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Hypnose: quelle place en soins palliatifs?

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Page 1: Hypnose: quelle place en soins palliatifs?

VIGNETTE CLINIQUE

Hypnose : quelle place en soins palliatifs ?

The place of hypnosis in palliative care

S. Colombo

Resume : L’hypnose a une place particuliere en soins palliatifs,parce qu’elle permet un vecu immediat et differe dechangements aux niveaux cognitif, emotionnel et comporte-mental. Le sentiment de controle et d’etre actif est essentiel. Unexemple clinique montre comment l’hypnose, en particulierpar le biais des metaphores, peut etre utilisee.

Mots cles : Hypnose – Soins palliatifs – Effets secondaires –Douleur – Nausee

Abstract: Hypnosis has a special place in palliative carebecause it allows both an immediate and delayed percep-tion of changes that take place on the cognitive, emotionaland behavioural levels. Therapy mainly focuses on controland active participation. We present a clinical case thatdemonstrates how hypnosis can be used, with an emphasison the use of metaphors.

Keywords: Hypnosis – Palliative care – Side effects – Pain –Nausea

Introduction

Lors des soins palliatifs, les moyens dont disposent lestherapeutes sont varies : une pharmacotherapie pour lesdouleurs, l’anxiete ou pour attenuer les effets secondairesd’une chimiotherapie, la physiotherapie pour la mobilite,une approche cognitive et comportementale pour ameliorerla vision du patient concernant sa maladie et l’inciter atrouver des comportements davantage compatibles avec sasouffrance lui permettant de garder au moins une partie desactivites desirees. S’y ajoute l’aide a domicile qui, couvrantune partie du quotidien, devrait permettre la meilleureautonomie possible. Tous ces moyens se situent sur un plan

connu, celui du rationnel. Des solutions peuvent etreproposees, puis choisies ; le reamenagement des activitessera programme. Evidemment, lors de la mise en acte de cesmoyens, l’aspect relationnel reste de premiere importance.

Et alors, pourquoi l’hypnose ? Parce qu’elle est un etatpsychologique dynamique particulier, ou le niveau deconscience est different du niveau ordinaire et ou lasensibilite et la receptivite sont augmentees : l’hypnosepermet un vecu immediat et differe de changements auxniveaux cognitif, emotionnel et comportemental.

Une ecoute attentive du comment le patient amene saproblematique, le plus souvent une douleur ou un effetsecondaire des therapies, permet au therapeute decontextualiser la plainte. Dans les soins palliatifs, lademande du patient inclut le besoin de faire le point sursa vie afin de mieux recadrer la suite. Il peut s’agir d’unerevue biographique ou d’un aspect particulier selon lebesoin du patient et le moment de la demande.

L’echange entre patient et therapeute ne peut pas resteruniquement sur un plan verbal, voire « philosophique » ; ildoit se traduire concretement dans le quotidien : autonomiepersonnelle, activites possibles, prise de decisions, confort,recherche du plaisir. La parole echangee et partagee aucabinet se doit de s’incarner. C’est le corps qui souffre et c’estle corps qui demande un mieux-etre.

L’hypnose favorise cette « incarnation ». Elle est cettefocalisation de l’attention qui vise les cinq sens et donc lecorps. Elle eveille en lui les capacites au changement, luifait ressentir en seance que « cela peut etre autrement »,que cet « autrement » n’est pas seulement plausible, maisreel, ici et maintenant.

Exemple clinique

Mme R., 74 ans, souffre d’une recidive d’un cancer du sein.Son oncologue a ete clair : la chimiotherapie vise un

S. Colombo (*)

3, place du Marche, CH-1227 Carouge, Geneve, SuisseE-mail : [email protected]

Doul. et Analg. (2008) 21: 39–40

© Springer 2008

DOI 10.1007/s11724-008-0070-y

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ralentissement de la maladie, pas sa guerison. La patienteen est bien consciente et me parle de « peut-etre six mois,peut-etre deux ans ». Sa plainte porte principalement surles nausees liees a la chimiotherapie. Elles la contraignent arester a la maison la plupart du temps et coupent touteenvie de se nourrir.

J’ecoute la plainte et aussi le contexte. Depuis deuxsemaines, son mari se trouve aux soins intensifs suite a unegrave maladie. L’espoir d’une amelioration est quasi nul.Ainsi, Mme R. se sent tres affaiblie, non seulement a causede son cancer et sa therapie, mais aussi par les visitesqu’elle rend a son mari. Sur le plan emotionnel, elle me ditetre prete a son deces.

La situation clinique presente donc deux aspects : uneperte d’autonomie liee aux nausees et une perte d’unsoutien qui, auparavant, lui a ete fort benefique. Sa« derniere etape » implique une autre etape, celle de seretrouver seule et en charge de « tout ce qu’il faut faire ».

Mme R. a beaucoup voyage avec son mari. Elle medecrit des paysages asiatiques recouverts de fleurs delicatescaressees par des lumieres aux couleurs pastel. J’ecoute,cueillant chaque fleur pour former le bouquet d’une futuretranse.

La priorite de la premiere seance etant les nausees, je luidemande ses gouts. « J’aime la bonne cuisine, m’explique-t-elle, mais la simplicite de quelques tomates avec du basilic etune tombee d’huile d’olive reste mon plat prefere ».Auparavant, elle m’avait dit qu’elle avait un chalet a lamontagne. Je propose, suivant son desir, d’aller visiter lejardin de son chalet. Apres une induction de la transe pardeplacement de l’attention des stimuli exterieurs vers un oudeux points d’appui de son corps sur le fauteuil, nous voicidans le jardin, ou des tomates bien mures et du basilicparfume l’attendent a l’ombre d’un grand arbre qui pousseindependamment des conditions meteorologiques ; unemetaphore qui propose une reprise d’autonomie face auxnausees. Elle goute lentement ce repas improvise, ou toutesles sensations olfactives et gustatives sont soulignees.Evidemment, l’huile d’olive etait des meilleures, commeindique par la patiente juste apres la transe.

Je revois Mme R. une semaine plus tard. Les nausees ontdiminue, elles sont actuellement « supportables » et lapatiente a repris ses sorties en ville. De plus, elle precise :« un soir, l’arbre m’est revenu... sa force, sa fraıcheur, sapresence... Je ne sais pas... Le lendemain, je suis allee voir uneamie et je n’ai pas ete a l’hopital voir mon mari ». Un bonexemple des capacites de la patiente de faire sienne lametaphore au-dela de l’idee du therapeute ; elle peut se fixerun objectif bon pour elle (voir une amie) meme si lescirconstances sont difficiles (son mari est a l’hopital).

Trois semaines apres, son mari decede. Mme R. setrouve a devoir prendre des decisions importantes, telle lavente du chalet. Seulement voila, Mme R. souffre d’unepeur du vide quand elle conduit et, en plus, elle craint dedormir seule au chalet. Elle me demande s’il est possibled’inclure ces difficultes dans la prochaine transe, car,commente-t-elle, non sans humour : « Je ne vois pascomment tomates et basilic peuvent m’aider face a lapeur du vide ».

Je reprends, en hypnose, un de ses voyages en Asiepropice a plusieurs suggestions. Aussitot l’etat de transeinduit, je propose de se concentrer sur l’avion qui vient demettre les moteurs a fond. Mme R. ressent cette force sousla forme du poids qui s’enfonce dans le siege (son poidstransmis au siege de la voiture, aux pneus, a la route). EnAsie, les fleurs delicates sont exposees a des vents parfoisviolents ; plus les vents sont forts et plus les racines desfleurs s’enfoncent dans la terre et se fortifient. Parfois, ellespoussent sur des pentes assez raides...

Pour la crainte d’etre seule au chalet, la lumiereparticuliere des champs en Asie qu’elle m’avait decritevient a la rescousse. Toujours en transe, je lui suggere qu’aumoment de fermer les volets du chalet, un discret et fin rayonde cette lumiere s’invite chez elle. Il l’accompagne de lalumiere d’aujourd’hui a celle du lendemain (elle n’est doncpas seule la nuit). De plus, cette lumiere partage une partie deses couleurs avec la lumiere des etoiles (il y a continuite entredeux jours et les endroits, l’Asie et la vallee de son chalet).

Enfin, un grand voyage dans un pays lointain demandede prendre des decisions qui puissent etre les meilleurespour le voyageur en question. Je propose de bien observerla carte routiere juste devant elle, la ou une bifurcationexige le choix d’une route. Je demande de me signalerquand et a quel endroit de son corps elle ressent cettecapacite qui vient de lui permettre de choisir la bonneroute. Je suggere une augmentation de cette sensation quiva demeurer au-dela de la seance (suggestion d’un vecuimmediat et differe).

A la fin de la transe, Mme R. se dit tres emue, ses yeuxlaissent couler des larmes. Elle precise : « Au moment derevoir ces fleurs, j’ai ressenti une chaleur en moi, tresagreable et, en meme temps, une grande tristesse. Monmari n’etait pas a cote de moi... Il est parti ». Je pose mamain sur la sienne, un moment de silence nous unit. Elleme regarde et dit : « Oui, il est parti, je ne suis pas seule...sa presence est maintenant en moi comme le parfum de cesfleurs ».

Declaration de conflit d’interet : Je declare n’avoiraucun conflit d’interet.

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