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Mitterrand, président en exercice du Conseil. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, comme vous le savez, comme on vient de vous le rappeler, samedi dernier à Paris s'est tenue une séance exception- nelle du Conseil européen. Son ordre du jour était simple: l'examen des événements qui se produisent à l'Est et les premières conséquences à en tirer. Je vais vous en dire un mot, dans un instant, mais j'ai pensé après avoir eu des contacts avec le Président de votre Assemblée, qu'il serait bon pour la bonne marche de nos institutions qu'en ma qualité de Président du

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Mitterrand, président en exercice du Conseil. —Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, commevous le savez, comme on vient de vous le rappeler,samedi dernier à Paris s'est tenue une séance exception-nelle du Conseil européen. Son ordre du jour étaitsimple: l'examen des événements qui se produisent àl'Est et les premières conséquences à en tirer.

Je vais vous en dire un mot, dans un instant, mais j'aipensé après avoir eu des contacts avec le Président devotre Assemblée, qu'il serait bon pour la bonne marchede nos institutions qu'en ma qualité de Président du

Conseil européen je puisse venir vous entretenir unmoment, sans prolonger outre mesure vos travaux, de cequi s'est passé en cette circonstance.

Il y a moins d'un mois, c'était le 25 octobre, ici même, jem'adressais à vous comme je le fais aujourd'hui.J'évoquais la situation chez nos voisins de l'Europe del'Est où, vous le constatez, l'histoire s'écrit au quotidien.Et j'évoquais ce vaste mouvement vers la démocratie etvers la liberté. J'évoquais la détermination des peuples,celle qui commande à l'événement, celle qui faits'écrouler les murs et les frontières et je disais denouveau: les peuples bougent et quand il bougent ilsdécident.

Eh bien, le 9 novembre à Berlin, l'histoire en marcheoffrait au monde le spectacle, improbable la veilleencore, d'une brèche dans le mur qui à lui seul signifiaitdepuis près de trente ans, les déchirures de notrecontinent. Ce jour-là, la démocratie et la liberté,inséparables l'une de l'autre, remportaient, je le crois,une de leur plus belles, une de leur plus sensiblesvictoires. Le peuple avait bougé. Le peuple avait parlé etsa voix passait les frontières, brisait le silence d'un ordrequ'il n'avait pas voulu, qui lui était imposé et qu'ilaspirait sans doute à renier pour redevenir lui-même.

Aussi suis-je heureux de pouvoir exprimer, ici, devant lechancelier Kohi, devant les représentants des peuplesdes Douze Etats membres de la Communauté, l'émotionprofonde que nous avons ressentie en ces gravesmoments. L'émotion dont il était inutile de faire un longcommentaire tant c'est une histoire intérieure à chacund'entre nous. L'histoire intérieure vécue, en mêmetemps qu'un formidable mouvement collectif dont nousavons été fiers, je crois, d'être partie prenante.

Le mouvement commencé en Pologne, relayé enHongrie, pour m'en tenir bien entendu aux événementsde ces derniers temps, car cela fait déjà beau temps, dèsle premier jour, que des hommes libres ont espéré, quedes hommes libres ont combattu, nombreux ont étéceux qui ont pris le risque de la perte de leur liberté, lerisque de la mort ou qui l'ont connue. Bref, à quelmoment situer le premier signe et le premier réveil?Mais enfin, si l'on s'en tient aux événements de cesderniers temps — Pologne, Hongrie —, il s'agit demouvements voulus et encouragés en Union soviétique.Et nous ne soulignerons jamais assez le rôle rempli encette circonstance par M. Gorbatchev...

(Applaudissements)

Voilà un homme que je n'opposerai pas à un représen-tant du monde occidental ni de la Communautéeuropéenne, qui se situe dans la logique de sa pensée etde son histoire, l'histoire de son pays, mais qui acompris qu'il fallait passer à de nouvelles façons de faireet que son pays, comme les autres, devait acceptermaintenant les forces dominantes dans la société deshommes, qui sont, répétons-le, après tout, cela faitplaisir, la démocratie et la liberté.

Bref, ce mouvement s'accélère, il s'enfle, il se propagepartout en Europe. Nous souhaitons — permettez-moi

de parler en votre nom, même si vous ne m'en avez pasconfié le mandat, nous nous sentons à l'unisson — nousavons envie que cela continue. Notre faim n'est pasrassasiée. Nous voyons ce qui s'est passé partout dansles villes de Pologne, ce qui se passe partout dans lesvilles de l'Allemagne de l'Est, ce qui s'est passé enHongrie. Nous entendons l'appel des foules de Prague.Et si nous n'entendons pas la voix du peuple roumain,c'est parce qu'elle est encore étouffée.

(Applaudissements)

Cette voix du peuple roumain, nous la percevonscependant. Son silence fait un énorme bruit.

Il faudra bien qu'un jour ou l'autre ces peuplesrejoignent — je ne les citerai pas tous — le concert desnations que nous formons déjà entre nous, douze paysque séparent tant de distances dans l'histoire de cessiècles et qui se sont retrouvés parce qu'ils l'ont voulu etpeut-être parce que la nécessité le leur a appris.

Pourquoi la rencontre du 18 novembre, celle de Paris?Fallait-il précipiter les échéances ? Je ne reprendrai pasce débat, qui avait sa valeur et son mérite. C'est difficilede trancher. Moi-même, je me suis interrogé depuis lepremier jour. Il me semblait qu'il fallait peut-êtreprendre un peu de distance—elle n'a pas été longue, ellea duré huit jours — par rapport aux sentiments et auxémotions des premières heures et avant qu'on commen-ce d'y voir clair et que les peuples eux-mêmescommencent à dessiner ce qui sépare leur ambition, leurvolonté profonde, parfois leurs rêves, de la réalitéd'aujourd'hui, de celle qui préside à nos débatspolitiques, à nos réunions d'assemblées, à nos décisionsde gouvernement.

Bref, je n'ai pas avancé le Conseil européen deStrasbourg pour ce qui me paraissait une évidence. Il estprévu pour les 8 et 9 décembre prochains. Chaque choseen son temps. Vous savez, Mesdames et Messieurs, pourle vivre, que dans notre Communauté les échéances sepréparent et se mûrissent. Le rendez-vous de Strasbourgétait précisément situé à un moment décisif pourl'avenir de notre Communauté, pour l'affirmation deses structures, pour la définition de ses principes. Jepense qu'il fallait lui préserver toute son importance.

Nous avons pu, samedi, parler essentiellement, je diraispresque exclusivement, à la fois des événements de l'Estet de ce qu'il convenait de faire, nous, pays considérésd'une façon générale comme les pays de l'Ouest. J'yreviendrai dans un moment. Que faire? Déjà desréponses ont été amorcées. Il faudra les compléter. Nousavons beaucoup de travail devant nous. Vous en avez,j'en ai, nous tous sommes aujourd'hui devant l'établi. Ilfaut savoir de quelle manière nous forgerons l'Europe dedemain. Mais enfin, nous avions un double objet : d'unepart, procéder à une analyse commune de la situation enEurope de l'Est et à une évaluation des conséquences quipouvaient en résulter pour l'équilibre européen et,d'autre part, marquer la volonté de la Communauté etde ses Etats membres d'apporter leur aide aux yeux del'Est engagés dans la voie des réformes.

Leur aide à tous les pays de l'Est, mais d'une façon plusconcrète, plus précise à ceux qui se sont engagés dans ladirection où nous les attendons, c'est-à-dire où certainsengagements, non pas des engagements verbaux à notreégard mais vis-à-vis d'eux-mêmes, des dispositions déjàannoncées nous démontrent qu'il s'agit bien d'unedémarche qui conduit vers des systèmes démocratiques.Les circonstances justifiaient, à l'évidence, cetteréunion. Le sujet méritait que l'on y consacrât sans autredélai une réflexion approfondie. L'enjeu appelait que laCommunauté pût se faire entendre et pût déterminer saposition face à des événements qui la concernaientdirectement.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, vousavez souhaité organiser un débat sur les développementspolitiques en Europe centrale et de l'Est et leursconséquences sur le devenir de l'Europe et aussi, parvoie de conséquence, sur le devenir de la Communauté.Je vous félicite de cette initiative. Votre débat enrichira,j'en suis convaincu, le message que les Douze adressentaux autres pays d'Europe. Et puisque je remplis cettefonction de président en exercice du Conseil, qui est parnature provisoire — tout l'est, mais cela particulière-ment et le semestre d'une vie et de la vie d'un pays n'estpas grand-chose — je ne concevais pas qu'elle pût êtreremplie sans qu'à un moment donné j'aie l'occasion devous en rendre compte. C'est bien le rôle du Parlement,me semble-t-il, même si c'est aussi en gestationpermanente et en évolution, au moins faut-il marquerquelques étapes d'une façon significative. J'espère quece sera fait aujourd'hui.

(Applaudissements)

Ne croyez pas qu'il ne s'agisse que d'un devoir—cela enest un—je suis également heureux, même si c'est un peurépétitif, de l'occasion qui m'est ainsi donnée de vousexposer nos conclusions.

Mais comme je vous ai parlé du Conseil de samedi et quec'est cela qui a précipité nos rencontres, qui les justifie,je vais m'y attarder un moment si vous le voulez bien.

La première de ces conclusions touche à l'avenir mêmede notre Communauté. Je crois pouvoir dire, reprenonsdes termes déjà employés, que c'est l'existence d'uneCommunauté qui s'affermit qui a servi de référence et destimulant aux événements de l'Est. Nous ne nous enattribuerons pas le mérite. Il appartient d'abord auxpeuples de ces pays, il appartient ensuite à ceux de leursdirigeants qui ont compris la nécessité de cetteévolution, qui l'ont permise et qui l'ont facilitée. Mais ilappartient aussi, j'en suis convaincu, à cette Commu-nauté qui représente aujourd'hui le seul point d'attrac-tion réelle pour un avenir structuré du continent qui estle nôtre.

Puis il y a les valeurs, les fameuses valeurs dont on parlesouvent, nous savons bien ce que nous voulons dire. Lesvaleurs dont ces peuples se réclament sont très prochesdes nôtres. Nous avons voulu nous-mêmes exprimer desvaleurs, chez nous, des valeurs qui nous sont propres etqui nous sont communes.

En raison de l'état de la civilisation, à travers les siècleset les siècles qui ont vu l'Europe naître, se faire, sedéfaire, se refaire, ces valeurs, elles existent au-delà despoints de fixation, des frontières, des ruptures, desmurs. La preuve en est faite : quand les murs s'écroulent,on se retrouve, on se comprend!

Je suis convaincu, je vous l'ai dit déjà dit, que l'existenced'une Communauté forte et structurée est un facteur destabilité et de réussite pour l'ensemble de l'Europe.Nous devons donc affirmer notre identité à nous,Communauté, confirmer notre détermination, renfor-cer nos institutions, sceller notre union. C'est cela lapremière leçon que je retiens, moi, car il ne me paraît pasqu'il y ait d'autre alternative entre l'ouverture à l'Est etl'achèvement de l'édifice communautaire. Les deuxdémarches vont de pair. Je vous l'ai dit et j'insiste, ellesse complètent. Il ne s'agit pas de se refermer sur soi, maisde puiser dans la réussite de la Communauté les forces,les réserves d'énergie, la dynamique qui permettra àl'Europe tout entière de se retrouver. J'ai employé cetteexpression dans la conférence de presse qui a suivi notreréunion de samedi soir en disant que la grande leçonpolitique de tout cela, c'est qu'il existe un «binômeindissociable»: en même temps que se déroulent lesévénements à l'Est, à la même allure — et pourquoi pasencore un peu plus vite pour précéder l'événement — ilconvient que l'Europe de la Communauté se fasseencore plus rapidement qu'elle ne l'a jusqu'alors décidé,qu'elle se hâte d'être elle-même dans ses structures. Cesstructures dépendront strictement de la volonté politi-que qu'elle saura démontrer pour que l'unité dans toutson sens, c'est-à-dire l'unité politique, préside finale-ment à l'ensemble des démarches engagées depuis queles fondateurs ont conçu, imaginé l'Europe.

(Applaudissements)

Je crois pouvoir dire que c'est dans cet esprit que lesdouze chefs d'Etat et de gouvernement se sont retrouvés.C'est ce qu'ils ont voulu exprimer. C'était leur proprevolonté: encourager, appuyer les avancées de ladémocratie partout où elle se manifeste, mais aussi seservir de ces éléments pour comprendre que notreCommunauté devait appliquer à elle-même la leçon del'événement.

Faites le lien, après ce que je viens de dire, entre cetteréunion du 18 novembre et celle qui nous attend les 8 et9 décembre.

Mais enfin, dans l'intervalle il s'est passé beaucoup dechoses. Il s'en passera d'autres. Je voudrais tout de suitevous dire de quelle manière quelques mesures concrètesont été envisagées, selon la situation qui est fortdifférente d'un pays à l'autre, à l'égard des pays de l'Esten mouvement. D'abord, la Pologne et la Hongrie, qu'ilne faut pas non plus identifier. Les Douze ont soulignél'urgence de la conclusion d'un accord pour ces deuxpays avec le Fonds monétaire international. Ils ontdécidé que les instances de la Communauté intervien-draient avec beaucoup de diligence auprès de cetteinstitution pour lui demander de se prononcer avant lafin de l'année — naturellement la Pologne et la Hongrie

s'y prêtent — pour aboutir à un bon accord, conformeaux règles qui doivent présider à nos institutionsinternationales. Il y a une telle urgence que laCommunauté doit se trouver à côté de ces deux payspour plaider un dossier difficile et qui mérite pourtantd'aboutir.

La récente visite à Varsovie et à Budapest du présidentde la Commission et du président du Conseil deministres, MM. Jacques Delors et Roland Dumas, apermis de vérifier les besoins de ces deux pays. LaPologne doit disposer d'un fonds de stabilisation estiméà 1 milliard de dollars et la Hongrie quant à elle,demande à bénéficier d'un crédit-relais du mêmemontant. Je puis vous dire que, d'ores et déjà, le principede leur mise en place peut être considéré comme acquis.

Les Douze ont également parlé de la coopération avecd'autres pays. Ainsi ont-ils envisagé et ont-ils parfaite-ment accepté la signature d'accords de commerce avecla République démocratique allemande ainsi quel'intervention — le président de la Commission abeaucoup insisté sur ce point en raison de la connaissan-ce qu'il a de ces dossiers — de la Communauté en faveurde la Yougoslavie. Nous aurions peut-être tendance àl'oublier, dans la bousculade des événements, que cepays a montré, peut-être le premier, une capacité derésistance et un courage tels que si l'économie ne s'en estpas trouvée mieux, il n'en reste pas moins que ce peuplea mérité et que nous sommes véritablement dansl'obligation morale d'être à ses côtés pour l'aidercomme les autres. D'autant que ce pays traverse unegrave crise économique, vous le savez.

Au-delà, et pour soutenir le mouvement de réforme, ona examiné les instruments à mettre en place. Cesinstruments, ils sont de plusieurs ordres, j'en dirai unmot dans un instant. Un débat s'est ouvert sur unenotion qui mérite, en effet, discussion. Fallait-il ou nonposer des conditions aux pays qui ont besoin de nous ?Oui et non. Les pays qui ont montré une dispositioncatégorique clairement définie de se doter d'institutionsdémocratiques autour de quelques thèmes simples — lerespect des droits de l'homme et l'annonce d'électionslibres, donc secrètes — ces pays, nous a-t-il semblé,valent bien que nous fassions un effort supplémentaire,un effort particulier, que nous passions tout de suite àl'acte qui consiste à obtenir pour eux un certain nombred'avantages qui sont leur dûs, mais aussi leur entréedans les institutions, comme si déjà la Communauté,sans prétendre s'élargir de cette manière et hors de touteprocédure, considérait qu'il existe une communauté denations, un groupe de nations et de peuples pouvantadopter une démarche comparable. Il y a donc uncertain lien qui s'est établi pour ce type de mesures àprendre, entre la Pologne, la Hongrie et les pays de laCommunauté.

Cela ne veut pas dire, pour autant, que nous ayonsabandonné à leur sort les pays qui n'en sont pas aumême point. Nous ne voudrions pas que des aidespuissent, en quoi que ce soit, permettre aux régimesdictatoriaux, totalitaires, qui persistent ici ou là, de*

trouver un aliment nouveau à leur durée dans l'interven-tion de nos pays. Ce serait absurde et en même temps onvoit bien de quelle manière il serait déplaisant de refusernotre concours, simplement parce que, sous condition,ces pays qui n'ont pas eu la chance d'être plus tôt libérésdu système dont ils souffrent, se verraient privés denotre concours et de notre amitié. Donc, il faut savoirmesurer notre démarche. C'est ce que nous nousefforçons de faire. Et si nous avons arrêté une façond'agir, si nous avons prévu une série d'accords, deperspectives tout à fait bien tracées à l'égard de laPologne et de la Hongrie, nous jetons quand même desjalons et des points de repère pour tous les autres afinque chacun s'y retrouve.

Pour soutenir le mouvement de réforme — c'est quandmême un élément actif— nous n'avons pas simplementune attitude passive à observer, à compter les coups.Nous avons aussi à les accompagner, à les porter plusloin. Les instruments à mettre en place ont été définis. Ilsdevront être mis de nouveau à la discussion dans lesjours, ou les semaines qui viennent. Je vais vous encommuniquer quelques-uns, notamment le projet, quej'avais d'ailleurs évoqué le 25 octobre, d'une banquepour le développement et la modernisation de l'Europede l'Est.

Je m'exprime en mon nom personnel, en la circonstan-ce. Ce qui a été décidé à Paris, c'était un mandat confié àune troïka — puisque nous avons, par une bonnevolonté évidente, décidé de changer de vocabulaire —composée selon une tradition récente mais établie, duprésident du Conseil européen, de son prédécesseur etde son successeur et du président de la Commissioneuropéenne. Je vois cette banque à l'image des banquesrégionales pour l'Asie du sud-est, pour l'Afrique. Elledevrait comprendre une large participation de tous ceuxqui désireront prendre part à son capital, à commencerpar les vingt-quatre pays qui ont répondu à l'appel duSommet de l'Arche, le 14 juillet de cette année. C'est cequi ferait, jusqu'à ce qu'il y ait un corps explicite desmembres de la Communauté, l'originalité de cettebanque.

On a, bien entendu, évoqué le cas de la BEI. Cela vienttout de suite à l'esprit. Nous n'avons pas la manie, je nel'ai pas pour ma part, de créer à tout bout de champ desorganismes nouveaux. Je n'aime pas plus que vous lesbureaucraties. Simplement, ce n'était pas le rôle de laBEI. La BEI a une mission essentiellement attachée auxfonds structurels. Ses regards sont portés d'un autre côtéde l'Europe. Elle n'est composée que des douze pays dela Communauté.

Je pense, nous sommes quelques-uns à penser, que cettenouvelle banque doit avoir une valeur spécifique, celledes pays de l'Est, et qu'au lieu de retenir seulement lesmembres de la Communauté, cette banque doitrassembler toutes les bonnes volontés dans le monde, enmême temps que tous les capitaux, quelle que soit leurorigine, pour qu'un formidable mouvement se dégage etsoit à la mesure de l'importance de la tâche qui lesattend. C'est donc ce caractère-là sur lequel j'insiste et

sur lequel j'insisterai. Cette troïka a commencé d'enparler, d'en traiter, elle en rapportera le 8 et le 9décembre. J'espère que ce projet, qui est venu deplusieurs endroits, de plusieurs bancs de cette Assem-blée, de nos assemblées nationales, qui est une idéevraiment née dans beaucoup d'esprits, ce projet pourl'Europe de l'Est doit vraiment s'attaquer au développe-ment, de coopérer à la formation des forces nouvellesqui permettront de les sauver, dès le point de départ, del'abîme devant lequel ils se trouvent et, de ce point devue, il y a une extrême urgence. Je pense que laconstitution de cette banque, qui peut nécessiter uncertain nombre de délais, doit, dans ces cas-là, si cesdélais existent, et je peux le craindre, avoir des relais,c'est-à-dire que c'est dès la semaine prochaine qu'il fautcommencer de mettre en mouvement les institutionscapables de remplir cet office en attendant uneinstitution définitive.

Je me souviens d'une conversation avec M. Gorbatchev— je fais peut-être des confidences sur les conversationsparticulières dans ce genre de réunion, mais cela a été ditsi souvent que je me sens autorisé à le rappeler — aucours de laquelle il m'a dit : « Ce dont nous avons le plusbesoin, c'est de former nos cadres». Et nous avonsentendu cela dans combien d'autres pays. Il semble queles hommes et les femmes appelés à assurer la marche deces pays ne soient plus en mesure de le faire, parce qu'ilsn'ont pas été formés à cela. Ils ont été formés autrement.Ils ne sont pas adaptés aux nouvelles formes de gestion.Après tout, c'est notre rôle, mettons en œuvre, sansconditions, ce projet pour la formation des cadres detous ces pays.

De même que nous avons décidé l'ouverture aux pays del'Est des programmes déjà existants de la Communautépour tout ce qui touche à l'éducation et à la formation.On pourrait voir un jour, j'imagine comme cela etj'improvise, un étudiant hongrois profiter du program-me ERASMUS pour faire un doctorat à Oxford; unétudiant de Leipzig faire, grâce au programme CO-METT, un stage dans une entreprise néerlandaise ouitalienne, ou pourquoi pas française ; un professeur defrançais de Varsovie se perfectionner dans une languegrâce au programme LINGUA. J'en passe. Vous avezparfaitement compris ce que nous voulons dire par là :ces programmes, nous ne nous les réservons pas. Déjà,nous avons engagé notre action bien au-delà des limitesde la Communauté, dans un certain nombre deperspectives, notamment sur le plan technologique.Continuons.

D'autres suggestions, et notamment l'entrée de certainspays de l'Est au Conseil de l'Europe et au GATT,comme observateurs, dans un premier temps, ont étéformulées. Chacune de ces suggestions sera, bienentendu, examinée dans le cadre et suivant desprocédures appropriées, pour employer la formulechère à nos administrateurs. Les procédures appro-priées, c'est vrai, nous allons nous en rendre compte, dèsles 8 et 9 décembre, au Conseil européen qui prendra sesresponsabilités, et j'espère qu'on n'y reviendra plus. Ou

plutôt que, lorsqu'on y reviendra, ce sera pour faire pluset mieux.

Mesdames et Messieurs, la Communauté a-t-ellerépondu aux attentes de ceux qui croient en elle ? A-t-elle répondu à l'appel angoissé de M. Mazowiecki ? J'aidemandé qu'on ne laisse pas se perpétuer une Europedes pauvres et une Europe des riches. A-t-elle répondu àvotre propre attente, vous qui avez formulé, en diversesoccasions, un certain nombre de projets ? La Commu-nauté a-t-elle répondu aux espoirs de ceux qui, hommeset femmes d'Europe, attendent qu'elle fasse entendre savoix sur toutes les affaires du monde et s'affirmecomme, à la fois, l'acteur d'un nouvel équilibreeuropéen et comme l'un des acteurs fondamentaux de lavie des hommes sur la planète. On n'a jamais fait assez eton ne va jamais assez vite, la rapidité de la démarche nesupposant pas l'absence de réflexion. Mais il faut bien sedire et si je m'adresse à une Assemblée qui en estconvaincue, puisqu'elle nous le rappelle sans arrêt, jesouhaite également être entendu au-delà de cetteenceinte — que rien de cela ne se fera si nous ne sommespas capables dans quelques jours, entre nous, au sein dela Communauté, d'aboutir dans les projets fondamen-taux qui permettront à notre Europe de se doter desinstruments d'une politique économique et monétaire,des instruments d'une politique sociale, d'une politiquede l'environnement, et que sais-je encore. Elle ne se ferapas si nous ne parachevons pas le marché intérieur selonle rythme et la démarche que nous avons déjà décidés.

(Applaudissements)

Voilà ce sur quoi nous allons maintenant travailler.Voilà ce à quoi allons nous attacher. Voilà les questionsque je poserai à Strasbourg, dans cette ville, dansquelques jours. Chacun devra y répondre. Et comme jeveux rester dans mon sujet, je suis sûr que, dans laconscience des responsables que nous sommes tous,apparaîtra comme évidente une lumière qui n'aveuglepas, mais qui éclaire tout l'horizon, que de ce que noussaurons faire entre nous et pour nous, découlera ce quiparaîtra bon, sérieux et durable pour les autres. Bref,nous tenons en main beaucoup plus que notre sort.Nous pouvons désormais montrer le chemin sans autreprétention, sans esprit de domination, sans avoir lesentiment de remplir je ne sais quel magister, mais dansune volonté démocratique profonde, cent fois démon-trée par chacun de nos pays. Nous voulons que la façondont la Communauté détermine son action served'exemple aux pays de l'Est en recherche, en mouve-ment, en angoisse, en espérance. A celles et à ceux qui,par millions, rêvent comme nous qu'un jour l'Europesera l'Europe.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j'attends, pourma part, du Conseil européen de Strasbourg. Vousmesurez l'importance des enjeux. Je n'ai pas besoin devous faire la leçon, encore moins un prêche. Jem'adresse à une Assemblée qui, dans son immensemajorité, est convaincue que là est le chemin, que là estle devoir. Il faut s'y engager ensemble.

(Vifs applaudissements)