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DENIS-FRANÇOIS

CATHERINE ET LES CINQ FRÈRES

PENCHÉE sur le gouffre, une lampe électrique à la main, Catherine hésite.

Mais elle ne peut plus reculer. Et puis, une force semble l'attirer au fond de ce gouffre.

Elle pose le pied sur le premier barreau de l'échelle. Tandis qu'elle s'enfonce, un peu tremblante, dans l'obscurité, elle a l'impression d'entendre les voix moqueuses des cinq frères de son amie Nathalie : « Catherine, c'est une fille formidable. Elle réussit tout ce qu'elle entreprend! »

S'ils ont cru la détourner de son projet, ils se sont trompés. Catherine se sent plus que jamais résolue à percer le secret du gouffre. Elle a du courage. Elle a aussi, en général, beaucoup de chance. Pourvu qu'elle en ait cette fois encore!

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CATHERINE ET LES CINQ FRERES

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Série Catherine

Courageuse Catherine, de Denis-François. 1955Catherine au chalet des neiges, de Denis-François. 1957Catherine et les Chiens perdus, de Denis-François. 1959La Croisière de Catherine, de Denis-François. 1961Catherine et les Cinq Frères, de Denis-François. 1963

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Série Catherine

Courageuse Catherine, de Denis-François. 1955Catherine au chalet des neiges, de Denis-François. 1957Catherine et les Chiens perdus, de Denis-François. 1959La Croisière de Catherine, de Denis-François. 1961Catherine et les Cinq Frères, de Denis-François. 1963

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DENIS FRANÇOIS

CATHERINE ETLES CINQ FRERES

ILLUSTRATIONS DE A. CHAMELLE

HACHETTE242

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TABLE DES MATIÈRES

I. CATHERINE ARRIVE 11 II. LE « DOGUE » ET LES AUTRES 22

III. UN COIN DU VOILE 36IV. LA LÉGENDE D'YLAINE 45V. LE MYSTÈRE DE LA GROTTE 63

VI. UNE RENCONTRE 85VII. RÉVÉLATIONS 103

VIII. BOHÉMIENNE ET HIBOU 118IX. LE RENDEZ-VOUS 125X. DERNIÈRE CHANCE 140

XI. Au FOND DE L'ABÎME 152XII. VIVE CATHERINE ! 164

Imprimé en France par Brodard-Taupin, Imprimeur-Relieur, Coulommiers-Paris59I84-3-I-6656. Dépôt légal n° 681. 1er trimestre 1963.

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© Librairie Hachette, 1963. Tous droits de traduction, clé reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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CHAPITRE PREMIER

CATHERINE ARRIVE

 « MEYRANALE »... Catherine eut un sourire satisfait en lisant ce mot gravé en rouge sur le pilier de granit. Enfin, elle était arrivée! Elle avait très chaud, et sa valise pesait lourd à son bras. Mais, ne voulant pas avoir l'air fatiguée, elle franchit la grille d'un pas alerte.

Ayant manqué l'autocar du matin, elle arrivait à trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire avec plusieurs heures de retard. Aussi n'avait-elle pas trouvé, sur la place du village, son amie Nathalie Vercourt. Après tout, qu'importait? A l'extrémité d'une allée bordée d'hortensias, elle apercevait la villa Meyranale, cette villa où, sur l'invitation de Nathalie, elle allait passer le mois d'août. Elle la reconnaissait d'autant plus aisément que Nathalie lui en avait montré souvent des photographies.

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C'était une construction très simple, environnée de fleurs et coiffée d'un toit d'ardoise. Ses volets bleus, à demi fermés pour arrêter les rayons du soleil, accentuaient encore son air paisible. Elle semblait somnoler avec confiance sous la garde des Pyrénées qui se dressaient derrière elle et se dessinaient sur l'écran d'un ciel pur.

Édifiée par F arrière-grand-père de Nathalie, cettevilla abritait aujourd'hui, comme chaque année pendant les

vacances, la quatrième génération des Vercourt, famille nombreuse, enfermée sans doute derrière les volets bleus, car on ne voyait personne dans le jardin.

Catherine ralentit le pas. Elle éprouvait une légère appréhension. De toute la famille Vercourt, elle ne connaissait que Nathalie, avec qui elle s'était liée d'amitié l'année précédente au cours d'une croisière. Or Nathalie avait sept frères plus âgés qu'elle, sauf un!

« Si je me trouve soudain face à face avec l'un des aînés, songeait Catherine, que lui dirai-je? Je ne saurai même pas son prénom! »

Elle se décida à gravir le perron. Elle cherchait à se rassurer :« Suis-je bête! Puisque ce sont les frères de Nathalie, ils ne

peuvent être tous que très gentils! »Sur le perron, elle attendit, espérant que la porte s'ouvrirait

par enchantement et que, sur le seuil, Nathalie apparaîtrait, avec ses nattes blondes et son sourire.

Mais une minute entière s'écoula. La porte demeurait fermée.Catherine posa sa valise et chercha en vain une sonnette.

Alors, elle frappa deux fois, trois fois, de plus en plus fort, toujours sans succès.

« C'est drôle, ces maisons de campagne où il n'y a personne pour vous répondre ! » se disait-elle en accordant une pensée presque émue à sa concierge de Paris.

La veille au soir, en passant devant la loge de l'immeuble habité par ses parents, elle ne s'imaginait pas qu'elle regretterait si tôt sa concierge!

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Dans la maison, c'était toujours le même silence. Sur le perron, le soleil était brûlant.

Estimant qu'elle ne pouvait attendre plus longtemps, Cathy posa la main sur la poignée de la porte. La poignée s'abaissa. La porte s'ouvrit.

Catherine fit deux ou trois pas en avant.« Y a-t-il quelqu'un? » appela-t-elle.Elle se trouvait devant un vaste hall dallé, sombre et frais.

Au fond, s'élevait un escalier. A droite et à gauche, il y avait des portes fermées.

Apercevant sur une table un journal encore sous bande, Catherine s'approcha et lut : « Monsieur Jean Vercourt, ingénieur, villa Meyranale, Arcouze (Hautes-Pyrénées). »

« II n'y a pas de doute, se dit-elle. Je suis bien chez Nathalie. Il ne me reste plus qu'à faire savoir que je suis arrivée. Mais comment? »

Soudain, elle sursauta et ne put s'empêcher de faire un bond en arrière. Une sonnerie retentissait, une sonnerie grêle, qui dura quelques secondes, puis cessa.

Après un court arrêt, elle reprit de plus belle. Le téléphone! Quelle chance! Quelqu'un allait sûrement venir...

L'appareil était au pied de l'escalier, sur une console. Il s'agissait d'un vieil appareil à manivelle, comme on en voit encore en province. Il sonnait avec patience, à intervalle régulier. Entre chaque sonnerie, le silence se rétablissait, plus oppressant.

A la fin, n'y tenant plus, Catherine revint vers le perron et cria :

« Téléphone! Téléphone! »Cependant, autour d'elle, tout demeurait désert, et personne

ne répondit à son appel.Alors, elle rentra dans le hall où la sonnerie tintait toujours,

et elle eut l'impression que le timbre lui disait : « Voyons, puisque tu es là, c'est à toi de décrocher! »

Catherine hésita encore un peu. Puis elle s'approcha de la console, décrocha le récepteur et le porta à son oreille.

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Immédiatement, la sonnerie s'arrêta, tandis que la standardiste demandait : « Le 9 à Arcouze?

— Euh... oui », murmura Catherine.Elle voulut se rattraper. Car enfin elle ignorait complètement

si le numéro des Vercourt était bien le 9... Mais déjà la standardiste reprenait :

« Demandeur, parlez. »Une autre voix commença :« C'est toi, Nathalie?— Non! s'exclama Catherine. Je... je suis... »Elle voulut poursuivre. Peine perdue ! La voix inconnue

couvrait la sienne. C'était une voix féminine, jeune, au débit précipité, avec un accent où perçait l'angoisse :

« Est-ce que Patrice est là?— Patrice? répéta Catherine. Non, non! Il n'y a personne. Je

suis seule. Je...— Alors, trouve-le vite! Il faut qu'il vienne tout de suite

avec la voiture. Il y a eu un accident. Bruno est blessé !— Bruno? Mais...— Ce n'est pas grave. Le médecin du Castel est près de lui.

L'ennui, c'est que ta tante est à Tarbes avec sa voiture. Et Bruno ne peut pas marcher!

— Mais, bredouilla Catherine sans savoir au juste ce qu'elle disait, où... où est-il? Et que lui est-il arrivé?

— Je t'ai déjà dit que ce n'était pas grave! lança son interlocutrice avec impatience. Un gros rocher a roulé sur sa jambe, sur le genou exactement. Comme il est au fond de sa salle, nous ne pouvons pas le remonter. Il nous faut de l'aide. Dis à Patrice de venir aussi vite que possible. »

Catherine était de plus en plus déroutée : « Comment faire? Je ne suis pas...

— Je t'en prie, Nathalie! Fais vite, très vite! Moi, je retourne là-bas. »

Il y eut un petit déclic. On avait raccroché!

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« Depuis combien de temps es-tu là à m'observer? »

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Catherine raccrocha elle aussi et resta un instant paralysée par la stupeur.

Des questions tourbillonnaient dans sa tête. Qui était Patrice? Qui était Bruno? Qui était cette jeune fille ou jeune femme dont elle venait d'entendre la voix?

D'autre part, cette salle au fond de laquelle gisait un blessé... C'était tout de même surprenant, une salle où l'on pouvait recevoir un rocher sur la jambe et d'où il semblait si difficile de sortir!

Mais Catherine était encore préoccupée par un autre problème. On l'avait chargée d'une démarche. Comment pourrait-elle l'accomplir puisque, selon toute évidence, il n'y avait personne dans la villa?

Elle en était là de ses réflexions, quand il lui sembla entendre une voix claire qui tombait du ciel :

« Qu'est-ce que c'est? »Cathy leva la tête et découvrit, dans la pénombre de

l'escalier, un jeune garçon de onze ans environ, aux yeux vifs, aux cheveux ébouriffés. Il s'appuyait nonchalamment à la rampe.

En le voyant, Catherine ne put se défendre d'un geste irrité.« Depuis combien de temps es-tu là à m'observer?

demanda-t-elle. J'ai appelé plusieurs fois. Tu ne pouvais pas répondre?

— C'était impossible, fit le jeune garçon sans se départir de son calme. Je suis censé être chez Thierry et Benoît. J'allais remonter au grenier sans rien dire. Mais j'ai vu que vous aviez l'air ennuyée... Puis-je faire quelque chose pour vous? »

Catherine se crut sauvée. Le jeune garçon ressemblait à Nathalie. Il avait le même nez retroussé, les mêmes cheveux blonds, les mêmes yeux sombres, très vivants. C'était certainement l'un de ses frères, le plus jeune évidemment.

« C'est peut-être toi Patrice?

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— Non, moi, je m'appelle Olivier.

- Mais alors, qui est Patrice?- L'un de mes frères, du moins l'un de ceux qui sont ici en

ce moment.- Ils ne sont donc pas tous à la villa Meyranale'?- Non. Jean-Pierre et Bernard, les aînés, sont actuellement

en Italie. Ils ne reviendront pas avant septembre.- Et Bruno?- C'est aussi l'un de mes frères.- Écoute, Olivier, reprit Catherine. Il n'y a pas un instant à

perdre. Il faut aller dire tout de suite à Patrice... »Mot pour mot, elle répéta le message qu'elle venait de

recueillir au téléphone.Olivier avait pris une expression plus grave.« Ça devait arriver! dit-il. Vous avez raison, il ne faut pas

perdre un instant. Venez. »II descendit l'escalier, prit Catherine par la main et ouvrit une

porte au fond du hall. C'était la porte d'une vaste cuisine où régnait une propreté éclatante. Mais, dans cette cuisine, il n'y avait personne.

« Nous allons sortir par là, expliqua Olivier en montrant une autre porte à l'extrémité de la cuisine. Il ne faut pas qu'on me voie... Je vais vous donner des cordes. Il y en a plusieurs dans l'appentis, derrière la maison. Puis vous irez prévenir Patrice. Il est au garage, sur la place du village, en face de l'arrêt des cars. Il n'y a qu'un garage à Arcouze. Vous l'avez certainement vu en venant.

— J'ai bien remarqué un garage. Mais Patrice, lui, je ne le connais pas.

- C'est un grand à cheveux un peu roux, avec un short kaki et une chemise à carreaux. Si vous ne le trouvez pas, vous n'aurez qu'à demander. Il y aura certainement sur la place quelqu'un qui vous renseignera. »

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Tout en parlant, Olivier était entré avec Catherine dans l'appentis, juste derrière la cuisine. Il y prit deux rouleaux de grosse corde.

« Tenez, prenez cela, dit-il à Catherine. Passez vos bras dans ces rouleaux et jetez les rouleaux sur vos épaules.

Oh! je sais, c'est lourd. Heureusement vous n'allez pas très loin. Si je pouvais, c'est moi qui irais. Mais vous comprenez... - Non, je ne comprends pas », dit Catherine en chargeant tant bien que mal un rouleau de corde sur chacune de ses épaules.

« C'est pourtant simple! s'écria Olivier. Je vous ai déjà dit que j'étais censé être en ce moment chez Thierry et Benoît... alors que je suis dans le grenier en train de travailler à mon... à ma... bref à mon attraction-surprise pour la kermesse!

— Une attraction-surprise? questionna Cathy étonnée. Et puis, de quelle kermesse parles-tu?

— Chut! fit Olivier en regardant autour de lui d'un air effrayé. C'est un secret. J'espère que vous saurez le garder?

— Naturellement. En tout cas...— Ecoutez. Un de ces jours, vous monterez au grenier. Je

vous expliquerai... Mais, pour l'instant, vous me promettez de garder le secret?

— Bien sûr », fit Catherine avec un geste de lassitude. Elle eut un instant envie de rendre les cordes à Olivier.

« Après tout, se disait-elle, pourquoi n 'y va-t-il pas lui-même? Quel drôle de petit bonhomme! Il ne me demande même pas qui je suis. Évidemment, il doit s'en douter... à moins qu'il ne s'en moque complètement. Je me souviendrai de mon arrivée à la villa Meyranale! »

Elle regarda Olivier.« Je ne dirai pas que je t'ai vu, reprit-elle, et je ne te trahirai

pas. Mais je veux savoir... Et puis, non! Nous parlerons de cela à un autre moment. »

Brusquement, elle tourna les talons, traversa la cuisine, le hall, le jardin, et s'élança sur la route. Quelques centaines de mètres seulement la séparaient du village. Elle aperçut bientôt le

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clocher, les maisons, la petite place où elle était descendue de l'autocar une demi-heure auparavant.

Tout de suite, sur la gauche de la place, Catherine

vit le garage dont lui avait parlé Olivier. Elle entra. Un jeune homme d'une vingtaine d'années, en short kaki et chemise à carreaux, était penché sur le moteur d'une 4 CV. Elle s'approcha d'un pas ferme et dit d'une voix que la course rendait un peu haletante :

« Patrice Vercourt, sans doute? »En effet, il avait des cheveux roux foncé et, lui aussi, les

mêmes yeux noirs que Nathalie. Son expression était sérieuse et calme, avec quelque chose d'autoritaire.

« C'est moi, répondit-il sur un ton peu aimable. Que désirez-vous? »

Catherine crut devoir se présenter :« Je suis Catherine Bernier, l'amie de Nathalie. Tiens!

Tiens! Vous voilà donc arrivée? »Il avait posé cette question du même ton qu'il aurait déclaré :

« Vous auriez aussi bien fait de rester chez vous ! »« Enchanté de faire votre connaissance », reprit-il avec plus

d'ironie que de courtoisie.Catherine coupa court :« Je suis venue vous dire que Bruno est blessé.— Blessé?- Oui. Un rocher a roulé sur son genou. Ce n'est pas grave,

mais il faut que vous alliez le chercher en voiture... »Patrice regarda Catherine avec un froncement de sourcils.« Comment se fait-il que ce soit vous qui veniez me

prévenir? Il me semble que Nathalie aurait pu...— Je n'ai pas encore vu Nathalie.— Mais alors qui...— Un coup de téléphone à l'instant où j'arrivais. J'ai

décroché. Il le fallait bien. Il n'y avait personne. »Très vite, Catherine ajouta :

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« Il paraît qu'il vous faut des cordes. En voilà deux rouleaux. Maintenant) partez. On vous attend avec impatience... là-bas! »

A son tour, Cathy avait parlé d'un ton aussi froid,aussi net que possible. Patrice parut sur le point de demander

des explications. Puis il y renonça, prit machinalement les deux rouleaux et s'adressa à un ouvrier qui était au fond du garage, dans une fosse, sous une camionnette :

« Luis, j'ai besoin d'une voiture tout de suite. La mienne est indisponible. Je viens de démonter le carburateur. Je prends celle des Mounier. S'ils viennent la chercher, tu leur expliqueras.

— Entendu, monsieur Patrice », répondit le mécanicien.Cinq secondes plus tard, Patrice était au volant d'une vieille

11 légère, les deux rouleaux posés près de lui. Il mit le contact. Catherine s'approcha :

« Voulez-vous que je vous accompagne? Je pourrais peut-être vous être utile. »

Patrice, tout en desserrant le frein, grommelait entre ses dents :

« Je l'avais bien prévu! Les idiots! Les idiots! »A la proposition de Catherine, il riposta avec brusquerie :

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« M'accompagner? Surtout pas! Allez plutôt jouer avec Nathalie. C'est de votre âge!

— Je ne sais même pas où est Nathalie! protesta Catherine.

— Elle doit être dans le potager, avec maman, derrière la villa, au-delà des châtaigniers. Et, puisque vous êtes disposée à me rendre service, arrangez-vous pour que mes parents ne sachent rien... au moins pour le moment. »

Catherine pensa : « Qu'est-ce qu'ils ont donc tous dans cette famille à me demander de garder leurs secrets? » Elle répondit : « Je ne dirai rien.

— Ça m'étonnerait ! reprit Patrice. Il n'y a pas beaucoup de filles qui savent tenir leur langue! »

Cette fois, il avait parlé sur un ton franchement dédaigneux. Pourtant, en démarrant, il fit un petit geste assez amical, et ajouta :

« Merci quand même. »La voiture sortit du garage, tourna à droite et disparut sur la

route ensoleillée qui traversait le village.Catherine la suivit du regard aussi longtemps que possible.« Ça promet! » murmura-t-elle.Mais, à vrai dire, elle n'était pas tellement mécontente de

cette arrivée aussi mouvementée qu'inattendue.

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CHAPITRE: II

LE « DOGUE » ET LES AUTRES.

NATHALIE était assise dans un fauteuil de jardin, à l'extrémité de l'une des allées du potager. En voyant Catherine qui s'avançait dans sa direction, elle ferma le livre qu'elle lisait et s'écria : « Oh! Cathy, te voilà enfin! »

Les deux amies s'embrassèrent. Catherine dut expliquer qu'elle avait manqué le premier des autocars qui assuraient la correspondance du train de Paris.

« Pourquoi n'as-tu pas téléphoné? demanda Nathalie. Je t'aurais attendue au car suivant.

- Je ne savais pas que vous aviez le téléphone.Mais si, voyons. C'est le 9 à Arcouze. Catherine faillit

répliquer : « Je suis payée pour le savoir! » Mais elle se mordit à

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temps les lèvres. N'avait- elle pas promis à Olivier et aussi à Patrice de se montrer

discrète sur tout ce qu'elle avait vu et appris depuis son arrivée? Cela l'ennuyait d'adopter une telle attitude à l'égard de Nathalie. Cependant, il ne lui était guère possible de manquer à son serment...

« C'est Maria, je suppose, qui t'a dit que j'étais dans le potager? reprit Nathalie.

— Qui est Maria? demanda Catherine.— Notre femme de charge. Elle fait tout ici pendant les

vacances, le ménage, la cuisine.— Je ne l'ai pas vue. N'ayant trouvé personne dans la villa,

je me suis aventurée dans le potager. Et ta maman, elle n'est pas avec toi?

— Elle est allée se promener avec papa. Ils voulaient m'emmener. Mais j'ai refusé. J'étais si triste de ne pas t'avoir trouvée au car! J'ai bien fait, tu vois. »

Comme l'accueil de Nathalie était différent de celui de Patrice! Elle multipliait les prévenances : « Es-tu fatiguée? Où est ta valise?

— Je l'ai laissée dans le hall.— Nous allons la prendre en passant. Quand je pense qu'il

n'y avait personne pour t'attendre! Tu dois être très fatiguée. As-tu faim? Soif, peut-être? Si tu veux, je vais d'abord te conduire à ta chambre. »

Bien que, comme Catherine, Nathalie n'eût pas encore quinze ans, elle avait déjà décidé de son avenir : elle serait avocate. Elle était un peu effacée, réfléchie, mais éloquente aussi quand elle le voulait. Elle bavarda si bien en traversant le potager, puis le jardin, que Catherine, au moment d'entrer dans la maison, était déjà au courant de beaucoup de choses en ce qui concernait la manière de vivre de Nathalie et de ses parents à la villa Meyranale pendant la belle saison. Mais elle ignorait encore ce qui l'intriguait le plus...

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Nathalie la mit elle-même sur la voie. En voyant la valise de Catherine dans le hall, elle la prit en disant :

« Je ne veux plus que tu la portes. Comme elle est lourde! Si j'avais prévu que tu arriverais par le deuxième autocar, j'aurais insisté pour que l'un de mes frères...

- A propos, tes frères, interrompit Catherine, tu ne m'as encore rien dit à leur sujet.

— Je vais te parler d'eux. Mais d'abord, montons. » Nathalie précéda Catherine dans l'escalier. La chambre d'amis était au premier étage, au fond du couloir. Dès que la porte fut ouverte, Catherine poussa une exclamation devant les rideaux de percale fleurie, les meubles anciens, les vases pleins de fleurs :

« Quelle différence avec ma petite chambre de Paris ! Je vais mener ici une vie de rêve. »

Nathalie se laissa tomber dans un fauteuil.« Je le souhaite... », dit-elle d'une voix changée.Catherine commençait d'ouvrir sa valise. Surprise par ce

changement de ton, elle regarda son amie.« Qu'y a-t-il, Nathalie? Tu semblés soudain toute triste!— C'est que... le moment est venu. Il faut que je te parle de

mes frères.— Je t'écoute.- Eh bien, ils sont odieux! »Catherine se demanda avec un peu d'inquiétude : « Serait-

elle au courant du coup de téléphone, de ma conversation avec Olivier, de la blessure de Bruno et de la façon dont Patrice, au garage, m'a accueillie? Après tout, au diable les secrets ! je vais être franche avec elle. Je ne veux pas qu'elle me reproche de lui avoir fait des cachotteries... »

Mais Nathalie ne lui laissa pas le temps de prendre la parole.« Figure-toi qu'ils avaient juré de t'empêcher de venir passer

le mois d'août chez nous!- Et tu m'as tout de même invitée?— Bien sûr. Ici, ce sont papa et maman qui commandent,

comme à Paris d'ailleurs.

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Je ne comprends pas. Pourquoi tes frères ont-ils de l'antipathie à mon égard?

Tu n'es pas seule en cause. Ils ne peuvent souffrir aucune de mes amies. En un mot, ils détestent les filles! Et, cette année, ils sont encore plus odieux que les années précédentes. »

Nathalie se leva, traversa la pièce, s'approcha de la fenêtre et poursuivit tout en disposant les plis de l'un des rideaux :

« Vois-tu, cet été, ils se sont lancés dans une grande entreprise. Ne me demande pas laquelle. J'ai promis le secret ! »

Catherine pensa : « Encore un secret! »« De toute façon, il paraît que je ne suis pas digne de me

mêler de cette affaire, et l'on m'a priée de rester bien sagement dans mon coin, reprit Nathalie. Je te conseille donc d'en faire autant. Olivier, lui aussi, a été prié de rester tranquille... Oh! pardonne-moi. Je te parle d'Olivier comme si tu le connaissais. C'est le plus jeune. Onze ans. Un vrai diable. Mais il est le seul qui se soit réjoui de ta venue.

Je lui en saurai gré... murmura Cathy.- Ne te donne pas ce mal! Il s'ennuie et compte peut-

être se distraire à tes dépens. »Catherine étouffa un soupir : « Parle-moi des autres.- Eh bien, Jean-Pierre et Bernard — vingt et un et

vingt-deux ans, étudiants en médecine tous les deux -sont actuellement en Italie. Ce sont les seuls qui soient à peu près supportables. Et tu ne les verras pas!

- Alors, parle-moi des insupportables!— Ils sont encore quatre et, malheureusement, tous ici en ce

moment. Patrice a vingt ans. Il fait des études d'électronique. Il est autoritaire, assez cassant, aussi embêtant que papa et maman le sont peu. Bref, il se prend volontiers pour le chef de la famille ! Alain, dix-neuf ans, fait une licence de lettres. C'est un rêveur, un poète. Mais il ne fait pas bon l'arracher à ses songes. Il vous envoie facilement promener! Bruno, lui, a dix-sept ans. Il n'est

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« Alors, parle-moi des insupportables! »

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pas toujours d'humeur facile. Enfin, tu verras toi-même. Restent Marc, seize ans, un ours mal léché, et Olivier, le dernier né de la famille, dont je t'ai déjà parlé.

— Je ne sais vraiment pas comment je vais me débrouiller au milieu de tous ces garçons! dit Catherine.

— Tu verras que tout ira le mieux du monde. Ils m'ont juré d'être gentils avec toi, à une condition : c'est que tu ne t'occupes pas d'eux. Ne te mêle pas de leurs affaires. Ne cherche pas à savoir comment ils passent leurs journées. Ne leur pose pas de questions.

- Je n'en ai pas l'intention! se récria Catherine.— Bien sûr. Mais on ne sait jamais... L'an passé,

Marc avait pris une autre de mes amies en grippe parce qu'elle lui demandait chaque fois qu'il rentrait : « Où êtes-« vous donc allé? Vous avez de la boue dans les cheveux! »

— Dans les cheveux? ne put s'empêcher de répéter Catherine.

— Oui, dans les cheveux. C'était son droit, n'est-ce pas? »Catherine s'empressa de répondre :« Naturellement! »A ce moment, il y eut un ronflement de moteur. Nathalie se

précipita à la fenêtre. Catherine la rejoignit. Une voiture remontait l'allée d'hortensias. Ce n'était pas la 11 légère qu'avait utilisée Patrice. C'était une 4 CV rouge.

« Tante Hélène! s'écria Nathalie. Viens vite, Catherine. »Elles descendirent ensemble l'escalier.« Qui est-ce? demanda Catherine.— La sœur de papa. Une femme extraordinaire. Je

comptais t'emmener chez elle demain. »Dans le hall, Nathalie courut à la rencontre de la nouvelle

venue :« Tante Hélène! Tante Hélène! Je suis seule à la maison.

Papa et maman sont allés se promener. Les grands sont... où tu sais. Olivier est chez Benoît et Thierry. »

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Catherine eut du mal à ne pas sourire. Elle savait bien, elle, que le petit Olivier était tout bonnement au grenier en train de travailler à son « attraction-surprise »...

Tante Hélène était une grande femme mince que Cathy trouva très élégante, sans s'expliquer pourquoi. Elle portait une robe très simple, de toile blanche rayée de gris, sans un bijou. Bien qu'elle fût encore jeune, ses cheveux étaient blancs.

« Viens, Catherine, que je te présente, reprit Nathalie. Mon amie Catherine Bernier... Ma tante, Mme Dautril.

— Enchantée de vous connaître, dit sur un ton aimable Mme Dautril en tendant la main à Catherine. Nathalie m'a beaucoup parlé de vous. Il paraît que, l'année dernière, pendant cette croisière que vous avez faite ensemble, vous avez sauvé une petite fille1. »

Catherine rougit jusqu'au front. Elle se tourna vers Nathalie :« Pourquoi as-tu raconté cela? Ce n'est pas moi qui ai sauvé

Anita, c'est un médecin!— Ne vous défendez pas, dit Mme Dautril en souriant.

Je sais que vous avez joué, au cours de cette croisière, un très beau rôle. »

Catherine se tourna de nouveau vers Nathalie :« A ce que je vois, tu as mis tout le monde au courant!— Pourquoi m'en serais-je privée? fit Nathalie.— Même tes frères?— Bien sûr.— Qu'ont-ils dit?— Ils ont estimé que tu n'avais rien fait d'exceptionnel.

Selon eux, tu as eu de la chance, voilà tout. »Catherine réfléchit quelques instants. « C'est vrai, dit-elle

à la fin. J'ai eu souvent de la chance. Je commence à m'en rendre compte! »

Mme Dautril la regardait d'un air amusé :« Quand on réussit quelque chose, dit-elle, c'est toujours1. Voir, dans la même collection, La Croisière de Catherine.

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parce qu'on a su saisir la chance au vol. C'est sans doute ce que vous faites, Catherine. Mais, ce qui est mieux, c'est que vous vous en rendez compte. Je vous en félicite.

— Oh! madame, vous savez..., commença Catherine. - Je vous en prie, ne m'appelez pas madame. Appelez-moi tante Hélène, comme tout le monde ici. Maintenant, je ne veux pas vous déranger toutes les deux. Je m'en vais.

Tante Hélène, se récria Nathalie, tu ne nous déranges pas! Reste avec nous au moins quelques minutes. Tiens, viens t'asseoir sous la tonnelle. »

Mme Dautril se laissa entraîner par sa nièce jusqu'à la tonnelle, à droite de l'allée des hortensias. Catherine suivit le mouvement et, toutes les trois, elles s'assirent sur des chaises de jardin.

« Je ne reste qu'un instant, précisa Mme Dautril. Il faut que je sois rentrée avant six heures pour la leçon de gymnastique des petits. Le professeur est absent, et Paul, mon moniteur, n'a que de la bonne volonté. »

Catherine s'était assise un peu en retrait, par discrétion. Elle écoutait avec attention la conversation entre Nathalie et sa tante. Qui étaient ces « petits » dont parlait Mme Dautril et qu'elle appelait aussi ses « fils » ou ses « enfants »? Il fut également bientôt question d'une kermesse qui devait avoir lieu le 15 août, d'un stand de tir, de musiciens, d'une course en sac, d'un buffet, d'une loterie... Une kermesse? Olivier n'avait-il pas fait allusion à quelque chose de ce genre? Catherine dressa l'oreille quand le nom du petit garçon lui-même fut prononcé.

« Olivier a, paraît-il, une idée magnifique, disait Nathalie. Il ne veut la communiquer à personne... bien que papa ait eu vent de la chose. En tout cas, moi, je sais qu'il prépare une prétendue attraction-surprise en grand mystère dans le grenier. Quelquefois, Thierry et Benoît, ses camarades, viennent l'aider. »

Mme Dautril se mit à rire :

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« Olivier est un enfant charmant. Mais attention! Il a parfois des idées saugrenues. »

Elle se tourna vers Catherine :« Et vous, Catherine, est-ce que vous nous aiderez? C'est

qu'il faut y songer sérieusement! Nous n'avons même plus deux semaines devant nous.

— Vous aider? répéta Catherine, stupéfaite. Je ne sais pas. Je... »

Nathalie intervint :« Je n'ai pas encore eu le temps de lui expliquer, dit-elle

vivement à sa tante. Toutefois je suis certaine qu'elle aura des idées. Catherine en a toujours. Par exemple, elle est étonnante pour les déguisements. L'an passé, pendant notre croisière... »

Et tout à coup :« Oh! Cathy, je crois que j'ai trouvé. Pourquoi ne ferais-tu

pas la diseuse de bonne aventure?Je n'ai jamais tiré les cartes! protesta Catherine. Je ne sais

pas lire dans les lignes de la main !— Aucune importance, dit Mme Dautril. Personne

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n'a jamais su tirer les cartes, ni lire dans les lignes de la main. Il suffit de raconter n'importe quoi. En tout cas, Catherine, vous seriez parfaite en bohémienne, avec vos cheveux noirs et votre teint mat. »

Un nouveau bruit de moteur interrompit la conversation. A travers le feuillage de la tonnelle, Catherine, Nathalie et Mme Dautril virent une 11 légère qui franchissait la grille du jardin, s'engageait dans l'allée des hortensias, passait devant la petite voiture de Mme Dautril et s'arrêtait au pied du perron.

Nathalie se leva et courut vers le perron en disant : « Patrice, Alain, que faites-vous dans la voiture des Mounier?... Et vous n'êtes pas seuls! Il y a aussi Marc et Bruno ! »

Sous la tonnelle, Mme Dautril posa sa main sur le bras de Catherine.

« C'est vrai, ' reprit-elle, vous seriez parfaite en bohémienne. Nathalie vous expliquera pourquoi j'ai besoin d'aide. En réalité, ce n'est pas moi qui en ai besoin. Ce sont mes enfants... Il faudra que vous veniez les voir chez moi, au Castel. Je serais enchantée de...»

Mme Dautril ne put poursuivre. Nathalie criait : « Tante Hélène, viens vite! Bruno est blessé! » Mme Dautril se leva et se dirigea à son tour vers le perron. Mais Catherine demeura sous la tonnelle, ne sachant que faire. Elle apercevait le groupe redoutable des frères de Nathalie, quatre grands garçons aux mains et aux vêtements tachés de boue. Elle reconnaissait Patrice, encore au volant. Deux autres -— Marc et Alain sans doute — aidaient le quatrième à descendre de la voiture. Ce dernier, à n'en pas douter, c'était Bruno. Il avait de la peine à se tenir sur ses jambes. Son genou droit disparaissait sous un gros pansement.

Nathalie, non sans une certaine inconscience, appela : « Cathy, viens faire la connaissance de mes frères ! En ce moment, ils ne sont pas dangereux! »

Catherine vit quatre paires d'yeux qui la dévisageaient.

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Elle aurait voulu se trouver à cent lieues de là! Pourtant, rassemblant tout son courage, elle s'avança.

Patrice s'était penché à la portière de la voiture. En reconnaissant Catherine, il haussa les épaules, sauta sur le sol et dit :

« Ce n'est pas le moment de faire des présentations! Il faut d'abord que nous montions Bruno dans sa chambre. »

II s'adressa à sa sœur :« J'espère que les parents ne sont pas encore rentrés? - Non

», répondit Nathalie.Les deux autres - - mais qui était Marc et qui était Alain? --

avaient pris le blessé sous les aisselles et commençaient à lui faire gravir les marches du perron.

Catherine les examinait. Du moins, elle examinait l'un des deux, car l'autre lui tournait le dos. Celui-là devait être Marc, dont Nathalie avait dit : « C'est un ours mal léché. » II était aussi grand que Patrice, bien qu'il n'eût que seize ans. Mais sa physionomie fermée, un peu dure, restait celle d'un enfant. Catherine pensa qu'il avait surtout l'air d'un ourson. L'autre, elle ne l'apercevait que de trois quarts...

Au reste, maintenant, elle était surtout intéressée par le blessé. Bruno, en effet, se débattait, refusait de gravir les marches.

« Pas si vite ! protestait-il. Moi, je veux lui dire bonjour , à cette Catherine Bernier. Je ne la reverrai peut-être pas avant plusieurs jours. Maman est bien capable de me garder enfermé dans ma chambre! »

Catherine s'avança encore et prit la main qu'il lui tendait. Bien qu'il fût âgé de dix-sept ans, il était moins grand que Marc et que cet Alain qui continuait à tourner obstinément le dos. Il était trapu, les épaules larges, la main forte. Il avait un visage où tout semblait carré, front et mâchoires, et des yeux sombres, intelligents. « II a quelque chose d'un dogue! » se dit Catherine.

« J'espère que vous ne souffrez pas trop? demanda-t-elle.

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« J'espère que vous ne souffrez pas trop? »

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— Non, merci, répliqua le dogue. Ce n'est qu'une écorchure, assez profonde cependant et mal placée, en plein sur le genou. Le médecin m'a versé de l'alcool là-dessus et badigeonné au mercurochrome. Ajoutez à cela une bonne piqûre antitétanique. Bref, j'en ai pour quelques jours.

- Assez bavardé », déclara Patrice.Sans ménagements, il écarta celui de ses frères que Catherine

n'avait pas encore eu le loisir d'examiner et, aidé de Marc, il entraîna Bruno vers le perron.

Nathalie les dépassa en disant :« Je vais préparer le lit.- Veux-tu que je t'aide? demanda Mme Dautril.- Non, tante Hélène. Je me débrouillerai très bien seule.

D'ailleurs, maman et papa ne vont pas tarder à rentrer. »Cathy resta au pied du perron, ne sachant trop ce qu'elle

devait faire. Mme Dautril lui dit :« Puisque Nathalie n'en a pas eu le temps, il faut au moins

que je vous présente Alain. »Catherine pivota sur ses talons et, à son grand étonnement,

elle se trouva face à face avec un jeune homme qu'elle n'avait aperçu que vaguement jusque-là et qui ressemblait bien peu à ses frères. En tout cas, il n'y avait rien de bourru ni de dur dans sa physionomie. Alain avait un visage long et fin, des cheveux ondulés, des yeux bleus rêveurs. « C'est un poète », avait dit Nathalie. Catherine pensa : « Il a aussi quelque chose d'angélique. Un ange et un dogue dans la même famille, voilà qui est assez inattendu ! »

« Bonjour, mademoiselle », dit-il en s'inclinant légèrement.Puis il se détourna et s'adressa à Mme Dautril :« Il faut que je reconduise au garage la voiture des Mounier.

Au revoir, tante Hélène. »Il monta dans la 11 légère, la mit en marche, franchit la grille

du jardin et s'éloigna en direction du village.

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Mme Dautril s'approcha de sa propre voiture.« Moi aussi, il faut que je m'en aille », expliqua-t-elle en

ouvrant la portière.Elle regarda Catherine :« Vous êtes un peu surprise, n'est-ce pas, par l'accueil qui

vous a été fait?— Je dois reconnaître..., commença Catherine.- Vous voyez ces châtaigniers, là-bas, en bordure du

potager? Les fruits du châtaignier sont, avant d'être mûrs, pleins de piquants, à tel point qu'on ne sait pas comment les prendre. Eh bien, mes neveux sont comme ça. Pourtant, je ne connais pas de meilleurs garçons au monde. Au début, ils vous paraîtront bizarres, d'humeur difficile. Mais je suis certaine que vous finirez par vous entendre. »

Elle ajouta en s'installant au volant :« A bientôt, Catherine. Venez me voir avec Nathalie dès que

possible. Vous me ferez plaisir. Et n'oubliez pas : vous êtes d'ores et déjà la bohémienne de ma kermesse! »

Bohémienne de la kermesse!... Vraiment, Catherine avait d'autres pensées en tête. Tout à coup, quand la voiture de Mme Dautril eut franchi à son tour la grille, Cathy trouva oppressants le silence et la solitude du jardin.

Puis, soudain, il lui sembla qu'on l'appelait. Elle leva les yeux et vit, à une lucarne, la tête ébouriffée et le sourire du petit Olivier. Comme elle allait parler, il mit un doigt sur ses lèvres :

« Chut! Catherine! J'ai tout vu et tout entendu. Merci de ne pas m'avoir trahi! »

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CHAPITRE III

UN COIN DU VOILE

QUAND on frappa à la porte, Catherine terminait juste sa toilette. « Entrez », dit-elle. C'était Nathalie, un grand panier à la main. « Je vais au village faire quelques courses, expliqua-t-elle. Veux-tu venir avec moi? Nous déjeunerons en rentrant. »

Catherine était surprise. Elle croyait être la première levée. C'était le soleil qui l'avait tirée de son lit, un soleil qui inondait la chambre et embrasait déjà le ciel, bien qu'il fût à peine sept heures.

« Ici, continua Nathalie, les magasins ouvrent très lot. Je m'arrange toujours pour faire mes courses avant qu'il fasse trop chaud. Alors, viens-tu?

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— Je viens », répondit Catherine en chaussant les espadrilles qu'elle avait apportées de Paris.

Ensemble, elles sortirent de la chambre.« Ne faisons pas de bruit, dit Nathalie. Mes parents dorment

encore. Seule Maria est déjà dans la cuisine. Le café sera prêt quand nous reviendrons.

— Et tes frères? demanda Catherine en descendant l'escalier derrière son amie.

— Tu sais, ici, chacun fait un peu ce qu'il veut. Ce n'est pas pour rien que nous sommes en vacances. Il y a belle lurette que mes frères sont partis! Ils sautent de leur lit dès l'aube.

— Tous?— Oui, tous, même Olivier qui doit être allé chercher Thierry

et Benoît Vivien.— Même Bruno?— Non, bien sûr! Je viens d'entrouvrir sa porte. Il dort

encore. Il en a bien pour quelques jours avant de pouvoir aller et venir à sa guise. »

Les deux amies allaient franchir la grille du jardin. Elles virent se diriger vers elles trois jeunes garçons qui s'avançaient en bavardant gaiement et en gesticulant. C'étaient Olivier et ses inséparables compagnons. Selon toute évidence, Olivier était le plus âgé et par conséquent le chef. Thierry et Benoît Vivien n'avaient pas plus de neuf et dix ans.

« Bonjour, Nathalie, bonjour, Catherine! » cria Olivier.Il y eut des embrassades. Cathy elle-même dut tendre sa joue

aux baisers des trois enfants.« Que faites-vous ce matin? leur demanda Nathalie.— Nous allons peut-être faire une promenade à bicyclette »,

répondit Olivier.Mais Catherine eut l'impression qu'en prononçant ces mots il

lui adressait à elle-même un clin d'œil. Il lui faisait par ce moyen comprendre qu'il n'avait en aucune façon l'intention d'entreprendre une promenade à bicyclette... et il la remerciait sans doute encore une fois d'avoir

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su tenir sa langue au sujet de l'attraction-surprise...Quand les garçons eurent pénétré dans le jardin, les deux

amies se remirent en marche d'un pas allègre vers le village.« Benoît et Thierry sont les fils d'un médecin de Toulouse qui

a une villa à quelques centaines de mètres d'ici. Olivier les retrouve tous les ans et passe le plus clair de ses journées avec eux. C'est pour cela que tu ne le verras pas souvent... mes autres frères non plus d'ailleurs, sauf aux repas, et encore! »

Tout en cheminant au côté de Nathalie, Catherine évoquait les événements survenus depuis son arrivée à la villa Meyranale. Elle se revoyait la veille dans le jardin, toute seule, après que l'on eut conduit Bruno à sa chambre. Un couple avait franchi la grille, et s'était avancé dans l'allée des hortensias. Catherine avait compris tout de suite qu'il s'agissait de M. et Mme Vercourt. Un homme d'une cinquantaine d'années, mince, en veston clair, aux cheveux grisonnants... et ressemblant étrangement à Mme Dautril, sa sœur. Une femme un peu plus jeune que son mari, mince, blonde comme Nathalie, en robe d'été...

Catherine s'était présentée.« Et Nathalie vous a déjà abandonnée ! » s'était exclamée

Mme Vercourt.Catherine n'avait pu faire autrement que de raconter l'accident

survenu à Bruno, ou du moins ce qu'elle en savait. Alors M. et Mme Vercourt, tout à leur inquiétude, s'étaient précipités dans la maison.

Et Catherine s'était retrouvée seule. Elle avait erré dans le jardin. Puis elle était montée dans sa chambre, avait ouvert sa valise. C'était là que, une demi-heure plus tard, Nathalie était venue la chercher :

« Le dîner est prêt. Nous t'attendons. »Sur les pas de son amie, Catherine était entrée dans la salle à

manger. Elle éprouvait presque de l'angoisse. Si elle était sûre que M. et Mme Vercourt étaient aimables, accueillants — bien qu'elle ne les eût encore vus que

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quelques minutes — elle savait qu'il n'en était pas de même en ce qui concernait leurs fils. Pendant tout le temps que durerait le repas, elle allait être face à face avec tous les frères de Nathalie, sauf Bruno.

Eh bien, ils ne s'étaient pas montrés trop désagréables, trop hostiles. Ils s'étaient contentés de lui décocher quelques moqueries. Par exemple, c'était Patrice qui, très cérémonieux, disait :

« Mademoiselle Catherine, vous qui réussissez tout ce que vous entreprenez, s'il faut en croire Nathalie... puis-je me permettre de vous demander de me passer la salière sans la renverser? »

Naturellement, il avait été question de l'arrivée de Catherine à la villa, de la blessure de Bruno. Mais cela demeurait vague. Les conversations n'étaient ni suivies, ni soutenues. Tout le monde parlait à la fois et de choses différentes. « Cela doit être ainsi dans les familles nombreuses », songeait Catherine.

Seul Alain, rêveur, gardait le silence. En revanche, Marc, quand il le voulait, pouvait être aussi mordant que Patrice.

A un moment donné, comme M. Vercourt exprimait la crainte d'un prochain changement de temps, Marc s'était écrié :

« Ne t'inquiète pas pour le temps, papa! Maintenant que Catherine est parmi nous, pas un nuage n'osera crever sur nos têtes! »

Bien sûr, toutes ces plaisanteries étaient agaçantes. Mais Cathy trouva promptement la meilleure riposte. Elle accepta tout avec le sourire. D'ailleurs, si elle avait des adversaires, elle avait aussi des alliés : M. et Mme Vercourt, Nathalie, le petit Olivier...

« C'est une question de patience, se disait-elle. Avant que je me lasse de sourire, ils se lasseront de me taquiner! Et puis, je ne les verrai qu'aux repas. Deux heures par jour à peu près. Ce n'est pas terrible. Entre-temps, je les oublierai. Voilà la bonne solution... »

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***

Ainsi, en se dirigeant vers Arcouze avec Nathalie, Catherine évoquait ses souvenirs de la veille. Étonnée de son mutisme, Nathalie s'écria :

« Mais, ma parole, tu deviens comme Alain! Tu rêves ! Je viens de te poser une question.

— Quelle question? demanda Catherine en sursautant.— Aimes-tu les champignons? Maria m'a chargée

d'en acheter.— J'en raffole », répondit Catherine.Elles entraient dans Arcouze. Si près de la chaîne des

Pyrénées, c'était un typique village de montagne, accroché sur une pente, avec des ruelles étroites, tortueuses, et de vieilles maisons qui se pressaient autour de l'église.

Sur la place que Catherine connaissait déjà pour y être descendue d'un autocar moins de vingt-quatre heures plus tôt et y être revenue chercher Patrice au garage, les deux amies entrèrent dans une épicerie. Tandis que Nathalie commençait ses achats, un garçon de treize ans environ, au visage souffreteux, une musette vide pendant à son épaule, entra à son tour dans la boutique

« Bonjour, Gilbert, lui dit gaiement Nathalie. C'est toi qui fais les courses aujourd'hui?

— Oui », répondit le jeune garçon en souriant. Catherine remarqua qu'il se tenait dans une immobilité étrange, une sorte de garde-à-vous, les bras ballants.

« Il y a longtemps que vous n'êtes pas venue au Castel, mademoiselle Nathalie, reprit-il.

— C'est vrai, dit Nathalie. Mais je vais y aller bientôt, avec mon amie Catherine que voici. »

Catherine s'avança, tendant la main. Mais Gilbert ne bougea pas. Cathy remarqua même qu'une sorte de terreur apparaissait dans son regard. Alors, gênée, elle retira sa main.

Elle ne retrouva la parole que lorsqu'elle sortit de l'épicerie

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avec Nathalie.« Qui est-ce? demanda-t-elle.— Un des « fils » de tante Hélène, répondit Nathalie.— Un des... Ce n'est pas possible! Il est complètement

paralysé !— Non, pas complètement. Les bras et les épaules

seulement. Il commence, paraît-il, à remuer les doigts. Et ils sont dix-sept dont certains sont encore plus gravement atteints que celui-là. »

Catherine ouvrait de grands yeux.« Tu te moques de moi, Nathalie! Ta tante n'a tout de même

pas dix-huit fils tous paralysés!- C'est pourtant la vérité. Elle les appelle ses « fils ». Mais,

en réalité, ce sont des enfants, des jeunes gens aussi, qu'elle a recueillis et qu'elle essaie de sauver.

- Elle réussit à les1 guérir?— Parfois. En tout cas, elle leur donne une enfance

heureuse et un métier.

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- Mais, quand on est paralysé, on ne peut pas exercer...- Détrompe-toi. Pour tante Hélène, le plus difficile - et

aussi le plus passionnant — c'est justement de découvrir les capacités de ses « fils ». D'ailleurs, elle ne laisse pas à n'importe qui le soin de les éduquer, de les faire travailler et de les distraire. Elle a des moniteurs et des professeurs spécialisés. Malheureusement... »

Nathalie s'interrompit pour entrer dans la boulangerie du village. Elle acheta quatre grands pains. Catherine en prit deux qu'elle plaça sous son bras. Puis elle sortit la première de la boulangerie et demanda :

« Tout à l'heure, tu as commencé une phrase par « malheureusement ». Que voulais-tu dire?

- Simplement que tante Hélène a englouti presque entièrement sa fortune dans cet établissement, le Castel, qu'elle a créé de toutes pièces. Elle aurait grand besoin (l'une aide. Bien sûr, elle reçoit des subventions, des dons. Mais elle ne peut faire face à tout. Songe qu'elle doit nourrir cl habiller ses dix-huit protégés et qu'elle paie des appointements aux dix personnes qui s'occupent d'eux. Ces derniers temps, pour acheter du matériel, des appareils de gymnastique corrective en particulier, elle a dû emprunter des sommes considérables. Elle a même fait creuser une piscine. Résultat : sa situation financière ne fait que s'aggraver... »

Catherine écoutait son amie avec une émotion croissante.« Tante Hélène était veuve à trente ans, reprit Nathalie. Son

mari est mort dans un accident d'avion. Elle avait un fils, un vrai celui-là. Elle l'a perdu très jeune. Voilà pourquoi elle s'est vouée aux autres. Dans le Castel — tout ce qui lui reste - - elle a recueilli des enfants déshérités qu'elle considère comme les siens. »

Catherine réfléchissait.« Je n'ai pas beaucoup d'argent, murmura-t-elle. Mais je le

lui donne volontiers.— Ce serait une goutte d'eau dans la mer! dit Nathalie

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CATHERINE ET LES CINQ, FRÈRESen souriant. Tante Hélène a besoin de sommes considérables.

Papa lui-même ne peut plus faire grand-chose pour elle. Tu comprends, nous sommes nombreux à la maison. Tous les ans, tante Hélène organise donc chez elle une fête, une kermesse. Il faut que, cette année, la kermesse du Castel soit très réussie. Tu es déjà au courant, puisqu'on t'a demandé de tenir le rôle de la diseuse de bonne aventure. D'ailleurs, nous paierons tous de notre personne.

— Même tes frères? demanda Catherine.— Mes frères adorent tante Hélène! Depuis le début des

vacances, ils s'acharnent à essayer de trouver un moyen de lui procurer... »

Nathalie s'arrêta brusquement, comme si elle en avait trop dit. Elle essaya de changer de conversation :

« Je bavarde, et j'allais oublier que je dois encore passer une commande de vin et d'eau minérale! Viens. Il faut que nous traversions la place... »

Catherine suivit son amie. Mais, en entendant la phrase interrompue de Nathalie, elle avait eu l'impression qu'une lumière se faisait dans son esprit. « Ils s'acharnent, se disait-elle, à aider tante Hélène... en explorant des salles si profondes que des cordes sont indispensables pour en sortir... des salles où des blocs rocheux risquent de vous écraser le genou ! »

Elle entra derrière Nathalie chez le marchand de vin, mais resta près du seuil, poursuivant ses réflexions. C'était comme si elle venait de réussir à soulever un coin du voile tendu jusque-là devant ses yeux. « J'aurais dû y penser plus tôt! songeait-elle. Ce ne sont pas des salles qu'ils explorent. Ce sont des souterrains... les souterrains d'un château. Et ils y cherchent — Bruno surtout - - un trésor. Pourquoi font-ils tous le silence sur ces expéditions? Sans doute pour que tante Hélène ne soit pas déçue si, au bout du compte, ils ne trouvent rien. En tout cas, il faut qu'ils se hâtent. La kermesse est le 15. Il est vrai qu'il n'est pas nécessaire que

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kermesse et découverte d'un trésor coïncident. Mais ce serait tellement mieux! »

Sans préambule, en reprenant avec Nathalie le chemin de la villa Meyranale, Catherine demanda :

« Est-ce qu'il y a un vieux château dans les environs? »Nathalie fut surprise de cette question. Mais elle prit un air

indifférent.« Oui, répondit-elle. Ou plutôt il y en avait un sur le Garaout,

la montagne qui est là-bas, juste devant toi. Il n'existe plus, sauf quelques moellons, quelques pans de murs presque invisibles dans les broussailles, des ruines qui se confondent avec les rochers.

— Y a-t-il des souterrains? insista Catherine.— Pas que je sache! s'exclama Nathalie en riant. Oh! Cathy,

je te reconnais bien là! Toujours ton imagination! »Catherine se mit à rire elle aussi. Mais, dans son for

intérieur, et sans avoir encore de preuves formelles, elle se sentait sur la bonne piste... celle du secret de Bruno!

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CHAPITRE IV

LA LÉGENDE D'YLAINE

ASSISE sous la tonnelle, Catherine écrivait sur une table de jardin sa troisième lettre à ses parents : « Si vous pensez à moi dans ce Paris toujours un peu gris, dites-vous que mon séjour ici est des plus agréables. Ce pays de montagnes est splendide. Depuis une semaine que je suis arrivée, j'ai déjà fait bien des promenades avec Nathalie... »

Gomme toujours quand elle écrivait une lettre, Catherine laissait son stylo courir sur le papier au gré de ses pensées. Cela n'allait pas sans un certain désordre. Elle débuta en parlant de la visite qu'elle avait faite à Mme Dautril, dans sa propriété de Castel

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transformée en institution pour jeunes paralytiques. Puis elle se ravisa. Elle venait de s'apercevoir qu'elle n'avait fait jusqu'ici que d'assez

vagues allusions à ses hôtes. Alors, elle traça un croquis de M. et Mme Vercourt, de leurs fils, depuis Olivier jusqu’à Patrice, elle décrivit la villa, le jardin, le village d'Arcouze. « Bien sûr, ajoutait-elle, je me sens un peu étrangère, bien que Nathalie soit parfaite avec moi. Ses frères? je ne les vois guère. Naturellement, comme dans toutes les familles, il y a une façade. Puis, derrière cette façade... Oh! il ne s'agit pas de grands secrets. Mais je détesterais passer pour indiscrète ou simplement curieuse... »

En écrivant ce dernier mot, Catherine ne put s'empêcher de sourire. Elle savait bien — et ses parents eux aussi le savaient — qu'il lui était parfois difficile de maîtriser sa curiosité !

Elle se remit à écrire, accumulant détail sur détail, laissant de nouveau courir sa plume.

Autour d'elle, le silence était total. Le soleil de l'après-midi s'appesantissait sur le jardin embaumé. Il faisait presque frais dans l'ombre de la tonnelle toute couverte de rosés. Après le déjeuner, les aînés, une fois encore, s'étaient éclipsés. Olivier lui-même était allé rejoindre ses camarades. M. Vercourt s'était rendu à Arcouze pour y acheter le journal. Mme Vercourt faisait la sieste. Nathalie s'était allongée sur un canapé du salon. Elle avait une rage de dents. Pourtant, elle avait dit à Catherine :

« Va écrire ta lettre. Dans une heure, je serai sans doute mieux. Nous irons nous promener. »

Quant à Bruno, il continuait à garder la chambre. Catherine ne l'avait pas revu. Elle le regrettait. Elle le trouvait sympathique avec son regard droit, ses mâchoires clé dogue. Il était si différent d'Alain, par exemple ! Alain avait un charme personnel. Mais il était si rêveur, si lointain, qu'il eût été présomptueux d'espérer conquérir son amitié...

Soudain, Catherine entendit un bruit, celui d'un bâton qui frappait des dalles. Elle tourna la tête dans la direction de la villa.

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Elle vit Bruno qui venait d'apparaître sur le perron. Il était en pyjama, les cheveux en désordre, et

s'appuyait sur une canne. Il regarda autour de lui pour s'assurer qu'il était bien seul, car il n'avait pas encore la permission de quitter sa chambre. Il commença de descendre les marches, en s'appuyant d'une main sur sa canne, en se cramponnant de l'autre à la rampe. Il descendait de biais, avec hésitation, en chancelant.

Catherine crut même qu'il allait tomber. Alors, elle se leva et courut jusqu'au perron :

« Voulez-vous... voulez-vous que je vous aide? »Bruno la dévisagea comme s'il ne la connaissait pas. Il

fronça ses sourcils épais.« Ah! non, pas ça! bougonna-t-il.' Laissez-moi tranquille ! »Sans prêter plus d'attention à l'intruse, il se remit à descendre

l'escalier. Après quoi, sautillant et risquant à chaque pas de s'effondrer sur le sol, il s'éloigna dans une allée latérale et s'assit à une cinquantaine de mètres, dans un transatlantique abandonné derrière un châtaignier. Bien qu'il fût en partie caché par l'arbre, Catherine l'aperçut qui tirait un livre de sa poche et se mettait à lire.

Elle soupira :« Quel caractère impossible! »Et gagnant la tonnelle, elle recommença à griffonner sa

lettre. Cathy en était à décrire l'accident de Bruno et ses origines mystérieuses, lorsqu'elle entendit qu'on l'appelait. Cette fois, c'était Nathalie qui venait d'apparaître sur le perron.

« Je suis sous la tonnelle », répondit Catherine.Nathalie s'approcha. Elle avait les traits tirés, les yeux

gonflés et tenait sa main appliquée contre sa joue gauche.« Ma pauvre Nathalie, ça ne va donc pas mieux?- Ça va même de plus en plus mal, répondit Nathalie.

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Maman me conduit à Tarbes chez le dentiste. Veux-tu venir avec nous .

— Il faudrait que je finisse d'écrire cette lettre, dit Catherine. Tu sais que j'ai promis à mes parents de leur écrire tous

les deux ou trois jours.— Oh! oui, termine tranquillement. Le voyage que

nous allons faire n'est guère amusant, d'autant plus que nous n'avons pas de rendez-vous. Cela signifie que nous allons sans doute passer le reste de l'après-midi dans le cabinet du dentiste. Tu es bien mieux ici, toute seule dans le jardin! »

Toute seule dans le jardin? Catherine savait très bien qu'elle ne l'était pas, Bruno, là-bas, derrière un châtaignier... Mais, bien qu'il n'eût rien exigé d'elle, pouvait-elle le trahir? Elle se résigna à cette nouvelle cachotterie.

Au reste, Nathalie paraissait à cent lieues d'imaginer que son frère avait quitté sa chambre. Sur le point de regagner le perron, elle se ravisa.

« Puisque tu restes, dit-elle, veux-tu veiller sur Olivier et ses camarades?

— Ils ne sont pas ici en ce moment, dit Catherine.— Ils sont chez les parents de Thierry et de Benoît. Mais, tu

le sais, ils ont coutume d'aller et venir entre les deux maisons. Tu vas sûrement les voir apparaître d'un instant à l'autre. Quand ils sont ici, ils ont besoin d'un peu de surveillance.

— J'aurai l'œil sur eux! » dit Catherine en souriant. Mme Vercourt sortait de la villa et se dirigeait vers

le garage.« Nathalie, appela-t-elle, ne me fais pas attendre. Catherine

vient-elle avec nous?— Non, maman, répondit Nathalie en rejoignant sa mère.

Il faut qu'elle termine une lettre à ses parents. »Mme Vercourt sortit du garage la 403 de son mari. Dès que

la voiture emportant Nathalie et sa mère eut traversé le jardin et se fut éloignée sur la route, Catherine reprit sa plume. Pas pour

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longtemps! Il y eut bientôt des pas sur le gravier de l'allée. C'était M. Vercourt qui revenait du village, son journal sous le bras. Catherine

fut sur le point de se lever pour lui dire que Mme Vercourt et Nathalie étaient allées à Tarbes. Puis elle pensa qu'il avait sans doute croisé la 403 sur la route et que Mme Vercourt l'avait mis au courant. Au reste, il passa près de la tonnelle sans même y jeter un regard et disparut dans la villa.

« Cette fois, se dit Catherine, il faut que je termine ma lettre.»

Autour d'elle, le silence était redevenu complet, interrompu seulement par le bourdonnement des insectes dans la chaleur de l'après-midi.

« Je ne vous parlerai pas des petits infirmes que Mme Dautril a pris sous sa protection, écrivait Catherine. Ils vivent dans un château, ou plutôt une ferme ancienne restaurée. L'organisation est remarquable. Mais l'argent fait défaut. Aussi attend-on beaucoup de la kermesse qui doit avoir lieu le 15 août, comme tous les ans. On m'a demandé d'y jouer le rôle d'une diseuse de bonne aventure. Je ne sais vraiment pas comment je m'en tirerai! Tout le monde prête son concours. Les frères de Nathalie... »

Catherine resta la plume en l'air. Puis elle biffa les quatre derniers mots. Elle ajouta :

« Le Castel est au pied d'une montagne, le Garaout, dont les pentes sont aussi arides que la propriété de Mme Dautril est verdoyante. Selon Nathalie, il est dangereux de s'aventurer sur cette montagne, parce que les vipères y fourmillent. Olivier, le benjamin de la famille, n'a pas le droit d'y aller, pas plus d'ailleurs que ses amis Thierry et Benoît... »

Cette fois, ce fut un éclat de rire qui interrompit Catherine, un éclat de rire vif, frais et jeune. Elle faillit en faire un pâté et un gribouillis sur son papier. Depuis quelques instants, elle entendait, sans y prêter attention, des froissements, des bruits légers dans le

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feuillage des rosiers qui couvraient la tonnelle. Elle pensait : « Ce sont des oiseaux... »

Mais, quand elle leva la tête, elle vit trois visages d'enfants penchés vers elle! C'étaient Olivier, Benoît et Thierry. Ils avaient dû s'approcher à pas de loup. Puis, agiles comme des chats, ils avaient grimpé le long de l'armature de fer de la tonnelle...

Le premier moment de stupeur passé, Catherine demanda :« Qu'est-ce qui vous fait rire ainsi?Ce que vous... ce que tu écris dans ta lettre! » répondit

Olivier du haut de son perchoir.C'était la première fois qu'il tutoyait Catherine. Elle ne s'en

formalisa pas. D'ailleurs, n'était-ce pas elle qui avait commencé?Elle prit pourtant un air courroucé pour dire :« Comment, tu te permets de lire ma lettre? Je te croyais

mieux élevé !— Oh! je n'ai lu que la dernière phrase, protesta Olivier.

Nous venons juste d'arriver. N'est-ce pas? » ajouta-t-il en se tournant vers ses compagnons.

Thierry et Benoît approuvèrent bruyamment :« Il dit la vérité, mademoiselle! Vous savez, Olivier n'est

pas un menteur! »Olivier eut le même rire qu'un instant auparavant : « En tout

cas, Catherine, tu te trompes si tu crois que nous n'allons jamais sur le Garaout! C'est Nathalie qui t'a raconté ça, je parie?

— Oui, c'est elle, dit Catherine.- Nous y allons quand ça nous fait envie, au moins tous les

deux jours! Si tu veux, nous t'emmenons.- Pas aujourd'hui. Il est trop tard. » Olivier parut avoir une

inspiration :« Nous pouvons au moins te le montrer. Veux-tu?- Par quel moyen? demanda Catherine.- Tu vas voir! »Olivier dit à Thierry et à Benoît :

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« Conduisez-la à l'observatoire. »Sur ces mots, les trois enfants se laissèrent glisser du

sommet de la tonnelle jusqu'au sol. Et, tandis qu'Olivier s'élançait vers la villa, Thierry et Benoît prenaient Gathy par la main et l'entraînaient vers le fond du jardin, du côté opposé à celui où Bruno avait cherché refuge.

Catherine commençait à se demander ce qui allait lui advenir. Arrivés au pied d'un arbre, un tilleul énorme, Thierry et Benoît commencèrent à l'escalader. Puis ils aidèrent Catherine à les rejoindre. Mais, dès qu'elle fut près d'eux, ils se remirent à grimper. Heureusement qu'elle pouvait faire preuve d'une agilité presque égale à la leur.

A la fin, ils se trouvèrent installés tant bien que mal tous les trois sur une grande branche.

« C'est cela votre observatoire? demanda Catherine. - Oui, répondit Thierry. Nous y venons presque tous les jours.

— Nous en profitons, expliqua Benoît. Il paraît que M. Vercourt à l'intention de faire couper cette branche à l'automne. »

Catherine s'apercevait que les enfants n'avaient pas mal choisi leur « observatoire ». En effet, de cette branche élevée d'une dizaine de mètres au-dessus du jardin, on découvrait non seulement le village, mais aussi un vaste paysage de montagnes.

« Voyons, se dit Catherine, où est le Garaout? »D'abord, elle vit, au bas d'une pente, les bâtiments du Castel.

Puis elle aperçut le Garaout, tel que Nathalie le lui avait montré le jour où elles étaient allées faire les courses à Arcouze. Cependant, dans l'air surchauffé de l'après-midi, elle ne pouvait en distinguer les détails.

« Avec ça, tu verras tout ce que tu voudras », fit une voix.C'était Olivier. Il revenait de la villa. Elle ne l'avait même

pas entendu se hisser de branche en branche. Il était à cheval derrière elle sur la branche morte. A son cou, pendait un étui de cuir qu'il s'efforçait d'ouvrir.

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Il en tira de magnifiques jumelles.« Les jumelles de papa! annonça-t-il.— As-tu la permission de les prendre? demanda Catherine.

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« Il y a des gens qui se promènent là-bas! »

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— Euh... oui et non...— Sans doute ne sais-tu pas que ton père est dans la villa? Il

y a à peu près un quart d'heure qu'il est rentré.- Je ne l'ai pas vu, dit Olivier. Il doit être dans sa chambre, en

train de faire son courrier ou de lire le journal. D'ailleurs, je n'ai vu personne.

— Ce n'est pas étonnant. Ta maman et Nathalie sont allées à Tarbes chez le dentiste. »

Olivier regarda Thierry et Benoît d'un air joyeux : « Chouette alors! Nous voilà tranquilles jusqu'à sept heures au moins !

— Pas autant que tu crois, Olivier, dit Catherine. Nathalie m'a chargée de vous surveiller.

- Oh! toi... » fit Olivier en haussant les épaules. Et, tendant à Catherine les jumelles :

« Tiens, prends ça. Tu sais t'en servir?- Oui », répondit Catherine.Elle ajusta les jumelles à sa vue. Petit à petit, les pentes du

Garaout lui apparurent. Elle avait l'impression de cheminer elle-même entre les rochers, sur un sol couvert de pierraille, de buissons et de touffes de fougères.

Avec lenteur, elle déplaçait les jumelles, les élevait, les abaissait, inspectait avec minutie les pentes de la montagne. Tout à coup, elle s'exclama :

« Il y a des gens qui se promènent là-bas! »Olivier demanda :« Passe-moi les jumelles! »Un moment après, il les rendit à Catherine en disant :« C'est M. Dumoncel et Marinette, sa fille. »Marinette? Oui, Catherine avait entendu plusieurs fois

prononcer ce nom, dans les heures qui avaient suivi son arrivée à la villa Meyranale, puis, plus tard, dans la soirée, au cours du dîner, quand tout le monde avait parlé de l’accident de Bruno. Mais, cette Marinette, elle ne l'avait

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pas encore vue, pas plus que son père à qui cependant M. Vercourt et ses fils faisaient parfois allusion.

« Qui est M. Dumoncel? » demanda Catherine en gardant les jumelles rivées à ses yeux et en continuant à suivre les deux promeneurs qui se dirigeaient, semblait-il, vers le sommet de la montagne.

« Un prof! de ne je sais quoi, de sciences naturelles, de géologie, répondit Olivier. Il enseigne à Paris, dans le lycée de Bruno. C'est d'ailleurs Bruno qui Ta fait venir. M. Dumoncel et Marinette sont dans le seul hôtel d'Arcouze, l'hôtel Beausite. Moi, je trouve que Bruno a eu tort.

Tiens, pourquoi? demanda Catherine.— Marinette est une assez chic fille. Mais M. Dumoncel...

quel raseur! On ne peut pas être une minute avec lui sans qu'il ramasse un caillou et vous le mette sous le nez en disant : « Qu'est-ce que c'est? » Si vous répondez que c'est du silex, alors que c'est du granité... qu'est-ce qu'il vous passe ! Il voudrait que nous soyons tous comme Bruno qui, lui, est passionné de géologie. En tout cas, il doit venir déjeuner à la maison avec Marinette demain. J'ai entendu maman qui en parlait à papa ce matin... »

Cathy n'écoutait plus que d'une oreille distraite. Elle continuait à suivre, avec les jumelles, les promeneurs. Sans hâte, ceux-ci se dirigeaient toujours vers le sommet de la montagne. Ils passèrent bientôt devant un grand arbre au feuillage rougeâtre qui se dressait isolé sur le flanc du Garaout.

« Cet arbre, qu'est-ce que c'est? demanda Catherine. Il est là tout seul parmi ces rochers, ces pierres... »

Olivier comprit immédiatement de quoi elle parlait.« C'est le Hêtre Pourpre, répondit-il. Il y a une légende à son

sujet. Veux-tu que je te la raconte? »Mais Catherine garda le silence. Elle s'était remise à suivre

les promeneurs. Elle les vit contourner des rochers, puis disparaître.

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« Que sont-ils devenus? dit-t-elle. Ils ont disparu!- Il me semble qu'ils étaient à trois cents mètres

environ du Hêtre Pourpre, mais plus haut, n'est-ce pas? dit Olivier.

- C'est à peu près cela, répondit Catherine surprise de tant de précision.

- Alors, c'est qu'ils sont entrés dans la grotte! » Pour la première fois depuis un bon moment, Catherine abaissa les jumelles. Son cœur s'était mis à battre plus vite.

« Quelle grotte? demanda-t-elle.- Eh bien, la grotte du Garaout. On l'appelle aussi la grotte

du Hêtre Pourpre.- Et... on peut la visiter?- Si on veut. Mais, tu sais, Cathy, c'est noir et humide là-

dedans, et il y a des centaines, des milliers peut-être de chauves-souris.

- Il y a aussi une belle salle avec des... des stalac... commença Thierry.

- Des stalactites, prononça Olivier sur un ton doctoral. En tout cas, pour visiter, il faut demander l'autorisation à tante Hélène ou aux grands.

- Pourquoi à tante Hélène? questionna Catherine.- Parce que la grotte lui appartient. Toute la montagne est à

elle.- Et les grands, pourquoi a-t-on besoin de leur autorisation?- Ce sont eux surtout qui nous interdisent d'y aller. Nous y

allons, bien sûr, quand ils n'y sont pas. Mais, tout seuls, ce n'est pas drôle.

- Pourquoi? »Benoît prit la parole pour la première fois : « Nous avons

peur... Olivier surtout!- C'est pas vrai! cria Olivier. C'est toi qui as peur!- Non, c'est toi, dit Thierry.- C'est pas vrai! » répéta Olivier.

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Et, sur la grosse branche du tilleul, ils se mirent à se chamailler comme trois moineaux.

« Tu dis toujours : « Voilà Kibiran! Voilà Kibiran! » et tu es le premier à te sauver! lança Benoît.

— C'est pas vrai! répéta de plus belle Olivier. C'est toi qui cries : « Voilà Kibiran! »

— Qui est ce Kibiran? » demanda Catherine.Elle avait l'impression que le voile venait de se soulever un

peu plus pour elle. Maintenant, sa curiosité éveillée, elle était bien résolue à obtenir d'Olivier et de ses camarades le plus de renseignements possible. Mais, pour ne pas les effaroucher, elle ne leur poserait pas de questions trop directes. Par exemple, elle se garderait bien de demander à Olivier : « Que font donc tes frères dans cette grotte dont ils vous interdisent l'entrée? »

Elle répéta :« Qui est ce Kibiran?- C'est un personnage de la légende d'Ylaine.— La légende d'Ylaine? Eh bien, raconte. J'aime

beaucoup les légendes. »Olivier était encore rouge de colère. Il changea

instantanément d'expression. Tout au plaisir de conter, il commença :

« C'était au XIe siècle...- Non, au XIIe, interrompit Benoît.- Au Xe ! » ajouta Thierry. Olivier redevint tout rouge :« Si on me coupe la parole, je me tais!— Laissez-le parler, ordonna Catherine à Thierry et à

Benoît. Ce n'est pas vous qui racontez l'histoire, c'est lui. Continue, Olivier.

— Donc, c'était au XIIe siècle, poursuivit Olivier. Au sommet du Garaout, il y avait un château fort.

— Il me semble que Nathalie m'a dit quelque chose de semblable, dit Catherine.

— Il n'y a plus que des ruines, reprit Olivier. D'ailleurs, on ne les voit même pas d'ici. Elles sont de l'autre côté

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du sommet. Dans ce château, vivait le duc d Arcouze. Il fut tué dans un combat. Sa veuve — il paraît que cela se faisait à l'époque — dut se résigner à épouser un certain Kibiran dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu'il avait la barbe noire et qu'il était très cruel. Il rendit très malheureuse la pauvre femme. Elle avait une fille, la douce Ylaine, qui avait environ quatorze ans, des yeux bleus et des tresses blondes. Kibiran se mit à la maltraiter elle aussi. Ylaine décida de prendre la fuite, sur le conseil d'ailleurs de sa mère. Une nuit d'hiver, elle se laissa glisser de sa fenêtre le long d'une corde, retrouva son grand lévrier favori qui l'attendait en bas et courut avec lui dans la neige. »

Olivier s'était arrêté de parler, tendant l'oreille.« Vous n'entendez pas? » demanda-t-il à voix basse.En effet, un pas inégal faisait craquer le gravier du jardin.

Tous les quatre, à travers le feuillage du tilleul, virent Bruno qui avait quitté son transatlantique et se dirigeait clopin-clopant vers la villa.

« II était donc là? fit Olivier toujours à voix basse, en suivant Bruno du regard.

- Oui, dit Catherine. C'est sa première sortie.— Oh ! je sais bien pourquoi il regagne déjà sa chambre ! Il

n'avait pas la permission de sortir, et il sait que maman s'est absentée...

- Continue ton histoire, reprit Catherine quand Bruno eut disparu dans la villa.

— Donc, Ylaine se sauvait avec son lévrier. Mais Kibiran l'avait vue! Il se jeta à sa poursuite. Se voyant perdue, Ylaine s'agenouilla dans la neige et implora sa patronne, sainte Ylaine, de la sauver. Alors, Catherine, sais-tu ce que fit sainte Ylaine?

— Ma foi, non, dit Catherine. Comment le saurais-je ?— Eh bien, elle ouvrit, juste devant Ylaine, une grotte.— La grotte qui est au sommet du Garaout?— Oui. Naturellement, Ylaine s'y précipita avec son lévrier.

Kibiran continua à la poursuivre. L’obscurité était

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profonde. Ylaine se dissimulai! de rocher eu rocher. Mais Kibiran réussissait toujours à la découvrir et elle ne lui échappait que de justesse. Elle se disait : « II « doit certainement y avoir une sortie. Où alors il faut « que je retrouve l'entrée! » Elle tourna eu rond pendant des heures et des heures. Enfin, Ylaine aperçut une lueur. Elle courut comme une folle dans cette direction, se retrouva à l'extérieur... étonnée de ne pas reconnaître le paysage. Il faisait presque jour. Et Kibiran était toujours sur ses talons. Il tendait sa main griffue. Il allait la saisir par l'une de ses tresses. C'est à ce moment... »

Olivier s'arrêta de nouveau. En conteur habile, il ménageait ses effets. Catherine le pressa de poursuivre :

« C'est à ce moment...— Eh bien, le lévrier, en général très doux, inoffensif,

voyant sa jeune maîtresse en danger, bondit sur Kibiran, le renversa, le saisit à la gorge. Et l'on prétend aujourd'hui, Catherine, que, si le hêtre que tu vois là-bas est pourpre, c'est qu'il est teint du sang de Kibiran! »

Cathy, le coude sur le genou, le menton dans la main resta quelques instants songeuse, tandis que les trois enfants se taisaient.

« C'est une belle légende, dit-elle à la fin. Mais, évidemment, tout cela est sorti de l'imagination populaire.

— Papa prétend que, dans toutes les légendes, il y a une part de vérité, dit Olivier. Par exemple, il se demande, comme mes frères d'ailleurs, si Ylaine est sortie de la grotte du côté où elle y était entrée, puisqu'elle a, paraît-il, été étonnée de ne pas reconnaître le paysage. C’est une question qui semble les intéresser beaucoup.

— Pourquoi? fit Catherine avec un redoublement subit de curiosité.

— Est-ce que je sais? » répondit Olivier en haussant les épaules.

Puis, changeant d'idée, il ajouta en se tournant vers Thierry et Benoît :

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Kibiran était toujours sur ses talons.

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« Maintenant, si nous allions travailler?— A vos devoirs de vacances? » demanda Catherine. Trois

joyeux éclats de rire lui répondirent.« Mais non! expliqua Olivier. Nous allons au grenier. Tous

les jours, nous y passons au moins une heure à mettre au point mon attraction-surprise pour la kermesse de tante Hélène. Nous avons presque fini. Demain, nous ferons le premier essai. Voyons, Cathy, tu ne te souviens pas? Je t'en ai déjà parlé.

— C'est vrai, reconnut Catherine. C'était à mon arrivée... Mais j'aimerais mieux que vous restiez avec moi.»

Olivier, Thierry et Benoît ouvrirent des yeux étonnés. « Pourquoi? demandèrent-ils en chœur.

— Parce que Nathalie m'a chargée de vous surveiller pendant son absence. Elle a l'air de se méfier de vous.

— Peuh, Nathalie ! firent d'une même voix les trois enfants.

— La preuve qu'elle n'a pas d'autorité sur nous, dit Olivier, c'est que nous ne lui avons jamais permis de monter au grenier depuis que j'ai commencé mon attraction!

— De quoi s'agit-il? Si j'ai bonne mémoire, tu m'avais promis de me mettre au courant, Olivier.

— Il s'agit d'un truc... qui doit fonctionner avec des choses...— Voilà une explication qui manque plutôt de clarté!

s'exclama Catherine.— Des choses... qu'on peut acheter en juillet,

bredouilla Olivier.— Des choses qu'on peut acheter en juillet?— Je t'en ai déjà trop dit. Maintenant, rends-moi les

jumelles. »Catherine s'exécuta. Olivier ajouta, s'adressant à ses

camarades :« Venez, vous autres.

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— Restez avec moi jusqu'au retour de Nathalie, ordonna Catherine.

— Certainement pas!— Je vous interdis...— Puisque c'est comme ça, fit Olivier, nous allons te

laisser en plan. On verra bien si tu es capable de descendre toute seule! »

Les trois garçons, riant de bon cœur, glissèrent de branche en branche, puis le long du tronc, jusqu'au sol. Un instant après, ils s'engouffraient dans la villa.

Catherine resta quelques secondes éberluée par tant d'audace, mais ne tarda pas à se ressaisir. Elle ne se laisserait pas dominer aussi facilement !

Cathy se trouvait à une hauteur qui lui parut tout à coup vertigineuse. Cependant elle se rassura, se sachant bonne en gymnastique, et commença à descendre en se cramponnant aux branches, en s'assurant de solides points d'appui. Un moment, elle resta suspendue à la plus basse branche, puis elle lâcha prise. Dès qu'elle eut atteint le gravier de l'allée, elle se dirigea vers la maison, traversa le hall, s'engagea dans l'escalier. Le palier du premier étage, le palier du second... L'escalier du grenier n'était plus qu'une sorte d'échelle sans rampe. Catherine le gravit. En passant devant l'œil-de-bœuf percé dans le toit, elle entendit un bruit de moteur qui montait vers elle, et vit, à travers la vitre poussiéreuse, s'arrêter devant la maison la voiture qui avait emporté à Tarbes Nathalie et Mme Vercourt.

Cathy reprit son ascension. Bientôt, elle se trouva devant une porte vermoulue. Elle tourna le bouton dans tous les sens, secoua le battant. La porte était verrouillée.

« Olivier! appela Catherine. Ouvre-moi. Je te l'ordonne. »Derrière le battant, une voix un peu moqueuse répondit :« Rien à faire, Catherine. Demain, tout ce que tu voudras.

Mais pas aujourd'hui.— Puisque c'est ainsi, je vais chercher Nathalie, dit

Catherine d'un ton menaçant. Elle est rentrée! »

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La réplique ne se fit pas attendre : trois rires jeunes et frais.Catherine, furieuse, descendit l'escalier. Au premier étage,

après avoir frappé, elle entra dans la chambre de son amie.« Nathalie, commença-t-elle, Olivier est vraiment infernal!

Ainsi que tu me l'avais demandé, j'ai voulu... »Elle s'arrêta. Où était Nathalie? Elle la découvrit, couchée

sur son lit, pliée sur elle-même, sa main appliquée sur sa joue, les yeux noyés de larmes.

Catherine, émue, s'approcha :« Nathalie, tu souffres?— Oh! oui! Il m'a extrait ma dent. Ça me fait très mal!— Il n'y a donc rien qui puisse te soulager?— J'ai pris deux comprimés d'aspirine. Il faut attendre.

Pourvu que je sois guérie demain! Tu sais que les Dumoncel viennent déjeuner à la maison?

— Oui, je le sais. »Catherine s'assit au bord du lit, enferma dans les siennes la

main libre de Nathalie, comme si elle espérait ainsi lui donner du courage.

Au bout d'un moment, Nathalie eut un faible sourire :« Merci, Catherine. Il me semble que je vais déjà un peu

mieux. Tu me disais en entrant... Olivier... »Catherine réfléchit : « A quoi bon l'inquiéter avec des

enfantillages? »Elle se pencha sur son amie :« Olivier vient de me raconter la légende d'Ylaine. C'est très

intéressant. Surtout cette grotte étrange...- Oui, la grotte... », murmura Nathalie dont les

paupières s'étaient déjà plusieurs fois abaissées.« A ce propos... », reprit Catherine.Mais, en constatant que Nathalie venait de s'endormir, clic

n'insista pas.

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CHAPITRE V

LE MYSTÈRE DE LA GROTTE

« Nous sommes vraiment désolés, dit M. Vercourt en s'adressant à M. Dumoncel et à sa fille Marinette, de vous voir partir si vite. Nous aurions aimé vous garder tout l'après-midi.

— Nous sommes désolés nous aussi, répondit M. Dumoncel. Pour réparer ce contretemps, nous permettrez-vous de vous inviter à l'hôtel Beausite un jour de la semaine prochaine?

— Ce serait très volontiers, mais nous sommes si nombreux! » s'exclama Mme Vercourt.

Le déjeuner s'achevait dans la salle à manger de la villa Meyranale. Onze personnes étaient assises autour de la table à laquelle il avait fallu mettre des rallonges. Les Vercourt au complet étaient là — M. et Mme Vercourt,

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Patrice, Marc, Alain, Bruno, Nathalie, Olivier — puis Catherine et les deux invités, M. Dumoncel et Marinette.

M. Dumoncel venait de parler d'un contretemps. Mais il y en avait eu deux. Tout d'abord, à huit heures du matin, M. Dumoncel avait téléphoné de son hôtel à la villa Meyranale. Il avait annoncé à Mme Vercourt que des amis, en vacances dans la région, venaient de l'aviser de leur passage entre deux et trois heures ce jour-là. Cependant, Mme Vercourt avait tenu bon.

« Venez quand même déjeuner avec Marinette, avait-elle dit. Nous vous laisserons partir, à regret bien sûr, quand vous le désirerez. »

Quelques instants plus tard, Maria, la servante venue de Paris, et qui faisait aussi bien la cuisine que le ménage, avait déclaré, en montrant l'index de sa main droite :

« Je crois bien que j'ai un panaris. »Patrice l'avait conduite chez le médecin d'Arcouze. Par la

même occasion, il avait ramené du village une jeune fille qui pouvait rendre des services, mais n'était pas assez au courant pour remplacer efficacement Maria. De Ici le sorte que Nathalie et Catherine avaient dû l'aider, surtout à servir à table.

« Quel ennui de vous mettre à contribution de cette façon! disait Mme Vercourt à Catherine.

: Nous t'invitons à passer quelques semaines chez nous, et nous te faisons travailler! renchérissait Nathalie.

- Je suis au contraire enchantée de pouvoir vous rendre service! » avait protesté Catherine.

Pendant tout le repas, elle s'était à peine assise. Avec Nathalie, elle courait de la salle à manger à la cuisine, de la cuisine à la salle à manger, apportait les plats, les remportait. Mais dans son for intérieur, Cathy n'était pas mécontente de cet état de choses. Car, dès le début du repas, elle s'était rendu compte qu'une sorte de conspiration se tramait contre elle. Oh! M. et Mme Vercourt n'y étaient pas mêlés, pas plus d'ailleurs que M. Dumoncel et Marinette.

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Les conspirateurs étaient Patrice, Marc, Alain et Bruno. Le petit Olivier, lui, était surtout occupé à engloutir tout ce qu'on mettait dans son assiette.

Catherine avait eu d'abord une surprise agréable. M. Dumoncel était un homme robuste, un peu chauve, le regard attentif, la physionomie calme. Il était courtois, peu bavard. Mais il s'enflammait soudain dès qu'on parlait de géologie, d'explorations souterraines, de la nature des roches et des pierres qu'on trouve à différentes profondeurs! Alors, il s'animait et son enthousiasme faisait plaisir à voir. M. Vercourt, Marc et Alain, ainsi que Bruno - - ce dernier surtout - - relançaient sans cesse la conversation sur ce sujet.

Quant à Marinette Dumoncel, Catherine la trouva immédiatement sympathique. Elle aurait aimé être l'amie de cette grande jeune fille souriante, aux yeux pétillants d'intelligence, au visage harmonieux sous les boucles courtes et brunes! Catherine nota presque tout de suite un détail. Alain était assis près de Marinette. Il ne bavardait pratiquement qu'avec elle. Il paraissait implorer ses avis. Lui, le poète un peu indolent, il semblait se placer sous sa protection.

Mais cela ne l'empêchait pas de faire partie du petit groupe des conspirateurs! Dès le début du repas, tandis qu'elle allait de la cuisine à la salle à manger, ne s'asseyant qu'à de rares intervalles, Catherine avait été de plus en plus fréquemment interpellée. On la prenait à témoin, à propos de tout et de rien, comme si elle avait été un personnage d'importance.

« N'est-ce pas, Catherine, disait Marc, vous qui avez sauvé une petite fille pendant votre croisière aux Baléares, l'an passé? »

Puis c'était Alain :« Quand on est aussi brave que vous, Catherine, quand on a

de l'initiative à revendre, c'est là un exploit devant lequel on ne recule pas... »

Bruno se mettait de la partie :

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M. Dumoncel était un homme robuste.

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« Une fille comme ça, pensez donc, on n'en rencontre pas souvent! »

Patrice se joignait à ses frères :« Je ne suis pas d'accord! Ce n'est pas parce qu'on a sauvé

une petite fille aux Baléares, résolu une énigme policière dans un chalet environné de neige et échappé à un piège dans une affaire de chiens perdus3, ce n'est pas parce qu'on a déjà fait tout cela qu'on serait encore capable d'un véritable exploit. N'est-ce pas, Catherine? »

Catherine se disait : « Ils me taquinent! Toutes ces questions ne riment à rien... » Elle se contentait de sourire ou répondait d'un mot :

« De quel exploit parlez-vous donc? Vous savez bien, disait Bruno.

— Et, avec ça, elle est modeste ! » reprenait Marc. Catherine continuait à sourire, mais elle serrait les

dents. On se moquait d'elle. Nathalie avait raison : ses frères, quand ils le voulaient, pouvaient être méchants.

Ce fut d'ailleurs Nathalie qui prit soudain la défense de Catherine :

« Allez-vous la laisser tranquille? Elle ne vous a rien fait! »Alain, Patrice, Bruno et Marc affectèrent de ne pas entendre.

Ils se plongèrent dans une conversation avec leur père, ainsi qu'avec M. Dumoncel et Marinette. Mais on sentait qu'ils n'attendaient qu'une occasion de revenir à la charge. Ils jetaient des regards furtifs à Catherine, ils échangeaient à son sujet des propos à voix basse.

Dans la cuisine, en préparant le café, Catherine, rouge de confusion, demanda à Nathalie :

« Que me veulent-ils?— Est-ce que je sais, moi! répondit Nathalie. Ils sont

complètement idiots. Ils ne m'ont pas fait de confidences. Mais il me semble qu'ils voudraient t'imposer une épreuve.

I Voir, dans la même collection, Catherine au Chalet des Neiges et Catherine et les Chiens perdus.

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— Quelle épreuve?— Voilà ce que j'ignore. Il se pourrait qu'elle ait un rapport

avec la grotte du Garaout... leur marotte! »La grotte du Garaout! A partir de cet instant, Catherine garda

le silence, du moins sur ses pensées les plus intimes. Elle se contenta de servir le café, avec l'aide ^de Nathalie, et de verser dans l'assiette d'Olivier la dernière tranche de la bombe glacée qui avait formé le dessert. Quel regard de reconnaissance lui jeta le petit garçon en murmurant :

« Merci, Catherine! »Si elle ne s'était retenue, Cathy aurait soupiré de satisfaction

à l'idée que ce déjeuner était presque terminé!Tout à coup tandis que les convives buvaient leur café,

Olivier aperçut Thierry et Benoît qui franchissaient la grille du jardin et remontaient l'allée d'hortensias.

« Voilà Thierry et Benoît! » s'exclama-t-il.Il s'adressa à Mme Vercourt près de qui il était assis :« Maman, permets-moi d'aller les retrouver!— Eh bien, va, dit Mme Vercourt. Mais ne faites pas de

bêtises! »Olivier se leva, contourna la table et, à voix basse, jeta au

passage à Catherine :« C'est aujourd'hui que nous faisons notre première

expérience ! »Puis il s'esquiva. Dans le brouhaha des conversations,

personne ne prit garde à son départ.Cinq minutes plus tard, M. Dumoncel et Marinette se

levèrent pour prendre congé. Une fois encore, M. Dumoncel se déclara désolé d'être obligé de se retirer plus tôt qu'il ne l'avait prévu.

Alors qu'il se dirigeait vers la porte de la salle à manger, suivi de Marinette, Alain et Marc protestèrent.

« Vous n'allez tout de même pas regagner Arcouze à pied! dit Alain.

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- Nous vous reconduisons dans la 2 CV », ajouta Marc.M. Dumoncel répondit :« C'est aimable à vous. Mais je ne sais vraiment pas si nous

devons accepter. Qu'en penses-tu, Marinette? »Bien entendu, Marinette était ravie. Mais elle parut se ranger

à l'opinion de son père.« Je crois que papa à raison, dit-elle en s'adressant à Alain et

à Marc. Le village n'est pas à plus de huit cents mètres. Et puis... »Elle ne put continuer. Elle sursauta et resta bouche bée, ainsi

que toutes les personnes réunies dans la salle à manger.Une détonation violente venait d'ébranler la maison. Les

assistants se regardèrent, stupéfaits. Une même question jaillit de toutes les lèvres :

« Qu'est-ce que c'est?- Qu'est-ce que c'est?— Qu'est-ce que c'est? »Catherine, elle, avait déjà compris. Elle se sentit pâlir et

murmura :« C'est l'expérience d'Olivier...— Que dis-tu? » demanda Nathalie.Mais Catherine n'eut pas le temps de répliquer. Une ruée se

produisait vers la porte. Les premiers, M. et Mme Vercourt se précipitèrent dans le hall. Ils s'étaient bien rendu compte que l'explosion avait eu lieu à l'étage le plus élevé de la maison.

M. Vercourt s'élança dans l'escalier. Mme Vercourt le suivit. Tout le monde leur emboîta le pas.

Premier étage..., deuxième étage... Enfin, ce fut l'étroit escalier du grenier. Là, tout en haut, sur le seuil de la porte, se dressaient les trois enfants, Olivier, Benoît et Thierry. Leurs visages, leurs mains et leurs vêtements étaient noirs, comme barbouillés de suie.

« Petits malheureux, qu'avez-vous fait? s'écria M. Ver-• court.

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CATHERINE ET LES CINQ, FRÈRES- Dieu merci, dit Mme Vercourt avec un immense

soulagement, ils ne semblent pas blessés! »En effet, Olivier et ses camarades étaient indemnes. Olivier,

d'une voix qui tremblait encore, dut expliquer qu'il n'avait pas tenu compte d'une interdiction formulée quelques jours plus tôt par ses parents. Il avoua que, pour la kermesse de Mme Dautril, il avait voulu fabriquer une fusée. Pour cela, il avait joint ses économies à celles de Benoît et de Thierry. Il avait acheté tous les pétards qu'il avait pu trouver dans les boutiques d'Arcouze et il les avait entassés, aussi serrés que possible, dans une sorte de tuyau fermé aux deux extrémités qui gisait maintenant disloqué, sur le sol du grenier.

« J'ai mis le feu à la base de ma fusée, poursuivit-il. Je croyais qu'elle allait s'envoler. Au contraire, elle a... »

Les larmes l'étouffaient. Il ne put poursuivre.« Elle a explosé, bien sûr! » fit M. Vercourt, furieux.Il décida qu'Olivier serait privé de sortie pendant une

semaine.« Huit jours ! murmura Marinette qui se trouvait près de

Catherine sur la même marche de l'escalier du grenier. Je trouve que c'est beaucoup.

— Moi aussi », répondit Catherine.Benoît et Thierry, profitant d'un moment d'inattention

générale, se faufilèrent entre les personnes rassemblées dans l'escalier et regagnèrent à toutes jambes la villa de leurs parents.

Mine Vercourt entraîna Olivier vers la salle de bain.En serrant la main de M. Vercourt, M. Dumoncel lui dit :« En somme, vous en êtes quitte pour la peur. Au fond, ce

n'était pas bien grave.- Ça aurait pu l'être! » répondit M. Vercourt. Les

quatre garçons conduisirent M. Dumoncel etMarinette vers le garage. Bruno s'appuyait encore sur une

canne. Mais on pouvait prévoir qu'il ne tarderait pas à marcher normalement.

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Comme ils s'y étaient engagés, Alain et Marc emmenèrent

les visiteurs en voiture. Patrice et Bruno allèrent jusqu'à la grille du jardin, et les suivirent du regard tandis qu'ils s'éloignaient sur la route en direction du village.

Nathalie s'était rendue dans la salle de bain, pour aider sa mère à faire la toilette d'Olivier.

Catherine se trouva seule sur le perron avec M. Vercourt.« Monsieur... », commença-t-elle au bout d'un moment.Il se tourna vers elle et la dévisagea. On aurait dit qu'il venait

seulement de découvrir qu'elle était près de lui.« Qu'y a-t-il, Catherine? demanda-t-il en fronçant les

sourcils.— Accordez-moi la grâce d'Olivier, reprit-elle en s'efforçant

de sourire.- Vous devez pourtant vous rendre compte que ce qu'il a

fait... Enfin, il aurait pu se blesser, provoquer un incendie! De plus, ma femme et moi, nous lui avions interdit de fabriquer cette fusée!

- Je ne savais pas... Tout de même, le voilà privé de sortie pendant huit jours! Je me permets d'insister... Ne serait-il pas possible...

- Nous verrons, nous verrons », répliqua M. Vercourt, les sourcils toujours froncés.

Puis, tournant les talons, il rentra dans la villa.Catherine resta quelques instants interdite. Elle était certaine

d'avoir échoué. Tandis qu'elle était là, immobile sur le perron, elle vit Patrice et Bruno qui remontaient l'allée des hortensias.

Ils l'avaient tellement taquinée pendant le déjeuner qu'elle eut envie de rentrer elle aussi. Mais, cette fois, ils avaient l'un et l'autre une expression presque aimable. Bruno lui-même souriait. Arrivé au pied du perron, il leva la tête.

« Nous venons d'avoir une idée, Patrice et moi, dit-il. Dès que Marc et Alain seront revenus, nous irons à l'Arbeste. Voulez-vous nous accompagner?

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« Petits malheureux, qu'avez-vous fait? » s'écria M.Vercourt.

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- Qu'est-ce donc que l'Arbeste? demanda Catherine un peu méfiante.

— Une petite montagne voisine du Garaout. Vous ne la connaissez pas? Nathalie ne vous y a pas emmenée?

- Non, pas encore.- C'est un très beau site, intervint Patrice. Au pied de

l'Arbeste coule un torrent. On y pêche des truites. C'est justement ce que j'ai l'intention de faire. Venez-vous avec nous, Catherine? Nous partirons dès que Marc et Alain seront revenus.

- Et Nathalie? » demanda Catherine.A cet instant, Nathalie apparut sur le perron.« J'entends qu'on parle de moi, dit-elle. De quoi s'agit-il? »On la mit au courant. Elle battit des mains :« En effet, c'est une promenade magnifique! Et puis,

Catherine^ tu verras, c'est très amusant de regarder quelqu’un pêcher la truite. Patrice acceptera peut-être de t'apprendre.

— Pourquoi pas? dit Patrice en gravissant avec Bruno les marches du perron. Maintenant, allons tous nous préparer. Rendez-vous ici dans cinq minutes. A ce moment-là, j'espère que Marc et Alain seront revenus. »

Chacun monta dans sa chambre. Au bout de quelques minutes, Cathy sortit de la sienne. Elle se dirigeait déjà vers le palier lorsque, derrière elle, elle entendit :

« Psitt! Psitt! »Elle se retourna. C'était Olivier. Il était de nouveau lui-même

: visage et mains propres, chemisette et short immaculés. Il accourut sur la pointe des pieds, un doigt sur les lèvres.

« Avant que tu partes en promenade, Catherine, je voulais te dire plusieurs choses, murmura-t-il. C'est chic ce que tu as fait pour moi!

— Qu'ai-je donc fait? demanda Catherine.— Tu le sais bien! Grâce à toi, papa a diminué ma punition.

Il vient de me le dire. Je ne suis puni que pour

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aujourd'hui. Il faut que je reste dans ma chambre à faire des devoirs.

— Eh bien, tu vois, tout s'arrange.- Oui, mais ce n'est pas tout. Puisque tu m'as rendu

service, je veux faire quelque chose pour toi.- Je n'ai pas le temps de bavarder! On m'attend au

rez-de-chaussée.- Justement! dit Olivier en prenant Catherine par le

bras. Il faut que tu m'écoutes. Mes frères ont décidé de te tendre un piège. Je les ai entendus comploter pendant le déjeuner, alors que tu étais dans la cuisine avec Nathalie. Avant ton arrivée ici, Nathalie leur a tellement répété que tu étais courageuse qu'ils veulent te mettre à l'épreuve. Ils savent que la grotte du Garaout t'intéresse. Ils voudraient te mettre au défi d'y aller seule. »

Catherine resta quelques secondes silencieuse. Elle avait bien senti, au cours du repas, que quelque chose se tramait... Cependant elle était à cent lieues d'imaginer... En tout cas, s'il s'agissait vraiment d'un piège, elle saurait bien ne pas y tomber!

« Ça te plairait, n'est-ce pas, de visiter la grotte? reprit Olivier.

- Euh... naturellement, répondit Catherine.- Eh bien, puisque vous allez tous à l'Arbeste, tu vas

la visiter aujourd'hui et tu joueras en même temps un bon tour à mes frères ! Ils croiront que tu y es entrée seule. Ils se frotteront les mains. Mais tu ne seras pas seule. Je serai là pour te guider!

Voyons, Olivier, tu es fou!- Non. Voilà ce que nous allons faire... »Olivier s'interrompit. Des appels montaient du rez-de-

chaussée :« Catherine! Catherine!

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— Je viens », répondit Catherine. Olivier la retint^« Quand on est à l'Arbeste, on est tout près du Garaout,

reprit-il précipitamment. Dans trois quarts d'heure ou une heure, j'y serai, moi, au Garaout. Tu n'auras qu'à regarder le Hêtre Pourpre. Je serais à côté. J'agiterai mon mouchoir. Alors, tu me rejoindras. Tu diras que. tu as envie de visiter la grotte. Mes frères t'encourageront. Ce qu'ils veulent, c'est pouvoir proclamer que tu es peureuse comme toutes les filles, sauf Marinette Dumoncel. Ils t'accompagneront en riant sous cape. Ils seront persuadés que, quand tu te verras seule dans la grotte, tu ne tarderas pas à faire demi-tour. Ce qu'ils ignoreront, c'est que je serai dans l'ombre à t'attendre. Qu'est-ce que tu en penses? C'est un bon tour, n'est-ce pas? »

Catherine ne put s'empêcher de sourire. Le projet la séduisait. Elle se disait : « Les frères aînés de Nathalie ne cessent de me prendre pour cible de leurs moqueries. Pourquoi n'agirais-je pas avec eux comme ils agissent avec moi? » Puis elle se souvint qu'Olivier était puni.

« Non, c'est impossible, lui dit-elle. Tu as déjà bien de la chance de n'être puni que pour aujourd'hui. Tu resteras ici.

- Mais, Catherine, je t'assure...- Cela suffit. Sois raisonnable, Olivier. »Sur ces mots, elle dégringola l'escalier. Au rez-de-

chaussée, elle trouva Bruno, Nathalie, Patrice et M. Vercourt.« Alain et Marc ne sont pas revenus, expliqua Nathalie.

Nous ne pouvons pas les attendre indéfiniment. Nous allons partir à pied. Il n'y a que deux kilomètres environ d'ici à l'Arbeste par un raccourci que nous connaissons.

- Quant à moi, dit M. Vercourt, je vais faire un bout de chemin avec vous. Puis je vous laisserai pour aller chez les parents de Benoît et de Thierry. Je veux leur expliquer ce qui s'est passé et que le seul coupable est Olivier. Un peu plus tard dans l'après-midi, je vous rejoindrai à l'Arbeste.

— Et Mme Vercourt? demanda Catherine.

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— Elle reste ici. Elle a besoin de repos. Et puis, elle surveillera Olivier. »

On se mit en route. Patrice, portant une housse contenant ses cannes à pêche, allait en tête. Bruno clopinait près de lui.

« A ta place, je serais restée à la maison, lui dit Nathalie.— Au contraire! » répliqua Bruno en faisant tourbillonner

sa canne pour montrer qu'il n'en avait presque plus besoin. « Je n'ai pas envie de me rouiller. D'ailleurs ça va mieux. »

Catherine cheminait entre Nathalie et M. Vercourt, « Je vous remercie d'avoir été indulgent avec Olivier, dit-elle à M. Vercourt.

— Vous êtes notre invitée, répondit-il en souriant. Il m'aurait été difficile de repousser une requête formulée par vous. »

A l'entrée du village, M. Vercourt se sépara des jeunes gens. Ceux-ci s'engagèrent dans un sentier qui contournait la petite agglomération. Ce sentier traversait un bois où les oiseaux chantaient à pleine gorge. Puis il descendait dans une vallée très encaissée au fond de laquelle courait un torrent.

« Est-ce ici que l'on pêche? demanda Catherine.- Non, plus loin, répondit Nathalie. Les truites sont

nombreuses au barrage, près des ruines du moulin, au pied même de l'Arbeste. D'ailleurs, voilà l'Arbeste, là-bas. »

Catherine vit, à travers les arbres qui bordaient le torrent, une petite montagne dénudée. Sur sa gauche, se dressait la masse imposante du Garaout, mais presque aussi dénudée que celle de l'Arbeste. Les deux montagnes se touchaient, la petite semblant se blottir contre la grande.

« Enfin, nous sommes arrivés, dit Nathalie quelques minutes plus tard. Il ne nous reste qu'à regarder Patrice pêcher. »

Elle se laissa tomber dans l'herbe. Catherine l'imita. A une trentaine de mètres, Patrice fixait une mouche artificielle à sa

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ligne. Dès que ses préparatifs furent terminés, il lança la mouche à la surface de l'eau bouillonnante.

Bruno se tenait près de lui, suivant attentivement la mouche des yeux.

Au bout d'un moment, il revint près de Nathalie et de Catherine.

« Ça ne donne pas grand-chose, du moins jusqu'ici, dit-il. Les truites mordent surtout en fin d'après-midi, quand la chaleur commence à diminuer... »

II s'assit près de sa sœur et continua de bavarder. Mais Catherine ne l'écoutait guère. Elle savourait le calme du paysage et promenait paresseusement son regard sur le cours du torrent, sur les pentes de l'Arbeste et aussi sur celle du Garaout.

Tout à coup, elle maîtrisa un sursaut et l'exclamation qui allait jaillir de sa bouche. A un kilomètre environ, au-delà de l'Arbeste, presque au sommet du Garaout, se dessinait la silhouette du Hêtre Pourpre. Au pied de l'arbre, il y avait un point noir, immobile, et, au-dessus de ce point noir, un point blanc agité de mouvements réguliers!

Catherine tressaillit. « C'est Olivier! pensa-t-elle. Il m'a désobéi! Il a dû trouver un moyen d'échapper à la surveillance de sa mère! »

Cependant, elle ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'œil furtifs vers le mouchoir d'Olivier. Elle éprouva presque une déception lorsque le mouchoir disparut, lorsque les signaux cessèrent. « Le petit chenapan! » se répétait-elle. Mais, en même temps, elle se disait : « Maintenant, il est entré dans la grotte, il m'attend! »

Comme elle continuait à se tourner vers le Hêtre Pourpre, Bruno s'aperçut de son manège. Il allait parler quand Nathalie s'écria :

« Patrice vient de prendre une truite! »Tous trois se tournèrent vers le pêcheur. En effet, Patrice

avait ferré une truite de bonne taille et l'avait jetée dans l'herbe,

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derrière lui. Nathalie se leva, courut jusqu'à son frère, l'aida à décrocher la truite de l'hameçon.

Catherine et Bruno les virent qui bavardaient en riant. Puis Patrice remit sa canne à Nathalie. Celle-ci, d'un geste habile, jeta la mouche dans le torrent. Patrice, les mains dans les poches, se dirigea, sans hâte vers Bruno et Catherine.

« Elle a envie de pêcher, expliqua-t-il. D'ailleurs, elle s'en tire très bien. Moi, je vais me reposer un peu. Et vous, Catherine, ça ne vous tente pas de faire un essai?

— Je crois, intervint Bruno, que Catherine éprouve une autre tentation.

— Laquelle? » demanda vivement Catherine, tout de suite sur ses gardes et un peu inquiète de se trouver seule pour la première fois avec ces deux garçons dont elle avait deviné l'hostilité à son égard.

« Eh bien, reprit Bruno en prenant une mine indifférente, j'ai l'impression, Catherine, que vous regardez fréquemment vers le Hêtre Pourpre et la grotte. »

Comme Cathy, sans répondre, faisait semblant de s'amuser avec un brin d'herbe, Bruno ajouta :

« Je vous aurais fait visiter la grotte avec plaisir. Malheureusement, je ne suis pas encore très valide. Quant à Patrice...

- Oh! moi, dit Patrice, la grotte ne m'a jamais vraiment passionné. Je la connais peu. Et, franchement, je préfère l'air libre.»

Catherine les examina à la dérobée. Elle eut l'impression qu'ils échangeaient un coup d'œil entendu. Puis Bruno se tourna vers elle. Il souriait en découvrant ses dents aussi pointues que des crocs. Un dogue! Oui, c'était bien cela. Il avait souvent l'air prêt à mordre, tout en se moquant de vous. « II me méprise, comme il méprise sans doute toutes les filles! » se dit Catherine. Dans ce mépris, il y avait quelque chose qui la révoltait et la stimulait en même temps. « Mais, pensa-t-elle soudain, rien ne m'empêche de faire semblant d'entrer dans leur jeu! Ils veulent me ridiculiser. Ils

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se croient malins. Je vais leur montrer que je suis capable, moi aussi, de jouer la comédie ! »

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« Contre les chauves-souris, parbleu! Elles foisonnent dans la grotte. »

« Pourquoi ne la visiterais-je pas seule, cette grotte, puisque vous ne pouvez m'accompagner? dit-elle. J'ai l'impression qu'elle n'est guère plus grande qu'un mouchoir de poche.

— Erreur! fit Bruno. Elle a des kilomètres de galeries. Elle contient aussi un lac dont l'eau est profonde et glacée. »

Catherine resta silencieuse. Des kilomètres de galeries, un lac...

« Naturellement, poursuivit Bruno, vous n'êtes pas obligée de tout visiter la première fois.

— Naturellement.— Ce qui est dommage, remarqua Patrice en allumant une

cigarette, c'est que vous n'ayez pas un foulard pour protéger vos cheveux.

- Contre quoi? demanda Catherine.- Contre les chauves-souris, parbleu! Elles foisonnent dans

la grotte. »Catherine eut du mal à ne pas frissonner. Des chauves-souris

maintenant! Mais Olivier ne lui avait-il pas dit quelque chose à ce sujet?

« Ce n'est pas tout, reprit Bruno. A la rigueur, les espadrilles dont vous êtes chaussée peuvent suffire. Cependant, dans la grotte, il fait un froid de canard. Puisque vous n'avez pas de pull-over, je vous prêterai le mien. De plus, dès qu'on dépasse l'entrée, il fait noir comme dans un four. J'ai sur moi une petite torche qui ne me quitte presque jamais. Je vous la prêterai également. »

Catherine esquissa un sourire :« J'ai l'impression que vous voulez me faire peur! »Elle trouvait le jeu passionnant. « II se croit le plus fort et

s'imagine m'attirer dans un piège! » se disait-elle...« Je n'ai pas le moins du monde l'intention de vous faire

peur», répondit Bruno.Et Patrice, en tirant sur sa cigarette :« Une fille de votre trempe, Catherine, doit avoir bien

rarement peur !

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— Cela m'arrive, répondit Catherine en prenant un air candide. Mais, chez moi, la curiosité est quelquefois plus forte que tout. Ainsi, cette grotte...

— Vous avez grande envie de la voir, n'est-ce pas? dit Bruno.

— Bien sûr. Toutefois...— Alors, n'hésitez plus. Nous pouvons, Patrice et moi, vous

conduire jusqu'au Hêtre Pourpre.— En ce qui me concerne, dit Patrice, je préfère

rester ici avec Nathalie.— Puisqu'il en est ainsi, dit Bruno, je vais conduire seul

Catherine au Hêtre Pourpre. Combien de temps, Catherine, désirez-vous rester dans la grotte?

— Je... je ne sais pas, balbutia-t-elle. Une demi-heure, peut-être?

— Eh bien, c'est entendu. Dans une heure, nous reviendrons vous chercher. Maintenant, venez. »

Bruno se leva. Catherine l'imita. Patrice les regarda s'éloigner, tandis que Nathalie continuait à pêcher sans se rendre compte de ce qui se passait.

En s'appuyant sur sa canne, Bruno commença à suivre de biais la pente de l'Arbeste jusqu'à l'endroit où elle rejoignait l'un des flancs du Garaout.

Catherine marchait derrière lui, riant sous cape, assez heureuse au fond d'elle-même du bon tour qu'elle s'apprêtait à jouer au redoutable Dogue. Bientôt, en se retournant, elle aperçut à ses pieds le ruban brillant du torrent et, déjà rapetissées par la distance, les silhouettes de Patrice et de Nathalie.

Bruno s'arrêta pour souffler. Levant sa canne, il montra le Hêtre Pourpre, au sommet du Garaout, à huit cents mètres environ.

« Encore un effort », dit-il.

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Il se remit en marche. Il avait quitté l'Arbeste et cheminait au flanc du Garaout. En piétinant derrière lui, en sautant de pierre en pierre, Catherine regardait fixement le sommet de la montagne et

pensait avec émotion à ce petit Olivier qui l'attendait là-haut. « Pourvu qu'il se soit bien caché! se disait-elle. Pourvu que Bruno ne le voie pas! »

Mais, à mesure qu'elle se rapprochait du sommet, elle ne distinguait rien d'autre que le sol rocailleux, coupé ça et là de fougères desséchées et, dominant le tout, la masse frissonnante du grand arbre. Non, Olivier n'était pas dans les parages. Il se cachait, ainsi qu'il l'avait promis, dans la grotte elle-même.

Bruno s'arrêta, se retourna et regarda Catherine s'avancer vers lui. Elle s'arrêta elle aussi et murmura :

« Comme ce paysage est étrange! Où est la grotte? - D'ici, on ne la voit pas, répondit Bruno. Il vous suffira de prendre ce sentier qui passe devant le Hêtre Pourpre. »

Tout en parlant, il scrutait le visage de Catherine, il cherchait à y surprendre le reflet de ses sentiments. Avec quel plaisir, il lui aurait dit : « Puisque vous avez peur, n'insistez pas et allons rejoindre Patrice et Nathalie... » Mais Catherine se contentait de garder le maintien modeste, sans forfanterie, qu'elle avait observé jusque-là.

Bruno portait un pull-over d'été, assez léger. Il l'enleva et le tendit à Catherine :

« Mettez cela. »Elle prit le pull-over en disant :« Non, je ne le mettrai pas, du moins pour l'instant. On verra

plus tard. »Elle se contenta de le jeter sur ses épaules et de nouer les

manches autour de son cou.« Et voilà ma lampe », dit encore Bruno en tirant de sa poche

une petite torche.Catherine prit la torche. Bruno jeta un coup d'œil à sa

montre:

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« Cinq heures. Dans une heure, nous reviendrons vous chercher. Si, à six heures, vous n'avez pas reparu, nous alerterons les villageois et nous organiserons une expédition de secours. »

Catherine se contraignit à rire :« C'est tout ce que vous avez de rassurant à me dire? -

Vraiment, vous avez besoin d'être rassurée? Vous qui êtes, paraît-il, généralement si brave! Un bon conseil : quand vous serez dans la grotte, si vous avez des ennuis, criez : « Kibiran! Kibiran! » On assure que c'est un mot assez magique, puissant pour vous tirer de n'importe quelle difficulté. »

Catherine fut sur le point de dire qu'elle connaissait la légende d'Ylaine. Mais c'aurait été mettre Olivier en cause, attirer sur lui l'attention de Bruno...

Elle fit quelques pas, se retourna et dit :« Merci, Bruno. A tout à l'heure! »Il répondit, narquois, en s'appuyant sur sa canne :« A tout à l'heure! »Sans hâte, et même en traînant un peu la jambe pour donner

l'impression qu'elle regrettait de s'être lancée dans cette aventure, Catherine s'engagea dans le sentier qui passait devant le Hêtre Pourpre et conduisait à la grotte.

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CHAPITRE VI

UNE RENCONTRE

LE SENTIER était à peine dessiné entre les pierres et les touffes de végétation calcinées par le soleil. Catherine gravissait une pente de plus en plus raide. Elle savait que Bruno la suivait du regard. Mais elle ne s'arrêta pas, ne jeta pas un coup d'œil en arrière. Elle ne voulait pas que Bruno s'aperçût qu'elle souriait et que son visage ne reflétait pas la moindre crainte. Tout à coup, elle fit halte. Elle se trouvait à dix pas de la grotte, à cinquante mètres à peine du sommet du Garaout.

Tapissée de végétaux, l'entrée de la grotte était large et assez basse. Catherine contemplait cette ouverture sombre et la jugeait peu engageante. Les mots prononcés par Bruno lui revinrent à

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l'esprit : « Des kilomètres de galeries, un lac, des chauves-souris...»

Qu'aurait-elle fait si elle n'avait pas su qu'Olivier l'attendait à l'intérieur? Peut-être aurait-elle rebroussé chemin, au risque d'être la risée de Bruno, de Marc, d'Alain et de Patrice. Il lui semblait même entendre déjà leurs rires, leurs moqueries.

« Au fond, se dit Catherine, sans Olivier j'aurais été comme Ylaine. Et le méchant Kibiran, ce sont les frères de Nathalie. Une sorte de monstre à quatre têtes! »

Elle s'avança jusqu'à l'entrée de la grotte et appela sans élever la voix :

« Olivier! Olivier! »« II a dû se cacher à l'intérieur. Il va apparaître... » se disait-

elle.Catherine appela encore :« Olivier! »Elle ajouta :« Tu n'as rien à craindre. Bruno est loin. Il est sans doute

parti. »Comme elle n'obtenait toujours pas de réponse, Cathy se

décida à franchir le seuil de la grotte en demandant :« Olivier, où es-tu? Inutile de te cacher plus longtemps ! »Elle fit quelques pas en avant, étonnée par ce silence qui se

prolongeait et saisie par le froid qui régnait dans la grotte. Pourquoi Olivier ne répondait-il pas? Voulait-il lui jouer un tour? Non, cela était impossible, surtout dans une semblable circonstance.

Catherine resta immobile, en proie à un pressentiment. Olivier n'était pas dans la grotte! Avait-elle donc été le jouet d'une illusion lorsqu'elle l'avait vu agitant son mouchoir près du Hêtre Pourpre?

Elle n'avait pas été le jouet d'une illusion. Mais ce qu'elle ignorait, c'est qu'un événement s'était produit qui modifiait la situation : à l'instant où il agitait son mouchoir, Olivier avait senti

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soudain une main s'abattre sur son épaule, tandis qu'une voix irritée lui demandait :

« Eh bien, Olivier, que fais-tu ici? Tu t'es échappé de la

maison, n'est-ce pas, alors que tu étais puni jusqu'à demain! J'attends que tu me donnes une explication. »

Olivier s'était retourné et avait reconnu son père. M. Vercourt, revenant de chez les parents de Benoît et de Thierry, avait pris un raccourci pour rejoindre près du torrent, comme il l'avait promis, Patrice, Bruno, Catherine et Nathalie.

Ne voulant pas mettre Catherine en cause, Olivier s'était contenté de bredouiller quelques excuses, de vagues explications. Alors, M. Vercourt avait décidé :

« Puisqu'il en est ainsi, puisque tu as commis une désobéissance grave, je te ramène à la maison, et je te surveillerai moi-même jusqu'à ce soir! »

II avait pris le petit garçon par le bras et l'avait entraîné vers la villa Meyranale.

Ainsi, Catherine était seule dans la grotte! Il ne pouvait être question pour elle de battre en retraite. « Il s'est passé quelque chose, se répétait-elle. Ce qui est sûr, c'est qu'Olivier n'est pas ici. Il ne me reste plus qu'à faire contre mauvaise fortune bon cœur...»

Et puis, ne s'était-elle pas promis depuis longtemps de connaître cette fameuse grotte, sinon de l'explorer? D'autre part, elle savait bien que, même si elle l'avait voulu, elle n'aurait pu résister à sa curiosité.

Elle continua de progresser et pressa sur le bouton de la torche électrique qu'elle tenait à la main. Elle se trouvait dans un spacieux couloir voûté, aux parois suintantes. Mais des difficultés ne tardèrent pas à surgir. Des trous sombres, peut-être des couloirs latéraux, apparaissaient à droite et à gauche. Fallait-il emprunter l'un de ces couloirs ou continuer tout droit?

Craignant de se perdre, Catherine jugea plus raisonnable de ne pas s'écarter du couloir central. Cependant ce couloir décrivait des méandres. Si bien que, au bout de quelques minutes, quand

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elle se retourna, elle ne vit même plus la tache claire formée par l'entrée de la grotte.

Elle avait l'impression de s'enfoncer dans les entrailles de la terre. Heureusement, elle avait la torche électrique prêtée par Bruno! On pouvait, en imprimant au boîtier un demi-tour à droite ou à gauche, obtenir un grand cercle qui s'étalait sur les obstacles les plus proches, ou bien un mince faisceau qui perçait les ténèbres et allait se poser, semblable à un papillon lumineux, sur les parois éloignées.

Ce fut ce papillon lumineux qui révéla tout à coup à Catherine, dans une sorte de chambre latérale, d'étranges silhouettes. S'agissait-il de sculptures... ou de fantômes? Catherine s'arrêta en frissonnant. Puis, de biais, avec un froncement de sourcils, elle s'approcha...

Alors, elle faillit éclater de rire. Ces silhouettes bizarres, ces fantômes, n'étaient autres que des stalactites et des stalagmites, les unes tombant de la voûte, les autres jaillissant du sol. Certaines étaient droites comme des colonnes aux lignes très pures. Quelques-unes, contournées, sculptées, fouillées, faisaient songer à des plantes exubérantes. Et, plus on avançait dans la chambre latérale, plus cette forêt pétrifiée était dense, plus étaient nombreuses ces mystérieuses concrétions qui semblaient s'animer dans le faisceau lumineux de la torche.

Catherine ne pouvait s'empêcher d'admirer ce tableau si nouveau pour elle, dans le profond silence de la caverne. Aussi, soudain, sursauta-t-elle en entendant un bruit lointain, un bruit qui, multiplié par l'écho, se répétait à intervalles réguliers :

« Pan! Pan! Pan! »Elle tendit l'oreille. Il lui semblait que c'était le cœur de la

grotte qui battait, au même rythme que son propre cœur. Puis les coups cessèrent. Un silence plus profond encore qu'auparavant les remplaça, un silence prodigieux, glacé, immense.

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Quand les coups reprirent, après une ou deux minutes, Catherine se rendit compté qu'ils étaient plus nets, plus proches.

Elle frissonna de nouveau.

« Les pas de Kibiran! » pensa-t-elle avec l'impression de s'être elle-même jetée dans un piège.

Tout de suite, se ressaisissant, elle murmura :« Je suis stupide! C'est cette ridicule légende. Elle me fait

perdre la tête. Il y a peut-être un vertige des profondeurs, comparable à celui de l'altitude. Je demanderai à Bruno. Il aura ainsi une bonne occasion de se moquer de moi! »

Elle réfléchit :« Allons, Catherine, l'aventure a assez duré. Sortons d'ici. »Elle s'était imaginée qu'elle retrouverait sans peine son

chemin, et se mit donc en marche vers ce qu'elle croyait être la sortie de la chambre latérale. Mais elle dut bientôt se rendre à l'évidence : la sortie avait disparu, comme si une main invisible l'avait obstruée.

En admirant stalactites et stalagmites, en allant de l'une à l'autre, Catherine s'était éloignée, enfoncée petit à petit, dans cette chambre, dans cette salle plutôt, aux proportions considérables. Maintenant, elle ne parvenait plus à saisir les différences de détails entre ces concrétions qui lui avaient paru d'abord si diverses.

Il semblait à Cathy que cette stalagmite, là-bas, en forme de gigantesque plante, se trouvait à sa gauche lorsqu'elle était entrée dans la salle.

« Je vais la contourner, se dit-elle. La sortie doit être derrière... »

Mais, derrière la plante géante, il y en avait une autre, puis une autre encore... et qui paraissaient toutes semblables !

Catherine allait d'une concrétion à la suivante, la scrutait à l'aide de sa torche. Peine perdue! Stalactites et stalagmites s'alignaient à l'infini et formaient un mur apparemment infranchissable.

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Dans sa hâte de se tirer de ce guêpier, Catherine ne regardait même plus sur quoi elle marchait. A plusieurs reprises, elle trébucha sur le sol inégal, perdit l'équilibre et tomba,

les genoux et les mains dans la terre molle.Elle se redressait, essayait de dissiper son inquiétude, de

reprendre son sang-froid.« A quoi bon m'affoler? se disait-elle. Si je fais lentement le

tour de la salle, toujours dans le même sens, je finirai bien par trouver la sortie. »

Mais cela non plus n'était pas facile. Il était presque impossible de s'approcher des parois déchiquetées et l'on risquait de culbuter dans des crevasses. Catherine commença pourtant à mettre son projet à exécution. De la main droite, elle palpait la paroi, de la gauche elle l'éclairait de son mieux.

Enfin, elle parvint devant un trou noir, qui faisait penser à l'amorce d'un couloir. Elle hésita. Non, elle n'était pas entrée dans la salle par ce trou percé presque au ras du sol et qui, si elle l'empruntait, allait l'obliger à se mettre à quatre pattes. Or, elle était entrée sans même courber la tête.

Cathy reprit donc sa marche en avant, sa marche hésitante, tâtonnante. Graduellement, le désespoir s'emparait de son être. Était-elle enfermée à jamais dans cette obscurité? Elle regretta de ne pas s'être glissée dans le trou noir devant lequel elle s'était arrêtée quelques minutes auparavant. Ce trou était peut-être un couloir, une galerie qui l'aurait conduite au couloir central, puis à l'air libre et à la grande lumière du soleil...

Alors qu'elle s'apprêtait à revenir sur ses pas, un bruit nouveau la cloua sur place. Ce n'était pas le « Pan! Pan! Pan! » de tout à l'heure. C'était un grondement qui s'élevait des entrailles de la grotte, un roulement assourdi de pierres glissant les unes sur les autres en avalanche.

Brusquement, Catherine eut peur, vraiment peur, pour la première fois. Jusqu'ici, elle n'avait pu s'empêcher de croire à sa bonne étoile.

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« La grotte va s'écrouler! » murmura-t-elle avec terreur.

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Stalactites et stalagmites s'alignaient à l'infini.

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Elle s'imaginait déjà écrasée sous des milliers de tonnes de rochers et de terre.

Quand le grondement cessa, elle mit plusieurs secondes à s'en apercevoir. Elle se sentit soulagée, presque rassurée. Allons, tout n'était pas perdu ! Si elle luttait, si elle ne perdait pas courage...

Cathy en était là de ses réflexions et s'apprêtait à repartir en avant, quand elle s'immobilisa de nouveau. Un troisième bruit s'élevait, faible encore, mais régulier. Un pas! Puis, tout à coup, un point lumineux se posa sur une stalagmite, disparut, se posa sur une autre. C'était sûr : il y avait quelqu'un dans la salle!

La première pensée de Catherine fut : « C'est Bruno! »N'était-il pas le dernier être humain qu'elle avait rencontré? «

II m'a suivie jusqu'ici, se disait-elle. Il a voulu me protéger. Il est moins méchant qu'il ne cherche à le paraître... »

Le cœur battant, elle cria :« Bruno! Bruno! Je suis ici! »On répondit :« Qui est là? »Ce n'était pas la voix de Bruno. C'était une voix féminine,

jeune et gaie.Ne comprenant plus rien à ce qui se produisait, Catherine se

raccrocha à un espoir enfantin.« C'est Ylaine! » pensa-t-elle.Sans se rendre compte, elle avait parlé tout haut.« Bien sûr, je suis Ylaine! » répliqua la voix avec un éclat de

rire plein de fraîcheur.Cette fois, Catherine vit, se faufilant vers elle entre les

stalactites, une silhouette mince, vêtue d'une combinaison de mécanicien et surmontée d'un visage souriant encadré de courtes boucles brunes.

Marinette Dumoncel! Oui, c'était elle. Mais... mais que faisait-elle à cet endroit?

Catherine demeurait muette d'étonnement.« C'était donc vous? dit Marinette. Je ne

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m'étais pas trompée. J'avais bien entendu quelque chose. Sans doute F avez-vous remarqué : les bruits, dans cette grotte, se répercutent à l'infini et prennent une ampleur extraordinaire.

— Oui... oui, j'ai remarqué, balbutia Catherine.— C'est Bruno, n'est-ce pas, qui vous a joué ce tour? Je

m'en doutais. Tout à l'heure, pendant le déjeuner chez les Vercourt, j'ai cru comprendre qu'on tramait quelque chose contre vous!

— En réalité... », commença Catherine.Elle se mordit la lèvre. Même devant Marinette, elle ne se

sentait pas le droit de mettre Olivier en cause.« Mais vous, demanda-t-elle, comment se fait-il que vous

soyez dans la grotte? Je croyais que vous aviez regagné votre hôtel avec M. Dumoncel et que vous deviez recevoir cet après-midi des amis.

- Il y a eu un nouveau changement dans notre programme, répondit Marinette plus souriante que jamais. Quand nous sommes arrivés à l'hôtel, nous avons appris que nos amis avaient téléphoné, annonçant qu'ils retardaient leur venue de quelques jours. Alors, que faire? Allions-nous rester à l'hôtel? Si vous vous en souvenez, Alain et Marc étaient avec nous. Ils nous avaient reconduits en voiture. D'un commun accord, nous avons décidé de finir la journée dans la grotte. Voilà pourquoi je suis ici, devant vous... en tenue de travail! »

Elle ajouta :« Voulez-vous visiter la grotte?— Je commence à la connaître, répondit Catherine.— Vous n'avez encore rien vu! Mais, si vous avez

peur...— Oh! j'ai peur depuis que... depuis que j'ai franchi le seuil

de la grotte, avoua Catherine. Cependant, maintenant que vous êtes avec moi, il me semble...

— De toute façon, il est trop tard pour reculer, décida Marinette.

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— Pourquoi?— Parce que les frères de Nathalie se moqueraient de

vous.— Si vous voulez parler de Bruno, il est à l'extérieur, j'en

suis certaine. Quant à Patrice, il est resté près du torrent avec Nathalie. A moins que la grotte n'ait une deuxième entrée.

- Malheureusement, elle n'en a qu'une... C'est d'Alain et de Marc que je vous parle. Ils sont ici, avec mon père. Ils savent que je suis venue à la rencontre d'une personne dont nous entendions le pas. Si je reviens seule près d'eux, ils me demanderont de qui il s'agissait. Vous ne voulez tout de même pas me contraindre à leur faire un mensonge?

- Bien sûr que non! protesta Catherine. Je vous accompagne.

- Alors, venez », dit Marinette.Elle fit demi-tour et entraîna Catherine jusqu'à l'extrémité de

la salle aux stalactites.« Baissez la tête », dit-elle.Catherine s'engagea derrière elle dans un couloir qui

débouchait sur une deuxième salle. Elle compta une cinquantaine de pas et demanda :

« Allons-nous encore loin?— Non, répondit Marinette. Surtout, restez courbée. Dans

cette salle, il y a de nombreuses chauves-souris accrochées au plafond. Cependant, elles sont inoffensives. Le danger se situe un peu plus loin.

— Quel danger?— Eh bien, il faut d'abord franchir une étroiture.— Une étroiture?- C'est ainsi qu'on appelle les passages

particulièrement étroits. Vous êtes mince. Vous franchirez aisément celui-ci. C'est après l'étroiture qu'il y a un danger, un trou. Vous allez voir. Venez. »

Marinette prit Catherine par la main et la guida dans un second couloir, une sorte de crevasse effectivement

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si étroite qu'on ne pouvait la franchir que de biais. Après l'étroiture, Catherine s'immobilisa. Au-dessous d'elle, à une distance qui lui parut considérable, il lui sembla apercevoir une lueur vacillante.

« Attention! lui dit Marinette. Regardez, mais n'approchez pas. L'étroiture débouche presque sur le vide! »

Catherine promenait en tous sens le faisceau lumineux de sa torche. Néanmoins, le trou qui s'ouvrait à ses pieds était si large, si profond qu'elle ne réussissait pas à en éclairer les parois. Au fond, à la faveur de la lueur qu'elle avait aperçue et qui était produite par une lampe acétylène, on distinguait un sol inégal et les amorces de plusieurs galeries. Des bruits montaient. Coups de pioche? Pierres qui roulaient? Chute d'eau?

En tout cas, ce spectacle, baigné d'ombres, évoquait l'atmosphère fantastique de ces contes où des nains fouillent les entrailles de la terre pour leur arracher des diamants.

Marinette s'était penchée au-dessus du gouffre.« Papa! Marc! Alain! » appela-t-elle.Les coups de pioche cessèrent.« Qu'y a-t-il? demanda une voix que Catherine reconnut pour

être celle de M. Dumoncel.— Je suis avec Catherine, répondit Marinette.- Est-ce qu'elle descend? » demanda une autre voix. Cette

fois, c'était Marc qui parlait. « Descendre? répéta Catherine en s'adressant à Marinette. Par quel moyen?

— Par cette échelle », dit Marinette.Avec sa lampe, elle éclaira une légère échelle de corde qui

pendait le long de la paroi du gouffre.Catherine avait l'impression d'être arrivée au bout de son

courage.« Jamais je n'oserai! » ne put-elle s'empêcher de s'exclamer.Alain et Marc saluèrent d'un éclat de rire cette exclamation. M. Dumoncel, lui, se montra plus compréhensif.

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« Vous avez raison de ne pas vouloir descendre, dit-il à Catherine. A quoi bon? D'ailleurs, moi, je remonte. Il y a assez longtemps que je suis dans ce trou... où l'on ne trouve jamais rien!»

Catherine sentit sa curiosité se réveiller :« Vous cherchez donc quelque chose? »Personne ne parut avoir entendu sa question.« Vous allez voir papa remonter, lui dit Marinette. C'est

assez impressionnant. »Catherine se pencha à son tour sur le trou. Elle aperçut le

point brillant d'une lampe électrique qu'elle n'avait pas remarqué jusque-là. Ce point lumineux semblait ramper le long de la paroi et grossissait de seconde en seconde.

« Ça ne doit pas être facile de remonter, remarqua Catherine.— Aussi difficile que de descendre! répondit

Marinette. Quelquefois l'échelle se balance, s'écarte de la paroi. Quelquefois, elle s'y colle. On ne peut plus la saisir.

— Dans ce cas, que fait-on?— La seule solution est, au départ, de croiser les

avant-bras derrière l'échelle.— Et vous, vous arrive-t-il de descendre?— Presque tous les jours, et souvent, plusieurs fois dans

la journée.— N'est-ce pas fatigant?— Bien sûr. Mais c'est amusant! »Une fois encore, une question, inspirée par la curiosité, jaillit

des lèvres de Catherine :« Vraiment, c'est pour vous amuser que vous faites cela?— Pas exactement », répliqua Marinette. Aussitôt, elle

ajouta :« Regardez. Papa vient d'atteindre la première plateforme. »

Il y avait trois étages, représentant au total dix-neuf mètres d'escalade.

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« Je regrette, dit M. Dumoncel en continuant son ascension, qu'on n'ait pas encore installé de projecteur. Catherine ne doit pas voir grand-chose.

— Cela vaut peut-être mieux, répondit Catherine. De cette façon, j'échappe au vertige. »

M. Dumoncel apparut enfin au sommet de l'échelle. Il portait un casque et, à ce casque, était fixée une lampe qui brillait comme l'œil unique d'un cyclope.

« Est-ce que Catherine descend? cria Alain.— Non, ce sera pour une autre fois, répondit Marinette,— Alors, je remonte. Tu viens, Marc?— Comme tu es pressé! répondit Marc. Il n'est pas

encore sept heures. »M. Dumoncel dit en enlevant son casque et en épongeant la

sueur qui baignait son front :« Celui-là, il est presque comme Bruno. Il n'y a jamais

moyen de l'arracher à ses fouilles! »Des fouilles! C'était là un mot que Catherine n'oublierait

plus. Pourtant, cette fois, elle se garda de broncher. De nouveau, derrière M. Dumoncel et Marinette, elle franchit l'étroiture.

Quand elle se retrouva avec eux dans la salle aux chauves-souris, à bonne distance des deux garçons qui n'en avaient pas encore fini de gravir l'échelle, elle se hasarda tout de même à demander :

« Est-ce en descendant dans ce puits que Bruno s'est blessé?

— Pas du tout, dit M. Dumoncel. C'est en creusant une galerie. Il y a eu un éboulement. Il a eu de la chance de ne pas être écrasé. »

Catherine ne poussa pas plus loin ses investigations. Mais elle réfléchissait. Pourquoi, au péril de .sa vie, creuser une galerie au fond de cet abîme? Pour essayer de trouver... du pétrole..., de l'uranium..., une source..., des pierres précieuses? Pour essayer d'augmenter les revenus

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de tante Hélène, puisque le Garaout tout entier lui appartenait?

Et Catherine se demandait si elle obtiendrait jamais des réponses précises à toutes ces questions irritantes?

Elle commençait à respirer avec difficulté.« Si nous sortions d'ici? » suggéra-t-elle d'une voix

oppressée.M. Dumoncel avait remis son casque.« Vous n'aimez donc pas les grottes? fit-il. Elles sont

pourtant quelquefois passionnantes et toujours pleines d'enseignements. Tenez, ceci par exemple. »

II avait posé son index sur la muraille.« Dans le calcaire, expliqua-t-il, il y avait une parcelle de fer

naturel. L'eau coulant de la voûte a attaqué, rongé, dissous le fer. Les sels ferreux ont dessiné cette trace rouge qui a la forme d'un cercle parfait. Vous voyez? »

Catherine voyait en effet dans la muraille un vague cercle rouge. Mais elle était déçue. Sur le moment, elle

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avait pensé que M. Dumoncel allait lui montrer peut-être une fresque préhistorique.

« Et... c'est tout? » demanda-t-elle.Marinette sourit.« Vous ne serez jamais minéralogiste, Catherine! dit-elle.— Et la source pétrifiée, l'a-t-elle vue? demanda M.

Dumoncel.— Non. Mais, tu sais, papa, il vaut mieux pour aujourd'hui

la laisser tranquille. »Après la salle aux chauves-souris, Catherine, toujours sur

les pas de Marinette et de M. Dumoncel, traversa de nouveau la salle aux stalagmites et aux stalactites, franchit le passage conduisant au couloir principal — ce passage qu'elle avait elle-même recherché en vain — et aperçut enfin, à bonne distance encore, la lumière du jour encadrée dans l'entrée de la grotte.

Cependant, Marinette et son père obliquaient vers la gauche, au lieu de se diriger vers l'entrée.

« Où allez-vous donc? demanda Catherine, étonnée.— Il faut d'abord que nous rangions notre matériel. » A

son arrivée, Catherine n'avait pas remarqué, dans la paroi du couloir, une excavation assez profonde. Là, s'entassaient des pioches, des pelles, des échelles, des casques.

Rapidement, Marinette et son père quittèrent les combinaisons boueuses dont ils étaient vêtus et changèrent de chaussures.

Catherine exprima bruyamment sa satisfaction Lorsqu’elle se retrouva à l'extérieur :

« Ouf! »Elle regarda le soleil comme si elle le voyait pour la

première fois, et respira à pleins poumons l'air tiède et léger. Tandis qu'elle se débarrassait, avec un plaisir visible, du pull-over de Bruno dont les manches étaient nouées autour de son cou, M. Dumoncel lui dit en hochant la tête :

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« Décidément, vous ressemblez à Nathalie. Vous n'aimez pas les grottes.

— J'aimerais bien celle-ci, s'il n'y faisait pas si noir, répondit Catherine.

- Il en est toujours ainsi tant que l'électricité n'est pas installée.

— Et puis, elle est si vaste! reprit Catherine.— Pourtant, vous n'avez presque rien vu! Pour parler en

connaissance de cause, il faut descendre au fond du puits. Là, vous pouvez admirer la rivière souterraine, le lac, la cascade et les stalactites du Gouffre aux Fées, bien plus étranges que celles du rez-de-chaussée, si j'ose ainsi m'exprimer.

— Le Gouffre aux Fées? répéta Catherine. Quel joli nom!

— Et une belle chose! Je vous y conduirai un de ces jours. Vous verrez. »

Catherine n'aurait pas osé contredire cet homme qui parlait d'une grotte aussi sinistre qu'un tombeau avec le même enthousiasme que s'il s'était agi d'un palais somptueux. Quant à elle, elle préférait les rivières qui coulent au grand jour et les fées lorsqu'elles sont trop délicates pour supporter le voisinage des chauves-souris...

L'arrivée de Marc interrompit la conversation.« Vous commencez à être découragé, n'est-ce pas? dit-il à

M. Dumoncel.— Je le suis un peu, je l'avoue, répondit le

professeur. Mais il ne faut pas oublier que les vacances sont loin d'être terminées.

— Bien sûr. Cependant, nous aurions voulu - Bruno surtout! — arriver à un résultat avant la kermesse. Or, il ne nous reste plus que quelques jours. »

Catherine fut sur le point de poser une question. Cependant, une fois encore, elle se contint. A quel « résultat » Marc faisait-il allusion? « Si je veux le savoir, pensa-l-elle, il faudra que je l'apprenne moi-même, par mes

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propres moyens, puisqu'on semble bien résolu à me tenir en dehors de ce secret, puisqu'on n'en parle devant moi qu'à mots couverts... »

Elle regarda autour d'elle. Non, Bruno n'était pas dans les parages. Sans doute, depuis longtemps, avait-il rejoint Patrice et Nathalie au bord du torrent. Catherine en fut presque soulagée. « Il ne doit pas être sept heures, se dit-elle. Sinon, il serait déjà revenu à l'entrée de la grotte... »

« Avez-vous l'heure? demanda-t-elle à M. Dumoncel.— Sept heures moins dix, répondit-il après un coup d'œil à

sa montre.— Comment regagnons-nous la villa Meyranale !- En voiture, dit Marc. Nous avons laissé la 2 CV sur la

pente, comme à l'accoutumée, derrière le Hêtre Pourpre, à cinq ou six cents mètres d'ici. Nous déposerons M. Dumoncel et Marinette au village, puis nous filerons à la maison. »

Catherine se retourna. Elle vit Alain et Marinette qui étaient restés un peu en arrière et bavardaient avec abandon. « Amitié de vacances? se dernanda-t-elle. Non, ce n'est pas exactement cela. Ils semblent si bien faits l'un pour l'autre! »

Soudain, plus charitable que Bruno ne l'avait été avec elle, Cathy pensa : « II ne faut pas qu'il vienne à sept heures devant la grotte et qu'il attende pour rien! Et puis, il y a Patrice et Nathalie!»

« Peut-être ne le savez-vous pas, dit-elle à Marc et à M. Dumoncel. Bruno, Patrice et Nathalie sont au torrent de l’Arbeste. N'y aurait-il pas un moyen de les prévenir de notre présence ici et de notre départ? »

Marc parut réfléchir.« Le plus simple, dit-il, est que je les rejoigne. Je rentrerai à

pied avec eux. »Il fit un signe à Alain, serra les mains de M. Dumoncel et de

Marinette, et s'en fut vers l'Arbeste en sautant de rocher en rocher. Quelques minutes plus tard, Catherine et le professeur

s'installèrent sur la banquette arrière de la voiture. Alain s'assit au volant. Marinette prit place près de lui.

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Et la voiture démarra dans le sentier pierreux qui descendait vers le village.

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CHAPITRE VII

RÉVÉLATIONS

CATHERINE, OÙ ES-TU? »Solitaire, Catherine se promenait sous les châtaigniers dans

le jardin de la villa Meyranale. Déjà, la nuit envahissait les allées et les arbres. Le dîner?... Eh bien, il avait été différent de ce que Catherine imaginait en regagnant la villa dans la voiture conduite par Alain, après que celui-ci eut déposé Marinette et M. Dumoncel à l'hôtel Beausite.

Son séjour dans la grotte ayant laissé de nombreuses traces de boue sur ses vêtements, Catherine avait changé de robe. Après quoi, elle était descendue au rez-de-chaussée et avait aidé Mme Vercourt à préparer le repas, car Nathalie, revenant à pied avec Patrice et Bruno, n'était pas encore rentrée.

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M. Vercourt était dans sa chambre. Quant à Olivier... invisible. Mais, sans rien demander, Catherine n'avait pas tardé à apprendre pourquoi le petit garçon lui avait fait faux bond.

« Pensez, lui avait dit Mme Vercourt, qu'il s'est sauvé alors qu'il était puni! Son père l'a trouvé par hasard près du Hêtre Pourpre. Olivier a refusé de dire ce qu'il faisait à cet endroit. En tout cas, le voilà de nouveau puni. II restera à la maison un jour de plus. Et, cette fois, nous le surveillerons ! »

Catherine n'avait pu s'empêcher de rougir. « Tout cela est ma faute, songeait-elle. Je regrette qu'Olivier soit mêlé à cette aventure... »

Déjà, Mme Vercourt ajoutait :« Et vous, Catherine, qu'avez-vous fait cet après-midi?

Vous n'étiez donc pas au torrent de l'Arbeste avec Nathalie et les garçons?

— Mais si, madame, bredouilla Catherine. C'est-à-dire... »Elle avait été sauvée par l'irruption de Nathalie qui

brandissait deux truites d'une livre au moins chacune.« J'en ai péché une, dit-elle triomphante. C'est Patrice qui a

péché l'autre. »Dès cet instant, il n'avait plus été question de ce que

Catherine avait fait au cours de l'après-midi. Et, à la grande stupeur de l'intéressée, il n'en avait pas été question non plus au cours du dîner. Dans cette famille où les enfants étaient nombreux, il était rare — Catherine en avait maintes fois fait la remarque — qu'une conversation fût suivie. On abordait un sujet, on le lâchait sans l'épuiser, on sautait à un autre que l'on abandonnait avec la même désinvolture.

Le repas terminé, les convives s'étaient séparés. Catherine avait estimé qu'il était un peu tôt pour monter dans sa chambre.

Voilà pourquoi elle se promenait sous les châtaigniers du jardin, alors que la nuit était déjà presque venue.

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Elle s'étonnait que les frères de Nathalie eussent gardé le silence sur ce qui s'était passé au cours de l'après-midi. Mais ce n'était pas là ce qui la tourmentait le plus. Elle avait envie, plus que jamais, de connaître l'objet des travaux entrepris dans la grotte par les jeunes gens et M. Dumoncel. Après avoir passé en revue tous les acteurs de cette affaire, elle en arrivait à la conclusion qu'une seule personne, Marinette Dumoncel, accepterait peut-être de satisfaire sa curiosité. « Ce ne sera sans doute pas facile, surtout si elle a promis elle aussi le secret, se disait-elle. Mais je pourrais lui donner ma parole. Elle est si sympathique, si gentille!»

A ce moment, elle entendit Nathalie l'appeler :« Catherine, où es-tu?— Ici, sous les châtaigniers. Qu'y a-t-il?— Viens, on a besoin de toi. »Nathalie accourut. Dans la pénombre, ses yeux brillaient,

un large sourire détendait son visage. Elle saisit Catherine par la main :

« Mes frères te réclament! »Catherine eut un mouvement de recul :« Tes frères?— Oui. Bruno, Marc, Alain et Patrice. Ils sont réunis dans

la chambre de Bruno. Ils t'attendent. »Catherine avait l'impression que ses genoux se dérobaient

sous le poids de son corps : « Que me veulent-ils?— Je ne sais pas. Ils bavardent depuis le dîner. Je serais

si heureuse si tu t'entendais bien avec eux! »Méfiante, inquiète, Catherine gravit l'escalier sur les pas de

Nathalie. Puis elle entra dans la chambre de Bruno.D'un coup d'œil, elle vit qu'en effet ses quatre adversaires

étaient réunis. Bruno était à demi allongé sur son lit. Alain était assis sur le coin d'une table, près de la fenêtre. Patrice et Marc étaient accoudés à la cheminée, aussi immobiles que les pierres,

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galets, morceaux de minerais posés un peu partout sur les meubles et attestant la passion de Bruno pour la minéralogie.

« Et moi, est-ce que je peux entrer aussi? demanda timidement Nathalie.

— Bien sûr, fit Patrice. Asseyez-vous toutes les deux. » En silence, Catherine attira une chaise.

Bruno toussota. Les mâchoires serrées, le menton en avant, il regardait Catherine. Après quoi, de sa voix la plus bourrue, il commença :

« D'abord, Catherine, nous vous devons des excuses. A votre arrivée, nous pensions que vous étiez une cruche, comme toutes les amies de Nathalie. Nous nous sommes trompés. »

Catherine n'était pas insensible aux compliments. Elle se sentit rougir. Mais Bruno, avec un sourire méprisant, poursuivit :

« Vous n'êtes pas une cruche. Vous êtes pire que cela ! »Cette fois, Catherine eut l'impression que le sang se retirait

de son visage. Elle se dressa d'un bond :« Vous n'avez pas honte de vous mettre à quatre pour

m'annoncer que je suis une cruche? Si j'étais à votre place... »Patrice l'interrompit :« Allons, Catherine, vous savez bien que Bruno est taquin.

Il n'a pas dit que vous étiez une cruche. Il regrette, comme nous tous, que vous n'en soyez pas une. Si vous aviez été une cruche, vous vous seriez tenue à votre place...

— Qu'ai-je donc fait de si grave? s'écria Catherine. Que me reprochez-vous? »

Alain articula, railleur : « Ce n'est pas une fille. C'est une furie! » Catherine se laissa retomber sur sa chaise. Elle se jura d'être calme, même si on continuait à la blesser dans son amour-propre. « Après tout, se disait-elle, ils sont furieux. C'est assez compréhensible. Cet après-midi, ils

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avaient comploté de me jouer un mauvais tour. Je ne m'en suis pas trop mal tirée. Bruno va me le faire payer cher ! »

« Eh bien, je vous écoute, reprit-elle. Je me défendrai après... si cela en vaut la peine. »

Bruno continua avec son plus mauvais sourire :« Ainsi que je vous le disais il y a un instant, vous n'êtes pas

une cruche. Mais vous êtes curieuse comme une pie, futée comme une guenon et collante comme un boisseau de puces! »

Fidèle à la ligne de conduite qu'elle s'était imposée, Catherine ne broncha pas. Ce fut Nathalie qui se dressa :

« Bruno, je te prie de te taire! »Elle se tourna vers Patrice :« Est-ce vraiment pour lui tenir un tel langage que vous

l'avez fait venir?— C'était une épreuve destinée à juger de ses réactions »,

expliqua Patrice toujours accoudé à la cheminée.Il regarda Catherine :« Je prends le relais de Bruno. Voulez-vous m'écouter? »Catherine fit de la tête un « oui » indifférent.« Depuis votre arrivée à la villa, poursuivit Patrice, nous

nous demandions si vous étiez digne de partager notre secret. »Catherine eut du mal à dominer sa surprise et sa profonde

satisfaction. Elle avait l'impression de toucher au but. Mais après combien de détours! Et, pour finir, cette ridicule épreuve... Comme ces garçons pouvaient être sots!

Elle se contenta de lever les yeux et demanda avec la même indifférence :

« Vous avez donc un secret?— A vrai dire, ce n'en est pas un, répondit Patrice. Ou

plutôt, ce n'en est un que pour ceux qui sont incapables de le garder et de nous aider. Après en avoir longuement délibéré, nous avons jugé préférable de vous mettre au courant, bref, de satisfaire votre curiosité. Car, figurez-vous, nous ne sommes ni tout à fait stupides, ni tout à fait aveugles ! »

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Catherine se contenta de sourire et de murmurer un « merci » entre ses dents serrées.

« Nous ne voulions pas que Nathalie invite une amie cet été, reprit Patrice, parce que nous désirions pouvoir consacrer les vacances à travailler tranquillement dans la grotte avec l'aide du professeur Dumoncel et de Marinette. Car, cette grotte, nous cherchons un moyen de l'exploiter. Ce n'est pas une plaisanterie, ni un amusement. »

Catherine se garda bien de faire le moindre commentaire. Elle écoutait Patrice avec une attention qu'elle ne dissimulait même plus.

« En réalité, expliqua Patrice, c'est la seconde entrée de la grotte que nous cherchons.

— Je suis certain qu'elle existe! gronda Bruno.- Moi, fit Alain, j'en doute de plus en plus.- Moi, dit Marc en prenant la parole pour la première fois,

j'estime que nous n'avons pas lieu de nous décourager. C'est aussi l'avis de M. Dumoncel et de Marinette. »

Catherine intervint presque malgré elle : « Mais, cette deuxième entrée, je ne vois vraiment pas à quoi elle pourrait vous servir!

— Là, ma fille, tu te trompes! s'exclama Patrice. Et tu nous déçois grandement!

— Tu tutoies Catherine maintenant? demanda Nathalie.

— Pourquoi pas? Elle est devenue notre alliée. » Patrice se tourna vers ses frères :

« Qu'est-ce que vous en pensez, vous autres?— Bien sûr, il faut la tutoyer, dit Bruno.— C'est normal! » dirent ensemble Alain et Marc.

Patrice s'adressa à Catherine :« Et toi, quel est ton avis?— Tutoyez-moi si ça vous arrange, répondit Catherine.

D'ailleurs, j'aime mieux cela. C'est plus simple. Il

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vous reste à m'expliquer à quoi cette seconde entrée servira.

— A permettre à des visiteurs d'aller... jusqu'où tu n'as pas osé aller, si je suis bien renseigné! C'est-à-dire jusqu'aux salles du fond, jusqu'à la cascade, jusqu'au Gouffre aux Fées!

- Et après? insista Catherine.- Comment, tu ne comprends pas? Ces visiteurs, nous les

ferons payer, au moins deux francs par personne. Chaque année, cela fera une jolie somme! »

Marc intervint :« Nous avons déjà l'accord du préfet et du syndicat

d'initiative de Tarbes !— La municipalité d'Arcouze s'est engagée à tracer une

route jusqu'au Hêtre Pourpre et à faire un parking, précisa Alain.- Les grottes sont de plus en plus à la mode », dit Bruno en

descendant de son lit et en se dirigeant de son pas clopinant jusqu'à la fenêtre.

Il se retourna brusquement et ajouta en regardant Catherine dans les yeux :

« Nous engagerons un guide qui récitera sa petite leçon et qui, à la sortie — c'est là le plus important — dira aux visiteurs : « N'oubliez pas, mesdames et mes-« sieurs, que votre générosité contribue à sauver des « petits paralysés. Ces enfants sont soignés dans un établissement créé par une femme admirable, Mme Dautril. « On ne visite pas cet établissement. Mais vous pouvez « en apercevoir les bâtiments au pied du Garaout. »

Cette fois, Catherine avait la sensation que le voile, largement déchiré, démasquait une lumière aveuglante. A l'idée que les efforts des frères de Nathalie tendaient à secourir tante Hélène et ses protégés, elle demeura quelques instants le cœur étreint, la gorge serrée. Quelle entreprise exaltante! Et le projet n'était pas une chimère. C'était une chose sérieuse...

Cependant, cependant...

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« Ce serait magnifique, dit-elle, à la condition que la seconde entrée existe. »

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Elle s'aperçut que tous les regards étaient tournés vers elle. On attendait sa réponse.

« Ce serait magnifique, fit-elle, à la condition que la seconde entrée existe.

Justement! s'écria Bruno. Selon la légende, Ylaine, en sortant de la grotte, ne reconnaît plus les lieux. Cela tendrait à prouver que...

- Mais Catherine ne connaît peut-être pas la légende! dit Patrice.

- Si, je la connais. Olivier me l'a racontée. » Catherine était très déçue. Elle songeait : « Une légende!

Voilà sur quoi ils bâtissent tant d'espoirs. Pauvre tante Hélène! Si elle compte là-dessus, elle finira par mourir de faim avec ses petits infirmes ! »

Tout de même, elle demanda :« Vous la cherchez depuis combien de temps, cette seconde

entrée?- Depuis trois ans, dit Bruno.— Mais c'est seulement cette année, depuis l'arrivée de M.

Dumoncel, que nous avons commencé à l'explorer méthodiquement, précisa Marc.

- Et le plus acharné d'entre nous, le plus travailleur, est au repos depuis plusieurs jours! » ajouta Alain en regardant Bruno.

Il conclut :« S'il n'y avait que moi, je laisserais tomber! »Catherine se rendait compte que tous ces garçons, même

Bruno, avaient beaucoup perdu de leur arrogance. « Est-ce parce que je n'ai pas assez montré l'enthousiasme que m'inspire leur projet? » se demanda-t-elle.

« Je ne vois pas pourquoi vous perdez si vite espoir, lança Cathy en se levant de sa chaise. Les vacances ne sont pas terminées !

- Exact, dit Marc. Mais nous espérions bien ne pas être obligés de passer le mois d'août de cette façon, dans le noir, à

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piocher, à ramper dans la terre boueuse, à déblayer des pierres et des blocs de rocher!

— Avec la conviction croissante que nous n'arriverons jamais à rien! » ajouta Alain, pessimiste.

Patrice intervint de nouveau :« Tu ne sais pas encore tout, Catherine. Notre grande idée, ce

n'était pas de trouver la seconde entrée avant la fin des vacances. C'était de la trouver avant le 15 août, c'est-à-dire pour la kermesse de tante Hélène. L'ouverture de la grotte aux visiteurs aurait eu lieu le jour même de la kermesse. Résultat : le succès, et un gain considérable pour tante Hélène. La grotte aurait été lancée! Mais il n'est plus question de cela. Il ne reste que trois... non quatre jours avant la kermesse.

— Votre idée était en effet merveilleuse, dit Catherine. Mais, au bout du compte, qu'attendez-vous de moi? Je n'ai pas de connaissances en géologie, ni en spéléologie... »

Tout en parlant, elle promenait son regard autour d'elle et comprit soudain pourquoi les quatre garçons l'avaient mise dans la confidence, après lui avoir témoigné jusque-là si peu de sympathie. Ils savaient qu'elle n'avait pas craint d'entrer seule dans la grotte. Un peu découragés, ils lui demandaient simplement de leur rendre l'espoir. Il y avait dans cette attitude quelque enfantillage. Cependant, les frères de Nathalie, malgré leurs tailles, leurs carrures, n'étaient-ils pas au bout du compte de grands enfants? Catherine aurait pu tirer un certain orgueil de cette découverte. Elle n'en fit rien.

« Je comprends que vous désiriez aider votre tante, dit-elle. Je l'aiderai moi aussi, à ma façon. Le jour de la kermesse, je serai, paraît-il, travestie en gitane et je dirai la bonne aventure.

— Cette kermesse, fit Bruno avec une moue, ne rapporte presque jamais rien!

— Je fais ce que je peux, dit Catherine. En tout cas, je ne me vois pas creusant le Garaout à coups de pioche...

- Le second passage existe! déclara Bruno têtu. Il ne s'agit que de le trouver! »

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Patrice, Marc et Alain restaient maintenant silencieux. Ceux-là étaient au bord du découragement. Mais Bruno! Comme il avait l'air énergique, avec ses mâchoires larges, ses yeux brillants, son front obstiné!

Catherine fut émue par tant de ténacité, par le spectacle de cet espoir que rien ne pouvait briser.

Elle s'approcha, prit la main de Bruno et dit, en se contraignant à le tutoyer :

« Tâche de te guérir aussi vite que possible. Dès que tu seras rétabli, je suis certaine que tu la trouveras, cette fameuse entrée ! »

Le visage de Bruno s'éclaira :« Merci, Catherine. »

** *

Une bonne partie de la nuit, Cathy songea dans son lit à cette bizarre réunion dans la chambre de Bruno. Ce qui était certain, c'est que les frères de Nathalie avaient besoin d'encouragements. Ils commençaient à croire leur entreprise vouée à l'échec. Ils s'accrochaient à la première planche de salut qui se trouvait à portée de leur main. « Car enfin, se disait Catherine, je ne suis rien pour eux, à peine une camarade, du moins jusqu'ici. Veulent-ils m'associer à leurs travaux, pour que je leur apporte une force neuve, intacte? » Elle se moqua d'elle-même. « Tout cela, songeait-elle tandis que ses paupières commençaient à s'abaisser, ce sont de grands mots! »

Néanmoins, avant de s'endormir, Cathy prit une décision.Le lendemain matin, elle s'éveilla aux premiers rayons du

jour. Elle fit sa toilette, s'habilla, griffonna deux ou trois lignes sur un morceau de papier qu'elle plaça bien en évidence sur son lit. Ce billet, à l'intention de Nathalie, était ainsi conçu :

« Ne dis pas que je suis sortie. J'espère être revenue vers dix heures. »

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Puis Catherine descendit l'escalier sur la pointe despieds, s'arrêta dans le hall. Tout le monde semblait dormir

encore. Après quoi, elle sortit de la villa, traversa le jardin, s'engagea sur la route et prit la direction du village. Vingt minutes après, elle franchissait le seuil de l'hôtel Beausite. « M. et Mlle Dumoncel ne sont pas encore descendus, lui dit-on. Faut-il les prévenir de votre arrivée?

- Inutile, répondit Catherine. Je vais les attendre.— Ils ne devraient pas tarder. Ils descendent régulièrement

chaque matin à sept heures et demie pour prendre leur petit déjeuner. »

En effet, à sept heures et demie exactement, M. Dumoncel et sa fille firent leur apparition au rez-de-chaussée de l'hôtel.

« Tiens, Catherine! s'exclama Marinette. Est-ce nous que vous venez voir?

- Oui, répondit Catherine. Je voudrais vous parler...- Quelque chose de grave?- Euh... non. Cependant... » M. Dumoncel intervint :« Venez avec nous dans la salle à manger. Nous serons plus

à l'aise pour bavarder. Et vous partagerez notre petit déjeuner. »Dès qu'elle eut pris place à table, Catherine commença :« Les garçons m'ont dit hier soir ce qu'ils cherchaient dans la

grotte...— Voilà plusieurs jours que je leur conseillais de le faire,

dit Marinette. Leur méfiance à votre égard m'a toujours paru stupide.

- Il y a une chose dont je me suis aperçue. Ils sont tous, sauf Bruno, au bord du découragement. Et il me semble que Bruno lui-même, malgré sa ténacité, pourrait bien finir par lâcher prise. Ce que je voudrais savoir...

Vous voudriez savoir si ce découragement est justifié? demanda M. Dmmoncel en reposant sa tasse de café.

— C'est cela.— Eh bien, il l'est et il ne l'est pas. A l'origine l'idée,

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due principalement à Bruno, est excellente et digne de tous éloges : procurer à Mme Dautril des ressources nouvelles, peut-être considérables. Une grotte est le résultat du travail des eaux. C'est l'eau qui a creusé les galeries supérieures et les salles que vous avez visitées hier. Puis elle a pratiqué ce puits énorme au fond duquel vous nous avez vus. A partir de ce puits, elle a encore creusé un vaste réseau souterrain. Bruno suppose que l'une des galeries débouche sur l'extérieur. Ce n'est pas impossible. Mais rien ne le prouve. Il y a des galeries obstruées. En ce moment, nous essayons de dégager l'une d'elles. C'est un travail pénible et dangereux. Nous sommes obligés de nous tenir couchés et nous n'évacuons les déblais que par petites quantités. De la sorte, nous ne progressons que très lentement. D'ailleurs, la galerie à laquelle nous nous sommes attaqués fait un angle et semble s'éloigner de la direction que nous pensions être celle de la sortie... »

Catherine écoutait avec la plus grande attention les explications de M. Dumoncel. Elle se représentait ce lent travail de taupes acharnées à creuser dans les ténèbres et elle admirait la patience et le courage des frères de Nathalie. En même temps, elle se rendait compte que leurs chances de réussir étaient minimes...

« N'y a-t-il pas un autre moyen? demanda-t-elle. Ne pourrait-on creuser carrément une galerie nouvelle? - Dans ce cas, il faudrait employer une main-d'œuvre considérable, répondit M. Dumoncel. Qui paierait?

— Et si l'on se contentait de l'entrée principale de la grotte?»Depuis un moment, Marinette, les coudes sur la table, était

silencieuse.« Les galeries et les salles supérieures n'attireraient pas les

visiteurs en assez grand nombre, dit-elle. Quant à faire descendre des hommes, des femmes et des enfants par l'échelle de corde... Souvenez-vous, Catherine, vous y avez vous-même renoncé!

— On pourrait peut-être placer une échelle plus solide, plus stable, suggéra Catherine. Et pourquoi ne taillerait-on pas dans le

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roc un escalier?— Il y a dix-neuf mètres de dénivellation! s'écria M.

Dumoncel. Cela représente la hauteur d'un immeuble de six étages! Et puis, Catherine, imaginez-vous des centaines de visiteurs descendant et gravissant un escalier taillé dans le roc, un escalier escarpé, dangereux? »

Catherine baissa quelques instants la tête. Puis, la relevant :« Il n'y a donc pas d'espoir?— Je n'ai rien dit de semblable! protesta M. Dumoncel.

Mais il s'agit d'une entreprise de longue haleine. Nous pouvons voir s'achever les vacances sans avoir obtenu le moindre résultat. Il se peut même que nous n'arrivions à rien avant deux, trois ans. Bien sûr, dans ce domaine, une surprise est toujours possible. Cependant... »

Dix minutes plus tard, Catherine reprit le chemin de la villa Meyranale. Quand elle s'était levée pour prendre congé, Marinette lui avait dit :

« Puisque vous vous intéressez à la grotte du Garaout, il faut que je vous montre quelque chose. »

Elle était allée chercher dans sa chambre un plan de la grotte qu'elle avait établi en collaboration avec Alain. On pouvait y voir nettement la dénivellation entre les deux étages. Catherine écouta les descriptions que lui faisait Marinette, et elle admira quelques belles photos prises par Marc : les chambres souterraines, la rivière, le lac, etc.

Maintenant, tandis qu'elle marchait sur la route conduisant à la villa de la famille Vercourt, elle se disait :

« Tout cela est magnifique. Mais, pour ce qui est de l'exploitation de la grotte, il n'y a rien à espérer, sauf peut-être dans un avenir lointain. D'ici là, tante Hélène aura été obligée de fermer les portes de son établissement et de disperser ses protégés... »

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« Et pourquoi ne taillerait-on pas dans le roc un escalier? »

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CHAPITRE VIII

BOHÉMIENNE ET HIBOU

LES JOURS suivants passèrent comme un rêve. Catherine se trouva prise dans un tourbillon. C'est que la préparation de la kermesse du Castel passionnait chaque année, avant le 15 août, non seulement les membres de la famille Vercourt, mais les habitants d'Arcouze et des localités voisines, sans oublier les véritables bénéficiaires de la fête : tante Hélène et surtout ses protégés.

Quelle fièvre à la villa Meyranale\ La grotte du Garaout avait-elle cessé d'être une obsession? Certains semblaient ne plus y songer. En tout cas, on ne pensait apparemment qu'à la kermesse.

Le petit Olivier, par exemple, mettait Catherine au courant de ses projets. Il l'avait choisie pour confidente.

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« Cathy, lui disait-il, que penserais-tu d'un mât de Cocagne?»

Catherine approuvait. Le lendemain, avec l'aide de Thierry et Benoît, ses inséparables, Olivier érigeait un mât de Cocagne dans le parc du Castel.

« Cathy, que penserais-tu d'un stand de tir? Nous avons trois carabines à flèches. On tirerait sur des boîtes de conserves, vides naturellement! »

Catherine approuvait encore. Et le stand, avec les boîtes de conserves et les carabines, surgissait à quelques mètres du mât de Cocagne.

Patrice et M. Vercourt distribuaient des prospectus, collaient des affiches, sollicitaient des concours. Mme Vercourt, en attendant de préparer des pyramides de gâteaux, parcourait le village, allait de villa en villa. Elle vendait des billets d'entrée et quémandait des objets de toutes sortes pour la loterie.

Marc aidait le charpentier à construire des stands et des balançoires. C'était Bruno qui avait été choisi pour s'occuper, le jour venu, de ces balançoires et faire payer les amateurs.

Mais Olivier semblait infatigable. Oh! il s'était aisément consolé de l'échec de sa fameuse fusée! Il revenait à la charge :

« Cathy, que penserais-tu d'un concours de remplissage de bouteilles qu'on installerait dans l'ancien abreuvoir du Castel? Et puis, dans le bassin, on pourrait faire aussi une pêche à la grenouille en celluloïd et, un peu plus loin, on dresserait une hutte de Peaux Rouges dont l'entrée coûterait un franc! »

Catherine approuvait, approuvait, approuvait!Nathalie avait été chargée de la vente des objets en vannerie

et des petites statuettes fabriqués par les pensionnaires du Castel.Alain, malgré sa réputation de poète et de rêveur, avait

accepté de tenir la comptabilité. Et, prenant sa tâche à cœur, il s'employait merveilleusement à vérifier et freiner

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les dépenses! Il s'occupait aussi de recruter dans le village des musiciens pour l'orchestre de la kermesse.

Tante Hélène avait l'œil à tout. Elle stimulait les bonnes volontés. Elle savait communiquer à chacun son entrain et sa confiance. Quant à M. Dumoncel et à Marinette, on ne les voyait presque plus! Ils passaient le plus clair de leur temps au fond de la grotte. Quand on les questionnait, ils se contentaient de répondre en souriant :

« Laissez-nous travailler tranquilles! »Catherine, tout d'abord, n'avait pas compris cet acharnement.

Elle évoquait son entretien avec Marinette et son père à l'hôtel Beausite. Au cours de cet entretien, M. Dumoncel n'avait pas caché ses doutes en ce qui concernait la seconde entrée de la grotte. « Dans ces conditions, se demandait Catherine, pourquoi ne remet-il pas à plus tard la poursuite des travaux? Mais il n'a peut-être pas perdu espoir. Et puis, c'est un savant. Ce qui l'intéresse sans doute, c'est la recherche, l'effort obstiné... »

A force de penser à la grotte, Catherine eut une idée qu'elle confia à Nathalie :

« C'est tout de même trop bête de ne pas utiliser cette grotte à l'occasion de la kermesse, lui dit-elle. Pourquoi, ce jour-là, n'ouvrirait-on pas au public les galeries supérieures ? On pourrait y placer des attractions et rendre payante l'entrée. La salle aux stalactites est, à mon avis, largement aussi intéressante, sinon plus, que les balançoires, le stand de tir et le mât de Cocagne! »

Nathalie fit la moue :« Tu oublies que le chemin pour aller au sommet du Garaout

n'est guère praticable. D'autre part, dans la grotte, il y a le puits. Il suffirait qu'un visiteur fasse un faux pas... »

Ces arguments n'étaient pas sans valeur. Mais Cathy ne voulut pas s'incliner aussi aisément. Pendant les préparatifs de la kermesse, elle soumit son projet à Bruno. Il boitillait encore. Cependant, depuis deux jours, il avait envoyé promener sa canne.

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« C'est une idée épatante! s'écria-t-il, enthousiaste. Si l'on veut écarter tout risque d'accident, je ne vois qu'une solution : boucher l'étroiture. Ainsi, les visiteurs pourront aller et venir dans les salles supérieures sans le moindre danger. Cela fera au moins connaître la grotte. Mais attention ! On ne peut pas obliger les gens à se promener dans les salles une lampe électrique à la main.

•— Tu pourrais mettre des lampes à acétylène, suggéra Catherine.

— Oh! non, il faut quelque chose de mieux. L'électricité! Malheureusement je ne peux pas la faire venir du Castel. C'est trop loin. Sais-tu ce que je vais faire? Je vais m'arranger avec Machut, l'électricien d'Arcouze. Il ne demande qu'à rendre service. Il installera tout ce qu'il faut dans la grotte même : une génératrice, des projecteurs... que sais-je! Tu te rends compte, Catherine? Des projecteurs braqués sur les stalactites! Formidable! »

Cette conversation se déroulait dans le parc du Castel. Bruno était en train de travailler à l'un des stands. Mais il s'était interrompu et, les yeux brillants, il semblait empoigné par l'idée de Catherine. Il ajouta :

« Je ne sais pas où est ma tante. Essaie de la voir tout de suite. Mets-la au courant. Elle sera d'accord, j'en suis certain ! »

Alors que Catherine se dirigeait vers les bâtiments de l'institution, Bruno l'arrêta :

« II faudrait aussi que tu ailles à la grotte avant midi et que tu voies M. Dumoncel et Marinette quand ils remonteront. Parle-leur de la nécessité de boucher l'étroiture. Je me demande si Marc et Alain ne sont pas descendus avec eux ce matin. Je ne les ai pas aperçus dans le parc.

— Moi non plus », dit Catherine en s'éloignant. Elle trouva Mme Dautril dans la petite pièce qui lui servait de bureau. « Bien sûr, je suis d'accord! s'exclama tante Hélène quand Cathy lui eut exposé son idée. Ouvrir les galeries

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supérieures à des visiteurs est une trouvaille. Et pourquoi n'installeriez-vous pas une attraction dans la grotte, près de l'entrée? Songez-y, Catherine. Nous en reparlerons. »

Sortie du Castel, Catherine gravit la pente du Garaout. Elle allait d'un pas rapide, si rapide qu'arrivant à proximité de la grotte, elle avait le souffle coupé. Elle s'assit sur un rocher, à une centaine de mètres du Hêtre Pourpre. Entendant sonner la cloche du déjeuner au Castel, elle pensa qu'il devait être midi, et que M. Dumoncel et ses compagnons n'allaient pas tarder à sortir de la grotte.

En les attendant, elle réfléchit à la suggestion de Mme Dautril. Une attraction à l'entrée de la grotte ou plutôt sous la première voûte? Elle avait beau chercher, elle ne trouvait rien. « La loterie? se disait-elle. Impossible. Il faut qu'elle soit en plein air, le stand de tir également. Quant au reste, mieux vaut n'y pas songer... »

Soudain elle murmura : « Pourquoi ne m'installerais-je pas moi-même dans la grotte? Après tout, je dois tenir un rôle dans cette kermesse, celui de la tireuse de cartes. L'entrée de la grotte deviendrait l'antre de la sorcière. Ce ne serait pas mal du tout. »

Elle se voyait déjà, travestie en bohémienne et accueillant les visiteurs dans la pénombre de la voûte.

Peu de temps après, les Dumoncel, suivis d'Alain et de Marc, sortirent de la grotte.

« Que fais-tu ici, Catherine? » demanda Alain.Une fois encore, Catherine exposa son idée, en y ajoutant le

projet de s'installer, vêtue en bohémienne, sous la voûte. Elle se montra si convaincante qu'elle recueillit un assentiment unanime.

« C'est entendu, dit Marc, je boucherai l'étroiture avec des planches. Donc, pas de risques d'accidents. Cependant je ne la boucherai que la veille de la kermesse, c'est-à-dire demain soir.

- Moi, dit Marinette en s'adressant à Catherine, je ne vous laisserai certainement pas seule dans la grotte. Je resterai avec vous. Je ferai payer les entrées.

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— Et moi, Catherine, je t'enverrai des clients! ajouta Alain. D'abord, je vais planter des écriteaux sur la pente du Garaout. Sur ces écriteaux, on lira : « Visitez « les salles aux stalactites et faites-vous dire la bonne « aventure! » S'il le faut, je prendrai les visiteurs et je te les amènerai !

— Quant à moi, je veux bien être le guide! dit M. Dumoncel. Je suis capable de faire repasser les gens deux ou trois fois dans la même salle sans qu'ils s'en aperçoivent. La visite durera une heure et le prix sera majoré. »

L'atmosphère était à la bonne volonté, à l'enthousiasme. En riant, Catherine et ses compagnons descendirent la pente du Garaout, jusqu'à la route où Patrice avait promis de venir à midi et demie avec la voiture.

« Tout cela est très joli, dit Marc en sautant de pierre en pierre. Mais je voudrais bien savoir comment tu vas t'y prendre pour dire la bonne aventure.

- Nathalie m'a appris un peu à lire dans les lignes de la main », répondit Catherine.

Alain s'esclaffa :« Nathalie? C'est une plaisanterie. Elle n'y connaît rien!— Elle m'a enseigné quelques trucs, dit Catherine.- Quels trucs?- Je ne livre pas mes secrets.— Et puis, qu'est-ce que ça peut faire? dit M. Dumoncel.

On raconte n'importe quoi!— C'est bien mon intention! dit gaiement Catherine.

D'ailleurs, je ne raconterai rien de triste... que des choses qui peuvent rendre heureux!

— C'est la bonne solution », conclut Marinette. Patrice attendait au bas de la pente. Tout le monde s'installa tant bien que mal dans la voiture. On déposa M. Dumoncel et Marinette à l'hôtel Beausite. Puis Patrice, Catherine, Marc et Alain roulèrent vers la villa Meyranale.

Naturellement, au cours du déjeuner, il ne fut question

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que de la kermesse et des nouveaux projets : la visite de l'étage supérieur de la grotte, l'installation de la « bohémienne » à l'entrée...

« Et le costume de Catherine? demanda Nathalie. Il faut absolument que nous nous en occupions cet après-midi. N'est-ce pas, maman?

- Sans aucun doute, répondit Mme Vercourt. Nous n'avons plus de temps à perdre. »

Une partie de la journée fut donc consacrée à préparer le costume de Catherine. Le petit Olivier assistait au dernier essayage, la bouche béante d'admiration.

Grâce à l'ingéniosité de Mme Vercourt et de Nathalie, Catherine était vêtue d'une longue robe rouge à volants. Un châle bigarré, rapporté d'Espagne l'été précédent par Mme Vercourt, lui couvrait les épaules. Un foulard de la même couleur que la robe était noué autour de sa tête. De grands anneaux de cuivre se balançaient à ses oreilles, et ^ ses avant-bras disparaissaient sous tous les bracelets qu'on avait pu trouver dans la villa.

Olivier eut tout à coup une inspiration :« Sais-tu ce qu'il te faudrait avec ça?- Ma foi, non, répondit Catherine étonnée.— Eh bien, il y a au grenier un hibou empaillé. Si tu veux, je

le mettrai près de toi dans la grotte! »

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CHAPITRE IX

LE RENDEZ-VOUS

ENFIN, le grand jour était arrivé! La veille, chacun était demeuré tendu, presque silencieux, après la grande fièvre des dernières quarante-huit heures. Tout était prêt, aussi bien dans le parc du Caste! que dans la grotte où Olivier, tenant parole, avait transporté le hibou empaillé et où l'étroiture avait été obstruée. Oui, tout était prêt. Et pourtant, il y avait un point noir... le détail auquel personne, absolument personne n'avait songé.

Depuis le début du mois d'août, le temps avait été superbe, ensoleillé, chaud. Or, dans l'après-midi du 14 août, des nuages \ avaient fait leur apparition dans le ciel.

Bruno avait grogné :« Après tout le mal que nous nous sommes donné, il ne va

tout de même pas se mettre à pleuvoir! »

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M. Vercourt avait consulté le baromètre, dans le hall de la yilla.

« Evidemment, il y a une baisse sensible, avait-il dit. Mais, demain, je ne crois pas qu'il pleuve. Ce sera sans doute pour après-demain. »

Patrice avait expliqué à Catherine :« L'année dernière il faisait un temps si maussade que rious

avons dû transporter les stands à l'intérieur même du Castel, dans la grande salle qui sert de réfectoire. Naturellement, les visiteurs ont été rares et le résultat nul, financièrement parlant.

— Tu oublies, avait ajouté Bruno de son ton le plus bourru, que l'année dernière nous nous y sommes pris deux jours à l'avance. Maintenant, il est trop tard pour que nous entreprenions un déménagement de ce genre. Et si, demain, il fait mauvais temps, tout sera fichu! »

Le lendemain, 15 août, vers dix heures, le ciel était gris, menaçant. Pas un rayon de soleil. Et le baromètre avait encore baissé.

Depuis le début de la matinée, Patrice, au volant de sa voiture, faisait la navette entre la villa Meyranale et le Castel ou la route conduisant à la pente du Garaout.

Il avait déjà emmené Marc, Alain, Bruno. Il avait pris à l'hôtel Beausite les Dumoncel et les avait déposés à quelques centaines de mètres de la grotte.

Il ne restait plus à la villa que Mme Vercourt, Nathalie et Catherine. Nathalie et sa mère achevaient de préparer les gâteaux qui devaient être vendus au buffet de la kermesse.

A dix heures, Patrice vint chercher Catherine. Celle-ci avait revêtu son costume de bohémienne. Comme elle traversait le hall en courant, Nathalie apparut sur le seuil de la cuisine et lui cria en riant :

« Tu devrais prendre un parapluie!— Tais-toi! répliqua Catherine. Tu vas nous porter

malheur ! »

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Patrice la déposa au bout de la route, à l'endroit où s'amorçait le sentier du Garaout. Avant de faire demi-tour, il lui dit :

« Bonne chance! »En relevant le bas de sa robe pour ne pas l'accrocher aux

ronces et aux pierres, Cathy commença à gravir le sentier. Elle se sentait bien décidée à jouer son rôle avec sérieux, à contribuer de toutes ses forces au succès de la kermesse.

Après avoir parcouru une centaine de mètres, elle s'arrêta pour reprendre souffle et se retourna. En contrebas, elle apercevait les toits et le parc du Castel. Elle vit des silhouettes qui s'affairaient autour des stands et eut un serrement de cœur quand elle crut s'apercevoir qu'on s'empressait de transporter dans le bâtiment principal les fauteuils de jardin et les tables placés autour du buffet.

Elle se rendit compte alors que la menace de mauvais temps n'était pas une plaisanterie.

En quelques enjambées, Catherine atteignit la grotte. Dumoncel, ainsi qu'Alain et Bruno, l'attendaient.

Elle voyait aussi pour la première fois le décor qu'on lui avait préparé : une table couverte d'un vieux tapis provenant de la villa Meyranale et sur lequel trônait le hibou d'Olivier. Il y avait également deux chaises et surtout un projecteur dissimulé dans une anfractuosité et qui éclairait' de biais la table, le hibou, la muraille suintante.

« Ce n'est pas le seul projecteur, expliqua Bruno. Il y en a deux dans chacune des salles aux stalactites. Maintenant, je me sauve. On doit m'attendre au Castel. J'espère que l'installation électrique tiendra jusqu'à ce soir.

— Bien sûr qu'elle tiendra, dit Catherine. Oh! Bruno, je t'en prie, ne prends pas cet air tragique!

— Évidemment, la pluie ne te gênera pas, toi ! Tu vas rester toute la journée à l'abri dans la grotte.

- J'ai l'impression, intervint Marinette en riant, que

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Catherine changerait volontiers de place avec toi, Bruno ! » Mais Bruno n'avait pas envie de rire : « Je vais avoir bonne mine, moi, sous la pluie, avec

mes balançoires !— Tu feras comme les autres, répliqua Catherine.

D'ailleurs, la pluie ne tombe pas. Elle ne tombera peut-être pas avant demain. Va vite au Castel, Bruno. Je suis sûre qu'on t'y attend avec impatience.

— Tu crois? » fit Bruno.Il hésita encore un instant, regarda tour à tour Catherine, M.

Dumoncel, Marinette, Alain. Puis, faisant demi-tour, il sortit de la grotte et descendit la pente du Garaout en direction du Castel.

Catherine s'assit derrière la table. Il avait été entendu qu'Alain irait au Castel chercher les personnes désirant visiter la grotte ou se faire dire la bonne aventure, que Marinette ferait payer les visiteurs et que M. Dumoncel leur servirait de guide.

« Eh bien, Alain, qu'est-ce que tu attends? dit Catherine. Va nous chercher des visiteurs! »

Alain, les mains dans les poches, s'éloigna sans hâte, comme à regret. Dès qu'il fut sorti de la grotte, il se retourna et dit avec un sourire amer :

« II commence à pleuvoir! »En effet, quelques grosses gouttes de pluie s'aplatissaient sur

le sol. Catherine, Marinette et M. Dumoncel restèrent immobiles, les yeux tournés vers l'extérieur, dans un silence consterné.

Alain s'éloigna, courbant les épaules sous la pluie. Une longue demi-heure passa. Une silhouette reparut sur la pente, près du Hêtre Pourpre, et s'avança vers la grotte. Ce n'était pas Alain. C'était Bruno. Il se laissa tomber sur la chaise qui faisait face à celle sur laquelle Catherine était assise.

« C'est fichu! dit-il plus sombre que jamais. Il n'y a pas dix visiteurs dans le parc du Castel, et tout le monde s'est réfugié dans les bâtiments. Si la pluie continue, cette

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kermesse sera encore plus lamentable que celle de l'année dernière... »

II avait l'air bien malheureux! Catherine eut pitié de lui. Pour le détourner de ses soucis, elle eut envie de proposer de lui dire la bonne aventure. Mais elle savait qu'il répondrait : « Tu plaisantes! C'est plutôt de mésaventure qu'il faudrait parler. Tante Hélène va être obligée de fermer le Castel, et il lui faudra des années pour payer ses dettes... »

« Ah! si j'avais trouvé la seconde entrée de la grotte! » grommela- t-il.

Cathy se pencha vers lui. Le seul moyen de le consoler était de lui rendre espoir, de réveiller ce qui avait été pendant si longtemps son idée fixe...

« Tu la trouveras, cette seconde entrée, Bruno, dit-elle. Mais à une condition : c'est que tu ne cèdes pas au découragement ! »

A l'extérieur, la pluie redoublait. Comme Bruno allait reprendre sa conversation avec Catherine, Alain à son tour apparut à l'entrée de la grotte, précédant six visiteurs. Immédiatement, il les confia à M. Dumoncel qui les entraîna vers les salles aux stalactites.

Avant de repartir, Alain fit à Catherine, Marinette et Bruno, un tableau alarmant de la situation au Castel :

« J'ai eu bien du mal à persuader ces six personnes de monter jusqu'ici! Il n'y a qu'une chose qui marche là-bas : le buffet tenu par Nathalie. Tout le reste... peuh! »

Après la visite des salles, deux des six personnes cédèrent aux instances de Catherine et se firent lire les lignes de la main. Mais, tandis que Catherine prenait son rôle très au sérieux, ses « clients » tournaient sans cesse les yeux vers l'extérieur où la pluie tombait maintenant à un rythme soutenu.

Et, bientôt, les visiteurs partis, Catherine se retrouva seule avec Marinette et son père.

L'après-midi glissa, monotone, désolé. Bruno n'avait pas reparu. Sans doute n'avait-il plus le courage de remonter jusqu'à la

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grotte. Alain, lui aussi, demeurait invisible. Vers cinq heures, il y eut une éclaircie. La pluie cessa. Les nuages s'entrouvrirent, laissant passer quelques rayons de soleil.

La kermesse devait fermer à six heures et demie. M. Dumoncel se sentait fatigué. Marinette lui dit :

« Papa, rentre à l'hôtel et repose-toi. Je rie tarderai pas à te rejoindre. »

Il n'était pas parti depuis dix minutes qu'Alain surgit, précédant cette fois dix visiteurs!

« Quel dommage! s'exclama Marinette. Papa vient juste de partir. Et c'est moi qui lui ai conseillé d'aller se reposer !

— Pourquoi ne dirigeriez-vous pas vous-même la visite? suggéra Catherine. Vous connaissez la grotte dans ses moindres détails.

— Après tout, pourquoi pas? fit Marinette. Je suis peut-être moins savante que papa. Mais, au moins, je connais toute la légende d'Ylaine! »

Et, après avoir fait payer les visiteurs, elle les entraîna vers les salles.

Alain la regarda s'éloigner. Puis il se tourna vers Catherine.

« Pas brillantes, les affaires, n'est-ce pas? dit-il.— Oh non! répondit Catherine. Et au Castel?- C'est un échec sur toute la ligne, par la faute du mauvais

temps. Il va entrer bien peu d'argent dans la caisse de la pauvre tante Hélène! Maintenant, il faut que je m'en aille. Avant six heures et demie, je trouverai peut-être encore quelques amateurs.»

Il fit un petit geste de la main et s'éloigna à grands pas.Un quart d'heure plus tard, Marinette sortit des salles aux

stalactites avec ses visiteurs. Elle s'approcha de Catherine et lui dit à mi-voix :

« Aucun d'eux ne semble avoir envie de s'entendre dire la bonne aventure. Et pourtant je leur ai fait de la publicité pour vous! Mais n'importe. Ils paraissent intéressés

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« Ah! la diseuse de bonne aventure! fit-il. Mademoiselle, je n'ai pas besoin de vos services. »

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par la kermesse elle-même. Je les emmène au Castel et je me charge de leur faire dépenser de l'argent avant l'heure de la fermeture! »

Elle ajouta, en sortant de la grotte :« Je ne sais pas si je pourrai remonter vous chercher. En tout

cas, je dirai à Patrice de venir vous attendre avec la voiture au bas de la pente après six heures et demie. »

Quand Marinette et les visiteurs furent partis, Catherine se trouva seule dans la grotte pour la première fois de la journée. Elle éprouva le besoin d'aller un peu respirer au-dehors. Après tant d'heures maussades, elle se sentait attirée par le soleil de cette fin d'après-midi.

Au moment où elle allait sortir, elle entendit derrière elle un toussotement. Elle se retourna. Voyons, elle rêvait! Elle était seule, bien seule. Marinette, Alain, les visiteurs, tout le monde était parti...

« Qui est là? demanda-t-elle.— Moi, répondit une voix au timbre assez sourd,

une voix d'homme. Ne vous dérangez pas pour moi. »Catherine était certaine que la voix venait de la première

salle aux stalactites. Elle fit une trentaine de pas dans le couloir et se glissa dans la salle. Un homme était là. Qui était-ce? Un visiteur du dernier groupe? Catherine ne le voyait que de dos. Grand et fort, il était vêtu d'un complet d'été, gris clair, et contemplait un rideau de stalactites.

Quand il entendit un pas derrière lui, il pivota sur ses talons. Son visage s'encadrait d'une barbe très noire. Catherine pensa un peu effrayée : « C'est le Kibiran de la légende ! »

« Ah! la diseuse de bonne aventure! fit-il. Mademoiselle, je n'ai pas besoin de vos services.

— Dommage, dit Catherine en retrouvant son sang-froid. J'aurais peut-être découvert des choses intéressantes dans les lignes de votre main.

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— Laissons là ces bêtises, je vous prie! Et tenez, prenez ceci... pour la kermesse. »CATHERINE ET LES CINQ. FRÈRES

Catherine en resta muette de surprise : l'inconnu venait de lui remettre un billet de cinquante francs !

« Maintenant, reprit-il d'un ton assez autoritaire, j'ai peut-être le droit d'admirer cette salle! La jeune fille — celle qui nous servait de guide — nous l'a fait traverser au pas gymnastique, en racontant je ne sais quelle légende. Je n'ai pas eu le temps de voir grand-chose! »

Il se replaça devant le rideau de concrétions et, de l'index, délicatement, il toucha chaque stalactite d'une chiquenaude. Une musique étrange s'éleva, semblable à un carillon de clochettes cristallines.

« Comme c'est joli! dit Catherine de plus en plus étonnée.— N'est-ce pas? » fit l'inconnu.Et il se mit à parler d'abondance. Il apprit à Catherine ce qui

différencie une stalactite vivante d'une stalactite morte. Il se lança dans un long développement sur les trésors que la nature se plaît à accumuler sous la surface du sol...

Cathy l'écoutait avec intérêt, oubliant presque ses déceptions de la journée.

Brusquement, il s'arrêta :« N'y a-t-il rien d'autre à voir que cette salle?— Oh si! s'écria Catherine. D'abord, il y a une

deuxième salle, voisine de celle-ci. Et puis, il y a le Gouffre aux Fées, le lac, la cascade. Mais on ne peut pas les visiter. Moi-même, je ne les ai pas vus.

— Pourquoi est-il impossible de les visiter?— Parce que... parce que Bruno n'a pas encore trouvé la

seconde entrée ! »Catherine avait jeté cette réponse sans réfléchir, comme si

elle s'était adressée à un interlocuteur au courant de la situation. Elle sentit une boule se former dans sa gorge, et ne put empêcher deux larmes de se former au bord de ses paupières. \

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L'inconnu la regarda avec surprise :« Qu'avez-vous donc? Pourquoi pleurez-vous?— Oh! pour rien... balbutia Catherine en essuyant ses larmes d'un revers de main. Je vous prie de m'excuser,

monsieur.— Je vous excuserai quand vous m'aurez dit pourquoi vous

pleurez. J'ai deux filles de votre âge. Il y a longtemps qu'elles ne pleurent plus pour un oui ou un non. »

Catherine examina cet homme grand et robuste. Il y avait de la bonté dans sa physionomie.

Alors, elle lui raconta toute l'affaire : les recherches acharnées de Bruno et de ses frères, les soucis de tante Hélène, la menace planant sur l'institution qui abritait les petits paralytiques...

Il l'écouta avec attention. Quand elle eut terminé, il expliqua:« Le plus souvent, c'est en profondeur que les grottes

s'enfoncent dans les montagnes. Elles n'ont pas nécessairement deux entrées.

— Il n'y a donc pas d'espoir? demanda Catherine.— Je n'ai pas dit cela! Il faudrait étudier le problème dans

ses détails. Vous m'avez dit qu'il y avait un plan établi par un certain professeur et sa fille...

— Oui. Il s'agit de M. Dumoncel et de sa fille Marinette.— Ce plan est-il non seulement bien dessiné, mais

bien orienté? C'est important. D'autre part...— D'autre part?— Même si la seconde entrée n'existe pas, il n'y a pas lieu

de désespérer. On peut remédier à cet inconvénient.- Je ne vois vraiment pas comment...— Vous savez ce qu'est un ascenseur?— Bien sûr! Mais, monsieur... un ascenseur dans une grotte!

Il y a presque vingt mètres de dénivellation!— C'est insignifiant. Dans les mines, les ascenseurs

descendent à des centaines de mètres. Je m'étonne que votre

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Bruno — c'est bien là son prénom, n'est-ce pas? — n'ait pas envisagé plus tôt cette solution.

— Oh! monsieur, vous devriez venir lui en parler! Il sera si content! »

L'inconnu regarda sa montre :« Impossible aujourd'hui. Il est déjà près de six heures et

demie. Et j'ai promis d'être à Cauterets à sept heures. D'ailleurs, un entretien sur cette question serait prématuré. Il faut d'abord que je consulte des spécialistes...

— Mais vous, monsieur, n'êtes-vous pas...— Un spécialiste? Pas exactement. Mais j'en connais

quelques-uns... »Tout en parlant, l'inconnu regagnait le couloir et se dirigeait

vers la sortie de la grotte. Il s'arrêta brusquement.« Cela m'intéresserait de visiter cette grotte... même en

empruntant l'échelle de corde, reprit-il. J'amènerai quelqu'un qui pourra vous être utile. Nous examinerons la situation. Et, si les grottes du fond, les galeries, etc., en valent la peine... bref, si l'aménagement, la construction plutôt, d'un ascenseur, semble possible... eh bien, nous chercherons un moyen de financer l'affaire... »

A mesure qu'il parlait, Catherine avait l'impression que son cœur s'allégeait, que les soucis se dissipaient dans son esprit, que l'avenir s'éclairait...

« Quand reviendrez-vous? demanda-t-elle. Demain? »II éclata de rire :« Ne brûlons pas les étapes ! Laissez-moi le temps de me

retourner. Il me faut deux ou trois jours.— Alors, dans deux jours... mardi? -— Entendu.— A quelle heure?— A trois heures, à l'entrée de cette grotte.— Si vous voulez, reprit Catherine, je vais vous accompagner

au pied du Garaout.— C'est inutile. Je connais le chemin. J'ai laissé ma voiture

là-bas, sur la route. »

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Déjà, il était sorti. Il se ravisa : « J'oubliais : vous ne me connaissez pas. » II tira de son portefeuille une carte de visite et la tendit à Catherine en ajoutant :

« Et surtout ne pleurez plus! »

Tandis qu'il s'éloignait, Catherine ne put s'empêcher de le suivre. Elle était éblouie par ce qui venait de se produire. Elle se dit : « II est tard. Je n'ai plus rien à faire ici. La kermesse doit être en train de se terminer. Je vais tout de suite annoncer la bonne nouvelle à Bruno et aux autres! »

Sentant au bout de ses doigts le bristol de la carte de visite, elle l'éleva jusqu'à ses yeux et lut rapidement : « Pierre Quillan, ingénieur des Ponts et Chaussées. » Suivait une adresse, à Paris, dans le VIe arrondissement...

Sans plus réfléchir, elle glissa la carte dans la poche de sa jupe de bohémienne, et s'élança sur la pente conduisant au Cas tel.

Le sentier pierreux, encore humide de pluie, serpentait entre les ronces et les fougères.

Soudain, à l'un des tournants, Catherine se trouva face à face avec un couple qui, la main dans la main, se dirigeait vers elle. Ce couple, c'étaient Marinette et Alain.

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Catherine s'arrêta, assez étonnée.« La kermesse se termine, expliqua Marinette. Nous

venions à votre rencontre, Catherine. Nous voulions profiter de l'occasion pour vous annoncer une nouvelle. »

Catherine, elle aussi, avait une nouvelle à annoncer! Elle se ressaisit promptement. Elle avait déjà compris à quoi Marinette faisait allusion. Elle aimait cette jeune fille énergique et simple, et elle avait, pour Alain, presque autant d'amitié que pour Bruno. Comment, dans ces conditions, ne se serait-elle pas réjouie?

« Je sais, dit-elle. Vous allez m'annoncer que vous êtes fiancés !

—- Exactement », dit Marinette en souriant.Et Alain :« La nouvelle est déjà presque officielle!— Je suis heureuse pour vous, dit Catherine avec

sincérité. J'ai toujours pensé... mais puis-je dire cela?- Bien sûr, Catherine, fit Marinette, vous pouvez dire

ce que vous voudrez!— Eh bien, j'ai toujours pensé que vous étiez faits l'un

pour l'autre! Et maintenant, j'ai moi aussi une bonne nouvelle à vous annoncer! Mais je vais vous en parler en marchant. Je veux mettre immédiatement Bruno au courant. »

Naturellement, Marinette et Alain ne se tinrent plus de joie lorsqu'elle leur eut raconté son entretien avec l'inconnu de la grotte.

« Vous avez raison, Catherine, dit Marinette. Bruno va être ravi ! »

Ils entrèrent tous les trois dans le parc du Castel. Catherine découvrit avec surprise que les visiteurs y étaient assez rrombreux, une centaine.

« II en est ainsi depuis que la pluie a cessé, expliqua Alain. Dommage que la kermesse soit presque terminée! »

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Bruno s'affairait autour des balançoires dont on lui avait confié la surveillance. Vingt ou vingt-cinq enfants lui tendaient leur argent en poussant des cris :

« C'est à moi! C'est à moi!

— Chacun son tour », répondait Bruno. Catherine courut jusqu'à lui.« Oh! Bruno, lui souffla-t-elle à l'oreille, j'ai une très bonne

nouvelle pour toi!— Quelle nouvelle? » demanda-t-il en la regardant.

Presque d'une haleine, elle lui fit le récit de sa conversation avec le visiteur de la salle aux stalactites.

« Tu comprends, conclut-elle, c'est merveilleux... Il propose d'installer un ascenseur! »

Bruno avait froncé les sourcils. Il serra les mâchoires, comme chaque fois qu'il était en colère, et dit d'une voix sifflante :

« Un fumiste! Pas intéressant.— Mais... mais, Bruno, protesta Catherine, il est très

sérieux, j'en suis certaine! Il m'a promis de revenir après-demain. C'est un ingénieur... un spécialiste! Je veux dire... »

Bruno lui coupa la parole.« Des ingénieurs, des spécialistes de ce genre, grommela-t-il

avec son air de dogue, il en est déjà venu une demi-douzaine depuis deux ou trois ans! Nous connaissons la chanson.

— Quelle chanson? Je ne comprends pas. D'autre part, Alain vient de me dire...

— Il est toujours dans les nuages. Il n'a pas de mémoire! Tu me demandes quelle chanson. C'est pourtant simple. Ces gens-là proposent des capitaux pour financer l'installation d'un ascenseur. Mais ils exigent le remboursement de leurs capitaux, ce qui est normal, et aussi tous les bénéfices! Je te le disais bien que ce n'est pas intéressant. »

Sur ces mots, Bruno tourna le dos et recommença de s'occuper des enfants qui le réclamaient à grands cris.

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Catherine demeura immobile, le regard fixe, comme si la foudre était tombée à ses pieds. Pour la première fois de la journée, elle avait très froid dans sa légère robe de bohémienne.

CHAPITRE X

DERNIÈRE CHANCE

"MAIS, tante Hélène, qu'est-ce que je vais faire? » demanda Catherine.

Désemparée, ne sachant à quel saint se vouer, elle était venue le lendemain matin se confier à Mme Dautril. Elle désirait être conseillée, réconfortée. Pourtant, elle savait que Mme Dautril, plus qu'elle-même, avait besoin de réconfort!

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La veille, après la fermeture de la kermesse, pendant le dîner à la villa Meyranale, Catherine s'était efforcée d'imposer son point de vue à la famille Vercourt. Mais tout le monde était de l'avis de Bruno : le visiteur de la grotte ne songeait qu'à son profit personnel. Donc, inutile d'entrer en relation avec lui.

Catherine avait failli se mettre en colère : « Libre à vous de laisser passer ce qui est peut-être la

dernière chance! Moi, j'ai promis à ce monsieur de lui faire visiter la grotte. C'est aussi une question de politesse. Il faut que vous m'aidiez », ajouta-t-elle en regardant tour à tour Bruno, Marc, Alain et Patrice.

Bruno répondit le premier :« Mon genou n'est pas encore tout à fait guéri. Et, ma foi, je

n'en suis pas mécontent!Tu as bien dit que ce monsieur serait à la grotte à trois heures

après-demain? demanda Marc.- Oui, à trois heures », répondit Catherine en reprenant

espoir.Allait-elle enfin trouver un allié? Mais Marc poursuivit :« Eh bien, j'y serai, moi, à la grotte! Je me cacherai et, quand

ton monsieur sera sur l'échelle de corde, je le secouerai jusqu'à ce qu'il tombe au fond du puits! »

Catherine ne put s'empêcher de frémir. Pourtant, elle savait bien que Marc était incapable de mettre semblable menace à exécution.

Près d'elle, elle entendit une voix d'enfant. C'était Olivier, son voisin de table :

« Si tu veux, Cathy, je pourrais t'aider. Je connais assez bien la grotte... »

Catherine n'ignorait pas qu'Olivier, malgré toute sa bonne volonté, ne pouvait lui être d'aucune utilité. Elle le remercia d'un sourire, en secouant la tête.

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Restait Nathalie. On ne pouvait compter sur elle. Elle ne connaissait que l'entrée de la grotte. Quant à Patrice et Alain, pourquoi demeuraient-ils silencieux, le nez dans leur assiette?

« Puisqu'il en est ainsi, dit Catherine, puisque personne ne veut m'aider, je vais m'adresser à M. Dumoncel et à Marinette. Je suis certaine qu'ils ne refuseront pas, eux, de... »

Un éclat de rire presque général l'interrompit. Elle jeta un regard circulaire :

CATHERINE ET LES CINQ, FRÈRES« Qu'est-ce que j'ai dit d'extraordinaire?— Oh! rien », fit Patrice.Et Alain :« Il y a une chose que tu ignores, Catherine. C'est que,

Patrice et moi, nous faisons mardi une excursion au cirque de Gavarnie avec Marinette et son père.

- Au bout du compte, je me joindrai peut-être à vous, dit Marc. Ça ne m'amuse pas tellement de secouer l'échelle et de faire tomber au fond du puits l'illustre visiteur de Catherine... »

Jusqu'ici, M. et Mme Vercourt ne s'étaient pas montrés plus compréhensifs que leurs enfants. Ils s'étaient contentés d'observer une attitude discrète.

« Qui sait seulement si ce monsieur viendra, dit M. Vercourt.- Il n'y a qu'à le décommander, suggéra Mme Vercourt. Il

vous a sans doute dit son nom, Catherine? »Catherine n'avait pas eu le temps de changer de vêtements.

Elle plongea la main dans la poche de sa robe de bohémienne et en tira la carte de visite. Tout le monde put lire : « Pierre Quillan, ingénieur des Ponts et Chaussées. »

« Avec une adresse comme celle-ci, à Paris, dit Mme Vercourt, il est évidemment impossible de le décommander. Il faudrait savoir où il réside dans la région... »

Catherine eut un geste d'ignorance :« J'ai oublié de le lui demander... »Puis, se ravisant :

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« Mais il me semble qu'il a parlé de Cauterets... Oui, c'est cela : Cauterets! »

** *

« Tante Hélène, qu'est-ce que je vais faire? » répéta Cathy. En posant cette question, elle regardait Mme Dautril. Celle-ci semblait avoir perdu sa bonne humeur et son

dynamisme habituels. Son visage était sans couleurs. Un cerne, dû à la fatigue des derniers jours, se creusait sous ses yeux. De plus, Catherine faisait irruption dans son bureau du Castel juste au moment où elle examinait avec Alain les comptes de la kermesse. La déception — et pourtant, elle l'avait prévue! — abaissait les coins de ses lèvres. Recettes presque nulles. Rien n'avait vraiment marché, et tout cela par la faute du mauvais temps!

Malgré ses soucis, Mme Dautril écouta Catherine avec bienveillance et même avec une lueur d'intérêt dans le regard.

« Comment s'appelle-t-il, ce monsieur? demanda-t-elle.- Pierre Quillan. C'est un ingénieur. Il habite Paris.— Un Parisien qui passe ses vacances dans la région...— C'est cela... Du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre.

Il a parlé de Cauterets... »Et, pour la troisième fois, Catherine demanda : « Que faire?— Tu sais, tante Hélène dit Alain sans lever la tête,

Catherine nous a déjà raconté cette histoire hier. Moi, cela m'a paru intéressant. Mais mes frères, Bruno surtout, sont d'avis qu'il faut laisser tomber.

— Toi, occupe-toi de vérifier tes comptes! » ordonna Mme Dautril.

Puis, se tournant de nouveau vers Catherine : « II serait impoli de faire faux bond à ce M. Quillan. Faites en sorte, Catherine, de vous trouver à trois heures à la grotte, comme il

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vous l'a demandé. Vous me l'amènerez. Vous lui direz que je suis la propriétaire de la grotte et que je désire le voir avant qu'il la visite. C'est normal, n'est-ce pas?

— Bien sûr, tante Hélène. Seulement...— Seulement quoi?— Je voudrais que vous lui fassiez le meilleur accueil.— Naturellement!— Je suis sûre qu'il est honnête.

— On verra bien. En tout cas, Catherine, il ne faut pas oublier que la construction d'un ascenseur de ce genre coûte cher. J'ai déjà eu l'occasion, ces dernières années, d'étudier divers projets. Le prix en était très élevé. Comment pourrais-je, en ce moment surtout, contracter de nouvelles dettes? Cependant, vous pouvez être tranquille : je ne renverrai pas M. Quillan sans l'avoir écouté attentivement. On ne sait jamais!

— Oh! merci! dit Catherine en se retenant de sauter au cou de Mme Dautril.

— C'est plutôt moi, Catherine, qui devrais vous remercier de prendre souci de mes intérêts. »

Sur ces mots, Mme Dautril revint près d'Alain et se pencha de nouveau sur les chiffres qui dévoilaient, dans toute son ampleur, l'échec de la kermesse.

Catherine resta quelques instants sans savoir que faire. Puis elle tourna les talons et sortit sans bruit du bureau.

La matinée était ensoleillée. Dans le parc, quelques artisans et des habitants du village commençaient à démonter les stands. Par une échappée entre les bâtiments du Castel, on apercevait les petits pensionnaires de tante Hélène qui jouaient dans une prairie sous la surveillance de leurs moniteurs.

Cathy réfléchissait. Après avoir examiné la situation, elle demeurait inquiète. « Bien sûr, se disait-elle, Mme Dautril va recevoir M. Quillan. Elle se montrera aimable avec lui. Mais que résultera-t-il de leur entretien? Elle est sans doute peu disposée à

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faire des concessions. Quant à lui, quelle proposition pourrait-il formuler, puisqu'il ne connaît et ne connaîtra de la grotte que l'entrée? La bonne solution serait de la lui faire visiter avant qu'il voie tante Hélène... bien qu'elle m'ait demandé de le lui conduire avant... »

Une minute entière, Catherine demeura au même endroit. Elle hésitait à rentrer dans le bureau pour demander à Mme Dautril de changer d'avis. Mais à quoi

bon la déranger dans un moment où elle avait tant de soucis?Catherine décida d'agir seule. Cependant, elle entrevoyait

d'autres difficultés. Tout en sortant du parc du Castel, elle pensait: « Quand M. Quillan arrivera, peut-être avec un ou deux spécialistes, il n'y aura personne pour lui faire visiter le fond de la grotte, puisque moi-même je ne suis pas allée plus loin que la deuxième salle aux stalactites. Ce qu'il faudrait... »

Soudain, elle eut une inspiration.« Oui, c'est là ce qu'il faut faire! » murmura-t-elle en se

dirigeant vers le village.Elle entra à l'hôtel Beausite. On la conduisit à la chambre de

Marinette Dumoncel. La jeune fille était en train de terminer sa toilette.

« Catherine, que puis-je faire pour vous?- Pouvez-vous me prêter le plan de la grotte, celui que vous

m'avez montré l'autre jour? Il servira à M. Quillan dont je vous ai parlé hier, puisqu'il n'y aura personne pour le guider. »

Marinette ne fit aucune difficulté pour remettre le plan à Catherine. Celle-ci regagna la villa Meyranale. Elle rencontra Nathalie dans le hall.

« Je te cherchais, dit Nathalie. Je vais au village faire les courses. D'où viens-tu donc?

- Du Castel.— Je comprends ! Tu as vu tante Hélène et tu lui as parlé de

ce monsieur... J'ai déjà oublié son nom!

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— Quillan. Oui, j'ai parlé de lui à tante Hélène. Elle s'est montrée beaucoup plus compréhensive que tes frères! Elle accepte de recevoir M. Quillan et d'examiner son projet.

— Et de lui faire visiter la grotte?Mais non, Nathalie! Tu sais bien que ta tante n'est elle-même

jamais descendue dans le puits. Cependant, je crois avoir trouvé la solution. Marinette a bien voulu me prêter le plan de la grotte... »

Catherine montra le rouleau de papier qu'elle tenait à la main et exposa son idée.

« Au fond, tu as de la chance, dit Nathalie. Mes frères seront

demain tous absents, sauf Bruno.- Même Marc? C'est vrai, il avait dit qu'il irait peut-

être à Gavarnie avec les Dumoncel...— Non, il ne va pas à Gavarnie. Ce matin, il est allé à la

grotte avec Patrice et Bruno. Ils ont aidé l'électricien d'Arcouze à démonter les projecteurs. Mais, auparavant, Marc a pris des photos des salles aux stalactites. Il vient de rentrer à la villa avec

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Patrice et demain - - il me l'a dit il n'y a pas cinq minutes — il ira à Tarbes faire développer ses photos. »

Catherine était vivement intéressée par ces détails. En somme, elle pouvait, le lendemain, espérer avoir le champ libre...

« Et Bruno? demanda-t-elle en prenant un air indifférent. - Oh! lui, c'est un ours. Demain, il n'ira ni à Tarbes, ni à Gavarnie.

— Et, en ce moment, où est-il?

— Il était à la grotte, avec Patrice et Marc. Je crois qu'au lieu de revenir ici il est allé au Castel, sans doute pour voir où en est le démontage des stands.

— Mais je viens du Castell fit Catherine. Je n'y ai pas vu Bruno.

— Il est probablement venu par le Garaout, et il est arrivé après ton départ, répondit Nathalie. Viens-tu avec moi au village?

— Excuse-moi, dit Catherine. Voilà plusieurs jours que je n'ai pas écrit à mes parents. Il faut que je leur envoie un mot ce matin. »

Nathalie se dirigea vers la porte, tandis que Catherine commençait à gravir l'escalier. Cependant, Nathalie se retourna :

« Et l'étroiture, tu n'y as pas pensé! »Catherine s'immobilisa, la main sur la rampe.« Non, murmura-t-elle. Je l'avais complètement oubliée ! -

En tout cas, reprit Nathalie, ne compte pas sur mes frères pour la rendre accessible! Tu te souviens de ce qu'ils ont dit hier pendant le dîner?

— Oui », murmura de nouveau Catherine. Nathalie dit encore :

« A tout à l'heure, Cathy! »Et elle s'en alla d'un pas agile à travers le jardin, vers la

grille.

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Catherine grimpa dans sa chambre et se mit à marcher de long en large. L'étroiture!... et elle qui croyait avoir songé à tout! Oui, à tout... sauf à cet obstacle, à cet assemblage de planches!

« Non, ce n'est pas possible, se disait-elle. Je ne peux pas accueillir M. Quillan à l'entrée de la grotte, lui remettre le plan, et tout cela en sachant très bien que, dans deux minutes, il va se heurter à... »

Elle cherchait une solution, puis en vint à cette conclusion qu'elle ne pouvait compter que sur elle-même. Comment résoudre

ce problème? Devait-elle, de ses propres mains... Aurait-elle la force, seule, sans aide...

« Des outils ! murmurait Cathy en continuant à marcher de long en large. C'est cela qu'il me faut! Un marteau... un ciseau à froid comme celui que papa utilise quand il veut ouvrir une caisse.»

Mais où trouver des outils? Il y en avait certainement dans quelque recoin de la villa Meyranale. Néanmoins, elle ne se sentait pas le droit d'explorer la villa. Elle n'y était pas chez elle.

« Si quelqu'un me surprenait? se disait-elle. Il me faudrait fournir une explication, révéler mon projet. Tout serait perdu! »

Brusquement, une image se dessina devant ses yeux. Tout à l'heure, dans le parc du Castel, elle avait observé plusieurs personnes qui démontaient les stands. Elle les avait entendues frapper à coups de marteau sur les planches...

Retourner au Castel? Pourquoi pas, si telle était la solution? Au moment de sortir de sa chambre, elle aperçut, sur sa table de chevet, la petite torche que Bruno lui avait prêtée un jour déjà lointain. Cela aussi était indispensable! Elle glissa la torche dans la poche du pantalon corsaire qu'elle portait ce matin-là.

Catherine se retrouva sur la route, traversa le village. Elle allait très vite. Au passage, elle eut pourtant le temps d'apercevoir Nathalie qui faisait ses achats dans une boutique. Elle pressa encore le pas.

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Ce fut seulement lorsqu'elle se vit à dix mètres de la grille du Castel qu'elle se souvint d'un détail. Nathalie n'avait-elle pas dit qu'au lieu de regagner avec ses frères la villa Meyranale, Bruno était descendu au Castel pour assister au démontage des stands?

Mais peut-être était-il déjà reparti? Peut-être aussi était-il dans le bureau de Mme Dautril...

Avec prudence, Catherine jeta un regard dans le parc. Bruno ne semblait pas se trouver parmi les personnes qui achevaient de démonter les stands.

Elle franchit la grille, s'avança dans le parc... et s'arrêta

de nouveau. Sur la droite, elle venait d'apercevoir Olivier. Avec l'aide de Thierry et de Benoît, il était en train de déraciner son mât de Cocagne. Catherine se plaça derrière un arbre. « S'ils nie voient, ces trois-là, se disait-elle, ils ne me lâcheront plus et je n'aurai plus aucune liberté de mouvement... » Elle attendit que le mât de Cocagne eût été abattu. Puis, lorsqu'elle vit que Thierry, Olivier et Benoît l'emportaient vers les communs du Castel, elle quitta sa cachette et se mit à fureter à droite et à gauche, entre les stands, ou plutôt entre ce qui en restait.

Elle n'eut même pas besoin d'user d'un subterfuge : des outils traînaient un peu partout. Elle ramassa ce dont elle avait besoin, un marteau solide et un ciseau à froid, sans être remarquée par les personnes qui allaient et venaient, ou travaillaient dans un joyeux tohu-bohu. En tout cas si on lui avait demandé une explication, elle tenait un argument tout prêt :

« Je rapporterai ces outils tout à l'heure. Je vais déclouer les écriteaux qui jalonnent le sentier du Garaout conduisant à la grotte... »

Sortie du parc du Castel, Cathy traversa la route, s'engagea au versant de la montagne. Elle se rendit compte alors que son argument n'aurait servi de rien, car les écriteaux en question avaient déjà disparu. A la fin de cette journée, il n'y aurait plus la moindre trace de la kermesse...

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En gravissant le sentier dans le soleil déjà très chaud, elle se tenait ce raisonnement : « Je n'en ai pas pour beaucoup plus d'une demi-heure. Ensuite, je reviens au Castel, je replace les outils dans le parc à l'endroit où je les ai pris, puis je regagne la villa Meyranale. J'y serai certainement pour le déjeuner. Et personne ne se sera aperçu de mon absence... »

Déjà, elle n'était plus qu'à deux ou trois cents mètres de la grotte. Elle allait vite, sautant de pierre en pierre, peu désireuse de s'attarder sur ce sol qui brûlait la semelle de ses espadrilles. Bientôt, dans la lumière aveuglante,

elle vit se dessiner la silhouette du Hêtre Pourpre, la grande masse frissonnante de son feuillage rouillé...

Et, au pied de l'arbre... Catherine n'eut que le temps de se jeter derrière un buisson. A travers les rameaux elle discernait maintenant les taches d'une chemise blanche, d'un short kaki et d'un pansement enserrant un genou...

Bruno! Il était couché au pied du Hêtre Pourpre. Il lisait, tenant à la hauteur de ses yeux un livre qui ne cachait qu'un côté de son visage.

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« Moi qui croyais lui avoir échappé! » pensa Catherine avec angoisse.

Elle était persuadée qu'il allait abaisser son livre, se lever et dire : « Allons, Catherine, ne joue pas au plus fin avec moi. Je t'attendais. Je savais que tu viendrais pour déboucher l'étroiture. Inutile de t'obstiner, rentrons ensemble à la villa... »

Au bout de deux ou trois minutes, Catherine constata que Bruno n'avait pas fait le moindre mouvement. Peut-être, après tout, ne F avait-il pas entendu venir. Et pourtant, elle n'avait rien fait pour étouffer le bruit de son pas quand elle gravissait le sentier...

Elle commençait à se rassurer. Doucement, avec prudence,

elle recula de quelques pas. Là-bas, Bruno gardait la même immobilité. « II ne m'a sûrement pas entendue, ni vue », se dit Catherine. Elle recula encore. Brusquement, elle se décida. En se courbant, en se dissimulant de son mieux et en s'efforçant de ne pas faire craquer sous ses pieds les herbes sèches, elle se glissa de buisson en buisson. Elle reculait toujours. Puis, s'estimant à une distance suffisante, elle décrivit un large crochet et revint vers la grotte.

Elle s'y jeta le cœur battant, se plaqua contre la paroi. De l'endroit où elle se trouvait, elle ne voyait plus Bruno. Elle ne voyait que le Hêtre Pourpre.

Catherine respira. Allons, tout allait bien. Elle l'avait pourtant échappé belle. Et maintenant... il ne lui restait plus qu'à mettre son projet à exécution!

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CHAPITRE XI

AU FOND DE L'ABIME

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PEUR? Non, Catherine n'avait même plus le loisir de songer à cela. Elle tira de sa poche la petite torche électrique, l'alluma et s'enfonça dans la grotte. « II faudrait, se disait-elle, que je me munisse de l'un des casques pourvus d'une lampe et utilisés par M. Dumoncel. Ainsi, j'aurais les mains libres pour rouvrir l'étroiture... »

Mais, bien qu'elle eût passé presque toute la journée de la veille dans la grotte, ou plutôt dans la partie qui en formait l'entrée, elle n'arrivait pas à retrouver l’anfractuosité où les frères de Nathalie rangeaient leur matériel. Elle abandonna ses recherches. Il lui vint à ce moment un regret. Elle avait été vraiment sotte, en quittant la villa Meyranale, de ne pas

emporter le plan dessiné par Marinette! Heureusement, pendant sa conversation avec la fille de M. Dumoncel, elle avait examiné ce plan avec attention. Il demeurait, au moins en ce qui concernait certains détails, gravé dans sa mémoire. Elle se souvenait assez bien, par exemple, de la configuration des salles aux stalactites. Elle ne risquait plus de s'y égarer.

Elle s'avança... et s'arrêta. Là, à quelques mètres, dans le rayon de la torche, deux yeux jaunes luisaient d'un éclat fixe et la dévisageaient. Catherine eut un mouvement de recul. Puis faillit rire de sa frayeur. Ces yeux, c'étaient ceux du hibou empaillé. Les garçons, s'ils avaient bien démonté l'installation électrique et les projecteurs, avaient remis à plus tard d'emporter la table, le tapis et le hibou.

Catherine se souvint que, dans le tiroir de cette table, Marc avait placé une boîte d'allumettes et deux bougies, en disant à la « bohémienne » :

« On ne sait jamais. Cela pourrait servir en cas de panne de courant. »

Elle s'approcha de la table, ouvrit le tiroir, et y prit la boîte d'allumettes et les bougies. Elle les glissa dans sa poche. Dans le tiroir, elle trouva aussi une pelote de ficelle qui avait été placée

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à cet endroit lorsqu'on avait parlé de suspendre le hibou à la voûte. Catherine mit la pelote dans son autre poche. La boîte d'allumettes et les bougies lui seraient peut-être utiles, si la pile de la petite torche venait à s'épuiser. Quant à la ficelle... « Comme dit Marc, on ne sait jamais! » pensa-t-elle.

Cathy se remit en marche, tourna à gauche, traversa la première salle aux stalactites, puis la seconde, et se trouva face à face avec l'étroiture, ou plutôt avec le grossier assemblage de planches qui l'obstruaient. Un moment, en traversant la seconde salle, elle avait espéré que les frères de Nathalie, changeant d'avis, avaient abattu cet obstacle...

Catherine eut une hésitation. Jamais elle n'avait

accompli un travail semblable. Et même, elle ne se souvenait pas d'avoir jamais manié un marteau.

Aussi donna-t-elle les premiers coups avec maladresse. Mais elle ne tarda pas à comprendre ce qu'il fallait faire. Posant sa torche sur le sol et utilisant ciseau à froid _ et marteau, elle réussit à disjoindre deux planches qui tombèrent à ses pieds. Alors, - elle s'acharna, sans tenir compte du vacarme qu'elle déchaînait dans la grotte.

Les planches continuaient à tomber. Enfin, il n'en resta plus qu'une. Catherine aurait pu se contenter de l'attirer à elle. Mais elle lui donna deux vigoureux coups de marteau. Au lieu de tomber à ses pieds, la planche s'abattit de l'autre côté de l'étroiture... dans le vide. Et Catherine, perdant l'équilibre, faillit la suivre. Elle dut son salut au fait que, dans un geste instinctif, elle lâcha le ciseau à froid et saisit dans sa main gauche une aspérité de l'étroiture. Elle avait l'impression d'être en suspens au-dessus de l'abîme.

Elle entendit la planche rebondir à plusieurs reprises, et arrêter sa course au fond du puits. Elle aurait pu encore se rejeter en arrière, abandonner la partie. Mais le puits exerçait sur elle une fascination. Sans lâcher l'aspérité, elle posa le marteau sur le sol,

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près du ciseau, ramassa sa torche et en plongea le faisceau lumineux dans le gouffre qui, croyait-elle, s'ouvrait directement à ses pieds. En réalité, elle s'aperçut qu'entre l'étroiture et le puits il y avait un rebord d'un mètre environ de largeur.

Elle lâcha l'aspérité, s'avança sur le rebord et constata que l'échelle de corde était toujours au même endroit. Elle l'examina. Cette échelle, fixée au rocher par de robustes crampons de fer, n'était pas en chanvre, mais en nylon, et ses barreaux étaient revêtus de gaines métalliques. Elle semblait très solide et presque rigide, sans doute parce qu'on l'avait assujettie à sa base.

« Que m'a donc dit Marinette la première fois que je suis venue ici? se demandait Catherine. Oui, c'est cela. Qu'il fallait être prudent et que, quelquefois, l'échelle

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L’échelle de corde était toujours au même endroit.

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tournait sous le poids de ceux qui la gravissaient ou la descendaient. Mais comment tournerait-elle, puisqu'elle est fixée à ses deux extrémités? A moins que... Non, ce n'est pas une illusion : elle est tendue, bien tendue... »

Elle avait une envie folle de descendre dans le puits, de voir au moins la galerie à laquelle Bruno et ses frères avaient jusque-là travaillé en vain...

Catherine s'accroupit, posa le pied sur le premier barreau. « Si je n'ai pas le courage d'aller jusqu'au fond, se disait-elle, je remonterai. Personne n'en saura rien... »

Mais, au moment de poser le pied sur le deuxième barreau, elle se ravisa et gagna le rebord : elle ne pouvait pas se lancer dans cette aventure avec une seule main libre. Que faire de sa torche électrique, qui pourtant lui était indispensable?

Elle entrevit une solution et tira de sa poche la pelote de ficelle. Il lui fallut moins d'une minute pour se faire avec cette ficelle une sorte de collier auquel elle attacha la torche. Elle passa le collier par-dessus sa tête et la torche se trouva placée sur sa poitrine. Enfin, par surcroît de précaution, elle prit dans son autre poche une bougie, l'alluma et la fixa sur le rocher, à l'aide de quelques gouttes de cire, près de l'un des crampons qui soutenaient l'échelle. De cette façon, si la pile de la torche se déchargeait, elle aurait toujours la lueur de cette bougie pour la guider et lui permettre de gagner le rebord.

Maintenant, Catherine était prête. Elle commença la descente. Premier échelon... deuxième... troisième... Tout allait bien, encore qu'elle fût un peu gênée par cette torche qui se balançait à son cou.

Elle allait lentement, prudemment, s'assurant de bonnes prises et de bons appuis avant de passer d'un échelon à l'autre. En même temps, son esprit ne demeurait pas inactif. « Bien sûr, se disait-elle, je ne resterai qu'un moment, juste ce qu'il faut pour voir la galerie de Bruno. La cascade, le lac, toutes les merveilles de la grotte, ce sera pour un autre jour. Il faut être raisonnable. D'autant plus que,

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si mon absence se prolonge, on finira par s'inquiéter de moi à la villa Meyranale... »

Soudain, sous son pied, elle ne sentit plus que le vide, puis une surface à peu près horizontale. Elle avait complètement oublié qu'il y avait deux échelles, et même peut-être trois !

Elle venait d'atteindre la première plate-forme, presque aussi étroite que le rebord supérieur. Quant à la deuxième échelle... Cathy s'accroupit et constata qu'elle n'était pas fixée à sa partie inférieure. N'importe! Il était trop tard pour reculer. La descente, évidemment, fut plus délicate. Catherine oscillait, avait un peu l'impression d'être un parachutiste flottant entre ciel et terre.

Cependant, échelon par échelon, elle parvint à la plate-forme suivante. Cette fois, l'échelle — la troisième et dernière — était en bois et très courte.

Quand elle eut atteint le fond du puits, Catherine ouvrit la bouche et poussa presque un cri de triomphe. Au-dessus d'elle, à une distance paraissant considérable, elle voyait clignoter la lueur de la bougie. Quel dommage que le temps lui fût compté! Elle serait volontiers partie à la recherche du lac, de la cascade, du Gouffre aux Fées, et le lendemain, elle y aurait elle-même conduit M. Quillan! Mais elle se devait d'accomplir son projet. Rien d'autre.

Elle fit un effort, fouilla dans sa mémoire. Elle revoyait Marinette, posant un doigt sur le plan et disant : « Ici... quand on arrive au fond du puits, sur la gauche, c'est la galerie de Bruno. »

Catherine se tourna vers la gauche et orienta le faisceau lumineux de sa torche dans cette direction. Marinette ne l'avait pas trompée. A cet endroit, il y avait un amas de terre et de pierres de toutes tailles, et, au pied de ces déblais, plusieurs pelles et pioches. Catherine gravit les déblais.

Avant d'entrer dans la galerie, elle détacha sa torche électrique et la tint dorénavant à la main. Elle se mit en marche. Des choses invisibles roulaient sous ses pieds, et

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elle devait se tenir courbée pour ne pas heurter la voûte de sa tête.

Il lui sembla que la galerie, à une trentaine de mètres de l'entrée, formait un coude. Elle n'avait pas oublié la blessure de Bruno. « Attention! se disait-elle. Ces pierres qui tombent on ne sait d'où sont parfois dangereuses. Il est vrai que c'est peut-être leur façon de se venger quand on les attaque à la pioche. Mais, moi, je n'ai pas de pioche. En principe, je ne risque rien... »

Après le premier tournant, il y en avait un autre, puis un deuxième et un troisième. Pourquoi tous ces détours? Bruno avait-il l'intention de creuser ainsi une galerie de plusieurs kilomètres? Catherine se souvenait que Marinette lui avait expliqué : « Si l'on veut atteindre le flanc de la montagne, au niveau du fond de la grotte, c'est-à-dire à un endroit où les visiteurs se trouveront de plein-pied avec ce qui est le plus intéressant à visiter, il faut chercher vers l'ouest, toujours vers l'ouest... »

Oui, mais, jusqu'ici, Bruno et ses frères, malgré leurs

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efforts, n'avaient rien trouvé! Pourquoi s'obstinaient-ils? Etaient-ils donc si sûrs de creuser dans la bonne direction?

Catherine se posait toutes ces questions en continuant de progresser dans la galerie. Elle allait de plus en plus courbée, sous le plafond de plus en plus bas, sous des blocs rocheux qui paraissaient instables. Puis elle se mit à genoux et dut presque ramper. Enfin, elle fut contrainte de s'arrêter.

« C'est ici que Bruno s'est arrêté lui aussi! » murmura-t-elle.Des déblais encombraient la galerie. Au reste, celle-ci n'était

plus qu'une sorte de trou tout juste assez large pour le passage d'une seule personne.

Catherine, en rampant, se glissa dans ce tunnel. Elle tendit sa torche aussi loin que possible devant elle, et vit ce qui constituait en somme le terminus de la galerie : une paroi brillante dans la lumière de la torche, une muraille qui, depuis le début des travaux, avait sans cesse reculé sous les coups de pioche, mais refusait de livrer son secret.

« Et si, moi, je réussissais? se dit Catherine. Si je la trouvais, cette deuxième sortie? »

Cathy ne se rendait pas compte qu'elle perdait la tête dans l'atmosphère lourde de la grotte.

Elle fit passer la torche dans sa main gauche et, de la droite, elle toucha un bloc saillant de la paroi. Elle le poussa, puis chercha à l'attirer à elle et parvint à l’ébranler. Mais sans doute était-il déjà déséquilibré, car, soudain, il se détacha de la paroi, tomba, roula, entraînant avec lui d'autres pierres, qui se mirent en mouvement dans un terrifiant grondement d'avalanche.

« Je suis perdue! Qu'ai-je fait? Je vais être écrasée! » pensa Catherine.

En même temps, obéissant à l'instinct de conservation, elle donna un violent coup de reins et se plaqua, toujours couchée sur le sol, à droite, le long de la paroi du couloir.

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Elle n'avait sans doute pas réagi assez vite, car une grosse pierre lui entailla au passage la main gauche, tandis que l'avalanche continuait à dévaler près d'elle.

Catherine hurla de douleur autant que d'effroi :« Au secours! Au secours! »Puis, suffoquée, elle perdit connaissance. Quand elle revint à

elle — au bout de combien de temps? elle aurait été incapable de le dire — elle sentit d'abord à sa main gauche une douleur vive, lancinante. Elle se rendit compte que la chute de pierres s'était arrêtée, et enfin qu'elle était plongée dans l'obscurité.

Lorsque la pierre lui avait déchiré la main, elle avait lâché sa torche électrique. Prudemment, elle bougea, craignant de déclencher une nouvelle avalanche. Comme rien ne se produisait, elle s'enhardit, tâtonna, palpa de tous côtés. Mais Cathy ne trouva rien et, avec un désespoir croissant, elle pensa que sa torche avait été entraînée au loin. La retrouver était presque impossible. Pourtant, tout en se répétant : « Ne nous affolons pas! Ne nous affolons pas! » elle se mit à chercher dans tous les sens. Elle ne rencontrait sous ses doigts que des pierres rugueuses, coupantes, ou des masses de terre qui s'effritaient dès qu'elle les palpait.

Ah! si seulement elle avait retrouvé sa lampe!... Brusquement, elle se souvint qu'elle avait une deuxième bougie dans sa poche, et une boîte d'allumettes!

Elle tira de sa poche la deuxième bougie. Quant à la boîte d'allumettes... disparue! « Elle a dû tomber pendant que je descendais l'une des échelles, se dit Catherine désolée. Ou bien, je l'ai laissée là-haut, près de la bougie allumée ! »

Que faire? Attendre. Il n'y avait rien d'autre à tenter, d'autant plus que, dans cette obscurité, elle avait perdu le sens de l'orientation.

Elle s'adossa à la paroi. A plusieurs reprises, elle somnola. Le temps passait. Midi avait dû sonner depuis longtemps. On ne déjeunait qu'à une heure et même à une heure et demie à la villa Meyranale. Mme Vercourt avait coutume de dire : « Nous ne sommes pas à Paris. Nous sommes en vacances. Il ne faut

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bousculer personne. » II arrivait également qu'on ne prît pas garde à l'absence de l'un ou de l'autre. « Mais moi, pensait Catherine, je suis l'invitée. M. et Mme Vercourt ont en ce qui me concerne certaines responsabilités. A deux heures, ils commenceront à s'inquiéter de moi. Toutefois, il ne leur viendra pas à l'idée que je suis ici. Ils feront explorer le village, le Castel, la campagne environnante, peut-être le torrent... »

Maintenant, elle regrettait que Bruno ne l'eût pas aperçue quand elle s'était glissée dans la grotte. Il y aurait eu une querelle, des mots vifs échangés. En tout cas, cet accident ne se serait pas produit...

De nouveau, Cathy essaya d'évaluer le temps écoulé. Deux heures, peut-être trois ou quatre?

Dans cette prison étroite, elle avait de plus en plus de mal à respirer. Elle était en nage. Et le silence prodigieux, écrasant, qui l'environnait!

Elle s'était si bien accoutumée à ce silence que, lorsqu’il fut rompu, elle ne s'en rendit pas compte tout de suite. Mais, soudain, elle se redressa. Oui, elle venait d'entendre quelque chose... une voix!

Alors, elle se remit à crier :« Au secours! Au secours! »Elle n'obtint pas de réponse. Pourtant, elle percevait

nettement une voix et le bruit intermittent d'un pas sur les pierres, encore à bonne distance.

« Je suis au fond de la galerie! hurla-t-elle.— Es-tu blessée? » demanda la voix.Catherine faillit pousser une exclamation de joie. C'était

Bruno. « II est descendu pour nie sauver... avec sa patte folle comme il dit! C'est chic de sa part! »

« Es-tu blessée? » répéta Bruno.Il se rapprochait de seconde en seconde.« Non... non, à peine, répondit Catherine. Une simple

écorchure à la main. Mais j'ai perdu ma torche. »

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Le dogue apparut soudain, tenant une lampe qui éclaira la galerie. Il avait son masque dur, les mâchoires contractées, comme lorsqu'il était de mauvaise humeur.

Catherine ne put néanmoins s'empêcher de demander :« Tu es venu seul?- Ne t'inquiète pas de ça! grommela-t-il. Lève-toi et

suis-moi. »Illa saisit par le poignet et la guida jusqu'à la sortie de la

galerie. Catherine tenait à peine sur ses jambes. Elle eut un vertige, faillit tomber. Bruno la prit par les épaules.

Il la conduisit à l'échelle de bois et l'aida à la gravir. Catherine mettait un point d'honneur à se cramponner aux échelons. Mais elle sentait ses dernières forces l'abandonner, et elle s'épouvantait à l'idée qu'après l'échelle de bois il y avait deux longues échelles de nylon!

Elle réussit à atteindre le sommet de l'échelle de bois. Là, des bras l'enveloppèrent, on lui passa une corde sous les aisselles et, à la lueur des lampes électriques, elle eut le temps de reconnaître deux visages, ceux d'Alain et de Marinette.

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Elle se demanda : « Bruno est-il allé chercher du secours? Marinette et Alain sont-ils venus de leur propre mouvement? »

L'ascension recommença. Sans cette corde qui la soulevait, qui la délivrait en quelque sorte du poids de son corps, Catherine n'aurait jamais réussi à se hisser jusqu'au rebord voisin de l'étroiture, celui sur lequel elle avait laissé une bougie allumée.

Le rebord atteint, elle fléchit sur ses jambes, jeta un regard circulaire et, malgré le brouillard de fatigue qui l'aveuglait, elle reconnut trois autres visages, ceux de Marc, de Patrice et de M. Dumoncel.

Elle n'était plus qu'à demi consciente. On l'empoigna, on la porta à travers les salles aux stalactites, dans le couloir jusqu'à l'entrée de la grotte et, ensuite, jusqu'à une voiture.

Elle entendit claquer les portières, ronfler le moteur et la voiture démarrer. Elle eut le temps de penser, non sans quelque honte : « Ils se sont tous dérangés pour moi! Comment vont-ils me juger? »

Après quoi, elle eut l'impression que les bruits s'atténuaient, se dissipaient complètement, et elle cessa de penser.

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CHAPITRE XII

VIVE CATHERINE!

CATHERINE se réveilla et se frotta les yeux. En faisant ce geste, elle s'aperçut qu'elle avait un pansement à la main gauche. Grâce à ce pansement et aussi au coup d'œil qu'elle jeta à la pendule posée sur la cheminée de sa chambre, elle se retrouva plongée dans la réalité. Onze heures! Le soleil se glissait à travers les rideaux de la fenêtre. Elle avait dormi... Eh bien, oui, elle avait dormi une bonne partie de l'après-midi de la veille, toute la nuit et toute cette matinée!

Elle ne se souvenait que très vaguement de ce qui s'était produit quand on l'avait ramenée à la villa Meyranale. Elle revoyait plusieurs personnes qui s'affairaient autour d'elle, des visages angoissés...

Ça et là, dans sa mémoire, elle retrouvait quelques

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points de repère plus précis. Après un brouhaha, le silence de la chambre. Puis un inconnu penché sur le lit; le médecin d'Arcouze. Nathalie se tenait au pied du lit. Mme Vercourt demandait au médecin avec un accent d'inquiétude :

« Est-ce grave, docteur? Dois-je prévenir ses parents? - Mais non, madame, rien de grave. Voilà, le pansement est terminé. Pour le reste, la température est presque normale. A la suite d'un choc comme celui-ci, il faut surtout qu'elle dorme jusqu'à ce qu'elle ait complètement récupéré. Laissons-la tranquille. »

Un frôlement sur le plancher. Mme Vercourt, Nathalie et le médecin sortaient sur la pointe des pieds.

Après cela, Catherine s'était abandonnée au sommeil. Un sommeil entrecoupé de cauchemars et de moments de lucidité. Dans ses cauchemars, elle sombrait dans un puits sans fond, elle suffoquait entre les parois d'une galerie, elle martelait de ses poings la muraille rocheuse en hurlant : « Au secours! »

Dans ses moments de lucidité, les yeux ouverts dans l'ombre de la chambre, elle revivait ce qu'elle appelait sa folie. Pourquoi avait-elle fait cela? Non seulement, elle s'était ridiculisée, mais elle avait bouleversé ses hôtes, elle avait troublé leurs vacances. Maintenant, quelle conduite allait-elle adopter? Bien sûr, elle s'excuserait et même demanderait pardon à Mme Vercourt, à Bruno, aux autres aussi. Cependant, étant donné les circonstances, ne devait-elle pas proposer de boucler sa valise et de prendre le premier train pour Paris?

Telles étaient ses pensées et les questions qu'elle se posait en intermèdes à son sommeil.

Cependant, ces cauchemars et ces inquiétudes n'avaient duré que pendant les premières heures. Ensuite, comme elle avait dormi!

Elle était encore engourdie, l'esprit brumeux, et, les yeux tournés vers la fenêtre, elle se demandait s'il ne convenait pas qu'elle se levât.

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« Au secours! »

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La porte s'ouvrit doucement. Catherine crut que c'était Mme Vercourt. C'était Nathalie. Celle-ci s'approcha, se pencha sur Catherine :

« Comment te sens-tu?— Bien... en tout cas beaucoup mieux...- Tu sais, reprit Nathalie, maman est venue plusieurs fois

dans ta chambre cette nuit, et moi cinq ou six fois ce matin. Mais tu dormais profondément. Je suis heureuse de savoir que tu vas mieux. »

II y avait, dans la présence amicale de Nathalie, quelque chose d'apaisant. Cathy serait bien restée ainsi longtemps à bavarder tranquillement avec son amie, dans la pénombre de la chambre.

Nathalie demanda :« Nous déjeunons dans vingt minutes environ. Crois-tu que

tu pourras descendre? »En entendant cette question, Catherine sentit se ranimer ses

tourments. Comment allait-elle supporter l'épreuve qui se préparait? Ce repas au cours duquel elle allait se trouver devant tant de regards narquois ou pitoyables et qui, en tout cas, ne manqueraient pas de la scruter! Et puis, elle devrait s'expliquer, répondre à des questions! Il lui vint une idée : ne pouvait-elle suggérer qu'on lui montât son déjeuner?

Catherine se rendait compte que la solution était habile, mais, en même temps, qu'il y avait quelque lâcheté à l'adopter. Elle décida : « Par la faute de ma maudite curiosité, j'ai commis une bêtise. Le moment est venu de payer. Je ferai face! »

Nathalie attendait sa réponse.« Je vais descendre », dit Catherine.Nathalie alla écarter les rideaux :« Regarde comme il fait beau ! »Elle ajouta :« Nous attendons tante Hélène. Elle déjeune avec nous. »Catherine se retrouva seule. Elle se leva. Au moment

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où elle achevait de s'habiller, elle entendit un bruit qui montait du jardin. Elle s'approcha de la fenêtre et vit Mme Dautril qui descendait de sa 4 CV. Ses neveux -Patrice, Marc, Alain et le petit Olivier — l'entouraient et l'embrassaient avec des exclamations de joie. Seul manquait Bruno. Mme Dautril offrait un visage rayonnant. En vingt-quatre heures, ses soucis semblaient s'être envolés!... « Je voudrais bien être comme elle! » se disait Catherine.

Sa toilette terminée, elle sortit de sa chambre et descendit l'escalier. Au rez-de-chaussée, elle constata qu'il n'y avait personne dans la salle à manger et que le salon également était désert. D'ailleurs, un silence complet régnait dans la villa.

« Ils doivent être dans le jardin », pensa Catherine.Elle passa sur le perron, descendit lentement les marches. Un

soleil éblouissant dorait le jardin. Mais le silence y était le même que dans la villa.

Catherine s'avança dans l'allée des hortensias. Soudain, elle entendit qu'on l'appelait :

« Nous sommes ici, Catherine. Où allez-vous donc? »La voix était celle de Mme Vercourt. Elle venait de la

tonnelle. Catherine obliqua dans cette direction. Elle sentait ses genoux trembler. Elle rassembla son énergie. Ne s'était-elle pas promis, quoi qu'il arrivât, de faire face?

Quand elle pénétra sous la tonnelle, elle fut accueillie par une grande acclamation :

« Vive Catherine ! »Humiliée, baissant les yeux, elle balbutia :« Je vous en prie... ne vous moquez pas de moi! »Puis levant les yeux, elle vit d'abord Bruno, assis dans un

fauteuil de jardin, sa jambe blessée posée sur une chaise.« J'espère que tu \ ne m'en veux pas trop... reprit-elle.— Moi? fit-il avec un rire qui découvrait ses dents

pointues. Non seulement je ne t'en veux pas. Mais je te remercie!»Catherine regarda autour d'elle. Que signifiait cette comédie?

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Bien sûr, elle avait péché par curiosité et imprudence. Mais méritait-elle d'être traitée avec cette cruauté? Elle aurait préféré des reproches, même cinglants, une explosion de colère....

Au contraire, tout le monde la regardait en souriant, avec sympathie, amitié. Et, sous la tonnelle, étaient réunis M. et Mme Vercourt et leurs enfants, tante Hélène, M. Dumoncel, Marinette!

Cathy les examinait l'un après l'autre. Mais non, ils_ ne se moquaient pas d'elle. Ils semblaient sincèrement réjouis de sa présence. Ils la traitaient... comme une héroïne !

Il y avait, sur la table, des rafraîchissements.« Avez-vous soif? demanda Mme Vercourt.— Non, madame, je vous remercie », répondit Catherine en

secouant la tête.Après un court moment, Mme Vercourt déclara :« Eh bien, je crois qu'il est temps que nous déjeunions. »Chacun se leva et se dirigea vers la villa. Catherine en profita

pour prendre Olivier à part et lui souffler à l'oreille :« Que se passe-t-il? Qu'ont-ils donc tous à me traiter de cette

façon?- Je ne sais pas, répondit Olivier. On n'a rien voulu me dire.

Il paraît que tu as fait quelque chose de formidable!— Quelque chose de formidable? Je... je ne comprends

pas.»Son étonnement s'accrut encore lorsqu'elle constata que,

dans la salle à manger, M. Vercourt et Patrice la contraignaient à occuper la place d'honneur, à l'extrémité de la table, face à la fenêtre, cette place étant réservée habituellement à M. Vercourt lui-même.

« Mais enfin, pourquoi pourquoi? demanda-t-elle.— Parce que, aujourd'hui, c'est vous que nous fêtons,

Catherine, répondit Mme Vercourt. Le jour où Marinette et Alain seront officiellement fiancés, c'est Marinette qui occupera cette place. »

Ce petit discours fut suivi par une salve d'applaudissements. Catherine sentit son visage s'empourprer.

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« Je ne comprends toujours pas, insista-t-elle. De quelle fête parlez-vous? »

Ce fut, cette fois, un éclat de rire général.« En quelque sorte, c'est ta punition, dit Alain, la punition de

ta curiosité! Oui, nous te fêtons, mais tu ne sauras pas pourquoi, du moins pendant un certain temps. A ta santé, Catherine, et que la chance continue à te servir, même quand tu fais un faux pas! »

Tout le monde but donc à la santé de Catherine. Après cela, elle crut en avoir fini avec ces étranges plaisanteries. Comme elle se trompait! La situation ne fit qu'empirer. Les plaisanteries se multiplièrent. Chaque fois qu'elle portait son verre à ses lèvres, l'assistance entière criait :

« Catherine boit! »Ou bien :« Vive Catherine! »Ce supplice allait-il se prolonger? Etait-ce un fait exprès? Le

déjeuner paraissait traîner en longueur. Catherine mangeait du bout des lèvres. Elle regarda la grande pendule qui se dressait à l'un des angles de la pièce. Ayant constaté qu'il était deux heures et quart, elle en déduisit que les Dumoncel et ses hôtes avaient renoncé à l'excursion de Gavarnie. Brusquement, elle se rendit compte que, de tout l'après-midi, elle n'aurait pas un instant de liberté, et qu'il lui serait impossible d'aller, à trois heures, attendre M. Quillan à l'entrée de la grotte!

Elle se pencha vers Mme Dautril dont elle n'était séparée que par le petit Olivier.

« Tante Hélène... et M. Quillan? demanda-t-elle.— C'est vrai, répondit Mme Dautril. Où ai-je la

tête? Voici ce qui s'est passé. J'ai réussi à le décommander. Cela n'a pas été très difficile. Il possède une villa à Cauterets. Son nom figure dans l'annuaire téléphonique.

— Il ne viendra donc pas?— Je lui ai dit que l'affaire ne m'intéressait pas, au moins

pour l'instant. Du reste, il s'est montré fort aimable... »

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Ainsi, tout était réglé. Il n'y aurait pas d'ascenseur dans la grotte!

A deux heures et demie, M. Vercourt posa sa serviette sur la table, repoussa sa chaise et dit :

« Ne nous endormons pas. Il est grand temps de partir. »Tous les convives se levèrent, même Olivier et Catherine.

L'étonnement de ces derniers, celui de Catherine surtout, était extrême. Elle se demandait si elle ne s'était pas trompée. « Après tout, se disait-elle, ils ont peut-être décidé d'aller à Gavarnie. » Mais son instinct l'avertissait qu'il s'agissait d'autre chose.

Olivier protesta :« Papa, je n'ai pas fini ma glace aux fruits! »Catherine aurait pu élever la même protestation, car elle

n'avait pas mangé la moitié de sa glace. Elle garda néanmoins le silence. Ah! si elle avait pu passer inaperçue!

D'ailleurs, sur un ton de commandement, M. Vercourt donnait ses instructions :

« Nous disposons de trois voitures : ma 403, la 2 CV et la 4 CV de ma sœur. Il y aura deux départs, à dix minutes d'intervalle. La 403 et la 2 CV partiront les premières et ensemble. La 4 CV partira dix minutes plus tard. Dans la 403 prendront place : ma sœur Hélène ici présente, car il est normal qu'elle soit du premier voyage, M. Dumoncel, Marinette, Bruno, et moi-même au volant. Dans la 2 CV, il y aura Patrice, Alain et Nathalie. »

M. Vercourt se tourna vers sa femme :« Toi, Jeanne, tu prendras le volant de la 4 CV d'Hélène. A

ton bord, tu auras Marc, Catherine et Olivier. Surtout, n'oublie pas: tu partiras exactement dix minutes après nous.»

Il ajouta avec un regard à la ronde :« J'espère que nous sommes bien d'accord? »Sauf Catherine et Olivier, tout le monde répondit sur un ton

joyeux :« Oui ! »

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Après cela, les choses ne traînèrent pas. Les portes du garage furent ouvertes. M. Vercourt se mit au volant de la 403, Patrice à celui de la 2 CV. Les personnes désignées s'installèrent dans les deux voitures. La 2 CV démarra, franchit la grille. Avant de s'éloigner à son tour, M. Vercourt se pencha à la portière et recommanda de nouveau à sa femme :

« Dans dix minutes, n'est-ce pas? »Puis il appuya sur l'accélérateur et lança la 403 dans le

sillage de la 2 CV.Il n'y avait plus, > dans le jardin de la villa, que Mme

Vercourt, Catherine, Olivier et Marc.Naturellement, Catherine comprenait de moins en

moins ce qui se passait. Pourquoi ces recommandations, cet intervalle de dix minutes entre le premier et le second départ, ces embarras?

Le petit Olivier se tenait près d'elle. Il lui dit :« Ils ont perdu la boule! »Catherine ne répondit pas. Marc s'approcha d'elle :

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« Bravo, Catherine! Tu ne poses plus de questions. Tu commences à savoir maîtriser ta curiosité! »

Catherine commençait surtout à perdre patience. Après l'épreuve qu'on lui avait fait subir pendant le déjeuner, elle avait les nerfs à vif. Et maintenant, toutes ces cachotteries!

« Je me fiche de ce que vous faites! répliqua-t-elle, maussade. Moi, je reste ici!

— Voilà notre mascotte qui fait le mauvais caractère! s'exclama Marc, narquois.

— Votre mascotte? répéta Catherine.— Bien sûr », se contenta de répondre Marc du même air

moqueur.Catherine haussa les épaules et tourna les talons. Comme elle

se dirigeait vers la villa, Marc la rejoignit.« Tu montes peut-être dans ta chambre? demanda-t-il.— Non, je vais dans la salle à manger finir ma tranche de

glace.— Eh bien, je t'accompagne. »Catherine se rendit compte que Marc avait été chargé de la

surveiller.« Moi aussi, je vais finir ma glace! » dit Olivier.Dans la salle à manger, Marc s'assit près de Catherine.« Mets-toi bien dans l'esprit, reprit-il, que tu viendras avec

nous, que cela te plaise ou non. Ta présence est indispensable. D'ailleurs, si tu n'assistais pas à l'événement qui va se produire, tu ne t'en consolerais jamais! »

Catherine s'était juré de garder le silence. Mais Olivier, lui, n'avait pas les mêmes raisons de se taire.

« Quel événement? demanda-t-il la bouche pleine.— Celui qui va bouleverser la surface de la Terre

aujourd'hui même à trois heures dix exactement », répondit Marc.Il regarda la pendule :« Dans vingt-sept minutes pour être encore plus précis. »

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Et, s'adressant de nouveau à Catherine qui affectait de savourer sa glace :

« Toi, fais en sorte de te presser. Nous ne voulons pas que tu nous mettes en retard.

— Mais, enfin, où allons-nous? » insista Olivier. A ce moment, Mme Vercourt appela :

« En voiture, vite! »Catherine se leva à contrecœur et se laissa entraîner par

Marc, montrant bien par son expression qu'elle ne cédait qu'à la contrainte. Mme Vercourt était au volant de la 4 CV. Olivier s'assit près de sa mère. Marc et Catherine prirent place sur le siège arrière. La voiture démarra, sortit du jardin, tourna à droite, traversa Arcouze, s'engagea sur la route conduisant au Castel.

« Nous allons chez Mme Dautril, pensa Catherine. Elle va sans doute nous offrir le goûter. A quoi bon tous ces mystères ? »

Mais elle ne tarda pas à être détrompée. Au lieu de filer vers le Castel, la voiture virait à gauche et s'engageait dans le chemin raboteux, difficilement praticable, qui conduisait à la grotte!

Catherine sentit la sueur perler sur son front. On la ramenait sur le lieu de ses exploits ! Comme Marc la regardait de son air narquois, elle ne broncha pas et se contenta de serrer les lèvres.

Olivier, lui, était ravi.« Chic, on va à la grotte! » dit-il.La 4 CV s'arrêta à l'extrémité du chemin, près de la 403 de

M. Vercourt et de la 2 CV de Patrice. Mais il semblait n'y avoir personne dans les parages.

Mme Vercourt commença de gravir le sentier menant au Hêtre Pourpre. Olivier sautillait derrière elle. Catherine suivait Olivier, et Marc, l'œil sur sa « prisonnière », formait l'arrière-garde.

Bientôt, on aperçut la cime du Hêtre Pourpre, puis, après un coude, rassemblées au pied du grand arbre, toutes les personnes qui étaient parties dans les deux premières voitures.

Cependant, au lieu de se diriger vers elles, Mme Vercourt

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quitta le sentier et obliqua à droite à travers pierres et fougères, entraînant Olivier, Catherine et Marc dans son sillage.

Après trois cents mètres environ, Mme Vercourt s'arrêta.« Halte », dit-elle.Catherine se retourna. Elle vit alors le groupe du Hêtre

Pourpre se diriger d'un pas assez rapide vers elle et ses compagnons. Seuls M. Dumoncel et Bruno restaient près de l'arbre. Penchés en avant, ils en examinaient les racines dans leur partie apparente avec une attention inexplicable.

« C'est l'histoire de fous qui continue! » pensa Catherine.Au moment où il allait rejoindre sa femme, M. Vercourt jeta

un coup d'œil derrière lui pour s'assurer que tout le monde l'avait suivi. S'étant aperçu que M. Dumoncel et Bruno étaient restés au même endroit, il leur cria sur un ton où perçait une certaine nervosité :

« Que faites-vous là-bas? Venez. »M. Dumoncel consulta sa montre, et sa voix retentit

étrangement claire dans le silence de la montagne :« Pas de danger! Il y a encore six minutes! »M. Vercourt et son groupe n'étaient plus qu'à une vingtaine

de mètres. Catherine vit Mme Dautril qui lui souriait. Mais toutes les autres personnes — Patrice, Alain, Marinette, Nathalie — gardaient les yeux fixés sur le Hêtre Pourpre.

Olivier se tenait à côté de Catherine.« Encore une voiture! » s'exclama-t-il tout à coup.Il montrait une longue voiture blanche à capote noire qui

gravissait le chemin. Elle s'arrêta près des trois autres.« C'est la quatrième... celle qui nous suivait à dix minutes! »

dit Catherine ironiquement.Mais, ces mots à peine lancés, elle se mordit les lèvres.

L'homme qui descendait de la voiture noire et blanche, elle le reconnaissait... C'était M. Quillan! Elle croyait rêver. Que faisait-il à cet endroit? « Mme Dautril m'aurait-elle menti quand elle m'a assuré qu'elle l'avait décommandé? se disait Catherine. Non, ce n'est pas possible... A moins qu'on n'ait décidé de lui jouer

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un mauvais tour, comme on semble m'en préparer un. Il s'est montré si gentil, si serviable! Ce ne serait pas juste!... »

Elle se précipita vers Mme Dautril. Marc voulut la retenir.« Laisse-moi! » dit-elle énergiquement en se dégageant.Déjà, elle était au côté de Mme Dautril :« Tante Hélène, vous n'avez pas vu? C'est M. Quillan! Je

croyais que... »Mme Dautril regarda Catherine :« Encore un détail que j'ai oublié! Tout à l'heure, pendant le

déjeuner, nous avons été interrompues. M. Quillan m'a dit, à la fin de notre conversation téléphonique, qu'il viendrait peut-être tout de même... pour voir. »

Pour voir quoi? Catherine était plus déroutée que jamais. Et, pendant ce temps, M. Quillan gravissait le sentier, s'avançait à grands pas.

« Suis-je en retard? » demanda-t-il de loin en s'adressant à M. Dumoncel.

Celui-ci répondit :« Non, c'est nous qui sommes en retard. Sept minutes!— J'ai eu une crevaison en route, dit M. Quillan. J'avais bien

peur d'arriver quand tout serait fini! »Toujours à grandes enjambées, il continuait à se diriger vers

le Hêtre Pourpre. Mais, à ce moment, M. Dumoncel s'en éloigna lui-même en compagnie de Bruno, et il fit signe au nouveau venu d'aller se joindre au groupe des assistants.

Catherine constata que tous les visages avaient une expression inquiète. Patrice et Marc s'affairaient autour d'une caméra que le premier avait apportée et qu'ils braquèrent sur le Hêtre Pourpre. Naturellement, Olivier les bombardaient de questions :

« Pourquoi voulez-vous photographier le Hêtre Pourpre? Qu'est-ce qui va se passer? »

Mme Dautril alla à la rencontre de M. Quillan, échangea quelques mots avec lui. Puis elle le présenta à M. et Mme

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Vercourt, aux garçons, à Marinette, à Nathalie, et enfin à M. Dumoncel et à Bruno qui venaient de rejoindre le groupe.

Catherine s'efforçait de rester au dernier rang, de se cacher. Mais M. Quillan l'aperçut, lui adressa un sourire et lui fit un petit signe amical. Il avait l'air très détendu, parfaitement au courant de ce qui se tramait...

« Sommes-nous assez loin? demanda M. Vercourt à M. Dumoncel.

— Vous êtes à deux cents mètres au moins, répondit le professeur. Cela suffit. »

Il jeta un regard à son poignet :« Plus que deux minutes. »Toutes les respirations parurent s'arrêter. Un silence complet

s'établit dans l'assistance. Olivier lui-même ne semblait plus oser proférer un son.

« Plus que quinze secondes », annonça M. Dumoncel.Puis :« Plus que cinq secondes! »Ces dernières cinq secondes, Catherine ne devait plus jamais

les oublier. Soudain, il y eut une explosion formidable. La montagne semblait se fendre sous l'action d'un séisme. Des rochers volèrent en éclats. Des pierres furent projetées dans tous les sens. Un nuage de terre et de poussière s'élevait du sol, s'épanouissait en lourdes volutes. Et le Hêtre Pourpre, secoué comme un roseau, oscillait, chancelait.

Catherine porta les mains à son visage et ne put retenir un cri. La montagne continuait à cracher des pierres et de la fumée. A plusieurs reprises, le Hêtre Pourpre craqua, et il s'abattit dans un fracas de feuilles froissées.

Tous les assistants étaient restés immobiles et tendus pendant cette scène de cataclysme. Dès que l'arbre fut tombé, un cri jaillit de toutes les bouches :

« Magnifique! Bravo, monsieur Dumoncel! Bravo, Bruno!»Puis Catherine se vit entourée :

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« Vive Catherine... ou la curiosité récompensée! »On lui prenait les mains, on lui donnait de petites tapes sur

l'épaule. Elle perdait la tête. Elle aurait été bien en peine d'établir un lien entre ces congratulations et l'explosion qui venait de déchirer la montagne!

Tout à coup, ceux qui l'entouraient tournèrent les talons et la laissèrent en plan. Ils couraient vers l'arbre abattu! Bruno les précédait, et ce n'était pas lui qui courait le moins vite.

Catherine s'aperçut qu'une seule personne était restée près d'elle : son amie Nathalie.

« Voyons, ne reste pas là! dit Nathalie en l'entraînant. - Pourquoi ont-ils abattu le Hêtre Pourpre? » demanda Catherine.

Tout en courant, Nathalie lui jeta un regard de côté :« Tu n'as pas encore compris? Oh! cela m'étonne de ta part!»Piquée dans sa fierté, Catherine fit un nouvel effort pour

déchiffrer l'énigme. Et elle crut saisir la vérité. Mais c'était si beau qu'elle préféra garder le silence. Elle se contenta de courir plus énergiquement qu'elle ne l'avait fait jusque-là, et si vite qu'elle ne tarda pas à devancer Nathalie.

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Elle rejoignit le groupe qui s'était reformé, compact, bruyant, près de l'arbre couché sur le sol, géant foudroyé. D'une voix autoritaire, M. Dumoncel donnait des conseils de prudence:

« Attention! N'avancez plus. Il y a peut-être des chutes de pierres... Je vais entrer seul. »

L'explosion, en déracinant l'arbre, avait ouvert une excavation béante dans le flanc de la montagne. M. Dumoncel s'y enfonça.

« Je vous accompagne ! » décida M. Quillan, et il s'engouffra à son tour.

Catherine était figée par la stupeur, et elle ne savait que balbutier, sans souci de ceux qui l'entouraient :

« La seconde entrée! C'est la seconde entrée! »Bruno l'entendit. Il se tourna vers elle :« Tu vois, nous avions raison! Il y avait bien une seconde

entrée, celle par laquelle Ylaine prit la fuite. Les légendes ne sont jamais tout à fait des inventions.

— Mais... pourquoi l'as-tu compris aujourd'hui seulement?... Je veux dire : pourquoi as-tu compris aujourd'hui seulement que la seconde entrée se trouvait près du Hêtre Pourpre ? »

Cette question devait avoir quelque chose de saugrenu, car Catherine entendit autour d'elle des rires. Bruno, lui, ne riait pas. Il répondit :

« Ce n'est pas aujourd'hui que j'ai compris. C'est hier.- Hier?- J'étais couché ici même, sous l'arbre. Je lisais.- C'est vrai, dit Catherine. Je t'ai vu. J'ai fait un détour pour

entrer dans la grotte.- Moi aussi, je t'ai vue. Je t'ai laissée passer. Je me doutais

que tu voulais démolir l'étroiture, malgré notre défense. Je me disais : « Qu'elle fasse ce qu'elle voudra. « Si elle pouvait se donner un coup de marteau sur les « doigts! » Je ne pensais pas que tu pousserais la curiosité si loin. En tout cas, j'ai eu raison de te laisser entrer dans la grotte. Si je t'en avais empêchée, nous en serions toujours au même point. »

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Catherine s'apprêtait à poser une autre question. Mais, à cet instant, un bruit sourd provint de l'excavation où avaient disparu M. Dumoncel et M. Quillan, et la voix de M. Dumoncel retentit :

« Une petite chute de pierres. Ce n'est rien. Tout va bien. »Bruno se pencha.« Est-ce que ça passe? demanda-t-il.- Nous ne savons pas encore », répondit M.

Dumoncel.Autour de Bruno et de Catherine, on commençait à

s'impatienter. Patrice, Alain, Marinette, Marc, Nathalie, même M. et Mme Vercourt, brûlaient d'explorer eux aussi la seconde entrée. M. Vercourt fit entendre la voix de la sagesse.

« Soyons prudents, dit-il. Avant de nous aventurer là-dedans, soyons sûrs qu'il n'y a pas de danger. »

Catherine regarda Bruno.« Tu viens de me dire, que vous en seriez toujours au même

point si tu m'avais empêchée de me glisser dans la grotte. Je t'avoue que...

— Que tu ne comprends pas! s'exclama Bruno en prenant sa physionomie de dogue. C'est pourtant clair comme le jour! Tandis que je lisais bien tranquillement, une demi-heure peut-être après ton passage -- et je t'avais oubliée, je l'avoue - - j'ai entendu une sorte de grondement qui venait de l'intérieur de la montagne. J'ai prêté l'oreille. C'étaient comme des rochers qui s'écroulaient, qui roulaient. Puis quelqu'un braillait, et j'ai fini par reconnaître ta voix : « Au secours! Au secours! »

Catherine pinça les lèvres :« Je ne braillais pas! J'appelais. J'avais très peur.- C'est normal, fit Bruno sur un ton plus indulgent. Mais,

moi, vois-tu, ce n'est pas ta peur qui m'a préoccupé tout d'abord. Je me suis dit : « Pour que je l'entende « presque nettement, il faut qu'elle soit à courte dis-« tance. » De fait, M. Dumoncel m'a expliqué un peu plus tard certaines lois de l'acoustique... assez mystérieuses, et aussi que je ne devais être

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séparé de toi que par un écran relativement mince, un écran formé par de la terre et des pierres descendues au cours des siècles du sommet de la montagne et obstruant peut-être la fameuse seconde entrée... En tout cas, au bout d'un moment, je me suis dit : « II faut que je la tire d'affaire. » Mais, seul, j'en aurais été incapable. Aussi vite que possible, je suis allé au Castel demander de l'aide et j'ai téléphoné à la villa. Tout le monde est accouru.

- Et tu m'as trouvée au fond de ta galerie, dit Catherine avec une expression reconnaissante.

- Au fond de cette galerie qu'on me suppliait d'abandonner!» précisa Bruno en promenant autour de lui un regard où il y avait du défi.

Il était bien certain maintenant que personne n'oserait plus le contredire !

« Et après? » demanda Catherine.Ce fut M. Vercourt qui répondit :« Un jeu d'enfant! Ce matin, Catherine, pendant que vous

dormiez, nous avons passé plusieurs heures à creuser les rochers. Lorsqu'un trou assez profond a été

pratiqué, M. Dumoncel y a placé une puissante charge de dynamite pourvue d'une mèche, comme celles qu'on emploie dans les carrières. Puis, après le déjeuner, nous sommes venus ici avec dix minutes d'avance sur vous... pour pouvoir sans témoins allumer cette mèche. Et, comme vous avez pu le constater... »

M. Vercourt fut interrompu par un appel de M. Dumoncel :« Vous pouvez entrer! La voie est libre! »Bruno ne se le fit pas dire deux fois. Il se rua dans

l'excavation, en allumant une lampe qu'il venait de tirer de sa poche. Catherine lui emboîta le pas. Les autres -Marinette et Alain, Patrice, Marc et Olivier, M. et Mme Vercourt, Mme Dautril — suivirent dans une joyeuse bousculade.

L'antique galerie était assez spacieuse. Catherine s'approcha de M. Quillan qui était en train de déplacer un rocher.

« Alors, petite bohémienne, lui dit-il, êtes-vous satisfaite?

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- Bien sûr, répondit-elle. Mais vous, n'êtes-vous pas déçu?- J'aurais certes aidé avec plaisir Mme Dautril dans

son œuvre admirable. Mais je trouverai un autre moyen, soyez-en persuadée! »

M. Dumoncel, dont la lampe brillait à une vingtaine de mètres, cria de nouveau :

« Venez tous! J'aperçois la galerie creusée par Bruno. Evidemment, il y aura encore un gros travail de déblaiement. Mais la jonction est faite. »

De nouveau, il y eut une course précipitée dans la galerie. Quand tout le monde eut rejoint M. Dumoncel, celui-ci dirigea le faisceau de sa lampe entre deux rochers.

« Vous voyez, expliqua-t-il. Ce trou noir qu'il faudra élargir, c'est l'extrémité de la galerie de Bruno. Il y a même, semble-t-il, oublié une torche.! »

En effet, le métal cabossé d'une petit torche scintillait sur le sol.

« Non, non! s'exclama Catherine. C’est moi qui ai perdu cette torche hier, quand l'éboulement s'est produit. »

Bruno se tourna vers elle. Voulant cacher son émotion, il prit le ton de la plaisanterie :

« Tu vois, dit-il, tu as vraiment de la chance... Ta bonne étoile n'a pas pâli... »

Puis, cessant brusquement de rire, il posa sa main sur ses épaules et dit : « Je suis trop content! »

Un grand cri résonna sous les voûtes : « Vive Catherine ! » et Bruno l'embrassa sur les deux joues.

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