pour le saisir comme si cela se pouvait. .. Mais mon siège, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant moi; ma lampe aussi tomba et s'éteignit, le verre brisé, et ma fenêtre brusquement poussée comme si un malfaiteur l'eût saisie en se sauvant alla frapper sur son arrêt... Ah ! ... Je me jetai sur la sonnette etj'appelai8o.

Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis, messieurs, de mes yeux, une autre page se soulever et se rabattre sur la précédente comme si un doigt l'eût feuilletée. Mon fauteuil était vide, semblait vide, mais je compris qu'il était là, lui, assis à ma place et qu'il lisait ! D'un bond furieux, d'un bond de bête révoltée, qui va éventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l'étreindre, pour le tuer !... comme si cela se pouvait. .. Mais mon siège, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant moi; ma table oscilla ma lampe aussi tomba et s'éteignit, le verre brisé, et ma fenêtre brusquement poussée comme si un malfaiteur surpris se fût élancé dans la nuit, en prenant à pleines mains les battants. Donc, il s'était sauvé; il avait eu peur, peur de moi, lui !81

52

Dans la version modifiée, il est possible d'observer que l'auteur insiste sur la

permutation des identités par l'ajout des propositions «il était assis à ma place et

qu'il lisait ». En occupant physiquement l'espace du narrateur en plus de s'adonner à

l'une de ses activité favorite, le Hoda s'accapare son identité jusqu'à éprouver son

sentiment d'impuissance. Tout comme lui au moment où il se sentait traqué, le Hoda

est contraint de fuir, seule solution envisagée pour éviter 1'anéantissement total. Le

personnage, quant à lui, occupe la position du bourreau sans conscience qui cherche

à affIrmer sa supériorité sur le faible. Ce renversement révèle que le personnage est

moins vulnérable qu'il le prétend de même que le phénomène n'est pas aussi fort

qu'il le croyait. Une lutte violente s'engage alors entre les deux, comme le suggère la

métaphore de l'animal qui se révolte contre son maître. Se disputant la même

enveloppe chamelle, le personnage et le phénomène qui le redouble s'engagent dans

une lutte implacable qui ne peut que conduire à la mort de l'un ou l'autre. On

comprend alors pourquoi le personnage de la version définitive met le feu à sa

propriété dans l'espoir de détruire ce qui l'assaille. Puisque le Hoda n'est qu'un

redoublement, un reflet du personnage, ce dernier subira la torture destinée à celui

qu'il croyait Autre. La promesse de suicide, en tant que châtiment fmal, rend compte

80 Ibid., p. 827. 81 Ibid., p. 932.

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alors de la volonté d'autodestruction du personnage dont le Roda n'était que

l'instrument.

En somme, tout dans cette nouvelle version invite à penser que le Hoda n'est

pas un Autre, mais une forme d'incarnation des fantasmes et des obsessions du

narrateur: préoccupé par la faiblesse de ses sens, il dote le Horla d'organes

perfectionnés; fasciné par la force du vent et de l'eau, il l'imagine revêtant

l'apparence de ces éléments naturels ; puis, intrigué par les phénomènes pseudo­

scientifiques d'hypnotisme et de suggestion durant son voyage à Paris, il confere au

phénomène le pouvoir d'entraîner l'aboulie. L'apparente incohérence du phénomène

devient logique si l'on considère qu'il varie selon les intérêts de celui qui l'imagine.

L'identité du narrateur est corrompue à un point tel que le journal est bien davantage

celui du Horla que le sien. À la manière de la scène du reflet dérobé dans laquelle

une brume opaque remplace l'image du corps du narrateur, le journal n'est plus le

miroir de l'âme du diariste, mais de celle du Roda. C'est d'ailleurs ce dernier qui

déclenche le début de l'entreprise d'écriture et qui provoque sa suite. Alors que dans

la première version, le narrateur donne un nom au phénomène de manière purement

spontanée: « Je l'ai baptisé le Horla. Pourquoi? Je ne sais point. », dans le deuxième

récit, c'est le Hoda qui dicte son nom: «Il est venu, le ... le ... comment se nomme+

il...le ... il me semble qu'il me crie son nom, et je ne l'entends pas .. .le ... oui .. .ille crie

[ ... ] le ... Rorla ... 82» En occupant désormais le rôle de scripteur à la place du diariste,

la notion d'auteur devient complètement pervertie. Plus l'écriture avance, plus le

ROrla est convoqué, défmi, sollicité, de sorte que l'identité de ce dernier supplante

entièrement celle de l'auteur qui est condamné à disparaître. Plus que toute autre

forme de récit, le journal intime, en raison de son caractère fragmenté, révèle que

l'entreprise de transcription fidèle et globale du moi reste très périlleuse, ce qui

explique le choix de l'auteur d'employer cette forme. Tel un miroir brisé

réfléchissant une image émiettée du moi, le journal du narrateur du Horla, par les

bribes d'expériences incohérentes qu'il rapporte, laisse constamment subsister un

moi clivé. Les contours de son moi demeurent flous, imprécis, constamment dilués

dans ceux de l'Autre qui exerce sur lui son emprise fatidique. L'acte d'écriture censé

82 Ibid., p. 933.

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substituer aux aléas de la VIe, au chaos de l'expérience, la forme de l'oeuvre

organisée et stylisée, n'aboutit, dans ce cas, qu'à une construction vaporisée de l'être.

Plus qu'une simple variation sur un même thème, le second Horla constitue un

laboratoire dans lequel Maupassant expérimente maintes techniques littéraires

propres à traduire l'intériorité de l'individu qui traverse une crise existentielle en

éprouvant la perte de son identité. Situé aux confms du fantastique et du réalisme

psychologique, Le Horla transgresse les limites traditionnelles du genre.

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CHAPITRE 3

Les passages ajoutés: symbolisme des lieux dans l'univers maupassien.

Le goût de se soustraire aux imposantes exigences du métier, le désir de

satisfaire une curiosité pour les mœurs étrangères et d'embrasser des yeux des

paysages nouveaux incitent Maupassant à inventer régulièrement des prétextes pour

justifier une escapade hors de sa France natale. Plus mobile que ses contemporains, il

parcourt une partie de l'Europe (Italie, Suisse, Angleterre) avant de tomber sous le

charme des chauds pays de l'Orient (Palestine, Syrie, Égypte, Tunisie, Liban) qui lui

inspireront de nombreux contes à saveur exotique tels que Allouma, Marroca et

Mohammed-Fripouille. Remèdes à l'ennui et à la sclérose de l'esprit, les séjours en

terres étrangères répondent à son besoin d'évasion en rompant le cercle étouffant de

la routine: «Nous sommes les fils de la terre encore plus que les fils de nos mères,

l'homme n'est plus le même à vingt lieues de distance, parce que chaque parcelle de

pays le fait et le veut différent. Exiler, c'est arracher l'être de son sol, rompre les

racines de ses habitudes et de sa vies3• » On ne s'étonnera pas que la représentation

des lieux dans l'univers maupassien, loin d'occuper une fonction subalterne, soit

pourvue d'une symbolique originale qu'on se doit d'interpréter afm d'accéder aux

couches profondes de la signification de son oeuvre. L'espace ne se contente pas de

façonner les caractères des personnages ou de modeler leur style de vie, il les dote

d'une attitude particulière face à l'existence en les imprégnant de sensibilités

propres.

La thématique spatiale sert également de support organisateur à la narration

du récit. À cet effet, on note que le schéma narratif du premier Horlademeure d'une

simplicité déconcertante: enfermé dans l'univers dévalorisant et cloisonné de l'asile,

le malade se contente de raconter ses expériences et la montée de ses symptômes

dans un discours suivant une progression parfaitement linéaire. Jouissant initialement

d'un bonheur paisible, il subit la présence de plus en plus irritante du Horla qui se

manifeste par des signes dont le caractère inusité va en s'accroissant depuis la

disparition de l'eau dans sa carafe jusqu'au reflet dérobé. Dans la version remaniée,

83 Citation de Maupassant tirée de L'Exil, reprise par Gérard Délaisement, G'!Y de Maupassant, le témoin, l'homme, le critique, tome 2, Orléans, CRDP de l'Académie d'Orléans-Tours, 1984, p. 6.

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cet ordre progressif est perturbé par l'ajout de deux épisodes correspondant à des

sorties plus ou moins longues au Mont-Saint-Michel puis à Paris, au cours desquelles

l'épistolier se croit, à tort, délivré du Roda. Donnant un nouveau souffle à la

nouvelle et enrichissant sa signification, ces périodes d'accalmie, qui projettent

l'illusion d'un retour à la normale, entraîneront un effet de dramatisation du récit en

rendant plus tragiques les rechutes subséquentes.

La rédaction de ces périples, qui s'effectue dans un premier temps dans le

manuscrit du second Horla, semble avoir été faite d'un premier jet, puisque le

document sert également de brouillon à l'auteur. Les descriptions minutieuses des

paysages et de la fantastique abbaye du Mont-Saint-Michel comprennent un nombre

important de ratures manifestement exécutées au fil de la plume étant donné que les

corrections surviennent dans un texte suivant directement les passages rayés. De la

même manière, il est possible de constater que le séjour parisien a été inséré au

moment même de la rédaction du manuscrit. Il avait été initialement prévu que le

diariste rende compte de ses aventures dans la capitale lors de son retour: «25

juillet. Je viens de rentrer chez moi. » Or, cette dernière indication est biffée pour

être remplacée par une note rédigée depuis Paris en date du 12 juillet. Plutôt que de

raconter son voyage à rebours comme ce fut le cas pour la visite au monastère,

l'auteur fictif dynamise son récit en nous conviant à suivre ses déplacements en cinq

temps différents par des entrées consignées les 12,14,16,17 et 21 juillet. Pourtant, si

l'organisation de la matière de ces deux expéditions s'est faite au moment même de

l'écriture du manuscrit, il n'en demeure pas moins qu'elles ont été pensées bien

avant, comme en témoigne cette affirmation du narrateur de la première version du

Horla qui projette de partir en voyage: « ... j'allais m'en aller pour deux ou trois

mois, bien que nous fussions en pleine période de chasse, quand un petit fait très

bizarre, observé par hasard, amena pour moi une telle suite de découvertes

invraisemblables, fantastiques, effrayantes, que je restai. 84 »

Probablement avortée en raison de la nécessité d'abréger le discours de

l'orateur qui ne permet aucun ralentissement du déroulement des énigmes,

l'intégration de déplacements est autorisée dans la seconde version dans la mesure où

84 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. cit., p. 824.

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tout au long de ce récit - moins elliptique - le lecteur doit suivre le mouvement

des pensées du diariste qui fait alterner les périodes de répit et les moments de

tension dramatique. Le motif du voyage enrichit la signification du texte, puisque les

déplacements sont à considérer telles des étapes d'une quête conduisant le héros à

renouveler ses hypothèses au sujet du mal étrange qui le traumatise. Ses

pérégrinations au Mont-Saint-Michel de même que dans la ville Lumière lui feront

bel et bien découvrir des aspects jusqu'alors inconnus de cet Autre qui le possède.

Savamment sélectionnés en fonction de leur symbolique, ces endroits occupent dans

l'imaginaire maupassien des fonctions précises qu'il est possible de décoder en

raison de la récurrence de leur apparition dans les contes antérieurs au Horla.

La Normandie de Maupassant

Commémorant ses origines, les références à la Normandie, abondantes tant

dans ses nouvelles que dans ses romans, démontrent le profond attachement de

Maupassant à la région où se sont écoulées ses vingt premières années. Points

d'ancrage de plusieurs récits, les descriptions des localités de la côte normande sont

très souvent évoquées en des termes qui rappellent le paradis perdu : faisant déferler

une euphorie de sensations, elles cumulent les notations visuelles, olfactives, tactiles

et auditives qui leur confèrent une tonalité mythique par l'expression de grandeur

magistrale qui s'en dégage. Les visions saisissantes à la fois précises et teintées de

lyrisme que l'auteur nous offre de sa province d'origine révèlent à quel point il se

sent lié à cette région. Né à Fécamp, il a passé une bonne partie de son enfance à

explorer les champs, à escalader les falaises et à sillonner la mer en compagnie des

humbles paysans qu'il préfère aux camarades de rang social plus élevé. S'identifiant

davantage aux fils de pêcheurs, de saleurs et de cordeliers, il les suit dans leurs jeux

et partage leur goût pour les escapades téméraires en haute mer ou au fond des

grottes, ce qui lui permet de s'imprégner du mode de vie rural en plus d'acquérir une

parfaite connaissance du patois. Nostalgique de cette enfance libre et errante, il

éprouve le besoin d'évoquer à maintes reprises, avec un plaisir doux amer, sa terre

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natale dans ses chroniques, dans sa correspondance et même dans la préface d'une

publication posthume des lettres de Flaubert à George Sand85•

Les liens affectifs qu'il entretient avec le peuple normand ne débouchent

pourtant pas sur une idéalisation de sa réalité quotidienne: elle apparaît la plupart du

temps dans toute sa dureté. Fondés sur une vision pessimiste du monde, les contes

normands traitent de la cruauté dont sont victimes les plus faibles, les exclus, les

gens trop âgés ou trop malades pour être productifs au sein de la collectivité ou du

noyau familial. Soumis à la loi du plus fort, l'individu ne peut espérer bénéficier du

secours de la société en cas de malheur. Ceux qui demeurent incapables de

s'autosuffrre deviennent vite des fardeaux dont on doit se débarrasser. Il en va ainsi

de Toine qui, tenu de garder le lit en raison d'une paralysie, est contraint de couver

des œufs par ordre de sa femme qui refuse de le nourrir et va même jusqu'à le battre

s'il en casse (Toine) ou de l'aveugle à qui l'on fait manger des bouchons, des

feuilles, des morceaux de bois et des détritus parce qu'on est lassé de donner

l'aumône à cet inutile (L'Aveugle). Dans ce milieu, l'intérêt personnel et la cupidité

président le plus souvent aux actes posés. Il arrive qu'on choisisse un mari pour sa

fortune (Farce normande) ou que l'on espère vivement la mort de ses parents en

raison des frais qu'engendre leur longue agonie (Le Vieux).

Or, ce ne sont pas les Normands qui sont mis en cause. À travers eux

s'expriment les défauts inhérents à l'humanité: perfidie, vénalité, indifférence face

aux malheurs d'autrui, égoïsme, etc. Lucide et refusant d'idéaliser un monde âpre,

empreint de malheurs et de souffrances, Maupassant dénonce l'absurdité de la

condition humaine où les êtres sont condamnés à mener une existence misérable,

ennuyante, ponctuée de douleurs morales et physiques en attendant la mort. Il se sert

donc d'un cadre qu'il connaît bien pour ériger ses convictions pessimistes à travers

des fictions, comme c'est le cas avec Le Horla où le héros, emblème d'une humanité

aliénée, est victime de sa propre conscience. Profondément attaché à ses racines

normandes, il partage le pragmatisme et la lucidité des gens du peuple de cette

85 Maupassant parle de ses souvenirs rouennais, entre autres, dans les chroniques intitulées « Étretat» et « Vie d'un paysagiste» publiées respectivement le 20 août 1880 dans Le Gaulois et le 28 septembre 1886 dans le Gil BlaJ; de même que dans une longue lettre adressée à sa mère en date du 29 juillet 1875, où il affinne souffrir du mal du pays et s'ennuyer des plages d'Étretat resplendissantes de soleil. Guy de Maupassant, Boule de suif et autres contes normands, préface de M.-C. Bancquart, Paris, Garnier, 1971, p. VII.

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reglOn. Toutefois, ces mêmes qualités l'amèneront à constamment douter de ses

facultés mentales et à remettre en question la réalité des phénomènes exceptionnels

dont il est témoin, ce qui le plongera dans une méditation dévastatrice et favorisera

l'éclosion d'angoisses profondes. Le cadre choisi par Maupassant pour élaborer son

récit ne résulte donc pas d'une sélection arbitraire. L'intrusion du fantastique dans ce

lieu où le sens du concret domine se veut brutale : si le surnaturel parvient à pénétrer

cet univers, force est d'admettre l'inconcevable.

La description des paysages normands

Les récits normands de Maupassant semblent au premIer abord recréer

parfaitement l'ambiance de la province. Inspirés parfois de vraies histoires

paysannes, ils renvoient à des lieux réels, présentent des passages en patois, illustrent

des coutumes véridiques et des traits de caractère typiques de la province86, ce qui

peut porter à croire qu'il s'agit là d'une traduction fidèle de la réalité vécue dans son

enfance. Or, si les observations qu'il rapporte dans ces contes paraissent justes, elles

participent surtout à créer un effet de réalité. D'ailleurs, l'écrivain n'hésite pas à

inventer certains lieux (telle la ville de Rolleport dans Aux Champs) ni à déformer les

dénouements des anecdotes entendues çà et là. Mettant en scène des représentants

typés des classes sociales particulières à la région, les nouvelles, qui par défmition

doivent être brèves, se contentent de brosser sommairement le portrait psychologique

des protagonistes. L'auteur ne cherche donc pas à atteindre l'exactitude de

l'ethnologue, mais à suggérer de manière succincte, vraisemblable et subjective

différentes facettes de l'humanité7• Les descriptions de lieux doivent être envisagées

sous cet angle. Bien qu'elles procèdent d'une observation minutieuse, elles mettent

86 Maupassant aurait pris l'habitude de recueillir des anecdotes en fréquentant les auberges. Par exemple, la Maison Tellier, une vraie maison close située dans le quartier chaud de Rouen, aurait effectivement fermé ses portes pour cause de première communion, comme il le raconte dans sa nouvelle (La Maison Telliery. Pour ce qui est du patois normand, Maupassant s'est livré à une retranscription libre de cetre langue orale caractérisée par la rapidité de la syntaxe et l'avalement des syllabes finales comme dans La bête à Mait' Be/homme. li s'inspire également de certaines habitudes du pays dont il a été témoin telles que celles de ne manger de la viande que le dimanche, de récolter le colza, d'être relativement brutal avec les animaux, d'être méfiant à l'égard des étrangers, etc. À ce sujet, consulter, Guy de Maupassant, op. dt., p. XI à XXIV. 87 Longtemps tenu pour un naturaliste, Maupassant a tout de même jugé bon de nier toute appartenance à cette école (ou à toute autre), dans le Gi/ Bias du 26 avril 1882. S'il a hérité de Flaubert la volonté de faire vrai, il explique qu'il est illusoire pour l'écrivain d'atteindre une objectivité parfaite, car son regard est singulier et se traduit par des procédés d'art originaux. En se sens, il qualifie son écriture « d'originale impersonnalité» étant donné qu'il cherche à dévoiler un aspect particulier du monde, à travers ses propres perceptions, mais d'une manière qui semble vraie. Repris par André Vial, G'!Y de Maupassant et l'art du roman, Paris, Nizet, 1954, p. 66.

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chaque fois en évidence un détail significatif qui dévoile la perception particulière

qu'en ont les différents personnages, comme en témoigne cette peinture de Rouen

tirée de Bel-Ami et reprise avec quelques variations au début du second Horla :

Ils venaient de s'arrêter aux deux tiers de la montée, à un endroit réputé pour la vue, où l'on conduit tous les voyageurs. On dominait l'immense vallée, longue et large, que le fleuve clair parcourait d'un bout à l'autre, avec de grandes ondulations. On le voyait venir de là-bas, taché par des îles nombreuses et décrivant une courbe avant de traverser Rouen. Puis la ville apparaissait sur la rive droite, un peu noyée dans la brume matinale, avec des éclats de soleil sur ses toits, et ses mille clochers légers, pointus ou trapus, frêles et travaillés comme des bijoux géants, ses tours carrées ou rondes coiffées de couronnes héraldiques, ses beffrois, ses clochetons, tout le peuple gothique des sommets d'églises que dominait la flèche aiguë de la cathédrale, surprenante aiguille de bronze, laide, étrange et démesurée, la plus haute qui soit au monde. [ ... ] Plus nombreuses que ses frères clochers, elles [les usines] dressaient jusque dans la campagne lointaine leurs longues colonnes de briques et soufflaient dans le ciel bleu leur haleine noire de charbon88

De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large Seine, qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent. À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l'air bleu des belles matinées, jetant jusqu'à moi leur doux chant d'airain que la brise m'apporte, tantôt plus fort et tantôt affaibli, suivant qu'elle s'éveille ou s'assoupit. Comme il faisait bon ce matin! Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille 89.

Cette description quelque peu canonique de la ville que l'on retrouve également dans

Le Garde et Un Normanc!° semble reproductible d'un texte à l'autre. On note que

l'organisation des passages est à peu près identique: Maupassant commence par

choisir un point de vue (aux deux tiers de la montée pour Bel-Ami et les fenêtres de la

maison du narrateur pour Le Horla) à partir duquel les perceptions s'élaborent, puis il

88 Guy de Maupassant, Romans, Édition de Louis Forestier, Paris, Gallimard,« Bibliothèque de la Pléiade », 1987, p. 108. 89 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. cit., p. 913. 90 Pour Le Garde, Maupassant décrit succinctement son paysage favori de Rouen de la manière suivante: « Je regardais la vaste vallée de la Seine que le fleuve traversait jusqu'à l'horizon avec des replis de serpent. Rouen, à gauche, dressait dans le ciel tous ses clochers et, à droite, la vue s'arrêtait sur les côtes lointaines couvertes de bois. » Guy de Maupassant, Boule de suif et autres contes nowands, p. 443. Pour ce qui est d'Un Normand, il insiste sur la beauté majestueuse des clochers: « Derrière nous Rouen, la ville aux églises, aux clochers gothiques, travaillés comme des bibelots d'ivoire; en face, Saint-Sever, le faubourg aux manufactures qui dresse ses mille cheminées fumantes sur le grand ciel vis-à-vis des mille clochetons sacrés de la cité. » Ibid., p. 171.

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dégage les grandes masses constituées de la Seine et de la ville avant d'aboutir aux

détails plus fms, soient les clochers d'églises et la fumée visible dans l'air. Outre les

compositions d'ensemble qui se font écho, les épithètes employées pour rendre compte

de la dimension du fleuve forment dans les deux récits un champ lexical de l'ampleur

(<< immense », « longue », « large» et « grand» dans Bel-Ami et « grande », « large»

et «vaste» dans Le Horla) et celles se rapportant à la taille des clochers demeurent

antithétiques dans les deux versions «( trapus ou frêles» dans le premier cas et « frêle

ou larges» dans le second). Malgré que ces ressemblances nous incitent à penser que

l'auteur réemploie une description préfabriquée, une analyse plus poussée révèle qu'il

la modifie d'une histoire à l'autre pour faire apparaître les perceptions subjectives des

différents protagonistes. Ainsi, lorsque Georges DuRoy, l'arriviste ambitieux et

égoïste de Bel-Ami qui a gravi les échelons de la société en abusant des femmes et des

hommes politiques, contemple Rouen, ce sont les idées de domination, de démesure et

de laideur qui sont mises en valeur. Son ascension de la colline qui lui permet de

surplomber la ville devenue si minuscule qu'elle paraît se noyer, n'est pas sans

rappeler sa propre ascension sociale au cours de laquelle il est arrivé à devenir l'égal

des géants de la finance qui observent de haut le reste de l'univers. Le caractère abject

de ce héros dépourvu de talent et de valeurs morales est de plus suggéré par la laideur

de la cathédrale dont l'affreux clocher à la pointe acérée ternit la beauté majestueuse

du ciel et par l'haleine noire des cheminées d'usines qui crachent leurs vapeurs

polluantes.

Le narrateur du Horla, loin d'adopter une telle suprématie sur son

environnement, reçoit de la ville des impressions dont il se nourrit et qui affectent

positivement ses humeurs. La vue saisissante du fleuve, l'air bleu des belles

matinées, la douce brise printanière et le chant d'airain des clochers lui apportent un

tel bonheur qu'il ressent le besoin de crier son bien-être: « Comme il faisait bon ce

matin !91 » Il absorbe donc ce paysage de telle sorte qu'il apparaît en fusion avec lui.

Ce passage explique d'ailleurs une apparente contradiction dans le récit: alors que le

Rorla laisse le narrateur tranquille lors des sorties effectuées à l'extérieur de sa

maison, il parvient étonnamment à le rejoindre alors qu'il se trouve à Rouen:

91 Guy de Maupassant, Le Hor/a, op. cit., p. 913.

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J'ai senti que j'étais libre tout à coup et qu'il était loin. J'ai ordonné d'atteler bien vite et j'ai gagné Rouen. Oh ! quelle joie de pouvoir dire à un homme qui obéit: «Allez à Rouen! » Je me suis fait arrêter devant la bibliothèque et j'ai prié qu'on me prêtât le grand traité du docteur Hermann Herestauss sur les habitants inconnus du monde antique et moderne. Puis au moment de remonter dans mon coupé, j'ai voulu dire: « À la gare ! » et j'ai crié - je n'ai pas dit, j'ai crié - d'une voix si forte que les passants se sont retournés: «À la maison », et je suis tombé, affolé d'angoisse, sur le coussin de ma voiture. Il m'avait retrouvé et repris92

.

62

Étant donné l'extrême proximité de ce dernier avec cette ville, proximité qui

s'apparente à une forme d'osmose, il demeure logique que le phénomène puisse

l'atteindre à ce moment.

De ce milieu particulier, il reçoit également des sensations antithétiques de

force et de faiblesse provoquant un effet de miroir avec la nature du Hoda. À l'image

des clochers frêles ou larges et du son tantôt fort, tantôt affaibli qu'ils lui

communiquent, celui-ci est pourvu d'aspects contradictoires le rendant si difficile à

saisir qu'il doit être désigné par les oxymores «corps d'esprit» et «transparence

opaque ». En plus d'annoncer la nature paradoxale du phénomène à la fois tout­

puissant et craintif, invisible mais matériel, la description de Rouen laisse d'autant

plus présager son arrivée. La saleté que dégage le remorqueur assombrissant le bleu

du ciel est révélatrice des malheurs qu'il apportera en descendant de ce convoi

maléfique. Bref, la vue de Rouen, aussi exacte semble-t-elle selon le point de vue

duquel elle est présentée, ne compte pourtant pas pour la restitution du réel qu'elle

fournit, mais pour la révélation de la conscience et de la destinée du héros qu'elle

propose.

Le Mont-Saint-Michel

Faisant également partie de la géographie intime de l'auteur, le Mont-Saint­

Michel, décor familier et très apprécié de Maupassant, occupe d'abord une place de

choix dans la nouvelle intitulée La Légende du Mont-St-Michel (1882) qui raconte la

lutte entre le diable et Saint-Michel, patron des Normands. Selon l'auteur, ce dernier

s'était fait construire en plein océan une habitation digne d'un archange qu'il a

92 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. ctt., p. 919.

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entourée de sables, craignant d'être dérangé par le malin. La description exaltée de

l'endroit sera ensuite reprise avec des changements notables dans Le Horla de 1887 :

Je le revisd' Avranches, au soleil couchant. L'immensité des sables était rouge, l'horizon était rouge, toute la baie démesurée était rouge; seule l'abbaye escarpée poussée là-bas, loin de la terre, comme un manoir fantastique, stupéfiante comme un palais de rêve, invraisemblablement étrange et belle, restait presque noire dans les pourpres du jour mourant. J'allais vers elle le lendemain, dès l'aube, à travers les sables, l'œil tendu sur ce bijou monstrueux, grand comme une montagne, ciselé comme un camée et vaporeux comme une mousseline. Plus j'approchais, plus je me sentais soulevé d'admiration, car rien au monde peut-être n'est plus étonnant et parfaië3

.

Quelle vision, quand on arrive, comme moi, à Avranches, vers la fm du jour ! La ville est sur une colline; et on me conduisit dans le jardin public, au bout de la cité. Je poussai un cri d'étonnement. Une baie démesurée s'étendait devant moi, à perte de vue, entre deux côtes écartées se perdant au loin dans les brumes; et au milieu de cette immense baie jaune, sous un ciel d'or et de clarté, s'élevait sombre et pointu un mont étrange, au milieu des sables. Le soleil venait de disparaître, et sur l'horizon encore flamboyant se dessinait le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. Dès l'aurore, j'allai vers lui. La mer était basse comme la veille au soir, et je regardais se dresser devant moi, à mesure que j'approchais d'elle, la surprenante abbaye 94.

Maupassant a certainement sous les yeux le récit de 1882 lorsqu'il décide d'ajouter

ce passage au Horla. En plus du manuscrit qui dévoile que les mots «bijou

monstrueux» et «rêve» employés pour désigner l'abbaye dans La Légende ont été

réutilisés avant d'être biffés, on note que l'auteur reprend le même point de vue,

depuis Avranches, au même instant, soit au coucher du soleil.

Cependant, dans son premIer récit, Maupassant fait ressortir l'idée

d'affrontement des forces du bien et du mal en mettant l'accent sur le contraste entre

les couleurs rouge et noir qui annoncent le combat féroce que devra livrer le saint

protecteur au démon. Aussi, l'auteur tient à donner une impression vaguement

idéalisée du monument par les expressions «palais de rêve» «ciselé comme un

camé» et « vaporeux comme une mousseline» qui l'entourent de l'aura mystique

typique des légendes. Toutefois, prétendument raconté par un Normand cauteleux, ce

récit se transforme en véritable farce d'une grossièreté inouïe: Saint-Michel

parviendra à dominer Satan en lui faisant ingurgiter une nourriture laxative entraÛlant

93 Guy de Maupassant, Boule de suif et autres contes normands, p. 191. 94 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. dt., p. 917.

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une défécation incontrôlable qui le contraint à quitter pour toujours les lieux saints

tant il en est gêné. Si l'on ne retrouve pas cette dérision provoquée par un

changement de tonalité dans le Horla, il est possible de découvrir un même

changement d'aiguillage dans l'épisode du Mont-Saint-Michel, cette fois-ci sur le

plan thématique. Dans la description de l'endroit, la prédominance du jaune et de la

clarté du paysage environnant le refuge du moine laisse d'abord entrevoir l'espoir du

narrateur d'être éclairé par la religion alors qu'il recherche vivement une source de

réconfort pouvant apaiser son âme troublée par un phénomène qui dépasse

l'entendement. L'« immense baie jaune », le «ciel d'or» et «le soleil» suggèrent

effectivement des idées de chaleur et de lumière pouvant conduire au mieux-être.

Étonnamment, bien qu'il s'agisse d'un bâtiment religieux, la description est ensuite

fortement érotisée : les côtes écartées qui se perdent dans les brumes de même que le

mont pointu qui s'élève entre elles ne sont point sans rappeler la fusion des sexes

féminins et masculins. Très ironique, Maupassant nous présente donc

l'ecclésiastique, que l'on a tendance à magnifier en raison de sa proximité avec le

sacré, comme un homme ordinaire, doté des mêmes désirs et de sensualité.

D'ailleurs, en prononçant un discours portant principalement sur les sens humains, il

se montre davantage préoccupé par la nature matérielle de l'homme que par sa

spiritualité. Son adhésion aux croyances religieuses traditionnelles peut aussi être

mise en doute en raison du fait qu'il ne s'appuie pas sur l'histoire sainte pour illustrer

ses propos, mais sur des récits dérisoires. En réduisant le représentant de Dieu sur

terre à un conteur de légendes, Maupassant abaisse la religion au niveau des

superstitions, ce qui démontre le peu de crédit qu'il lui octroie.

Narrant une sorte de rencontre manquée avec le divin, la scène au cours de

laquelle le moine raconte une légende farfelue de berger conduisant une chèvre à tête

de femme et un bouc à tête d'homme a été longuement travaillée par Maupassant,

comme en témoignent les multiples ratures, ajouts marginaux et interlinéaires.

L'écrivain voulait d'abord insister sur l'intimidation du narrateur face à l'imposante

abbaye et sur sa naïveté face aux histoires étranges de l'ecclésiastique. Les

expressions «j'eus envie de m'agenouiller» et «je les [les légendes du moine]

croyais à mesure qu'il les disait. Je les croyais toutes.» ont été rayées dans le

manuscrit pour faire place à un équilibre plus juste entre l'adhésion à l'insolite et la

pensée logique. En fait, le surnaturel qui semble au départ être admis par le conteur

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de légendes fmira par trouver un contrepoids rationnel dans son refus d'affirmer sa

crédulité ou son scepticisme :

Les gens du pays, ceux du mont, prétendent qu'on entend parler la nuit dans les sables, puis qu'on entend bêler deux chèvres, l'une avec une voix forte, l'autre avec une voix faible. Les incrédules affIrment que ce sont les cris des oiseaux de mer, qui ressemblent tantôt à des bêlements, tantôt à des plaintes humaines; mais les pêcheurs attardés jurent avoir rencontré [ ... ] un bouc à figure d'homme et une femme à figure de chèvre [ ... ]

Je dis au moine: « Y croyez-vous? » Il murmura: « Je ne sais pas. 95 »

À l'indécision du moine correspond celle du narrateur qui ne parvient pas à trancher

sur la pertinence de ce qu'il vient d'entendre. «Cet homme était un sage ou peut-être

un sot» lance-t-il, en guise de conclusion à cette rencontre inusitée qui ne

débouchera pas sur l'éclaircissement tant souhaité de sa situation. L'épisode, qui se

termine en queue de poisson, rend le lecteur perplexe en raison de l'ambiguïté et de

l'incertitude qui enveloppent d'un brouillard épais la signification, voire l'intérêt, de

toute cette scène.

Il demeure possible de découvrir que si la foi religieuse n'est pas au rendez­

vous au Mont-Saint-Michel, cette visite a tout de même permis au narrateur de

tromper la solitude qui avait engendré le Hoda. En quittant son environnement

familier, il oublie ses premières terreurs pour contempler la beauté de la nature en

savourant le plaisir d'entendre des histoires distrayantes, peu importe qu'elles soient

vraies ou fausses. Or, bien que ce contact avec autrui lui assure momentanément une

paix d'esprit, il ne pourra pas se délecter très longtemps de cette tranquillité.

Préoccupé par des phénomènes similaires à ceux du narrateur, le moine représente,

en quelque sorte, son double. En tant que Normand, il reste aussi proche de la nature

que le diariste et possède lui aussi une sensibilité extrême à la beauté magistrale de

son milieu qui le rend très réceptif aux impressions qu'il laisse : «Quandje fus sur le

sommet je dis au moine qui m'accompagnait: «Mon père, comme vous devez être

bien ici. »Il répondit: « Il y a beaucoup de vent, monsieur.96 » »

95 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op.cit., p. 917. 96 Ibidem.

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Solitaire, attaché à sa terre et passif comme son visiteur, le moine semble passer le

plus clair de son temps à contempler la nature et à méditer sur la faiblesse des sens

humains. Convaincu qu'il existe sur terre des forces insaisissables qui ne peuvent

être appréhendées par les organes imparfaits, grossiers des hommes, il défend

l'existence du surnaturel en donnant comme exemple le vent qui est invisible, mais

réel et tout-puissant. Il expose sa thèse de manière si soutenue qu'elle fera naître une

crainte de domination par une race supérieure dans l'esprit du narrateur :

Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d'eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, ~ui mugit, - l'avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant 7.

En verbalisant une idée que ce dernier pressentaië8, il le rend encore plus vulnérable

aux attaques du Hoda. D'ailleurs, à son retour, le diariste rapportera que les

manifestations de l'être invisible deviennent si insoutenables qu'il devra effectuer un

second voyage, à Paris cette fois-ci.

Le Paris de Maupassant

Capitale de l'intelligence, des arts et de la culture, Paris, au temps de

Maupassant, est le lieu d'où émergent les grands courants de pensées philosophiques,

politiques et scientifiques de même que les habitudes de vie. Centre du raffmement,

du bel esprit et de la modernité, elle assure à ses habitants un grouillement incessant

d'idées avant-gardistes. S'y étant lui-même installé pour parfaire ses études en 1869,

il habitera la métropole en alternance avec Rouen pendant plusieurs années de sa vie.

Profitant largement des avantages du milieu urbain tant pour jouir des

divertissements que pour se rapprocher des milieux intellectuels et artistiques99, il

aime le rythme endiablé de la vie parisienne qui lui offre une proximité avec les

grands événements. D'ailleurs, les contes parisiens de Maupassant, plus que tous les

autres, tirent leurs sujets de faits divers et sont inspirés de considérations sur

l'actualité contemporaine. Annoncée et résumée par le titre, la matière de ces récits,

97 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op.cit., p. 918. 98« Ce qu'il disait là, je l'avais pensé souvent» affinnera le narrateur pour conclure cet épisode. Ibidem. 99 Avec Tourgueniev, Daudet et Zola, entre autres, il participe aux réunions littéraires organisées tous les jeudis rue St-Georges, puis rue de Boulogne. Ensemble, ils eurent l'idée de publier un recueil de nouvelles sur un sujet d'actualité encore brûlant, la guerre de 1870. C'est ainsi que sont nées les soirées de Médan. Martin Pasquet, Maupassant, Paris, Albin Michel, p. 42.

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la plupart du temps très modeste, emprunte au réel des drames factuels perçus par des

personnages qui subissent des revers de fortune. À travers les parcelles de leur

existence et l'instantanéité de leur quotidien, l'auteur réussit à reconstituer un monde

vivant, profondément humain, sur lequel il se permet de jeter un regard critique. Cet

art d'engager la réflexion par le biais d'anecdotes habilement racontées prend ses

origines dans les chroniques journalistiques publiées dans Le GU BIas et Le Gaulois

au début de la décennie 1880. Tour à tour libre-penseur, moraliste, pamphlétaire et

reporter, Maupassant livre ses points de vue sur les grandes questions philosophiques

et nationales, passe en revue les salons mondains de Paris et traite des politiques

adoptées par la République parlementaire, ce qui lui fournit un réservoir de thèmes

qui serviront à l'élaboration de ses nouvelles 100.

De ce fait, la grande ville procure à l'écrivain un vaste éventail de sujets de

même qu'une cohorte de personnages allant du domestique au mondain en passant

par l'artiste ou le bourgeois. Cette foule apparemment bigarrée se rejoint cependant

dans son désir de possession : le sexe et l'argent sont les principaux moteurs animant

cette microsociété. Nulle part ailleurs que dans Paris, la sexualité ne s'exprime aussi

librement à cause de l'anonymat qu'elle préserve, des lieux de rencontres

occasionnelles qu'elle multiplie et de la promiscuité qu'elle assure pour fermenter les

désirs. Ainsi, la ville permet à la petite baronne d'exercer ses talents de courtisane à

l'insu de son mari en faisant un signe de la main aux passants depuis sa fenêtre (Le

Signe), tout comme elle favorise les aventures d'un soir en rendant accessibles les

salons fréquentés par des demi-mondaines et des hommes malhonnêtes à la recherche

d'une relation éphémère (Yvette). «Une femme chasse l'autre si vite, à Paris, quand

on est garçon101 », lance le héros de Fini attiré par la jeune fille d'une ancienne

maîtresse devenue vieille, comme s'il tenait la ville responsable de son instabilité

amoureuse qui lui commande de renouveler constamment ses amantes, réduites à

n'être que des objets interchangeables. La plupart du temps, les couples se trompent,

100 Les chroniques, majoritairement produites entre 1882 et 1886, abordent effectivement une multitude de sujets épars, allant de la guerre à la toute nouvelle fête du 14 juillet, en passant pat la misère des petits employés parisiens condamnés à une vie tout juste décente et pat la question du sens perdu de l'honneur. Cet ensemble hétéroclite d'écrits constitue toutefois un témoignage précieux et direct sur la société de l'époque, car Maupassant rend compte des mœurs, de la mode et des préoccupations de ses contemporains. Il nous dévoile pat petits traits et de manière incisive sa vision du monde (Plus particulièrement du monde parisien), ce qui lui permet d'aiguiser sa plume et de jeter les bases de ses réflexions critiques. À ce sujet, consulter Mariane Bury, Maupassant, Paris, Nathan, 1991, pp. 25-27. 101 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. cit., p.231.

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se torturent, se mentent et ne parviennent pas à communiquer, ce qui sonne le glas

d'une relation fatalement vouée à l'échec. Même lorsque l'amour satisfait

momentanément une quête d'idéal, ce bonheur illusoire fInit par se perdre, laissant

place à la déception et à une solitude encore plus grande:

Elle et moi, nous n'allons plus faire qu'un, tout à l'heure, semble-t-il ? Mais ce tout à l'heure n'arrive jamais, et, après des semaines d'attente, d'espérance et de joie trompeuse, je me retrouve tout à coup, un jour, plus seul que je ne l'avais encore été. [ ... ] Après chaque baiser, après chaque étreinte, l'isolement s'agranditI02

.

L'amour véritable semble impossible dans la capitale; placées sous le signe du

changement ou de l'illusion, les relations entre hommes et femmes, superfIcielles et

éphémères, ne permettent pas aux individus de s'épanouir ni d'être sauvés de leur

désespoir. Creuset du vice et des passions, Paris soumet également les citadins à de

nombreuses tentations qui réclament des moyens fmanciers importants. L'envie

d'accroître son confort, d'accéder à un train de vie luxueux de même que la volonté

d'ascension sociale demeurent des vices urbains à la mode qui entraînent dans leur

flot l'aliénation morale des individus, prêts à n'importe quelle bassesse pour mieux

paraître aux yeux des autres. En amour comme dans les affaires, les relations sont

marquées du sceau de l'hypocrisie: la ville engendre des besoins de luxe (et de

luxure) détournant les hommes des valeurs plus nobles et fabrique des parias qui se

doivent de jouer la comédie pour parvenir à se tailler une place en haut de l'échelle

sociale ou tout simplement pour échapper à une existence misérable.

Les descriptions de Paris

Si les descriptions des paysages normands acquièrent une certaine étrangeté

pittoresque par l'impression de terre promise qu'elles laissent, celles de la ville

tranchent par leur sécheresse. Ces dernières, plus brutales et expéditives, refusent

toute poétisation de l'écriture. Le Paris de Maupassant n'autorise aucune envolée

lyrique ni embellissement et commande une esthétique du dénuement qui va de pair

avec le projet d'exposer sans fard les réalités d'une faune parisienne triviale. Puisque

le cadre est inséparable de l'intrigue à laquelle il donne naissance et qu'il instaure un

jeu de reflet avec les personnages, la brièveté et l'aridité des références spatiales

renvoient au caractère froid et rigide de la grande ville où l'animation bruyante des

102 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles I, p. 537.

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boulevards ne constitue qu'une rumeur de fond assourdissante masquant une

profonde solitude morale. Plutôt que de se servir de son art de restituer l'atmosphère

d'un lieu par un jeu d'évocations sensorielles capable de faire naître une

constellation d'impressions, Maupassant, pour ses contes de la ville, use de courtes

notations réalistes et de la fonction référentielle du langage. Les intrigues urbaines,

simples et logiques, se déploient dans des lieux réels et connus des lecteurs. On ne

s'étonne pas de rencontrer Jean de Servigny, ce Parisien dégourdi, irrésolu et égoïste,

sortant du Café-Riche où l'on paie chèrement son repas pour se faire voir des clients

aristocratiques (Yvette), ou d'apercevoir la comtesse de Mascaret de L'inutile beauté

traverser les Champs-Élysées vers l'Arc de Triomphe en réclamant son statut de

femme du monde.

Or, bien que ces récits nous plongent dans un profond réalisme, le décor n'a

pas pour unique fonction de donner un« effet de réel» : il a d'abord et avant tout une

fmalité symbolique, celle de donner des indices révélateurs des destins des

personnages qui se feront duper ou tromperont les autres. Procès de la vie mondaine

à Paris, Fort comme la mort raconte les tribulations d'Olivier Bertin, un peintre

acclamé par un public de faux connaisseurs pour qui il a gâché son originalité en

sacrifiant son talent et ses convictions au profit d'un art purement académique.

Dépendant d'un lot d'hommes et de femmes attachés à l'art par snobisme, Bertin

fréquente les milieux faussement éclairés où les apparences prévalent. Cette société

brillante et factice ne peut évoluer que dans un décor à son image, comme en

témoigne cette description du parc Monceau (près duquel se sont installés les

nouveaux riches) qui met en valeur son aspect de simulacre naturel :

Les fûts de pierre dressés sur les gazons ne rappellent guère plus l'Acropole que cet élégant petit parc ne rappelle les forêts sauvages. C'est l'endroit artificiel et charmant où les gens de ville vont contempler des fleurs élevées en des serres, et admirent, comme on admire au théâtre, le spectacle de la vie, cette aimable représentation que donne, en plein Paris, la belle nature l03

Le parc est à la nature ce que la société parisienne est à l'humanité: une reproduction

gracieuse mais dégradée par un excès d'artifices. Si le décor révèle parfois le

tempérament fourbe des êtres qui l'occupent, il arrive également qu'il soit lui-même

trompeur. Ainsi, c'est par « un matin de soleil, l'âme en fête, le pied joyeux» que le

Guy de Maupassant, Fort comme la mort, Paris, Garnier-Flammarion, 1998, p. 219.

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héros de La Chevelure achète chez l'antiquaire le meuble contenant la chevelure

d'une femme morte qu'il l'obsèdera et le plongera dans une tristesse si profonde

qu'il fmira par se suicider. De la même manière, le narrateur de L'Endormeuse

comprendra l'agitation intérieure terrible qui bouleverse les désespérés désireux de

mettre fm à leur existence alors que « la Seine s'étalait devant [ sa] maison, sans une

ride, et vernie par le soleil du matin. » Paris est donc la ville piège, celle où l'illusion

et la supercherie dominent: l'atmosphère et les gens qui l'habitent forment un

univers de simulacre empêchant toute accession aux vérités profondes.

Le Paris du Horla

C'est dans ce même Paris que le narrateur du Horla choisit de se

rendre pour fuir une seconde fois les terribles tourments qui assaillent son esprit. Il

sera de nouveau amené à son insu à réfléchir aux origines de son malaise, non plus

par le biais d'une religion vague apparentée aux superstitions légendaires, mais par la

voie plus rigoureuse de la science. Sera-t-il dupé par les mirages de la ville comme la

plupart des protagonistes des nouvelles de Maupassant évoluant en milieu urbain ?

Certes, c'est ce qui est insinué d'entrée de jeu dans la notice du 14 juillet. Après

s'être imprégné de l'air nouveau et vivifiant de la ville pendant vingt-quatre heures,

le diariste, qui se croit à tort débarrassé du Hoda, cherche à parachever sa guérison

en allant au Théâtre-Français. Symbole de l'artifice et de l'illusion, le théâtre fait

triompher la supercherie: les comédiens, dissimulés derrière le masque de leurs

personnages, ne font qu'imiter la vie, que simuler des gestes et des émotions qui

n'ont rien à voir avec l'authenticité du vécu quotidien. À l'enchantement que procure

ce divertissement correspond celui de la ville qui aliène les individus en les

soumettant à des tentations irrépressibles. Par les multiples distractions qu'elle

propose aux citadins, elle les prive occasionnellement de se pencher sur les misères

de la condition humaine, ce qui les préserve des angoisses existentielles. Toutefois,

en les gavant de plaisirs bon marché qui chassent leurs souffrances, elle les

dépossède d'une part importante de leur humanité. Incapables de réfléchir par eux­

mêmes et d'éprouver des sentiments profonds, les Parisiens, infirmes sur les plans

affectif et intellectuel, vivent dans l'illusion du bonheur. Bercé par cet esprit de

désinvolture à sa sortie de la pièce et encore sous le charme du spectacle qu'on lui a

offert, le narrateur deviendra aussi frivole que les Parisiens qu'il côtoie. Envoûté par

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l'ambiance festive des boulevards, il se moquera de ses anciennes angoisses qui

semblent s'être dissipées:

En tout cas, mon affolement touchait à la démence, et vingt-quatre heures de Paris ont suffi pour me remettre d'aplomb. [ ... ] Je suis rentré à l'hôtel très gai, par les boulevards. Au coudoiement de la foule, je songeais, non sans ironie, à mes terreurs, à mes suppositions de l'autre semaine, car j'ai cru, oui, j'ai cru qu'un être invisible habitait sous mon toit. Comme notre tête est faible et s'effare, et s'égare vite, dès qu'un petit fait incompréhensible nous frappe! 104

À l'instar de la nature qui influence les états d'âme du narrateur, la ville pénètre son

esprit pour lui commander une joie de vivre insouciante qui se traduit par la volonté

soudaine de tourner au ridicule ses croyances au surnaturel. Elle arrive même à

prendre le contrôle de ses émotions, comme le montre le passage où il se voit forcé

de vibrer au diapason de la foule parisienne devenue soudainement gaie en raison des

festivités du 14 juillet, bien qu'il trouve cet événement carrément absurde: «C'est

pourtant fort bête d'être joyeux, à date fixe, par décret du gouvernement. I05 » Plus

lucide que le peuple français qu'il qualifie de «troupeau imbécile qui agit comme on

le lui demande106 », il n'arrive toutefois pas à s'empêcher de ressentir l'euphorie

collective imposée par les autorités dirigeantes et se joint bêtement au groupe de

retards qu'il juge pourtant sévèrement et à qui il reproche une trop grande docilité.

Le Paris du Horla, comme celui dépeint dans l'ensemble de l'œuvre, dépossède les

êtres de leur volonté propre en les contraignant à obéir à des désirs imposés de

manière factice.

C'est d'ailleurs sous le double signe de la dépossession de soi et de la

tromperie que se déroule l'expérience d'hypnotisme pratiquée par le docteur Parent,

dont l'adhésion aux diverses sciences occultes ne peut être démentie. Dénigrant la

religion en reprenant une phrase célèbre de Voltaire (citée par ailleurs dans La

Légende du Mont-Saint-Michel) : «Dieu a fait l'homme à son image, mais l'homme

le lui a bien rendul07 », il se présente alors comme le prophète des temps nouveaux

possédant les savoirs secrets de la terre. En procédant à une séance d'hypnotisme au

104 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. tit., p. 921. 105 Ibidem. 106 Et de spécifier Maupassant:« Le peuple est un troupeau imbécile, tantôt stupidement patient et t.a.ntôt férocement révolté. On lui dit : « Amuse-toi ». il s'amuse. On lui dit : « Va te battre avec le voisin. » il va se battre. On lui dit: « Vote pour l'empereur». il vote pour l'empereur. Puis on lui dit: « Vote pour la République. » Et il vote pour la République. » Ibidem. 107 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles I, op. tit., p. 111.

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cours de laquelle Mme Sablé est soumise à la suggestion de devoir emprunter cinq

mille francs à son cousin le lendemain, ce dernier démontre que le cerveau humain

peut obéir à des propositions sans que sa conscience n'intervienne. À la suite de cette

expérience, le narrateur, d'abord incrédule puisqu'il pense qu'on lui joue une farce,

fmit par être persuadé de la véracité des thèses avancées par le médecin, car il les

reprend à son compte en date du 19 août :

Après les grossières conceptions de l'épouvante primitive, des hommes plus perspicaces l'ont pressenti plus clairement. Mesmer l'avait deviné et les médecins, depuis dix ans déjà, ont découvert, d'une façon précise, la nature de sa puissance avant qu'il l'eut exercée lui-même. Ils ont joué avec cette arme du seigneur nouveau, la domination d'un mystérieux vouloir sur l'âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé ça magnétisme, hypnotisme, suggestion ... 108

Cette pseudo-science qu'est l'hypnotisme et pour laquelle Maupassant affichait un

scepticisme certain, ne constitue certes pas la bonne voie d'entrée pour percer les

secrets de l'univers. Ne pourrait-on pas y voir une vaste supercherie digne de Paris

d'où semblent provenir toutes les formes d'illusions? L'homme est entouré d'un

mystère que même les plus éminents Parisiens ne peuvent élucider. Ils font fausse

route et trompent les autres en leur donnant l'impression de posséder une

connaissance supérieure du monde. Sous des apparences de médecin sérieux, le

docteur Parent se révèle n'être qu'un simple magnétiseur de salon dont les pouvoirs

de commander à distance les actes d'autrui redoublent ceux du Hoda. Cette rencontre

alimentera donc la croyance du narrateur dans l'idée d'être possédé par un être

supérieur en lui donnant la preuve que le cerveau humain comporte des failles et

qu'il peut facilement se dérégler. Ainsi, dès son retour en province, le diariste verra

ses symptômes s'aggraver, ce qui le conduira vers la démence la plus totale et le

précipitera dans la mort. Plutôt que de constituer un véritable adjuvant dans cette

quête au Hoda, le savant ne fait que donner une fausse espérance de salut au

narrateur dont le mal reste incurable.

108 Guy de Maupassant, Contes et nouvelles II, op. ci!., p. 933. Les paroles du docteur Parent rapportées par le narrateur en date du 16 juillet dans son journal allaient comme suit: {( Quand cette intelligence demeurait encore à l'état rudimentaire, cette hantise des phénomènes invisibles a pris des formes banalement effrayantes. De là sont nés les croyances populaires au surnaturel, les légendes des esprits rôdeurs, des fées, [ ... ] Mais, depuis un peu plus d'un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur une voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. » Ibid., pp. 922-923.

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Mise en parallèle des deux épisodes

Formant tous deux des épisodes indépendants de la narration des états

d'âme du narrateur, les passages relatant ses voyages se démarquent par leur

construction originale. À cet égard, on note que l'excursion au Mont-Saint-Michel,

racontée à rebours un mois après les événements, de même que le séjour parisien,

sorte de nouvelle autonome dans laquelle on nous présente plusieurs personnages qui

ne réapparaîtront pas, font abondamment usage du discours direct. Cet accès à des

voix autres permet au narrateur de prendre du recul par rapport à sa situation, mais

surtout d'observer des personnes qui lui sont étrangères et d'entreprendre des

conversations avec elles, ce qui l'aide par conséquent à prendre ses distances par

rapport au Roda qui paraît s'être subitement endormi. N'étant plus seul, il voit son

esprit distrait par différents protagonistes et en oublie ses ennuis. Or, sans qu'il en ait

véritablement conscience, dans ces deux épisodes, on ne fait que rejouer son propre

drame. Le moine, isolé au sommet du mont fantastique, qui lutte quotidiennement

contre la force invisible, instable et destructrice du vent, double la condition du

narrateur lui-même aux prises avec une puissance occulte aux attributs semblables. Il

en va de même pour Madame Sablé qui répète la situation du narrateur en étant

contrainte d'obéir aux suggestions imposées par le médecin. Tout comme son cousin

gouverné par le Rorla, elle perd soudainement son libre arbitre pour répondre aux

commandements qui lui ont été donnés. Ainsi, même durant sa cavale, le diariste ne

peut chasser complètement le Rorla de ses pensées car, indépendamment de sa

volonté, il rencontre les échos de sa propre possession.

Métaphores de la condition humaine sur le point d'être mise en état de

servitude, le personnage de la cousine tout comme ceux peints dans la légende

absurde du moine annoncent de manière funeste l'évolution négative à laquelle

l 'homme semble fatalement soumis: «Le Rorla va faire de l'homme ce que nous

avons fait du cheval et du bœuf: sa chose, son serviteur et sa nourriture, par la seule

puissance de sa volonté.109 » Réduite à suivre son instinct, la cousine hypnotisée, tel

un animal dressé en vue de répondre aux besoins de son maître, obéit servilement à

des ordres sans pouvoir juger de la pertinence de ceux-ci. Devant le refus de son

cousin de lui prêter la somme demandée, elle perd sa faculté de communiquer, se

109 Ibid., p. 933.

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contente de bégayer, de pleurer et de pousser des cris de souffrance comme une bête

anticipant une correction de son maître. On rencontre cette même association de

l'homme et de la bête dans l'épisode du Mont-Saint-Michel. L'histoire du religieux

met en scène un berger conduisant un bouc à tête d'homme et une chèvre à tête de

femme qui lancent des cris ressemblant «tantôt à des bêlements, et tantôt à des

plaintes humaines. llo » Par leur nature hybride, ces personnages de légende

préfigurent l'avenir du genre humain destiné à régresser au stade de l'animal. Durant

ses excursions, les personnes rencontrées par le diariste ou celles dont il entend

parler ne font qu'illustrer ce qui se trame dans sa propre conscience ; sa crainte de

devenir l'esclave d'une forme de vie supérieure s'incarne en eux.

En sortant de l'espace clos de sa demeure, le narrateur a l'impression de vivre

des moments de répit, mais leur bénéfice sera de courte durée, puisque c'est

précisément durant ses voyages qu'il reçoit la confirmation de ce qu'il redoute le

plus: la faiblesse de l'homme le rend vulnérable à la domination de forces occultes

qui restent indétectables par les organes dont il dispose. Cette idée née de

l'agencement des discours du moine sur l'imperfectibilité des sens et des

affIrmations du docteur sur la possibilité de dominer autrui lui fait perdre tout contact

avec la réalité en lui faisant imaginer des visions terrifiantes. Les épisodes au cours

desquels il se sent frôlé par le Horla comme un vent aspirant ses énergies vitales de

même que ceux où il se croit forcé de manger des fraises ou de retourner dans sa

maison en raison d'une volonté imposée par cet Autre capable de contrôler son esprit

à distance sont d'ailleurs des fantasmes évidents engendrés par l'appropriation des

propos des deux personnages. La tragédie du narrateur est donc d'avoir cru que ces

forces existent et d'y avoir cru avec tellement de conviction qu'elles ont aliéné sa

vie entière. Seul et sans espoir de salut, il n'aura d'autre solution que de se tuer.

110 Ibid., p. 918.

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CONCLUSION

Devenu un classique de la littérature fantastique, Le Horla de Maupassant

occupe une place privilégiée au sein de sa production de courts récits de telle sorte

que la critique le considère comme l'aboutissement de ses recherches formelles et

thématiques. En effet, les premiers contes apparentés à ce genre particulier se

présentent comme un laboratoire dans lequel l'auteur analyse les mécanismes

d'écriture propres à créer l'ambiguïté inhérente à ce type de littérature et à

déstabiliser le lecteur. À travers les centaines d'anecdotes angoissantes qui ont frayé

la voie au Horla, l'écrivain s'est forgé un style d'écriture personnel alliant, entre

autres, une syntaxe souple épousant parfaitement les émotions des personnages et

l'usage de métaphores frappantes illustrant l'univers trouble dans lequel ils évoluent.

Mais surtout, il a su trouver son originalité propre en donnant un tour d'écrou inédit

au fantastique dont on peut observer les effets dans Le Horla, oeuvre dans laquelle

l'auteur a le mieux exprimé son génie créateur. La nouvelle, fruit d'un long

processus de maturation, n'est certes pas née subitement dans un éclair d'inspiration.

Bien que nous ne puissions reconstruire de manière exhaustive l'univers historico­

discursif dans lequel le récit a vu le jour, les indices de la germination du projet,

disséminés dans sa correspondance, dans l'ensemble de son œuvre et dans ses écrits

théoriques, nous renseignent tout de même avec suffisamment de précisions pour

effectuer la remontée génétique du projet.

Pour un fantastique intériorisé: folie et sciences occultes

À l'époque où Maupassant commence à rédiger ses contes, le fantastique

s'essouffle; l'arsenal des prodiges du surnaturel: apparitions de revenants, objets

prenant soudainement vie, possessions diaboliques, ne produit plus l'enchantement

voulu chez les lecteurs. Très conscient du fait que le fantastique, au bord de l'abûue,

presque tombé en désuétude, doit se renouveler s'il veut survivre, l'écrivain cherche

à regagner la faveur du public pour ce genre particulier. S'étant d'abord soumis aux

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principes du fantastique traditionnel en composant des récits étranges dans lesquels

des objets disposent de pouvoirs mystérieux (La Main d'écorché, La Chevelure) ou

des fantômes de disparus viennent hanter les vivants (Apparition, Lui ?), Maupassant

fmit par se détourner des histoires surnaturelles pour se concentrer sur l'évocation de

la peur ressentie devant l'inexplicable. Plutôt que d'insister sur l'aspect

extraordinaire de faits insolites, il cherche à rendre compte du profond

bouleversement qu'engendre cette émotion saisissante capable à elle seule de

défigurer le réel. En passant d'un fantastique extérieur où des phénomènes

incroyables ébranlent le scepticisme des personnages à un fantastique intérieur qui

met en scène les craintes existentielles éprouvées par des êtres sensibles devant les

mystères de la vie et de la mort, Maupassant infuse au genre un sang nouveau.

Pour mettre au point ce fantastique intériorisé, Maupassant, fasciné par toutes

les formes de déviations mentales, visite régulièrement les asiles en plus de se mettre

au parfum des plus récentes recherches effectuées dans le domaine de la para­

médecine. Comptant avec Freud parmi les célèbres auditeurs des cours du docteur

Charcot à la Salpêtrière, il s'intéresse également aux travaux de l'École de Nancy

portant sur l'hypnose et le magnétisme. Ces incursions dans le monde des pseudo­

sciences laisseront des traces dans l'œuvre de Maupassant: du personnage de Donato

qui souhaite révéler les mystères de l'inconscient à un public incrédule par

l'intermédiaire d'une expérience de magnétisme (Magnétisme, 1882) à Madame de

Sablé qu'on endort pour procéder à une séance d'hypnotisme (Le Hor/a, 1887) en

passant par Jacques Parent qui s'étonne de ses pouvoirs de magnétiseur (Un fou

?,1884), l'écrivain exploite depuis ses tous premiers débuts ces phénomènes encore

mal compris, situés à mi-chemin entre les sciences occultes et la psychopathologie,

sans jamais confirmer leur efficacité. Entretenant lui-même de sérieux doutes à

l'égard de ces « tours» inaptes à apporter un réel soulagement des souffrances, il ne

sait s'il doit les considérer telles des supercheries de prestidigitateur ou des percées

scientifiques novatrices.

Pour un nouveau fantastique: attrait pour la psychologie moderne

D'un texte à l'autre, l'auteur reprend et peaufme les thèmes découlant des

nouvelles conquêtes de la psychologie contemporaine qui, malheureusement,

n'apportent jamais une véritable amélioration à la condition humaine. Parmi ces

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derniers, celui du dédoublement de la personnalité, abordé dès 1881 dans le conte Sur

l'eau et traité sommairement dans le premier Horla, devient le point focal autour

duquel s'organise le récit de la nouvelle défmitive. Comme le mentionne Mariane

Bury, Maupassant s'est véritablement inspiré des principes exposés par Taine dans

De l'intelligence (1870) selon lesquels deux pensées, deux actions et deux volontés

coexistent au même moment dans la même personne: les êtres n'ont conscience que

d'une seule, l'autre étant attribuée à des êtres invisibleslll . Du premier au second

Horla, les stratégies déployées par Maupassant pour rendre compte de l'épreuve

endurée par un individu éprouvant une scission de sa personne s' affment, ce qui

engagera le fantastique sur une voie nouvelle en l'orientant sur le terrain des

déviations psychologiques. Intéressé par les différentes manifestations de la folie, il

montre qu'un petit événement, en apparence banal, peut faire naître des psychoses

graves chez certains individus. Aux prises avec divers dérèglements pathologiques

latents, ces derniers voient leurs craintes les plus profondes et leurs secrets

inavouables refaire surface par la simple perception d'une odeur, d'un son ou d'un

objet qui vient déterrer ce qui était enfoui au fond de leur âme. Leur réalité familière

se transforme en un cauchemar, puisque leurs obsessions, leurs fantasmes, voire leurs

perversions, les amènent à imaginer un monde terrifiant peuplé de créa~es

improbables et de spectres invisibles à l'image de leur conscience perturbée. Rongés

par le doute qu'ils entretiennent sur leur existence et vidés de leurs forces, ils nous

transmettent leurs poignantes sensations nées de la perte de contact avec le réel.

D'un Horla à l'autre: vers une nouvelle poétique du fantastique

Voyager d'un Horla à l'autre permet véritablement d'apprécier l'évolution du

fantastique maupassien qui délaisse les principes traditionnels mis en œuvre par ses

prédécesseurs pour se doter de moyens originaux capables d'entraîner le lecteur dans

un univers insolite et inquiétant. En ce sens, la génétique constitue une voie d'accès

privilégiée pour mettre au jour les opérations de transformations par lesquelles le

texte initial a dû passer avant de devenir le chef-d'œuvre aujourd'hui reconnu par

III Bury montre dans son article les liens qui unissent Le Hor/a de Maupassant et les théories exposées par Taine dans son traité intitulé De I1ntclligence. Ce dernier, qui considère l'intelligence à partir des dérèglements vus non pas comme des défaillances, mais telles des manifestations de l'intelligence, pose que le moi n'est qu'une juxtaposition d'images et de sensations qui peuvent être multipliées. Comme nous ne percevons pas l'entièreté des images qui composent le monde, une grande partie de notre moi nous échappe, parce que d'autre chose existe, sans être visible. Dans ce sens, le Hotla est cetre autre chose. Mariane Bury, Maupassant, Le Hor/a et autres contes fantastiques, Paris, LGF, 2000, pp. 355-361.

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l'institution littéraire. L'observation des différences entre le texte initial, le manuscrit

et la version fmale débouche sur la reconstruction du trajet parcouru par l'auteur pour

arriver à l' œuvre dans son état de perfection, tout en dévoilant la marche progressive

de la composition faite de réussites, d'impasses et de régressions qui laissent deviner

l'origine du projet de l'écrivain et mettent en lumière les spécificités esthétiques

participant à son émergence. Bien que Maupassant ne soit pas un écrivain à

programme, puisqu'il semble préférer se lancer dans la rédaction sans se sentir

contraint par un plan ou un scénario, nous pouvons retracer la trajectoire de la

composition en comparant Le Horla de 1886, qui se présente comme la version

préliminaire en servant à l'organisation de la matière du texte, et l'œuvre défmitive,

publiée un an plus tard.

Les modifications opérées d'une verSIOn à l'autre révèlent que l'écrivain

cherche non plus à insinuer la présence du surnaturel, mais à montrer que le

quotidien même banal peut soudainement devenir étrange. L'ensemble des

composantes du monde, appréhendées par les sens, peut prendre une allure

inquiétante lorsque ces derniers renvoient une image inusitée de la réalité la rendant

tout à coup inexplicable. C'est précisément dans le but de rendre compte de cette

distorsion du réel génératrice d'angoisses que Maupassant ajuste son premier récit. Il

peaufme sa stratégie pour persuader son lecteur qu'il assiste à une réelle confession

en modifiant la situation du personnage narrant son étrange histoire. En substituant le

patient d'asile contraint de rassurer son auditoire quant à sa santé mentale au diariste

anonyme qui écrit pour lui-même le récit de ses aventures bizarres en tentant de

mettre de l'ordre dans ses pensées, les événements acquièrent une plus grande

crédibilité. Bien que les dires du malade de la première version soient cautionnés par

le docteur Marrande, une autorité compétente qui amène le lecteur à remettre en

cause ses certitudes, rien n'empêche que ce dernier soit floué par son patient. Au

contraire, dans le texte fmal, la communication n'a en apparence d'autre fonction que

d'être l'exutoire de souvenirs récents chargés d'émotions. N'ayant rien à prouver à

qui que ce soit, son discours n'est pas perverti par des formules rhétoriques cherchant

à gagner l'appui d'autres et paraît traduire sa véritable perception de sa réalité. En

l'absence de témoins pouvant ratifier ou dénoncer ses propos, le lecteur devient le

prisonnier de la conscience du narrateur se chargeant à elle seule de transmettre une

vision de la réalité. En supprimant les interventions d'autres protagonistes, l'écrivain

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limite son récit à la CrIse existentielle d'un unIque personnage terrorisé par

l'impression d'être gouverné par un Autre, ce qui ne permet pas au lecteur de savoir

s'il est en présence d'un aliéné mental ou d'un individu hypersensible qui subit le

premier les lois d'un être sur le point de dominer l'humanité. L'insolite, qui surgit

donc de la conscience même du personnage, offre au lecteur un contact direct avec

l'étrangeté d'un moi qui se dissout peu à peu, puisqu'il subit une immersion totale

dans cet esprit malade.

Le manuscrit: la volonté réaliste

Si les grandes articulations chronologiques et narratives du récit ont été mises

en place dans le Horta de 1886, la textualisation des éléments sous forme de journal

intime progresse dans le manuscrit. L'unique manuscrit dont nous disposons, qui

laisse croire que l'œuvre a été rédigée d'un seul jet, dévoile que l'invention du texte

(puisqu'il n'est nullement question d'un recopiage) passe largement par le processus

d'écriture qui permet aux mots de s'accrocher les uns aux autres. Composant sans

plan initial, Maupassant procède à la mise en phrases de manière continue et

cumulative en ajustant son récit antérieur par des mouvements d'amplifications

servant à traduire avec plus de justesse les actions et les pensées de son personnage.

Ainsi, le cours de l'écriture, aussi spontané paraisse-t-il, ne progresse qu'avec le

souci d'adapter le contenu de son texte aux nouvelles perspectives d'écriture qu'il

souhaite mettre en place. Les campagnes de corrections apportées par l'écrivain

trahissent sa volonté de conférer plus de réalisme au récit tout en offrant une écriture

esthétique et raffinée pour le plaisir du lecteur. Ainsi, Maupassant retouche

scrupuleusement son vocabulaire pour éviter les répétitions de termes à termes trop

proches qui gêneraient la lecture tout en prenant soin d'en conserver pour donner

l'illusion de la spontanéité avec laquelle le diariste est censé coucher ses pensées et

pour reproduire la rhétorique de l'incertitude du narrateur contraint d'invalider et de

renouveler constamment ses hypothèses au sujet de l'Autre qui le gouverne. Les

retouches effectuées par l'écrivain révèlent également sa volonté de mettre au point

un langage capable de traduire la montée du désarroi du personnage; plus la

présence de l'inconnu se fait obsédante, plus le diariste aura du mal à formuler de

façon claire ses pensées. Cette dissolution du langage, marquée par les parataxes, la

ponctuation folle et les bris syntaxiques, évoque l'impossibilité de l'être humain de

se comprendre. Les efforts qu'il déploie pour saisir le monde demeurent vams,

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puisqu'il ne peut le percevoir que par des instruments imparfaits. Condamné à vivre

emprisonné dans lui-même, l'homme n'a pas accès à la connaissance du monde: sa

pensée reste captive, enfermée dans la machine dis fonctionnelle de son corps. La

promesse de suicide sur laquelle se clôt le dernier Horla s'apparente alors à un aveu

d'impuissance; malgré ses efforts, le narrateur, engagé dans une lutte inégale avec

«l'inconnu invisible », restera à jamais dans l'ignorance. Véritable supplicié victime

de son hyperacuïté sensorielle qui le rend différent des autres par sa capacité à sentir

l'irréel, il ne pourra jamais s'accomoder de ses prédispositions. Fatalement, sa

lucidité et son intelligence ne le conduiront que dans l'abîme du doute et des

incertitudes.

Le second Horla se présente ainsi comme une métaphore pessimiste de

l'aliénation de l'homme qui, bercé par l'illusion de réalité que lui fournissent ses

sens, n'arrivera jamais à saisir entièrement le monde dans lequel il vit. L'ajout des

deux sorties du diariste, d'abord au Mont-Saint-Michel, puis à Paris confIrme cette

nouvelle donnée thématique. D'une part, la visite au monastère vient appuyer l'idée

de l'incapacité de la religion à fournir des réponses sur la réalité ultime de

l'existence. S'inspirant de ses nouvelles antérieures telles La Légende du Mont-Saint­

Michel, Maupassant tourne subtilement en dérision les pouvoirs des représentants de

Dieu sur Terre, puisque ces derniers n'ont pas plus accès aux connaissances que les

hommes ordinaires. Variation sur la célèbre boutade de Voltaire « Dieu a fait

l'homme a son image et il le lui a bien rendu », le passage de l'abbaye dévoile que

pour l'écrivain, les croyances religieuses ne sont que des vues de l'esprit erronées

destinées à satisfaire arbitrairement la quête de savoir des hommes. D'autre part, le

séjour parisien traduit les visions de l'auteur face à la science. Cette dernière avance,

progresse sans pourtant jamais apporter de véritables réponses au mystère de la

création. Souvent éphémères, les découvertes scientifIques se renouvellent en

détruisant celles qui les ont précédées, ce qui les rend très fragiles. L'expérience

d'hypnose exécutée par le docteur Parent sur la cousine du narrateur ne sera d'aucun

secours pour le narrateur, puisqu'elle ne fait que confIrmer l'existence de puissances

inexplicables, ce qui précipitera la chute du narrateur.

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Le deuxième Horla illustre donc le regard pessimiste de Maupassant et

dévoile les bases de sa conception désenchantée de l'existence. Précurseur d'un

nouveau fantastique duquel le surnaturel est évacué, il annonce effectivement le

tournant majeur que prendra le genre au début du XXe siècle, engagé par Franz

Kafka. L'auteur du Procès, aussi désillusionné par rapport à l'existence que son

prédécesseur français, achèvera de dépouiller le fantastique de toute forme

d'épouvante et de toute allusion à l'insolite. Ses personnages, plongés dès que

s'ouvre le récit dans l'univers absurde du quotidien, ne chercheront plus à trouver

une explication logique à leur situation, mais seront contraints de s'adapter à la

réalité inexplicable de notre monde et devront assumer leur condition. Partageant une

vision dramatique de la condition humaine, les deux auteurs ont opéré une rupture

avec la tradition fantastique en préférant exprimer le malaise de l'homme face à sa

propre existence, plutôt que de montrer l'inquiétude face à des événements

extraordinaires. Victimes de leur hypersensibilité de créateur, ces artistes, condamnés

à poser un regard lucide sur la vie, demeurent des écorchés vifs qui ne peuvent

exprimer leur malaise que par la plume. A veux de leur impuissance à changer le

monde, leurs œuvres, reflets d'eux-mêmes et des autres, agissent pourtant avec

vigueur sur la sensibilité des lecteurs.

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Annexe 1

Dossier génétique du Horla

Premier état Deuxième état de texte Troisième état de texte de texte Le manuscrit du Horla 2 (1887)

Et Lettre d'un fou Horla 1 (1886) Quatrième état de texte (1885) Version publiée du Horla 2 (1887r

Forme Nouvelle épistolière Récit encadrant: Le Dr Marrande Journal intime présente à ses collègues un cas bizarre. Récit enchâssé: Le patient raconte de vive voix sa propre histoire.

Durée de Inconnue Une année Environ 4 mois, du 8 mai au 10 septembre

l'histoire Lieu Inconnu 1) Episode encadrant : asile 1) Propriété à Biessard, (Repris du Horla 1 avec quelques

2) Épisode enchâssé : propriété à moditica tions)

Biessard, sur le bord de la Seine, 2) Départ pour le Mont-St-Michel (Ajout) auprès de Rouen

3) Retour, puis départ pour Paris (Ajout)

4) Retour, puis départ pour Rouen (Ajout)

5) Retour à la propriété de Rouen. (Repris du Horla 1 avec quelques modifications)

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Situation Après avoir Après avoir demandé à être interné, le Le diariste se présente brièvement en exposant ses réflexions sur la

initiale demandé à être narrateur se présente aux psychiatres et faiblesse des sens humains et en racontant l'apparition des premiers interné, le narrateur rapporte ses premiers symptômes symptômes: angoisse et fièvre (Repris du Horla 1 avec quelques rapporte ses (angoisse d'un sommeil dangereux) modifications) symptômes (Inspiré de la LeUre d'un fou, largement

modifié)

Nœud 1) Réflexions sur la 1) Quatre manifestations du Horla 1) Excursion au Mont-Saint-Michel (Ajout)

(progression faiblesse des sens (Inspiré de la Lettre d'un fou, humains largement modifié) 2) Première manifestation du Horla (Repris du Horla 1 avec

des actions) quelques modifications) 2) Trois 2) Réflexion sur la faiblesse des sens manifestations de humains (Inspiré de la LeUre 3) Départ pour Paris (Ajout) l'être invisible d'un fou, largement modifié)

4) Seconde apparition du Horla (Repris du Horla 1 avec 3) Preuves en faveur de l'existence quelques modifications)

objective du Horla (Ajout) 5) Déplacement à la bibliothèque de Rouen (Ajout)

6) Troisième manifestation du Horla (Repris du Horla 1 avec quelques modifications)

7) Preuves en faveur de l'existence objective du Horla (Repris du Horla 1 avec quelques modifications)

8) Quatrième manifestation du Horla (Repris du Horla 1 avec quelques modifications)

Dénouement L'épistolier affirme Le Dr. Marrande affirme ne pas savoir si Le diariste met le feu à sa propriété et affirme vouloir se suicider attendre àjamais la son patient est fou ou si le Horla envahira venue du l'humanité Horla

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Manifestations 1) Effleure les 1) Boit l'eau et le lait du narrateur 1) Boit l'eau et le lait du narrateur durant la nuit (Repris du

du Horla cheveux du durant la nuit (Ajout) Horla 1 avec quelques modifications) narrateur

2) Cueille une rose du parterre 2) Cueille une rose du parterre (Repris du Horla 1 avec (Ajout) quelques modifications)

2) Fait craquer le parquet 3) Lit l'ouvrage Nuit de Mai de 3) Lit le traité sur Les mani{§stations d'êtres invisibles Dar

Musset posé sur la table de chevet Hermann Herestauss (Inspiré du Horla 1, plusieurs 3) Dérobe le reflet du narrateur (Ajout) modifications) du narrateur

4) Dérobe le reflet du narrateur 4) Dérobe le reflet du narrateur (Repris du Horla 1 avec (Repris de la Lettre d'un/ou avec quelques modifications) quelques modifications)

Preuves de Aucune 1) Constatation qu'un voisin et que 1) Constatation qu'un voisin souffre de maux identiques

l'existence son cocher souffrent de maux (Complètement supprimé) et constatation que le cocher

objectives du identiques aux siens.(Ajout) souffre de maux identiques (repris avec quelques

modifications) HorIa 2) Lecture du Journal de Sao Paulo

rapportant une épidémie de folie 2) Lecture de La Revue scientifique rapportant une épidémie dans la région sud-américaine et de folie dans la région et évocation du Trois-Mâts brésilien évocation du Trois-Mâts brésilien voguant sur la Seine. (Inspiré du Horla 1, plusieurs voguant sur la Seine. (Ajout) modifications)

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i Puisque le manuscrit et la version définitive du second Horla possèdent la même structure, nous avons choisi de les regrouper. Toutefois, il s'agit bel et bien de deux états de textes différents, car Maupassant, bien qu'il ne modifie pas le plan d'ensemble de sa nouvelle, procède à maintes corrections de la langue. Conservé au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale en France et publié par Yvan Leclerc (Le Horla, Zulma, CNRS, coll. Manuscrits, 1993), le manuscrit comprend 35 feuillets écrits uniquement au recto. La marge de chacun des feuillets est marquée par un pli réglé au tiers de la largeur du papier et l'auteur se sert de cet espace pour effectuer des corrections ainsi que des additions pouvant facilement être identifiées.

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BmLIOGRAPIDE

1) Éditions de référence 1 corpus de textes

Maupassant, Guy de, Contes et Nouvelles/préf. d'Armand Lanoux, éd. établie par Louis Forestier, Paris, rééd, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992 et 1993, 2 vol., XXVII-1766 + LXXXV-1668 p.

Leclerc, Yvan, Le Horla, manuscrit transcrit et annoté, Zulma/ BN/CNRS, 1993, 104 p.

Maupassant, Guy de, Le Horla et autres récits fantastiques/édition présentée et annotée par Mariane Bury, Paris, LGF, 2000, 381 p.

2) Corpus critique sur Guy de Maupassant

2.1) Biographies

Andry, Marc,« Bel-Ami, c'est moi! », Paris, Presses de la Cité, 1982,251 p.

Bienvenu, Jacques, Maupassant inédit, iconographie et documents commentés, Aix-en­Provence, Edisud, 1993, 125 p.

Dubosc, Georges, Trois Normands: P. Corneille, Flaubert, Maupassant, Rouen, Défontaine, 1917.

Dufils, Lucien, La mystérieuse naissance de Guy de Maupassant, Paris, La Pensée universelle, 1986, 74 p.

Frébourg, Olivier, Maupassant, le clandestin, Paris, Mercure de France, 2000, 192 p.

Gicquel, Alain-Claude, Maupassant tel un météore, Bordeaux, Le Castor Astral, 1993, 265 p.

Gicquel, Alain-Claude, Tombeau de Guy de Maupassant, Paris, Éd. l'Incertain, 1993, 83p.

Kirkbridge, R de L, The Private Life of Guy de Maupassant, London, Hamilton, 1961.

Lanoux, Armand, Maupassant le Bel-Ami, Paris, L.G.F., 1983, 604 P

Lerner, Michael G., Maupassant, London, G. Allen et Unwin, 1975,301 p ..

Leroy-Jay, Hubert, Guy de Maupassant, mon cousin: souvenirs familiaux et réflexions diverses, Luneray, Éd. Bertout, La mémoire normande, 1993, 77 p.

Morand, Paul, Vie de Guy de Maupassant, p.413-536 dans Oeuvres, Paris, Flammarion, 1981,731 p. [1ère éd. Ibid., 1942]

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Pouchain, Gérard, Promenades en Normandie avec un guide comme Guy de Maupassant, préface de Catherine Tolstoï-Lanoux, Condé-sur-Noireau, Éd. Ch. Codet, 1986,224 p.

Réda, Jacques, Album Maupassantliconogr. choisie et présentée par J. Réda, Paris, Gallimard, 1987,325 p.

Satiat, Nadine, Maupassant, Paris, Flammarion, Grandes Biographies, 2003, 712 p.

Schmidt, Albert-Marie, Maupassant, Paris, Éd. du Seuil, 1976, 191 p.

Troyat, Henri, Maupassant, Paris, Flammarion, 1989,284 p.

Wallace, Albert H., Maupassant, New York, Twayne, 1974.

2.2) Ouvrages critiques

Bancquart, Marie-Claire, Maupassant conteur fantastique, Paris, Lettres Modernes, Minard, 1976, 112 p.

Bancquart, Marie-Claire, Images littéraires du Parisfin-de-siècle, Paris, Éd. La Différence, 1979,266 p.

Bayard, Pierre, Maupassant juste avant Freud, Paris, Éd. de Minuit, 1994, 228 p.

Besnard-Coursodon, Jacqueline, Étude thématique et structurale de l'oeuvre de Maupassant: le piège, Paris, Nizet, 1973,279 p.

Bessière, Jean et al., Le double: Chamisso, Dostoïevski, Maupassant, Nabokov, Paris, H. Champion, 1995.

Bienvenu, Jacques, Maupassant, Flaubert et le Horla, Marseille, Éd. Muntaner, 1991.

Bonnefis, Philippe, Comme Maupassant, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1981,

149p.

Bozzetto, Roger et Alain Chareyre-Méjan, Les Horlas : récits / Guy de Maupassant, Arles, Actes Sud, 1995.

Brighelli, Jean-Paul, Maupassant, Paris, Ellipses, Mentor, 1999.

Bryant, David, The Rhetoric of Pessimism and Strategies ofContainment in the Short Stories of Guy de Maupassant, Lewinston, Edwin Mellen Press, 1993.

Bury, Mariane, Maupassant, Paris, Nathan, Balise écrivains n° 10, 1992, 125 p.

Bury, Mariane, La poétique de Maupassant, Paris, SEDES, 1994, 303 p.

Caillois, Roger, Anthologie de la littérature fantastique, Paris, Gallimard, 1966.

Camus, Renaud, Vie du Chien Horla, Paris, POL, 2003, 122p.

Castex, Pierre-Georges, Le Conte fantastique en France, de Nodier à Maupassant, Paris, Corti, 1951, nouv. éd., 1971,466 p.

Cogny, Pierre, Le Maupassant du Horla, Paris, Minard, 1970.

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Cogny, Pierre, Maupassant, peintre de son temps, Paris, Larousse, 1975, 176 p.

Danger, Pierre, Pulsion et désir dans les romans et nouvelles de Guy de Maupassant, Paris, Nizet, 1993,216 p.

Delaisement, Gérard, Maupassant journaliste et chroniqueur, Paris, A. Michel, 1956, 302p.

Delaisement, Gérard, Guy de Maupassant: le témoin, l'homme, le critique, Orléans : C.R.D.P. d'Orléans-Tours, 1984,2 vol., 285 + 259 p.

Delaisement, Gérard, La Modernité de Maupassant, Paris, Rive Droite, 1995, 308 p.

Dobransky, Michel, Le Fantastique. Texte étudié: Le Hor/a de Maupassant, Paris, Gallimard, 1993, 120 p.

87

Dugan, John Raymond, Illusion and Reality : A Study of Descriptive Techniques in the Works of Guy de Maupassant. La Haye, Mouton & Co, 1973.

FarnlOf, Hans, L'Art du récit court. Pantins et parasites dans les nouvelles de Maupassant, Université de Stockholm, Éd. Gunnel Engwall & Jane Nystedt, Forskningsrapporter/Cahiers de la recherche nO 12, 2000, 190 p.

Fonyi, Antonia, Maupassant, 1993, Paris, Kimé, 1993,209 p.

Gengembre, Gérard, Le Horla de Maupassant, Paris, Pocket, 2003, 124p.

Giacchetti, Claudine, Maupassant: espaces du roman, Genève: Droz, 1993,241 p.

Haezewindt, Bernard P. R., Guy de Maupassant: de l'anecdote au conte littéraire, Amsterdam, Rodopi, 1993.

Harris, Trevor A. Le V., Maupassant in the Hall of Mirrors. Basingstoke, MacMillan, 1990.

Jacobee-Biriouk, Sylvie, Étude sur Guy de Maupassant, Le Horla, Paris, Ellipses, 1999, 93p.

Lehman, Tuula, Transitions savantes et dissimulées. Une étude structurelle des contes et nouvelles de Guy de Maupassant, Helsinki, Societas Scientiarum Fennica, Commentationes humanarum litterarum; 92, c1990, 246 p.

Lintvelt, Jaap, Aspects de la narration. Thématique, idéologie et identité (Guy de Maupassant, Julien Green, Anne Hébert, Jacques Anlin), Paris/Québec, Nota BenelL'Harmattan, coll. Littérature(s), 2000, 306 p.

Macnamara, Matthew, Style and vision in Maupassant's Nouvelles, BernelFrancfort­slM./New York, P. Lang, 1986.

Malrieu, Joël, Le Horla de Guy de Maupassant, Paris, Gallimard, Foliothèque n051, 1996.

Pasquet, Martin, Maupassant: biographie, étude de l'oeuvre, Paris, Albin Michel, coll. Classiques, 1993, 187 p.

Poyet, Thierry, L 'Héritage Flaubert-Maupassant, Paris, éd. Kimé, 2000, 280 p.

Schasch, Nahissa A.F., Maupassant et le fantastique ténébreux, Paris, Nizet, 1983.

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Strôzynski, Tomasz, Les Jeux de l'être et du paraître dans les contes et nouvelles de Guy de Maupassant, Lublin, Wydawnictwo Uniwersytetu Marli Curie-Skodowskiej, 1990, 269p.

Turiel, Frédéric, Maupassant,' biographie, étude de l'œuvre, Vuibert, Studio thème, 1999, 187 p.

Wallace, A.H., Guy de Maupassant, New York, Twayne, 1973.

Wald Lasowski, Patrick, Syphilis " essai sur la littérature française du XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1982, 165 p.

2.3) Numéros spéciaux, revues savantes et actes de colloques

Dix-neuf-Vingt, Revue de littérature moderne,« Maupassant », n06, octobre 1998.

École des Lettres, nO 13, juin 1993, nO spécial Guy de Maupassant, 1.

Etudes normandes, n03, nO spécial Flaubert et Maupassant (1), 1988,96 p.

Etudes normandes, n02, nO spécial Flaubert et Maupassant (2), sous la dir. d'Yvan Leclerc, 1990, 144 p.

Etudes normandes, n01, n° spécial Flaubert et Maupassant (3), sous la dir. d'Yvan Leclerc, 1992, 92 p.

Europe, nO spécial, Guy de Maupassant, n049, juin 1969,224 p.

Europe, nO spécial, Guy de Maupassant, n0772-773, août-septembre 1993,217 p.

Flaubert et Maupassant écrivains normands, Rouen, Éd. Joseph-Marc Bailbé et Jean Pierrot, publication de l'Université de Rouen, PUF, 1981.

Magazine littéraire, dossier Maupassant, « 'homme qui osait », p.6-8, n024, décembre 1968.

Magazine littéraire, dossier Maupassant, p.8-25, n0156, janvier 1980, 74 p.

Magazine littéraire, n° double, dossier Guy de Maupassant, p.16-97, nO 310, mai 1993, 162p.

Maupassant et Tourgueniev, actes du colloque de Bougival par l'Association des amis d'Ivan Tourgueniev, Cahiers Ivan Tourgueniev, Pauline Viardot, Maria Malibran, n017-18, 1993-1994, sous la dir. d'Alexandre Zviguilsky.

Maupassant conteur et romancier: actes du colloque de Durham/textes réunis et éd. par Christopher Lloyd et Robert Lethbridge, Durham: University of Durham, Durham Modem Languages Series, FM9, 1994,201 p.

Maupassant et l'écriture: actes du colloque de Fécamp 21-22-23 mai 1993/ sous la dir. de Louis Forestier, Nathan, 1993, 302 p.

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Maupassant et les pays du soleil, actes du colloque de Marseille des 1 er et 2 juin 1997, Éd. Jacques Bienvenu, Klincksieck, 1999, 147 p.

Maupassant multiple: actes du colloque de Toulouse des 13-15 décembre 1993, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, Les Cahiers de Littérature, 1993.

Maupassant, miroir de la nouvelle: colloque de Cerisy:-la-salle, 27 juin-7 juillet 1986/publié par Jacques Lecanne et Bruno Vercier, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 1988, 284 p.

Maupassant 2000, actes des colloques organisés à l'occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Maupassant, Rouen, Bulletin des Amis de Flaubert et de Maupassant, nO

spécial, n09, 2001, 355 p.

Revue d'Histoire littéraire de la France,« Maupassant », t. XCIV, n075, septembre­octobre 1994, p.740-928.

Revue des sciences humaines,« Imaginer Maupassant », n °235, juillet-septembre 1994, 162p.

2.4) Articles

Aga-Rossi, Laura, «Hors-là », Berenice, nOl1, luglio, 1984, p.5-l0

Antoine, Régis,« État présent des études sur Maupassant », Revue des Sciences Humaines, n0144, 1971, p.649-655.

Bancquart, Marie-Claire,« Réalisme et mystère chez Barbey d'Aurévilly, Flaubert et Maupassant », Les Amis de Flaubert, n033, décembre 1968, p.4-8.

Bancquart, Marie-Claire, « Un auteur "fin de siècle" ? », Magazine littéraire, n° double, dossier Guy de Maupassant, p.16-97, nO 310, mai 1993, p.47-50.

Bancquart, Marie-Claire, « Une exactitude de l'indicible », Europe, nO spécial, Guy de Maupassant, n0772-773, août-septembre 1993, p.3-6.

Bancquart, Marie-Claire, « Maupassant et Paris », Revue d'Histoire littéraire de la France, Maupassant, t. XCIV, n075, septembre-octobre 1994, p.793-799.

Bannour , Wanda, « De la lecture à l'écriture de récits fantastiques» , dans L'École des lettres Second cycle, Guy de Maupassant (II), Autour du Horla, 85, nO 12, 15 juin 1994, p. 67-98.

Baron, Anne-Marie, « L'expressionnisme de Maupassant, entre Schopenhauer et Gogol », L'École des lettres, nO 12, 1994, p.53-66.

Baron, Anne-Marie, «La description clinique et l'analyse des états-limites chez Maupassant », Revue d'Histoire littéraire de la France, Maupassant, t. XCIV, n075, septembre-octobre 1994, p.765-773.

Besnard, Micheline,« Simples dérives (Sur l'eau) », Littérature, n° 94, 1994, p. 53-67.

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Biasi, Pierre-Marc de, « Flaubert le père symbolique », Magazine littéraire, n° double, dossier Guy de Maupassant, p.16-97, nO 310, mai 1993, pAO-43.

90

Biasi, Pierre-Marc de, «Le Manuscrit du Hoda », Magazine littéraire, nO double, dossier Guy de Maupassant, p.16-97, nO 310, mai 1993, pA4-45.

Bienvenu, Jacques, « Le Hoda et son double », Magazine littéraire, nO double, dossier Guy de Maupassant, p.16-97, nO 310, mai 1993, pA5-47.

Bonnefis, Philippe, « La question du lien », Maupassant. Miroir de la nouvelle. Colloque de Cerisy, Presses Universitaires de Vincennes, 1989, p. 41-59.

Boullard, Bernard, « Paysages normands dans l'œuvre de Flaubert et de Maupassant », Études normandes, n03, 1988, p.71-84.

Branchereau, S., « Contes et nouvelles de Maupassant: une atmosphère de mort », Recherches sur l'imaginaire, n018, 1988, p.129-142.

Bryant, David, « Maupassant and the Writing Hand », dans Maupassant conteur et romancier: actes du colloque de Durham/textes réunis et éd. par Christopher Lloyd et Robert Lethbridge, Durham: University of Durham, Durham Modem Languages Series, FM9, 1994, p.85-96.

Buisine, Alain, « Tel fils, quel père? », dans Le Naturalisme, Colloque de Cerisy, D.G.E., 10/18, 1978, p. 317-337.

Buisine, Alain, « Paris-Lyon-Maupassant », dans Maupassant. Miroir de la nouvelle, p.17-38.

Buisine, Alain, « Le mot de passe », Maupassant et l'écriture: actes du colloque de Fécamp 21-22-23 mai 1993/ sous la dir. de Louis Forestier, Nathan, 1993, p.161-71.

Buisine, Alain,« En haine de Flaubert », Revue des sciences humaines, Imaginer Maupassant, 235, 1994, p. 91-115.

Bury, Mariane, « Rhétorique de Maupassant ou les figures du style simple », Études normandes, n03, 1988, p.63-69.

Bury, Mariane,« Maupassant pessismiste? », Romantisme, nO 61, 1988, p.75-83.

Bury, Mariane, « L'être voué à l'eau », Europe, nO spécial, Guy de Maupassant, n0772-773, août-septembre 1993, p.99-107.

Bury, Mariane, «Récit court et langage dramatique: l'effet dans la poétique de Maupassant» dans Maupassant conteur et romancier: actes du colloque de Durham/textes réunis et éd. par Christopher Lloyd et Robert Lethbridge, Durham : University of Durham, Durham Modem Languages Series, FM9, 1994, p.125-133.

Bury, Mariane, «Le Hoda ou l'exploration des limites », Op. Cit: revue de littératures française et comparée, n05, 1995, p. 245-251.

Bury, Mariane,« Comment peut-on lire Le Hor/a? pour une poétique du recueil », Op. Cit: revue de littératures française et comparée, n05, 1995, p. 253-258.

Bury, Mariane, « La modernité de Maupassant », Bulletin Flaubert-Maupassant, n05, 1997, p.37-46.

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Bury, Mariane,« Le goût de Maupassant pour 1'équivoque », Dix-neuf Vingt, Revue de littérature moderne, n06, octobre 1998, p.83-94.

Cabné, Pierre, « Quelques aspects de la poétique du conte bref», Europe, nO spécial, Guy de Maupassant, n0772-773, août-septembre 1993, p.89-98.

Calder, Martin, « Something in the Water : Self as Other in Guy de Maupassant' s Le Horla. A Barthesian Reading", French Studies, vol. 52, nO 1, 1998, pp. 42-57.

Cali, Andrea, « Histoire encadrante et histoire encadrée, ou de la réception du conte maupassantien », dans La Narration et le sens, 1986, p.101-129.

Castella, Charles,« Maupassant, ou le paradoxe de l'écrivain », dans Statut etfonction de l'écrivain, 1986, p.21-30.

Chambers, Ross, «La Lecture comme hantise: Spirite et Le Horla », Revue des Sciences Humaines, nO 177, 1980, p. 105-117.

Cogman, P.W.M.,« Maupassant's inhibited narrators », Neophilologus, vol. 81, nO 1, novembre 1996, p.35-47.

Cogny, Pierre,« La rhétorique trompeuse de la description dans les paysages normands de Maupassant », dans Le Paysage normand dans la littérature et dans l'art, PUF, 1980, p.159-168. .

Cogny, Pierre,« Maupassant, écrivain de la décadence? », dans Flaubert et Maupassant écrivains normands, Rouen, Éd. Joseph-Marc Bailbé et Jean Pierrot, publication de

-----l'Univ-ersité-de-Rouen~-EUE,J9-81,-p.192--205.-------- --------- --------- --- ---- - -----

Collet, F., « Lecture comparée du début et de la fm du Horla », L'École des Lettres II, n08, 1983, p. 27-31.

Crouzet, Michel, « Une rhétorique de Maupassant », Revue d'Histoire littéraire de la France, vol. LXXX, n02, mars-avril 1980, p.233-262.

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