13
CLEFS CEA - N° 48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre I), le deuxième objectif des recherches en toxicologie nucléaire est d’étudier dans le détail leur comportement dans l’organisme. Il s’agit de démonter les mécanismes de leur répartition, de leur concentration et de leur transformation dans les milieux biologiques, aux niveaux cellulaire et intracellulaire, suivant les formes présentes (gazeuses, solubles ou insolubles) et ceux de leur transfert vers les organes ou les cellules cibles. Déterminer les voies biochimiques qui sont perturbées par les éléments en cause doit par ailleurs permettre d’expliquer comment ceux-ci exercent leur toxicité. Un autre objectif important est la compréhension des effets des expositions combinées pour lesquelles il faudra développer des méthodes de comparaison adaptées. Aujourd’hui, les travaux portent préférentiellement sur des organismes modèles dont le génome est désormais connu, afin de faciliter l’utilisation des outils de la génomique et de la protéomique fonctionnelles. Les effets physiologiques des toxiques considérés sont étudiés avec les outils les plus récents de la biologie moléculaire et de la génétique. Les résultats améliorent la compréhension des modes d’action des toxiques aux différents échelons d’organisation du vivant, que ce soit au niveau des molécules, des cellules, des tissus et des organes ou à celui de l’organisme entier. Ces recherches relèvent de la radiotoxicologie moléculaire (comportement des radionucléides en milieu biologique, mécanismes de transport membranaire et de concentration cellulaire) et de la radiotoxicologie intégrée (effets au niveau des tissus et de l’organisme et mécanismes biologiques de transfert des radionucléides dans les systèmes vivants). Les recherches sur les interactions moléculaires entre un toxique nucléaire – radionucléide ou non – et sa cible biologique (protéine) se trouvent considérablement renforcées par le programme que le CEA a mis en place. Des recherches spécifiques portent sur les principaux éléments considérés, qu’il s’agisse d’actinides (uranium, plutonium), de produits de fission et d’activation (iode, cobalt) ou de métaux lourds (cadmium). Les chercheurs s’attachent aussi à décrire les phénomènes propres aux éléments – non traités dans ce chapitre – dont la répartition dans l’organisme est moins ciblée, comme le césium, ou aux éléments présents à l’état de traces dans l’organisme, tels le zinc ou le sélénium. II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES TOXIQUES NUCLÉAIRES

II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

  • Upload
    lamdat

  • View
    218

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

CLEFS CEA - N° 48 - ÉTÉ 2003 19

Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme(chapitre I), le deuxième objectif des recherches en toxicologie nucléaire est d’étudier dans le détail leur comportement dans l’organisme. Il s’agit de démonter les mécanismes de leur répartition, de leur concentration et de leur transformation dans les milieuxbiologiques, aux niveaux cellulaire et intracellulaire, suivant les formes présentes (gazeuses, solubles ou insolubles) et ceux de leur transfert vers les organes ou les cellulescibles. Déterminer les voies biochimiques qui sont perturbées par les éléments en cause doit par ailleurs permettre d’expliquer comment ceux-ci exercent leur toxicité. Un autre objectif important est la compréhension des effets des expositions combinées pourlesquelles il faudra développer des méthodes de comparaison adaptées.Aujourd’hui, les travaux portent préférentiellement sur des organismes modèles dont le génome est désormais connu, afin de faciliter l’utilisation des outils de la génomique et de la protéomique fonctionnelles. Les effets physiologiques des toxiques considérés sont étudiés avec les outils les plus récents de la biologie moléculaire et de la génétique. Les résultats améliorent la compréhension des modes d’action des toxiques aux différentséchelons d’organisation du vivant, que ce soit au niveau des molécules, des cellules, des tissus et des organes ou à celui de l’organisme entier.Ces recherches relèvent de la radiotoxicologie moléculaire (comportement des radionucléidesen milieu biologique, mécanismes de transport membranaire et de concentration cellulaire)et de la radiotoxicologie intégrée (effets au niveau des tissus et de l’organisme et mécanismesbiologiques de transfert des radionucléides dans les systèmes vivants). Les recherches sur les interactions moléculaires entre un toxique nucléaire – radionucléideou non – et sa cible biologique (protéine) se trouvent considérablement renforcées par le programme que le CEA a mis en place.Des recherches spécifiques portent sur les principaux éléments considérés, qu’il s’agissed’actinides (uranium, plutonium), de produits de fission et d’activation (iode, cobalt) ou de métaux lourds (cadmium). Les chercheurs s’attachent aussi à décrire les phénomènespropres aux éléments – non traités dans ce chapitre – dont la répartition dans l’organismeest moins ciblée, comme le césium, ou aux éléments présents à l’état de traces dansl’organisme, tels le zinc ou le sélénium.

II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES TOXIQUES NUCLÉAIRES

Page 2: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

CLEFS CEA - N° 48 - ÉTÉ 200320

Le comportement biologique des toxiques nucléaires

Selon la façon dont un radionucléide pénètre dans le corps humain, son devenir et les éventuels effets de cette contamination peuvent être très différents. Il est doncprimordial d’étudier la manière dont il est transporté dans l’organisme, dont il se fixe ou non sur certains organes et tissus et dont, finalement, il est susceptible d’être éliminé pourévaluer de façon complexe et réaliste les conséquences d’une possible contamination interne.

Le devenir des radionucléidesdans l’organisme

Har

nett

/Han

zon/

Pho

toD

isc

Certains toxiquesnucléaires, qui

présentent une affinitéparticulière pour

la matrice osseuse, sont stockés dans le

squelette, où ils peuventêtre retenus pendant

près de cent ans.

Après contamination interne, le devenir dansl’organisme des éléments peut être évalué en

utilisant les outils (modèles et paramètres associés)qui sont proposés pour l’évaluation des risques selonla législation en vigueur. Dans le cas des radionu-cléides, la législation est basée sur les recomman-dations de la CIPR, qui a réalisé une synthèse àpartir des données existantes, afin de disposer d’outilsadaptés à tous les isotopes. Ces modèles sont appli-cables aux travailleurs, mais aussi à la populationen distinguant différentes tranches d’âge. Selon lanature des éléments, le niveau de validation de cesdonnées est cependant très disparate. De plus, laspéciation des éléments (voir La spéciation dansl’environnement et en milieu biologique, p. 14) peutmodifier leur transfert et leur comportement dansl’organisme. Pour obtenir des évaluations réalistes,il est donc recommandé d’utiliser des paramètresspécifiques lorsque ceux-ci ont été mesurés à l’aidede méthodes reconnues.

Les portes d’entrée dans l’organisme

Les principales portes d’entrée des éléments dansl’organisme sont l’ingestion et l’inhalation. Uneautre voie, la voie transcutanée par passage naturelau travers de l’épiderme ou après blessure, est par-fois prépondérante (encadré B, Les voies d’atteintede l’homme, p. 13). Le devenir des éléments dépendde leur spéciation et de leur rôle physiologique.Trois formes physico-chimiques sont distinguées :les gazeuses, les solubles et les “insolubles”.Les gaz sont essentiellement absorbés par voie respira-toire. Leur devenir dépend de leur réactivité chimiqueavec les constituants de l’interface air-tissu et de leursolubilité dans différents milieux organiques.Les formes “insolubles”sont épurées au niveau de la ported’entrée par transport ou après dissolution (se repor-ter aux formes solubles ci-après), sachant que mêmepour les formes les plus insolubles,il existe toujours unefraction “solubilisable”.Après ingestion,elles sont natu-rellement éliminées grâce au transit gastro-intestinal.Après inhalation,la remontée muco-ciliaire à la surfacede l’arbre trachéo-bronchique contribue à l’épurationmécanique d’une partie des particules déposées vers letractus digestif, l’autre partie étant épurée par voie lym-phatiquevers les ganglions régionaux.Seule cette épura-tion lymphatique est impliquée après blessure profonde.Des modèles ont été développés pour décrire le devenirdes éléments après ingestion ou inhalation.Le modèledu tractus digestif est particulièrement simple (figure 1,p.23). Il tient compte du temps de séjour des alimentsau sein de différents compartiments et d’une fractiontransférée vers le sang à partir de l’estomac ou de lapartie antérieure de l’intestin grêle. La CIPR élaboreactuellement un modèle plus représentatif. En revan-che, le modèle du tractus respiratoire est beaucoupplus complexe. Il prend notamment en considérationla granulométrie des aérosols qui conditionne leurdépôt au sein des différents compartiments thora-ciques et extra-thoraciques, l’épuration des particulesinhalées par transport et par dissolution, et la physio-logie des individus (encadré).

Transfert vers le sang et devenir biologique

Les formes solubles empruntent différentes voies pourdiffuser dans l’organisme.Ainsi, le transfert des élémentsindispensables à la vie (encadré C,Les éléments vitauxde l’organisme humain,p.22) vers le sang est souventfacilité par des processus spécifiques (respiration,

Page 3: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

CLEFS CEA - N° 48 - ÉTÉ 2003 21

Le modèle du tractus respiratoire

Figure b.Épuration pulmonaire par dissolution et transport des particules. Pour les fractions, les indices r, s, b signifient respectivement rapide, lent, lié. LN correspond à nœud lymphatique.

Figure a.Influence de la granulométrie sur le dépôt des aérosols.

L’épuration du tractus respiratoire implique à la fois le transportet la dissolution des particules déposées après inhalation(figure b). La CIPR 66 considère différents sous-compartimentsselon le site du dépôt : ET1, ET2, BB1 et bb1 à l’interface air-tissu,BB2 et bb2 sous le film muqueux et ETseq, BBseq et bbseq pour lesparticules ayant pénétré l’épithélium. Ces dernières sonttransportées par voie lymphatique jusqu’aux ganglions régio-naux, les autres sont transportées vers le tractus digestif par

remontée muco-ciliaire. L’interstitium alvéolaire est divisé entrois compartiments, seul AI3 pouvant être épuré par voie lym-phatique. La fraction transférée par jour est mentionnée.Simultanément, les particules se dissolvent et différents modè-les sont proposés pour décrire ce phénomène. Le modèle leplus simple est schématisé ici et la valeur des paramètres pro-posés par défaut est donnée pour des composés de type F (trèssolubles), M (moyennement solubles) et S (peu solubles).

La taille des aérosols module leur dépôt au sein des différentscompartiments du tractus respiratoire (figure a). Cette tailleest décrite par le diamètre aérodynamique médian en activité(DAMA) et l’écart type géométrique de la distribution (�g). La CIPR 66 considère différents compartiments et décrit unmodèle permettant d’évaluer le dépôt des aérosols selon leurspropriétés physiques et les caractéristiques physiologiques de

l’individu (âge, mode de respiration, type d’activité, etc.). Ellepropose par défaut, à partir de différentes mesures, un DAMAplus faible pour la population que pour les travailleurs. Il enrésulte un dépôt beaucoup plus important dans le poumonprofond, les capacités de filtration des voies aériennes supé-rieures n’étant très efficaces que pour les particules les plusgrosses (figure a).

% des aérosols déposéscompartiments

DAMA = 5 �m DAMA = 1 �m

ET1 (nez antérieur) 33,8 16,5extra-thoracique ET2 (nez postérieur – larynx – pharynx) 39,9 21,1

73,7 37,6BB (bronches) 1,8 1,3

thoracique bb (bronchioles) 1,1 1,7AI (interstitium alvéolaire) 5,4 10,7

8,3 13,7total 82,0 51,3

1 10 100 0,1 1 10

travailleurs: DAMA=5 �m;�g =2,5

aérosol ET1 ET2 BB bbAI

population: DAMA=1 �m;�g =2,45

transportdissolution f : fraction

s : fraction/jour

les valeurs par défaut

extra-thorax

environnement

fèces

fr

fb sr

(1-fb)sr sb (1-fb)ss

fb ss

1-fr

thorax

1.10-2

1.10-2

1.10-3

3.10-2

3.10-2

2

10

100 tractus gastro-intestinal

sang

LNET ET1

ETseq ET2

2.10-5

1.10-4 1.10-3 2.10-2

LNth

dissolution rapide

fraction liée

sang

dissolution lente

BBseq

bbseq bb2 bb1

AI310 %

AI260 %

AI130 %

type F M S

fr 1 0,1 0,001

sr 100 100 100

ss 0,005 0,000 1

sb 0 0 0

exemples UO2, U3O8 PuO2

1

BB2 BB1

Page 4: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

CLEFS CEA - N° 48 - ÉTÉ 200322

Le comportement biologique des toxiques nucléaires

Les éléments vitaux de l’organisme humain

C

intracellulaire. Il est utile au maintien del’automatisme cardiaque et à l’activitémusculaire en général. Une carence enpotassium, outre des effets nocifs sur lecœur, entraîne parfois des crampes. Lemagnésium est impliqué dans de nom-breux phénomènes biologiques au niveaude la cellule. Une insuffisance en magné-sium peut engendrer des faiblessesmusculaires, des crampes, des crisesde tétanie ou des troubles digestifs.Les oligo-éléments sont des élémentsminéraux indispensables, en très faiblequantité, aux organismes vivants: leurabsence entraîne des carences nutri-tionnelles et, pour certains d’entre eux,empêche l’accomplissement d’unefonction particulière. Présents à l’état detraces, ils entrent dans la compositionde molécules organiques nécessairesà des réactions fondamentales du méta-bolisme cellulaire. Parmi les oligo-éléments essentiels se trouvent desmétaux (fer, zinc, cuivre, manganèse,molybdène), des métalloïdes (sélénium),des halogènes (iode, fluor). Les oligo-éléments métalliques sont importantscar appelés à entrer dans la constitu-tion des molécules de haute activitébiochimique telles que les enzymes.Dans les métalloprotéines enzymatiques,

l’hydratation cellulaire, participation à denombreux processus enzymatiques,intervention dans les métabolismes desglucides (sucres) et des protides (pepti-des, protéines), etc. Certains déplace-ments des cations sont étroitement liésaux activités cérébrales, nerveuses, mus-culaires, cardiaques et glandulaires.Le calcium est l’un des constituantsmajeurs des os. Il joue aussi un rôleimportant dans la coagulation du sang,la contraction musculaire et le fonc-tionnement du muscle cardiaque. Enassociation avec le calcium, le phosphoreest indispensable à la constitution dutissu osseux. Il intervient également dansl’absorption et la transformation de cer-tains nutriments (molécules assimilablesdérivant de l’alimentation). Le sodiumest l’élément minéral le plus importantdes liquides du corps humain (le sanget tous les autres liquides extra-cellu-laires). Il participe à l’équilibre du “milieuintérieur” et son élimination ou sa réten-tion, au niveau rénal, constitue l’un desmécanismes de la régulation de la pres-sion artérielle. Une alimentation tropriche en sodium est souvent à l’origined’une augmentation de la pression arté-rielle. À la différence du sodium, le potas-sium est le principal élément minéral

Outre ses constituants principauxque sont le carbone, l’hydrogène,

l’oxygène et l’azote (C, H, O, N), à l’ori-gine de toutes les molécules organiques,la substance des organismes vivants estcomposée d’éléments minéraux etd’oligo-éléments indispensables à lavie, et tout particulièrement nécessai-res à la croissance et au développement.Lorsque les besoins de l’organisme ences éléments ne sont pas satisfaits,celui-ci est affecté par des maladies decarence. En revanche, leur absorptionen quantité excessive peut avoir deseffets toxiques. Parfois, la marge esttrès étroite entre l’apport optimal et leseuil de toxicité.Les sels minéraux, présents en quantitéimportante dans le corps humain (envi-ron 4% du poids), se rencontrent sous laforme d’ions: calcium (Ca2+), potassium(K+), sodium (Na+), magnésium (Mg2+)pour les cations, chlorure (Cl-), radicauxphosphorés et soufrés pour les anions.Éliminés quotidiennement par le rein, ilsdoivent être apportés chaque jour enquantité suffisante par l’alimentation.Ces électrolytes et l’eau jouent un rôleirremplaçable dans de nombreux phéno-mènes biochimiques et biophysiques:édification de l’organisme, maintien de

L’alimentation apporte chaquejour les sels minéraux et lesoligo-éléments indispensables à la vie. Les légumes frais enconstituent une sourceimportante.

C S

quar

ed S

tudi

os/P

hoto

Dis

c

Page 5: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

CLEFS CEA - N° 48 - ÉTÉ 2003 23

l’atome de métal fait partie intégrantede la molécule de protéine et se trouveau centre du site actif(1) de l’enzyme. Sousforme ionisée, le métal se comporte enactivateur d’une protéine enzymatiquesans participer à sa composition.Le fer, par exemple, constitue la frac-tion active de l’hémoglobine, protéinedes globules rouges, et des cytochromes,protéines qui transfèrent des électronspendant la respiration cellulaire. À l’étatde métalloprotéines enzymatiques,il est présent dans les ferrédoxines,substances biochimiques intervenantdans le transport des électrons, ou dansdiverses enzymes. Un défaut en ferconduit à une anémie, tandis qu’un excèspeut être dangereux pour le cœur. Unecarence en zinc est parfois la cause dunanisme et de l’hypodéveloppement desorganes sexuels mâles. Une insuffisanceen cuivre, élément indispensable àla génération des cellules sanguinesdans la moelle osseuse (hématopoïèse),est également source d’anémie. Lesélénium semble protéger contrecertains cancers; par ailleurs, un défauten cet élément risque de provoquerdes maladies du muscle cardiaque.L’iode est indispensable au fonctionne-ment de la thyroïde. Il est présentdans la molécule d’une hormone (lathyroglobuline) qui en contrôle le méta-bolisme. Une carence en cet élémententraîne une hypertrophie de la thyroïde(goitre) et un retard du développementphysique et mental chez l’enfant. Uneinsuffisance en fluor est associée àdes défauts de minéralisation des os etdes dents (caries).Lors d’une contamination par des radio-nucléides, ceux-ci peuvent se substi-tuer aux éléments minéraux et auxoligo-éléments (encadré E, Quand desradionucléides se substituent à deséléments vitaux, p. 47).

(1) Site actif : région d’une enzyme permettantla catalyse d’une réaction particulière.

digestion,transports ioniques,etc.).Les autres élémentsempruntent des voies similaires, mais très souventl’efficacité de leur transport est beaucoup plus faibleque celle de leurs analogues biologiques (encadré E,Quand des radionucléides se substituent à des élémentsvitaux, p. 47).Une fois transférés, les éléments présentent un tempsde séjour dans le sang qui est le reflet de la balanceentre la cinétique de leur dépôt dans les organes et deleur excrétion. Les reins permettent, après filtrationglomérulaire de formes chimiques ayant un faiblepoids moléculaire, une élimination par voie urinairedes éléments qui ne sont pas réabsorbés le long destubules. L’excrétion fécale concerne à la fois la sécré-tion d’électrolytes par la muqueuse gastro-intestinaleet l’excrétion hépatique par voie biliaire. Selon les élé-ments, la sueur comme l’exhalation sont égalementdes voies d’excrétion non négligeables.La distribution de la plupart des éléments essentiels etde certains de leurs analogues (sodium, chlore, potas-sium,césium,etc.) apparaît sensiblement homogène ausein des tissus mous. Néanmoins, certains d’entre euxsont capables de s’accumuler dans des compartimentsde stockage extracellulaires tels le colloïde des folliculesthyroïdiens pour l’iode et la matrice osseuse pour leséléments ostéotropes (calcium, baryum, strontium,radium, éléments transuraniens). Le squelette consti-tue un site de stockage qui présente une période de réten-tion pouvant atteindre plusieurs dizaines d’années.Cettepériode est beaucoup plus courte pour les tissus mousmais peut cependant aussi atteindre une telle durée dansle cas, par exemple, du plutonium déposé dans le foie.En fait, il existe des échanges continus entre les sites dedépôt et les liquides biologiques. La modélisation desdonnées biocinétiques a permis de définir la valeur deséchanges entre différents compartiments. À des finspratiques, la complexité des modèles aujourd’hui rete-nus s’accroît avec l’hétérogénéité de la distribution deséléments dans l’organisme et avec leur temps de séjour.

Figure 1. Le modèle du tractus digestif. La valeur de f1, fraction de la quantité ingérée transférée vers le sang, est mentionnée ici chez l’adulte pour différents éléments (halogènes, métauxalcalins, alcalino-terreux, actinides). L’application du principe de précaution tend à faireutiliser des valeurs parfois égales à 1 pour de nombreux éléments. Dans le cas des éléments peu assimilables, la valeur de f1 est augmentée d’un facteur 10 pour tenir compte de l’absorption digestive plus importante constatée chez l’enfant.

halogènes, métaux alcalins, alcalino-terreux, actinides

1 H, C, F, Na, S, Cl, K, Br, Rb, I, Cs, Hg (organique), Mo, At, Fr

0,8 P, Se

0,5 Mg, Zn, Tc, As, Cu, Po

0,3 Ca, Sr, W

0,2 Ba, Pb, Ra, Sn, Hg (inorganique)

0,1 Al, Fe, Co, Mn, Cr, Au, Sb

0,05 Cd, Bi, Ag, Ni, Ru

0,02 U, Sn

0,01 Ti, V, Nb, Os, Ir, Pt

0,005 Be

0,0005 actinides (sauf U), lanthanides

modèle digestif

ingestion

estomac

intestin grêle

côlon ascendant

côlon descendant

excrétion

sang

� = 24

� = 6

� = 1,8

� = 1

� : fraction par jourt : temps après ingestionactivité = e-�t

f1

Page 6: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

CLEFS CEA - N° 48 - ÉTÉ 200324

Le comportement biologique des toxiques nucléaires

Les résultats obtenus contribueront à rendre plus réalis-tes les modèles pour une meilleure évaluation desrisques chimiques et radiologiques et des niveauxd’exposition en cas d’incident.

> Paul Fritsch et Béatrice Le GallDirection des sciences du vivant

CEA centre DAM–Île de France

Des modèles de complexité variable

Les modèles les plus simples sont dits non recyclants(figure 2). Ils tiennent compte du temps de séjourapparent des éléments dans les organes de dépôt, lafraction éliminée de l’organe étant excrétée par voieurinaire ou fécale après un bref séjour dans le sang.Ce type de modèle s’applique aujourd’hui à de nom-breux éléments essentiels (sodium, potassium, chlore,phosphore,magnésium,zinc,cobalt, sélénium,etc.) etégalement à la plupart de leurs analogues et aux métauxde transition. Dans le cas du tritium, du carbone etdu soufre, les modèles distinguent différentes formeschimiques organiques ou inorganiques.Les modèles les plus complexes sont dits recyclants(figure 2).Ils prennent en compte les échanges continusentre le sang et les tissus. Le modèle de l’iode constituel’exemple le plus simple. Des modèles beaucoup pluscompliqués ont été développés pour les métaux alcalino-terreux. Ils considèrent de nombreux compartimentsen distinguant différents territoires au sein d’un mêmetissu. Ces modèles s’avèrent plus représentatifs de laphysiologie.Des modèles ayant une structure analogueont été développés pour le plomb et les actinides. Ils serévèlent particulièrement adaptés pour estimer a priorila concentration des éléments dans différents compar-timents de l’organisme en fonction du temps suivantla contamination (modèles descendants), mais aussi,a posteriori, pour évaluer les niveaux d’exposition àpartir de la mesure de rétention et d’excrétion urinaireet fécale (modèles ascendants).La solution d’un modèle non recyclant est accessiblepar un simple calcul exponentiel. En revanche, deslogiciels spécifiques doivent être mis en œuvre pourle modèle recyclant qui est utilisé aujourd’hui pour lecalcul de dose.

Vers des modèles de plus en plusreprésentatifs

Dans la mesure où ils seraient utiles,par exemple pouraméliorer l’efficacité de traitements décorporants,de nouveaux modèles recyclants beaucoup pluscomplexes pourraient voir le jour en tenant comptenotamment de la spéciation des éléments au sein decompartiments plus représentatifs de la physiologiecellulaire et tissulaire.Les études qui sont actuellement développées concer-nent, d’une part, les incertitudes relatives aux modèleset aux paramètres qui y sont associés, afin de mieuxorienter les recherches expérimentales pour hiérarchi-ser la toxicité des radionucléides et combler les lacunesexistantes, et, d’autre part, l’influence de la spéciationdes éléments sur leur biodistribution après différentstypes de contamination en se focalisant sur les nou-veaux composés utilisés dans l’industrie nucléaire.

Figure 2.Modèle non recyclant (CIPR 30) et modèle recyclant (CIPR 67)développés pour le plutonium. Pour le modèle recyclant, de nombreux compartiments sont considérés, mais leur rôlephysiologique demeure souvent méconnu. C’est le cas parexemple du foie, les compartiments 1 et 2 ne correspondantpas à des cellules ou à des structures définies, et des tissusmous à durée de rétention “moyenne”, dont une fraction estdirectement éliminée dans les urines. La structure du modèlepermet de connaître à chaque instant la quantité d’élémentsexcrétée ou retenue dans les différents compartiments.

vessie côlon

modèle non recyclant

modèle recyclant

squelette

moyen

tissus mous

lentrapide

gonades

2

1

intestin

squelette

reins

vessie

reins

foievolume

moelle

transfert

transfert

foie

• Transfert instantané vers les organes de rétentionet d’excrétion.

• Transfert des organes vers les compartimentsd’excrétion avec une période de 0,25 j (temps deséjour dans le sang et les liquides interstitiels).

• Rapport excrétion urinaire/fécale constant.

gonades

surface

sang

Page 7: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

L’exposition de l’homme, c’est-à-direla mise en présence (par contact ou

non) de l’organisme et d’un agent chi-mique, physique ou radiologique, peuts’effectuer de manière externe ouinterne. Dans le cas des rayonnementsionisants, elle se traduit par un dépôtd’énergie sur tout ou partie du corps.Ils peuvent causer une irradiationexternedirecte lorsque le sujet se trouveplacé sur la trajectoire d’un rayonne-ment émis par une source radioactivesituée à l’extérieur de l’organisme.L’individu peut être atteint directementou après réflexion sur lessurfaces envi-ronnantes. L’irradiation peut être aiguëou chronique. Le terme de contamina-tion est employé en cas de dépôt dematières (en l’occurrence radioactives)sur des structures, des surfaces, desobjets ou, en l’occurrence, un organismevivant. La contamination radiologique,imputable à la présence de radionu-cléides, peut s’effectuer par voie

externe, à partir du milieu récepteur(air, eau) et des milieux vecteurs (sols,sédiments, couvertures végétales,matériels), par contact avec la peau etles cheveux (contamination cutanée),ou par voie interne lorsque les radio-nucléides sont incorporés soit parinhalation (gaz, particules) à partirde l’atmosphère, soit par ingestion,principalement à partir de produitsalimentaires ou de boissons (eau, lait),soit encore par pénétration (blessure,brûlure ou passage à travers la peau).Il est question d’intoxication lorsquec’est essentiellement la toxicité chi-mique qui est en cause.Dans le cas d’une contaminationinterne, la dose délivrée (appelée dose“engagée”) au sein de l’organisme,au cours du temps, est calculée sur50 ans pour l’adulte, et jusqu’à l’âgede 70 ans pour l’enfant. Les paramè-tres pris en compte pour le calcul sontles suivants : la nature, la quantité

incorporée de radionucléide (RN),la forme chimique du composé, lapériode effective(1) du RN dans l’orga-nisme (fonction de la période physiqueet de la période biologique), le type derayonnement, le mode d’exposition(inhalation, ingestion, blessure, pas-sage cutané), la répartition dans l’orga-nisme (dépôt dans des organes ciblesou répartition homogène), ainsi que laradiosensibilité des tissus et l’âge dusujet contaminé.Laradiotoxicité, enfin, est la toxicité dueaux rayonnements ionisants émis parun radionucléide inhalé ou ingéré. C’estd’un tout autre ordre d’idée que relèvela notion trompeuse de radiotoxicitépotentielle, qui est en fait un inventaireradiotoxique difficile à évaluer et enta-ché de nombreuses incertitudes.

(1) La période effective (Te) est évaluéecomme suit en fonction de la périodephysique (Tp) et de la période biologique(Tb) : 1 / Te = 1 / Tp + 1 / Tb.

Les voies d’atteinte de l’hommeB

Page 8: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

Des rayonnements aux dosesF

La radioactivité est un processus parlequel certains nucléides naturels

ou artificiels (en particulier ceux crééspar fission, scission d’un noyau lourd endeux morceaux) subissent une désinté-gration spontanée, avec dégagementd’énergie, aboutissant généralement àla formation de nouveaux nucléides.Appelés pour cette raison radionucléi-des, ils sont instables du fait de leurnombre de nucléons (protons, d’unepart, neutrons, de l’autre) ou de leur étaténergétique. Ce phénomène s’accom-pagne de l’émission d’un ou de plusieurstypes de rayonnements, ionisants ounon et/ou de particules. Les rayonne-ments ionisants sont des rayonnementsélectromagnétiques ou corpusculairessuffisamment énergétiques pour ioni-ser sur leur passage certains atomesde la matière traversée en leur arra-chant des électrons. Ils peuvent l’êtredirectement (c’est le cas des particulesalpha) ou indirectement (cas des rayonsgamma et des neutrons).Le rayonnement alpha, formé de noyauxd’hélium 4 (deux protons et deux neu-trons), est très peu pénétrant. Il est arrêtépar une feuille de papier ou par les cou-ches superficielles de la peau. Son tra-jet dans les tissus biologiques ne dépassepas quelques dizaines de micromètres.Ce rayonnement est donc fortement ioni-sant, c’est-à-dire qu’il arrache facile-ment des électrons aux atomes dumatériau traversé, car ses particulescèdent toute leur énergie sur un faible

parcours. Pour cette raison, le risqueprésenté par les radionucléides émet-teurs alpha est celui d’une expositioninterne.Le rayonnement bêta, constitué d’élec-trons (radioactivité bêta moins) ou depositons (radioactivité bêta plus), estmoyennement pénétrant. Les particu-les émises par les émetteurs bêta sontarrêtées par quelques mètres d’air, unefeuille d’aluminium ou sur quelquesmillimètres d’épaisseur dans les tissusbiologiques. Ils peuvent donc traverserles couches superficielles de la peau.Le rayonnement gamma, composé dephotons de haute énergie peu ionisantsmais très pénétrants (plus que lesphotons des rayons X utilisés en radio-diagnostic), peut parcourir plusieurs cen-taines de mètres dans l’air. D’épaisécrans de béton ou de plomb sont néces-saires pour s’en protéger.Pour le rayonnement neutronique,l’interaction est aléatoire et, de ce fait,il n’est arrêté que par une forte épais-seur de béton, d’eau ou de paraffine.Non chargé électriquement, le neutronn’est en effet arrêté dans l’air que pardes noyaux d’éléments légers, noyauxdont la masse est proche de celle duneutron.La quantité d’énergie délivrée par unrayonnement se traduit par une dosequi est évaluée de différentes maniè-res, suivant qu’elle prend en compte laquantité d’énergie absorbée, son débitou ses effets biologiques:

• la dose absorbée est la quantitéd’énergie absorbée en un point par unitéde masse de matière (inerte ou vivante),selon la définition de la Commission inter-nationale des unités et des mesures radio-logiques (ICRU). Elle s’exprime en grays(Gy) : 1 gray correspond à une énergieabsorbée de 1 joule par kilogramme dematière. La dose absorbée à l’organe estobtenue en faisant la moyenne des dosesabsorbées en différents points, selon ladéfinition de la Commission internatio-nale de protection radiologique (CIPR);• le débit de dose, quotient de l’accrois-sement de dose par l’intervalle de temps,définit l’intensité d’irradiation (énergieabsorbée par la matière par unité demasse et de temps). L’unité légale estle gray par seconde (Gy/s), mais le Gy/mnest couramment utilisé. Par ailleurs,un rayonnement a une efficacité biolo-gique relative (EBR) plus grande qu’unautre lorsque l’effet obtenu pour unemême dose est plus important ou quandla dose nécessaire pour observer ceteffet est plus faible ;• la dose équivalente est la quantitéde dose absorbée entendue comme leproduit de la dose absorbée dans untissu ou un organe par un facteur depondération, différent selon la natureet à l’énergie du rayonnement et quivarie de 1 à 20: les rayonnements alphasont ainsi considérés comme 20 foisplus nocifs que les rayonnementsgamma en fonction de leur efficacitébiologique pour des effets aléatoires

Page 9: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

Techniciens aux télémanipulateurs d’une des chaînes de l’installation Atalante, au centre CEA de Marcoule. Blindées, ces chaînes arrêtent les rayonnements. Les opérateurs portent les dosimètres qui permettent d’en vérifier l’efficacité en permanence.

Foul

on/C

EA

(ou stochastiques). Une dose équiva-lente s’exprime en sieverts (Sv) ;• la dose efficace est une grandeur intro-duite pour tenter d’évaluer le détrimenten terme d’effets stochastiquesau niveaudu corps entier. C’est la somme des doseséquivalentes reçues par les différentsorganes et tissus d’un individu, pondéréespar un facteur propre à chacun d’entre eux(facteurs de pondération) en fonction desa sensibilité propre. Elle permet d’addi-tionner des doses provenant de sourcesdifférentes, d’irradiation externe ouinterne. Pour les situations d’exposition

interne (inhalation, ingestion), la dose effi-cace est calculée sur la base du nombrede becquerels incorporés pour un radio-nucléide donné (DPUI, dose par unité d’in-corporation). S’exprime en sieverts (Sv).• la dose engagée, à la suite d’une expo-sition interne, est la dose cumulée reçuedans les cinquante années (pour lestravailleurs et les adultes) ou jusqu’àl’âge de soixante-dix ans (pour les moinsde 20 ans) suivant l’année de l’incorpo-rationdu radionucléide, si celui-ci n’a pasdisparu auparavant par décroissance physique ou élimination biologique;

• la dose collective est la dose reçue parune population, définie comme le pro-duit du nombre d’individus (par exem-ple ceux travaillant dans une installationnucléaire où c’est un outil utile dans lecadre de l’organisation et de l’applica-tion du principe ALARA) par la dosemoyenne équivalente ou efficace reçuepar cette population ou comme la sommedes doses efficaces individuelles reçues.Elle s’exprime en homme-sieverts (H.Sv).Elle ne devrait s’utiliser que pour desgroupes relativement homogènes quantà la nature de leur exposition.

(suite)F

Page 10: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

Tout ce qui se trouve à la surface de la Terre a toujours été soumis

à l’action de rayonnements ionisantspro-venant de sources naturelles. L’irradiationnaturelle, qui représente près de 85,5%de la radioactivité totale (naturelle et arti-ficielle), est due, pour plus de 71%, auxrayonnements telluriques et, pour envi-ron 14,5%, aux rayonnements cosmiques.Les radionucléides formés par inter-action des rayonnements cosmiques,issus des étoiles et surtout du Soleil,avec les noyaux des éléments présentsdans l’atmosphère (oxygène et azote)sont, dans l’ordre d’importance desdoses (encadré F, Des rayonnements auxdoses, p. 66) qu’ils engendrent pourl’homme: le carbone 14, le béryllium 7,le sodium 22 et le tritium (hydrogène 3).Ces deux derniers entraînent des dosesextrêmement faibles.Le carbone 14, de période 5730 ans, seretrouve dans l’organisme humain. Sonactivité par unité de masse de carbonea varié au cours du temps: elle a diminuéavec les rejets de gaz carbonique prove-nant de la combustion des combustiblesfossiles puis augmenté avec les essaisnucléaires atmosphériques.Le béryllium 7, de période 53,6 jours,se dépose sur les surfaces foliairesdes végétaux et pénètre par ingestiondans l’organisme humain (encadré B,Les voies d’atteinte de l’homme, p. 13).Environ 50 Bq (becquerels) par an debéryllium 7 sont ainsi ingérés.Les principaux radionucléides dits“primordiaux” sont le potassium 40,l’uranium 238 et le thorium 232. Avecleurs descendants radioactifs, ces élé-ments sont présents dans les roches,les sols et dans beaucoup de matériauxde construction. Leur concentration estgénéralement très faible mais elle estvariable selon la nature des roches. Lesrayonnements gamma émis par cesradionucléides constituent le rayon-nement tellurique qui entraîne une

Radioactivité naturelle et radioactivité artificielle

A

exposition externe de l’organisme. Lesradionucléides primordiaux et beau-coup de leurs descendants à vie longuese retrouvent également à l’état detraces dans les eaux de boisson et lesvégétaux: d’où une exposition internepar ingestion à laquelle peut s’ajouterune faible exposition par inhalationaprès une remise en suspension dansl’air par les poussières.Émetteur bêta et gamma de période1,2 milliard d’années, le potassium 40n’a pas de descendants radioactifs.Présent à raison de 0,0118 % dans lepotassium naturel, cet isotope radio-actif pénètre dans l’organisme humainpar ingestion. La masse de potassiumnaturel dans le corps humain est indé-pendante de la quantité ingérée.Émetteur alpha de période 4,47 milliardsd’années, l’uranium 238 a treize prin-cipaux descendants radioactifs émet-teurs alpha, bêta et gamma, dont leradon 222 (3,82 jours) et l’uranium 234(0,246 million d’années). L’uranium 238avec ses deux descendants, le tho-rium 234 (24,1 jours) et le protactinium234m(1) (1,18 minute), et l’uranium 234sont essentiellement incorporés paringestion et se concentrent majoritai-rement dans les os et les reins. Le tho-rium 230, engendré par l’uranium 234,est un émetteur alpha de période80000 ans. C’est un ostéotrope, maisil pénètre surtout par la voie pulmo-naire (inhalation). Le radium 226,descendant du thorium 230, est unémetteur alpha de période 1 600 ans.C’est également un ostéotrope et sonapport à l’organisme dépend avant toutde sa présence dans l’alimentation.Un autre ostéotrope, le plomb 210(22,3 ans), est incorporé par inhalationet surtout par ingestion.Émetteur alpha de période 14,1 milliardsd’années, le thorium 232 compte dixprincipaux descendants radioactifs émet-teurs alpha, bêta et gamma, dont le

radon 220 (55 secondes). Le thorium 232pénètre surtout dans l’organisme parinhalation. Le radium 228, descendantdirect du thorium 232, est un émetteurbêta et a une période de 5,75 ans. Sonapport à l’organisme est essentielle-ment dû à l’alimentation.Le radon, descendant radioactif gazeuxde l’uranium 238 et du thorium 232,émane du sol et des matériaux de cons-truction et constitue avec ses descen-dants à vie courte émetteurs alpha unesource d’exposition interne par inha-lation. Le radon représente la sourcela plus importante de l’irradiation natu-relle (de l’ordre de 40 % de la radioac-tivité totale).L’organisme humain contient près de4500Bq de potassium 40, 3700 Bq decarbone 14 et 13 Bq de radium226, essen-tiellement apportés par l’alimentation.À l’irradiation naturelle s’ajoute la compo-sante due aux activités humaines, quirésulte des applications médicales desrayonnements ionisants et dans unemoindre mesure de l’industrie nucléaire.Elle représente environ 14,5 % de laradioactivité totale au niveau global,beaucoup plus dans les pays les plusdéveloppés. Dans le domaine médical(plus de 1 mSv/an en moyenne enFrance), l’irradiation par des sourcesexternes est prépondérante: radiodia-gnostic (rayons X) et radiothérapie, quiaprès avoir utilisé des sources de césium137 et de cobalt 60, est réalisée de plusen plus souvent des accélérateurs linéai-res. L’irradiation par des voies internes(curiethérapie par iridium 192) a desindications plus restreintes (cancerdu col de l’utérus par exemple). Lespropriétés métaboliques et physico-chimiques d’une vingtaine de radionu-cléides sont utilisées pour des activitésmédicales et en recherche biologique.Les applications médicales en sont,d’une part, les radiodiagnostics (scin-tigraphies et radio-immunologie) et,

Page 11: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

d’autre part, les traitements, parmi les-quels ceux de pathologies de la thyroïdepar l’iode 131, la radio-immunothérapiedans certaines maladies hématolo-giques (phosphore 32) ou le traitementde métastases osseuses par du stron-tium 89 ou des phosphonates marqués,à côté d’autres utilisations de produitsradiopharmaceutiques. Parmi les radio-nucléides les plus employés: le tech-nétium 99m(1) de période 6,02 heureset le thallium 201 de période 3,04 jours(scintigraphie), l’iode 131 de période8,04 jours (traitement de l’hyper-thyroïdie), l’iode 125 de période 60,14jours (radio-immunologie), le cobalt 60de période 5,27 ans (radiothérapie),l’iridium 192 de période 73,82 jours(curiethérapie). La contribution des exa-mens radiologiques à la radioactivitétotale représente en moyenne 14,2%.Les anciens essais nucléaires dansl’atmosphère ont engendré des retom-bées sur l’ensemble du globe et ont donnélieu à une exposition des populations età une contamination de la chaîne ali-mentaire par un certain nombre de radio-nucléides, dont la plupart ont aujourd’huicomplètement disparu, étant donné leurpériode radioactive. Subsistent le césium137 (30 ans), le strontium 90 (29,12 ans),partiellement le krypton 85 (10,4 ans)et le tritium (12,35 ans), et les isotopesdu plutonium (période de 87,7 ans à24100 ans). Actuellement, les doses cor-respondant aux retombées de ces essaissont essentiellement imputables auxproduits de fission (césium 137) et aucarbone 14, loin devant les produitsd’activation et le plutonium.Lors de l’accident de Tchernobyl(Ukraine), survenu en 1986, la radioac-tivité totale rejetée dans l’atmosphèrea été de l’ordre de 12 milliards de

milliards de becquerels sur une duréede 10 jours. Des radionucléides appar-tenant à trois catégories ont été dissé-minés. La première est constituéedes produits de fission volatils tels quel’iode 131, l’iode 133 (20,8 heures),le césium 134 (2,06 ans), le césium 137,le tellure 132 (3,26 jours). La deuxièmecatégorie est composée par les produitsde fission solides et les actinides quiont été relâchés dans des proportionsbeaucoup plus faibles, en particulier lesisotopes du strontium (89Sr de période50,5 jours et 90Sr), les isotopes du ruthé-nium (103Ru de période 39,3 jours et106Ru de période 368,2 jours) et le plu-tonium 239 (24100 ans). La troisièmecatégorie se rapporte aux gaz rares qui,bien que représentant la majorité del’activité émise, se sont rapidementdilués dans l’atmosphère. Ce sont prin-cipalement le xénon 133 (5,24 jours) etle krypton 85.Les contributions des anciens essaisnucléaires atmosphériques et de l’acci-dent de Tchernobyl à la radioactivitétotale avoisinent respectivement 0,2%(0,005 mSv) et 0,07% (0,002 mSv).La production d’énergie d’originenucléaire, pour l’ensemble de son cycle,ne représente qu’environ 0,007% de laradioactivité totale. La quasi-totalité desradionucléides reste confinée dans lesréacteurs nucléaires et les installationsdu cycle du combustible. Dans un réac-teur nucléaire, les réactions ayant lieu ausein du combustible conduisent à la for-mation de transuraniens. L’uranium238,non fissile, peut capturer des neutrons,donnant notamment naissance à des iso-topes du plutonium (239Pu, 240Pude période6560 ans et 241Pu de période 14,4 ans) età de l’américium 241 (432,7 ans). Les pro-duits de fission les plus importants engen-drés lors des réactions de fission del’uranium 235 (704 millions d’années)et du plutonium 239 sont l’iode 131, lecésium 134, le césium 137, le strontium90

et le sélénium 79 (1,1 million d’années).Les principaux radionucléides présentsdans les rejets, s’effectuant dans un cadreréglementaire très strict, sont, pour lesrejets liquides, le tritium, le cobalt 58(70,8 jours), le cobalt 60, l’iode 131, lecésium 134, le césium 137 et l’argent110m (249,9jours). Pour les rejets gazeux,le carbone 14 est le radionucléide le plusfréquent, émis dans la plupart des cassous la forme de gaz carbonique. Pourl’ensemble des réacteurs dans le monde,la production totale de gaz carboniquecorrespond au dixième de la productionnaturelle annuelle d’origine cosmique.Par ailleurs, certains radionucléidesliés à la filière nucléaire présentent unetoxicité chimique (encadré D, Toxicitéradiologique et toxicité chimique, p. 32).

Scintigraphie conventionnelle réalisée auService hospitalier Frédéric Joliot (SHFJ). La gamma caméra permet d’obtenir uneimagerie fonctionnelle d’un organe aprèsadministration, le plus souvent par voieintraveineuse, d’un médicament radioactif(radiopharmaceutique) au patient. Les radionucléides utilisés sont spécifiques de l’organe étudié : par exemple, le technétium 99m pour les reins et les os, le thallium 201 pour le myocarde. Le radiopharmaceutique injecté émet de simples photons gamma captés par deux détecteurs plans qui sont placés à 180° ou à 45° selon l’examen.

Laur

ence

Méd

ard/

CEA

(1) m pour métastable. Un nucléide est dit métastable lorsqu’il existe un retard de transition entre l’état excité et l’état stablede l’atome.

(suite)A

Page 12: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

Quand des radionucléidesse substituent à des éléments vitaux

E

L’organisme humain contient natu-rellement, parmi les éléments

indispensables à la vie, un certainnombre d’isotopes radioactifs. Il s’agitessentiellement du carbone 14 et dupotassium 40, qui induisent une radio-activité d’origine naturelle intrinsèquereprésentant chez un adulte plusieursmilliers de becquerels.Dans des situations inusuelles ou acci-dentelles, l’organisme peut en outreêtre exposé à des éléments et des iso-topes toxiques pour lui. Parmi ceuxutilisés ou générés par l’industrienucléaire, certains sont des isotopesd’éléments physiologiques indispen-sables, comme l’iode, d’autres deséléments non physiologiques tels quele cadmium, le strontium, le césium,le plomb et les actinides, etc.D’autre part, certains constituantsessentiels de la matière vivante, sousla forme d’éléments stables commele fer, le manganèse ou le soufre, ontdes équivalents radioactifs parmicertains produits d’activation ou decorrosion.Trois groupes principaux de radionu-cléides représentent des radioconta-minants potentiels majeurs: l’iode (131Iet 133I), le strontium (89Sr et 90Sr) et lecésium (134Cs et 137Cs). L’iode, qui joueun rôle biologique, est très facilementabsorbé et métabolisé, tandis que lestrontium et le césium suivent lesmêmes voies métaboliques que des

éléments biogènes indispensables.C’est ainsi que le strontium (90Sr),se comportant sensiblement commele calcium, se retrouve dans le tissuosseux dont ce dernier est un desconstituants majeurs, et que le césium(137Cs) diffuse dans le tissu muscu-laire, suivant pratiquement les mêmesvoies métaboliques que le potassium,principal élément intracellulaire.Si ces nucléides empruntent des voiessimilaires à celles par lesquelless’opère le transfert vers le sang deséléments indispensables à la vie,transfert souvent facilité par des pro-cessus spécifiques (respiration, diges-tion, transports ioniques), l’efficacitéde leur transport est néanmoins sou-vent beaucoup plus faible que celle deleurs analogues biologiques.Lors d’une contamination par desradionucléides, ceux-ci peuvent doncse substituer à des éléments miné-raux et à des oligo-éléments vitaux.Après ingestion, la fraction métabo-lisée du radionucléide est répartiedans l’organisme ou se concentredans des organes particuliers. Sila distribution de la plupart deséléments essentiels et d’une partiede leurs analogues (sodium, chlore,potassium, césium, etc.) apparaîtsensiblement homogène au sein destissus mous, certains sont capablesde s’accumuler dans des comparti-ments de stockage extracellulaires

tels la thyroïde pour l’iode, le foie pourle plutonium et la matrice osseusepour les éléments appelés ostéo-tropes (calcium, baryum, strontium,radium, transuraniens).Ainsi, les transporteurs membranairesfacilitent l’entrée de césium et de rubidium dans les cellules. De même, le strontium peut être efficacementaccumulé dans les compartiments de confinement subcellulaire. Parailleurs, certains co-transporteursresponsables de la capture de métauxdivalents (ions de fer, de cuivre ou dezinc) transfèrent aussi le cadmium.Enfin, il ne faut pas sous-estimerl’éventualité de séquestration destoxiques (physiologiques ou non) danschaque compartiment par tout unensemble de protéines solubles.Le piégeage peut être covalent(par exemple, la thyroglobuline iodée).Le calcium ou les protéines réduisantles formes libres, toxiques, de cer-tains métaux de transition vitauxdans l’organisme (fer, cuivre, sélé-nium, etc.), sont des complexantspotentiels d’éléments non physiolo-giques comme l’uranium ou le cad-mium. Ce dernier métal a peu d’effetspropres mais a tendance à se substi-tuer au calcium, au zinc, au cuivre. Son comportement opportuniste, quipeut entraîner de graves désordresphysiologiques, est d’ailleurs celui debeaucoup de métaux exogènes.

Page 13: II. LE COMPORTEMENT BIOLOGIQUE DES … · CLEFS CEA - N°48 - ÉTÉ 2003 19 Après l’élucidation des mécanismes de transfert des toxiques entre le milieu et l’homme (chapitre

Toxicité radiologique et toxicité chimique

Parmi les toxiques chimiques liésà la filière nucléaire se trouvent,

outre l’uranium (U) et le cobalt (Co),le bore (B), utilisé pour ses proprié-tés d’absorption des neutrons dansles fluides caloporteurs des centra-les nucléaires, le béryllium (Be),employé pour ralentir ces mêmesneutrons, et le cadmium (Cd), servantà les capturer. Or le bore est un élé-ment essentiel pour la croissance desplantes. Le cadmium, tout comme leplomb (Pb), a des effets toxiques surle système nerveux central.Pour un même élément dont la toxi-cité peut être à la fois radiologique etchimique, par exemple le plutonium(Pu), l’uranium, le neptunium, le tech-nétium ou le cobalt, il s’agit de déter-miner, quand cela est possible, ce quirelève de la toxicité radiologique etce qui relève de la toxicité chimique,l’une n’étant évidemment pas exclu-sive de l’autre (voir Limites de lacomparaison du risque radiologique etdu risque chimique, p. 77).Pour les éléments radioactifs à lon-gue période physique, la toxicité chi-mique est un risque beaucoup plus

grand que la toxicité radiologique,comme le montre l’exemple du rubi-dium (Rb) ou de l’uranium naturel.Ainsi la toxicité chimique de l’uranium,qui prévaut sur sa toxicité radiolo-gique, a conduit la réglementationfrançaise à fixer des limites de masseingérée ou inhalée de composés chi-miques d’uranium à respectivement150 mg et 2,5 mg par jour quelle quesoit la composition isotopique de l’é-

lément (voir L’uranium, chaque jourmieux connu, p. 31).Certains métaux ou métalloïdes nontoxiques à faible concentration peu-vent le devenir à forte concentrationou sous leur forme radioactive. C’estle cas du cobalt, pouvant agir commegénotoxique, du sélénium (Se) (natu-rellement incorporé dans des pro-téines ou des ARN), du technétium(Tc) et de l’iode (I).

D

Analyse d’images de gels d’électrophorèse bidimensionnelle réalisée dans le cadre d’étudesde toxicologie nucléaire au centre CEA de Marcoule, dans la vallée du Rhône.

Cyr

ille

Dup

ont/

CEA