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    IBN ARAB LE DVOILEMENT DES EFFETS DU VOYAGELE DVOILEMENT DES EFFETS DU VOYAGELE DVOILEMENT DES EFFETS DU VOYAGELE DVOILEMENT DES EFFETS DU VOYAGE SOMMAIRE

    31 L'un des effets de ce voyage fut la connaissance de la composition, de la croissance et de la dissolution. Adam connut ainsi la constitution de son difice corporel selon la succession des cycles, contrairement la formation du Paradis qui s'accomplit en une seule fois pour celui qui peut la voir. Il sut aussi que dans le Paradis on aspire la jouissance et aux dlices; dans ce monde on aspire l'accroissement et la recherche de la science. Pour cette raison l'homme connat ici ce qu'il ne connat pas l-bas. Ce voyage produit de nombreux effets semblables. Mais les voyages sont nombreux et je crains d'tre trop long. Ce voyage adamique comporte des connaissances si nombreuses qu'il faudrait lui consacrer un recueil part et ainsi en est-il pour tous les voyages que nous avons mentionns et que nous mentionnerons dans ce livre. Complte donc ce que nous avons tu, en suivant ce dont nous avons dj parl, tu seras bien dirig, si Dieu veut Il est puissant et majestueux .

    32 le voyage d'Enoch (Idrs) sur lui la paix ou le voyage

    de la dignit et de l'lvation en lieu et degr83. Dieu exalt soit-Il dit: Et mentionne dans le Livre Enoch; il tait trs-vridique et prophte et nous l'avons lev en un haut lieu (19: 57)84. On dit qu'il fut le premier des fils d'Adam crire au moyen du calame85. Le premier influx spirituel du Calame suprieur fut pour lui sur lui la paix . Il avait t emmen en voyage nocturne jusqu'au septime ciel; tous les cieux se trouvrent donc embrasss par lui.

    83. Il est impossible de rendre le rapport linguistique entre lieu (makn) et degr (makna).

    84. Sur ce haut lieu, voir le Verbe d'Idrs, Fuss al-hikam, d. 'Aff, pp. 75-6 et 181.

    85. Cf. Futht I 327 chap. 327 o lui est attribu la science de l'criture ('ilm al-khatt).

    33 Sache que Dieu a fait de tous les cieux le rceptacle des sciences caches relatives aux tres qu'Il doit faire venir l'existence dans le monde: substance ou accident, petit ou grand, tat ou mutation. Il n'est de ciel o n'ait t dpose une science confie son gardien. Dieu a dpos la descente de Son ordre vers la terre dans les mouvements des sphres clestes et dans le passage de leurs astres par les mansions de la huitime sphre. Il a instaur pour les astres de ces sept cieux conjonctions et sparations, monte et descente. Il leur a confr des influences diffrentes et provoqu une attirance entre les uns, une rpulsion totale entre les autres. Ce qui provoque leur rpulsion est le dpt en l'un du contraire de ce qui est dpos dans l'autre, non qu'ils soient ennemis, mais Dieu ayant cr les habitants des cieux selon des ralits suprieures, elles entranent inluctablement ces oppositions. Il a vou ces tres l'obissance et la glorification de leur Seigneur: Ils ne dsobissent pas ce que Dieu leur a ordonn (66: 6). On rapporte ainsi de Mlik, le gardien du Feu, qu'il est cr de telle manire qu'il ne rit jamais, au contraire de Ridwn86,

    86. Le gardien du Paradis.

    87. Wakl : l'ange charg de ce ciel.

    88. Cf. Futht I 324 chap. 66 : sur ce verset, propos d'Idrs.

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    cr de joie et de gaiet. Or, ils sont tous deux des serviteurs pieux et obissants; aucune hostilit ni haine ne les opposent. Toutefois les effets de ces oppositions dans le monde infrieur sont suscits par ces ralits suprieures. La jalousie et l'hostilit interviennent entre nous, pris que nous sommes par nos propres intrts, mais leur origine remonte ces mmes ralits. L'absence de rpulsion entre deux tres en harmonie vient de ce que l'un a t existenci diffrent de l'autre, mais non comme son contraire; tout contraire est diffrent, mais tout diffrent n'est pas contraire. L'intendant87 du septime ciel est en opposition avec celui du sixime, tel point que lorsque la science de l'ange du sixime ciel doit passer sous l'autorit de l'ange auquel elle est confie dans le septime ciel, ce dernier corrompt ce qui a t instaur par le premier et rciproquement en passant du septime au sixime ciel. Pourtant ce n'est pas que l'ange corrompe ni qu'il instaure, comme nous disons, c'est qu'il se conforme l'ordre de son Seigneur et s'acquitte de ce qui lui est confi. Cet ordre est celui que Dieu a inspir aux cieux comme il le dit Lui-mme: Et Il inspira chaque ciel son ordre propre (41: 12)88.

    34 En admettant cela, tu dois savoir que ce fait ne porte nullement atteinte au credo; sinon quel sens aurait la parole divine et les toiles soumises par Son ordre (16: 12). Par quoi, mon frre, les a-t-Il soumises? Dieu n'a-t-Il pas soumis certains tres d'autres et n'a-t-Il pas dit: Et Il vous a levs les uns au-dessus des autres par degrs pour que les uns prennent les autres soumis leur service (43: 32), et Il a soumis pour vous ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre (45: 13)? Dieu dit donc qu'il y a des choses qui nous sont soumises dans le ciel, comme sur la terre. La foi d'un musulman n'est pas mise en cause parce qu'il sait ce qui a t inspir au ciel comme ordre et ce pour quoi son monde a t soumis. S'il n'en tait pas ainsi, on pourrait l'affirmer de tout ce qui est dans le ciel et la terre. Or, chaque moment nous avons recours aux causes que Dieu a mises en place pour nous et qu'Il nous a fait connatre comme soumises et non agentes. Nous nous rfugions en Dieu et je ne Lui associe rien (72: 20). Le Lgislateur n'a dclar mcrant que celui qui croit que l'acte revient aux astres et non Dieu ou qu'Il agit par leur intermdiaire; croire cela est mcrance et associationnisme, mais non pas considrer qu'ils sont soumis et qu'ils suivent le cours que leur a assign la sagesse divine. Bien plus, ignorer ce que Dieu a dpos dans les astres, ce qu'Il leur a inspir et ce qu'Il a plac en eux comme effets de Sa sagesse, c'est laisser chapper abondance de bien et grande science. Et qu'y a-t-il aprs la vrit si ce n'est l'erreur ? (10: 32).

    35 Enoch sur lui la paix sut par la science que Dieu lui

    avait inspire que Dieu avait li entre elles toutes les 89. Sur les mouvements lents et

    rapides des sphres, voir galement Futht III 417 chap.

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    parties du monde et soumis certains tres d'autres. Il vit que le monde des lments est rserv aux tres engendrs. Il considra les conjonctions et les sparations des astres dans les mansions clestes, les diffrences entre les tres et les mouvements des sphres, les uns rapides, les autres lents. Il sut qu'en rglant sa marche et son voyage sur le mouvement lent, il faisait entrer le mouvement rapide sous l'autorit de ce dernier, car le mouvement est circulaire, non rectiligne, et le cycle d'un tre petit et rapide doit ncessairement revenir celui qui est lent. Il apprit ainsi, en ctoyant celui qui avance avec pondration, la raison d'tre de celui qui va vite89. Comme Enoch ne vit tout cela que dans le septime ciel, il y resta trente ans suivre sa rotation travers la sphre des constellations du zodiaque. Il se tenait au centre de la rotation exerce par l'intendant de ce ciel, ainsi que dans la sphre portant la sphre de la rotation et dans la sphre portant les sphres des rotations, celle que parcourt la sphre des signes du zodiaque. Ayant eu la vision de ce que Dieu avait inspir dans le ciel ainsi que des astres prs d'entrer en conjonction avec le signe du cancer, il sut que Dieu allait inluctablement faire descendre une quantit d'eau immense et un dluge gnral. Grce ce qu'il avait ralis comme science en parcourant les degrs de cette sphre, il reut une science la fois totale et distinctive.

    371.

    36 Puis il redescendit, et choisit parmi les adeptes de sa religion et de sa loi, ceux chez qui il avait reconnu sagacit et pntration. Il leur enseigna ce qu'il avait contempl et ce que Dieu a dpos comme secrets dans ce monde suprieur. Parmi ce dont la connaissance a t dpos dans les cieux, un immense dluge, l'anantissement des hommes et l'oubli de la science. Voulant que cette science perdure pour ceux qui viendraient aprs, il ordonna qu'on l'inscrivt sur les rochers et les pierres. Par la suite, Dieu l'leva dans le haut lieu. Il descendit dans la sphre du soleil, la quatrime, au centre des sphres clestes correspondant au cur, car au-dessus se trouvent cinq rgions et de mme au-dessous. Dieu lui octroya au cours de ce voyage par lequel Il l'leva vers Lui, la station de ple et la constance. Il fit tourner toute chose autour de lui. Auprs de lui se runit ce qui monte et ce qui descend. Ce voyage produisit pour lui comme effet, la science du temps et des sicles et de ce qui doit advenir, or la science du temps est l'une des connaissance infuses les plus sublimes. Un autre de ses effets fut la connaissance de la ralit spirituelle de la nuit et du jour et de ce qui y trouve repos90.

    Celui qui, comme Enoch, voyage vers le monde de son cur, voit le monde anglique le plus grandiose et lui se manifeste la thophanie du monde suprme de

    90. Cf. Coran 6 : 13.

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    la Toute-Puissance. Il aperoit aussi le secret de la vie, esprit par lequel elle se propage dans tous les animaux. Il fait la diffrence entre l'esprit de beaucoup et l'esprit de peu, rend chacun son d, a connaissance des degrs de ses propres mes infrieures et de ses esprits suprieurs, de la faon dont les consquences jaillissent des principes et comment les consquences retournent leurs principes, ainsi que la forme de l'univers et la sagesse divine qui prside au cycle et autres connaissances semblables. Ceci suffit pour le voyage d'Enoch sur lui la paix .

    37 le voyage du salut ou le voyage de No sur lui la paix .

    No sur lui la paix sut qu'approchait le temps de la conjonction astrale que Dieu dans Sa sagesse avait dtermine et provoque91. Il vit qu'elle se produirait dans le signe du cancer dont l'lment est l'eau. C'est dans ce signe changeant et instable que Dieu a cr le monde d'ici-bas. Quand on entra dans ce signe et que l'ascendant de ce monde concida avec lui, Dieu voulut par son anantissement et sa permutation vers la demeure dernire, lui confrer un ascendant semblable et stable, le lion. Telle est la sagesse d'un tre omniscient !

    No sur lui la paix se mit construire l'arche. Le signe de sa prophtie ne rsidait ni dans cette conjonction ni dans le Dluge, car certains savants parmi ses compagnons pouvaient en avoir eu la science et la partager avec lui. Il reut donc le Four (al-Tannr)92 comme signe. S'il avait annonc cette conjonction, il se serait agi d'une science et non d'un miracle prophtique. C'est pourquoi son peuple se moqua de lui et sans doute aussi les astronomes de son poque. Il advint ensuite ce que l'on sait et son fils resta en arrire car il se rendit coupable d'une uvre impie et il fut parmi les noys (11: 43).

    91. Ou, selon la lecture de B : et dont le pouvoir allait s'exercer (ajr hukmahu au lieu de ajrhu hikmatan).

    38 No emmena ses compagnons en voyage. Il fit entrer dans l'Arche un couple de chaque espce (11: 40) et dit: Embarquez ! Au nom de Dieu est sa course et son ancrage; certes mon Seigneur est trs-pardonnant trs-misricordieux (11: 41), quand le Four se mit bouillonner et que les nues grosses de pluie mirent bas leur fardeau. Dans cet anantissement, les deux eaux furent runies: celle de la terre et celle du ciel. Dans sa course, l'Arche portait No et les siens travers des vagues comme des montagnes. No appela: mon fils, monte avec nous! (11: 42) et le fils de rpondre: Je me rfugierai sur une montagne qui me protgera de l'eau, et No sur lui la paix de rpliquer: Rien ne protge aujourd'hui contre l'ordre de Dieu si ce n'est ceux qui Il a fait misricorde (11: 43), c'est--dire les passagers de

    92. Sur ce terme coranique, cf. Claude Gilliot, Exgse, langue et thologie en Islam. L'exgse coranique de Tabari, Paris, 1990 p. 105. L'interprtation que donne Ibn 'Arab ci-dessous concide avec celle de 'Al, pour qui ce mot signifiait l'illumination de l'aurore (tanwr al-subh), cf. Tabar, Jmi al-bayn XV 318-9. Selon Ibn 'Arab, l'expression coranique fra l-tannr signifiait mtaphoriquement chez les Arabes l'apparition de la clart de l'aube (daw' al-fajr) ; cf. Futht I 493, propos de la prire surrogatoire de l'aube et I 608, propos du dbut du temps du jene. Le verbe fra associe l'eau et le feu, puisqu'il signifie jaillir

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    l'Arche. L'invocation prononce auparavant par No, ne laisse pas sur la terre le moindre des incroyants (71: 26), avait t exauce. Ceux qui s'taient rfugis sur la montagne et tous ceux qui n'taient pas dans l'Arche se noyrent. Alors du non-manifest se fit entendre l'appel du Soi. En effet, Celui qui lana l'appel ne se mentionna pas Lui-mme et n'usa pas directement du vocatif93. La terre engloutit son eau, le ciel s'arrta et l'eau diminua. L'Arche du salut s'tablit sur le mont Jd, allusion la gnrosit (jd) divine. Depuis cette station fut prononce cette parole: Banni soit le peuple des injustes ! (11: 44), ceux qui s'taient moqus.

    pour l'eau, bouillonner pour la marmite et rougeoyer de chaleur pour le four.

    39 Sache, secret subtil tabli par Dieu un rang analogue celui de Son prophte No sur lui la paix , que Dieu Il est puissant et majestueux a achev ton arche et l'a faonne de Ses Mains par Son inspiration. Quand Dieu inspirait l'Arche, celle-ci se trouvait par Son il, autrement dit conserve en Dieu qui la faisait voir No94. Dieu dit, s'adressant ce secret: qui es-tu pour que Dieu accomplisse vers toi une telle descente, depuis la station du Moi divin de surcrot? Ton me ordonnant le mal, ton satan, ton monde d'ici-bas, ta passion ne cessent ensuite de se moquer de toi tant que tu difies cette arche qui est la constitution du salut. Le four, le rceptacle du feu ton ct dit: de l sortira l'eau. Eux, convaincus qu'une chose ne peut en aucune faon se transformer en son oppos, se sont moqus et ont dit No: tu n'es qu'un niais. Ils n'ont pas fait la diffrence entre le rceptacle du feu et l'eau par ignorance de la substance et des formes du monde. S'ils avaient su que le feu est une forme dans cette substance tout comme l'eau, ils ne se seraient pas moqus. S'imaginant que l'eau et le feu sont tous deux une substance distincte s'opposant ensuite l'une l'autre, ils trouvrent absurdes les paroles de No et se moqurent de lui. Toi qui t'occupes difier ton arche, l'arche du salut, et te prpares recevoir, sur l'ordre de Dieu, Son Commandement qui est une manifestation du Moi, rponds aux moqueurs que s'ils prissent dans une chose, ils lui seront vous sans pouvoir jamais en sortir. Embarque dans ton arche par le b' qui est le nom d'Allh, redresse l'alif de la ralisation de l'unit entre le b' et le sn de bismi 95. Tu ne verras pas ici le Tout-Misricordieux le Trs-Misricordieux, car Nous restons en arrire de ton arche. Sa course s'accomplit par le b', particule d'abaissement, ainsi que son ancrage au rivage de la gnrosit divine. Par la gnrosit (jd) est apparue l'existence (wujd), et sur le mont Jd s'est manifest ce que contenait l'Arche. Fais sortir de ton arche un couple de chaque espce pour l'engendrement et la procration, car tu es le produit de la multiplication du monde suprieur par le monde infrieur, toi et tous les tres engendrs. La prsence du couple est indispensable dans ce voyage

    93. Allusion au verset, simplement voqu : Et il fut dit : terre, engloutis ton eau ; ciel, arrte-toi et l'eau dcrt....

    94. Allusion au verset 11 : 37 : Faonne l'Arche par Nos yeux et Notre inspiration....

    95. Allusion au verset 11 : 41 Au nom de Dieu est sa course et son ancrage . Comme dans la basmala l'alif de ism nom est occult et reprsente donc l'unit divine ou l'Essence inconnaissable, le b', comme dans la basmala, contient le reste de la formule.

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    d'anantissement. 40 L'eau symbolise la science, la vie provenant de l'une

    sur le plan sensible, de l'autre sur le plan spirituel. Aussi prirent-ils par l'eau pour avoir refus la science. L'eau provenait du Four parce que c'est en cette eau qu'ils avaient mcru, rejetant la science que No leur avait transmise de vive voix par la langue du four de son corps. Ils ne surent pas qu'il traduisait ainsi la signification du Four, qui est la lumire absolue. L'eau du Four voila pour eux le four (tannr), et ils ne comprirent pas qu'il s'agissait de la lumire (nr) laquelle s'tait ajout le t' de l'achvement (tamm) de la constitution humaine par l'existence du corps. La lumire devint four, c'est--dire une lumire accomplie dans le monde du Royaume, la lumire du t' et son lieu de manifestation.

    L'ignorance les conduisit galement dclarer absurde la transmutation. S'ils avaient regard le Four, ils l'auraient considr comme la source de l'eau. Il n'y a d'opposition sous aucun rapport entre l'un et l'autre, car le froid embrasse [les autres tats de la matire]. Ils ignorrent le secret de Dieu dans la nature et le secret de Dieu dans le rle privilgi du Four, et ils prirent. Tous ceux qui No avaient adress la parole ne prirent que par l'eau du Four, car ils n'avaient rien refus d'autre. Le reste du monde prit la fois par l'eau du Four et par celle du ciel. Cette dernire est celle de la roue godets qui recueille l'eau distille dans l'alambic du froid glacial et retourne son origine. Dieu Il est puissant et majestueux fait prir par le feu, mais ici, cause de l'intervention de la mission prophtique, le feu fut introduit dans l'eau, car la jambe n'a pas encore t dcouverte96. Le feu fit sortir les humidits et les vapeurs et commena de s'lever en redevenant de la vapeur. Il se mit exercer dans l'air la mme action que la roue de la noria quand elle fait monter l'eau du puits. Il continua s'lever jusqu' atteindre le cercle du froid glacial et retomba en goutte de pluie par la dtermination du Tout-Puissant le Trs-Sage. Les cercles de la dtermination ne cessent de tourner dans la sphre de la formation des tres dans ce monde et dans l'autre.

    Un des effets de ce voyage est de faire connatre que la Sagesse divine97 peut s'interrompre, alors que la Toute-Puissance continue de s'exercer sur le couple pour la reproduction; que la sagesse divine, si elle n'est pas d'ordre suprieur, n'est pas authentique; que de la Gnrosit dpend le salut. Ne vois-tu pas que Mose sur lui la paix lorsqu'il invoqua Dieu pour qu'Il fasse prir son peuple, Lui demanda de lui infliger l'avarice. Devenus avares, ils coururent leur perte. Il apparut aussi que la Parole divine s'oriente ncessairement vers chaque tre dans le monde; tantt partir du non-manifest du non-manifest, s'il

    96. Expression coranique (68 : 42) signifiant l'arrive de l'Heure, soit parce qu'elle dvoilera une ralit jusqu'alors cache, soit pour voquer la peur panique de celles qui s'enfuient en retroussant leur robe.

    97. Qui prside la marche du monde.

    98. Dsignation en grammaire arabe de la voix passive.

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    s'agit de la voix o l'agent n'est pas nomm98: Sera amene ce jour-l la Ghenne (89: 23) ou il fut dit: bannis... et il fut dit: terre absorbe ton eau (11: 44); tantt par le Nous: Lorsque Nous dmes...; tantt par la Divinit: Dieu dit; tantt encore par la Seigneurie: Ton Seigneur dit.... Toute parole dpend du nom qui lui est attach.

    Celui qui accomplira le voyage de No connatra certaines des sciences relatives au monde intermdiaire et craturel. C'est au cours de ce voyage que l'on apprend le Grand uvre. C'est pourquoi ce dernier s'achve par la Gnrosit qui est sa raison d'tre. En voici assez sur le voyage de No; dire son secret serait trop long.

    41 le voyage de la guidance ou le voyage d'Abraham, l'Ami intime sur lui la paix .

    Je vais vers mon Seigneur; Il me guidera (37: 99). Dieu lui offrit comme hospitalit la ranon de son fils, quand il descendit chez Lui. La jouissance grandit en effet la mesure de l'amertume de la peine. Aprs avoir reu la bonne nouvelle que sa prire avait t exauce: Seigneur, fais-moi don d'un enfant d'entre les saints! (37: 100), l'objet de cette nouvelle fut une source d'preuve pour lui, car il avait demand Dieu autre chose que Lui. Dieu est jaloux et Il prouva Abraham en lui demandant le sacrifice de son fils, ce qui tait encore plus terrible que de lui demander le sacrifice de son me, qui ne lui opposait d'autre adversaire qu'elle-mme, et que par la moindre des penses il pouvait repousser sans avoir beaucoup combattre. Tandis que dans l'preuve du sacrifice de son fils, le grand nombre de ses adversaires lui imposaient un combat d'autant plus fort. Il fut donc prouv par le sacrifice de ce qu'il avait demand son Seigneur, ralisa l'origine de cette preuve et, sous la loi de l'vnement, ce fut comme si, bien que toujours vivant, il avait lui-mme t sacrifi. C'est alors que lui fut annonc Isaac sur lui la paix sans demande de sa part. Il reut tout la fois ranon et substitution, tout en gardant celui auquel Isaac avait t substitu et runit acquisition et don. Le sacrifice est une uvre acquise par Abraham du fait de Sa demande, et donne de par la ranon qu'il n'avait pas demande. Isaac fut donn et Ismal runit en lui les aspects d'acquisition et de don. Il fut pour son pre la fois acquis et donn. La perfection de sa ralit essentielle lui valut de porter dans ses reins Muhammad que Dieu rpande sur lui la grce et la paix ou plutt c'est parce que Muhammad se trouvait dans ses reins, qu'Ismal bnficia de cette perfection et de cet accomplissement. C'est pourquoi dans notre loi les btes sacrifies sont pour nous une ranon qui nous dlivre du feu.

    42 Celui qui cherche accomplir ce voyage de la 99. Deux interprtations du

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    guidance accorde par Dieu, qu'il ralise pleinement le monde de son imagination, o les ralits suprieures doivent descendre sur lui. La difficult de cette tape vient de ce qu'elle est un lieu de passage, non recherch pour lui-mme, mais pour ce qui doit s'y accomplir. Ne franchit cette tape que l'homme vritable. On appelle interprtation du songe (ta'br al-ru'y) l'action de passer ('ibra) car l'explication passe du songe sa signification. Le Prophte que Dieu rpande sur lui la grce et la paix passa ainsi du lien la fermet dans la religion et du lait la science99. Une fois arriv, on trouve. Si l'Ami intime de Dieu sur la paix tait pass de son fils au blier, il aurait vu la ranon avant son occurrence et il se serait conform l'ordre divin le cur serein, ayant connaissance de l'aboutissement final100. Mais la demande son Seigneur autre que son Seigneur le plongea dans une obscurit qui l'empcha de franchir ce passage, car il est impossible de passer dans l'obscurit, on ne sait o poser le pied. Il n'aurait pas connu alors une telle jouissance ni une grce divine aussi visible. La ranon fut le blier, maison zodiacale de la haute noblesse101 du centre et esprit du monde, la plus noble et la plus leve des maisons zodiacales. Le blier fut le substitut du corps d'Ismal non de son esprit, car le corps et la maison ont ceci en commun: le sacrifice n'affecte que le corps, et la destruction et la ruine ne touchent que les maisons.

    Prophte : la premire dans un hadth indiquant certaines cls pour l'interprtation ; la seconde, propos d'une vision o le Prophte se voit boire du lait et donner le reste 'Umar. Cf. Bukhr, Sahh, ta'br, 14-5 et 24, IX 45 et 47-8.

    100. Sur l'absence d'interprtation de la vision par Abraham, voir galement Fuss al-hikam, p. 85. On remarquera que dans cet ouvrage, le sacrifice et l'interprtation sont traits dans le Verbe d'Isaac.

    101. Pour rendre les deux sens du mot sharaf, noblesse et lvation au sens spatial.

    43 Quand l'homme voyage dans le monde de son imagination, il doit le dpasser pour arriver celui des ralit suprieures. Il voit alors les choses telles qu'elles sont et reoit le don absolu qui n'est conditionn par aucune uvre d'acquisition; il tire sa nourriture d'au-dessus de lui alors qu'auparavant il la tirait de dessous ses pieds102. Le don divin procure la permanence en Dieu au contraire de la contemplation103. Il est donc crasement (sahq)104 et non effacement (mahq)105. Celui qui est cras voit spares toutes les parties de lui-mme. Son loignement est donc encore plus grand que l'tat d'effacement. Si Abraham n'avait commenc sa prire en disant: Fais-moi don d'un enfant d'entre les saints!, il aurait reu comme bonne nouvelle une contemplation, non Isaac. Isaac crasa (ashaqa Ishq) celui qui demandait une crature, en l'loignant de l'effacement de son tre. Cette bonne nouvelle faisait donc allusion la station de l'loignement impossible. En effet, les choses divines descendent selon la prdisposition du rceptacle, qui tait ici insuffisamment dpouill et tourn vers Lui. Comment lui ferait-Il don de l'tre106, alors qu'il ne pourrait le recevoir? Le Donateur est trs-Savant et trs-Sage; l'instant est juge et le fils procde du monde du partage ('alam al-tabdd)107.

    102. Cf. Coran 5 : 66 : S'il s'en tenaient de faon droite la Torah, l'Evangile et ce qui leur a t rvl, ils mangeraient d'au-dessus d'eux et de dessous leurs pieds ...; allusion, selon Ibn 'Arab, aux sciences inspires et aux sciences acquises par les uvres. Cf. Futht II 488 chap. 206, 594-5 chap. 276, III 439 chap. 371.

    103. Car la contemplation, rsultat d'une acquisition, conduit l'extinction.

    104. Jeu de mot sur le nom d'Isaac en arabe : Ishq, qui est en mme temps le nom d'action du verbe ashaqa, de mme racine que sahq, l'crasement, mais signifiant loigner ; cf. l'expression ashaqa-hu 'llh que Dieu l'loigne.

    105. Sur cette notion, cf. Futht, II 554 chap. 155.

    106. Al-'ayn : l'identit de l'tre.

    107. Tabdd vient de baddada qui signifie sparer (=farraqa), mais un autre verbe de la mme racine: badda signifie donner chacun sa

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    part (budda). Tabdd connote donc les sens de don, de sparation et de fragmentation.

    44 le voyage o l'on avance sans se retourner ou voyage de Loth vers Abraham, l'Ami intime sur lui la paix et sa runion avec lui dans la Certitude.108

    La tradition rapporte ce sujet est connue et conserve par les savants. Mais nous devons en rechercher l'esprit dans la transposition de son sens.

    Sache que le nom mme de Loth (Lt) est un nom noble et plein de majest, car il confre l'attachement la Prsence divine109, qui lui fait dire: ...ou si je pouvais me rfugier vers un soutien solide (11: 80). Par le soutien il entendait la tribu. On ne peut passer en effet d'un soutien divin un soutien craturel. L'Envoy de Dieu sur lui la grce et la paix lui en rendit tmoignage en ces termes: Dieu fasse misricorde mon frre Loth, il se rfugiait vers un soutien solide110. Combien sont excellents le tmoin et celui pour qui il tmoigna ! Parce qu'il s'appuyait sur Dieu et adhrait Lui dans la science divine, il fut appel Lt et ne fut reli aucun autre que Dieu. Il lui accorda le voyage de nuit (sur)111, voyage dans le non-manifest, parce que ce terme ne s'emploie que pour la marche de nuit. Il lui fut dit: ... Emmne de nuit les tiens..., ce qui signifie par transposition de sens, mais non du point de vue de l'exgse: la totalit de ton essence afin de contempler toutes les ralits ...sauf ta femme... (11: 81): nous transposons en nous: l'ordre d'abandonner l'me commandant le mal, laquelle ne prend pas part aux ascensions suprieures du cur. Il se rendit al-Yaqn (la Certitude), lieu connu sous ce nom. Abraham l'y attendait, car il y sjournait. C'est pourquoi le Prophte sur lui la grce et la paix dit: Nous avons plus de raison de douter qu'Abraham112, sachant qu'Abraham se tenait dans la Certitude. Le prophte Loth gagna cette station. l'aube, la certitude lui vint, car le lever du soleil et le dvoilement des choses visibles aprs leur occultation procurent la certitude sans le moindre doute.

    108. Yaqn ou Yqn, localit sur la route entre Jrusalem et Hbron o s'tait rfugi Loth aprs sa fuite de Sodome. Voyant le chtiment tomber sur les villes maudites, il se prosterna en disant : J'ai la certitude que la promesse de Dieu est vrit . Un oratoire avait t difi cet emplacement, signal par Haraw, Guide des lieux de plerinage, texte arabe, Damas, 1953, pp. 29-30. Ibn 'Arab le visita en 602 H. et composa l'emplacement mme de la prosternation de Loth le Kitb al-yaqn, un opuscule sur la notion coranique de certitude, en rapport notamment avec certains passages concernant Abraham. M. Michel Chodkiewicz m'a aimablement communiqu une copie d'un des manuscrits d'Istanbul : Yahya Efendi 2415 f. 121b-125. Cf. O. Yahya, Histoire et classification de l'uvre d'Ibn 'Arab, Damas, 1964, n 834.

    109. Le nom Lt est rapproch ici du verbe lta-yaltu. Intransitif, il signifie s'attacher ; transitif, joindre.

    110. En regrettant l'absence de soutien humain, Loth montre qu'il ne se rfugie qu'en Dieu. Sur cette parole du Prophte, cf. Tabar, Jmi' al-bayn, d. M. Shkir XV 419-22 ; Futht IV 53 chap. 440 et Fuss, p. 127.

    111. Sur est de mme racine que isr' voyage nocturne, toutefois la forme verbale de ce dernier terme

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    comporte en plus l'ide d'tre emmen en voyage.

    112. Parole prononce propos de Coran 2 : 260 : Et lorsqu'Abraham dit : Seigneur, fais-moi voir comment Tu ressuscites les morts. Il demanda : Ne crois-tu pas ? Si, rpondit-il, mais afin que mon cur soit apais . Cf. Tabar, Jmi' al-bayn, V 490.

    45 Voici un exemple de la part que nous pouvons prendre au voyage de Loth et de mme pour tout voyage dont je traite ici. Je n'en parle qu'en visant ma propre essence et non l'exgse de l'histoire survenue ces prophtes. Ces voyages sont des ponts et des passerelles difis pour que nous passions dessus vers nos essences et nos propres tats. Nous y trouvons notre profit, car Dieu en a fait pour nous un lieu de passage. Nous te contons, parmi les histoires des envoys, de quoi affermir ton cur; travers ces histoires est venue toi la Vrit et un rappel pour les croyants (11: 120). Quelle pertinence dans la parole divine en elles t'est venue la Vrit et dans un rappel de ce qui est en toi et chez toi et que tu as oubli; ce que Je t'ai cont te rappelle ce qui est en toi et ce sur quoi J'ai appel ton attention. Tu sauras alors que tu es toute chose, en toute chose, de toute chose.

    Quant moi si je suis de toute chose, je suis avec le Vrai en toute chose. Je suis une ombre par Lui manifeste Si je suis une ombre, je suis une ombre qui s'tend113

    Ma chute et ma monte vers Lui sont identiques sous le plus heureux des astres pour tout tre vivant. Ma direction l'emporte sur toute direction, et mon garement sur tout garement. De mme qu'Il est avec tout mort ou vivant, Il est en toute chose dploiement ou repliement. Et Dieu dit la vrit et Il guide sur la voie.

    113. Le premier terme employ dans ce vers est zill, l'ombre en gnral ; le second, fay', l'ombre qui s'tend avec le dclin du soleil.

    46 le voyage de la ruse et de l'preuve dans l'histoire de Jacob et de Joseph sur eux deux la paix .

    Sache que lorsque Dieu honore un serviteur, Il l'emmne en voyage dans la servitude. Il dit Il est puissant et majestueux : Gloire Celui qui a fait voyager de nuit Son serviteur, en l'appelant du plus noble des noms, selon Lui, parce qu'un serviteur ne peut s'embellir d'une parure plus belle et plus somptueuse que l'excellence de sa servitude. La

    114. Le fait que dirhems soit au pluriel indique un nombre de trois dix, car au-del le nom qui suit un nombre reste au singulier.

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    Seigneurie ne revt en effet de Ses ornements que ceux qui ont pleinement ralis la station de la servitude absolue.

    O toi qui ressembles Joseph dans sa beaut, tiens compte aussi de celui qui ressemble Jacob. Sa patience pour endurer votre loignement dpasse celle de Job. N'tait notre imperfection, nous nous dirions satisfaits, mais l n'est pas ce que je recherche. Ce que je lui demande, c'est ce qu'il sait; tel est mon dsir. Ce qui me spare de ce que je lui demande, c'est l'union avec mon bien-Aim.

    Sache que celui qui a pleinement ralis la station de la servitude absolue est expos l'preuve. De plus, dans ce sjour terrestre, personne ne peut jouir d'une dignit ni d'un repos parfaits. Joseph sur lui la paix , ayant reu la dignit de la beaut, fut prouv par l'humiliation de l'esclavage. Malgr cette beaut suprieure et irrsistible, il fut vendu pour un vil prix, pour le compte de quelques dirhems (12: 20) de trois dix114, sans plus, expression extrme de l'humiliation face l'extrme dignit de la beaut.

    Dieu ta la misricorde du cur de ses frres, alors que la beaut est toujours, et sous tout rapport, objet de misricorde. Cela montre que les cratures ne dtiennent de l'ordre divin que la capacit d'agir sous Sa contrainte. Par cette humiliation immense s'effaa la dignit de cette beaut contingente. Joseph garda ds lors au cours de son voyage l'me sereine, rendu digne par la dignit divine. L'histoire est connue et ce n'est pas notre propos de l'voquer dans son monde propre. Il est utile par contre de la mentionner dans notre monde, je veux dire le monde humain du point de vue de l'me.

    47 Sache que lorsque Dieu exalt soit-Il voulut que l'me croyante voyaget vers Lui, Il la racheta ses frres, qui sont l'me ordonnant le mal et l'me se blmant elle-mme, pour un vil prix: les contingences de la vie immdiate. Il la spara de son pre, l'intellect, qui resta attrist, pleurant sans cesse. En effet, l'inspiration divine et le soutien seigneurial que recevait l'intellect n'taient destins qu' cette me. C'est grce elle qu'il se rcrait dans la Prsence divine. Spar d'elle, il ne cessa de pleurer jusqu' en perdre la vue. Sans tre aveugle de naissance, quand l'obscurit s'paissit et voile les choses visibles, on devient aveugle, mme si la vue subsiste et permet de voir l'obscurit. La tristesse est un feu et le feu donnant de la clart, il fut dit de Jacob: Et ses yeux blanchirent de tristesse (12: 84), parce que la

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    blancheur, couleur corporelle, correspond la clart, lumire spirituelle.

    48 Quand il fut vendu et acquis par son matre, il fut dit la femme qui reprsente l'me universelle: reois-le gnreusement (12: 21). Par gnrosit envers lui, elle se donna lui. Quand les mes particulires le virent extrieur elles-mmes, elles s'exclamrent: Ce n'est pas un tre humain; ce ne peut tre qu'un ange noble! (12: 31), car elles l'avaient vu se sanctifier en se tenant l'cart des dsirs physiques. Ceci prouve son impeccabilit qui l'empcha de penser commettre le mal, car l'ange n'est en aucune manire port au mal. Aussi l'me universelle les corrigea-t-elle en disant: Il s'est montr impeccable et s'il ne fait pas ce que je lui commande, il sera mis en prison (12: 32). Lorsqu'il voulut aller vers elle (12: 24) pour s'emparer, sans en avoir reu l'ordre divin, des ralits suprieures que Dieu avait dposes en elle, Il fut jaloux de ce que Son serviteur agisse sans Son ordre. Il lui fit apparatre dans son secret intime la preuve vidente de sa servitude. Joseph s'en souvint et se retint d'agir sans l'ordre de son matre. L'me l'enferma alors dans la prison de son difice corporel. Il ne cessa d'implorer intrieurement son Seigneur par la servitude absolue, si bien que l'me finit par reconnatre que c'tait elle qui l'avait appel, non lui et le matre confirma son innocence et sa fidlit. Or, s'il avait pens mal, il n'aurait pas t fidle, et s'il avait commis la faute, il n'aurait pas t innocent. C'est pourquoi Dieu dit: Afin que Nous cartions de lui le mal et la turpitude (12: 24). Penser mal est un mal. Comme il en tait prserv, il ne pouvait y penser. La royaut et la matrise dont Dieu l'investit succdrent pour lui la servitude craturelle extrieure.

    49 Puis la rgion de l'Intellect, qui est le pre, connut la

    scheresse. Celui-ci entendit parler de l'opulence qui rgnait dans la ville de son fils. Mais tant aveugle, il ignorait que ce ft son fils. Joseph lui dpcha le lien de parent maintenu115 pour lui rendre ce qui lui avait t confi. Il lui envoya la chemise qui gardait son odeur. Lorsque Jacob, aveugle, en respira l'odeur et la jeta sur son visage, il la vit. Il se mit en route vers Joseph de sa propre initiative et voyagea en toute dignit, l'inverse de l'humiliation de son fils. Quand il entra en prsence de Joseph, il se prosterna, parce que ce dernier tait alors le matre qui lui donne de la part de Dieu ce qui maintient son essence et rjouit son existence.

    Il apparat donc clairement ici que l'me est reprsente par Joseph sous divers aspects. L'un d'eux est ce que nous avons dit de la vente et de l'achat116. Un autre est le verset: Seigneur, Tu m'as accord un royaume... (12: 101), dans le royaume se trouvent l'obissant et le rebelle, l'approbateur et l'opposant,

    115. Ses frres qui il confia sa chemise. Cf. Coran (12 : 93).

    116. Allusion au verset : Dieu a achet aux croyants leurs mes et leurs biens en change de quoi ils auront le Paradis (9 : 111).

    117. De l'me de Joseph.

    118. C'est--dire l'me universelle reprsente par la femme de Putiphar.

    119. Les pouses paradisiaques.

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    comme il est dit de l'me: Il lui inspira sa prvarication et sa crainte pieuse (91: 8). Un autre aspect encore est sa parole: Tu m'as enseign l'interprtation des songes... et Voici l'interprtation de ma vision auparavant... (12: 101 et 100). La vision provient du monde de l'imagination qui est le monde intermdiaire entre celui de l'intellect et celui des sens. De mme l'me, intermdiaire entre le monde de l'intellect et celui des sens emprunte tantt l'un tantt l'autre. Ainsi l'me (Joseph) fut-elle livre la femme, parce que la fminit l'emportait en elle, mme si elle n'tait pas rellement du genre fminin, et ceci malgr la beaut de Joseph. Si le caractre masculin117 l'avait emport, elle n'aurait pas t livre l'me118. C'est en effet l'amour et la misricorde qui attirent l'homme vers la femme et la femme vers l'homme, au contraire de la femme vers la femme et l'homme vers l'homme. Entre deux tres identiques l'amour ne se maintient pas. N'tait la ressemblance avec les femmes qui se manifeste chez les jeunes garons, personne n'aurait de penchant pour eux. Ce penchant se porte en ralit vers la femme, qu'elle soit relle ou semblable. Aussi ds que le visage du jeune homme se couvre de duvet et que pointe sa moustache, s'en vont l'amour et la misricorde qui provoquaient l'attirance vers lui. On a dit ce sujet:

    On dit que le duvet est l'aile de l'amour; quand il pousse, l'amour s'envole de son nid.

    Ce vers m'a t rcit par son auteur, le secrtaire, le lettr Ab 'Amr b. Mahb, Sville. Il le composa au sujet de Ham b. Ibrhm b. Ab Bakr al-Mrgh, l'un des plus beaux jeunes gens de son temps. Ab 'Amr l'aperut chez nous en visite. Son duvet commenait poindre. Je dis Ab 'Amr: Ne vois-tu pas ce beau visage ? Il composa alors ces vers:

    On dit que le duvet est l'aile de l'amour; quand il pousse, l'amour s'envole de son nid. Mais il n'en est pas ainsi. Dis-leur pour nous excuser moi ou lui. Quand la joue d'un visage l'a rendu parfait, cela finit par : malheur toi ! voici son poil !

    On dit aussi que l'on voit sur le visage des jeunes garons les clins d'il des houris119. me fortifie, prends garde durant ton voyage ne pas te laisser distraire de ce que tu dois ton Matre comme observance de Ses limites et du respect de ce qu'Il a rendu sacr. Si tu te conformes cela, Il t'entourera alors de Sa protection sacre et te fera don de Son bienfait.

    50 le voyage du temps fix par Dieu ou le voyage de 45. 'Am' (nue) et 'am (ccit)

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    Mose sur lui la paix . Dieu Il est puissant et majestueux dit: Et lorsque Mose vint au temps fix par Nous... (7: 143).

    Plus violent que jamais se fera le dsir, lorsque les demeures se rapprocheront des demeures.

    Sache que le serviteur, s'il est rellement un serviteur, observe vis--vis de la Dignit divine dominicale toutes les convenances et le service qu'Elle exige. Il se tient toujours avec Lui sur le pied de la circonspection et de la surveillance de ses propres souffles sachant qu'Il connat le secret et ce qui est encore plus cach (20: 7). Il ne convoite absolument rien de Sa part et reste inerte sans qu'aucun mouvement ne le fasse sortir du lieu de sa servitude, sans qu'aucun dsir ne lui fasse esprer le moindre prsent de son Matre et encore moins de s'asseoir en Sa prsence, de converser avec Lui ou de s'entretenir la nuit avec Lui. Toutefois le dsir est cach dans la nature originelle du serviteur tout comme le feu dans la pierre.

    Le feu dans les pierres est cach il ne s'allume pas tant que ne le fait pas jaillir le briquet.

    Le dsir ne se manifeste que sous l'effet d'une chose qui lui est trangre et s'ajoute son essence. Si le Matre promet Son serviteur de converser avec Lui ou de l'asseoir en Sa prsence, le dsir cach entre ses ctes s'enflamme. Il soupire aprs la promesse de son Seigneur, mais sans savoir quand elle le surprendra, car elle n'est lie ni par une limite ni par un terme. Si la promesse est fixe en un temps donn, le dsir s'excite et entre dans une ardeur extrme l'expiration du dlai. La hte s'empare du serviteur, comme il est dit: Qu'est-ce qui t'a fait te hter et laisser ton peuple, Mose?. Il rpondit en guise d'excuse: Je me suis ht vers toi, Seigneur, pour que Tu sois satisfait (20: 83 et 84).

    ont une orthographe identique dans la plupart des manuscrits.

    46. Cet arbre est appel dans Coran 53 : 14 le Lotus (ou le jujubier) de la Limite (sidrat al-muntah). Il marque la deuxime vision du Prophte lors de l'Ascension cleste. La premire, ainsi que la rvlation qui la prcde, transcende les cratures (cf. infra). La seconde au contraire est un retour vers ceux-ci, sans pour autant dvier de la vision essentielle et unitive et correspond donc la rvlation o Dieu se rend accessible, par similitude, la comprhension des hommes. Par ailleurs, selon Ibn 'Arab, c'est partir du Lotus de la Limite que se divise le monde de la cration, de l'ordre et de l'imposition lgale (cf. Futht I 290 chap. 58), d'o son vocation ici.

    51 Les temps fixs sont des termes et leur statut est celui des termes, tel que tu as pu l'entendre dans Sa parole: Puis Il dcrta un terme et un terme nomm se trouve auprs de Lui (6: 2). Dieu dit: Et Nous prommes Mose trente nuits, ceci est un temps fix, puis Il ajouta: et Nous les compltmes par dix autres; alors le temps fix par son Seigneur fut accompli en quarante nuits (7: 142). Nocturne, le temps fix tait donc non manifest, la raison pour laquelle il avait t fix tant elle-mme non manifeste; ce qui est signifi correspondant toujours au signifiant. La priode fut d'abord fixe trente pour ne pas l'effrayer ds l'abord par quarante120. Ces quatre dizaines font allusion en effet la consommation de sa forme corporelle quadriennaire, ce qui l'aurait grandement afflig. N'objecte pas: quel

    120. Certains manuscrits ajoutent : Pour que le temps ne lui semble pas trop long ou qu'il ne se proccupe pas en son secret intime de la mention des quarante .

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    rapport entre quatre et quarante? Sache que cette forme corporelle repose sur les quatre principes complexes ou les quarante dont les quatre principes sont le fondement. De mme la forme corporelle ne repose pas sur les quatre principes simples: la chaleur, le froid, la scheresse et l'humidit, mais sur les quatre lments complexes: l'atrabile, la bile, le flegme et le sang, chacun compos de chaleur et de scheresse comme la bile, de chaleur et d'humidit comme le sang, de froid et de scheresse comme l'atrabile, de froid et d'humidit comme le flegme.

    52 La promesse nomme quarante se trouvait auprs de Lui. Les trente sont mentionns pour la raison susdite et les quarante signifient ce qui vient d'tre dit ou son quivalent. Ce qui survient aprs ce temps fix ne laisse chez le serviteur aucune trace du serviteur. Si c'est une conversation, le serviteur devient tout entier oreille; si c'est une contemplation, il devient tout entier il. Il n'est plus soumis au statut exig par son essence, bien que son essence l'exige, mais non pour elle-mme. Mose n'ayant pas encore got cette station ni contempl cet tat, cette promesse lui semblait ncessairement lointaine. On a dit au sujet de cet tat:

    Lorsqu'Il m'apparat dans sa thophanie,

    [mon tre tout entier devient regard; s'Il m'appelle, mon tre tout entier devient oue.

    53 Quand Mose eut accompli les trente nuits ou premier

    temps fix, Dieu provoqua en lui le dsir de se purifier pour manifester l'achvement de ce temps. Il se purifia la bouche au moyen du siwk121 et paracheva ainsi ce temps, sans que pour autant l'achvement n'apparaisse comme une sanction pour sa tristesse. Il pensait que Dieu lui accorderait aprs ces dix nuits une autre promesse. S'y tant dj prpar au moyen de la purification de la bouche122, il se rfugia dans la prudence et n'accomplit plus aucun mouvement sans ordre divin. De plus, en ayant recours la sanctification123, il sortit de la servitude. Or la Prsence Sacro-sainte n'agre que le serviteur et l'attribut de saintet n'appartient pas au serviteur. La Prsence est trop jalouse pour laisser entrer auprs d'elle celui qui lui dispute Ses attributs de saintet, surtout s'il les revt sans ordre divin. Le puissant124 n'est pas vu ainsi par celui qui dtient une plus grande puissance, seul un tre humble peut le voir ainsi. La Prsence divine ne trouve alors rien donner cet tre. Quand un puissant entre chez un puissant, celui-ci ne peut lui faire don que de la puissance, alors que cet tre est dj rentr avec elle. Que peut-il donc lui donner? Le serviteur ne peut entrer auprs de Dieu que par ce qu'exigent les ralits de la servitude

    121. Le siwk est un btonnet dont on mchonne l'extrmit et qui sert brosser les dents et purifier la bouche. On se sert pour cela des rameaux ou des racines de l'arbre ark.

    122. Cf. le hadth : le siwk est une purification pour la bouche et une satisfaction pour le Seigneur (Bukhr, sawm 24 III 38). Sur ces deux aspects du siwk, cf. Futht I 468.

    123. En cherchant se purifier.

    124. 'Azz signifie aussi fier et digne et s'oppose dhall : humble et humili, mais voque aussi l'incomparabilit et l'inaccessibilit, d'o le rapport avec la saintet. Il faut prciser que l'on emploie pas du tout le mme terme en Islam pour dsigner le Saint (qudds) et le saint (wal) ; cf. M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, Paris, 1986, pp. 33-34.

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    absolue. C'est pour cela que Dieu ajouta au temps fix dix nuits pour que la sanctification recherche par Mose l'abandonne. Ce ne sont l que causes divines institues dans le monde par Dieu pour manifester Sa sagesse dans la cration. L'accomplissement des temps fixs affranchit le serviteur de l'esclavage des instants et il n'est plus alors serviteur que de Dieu exalt soit-Il. Dieu remplit Sa promesse, s'entretient avec lui et lui parle. Aprs avoir tenu sa promesse, sanctifi son oue et son locution, Il lui donne la Parole dans sa totalit, comme Il lui avait donn l'Oue dans sa totalit. Tout entier oreille lors de l'audition, il est tout entier langue lors de la rcitation. Il sait par got et contemplation directe que le tout reoit le tout et qu'il est unique dans chaque prsence distincte. Ce voyage est de l'ordre du non-manifest, comme de l'Esprit et du Temps. Il s'est manifest dans le langage muhammadien par cette parole: Celui qui voue Dieu un culte pur et sincre durant quarante matins, les sources de la sagesse jaillissent de son cur sur sa langue125. Il entend d'abord son cur, puis sa langue exprime ce que son cur a retenu et entendu.

    125. Ce hadth ne se trouve pas dans les principaux recueils. Il est cit par Ab Nu'aym dans la Hilyat al-awliy' et Ibn Hanbal dans le Kitb al-zuhd ; cf. Sakhw, al-maqsid al-hasana, Beyrouth, 1985 pp. 620-1 et al-'Ajln, Kasf al-khaf' II 224.

    54 Celui qui part pour ce voyage doit laisser parmi son peuple quelqu'un qui supple ses fonctions. Nous avons parl du voyageur, pense donc, mon frre, au supplant, afin de participer de quelque manire ce dont il est question ici. Lors de la thophanie, les montagnes voyagent, terrasses par la majest de Celui qui se manifeste ainsi. Les montagnes ne peuvent aucunement soutenir la contemplation du non-manifest, comme il est dit: Si Nous faisions descendre ce Coran sur une montagne, tu la verrais tremblante, toute fissure, par crainte de Dieu (59: 21). S'il en est ainsi lors de la descente, que dire lors de l'audition de la Parole divine sans intermdiaire? Et que dire de la vision? Ralise pleinement le sens de ce chapitre, il te sera donn de contempler abondance de science. Et la louange est Dieu.

    55 le voyage de la satisfaction ou parole de Dieu Il est

    puissant et majestueux par la voix de Mose: Et je me suis ht vers Toi, Seigneur, pour que Tu sois satisfait, quand Dieu lui demanda: Qu'est-ce qui t'a fait te hter et laisser ton peuple, Mose? (20: 84 et 83). Je me suis ht vers mon Seigneur pour qu'Il soit [satisfait de ma clrit. Quand nous fmes arrivs, Il demanda: [pourquoi le serviteur s'est-il ht ? La promesse gnreuse, Lui rpondis-je, nous a conduit vers Toi, mais je ne vois pas la promesse se raliser. Remplis-en les conditions, me rpondit [le Tout-Misricordieux,

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    ainsi qu'il vous a t ordonn. Alors furent abolis [la proximit et l'loignement.

    Et ce sujet: La satisfaction est mon principe, celui selon lequel j'ai t cr, Moi seul et je n'ai vu nul autre que moi revenir en Lui vers Lui.

    Les dons de Dieu sont sans fin; il n'y a pas de don ultime qui marquerait leur terme et leur disparition. De leur ct les serviteurs ne sauraient s'acquitter de tout ce que Dieu leur a impos selon leur capacit et leur vritable possibilit. Ceci fonde et confirme la satisfaction de Dieu leur gard et pour leurs uvres, de mme qu'eux sont satisfaits de Lui et des dons de Sa part, d'une abondance infinie. Dieu a t satisfait d'eux et ils ont t satisfaits de Lui (5: 119 sq). La satisfaction est donc une qualit de Dieu comme du cr, selon ce qui convient l'un et l'autre, mme si ce dernier ne peut se passer du soutien divin, pauvre qu'il est par essence, dans le besoin perptuel que son existence perdure et soit maintenue par Dieu. Dans ma satisfaction Son gard rside Sa satisfaction mon gard; je suis le sage de mon temps; autour de moi l'existence tourne et se tient mon service. Le sage est celui que servent les cratures, car il fait descendre les choses leur place. Il apparat dans sa forme tout tre dou de vue et ne professe pas que le Vrai y descend. Si mon il se montre Sa ralit, mon tre, sans le moindre doute, ira sa rencontre.

    56 Sache que si l'homme ignore son tat, il ignore son instant; celui qui ignore son instant, s'ignore soi-mme et celui qui s'ignore, ignore son Seigneur, ainsi que l'a dit l'Envoy de Dieu sur lui la grce et la paix : Qui se connat soi-mme, connat son Seigneur126. Il Le connat soit ngativement selon la connaissance commune, soit par la Forme divine selon la connaissance spciale de l'lite des initis. Quant nous, quoique nous dfendions cette dernire, nous n'en prfrons pas moins la connaissance du commun car elle unit le dbut la fin et c'est vers elle qu'il faut ncessairement revenir, pour le commun comme pour l'lite. Sache cela et sois clairvoyant ton gard et clair au sujet de ton Seigneur, peut-tre un tmoin issu de toi te suivra-t-il127 qui sera la cause de ta flicit, si Dieu veut. Tu seras de ceux qui Dieu a accord une belle fin de toute ternit128 majestueuse est Sa louange et incomparable Sa majest.

    126. Du point de vue de la transmission, ce hadth n'est pas reconnu comme authentique (cf. Sakhw p. 657 et 'Ajln II 262), mais Ibn 'Arab, qui le commente trs souvent, le considre comme authentifi par sa signification.

    127. Cf. Coran 11 : 17 : Quel est-il celui qui dtient un signe vident de son Seigneur, suivi par un tmoin de sa part et avant lui, le livre de Mose comme guide et misricorde....

    128. Cf. Coran 21 : 110. 57 Quand Dieu demanda Mose sur lui la paix : 129. Sur la poigne, cf. Coran 20 :

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    Qu'est-ce qui t'a fait te hter et laisser ton peuple, Mose ?, il ne rpondit pas tout d'abord la question en prcisant la cause de sa hte , mais il dit: Ils sont sur mes traces, faisant allusion au statut de ceux qui suivent les prophtes. Il expliqua ensuite sa hte: Je me suis ht vers Toi, mon Seigneur, pour que Tu sois satisfait (20: 83-84), c'est--dire: je me suis empress de rpondre Ton appel lorsque Tu m'as appel et mon peuple est sur mes traces. Dieu lui annona alors: Nous avons sduit Ton peuple aprs Toi, c'est--dire Nous l'avons mis l'preuve et le Smir les a gars (20: 85) par le Veau dont il affirma: C'est votre dieu et le dieu de Mose (20: 88). Ceci parce que cet homme suivait Mose. Dieu ayant t le voile qui recouvrait sa vue, le Smir aperut, parmi les anges qui portent le trne, celui qui a la forme d'un taureau et s'imagina que c'tait le dieu qui parlait Mose. Il faonna donc le Veau pour son peuple, car ayant vu aussi Gabriel et sachant qu'il ne passe pas auprs d'une chose sans lui redonner vie, il avait saisi une poigne de terre sur la trace laisse par le cheval de Gabriel. Il avait jet cette poigne sur le veau qui avait pris vie et s'tait mis meugler, puisque c'tait un veau129. Il dclara alors: C'est votre dieu et le dieu de Mose. Lorsque les adorateurs du Veau l'interrogrent, le Smir oublia qu'il ne leur renvoyait aucune parole et ne possdait le pouvoir ni de leur nuire ni de leur tre bnfique (20: 89). Aaron sur lui la paix leur rappela: Votre Seigneur est le Tout-Misricordieux; suivez-moi et obissez mon ordre! (20: 90), ainsi que Dieu l'a mentionn dans Son Livre.

    96 ; sur le beuglement, 7 : 148 et 20 : 88.

    58 LE VOYAGE DE LA COLRE ET DU RETOUR

    Dieu exalt soit-Il dit: Et lorsque Mose revint vers son peuple, en colre, dsespr (7: 150 et cf. 20: 86).

    Je me suis mis en colre contre moi cause de moi. Ne trouvant autre que Lui, je dis: la faute revient ce qui est antrieur. Je ne cessai d'tre dans la joie et de me frapper la tte pour ce que j'avais commis, ayant atteint l'ge du regret. Si j'tais Dieu, je ne serais pas un par Lui; si j'tais crature, je ne parlerais pas d'antriorit.

    Il tait en colre contre son peuple, dsespr de ce qu'ils avaient commis en prenant le Veau comme dieu. Le Smir tait parti avec Mose parmi les soixante-dix qui l'accompagnaient130; Dieu lui ta le bandeau qui lui couvrait la vue et son il tomba sur l'un des anges porteurs du Trne qui a la forme d'un

    130. Cf. Coran 7 : 155.

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    taureau. L'un a la forme d'un lion, l'autre d'un aigle, le troisime d'un taureau et le quatrime d'un homme. En apercevant le taureau, le Smir s'imagina que c'tait le dieu qui parlait Mose. Il figura pour son peuple un veau et dclara: Voici votre dieu et le dieu de Mose. Pour le fabriquer il se servit de leurs parures afin que leurs curs suivent leurs biens. Il savait que l'amour du bien est accroch au cur et que cet amour serait pour eux un voile qui les empcherait de se demander si le Veau leur causait du tort ou du bien ou s'il rpondait quand ils lui adressaient une demande.

    59 Aaron leur dit: mon peuple, vous avez t sduits, c'est--dire mis l'preuve par lui pour que Dieu en tire argument contre vous lorsque vous serez interrogs et votre Seigneur est le Tout-Misricordieux et par misricorde envers vous, Il vous a accord un dlai et vous a nourri bien que vous ayez pris un dieu pour l'adorer dehors de Lui gloire Lui . Il leur dit ensuite: Suivez-moi, sachant que dans le fait de le suivre rsidait un bien et obissez mon ordre (20: 90), parce que Mose sur lui la paix l'avait tabli comme supplant parmi eux. Ils rpondirent: nous ne cesserons de nous y adonner l'adoration du Veau jusqu' ce que Mose revienne vers nous (20: 91), lui qui a t envoy vers nous et en qui nous avons reu l'ordre de croire. Ce raisonnement fut pour eux un voile qui les empcha de tenir compte de l'ordre d'Aaron sur lui la paix . De retour vers son peuple, Mose le trouva en cet tat. Il jeta les Tables de sa main et se saisit de la tte de son frre, la tirant vers lui (7: 150) pour infliger une punition son supplant parmi son peuple. Aaron sur lui la paix l'interpella alors en invoquant sa mre, car elle est le lieu de la compassion et de la tendresse: Il lui dit: fils de ma mre, ne te saisis pas de ma barbe ni de ma tte; j'ai redout que tu me blmes pour ce qu'a commis ton peuple et que tu ne dises: tu as sem la division parmi les Fils d'Isral et tu n'as pas observ ma parole la parole que je t'avais lgue (20: 94).

    62. Hijb al-'izza al-ahm al-adn. 'Izza, traduit ici par toute-puissance exprime aussi l'ide d'inaccessibilit et d'incomparabilit. Le hijb al-'izza est dfini par Ibn 'Arab comme la ccit et la perplexit (al-'am wa l-hayra), cf. Futht II 129 et Istilht al-sfiyya, p. 16. Suivi ici de ces deux qualitatifs, il dsigne l'Homme universel qui cache sa face indicible, tourne vers le divin, correspondant la limite entre le qur'n et le furqn.

    63. L-bas (hunka) correspond sans doute au dmonstratif lointain de Ce livre-l (dhlika l-kitb) dont provient ce livre-ci : l'exemplaire lu et rcit. Cf. Coran 2 : 2.

    64. Yaghbu 'an al-ghayb : par-del l'tre et le non-tre.

    65. Li-kulli haqq haqqa : rponse du Prophte un Compagnon qui dclare : Je me trouve ce matin vraiment (haqqan) croyant . Cf. Nr al-Dn al-Haytham, Majma' al-zaw'id, Beyrouth, 1967, I 57-8, d'aprs Tabaran et Bazr.

    66. Voir les diffrentes versions et occurrences de ce hadth dans Adab and Revelation, op. cit., pp. 259-60, n. 34.

    60 Mose se tourna ensuite vers le Smir et lui demanda: Qu'as-tu dire, Smir ? Celui-ci lui raconta ce qu'il avait vu, la forme du taureau qui est l'un des anges porteurs du Trne, qu'il avait cru tre le dieu parlant Mose. Ainsi, ajouta-t-il, je faonnai le Veau pour eux et sachant que Gabriel ne passe pas en un lieu sans le vivifier, je me suis empar d'une de ses traces, car je savais quelle vie est attache cette poigne. Je la jetai (20: 96) sur le Veau qui se mit meugler. Le Smir n'avait agi que sur une interprtation. Il s'gara et gara les autres, car toute interprtation n'est pas exacte. Il savait pourtant que la thophanie dans les

    67. Cf. Futht III 371 chap. 369.

    68. Laylan n'est plus compris dans cette interprtation comme un complment de temps se rapportant au voyage, mais comme un complment de manire (hl) se rapportant au serviteur. On pourrait traduire nuitamment. La nuit par son obscurit dsigne symboliquement le corps, dans toute sa noblesse et sa dimension cosmique. Le vers cit en exemple confirme ce sens en mme temps que cette

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    formes est atteste par les Lois sacres sans porter atteinte la transcendance divine.

    Mose accepta l'excuse de son frre. Il dit: Seigneur, pardonne-moi ainsi qu' mon frre et fais-nous entrer dans Ta misricorde; Tu es le plus misricordieux des misricordieux (7: 151). En ce qui concerne ceux qui adorrent le Veau, ils n'allrent pas dans la spculation rflexive aussi loin qu'ils auraient d comme le laisse entendre cette histoire. Dieu ne les excusa pas. Les adorateurs du Veau ne se sont donc pas adonns correctement la spculation; ce verset lgitime donc la spculation rationnelle en matire de thologie tant que la Loi ne se prononce pas. Quant l'avilissement qui toucha les Fils d'Isral, on peut le constater jusqu' nos jours. Dieu n'a pas lev les signes de leur religion. Ils sont rests avilis toute poque et dans toutes les traditions. Telle est la sanction que Dieu inflige ceux qui profrent des mensonges Son encontre, en Lui attribuant, sans rfrence une loi sacre, ce qui, selon la spculation rflexive, ne convient pas comme attributs au dieu ador. Et Dieu dit la vrit et Il guide sur la voie.

    interprtation grammaticale.

    61 le voyage du dvouement pour les siens.

    Par un beau dvouement pour ma famille, j'ai trouv mon Seigneur. Dans mon occupation, [Il m'a dvoil Sa sollicitude. N'taient les miens, je n'aurais pas t un serviteur rapproch, ni un de ceux qui ont reu matrise et mrite. Mon me n'aurait pas suivi, si je lui avais interdit de s'occuper des cratures, la plus droite des voies. Je me suis trouv aux cts du Choisi, l'ombre de Son Trne, quand les Ansar venaient avec les envoys.

    Dieu exalt soit-Il dit (par la voix de Mose): J'ai aperu un feu; peut-tre vous en apporterai-je un tison ou trouverai-je par ce feu une guidance (20: 10). Vois donc la force de la prophtie: Mose trouva de fait la guidance. Cette parole montre que Mose n'avait pas affirm que ce qu'il avait vu tait ncessairement un feu. Tout feu est lumire lorsqu'il brle et les lumires sans aucun doute consument les corps combustibles et inflammables, ainsi que le rapporte la tradition authentique: ... Les fulgurations de Sa Face brleraient les cratures qu'atteindrait Son regard131. Les fulgurations sont des lumires et cette tradition nous apprend que les rayons de ces fulgurations exercent un effet comparable la perception de l'il.

    69. la particule bi dans asr bi-'abdi-hi a fait voyager de nuit Son serviteur marque la dpendance. On pourrait, pour souligner ce sens, traduire : a emmen de nuit . le cas indirect se dit khafd abaissement. La voyelle i qui marque la flexion casuelle, se nomme kasr brisure.

    70. En arabe la possession ne s'exprime pas comme en franais par un adjectif possessif : Son serviteur, mais par un pronom complment du nom : le serviteur de Lui ou du Soi (al-huwa).

    71. Le verbe arabe inclut son pronom, tantt explicite, tantt implicite dans le cas de la troisime personne. Le pronom de rappel est le lien grammatical et logique entre le pronom relatif ( Celui qui ) et la proposition relative.

    72. Le pronom de troisime personne se dit en arabe damr al-gh'ib ou pronom de l'absent.

    73. Harm signifie la fois sacr et interdit.

    74. Sur ces deux versets comportant des noms divins que l'homme s'est indment attribu et qui lui sont reprochs, cf. Futht I

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    421, II 153 chap. 80 et 166 chap. 88. Tyrannique se traduirait plutt, propos de Dieu, par Rducteur (Jabbr).