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(~ Masson, Paris. CAS Ann Fr Anesth R6anim, 8- 355-356, 1989 CLINIQUE Hypokali6mie profonde paucisymptomatique r6valatrice d'une acidose tubulaire distale Distal renal tubular acidosis revealed by a severe hypokalaemia with few clinical features L. PAPAZIAN *, D. QUINSAT **, R. COSTELLO **, J.R. HARLE **, G. FRAN(~OIS * • D6partement d'Anesth6sie-R6animation, G.H. Timone-Marseille, 13385 Marseille Cedex 5. •* Clinique Mddicale B, G.H. Timone-Marseille, 13385 Marseille Cedex 5. RI~SUMI~ : Nous pr6sentons une observation d'hypokali6mie a 1 mmol • 1 -I r6v61atrice d'une acidose tu- bulaire distale (ATD) de type 1. La symptomatologie clinique mineure contraste avec la richesse du tableau biologique. La correction du d6ficit potassique a n6cessit6 un apport de 0,38 mmol • kg -1 • h -1 durant les premi6res 24 heures. Les investigations cliniques et paracliniques ult6rieures ne permettront pas de retrouver d'6tiologie ~ cette ATD, permettant ainsi de parler de forme sporadique. La tol6rance clinique exceptionnelle d'un aussi profond d6ficit potassique pourrait plaider en faveur d'une reconstitu- tion plus progressive du pool potassique. Mots cl6s : MILIEU INTI~RIEUR : hypokali~mie, acidose. Le cas d'hypokali6mie profonde par acidose tubulaire distale de type 1 (ATD) rapport6, qui tire son originalit6 de la discr6tion des signes clini- ques et des modalit6s du traitement. OBSERVATION Une femme de 47 ans est hospitalis6e pour astb6nie, ano- rexie, naus6es, constipation 6voluant depuis deux mois (poids h l'entr6e : 52 kg). L'examen montre une fr6quence cardiaque h 80 b. min -~, une pression art6rielle h 110/70 mmHg, une fr6quence respira- toire h 20 c • min -1. Le tableau neurologique se r6sume ~ une faiblesse musculaire pr6dominant aux membres inf6rieurs avec quelques fasciculations et une diminution des r6flexes ost6o- tendineux (le r6flexe idio-musculaire n'est pas retrouv6). Les examens biologiques montrent une hypokali6mie ~t 1 mmol • 1-1, une natr6mie tt 131 mmol • 1-1 et une hyperchlo- r6mie /t 111 mmol • 1-1; La glyc6mie, la calc6mie, la phosphat6mie, la magn6s6mie et la protid6mie sont normales. L'azot6mie est ~t 21 mmol • 1-1, la cr6atinin6mie ~ 202 i~mol. 1 -t. Les gaz du sang art6riel mon- trent une acidose m6tabolique (pH 7,26, PaCO2 19 mmHg, bicarbonates 8 mmol. 1-1). La PaO2 est h 108 mmHg. La lactacid6mie et la pyruvic6mie sont normales. Une rhabdomyo- lyse est pr6sente: CPK 4518UI.1-1 (N< 130UI-1-1 ) avec une myoglobin6mie et une myoglobinurie. Le pH urinaire est h 7, la kaliur6se A 30 mmol • 1-1. L'ECG ne r6v61e qu'un aplatissement de l'onde T, la pr6- sence d'une onde U et un sous-d6calage du segment S-T. L'apport potassique par voie parent6rale (sous forme de chlorure de potassium) sera de 480 mmo! au cours des 24 premi6res heures d'hospitalisation (fig. 1). Aucun trouble du rythme cardiaque ne sera enregistr6. Durant cette p6riode aucune assistance respiratoire ne sera n6cessaire. "= 0,9 ~. 0.8 0,7 ~ 0,5 0.4 "~ 0,3 0,2 0,1 0 5 10 15 ~d 20 Temps (h) Fig. 1. -- Evolution de la kali6mie et apport potassique au cours des 24 premi6res heures. Les explorations compl6mentaires effectu6es ult6rieurement permettront de confirmer l'existence d'une acidose tubulaire distale. Le pH urinaire va toujours rester sup6rieur ~ 7 et la kaliur6se ti 30 mmol. 1 1. La fraction d'61imination des bicar- bonates urinaires est retrouv6e normale. En revanche on note une diminution de l'excr6tion urinaire de l'acidit6 titrable et de l'ammoniurie. La b6ta 2-microglobuline urinaire est tr6s 61ev6e /t 28 000 p.g. 1-1 (N < 400) t6moignant de l'atteinte tubulaire. Par ailleurs, la cortisol6mie est ~t 430 nmol • 1-1 (N : 200-700), I'ACTH /t 25pg. m1-1 (N: 10-60), la r6nine active h 15 ng• 100 ml 1 (N : 20-50). L'aldost6ron6mie est 6galement retrouv6e normale ~i 7,5 ng• 100 m1-1 (N : 1-12). Au plan des explorations morphologiques, l'abdomen sans pr6paration, l'urographie IV et l'6chographie r6nale sont nor- maux, 61iminant la pr6sence d'une n6phrocalcinose ou d'une py61on6phrite. La ponction-biopsie r6nale confirmera l'atteinte tubulaire distale en montrant une n6phropathie tubulo-intersti- tielle h pr6dominance distale avec angioscl6rose et sans atteinte glom6rulaire. Requ le 4 aof~t 1988 ; accept6 apr6s r6vision le 2 mai 1989. Tires a part : L. Papazian.

Hypokaliémie profonde paucisymptomatique révélatrice d'une acidose tubulaire distale

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Page 1: Hypokaliémie profonde paucisymptomatique révélatrice d'une acidose tubulaire distale

(~ Masson, Paris. CAS Ann Fr Anesth R6anim, 8- 355-356, 1989 C L I N I Q U E

Hypokali6mie profonde paucisymptomatique r6valatrice d'une acidose tubulaire distale

Distal renal tubular acidosis revealed by a severe hypokalaemia with few clinical features

L. PAPAZIAN *, D. QUINSAT **, R. COSTELLO **, J.R. HARLE **, G. FRAN(~OIS *

• D6partement d'Anesth6sie-R6animation, G.H. Timone-Marseille, 13385 Marseille Cedex 5. • * Clinique Mddicale B, G.H. Timone-Marseille, 13385 Marseille Cedex 5.

RI~SUMI~ : Nous pr6sentons une observation d'hypokali6mie a 1 mmol • 1 -I r6v61atrice d 'une acidose tu- bulaire distale (ATD) de type 1. La symptomatologie clinique mineure contraste avec la richesse du tableau biologique. La correction du d6ficit potassique a n6cessit6 un apport de 0,38 mmol • kg -1 • h -1 durant les premi6res 24 heures. Les investigations cliniques et paracliniques ult6rieures ne permettront pas de retrouver d'6tiologie ~ cette ATD, permet tant ainsi de parler de forme sporadique. La tol6rance clinique exceptionnelle d 'un aussi profond d6ficit potassique pourrait plaider en faveur d 'une reconstitu- tion plus progressive du pool potassique.

Mots cl6s : MILIEU INTI~RIEUR : hypokali~mie, acidose.

Le cas d'hypokali6mie profonde par acidose tubulaire distale de type 1 (ATD) rapport6, qui tire son originalit6 de la discr6tion des signes clini- ques et des modalit6s du traitement.

OBSERVATION

Une femme de 47 ans est hospitalis6e pour astb6nie, ano- rexie, naus6es, constipation 6voluant depuis deux mois (poids h l 'entr6e : 52 kg).

L 'examen montre une fr6quence cardiaque h 80 b . min -~, une pression art6rielle h 110/70 mmHg, une fr6quence respira- toire h 20 c • min -1. Le tableau neurologique se r6sume ~ une faiblesse musculaire pr6dominant aux membres inf6rieurs avec quelques fasciculations et une diminut ion des r6flexes ost6o- tendineux (le r6flexe idio-musculaire n'est pas retrouv6).

Les examens biologiques montrent une hypokali6mie ~t 1 mmol • 1-1, une natr6mie tt 131 mmol • 1-1 et une hyperchlo- r6mie /t 111 mmol • 1-1;

La glyc6mie, la calc6mie, la phosphat6mie, la magn6s6mie et la protid6mie sont normales. L'azot6mie est ~t 21 mmol • 1-1, la cr6atinin6mie ~ 202 i~mol. 1 -t . Les gaz du sang art6riel mon- trent une acidose m6tabolique (pH 7,26, PaCO2 19 mmHg, bicarbonates 8 m m o l . 1-1). La PaO2 est h 108 mmHg. La lactacid6mie et la pyruvic6mie sont normales. Une rhabdomyo- lyse est p r6sen te : CPK 4 5 1 8 U I . 1 - 1 ( N < 1 3 0 U I - 1 - 1 ) avec une myoglobin6mie et une myoglobinurie.

Le pH urinaire est h 7, la kaliur6se A 30 mmol • 1-1. L 'ECG ne r6v61e qu'un aplatissement de l 'onde T, la pr6-

sence d 'une onde U et un sous-d6calage du segment S-T. L 'apport potassique par voie parent6rale (sous forme de

chlorure de potassium) sera de 480 mmo! au cours des 24 premi6res heures d'hospitalisation (fig. 1). Aucun trouble du rythme cardiaque ne sera enregistr6. Durant cette p6riode aucune assistance respiratoire ne sera n6cessaire.

"= 0,9

~. 0.8 0,7

~ 0,5

0.4 "~ 0,3

0,2

0,1

0 5 10 15

~d

20 Temps (h)

Fig. 1. - - Evolution de la kali6mie et apport potassique au cours des 24 premi6res heures.

Les explorations compl6mentaires effectu6es ult6rieurement permettront de confirmer l 'existence d 'une acidose tubulaire distale. Le pH urinaire va toujours rester sup6rieur ~ 7 et la kaliur6se ti 30 m m o l . 1 1. La fraction d'61imination des bicar- bonates urinaires est retrouv6e normale. En revanche on note une diminution de l'excr6tion urinaire de l'acidit6 titrable et de l 'ammoniurie. La b6ta 2-microglobuline urinaire est tr6s 61ev6e /t 28 000 p.g. 1-1 (N < 400) t6moignant de l 'atteinte tubulaire. Par ailleurs, la cortisol6mie est ~t 430 nmol • 1-1 (N : 200-700), I 'ACTH /t 2 5 p g . m1-1 ( N : 10-60), la r6nine active h 15 ng• 100 ml 1 (N : 20-50). L'aldost6ron6mie est 6galement retrouv6e normale ~i 7,5 ng • 100 m1-1 (N : 1-12).

Au plan des explorations morphologiques, l 'abdomen sans pr6paration, l 'urographie IV et l '6chographie r6nale sont nor- maux, 61iminant la pr6sence d 'une n6phrocalcinose ou d 'une py61on6phrite. La ponction-biopsie r6nale confirmera l 'atteinte tubulaire distale en montrant une n6phropathie tubulo-intersti- tielle h pr6dominance distale avec angioscl6rose et sans atteinte glom6rulaire.

Requ le 4 aof~t 1988 ; accept6 apr6s r6vision le 2 mai 1989. Tires a part : L. Papazian.

Page 2: Hypokaliémie profonde paucisymptomatique révélatrice d'une acidose tubulaire distale

356 L. PAPAZIAN ET COLL.

Aucune 6tiologie ne pourra 6tre retrouv6e, l'enqu~te immu- nologique et familiale restera n6gative. Un apport potassique oral suffira par la suite h normaliser la kali6mie. La fonction r6nale se normalisera en quelques iours.

DISCUSSION

Les signes neuro-musculaires des hypokali6mies vont de la simple fatigabilit6 musculaire avec ou sans crampes h une t6trapar6sie. I1 peut s'y associer une atteinte des muscles d6pendant des paires crfiniennes ou une paralysie du diaphragme [4, 8, 9]. Des troubles psychiques, voire un coma ont aussi 6t6 rattach6s au d6ficit potassique [9]. Dans la majorit6 des cas, la symptomatologie des hypokali6- mies est proportionnelle h la profondeur du d6ficit potassique. Ainsi, pour KNOCrlEL [7], lorsque la kali6mie est comprise entre 3 et 3,5 mmol • l -i, le tableau est souvent des plus discrets. Une fatigue musculaire et des myalgies peuvent cependant 6tre rapport6s par les patients. C'est au-dessous de 2,5 mmol. 1-1 que l'on observera plus volontiers une 616vation des cr6atine-phosphokinases, de l'aldolase et des transaminases glutamo-oxalo-ac6ti- ques. Enfin, les d6ficits moteurs se manifesteront au-dessous de 2 mmol • 1-1 de kali6mie. Ceci permet de souligner l'originalit6 de l'observation rapport6e, en ce sens qu'une hypokali6mie profonde a pu se constituer ~ bas bruit et ne se r6v61er que par des signes mineurs et non-sp6cifiques. La rhabdomyo- lyse constitue la traduction biologique de la myopa- thie hypokali6mique. Elle serait due ~ une isch6mie lors de la contraction musculaire, par absence d'aug- mentation du d6bit sanguin local. Un d6faut de synth~se et de stockage du glycog~ne musculaire serait aussi en cause [6].

L'acidose tubulaire distale de type 1 est d6finie par l'incapacit6 du tube distal ~t abaisser le pH urinaire au-dessous de 5,3 lors d'une acidose m6ta- bolique. L'hypokali6mie y est retrouv6e dans 28 % des cas [3] . Ces acidoses tubulaires distales seraient dues h une diminution de la capacit6 de s6cr6tion des ions H + ou h une augmentation de la r6trodiffusion des ions H ÷ de l'urine tubulaire vers les cellules tubulaires [1]. L'6tiologie des ATD peut 6tre h6r6ditaire (galactos6mie, syndrome d'Ehlers-Danlos). Elle peut 6tre li6e ~ un d6sordre immunitaire avec en particulier une hypergamma- globulin6mie comme au cours du lupus 6ryth6ma- teux aigu diss6min6, du syndrome de Goujerot- Sj6gren ou des cryoglobulin6mies.

Des prises m6dicamenteuses, en particulier l'amphoth6ricine B e t la vitamine D ont 6t6 incri- min6es dans la gen~se de ces acidoses tubulaires distales [5]. Dans le cas rapport6 ci-dessus, l'inter- rogatoire et les examens paracliniques ont pu per- mettre d'61iminer toutes ces hypotheses diagnosti- ques, tout comme une n6phropathie interstitielle chronique, par abus d'analg6siques, d'origine m6tabolique ou r6sultant d'une py61on6phrite. Aussi peut-on parler de forme sporadique, retrou- v6e dans 50 % des cas collig6s par CARUANA et BUCKALEW [3].

CONCLUSION

Comme MANARY et coll. [8], on peut penser que les hypokali6mies profondes avec traduction clini- que importante autorisent un apport potassique parent6ral sup6rieur h 0,25 mmol • kg -1 • h -1 et pouvant atteindre pendant les premi6res heures 0,5 h 1 mmol. k g - ' - h -i, sous couvert d'une sur- veillance 61ectrocardioscopique permanente et kali6mique horaire.

En revanche, l'absence de signes cliniques et 61ectrocardiographiques inqui6tants peut inciter le prescripteur ~ une certaine mod6ration dans la recharge potassique, permettant ainsi une reconsti- tution progressive du pool potassique.

BIBLIOGRAPHIE

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3. CARUANA RJ, BUCKALEW VM. The syndrom of distal renal tubular acidosis. Medicine, 2 : 84-99, 1988.

4. CHRISTENSEN KS. Hypokalemic periodic paralysis secondary to renal tubular acidosis. Eur Neurol, 24 : 303-305, 1985.

5. CURTIS MORRIS Jr R. Renal tubular acidosis. New Engl J Med, 25 : 1405-1413, 1969.

6. KNOCHEL JP. Rhabdomyolysis and effects of potassium defi- ciency on muscle structure and function. Cardiovasc Med, 3 : 247-260~ 1978.

7. KNOCHEL JP. Neuromuscular manifestations of electrolyte disorders. Am J Med, 72 : 521-535, 1982.

8. MANARY M J, KEATING JP, HIRSHBERG GE. Quadriparesis due to potassium depletion. Crit Care Med, 8 : 750-752, 1986.

9. PHELAN DM, WORTHLEY IG. Hypokalemic coma. Intensive Care Med, 11 : 257-258, 1985.

ABSTRACT: The case is reported of a 47 year old female patient admitted with asthenia, anorexia, nausea and constipation. The poor clinical features contrasted with the severe biological disturbances: 1 mmol • 1-1 serum potassium, pH 7.26, 19 mmHg PaCO2, 8 mmol • l -i bicarbonate, myoglobinaemia and myoglobinuria. The electrocardiogramme showed a flattened T wave, an U wave, and a depressed ST segment. Potassium was given intravenously at a rate of 0.38 mmol . kg 1. h-i during the first 24 h. Renal biopsy confirmed the diagnosis of distal renal tubular acidosis, but no aetiology could be found. This patient's excellent clinical tolerance of a severe hypokaliemia suggested that the potassium pool could be replaced at slower rates than those suggested in the literature for patients with severe symptoms and signs.