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HUBERT NYSSEN Les déchirements ROMAN Extrait de la publication

HUBERT NYSSEN…Théâtre de Plans, 1965. Mille ans sont comme un jour dans le ciel, Actes Sud, 2000. ... dans la cité bretonne. A ce moment-là, Valentin, m’a dit Colette, j’avais

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HUBERT NYSSEN

Lesdéchirements

ROMAN

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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS

Valentin Cordonnier aimerait comprendre pour-

quoi Victor, son frère aîné, mort dans un récent

accident de la route, l’a toujours tenu à l’écart.

Valentin a donc entrepris Colette qui, sur son

défunt époux, sur elle-même et sur leur famille,

lui révèle peu à peu des choses si singulières qu’il

s’empresse de les écrire pour n’en rien perdre. Il

est, en particulier, fasciné par un spectre qui n’a

cessé de perturber le couple et d’attiser la jalou-

sie tardive de Colette, spectre ou ombre de Julie

Devos, une jeune enseignante dont Victor était

ingénument amoureux et que la guerre a

envoyée dans un camp de concentration dont

elle n’est pas revenue. Et puis, un jour, le hasard

conduit Valentin à rencontrer Barbara. Ce témoin

inattendu lui révèle le drame qui a sans doute mis

un terme à la vie de Julie, qui a bouleversé celle

de Victor et qui donne son titre au livre : Les

déchirements.

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HUBERT NYSSEN

Né en 1925 à Bruxelles, Hubert Nyssen s’est établi

en Provence en 1968. Ecrivain, il est l’auteur

d’une bonne trentaine d’ouvrages. Editeur, il a

fondé, voici trente ans tout juste, les éditions Actes

Sud. Docteur ès lettres, il a enseigné dans les uni -

versités d’Aix-en-Provence et de Liège.

DU MÊME AUTEUR

ROMANS

Le nom de l’arbre, Grasset, 1973. Passé-Présent n° 53, Babel n° 435.

La mer traversée, Grasset, 1979. Prix Méridien.Des arbres dans la tête, Grasset, 1982. Grand Prix

du roman de la Société des gens de lettres.Eléonore à Dresde, Actes Sud, 1983. Prix Valery-

Larbaud, Prix Franz-Hellens. Babel n° 14.Les rois borgnes, Grasset, 1985. Prix

de l’Académie française. J’ai Lu n° 2770.Les ruines de Rome, Grasset, 1989. Babel n° 134.

Les belles infidèles, Actes Sud/Leméac (Polar Sud), 1991. Corps 16, 1997.

La femme du botaniste, Actes Sud/Leméac, 1992. Babel n° 317.

L’Italienne au rucher, Gallimard, 1995. Grand Prix de l’Académie française. Babel n° 664 sous le titre : La leçon d’apiculture

Le bonheur de l’imposture, Actes Sud/Leméac,1998. Grand caractère, 1999. Babel n° 585.

Quand tu seras à Proust la guerre sera finie,Actes Sud/Leméac, 2000. Babel n° 863.

Zeg ou les Infortunes de la fiction,Actes Sud/Leméac, 2002.

Pavanes et javas sur la tombe d’un professeur,Actes Sud/Leméac, 2004.

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ESSAIS

Les voies de l’écriture, Mercure de France, 1969.Sémantique à bâtons rompus, éd. Irène

Dossche, 1971.L’Algérie, Arthaud, 1972.

Lecture d’Albert Cohen, Actes Sud, 1981. Nouv. éd. 1988.

L’éditeur et son double, Actes Sud, vol. I : 1988, II : 1990, III : 1996.

Du texte au livre, les avatars du sens,Nathan, 1993.

Eloge de la lecture, Les Grandes Conférences, Fides, 1997.

Un Alechinsky peut en cacher un autre,Actes Sud, 2002.

Variations sur les Variations, Actes Sud, 2002.Sur les quatre claviers de mon petit orgue : lire,

écrire, découvrir, éditer, Leméac/Actes Sud, 2002.Lira bien qui lira le dernier, Labor/Espace

de libertés, 2004. Babel n° 705.Entretien avec Hubert Nyssen par Jacques

De Decker, éditions du Cygne, 2005.La sagesse de l’éditeur, L’Œil neuf éditions, 2006.Neuf causeries promenades, Leméac/Actes Sud,

2006.Le mistral est dans l’escalier, journal de l’année

2006, Leméac/Actes Sud, 2007.

POÈMES

Préhistoire des estuaires, André De Rache, 1967.La mémoire sous les mots, Grasset, 1973.Stèles pour soixante-treize petites mères,

Saint-Germain-des-Prés, 1977.De l’altérité des cimes en temps de crise,

L’Aire, 1982.Anthologie personnelle, Actes Sud, 1991.

Eros in trutina, Leméac, 2004.

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OPÉRA et THÉÂTRE

Le journal d’un fou, d’après Nicolas Gogol,Théâtre de Plans, 1965.

Mille ans sont comme un jour dans le ciel, Actes Sud, 2000.

Le monologue de la concubine, Actes Sud, 2006.L’enterrement de Mozart, conte mis en musique

par Bruno Mantovani, Actes Sud, 2008.Ivanovitch et Axenty, petit opéra d’après

Le journal d’un fou de Nicolas Gogol (en préparation).

© LEMÉAC ÉDITEUR, 2008pour la France, la Belgique et la Suisse

ISBN 978-2-7609-2759-9

© ACTES SUD, 2008ISBN 978-2-330-00365-4978-2-330-00365-4

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HUBERT NYSSEN

Les déchirements

ROMAN

unendroit où aller

ACTES SUD

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A Christine pour un anniversaire.

Et à Julie,

in memoriam.

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J’ai dans ma jeunesse démesuré ment

aimé, aimé sans retour, profondé-

ment, silencieusement… Cha cun de

nous a dans le cœur une cham bre

royale ; je l’ai murée, mais elle n’est

pas détruite.

GUSTAVE FLAUBERT à Louise Colet,Correspondance, IV, 351.

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CHAPITRE PREMIER

EN BRETAGNE, LA FRATRIE DES TROIS V, UN DIA BLE AN -VERSOIS DANS UN BAZAR DE BÉNODET, CONVERSATIONAVEC LES DEMOI SELLES RAYNAUD, CON SIDÉRATIONS SUR LA

MÉMOIRE ET SUR LE NAUFRAGE DU TITANIC.

C E BENODED, lui avait demandéCo lette, ce ne serait pas en bre-ton le Bénodet de ta mère ? On

va bien voir, avait répondu Victor, etd’un coup de volant il avait quitté laroute de Quimper. Sauvage, avait-ellemurmuré en s’agrippant aux accou-doirs. Sur la corniche, ils avaient garéla voiture devant l’un de ces bazars àl’ancienne où, l’alimentation exceptée,on vendait autrefois de tout, de la mer-cerie aux jouets, de la quincaillerie à lavaisselle. Victor s’était dit qu’il allaitpeut-être y trouver des cartes postalesdu temps où sa mère avait séjournédans la cité bretonne. A ce moment-là,Valentin, m’a dit Colette, j’avais envieet besoin d’être seule, j’ai recommandéà votre frère de prendre son temps, toutson temps, de chiner à son aise, moij’irais voir la mer. Et j’y suis allée.

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Elle avait commencé à me raconter cettejournée, elle s’est interrompue et ellem’a tourné le dos de la même ma nièrequ’elle avait laissé Victor devant le bazarde Bénodet. En ce temps-là elle avait en -core une crinière blonde et de hautai -nes prudences de fauve. Main tenant desreflets d’argent scintillent dans ses che-veux, ses paupières sont plus lour des, jel’ai regardée, elle me paraît soumise ourésignée, ce n’est peut-être qu’une appa-rence, ou une ruse, mais je n’ai pas in sistépour qu’elle se ravise, je me suis retiré.Il y a moins d’un an que son mari, monfrère, a disparu dans un accident de laroute. Cette fois, au lieu d’aller voir lamer comme elle l’avait fait à Bénodet,elle allait peut-être revoir des chosesqu’elle ne voulait pas exhumer devantmoi.

Je suis le cadet de la fratrie des trois V.Nos parents, comme l’avait un jour sug -géré Victor, auraient pu nous faire ta -touer à la naissance un V sur la fesse,c’est en quelque sorte la marque de l’éle -vage familial. Aujourd’hui Victor estmort, Vincent navigue en haute mer etmoi, retraité avant l’heure, je me suismis à fréquenter Colette avec l’idée que jedécouvrirais peut-être par elle pour-quoi Victor, ce frère aîné que j’avaisad miré, envié, jalousé même, m’avait

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toujours tenu à l’écart. Colette s’est prê -tée au jeu et parfois elle me donne l’im -pression que c’est pour elle une sortede soulagement. Elle me ra conte desépisodes de leur vie conjugale sans sefaire prier. Puis soudain, comme ce soir,elle plonge et disparaît dans le silence.Mais pas de malentendu à redouter, elleaime les hom mes, moi aussi, elle n’estpas de mon bord, je ne suis pas du sien.

Rentré chez moi, je me suis installéà ma table de travail. Je cherchais parquels mots commencer cette histoire.C’était à Bénodet, en mai, à l’heure oùles touristes musardent dans les ruesavant d’aller à la plage, ai-je écrit. Jen’étais pas mécontent, la phrase medonnait l’impression que j’étais devenuun metteur en scène, toutes les indica-tions y étaient, le lieu, le temps, lespersonnages. J’ai pris de l’audace, j’aidécidé que Colette partait vers la merde son pas de danseuse, sans se retour -ner. Et que mon frère, de son côté, pous -sait la porte du bazar de Bénodet. Là,il était surpris par le déferlement denotes d’un carillon qui tirait de leurtorpeur des articles de mercerie, desoutils de jardinage, des jouets de plaged’une autre époque. Dans cette scène queje venais d’improviser, tout rappelaitl’âge, les sons et les odeurs d’un temps

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où Victor, Vincent et moi, nous avions faità Anvers nos premières classes. Tempsdes kermesses flamandes, des bara quesà frites et à beignets, temps des pro ces -sions sur l’Escaut, des corbil lards tiréspar des chevaux empanachés de noiret des chiens attelés aux charrettes delai tier, temps des navires dont les sirè -nes miaulaient dans la nuit, temps desmi nuscules théâtres où, sur une scèneou verte à la rue, des fem mes presquenues se pavanaient. Temps où, à la li -sière de ce quartier chaud interdit auxmineurs, Victor s’arrêtait, au retour del’école, devant un petit bazar de mau-vaise ré putation pour contempler, dis-posées com me des appeaux parmides usten si les et des produits de beauté,de gran des photos d’actrices à la poi-trine opu lente. Pour me dissuader desuivre son exem ple, car il craignait queje ne vende la mè che, il m’avait racontéqu’un diable, on l’appelait en flamandDuiveljager, se tenait sur le seuil. Il m’enfaisait une des cription terrifiante, Dui-veljager, disait-il, avait sous une vestemilitaire un ta blier bleu noué à la taille,il portait un chapeau melon de traverssur le crâne, un bandeau de pirate luicachait un œil et il exhibait aux piedsdes sabots qu’il frappait l’un contrel’autre en même temps qu’il martelait

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le trottoir avec une queue de billard.Un jour, avait ajouté mon frère biendécidé à me préserver de la désobéis-sance par la peur, ce Dui veljager, voyantque Vic tor ralentissait le pas et lorgnaitla vitrine, lui avait fait signe d’entrer,l’avait pris par le bras pour l’y obligeret, riant comme un ogre, lui avait donnétrois centimètres d’un ruban de réglissenoire dont il avait pêché le rouleau dansun bocal qui trônait sur le comptoir. Maisquand, intrigué par des éclats de voix,Victor s’était approché de la porte du fondpour voir par l’entrebâillement s’il yavait des matelots en train de boire avecdes femmes, Duiveljager l’avait pris parla nuque et l’avait flanqué dehors. Nikste zien, menneke ! Rien à voir, petit vau-rien ! Et Victor m’avait montré dans sanu que des traces qu’il prétendait êtrecelles des ongles ou des griffes du diable.

En mêlant ces souvenirs d’enfance àl’histoire interrompue de Colette j’aidonc imaginé ce soir que mon frère,dans ce bazar de Bénodet où il venaitde pénétrer, voyait soudain Duivelja-ger se réincarner devant lui. Avec qua-rante ans de retard, me suis-je dit, il vacomprendre que, sorti d’une comme-dia dell’arte qui a recruté les monstresde Jérôme Bosch, la Dulle Griet de Brue -gel, les masques d’Ensor et le grand

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Macabre de Ghelderode, ce Duivelja-ger est le tout premier des spectres quin’ont cessé de lui rappeler des obses-sions dont il aurait préféré ne pas sesouvenir et des hantises qu’il faisaitsemblant d’avoir oubliées. Il y avait danscette apparition une menace indéfi-nie, écrivais-je encore, et Victor étaitsur le point de fuir ce bazar breton sanste nancier ni clients mais hanté par lesfan tômes du passé quand, soulevantun rideau, une femme en longue robenoire apparaissait devant lui, telle laGrande Nanon au détour d’une phrasede Balzac.

Sans ordre mais aussi sans désordre,au hasard des petites fièvres de la mé -moire qui parfois le prenaient, m’avait ditColette quelques jours plus tôt, Victoren évoquant son enfance lui avait ra -conté l’histoire de notre mère. Il avaitinsisté sur le fait qu’elle était l’aînéed’une portée de douze enfants. Espèced’apache, lui avait répliqué Colette, tagrand-mère n’a pas pu mettre bas douzepetits monstres d’un coup ! Il avait hausséles épaules. Prends garde, Colette, fairemine de ne pas compren dre, c’est une for -me de mépris. Louise Florentin, avait-il repris, était née la première et elleétait fille. Un rang et une condition quilui avaient valu d’être, en très bas âge,

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retirée de l’école pour devenir servante,autant dire souillon, à une époque oùles lois ne s’y opposaient pas. Il fallaitsubvenir aux be soins d’une famille dontle père ga gnait peu et dont les enfantsnombreux mangeaient trop. Après avoirtrimé pendant quelques années pourdes gens qui la traitaient mal et ne lapayaient guère, elle avait eu la chanced’être prise, sur sa bonne mine, par lesBernicha, de riches bourgeois qui, ve nusde loin avec d’autres mœurs, s’étaientfait une place dans la société anver-soise. La vie de ma mère commencealors, Colette, elle commence avec lesBernicha, avait martelé Victor. Avantson entrée à leur service, elle n’a pasd’histoire, ma mère, c’est une enfantpauvre, et la pauvreté, tu devrais le com -prendre, c’est un monde sans fenêtres.Chez les Bernicha, les fenê tres s’ouvrentet ma mère a l’impression de dé cou vrirun monde où elle existe désormais. Ceque je sais, Co lette, avait encore ditmon frère, c’est que dans mon enfancema mère parlait des Bernicha commedes seuls pa trons à visage humain qu’elleait con nus, et de Bénodet, où ils avaientune propriété, comme d’un paradis ter-restre. Paradis perdu, avait-il ajouté. LesBerni cha sont morts, leurs enfants exi-lés, et ma mère n’est jamais retournée à

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Bé nodet où, pendant quelques années,elle a passé tous les étés. Et pas pours’exhiber en maillot ou jouer de l’om-brelle, avait-il ajouté avec l’air de met treColette en joue, non, mijn schat, non, machérie, mais pour s’occuper de leur mar-maille. J’ai renoncé à interrompre Co -lette pour lui rappeler que cette jeunefemme li vrée à la servitude était aussima mère, et celle de Vincent, pas seule-ment celle de Victor. Ma mère, mon en -fance, non mais pour qui se prenait-il…

Et pour vous servir, monsieur ? de -mandait soudain dans ma mise en scènela Grande Nanon qui avait compris dupremier coup d’œil que Victor n’étaitpas du genre à fréquenter la maison. Ilcherchait des cartes postales, disait-il,des cartes de Bénodet. Ce n’était doncqu’un touriste ordinaire. Le doigt tenduvers la vitrine, la vieille désignait untourniquet sur le trottoir. Qu’il ailledonc choisir ! Et elle lui tournait le doscomme si elle avait mieux à faire. Maisil la retenait. Non, non, ces cartes-là illes avait vues, ce n’était pas ce qu’ilvoulait, pas de ces images de barqueséchouées dans le sable avec leursfesses incrustées de coquillages, ni desphotos de mannequins déguisés enBretonnes à bigoudène. Il cherchait,disait-il, des cartes datant de l’époque

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176. Frédérique DegheltLA VIE D’UNE AUTRE

177. Gwenaëlle AubryNOTRE VIE S’USE EN TRANSFIGURATIONS

178. Eduardo BertiRÉTROSPECTIVE DE BERNABÉ LOFEUDO

179. Victor HugoNAPOLÉON LE PETIT

180. Göran TunströmCHANTS DE JALOUSIE

181. Anne BraganceD’UN PAS TRANQUILLE

182. Annick StevensonBLANCHE MEYER ET JEAN GIONO

183. Pia PetersenPASSER LE PONT

184. Nancy HustonPASSIONS D’ANNIE LECLERC

185. Annie LeclercL’AMOUR SELON MME DE RÊNAL

186. Jean DuvignaudLE JEU DE L’OIE

187. Breyten BreytenbachL’ÉTRANGER INTIME

188. Jean-Luc OutersLE VOYAGE DE LUGA

189. László FöldényiDOSTOÏEVSKI LIT HEGEL EN SIBÉRIE ET FOND EN LARMES

190. Ophélie JaësanLE POUVOIR DES ÉCORCESsuivi deLA NUIT DU SYMBOLE

191. Hubert NyssenLES DÉCHIREMENTS

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Ouvrage réalisépar le Studio Actes Sud

En partenariat avec le CNL.

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