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Idée collaborative 2015

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Page 1: Idée collaborative 2015

C O N S O M M E R P R O D U I R E AG I R

ANALYSESTÉMOIGNAGES

REPORTAGESINNOVATIONS

Une année d’économie collaborative décryptée par 8 médias

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La MAIF se félicite d’une collaboration inédite de 8 médias partenaires.

Décembre 2015Idée Collaborative © est une marque déposée

Direction éditoriale MAIFPhilippe Tauvel, Valérie Gilbert, Amélie Ott

RemerciementsToutes les équipes rédactionnelles de 20 Minutes, L’Express, Causette, Society, Usbek & Rica, We Demain, Consocollaborative.com, Ouishare

CONCEPTION ÉDITORIALESocialter SAS108, rue du Théâtre 75015 ParisDirecteur de la rédaction / rédacteur en chefOlivier Cohen de Timary

Rédacteur en chef pour ce supplément Côme BastinSecrétaire de rédactionBrigitte PennaguerDirection artistique/IllustrationsAriel Martín PérezCréation graphiquePierre BissonContributeurs pour ce supplémentCôme Bastin, Sébastien Claeys, Olivier Cohen de Timary, Arthur De Grave, Orlane Déniel, Marion Garreau, Florent Trocquenet-LopezPhotographeErwan Floc’h

Impression Léonce Deprez Z.I. de Ruitz 62620 RuitzDISTRIBUTION Presstalis

Ce supplément rédactionnel de 100 pages, IDÉE COLLABORATIVE 2015, est distribué avec Socialter n°14 sur l’ensemble de l’édition nationale et pour tous les abonnés. Ce supplément ne peut être vendu séparément.

Éditeur délégué Custom Publishing France6 rue Rodier 75009 ParisRCS PARIS 394 412 928Directeur de la publicationGérard Cohen

SocialterNuméro ISSN 2270-6410Numéro de commission paritaire : 1118 D 92060

Édito

n plein essor, l’économie collaborative démocratise et remet au goût du jour des pratiques vieilles comme le monde et jusqu’ici cantonnées à la sphère d’échange familiale, amicale ou militante. Grâce aux plateformes numériques et à la création de larges communautés, nous pouvons aujourd’hui échanger ou louer un appareil photo, une voiture ou un appartement à de parfaits inconnus. Nous ne frappons plus immédiatement à la porte de notre banquier pour lancer une start-up, nous faisons appel

au crowdfunding. Nous ne jetons plus nos appareils défectueux, nous allons les réparer nous-mêmes dans un Fab Lab ou un Repair café. En somme, nous multiplions nos possibilités d’échanges en pair à pair et gérons nos actifs et ressources plus efficacement. Telles sont les promesses du « collaboratif » qui, en supprimant les frontières entre consommateurs et producteurs, rebat les cartes de pans entiers de l’économie. Tous les secteurs sont concernés : de la mobilité à l’alimentation en passant par la solidarité et l’accès aux savoirs.Tout cela ne se fait pas sans frictions ni résistance de la part des acteurs traditionnels. Face à ces pratiques nouvelles et peu régulées, il nous faut repenser notre modèle social et notre conception du travail. C’est dans ce contexte de profondes mutations et d’adaptation à un monde qui change rapidement que nous avons préparé cette publication. Fruit des contributions de 8 médias, Idée collaborative 2015 se propose d’apporter un éclairage inédit sur une société collaborative en action. En privilégiant une approche « kaléidoscopique », nous choisissons d’appréhender ce mouvement dans ce qu’il a de plus divers et de fournir les clés pour saisir ses enjeux. Car si l’économie collaborative paraît très hétéroclite aujourd’hui, elle ouvre de multiples voies pour transformer nos sociétés. À nous désormais de savoir la décrypter afin de mettre l’innovation au service du plus grand nombre.

Socialter

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Page 4: Idée collaborative 2015

S O M M A I R ESTARTER 3 Édito6 Idée large8 Starter13 Dominique Mahé : Pour une « société collaborative »14 Michel Bauwens : Génération bien commun

CONSOMMER Partager

20 Grand Témoin. Philippe Moati Pour le sociologue et statisticien, « notre modèle de consommation s’est irrémédiablement fissuré ».

24 Carburer au partage Économie, écologie, urbanisme... Comment la révolution de la mobilité partagée va tout balayer.

26 Plan B pour le RER A Quand la RATP et une application de covoiturage

apprennent à collaborer.

28 Ruche Hour Le plan secret de La Ruche qui dit Oui pour une agriculture

durable.

29 Comment manger à la sauce collaborative ?

30 Carton Plein Portrait de Laure Courty, pionnière du « costockage ». Découvrez aussi des solutions pour stocker et déménager collaboratif.

Vivre sans argent

32 Grand Témoin. Alain Caillé La face cachée du don. Ou comment l’économie collaborative

donne un second souffle à une logique vieille comme l’humanité.

34 Vingt-sept à la maison Plongée à Vancouver chez Dann, Jordan, Quinn et Brennan

qui accueillent des couchsurfeurs du monde entier.

36 Nuits en libre-échange Marre d’Airbnb ? La plateforme française Nightswapping

vous permet le « troc de nuits ».

37 Voiture à un euro

38 Bon débarras Sur Co-recyclage, les déchets des uns font le bonheur des autres.

PRODUIRE Travailler autrement

42 Grand témoin. Yann Moulier-Boutang Comment réorganiser notre État-providence pour encadrer toutes nos activités « pollinisatrices » ?

46 Pourquoi l’entreprise du futur sera collaborative La transition vers un mode de production plus horizontal est désormais indispensable à sa survie.

50 L’odyssée de l’espace Partage de bureaux, d’appartement, de place de parking… Comment l’économie collaborative bouleverse notre rapport à l’espace et au travail.

52 Pascal Demurger. Changer de paradigme.

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Financement

53 Crowdfunding : bientôt le big bangBulle médiatique, croissance exponentielle, multiplication des plateformes… Le crowdfunding, en plein boom, suscite beaucoup d’attentes et de convoitises.

57 Le crowdfunding fashionPortrait de Vanessa Broche, fondatrice de Wepopit.

58 La tentation de la financeFaire financer PME et start-up par les particuliers, c’est désormais possible grâce au crowdlending. Mais les loups de la finance ne sont jamais bien loin.

Faire soi-même

60 Grand témoin. Ophélia NoorFab Labs, makerspaces, tiers-lieux : jusqu’où iront les makers ? Entretien avec une observatrice avisée du mouvement DIY (Do it yourself).

62 Génie maker dans un garageAprès avoir créé le premier ordinateur brésilien, Luis Eduardo Sutter a lancé le premier Fab Lab de Rio.

64 POC 21 fabrique les objets du futurDans les Yvelines, un camp d’innovation open source pour un monde plus durable.

66 Vous ne jetterez plus jamais votre smartphone« L’autre Keynote », un joyeux rassemblement de start-up décidées à en finir avec le gaspi électronique.

68 Un atelier de réparation gonfléÀ Montreuil, une association permet aux cyclistes de réparer eux-mêmes leur vélo.

69 L’imprimante 3D : enfer ou paradis ?Comment les enseignes de bricolage passent à l’heure du « co ».

AGIR Citoyens connectés

72 Grand témoin. Nathan Stern Comment le numérique et le collaboratif peuvent-ils favoriser le vivre-ensemble ? Éléments de réponse avec un sociologue et pionnier des plateformes d’échange.

76 Programme d’échangePour lutter contre les inégalités d’accès au savoir, des start-up « EdTech » réinventent l’éducation.

78 École pour tous, école par tous

79 MOOCs, vers une nouvelle dimension ?

80 Super-citoyensComment une start-up citoyenne fait pression sur les politiques au Brésil.

83 CityLity connecte les quartiers

Solidarité

84 Grand témoin. Léa ThomassinLe collaboratif peut-il servir le milieu associatif ? Réponse avec la directrice générale de HelloAsso,

86 MakeSense, ça fait sensL’association connecte 20 000 membres et 45 pays pour soutenir les entrepreneurs sociaux du monde entier.

88 Crise des réfugiés : le collaboratif contre-attaqueDes solutions citoyennes et connectées se multiplient pour faire face à l’un des plus grands défis de ce début de siècle.

90 Wheel you help me ?Portrait de Charlotte de Vilmorin, site de location de voitures adaptées aux personnes handicapées.

91 Le « TripAdvisor du handicap »

DIGESTIF92 Antonin Léonard. Après la ruée vers l’or94 Top 5 des villes les plus « share »96 Book café98 Co/Design

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Une douche qui recycle son eau, une éolienne low cost, un kit d’agriculture urbaine ou un concentrateur solaire : ce ne sont que quelques-uns des projets passés du concept à la réalité grâce à la POC 21 (Proof of concept). Durant 5 semaines cet été, une centaine de makers, designers, ingénieurs, scientifiques et geeks se sont réunis au château de Millemont, dans les Yvelines. Leur objectif : concevoir et regrouper le meilleur des solutions écologiques en open source (lire page 64)

COP des makers

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OC21

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296 milliards

1,3 milliard

Le marché mondial de l’économie collaborative devrait atteindre près de 296 milliards d’euros d’ici à 2025, contre 13 milliards en 2014, selon une étude d’avril dernier du cabinet de conseil PwC (soit une valeur multipliée par 22 en une décennie).

52 %

des usagers de l’économie collaborative pensent qu’elle sera aussi importante que l’économie traditionnelle dans le futur. (Étude Sharevolution, mars 2015)

C’est le nombre de smartphones qui ont été écoulés dans le monde, rien qu’en 2014. D’ici 2018, 55 % du trafic internet devrait passer par les technologies mobiles et les objets connectés. (sources : IDC, Schibsted)

Une définition de l’économie collaborative ?Les contours de ce que l’on nomme « économie collaborative » sont très larges. Néanmoins, nous pouvons dégager quatre caractérisques centrales : ❶ Une organisation en « réseau » ou communautés❷ Une mutualisation de ressources matérielles ou immatérielles❸ Une intermédiation via des plateformes numériques❹ Des échanges plus horizontaux (moins de hiérarchies)

Les chiffres et les news de l’économie collaboratives en 2015

S T A R T E R

8 TEXT

O « Il faut qu’Uber puisse payer des impôts en France. » (Emmanuel Macron, Loi #noé, novembre 2015)

« L’économie du xxie siècle sera collaborative ou

ne sera pas ! La France a la chance d’avoir des

acteurs particulièrement bien positionnés dans ce secteur. »

(Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée

du numérique, juillet 2015)

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(1) À l’heure où ce magazine est imprimé, une nouvelle levée de fonds en cours valoriserait Uber entre 60 et 70 milliards de dollars. NB : souvent assimilée à l’économie collaborative, Uber est plus précisément une entreprise à classer parmi les plateformes de travail « à la demande ».

(2) La valorisation d’Airbnb dépasse aujourd’hui celle des groupes hôteliers Marriott et Accor

BLABLA MASSALA.

Jusqu’en Inde ! Le champion français du covoiturage a annoncé en janvier l’ouverture de son service au pays du rickshaw. Blablacar a depuis réalisé en septembre 2015 une levée de fonds record de 200 millions de dollars (183 millions d’euros) pour poursuivre son développement international.

DANS DE BEAUX DRAPS. Depuis le 1er octobre, Airbnb collecte une taxe de séjour à Paris (0,83 euro par voyageur) pour chaque nuitée 

réservée via sa plateforme. Une nouvelle source de revenus non négligeable pour la capitale, premier marché du groupe en termes de logements 

proposés (50 000 annonces).

QUI VA À LA CHASSE...650 000 places de parking seraient inoccupées en France, selon ZenPark, premier opérateur de parkings partagés en France, qui a levé 1,6 million d’euros en 2015.

C’est le nombre d’espaces decoworking en France

C’est le nombre de coworkers français, répartis à part égale entre salariés et freelance

Prix moyen mensuel d’un abonnement

des espaces organisent des apéros entre leurs membres (source : Bureaux à partager)

La jeune « sharing economy » joue déjà dans la cour des grands Valeur d’entreprise estimée (en $) à fin 2015

> 60 milliards (1)

= 24 milliards (2)

= 6,3 milliards

= 1,6 milliard

250

10 000

300 €

71%

Coworking mania

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« Le capitalisme ne sera plus la règle suprême.

Il devra apprendre à vivre avec l’économie

du partage. » (Jeremy Rifkin,

Challenges, juillet 2015)

« Accompagnons l’“ubérisation” de l’économie plutôt que de la sanctionner ! » (Nathalie Kosciusko-Morizet, débat sur la fin du

salariat, forum Le Monde, septembre 2015)

« La mise en commun des services, des espaces et des savoirs est irréversible. » (Jacques Attali, Le JDD, juin 2015)

Page 10: Idée collaborative 2015

Les consommations émergentes entrent dans les mœurs

Les consommateurs collaboratifs au scanner

C’est la somme que les pratiquants de la consommation collaborative estiment économiser à l’année.

La proportion de pratiquants ayant déclaré ou comptant déclarer aux impôts leurs revenus issus de l’économie collaborative. (Source : TNS Sofres)

380 €

15 %

Et on le fait pourquoi ?Pour 67 % des usagers, la principale motivation est économique, selon une enquête * du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC). Vient ensuite la volonté de « rencontrer des gens » (47 %), puis de « protéger l’environnement » (30 %).

(*) Société collaborative : l’argent d’abord, le partage aussi, avril 2015.

Une enquête du Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (Pipame), publiée en juillet, estime que 5 % de la population française arrive à tirer plus de 50 % de son revenu de la consommation collaborative. Le profil de ces fanas du « co » ? En majorité de jeunes actifs de 25-34 ans et des familles avec au moins un enfant.

En % de Français ayant déjà expérimenté...

le faire soi-même

l’achat d’occasion

l’emprunt  de produits

le covoiturage (passager)

l’achat mutualisé

l’hébergement entre particuliers

le crowdfunding(Source : L’observatoire des consommations émergentes, vague 3, septembre 2015, sous la direction de Philippe Moati)

85

60

18

17

14

44

21

Starter

10

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(sources : CRÉDOC, TNS Sofres, La Face cachée du numérique. L’impact

environnemental des nouvelles technologies, Fabrice Flipo, Michel Dobré et Marion Michot, éditions

L’échappée, 2013)

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L’ÉCONOMIE COLLABORATIVE EST-ELLE ÉCOLOGIQUE ?

Dans un monde collaboratif, on partage sa voiture, on emprunte les outils de bricolage à son voisin et on troque ses vêtements contre d’autres. Autant

d’échanges et de réemplois qui permettent de réduire le nombre de biens utilisés et donc, à terme, la quantité de ceux produits. De quoi améliorer notre impact environnemental  ? L’exemple du covoiturage semble aller dans ce sens : grâce à cette option, trois quarts des covoitureurs ont renoncé à la voiture individuelle, ce qui leur fait économiser chacun une tonne de CO2 en moyenne par an, selon une étude réalisée par Atema Conseil pour l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Mais, à voir la dernière publicité d’Airbnb, on s’interroge. « Mon appart a financé ma collection de chaussures », témoigne une « utilisatrice » de la plateforme de location de logement. Ainsi, les usagers du collaboratif ne veulent pas forcément moins consommer et peuvent même faire tout le contraire avec l’argent gagné ou économisé.

Pour que riment économie collaborative et écologie, ces pratiques doivent réellement changer nos modes de consommation. L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) précise, dans une étude sur le sujet (1), deux autres conditions : la durabilité des biens partagés, soit leur capacité à tenir dans le temps pour que la mutualisation n’engendre pas un remplacement frénétique, et un transport optimal des biens. Acheter une cafetière sur Le Bon Coin à 50 km de chez soi et la récupérer en voiture ou par livraison n’est pas vraiment écolo. Pour cela, mieux vaut aller à la brocante du coin. En plus, les plateformes d’échange, comme tout site internet, sont très gourmandes en énergie. Alors plutôt que de louer une perceuse sur Zilok.com, passez voir votre voisin. En plus, cela favorise le lien social. •

(1) Damien Demailly et Anne-Sophie Novel, « Économie du partage : enjeux et opportunités pour la transition écologique », Studies, n° 3, Paris, Iddri, 2014.

Peut encore mieux vertAcheter d’occasion, échanger ou louer ses biens sont des pratiques bénéfiques pour notre environnement, mais à certaines conditions seulement. Explications. Marion Garreau

des utilisateurs de l’économie collaborative déclarent être motivés par son impact environnemental. À rapporter aux 67 % qui cherchent

d’abord un gain économique.

30 %

c’est la part du budget des ménages utilisé pour des biens

partageables

23 %

c’est la part de la consommation électrique mondiale représentée par

les plateformes d’échange

1,5 %le covoiturage (passager)

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Autopartage Mise à disposition d’un véhicule à destination des particuliers sur une courte durée. Le véhicule peut être personnel (OuiCar) ou public (Autolib’). À ne pas confondre avec le…

Covoiturage Fait d’embarquer un ou plusieurs passagers durant son trajet pour partager les frais d’essence et parfois de belles discussions.

Couchsurfing (littéralement « surfing du canapé ») Hébergement gratuit de particulier à particulier, et pas toujours sur un canapé. Également le nom de la plateforme qui a popularisé le concept.

Coworking Fait de travailler à plusieurs, souvent entre salariés indépendants. Se pratique généralement dans un tiers-lieu ou un espace dédié. Échange de compétences, événements et apéros fréquents.

Crowdsourcing (production participative) Utilisation de l’intelligence et des contri-butions du plus grand nombre pour collecter et organiser des informations ou réaliser une tâche. Wikipédia, ça vous dit quelque chose ?

Crowdbuying (achat groupé) regroupement de consommateurs pour acheter un ou plusieurs produits moins chers, souvent avec moins d’intermédiaires. Si c’est toujours trop cher, vous pouvez toujours vous tourner vers le…

DIY (Do it yourself – « Faites-le vous-même ») Activité visant à fabriquer des objets, technologiques ou artistiques, de façon artisanale. Internet favorise sa croissance grâce à la diffusion de tutoriels, plans et modes d’emploi gratuits. Peut se pratiquer dans un...

Fab Lab (ou makerspace) Lieu ouvert à tous, équipé de machines telles qu’imprimantes 3D ou fraiseuses numériques. Permet d’y fabriquer des prototypes ou réparer des objets. Cousin proche du hackerspace, lieu de bidouille informatique.

Open source À l’origine, logiciel informatique dont le code source est ouvert et réplicable. Par extension, bien ou service dont les plans ou la méthodologie sont librement consultables et réutilisables.

Peer-to-peer (pair à pair) Modèle de réseau informatique décentralisé. Par extension, toute activité économique ou intellectuelle effectuée directement de particulier à particulier via internet.

« Uberisation » Néologisme phare de l’année 2015. Nouveau service rendu possible par le numérique et les objets connectés. La mise en relation de travailleurs freelance et leurs clients, sans passer par les intermédiaires classiques, menace du coup des secteurs entiers de l’économie. Exemple ? Uber versus taxis. La boucle est bouclée.

Crowdfunding (financement participatif) Permet à des particuliers, des associa-tions ou des entreprises de faire appel aux internautes pour collecter des fonds via une plateforme web plutôt qu’une banque. Le crowdfunding peut prendre plusieurs formes : dons, prêts (crowdlen-ding) ou investissements en capital (crowdequity).

LEXI- CO12 expressions à connaître sur le bout des doigts avant d’entrer en société collaborative

Starter

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AIF/

DR

La MAIF est une entreprise presque centenaire. Pourquoi l’économie collaborative est-elle devenue priorité stratégique ?Nous sommes nés en 1934 du mouve-ment enseignant et portons depuis les valeurs solidaires de la mutualité. Dans notre plan stratégique de 2014, nous avons décidé d’être à la fois en veille et acteur des économies émergentes, et principalement de l’économie collabo-rative. Nous considérons en effet que cette effervescence de création et de start-up n’est pas seulement une réponse à la crise. Elle est aussi por-teuse de lien social nouveau et repose, dans ses fondamentaux, sur des valeurs qui sont les nôtres, comme le partage, l’échange, la confiance. Vous êtes président-directeur général d’une entreprise dite de l’économie sociale et solidaire (ESS). Quelles différences et quelles ressemblances avec l’économie collaborative ?On remarque d’emblée, entre l’économie collaborative et la mutualité, des convergences assez évidentes sur les leviers d’action. Cette économie permet d’agréger des publics, des communautés, ce qui est un champ d’action constitutif de la MAIF. Nous avons sûrement à « apprendre à apprendre » de l’économie collaborative et numérique en matière de souplesse, de créativité, d’émergence de nou-veaux modes de relations, de désintermédiation via les outils digitaux. C’est une rupture et un défi qu’il nous faut relever dès demain. Mais l’économie collaborative a sans doute elle aussi des choses à apprendre de l’ESS, en termes de responsabilité sociale d’entreprise et de contribution à l’intérêt général. C’est une relation gagnant-gagnant.

La MAIF a cette année décidé de passer un certain nombre de partenariats avec des journaux à la fois grand public et plus spécialisés. Avec quel objectif ?Au-delà de l’exercice de notre métier d’assureur, au sens strict, nous considérons que la MAIF a un rôle presque politique (au sens d’implication dans la vie de la cité) à jouer. Nous avons toujours eu une implication sociétale très forte autour de sujets sur lesquels nous sommes légitimes – comme l’éducation. Nous voulons désormais nous engager également pour une « société collaborative ». Nous avons donc souhaité faire connaître à nos sociétaires et,

au-delà, au grand public, cette volonté de la mutuelle. Et, pour ce, nous avons développé une communication institutionnelle vers des médias dédiés au plus grand nombre, comme L’Express ou 20 Minutes, et des titres plus spécialisés, dont Socialter. Pourquoi ce numéro « Idée Collaborative 2015 » ?Pour rassembler sur un même support toute l’actualité de l’économie collaborative cette année et donner à voir sa diversité et son évolution. L’idée n’est pas d’imposer une vision uniforme de ce mouvement mais au contraire de donner aux lecteurs les clés pour comprendre ses pro-messes, ses enjeux, mais aussi sa complexité. La MAIF fait ainsi la démonstration de sa jeunesse et de la proximité qu’elle veut entretenir avec cette économie émergente. Notre éthique et nos valeurs peuvent se retrouver et se renouveler à la fois dans ces mouvements. •

Président-directeur général militant de la mutuelle d’assurance, Dominique Mahé revient sur le rapprochement de la MAIF avec le monde de l’économie collaborative. Rapprochement qui explique, un peu, le numéro que vous tenez dans les mains !Propos recueillis par Côme Bastin

Dominique MahéPour une « société

collaborative »

PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DU GROUPE MAIF

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AIF/

DR

Page 14: Idée collaborative 2015

Peut-on vraiment définir l’économie collaborative ?C’est un terme qui recouvre des réalités très différentes. Le premier modèle consiste à créer des ressources partagées. C’est l’économie qui crée des communs : la capacité qu’ont aujourd’hui les citoyens de se connecter et de s’auto-organiser. Ces derniers peuvent, par exemple, produire de la connaissance, du design ou encore du code ouverts ; autour de ces communs, des entrepreneurs vont ensuite venir co-créer de la valeur. Cette économie représente déjà 1/6 du PIB américain. Linux ou Arduino font partie des fers de lance de ce mouvement. Le second modèle, souvent désigné comme étant celui de l’« économie du partage », ne va au contraire pas générer de communs. Il se contente de mutualiser des ressources sous-utilisées (appartements, voitures, etc.) pour permettre des transac-tions commerciales entre les particuliers. Les représen-tants les plus fameux de cette économie sont Uber et Airbnb. Toutes ces activités ne sont-elles pas liées par la formation de communautés qui s’auto-organisent ?Il est important de distinguer les dynamiques top-down et bottom-up. Dans le premier cas, l’entreprise mobilise un public extérieur tout en gardant le contrôle sur les fins (ce qui implique généralement une forme d’atomisation du public). Dans l’autre, de véritables communautés se mettent en place, l’entreprise n’arrivant que dans un second temps. C’est à cette dernière de s’adapter aux communautés productives, pas l’inverse ! Il faut y voir un déplacement du centre de gravité. Par exemple, la com-munauté Linux [ayant donné naissance au système d’exploitation libre du même nom, ndlr] a inscrit dans sa fondation une sorte de code social régissant les interactions avec l’économie marchande, et ce fut à IBM

d’adopter la culture de l’organisation lorsqu’elle voulut exploiter le travail de la communauté. Ce type d’initiatives bottom-up ne restent-elles pas marginales hors du monde bien particulier de l’infor-matique ?Au contraire, nous assistons à une véritable explosion du phénomène ! Partout dans le monde, les initiatives civiques – c’est-à-dire ni étatiques ni commerciales – se multiplient à un rythme exponentiel. Je pense notam-ment aux coopératives énergétiques,

aux circuits courts… Les gens reprennent la main ; ils en attendent de moins en moins de la part du secteur marchand ou de l’État. Est-ce la naissance d’une alternative au modèle consumériste ?Oui, je crois. Il nous faut désormais réinventer une économie éthique qui soit générative pour les communs plutôt qu’extractive. Le problème, c’est que les plate-formes de l’économie du partage fonctionnent selon une logique d’extraction : Uber ne réinvestit pas ses profits dans les infrastructures urbaines. Autrefois, le capitalisme avait le mérite de créer de la valeur et de l’emploi. Au-jourd’hui, il se contente de mettre en relation et de prélever une rente sur l’activité citoyenne, contournant au passage toute forme de protection sociale. Les plate-formes de l’économie du partage sont riches – leur force est de centraliser ce qui est « distribué » –, mais elles peuvent appauvrir la société. Les modèles « distribués » sont-ils de taille à lutter ?Pour battre les plateformes à leur propre jeu, il faudrait effectivement que nous parvenions à introduire une

Pour Michel Bauwens, fondateur de la P2P Foundation, le pair à pair pourrait bien transformer le xxie siècle. À condition de cheminer vers une économie collaborative qui enrichisse le bien commun plutôt que de privatiser les profits.Propos recueillis par Arthur De Grave / Photos : Erwan Floc’h

Michel Bauwens

Génération bien commun

Né en Belgique en 1958, Michel Bauwens voyage aujourd’hui à travers le monde pour diffuser la philosophie du pair à pair. Après avoir travaillé chez British Petroleum (BP) puis Belgacom et après avoir créé plusieurs start-up dans l’écono-mie numérique au début des années 2000, il fonde la P2P Foundation en 2005. Il a récemment publié Sauver le monde : vers une économie post-capitaliste avec le peer-to-peer en collaboration avec Jean Lievens (éditions Les Liens qui Libèrent, 2015).

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« Il nous faut désormais réinventer une économie éthique qui soit générative pour les communs plutôt qu’extractive. »

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forme de coordination dans l’économie distribuée. La question est donc de savoir comment changer d’échelle sans revenir à un modèle centralisé. Une première solution consiste à former des coalitions entrepreneu-riales. Je les appelle les « nouvelles guildes », comme par exemple le réseau Enspiral en Nouvelle-Zélande, dont l’idée centrale est le développement de l’aide mutuelle entre entrepreneurs. Ce sont des travailleurs indépen-dants qui créent des outils (Loomio, Cobudget, pour n’en citer que deux) permettant de travailler de façon plus collaborative. On pourrait également citer Ethos Foundation au Royaume-Uni ou Las Indias en Espagne. Deuxième solution : mettre sur pied des méta-réseaux au niveau des territoires. Je pense notamment à des initia-tives comme enCommuns.org en France ou Mutual Aid Network dans le Wisconsin. L’idée est de connecter localement les flux émergents de l’économie qui œuvrent pour le commun. La troisième et dernière idée serait de réinventer le coopérativisme pour remplacer les plate-formes privées que nous connaissons aujourd’hui par des plateformes civiques. Bien sûr, ce combat est tout sauf gagné d’avance. Pensez-vous que la puis-sance publique ait un rôle à jouer dans cette transfor-mation ?Je le pense. Les villes, en particulier, sont dans une position idéale pour déclen-cher cette dynamique. Dans un pur modèle bottom-up, les participants sont trop rarement portés sur les questions de passage à l’échelle. Aux pouvoirs publics locaux de reprendre l’initiative pour donner naissance à des plateformes civiques et connecter les initiatives distribuées. Ils y ont tout intérêt car, pour l’instant, une part substantielle de la valeur créée par la société civile est absorbée par la Californie ! Certaines villes comme Séoul ou Bologne ont d’ailleurs amorcé une réflexion de fond sur le sujet. Voyez-vous des convergences possibles entre cette nouvelle économie collaborative et le mouvement mutualiste historique ?Il me semble qu’il existe déjà entre les deux de fortes similitudes d’un point de vue historique. Dans l’Angle-terre du xixe siècle, les paysans furent chassés de leurs terres et durent se résoudre à devenir des prolétaires dans

les villes. Avec la suppression de toute aide d’État aux pauvres dans les années 1830, la marchandisation com-plète du travail était achevée. Le premier mutualisme est né de ce besoin de protection de la classe ouvrière.Ma théorie est que nous vivons un deuxième acte d’enclosures, un exode massif, choisi ou contraint, de la condition salariale. Il existe d’un côté une classe précaire éduquée grandissante et, de l’autre, d’importants seg-ments de la population en phase d’appauvrissement rapide. Ces gens doivent absolument développer de nouveaux mécanismes de solidarité. Il y a donc beaucoup à apprendre du « vieux » mutualisme. Comment enclencher le mouvement ?La bonne nouvelle, c’est que les technologies dont nous disposons aujourd’hui devraient en théorie permettre de donner de l’ampleur au mouvement bien plus rapide-ment qu’au xixe siècle. En revanche, il faut absolument que le monde mutualiste se réveille et trouve une manière d’aller à la rencontre des communautés productives. Car le paradoxe, aujourd’hui, c’est que le capital a très bien compris comment exploiter l’hyperproductivité des communs, alors que le secteur coopératif est encore assez largement prisonnier de vieux modèles hiérarchiques et bureaucratiques. Les nouveaux systèmes sont ouverts, basés sur la contribution et non plus sur le membership, ce qui entre en contradiction avec la philosophie coopérative traditionnelle. L’alliance stratégique entre l’économie sociale et solidaire et l’économie du pair à pair est encore à forger, et il y a urgence !

Quel nouveau modèle de société imaginer à partir du pair à pair ?Dans l’ancien système, c’étaient les personnes privées qui créaient de la valeur, et nous partions du principe que chacun était égoïste. Les transactions commerciales étaient vues comme le mode d’interaction sociale dominant, ce qui excluait naturellement les communs et exigeait par ricochet l’interven-tion d’un État régulateur. Cette façon d’organiser la vie en

commun ne marche plus : l’État a été mis au pas par les forces du marché. Dans le monde du pair à pair, ce sont au contraire les citoyens eux-mêmes qui créent de la valeur en constituant des communautés productives. Il faut donc passer d’une économie « extractive » à une économie « générative » et trouver un moyen de tirer de la valeur des communs sans les exploiter. Dans ce contexte, le modèle des fondations que nous rencontrons un peu partout dans le mouvement open source (Linux, Wikipédia, etc.) devrait servir d’inspiration pour l’État, qui agirait désormais comme partenaire et facilitateur. À rebours de la vision libertaire, il faut réapprendre à « faire société ». •

« L’alliance stratégique entre l’économie sociale et solidaire et l’économie du pair à pair est encore à forger, et il y a urgence. »

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Alain Caillé Sociologue et économiste, spécialiste du don

Philippe Moati Sociologue et statisticien de la consommation

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VIVRE SANS ARGENT

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Qu’entendez-vous exactement par « consommation émergente » ?Bonne question ! Ce n’est pas ce qui est nouveau, car cela peut-être le retour d’un phénomène ancien. Ça n’est pas non plus alternatif, car cela n’est pas toujours vécu comme tel par le consommateur. Pas uniquement collaboratif non plus, car cela dépasse ce cadre. Au final, je dirais que c’est tout ce qui échappe au modèle marchand classique, mais qui révèle les nouvelles attentes des consommateurs et pourrait bien un jour devenir dominant.

Quelles grandes tendances se dégagent de votre étude ?La transformation du modèle de consommation est déjà en cours. Un peu plus de 60 % des Français ont déjà sauté le pas, d’une manière ou d’une autre. Le faire soi-même (81 %), l’achat direct au producteur (70 %), l’occasion (60 %), l’emprunt de produits (44 %) : tout cela ne relève plus de l’épiphénomène réservé à des militants bobos écolos.

Pratique-t-on tout cela à la fois ? Les multipratiquants pèsent moins de 10 %. Ces nouvelles formes de consommation sont pour eux quasiment ordinaires. Pour le reste, chacun compose sa propre partition en fonction de ses besoins et spécificités, et l’on distingue plusieurs groupes de pratiquants. Les « Néo-mobiles » (14 %) utilisent surtout le covoiturage et l’autopartage. Les « Bioéthiques » (18 %) privilégient l’achat responsable en circuit court, le faire soi-même et le

bio. Ce sont des personnes plus âgées et moins connectées. Troisième groupe, les recycleurs (18 %) qui sont adeptes de l’emprunt ou du marché de l’occa-sion. Enfin 37 % des sondés affichent un recours très faible à toutes ces pratiques de consommation émergente.

Quelles sont les motivations de ces nouveaux consommateurs ?Il y a une ambiguïté : c’est à la fois une manière de continuer à hyperconsom-mer dans un contexte défavorable, mais aussi une façon de donner du sens à son acte. Lorsque l’on sonde les individus, on se rend compte qu’il y a,

dans le même temps, des motivations matérialistes et altruistes. On observe également des tendances poli-tiques : les écologistes sont très nombreux, car la plupart de ces pratiques sont associées à des vertus environne-mentales. L’extrême gauche est bien représentée aussi, ce qui témoigne d’une logique de contestation et de chan-gement social.

Votre étude montre que certaines tendances de consommation n’ont guère évolué. C’est tout le paradoxe. La médiatisation de ces sujets, en particulier de l’économie collaborative, est montée en flèche depuis 2012. Or, par rapport aux dernières études,

LES GRANDS TÉMOINS

Achat direct au producteur, achat d’occasion, mutualisé ou emprunt de produits… Ces pratiques ne sont plus naissantes, mais bel et bien installées dans les habitudes des consommateurs. Entretien avec Philippe Moati, directeur de l’Observatoire des consommations émergentes, et auteur d’une étude statistique sur la question (1)Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Erwan Floc’h

Philippe Moati« Notre modèle de consommation s’est irrémédiablement fissuré »

Après plus de vingt ans passés au CRÉDOC, Philippe Moati a participé à la création en 2011 de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo). L’analyse des transformations du système économique et social traverse ses différents travaux. L’Économie des bouquets (éditions de l’Aube, 2008, Prix de l’Académie des sciences commerciales 2009) et La Nouvelle Révolution commerciale (Odile Jacob, 2011) sont ses deux derniers livres.

(1) L’Observatoire des consommations émergentes, vague 3, septembre 2015, sous la direction de Philippe Moati. Enquête réalisée du 24 juin au 10 juillet 2015 auprès de 4 068 personnes.

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Philippe Moati« Notre modèle de consommation s’est irrémédiablement fissuré »

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« La transformation du modèle de consommation est en cours. Plus de 60 % des Français ont déjà sauté le pas. »

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les chiffres montrent qu’il n’y a pas eu de « raz de marée collaboratif » depuis cette période. La location de pro-duits ou l’emprunt entre particuliers, par exemple, stagnent entre 2013 et 2015.

Comment l’interpréter ?Cela veut dire que le mouvement était parti avant, mais que les analystes et les médias se sont réveillés tard. Ces pratiques sont déjà entrées dans les habitudes des indivi-dus, qui les ont d’ailleurs toutes notées positivement dans le cadre de l’étude. Certains marchés sont d’ores et déjà matures, comme le covoiturage.

Déjà matures ? Des plate-formes comme Blablacar connaissent tout de même une sacrée croissance !Il y a une illusion d’optique. Après une phase de croissance extensive, où l’on recrute toujours plus d’utilisateurs, Blablacar est entrée dans un développement intensif. Sa croissance importante s’ex-plique par une diversification de l’offre, le rachat de plate-formes concurrentes ou l’internationalisation. Mais en termes de consommation, la pratique du covoiturage n’évolue pas très rapidement en France. En revanche, sur le crowdfunding, on observe une augmentation significative de la frange de la popula-tion concernée et des montants collectés. Des chiffres

corroborés par les données des plateformes elles-mêmes. C’est aussi un effet « cycle de vie » : ces pratiques sont encore jeunes.

Certaines plateformes n’ont pas réussi à trouver leur business model.Certains secteurs ont du mal à décoller car ils ne par-viennent pas au seuil critique d’utilisateurs nécessaire à leur développement. Prenons l’exemple du covoiturage courte distance. Beaucoup s’y sont essayés, mais les plateformes peinent à atteindre un nombre de chauffeurs

suffisant pour que l’utilisateur puisse trouver un véhicule rapidement lorsqu’il sollicite l’application. Résultat : ce dernier se détourne de la plateforme, puis les chauf-feurs aussi. C’est un cercle vicieux. Par ailleurs, certaines pratiques, comme aller faire la cuisine chez son voisin, intéressent beaucoup les journalistes, mais restent pour l’instant assez marginales.

Ces nouvelles formes de consommation ne dureront donc pas toutes dans le temps ?

Elles ne dureront peut-être pas toutes en effet, mais elles disent quelque chose de notre époque. Un Français sur deux voudrait consommer mieux. Notre modèle, dont les fondements remontent à l’entre-deux-guerres, s’est

« Les frontières traditionnelles s’effacent : on devient acheteur et vendeur, salarié et indépendant, travailleur et capitaliste… »

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irrémédiablement fissuré. Toutes ces mutations de la consommation préfigurent une mutation plus générale de notre système économique. Qui sait ce que nous réservent les futures start-up ?

Alors, essayons-nous un peu à la prospective !Je crois que nous passons d’un modèle consumériste à un modèle serviciel. À savoir, là où l’on vendait autrefois une marchandise, on accompagne désormais les individus vers l’obtention d’une solution. C’est toute l’économie de la fonctionnalité : avec Vélib’, je vous vends un service (le prêt d’un vélo pour vous rendre d’un point A à un point B). Je vous débarrasse du problème du déplacement, sans vous vendre le produit pour autant. Et je garde les moyens matériels de production, ce qui permet de continuer à faire tourner cette nouvelle économie.

Parmi les mutations que l’on observe, celle du consom-mateur qui se fait producteur. Ça ne fait pas l’ombre d’un doute. On est en train de voir les frontières traditionnelles s’effacer : on devient acheteur et vendeur, salarié et indépendant, travailleur et capita-liste… Les rôles qui étaient clairement établis dans le passé débordent les uns sur les autres. Certains y voient une « revanche » des consommateurs qui ont acquis des compétences marchandes au cœur du système et les exploitent désormais pour les mettre au service d’un système alternatif.

Est-ce vraiment une alternative ? Il faut dans le même temps penser qu’il y a là une marchandisation rampante qui atteint des territoires jamais imaginés. Même les relations interpersonnelles deviennent des relations marchandes. Et ce type de relation n’est pas encadré par les institutions tradition-nelles qui se sont bâties au fil des siècles, comme le droit de la concurrence et le droit de la consommation.

Comme la nature a horreur du vide et que l’on a besoin de confiance pour opérer des transactions, c’est une évaluation des individus par les individus eux-mêmes qui prend le relais.

Verra-t-on des agences de notation de la confiance se mettre en place ?Rachel Botsman, auteur de La Montée de la consommation collaborative (2) affirme que « la confiance sera la monnaie du XXIe siècle ». Elle défend avec enthousiasme et empres-sement l’idée qu’il faut agréger toutes nos notes chez Blablacar, eBay ou Airbnb pour associer une note de confiance unique à chaque individu. Des start-up se lancent sur le créneau. Pour moi, c’est une perspective cauchemardesque ! Pourquoi pas une puce dans le corps pour savoir ce que l’autre vaut ? Au final, cette société d’entrepreneurs généralisés, parfois idéalisée, émerge davantage par nécessité que par choix, parce que la société salariale s’effrite. Et, avec elle, les acquis de protection réservés aux salariés.

Que faire pour accompagner ces évolutions positive-ment ?Tout d’abord, commencer par en prendre acte. On ne reviendra pas à la société salariale des Trente Glorieuses. Se poser ensuite cette question : comment s’acheminer vers un nouveau modèle, tout en ménageant les valeurs auxquelles on tient véritablement ? Il faudrait « rattacher » à l’individu – puisqu’il devient désormais la cellule de base de cette nouvelle économie – un certain nombre de droits. Il faudrait aussi réorienter l’État- providence, de manière à lui fournir une ceinture protec-trice, quel que soit son statut. C’est un peu la flexisécurité scandinave. Certains parlent d’un nouveau statut inspiré de celui des intermittents ou encore de revenu universel. •

(2) Ouvrage publié en collaboration avec Roo Rogers sous le titre What’s Mine Is Yours: The Rise of Collaborative Consumption, Harper Collins, New York, 2010.

Exit l’hyperconsommation des années 1970 et 1980, motivée par l’affirmation de soi (« Je consomme, donc je suis »). Adieu les achats de « rassurance » caractéristiques des années 1990. En 2015, les familles françaises remettent au goût du jour certaines notions de partage et de « frugalité », à l’opposé du gaspillage des années passées. Pour le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC), les nouveaux comportements d’achat des foyers sont d’abord motivés par le souhait de « mainte-nir leur qualité de vie ». Ils marquent aussi, dans une moindre mesure, leur volonté de rencontrer davantage de compatriotes, leur désir de mieux protéger l’environnement et une relative défiance vis-à-vis des commerçants et des industriels.

De plus en plus de Français préfèrent louer ou partager plutôt que d’acheter : lorsqu’ils partent en vacances, ils privilégient l’échange d’appartements ou les locations chez l’habi-tant ; à la rentrée, ils achètent ou échangent des vêtements d’occasion pour leurs enfants (sur TooShort, L’armoire des petits) ; et ils explorent assidument tout au long de l’année les nouveaux sites de garde communautaires (comme Happy Sharing) ou de location de jouets (tels Écojouets ou Club des p’tits loups). Cette dernière évolu-tion en dit long sur les changements des men-talités, selon l’économiste américain Jeremy Rifkin : les jouets, longtemps considérés comme le premier contact de l’être humain avec la pro-priété, deviennent des objets que l’on utilise

pour un temps donné avant d’en faire profiter d’autres personnes.À plus ou moins long terme, ces évolutions devraient entraîner une mutation profonde de l’économie. Pour beaucoup, le capitalisme financier, que l’on jugeait naguère tout puissant, devrait se voir remplacé par un nouveau type de « capital social », pour lequel la valeur d’une société sera intimement liée au nombre de consom’acteurs qu’elle aura su fédérer. L’essor de l’économie collaborative devrait aussi marquer le début de la fameuse « troisième révolution industrielle » que Rifkin appelle de ses vœux. Et ce, afin de générer une croissance plus respectueuse de l’environnement.(L’Express)

La nouvelle consom’action des familles

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n un peu moins de dix ans, Blablacar est devenu un géant, rassemblant 20 millions de membres à travers le monde. Le fleuron de l’économie

collaborative française a réussi à lever 100 millions de dollars en juillet dernier pour accélérer son développement à l’international. Après Paris, Lyon et Bordeaux, Autolib, voiture électrique en libre service, s’exporte aujourd’hui aux États-Unis et au Canada. Pendant qu’Uber, ce service de transport effectué par des particuliers, s’ins-talle dans toutes les grandes villes du monde.Blablacar, Autolib, Uber... Des noms devenus familiers en quelques années pour bien des Français. Il faut dire que d’après une étude 60 millions de consommateurs, 19 % des Français déclarent pratiquer régulièrement le covoiturage. Mais connaissez-vous Drivy  ? Lift  ? Koolicar  ? Livop  ? Wattmobile  ? Heetch ? Djump ? Vous êtes un peu

Le déploiement du marché pas-sera aussi par de nouvelles pra-tiques comme l’autopartage sans clé. Jusqu’ici, pour louer le véhicule d’un particulier, il fallait prendre rendez-vous avec le propriétaire une première fois pour récupérer la clé, puis une autre fois pour la lui rendre. Avec Livop ou Koolikar, c’est fini. Les deux start-up utilisent un boîtier qui permet de déverrouil-ler les portières de la voiture grâce à un badge ou par réseau bluethooth. Le coût du trajet est ensuite calculé automatiquement en fonction du temps et du nombre de kilomètres parcourus. On emprunte ainsi la voiture de quelqu’un d’autre... aussi facilement que si c’était la sienne.D’autres acteurs se distinguent par la communauté qu’ils ciblent. Wattmobile loue ainsi des véhicules électriques à destination des pro-fessionnels un peu pressés, le plus souvent à la sortie des gares ou des centres d’affaires. Pendant que les chauffeurs de Djump, Heetch ou Miinute guettent un public jeune et urbain près des bars ou des boîtes de nuit. À l’intérieur du véhicule, tutoiement et attitude cool sont de rigueur. LA FIN DU VÉHICULE PERSONNEL ?Symbole de progrès et de prospé-rité durant le xxe siècle, le véhicule personnel voit son règne décliner. À l’heure où chacun peut tour à tour

perdus... et pour cause  : ces der-nières années, le nombre d’entre-prises liées à la mobilité partagée a explosé en France. Et si l’on parle de « mobilité partagée », c’est que toutes ces nouvelles façons d’utili-ser la voiture ne se limitent plus au covoiturage. AUTOPARTAGE SANS CLÉInconnue il y a deux ans, Drivy s’est aujourd’hui imposée en France comme l’Airbnb de la location de voitures. En avril dernier, la start-up a levé 8 millions d’euros et racheté son concurrent Buzzcar, portant à 26 000 le nombre de ses véhicules de particu-liers disponibles à la location. Drivy ne détient encore que 1 % du marché en France, mais son fondateur Paulin Dementhon estime que les marges de progression sont énormes. « On peut occuper jusqu’à 50 % du marché de la location sans marcher sur les plates-bandes des loueurs traditionnels. On est là pour augmenter le gâteau, pas pour leur prendre du trafic », explique-t-il au journal Le Monde.

JUSQU’OÙ IRA LA MOBILITÉ PARTAGÉE ?

Covoiturage, autopartage, location de véhicules : de nouvelles formes de déplacement se sont imposées en quelques années. Mais la révolution de la mobilité partagée ne fait que commencer. Économie, écologie, urbanisme... Elle va tout balayer. Côme Bastin, octobre 2015

« 4 véhicules sur 5 pourraient être supprimés dans les villes s’ils roulaient presque tout le temps et s’ils étaient tous pleins. »

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occuper la fonction de pilote ou pas-sager selon le jour –  voire l’heure  –, il pourrait devenir un simple investis-sement, qu’on lais-serait ensuite gérer par des applica-tions. Celles-ci se chargeraient de le louer à ceux en ont besoin le moment venu, à la manière d’un appartement dont on délègue la gestion à une agence.Une étude du Massachusetts Insti-tute of Technology (MIT) a estimé que, dans une mégapole comme Singapour, 30 % des véhicules suffiraient à assurer la totalité des déplacements, s’ils étaient mieux utilisés. Et l’étude va plus loin  : en mutualisant les trajets, on pour-rait réduire encore ce trafic de 40 %. Au final –  sortez vos calcu-lettes  –, c’est 4 véhicules sur 5 qui pourraient être supprimés dans les villes s’ils roulaient presque tout le

Le groupe Renault a fait alliance avec Bolloré pour produire les véhicules électriques Bluecar, que l’on em-prunte avec le système Autolib. Plus malheureux, PSA a investi dans la plateforme de covoiturage Wedrive et prévoyait même d’en intégrer l’interface aux tableaux de bord de ses voitures... avant que la start-up ne mette – sans mauvais jeu de mots – la clé sous la porte.Outre ses avantages économiques évidents, cette révolution de la mobilité partagée permet de limi-ter les émissions de CO2 en rédui-sant le nombre de véhicules sur les routes. Autre bénéfice – plus inat-tendu  – de l’optimisation du parc de véhicules dans les villes  : faire chuter les loyers. Comment  ? En revoyant à la baisse les besoins de stationnement  ! Des chercheurs de l’Organisation de coopé-ration et de développement économiques (OCDE) estiment ainsi qu’une ville de la taille de Lisbonne se retrouverait dotée d’une surface constructible équi-valente à celle de 210 stades de foot si on la libérait de ses par-kings. « Allô », Mme la  Maire  ? •

temps et s’ils étaient tous pleins. Les grands groupes ne s’y trompent plus, préférant désormais y voir une opportunité plutôt qu’une menace. La SNCF a lancé sa propre plate-forme de covoiturage, iDVROOM, et a investi 100 000 euros dans Wattmobile. Vinci Autoroutes prévoit d’installer 19 parkings de covoiturage à proximité des péages pour permettre aux conduc-teurs d’embarquer ou d’échanger leurs passagers plus facilement. Li

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Covoiturer avec un cadre juridique

Comment définir et encadrer toutes ces nouvelles formes de mobilité interpersonnelles ? La question se pose depuis la guerre ouverte entre taxis et véhicules de transport avec

chauffeur (VTC), notamment concernant le statut d’Uber. Il a fallu attendre juillet 2014 pour qu’une définition juridique officielle du covoiturage soit établie. Du côté des assureurs, on planche

également sur le sujet. Une partie du prix facturé pour les trajets effectués avec Koolikar ou Livop sert ainsi à couvrir les litiges ou accidents éventuels. De son côté, Blablacar propose depuis peu

une assurance « arrivée à destination garantie » pour ses membres.

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n mois. C’est la durée pendant laquelle le RER  A a été fermé cet été pour travaux entre La Défense et Auber,

deux stations très utilisées par les habitants d’Île-de-France. Un mois de galère en perspective ? Pas si sûr car, pour la première fois, la régie de transport parisienne a déve-loppé un partenariat avec Sharette, une application de covoiturage ur-bain, pour assurer le transport des passagers abandonnés par le RER. INTÉGRÉ À L’APPLI RATPDès le début des travaux, le 25 juil-let, les passagers du RER ont donc pu monter dans les véhicules de particuliers pour rejoindre leur destination. Cette offre « multimo-dale  » est intégrée à l’application même de la RATP.Les utilisateurs ont alors la possi-bilité de choisir soit un itinéraire empruntant seulement les trans-ports en commun et traditionnels bus de remplacement, soit un iti-néraire incluant du covoiturage via un bouton dédié. Coût du trajet en voiture : 2 euros. Difficile de prévoir combien de personnes ont été sé-duites par l’option cet été. « C’est la première fois qu’un tel partenariat est mis en place et on ne sait pas comment les usagers des transports en commun vont répondre », explique Grégoire de Pins, fondateur de Sharette. Après cette phase de test, la colla-boration entre la RATP et Sharette devrait se poursuivre durant les sept ans que vont durer les travaux du RER A, sur d’autres tronçons.

coopération intelligente entre trans-ports collectifs et conducteurs particu-liers, notamment pour désenclaver les zones peu denses délaissées par les trans-ports en commun, ou assurer les trajets banlieue-banlieue », prédit le fonda-teur de Sharette. Jusqu’à imaginer, un jour, des trajets en covoiturage inclus dans la carte Navigo même ? •Pour aller plus loin : www.sharette.fr

COOPÉRATION INTELLIGENTESharette a été selectionnée après un appel à projet pour « l ’expé-rimentation d’une solution inno-vante de covoiturage » lancé par la RATP. Auparavant, fin 2013, la start-up avait également été le coup de cœur des Franciliens au concours « Open data  » pro-posé par la régie de transport.La collaboration entre les deux en-treprises est en réalité encore plus ancienne, puisque Sharette pro-pose à ses utilisateurs, depuis son lancement, certains trajets en train, lorsqu’aucun covoiturage ne permet de rallier la destination souhaitée.« On oppose traditionnellement covoiturage et transports en com-mun, mais les lignes sont en train de bouger », affirme Grégoire de Pins. En témoigne également iD-Vroom, service de covoiturage lancé par la SNCF pour soulager son trafic et les éventuelles perturbations.« À l’avenir, il y aura une vraie

QUAND LE COVOITURAGE VOLE AU SECOURS DES USAGERS DU RER

Les habitués du RER peuvent désormais compter sur le covoiturage pour rentrer chez eux.

Capture d’écran de l’application RATPindiquant un covoiturage.

Alors que certains tronçons du RER A sont fermés pour travaux, La RATP et l’application Sharette collaborent pour assurer le transport des voyageurs. Ceux-ci peuvent réserver leur trajet en voiture directement via l’application de la régie de transport. Côme Bastin, juillet 2015

Plan B pour le RER A

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Waze, l’application d’aide à la conduite de Google, intègre désormais le covoiturage. Ce service vient concurrencer Blablacar en mettant

directement en relation les conducteurs et les passagers. Pour éviter les bisbilles avec les taxis, le système surveillera les chauffeurs, afin qu’ils ne

s’éloignent pas trop de leur parcours, et limitera leur nombre de trajets à deux par jour. Google, lui, empochera 15 % du prix de la course. L’application est actuellement testée en Israël, pays d’origine de Waze, déjà connu pour ses taxis collectifs « sherouts ». • Jean-Jacques Valette,septembre 2015

Google se met au covoiturage

La plateforme Wetruck, lancée à la mi-septembre, recense les trajets proposés par des entreprises de transport pour partager la cabine d’un chauffeur routier.octobre 2015

Une petite place au « co-camionnage »

Vous trouvez les trajets en covoi-turage interminables  ? Coupez par les airs ! Plusieurs plateformes internet permettent de voya-ger à bord d’un avion privé, du coucou au jet de luxe. Comptez une centaine d’euros pour voler de l’île d’Yeu à Paris, en survo-lant les châteaux de la Loire, à bord d’un Robin DR400. Le tout dans un esprit forcément collaboratif, car la loi interdit au pilote de vous faire payer plus que votre part de carburant s’il n’a pas de licence commerciale. Prudence donc  : l’aviation légère est avant tout un plaisir et non un mode de transport. Plusieurs sites, tous gratuits, s’adressent aux co-avionneurs : Wingshare.fr, Coavmi.com ou encore Offwefly.eu. Pour un voyage en jet, c’est plus cher : entre 600 et 2 000 eu-ros pour un vol de 500 kilomètres, service de bord inclus. Des prix qui restent toutefois inférieurs de 80 % à la moyenne, car les plate-formes qui proposent ces offres haut de gamme, comme Cojetage.com ou le très élitiste Blackjet.com – dont le PDG est un ancien d’Uber –, rentabilisent des avions qui auraient, sinon, volé à vide. • Jean-Jacques Valette, septembre 2015

Le Blablacar des airsEnvoyez-vous en l’air avec le co-avionnage

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Vous venez de lever 8 millions d’euros. Quels sont vos objectifs ?On a visé des fonds qui étaient dans notre culture : à la fois technologiques (Union Square Ventures) et environnementaux (Quadia). L’objectif, c’est de se donner les moyens de nos ambi-tions, à savoir inventer de nouvelles façons de produire et de consom-mer la nourriture. Et, une des clés c’est la technologie. On a besoin de développeurs, car notre plateforme est encore assez basique, et de ressources humaines pour essaimer à l’international.

Tout cet argent va essentiellement être utilisé pour améliorer la plateforme ?C’est une question centrale. Prenez Uber. Pour l’utilisateur, c’est très simple de réserver un véhicule. Mais, en réalité, c’est extrêmement complexe de faire se rencontrer l’offre et la demande. L’expérience et l’ergonomie sont primordiales pour fidéliser le client. Dans notre cas, c’est compliqué, du fait que nous devons coordonner des achats groupés. Certains militants pensent qu’on peut se débrouiller avec un site mal fichu et compter sur l’engagement des individus pour faire le reste. Mais si c’est plus facile d’acheter quelque chose à manger au supermarché du coin que de commander sur La Ruche, le cerveau va se rabattre sur la pre-mière option. Il faut le prendre en compte si l’on veut avoir un impact.

LA RUCHE QUI DIT OUI LÈVE 8 MILLIONS D’EUROS ET SOUTIENT 13 FERMES

Pour rapprocher encore plus paysans et consommateurs, la start-up va développer sa plateforme et subventionner des exploitations durables partout en France. Entretien avec Guilhem Cheron, cofondateur de La Ruche qui dit Oui ! Propos recueillis par Côme Bastin, juin 2015

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Vous allez aussi investir dans des fermes ?Exact. Nous avons lancé avec l’association Fermes d’avenir un appel à projet pour 13 exploitations innovantes, une par région [selon le découpage de la réforme territoriale, ndlr]. Le mot d’ordre, c’est de favo-riser une agriculture qui régénère la nature, comme la permaculture. Chaque ferme se verra financée à hauteur de 10 000 euros, plus 20 000 euros via une campagne de financement participatif. On a déjà reçu plus de 200 candidatures.

Distribution d’un côté, production de l’autre : l’objectif est-il de court-circuiter la grande distribution ?Tuer les supermarchés, c’est la mis-sion des autres supermarchés ! Nous, ce qu’on veut, c’est arriver à asseoir l’agriculture durable. Et pour cela il nous faut réinventer toute la chaîne : culture, distribution, consomma-tion. On a maintenant 700 ruches ouvertes, et ce n’est qu’un début. Il faut nous assurer de pouvoir provi-sionner cette demande croissante. C’est une position spéciale, un peu comme si Airbnb devait favoriser la construction de logements pour réussir. Sauf qu’en plus, nous, on gère des actifs beaucoup moins liquides [à valeur constante, ndlr] puisqu’il s’agit de nourriture.

Comment expliquer ce manque d’offre dans l’agriculture durable ?L’agriculture héritée des révolutions vertes est la seule qui produit encore du confort pour les agriculteurs. Plus j’ai d’hectares, plus je vais obte-nir de subventions avec lesquelles je pourrai m’acheter un beau tracteur et faire vivre ma famille. Je com-prends que les jeunes agriculteurs fassent ce choix. D’autant qu’à côté de ça, les maraîchers bio arrachent les poireaux avec les dents et peinent à joindre les deux bouts. Il faut construire un nouveau récit col-lectif autour des fermes de demain, montrer qu’on peut être paysan durable et avoir une vie normale, en laissant la nature travailler à notre place. C’est ce qu’on espère faire avec Fermes d’avenir. •

MANGER À LA SAUCE COLLABORATIVE

VIZEAT, LE AIRBNB DE LA TABLECette entreprise française, créée en juillet 2014, après avoir avalé Cookening, se positionne comme la plateforme leader en Europe du « social dining ». Vizeat permet de réserver et partager un repas chez l’habitant dans pas moins de 50 villes du monde. Pour Camille Rumani, cofondatrice avec Jean-Michel Petit, « la table est le premier réseau social, il faut la remettre au cœur des échanges ». L’hôte définit librement le menu, le prix, la date, l’heure et la durée du repas qu’il propose, sans oublier de préciser le nombre de voyageurs qu’il désire accueillir. Des événements, organisés dans différentes villes, fédèrent une communauté de plus de 1 500 vizeaters. Et pas de panique : les végétariens, les intolérants au gluten et ceux qui ne mangent que halal ou casher seront aussi servis !

Allier la gastronomie aux nouvelles rencontres, c’est le pari de ces plateformes qui se plient au service de vos papilles… De la vente de bons petits plats aux repas partagés entre particuliers, les plateformes de mise en relation de gourmets connaissent un beau succès. En cas de fringale, a sélectionné pour vous quelques sites « food friendly ».

VOULEZVOUSDINER, AVEC MOI CE SOIR ?Parcourir le monde, de San Francisco à Canberra en passant par New Dehli tout en découvrant la cuisine locale, c’est également la promesse faite par VoulezVousDiner. Cette autre plateforme mondiale du repas chez des particuliers vous assure de nouer une amitié avec des passionnés de cuisine.

L’accent est mis sur les thématiques : cinéastes, écrivains et sculpteurs ouvrent leurs portes. Ils ambitionnent de nourrir votre esprit autant que votre estomac. Quand d’autres vous font savourer leurs plats, dans leur loft, leur villa au bord de mer ou dans leur manoir. Les plus économes pourront casser une graine pour moins de 20 euros.

KELPLAT, CAP SUR LA GÉOLOCALISATIONLancé en 2013, ce site assure à ses utilisateurs de mettre aux fourneaux tous les cuistots amateurs afin qu’ils concoctent de succulents mets pour tous ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens. La philosophie de Kelplat repose sur une nourriture saine, 100 % maison et à moindre coût.Le site définit lui-même le prix de vente de votre plat suivant une grille tarifaire basée sur les ingrédients utilisés. Grande nouveauté cette année : vous pourrez vendre vos plats à vos voisins sur une plateforme géolocalisée. Quand efficacité rime avec gourmandise.

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e jour de l’interview, Laure Courty est au milieu des cartons. Son en-

treprise, jestocke.com, service de garde-meuble entre particuliers, s’installe pour deux ans dans un château à Bègles. La question est tentante. Loue-t-elle une cave sur sa plateforme pour entreposer des affaires ? Ça la fait rire. « Je l’utilise seulement à titre personnel ! »

Pour la fondatrice de jestocke.com, l’économie collaborative n’est pas seule-ment une case pour classer sa start-up. Cet aménagement provisoire, le temps des travaux de la cité numérique de Bordeaux, signe une vraie philosophie

pas du tout dans mon caractère de faire les choses à moitié », précise-t-elle sans pré-tention aucune. « J’ai plongé le nez dans cet univers start-up et économie collaborative. C’est l’avenir. Pourquoi ça ne marcherait pas ? » Valoriser des espaces immobiliers non utilisés, répondre aux personnes en période de mobilité, de déménagement, de travaux, rassurer et briser les réti-cences avec une assurance incluse dans la transaction… Jestocke.com est lancée en 2013. Très vite. Dans la foulée d’un 2e bébé.Laure Courty n’aime pas parler de sa boîte à la première personne. Pour elle, il faut savoir s’entourer. « C’est un projet trop lourd pour le porter seule. » Il s’agit aussi de mutualiser, partager. « Nous travaillons en collaboration avec des partenaires. Ce n’est pas toujours une relation financière, mais un échange de compétences, de mise à disposition de temps, de locaux. » Une levée de fonds en janvier dernier, accélère le développement de l’entreprise qui vient de passer en quelques mois de 5 à 10 salariés. Recrutés moins sur leur pro-fil que leur appétence pour la consomma-tion collaborative.Ce style de consommation et d’éco-nomie du partage, Laure le pratique au quotidien. « Quand nous avons acheté une maison, on est allé voir les voisins pour leur proposer de partager : toi tu as une tondeuse, moi je prends un taille-haie. Quand on le prête, en général, on récupère le “matos” en meilleur état ! » Un mode de consomma-tion communicatif. Quand sa mère vient lui rendre visite, elle utilise Blablacar.

collaborative du travail. « Un écosystème de start-up s’est créé dans cette cité, on ne voulait pas l’éclater », raconte Laure. Les forces ont alors été mises en commun pour trouver des locaux avec un bail pré-caire pour une dizaine de start-up. Un vrai boulot.Rien ne laisse percevoir le déménageur, derrière la silhouette menue. Pourtant

trimballer ses affaires ne fait pas peur à la jeune femme. Le bac en poche, elle part s’installer un an à Londres, suivront New-York, l’Autriche, le Mexique. Avant de se poser à Paris, où elle travaille dans l’édition, puis à Bordeaux, pour suivre

son mari. Si la question du stockage de ses affaires est récurrente, c’est quand son salon bordelais se trans-forme en entrepôt de sa cave parisienne que germe l’idée de jestocke.com. « J’avais besoin de 4 m2, pas trop loin. J’ai cherché sur le web, je n’ai rien trouvé ».Pas de blog pour tester l’idée sur la toile. « Ce n’est

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BIO1977 – naissance à Meudon.

1996 – premier déménagement à Londres

2012 – déménagement à Bordeaux et participation à la création d’une AMAP, « avec producteur de fromages de chèvre »

2013 – création de Jestocke.com

2015 – levée de fonds de 350 000 €

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« J’avais besoin de 4 m2, pas trop loin. J’ai cherché sur

le web, je n’ai rien trouvé. »

> LES COLLAB’ELLES

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Elles innovent, apportent un nouveau souffle à l’économie et s’engagent avec des initiatives collaboratives.

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Vous trouvez les trajets en covoiturage interminables ? Coupez par les airs ! Plusieurs plateformes in-ternet permettent de voyager à bord d’un avion privé, du coucou au jet de luxe. Comp-tez une centaine d’euros pour vo-ler de l’île d’Yeu à

Paris, en survolant les châteaux de la Loire, à bord d’un Robin DR400. Le tout dans un esprit forcément colla-boratif, car la loi interdit au pilote de vous faire payer plus que votre part de carburant s’il n’a pas de licence com-merciale. Prudence donc : l’aviation légère est avant tout

un plaisir et non un mode de transport. Plusieurs sites, tous gratuits, s’adressent aux coavionneurs : Wingshare.fr, Coavmi.com ou encore Offwefly.eu. Pour un voyage en jet, c’est plus cher : entre 600 et 2 000 euros pour un vol de 500 kilomètres, service de bord inclus. Des prix qui restent toutefois inférieurs de 80 % à la moyenne, car les plateformes qui proposent ces offres haut de gamme, comme Cojetage.com ou le très élitiste Blackjet.com – dont le PDG est un ancien d’Uber –, rentabilisent des avions qui auraient, sinon, volé à vide. •

CAVES, BOX INUTILISÉS… DES ENTREPRISES FRANÇAISES MISENT SUR LA LOCATION D’ESPACES

ÉCONOMIQUE ET CONVIVIAL

Le costockage occupe l’espace

Comment déménager « collaboratif »

Si, comme 3 millions de Français, vous avez décidé de déménager cette année, mais que la camionnette de votre beau-frère est en panne et que vos amis sont soudainement injoignables, ne désespérez pas, l’économie du partage est votre alliée.

Tout d’abord, débarrassez-vous des objets inutiles en les revendant sur Leboncoin.fr ou en les donnant sur Freecycle.org. Vous ferez des heureux, sans rien jeter. Vient ensuite la question du transport : sur Drivy.com, vous trouverez des véhicules utilitaires de toutes tailles mis en location par des particuliers. Besoin de gros bras ? Mydemenageur.com vous en fournira. Et si vous cherchez un bricoleur pour assembler votre cuisine ou monter vos étagères, Pour-combien.com est la solution. Une perceuse ? Louez-la à un

par t icu l ier sur Zi lok.com ou empruntez-la gratuitement sur Sharevoisins.fr. Si vous en avez acheté une (tout en sachant qu’elle ne servira que 12 minutes dans votre vie) et que vous ne savez pas où la stocker ensuite, direction Costockage.fr. Vous y louerez un grenier ou une cave à un particulier, afin d’y entreposer vos affaires – qui seront assurées. Au total, l’économie du partage vous permettra d’économiser jusqu’à deux tiers du prix d’un déménagement. Mais n’oubliez pas  : c’est toujours à vous d’offrir la bière. • Jean-Jacques Valette, septembre 2015

La location de surfaces en pair à pair a franchi la Manche pour poser ses valises chez nous. Alors que le succès du costockage ne se dément pas en Grande-Bretagne, trois entreprises françaises trustent aujourd’hui le marché hexagonal en offrant gratuitement aux propriétaires la possibilité de louer des garde-meuble, des caves ou des box inutilisés à ceux qui en manquent.

LA STRATÉGIE DE LA PROXIMITÉAdam Levy-Zauberman et Mickaël Nadjar ont été les premiers à se lancer en 2012 avec Costockage. « Le locataire débourse moins de 100 euros pour bénéficier de 10 m3 d’espace à Paris », explique Adam Levy-Zaubermane. Contre plus de 300 euros chez un garde-

meuble traditionnel pour la même surface. Costockage quadrille le territoire avec 150 000 m3 d’espaces disponibles, avec une forte densité dans les grandes villes. « À Paris, vous trouvez un lieu de stockage tous les 250 mètres », poursuit le jeune homme. Le locataire peut aussi emprunter des caves ou des box à petits prix. Simon Ryckembusch, cofondateur de OuiStock, lancée en avril 2014, souligne : « Quand les propriétaires peuvent se faire 300 euros par mois de location, les locataires payent jusqu’à 60 % moins cher que chez un professionnel. » Laure Courty, la patronne de Jestocke, qui propose 1 500 offres en France, met quant à elle en avant le lien social qui se tisse entre propriétaires et locataires. La

question de la flexibilité ne doit pas être oubliée. « Les locataires n’ont pas les clés et veulent parfois venir à n’importe quel moment », concède Jean-François Dufrasne, propriétaire parisien. Prochaine étape des entreprises du costockage : échanger avec des professionnels. • Clémence Chopin, juin 2015

QUELS RISQUES POUR LE PROPRIÉTAIRE ?Le locataire d’un espace inutilisé doit être vigilant car les biens stockés doivent entrer dans le cadre des conditions générales d’utilisation. « S’il détient des stupéfiants, des armes, il encourt un risque pénal à condition de démontrer qu’il avait connaissance et l ’intention de les détenir, avertit Michel Leclerc de DroitduPartage.com. En cas de sinistre, l ’assurance de la plateforme pourrait refuser le remboursement pour certains biens. »

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Marchandisation et économie du partage se développent simultanément. Dans ce contexte, quelle est aujourd’hui la place du gratuit dans nos économies ?Il faudrait d’abord se pencher sur ce qu’est le « gratuit » car la question du don, auquel il est lié, est chargée d’une lourde ambiguïté. On associe spontanément le don à la charité, à la gratuité absolue, au désintéressement… Or, je pense que cette perspective empêche de saisir la réalité du don. Comme le dit un proverbe auquel les économistes américains se réfèrent souvent : « Un dîner gratuit, ça n’existe pas ! » (1). Le don est toujours lié à l’idée de retour. Dans son « Essai sur le don » (L’Année sociologique, 1923-1924), Marcel Mauss n’associe pas le don à la gratuité, mais à la triple obligation de « donner », « recevoir » et « rendre ». En somme, dans le don, il y a de la gratuité... mais le don n’est jamais gratuit. Contrairement au don, le « gratuit » serait donc lié à l’économie de marché ?D’abord religieuse, la logique du don nécessaire s’est déclinée sous une forme laïque dans les coopératives ouvrières, les mutuelles, mais aussi les services publics. Or, cette gratuité de la mise en commun est menacée par le capitalisme néolibéral. Les grands producteurs de gratuit, aujourd’hui, ce sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). La gratuité de leurs services est réelle, mais elle est extrêmement lucrative et leur permet de détruire un ensemble de régulations sociales, politiques et étatiques protectrices. Cette gratuité radicale est aussi un capitalisme radical.

La gratuité peut donc devenir le masque de la domination et de l’exploitation sociales...Dans « Gift, gift » (L’Année sociologique, 1925), Mauss observe que, dans les langues germaniques anciennes, c’est le même mot, Gift, qui désigne le « don » et le « poison ». Cela nous renvoie à l’ambivalence du don qui est d’abord un outil politique. En donnant, c’est-à-dire en reconnaissant l’autre dans son humanité, on transforme un ennemi potentiel en allié et on forme des communautés politiques. Mais, à n’importe quel moment, le don peut faire basculer dans un

rapport d’asservissement ou devenir une nouvelle source de conflits. Marcel Mauss a montré que celui qui donne sans contre-don possible accumule du pouvoir et place ainsi celui qui reçoit dans une situation de dette et de servitude. Qu’apporte aujourd’hui concrètement la logique du partage à la vie en société ?Le don est indispensable à la survie économique. À partir du moment où tout devient marchandise, la qualité de la production diminue – comme on le constate avec le principe de l’obsolescence programmée –, mais aussi la qualité de vie : depuis plus de cinquante ans, aux États-Unis, plus le PIB augmente, plus la société fonctionne dans une logique d’enrichissement individuel privé... et plus le sentiment de bonheur diminue. Il faut retrouver un moyen de vivre mieux. C’est la logique qui sous-tend l’économie

LES GRANDS TÉMOINS

(1) Dans sa version d’origine : « There is no such thing as a free lunch! »

Les voies du don sont parfois paradoxales : entre marchandisation de tous les biens et mise en commun désintéressée, l’économie du partage est au croisement de deux modèles de société antagonistes. Perspectives avec un sociologue spécialiste du don. Propos recueillis par Sébastien Claeys et Florent Trocquenet-Lopez

Alain CailléLa face cachée du don

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Professeur émérite de sociologie à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, Alain Caillé analyse les pratiques sociales du don. Directeur et fondateur de la Revue du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales), il a notamment publié Anthropologie du don, Le tiers paradigme (La Découverte, 2007) et La Révolution du don. Le management repensé à la lumière de l’anthropologie (Le Seuil, 2014). Il est à l’origine du Manifeste convivialiste (éditions Le Bord de l’eau, 2013) regroupant une centaine de personnalités du monde entier.

Vivre sans argentConsommer

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collaborative dans le partage des moyens de transport, des habitations, etc. Au-delà de cet enjeu économique, nous avons aussi besoin de la relation du don pour être reconnus dans notre humanité. Mais, justement, l’économie du partage ne nous transforme-t-elle pas tous en « Homo economicus » ?En effet, c’est un risque. Ces formes d’activités procèdent d’abord d’intentions vertueuses : mutualisation de ressources, nouveaux liens humains qui se créent – lesquels peuvent déboucher sur l’amitié. Mais, très vite, au nom de la gratuité, ces activités sont récupérées par des entrepreneurs et deviennent une nouvelle forme de capitalisme. Peut-on dire, dans cette perspective, qu’un acte qui relève du don a plus de valeur morale qu’un acte rémunéré ?Il y a une valeur morale intrinsèque du don. Dans la conclusion de son « Essai sur le don », Marcel Mauss écrit que le don est le « roc de la morale éternelle », une injonction que l’on trouve au cœur de toutes les morales et de toutes les religions. Cependant, parce que le don est toujours ambivalent, il est parfois bon de solder cette ambiguïté par le contrat, par l’achat et la vente. Il y a donc des domaines où l’acte marchand a sa pleine légitimité. De fait, le don peut devenir pervers quand les dettes se transforment en une « Dette » régie par les appareils d’État, les banques ou les religions – laquelle entraîne un asservissement généralisé, parce que c’est une Dette que personne ne pourra jamais solder, ni moralement ni financièrement. À partir de ce constat, quelle place doit-on faire au don dans l’économie ?Je ne pense pas qu’il y ait de forme d’économie intrinsèquement désirable. Ce qu’il faut changer, ce n’est pas l’économie elle-même, mais les valeurs et les motivations qui organisent les pratiques économiques. Contrairement au postulat commun à toutes les doctrines politiques des xixe et xxe siècles, nous ne sommes pas seulement des « Homo economicus »,

c’est-à-dire des individus purement rationnels et calculateurs, mutuellement indifférents, qui ne penseraient qu’à leurs profits. Nous désirons être reconnus comme des donateurs, dans notre générosité, mais aussi dans notre générativité, c’est-à-dire notre capacité à faire advenir des choses qui n’existent pas encore. C’est l’objectif poursuivi au sein du « mouvement convivialiste », que nous avons initié avec une cinquantaine d’intellectuels, et qui entre en dialogue avec des mouvements de l’économie sociale et solidaire (ESS), du pacte civique, des altermondialistes, etc. Il faut dépasser l’opposition binaire entre l’État et le marché pour donner voix à ce que Patrick Viveret appelle la « société civique », c’est-à-dire l’ensemble des acteurs sociaux qui se soucient du bien commun. •

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« Dans le don, il y a de la gratuité... mais le don n’est jamais gratuit. »

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Vingt-sept à la maison

C’ est un mardi soir comme un autre pour la communauté d’East Side, une banlieue moyenne de Vancouver. Les poubelles sont sorties, les enfants sont rentrés, chacun se prépare à passer à table. Tout a l’air normal, sauf qu’à y

regarder de plus près, quelque chose ne tourne pas rond au numéro 34 : au lieu d’une pelouse coupée au cordeau et d’un traditionnel pick-up, des herbes folles et un vieux camping-car ont élu domicile devant cette bâtisse

en bois. Dans la cuisine, un Canadien prépare la pâte à pizza, tandis qu’une Mexicaine peint une tête de tigre géante sur le mur. Dans le salon, deux Espagnols et un Français discutent musique et spiritualité animiste ; sur le canapé, un couple d’Helvètes échange avec un jeune Allemand pour qui la soirée a visiblement commencé un peu tôt.Ce soir, les habitants de cette étrange demeure ont bat-tu leur propre record : ils accueillent 27 étrangers de 15 nationalités différentes à dormir chez eux. Six d’entre

En colocation dans une maison à Vancouver, Dann, Jordan, Quinn et Brennan ont choisi d’ouvrir leurs portes aux adeptes du couchsurfing. Ils hébergent gratuitement – et presque tous les soirs – des voyageurs venus du monde entier. Ivan Chauveau de Quercize (The Sharing Bros), juillet 2015

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Prière de ne pas tous se baigner en même temps.

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eux devront se contenter du sol, les autres d’un fau-teuil ou un bout de canapé. Il y a quelques heures, non seulement ils ne connaissaient pas un seul des indi-vidus qui peuplent maintenant leur maison, mais en plus ils ne toucheront pas un centime. En effet, sur la plateforme Couchsurfing.com, l’hébergement des voyageurs est gratuit. Plus de 170 personnes sont passées chez eux durant les cinq derniers mois. Les 4 colocataires « permanents » du lieu s’appellent Dann, Jordan, Quinn et Brennan. Les deux premiers sont arboristes, les deux autres sont poètes, mais surtout serveur et musicien. Dan et Quinn ont 22 ans quand ils quittent Lindsey, leur petit village canadien, pour s’installer à Vancou-ver. Ils emménagent dans un appartement en sous-sol, mais « La vie [y est] triste et monotone ». Ils se mettent alors en quête d’une maison à partager avec deux amis,

Jordan et Brennan. Jordan vient aussi de Lindsey. Même endroit, mêmes galères. Petit, quand il retrou-vait ses deux parents évanouis par terre une bouteille de whisky à la main, il les faisait parler en pinçant tour à tour leurs lèvres. Lorsque les factures d’eau n’étaient pas payées, il devait se laver dans le lac voi-sin en espérant que ses camarades d’école ne le voient

pas. L’avenir ne semblait rien lui réserver de gran-diose si bien que quand Quinn et Dan lui ont pro-posé de déména-ger à Vancouver, il n’a pas hésité longtemps. Au-jourd’hui, dans le salon, il se délecte des voya-geurs avec qui il se connecte et discute. « Quand je vois autant de

monde heureux autour de moi, je réalise à quel point j ’ai envie de continuer à faire ça, j ’en ai besoin, cette expérience a changé ma vie du tout au tout. » Cette expérience, c’est donc le couchsurfing. Elle consiste à ouvrir sa maison aux étrangers qui passent dans le coin pour une nuit ou deux, voire plus. « Le soir quand le feu commence à s’éteindre dans la cheminée, confie Quinn, que tu en-tends des rires et différentes langues se mé-langer dans la salle, t ’es vraiment l ’homme le plus riche au monde ». Quand ils rentrent du travail, il y a toujours un couchsurfer qui aura pris le temps de nettoyer la mai-son, un autre qui aura sorti la poubelle et un dernier qui sera en train de concoc-ter un plat de son pays. «  Je change le PQ trois fois par jour, se marre Quinn, et je trouve ça magique  ». Ils disent en chœur n’avoir «  jamais eu le moindre problème  » depuis qu’ils ont commencé l’expérience. Une page Facebook réunit aujourd’hui quelques «  pensionnaires  » passés par la « Chamber of Converse  » comme cette maison unique. Plus de 200 membres s’y échangent photos et bons plans. Beau-coup de couchsurfers passés par chez eux

se font également hôtes à leur tour, gonflant une communauté qui ne cesse de s’étendre. Selon le site couchsurfing.com, plus de 10 millions de personnes s’adonneraient au «  surf sur canapé » dans 200 000 villes en 2015, et les deux tiers auraient moins de 30 ans. Au total, cela représenterait plus de 5,5 millions de rencontres.Vers une heure du matin ce jour-là, dans la Chamber of Converse, la cuisine s’est transformée en salle de concert. Un batteur donne le tempo. Il y a un synthé et deux guitares, un violon aussi. Brennan, le rappeur de la bande, pose son flow. Un flow qu’il n’interrompra même pas lorsqu’un de ses invités allumera des feux d’artifice dans la cheminé, manquant d’incendier la maison. Les surfeurs de canapé aussi aiment parfois faire quelques vagues. •

« Je change le PQ trois fois par jour et je trouve ça magique. »Quinn, adepte du couchsurfing

197 – le record de pays visités par un seul couchsurfer

689 – le record de nuits surfées par un seul couchsurfer

2 593 – le record de nuits accueillies par un hôte

9 – le pourcentage de Français songeant au couchsurfing pour les vacances en 2014

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mi chemin entre Airbnb et le couchsurfing. » C’est ainsi que Serge Duriavig présente Nightswapping. Après avoir cofondé

SmartBox, il est depuis 2012 à la tête de ce site de « troc de nuits » entre voyageurs. Le principe ? Héberger des membres de la communauté permet d’être hébergé à son tour. « Cabanes, péniches, châteaux mais aussi HLM : tous les types de logements sont acceptés », précise Serge Duriavig.Nightswapping fonctionne grâce à un système de points, appelés (très logiquement) « nuits ». Chaque nuit passée dans un logement coûte de 1 à 7 nuits selon la taille et l’emplacement de l’appartement ou de la maison. On commence donc par accueillir des membres chez soi avant de s’offrir des nuits ailleurs dans le monde avec les points gagnés. ANTI-AIRBNB« Ce système de monnaie virtuelle à un double avantage », explique le fondateur. D’un côté, « cela lève la contrainte de réciprocité de la plupart des sites d ’échange de maison » [il faut simultanément héberger chez vous et vivre chez vos hôtes, ndlr]. De l’autre, il garantit que les membres proposent leur logement d’abord pour le goût du voyage et de la convivialité. « Ça évite de tomber dans une logique spéculative comme sur Airbnb. »De collaboratif, le géant américain de l’hébergement chez les particu-liers n’a en effet plus que le nom, regrette Serge Duriavig, qui n’a

en juillet dernier. Par ailleurs, il est possible d’acheter des points (7 euros l’unité) pour dor-mir quelque part sans avoir hébergé au préalable. Pour le fondateur, cette pratique servi-rait à «  permettre l ’intégration de nouveaux membres dans le réseau », plutôt qu’à déga-ger des bénéfices. Il n’empêche  :

beaucoup des utilisateurs interrogés affirment y avoir recours, soit parce qu’ils sont trop pressés, soit parce qu’ils ont épuisé toutes leurs nuits.

TINDER DE L’HÉBERGEMENTNightswapping totalise 150 000 membres et en compte 10 000 de plus chaque mois, selon son fondateur. L’objectif est d’atteindre le million d’ici deux ans. Après une première levée de fonds de 2 millions d’euros en juillet 2014, la start-up devrait repartir « pour un tour de table à 3 millions début 2016  », annonce Serge Duriavig. L’équipe planche aussi sur la sortie, d’ici la fin du mois d’octobre, d’une application de découverte de loge-ments. Concrètement, des hôtes vous seront proposés en fonction de votre zone géographique. Vous pourrez les « zapper » (refuser) ou les valider. « L’application s’adaptera progressivement à vos goûts », précise Serge Duriavig. De quoi concurren-cer Airbnb et Tinder à la fois ? •

pas peur du clash. «  Beaucoup de membres d ’Airbnb utilisent seulement leur logement pour se faire de l ’argent. L’esprit des débuts a cédé la place à un système hôtelier déguisé. »« Ma copine fait du Airbnb. Moi je préf ère le couchsurfing », témoigne Renaud. Malgré les similitudes, cet utilisateur de Nightswapping perçoit de vraies différences entre les deux plateformes. « Il n’y a pas de relation marchande. Il a fallu qu’on insiste pour que notre hôte, dans la Drôme, accepte de gagner des nuitées la dernière fois ! »

SANS ARGENT… VRAIMENT ?Nightswapping n’est cependant pas entièrement dénué de transactions financières. Chaque séjour dans un logement est facturé 9,90  euros au voyageur. « C’est le même prix quel que soit le nombre de nuits et per-met de couvrir les frais d ’assurance », explique Serge Duriavig, qui a noué un partenariat avec Allianz

MARRE D’AIRBNB ? TROQUEZ VOS NUITS AVEC NIGHTSWAPPING

La plateforme française d’hébergement entre particuliers cultive sa différence. Son secret ? Une monnaie virtuelle qui permet d’échanger des « nuits » entre membres du réseau et de se loger gratuitement… ou presque. Côme Bastin, septembre 2015

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uiné par vos vacances  ? La prochaine fois, le site LuckyLoc vous fera peut-être économiser dans vos déplacements.

Ce nouveau venu dans l’univers de l’auto-partage propose en effet des trajets entre toutes les villes de France pour… un euro ! Comment est-ce possible ? Vous cherchez une voiture pour vous rendre de Paris à Marseille. Un concessionnaire (Hertz, Europcar...) a besoin de ra-patrier un de ses véhicules parisiens vers la cité phocéenne. LuckyLoc met en relation les deux parties. Ré-sultat : vous disposez d’un véhicule pour votre trajet et le loueur évite de faire appel à un chauffeur profes-sionnel. DE LA SMART AU CAMIONC’est lors d’un voyage en Nouvelle-Zélande que Claire Cano profite gratuitement d’un van, sur le même principe. De retour en France, elle décide d’importer le concept et co-fonde LuckyLoc en 2012 avec Idris Hassim, un camarade d’HEC. Les loueurs de véhicules se montrent rapidement intéressés par le business model de leur plateforme. Le service qui leur est proposé leur permet en effet de faire plus de 50 % d’écono-mie par rapport à un rapatriement classique. « On trouve aujourd’hui tous types de véhicules sur le site », explique Idris Hassim. « De la Smart au 4×4 en passant par la Porche ou même les véhicules utilitaires pour ceux qui au-raient un objet à déplacer. » Les utili-sateurs ne devront d’ailleurs pas être effrayés de conduire des camions de

140 euros, soit plus cher qu’un train ou un covoiturage. Mieux vaut donc ne pas voyager seul et sans bagages pour que la solution proposée par LuckyLoc soit intéressante finan-cièrement. À noter que la plateforme propose un partenariat avec Blabla-car pour embarquer des passagers sur le trajet et ainsi partager les frais.

CHAUFFEURS AUTO-ENTREPRENEURS« On est sur un marché encore vierge dont le potentiel est énorme, mais difficile à évaluer précisément  », juge Idris. «  Il s’agit d’optimiser des déplace-ments. » Parmi les pistes de dévelop-pement  : les trajets des constructeurs qui livrent leurs véhicules directe-ment chez leurs clients, se passant des agences automobiles. « Par exemple, lorsque La Poste renouvelle sa flotte d’utilitaires », illustre le cofondateur. LuckyLoc s’appuie sur Expedicar, 2e plateforme créée par Idris et Claire qui permet de faire déplacer son véhicule d’une ville à l’autre. Lorsqu’un parti-culier ou un professionnel dépose une annonce sur Expedicar, elle est auto-matiquement proposée aux conduc-teurs de LuckyLoc. « Si personne ne répond, on fait alors déplacer le véhicule par des chauffeurs professionnels sous le statut auto-entrepreneur », détaille Idris. D’ici à penser que les particuliers, qui doivent en plus payer l’essence, « rem-placent » en réalité des chauffeurs qui eux sont normalement rémunérés… il n’y a qu’un pas. Pour Idris, la situation des professionnels et des particuliers n’est cependant pas comparable. « Per-sonne n’impose à un particulier de faire un trajet entre Paris et Marseille. Il le fait car cela répond à son besoin. » •

22 m3 : en cette période estivale, ils représentent plus de la moitié des véhicules à louer ! À moins, encore mieux, qu’ils n’aient quelque chose à déménager avec.

PÉAGE ET ESSENCE À LA CHARGE DU CONDUCTEURAlors demain, des voitures gra-tuites partout en France ? Pas si sûr. D’abord, il faut pouvoir trouver un trajet qui corresponde à ses besoins. Le site a beau afficher une forte croissance et Idris, viser l’objectif de « 15 000 trajets en 2015 », il est (encore) assez difficile de trouver son véhicule aux dates et destinations voulues comme sur une plateforme de covoiturage. Le mieux reste de consulter la liste des trajets dispo-nibles (une cinquantaine à l’heure où sont écrites ces lignes). Par ailleurs, si la location du véhicule est quasiment gratuite, le particulier doit néan-moins s’acquitter des frais d’essence et de péage. Un budget conséquent sur un Paris-Marseille, de l’ordre de

LOUER UN VÉHICULE SANS RIEN DÉBOURSER, C’EST POSSIBLE

LuckyLoc propose à ses utilisateurs de rapatrier les véhicules des agences de location  – leur permettant de rouler d’une ville à l’autre pour un euro symbolique. Une formule séduisante, à condition de voyager à plusieurs ou de transporter des objets. Côme Bastin, août 2015

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Claire Cano et Idris Hassim, fondateurs de LuckyLoc.

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azinière, haltère, télé, table ou ordi : on trouve de tout sur Co-recyclage. Mieux, on le trouve gratuitement. Après une brève inscription,

chacun est libre de proposer ou de rechercher sur cette plateforme tous types d’objets et de matériaux. Et ça marche : depuis son lancement en 2012, Co-recyclage totalise 60  000  utilisateurs. En 2014, pas moins de 150 tonnes d’articles y sont

passées : 67 par redistributions, et le reste par une valorisation dans les filières de recyclage.Lutte contre le gaspillage et économie circulaire sont autant de valeurs qui motivent le geste des donneurs. Mais pas seulement, explique Renaud Attal, cofondateur de la plateforme. « Pour certains, c’est aussi une manière de se débarrasser rapidement d’objets inutiles, plutôt que de marchander sur une autre plateforme pour finalement vendre à un prix dérisoire. » Et de raconter

l’histoire de ce hangar agricole de 1  500 m2 que son propriétaire avait posté sur la plateforme pour pouvoir le démonter au plus vite et libérer le terrain  ! Du côté de ceux qui récupèrent, pas seulement des bobos adeptes de la récup’, «  mais aussi des gens vraiment dans le besoin, à qui on ne demande pas de se justifier comme chez Emmaüs. Enfin la plateforme est également créatrice de lien social  », avance Renaud Attal. « Cela permet de faire des rencontres dans votre quartier. »

CO-RECYCLAGE : LES DÉCHETS DES UNS FONT LE BONHEUR DES AUTRES

Véritable « Bon Coin du gratuit », cette plateforme lancée en 2012 permet de proposer ou de rechercher des objets pour éviter qu’ils ne finissent à la décharge. Elle vient d’intégrer la promotion 2015 des Acteurs du Paris durable. Côme Bastin, mai 2015

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Consommer Vivre sans argent

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CONNECTER L’OFFRE ET LA DEMANDEUn bon coin du gratuit ? Oui, mais pas que. L’objectif de Co-recyclage est de connecter l’offre et la demande de matériaux et objets entre particuliers, mais aussi associations et entreprises. Pour cela, l’équipe se déplace sur le terrain pour voir si le matériel laissé par les uns peut intéresser les autres. Le SenseCube, espace de coworking pour entrepreneurs sociaux, a ainsi hérité des armoires du ministère de la Santé. « On réfléchit même avec Bouygues Immobilier à réutiliser les matériaux d’un immeuble qui va être démoli au sein de bâtiments écologiques en construction », précise le cofondateur. Une plateforme spéciale pros devrait voir le jour pour permettre aux artisans, artistes et entrepreneurs sociaux de récupérer plus facilement le matériel dont se débarrassent les grandes entreprises. SERVICE AUX ENTREPRISESCe choix permet à la plateforme de trouver son modèle économique, en proposant des services aux entreprises ou aux collectivités territoriales. La mairie de Puteaux a ainsi son interface dédiée pour permettre aux habitants et aux acteurs économiques de « co-recycler » objets et matériaux au sein de la municipalité. Chez Aéroports de Paris, Co-recyclage ne sert pas uniquement la politique RSE (responsabilité sociale des entreprises). La plateforme est venue remplacer les vieux tableurs Excel pour optimiser les stocks. « Avant d’acheter un nouveau siège, on peut vérifier si cet équipement n’est pas déjà disponible ailleurs dans l ’entreprise. »Nominé pour la promotion 2015 des Acteurs du Paris durable, Co-recyclage est également incubé au sein du Social Good Lab, dédié aux entreprises sociales technologiquement innovantes, et emploie 4 personnes. Parmi les projets : nouer des partenariats pérennes, notamment avec le monde du spectacle et des expositions qui utilisent beaucoup de matériaux pour les scénographies. Et, surtout, sortir de Paris pour connecter, faire co-recycler toute les villes de France. Quant à l’international, « une version anglaise est dans les cartons », assure Renaud Attal. •

DES APPLIS INTELLIGENTES POUR ÉCHANGER

ECO-MAIRIE.FR UN ÉCHANGE DANS LA VILLEFin mai, la commune de Grande-Synthe (Nord) a lancé Eco-mairie.fr, « le premier site de partage collaboratif et durable qui utilise la géolocalisation pour favoriser la mise en relation dans une hyperproximité ». La plateforme permet aux habitants d’échanger ou de revendre d’occasion des biens et du matériel. Et à la ville de réduire les encombrants. Cinq domaines sont concernés : bricolage, jardinage, mobilier, vêtements et jeux. « Il s’agit des produits que l’on retrouve le plus dans la collecte des encombrants, alors qu’on peut aisément en faire profiter ses voisins », explique la mairie qui précise « qu’en fonction des besoins des habitants, le site pourra intégrer d’autres domaines, comme l’animalerie ou l’équipement sportif ». Jean-Jacques Valette, septembre 2015

INDIGO « PLUS ON DONNE, PLUS ON EST RICHE » C’est avec cette phrase d’apparence paradoxale que Stéphane de Freitas résume le fonctionnement d’Indigo. Récupérer un canapé, donner un cours de langue, se faire aider pour son déménagement ou se débarrasser de vêtements qu’on n’aime plus : autant d’options possibles avec cette application qui fonctionne grâce au « digo », une monnaie virtuelle. Chaque action ou don bénévole effectué au sein du réseau rapporte des digos, qui peuvent ensuite être utilisés pour obtenir des biens et services. Indigo compte intégrer les associations à son fonctionnement. Celles-ci pourront solliciter un peu de temps auprès des membres pour des opérations de nettoyage, du soutien scolaire ou de

l’aide aux sans-abri. Enfin côté business model, Indigo fonctionne là encore… au don. La plateforme ne prélèvera aucune commission, aucun abonnement, ne revendra pas d’informations et ne diffusera pas de publicité non plus. « Aujourd’hui, quand tu ne recherches pas l’argent, tu n’es pas valorisé. Avec Indigo, on veut renverser la tendance », résume Stéphane. http://indigo.world

Côme Bastin, juillet 2015

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Ophélia Noor Journaliste, photographe, spécialiste du mouvement maker

Yann Moulier-Boutang Économiste, directeur de publication de la revue Multitudes

TRAVAILLER AUTREMENT

FINANCEMENT

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Grands témoins

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Selon vous, nous sommes entrés dans l’ère du « capitalisme cognitif ». Concrè-tement, par quoi cela se traduit-il ?Le capitalisme cognitif se traduit par une transformation radicale des modes de production de valeur. Très concrètement, cela signifie que la production tend à devenir de plus en plus immatérielle et que la part de la fabrication dans la valeur ajoutée ne cesse de décroître. Dans la nouvelle économie, les immatériels changent de nature : après la 2e révolution industrielle, ces derniers avaient été codifiés en termes de droits de propriété comme les brevets ou les droits d’auteurs. Cela ne fonctionne plus car, aujourd’hui, les actifs immatériels comme la confiance, la capacité à coopérer, le care sont autre-ment plus difficiles à appréhender. Ils sont pour ainsi dire plus flous. Vous comparez les individus de cette nouvelle économie à des abeilles dans la grande ruche de l’économie numérique.C’est tout le sens de mon expression « pollinisation ». Avant la révolution numérique, il était très difficile de mettre sur pied un dispositif permettant de capter la valeur économique des externalités. Mais dès lors qu’ap-paraissent des plateformes collaboratives sur lesquelles d’innombrables « abeilles humaines » viennent échanger des informations – « polliniser » donc –, la quantité de données à notre disposition devient telle que l’exploita-tion à grande échelle des externalités positives devient

possible. Prenons l’exemple des abeilles, justement. La valeur produite par l’api-culture – miel, cire, etc. – correspond à environ un milliard de dollars par an. Mais l’abeille fait bien plus que ce qu’en absorbe le secteur marchand : c’est un insecte pollinisateur. Combien vaut cette pollinisation ? Les estimations les plus basses la chiffrent à environ 153 milliards et les plus hautes, à plus de 5 000 mil-liards. Cela signifie que ce que nous prenons en compte via le marché est dérisoire en comparaison du continent des externalités. C’est un véritable eldorado, du moins pour ceux qui sauront accumuler des dispositifs numériques capables d’en capter une petite partie.

Vous parlez du modèle économique des GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon ?C’est en effet le modèle de Google : proposer des dispo-sitifs gratuits qui vont encourager les gens à « butiner » et développer des biens et services autour. Le PIB annuel mondial équivaut à environ 70 000 milliards de dollars. Prenons les estimations basses et multiplions ce montant par 153… Imaginons un instant qu’un Google, un Amazon ou un Facebook parvienne à capter ne serait-ce que 10 % de cette somme globale. Ils enfonceraient littéralement la valeur de la production mesurée ! Ils ont donc tout intérêt à encourager les formes les plus diverses de collaboration. Mais cela va bien plus loin que les seuls GAFA. Il existe tout un continuum d’activités pollinisa-trices – et je parle bien d’activités et non de travail – dans

Pour Yann Moulier-Boutang, la 2e vague de l’économie numérique se fera sans l’emploi salarié, car elle tire ses revenus d’actifs non marchands comme les données, la confiance ou la collaboration. Il y a donc urgence à réorienter l’État-providence vers ces activités « pollinisatrices ». Propos recueillis par Arthur De Grave / Photos : Erwan Floc’h

Yann Moulier-Boutang

La fable des abeilles

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Fils soixante-huitard d’un philosophe royaliste, influencé par les travaux de Toni Negri et Félix Guattari, Yann Moulier-Boutang est aujourd’hui directeur de la publication Multitudes, revue trimestrielle. Il défend l’ins-tauration d’un revenu de base inconditionnel, au motif que les hommes créent tous de la valeur économique dans leur vie quotidienne. Ses derniers livres sont Le Capitalisme cognitif : la nouvelle grande transformation (Éditions Amsterdam, 2007) et L’Abeille et l’Économiste (Carnets Nord, 2010).

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« D’accord pour la désalarisation, mais pas au prix de la précarisation généralisée. »

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la société qui commencent à se développer. Aujourd’hui, une voiture, une montre, n’importe quel objet matériel sont plutôt des prétextes, de simples supports de la production d’informations. Même les constructeurs automobiles comme BMW ou Mercedes équipent les véhicules de systèmes de capteurs de données sur le conducteur – acuité visuelle, réflexes, rythme cardiaque, etc. – pour ensuite monnayer les informations recueillies auprès de l’industrie pharmaceutique. Vous distinguez ces « activités pollinisatrices » du travail. Qu’adviendra-t-il du salariat tel que nous l’avons connu jusqu’alors ?Cette 2e vague du numérique ne s’attaque plus seulement aux opérations simples du cerveau gauche – les opéra-tions analytiques –, mais également à celles qui relèvent du cerveau droit, autrement plus complexes. Concrète-ment, cela signifie que tous les emplois que nous pensions protégés de l’automa-tisation se retrouvent maintenant en danger : avocats, médecins, etc. Allez visiter une salle de marché aujourd’hui, vous n’y verrez plus que 5 ou 6 traders dont le rôle est à présent de superviser le travail des algorithmes. C’est l’emploi salarié dans son ensemble qui se re-trouve chahuté. Nous vivons une période intermédiaire : autrefois, les activités non marchandes et pollinisatrices étaient marginales, mais, à présent, elles

s’imposent comme la principale source de création de valeur. Le problème, c’est qu’elles ne sont pas encore reconnues comme du travail et ne donnent donc pas naissance à de nouveaux droits sociaux. Les conséquences sociales ne risquent-elles pas d’être dramatiques ?Il est certain que pour la société salariale, les perspectives sont plutôt sombres. C’est toute la société qui va devoir se réorganiser autour de la pollinisation plutôt qu’autour de la production matérielle, dont la part dans la valeur ajoutée ne peut que décroître. Cette dernière devrait à terme se stabiliser autour de 10 %. La force de travail, l’énergie créative se déploient déjà aujourd’hui largement en dehors des cadres du salariat. Dans les années 1970-

« Autrefois, les activités non marchandes et pollinisatrices étaient marginales. À présent, elles s’imposent comme la principale source de création de valeur.  »

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1980, nous pensions que le salariat occuperait 90 % de la population active. Dans ce contexte, la protection sociale était en théorie étendue à tout le monde. Mais, avec l’intermittence croissante du travail, la montée du chômage structurel et l’automatisation croissante des tâches intellectuelles, les mailles du filet protecteur s’élargissent et de plus en plus d’individus tombent. Que faire ?Je vois deux solutions. L’une est réactive : en gros, il suffirait de prendre toutes les activités pollinisatrices du numérique, de leur coller des charges sociales et de requalifier le tout en emploi salarié. Malheureusement, c’est complètement illusoire. Cela reviendrait à faire rentrer de force les externalités dans un calcul écono-mique marchand. Pensez à l’échec du marché du carbone, qui cumulait tous les inconvénients du marché et tous les inconvénients de l’arbitraire administratif.L’autre solution consiste au contraire à développer les activités pollinisatrices du point de vue de l’intérêt général. Elles sont rééquilibratrices pour l’environnement, constructrices de lien social, et fondamentalement la seule façon de lutter contre la montée des inégalités. En 1968, environ 10 % de la main-d’œuvre salariée était payée au SMIC. Aujourd’hui, nous en sommes à 25 %. Le fossé entre les 1 % les plus fortunés et le reste de la société s’est creusé, alors qu’une partie des classes moyennes rejoignait les pauvres. C’est une situation socialement intenable. En d’autres termes, c’est tout le système de protection sociale qui est à repenser ?Absolument. Comment reconnaître comme travail des activités non marchandes de façon à constituer une protection sociale qui ne soit pas subordonnée au statut de salarié ? C’est tout le problème. Les jeunes d’aujourd’hui butinent. Leur rapport à l’entreprise est différent de celui de leurs aînés. Pour eux, l’emploi en continu n’est plus que le résultat d’une contrainte écono-mique. Un jeune qui reprend un emploi salarié ne cherche généralement pas tant un revenu élevé qu’une protection sociale décente. D’accord pour la désalarisation, mais pas au prix de la précarisation généralisée ! Ce qui est certain, c’est qu’avec l’alourdissement du chômage à venir, il n’y a absolument aucune chance pour que le système de protec-tion sociale tel que nous le connaissons puisse tenir. L’instauration d’un revenu de base universel est-elle la solution ?Oui. Si nous voulons que les emplois d’appoint se développent, il faut que chacun dispose d’un « revenu de pollinisation » ou d’un revenu contributif : un revenu inconditionnel versé à chaque individu, d’un montant proche du SMIC actuel et cumulatif. Je pense effective-ment qu’une bonne partie de la protection sociale pourrait être assurée par ce biais. Au-delà, c’est bien sûr le système fiscal, inadapté au capitalisme cognitif, qui est à revoir : la base fiscale de l’impôt est bien trop étroite ; nous taxons les stocks et non les flux. Rappelez-vous de

l’El Dorado des externalités ! La puissance publique doit cesser de socialiser les pertes et de privatiser les profits. En réorganisant l’État-providence autour du revenu d’existence, nous pourrions rééquilibrer l’équation sociale tout en créant une incitation à l’innovation pour ce qui concerne les tâches ingrates. •

Perceuse, voiture, appartement ou maison, le partage irrigue notre société. Pourtant, seuls 15 % des adeptes ont déclaré ou comptent déclarer aux impôts leurs revenus issus de cette nouvelle économie, selon le baromètre BVA sur l’économie collaborative de mai 2014. « Tout revenu doit être déclaré à l’administration fiscale dans le but d’être assujetti à l’impôt applicable. C’est notamment le cas des revenus non commerciaux, perçus par les individus qui utilisent les plateformes collaboratives », explique Michel Leclerc, avocat et cofondateur de Droit du Partage, site sur les enjeux juridiques de l’économie collaborative. Selon lui, ce principe connaît une exception en pratique car ces revenus non déclarés résultent bien souvent de pratiques occasionnelles. Mais l’essor inexorable de l’économie du partage a donné envie à de plus en plus de particuliers de tirer profit de cette tendance.

SE RÉFÉRER À LA RÉCURRENCEUne chose est sûre. « Si le revenu perçu, fruit de l’économie collaborative, est régulier et si son montant prend une part importante, il faut déclarer cette activité et se créer un statut comme celui d’auto-entrepreneur », tient à rappeler Daniel Baldaia, de la Direction générale des Finances publiques. Mais que signifie concrètement régulier, à partir de quand peut-on parler de récurrence ? Pour lever le voile sur ce flou, Daniel Baldaia invite les Français, qui se poseraient des questions, à se rendre dans un centre des finances publiques ou solliciter le médiateur de Bercy en cas de litige. Le défaut de déclaration et le défaut de paiement relèvent du régime général des revenus non déclarés et des impôts non payés par les particuliers.Et de citer cet exemple : « Une personne au SMIC qui loue sur Airbnb son appartement 3 semaines sur 5 sera davantage susceptible d’être sous le coup de l’impôt qu’un cadre qui le loue une fois par mois. »

Clémence Chopin, , juin 2015

Les revenus de l’économie collaborative imposables

« La puissance publique doit cesser de socialiser les pertes et de privatiser les profits. »

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Tout le monde s’accorde à reconnaître que les nouvelles technologies bouleversent le quo-tidien de leurs clients et de leurs salariés. Pourtant, les entreprises peinent encore à trans-former leur organisation en intégrant les mutations numériques. La transition vers un mode de production plus collaboratif est néanmoins indispensable à leur survie. D’autant qu’elle pourrait les rendre bien plus compétitives. Élodie Vialle, juillet 2015

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n matin, les employés de Poult, un groupe toulousain de biscuiterie qui fournit de grandes enseignes de distribution, se sont rendus à l’usine, mais pas pour occuper leur poste. « On a stoppé les machines, et on leur a demandé

comment ils voulaient travailler dans le futur », explique Alexandre Dandan, « manager de l’innovation » du groupe plutôt que « directeur de l’innovation », « dans un souci de déhiérarchisation ». Ce matin-là, des décisions « assez fortes » ont été prises, comme la suppression… du comité de direction. C’était en 2010. Trois ans après le choix fait par ce groupe de 800 employés de construire une entreprise basée sur la confiance, où les salariés donnent leur avis sur la stratégie et où chaque équipe fixe elle-même ses objectifs et ses propres indicateurs.À la place du comité de direction, des collectifs plus représentatifs ont été mis en place, réunissant des représentants d’un bureau d’études et des différents services et usines de l’entreprise. Partenariats avec les écoles et les start-up, suppression de deux échelons hiérarchiques, organisation autour de projets « cookies » ou « Nappé chocolat  »…, « nous sommes passés du statut de biscuitier classique à celui de biscuiterie d’innovation, et ça s’est traduit par plus de collaboration », raconte Alexandre Dandan. Si on peut innover dans les biscuits, on devrait pouvoir le faire partout, non ?

DU COWORKING AU CORPOWORKINGLe groupe Poult semble être sur le point de réaliser ce que beaucoup d’entreprises amorcent à peine – voire pas du tout : leur transformation vers un mode d’organisation plus collaboratif. Exit le schéma pyramidal à la papa ! Dans l’entreprise du futur, les travailleurs seront plus autonomes. Un employé pourra par exemple passer une partie de la journée à son bureau, puis bidouiller un projet dans un Fab Lab et finir en conférence téléphonique dans un espace de « corpoworking » – à savoir un espace de coworking mis en place par son entreprise. Une vision Bisounours ? Pour les entreprises, passer en mode collaboratif est plutôt devenu une question de survie, d’après un rapport produit en 2013 par le cabinet Capgemini et le MIT intitulé L’Avantage numérique : comment les dirigeants numériques dépassent leurs concurrents dans tous les secteurs. « Pour tout le monde, c’est l ’urgence. Le business en dépend, soutient Sylvie Joseph, directrice de la transformation interne au sein de la branche numérique du groupe La Poste. Nous ne pourrons faire notre mutation que si, et seulement si, nous sommes beaucoup plus coopératifs et collaboratifs que nous ne le sommes aujourd’hui.  » Mais le chemin est encore long puisque, toujours selon le rapport du MIT, 52 % des entreprises déclarent ignorer ce que le numérique implique pour leur organisation et leur métier. Il ne s’agit pas de leur jeter la pierre, mais de les aider à franchir le pas.Pour réaliser cette transition historique, qui prendra plusieurs années, un profil va être de plus en plus recherché par les recruteurs : celui de Chief Collaboration Officer, c’est-à-dire de « facilitateur », capable d’animer un réseau au sein de l’entreprise. Les experts seront donc moins recherchés… que les animateurs d’experts. Dans un monde devenu imprévisible, le réseau prime

sur les connaissances  : « Ce que vous connaissez est qui vous connaissez », estime Herminia Ibarra, professeure de comportement organisationnel à l’Insead, citée par Jean-Pierre Gaudard dans son livre La Fin du salariat (François Bourin Éditeur, 2013). Les entreprises vont également développer leurs propres Labs, à l’image du cabinet Deloitte, qui a monté sa « salle de créativité ». Pour Yann Glever, directeur de l’innovation chez Deloitte France, les salariés doivent devenir des « intrapreneurs » : « Ils viennent nous voir avec leur idée, et nous les aidons à la délivrer. »

PERDRE UN PEU DE POUVOIRDans ce contexte, une compétence devra être inscrite sur tous les CV : l’agilité. Dans la novlangue de l’entreprise, cela signifie la capacité à être flexible, quitte à… court-circuiter son responsable direct. « Il faut développer un management basé sur un objectif collectif à atteindre, juge Sylvie Joseph. En France, on est plutôt dans une logique “premier de la classe”, alors qu’il faut au contraire travailler en groupe et faire en sorte qu’un projet naisse de l’intelligence collective. »Les entreprises doivent donc parvenir à partager les connaissances. Et ce n’est pas gagné. « L’entreprise telle qu’on la connaît a été conçue pour un monde où des “sachants” organisaient le travail et où des exécutants moins bien formés se bornaient à exécuter, analyse Bertrand Duperrin, directeur de la transformation digitale au sein du cabinet de conseil Emakina. Aujourd’hui, les collaborateurs peuvent contribuer à l’amélioration des modes opératoires. Mais le “système” a été conçu pour se protéger des changements. Alors qu’on doit réagir à la complexité croissante de notre environnement par plus d’adaptabilité, on y a réagi par de la complication, créant des lourdeurs qui sont in fine autant de freins à la collaboration. » En fait, les clients, comme les salariés, sont passés à l’ère technologique : ils achètent en ligne, font du covoiturage sur Blablacar et échangent infos et bons plans avec leurs amis via Facebook. C’est souvent comme ça que les choses se passent  : les individus adaptent des codes que les structures mettent du temps à ingérer. L’entreprise, elle, n’a pas suivi cette révolution digitale. Pour y faire face, il

U L’assistant personnel digital, un nouveau

collègueAujourd’hui, le smartphone permet de planifier son agenda.

Demain, comme l’intelligence artificielle incarnée par la voix charmante de Scarlett Johansson dans le film Her, il deviendra un assistant personnel, capable de passer au

crible toutes les compétences des collègues afin de proposer le meilleur profil pour le projet sur lequel on travaille. Un

collaborateur à garder à distance, sous peine de finir comme Joaquin Phoenix, fou amoureux de son OS…

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Page 48: Idée collaborative 2015

faudra de la volonté donc, et surtout accepter de perdre un peu de pouvoir. Autre levier pertinent : les réseaux sociaux internes, destinés à faire correspondre les besoins des individus et ceux de l’entreprise, sur le modèle de Facebook

at Work (voir encadré). Aujourd’hui, 80 % des sociétés du CAC 40 disposent ainsi d’un ou de plusieurs réseaux sociaux d’entreprise, selon une étude du cabinet de conseil Lecko. Or, plus l’information est partagée, plus le pouvoir est distribué. BALAYER L’ESCALIER PAR LE HAUT« Avec les outils collaboratifs, nous pouvons organiser des programmes de formation via les smartphones, pour permettre aux salariés d’échanger des conseils entre eux  », détaille, enthousiaste, le Canadien Alan Lepofsky, spécialiste des outils collaboratifs d’entreprise. En témoigne le succès de plateformes comme OpenPediatrics, un réseau social dédié aux médecins, ou encore Sharelex (voir l’interview), un dispositif de création et de partage de solutions juridiques qui repose sur la collaboration entre des acteurs pluridisciplinaires, des développeurs et des entrepreneurs.Pourtant, selon une étude du cabinet Altimeter publiée par la Harvard Business Review, la moitié seulement des outils collaboratifs installés dans les entreprises seraient utilisés régulièrement par leurs employés. Et pour cause :

Bonheur = productivitéLes travailleurs mécontents coûtent cher à l’entreprise :

entre 450 et 550 milliards de perte de productivité chaque année, selon une étude Gallup. Avec des salariés démotivés,

l’entreprise fait face à l’absentéisme ou, à l’inverse, à un présentéisme trop insistant. Pourtant, en impliquant davantage les employés, « on fait coup double, observe Pierre-Éric Sutter, président de Mars-lab, un cabinet de conseil en optimisation

de la performance humaine en entreprise. On rend les salariés plus heureux, mais aussi les actionnaires. »

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l’outil reste un moyen qui n’est rien s’il n’est pas intégré à des objectifs précis et utilisé par les dirigeants eux-mêmes. « L’escalier se balaie par le haut », note Bertrand Duperrin. Aux dirigeants, donc, de montrer l’exemple, à condition qu’ils soient eux-mêmes convaincus que la transformation numérique en cours est plus porteuse d’opportunités que de risques. Peut-être devraient-ils lire alors avec attention le « rapport Lemoine » sur la transformation numérique de l’économie. Ce document, remis au gouvernement en novembre 2014, met notamment en lumière une étude dans laquelle le cabinet McKinsey évalue à 100 milliards d’euros par an, à l’horizon 2020, le potentiel de croissance supplémentaire si la France s’alignait sur les performances numériques des pays les plus avancés. Soit un bond de 5 % du PIB… Un chiffre qui devrait faire réfléchir tous ceux qui traînent les pieds ! Si le chemin à parcourir pour construire une entreprise plus collaborative reste long, les pionniers, eux, ne regrettent en tout cas pas leur choix : le groupe Poult a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter de 13 % pour atteindre 190 millions d’euros en 2013. Une bonne dose de pragmatisme dans l’idéologie, ça ne fait jamais de mal. •

Et maintenant, le réseau social

d’entreprise« Les gens utilisent déjà Facebook pour partager avec leurs

proches […]. Nous voulons proposer une offre similaire pour les entreprises et leurs salariés », explique Facebook

pour présenter Facebook at Work. D’autres réseaux sociaux existent déjà pour collaborer en entreprise comme Yammer ou Slack, très utilisés, Cotap (pour les smartphones), l’outil collaboratif Mural.ly, le site d’éditeur de contenus Quip, les plateformes Do.com et Fuze (pour organiser des réunions

« productives ») ou encore TalkSpirit et SeeMy.

Vouloir injecter un peu de démocratie dans une organisation qui ne l’est pas — l’entreprise — n’est-ce pas un peu illusoire ?Même lorsqu’elles ont la volonté de mettre en place des structures horizontales, les entreprises ont tendance à recréer des structures pyramidales. Ce qu’il faut, c’est changer la gouvernance et les façons de coopérer. L’entreprise doit ouvrir des espaces de discussion pour résoudre les conflits et collaborer. Les salariés doivent se sentir en sécurité, reconnus, valorisés. Il faut faciliter l’expression et la prise en compte de leurs besoins. Le besoin n’est pas négociable, mais les moyens pour le satisfaire le sont.

Concrètement, comment implémenter des modes d’organisation plus collaboratifs ? L’un des enjeux, c’est le partage des connaissances et des expériences. Pour cela, il faut rétablir une

éthique de la co-création. Aujourd’hui, ça fait chic et glamour de parler des « hackathons » [ces événements qui réunissent des profils différents autour de la réalisation d’un projet, ndlr], mais les gens ne savent pas ce que deviennent leurs productions. Il y a peu de reconnaissance. Les entreprises doivent mieux expliquer quels bénéfices elles attendent de ce type d’ateliers, et donner du sens à la présence des participants.

À quoi ressemble l’entreprise collaborative idéale, selon vous ?Je n’ai pas de vision idéale de l’entreprise collaborative, et je n’y tiens pas. Le plus grand mal qu’on puisse faire à la collaboration, c’est d’en faire une religion. La collaboration, ça se travaille, ça doit venir de l’intérieur. Et ne pas juste résulter du souhait de se conformer à une nouvelle norme.

Anne-Laure Brun Buisson est avocate, médiatrice en entreprise et fondatrice de ShareLex, un dispositif de création et de partage de solutions juridiques reposant sur la collaboration entre des acteurs pluridisciplinaires. Pour elle, la collaboration ne doit pas être un simple mantra, mais une démarche sincère.

« La collaboration ne doit pas devenir une nouvelle norme »

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e constat est simple », affirme Éric Van Den Broek  : « Depuis l’avènement du salariat mo-derne, l’outil de production a toujours été rattaché à un lieu physique déterminé. L’ouvrier à son usine, le cadre à son bureau. Les nouvelles technologies ont fait exploser cela. Donc, quelle conséquence

en tirer ? » La conséquence, c’est « Mutinerie ». Le nom de l’un des tout premiers espaces de travail partagé de la région parisienne qu’Éric a ouvert avec ses deux frères début 2012. MUTATIONS DU TRAVAILMutinerie  : « action collective de rébellion au sein d’un groupe réglé par la discipline », nous renseigne le diction-naire. Alors Éric, on se rebelle  ? « C’est vrai qu’on ne se retrouve pas dans la façon dont l’entreprise fonctionne, avec sa hiérarchie, ses horaires. Plus qu’un bureau partagé, on voulait un espace pour faire vivre et collaborer ensemble une nouvelle génération de travailleurs. » Entre mutins, on tra-vaille tard ou tôt, on se tutoie, on prend l’apéro, on orga-nise des événements et on monte des projets innovants. Sont nés à Mutinerie : le think tank OuiShare, le collectif MakeSense ou les rencontres Start-Up Africa.D’autres ont depuis emboîté le pas à Éric et ses (con)frères. Une récente étude réalisée par La Fonderie et BAP (Bu-reaux À Partager) – un poids lourd du secteur – recense 250 espaces de coworking en France, dont 70 % ont moins de deux ans. À l’heure, à la journée, au mois ou à l’année. Petits ou grands. Alternatifs ou studieux. Il en existe de toutes les sortes. Au-delà de l’aspect « pratique » et « à la carte » pour les travailleurs nomades, le boom des es-paces de coworking est le signe d’une époque « qui fuit les lieux standardisés », analyse Éric Van Den Broek. « Cela se retrouve partout. Alors que les grandes chaînes hôtelières ont eu leur heure de gloire à la fin du xxe siècle, qui vou-drait aujourd’hui dormir dans la même chambre que tout le monde ? »

MON LIT EST UN ACTIFBingo ! Car il n’y a pas que notre rapport à l’espace de travail qui est en train de muter sous l’effet du dévelop-pement de l’économie collaborative. Un symbole  ? En-core qualifiée de start-up il y a quelques années, le site de location de logements entre particuliers Airbnb est aujourd’hui valorisé 25 milliards de dollars, soit davan-tage que le premier groupe hôtelier du monde, Marriott (21 milliards). Cet été, le site a permis à quelque 17 mil-lions de personnes –  l’équivalent de la population des Pays-Bas – de vivre sous le toit d’un autre, avec un pic à un million le 8 août, un record absolu. Ce qui plaît à tant de clients ? La quantité et la variété des logements, et une expérience d’hébergement plus humaine et plus proche de la vie locale. Quant aux hôtes, inutile de préciser qu’ils ont là l’occasion de rentabiliser facilement – et ce, sans payer d’impôts, pour le moment – tout ou partie d’un logement inoccupé. ESPACES DE STOCKAGECette logique de rentabilisation de l’espace s’étend au-jourd’hui progressivement aux lieux les plus inattendus. Il vous reste quelques mètres carrés dans votre cave  ? Mettez-les en location sur Jestocke.com et permettez à d’autres particuliers d’y entreposer meubles et objets. Le site gère déjà 230 000 mètres cubes de stockage. Vous n’utilisez pas votre place de parking de 8h à 19h ? Sous-louez-la sur Zenpark.com à des automobilistes qui cherchent à se garer dans le quartier. « Le marché est énorme, on estime qu’il y a 650 000 places de parking inoccupées en France », s’enthou-siasme William ES Rosenfeld, président et cofondateur de Zenpark.com, plateforme qui en propose déjà 2 000. Chambre, cave, place de parking... et pourquoi pas conces-sion de cimetière  ? Transformer jusqu’au dernier mètre carré inoccupé en objet de spéculation serait-il le vrai des-sein de l’économie collaborative ? Laure Courty, fondatrice de Jestocke.com, s’en défend et contre-attaque  : « Avec

LE TRAVAIL À L’HEURE COLLABORATIVE

Partage de bureaux, d’appartement, mais aussi de cave et même de place de parking... L’économie collaborative mutualise toujours plus d’espaces jusque-là inexploités. À moins qu’elle ne les transforme en marchandise ? Côme Bastin, octobre 2015

L’odyssée de l’espace

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notre site, on redonne du pouvoir d’achat, on combat la crise du logement et on court- circuite des acteurs qui profitaient de leur mo-nopole. » Grâce au numérique, « on limite la construction de coûteuses places de parking », juge de son côté William ES Rosenfeld. « Autant d’argent qui sera investi sur la qua-lité du bâti à la place ! » RENTABILITÉ VS CONVIVIALITÉ« Il faut faire attention à ce que les plateformes ne s’enferment pas dans une logique trop spé-culative », avertit Serge Duriavig, dirigeant et fondateur de Nightswapping, un site de « troc de nuits » entre particuliers. Le principe  : accueillir chez soi des membres de la communauté, pour à son tour être hébergé, grâce aux points gagnés. Une monnaie virtuelle qui « garantit que les membres proposent d’abord leur loge-ment par goût du voyage et de la convivialité ». Dans le viseur du dirigeant, un certain Airbnb : « Beaucoup de ses membres utilisent seulement leur logement pour se faire de l’argent. L’esprit collaboratif des débuts a cédé la place à un système hôtelier déguisé. » Même constat chez Éric Van Den Broek de Mutineries  : « La culture alternative des débuts du coworking s’est un peu perdue. De gros acteurs se sont lancés sur le marché et certains espaces se rapprochent du business center. » À l’image de WeWork, véritable « chaîne » d’espaces de coworking aux États-Unis et en Grande- Bretagne, ou de Regus, multinationale qui propose salles de réunion et centres d’affaires dans 900 villes. Pour au-tant, l’homme se refuse au pessimisme : « À mesure qu’un

mouvement pionnier devient mainstream, il s’institution-nalise. Il faut savoir gérer le coup et rester inventif. »

ESPACES-OUTILSEt pour la suite, Éric a plusieurs cordes à son arc. D’abord, Mutineries Village, un tiers-lieu (espace hybride) ouvert non pas en centre-ville... mais à la campagne. On y vient pour travailler plusieurs jours au milieu des vaches et goûter à la vie de la ferme. L’espace accueille des événements réguliers et

comprend même un Fab Lab. L’autre grand chantier, c’est Copass. Un système d’abonnement qui permet d’accé-der à quelque 500 espaces de coworking répartis dans 65 pays. « C’est la continuité logique du raisonnement entamé avec Mutinerie : pourquoi remplacer le bureau par un espace quand on peut le remplacer par “des” espaces ? » Sans surprise, beaucoup de membres de Copass sont aussi de fervents utilisateurs d’Airbnb. Partout chez elle, la nouvelle génération ne voit plus l’espace comme un bien, mais comme un outil. Besoin de concentration ? Elle va s’isoler à la campagne pour tra-vailler. Besoin d’être créatif ? Elle va s’imprégner de l’énergie des grandes villes. Besoin de se détendre ? Elle se rapproche du soleil et de la mer. Et besoin d’argent ? Elle transforme son logement en gagne-pain en le louant temporairement. Esp(a)ces de sales capitalistes ! •

« La culture alternative des débuts s’est un peu perdue […] et certains espaces se rapprochent du business center. »

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Pourquoi investir dans les start-up de l’économie collaborative ?Il y a d’abord une vraie proximité culturelle et de valeur entre la MAIF et ces start-up, ainsi que les communautés qu’elles agrègent. C’est donc un moyen d’aller à la rencontre de ces publics, de leur présenter la MAIF et de les convaincre de nous rejoindre. Il y aussi la conviction que l’économie collaborative est en train de changer pas mal de choses dans le monde qui nous entoure : consommation, comportement, rapport de l’individu au collectif, rapport à la propriété. Il serait irresponsable de passer à côté de ces transformations qui pourraient bien, demain, devenir la norme. Assurer l’économie collaborative, qu’est-ce que cela change à votre métier ?L’assurance traditionnelle consiste à garantir de manière permanente, du 1er janvier au 31 décembre, un bien qu’un client possède. Il nous faut désormais savoir comment assurer l’usage ponctuel d’un bien qui ne lui appartient pas et qu’il ne possède pas ! C’est un énorme changement de paradigme. J’assistais, il y a peu, à une table ronde sur l’« uberisation » de l’assurance. Un membre de l’équipe de la plateforme d’échanges de maisons, Home Exchange, expliquait qu’il n’arrivait pas à trouver un assureur qui comprenne les besoins liés à l’activité de sa société. J’ai bien sûr tenté de le convaincre que la MAIF saurait accompagner son entreprise, mais c’est un exemple révélateur.

Comment encadrer les nouvelles formes de travail, parfois infor-melles, qui découlent de cette nouvelle économie ?Pour l’instant, la MAIF ne garantit que des biens et des personnes sur leur responsabilité civile dans ces nouveaux modes de consommation. Mais on voit bien qu’il y a un délitement du droit du travail. La question se pose alors : avons-nous un rôle à jouer dans l’accompagnement des changements de mode de travail ? Cela fait écho, en quelque sorte, au rôle historique que la MAIF a pu jouer auprès de commu-nautés comme les enseignants. En même temps, nous n’avons pas envie de participer au mouvement de démantèlement de l’État-providence. Il faudrait trouver une manière d’orga-niser un système de solidarité et de

protection pour ces nouveaux travailleurs, sans pour autant encourager la dérégulation. On y réfléchit. Le contact avec les entreprises de l’économie collabora-tive vous conduit-il à changer en interne ?Seuls ceux qui sauront s’adapter à la révolution numé-rique survivront ! On investit donc dans l’économie collaborative, mais l’économie collaborative nous investit aussi. Ces entreprises nous font gagner en innovation, en agilité, en frugalité. On fait bénéficier nombre de nos cadres de leur expérience au sein d’un « lab d’innova-tion » qui mêle internautes et start-uppeurs. Nous avons également lancé une académie digitale en interne avec LearnAssembly, pour permettre à nos employés de se confronter à ces problématiques, de les comprendre et de les assimiler. •

Comment l’économie collaborative transforme-t-elle le travail d’assureur ? Comment les entreprises du secteur peuvent-elles aider un grand groupe tel que la MAIF à réinventer son fonctionnement interne ? Le directeur général de la mutuelle nous répond.Propos recueillis par Côme Bastin

Pascal Demurger« C’est un énorme

changement de paradigme »

DIRECTEUR DU GROUPE MAIF

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Bulle médiatique, croissance exponentielle, multiplication des platesformes… Le crowdfun-ding, en plein boom, suscite beaucoup d’attentes. Mais comment ce nouveau modèle de finan-cement survivra-t-il à son rapprochement avec ses « frères ennemis » du secteur bancaire ? Élodie Vialle, octobre 2015

Crowdfunding : bientôt le Big Bang

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ProduireFinancement

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epuis six ans, Vincent Ricordeau se démène sans compter. En 2009, cet ancien spécialiste du marketing sportif cofonde KissKissBankBank, un site de financement participatif en dons. Quatre ans plus tard, il crée HelloMerci, une plateforme de prêts entre particuliers,

avant de lancer l’année suivante Lendopolis, dédié à l’investissement dans les PME. Un activisme payant puisqu’en France le crowdfunding explose. « Les États ont rendu possible le développement de sites de financement participatif. Le marché est en train de naître. Là, c’est le big bang, la ruée vers l ’or », lance l’entrepreneur, enthousiaste. En 2014, 152 millions d’euros ont été collectés en France par les plateformes de crowdfunding. Deux fois plus qu’en 2013. « La croissance est très forte, mais on ne fait qu’effleurer le champ des possibles », se réjouit Mathieu Maire du Poset, directeur général adjoint d’Ulule, l’autre grande plateforme française de crowdfunding.Avec un taux de croissance annuel de plus de 63 %, le crowdfunding s’impose comme le secteur de l’économie collaborative qui devrait connaître la plus forte progression annuelle d’ici à 2025, selon le cabinet PwC. Le nombre de plateformes est exponentiel : en France, il en existe déjà plus d’une soixantaine, généralistes ou très spécialisées, qui proposent par exemple de financer la recherche (DaVinciCrowd), les projets bretons (Gwenneg) ou même chrétiens (ChristFunding). La loi d’octobre 2014, votée pour favoriser le financement participatif dans le domaine de l’investissement et du prêt, a accéléré le phénomène. «  Tout le monde a encore l’impression de pouvoir jouer sa carte aujourd’hui », constate Vincent Ricordeau.

BULLE MÉDIATIQUECette effervescence n’est pas sans rappeler celle qui a agité les entreprises web au début des années 2000. Les conditions d’une nouvelle bulle spéculative sont-elles réunies ? Les acteurs du crowdfunding doivent-ils à leur tour s’attendre à des lendemains de fête difficiles ? Pas certain, si l’on en croit François Desroziers : « Si bulle il y a, elle est surtout médiatique », estime le cofondateur de Spear, une plateforme d’épargne solidaire. Le champ des possibles ouvert par le crowdfunding fascine encore des médias prompts à présenter comme révolutionnaires des modèles qui n’ont pas démontré leur efficacité à long terme.Pourtant, malgré ce miroir médiatique déformant, il est indéniable que tout le monde ne sortira pas gagnant de cette phase euphorique. « Ça va bouger, certains acteurs vont disparaître, d’autres se créer », analyse Mathieu Maire

du Poset. «  L’année 2016 sera celle de la concentration des acteurs ; 2017, celle des partenariats », prédit quant à lui Vincent Ricordeau. Et à la fin, il n’en restera qu’un ou deux, pas plus. « Les autres s’en sortiront en vendant

D Un outil de « crash-test marketing »

Lancer un produit, sauver un journal ou même… « sauver la Grèce » ou « racheter l’Élysée » : les sites de crowdfunding sont autant des plateformes de fundraising que des outils

de communication destinés à monter une communauté qui suivra le projet au-delà de la collecte. « C’est une manière de tester le marché, son produit auprès des consommateurs »,

juge Anne-Claire Ruel, professeur de communication à l’université de Cergy-Pontoise, qui va jusqu’à parler de « crash-

test marketing » pour décrire le crowdfunding. Les projets pertinents qui ne suscitent pas immédiatement l’engouement

des internautes risquent donc d’être tués dans l’œuf. Une logique darwiniste un brin flippante.

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leur fichier clients aux grosses plateformes. Quelques sites spécialisés survivront, certains vendront du conseil et feront de leur activité de crowdfunding un produit d’appel  », anticipe François Desroziers. Pour beaucoup, une fois la mise de départ récupérée, l’aventure s’achèvera. Game over.

INTERMÉDIAIRES INDISPENSABLESÀ quoi ressemblera le crowdfunding une fois le big bang terminé ? Parmi les hypothèses les plus probables, celle d’un secteur dominé par quelques mastodontes internationaux, qui auront survécu après avoir englouti les plus petites plateformes et, pourquoi pas, grâce à de futurs partenariats stratégiques noués avec les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Les sites de financement participatif devraient aussi bâtir de plus en plus d’alliances avec des acteurs publics, aujourd’hui débordés par cette nouvelle économie, mais toujours soucieux de financer des projets locaux.Toutefois, c’est surtout le rapprochement entre les plateformes de crowdfunding et les banques qui pourrait faire entrer le financement participatif dans une nouvelle ère. Longtemps dubitatif quant au potentiel du crowdfunding, le secteur bancaire lorgne désormais sur les nouveaux entrants du secteur. « Pour les banques, métamorphosées par la crise financière, le métier historique de

Le crowdfunding va-t-il sauver les associations ? Sauver, pas forcément, mais il constitue un levier de croissance très intéressant, dans la mesure où il permet à une nouvelle génération de donateurs de contribuer aux actions associatives, sans pour autant se substituer à la puissance publique. Après tout, le crowdfunding est une nouvelle version du fundraising que pratiquent les associations depuis des années. Avec HelloAsso, nous les accompagnons dans leur démarche de crowdfunding car elles sont encore souvent éloignées du digital.

Combien d’associations sont financées grâce à HelloAsso ?Depuis notre création en 2010, nous avons collecté 12 millions d’euros pour 6 000 associations. Nous connaissons une croissance exponentielle : nous avons réuni plus dans les six derniers mois que dans les trois dernières années ! On pense collecter 10

millions d’euros en 2015. Les potentialités sont énormes puisque 35 milliards d’euros sont levés tous les ans en France par les associations.

À l’inverse de la plupart des plateformes de crowdfunding, vous ne prélevez pas de commission mais proposez au donateur de verser un pourboire. Est-ce rentable ?Tout à fait. Les internautes nous donnent généralement 4 % de la somme versée à l’association [la plupart des plateformes demandent une commission de 8 % environ, ndlr]. La commission exigée peut parfois être un frein au don. Nous avons cherché à ce que notre propre fonctionnement soit participatif dans son business model. Nous voulions bâtir un outil accessible, respectueux des valeurs associatives.

Ismaël Le Mouël est le cofondateur de HelloAsso, une plateforme à travers laquelle les associations peuvent gérer leurs dons, leurs adhésions et faire de la billetterie en ligne.

« Le crowdfunding est l’avenir du fundraising pour les associations »

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transformation des dépôts en prêts évolue vers une part plus forte de simple mise en relation entre les entreprises et les investisseurs, ce qui est justement le métier du crowdfunding », écrit la Revue d’économie financière dans son numéro de juin 2015. À l’instar de Google, devenu indispensable pour construire les nouvelles routes de l’information, les sites de crowdfunding devraient devenir des intermédiaires incontournables pour les banques si celles-ci ne veulent pas se cantonner au rôle d’immenses back-offices déconnectés des citoyens. Goldman Sachs estime que la part des banques sur le marché du crédit pourrait se réduire de 20 % face à la montée en puissance de ces nouveaux acteurs. À terme, des plateformes comme Prosper ou Lending Club pourraient même s’approprier près d’un tiers de la part des banques sur le marché des prêts, d’après la banque d’investissement américaine. En France, le site de crédit entre particuliers Prêt d’Union vient d’ailleurs de lever 31 millions d’euros pour développer le modèle de Lending Club à travers l’Europe.

MARIAGE DE RAISONAlors qu’ils se félicitaient il y a peu à l’idée de « siphonner les banques », les acteurs du crowdfunding répètent désormais à l’envi que leur activité est plutôt complémentaire de celle des banques. Ulule s’est ainsi allié avec Hello bank ! pour lancer Hello play !, la banque en ligne « nouvelle génération » de BNP Paribas qui offre aux internautes la possibilité de gagner des crédits pour soutenir des projets lorsqu’ils écoutent de la musique.Pour les sites de financement participatif, de tels partenariats permettent de s’appuyer sur la puissance des géants de l’économie traditionnelle afin de financer leur son développement à l’international, mais aussi de démocratiser un secteur encore méconnu du grand public. C’est dans cette optique que l’agence de développement économique Perpignan Méditerranée ID a lancé, en juillet 2015, Pyrénées Méditerranée Crowdfunding, un cercle de financement participatif à destination des entrepreneurs, en partenariat avec la plateforme WiSEED. Chambres de commerce et d’industrie, régions, départements… Aujourd’hui, chacun veut sa plateforme de financement participatif, quitte à faire « gonfler » le secteur de façon artificielle. Pourtant, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. En témoigne l’échec de FriendsClear, un site de prêts aux entreprises lancé en 2010 en partenariat avec le Crédit Agricole Pyrénées Gascogne, qui s’est éteint en 2013, faute d’activité suffisante.

APPÂT DU GAINÀ l’avenir, tisser des partenariats permettra aussi aux acteurs du crowdfunding de diversifier leurs sources de revenus. Les fondateurs de Spear, « société pour une épargne activement responsable  », ont par exemple fait le choix de créer CapSens, une « agence web en crowdfunding  » qui

accompagne les organisations dans leur démarche de financement participatif. Après tout, l’adage dit que pendant la ruée vers l’or, ce sont les vendeurs de pioches qui se sont le plus enrichis…

La diversification des formes et des buts du crowdfunding marquera en tout cas une rupture avec le balbutiement créatif des premières années d’existence du financement participatif. Une aubaine pour les opportunistes. « On peut craindre des arnaques, l’arrivée d’escrocs attirés par l’appât du gain qui filent avec les pépettes. On n’est pas à l’abri de trucs moches », lâche un acteur du secteur. Si jamais les plateformes historiques finissent par se transformer en outils déguisés de finance traditionnelle,

comment réagiront les crowdfunders  ? En 2014, déjà, beaucoup s’étaient agacés du rachat par Facebook de la start-up Oculus Rift, financée par des internautes, pour un montant de 2 milliards de dollars… Le crowdfunding risque-t-il de « perdre son âme », si tant est qu’il en ait jamais eu une ? En tout cas, certains acteurs choisiront sûrement de se concentrer sur des valeurs plus « sociales ». C’est ce que tentent déjà de faire des sites comme 1001Pact ou le site Prêt de chez moi, une initiative portée par la Nef, la coopérative de finances solidaires, qui soutient des projets locaux. Une manière d’entretenir tant bien que mal la créativité et la dynamique solidaire des débuts. •

« Ça va bouger, certains acteurs vont disparaître, d’autres se créer. »

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L’heure des mini business angels ?Demain, de plus en plus de plateformes proposeront d’investir dans des entreprises via le crowdfunding.

Mais, pour l’instant, les Français sont plutôt réticents. « Ils ne sont pas habitués, ils ont parfois l’impression

qu’on leur parle du CAC 40 alors qu’on peut prendre des parts dans de petites entreprises », estime Eva Sadoun,

directrice générale de 1001Pact. Par ailleurs, en 2014, 35 % des Français déclaraient ne pas avoir d’épargne

disponible, selon l’Autorité des marchés financiers (AMF). « Leur première préoccupation est d’avoir une épargne sécurisée et disponible. Ce qui n’est pas le cas si vous

investissez dans une entreprise », décrypte Natalie Lemaire, directrice des relations avec les épargnants au

sein de l’AMF. Rentrer dans le capital d’une entreprise reste technique, et le risque de perdre sa mise de

départ, voire davantage, existe toujours. Pas sûr, dans ce contexte, donc, que les Français se laissent séduire par le

business angélisme en ligne.

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de fin d’étude des trois étudiantes, leur permettant ainsi d’intégrer l’incubateur Creatis, installé à la Gaîté Lyrique à Paris. C’est aussi la forte personnalité du trio qui a séduit leur mentor à Sup de Pub. « Il nous avait dit que développer un projet à trois était dur, on lui a démontré le contraire. Notre projet est porté par la force de notre trio », raconte Vanessa. Avant de se lancer, ces entrepreneures en herbe décident de partir 3 mois sacs au dos en Amérique du Sud. « On avait envie de voir autre chose ensemble, de nourrir le projet, de tester notre capacité à bosser ensemble, de souder l’équipe avant de se lancer. »

À leur retour, tout va très vite. Installation dans les locaux de l’incubateur d’entre-preneurs culturels, subvention de la part de la BPI, elles lancent leur site de crowd-funding mode en juillet 2014 avec trois projets en quête de financement. En jan-vier 2015, elles enrichissent la plateforme d’un magazine pour donner de la visibi-lité aux créateurs et suivre les tendances. En septembre, partant du constat que les jeunes créateurs n’ont pas accès aux ventes privées pour solder leurs invendus, elles lancent un e-shop, version outlet, pour vendre leurs anciennes collections. À ce jour, Wepopit a soutenu une quinzaine de projets en les accompagnant tout au long de leur campagne de collecte de fonds. « Nous avons plein d’autres idées de déve-loppement, s’enthousiasme Vanessa, mais nous avançons étape par étape. » Ce  qui lui laisse moins de temps pour partir sac au dos…

nous nous sommes prêtées au jeu et y avons pris goût. »Après la musique, le cinéma… Wepopit, le crowdfunding version fashion, permet à des créateurs de lancer une collection de prêt-à-porter, d’accessoires, de linge-rie ou encore de financer un défilé, des séances photos, un showroom… À tra-vers ce projet, le trio entre dans le monde de l’économie collaborative, observant ses aînés, comme Blablacar, pour voir com-ment ils ont développé leur communauté et créer la leur autour de la mode. Mais l’économie collaborative, pour Vanessa, est simplement un mot qui est mis sur leur projet. « Cette économie, ces modes de consommation sont vraiment intégrés à notre quotidien par notre génération, constate Vanessa. Du déplacement au troc, c’est devenu un réflexe. »

Leur école, convaincue par le projet, sa viabilité et son côté innovant, décide de soutenir financièrement, et ce pour la première fois, le projet

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BIO1986 – naissance à Paris.

2009 – coupe le cordon en partant en Australie

2014 – lancement de Wepopit.fr

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R« Cette économie, ces modes de

consommation sont vraiment intégrés à notre quotidien

par notre génération. »

> LES COLLAB’ELLES

Vanessa BrocheLe crowdfunding fashionWepopit

novembre 2015

Elles innovent, apportent un nouveau souffle à l’économie et s’engagent avec des initiatives collaboratives.

est une histoire qui commence comme un devoir d’école. Vanessa Broche, rentre d’une pause d’un

an entre Asie et Australie « pour explorer le monde » et, de retour sur les bancs de Sup de Pub, doit travailler sur un projet de création d’entreprise. « J’avais une copine, créatrice de mode, qui tentait de lancer sa marque » : trouver de l’argent pour acheter les matériaux, produire une collection, vendre les vêtements… Une galère qui fait émerger l’idée d’une plateforme de financement participatif dédiée aux créateurs de mode.

Avec deux autres étudiantes, Alisson Municchi et Eva Philis, elle se lance avec passion dans ce projet d’étude sans ima-giner qu’il va vraiment virer à l’aventure entrepreneuriale. « Au départ c’était fictif,

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00 000 euros. C’est la somme que Polm Studio vient de collecter pour lancer un logiciel de télédiagnostic par vidéo grâce à des lunettes connectées. Sauf que Polm Studio n’est pas allé emprunter cette somme aux banques.

Il l’a obtenue sur Lendopolis, un site de crowdlending (littéralement, « prêt par la foule »), qui permet aux parti-culiers d’investir leur argent directement dans des PME.En octobre 2014, la France est devenue l’un des premiers pays du Vieux Continent à mettre fin au monopole ban-caire, qui stipulait que seules les banques étaient autorisées à prêter de l’argent aux entreprises. Suite à une nouvelle législation sur le crowdfunding, une plateforme peut dé-sormais obtenir le statut de « conseiller en financement participatif ». Finie l’époque où le crowdfunding servait uniquement à financer l’EP d’un nouveau groupe de rock : avec le crowdlending, les internautes peuvent aujourd’hui s’improviser banquiers. 88,4 MILLIONS EN 2014Achat de nouvelles ma-chines, travaux de rénova-tion, ouverture d’un autre point de vente  : nom-breuses sont les PME qui se tournent aujourd’hui vers le crowdlending pour leur dé-veloppement. En témoigne l’explosion du nombre de plateformes dans le secteur depuis 2014  : une quaran-taine rien qu’en France, avec des stars telles que Unilend, Lendix, Finsquare ou Lendopolis. 33 % des dirigeants seraient aujourd’hui prêts à financer le développement de leur entreprise de cette manière.Car la formule est séduisante pour tout le monde  : les entreprises, qui peinent souvent à décrocher des finance-ments auprès des banques, et les particuliers, qui mobi-lisent leur épargne pour soutenir des projets concrets à des taux souvent attractifs (entre 6 et 11 %). Résultat : en

2014, ce sont 88,4 millions d’euros qui ont été collectés de la sorte en France. Bien plus que le pourtant très média-tique crowdfunding en « don contre don » (voir encadré) pratiqué par Kisskissbankbank ou Ulule (33,5 millions sur la même période). À terme, « le crowdlending pourrait s’élever à 10 milliards », estime Olivier Goy, président et fondateur de Lendix. RISK & REWARDSAttention cependant à garder à l’esprit que l’on prête à des PME aux ressources limitées, rap-pelle l’association de consommateurs UFC- Que Choisir. Car à jouer aux apprentis banquiers, on joue aussi son argent. Les entreprises financées par le crowdlending affichent un taux de défaut deux fois supé-rieur à la moyenne du secteur bancaire. Pionnière du prêt participatif en 2012, la société Isodev a ainsi mis la clé sous

la porte en février 2015 suite à « un ni-veau de défaillance très important parmi les TPE-PME ». Aux États-Unis, où le crowdlending est encore plus déve-loppé, la plateforme Prosper s’est vue assignée en class action (procès initié par un groupement de consomma-teurs) pour avoir multiplié les prêts en maquillant les risques. « Une attention particulière doit être portée à la sécuri-sation des investissements », reconnaît Patrick Derhy, ancien banquier qui a lancé Prêtgo, un (tout) nouveau venu sur le marché du crowdlending. Comme nombre de ses concurrents,

Prêtgo multiplie les gages pour ras- surer les utilisateurs : partenariat avec le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, assistance d’un cabinet de recouvrement de dettes, fonds de garantie, etc. « Bien sûr, il y a un risque, mais la première des sécurités, c’est de diversi-fier ses placements », conseille Olivier Goy, rappelant au pas-sage que la loi française sur le crowdfunding interdit à un particulier de prêter plus de 1 000 euros à un même projet, « une très bonne décision ».

LE CROWDLENDING OU LA FIN DU MONOPOLE BANCAIRE

Faire financer PME et start-up par les particuliers, c’est désormais possible grâce au crowdlending. Un secteur en plein boom, qui suscite même la convoitise de la finance traditionnelle… Au risque d’y perdre son âme ? Côme Bastin, août 2015

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« D’abord méfiants, les investisseurs traditionnels lorgnent aujourd’hui largement sur ce nouveau secteur qui promet d’alléchants retours sur investissement. »

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Le crowdlending, une façon de contourner la banque classique. Mais les loups ne sont jamais bien loin (Wall Street de Oliver Stone, 1987).

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LES INVESTISSEURS ALLÉCHÉSEt les bonnes vieilles banques dans tout ça ? « Uberisées » à leur tour ? Aux États-Unis, elles pourraient en tout cas perdre 11 milliards de dollars de profits par an, selon une récente étude de la banque Goldman Sachs. « C’est tou-jours excitant de jouer l’affrontement, mais nos marchés ne se recoupent pas tout à fait », tempère Olivier Goy. Ces dernières sont en effet soumises à un ensemble de contraintes régle-mentaires et de ratios financiers qui les empêchent de prêter à certaines entreprises. « Alors qu’une fois un dossier accepté, nous ne demandons ni caution ni garantie », poursuit le pré-sident de Lendix. « On peut dire que pour une banque il y a du blanc et du noir, et que nous, on prête au gris. »D’abord méfiants, les investisseurs traditionnels lorgnent au-jourd’hui largement sur ce nouveau secteur financier qui pro-met d’alléchants retours sur investissement. Chez Lendix, au moins 51 % des prêts accordés aux entreprises proviennent de fonds d’investissements ou de compagnies d’assurance. Aux États-Unis, Lending Club a vu depuis 2008 les investis-seurs institutionnels débarquer massivement parmi ses prê-teurs. Les particuliers n’y pèsent plus que pour 25 % et des algorithmes les aident à orienter leurs investissements. « Tant mieux ! », juge Olivier Goy pour qui « l’essentiel est de permettre le financement de l’économie ». CROWDLENDING MILITANTFondateur de Kisskissbankbank et Lendo- polis, Vincent Ricordeau ne l’entend pas de cette oreille. « L’arrivée trop intrusive des fi-nanciers, dans une période trop courte, dénature ce qui fait la spécificité du crowdlending, à savoir l’intelligence collective », met en garde l’entre-preneur pour qui le risque est de « perdre le

capital sympathie du secteur ». Un capital basé sur des valeurs telles que le soutien à l’économie réelle et l’encouragement des projets innovants et solidaires par les particuliers.En conséquence, Vincent Ricordeau envisage de limiter le poids des investisseurs institutionnels à 20 % des montants collectés sur Lendopolis, le reste étant réservé aux particuliers et aux PME. Consulté par le gouvernement dans le cadre de la récente loi Macron, l’entrepreneur a même milité pour ins-crire un seuil de 50 % minimum de particuliers prêteurs dans la définition officielle du crowdlending… Les discussions sont toujours en cours.Vincent Ricordeau a par ailleurs lancé Hello-Merci, une plateforme de prêt permettant aux par-ticuliers de microfinancer l’économie locale. Un crowdlending plus « militant », également porté par des pla-teformes comme Blue Bees, dédiée au soutien des projets agricoles respectueux de l’environnement, ou Babyloan, site de microcrédit à destination des entrepreneurs exclus du sys-tème bancaire. Les profits y sont évidemment plus faibles. Mais à quoi bon court-circuiter la finance si c’est pour repro-duire ses erreurs ? •

Don-contre don : financement d’un projet en échange de contreparties non financières (goodies, produits, services). Exemples : Kisskissbankbank, Ulule, Kickstarter.

Crowdlending : prêt à un projet ou à une entreprise, le plus souvent rémunéré.Exemples : Unilend, Lendix, Lendopolis.

Crowdequity : prise de participation dans le capital d’entreprises non cotées.Exemples : WiSEED, Sowefund, Particeep.

3 grands types de crowdfunding

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Votre livre (1) et votre parcours vous ont conduit à travers les Fab Labs d’Europe. Quel regard portez-vous sur l’évolution du mouvement maker ?Ce qui me frappe, c’est l’hybridation des lieux. Auparavant, on avait une typologie clairement définie : des Fab Labs, des makerspaces, des hackerspaces, des incubateurs, des espaces de coworking. Aujourd’hui, tout se mélange. Les espaces de fabrication incluent des incubateurs, les espaces de travail incluent des machines de fabrication numérique, etc. De nouveaux types d’espaces ont par ailleurs vu le jour comme les « biohackerspaces », dédiés aux sciences du vivant. De plus, la fréquentation va croissant. Alors qu’au départ ces lieux étaient réservés à des hommes plutôt aisés, des femmes, des enfants et un public plus populaire commencent maintenant à les investir. La croissance a-t-elle été rapide ? Le mouvement des Fab Labs est né début 2000 lorsque Neil Gershenfeld, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), a lancé un cours intitulé « Comment fabriquer tout et n’importe quoi ». Des centaines de personnes s’y sont inscrites... C’est de là qu’est né le projet d’un réseau de laboratoires de fabrication pour passer de l’idée à l’objet. Aujourd’hui, on compte 600 Labs à travers le monde et la France – où le mouvement est arrivé en 2010 – est le 2e pays qui en comprend le plus. La dernière conférence annuelle, Fab11, a réuni des centaines de participants internationaux, alors que, onze ans plus tôt, elle était

organisée dans un garage. Donc oui, ça a été très vite ! Ce qui prend du temps, c’est de trouver un modèle économique pour tous ces lieux. Pour l’instant, chacun s’arrange avec des bouts de ficelles : investissement personnel, prestations, subventions... Ce succès témoigne-t-il d’une tendance plus générale des consommateurs à privilégier le faire soi-même et à lutter contre l’obsolescence des produits ? Je ne dispose pas de données chiffrées sur la question, mais j’ai le sentiment qu’il y a une appétence croissante pour tout cela. Prenez les « Open

Bidouille Camp », ces fêtes du « Do it yourself » et des savoirs partagés qu’on avait lancées fin 2012, lorsque j’étais journaliste chez Owni [site d’information qui a fermé ses portes en décembre 2012, ndlr]. Deux journées de fête et d’ateliers dans les tiers-lieux ou l’espace public, où l’on apprend comment réparer son vélo, utiliser une imprimante 3D, faire de la couture ou même de la cuisine. Plus d’une trentaine de manifestations de ce type ont été organisées depuis, spontanément, par des citoyens, à partir de la charte que nous avons élaborée. Il y aussi les « Maker Faire », ces foires à la bidouille qui rencontrent un franc succès auprès d’un large public, la belle réussite des « Repair Café » ou bien des ressourceries.

LES GRANDS TÉMOINS

(1) FabLabs, etc. Les nouveaux lieux de fabrication numérique, en collaboration avec Camille Bosqué et Laurent Ricard, Paris, éditions Eyrolles, coll. « Serial makers », décembre 2014.

Fab Labs, hackerspaces, makerspaces, tiers-lieux : Ophélia Noor observe et rend compte du mouvement DIY (Do it yourself) depuis qu’il est arrivé en France. Un nouveau rapport à la création qui commence à intéresser le grand public, mais aussi à inspirer les entreprises. Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Erwan Floc’h

Ophélia NoorJusqu’où iront les makers ?

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Ophélia Noor travaille depuis 2010 sur les cultures numériques, notamment les communautés makers et hackers. Co-auteur du livre FabLabs, etc. Les nouveaux lieux de fabrication (Eyrolles, 2014), elle est aussi co- fondatrice des Open Bidouille Camp, fêtes populaires du « Do it your-self ». Elle participe au FacLabUCP et travaille avec Sc21 sur la transition numérique de nos sociétés. Ophelia a également été journaliste à Owni.fr, magazine des cultures numériques et pionnier du datajournalisme.

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Certains voient dans ce mouvement les prémices d’une future nouvelle révolution industrielle, où chacun deviendrait à la fois producteur et consommateur. Est-ce crédible ? Je compare souvent cela au début de l’informatique personnelle dans les années 1980. Qui aurait imaginé que l’on tiendrait un jour un ordinateur surpuissant dans la main – sans même parler d’internet ? C’est un mouvement naissant, mais personne ne peut prévoir son évolution. En tout cas, les grandes entreprises s’en emparent. Air Liquide, Airbus ou Renault ouvrent leur Fab Lab en interne. Lors de la 10e conférence du mouvement Fab Lab (Fab10) qui s’est tenue en juillet 2014 à Barcelone, Nike et Airbus ont lancé un « appel aux makers ». Leroy Merlin a récemment ouvert un « TechShop » équipé d’imprimantes 3D et de fraiseuses pour tester le potentiel de la fabrication collaborative. Plus généralement, beaucoup de grandes entreprises veulent intégrer dans leur fonctionnement des logiques d’horizontalité et d’expérimentation issues de la philosophie maker. Des structures éducatives, telles que Simplon.co, s’en inspirent également. Tout cela ne risque-t-il pas de nuire à la philosophie originelle du mouvement, notamment au principe de l’open source ? Je ne suis pas inquiète. La plupart des Labs prônent l’utilisation de licences libres type Creative Commons. Lorsqu’un client ne veut pas partager son travail, on sort de la logique contributive et on lui fait payer les services du Lab. De nouveaux espaces tels que l’Usine IO se spécialisent ainsi sur des services plus orientés business et start-up. Contrairement à ce que l’on pense, l’open source n’est pas constitutif de l’ADN des makers. De tout temps, il y a eu des inventeurs et des bidouilleurs qui ont déposé des brevets. En revanche, il est vrai que l’on commence à comprendre que les modèles ouverts présentent des avantages. Prenez l’imprimante 3D, brevetée dans les années 1980. Pendant vingt ans, rien ne se passe. Mais lorsque l’invention tombe dans le domaine public, les hackers s’en emparent et la technologie s’améliore et se diffuse très rapidement.

Vous avez récemment pu assister à la POC 21 (2), un camp d’innovation écologique open source dans les Yvelines. Quelles sont vos impressions ? C’est un projet qui vient de collectifs de l’économie collaborative tels que OuiShare et OpenState. De nombreuses personnes fabriquent déjà leur propre éolienne ou leur propre machine agricole à travers le monde. À l’approche de la COP 21, il est important de montrer cette richesse de solutions écologiques que chacun peut s’approprier, grâce à un tel « showcase » de l’open source. J’espère que cela permettra au public, aux décideurs et aux entreprises de comprendre qu’il existe d’autres manières d’innover, plus souples, plus collaboratives et plus contributives. •

(2) POC 21, de l’anglais proof of concept (preuve de faisabilité). Acronyme choisi en écho à la COP 21.

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« Je compare souvent la révolution maker au début de l’informatique personnelle dans les années 1980. »

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« Je déteste les brevets. Ils privent une majeure partie de l’humanité de l’utilisation des connaissances humaines. »

B résil, 1970. Le régime militaire bat son plein quand la seleção vient juste de remporter sa 3e  Coupe du monde

de foot. Sous la surveillance des mitraillettes, tous les Cariocas dansent et vibrent au son des baterias de samba. Tous ou presque : Luis Eduardo Sutter, dit Dado, est resté caché chez lui. En pleine « création » : il met au point le premier ordinateur de Rio. Chercheur acharné et sans limite, ce Brésilien, qui a aujourd’hui une cinquantaine d’années, a connu plusieurs vies. Quelques années après le Mondial, il part pour l’Europe comme chercheur au CERN (Conseil européen pour la recherche nucléaire) avant de rentrer au pays et de passer, notamment, sept ans sur les routes du Brésil, seul à bord de son camping-car.C’est en 2011 que Luis Eduardo Sutter va découvrir l’économie sociale et solidaire  : emballé, il fonde le premier makerspace de Rio, intitulé OHMS. Traduction  : Our Home MakerSpace. Traduction bis : un laboratoire communautaire ouvert au public où l’on peut se retrouver pour créer, collaborer et apprendre. L’immobilier à Rio étant très cher, Dado choisit de garer sa voiture dans la rue... et crée son makerspace dans son garage, qu’il aménage « comme dans sa tête ». Autant dire un sacré bordel, du moins en apparence. Des outils partout, dont des fraiseurs numériques – pour découper des modèles en bois au millimètre –, et puis des machines qui semblent ne

servir à rien, des boîtes remplies de tout et surtout de n’importe quoi… « On construit nos outils nous-mêmes. Par exemple, les imprimantes 3D, c’est nous qui les avons fabriquées. On a aussi des drones, des scanners 3D, et on a même créé un appareil qui tue les termites avec des ondes. C’est super dangereux, faites gaffe. Faut pas l ’utiliser quand il y a les voisins autour, mais ça tue les termites sans utiliser de produits chimiques ! »Derrière l’air débonnaire de Dado se cache une redoutable mécanique intellectuelle doublée d’un bon gros rire franc. « Chez moi, c’est propice à la création, chacun peut y venir et y faire ce qu’il veut s’il respecte le lieu. »

COLLABORATION MONDIALELe garage de Dado s’inscrit dans un mouvement plus global : du DIY (Do it yourself, «  fais-le toi-même  ») au DIT (Do it together, «  faisons-le ensemble  »). Avec le développement des espaces comme OHMS, le pro-cessus de production se démocratise vite. Passer de l’idée au prototype est enfin possible. Sous les yeux des habi-tants du quartier, certains choisissent d’imprimer en 3D une poignée de porte, d’autres préfèrent concevoir… un kayak. Cliché mais néanmoins réalité, un jeune Texan a même jugé bon de sortir un modèle 3D d’arme à feu. « Devenir un maker dans mon garage, ce n’est pas juste savoir faire quelque chose, c’est utiliser ses mains pour se mettre au travail », professe Sutter. Ces rêves de production décentralisée et accessible à tous ne verraient jamais le jour s’ils n’étaient pas accompagnés d’une philosophie qui va à l’encontre de l’idée de brevets et de propriété

intellectuelle autocentrée : l’open source. Dado le crie haut et fort : « Je déteste les brevets. Ils privent une ma-jeure partie de l’humanité de l’utilisa-tion des connaissances humaines. » Cela signifie que les plans de production sont libres d’accès et que n’importe qui peut les récupérer et améliorer le produit. Et, aujourd’hui, la collabora-tion devient mondiale. Aussi fou que cela puisse paraître, Dado a travaillé et développé dans son makerspace un programme appelé Elua[RR1], aujourd’hui utilisé par la NASA.En France aussi le mouvement des makers grandit à la vitesse grand  V. Cinquante makerspaces sont actuellement répertoriés dans le pays. Nicolas Huchet fait partie des inventeurs brillants qui ont su tirer pleinement profit de cette collabora-tion  : suite à un accident du travail, il a été amputé d’un bras. Comme le modèle de prothèse électrique der-nier cri était inabordable financière-ment – 27 000 euros –, il s’est rendu dans un Fab Lab (nom français pour makerspace) de Rennes, et, à partir d’un modèle en open source, et avec le concours d’ingénieurs, il a pu déve-lopper et fabriquer une main bionique entièrement imprimée en 3D, en une nuit, pour… 1 000 euros. L’histoire ne dit pas s’il envisage de greffer à cette nouvelle main un superbe flingue der-nier cri selon les plans élaborés par un Texan dans la caverne de Dado… •

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Un stylo 3D multitâche

Soudure, coupe, gravure et dessin. Le stylo de l’entreprise tchèque 3Dsimo financé par le crowdfunding a déjà recueilli plus de 100 000 dollars auprès des internautes.

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Après avoir crée le premier ordinateur brésilien, Luis Eduardo Sutter a lancé OHMS, le premier Fab Lab de Rio. Rencontre avec un pionnier du DIY (Do it yourself), un mouvement en pleine expansion. Mathieu Bernard (The Sharing Bros), septembre 2015

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DANS LES YVELINES, UN CAMP D’INNOVATION VEUT INVENTER UN MONDE PLUS DURABLE

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POC 21 fabrique les objets du futur

Faircap, de l’eau potable à 1 dollar

Permettre à n’importe quel être humain d’avoir accès à une eau potable. C’est la grande ambition de Faircap, un projet de la POC 21 porté par Mauricio Cordova, un Péruvien qui vit en Espagne.Faire baisser la mortalité. Le grand projet de Mauricio, c’est que sa gourde magique soit vendue 1 dollar partout sur la planète. « Dans le tiers-monde, cela permettrait d’éviter les maladies liées à l ’eau non traitée, qui font des dizaines de milliers de morts chaque année », précise l’économiste. Mauricio assure que quoi qu’il arrive, il ira jusqu’au bout : « Même si aucune entreprise ne veut m’aider, je f inancerai le projet avec une campagne de crowdfunding. » Démonstration. « Un filtre permet de traiter environ 1 000 litres d’eau sale, explique Mauricio. Il

retient les bactéries et les polluants chimiques. » Et pour démontrer l’efficacité de son invention, il n’hésite pas à mélanger de la terre et de l’eau dans sa gourde, avant d’en boire une grande gorgée. « Ça marche », assure-t-il avec un grand sourire.Utilisation simple. L’idée de cette gourde lui est venue lors d’un voyage en Amazonie. « Je me suis dit qu’il fallait développer une unité de purification facile à emporter, qui fonctionne sans électricité. » Son filtre est constitué d’une membrane achetée dans le commerce et de charbon actif. Le tout est inséré dans un tube de PVC, puis connecté à la bouteille. À la POC 21, Mauricio a amélioré son idée de départ après discussion : « J’essaie de fabriquer la membrane via une imprimante 3D. Cela permettrait de la reproduire partout dans le monde. » • B.B.

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ienvenue au château de Mil-lemont, dans les Yvelines, à 50 km de Paris. C’est dans cette bâtisse du xviiie siècle, posée au milieu des champs, que la POC 21 a établi son camp de base. POC, pour « Proof of

Concept », que l’on peut traduire par « la preuve que ça marche ». Un acronyme pour faire écho à la COP 21, la conférence sur le climat prévue à Paris à la fin de l’année. TRAVAIL EN COLLECTIVITÉ Douze projets d’avenir ont été sélectionnés par les organisateurs pour venir travailler à Millemont. Cela va de l’éolienne à 30 euros à la gourde qui filtre l’eau sale. Depuis la mi-août, tous les porteurs de projet développent leurs innovations côte à côte. « Personne ne travaille seul dans son coin. Chaque équipe discute avec les autres, il y a beaucoup

d’entraide, des échanges constants », assure Benjamin Tincq, l’un des organisateurs. Des « supporters » sont aussi présents pour épauler les porteurs de projet. Ce sont des spécialistes en design, en marketing ou encore en fabrication. L’équipe de Sunzilla, qui réalise des panneaux solaires mobiles, a eu recours à cette aide. « On a développé notre plan marketing ici, assure Vivien, l ’un des ingénieurs de l ’équipe. Les conditions de travail sont parfaites. Si tu as besoin de quelque chose, tu n’as qu’à demander.  » Cette vie en communauté qui se déroule sur 5 semaines coûte 950 000 euros. Un montant pris en charge par des partenaires publics et privés. Après plus d’un mois de travail, toutes les équipes sont maintenant tournées vers un seul objectif : la réalisation de leurs objets avant leur présentation le 19 septembre à Millemont. • Benjamin Benoît, juin 2015

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L’open source est dans le préEt si demain, tous les exploitants agricoles fabriquaient eux-mêmes leurs outils à partir de plans gratuits ? C’est l’un des rêves de l’Atelier paysan, une coopérative fondée en 2011 et basée en Isère. Julien Reynier, chargé de développement, détaille le principe : « On développe et on diffuse des outils conçus directement par les exploitants. » L’Atelier paysan recense les innovations en faisant le tour des fermes. Dès qu’une machine est jugée intéressante, des techniciens s’occupent d’élaborer des plans détaillés ainsi qu’un tutoriel : « C’est un peu comme le montage d’un meuble Ikea », explique Julien Reynier. Les agriculteurs ne sont pas mis de côté, ils participent aux phases de conception. C’est ce qui s’est passé pour Franck Vuillermet, maraîcher en Savoie. Sa bineuse a été repérée par l’Atelier paysan et mise en open source. Aujourd’hui, n’importe quel agriculteur peut télécharger son plan sur internet. Une vraie fierté pour l’agriculteur : « Pour des petits producteurs, la meilleure solution, c’est souvent de construire soi-même les outils. Mon invention marche, autant en faire profiter les autres. » Même si des plans de machines sont disponibles gratuitement, encore faut-il avoir les notions de bricolage nécessaires pour pouvoir les fabriquer. L’Atelier paysan est bien conscient de ce risque : « Nous organisons des formations d’auto-construction trente fois par an environ, explique Julien Reynier. On loue un hangar et on apprend aux agriculteurs à souder et à découper les métaux. À la f in de la session, ils sont autonomes pour construire les machines. » Environ 400 agriculteurs ont déjà été formés un peu partout en France. • B.B.

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eptembre 2015. Apple t i e n t u n e é n i è m e keynote. Au menu : un iPhone 6S Plus, plus cher que jamais, un iPad Pro et même… un iStylo –

comprenez un bout de plastique à 100 euros pour dessiner sur tous ces iProduits révolutionnaires. Vous êtes un peu fatigués de toutes ces nouveautés ? Eh bien vous n’êtes pas les seuls ! Selon un sondage réalisé par OpinionWay, 81 % des Français estiment que les innovations technologiques ne justifient pas le renouvellement incessant des produits proposés par les constructeurs.

UNE AUTRE KEYNOTEAu même moment, se tenait, dans une ambiance moins solennelle, « L’autre Keynote », dans les locaux parisiens du collectif MakeSense. Le but, cette fois-ci, n’était pas de pré-senter de nouveaux téléphones, mais plutôt de trouver une solution pour réutiliser les millions d’appareil qui sont déjà en circulation.En moyenne, un Français change de portable tous les 18 mois. Résultat : 1,4 million de tonnes de déchets élec-triques et électroniques se retrouvent dans les poubelles françaises en 2014, selon l’Organisation des Nations unies (ONU). Et, dans le monde,

c’est 15 millions de téléphones qui sont – lâchement – abandonnés dans un tiroir par leur propriétaire chaque année. La crème des entreprises de réparation, recyclage, réemploi, re-vente et réutilisation de ces appareils était donc réunie pour s’attaquer au problème. LE « UBER DU SMARTPHONE »Exemple avec Remaker, que son directeur Hugues Peuchot me pré-sente comme le « Uber du smart-phone ». La plateforme met en relation un réseau de réparateurs indépendants, souvent auto-en-trepreneurs, avec des particuliers.

Born againRéparer, réutiliser les millions de smartphones en circulation plutôt qu’en produire toujours plus : c’était l’objet de « L’autre Keynote », un joyeux rassemblement de start-up, collectifs et associations décidés à en finir avec le gaspi électronique. On y était.Côme Bastin, octobre 2015

VOUS NE JETTEREZ PLUS VOTRE SMARTPHONE COMME AVANT

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Comme pour Uber, un algorithme permet de déterminer le prestataire le plus proche et le plus pertinent chaque fois qu’un client sollicite la plateforme. Résultat : « On vient réparer votre téléphone chez vous ou au bureau, dans l ’heure ». Fondé il y a moins d’un an, Remaker est déjà présent dans 6 villes françaises, tra-vaille avec 70 réparateurs et jouit « d ’une très forte croissance ». Comptez 69 euros pour une réparation stan-dard, frais de déplacement inclus. C’est l’iPhone qui constitue le gros du marché de la start-up. « C’est glo-balement un téléphone assez simple à réparer », juge Hugues. Seul hic : Apple se refuse à fournir les pièce originales, car «  ils préf èrent garder la main sur la réparation ». Qu’à cela ne tienne  : beaucoup d’industriels européens et chinois qui recyclent les produits Apple fournissent des pièces reconditionnées à Remaker.

BRICOLER DANS UN REPAIR CAFÉDans la salle principale, la « MKS Room », un débat sur le réemploi dans l’électronique, entrecoupé de morceaux de musique, bat son plein. Romain Chanut présente le projet Jerry do it together, des ordinateurs assemblés dans des jerricans à par-tir de composants informatiques recyclés. « Madame Chat », elle, en tire… des bijoux ! Benoît Engel-bach, président de l’association Re-pair Café, juge qu’« il est grand temps d ’apprendre à réparer tous ces produits plutôt que de les jeter  ». Un Repair café, c’est un endroit ou l’on peut boire un coup et être aidé par des bénévoles, fans de bricolage, à re-mettre un appareil en marche dans le même temps. Le premier a ouvert à Amsterdam il y cinq ans, et on en compte aujourd’hui 750 dans le monde, dont une trentaine en France.Pas loin du débat, c’est Spareka qui tient un stand. L’entreprise s’est spécialisée dans la vente de pièces détachées et accessoires pour appareils électroménagers. Elle fournit également des guides gratuits et des vidéos explica-tives pour offrir une seconde vie à son téléphone, sa machine à la-ver ou même sa machine à pâtes.

ACHETER RECONDITIONNÉRéparer c’est bien, mais si j’ai besoin d’acheter ? Là non plus, pas d’excuse puisque le marché des téléphones reconditionnés est lui aussi en plein boom. Et sur le secteur, le site Back-Market veut s’imposer comme le « Darty des produits réparés ». Cette plateforme permet au grand public d’acheter des iPhones, tablettes ou ordinateurs remis à neuf en usine, à prix réduit. « Dix mois après notre lan-cement, on vient d’ouvrir une antenne en Espagne, s’enthousiasme Thibaud Hug de Larauze, cofondateur. On va également permettre aux particu-liers de revendre leur produits électro-niques directement aux professionnels du reconditionnement sur le site.  »

RE(MADE) IN FRANCECar c’est bien une nouvelle filière industrielle qui est en train d’émerger. En 2017, ce seront 112 millions de téléphones reconditionnés qui seront vendus dans le monde, selon le cabinet d’analyse Gartner. Le 8 septembre, la start-up Save My Smartphone, leader mondial de la réparation, a levé 15

millions d’euros. Après deux ans d’exis-tence, elle compte déjà 90 points de vente. En France, les acteurs du secteur se sont récemment regroupés au sein de RCube, la fédération des acteurs de la réduction, du réemploi et de la réuti-lisation. Présent au rassemblement, son président Renaud Attal, vient de lan-cer un label européen « Mobile certifié reconditionné ». Celui-ci évalue les structures candidates sur quelque 70 cri-tères liés à l’environnement ou au social.« Le but est de rassurer le consomma-teur, explique Renaud. On lui garantit un produit de qualité, durable, répa-rable, avec un service après-vente.  » Des produits moins chers, plus éco-los, mais aussi «  Made in France  », souligne le président de RCube. « On ne peut peut-être pas empêcher les constructeurs de fabriquer les produits en Chine, mais on peut garantir qu’ils seront reconditionnés en France ! » •

Fairphone 2, le téléphone éthique et

démontableCe smartphone est conçu pour être réparé

facilement par l’utilisateur et permet d’éviter une surconsommation des matières premières.

Prix de lancement : 529 €

« Chaque année, 15 millions de téléphones sont abandonnés dans un tiroir par leurs propriétaires dans le monde. »

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ans l’atelier Ohcyclo de Mon-treuil (Seine-Saint-Denis), Boris et Émilie, deux trente-naires, sont en plein démon-tage d’un vélo hollandais. « Ma

chambre à air est crevée, explique Émilie, et je n’ai pas le matériel chez moi pour réparer. Je suis venue ici parce que c’était juste à côté de mon appartement. » L’atelier ouvert en mai est quasi professionnel, à une différence près  : «  Les gens doivent réparer eux-mêmes leurs vélos, explique Julien Nesme, l’un des bénévoles de l’association. Ils font l ’essentiel du travail. Nous, on est là pour leur donner des conseils et un coup de main si nécessaire. On a même embauché un salarié. » N’importe qui peut utiliser l’atelier, à condition de payer une cotisation de 20 euros par an. Et la de-mande est là : Ohcyclo compte désormais 800 adhérents. Lorsqu’on les questionne sur leurs motivations, les participants citent souvent les mêmes  : refus du gaspillage, goût pour la récupération. Récupération maximum « On a d ’ailleurs signé une conven-tion avec la ville de Montreuil pour récupérer les vélos abandonnés. », précise Julien Nesme. Les vélos sont ensuite triés. Ceux en plus mauvais état partent en pièces détachées, les autres sont restaurés et revendus au profit de l’association. Pour le bénévole, la réparation des vélos, « c’est un prétexte pour échanger. Il y a une sorte d ’esprit de commu-nauté qui se crée. Tu viens réparer ton vélo et

tu discutes naturellement avec les autres. » À terme, l’association pré-voit d’ailleurs de créer une bibliothèque et d’accueillir des exposi-tions de photos dans l’atelier. • Benjamin Benoît, avril 2015

À MONTREUIL, UNE ASSOCIATION PERMET AUX CYCLISTES DE RÉPARER EUX-MÊMES LEUR VÉLO

Deux membres de l’association Ohcyclo en pleine réparation.

Boris et Emilie en plein changement de chambre à air.

Un plan détaillé de vélo à l’atelier.

Un atelier de réparation gonflé

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Le modèle de l’atelier solidaire fait débat. Pour Vincent (prénom d’emprunt), vendeur dans une

boutique parisienne, « les clients préfèrent acheter des pièces d’occasion. Puis ils vont aux ateliers d’auto-réparation. C’est devenu très difficile. » À l’inverse, Bernard Rodriguez-Lacam, installé

à Montreuil, reste serein : « Je fais du haut de gamme, du luxe, donc ça ne m’enlève rien. Les ateliers d’auto-réparation, c’est bien pour ceux qui ont peu de moyens. » B.B

Qu’en pensent les professionnels du bricolage ?

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Partager librement des données pour les améliorer et pouvoir les réu-tiliser. C’est le grand projet de l’open source, un mouvement parfaitement adapté à l’économie du partage et utilisé dans de nombreux cas.

OPEN SOURCE ET 3D En 2005, Adrian Bowyer, un pro-fesseur britannique, lance le projet RepRap, une imprimante 3D dont les plans sont librement accessibles. Dix ans plus tard, n’importe qui peut la construire chez lui avec les conseils du site. Aujourd’hui, les im-primantes 3D nées de l’open source servent de support à l’économie col-laborative : un site comme 3Dhub propose de mettre en relation les personnes possédant une impri-

mante et celles qui cherchent à faire imprimer un objet.

MENACE SUR LE DESIGN ? À partir de plans en open source récupérés sur le web, et avec une imprimante 3D, n’importe qui pourrait décider de recréer des objets ou des produits dérivés sans respecter les licences. Selon Alexandre Martel du site 3DNa-tives, le risque reste limité  : « Cela concerne les produits basiques, faits d ’une seule matière. Par exemple, on peut reproduire assez facilement un Lego, mais ça coûte moins cher d ’aller acheter les briques en magasin que de les faire chez soi. Les risques ne sont pas encore démesurés car tout le monde n’a pas son imprimante 3D. »

SÉCURITÉ L’open source pose aussi des ques-tions de sécurité, comme l’explique Christopher Santerre, designer indépendant : « Dès qu’un objet est diffusé en open source et reproductible par n’importe qui, rien ne dit que l ’ob-jet reproduit ailleurs sera aux normes, qu’il sera fiable. » • septembre 2015

L’imprimante 3D : enfer ou paradis ?

De nouveaux outils à disposition

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CAP SUR LE TROC DE COMPÉTENCESTout le monde n’a pas un oncle bricoleur à côté de chez lui. Castorama souhaite amener un maximum de personnes à sauter le pas vers la réalisation de travaux. Son ob-jectif : créer un univers où les clients et les artisans partagent et trouvent des réponses à leurs attentes. C’est désormais chose faite avec la communauté Les Troc’heures et l’encyclopédie en open source Wiki for Home.

POUR LA PARTICIPATION DES CLIENTSCertains distributeurs s’appuient sur les idées de leurs clients pour concevoir des produits novateurs. LeroyMerlin a créé, en 2014, Selon Vous, un lieu de proposition d’idées de produits et de concours de création. L’enseigne

confirme son intérêt pour la réalisation des pro-duits à la mode collaborative. Au cœur de son

magasin d’Angers, l’Atelier est un vaste espace de fabrication qui permet à

tous d’utiliser des imprimantes 3D, du matériel de découpe, des frai-seuses et des machines à coudre.

POUR LA CRÉATION DE SON RÉSEAUMr Bricolage a décidé de mettre sur pied son propre site commu-nautaire de vente, de location et

d’échange de conseils. Lancée en avril, la Dépanne veut garantir aux

bricoleurs l’accès aux outils de jardi-nage d’occasion et à moindre coût. Mais

aussi la possibilité de bénéficier de bons d’achats sur des produits neufs en magasin. •

juillet 2015

Les enseignes de bricoLage à L’heure du « co »

L’économie collaborative, ce n’est pas que des sites de revente et de location. Le secteur du commerce spécialisé puise aussi dans le troc de compétences et la co-création de produits pour incarner cette économie en pleine maturité.

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Léa Thomassin Cofondatrice de HelloAsso

Nathan Stern Sociologue et entrepreneur social

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Grands témoins

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Vous vous définissez comme un ingénieur social. Pouvez-vous nous éclairer là-dessus ?Pendant des siècles, on a pensé que le social réclamait surtout du cœur, de la bienveillance et on est passé à côté de sa technicité. Or, il ne suffit pas d’être de bonne volonté pour que ça marche ! Comme pour les ingénieurs scientifiques, l’approche expérimentale, l’empirisme, le goût de la mesure ont toute leur place pour multiplier les liens sociaux. On manque d’ailleurs cruellement d’indicateurs sur le niveau de socialisation de nos sociétés. Dans toutes les plateformes que je mets en place, je me concentre sur la richesse des liens que tissent les membres entre eux. Je préfère qu’une personne ait 5 contacts proches qu’elle voit régulièrement, que 200 contacts qu’elle connaît à peine.

En quoi internet est-il un média pertinent pour votre travail ?Auparavant, on avait besoin d’un espace physique, comme un café, et de beaucoup de communication pour réussir à réunir les individus au même moment et au même endroit. Grâce à internet, il est possible

de créer de nouveaux liens sociaux à moindre coût. La sensibilité à l’âge et au milieu social est beaucoup moins forte pour amorcer des interactions. Prenez les cages d’escaliers des immeubles, par exemple : tout le monde regarde ses pieds et c’est presque une impolitesse que de s’adresser à un voisin pour lui demander comment il va. Il nous faut revisiter les interfaces que l’on utilise pour interagir avec nos semblables et le digital est intéressant à cet égard. En 2003, vous imaginez en ce sens le site Peuplade.Je me suis associé avec un

développeur de Besançon pour le lancer. À l’époque, c’était un vrai défi technique. Il n’y avait pas de réseaux sociaux et même le concept de rencontre via internet faisait peur. On a démarré à petite échelle, celle de ma rue dans le 17e arrondissement de Paris et, rapidement, 350 habitants nous ont rejoints. On organisait des pots de quartier, des rencontres chez les habitants, des ateliers de musique : il y avait une vraie dynamique pour construire les institutions dont on avait besoin. Une maison de quartier, un journal local, des cantines gastronomiques ou populaires ont ainsi vu le jour. Peuplade s’est progressivement étendue à tout Paris,

LES GRANDS TÉMOINS

Le numérique et le collaboratif peuvent-ils favoriser le vivre-ensemble ? Oui, mais pas à n’importe quelles conditions, répond le sociologue Nathan Stern qui a lancé plusieurs plateformes pour réinventer la vie de quartier et créer de nouvelles solidarités.Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Erwan Floc’h

Nathan SternChercheur en sites

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Sociologue de formation, Nathan Stern conçoit depuis quinze ans des plateformes, jeux et dispositifs pour élever le niveau d’empathie des publics les plus divers : quartiers (Peuplade, 2003), personnes âgées isolées (Voisin-Age, 2008), cours d’école (Cour Partagée, 2013), personnes souffrant de handicap, familles. Il mène en parallèle une acti-vité de recherche sur la réinvention de la solidarité, la prévention de la violence et l’économie du partage.

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« Notre représentation de l’autre est affectée par les expériences collaboratives. »

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mais on a fini par rencontrer des problèmes de modèle économique. J’ai depuis tourné la page, mais ce fut une expérience fondatrice.

Plus récemment, vous avez conçu la plateforme Voisin-Age.Oui, avec Giovanni Pandolfo, pour le compte de l’Association Les petits frères des Pauvres. L’idée est de constituer, autour des personnes âgées et isolées, un pôle de voisins bienveillants qui vont tisser des liens avec elles de façon informelle. On a beaucoup de femmes trentenaires, en pleine carrière, qui partagent des moments avec ces seniors. De vraies relations se nouent, ça n’est pas de la charité. Sur quoi travaillez-vous actuellement ?Happy Week, un jeu de société pour la famille qui importe dans la vie réelle les logiques des plateformes collaboratives et des réseaux sociaux. Car Facebook, Blablacar, Airbnb sont en réalité des jeux sociaux, avec leurs règles, leurs modalités de présentation de soi, leurs tiers de confiance, etc. Dans Happy Week, à chaque fois que l’enfant se montre autonome, le parent s’engage à lui faire plaisir. Une sortie au parc si l’on se brosse les dents ou si l’on fait son lit de sa propre initiative. C’est parce qu’il y a un équilibre entre les contributions que l’ensemble fonctionne. On sort du climat culpabilisant pour passer dans le ludique et le collaboratif. Beaucoup de plateformes collaboratives visant à créer du lien social, pourtant bien conçues en théorie, n’arrivent pas à percer. Comment l’analysez-vous ?Créer du lien ne se décrète pas. Tout d’abord, plus on est local, plus il est difficile de percer. Quand on a peu de membres, on a peu de contributions : même sur Wikipédia, la proportion de contributeurs est très faible. Les fans de Britney Spears se comptent par millions. Atteindre une masse critique pour les fans de la rue Lemercier, c’est plus compliqué. Le 2e facteur est économique. On est plus enclin à surmonter ses réticences culturelles et à s’ouvrir à des étrangers s’il y a un peu d’argent à la clef. Enfin et surtout, les individus veulent préserver leur anonymat. Si je covoiture avec un inconnu sur 150 km, je vais pouvoir le noter et décider par exemple de lui refuser l’accès à mon véhicule la fois suivante. Si je transporte ma collègue le lundi, vais-je pouvoir lui avouer, le mardi, que je n’en ai plus envie parce qu’elle parle trop ? On n’a pas envie de tisser des liens dont on risque de se retrouver otage.

Pouvoir noter les personnes avec lesquelles on interagit est donc central dans le design des plateformes. Je parlerais plutôt de contrôle social. Il s’agit de garantir que la personne avec laquelle on va entrer en relation se comportera correctement. Au fil des expériences collaboratives, on découvre que les individus sont très fiables soumis à un tel contrôle. En fait, les dés sont un peu pipés, puisque les plateformes s’arrangent pour éliminer rapidement les membres qui ne jouent pas le jeu. Toujours est-il que notre représentation de l’autre finit par en être affectée. Les sondages montrent que ceux qui pratiquent le covoiturage pensent plus souvent pouvoir faire confiance à un inconnu. Cette croyance n’est pas neutre sur le plan social et favorise l’ouverture. Le terme de « contrôle social » n’est-il pas effrayant ?Ce qu’il y a de positif, c’est que le contrôle social est

désormais effectué par des pairs plutôt que des normes arbitraires. Ça me va très bien que n’importe qui puisse s’improviser cordon bleu et, s’il a du talent, qu’il puisse être reconnu et vivre de son art. Ce qui m’inquiète, c’est que la possibilité du secret et de l’intimité se dissipe. Moi qui suis né avant internet sais combien cela a de valeur de marcher, seul dans la forêt, ou ailleurs, sans que personne n’en soit informé. Or, on constate un changement de paradigme : aujourd’hui, ce qui est réel c’est ce qui est partagé. Un voyage effectué au Japon devient presque hypothétique s’il n’est pas posté sur Instagram et visionné par les pairs. Même

mon fils de 5 ans, lorsque l’on fait un gâteau, veut poster la vidéo sur YouTube ! Ces moments devraient se suffire à eux-mêmes. L’immanence disparaît de notre époque. Y a-t-il un désenchantement du collaboratif ?Le mot collaboratif est à la mode. Beaucoup ont pris le train en marche et font dans le share washing. Néanmoins, même le plus cynique des acteurs, lorsqu’il fait du collaboratif, lorsqu’il permet à des individus, quel que soit leur CV, de devenir hôtes, conducteurs, loueurs, offre une seconde chance, ce que ne font pas les acteurs traditionnels. La disparition d’UberPop a fait s’évanouir nombre d’espaces sociaux où se tissait un lien informel et familier entre des personnes très différentes. Des conducteurs issus des quartiers populaires y côtoyaient des passagers plus riches. On se racontait des parcours de vie, on discutait

« Ceux qui pratiquent le covoiturage pensent plus souvent pouvoir faire confiance à un inconnu. Cette croyance n’est pas neutre sur le plan social. »

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de musique. Dans une société française segmentée et clivée, tout cela avait une valeur sociale considérable. Quand bien même les dirigeants d’Uber visaient d’abord la rentabilité et le profit.

Peut-on réinventer notre modèle de gouvernance à partir des logiques collaboratives ?Il pourrait y avoir beaucoup de vols et d’arnaques sur les plateformes collaboratives. Mais ce n’est pas le cas. Mieux : le nombre d’agents de contrôle, par rapport aux nombre de membres, y est ridiculement faible. Même une société paisible comme l’Islande n’oserait pas en

rêver ! Et ce, parce que ces places de marché favorisent les interactions vertueuses entre individus. L’État devrait s’en inspirer et se dire que son rôle est d’animer une communauté et non de l’administrer. Considérer le social non pas comme un territoire à maîtriser, mais comme un ensemble dans lequel favori-ser des échanges harmonieux. Pour l’instant, la loi est un outil de contrôle. On empêche les policiers de faire des bavures et les citoyens de sortir du rang. On interdit, on prohibe, alors que la force du tsunami collaboratif est irrépressible. Et si l’on essayait plutôt de faire confiance ? •

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Pierre Dubuc et Mathieu Nebra, cofondateur d’OpenClassrooms, ont déjà accompagné 2,5 millions de personnes à travers leur plateforme.

Pour lutter contre les inégalités d’accès au savoir, faciliter le retour à l’emploi ou changer la culture du travail en entreprise, de nouveaux acteurs inventent des méthodes pédagogiques innovantes qui s’appuient sur le numérique et le collectif. Côme Bastin, décembre 2015

Programme d’échange

CES START-UP « EDTECH »QUI VEULENT RÉINVENTER L’ÉDUCATION

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a commence comme un projet de collégiens un peu geeks. À 11 ans, Pierre Dubuc publie ses cours sur internet avec

son ami Mathieu Nebra. « Tout ce qu’on voulait, c’était aider deux ou trois copains », raconte le fonda-teur d’OpenClassrooms. Lancée en  1999 sous le nom de « Site du Zéro », la plateforme de Pierre et Mathieu a depuis accompagné 2,5 millions de personnes. Rebapti-sée OpenClassrooms en 2013, elle est devenue leader européen dans le secteur des MOOCs et emploie 35  salariés. On peut s’y former au code, aux métiers du numérique, à l’entrepreneuriat… le tout sans rien débourser ou, dans le cadre des formations les plus avancées, pour 20 à 300 euros par mois. « Pour les chômeurs, c’est entièrement gratuit », précise Pierre – c’est le but du par-tenariat que viennent de nouer OpenClassrooms, le gouvernement et Pôle emploi.Comme ces deux amis, ils sont nom-breux à imaginer des plateformes numériques innovantes et collabo-ratives pour réinventer l’éducation et la formation. Alexandre  Dana a ainsi lancé LiveMentor, un site de cours particuliers et de soutien scolaire par visioconférence qui compte déjà 30 000  utilisateurs et 3 000  « mentors ». Antoine Amiel a de son côté fondé LearnAssem-bly, une start-up qui mêle MOOCs, intervenants et programmes d’incu-bation à destination des particuliers et des entreprises. NOTATION PAR LES PAIRSComme pour de nombreux MOOCs, la pédagogie d’Open-Classrooms conjugue travail per-sonnel et collectif. D’un côté, des briques de connaissances à assimiler en ligne par l’étudiant, organisées autour de textes et de vidéos. De l’autre, des travaux pratiques « éva-lués par les pairs ». Concrètement, chaque étudiant est noté (à par-tir d’une grille de consignes) par trois autres élèves. Pour valider son score, chacun doit évaluer en retour le travail des autres. Résultat  : une communauté de membres qui s’en-traident et s’évaluent réciproque-

services, souvent pour toucher des milliers de salariés. Pas facile, ex-plique Antoine Amiel, d’adapter le fonctionnement pyramidal des entreprises classiques à la logique collaborative des MOOCs. « Cela veut dire que l’on peut être amené à noter son supérieur ! » La start-up a donc fait le choix du multimodal  : en plus des MOOCs, elle mobilise un réseau d’intervenants pour orga-niser des ateliers, directement dans l’entreprise. C’est la « pédagogie in-versée » : « on alterne formation théo-rique à distance et exercices in situ ». LUTTE CONTRE LES INÉGALITÉSC’est bien la lutte contre les inégali-tés scolaires et pour l’accès à l’emploi qui motive ces pionniers de la « Ed-Tech ». Pourtant, premier paradoxe, ces nouvelles solutions proviennent d’acteurs privés et sont donc le plus souvent payantes. « Le soutien scolaire n’a rien de nou-veau », argumente Alexandre Dana, qui propose avec LiveMentor des cours plus flexibles et moins chers (autour de 20 euros de l’heure) qu’un acteur classique tel Acado-mia. « OpenClassrooms permet d’accé-der à des cours de grandes écoles pour un tarif dérisoire », répond de son côté Pierre Dubuc.Mais surtout, second paradoxe, la technologie peut constituer une barrière non négligeable auprès d’un certain public. « Ces solutions innovantes sont parfois discrimi-nantes. Tout le monde n’est pas assez familier avec le numérique et ne se retrouve pas dans l’image idéalisée de l’individu web-entrepreneur », reconnaît Antoine  Amiel, à pro-pos des chômeurs de longue durée. Une barrière qui tend à s’estomper, tempère Pierre Dubuc. « Le numé-rique est intégré par une frange de la population de plus en plus large. Ce sont les institutions qui ont tendance à se réveiller un peu tard ! » Les deux entrepreneurs s’accordent d’ailleurs à dire que c’est dès le collège qu’il faut familiariser les individus avec ces nouvelles modalités de travail et d’enseignement. Espérons que la « grande école du numérique » lan-cée par le gouvernement contribue à rapprocher un peu plus les deux mondes. •

ment. « La correction collaborative fait vraiment partie intégrante de la pédagogie qui repose sur l’intelligence collective », explique Pierre Dubuc.Cette notation par les utilisateurs se retrouve sur la plateforme de cours particuliers LiveMentor, où ce ne sont pas les élèves cette fois qui sont évalués, mais les professeurs. Lorsqu’un élève choisit son « men-tor », il est ensuite amené à lui attri-buer un certain nombre de points, selon son niveau de satisfaction. Li-veMentor prend aussi en compte la disponibilité des enseignants pour les classer, mais n’impose aucune barrière de sélection à l’entrée. « Il existe un grand nombre de matières et autant de pédagogies différentes, explique Alexandre Dana. Les élèves sont les mieux placés pour trouver le mentor qui leur convient. » Quant à la qualité des cours, le fondateur –  lui-même professeur particulier d’économie – la juge supérieure à un cours classique. « Je peux avoir accès à quantité de ressources sur internet et les partager avec mon élève. On tra-vaille en temps réel sur des documents et il peut les retrouver sur son espace personnel. » DE L’ÉTUDIANT AU QUADRADifficile de faire le portrait type de ceux, toujours plus nombreux, qui se tournent vers les cours en ligne, constate Pierre Dubuc. « De l’étu-diant en formation initiale, en passant par le salarié, le jeune professionnel qui veut booster sa carrière ou des per-sonnes en reconversion : tous les profils sont présents sur OpenClassrooms. » À l’image de cet employé de PSA, victime d’un plan économique, aujourd’hui devenu développeur in-formatique. « Beaucoup de personnes en situation de handicap ou dans des régions isolées se tournent également vers nous. » Sur LiveMentor, ce sont les Français installés à l’étranger qui ont été séduits, puisqu’ils repré-sentent 10 % des utilisateurs.« Learn Assembly officie auprès des jeunes, des cadres en reconversion, des artistes », précise Antoine Amiel. Mais c’est surtout dans les entre-prises que le jeune entrepreneur déploie sa pédagogie nouvelle génération. Axa, BNP, La Poste, AG2R ou MAIF font appel à ses

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scar a 19 ans. Élève en bac pro Vente, il ren-contre des difficultés à l’école et risque de dé-crocher avant la fin de

l’année. La raison  ? Il souffre d’un handicap : un très fort bégaiement. Difficile de se faire comprendre dans ces conditions. Pourtant, le jeune homme s’exprime parfaite-ment lorsqu’il adresse un e-mail à Muriel Epstein pour lui demander son aide. «  Il était traité par l ’insti-tution comme on traitait les sourds il y a 100 ans. J’ai travaillé avec lui à distance, en répondant à ses questions. Il a fait des progrès énormes. Il a eu son bac du premier coup et il suit désor-mais un BTS. Je suis très fière de lui. » Pour la présidente de l’association Transapi, le cas de Tanguy illustre le potentiel du numérique pour la réussite scolaire. « Aujourd’hui en France, on compte 140 000 décro-cheurs “en flux” tous les ans et 600 000 “en stock”. C’est trop », regrette-t-elle. Lancée en 2013, Transapi se donne pour objectif de lutter contre le dé-crochage grâce à l’expérimentation de méthodes pédagogiques innovantes. Bénévoles, enseignants et élèves se réunissent ainsi pour travailler sur des projets éducatifs collabora-tifs. Des exemples ? La conception de MOOCs – pour Massive Open Online Courses, des cours en ligne gratuits – pour faciliter les révisions du brevet d’histoire-géo ou encore la création de jeux vidéo pour l’ensei-gnement du français comme langue étrangère. Le but étant de former les jeunes à devenir acteurs de leur

Touche-à-tout, Muriel enseigne l’es-calade, l’anglais pour les classes eu-ropéennes, les mathématiques et la sociologie. Quand elle a débuté, elle voulait être prof de français. Mais elle se voyait tout aussi bien prof de philo. « Au fond, je me fichais un peu de la matière que j’allais enseigner. Il n’y a pas besoin de tout savoir pour pouvoir transmettre. Je vois davantage l ’ensei-gnant comme un directeur de recherche, celui qui accompagne quelqu’un dans son questionnement et sa réflexion. » Aujourd’hui, Transapi ferme ses portes, faute de pouvoir profession-naliser son activité. Mais Muriel Epstein n’a pas perdu son temps  – ni ses convictions – pour autant. « On a formé une centaine d’ensei-gnants, pour que le projet puisse être porté par d’autres, qui se le réappro-prieront, et continuer à exister. Là, on n’a plus besoin de nous. Ce sont eux qui vont transmettre désormais. De notre côté, on va mettre en open source tout ce que Transapi a fait, pour que chacun puisse s’en inspirer. » •

apprentissage. Et de tendre progres-sivement vers un modèle éducatif basé sur l’entraide mutuelle. Muriel n’est pas seule à mener ce combat. D’autres enseignants-chercheurs, comme François Taddéi, défendent ardemment les nouveaux modèles éducatif. Ce biologiste, également président du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), enchaîne les conférences pour vanter les mé-rites du numérique à l’école. L’outil permettrait de revenir à un modèle horizontal dans l’égalité des chances en favorisant l’autonomie dans l’ap-prentissage. Car, d’après les militants de l’éducation nouvelle, la solution passe d’abord par la remise en ques-tion de la posture de l’enseignant. « L’apprentissage, c’est faire. Le seul moyen d’apprendre c’est de faire quelque chose qu’on ne sait pas faire, de se mettre dans une situation de risque. Avec une tablette par exemple, vous êtes en action ; ce n’est pas le cas lorsque vous écoutez un prof donner un cours magistral », explique Muriel Epstein.

LUTTER CONTRE LES INÉGALITÉS

École pour tous, école par tous

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Lutter contre le décrochage scolaire grâce au numérique et aux pédagogies innovantes, c’est le travail de l’association Transapi qui met en relation bénévoles, enseignants et élèves.octobre 2015

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VOUS N’APPRENDREZ PLUS JAMAIS COMME AVANT

MOOCs, vers une nouvelle dimension ?

Multiplier les partages de savoirs

Les « biens communs » sont tendance. Du 5 au 18 octobre 2015, ils ont été l’objet d’un nouveau festival francophone (Le temps des communs) auto-organisé et distribué dans toute la francophonie. Ce festival a mis le projecteur sur des initiatives aussi diverses que l’agriculture urbaine (au travers par exemple des jardins partagés de l’agglomération nantaise) et la pêche (avec le « retour » des prud’homies d’artisans pêcheurs, qui auto-régulent l’accès à une surface maritime).Le phénomène n’est pas nouveau : on pense, notamment, aux commons, ces terres qui étaient gérées collectivement dans l’Angleterre médiévale et permettaient à chaque cultivateur de récupérer pour lui-même une partie des récoltes. Il n’en est pas moins « boosté » actuellement par le numérique, qui facilite le partage, la création et la gestion collective des ressources.« La notion de partage est le f il conducteur entre tous les communs  », soulignait récemment le bibliothécaire et juriste Lionel Maurel, lors d’une conférence organisée à Chambéry par une université populaire. Au-delà des biens communs physiques, il existe ainsi de plus en plus de communs de la connaissance : les montagnes de savoirs versées dans l’encyclopédie collaborative Wikipedia en sont un exemple, de même que les cartes ouvertes (OpenStreetMap) enrichies par les utilisateurs et la multiplication des « contenus éducatifs ouverts », mis à disposition sur de grandes plateformes de partage (France université numérique, OpenMOOC...).Bien souvent, ces « communs » de la connaissance sont le fruit d’un travail participatif entre chercheurs, enseignants, étudiants et passionnés. Entre autres exemples, ceux-ci ont déjà pu participer à un MOOCamp Day, organisé en juin 2014 dans 6 villes françaises pour plancher collectivement sur l’élaboration de nouveaux prototypes de cours ouverts à tous. Et les organisateurs du Temps des communs envisagent pour leur part de créer leur premier MOOC d’éducation populaire sur la notion de communs. Les cordonniers ne sont pas toujours les plus mal chaussés.  • octobre 2015

Avec l’émergence de la classe inversée, qui suscite actuellement bien des débats chez les enseignants, les cours ne sont plus seulement dispensés dans des salles de classe, devant les élèves. Ils démarrent de plus en plus souvent à l’extérieur, sur internet, pour être ensuite consolidés dans les établissements. Pourquoi en effet ne pas s’appuyer sur les MOOCs, ces cours gratuits et ouverts à tous, pour dispenser en ligne les cours magistraux et réserver ensuite les temps d’échange aux approfondissements et exercices pratiques ?

PAS DE SOLITUDEMais rassurez-vous, la solitude ne guette pas pour autant les «  apprenants ». « Les MOOCs se distinguent des outils d ’e-learning “traditionnels” par leur dimension collaborative et sociale », précise Antoine Amiel, fondateur de LearnAssembly, une jeune pousse hexagonale spécialisée dans les MOOCs pour les entrepreneurs

et les professionnels du web. « Un créateur d ’entreprise ou un salarié qui suit un parcours de formation sur notre site passe en moyenne 50 % de son temps à regarder des vidéos. Le reste du temps, il échange avec ses pairs et les formateurs sur les forums ou bien par le biais de systèmes de visioconférence ou de vraies réunions… »« Les systèmes de notation entre pairs, très répandus, et le travail en mode projet poussent encore un peu plus loin cette dimension collaborative  », si l’on en croit Matthieu Cisel, doctorant sur les MOOCs à l’ENS Cachan. Au-delà de la difficulté des enseignements, les participants se heurtent ainsi souvent à une difficulté majeure d’après lui : «  la nécessité de monter des équipes internationales solides, qui devront parfois travailler ensemble jusqu’à 10 à 15 heures par semaine ». Pour réussir le parcours, il faut évidemment suivre assidûment les cours. Mais il faut aussi et surtout apprendre à travailler en mode collaboratif. • novembre 2015

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io, 2012. Au cabinet du maire, c’est la panique. Depuis 24 heures, la boîte e-mail de l’élu est littéralement submer-gée de messages venant

d’habitants de toute la ville. Des milliers de courriels, qui réclament tous la même chose : sauver l’école municipale de Friedenreich. Recon-nue pour son excellence, cette école des quartiers populaires doit en effet être démolie pour laisser la place à

24h/24 et l’image retransmise sur le web. Des citoyens « gardiens » se relaient pour assurer la surveillance. « Qu’un bulldozer pointe son nez... des milliers de citoyens et la presse seront alors immédiatement mis au parfum par SMS », ont-ils prévenus.Au bout de deux mois, devant l’am-pleur de la mobilisation et les risques en termes d’opinion publique, le maire jette l’éponge. Et aujourd’hui, l’école de Friedenreich accueille de nouveau 300 élèves. Mais qui est

un gigantesque parking. Le lende-main, la situation ne s’arrange pas. En plus des courriers qui continuent à affluer, c’est le téléphone qui sonne en permanence. Dès qu’on raccroche, ça sonne à nouveau. À chaque fois, une personne différente au bout du fil qui demande l’abandon de cette destruction programmée.Quelques jours plus tard, c’est en-core pire : des caméras ont été ins-tallées dans les immeubles autour de l’école. Le bâtiment est filmé

COMMENT UNE START-UP CITOYENNE VA FAIRE PLIER LES MAIRIES DU BRÉSIL

Avalanche de mails et de coups de téléphone, surveillance vidéo… Meu Rio développe des outils numériques innovants pour faire pression sur les politiques des villes du Brésil.Côme Bastin, septembre 2015

Super-citoyens

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donc à l’origine d’une telle agitation ? Ne peut-on donc plus raser des équi-pements publics tranquillement ? OUTILS INNOVANTSLe responsable, c’est Meu Rio, une nouvelle plateforme qui vise à (re)donner la parole aux Cariocas (les habitants de Rio) sur ce qu’ils sou-haitent pour leur ville. Une ville connue pour ses inégalités criantes et ses problèmes de corruption. « Notre travail, c’est de traduire les problèmes de politiques publiques dans un langage compréhensible par le plus grand nombre et en particulier par les jeunes », résume Alessandra Orofino, cofondatrice. Meu Rio ne se contente pas de faire signer aux citoyens des pétitions pour défendre telle ou telle cause. L’équipe a développé des outils pour adresser directement et individuelle-ment leur demande par mail aux élus concernés. Meu Rio produit égale-ment des petites vidéos d’animation, destinées à intéresser et mobiliser le plus grand nombre aux probléma-tiques de développement de la ville. Et, au besoin, elle élabore des outils et applications innovants pour faire entendre la voix des populations urbaines, comme cette plateforme de surveillance vidéo.200 000 Cariocas se sont déjà inves-tis dans Meu Rio. Au point que la plateforme est aujourd’hui connue dans toute la ville et qu’un jeune de Rio sur quinze en est membre. Cette communauté a permis de réorienter 50 politiques publiques, faisant tom-ber un projet de loi trop permissive sur l’environnement, forçant la mai-

Meu Rio a pu dupliquer son modèle en juillet à São Paulo. La start-up compte progressivement s’étendre à 25 villes brésiliennes pour former un véritable contre-pouvoir citoyen, regroupé sous le réseau « Our Cities Network  ». Pour Alessandra Oro-fino, ce n’est pas la technologie qui nous sauvera, mais bien la réforme des mécanismes du pouvoir poli-tique. « La démocratie représentative est un système créé pour maintenir les gens à l ’écart des décisions », explique la jeune femme. « Nous ne pouvons pas rester dans notre bulle collaborative et penser que nous allons sauver le monde, juste parce que nous produisons et par-tageons d ’une nouvelle façon. Ce sont les règles du jeu qu’il faut changer ! »

EN FRANCE AUSSIDe quoi inspirer l’Hexagone ? En tout cas, chez nous aussi, une start-up veut rendre la politique aux citoyens. Depuis 2012, Voxe.org mobilise les outils du numérique pour permettre à tous d’accéder à l’information la plus neutre et la plus concrète possible sur les propo-sitions des candidats et pour créer de nouvelles formes d’implications politiques. Parmi les derniers pro-jets de Voxe, « NewsWatch », une appli qui permet aux citoyens de voter pour ou contre un projet poli-tique, de s’engager via des pétitions, des associations, et de s’adresser directement aux élus. Ça vous rap-pelle quelque chose au Brésil ? •

rie à rendre certaines de ses données publiques… « Nous avons même fait changer la Constitution, afin que les fonctionnaires condamnés pour corrup-tion ne puissent plus accéder à des postes haut placés », raconte Miguel Lago, l’autre cofondateur. PRENEZ LE POUVOIRC’est sur l’échelon urbain qu’il faut parier pour impulser le changement, affirme Alessandra Orofino. « 54 % de la population mondiale vit désor-mais dans les villes, qui consomment 75 % de l ’énergie mondiale. La pau-vreté, le changement climatique… tout ce qui nous apparaît comme des pro-blèmes globaux, sont en réalité des pro-blèmes liés à l ’urbanisme.  » Comme elle a remporté l’année dernière le Google Impact Challenge au Brésil,

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Allô mairie bobo ?Chaussée dégradée, absence de signalisation, mobilier urbain défectueux… Il vous est sûrement déjà arrivé de vous retrouver face à une ou plusieurs de ces situations embarrassantes au quotidien, sans savoir comment régler le problème, ni vers qui vous adresser à la mairie. C’est fort de ce constat que Julien Boyé et Baptiste Yvenat ont imaginé JaideMaVille, une appli pour remonter des informations pertinentes à sa municipalité. Objectif : « Favoriser l’éco-citoyenneté tout en optimisant les services des collectivités », expliquent les fondateurs. Comment cela fonctionne ? Vous constatez une dégradation, vous la signalez grâce à votre smartphone. Le signalement est transmis instantanément à la collectivité locale sur un support cartographique, qui lui offre une vue globale des demandes d’intervention et de leur état d’avancement. Cette dernière l’affecte au technicien de maintenance compétent et l’utilisateur est alors averti de l’avancement de la résolution du problème. J’aideMaVille a déjà signé avec trois collectivités, dont la ville de Talence en Gironde.

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UNE APPLICATION MOBILE VEUT RECRÉER DU LIEN SOCIAL EN REGROUPANT PLUSIEURS SERVICES

CityLity connecteles quartiers

L’ancêtre (français) de Facebook renaîtLancé en 2004 à Paris et considéré comme l’un des premiers réseaux sociaux, le site Peuplades était progressivement tombé dans l’oubli. Dix ans plus tard, la plateforme renaît sous l’impulsion de Grégoire Even, ancien consultant en développement durable. L’objectif reste inchangé : favoriser la vie de quartier grâce au numérique. Mais le site a fait peau

neuve et s’est ouvert aux 65 millions de Français. Pour commencer, il suffit de s’inscrire en trouvant sa « peuplade géographique  » – le site en compte 41 754 qui couvrent tout l’Hexagone, dont 120 à Paris –, puis de renseigner ses centres d’intérêt. Passée cette étape, place aux rencontres, apéros, balades et ateliers organisés près de chez vous. • Côme Bastin, septembre 2015

Signaler un problème de voirie, trouver un covoiturage dans son quartier, donner un matelas à quelqu’un de son immeuble… Les applications pour répondre à ces problématiques existent déjà, mais elles ne proposent qu’un seul service à la fois. L’ambition de CityLity, lancée le 24 septembre dans la métropole de Lyon, et disponible dans deux mois partout en France sur iOS et Androïd, c’est de tout regrouper dans une seule interface. L’un de ses fondateurs, André May, explique qu’il veut « améliorer le lien social » entre les habitants d’une même zone, qu’il s’agisse

d’immeubles ou d’un quartier résidentiel. Concrètement, comment fonctionne CityLity ? « Lorsqu’on ouvre l ’application, on a le choix entre plusieurs actions », détaille André May : « Signaler un incident dans son immeuble ou sur la voirie, proposer ou

demander de l ’aide, voir les travaux en cours dans la ville. »

VISER L’HYPERLOCALHormis les travaux, toutes les autres actions se font à l’échelle de la résidence. Les fondateurs de CityLity veulent donc séduire les syndicats de copropriété et les mairies, avec la promesse que l’application leur permettra d’être plus efficaces dans leur travail. «  Lorsqu’un habitant signale une panne via notre application, argumente André May, le syndic ou la ville sont alertés. Les habitants du quartier possédant l ’application sont informés en temps réel de l ’évolution du problème sur leur smartphone. » La force de CityLity reposera donc sur le nombre d’utilisateurs qu’elle parviendra à séduire. « On voudrait atteindre un million d’utilisateurs d ’ici à deux ans », révèle André May.  • Benjamin Benoît, octobre 2015

QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE POUR CITYLITY ?L’application propose aux mairies et aux gros syndics une version payante avec une carte permettant de visualiser les problèmes (électricité, voirie, voisinage) en temps réel. L’avantage, assure André May, « c’est que l’application fonctionnera quelle que soit la ville. » Une agglomération de 10 000 habitants devra s’acquitter de 7  200 euros par an pour disposer de la carte interactive, tandis qu’une métropole de 100 000 habitants déboursera 30 000 euros chaque année.

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HelloAsso est une plateforme de financement participatif pour les associations, autrement dit, un outil numérique au service de la solidarité. Comment cette idée vous est-elle venue ?L’un des constats de HelloAsso est que l’engagement social est finalement peu visible et peu valorisé. Quand on demande à quelqu’un ce qu’il fait dans la vie, il évoque d’emblée son métier et non ses engagements. Aujourd’hui, internet donne une réelle visibilité à ceux qui s’impliquent et agissent, encourageant un plus grand nombre à le faire, notamment chez les jeunes. Bien des Français n’ont pas idée de l’existence de tels engagements. D’autres ne savent pas comment s’y prendre. Si les associations communiquaient davantage, on pourrait généraliser l’engagement. Les associations ont-elles facilement rejoint votre plateforme ? Sont-elles ouvertes à ce que le numérique peut leur proposer ?L’accueil que nous avons reçu a été tout à fait favorable, ce qui nous a agréablement surpris, car beaucoup d’associations éprouvent encore des réticences vis-à-vis

du numérique. La France compte 1,3 million d’associations : c’est donc un milieu d’une grande diversité. Si certaines structures sont ouvertes, d’autres considèrent que développer des outils pour toucher davantage de personnes ne fait pas partie de leurs missions. Il nous faut donc adopter une démarche pédagogique. C’est important car les citoyens et le grand public sont leurs forces vives. C’est leur pérennité qui est en jeu.

Est-ce pour mieux mener cet effort de pédagogie que vous avez lancé en 2012 la Social Good Week, semaine annuelle consacrée au web social et solidaire ?Exactement. Le monde associatif et le monde numérique se connaissent relativement peu et, pourtant, ils partagent les mêmes valeurs. Le logiciel libre, par exemple, est basé sur un idéal de partage et d’ouverture, deux valeurs au cœur du milieu associatif. Finalement, ces deux mondes s’entendent très bien sur le fond. Les faire se rencontrer permet de faire émerger de nouveaux projets ou bien d’intégrer, au sein de projets existants, des outils numériques qui vont pouvoir démultiplier leur impact. Quelles conditions doivent être réunies pour que cette rencontre soit réussie ?Les mêmes que pour tout projet : une vision commune et une reconnaissance des mêmes enjeux. Si le secteur associatif a un savoir et une grande expérience des problèmes sociaux, il ne dispose pas forcément des outils ni des ressources nécessaires pour les résoudre, et

LES GRANDS TÉMOINS

Parfois accusées de manquer de valeurs solidaires, les structures du collaboratif n’en sont pas moins performantes grâce à l’usage du numérique et la force de leur communauté. De quoi inspirer le secteur associatif ? Réponse avec Léa Thomassin, directrice générale de HelloAsso. Propos recueillis par Marion Garreau

Léa ThomassinSocial Good Woman

« Le monde associatif et le monde numérique partagent les mêmes valeurs. »

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Diplômée d’une école de commerce et d’un Master en Économie sociale et solidaire, Léa Thomassin débute son parcours dans une ONG pour les droits de l’Homme en Asie, avant de rejoindre Équitel, une agence spécialisée en citoyenneté des entreprises. En 2010, elle cofonde HelloAsso, plateforme de crowdfunding pour les associations. Depuis 2012, elle co-organise la Social Good Week, manifestation dédiée au web social et solidaire.

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inversement pour le numérique. Il faut donc qu’il y ait un vrai partage des connaissances. Lancée par Les petits frères des Pauvres, Voisin-Age est un bel exemple de réussite. Partie du constat qu’un Français sur dix vit avec moins de trois conversations personnelles par an, l’association a créé une plateforme où chacun peut se géolocaliser et repérer une personne dans le besoin. Sans possibilité de géolocalisation, le système ne marcherait pas. Une part de la réussite est aussi due au fait que Voisin-Age est portée par une structure expérimentée et bien implantée. Car, dans beaucoup de projets, la participation d’un très grand nombre est importante. C’est d’ailleurs à cela que sert aussi la Social Good Week : faire connaître les projets, montrer que le collaboratif ne s’intéresse pas uniquement la consommation, inciter à reconnaître les nouvelles formes d’engagement au-delà du bénévolat traditionnel. À l’image de la plateforme Jaccede, qui répertorie les lieux accessibles aux personnes à mobilité réduite. L’effort de se géolocaliser dans l’un de ces lieux représente une forme d’engagement simple et claire. Force est de constater que toutes les pratiques collaboratives n’ont pas comme motivation première le bien commun. Certaines entreprises, comme Uber, sont même accusées de favoriser l’individualisme marchand. Comment faire pour que le collaboratif crée du lien social ?Ce n’est qu’une question de terminologie. Au début, on parlait d’économie du partage ; puis, on a parlé d’économie collaborative pour ces innova-tions qui n’ont que très peu à voir avec l’entraide ou la solidarité. Selon moi, ce n’est toujours pas le bon terme. Uber n’a rien de collaboratif, mais tout d’économique. Il ne crée pas d’échange, seulement une nouvelle manière de consommer. Il en va de même pour Blablacar : cette plateforme n’a fait qu’ajouter un caractère monétaire à quelque chose de vieux comme le monde, le stop. En revanche, le point positif est que leur énorme succès a permis de démocratiser l’échange et la mutualisation des biens. Ces entreprises ont le mérite de faire évoluer les mentalités. On se connecte et on échange avec des individus que l’on ne connaît pas. Maintenant, il faut se dire que cet échange peut aussi servir l’intérêt général. Beaucoup sont prêts à le faire. On le voit avec le succès de toutes les campagnes pour aider les migrants – et notamment avec la plateforme CALM (Comme à la maison) grâce à laquelle on peut proposer de loger des réfugiés chez soi.

Les citoyens ne sortent-ils pas ici de leur rôle pour se substituer à celui de l’État ?Le collaboratif est un enfant de la crise et le crowdfunding pour les associations, un enfant de la fin de l’État-providence. Si l’on utilise Blablacar, c’est pour gagner en pouvoir d’achat. En revanche, le financement participatif présente un véritable intérêt pour les associations : au-delà de l’argent, il leur permet aussi de gagner en pouvoir d’action et en visibilité, et d’ouvrir leur organisation aux citoyens. Tout comme le collaboratif peut devenir plus solidaire – ainsi que le montrent les offres de don publiées sur Le bon coin –, la solidarité peut bénéficier du collaboratif pour se renouveler. •

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« La solidarité peut bénéficier du collaboratif pour se renouveler. »

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u café ? Mieux vaut mettre du sucre dedans, il n’est pas très bon. » Un matin dans le 11e  arrondissement de Paris, à quelques pas de la place de la Bastille, le petit déj’ est servi. Pain, myrtilles et fromage blanc, des invendus récupérés chez Biocoop pour

nourrir sainement – et gratuitement – les entrepreneurs de demain. Bienvenue au Sensespace, le local de la communauté MakeSense. « On est ici depuis huit mois. Avant, on était logés à la Blue Factory, dans les locaux de l ’ESCP, une école de commerce. C’était une ancienne morgue  », se marre Christian, cofondateur du projet. C’est en suivant un cours sur « La finance autrement » que ce jeune étudiant de 28 ans décide en 2011 de faire le tour du monde avec Romain, un camarade de classe. Le but : rencontrer des entrepreneurs sociaux

et évaluer leurs besoins en termes d’innovation et de développement. Pendant neuf mois, ils suivent, à deux semaines près, le même itinéraire que Leïla Hoballah, alors bloggeuse pour le magazine dédié aux économies nouvelles Socialter. Trois ans plus tard, le concept a pris de l’ampleur. Autofinancé à 85 %, MakeSense recense 20 000 bénévoles dans 45 pays et compte des antennes à Paris, Bruxelles et Mexico, avant de s’établir bientôt à Dakar et au Liban. Le soir, les Sensemakers se réunissent lors des ateliers « Hold-up ». Armés de Post-it, les participants ont deux heures et demie pour proposer 100 solutions aux problèmes posés par des start-up de l’économie sociale et collaborative. Comment créer le buzz ? Quel modèle économique choisir ? Quels matériaux utiliser pour mon dispositif ? Pas moins de 1 100 défis à relever sont postés sur

TEMPÊTE DE CERVEAUX

20 000 membres, 45 pays : l’association MakeSense coordonne une immense communauté de volontaires prêts à soutenir des entrepreneurs sociaux et environnementaux dans le monde. Reportage depuis ses locaux parisiens. Amelia Dollah, octobre 2015

MakeSense, ça fait sens

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la plateforme internet de MakeSense. « Une fois la stratégie établie, on dessine le plan d’attaque sur un story-board. Et on recycle les Post-it sur un arbre décoratif. Pour ne pas gâcher le papier. » CUISINE COMMUNAUTAIRE ET CHAPEAU DORÉEntre deux explications, Christian dégaine son iPhone 6 pour montrer les vidéos de communication réalisées, claque la bise aux autres membres de la communauté et répond aux nombreux messages SMS, Twitter ou Face-book qu’il reçoit. Ne sachant pas toujours où donner de la tête, il prend tout de même le temps de faire visiter les lieux. Un open space de 550 m2 répartis sur deux étages, destiné à accueillir les bénévoles et les start-up membres du gang. À l’Entremiam, la cuisine communautaire, le menu du jour et quelques prénoms sont inscrits sur le placard. Chapeau doré vissé sur la tête, Tinou, le com-munity manager de la boîte, explique : « Le midi, on pré-pare les repas ensemble. Ça permet de se nourrir sainement, mais surtout de discuter au lieu de manger bêtement devant son ordi. » L’ambiance est conviviale, mais propice au tra-vail. Seul ou en groupe, chacun fait avancer son projet. Dans un coin, l’équipe de Roger Voice travaille sur une application qui permet aux personnes sourdes de pouvoir téléphoner. De l’autre, Running Heroes réfléchit à une prochaine collaboration avec l’Unicef pour récolter des vaccins. Grâce à un GPS, l’application attribue des points aux joggeurs en fonction des efforts réalisés. Les coureurs peuvent ensuite les convertir contre des récompenses offertes par plus de 70 partenaires. Parmi les succès de ces jeunes entreprises : L’Alternative Urbaine, qui donne l’opportunité aux SDF de devenir guides touristiques – les accompagnant ainsi sur le marché de l’emploi –, ou What The Food, qui collabore avec le Crous pour éviter le gaspillage dans les restau-rants universitaires. Pour faire appel à la communauté MakeSense, seules quelques conditions sont requises : proposer un enjeu d’ordre social ou envi-ronnemental, viser un objectif supérieur à six mois et pré-senter un modèle économique viable qui ne nécessite pas de subventions. « Nous, ce qu’on veut, c’est donner du sens. Que les entreprises servent un objectif avec un impact positif sur l’humain. »Sur un mur, une affiche prône le slogan « In Muham-mad we trust  », en l’honneur de Muhammad Yunus. Cet économiste bangladais, surnommé le « banquier des pauvres », a reçu le prix Nobel de la paix en 2006, notamment pour ses initiatives de microcrédits. « On l ’a rencontré pendant un road trip un peu fou. Un jour, on nous a demandé de l ’emmener de Paris à Bruxelles parce qu’il devait se rendre à la Commission européenne. On avait quatre heures pendant lesquelles on a pu lui parler de notre projet. Depuis, il nous soutient via YouTube. Attends, je te montre la vidéo... » Rallier des célébrités à leur cause, un coup de pouce accélérateur dont voudraient bien bénéficier les Sensemakers. « On organise des MakeSense

Room, sur le modèle des Boiler Room, pour récompenser les bénévoles, mais aussi pour se faire connaître. La der-nière fois, Isaac Delusion a accepté de donner un concert. » Christian rêverait de faire venir les Daft Punk, qu’il considère comme un modèle de réussite à l’internatio-nal. « Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, l ’enjeu est de remporter le Google Impact Challenge. » Les 500  000 euros à la clé leur permettraient d’ou-vrir d’autres Sensespaces et de réunir un million de bénévoles à travers le monde. Le tout est de récol-ter le plus de votes possible. « On organise des Vo-ting Party dans plusieurs pays. Les gens se retrouvent pour boire des coups, pendant qu’on leur explique notre projet. Les rencontrer, c’est plus sympa que de juste leur demander de cliquer  », raconte-t-il en saluant des votants Néo-Zélandais sur Skype. Si le jeune idéaliste veut agrandir la communauté citoyenne de MakeSense, c’est, dit-il, tout d’abord pour élar-gir l’impact de leurs projets. Mais aussi, à terme, pour changer la vision de l’économie mondiale. •

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« Le midi, on prépare les repas ensemble. Ça permet de se nourrir sainement, mais

surtout de discuter au lieu de manger bêtement devant son ordi. »

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ous avez une chambre de libre chez vous ? Et si vous hébergiez tempo-rairement un migrant  ? Une idée folle ? Plus depuis le lancement de

CALM (Comme à la maison), plateforme qui connecte les réfugiés arrivés en France et les personnes prêtes à les accueillir.Après deux semaines d’existence, 7  000  propositions de logement ont été déposées par des particu-liers sur le site. « Et on reçoit encore 500 inscriptions par jour », s’enthou-siasme Nathanaël Molle, président de l’association Singa, à l’origine de l’initiative. Rapidement qualifiée, par goût de la formule, de « Airbnb des réfu-giés  » par les médias, « la plate-

mation en ligne destinée à mieux ap-préhender la culture et les différents traumatismes des individus accueillis.L’association peut s’appuyer sur son travail de terrain. En effet, Singa met en relation depuis plusieurs années des personnes désireuses de partager des activités avec des réfu-giés. « Cela peut être un match de foot, comme un cours de langue », précise Nathanaël. Singa inclut également un volet études, nommé le « Labo ». En janvier dernier, celui-ci organisait un « hackathon » de 3 jours autour des « réfugiés connectés ». Objectif de l’opération : mobiliser les nouvelles technologies pour aider les migrants. Parmi les projets imaginés, un port-folio numérique pour présenter ses compétences facilement et une cer-taine plateforme… nommée CALM.

forme se rapproche pourtant plutôt du couchsurfing  », précise Nathanaël. D’abord parce que les héberge-ments proposés par les membres de CALM n’ont bien sûr pas de visée commerciale. Mais surtout parce que CALM « n’est pas un simple ré-seau d’hébergement mais une véritable expérience humaine qui doit nous permettre de nous rencontrer et nous enrichir les uns les autres ». FORMATION EN LIGNEEn plus d’offrir un lit, il s’agit donc de partager un peu de sa vie. Quels sont vos centres d’intérêt ? Quel est votre mode de vie ? Êtes-vous fumeur  ? Autant de questions auxquelles vous devrez répondre en tant qu’hôte. Mais ce n’est pas tout : Singa va éga-lement lancer une plateforme de for-

Couchsurfing pour héberger les migrants, campagne de crowdfunding pour organiser les sauvetages en mer, crowdsourcing des initiatives solidaires… Des solutions citoyennes et connectées se multiplient pour faire face à la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Côme Bastin, septembre 2015

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CRISE DES RÉFUGIÉS

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DU CROWDFUNDING POUR SAUVER LES RÉFUGIÉS EN MERAcquérir un navire de 60 mètres pour le transformer en ambulance des mers, c’est le projet porté sur la plateforme Ulule par Klaus Vogel, capitaine dans la marine mar-chande. Lancée le 12 septembre par son association SOS Méditerranée, la campagne a permis de récolter 70 000 euros [plus de 270 000 euros à l’heure où ce magazine est impri-mé, ndlr]. Il faudrait néanmoins un million pour acheter le premier bateau, le Markab. Reste 40 jours à notre capitaine pour y parvenir.Une fois en mer, le Markab vogue-rait au secours des embarcations de fortune en détresse. 2 500 personnes ont déjà perdu la vie depuis le début de l’année. Des soins d’urgence et un accompagnement psychologique pourraient également être apportés aux réfugiés, directement à bord du navire. De quoi sauver « entre 250 et 400 migrants [à chaque opération], et encore davantage en cas d ’ur-gence absolue », selon Klaus Vogel.Les sommes à rassembler sont faramineuses. Car, en plus du prix du bateau, il faut ajouter le coût de fonctionnement : 3  millions d’euros par an avec un équipage d’une dizaine de marins. « On peut y arriver en mobilisant la société civile européenne », assure Klaus Vogel.

« CROWDSOURCER » LES INITIATIVES LOCALES« J’aimerais aider, mais je ne sais pas comment faire ». C’est une phrase qui revient souvent dans les dis-cussions et sur les réseaux sociaux à propos des migrants. Qu’à cela ne tienne ! Aiderlesrefugies.fr pro-pose une carte interactive recen-sant toutes les associations qui s’engagent pour la cause et tous les bénévoles prêts à donner un peu de leur temps (accompagne-ment juridique, cours de langue, dons de vêtements, etc.). La carte inclut aussi tous les logements en-registrés sur la plateforme CALM.Aiderlesrefugies.fr a « une valeur forte : mettre en lumière la solidarité qui fourmille », explique son cofon-dateur, le militant écologiste Julien Bayou, au média en ligne Youphil. «  Elle permet de montrer aux poli-

un objectif de 1 250 000) ont déjà signé celle du site Avaaz, réclamant à l’Union européenne de mettre en place un plan d’action pour sauver plus de vies. Enfin, de nombreux groupes de discussion et d’échange d’informations ont vu le jour. Parmi eux, Techfugees veut rassembler les projets, produits et start-up du numérique capables de répondre à la crise. On y découvre ainsi Bitna-tion, dont l’objectif est de favoriser l’identification ou les transactions financières des migrants via la tech-nologie de la « blockchain » et des cryptomonnaies. Car, comme le ti-trait The Independent le 7 septembre, «  Surpris de voir les réfugiés syriens avec un smartphone ? Désolé de vous le dire, mais vous êtes un idiot. »

BOUGER LES POLITIQUESReste à savoir dans quelle me-sure ces dynamiques citoyennes et collaboratives ne se substi-tuent pas au travail des pouvoirs publics. On peut au contraire espérer que cet élan pousse les politiques français et européens à plus d’humanité et d’investisse-ment sur la question des réfugiés.Se lon un sondage Elabe/BFMTV, 53 % des Français sont aujourd’hui favorables à leur accueil, contre 44 % seulement une semaine auparavant. Les récents revirements politiques d’Angela Merkel, François Hollande ou David Cameron n’y sont sans doute pas étrangers. Si nos politiques suivent l’opinion publique, crowd-funding, couchsurfing, crowdsour-cing et pétitions en ligne devraient accélérer encore la tendance. •

tiques que la France est prête à accueil-lir ces personnes. En creux, elle montre aussi l ’inaction des pouvoirs publics. »Le journal Libération a également répertorié sur son site 135  asso-ciations prêtes à venir en aide aux réfugiés à partir d’informa-tions remontées par ses lecteurs. Chacun est libre de les contacter pour s’y engager, selon ses dispo-nibilités. Enfin, les collectivités territoriales s’invitent également dans la partie. Le département de la Gironde a ainsi lancé une plateforme en ligne pour connecter citoyens, associations, entreprises et com-munes qui souhaitent se mobiliser. PÉTITIONS ET GROUPES DE RÉFLEXION EN LIGNEPlus classiques, les pétitions en ligne rencontrent elle aussi un franc succès. 1 236 000 personnes (sur

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Nathanaël Molle, président de Singa, utilise la force des réseaux sociaux et du terrain pour venir en aide aux réfugiés.

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a commence par une histoire de macaron. Pas celui à coller sur la voiture pour se garer sur une place

réservée aux personnes handicapées, mais cette douceur pour laquelle des gourmands peuvent faire des kilomètres. Quand Charlotte de Vilmorin décide avec son fauteuil roulant de faire une station de RER pour en acheter, la virée macarons tourne au cauchemar. Ascen-seurs en panne, elle met 1h 30 à s’évader des couloirs de la RATP. Qui s’excuse en lui envoyant un DVD… sur sa mission handicap.C’était en 2012. Racontée dans un post bourré d’humour sur son tout jeune blog, l’histoire fait le buzz. La RATP envoie des macarons, le blog de Charlotte dé-colle et elle publie en 2015 Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque.La question de la mobilité est un obstacle quotidien. Au printemps 2014, Charlotte doit se rendre à un mariage à Aix-en-Provence. « Prendre le train ou l’avion,

permettant de développer la plateforme. L’activité démarre en mai avec 100 voi-tures proposées à la location. Début juil-let, Wheeliz fêtait sa centième location. Le plus difficile ? « Trouver un assureur, avoue Charlotte, dans le collaboratif et, en plus, sur des voitures aménagées. La MAIF a été agile en créant un produit sur-mesure pour protéger le véhicule du propriétaire et le locataire. » Pas question de se reposer sur ses lauriers, Charlotte fourmille d’idées et travaille sur le développement de services et le déploiement à l’international. Tout en continuant son blog et en entrant au conseil d’administration de l’association Jaccede. « Un précurseur dans le collaboratif, le site permet de recenser les lieux accessibles pour les personnes en fauteuil », explique-t-elle. Car créer une communauté solidaire est essentiel dans la démarche de Char-lotte. Même si Wheeliz secoue le monde du handicap où la gratuité et le bénévolat sont la référence. « Pourquoi une personne qui a payé entre 25 et 50 000 euros une voi-ture aménagée ne pourrait-elle pas la louer ? Ce n’est pas parce qu’on parle de handicap qu’on doit être dans le don. On peut créer une économie vertueuse qui crée de la valeur et de la richesse », s’exclame-t-elle. « Et il y a encore tellement de choses à faire. » •

c’est facile », raconte la jeune femme qui a voyagé de la Russie à l’Inde. Mais comment se rendre de la gare au lieu de rendez-vous ? Le principal loueur de voitures adaptées possède une trentaine de véhicules et le prix est élevé. « Avec 100 000 propriétaires de voitures aménagées en France, il y en avait forcément un dans le coin qui pouvait m’en prêter une. » L’idée de Wheeliz, premier site de location de voitures adaptées entre particuliers, est née. Une solution concrète à un problème de mobilité qui « permet aux gens d’éviter de renoncer », s’enthousiasme Charlotte.

CENT VOITURESRenoncer n’est pas une option pour Char-lotte. Avec cette fille pleine d’énergie, aga-

cée par « cette tendance à dire aux personnes en fauteuil de ne rien faire » et qui bouscule les a priori, tout va très vite. En juin 2014, elle quitte son bou-lot dans une agence de pub. En trois semaines, elle trouve via son blog un associé-geek, Rémi Janot, en charge du développement technique. En décembre, elle atteint, en une semaine, les objectifs du crowdfunding lancé sur Kiss-KissBankBank. 15 000 euros

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BIO1990 – naissance à Paris.

2012 – création du blog Wheelcome, itinéraires d’une jeune parisienne en fauteuil roulant, suivi par 250 000 lecteurs dans 35 pays.

2015 – publication de Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque (Grasset).

2015 – lancement de Wheeliz.com.

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« Ce n’est pas parce qu’on parle de handicap qu’on doit être

dans le don. »

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Charlotte de VilmorinWheel you help me ?Wheeliz.com

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Elles innovent, apportent un nouveau souffle à l’économie et s’engagent avec des initiatives collaboratives.

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Le « TripAdvisor du handicap »

Nous sommes en 2012 lorsque Lucas Sovignet est victime d’un accident de la route qui le laisse paralysé des membres inférieurs. Après un an de rééducation, le jeune homme, en fauteuil, veut reprendre une vie normale. Lucas découvre alors à quel point son environnement quotidien est inadapté. « Une fois, j’ai été refusé par un videur sous prétexte que je représentais un danger pour les autres. Une autre fois, je suis resté coincé dans un cinéma car plus personne n’était disponible pour m’aider à sortir après la dernière séance. »C’est pour son frère Lucas – et pour tous les autres – qu’Audrey Sovignet a imaginé I Wheel Share, «  le TripAdvisor du handicap  ». Le principe ? Permettre aux handicapés moteurs, mais aussi aux malvoyants et aux malentendants de témoigner de leur expérience dans la vie quotidienne via une appli qui les géolocalise. Accès

inadapté, personnel désagréable ou, au contraire, circulation en fauteuil facile et accueil sympa : l’objectif est d’obtenir une carte de France des lieux « handi-friendly »… ou pas.

SYNTHÈSE VOCALEActuellement en phase de béta-test, I Wheel Share devrait être opérationnelle au mois de septembre. Une campagne de crowdfunding est en cours pour financer son développement [elle a finalement permis de récolter 15 000 euros, ndlr], notamment à destination des personnes aveugles. «  L’appli fonctionnera via un système de synthèse vocale leur permettant de commander le téléphone  », détaille Audrey. Elle raconte, au passage, l’histoire de ce fana de poker devenu aveugle qui jouait en filmant ses cartes avant que des amis lui renvoient la composition de son jeu sous la forme d’un enregistrement audio.

Les handicapés sont des « hackers du quotidien », s’amuse l’entrepreneure.Mais I Wheel Share ne veut pas se borner à constater. Il s’agit aussi d’impulser le changement, pour une meilleure prise en compte du handicap. Ainsi, les commerces qui sont régulièrement mal notés pourront être incités à s’améliorer via des « carrotmobs ». Ces séances de « buycott » (l’inverse du boycott) consistent à faire dépenser beaucoup d’argent aux clients dans une enseigne, afin de reverser une partie des fonds à un projet d’intérêt collectif, par exemple le financement d’une rampe d’accès. Autre projet de l’appli : créer un système de tweet automatique qui notifie aux mairies les portions de l’espace public inadaptées aux handicapés. «  J’aimerais que I Wheel Share permette à tout un chacun, et même aux personnes valides, d’avoir son mot à dire sur l ’espace urbain », résume Audrey.

E-BOUTIQUE DÉDIÉE AU HANDICAPLe projet a reçu de nombreuses récompenses, comme le prix Biilink pour l’entrepreneuriat féminin ou le prix Ewards. Côté modèle économique, I Wheel Share table aussi sur la valorisation d’événements en lien avec le handicap et le relais des politiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Le site pourrait enfin inclure un volet offres d’emploi permettant de faciliter la rencontre entre postes adaptés à pourvoir dans les entreprises et candidats à la recherche de travail. Une mise en relation «  encore trop difficile », déplore Audrey. •

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Cette application permet de recenser et cartographier les lieux adaptés ou non aux personnes à mobilité réduite, malentendantes ou malvoyantes. Une campagne de crowdfunding est en cours pour finaliser son développement d’ici septembre. Côme Bastin, juin 2015

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Après la ruée vers l’orPourquoi avoir créé le blog Consocollaborative ?Je l’ai créé en 2010 à la fin de mes études, pour partager mes propres expériences et interviewer les entrepreneurs créateurs de ces nouveaux modèles. À l’époque, c’était encore très émergent… mais je pratiquais déjà le covoiturage, l’hébergement chez l’habitant, le coworking, et comme j’avais trouvé peu d’informations à ce sujet en langue française, j’ai eu l’envie de me lancer.

Comment les choses ont-elles évolué par la suite ?Tous ceux qui ont créé un blog le savent… on n’atteint pas un gros lectorat du jour au lendemain. De mon côté, ce fut au départ un prétexte pour participer à des événements, rencontrer des entrepreneurs, monter en compétence. C’est une histoire que j’essaie de partager avec les étudiants que je fréquente : cela n’a jamais été aussi facile de devenir expert sur un sujet. En 2011, j’ai créé un groupe sur Facebook pour rassembler les personnes passionnées par cette problématique. Nous avons commencé à organiser des événements et le collectif OuiShare est né en 2012. Dans le même temps, le blog a évolué pour couvrir davantage de sujets, donner la parole à différentes parties prenantes, y compris aux entreprises qui intègrent les logiques du collaboratif au cœur de leur modèle économique et de leur transformation interne.

Justement, le blog vient de faire peau neuve avec un nouveau site. Quels sont les objectifs ?Depuis mai 2015, nous travaillons en collaboration avec une équipe MAIF dans la continuité de leurs engagements pour une société collaborative. Nous voulons que le

blog devienne une référence à la fois sur l’actualité des associations et des entreprises qui rendent ces nouveaux modèles possibles, mais aussi un lieu d’expression pour les utilisateurs, entrepreneurs et passionnés. Avec comme ligne directrice une vision de l’innovation et de l’économie collaborative centrée sur le bénéfice du plus grand nombre, et non au service de quelques-uns seulement. Nous allons également lancer ce mois de décembre un annuaire à destination du grand public qui rencencera toutes les entreprises de l’économie collaborative. •

À l’occasion de la refonte du blog Consocollaborative.com, Antonin Léonard, cofondateur du collectif OuiShare, revient sur le chemin parcouru depuis le début de l’aventure.

Pour une économie au service du plus grand nombre

OUISHARE FEST 2016Depuis trois ans, le OuiShare Fest rassemble à Paris entrepreneurs, penseurs et militants de l’économie collaborative du monde entier. Trois jours de conférences, d’échanges, d’ateliers mais aussi de fête au Cabaret sauvage, au bord du canal de l’Ourcq. La 4e édition, qui aura lieu du 18 au 20 mai 2016, s’articulera autout du thème « After the gold rush » (après la ruée vers l’or).

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MAIF et ConsoCollaboratives’associent pour promouvoir et décoder les nouvelles formes de consommation.

Contrairement à ce qu’on pourrait

croire, un « Mooc » n’est pas…

… un mouton avec un bouc.

consocollaborative.com

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des villes les plus « share »

Le top

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Barcelone, la Fab CityBarcelone entend bien devenir la « ville des Fab Labs », avec l’objectif affiché d’un atelier de fabrication ouvert par quartier d’ici 2020. L’intérêt ? Que les habitants transforment leur environnement en s’appropriant les imprimantes 3D, découpeuses laser ou fraiseuses numériques à leur disposition. La capitale catalane mise aussi sur l’open data, avec un kit Smart Citizen doté de capteurs permettant d’alimenter une carte collaborative sur l’état de la ville (pollution, humidité, trafic, ondes, etc.). Quant au Green Fab Lab de Valldaura, il n’envisage rien de moins que de préparer le monde à l’autosuffisance.

Paris gagnéÀ Paris, il est facile de se déplacer à vélo (Vélib’) ou en voiture (Autolib’) en libre-service, de travailler dans l’un des 55 espaces de coworking et de cultiver dans la centaine de jardins partagés. Depuis

peu, les Parisiens sont aussi invités à repenser leur ville : le budget participatif leur permet de voter pour des projets d’investissement (fontaines, ruche, nouvelle place...) suggérés par leurs pairs et présélectionnés par la ville ; l’appel à projets « Réinventer Paris » propose quant à lui « 23 sites à tous les professionnels pour qu’ils puissent exprimer leurs talents ». De quoi faire bouger les lignes de la gouvernance et de l’urbanisme dans l’un des pays leader de l’économie collaborative.

Où vit-on le mieux en mode collaboratif ?par Marion Garreau

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Seoul and co.Le virage du partage, Séoul l’a pris en 2013, quand la ville a placé l’économie collaborative au cœur de sa politique. Depuis, la cité coréenne de 10 millions d’habitants a un nouveau visage : les immeubles accueillent des bibliothèques ou des entrepôts d’outils, des milliers d’habitants partagent leur voiture ou échangent les vêtements de leurs enfants via des sites comme Kiple ou des services comme ePoomasi, des seniors ouvrent leur porte aux jeunes pour troquer logement contre bonne compagnie. Une dynamique soutenue par un incubateur et un laboratoire d’idées dédiés au collaboratif.

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Amsterdam, Share DistrictPas question d’être une ville intelligente sans la participation des habitants. Tel est le parti pris de la capitale des Pays-Bas, qui a lancé en 2009 le programme collaboratif « Amsterdam Smart City ». Ce dernier associe entreprises, chercheurs, pouvoirs publics et habitants pour expérimenter un usage innovant des technologies. De quoi voir se développer des stations de tramway productrices d’énergie, des panneaux qui aident les automobilistes à réguler leur vitesse sur le périphérique ou encore un système de sous-location de vélos entre particuliers.

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De l’aide pour envoyer un SMS. « Coucou », « hello » ou « salut » ? Difficile de se décider à formuler son message. Que dire de la ponctuation : votre cœur balance entre les points d’exclamation ou de suspension... Écrire un texto peut rapidement être prise de tête. Plutôt que de prendre celle de votre meilleur ami, sollicitez une foule d’internautes en postant votre message sur Textie. Développé par un Australien, ce site permet de « crowdsourcer » en anglais le contenu de vos SMS.

Se faire coacher en direct. Une fois l’épreuve du SMS franchie, vous arrachez une rencontre avec la personne convoitée. Mais rien n’est gagné d’avance, surtout si la séduction n’est pas votre fort. CrowdPilot convoque les conseils d’internautes (amis, inconnus et même coachs) pour vous permettre d’exceller dans l’art de la conversation.

Géolocaliser des préservatifs. Sur un petit nuage, vous avez réussi à charmer votre premier rendez-vous. Mais vous avez oublié de vous munir de l’essentiel. Pas de panique, TUP (Trouver un préservatif) une application géolocalisée, développée par MSD France et par l’association HF Prévention, arrive à la rescousse. TUP aide à dénicher pharmacies, distributeurs automatiques et supermarchés vendant des préservatifs. En plus de conseils, TUP recense aussi les lieux de dépistage des MST.

Comment draguer collaboratif ?Que ce soit pour l’envoi d’un texto ou trouver à toute heure des préservatifs, vous n’êtes jamais seul. Clémence Chopin, juin 2015

Detroit It YourselfPour Detroit, ville en faillite et symbole de la désindustrialisation, le collaboratif a été une question de survie. Désertée par les industries et noyée sous les dettes, l’ancienne capitale du Michigan reprend vie grâce aux initiatives de ses habitants, qui ont voulu gagner en autonomie

et réapprendre à vivre ensemble. Ainsi, 1 500 fermes et jardins urbains partagés ont éclos partout dans la ville. Ateliers vélos, réseaux Wi-Fi ou encore orchestre symphonique sont aussi co-construits. De quoi donner une place de choix aux rois de la débrouille et du DIY (Do it yourself).

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B O O K

Société collaborative, la fin des hiérarchies

sous la direction de Diana Filippova, collectif

Rue de de l’échiquier, 128 pages, 10 euros

L’ouvrage de référence du collectif phare de l’économie collaborative en France et dans le monde, OuiShare.

Travail, politique, entreprise, éducation : ce livre esquisse les contours d’une société plus ouverte

et plus inclusive à la fois.

Changer le monde en deux heures

Pierre Chevelle

116 pages, 14,90 euros

Enrichir un article Wikipédia ; faire un « micro-don » ; s’engager auprès d’un collectif comme MakeSense…

Derrière un titre un brin provoc’, 10 projets collaboratifs grâce auxquels chacun peut faire bouger

les choses.

L’Abeille et l’Économiste

Yann Moulier-Boutang

Carnets Nord, 254 pages, 18 euros

Nous sommes passés d’une économie de l’échange et de la production à une économie de pollinisation et de contribution. Il est donc temps d’inventer de nouveaux

modèles de rétribution pour cette valeur co-créée chaque jour par les individus.

Le scénario Zero Waste

collectif

Rue de l’échiquier, 128 pages, 8 euros

Zéro déchet, zéro gaspillage : mission impossible ? San Francisco, Capannori ou Trévise ont déjà prouvé

le contraire. Un livre qui montre que l’on pourrait faire de même en France.

CO-WORKERS du 9 octobre 2015 au 31 janvier 2016 au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

Internet relie aujourd’hui l’individu à des réseaux professionnels, techniques, artistiques, culturels, au-delà de toute limite géographique. Au travers d’installations, de vidéos, de sculptures, de peintures, les artistes explorent cette complexité d’échanges qui dépasse l’échelle humaine.

Maker Faire Prochaines dates en France : makerfaire.fr

Ce grand rendez-vous regroupe conférences, ateliers, stands de démonstration autour du mouvement maker et DIY. Pour tout savoir sur les dernières avancées de l’impression 3D, des Fab Labs, des drones, mais aussi découvrir des bricolages assez inattendus.

L’Échapée voléeProchaine édition : du 27 au 29 mai 2016. Plus d’infos sur lechappeevolee.com

Rencontres, talks inspirants, expériences uniques, performances artistiques et ateliers de travail autour d’innovateurs, de chercheurs et d’acteurs de l’économie nouvelle génération. Vous n’y échapperez pas.

ÉVÉNEMENTS

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C A F É

Sauver le mondeMichel Bauwens

Les Liens qui Libèrent, 272 pages, 20,50 euros.

La « capacité des individus à créer, en tant qu’égaux, de la valeur sans être obligés de demander une

autorisation à quiconque ». C’est ainsi que Michel Bauwens définit la logique du peer-to-peer, qui pourrait

bouleverser le fonctionnement de nos sociétés.

Fablabs, etc. Les nouveaux lieux de fabrication numérique

Camille Bosqué, Ophélia Noor et Laurent Ricard

Eyrolles, 207 pages, 28 euros

Inconnus du grand public il y a quelques années, les Fab Labs et autres tiers-lieux de culture numérique

se multiplient aujourd’hui partout sur la planète. Un instantané du mouvement maker en pleine expansion.

Petit manuel d’économie collaborative à l’usage des entreprises

Aurélie Duthoit

Eyrolles, 188 pages, 22 euros

Pas toujours simple d’intégrer les logiques horizontales et digitales. À travers exemples et cas

pratiques, ce manuel montre comment les entreprises peuvent prendre le virage du collaboratif et s’inspirer

des modèles favorisant l’intelligence collective.

Open Models. Les business models de l’économie ouverte

coordonné par Louis-David Benyayer

collectif, 20 euros

Comment créer de la valeur économique lorsqu’on fonctionne selon les modèles de l’open source ? Fruit d’une réflexion et d’une écriture collaborative, ce livre « de papier et de pixels » donne des pistes, s’appuyant

sur les exemples de Firefox, Wikispeed ou encore Tesla.

DIY ManifestoMonnaies locales à Montreuil, agriculture urbaine à Détroit, réseau internet low-tech ou réhabilitation de friches industrielles : partout, face à la crise et au désengagement de l’État, des citoyens se lèvent pour fabriquer eux-mêmes les lieux et les outils dont ils ont besoin. C’est l’objet de ce webdocumentaire qui vous emmènera à la rencontre des acteurs du Do it yourself partout sur la planète. diy-manifesto.com

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CO DESIGNDEMAIN, TOUS ÉQUIPÉS D’UNE IMPRIMANTE 3D ?Outil indispensable pour tout maker qui se respecte, l’imprimante 3D permet de concevoir soi-même une infinité d’objets à l’aide de fichiers 3D et de résine. Autrefois apanage de l’industrie de pointe, cet outil se démocratise rapidement. Sur 3dnatives.com, on trouve désormais des imprimantes 3D à partir de 400 euros. Sans doute n’en disposerons-nous pas tous dans un futur proche : l’objet reste encombrant et nous n’en avons pas forcément l’utilité dans la vie quotidienne. Des ateliers de quartier, proche des Fab Labs, pourraient cependant fleurir partout sur le territoire (ils sont déjà une centaine en France). On irait s’y faire fabriquer un objet ou une pièce manquante, comme on va aujourd’hui faire imprimer des documents dans une boutique dédiée.

CHERCHEURS EN ROBOTIQUEDans le cadre d’un projet de recherche sur les mécanismes d’apprentissage de l’enfant, des chercheurs de l’Inria ont conçu Poppy, un robot humanoïde dont les membres peuvent être imprimés en 3D et modifiés. L’objectif des concepteurs est ainsi de créer une véritable « plateforme » robotique modulaire, open source, permettant à chacun partout dans le monde d’inventer son propre robot et de contribuer à la recherche. poppy-project.org

VOUS AVEZ UN TICKETÀ l’heure du tout digital, la société Berg Cloud a imaginé une micro-imprimante – de la taille d’un Rubik’s cube – qui va rendre le ticket de caisse social et sexy. Messages

privés, tweets, dépêches en tous genres, photos instagram de vos amis, jeux… Little Printer vous concocte un journal personnalisé et quotidien. Idéal aussi pour communiquer en douceur avec vos proches. Fonctionne sans encre. littleprinter.com

CIEL, MON RADIS !Le potager s’invite jusque dans votre bureau, le temps d’une récolte. Cette location mensuelle de jardin d’intérieur couvre trois étapes à partager entre collègues avec un animateur : l’installation du module, la culture et... la dégustation ! Vous apprendrez tout d’abord à semer différentes plantes, puis viendra le temps de la « co-récolte ». cielmonradis.com

BONNES ONDESFairphone 2, le téléphone éthique et démontable. Ce smartphone est conçu pour être réparé facilement par l’utilisateur et permet d’éviter une surconsommation des matières premières. Autre détail, et non des

moindres, les produits sont assemblés avec des composants issus de mines qui ne financent pas de conflits armées et se ravitaillent auprès de fournisseurs respectant les droits de l’homme. fairphone.com

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CO DESIGN

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APPRENEZ....Comment vivre, habiter, bouger à la sauce collaborative

Comment lutter contre l’obsolescence de votre smartphoneComment aider les réfugiés grâce au numérique

COMPRENEZ… Pourquoi la mobilité partagée va tout balayer

Le boom de la finance participativePourquoi l’entreprise du futur sera collaborative

DÉCOUVREZ...Des start-up « EdTech » qui réinventent l’éducation

Des citoyens connectés qui font trembler les maires Un camp d’innovation écologique open source

L’ÉCLAIRAGE DE GRANDS TÉMOINS

Michel Bauwens Comment le pair à pair va bouleverser l’économie du xxie sièclePhilippe Moati La révolution de la consommation a déjà commencéAlain Caillé La face cachée du donYann Moulier-Boutang La fable des abeillesOphélia NoorJusqu’où iront les makers ?Nathan Stern Comment créer du lien social grâce au numérique ?Léa Thomassin Pourquoi le monde associatif doit prendre exemple sur le collaboratif

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