Humilite Et Profanation

Si le premier roman de Roger Lemelin (1919-1992)apparat de prime abord humoristique et pittoresquepar sa description de la vie paroissiale dans la basse-ville de Qubec au tournant des annes trente, il nenmne pas moins un combat contre un certain dis-cours catholique qui exalte lhumilit, la pit de lapnitence et la saintet crucifiante. Dans son tudesur Au pied de la pente douce (1944), Jacques Cardinalanalyse lironie profanatrice dune uvre qui dnoncela duplicit de nombreux personnages, et lincidencetout aussi profanatrice dune reprsentation de lasouf france, de lhumiliation et de la mort qui ne sins-crit pas demble dans le discours de lImitatio Christi.Par ce refus dune sublimation chrtienne inspire dela Passion est rprouv un certain ordre social prnpar lglise, en mme temps que souvre la voie lex-pression dun ralisme jusque-l plutt rare dansnotre histoire littraire. Cest une dimension parti-culire de notre hritage catholique si ce nest unaspect du rcit identitaire du Canada franais quecette criture met en procs, enmlant au rire lespritconqurant et la dtresse sans rdemption.

HumiLitet pRofanation

Jacques Cardinal enseigne la littrature lUniversit de Montral. Il est lau-teur de : Le roman de lhistoire. Politique et transmission du nom dans Prochainpisode et Trou de mmoire de Hubert Aquin (finaliste au prix Raymond-Klibansky) ; La Paix des Braves. Une lecture politique des Anciens Canadiens dePhilippe Aubert de Gasp ; Le livre des fondations. Incarnation et enqubecquoise-ment dans Le ciel de Qubec de Jacques Ferron (finaliste au prix Jean-thier-Blais) et Filiations. Folie, masque et rdemption dans luvre de Michel Tremblay.

ISBN 978-2-924186-10-7

9 7 8 2 9 2 4 1 8 6 1 0 7

Photo: M

artin

e Doyon

25 $

Humilit et profanation

Jacques Cardinal

essai

Jacq

ues

Car

dina

lH

um

iLit

et

pRo

fan

atio

n

www.levesqueediteur.com

Au pied de la pente douce de Roger Lemelin

Extrait de la publication

La collection

est dirige par


Dans la mme collection

Jacques Cardinal, Filiations. Folie, masque et rdemption dans luvre deMichel Tremblay, essai.

Roland Chollet et Stphane Vachon, lcoute du jeune Balzac. Lchodes premires uvres publies (1822-1829), textes prsents parRoland Chollet avec la collaboration de Stphane Vachon, ru-nis et annots par Stphane Vachon avec la collaboration deRoland Chollet [en codition avec les Presses Universitaires deVincennes].

Du mme auteur

Le roman de lhistoire. Politique et transmission du nom dans Prochainpisode et Trou de mmoire de Hubert Aquin, Montral, ditionsBalzac, coll. LUnivers des discours , 1993. (Finaliste pour leprix Raymond-Klibansky)

La Paix des Braves. Une lecture politique des Anciens Canadiens dePhilippe Aubert de Gasp, Montral, XYZ diteur, coll. Docu -ments , 2005.

Le livre des fondations. Incarnation et enqubecquoisement dans Le ciel deQubec de Jacques Ferron, Montral, XYZ diteur, coll. Docu -ments , 2008. (Finaliste pour le prix Jean-thier-Blais)

Filiations. Folie, masque et rdemption dans luvre de Michel Tremblay,Montral, Lvesque diteur, coll. Rflexion, 2010.


Jacques Cardinal

Humilit et profanationAu pied de la pente douce

de Roger Lemelin


Catalogage avant publicationde Bibliothque et Archives nationales du Qubec et Bibliothque et Archives Canada

Cardinal, JacquesHumilit et profanation : Au pied de la pente douce de Roger Lemelin

(Rflexion)Comprend des rf. bibliogr.ISBN 978-2-924186-10-7

1. Lemelin, Roger, 1919-1992. Au pied de la pente douce. 2. Lemelin, Roger, 1919-1992 Critique etinterprtation. 3. Humilit dans la littrature. 4. Sacrilge dans la littrature. I. Titre. II. Collection :

Collection Rflexion (Montral, Qubec).PS8523.E51A83 2012 C843.52 C2012-942570-2

PS9523.E51A83 2012

Lvesque diteur remercie la Socit de dveloppement des entreprises culturelles du Qubec (SODEC)de son soutien financier.

Lvesque diteur et Jacques Cardinal, 2012

Lvesque diteur11860, rue Guertin

Montral (Qubec) H4J 1V6Tlphone : 514.523.77.72Tlcopieur : 514.523.77.33

Courriel : [email protected] Internet : www.levesqueediteur.com

Dpt lgal : 4e trimestre 2012Bibliothque et Archives Canada

Bibliothque et Archives nationales du QubecISBN 978-2-924186-10-7 (dition papier)

ISBN 978-2-924186-11-4 (dition numrique)

Droits dauteur et droits de reproductionToutes les demandes de reproduction doivent tre achemines :Copibec (reproduction papier) 514.288.16.64 800.717.20.22

[email protected]

Distribution au Canada Distribution en EuropeDimedia inc. Librairie du Qubec

539, boul. Lebeau 30, rue Gay-LussacSaint-Laurent (Qubec) H4N 1S2 75005 Paris

Tlphone : 514.336.39.41 Tlphone : 01.43.54.49.02Tlcopieur : 514.331.39.16 Tlcopieur : 01.43.54.39.15

www.dimedia.qc.ca [email protected] [email protected]

Production : Jacques RicherConception graphique et mise en pages : discript enr.

Illustration de la couverture : Prudence Heward, Rosaire, 1935, huile sur toile, 102 cm 92 cm, Muse des beaux-arts de Montral, achat, legs William Gilman Cheney

Photo : Muse des beaux-arts de Montral, Christine GuestPhotographie de lauteur : Martine Doyon


Table

Prologue ..................................................................................... 11

Premire partieDe la saintet et de lironie

Chapitre premierPortrait de Grard Raymond............................................... 17

Chapitre deuxLe saint, les dvots, le ptard ............................................... 27

Chapitre troisLes prtres de la paroisse ..................................................... 37

Chapitre quatreDenis Boucher : ambitieux et profanateur ........................... 49

Chapitre cinqDenis Boucher : crivain grandiloquent .............................. 57

Chapitre sixLagonie et la mort de Gaston Boucher ............................... 65

Deuxime partieTombeau de Jean Colin

Chapitre septPremires blessures .............................................................. 73

Chapitre huitLes gurisseuses.................................................................... 79

Chapitre neufLe scrofuleux ........................................................................ 85

Chapitre dixLa visite des amis.................................................................. 97

Chapitre onzeDivagations........................................................................... 107

Chapitre douzeDernier outrage.................................................................... 119

pilogue ..................................................................................... 127


Notes .......................................................................................... 131

Bibliographie .............................................................................. 193

Acte dHumilit : Mon Dieu, je ne suisque cendre et poussire ; rprimez lesmouvements dorgueil qui slventdans mon me, et apprenez-moi mempriser moi-mme, vous qui rsistezaux superbes et qui donnez votre grceaux humbles.

Le catchisme, Qubec, 1944

Mais moi, je me hais ds que je com-mence tre humble.

dixit Denis Boucher dans Au pied de la pente douce (1944)

Prologue

Que nous reste-t-il de Roger Lemelin (1919-1992) ? Malgr lesuccs populaire de ladaptation cinmatographique de ses romans Les Plouffe par Gilles Carle (1981) et Le crime dOvide Plouffe parDenys Arcand (1984) , son uvre romanesque est-elle encore lue ?Le personnage public lhomme daffaires, le prsident-diteurde La Presse, lditorialiste et confrencier aux convictions fdra-listes a-t-il peu peu relgu le romancier au second rang ?

Luvre de Roger Lemelin apparat dsormais plutt dlaissepar les chercheurs il na pas connu la fortune critique de GabrielleRoy, sa contemporaine depuis que son uvre a t identifie, dansle cadre de notre histoire littraire, lmergence dun ralisme enrupture avec le discours du roman de la terre et son apologie de lavie rurale et catholique. La critique a dabord reconnu dans luvrede Lemelin son aspect peinture de murs , soulignant en parti-culier le ton lger, lhumour et lvocation pittoresque de la vie desouvriers dune paroisse urbaine autour des annes trente 1. Certainsont plutt insist sur le fait que luvre tmoignerait des change-ments qui touchent alors la collectivit qubcoise sur le plan co-nomique et social 2. Dautres ont mis en relief lavnement de lafigure de lcrivain, lment rvlateur du conflit des codes natureet culture, littrature savante et culture populaire qui faonnentnotre espace social et culturel 3.

La critique na gure abord cependant, constatons-le, la ques-tion de lincidence du catholicisme sur cette uvre, alors quilsagit dun discours minemment structurant de notre identit col-lective. Bien que lon trouve chez la plupart des commentateursdes remarques sur le pouvoir du clerg et la domination de lordre

paroissial, langle de lecture demeure plutt descriptif et non pasenracin dans une critique du discours. Or, lanalyse du discours delhumilit, notion fondamentale du christianisme, permet dexplici-ter la nature du combat que met en scne Au pied de la pente douce 4.Lanalyse du roman rvle en effet une mise en procs non seule-ment du discours de lhumilit, mais de la pit axe sur la pnitence,le renoncement et lidal de la saintet, notamment la saintet cru-cifiante, par laquelle le croyant en appelle la mortification, sinonau martyre, pour prouver sa foi et trouver son salut en Dieu 5. Pourlutter contre le pch dorgueil associ toutes les concupiscences, ce rgne du mal qui drive du pch originel, le discours de la sain-tet crucifiante voque une pit de lexpiation, de la souffrance etdu mpris de la chair. Ce discours, sans tre hgmonique ou domi-nant, nen demeure pas moins bien prsent dans la socit qub-coise du dbut du XXe sicle en particulier dans les annes trente,poque o se droule lintrigue du roman ltude , alors que serpand une littrature apologtique voquant de jeunes saint(e)s dechez nous, que se multiplient les lieux de plerinages et que la dvo-tion envers les saints Martyrs canadiens, canoniss Rome en 1930,est florissante 6. Comme on pourra le constater, la dvotion envers lesminariste Grard Raymond (1912-1932) lequel cherchait lasainte humilit par la mortification est fort rvlatrice de ce cli-mat social.

En publiant Au pied de la pente douce en 1944, Roger Lemelin setrouve remettre en question ce discours, si ce nest un certain ordreparoissial qui, en partie, sen rclame et voudrait limposer. Dans sonroman, la mise en procs de lhumilit et du saint, le plus humbledes hommes, ne prend pas seulement la forme de la satire sociale etde lironie profanatrice montrant la duplicit retorse des parois-siens et des membres du clerg, mais se dploie aussi sur un autreregistre, en convoquant une autre reprsentation de la souffrance etde la mort, autre que celle de lImitatio Christi, du sermo humilis, dela sublime humilit associe la vie du Christ, aux vnements relis la Passion et au supplice de sa mort sur la Croix 7. Lanalyse duroman suggre considrant notamment la maladie, lagonie et lamort du personnage de Jean Colin non seulement une critique dudiscours de lhumilit (et de son corollaire, la pauvret), mais undplacement profanateur de la reprsentation de lhumilit et de la

12 Humilit et profanation


souffrance qui se trouve rattache ce discours. Par son refus dela sublimation, de lappel Dieu, Jean Colin incarne en effet uneautre exprience de la souffrance, de lhumiliation et de la mort.Ce dplacement savre dcisif et contribue, laube de la Rvolu -tion tranquille, ouvrir une autre brche dans ldifice du discours clrico-nationaliste, tout en proposant un singulier ralisme dont oncherchera prendre la mesure. Par sa critique de lhumilit chr-tienne, le roman sattaque en dfinitive lun des aspects importantsdu rcit identitaire du Canada franais.

Prologue 13


Premire partie

De la saintet et de lironie


Chapitre premier

Portrait de Grard Raymond

Commenons notre lecture du roman de Roger Lemelin en vo-quant dabord le discours sur la saintet qui sy dploie. Les sursCcile et Peuplire Latruche, vieilles filles pudibondes et bigotes dela paroisse de Saint-Joseph, cultivent avec zle une dvotion enverscelui que lon appelle le jeune saint paroissial , comme le proposece portrait :

Les deux fossiles avaient perdu leur personnalit avec les derniers ves-tiges de leur aptitude inassouvie pour les plaisirs humains. En pensant elles, ce ntait plus leurs visages quon voquait. Il venait plutt ausouvenir le relent dune dsagrable pieuserie, une pieuserie qui lesdsagrgeait comme un acide, sapait les restes dattraits de leurs corpsingrats. Ce renoncement dsinvolte, trop superficiel pour se rendrejusqu Dieu, stait empar avec avidit du jeune saint paroissial, quiavait la dcence dtre mort. Elles lempiffraient dinvocations, decompliments, de pmoisons, de litanies, sans piti pour ce garon obs-cur qui avait trop jen sur la terre pour tre goinfre au ciel. (AP, 143)

Constatons dabord que la voix narrative du roman est htrodi-gtique et ne privilgie pas le point de vue dun personnage. Cettevoix nest cependant pas neutre, ni distante, en ce quelle prsente avecironie le portrait de la grenouille de bnitier, incarnation dune pieu-serie bien prsente au sein de la vie paroissiale du Canada franaisavant la Rvolution tranquille. Le portrait de lironiste suggre en effetune chastet mortifre, le refus de la chair, la superficialit de la foi,une charit envers le prochain bassement intresse et compensatoire,une conomie (largent, la vie) la fois parasitaire et bien ordonne,


le souci constant de son rang dans la hirarchie paroissiale, les gestescalculs et intresss dissimuls derrire les nobles sentiments ou ladvotion, la petitesse des passions en regard de la sublime lvation dudiscours catholique. Lironie apparat notamment par le jeu de la mta-phore qui se trouve contredire lloge de lasctisme et le mpris desnourritures terrestres, ds lors que les bigotes empiffrent le jeune saintdinvocations et de litanies, comme si lascse, la prire tournaientmalgr tout la ripaille, une coupable gourmandise un pch,selon le Catchisme , un dbordement licencieux que la priredevrait en principe contenir. La scne du sacr, de la saintet, savrede la sorte profane par ces paroissiennes zles.

Le portrait des bigotes est galement peu difiant en ce que leursentiment de supriorit envers des mres de la paroisse soppose auprincipe de lhumilit chrtienne o chacun est, en dignit, lgal detous sous le regard de Dieu : Jouissant dune honnte rente viagrecre par leur pre, ancien marchand dhutres, les demoisellesLatruche se donnaient toutes une mysticit du commrage, con -vaincues de leur supriorit sur les pcheresses comme Barloute etles mres fcondes comme Flora. (AP, 144) La mysticit du com-mrage soppose galement lidal dune parole inspire du divin, la fois juste et misricordieuse envers le prochain. La dvotion dessurs Latruche est manifestement domine par des proccupationsgostes, si ce nest par le dsuvrement et la rivalit. La vertu dontelles se rclament charit envers lautre, sacrifice de soi, abnga-tion nest quun voile dont elles se couvrent pour accrotre leurprestige, sinon leur pouvoir, sur la scne paroissiale. En somme, sousle regard de lironiste, laveuglement et la fuite dans la dvotion sontnon seulement le rempart qui protge leur virginit, mais tout lafois lexutoire de leurs petites ambitions et de leur refus du monde :Avant la dcouverte de leur petit saint, ces parasites, dpites dtrerefuses parmi les Enfants de Marie et les Femmes de la Sainte-Famille, staient senties comme diminues, sans but. On comprendla soudaine fureur de leur dvouement pour ce mort qui les avait enquelque sorte rhabilites. Aussi ne songeait-on pas convaincre defutilit ces vieilles filles dont tout le pass tait rempli par le conser-vatisme de leur virginit et dont tout lavenir se remplirait des formesdsincarnes dun cleste jouvenceau. (AP, 144) Leur nom mmevoque par assonance Latruche, lautruche cet aveuglement

18 Humilit et profanation

Si le premier roman de Roger Lemelin (1919-1992)apparat de prime abord humoristique et pittoresquepar sa description de la vie paroissiale dans la basse-ville de Qubec au tournant des annes trente, ilnen mne pas moins un combat contre un certaindiscours catholique qui exalte lhumilit, la pit dela pnitence et la saintet crucifiante. Dans sontude sur Au pied de la pente douce (1944), JacquesCardinal analyse lironie profanatrice dune uvrequi dnonce la duplicit de nombreux personnages,et lincidence tout aussi profanatrice dune repr-sentation de la souf france, de lhumiliation et de lamort qui ne sinscrit pas demble dans le discoursde lImitatio Christi. Ce refus dune sublimationchrtienne inspire de la Passion ouvre la voie lex-pression dun ralisme jusque-l plutt rare dansnotre histoire littraire. Cest une dimension parti-culire de notre hritage catholique si ce nest unaspect du rcit identitaire du Canada franais quecette criture met en procs, en mlant au rire les-prit conqurant et la dtresse sans rdemption.

HumiLitet pRofanation

Jacques Cardinal est professeur de littrature lUniversit de Montral.Il est lauteur de : Le roman de lhistoire. Politique et transmission du nomdans Prochain pisode et Trou de mmoire de Hubert Aquin (finaliste auprix Raymond-Klibansky) ; La Paix des Braves. Une lecture politique desAnciens Canadiens de Philippe Aubert de Gasp ; Le livre des fondations.Incarnation et enqubecquoisement dans Le ciel de Qubec de Jacques Ferron(finaliste au prix Jean-thier-Blais) et Filiations. Folie, masque et rdemp-tion dans luvre de Michel Tremblay.

Photo: M

artin

e Doyon


Jacques Cardinal

essai

Jacq

ues

Car

dina

lH

um

iLit

et

pRo

fan

atio

n

www.levesqueediteur.com

Au pied de la pente douce de Roger Lemelin


Documents

Humilite Et Profanation