3
COMPTE-RENDU DE SYMPOSIUM Texte rédigé par D. Obréja S44 AMC pratique Suppl. 3 mai 2010 © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés D’après la communication de S. Laurent Hôpital Européen Georges Pompidou, Service de Pharmacologie, Paris HTA et bêtabloquants : la controverse L e traitement actuel de l’hypertension artérielle a pour objectif de protéger les organes cibles et de réduire le nombre d’événements cardiovasculaires. Les recommandations de la HAS de 2005 indiquent que les 5 classes d’antihypertenseurs ayant montré un bénéfice sur la morbi-mortalité cardiovasculaire, peuvent être proposées en première intention dans l’HTA essentielle non compliquée : diurétiques thiazi- diques, bêtabloquants, inhibiteurs calciques, IEC et ARA II. Les guidelines européennes de 2007, établies par la Société Européenne d’Hypertension (ESH) et l’ESC, maintiennent les mêmes propositions mais les sociétés savantes britanniques (NICE – National Institute for Clinical Excellence) ne considèrent les bêtabloquants qu’en quatrième étape de prescription, après échec de la triple association : antagoniste du système rénine- angiotensine + diurétique + inhibiteur calcique. En 2009, au niveau européen, la réévaluation critique des recommandations de 2007 souligne la grande hétéro- généité de la classe des bêtabloquants et met en avant les molécules ayant une action vasodilatatrice [1]. Bêtabloquants non vasodilatateurs et risque cardio-vasculaire La controverse liée à l’utilisation des bêtabloquants dans l’HTA concerne les résultats de méta-analyses décrivant l’insuffisance de protection des organes cibles par les bêtabloquants non vasodilatateurs ainsi que leurs effets défavorables sur les métabolismes glucidique et lipidique. Ainsi, la méta-analyse de Lindholm parue en 2005 portant sur plus de 104 000 hypertendus retrouve un risque relatif d’AVC sous bêtabloquant vs autres antihypertenseurs à 1,16. En reprenant les essais utilisant l’aténolol (plus de 56 000 patients colligés) le risque relatif monte à 1,26 [2]. La méta-analyse de Messerli portant sur 9 études déjà anciennes établit une relation linéaire entre l’ampli- tude de la diminution de fréquence cardiaque sous bêtabloquant et le risque relatif d’infarctus du myocarde non fatal. Cet effet pourrait être mis sur le compte de l’augmentation de la pression pulsée avec baisse de la perfusion coronaire et augmentation de la charge du ventricule gauche [3]. En revanche, Law en 2009, dans sa méta analyse ne retrouve pas de différence significative sur les événe- ments ischémiques entre les bétabloquants et les autres antihypertenseurs (RR bêtabloquants vs les autres antihy- pertenseurs à 1,04 [0,92-1,17]) mais il décrit un sur-risque relatif de survenue d’AVC de 18 % avec les bêtabloquants ([3-36] vs les autres molécules testées) [4]. Les résultats à long terme d’UKPDS 81 (1987-2007) comparant l’incidence des infarctus du myocarde et des événements micro-vasculaires chez 884 patients diabétiques de type II suivis pendant 20 ans, ne montrent pas de différence significative entre l’ateno- lol et le captopril [5]. De même, dans l’étude observationnelle de Blackburn portant sur plus de 19 000 patients hypertendus suivis en moyenne 2,3 ans et chez lesquels on évaluait le risque de survenue d’infarctus du myocarde, d’angor instable ou d’AVC, l’atenolol apparaît équivalent aux inhibiteurs calciques (HR 1,03 [0,71-1,46], p = 0,88) et peu différent des IEC (HR 1,24 [0,91-1,68], p = 0,17) et des diurétiques thiazidiques (HR 1,17 [0,84-1,62], p = 0,36) [6].

HTA et bêtabloquants : la controverse

  • Upload
    s

  • View
    218

  • Download
    4

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: HTA et bêtabloquants : la controverse

Compte-rendu de symposium Texte rédigé par D. Obréja

S44 AMC pratique Suppl. 3 mai 2010© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

D’après la communication de S. LaurentHôpital Européen Georges Pompidou, Service de Pharmacologie, Paris

HTA et bêtabloquants : la controverse

Le traitement actuel de l’hypertension artérielle a pour objectif de protéger les organes cibles et de réduire le nombre d’événements cardiovasculaires.

Les recommandations de la HAS de 2005 indiquent que les 5 classes d’antihypertenseurs ayant montré un bénéfice sur la morbi-mortalité cardiovasculaire, peuvent être proposées en première intention dans l’HTA essentielle non compliquée : diurétiques thiazi-diques, bêtabloquants, inhibiteurs calciques, IEC et ARA II.Les guidelines européennes de 2007, établies par la Société Européenne d’Hypertension (ESH) et l’ESC, maintiennent les mêmes propositions mais les sociétés savantes britanniques (NICE – National Institute for Clinical Excellence) ne considèrent les bêtabloquants qu’en quatrième étape de prescription, après échec de la triple association : antagoniste du système rénine-angiotensine + diurétique + inhibiteur calcique. En 2009, au niveau européen, la réévaluation critique des recommandations de 2007 souligne la grande hétéro-généité de la classe des bêtabloquants et met en avant les molécules ayant une action vasodilatatrice [1].

Bêtabloquants non vasodilatateurs et risque cardio-vasculaire

La controverse liée à l’utilisation des bêtabloquants dans l’HTA concerne les résultats de méta-analyses décrivant l’insuffisance de protection des organes cibles par les bêtabloquants non vasodilatateurs ainsi que leurs effets défavorables sur les métabolismes glucidique et lipidique. Ainsi, la méta-analyse de Lindholm parue en 2005 portant sur plus de 104 000

hypertendus retrouve un risque relatif d’AVC sous bêtabloquant vs autres antihypertenseurs à 1,16. En reprenant les essais utilisant l’aténolol (plus de 56 000 patients colligés) le risque relatif monte à 1,26 [2].La méta-analyse de Messerli portant sur 9 études déjà anciennes établit une relation linéaire entre l’ampli-tude de la diminution de fréquence cardiaque sous bêtabloquant et le risque relatif d’infarctus du myocarde non fatal. Cet effet pourrait être mis sur le compte de l’augmentation de la pression pulsée avec baisse de la perfusion coronaire et augmentation de la charge du ventricule gauche [3].En revanche, Law en 2009, dans sa méta analyse ne retrouve pas de différence significative sur les événe-ments ischémiques entre les bétabloquants et les autres antihypertenseurs (RR bêtabloquants vs les autres antihy-pertenseurs à 1,04 [0,92-1,17]) mais il décrit un sur-risque relatif de survenue d’AVC de 18 % avec les bêtabloquants ([3-36] vs les autres molécules testées) [4].Les résultats à long terme d’UKPDS 81 (1987-2007) comparant l’incidence des infarctus du myocarde et des événements micro-vasculaires chez 884 patients diabétiques de type II suivis pendant 20 ans, ne montrent pas de différence significative entre l’ateno-lol et le captopril [5].De même, dans l’étude observationnelle de Blackburn portant sur plus de 19 000 patients hypertendus suivis en moyenne 2,3 ans et chez lesquels on évaluait le risque de survenue d’infarctus du myocarde, d’angor instable ou d’AVC, l’atenolol apparaît équivalent aux inhibiteurs calciques (HR 1,03 [0,71-1,46], p = 0,88) et peu différent des IEC (HR 1,24 [0,91-1,68], p = 0,17) et des diurétiques thiazidiques (HR 1,17 [0,84-1,62], p = 0,36) [6].

Page 2: HTA et bêtabloquants : la controverse

Compte-rendu de symposium

S45AMC pratique Suppl. 3 mai 2010

HTA et bêtabloquants : la controverse

avant une survenue plus importante de nouveaux cas de diabète sous bêtabloquant, alors que les ARA II et les IEC apparaissent protecteurs, et les inhibiteurs calciques neutres [13]. Cette conclusion est à mettre en balance avec le fait que ce type de diabète « induit » par un médica-ment n’aurait pas le même pronostic que le diabète de survenue spontanée. De plus, la distinction entre bêtablo-quant vasodilatateur et bêtabloquant non vasodilatateur est à faire puisque les données sur les bêtabloquants de dernière génération, vasodilatateurs, font état d’une neutralité métabolique voire même d’une action favora-ble par augmentation de la captation du glucose, diminu-tion de l’insulino-résistance et de l’insulinémie.Les bêtabloquants vasodilatateurs ont leur place en première intention dans le traitement de l’HTA essentielle. Ces bêtabloquants vasodilateurs seront donc préférés aux bêtabloquants classiques en fonction du profil du patient et en l’absence de co-morbidités qui pourraient orienter vers un autre choix. La réponse à la controverse ne sera donc probablement jamais donnée car elle nécessiterait un essai randomisé en double aveugle, de grande enver-gure opposant les bêtabloquants vasodilatateurs aux bêtabloquants non-vasodilatateurs.

Conflits d’intérêts

Bourse de recherche, comité consultatif, honoraires comme orateur pour les laboratoires Astra-Zeneca, Bayer-Schering, Boehringer-Ingelheim, Chiesi, Daichii-Sankyo, Estève, Ménarini, MSD, Negma, Novartis, Pfizer, Recordati, Servier et pour les fabricants Atcor, Esaote-Pie medical, Omron.

Références[1] Mancia G, Laurent S, Agabiti-Rosei E, et al. Reappraisal of European guidelines

on hypertension management: a European Society of Hypertension Task Force document. J Hypertens 2009;27:2121-58.

[2] Lindholm LH. Should betablocker remain first choice in the treatment of primary hypertension ? A meta-analysis. Lancet2005;366:1545-53.

[3] Bangalore S, Sawhney S, Messerli FH. Relation of beta-blocker-inducedheart rate lowering and cardioprotection in hypertension. J Am Coll Cardiol 2008;52:1482-9.

[4] Law MR, Morris JK, Wald NJ. Use of blood pressure-lowering drugs in the pre-vention of cardio-vascular disease: meta-analysis of 147 randomised trials in the context of expectations from prospective epidemiological studies. BMJ 2009;338:b1665.

[5] Holman RR, Paul SK, Bethel MA, et al. Long-term follow-up after tight control of blood pressure in type II diabetes. N Engl J Med 2008;359:1565-76.

[6] Blackburn DF, Lamb DA, Eurich DT, et al. Atenolol as initial antihypertensive therapy: an observational study comparing first-line agents. J Hypertens 2007;25:1351-3.

Effets vasculaires et métaboliques : avantages des bêtabloquants vasodilateurs

Effets vasculaires

Si l’on s’intéresse au remodelage vasculaire, on trouve plusieurs études alimentant cette controverse qui ne sont pas en faveur des bêtabloquants. Une revue récente des études cliniques indique l’absence d’effet des bêtablo-quants sur le remodelage vasculaire à la différence des IEC, des ARA II et des inhibiteurs calciques qui réduisent le rapport media-lumière entre 19 et 22 % de la valeur basale [7, 8]. Une autre étude démontre que l’atenolol, en sus d’un traitement par thiazidique et felodipine, diminue le flux carotidien par rapport au candesartan, réduit le diamètre de la lumière carotidienne (à 1 an), a peu ou pas d’effet sur la pression pulsée carotidienne et augmente les résistance intracérébrales [9].En étudiant un autre paramètre qui est la régression de l’hy-pertrophie ventriculaire gauche, la meta-analyse de klingbeil souligne l’efficacité moindre de l’atenolol sur ce paramètre par rapport aux ARA II, aux inhibiteurs calciques et aux IEC (par ordre décroissant de l’effet protecteur) [10].Les lésions des organes cibles dans l’HTA sont liées au remodelage des petits vaisseaux et des gros troncs artériels qui interagissent par l’intermédiaire de la pression pulsée centrale et de la pression moyenne. La pression pulsée (PP) centrale, facteur pronostique indépendant, est différem-ment influencée par les bêtabloquants selon leurs proprié-tés vasodilatatrices. L’atenolol bêtabloquant non vasodilatateur ne diminue pas la PP centrale voire l’aug-mente. Dans l’étude REASON, la PP centrale baissait de 12,9 mm Hg sous association perindopril-indapamide (2 mg-0,625 mg) alors que sous atenolol elle augmentait de 3,35 mm Hg, p<0,001 [11]. Les résultats de l’étude CAFE (Conduit Artery Function Evaluation), dérivée d’ASCOT vont dans le même sens avec une PP centrale sous ateno-lol ± thiazidique dépassant, en moyenne, de 3 mm Hg la PP centrale sous amlodipine ± perindopril [12]. Ces résul-tats ne s’appliquent pas au nébivolol bêtabloquant vaso-dilatateur par libération de NO, qui semble préserver et améliorer la fonction endothéliale de l’hypertendu. En diminuant la rigidité artérielle et l’onde de réflexion, il réduit ainsi la pression pulsée centrale.

Effets métaboliques

La controverse sur l’efficacité des bêtabloquants est égale-ment nourrie par leurs effets métaboliques classiquement reconnus comme délétères. Le travail de Meyer met en

Page 3: HTA et bêtabloquants : la controverse

Compte-rendu de symposium

S46 AMC pratique Suppl. 3 mai 2010

HTA et bêtabloquants : la controverse

[11] Asmar RG, London GM, O’Rourke ME, et al. Improuvement in blood pressure,

arterial stiffness and wave reflexion with a very low dose perindopril-indapamide

combination in hypertensive patients. A comparison with atenolol. Hypertension

2001;38:922-6.

[12] Williams B, Lacy PS, Thom SM, et al. differential impact of blood pressure-

lowering drugs on central aortic pressure and clinical outcomes : principal

results of the Conduit Artery Function Evaluation (CAFÉ) study. Circulation

2006;113:1213-25.

[13] Elliott WJ, Meyer PM. Incident diabetes in clinical trials of antihypertensive drugs:

a network meta-analysis. Lancet 2007;369:201-7.

[7] Savoia C, Touyz RM, Endemann DH, et al. Angiotensin receptor blocker added to previous antihypertensive agents on arteries of diabetic hypertensive patients. Hypertension 2004;48:271-7.

[8] Agabiti-Rosei E, Heagerty AM, Rizzoni D. Effects of antihypertensive treament on small artery remodelling. J Hypertens. 2009;27:1107-14.

[9] Ariff B, Zambanini A, Vamadeva S, et al Candesartan- and atenolol-based treat-ments induce different patterns of carotid artery and left ventricular remodeling in hypertension. Stroke 2006;37:2381-4.

[10] Klingbeil AU, Schneider M, Martus P, et al. A meta-analysis of the effects of treatment on left ventricular mass in essential hypertension. Am J Med 2003;115:41-6.