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1 L’Histoire de Tonton Pierre et Petite Les Robinson du XXème siècle

Ile Denis 2013

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L’Histoire de Tonton Pierre et Petite

Les Robinson du XXème siècle

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Justine, Marianna, Bosco Junior, Eva, Jean-François, Alexandre, Arthur, William,

Raphaël, Martin, Michael, Olivia, Elodie, Lyka, Zamaira, Alana, Carole, Eve-Anne,

Michèle, Titine, Peter et Douce et leurs enfants, ces quelques pages ont été écrites

pour vous.

Ce livre est une idée de « Petite », Suzanne, « Zie », « Madame Pierre » ; ma mère.

Elle m'avait demandé de livrer un petit récit de cette incroyable histoire qui est celle

de l'île Denis.

En effet, Pierre Burkhardt, votre père, grand-père et arrière-grand-père, que l'on

appelait Tonton Pierre, eut le désir de réaliser un rêve :

ACHETER UNE ILE

N'est-ce pas ce dont rêvent la plupart d'entre nous ?

En créant un petit Lodge de vingt-quatre bungalows et une piste d'avion, il rendit ce

rêve accessible au monde entier. Les clients étaient pour lui des invités payants ;

invités qui pouvaient faire ce qu'ils voulaient, à condition de ne pas déranger autrui.

Nombre de célébrités sont venues sur l'île, de tous horizons confondus : stars du

cinéma, de la télévision, de la musique ; personnalités du milieu du sport, de l'édition,

de la restauration ; ministres, capitaines d'industrie (tels que Dassault, Bouygues,

Fuji). La liste est longue.

L'île Denis laissa à tous un souvenir très fort. En effet, cette île ne pouvait pas laisser

indifférent celui ou celle qui y débarquait ; ceci tenait en grande partie à la manière

dont on y était reçu. Pour Tonton Pierre, ses hôtes étaient avant tout des amis invités

à partager son rêve.

Nous avions un rituel le jour du départ des invités : nous agitions nos mouchoirs

blancs pour un dernier au revoir lorsque l'avion décollait. Chaque fois, il y avait des

larmes et des gorges nouées.

J'espère, pour ma part, que vous ne serez pas trop troublé(e) à la lecture de ces

pages, ainsi que lorsque vous consulterez les photos et la vidéo jointes au livre.

Voici à présent trente ans de la vie de Suzanne et Pierre Burkhardt.

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L'auteur, "Monsieur Tom", le vendredi de Tonton Pierre

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L'ILE DENIS : L'HOTEL DU BOUT DU MONDE OU L'ILE DES GENS HEUREUX

Pourquoi ? Comment ? Avec qui ? Douze ans après la fin de cette merveilleuse

aventure, le temps est venu de conter les événements inattendus qui ont rendu

possible cette vraie folie. « Une vraie folie », car rien ne nous disposait à devenir un

jour propriétaires d'une île aux Seychelles dans l'Océan Indien. Achetée en 1974, l'île

Denis fut revendue en 2000.

COMMENT A DEBUTE CETTE INCROYABLE AVENTURE ?

Mon père, que nous appellerons à maintes reprises « Tonton Pierre », fut d'abord

avocat avant de devenir industriel et de construire des usines de pâte à papier un

peu partout dans le monde, et ce pour le compte d'une société américaine.

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Comment, d'industriel, devint-il propriétaire d'une île ? C'est ce que nous allons

découvrir au cours de ce récit. En tant qu'avocat, il plaidait pour cette société

américaine de pâte à papier. Son client lui dit un jour: « Si vous gagnez le procès, je

vous engage ». Il s'avéra qu'il remporta le procès. Il fut donc engagé ; c'est ainsi qu'il

devint industriel, créateur d'usines de pâte à papier. Il s'agit ici d'un parcours assez

exceptionnel.

A L'ORIGINE : UNE PASSION POUR LA PECHE

Tonton Pierre avait une passion : la pêche. Déjà, tout petit, nous allions tous les deux

dans le golfe de Saint-Tropez avec nos lignes de traîne pour prendre des

maquereaux.

Aujourd'hui, je perpétue la tradition et parviens à prendre de petits thons dans le

golfe de Saint-Tropez à l'aide d'une cuillère et d'un plomb sur un petit voilier au

ralenti. Cette passion de la pêche, agrémentée par la lecture de livres comme « Des

Poissons si grands » de Pierre Clostermann, ne fit que croître avec les années.

Nous allions pêcher des poissons de plus en plus gros avec des lignes de plus en

plus fines : voilà le jeu ultime. Il n'y a pas de challenge dans le fait de remorquer des

poissons, qui n'auraient aucune chance de se défendre.

Un jour, Tonton Pierre devait se rendre à un colloque à Setubal, au Portugal. Il me

proposa de l'accompagner, car il pensait avoir la possibilité d'y pêcher un espadon.

Quand il trouva un moment dans son emploi du temps, il loua un bateau pour aller à

la pêche. Il y avait beaucoup de brume ce jour-là. Nous avions besoin d’appâts. Pour

en trouver, nous lancions nos lignes dans l'eau avec un plomb et des hameçons,

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c'est ce qu'on appelle la palangrotte. Et là, incroyable ! Les poissons mordaient à

l'hameçon sans le moindre appât !

Nous continuons à pêcher ainsi avec un hameçon de plus grande taille, une canne

plus épaisse montée d'un gros moulinet et attendions, le moteur au ralenti. Nous

n'avons pas vu d'espadon ce jour-là, mais je crois que c'est à cette époque que nous

avons attrapé le virus.

Nous sommes ensuite partis pour Nosy Be, à Madagascar (mon père avait construit

une usine de pâte à papier là-bas.) La pêche était bonne, les poissons variés, le

climat chaud, sans être insoutenable.

Puis, on nous signala les Comores. Nous nous rendîmes donc à Tzaoutsi. A cette

époque, l'hébergement était très spartiate et les bateaux utilisés pour la pêche

consistaient simplement dans de petites pirogues avec un moteur deux temps, qui

toussotait parfois ; cela ne nous gênait pas. Tout ce qui comptait pour nous, c'était de

pêcher.

Aux Comores, on nous indiqua les Seychelles. Un petit rappel : nous sommes en

1972-1973 et les îles des Seychelles, à cette époque, sont aussi inconnues que

Saint-Tropez avant l'arrivée de Brigitte Bardot.

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MAIS POURQUOI NE T’ACHETES-TU PAS UNE ILE ?

Et c'est ici que l'incroyable histoire commence : mon père avait réservé plusieurs

bungalows sur l’île de Bird Island. Tous les jours, nous partions à la pêche. Il avait

loué un bateau à moteur, le TEGA, dont le skipper était Lynn ROBINSON. C'était une

sorte de Bertram modifié avec deux moteurs diesel. La pêche y était fabuleuse. A

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chaque fois qu'une grosse touche se présentait, mon père prenait la canne et

commençait à mouliner. Un jour, alors qu'il ramenait un sailfish sans rostre, l'un

d'entre nous lui lança en rigolant : « J'espère que le prochain ne sera pas sans

queue » ! Et c'est exactement ce qui arriva, il eut un poisson sans queue ! Du coup,

nous avons poussé la plaisanterie plus loin en disant : « Et si le prochain n'avait que

la tête ? »... et en effet, la prise suivante fut un magnifique marlin noir, dont un requin

avait dévoré la queue ne nous laissant que la tête. Nous étions tordus de rire, mais je

ne suis pas certain que papa ait apprécié la plaisanterie. Il y avait des frégates

partout, des dauphins, des requins pèlerins, des orques, des raies Manta, des bancs

de bonites bouillonnants, nous indiquant le garde-manger ; précisément, là où il

fallait se rendre.

L'ennui, c'est qu'à cette époque, le propriétaire de l'île, Guy SAVY, ne souhaitait pas

avoir à nourrir des touristes le soir. Certes, il avait construit quelques bungalows

dans le but d'en accueillir quelques-uns, mais ce qui l'intéressait, c'était surtout de

recevoir des Daily Trippers, c'est-à-dire des touristes à la journée. Un avion arrivait

de Mahé le matin et venait les rechercher vers seize heures le jour même. Quelques

passionnés d'oiseaux restaient bien un jour ou deux, mais pas quinze jours...

En conséquence, le menu du soir était toujours le même : carry de poisson, bœuf ou

poule, et pour dessert en général une salade de fruits en boîte, composée le plus

souvent d'abricots. Quand on y pense, il est assez paradoxal que les Seychelles ne

produisent à l'époque ni fruits ni légumes, car là-bas, tout pousse comme de la

mauvaise herbe.

Un jour, pour plaisanter, Guy et Marie-France Savy dirent à mon père : « Tu ne vas

pas encore rester quinze jours ! », car nous sommes revenus plusieurs fois à Bird

Island, ou encore : « Mais pourquoi ne t’achètes-tu pas une île ? »

Et c'est à la suite de cette plaisanterie autour d'un punch bien alcoolisé, après une

bonne partie de pêche, que l'aventure commença.

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Marie-France Savy, propriétaire de Bird Island

PREMIERE TENTATIVE : L'ILE PLATE 1975

Dans un premier temps, Guy nous a signalé une île à vendre au sud des Seychelles,

aux AMIRANTES : l'île Plate (Platte Island). Pris au jeu, mon père a contacté les

propriétaires à Mahé. Leur représentant, Monsieur Adi KARKARIA, nous a autorisé à

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visiter Plate en nous confiant une lettre pour le responsable de l'île. Mon père a loué

un bateau plus conséquent, le MAKO, un bateau à moteur en aluminium de quinze

mètres, rapide, qui avait une excellente autonomie, car les Amirantes sont très

éloignées de Mahé, la capitale. C'était aussi un bateau fait pour la pêche au gros

avec deux immenses tangons et un fauteuil de pêche superbe.

Nous avons pêché autour de l'île Plate. Il faut savoir que les poissons là-bas sont

gros, très gros - voire remarquablement gros. Moi, petit pêcheur, je faillis même

battre le record du monde avec un thon jaune énorme. Malheureusement, il n'y avait

pas de balance certifiée dans la région et un poisson étant composé à 80% d'eau,

quelques kilogrammes lui manquaient déjà lorsque nous l'avons pesé. Peu importe,

nous n'étions pas là pour battre des records du monde. Par la suite, mon père battra

six records du monde avec un Dogtooth Tuna, thon à dents de chien, poisson

relativement rare sauf aux Seychelles, où l'on trouve pratiquement tous les

poissons : tigres, marlins bleus et noirs, requins marteau, sailfishs, yahoos, thons

jaunes, dorades coryphènes, bonefishs, etc.

Nous avons vite découvert que l'île Plate portait bien son nom : à marée basse, il n'y

a pas ou très peu d'eau. Une île corallienne est presque toujours entièrement ou

partiellement encerclée d'une barrière de corail ; à Plate, il y avait une sorte de platier

tout autour de l’île. En conséquence, à marée basse, il n’y avait pratiquement plus

d’eau, ce qui rendait la baignade impossible. Ma mère a trouvé cela dommage.

Quoique très bien reçus par le responsable de l'île, auquel nous avions remis la lettre

de M. Karkaria, et qui nous fit un excellent repas avec un cochon de lait à la broche

et une pêche exceptionnelle, mes parents décidèrent de ne pas acheter l’île Plate.

Pour la petite histoire, cette île appartient aujourd'hui au Président des Seychelles,

Mr France-Albert RENE.

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Thon jaune pris à l’île Plate en 1975

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PREMIERE VISITE A l'ÎLE DENIS

Nous sommes ensuite retournés à Bird Island. Guy Savy, désespéré, nous signala

une autre île à vendre : l'île DENIS (Denis Island).

Nous sommes donc repartis à Mahé pour rencontrer les propriétaires. Madame

Oliadji et Monsieur Parkar nous ont donné l'autorisation écrite de nous rendre sur

l’île, la lettre étant à remettre sur place à notre arrivée.

De nouveau, nous sommes arrivés en bateau, car bien entendu, à cette époque,

aucune île ne possédait de piste d'atterrissage. Accueillis par Winsley René, le

responsable, nous avons une fois encore mangé un excellent cochon de lait. Aux

Seychelles, le cochon de lait est un peu notre caviar, il est considéré comme le mets

par excellence. C'est un honneur que font des hôtes à leurs invités lorsqu'ils tuent le

cochon pour eux.

Nous avons dormi dans une maison ravissante tout en bois : la Guest House.

Ce qui va suivre ne s'invente pas. Je rappelle qu'au tout début des années soixante-

dix, le tourisme débute à peine grâce à une piste permettant aux gros avions actuels

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d'atterrir à Mahé. Auparavant, les seuls avions qui atterrissaient à Mahé étaient des

hydravions en provenance de Mombassa, au Kenya.

L'Ile Denis vue d'avion en 1970

Tonton Pierre

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NOUS DECOUVRONS UN PETIT PARADIS

Nous visitâmes donc l'île Denis. Ou plutôt, une petite partie, car s'il est possible de

faire le tour de Bird Island en trois heures à pied, il faut au minimum le double pour

l'île Denis avec ses plages de sable fin et mou.

C'est une île qui fait 130 hectares. Bien entendu, pour mon père, c'était comme

visiter le Vatican. Une île comme ça, il n'y songeait même pas : trop grande et

surtout, sans doute, beaucoup trop chère pour lui.

De retour à Mahé, mon père revit Madame Oliadji pour la remercier de nous avoir

autorisés à visiter ce petit paradis, cette île absolument magnifique.

Je ne sais pas pourquoi (mon père non plus, d'ailleurs !), il lui est malgré tout venu à

l'idée de rédiger un courrier dans lequel il signifiait à Madame Oliadji qu'il prenait une

option d'une durée d'un mois pour acheter l'île Denis. Outre cette lettre signée par

Madame Oliadji, mon père laissait une somme de dix mille francs en travellers

chèques, précisant que s'il ne donnait pas suite, cette somme lui était acquise.

Nous sommes rentrés en France. Nous avons repris nos habitudes, oubliant quelque

peu cette histoire de l'île Denis, car mon père n'imaginait pas une seconde qu'il

pouvait en devenir le propriétaire.

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PROPRIETAIRE SUR UN COUP DE POKER

Puis, un évènement tout à fait incroyable arriva : un soir, mon père reçut un appel de

Monsieur Adnan Khashoggi. Ce dernier dit à mon père : « Je suis mandaté par la

Princesse X, sœur jumelle du Shah d'Iran, pour acheter l'île Denis. J'ai contacté la

propriétaire, Madame Oliadji, qui m'a dit qu'il fallait s'adresser à vous, car vous aviez

pris une option d'achat sur l'île. »

Il ajouta : « Monsieur, je ne sais pas à quel prix vous allez acheter l'île Denis mais je

vous en offre dix fois, cent fois, le prix. Car je veux cette île ». Pauvre Monsieur

Khashoggi, il ne savait pas qui était Tonton Pierre !

Pour ceux qui connaissent mon père, et c'est pour eux d'abord que ces quelques

lignes ont été écrites, Monsieur Khashoggi avait dit exactement ce qu'il ne fallait pas

dire. Mon père a toujours détesté être défié et dans ces cas-là, il met un point

d'honneur à ne pas céder.

Petite anecdote qui explique très bien son caractère : au bridge par exemple, même

si vous avez demandé un petit schlem, car vous avez un très bon jeu, il est capable

de demander un grand schlem. Ce n'est pas pour vous embêter, mais il se dit que

peut-être, il pourra avoir une meilleure main par la suite. Et je précise que ce n'est

pas une question d'argent ; le seul fait de perdre le mettait hors de lui. Lorsque cela

avait le malheur de lui arriver, il se mettait dans des colères épouvantables.

Il répondit à Monsieur Khashoggi, l'homme le plus puissant du monde tout de même,

conseiller des Emirs du Golfe pour l'Europe et propriétaire du yacht NABILLA (qui

avait à bord hélicoptère, salle d'opération, chirurgiens, anesthésistes, etc.) : « L'île

Denis n'est pas à vendre, c'est moi qui l'achète ».

A ce moment précis, mon père ne connaît absolument pas le prix de l'île, il n'imagine

pas une seconde qu'il va l'acheter, mais il joue au poker, ce qu'il fit toute sa vie dans

les affaires, mais jamais avec les cartes.

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Il n'avait maintenant plus d'autre choix que d'envoyer un télex à Madame Oliadji :

« Dear Madam, could you please tell me how much you want to sell Denis Island.

Regards, Pierre BURKHARDT ».

Et Madame Oliadji de lui répondre : « Make me an offer ».

Là, j'ai vu que mon père avait un problème. En effet, cette femme devait être une

redoutable femme d'affaires : sa réponse était excellente.

Que faire ? Que dire pour ne pas passer pour un imbécile ? Mon père venait de

vendre un grand appartement, car nous quatre, ses enfants, avions quitté le domicile

familial. Sa proposition d'achat fut donc le prix de vente de cet appartement ; « un

montant ridicule », pensait-il, « pour acheter une île de cent trente hectares ».

Toutefois, aussi incroyable que cela puisse paraître, Madame Oliadji accepta l'offre.

Et c'est ainsi que Tonton Pierre devint propriétaire de l'île Denis.

Si vous souhaitez savoir ce qu'il advint de Mr Khashoggi, il acheta à la place les Iles

de Darros et Saint Joseph dans les Amirantes pour le Prince Iranien Shahram

Pahlavi-Nia. Ces îles ont été revendues en 1999 à Madame Bettencourt, propriétaire

de l'OREAL.

Et c'est ainsi que la réalité dépassa la fiction : nous étions devenus propriétaires

d'une île aux Seychelles.

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MA VIE BASCULE

Après l'achat de l'île Denis, rien ne sera plus jamais pareil. Ma vie allait basculer

dans un univers totalement inconnu. C'est aussi l'histoire de Tom et de Guy, les fils

de Pierre Burkhardt, qui commençait sur l'île.

A l'époque, j'ai vingt-deux ans. Je viens de me marier avec l'amour de ma vie, une

jeune et très belle jeune fille, Caroline. J'habite Paris et je suis des cours de droit à la

fac d'Assas pour devenir avocat. J'ai rencontré Caroline à l'Ecole des Roches, à

Verneuil-sur-Avre, en Première. Je suis tombé fou amoureux de Caroline, qui arrivait

d'Abidjan où elle avait habité avec ses parents.

Lorsque mon père nous a déclaré un jour : « Maintenant, vous partez aux

Seychelles pour vous occuper de l'île Denis ». Je me suis dit : « Bon, OK, no

problem ! ». Quoi qu'il en soit, lorsque mon père disait quelque chose, on ne discutait

pas. Et puisqu'il était toujours PDG de sa société dont les bureaux étaient sur les

Champs Elysées, il ne pouvait quitter la France, donc je n'avais pas le choix.

Je ne me rendais absolument pas compte de ce qui se passait. J'étais dans le même

état que les gens qui viennent de réaliser qu'ils ont gagné au Loto. Je venais juste de

découvrir que j'étais un aventurier, prêt pour l'action. Je ne vais pas expliquer qui je

suis, tous ceux qui me connaissent le savent sûrement mieux que moi !

Ce jour-là, j'ai sans doute fait la plus grande bêtise de ma vie ; je devais le payer très

cher plus tard. A ce moment-là bien sûr, je n'en savais encore rien. Ordre m'avait été

donné de me rendre aux Seychelles. J'ai obéi, un peu comme un soldat. J'avais

d'ailleurs fait mon service militaire peu de temps avant et m'étais retrouvé à

Coëtquidan avec l'élite des Officiers de l'Armée de terre.

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L'ARRIVEE A MAHE, Capitale des Seychelles

Arrivés à Mahé, nous avons loué avec Caroline une chambre d'hôtel. Je ne saurais

trop dire pourquoi, j'avais mis une pancarte sur la porte avec écrit « île Denis ». A la

suite de quoi, le lendemain, cinquante Seychellois se trouvaient assis dans le couloir

dans l'attente de se faire embaucher. Ca commençait bien !

A l'époque, il y avait un bateau du nom de « Schooner », une sorte de bateau de

pêche en bois avec un mat et une voile, qui ravitaillait l'île tous les trois mois. Il

apportait du riz, du sel, du sucre, des médicaments, etc…, ainsi que les denrées dont

les employés avaient besoin. J'emploie le terme employés, car il n'y avait pas de

population locale sur l'île. En effet, Denis Island étant une île privée, tous étaient

employés du propriétaire, ex Société de Madame Oliadji. Ils recevaient tous

l'équivalent de cinquante francs par mois et étaient nourris par l'employeur : c'était la

loi de l'époque sur les îles. J'avais constaté que tous étaient en pleine forme. Même

si mes paroles peuvent vous choquer, je peux vous dire que lorsque ce système a

été aboli et que les salaires ont été augmentés, ils se sont mis à acheter des biens

accessoires (de la bière, des radios, des vêtements, etc…) ; du coup, ils se sont

moins bien nourris et leur santé en a pâti.

A l'époque, le Schooner ne venait que tous les trois mois. Si vous tombiez malade

entre-temps, vous étiez immédiatement dirigé sur un bâtiment appelé L'HÔPITAL,

afin d'éviter les contagions ; un lieu où vous aviez toutes les chances de mourir. Les

premières victimes étaient les enfants ; le cimetière de l'île en est la triste preuve.

Quand le Schooner repartait, il emportait toutes les noix de coco récoltées par les

employés sous forme de coprah. Pour l’obtenir, on casse la noix en deux et on la fait

sécher dans un fumoir ou au soleil. Il faut que la chair reste blanche. Ensuite, on met

le tout dans des sacs de jute.

Nous avons loué un schooner pour aller sur l'île et faire le point sur tout ce qu'on

devrait apporter.

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ENFIN SUR L'ILE

Avec Caroline, nous nous sommes installés dans la Guest House. Il n'y avait pas

d'électricité, pas d'eau courante, mais nous avions un W.C.

A ce sujet, voici une expérience que je n'oublierai jamais : pour aller aux toilettes, on

entrait dans une petite cabane en tôle ondulée avec un toit. Derrière, il y avait une

échelle avec un petit château d'eau et une bassine de cinquante litres environ qu'un

employé venait remplir avec un seau à chaque fois que nous y allions. Les W.C.

étaient posés sur des planches en bois ; on pouvait voir un grand trou noir et

entendre l'eau couler au fond. Je ne parle pas de l'odeur, l'air étant à une

température de 30°C, vous imaginez.

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ETAT DES LIEUX

Nous avons établi une liste des tâches à entreprendre visant à améliorer la qualité de

vie des habitants de l'île et faciliter la venue d'invités payants.

- Créer un réseau électrique en installant des générateurs. Les installer dans un

endroit où leur bruit ne sera pas une gêne ; en revanche, pas trop loin des

habitations.

- Créer un réseau d'eau potable en installant des pompes et construire un château

d'eau pour avoir de la pression.

- Bâtir de nouveaux bâtiments pour les clients et nous-mêmes, réparer les bâtiments

existants (certains datant de 1897).

- Construire des logements pour les employés.

- Faire venir de Mahé des tracteurs et des remorques.

- Importer des poules, des cochons et des vaches.

- Planter un potager.

- Créer une piste d'atterrissage.

En effet, à l'achat de l'île, le gouvernement nous a imposé de développer

l'agriculture. Bâtir une Arche de Noé, en quelque sorte ! De plus, Tonton Pierre

souhaitait construire quelques bungalows pour accueillir ses amis pour des parties

de pêche. Moi, je devais tout organiser en veillant au respect de ses souhaits.

Nous sommes passés de quelques bungalows à une douzaine, puis à deux

douzaines, afin de créer un ensemble hôtelier. En effet, je ne me voyais pas

m'occuper de quelques bungalows en attendant que mon père vienne de France de

temps à autres pour aller pêcher.

Nous avons donc fait venir une barge de débarquement tractée par deux

remorqueurs. L'arrivée sur la plage fut très périlleuse. Sur la barge se trouvait entre

autres un D6 Caterpillar pour faire des chemins et nous aider à faire la piste. La

barge n'était pas stable et comme il n'y avait pas de porte avant, il fallait que le

Caterpillar, qui pesait plusieurs tonnes, escalade le fond de la cale pour ensuite

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redescendre une autre rampe. Or, la plage était ainsi faite que les rampes formaient

un accent circonflexe, ce qui rendait la manœuvre extrêmement délicate. Personne

n'avait trop envie de piloter le Caterpillar. Finalement, c'est Lynn qui se dévoua

courageusement. Avec les vagues, la barge qui bouge, le poids du Caterpillar, ce qui

devait arriver arriva : la rampe céda et le Caterpillar se retrouva presque à l'envers.

Finalement, après des heures d'effort et en utilisant sa propre pelle à l'avant, nous

avons réussi à sortir l'engin de sa mauvaise position. Si nous avions échoué, tout

repartait à Mahé. Avec sa pelle, le Caterpillar a creusé une rampe de sable et nous

avons enfin réussi à tout extraire de la barge. Il fallait faire ça à toute vitesse pour

éviter l'enlisement des tracteurs, des remorques et générateurs et de tout le matériel.

La rampe s'effondre sous le poids du D6 Caterpillar...

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RAVITAILLEMENT EN RASE-MOTTES

A l'époque, mon père avait engagé le skipper de Tega, Lynn Robinson. Il avait le

nom parfait pour cette aventure. Son épouse, Aggie, était restée à Mahé où elle était

instructrice à l'Aéroclub. Son aide nous fut très précieuse : elle volait en rase-mottes

au-dessus de l'île pour nous jeter le courrier et les pièces détachées.

Mon frère Guy était venu se joindre à l'expédition et vivait sur l'île de Mahé. Il venait

avec Aggie nous ravitailler par les airs. Avant de décoller de Mahé, il emportait des

sacs plastiques remplis de sable, qui lui servaient à tester la direction du vent et voir

où tomberaient les colis ensuite. En effet, il ne fallait pas que des lames de scie par

exemple, d’un diamètre supérieur à un mètre, nous coupent en deux ou nous

tombent sur la tête.

Premier atterrissage sur l’île Denis 31 août 1976

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CONSTRUCTION DE 24 BUNGALOWS A L’ABRI DES ARBRES

S'ensuivirent des mois et des mois de (re)construction, de débarquements de

schooners apportant employés, vivres, matériel, barils de gas-oil, câbles électriques,

bois, sacs de ciment et repartant toujours avec le coprah. Débarquer des vaches et

des cochons d'un voilier pour les amener sur la plage n'était pas chose facile mais,

sachez-le, les vaches nagent très bien !

Nous avons déposé un permis de construire pour vingt-quatre bungalows, pour le

bâtiment principal qui abriterait les bureaux, pour la boutique, le restaurant, le bar et

les cuisines, la chambre froide, les réserves, et la salle à manger du personnel. Au

bout de plusieurs mois, n'ayant toujours pas de réponse au sujet du permis de

construire, nous avons pensé que c’était ok et avons entrepris les travaux.

Nous avons alors commencé à importer les matériaux de construction (bois, ciment,

carrelage, feuilles de latanier venant de Praslin pour les toits), ainsi que des

baignoires, des bidets, des chauffe-eau, de la robinetterie, etc.

Il était prévu au départ douze bungalows en bord de mer, mais les Seychelles étant

extrêmement tatillons au sujet de l'environnement, il ne fallait pas que les

constructions se voient depuis le large.

A ce sujet, encore une petite anecdote. J'espère que Guy Savy ne m'en tiendra pas

rigueur. Guy avait construit sur Bird Island une douzaine de bungalows très

agréables. Les oiseaux rentraient à l'intérieur. Certains se prenaient dans le

ventilateur au-dessus du lit, tout ceci dans un bruit d'enfer : un vrai paradis... Il y avait

en effet un « hic » : l'aspect des îles des Seychelles se modifie en fonction des

courants, des marées, des vents. Si vous prenez une photo aérienne de Bird Island

deux fois par an, à six mois d'intervalle, vous n'aurez jamais la même forme. L'île se

modifie en permanence. Hélas pour Guy, il avait construit ses bungalows trop près

de l'eau, car il ignorait ce point important. Un jour, suite à des courants

particulièrement violents et/ou à des vents capricieux, la forme de l'île se modifia

tellement que tous ses bungalows disparurent, emportés par la mer et le sable.

Incroyable, n'est-ce pas ? Guy dut par la suite reconstruire tous ses bungalows.

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Nous ne le savions pas lorsque nous avons construit les nôtres, mais Tonton Pierre

avait décidé de les mettre assez en retrait : à l'abri, pensait-il, des arbres. L'idée

paraissait bonne car de cette façon, il ne ferait pas trop chaud à l'intérieur des

bungalows. L'inconvénient, vous le devinez, c'était justement la présence des arbres.

Plantés dans du sable, ils étaient immenses, très beaux, remplis d'oiseaux... ils

avaient cependant le mérite de bien masquer les bungalows. Mais combien avons-

nous dû en couper pour éviter une catastrophe (oiseaux, branches, noix de coco...) !

Nous nous en sommes plutôt bien sortis. Un ou deux toits ont certes été

endommagés par la chute de grosses branches, mais sans jamais faire de blessés.

Mon père, très occupé par ses affaires, venait nous voir le plus souvent possible de

Paris pour nous faire part de ses instructions. Nous avons par conséquent construit

le bungalow type tel que décidé par mon père. Pour ceux qui se rendraient sur l'île

Denis, il s'agit du numéro huit.

Il est difficile de s'imaginer tout ce qu'il est nécessaire de réunir pour une telle

entreprise, si l'on n’y a pas soi-même été confronté. Un des problèmes majeurs était

le manque de quelque chose, car il fallait attendre le schooner suivant. Sans compter

qu'à Mahé, il y avait souvent des ruptures de stock, qui pouvaient durer des mois

pour certaines marchandises.

Il fallait donc s'adapter. Commander, par exemple, des containers en Afrique du Sud,

en France, à Singapour. Parfois, la moitié de la livraison était abîmée ou cassée ou

bien une partie disparaissait, « s'évaporait dans la nature ». Ceci arrivait en règle

générale à Praslin, où le schooner s'arrêtait le plus souvent. Quelques fûts de gas-oil

ou autres sacs de riz étaient notamment débarqués là pour une raison que j'ignore.

Pour preuve, la liste fournie à Mahé au capitaine par le bureau ne correspondait

pratiquement jamais à ce que nous recevions sur l’île.

Ce n'était ni de la piraterie ni du vol (les Seychellois savent que je les adore !), c'était

en quelque sorte un « troc », au cours duquel on remplaçait par exemple du gas-oil

par de l'eau...

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27

La meilleure façon de s'assurer que la marchandise arrivait à bon port était de faire le

voyage soi-même avec la livraison.

Mais un schooner, c'est aussi un bateau de pêche sans cabine. Ce qui signifie qu'il

faut avoir le cœur bien accroché pour faire le voyage ! Je dormais sur le pont au

milieu des odeurs de poisson séché et des sacs de ciment.

Heureusement aux Seychelles, la mer est calme et les bateaux sont en bon état

avec de bonnes pompes de cale. Le voyage dure douze heures. Il fait une chaleur

écrasante. Il n'y a pas de protection contre le soleil. Pour économiser un maximum

de temps, la navigation se fait de nuit avec une arrivée le matin. On ne débarque rien

après 18 heures car il fait déjà nuit. Comme il n'y a ni port ni jetée sur l’île, c'est un

petit bateau, appelé le Zie Boat, qui fait la navette avec son moteur de neuf chevaux.

Le schooner étant à trois cents mètres environ de l'île, le déchargement prend une

journée.

Les bungalows étaient relativement simples à construire avec une fondation en

ciment en forme de losange. D'un côté, la salle de bain avec baignoire et bidet,

lavabos, W.C. ; de l'autre côté, un bureau, une penderie, un petit coffre-fort. Au

milieu, deux lits d'une place recouverts par une magnifique moustiquaire avec au

plafond, un ventilateur à vitesse variable ; devant le lit, une baie coulissante en bois

avec vue sur la mer ; à l'extérieur, une petite douche et une terrasse, un endroit idéal

pour lire ou siroter un whisky-coca, sauf vers 18h30 : à ce moment-là, le soleil se

couche et c'est l'attaque en règle des moustiques ; attaque qui dure environ une

heure. On en profite pour prendre sa douche et se préparer pour le dîner.

Nous avions installé des fenêtres partout ; l'air circulait bien, c'était délicieux... Mis à

part qu'aux Seychelles, le vent souffle six mois dans un sens et six mois dans l'autre.

Sachant cela, nous avions construit douze bungalows d'un côté et douze de l'autre,

mais cela signifiait aussi que si vous habitiez un bungalow du « mauvais côté », vous

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n'aviez pas d'air. Et comme l'humidité était de quatre-vingt-cinq pour cent, le séjour

en devenait beaucoup moins agréable. Seuls les habitués exigeaient un bungalow

du bon côté.

La pointe Ouest de l'Ile. On aperçoit le toit du bâtiment principal mais les bungalows

sont cachés par les arbres, ce qui était une obligation du Gouvernement. On ne

devait pas voir les constructions de la mer.

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DES TOMETTES EN MILLE MORCEAUX

Certains murs des bungalows étaient en bois, d'autres en ciment. Le carrelage

intérieur avait été réalisé en tomettes rouges, tomettes connues dans le Sud de la

France. Elles avaient été expédiées de France, débarquées du bateau à Mahé,

chargées sur un camion et stockées, avant d’être réembarquées sur le schooner ;

elles avaient été réembarquées à bord du « Zie Boat », débarquées sur la plage,

puis chargées sur la remorque du tracteur pour être enfin acheminées vers les

bungalows. Vous l'aurez compris, il ne restait plus à ce stade que quelques tomettes

à poser ! Tonton Pierre a dû dépenser une fortune pour l'achat de ces tomettes,

mais il y tenait dur comme fer.

Outre les complications dues au transport, elles avaient d'autres inconvénients : elles

étaient très difficiles à entretenir et étaient très glissantes. Aussi, pour la terrasse

extérieure des bungalows, avons-nous changé de tactique. Nous avons importé des

pierres noires plates d'ardoise. Elles aussi se retrouvèrent en petits morceaux (pour

les mêmes raisons de transport), mais nous pûmes tout de même en faire un

carrelage en joignant les morceaux avec du ciment.

J'explique ce point en particulier pour ceux qui sont venus sur l'île et qui ont pu

constater ces deux types de carrelage.

Page 30: Ile Denis 2013

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GARE AUX CENTS PIEDS

Le bungalow avait cette particularité qu'il n'avait pas de plafond. De votre lit, vous

pouviez ainsi contempler la charpente dans son intégralité. L'effet était saisissant,

mais comme toute médaille a son revers, les résidents des bungalows avaient droit à

une chute régulière et conséquente de petits insectes en tout genre ; le plus

redoutable était le « cent pieds », une horrible bestiole qui se cache sans bouger

sous votre oreiller ou sous vos draps et qui vous pique avec son venin redoutable,

relativement dangereux. Une piqûre sur le nez par exemple et l'effet était garanti.

Un jour, Pierre Perret en fit les frais : il se fît piquer au doigt. Pour quelqu'un qui joue

de la guitare, c'est très embêtant, mais il prit ça avec beaucoup d'humour. C'était

vraiment Pierre Perret !

A chaque fois qu'un client se faisait piquer par un « cent pieds », nous prenions un

air très surpris : « Tiens, ça alors, c'est extraordinaire, vous avez une réaction bizarre

à une piqûre de moustique ? Vous êtes peut-être allergique ? C'est peut-être une

piqûre d'araignée ? ». Il était très rare que les gens trouvent le coupable, car un cent

pieds, dès qu'il vous a piqué, s'en va à toute vitesse et est pratiquement invisible

avec sa couleur marron, la couleur du bois verni.

Qu'avons nous fait pour remédier à cela? Il est entendu que dès que nous faisions

face à un problème, nous avons toujours essayé de lui trouver une solution. La

première, en l'occurrence, consistait à donner aux femmes de chambre une mission

supplémentaire : chercher les cents pieds.

Page 31: Ile Denis 2013

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La deuxième solution fut de laisser des poules en liberté autour de l'hôtel et du

restaurant, plus particulièrement du côté des bungalows. Les gens n'ont jamais

compris pourquoi il y avait des poules dans un hôtel. Voici donc un secret que je

vous révèle aujourd'hui.

En parlant de secret... Il est aussi arrivé que certains clients se fassent chatouiller les

pouces dans leur lit... Aujourd'hui, je peux lever le voile sur le mystère, il y a

prescription : c'étaient des rats, très friands des produits cosmétiques venus de

France.

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ENFIN UNE PISTE D'ATTERRISSAGE

Quand la construction des bungalows fut terminée, ainsi que la piste d'atterrissage,

je suis allé à Paris pour négocier avec les Tour-Operators. Notre parrain fut Africa

Tours, qui nous mit une pleine page dans son catalogue. Puis Kuoni, Jet Tours et

MVM, suivirent.

Bien entendu, les « invités payants » n'allaient pas faire le voyage en bateau. Il

fallait, pour faire venir les clients, construire une piste d'atterrissage. Mais comment

construire une piste de 1,8 km avec l'aide de seulement quelques hommes ? Mettre

en place un tel travail sur un sol en corail recouvert de guano et de forêt vierge

s'annonçait mission impossible. Selon la formule consacrée de l’île, « doucement le

matin, pas trop vite l'après-midi », nous nous sommes attelés à cette tâche avec

détermination.

L'Aviation Civile Seychelloise nous avait donné les instructions nécessaires : la

direction des vents, la longueur de la piste, la nécessité de poser du gazon sur cent

mètres et d'avoir un dégagement de cent mètres également de chaque côté de la

piste, sans cocotiers ou autre espèce d’arbres.

Pour créer une piste, le plus important est donc de choisir le bon angle. Une erreur

aurait été fatale, l'Aviation Civile des Seychelles n'aurait jamais autorisé les avions à

se poser sur l'île. C'est ce qui arriva à notre ami Guy Savy, propriétaire de Bird

Island, qui fut dans l'obligation de reconstruire sa piste.

Ce problème de cocotiers ne tarda pas à se présenter à nous. L'île Denis était en

effet recouverte de cocotiers, mais aussi de takamakas, de cèdres et autres

Casuarinas. Chaque noix non ramassée faisant un cocotier, on se trouvait

littéralement dans la jungle.

Sûrs de nous, nous avons commencé à tronçonner un cocotier. Il est tombé sans

problème. Chaque cocotier a un cœur que l'on appelle, cœur de palmier, vous en

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mangez de temps en temps. Sachez qu'il faut abattre un cocotier pour en extraire le

cœur, qui se trouve à la base des feuilles.

Nous avons mis huit heures pour enlever les racines. Au bout de quelques heures,

nous nous sommes dit qu'il y avait un problème : c'était mission impossible ! Il fallait

entre autres tailler dans le corail, dur comme la pierre, pour enlever les racines ; je

me suis dit que c'était de la folie.

ATTILA : UNE AIDE PRECIEUSE

Puis, nous avons eu l'idée d'acheter un D6 Caterpillar. La difficulté fut d'abord de le

transporter jusque sur l'île, qui ne présente aucune infrastructure facilitant le

débarquement. Jugez plutôt : peu d'eau autour de l'île et des massifs de corail

partout, prêts à faire couler votre bateau si vous ne connaissez pas les fonds marins.

On ne peut même pas se fier aux cartes marines, qui sont d'une précision très

incertaine. De plus, le corail est un élément vivant qui ne cesse de croître. Pour

corser le tout, Mahé, l'île principale de l'archipel, est toute petite. Ce n'était donc pas

une mince affaire que d'y trouver un D6 Caterpillar en bon état et à vendre. J'ai

expliqué plus tôt la façon dont s'est déroulé le débarquement de l'engin sur l'île :

toute une histoire !

Baptisé « ATTILA », il nous fut toutefois bien utile. En effet, en mettant sa pelle le

plus haut possible, on pesait sur le tronc et avec le poids des feuilles et des noix de

coco, l'arbre basculait et les racines sortaient toutes seules. L'ennui, c'était que le

pilote de l’engin risquait de se prendre les noix de coco sur la tête. Nous avons donc

dû fabriquer un toit et le souder pour éviter un accident mortel.

Un fait intéressant : lorsque vous vous promenez sur un chemin bordé de cocotiers,

le chemin n'est jamais droit : il serpente entre les arbres. Ce n'est pas à cause des

racines, comme on pourrait l'imaginer, mais à cause du sommet des cocotiers ; de

cette manière, on évite de marcher sous les arbres et de se prendre une noix de

coco sur la tête. Nous avons par ailleurs perdu un cochon, tué par une noix de coco.

Je l'avais appelé Nesquick, il me suivait partout.

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Nesquick, mon premier animal de compagnie

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UN TRAVAIL DE TITAN

Nous avons réussi à faire une piste magnifique en utilisant le bulldozer en marche

arrière pour niveler le sol. Le manœuvrer demandait beaucoup d'habileté et de

patience. Le moindre virage à gauche ou à droite ne s'effectuait pas en tournant les

roues, mais exigeait l'arrêt de la chenille de gauche ou de droite. Parfois, il perdait

une chenille. Ou alors elle cassait. Remettre une chenille en place était un boulot

d'enfer. Ce, sous une chaleur écrasante 30°C à l'ombre - quand vous aviez la

chance d'être à l'ombre ! Grâce à lui, nous avons commencé à faire tomber les

cocotiers les uns après les autres. Avec de grosses chaînes, il fallait ensuite les

déplacer pour continuer le travail. Une fois une zone dégagée, il fallait continuer,

continuer, continuer. Continuer des semaines durant. Niveler le sol, enterrer les

souches, casser le corail, récupérer les arbres, dont le bois nous servirait

ultérieurement : que d'efforts et d'épuisement !

Nous avons fait des orgies de cœurs de palmier ; avec une larme à l'œil, sachant

que nous étions en train de détruire ces beaux cocotiers. Nous avions assez de

cœurs de palmier pour nous nourrir pendant des années.

Quand le Caterpillar tombait en panne, on ne pouvait faire autrement que de le

réparer, car à la main, nous en aurions eu pour encore des mois. Je ne sais pas

comment Guy Savy avait réussi à faire sa piste dix ans auparavant : lui n'avait pas

de Caterpillar D6. Ce furent des hommes à mains nues et munis de simples scies, de

pelles et de pioches, qui retirèrent une à une les racines de ces cocotiers ; un travail

herculéen.

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Lorsque le premier avion a atterri, j'ai pleuré. J'ai pleuré, car je trouvais injuste que

ces gens puissent se rendre sur l'île en quarante minutes, alors qu'il me fallait à moi

douze heures pour y parvenir en bateau, au milieu des odeurs de gas-oil et de

poisson séché, sur une mer pas toujours clémente. De plus, ils ne pouvaient pas

s'imaginer une seule seconde que la piste ne s'était pas faite d'un claquement de

doigts. Le beau gazon de la piste, lorsqu'il n'était utilisé ni pour décoller ni pour

atterrir, se transformait en practice de golf.

AVANT…………………………..……………………………APRES

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RENDRE L'ILE HABITABLE

Comment avons-nous procédé pour l'eau ? Premièrement, en regardant jusqu'où

allait la végétation sur la plage, on avait une bonne idée de l'emplacement de la

nappe phréatique. Ensuite, il faut savoir que l'eau douce est plus légère que l'eau de

mer ; si l'on creuse le sol à l'endroit où la végétation pousse, on va tomber sur de

l'eau douce, avant de rencontrer l'eau de mer. De plus, le corail est un excellent filtre

d'eau de mer.

Après avoir creusé des puits un peu partout (chacun à 300 mètres du château d'eau,

dont les trois réservoirs en fibre de verre s'élevaient à une hauteur de 15 mètres),

nous avons installé des pompes pour recueillir l'eau très doucement. Mais il fallait

également prendre en compte les marées : à marée basse, l'eau disparaissait du

puits. Et en creusant trop profondément, nous arrivions à l'eau de mer. Nous avons

enfin pu résoudre le problème avec des flotteurs, mais ce fut loin d'être évident :

cette eau n'était pas potable. Certes, on pouvait l'utiliser pour se doucher ou se laver

les mains. En revanche, à la cuisine et au bar, il nous fallait de l'eau potable. Nous

avons donc construit un grand réservoir pour capter l'eau de pluie à l'endroit où se

trouvaient le workshop et la blanchisserie, ainsi qu'une grande réserve pour les

boissons et pour cuire la nourriture.

Ensuite, nous avons creusé jusqu'au bâtiment principal à huit cents mètres, à raison

de trois mètres par jour seulement, car il est extrêmement difficile de creuser dans le

corail.

Page suivante: le toit du bâtiment principal

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LE BAR

Les générateurs furent installés, la cuve à gas-oil également. Il n'était pas évident de

la remplir à l'aide de fûts de gas-oil tout ronds et cabossés. Les lignes électriques

furent enterrées et les fosses septiques creusées à raison d'une fosse septique pour

deux bungalows. Nous avons installé des machines à laver, mis en place un atelier

avec tout le nécessaire pour pouvoir nous-mêmes entreprendre les réparations. En

effet, ne disposant pas de pièces détachées, nous devions les fabriquer sur place.

On appelle ça « faire un zapon » (ou « système D »). Nous avions un tour, un poste

à souder, ainsi que quelques magiciens dans ce domaine.

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Le plus grand magicien que je connaisse s'appelle Charlie Marzocchi. Lorsque nous

étions vraiment coincés, il répondait présent et parvenait toujours à trouver une

solution de réparation. Il nous a tiré de situations extrêmement délicates ; sans lui,

nous n’aurions souvent pas pu nous en sortir.

Mes parents habitaient « Bois Blanc ». L’ensemble était composé d'une maison

principale (qui était la copie de la Guest House du village), d'un second bungalow où

j'habitais (la case de l'Oncle Tom), d'un bungalow appelé le Farteau, qui servait de

refuge à Tonton Pierre pour écrire, et d'un autre bungalow immense et tout rond qu’il

avait appelé « la Maison Blanche », avec au centre une immense grande table

ronde.

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Mon père fit même construire une chapelle où plusieurs mariages furent

célébrés.

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JAMAIS EN MANQUE D'EAU OU D'ELECTRICITE

Ainsi, les bungalows étaient très chaleureux. Tonton Pierre avait insisté pour que

chaque bungalow soit équipé d'une baignoire : lui-même prenait un bain tous les

soirs. Nous vivions tous avec la climatisation, calfeutrés à l'abri des moustiques, des

cent pieds et des rats... mais nous n'avions pas de bidet !

Nous avions souvent des problèmes de générateurs car bien entendu, tout le monde

prenait sa douche en même temps (enfin, sa douche dans la baignoire). Et puis, les

femmes utilisaient souvent un fer à repasser ou un sèche-cheveux entre 18h30 et

19h30. Combien de pannes de courant avons-nous connues, je ne saurais les

compter. Idem pour l'eau. Bien que nous ayons installé trois immenses réservoirs

d'eau, les trois cuves étaient rapidement vidées, car nos chers hôtes consommaient

l'eau comme s'ils étaient chez eux, en France, voire peut-être plus..., puisque

justement, ils n'étaient pas chez eux (si vous voyez ce que je veux dire) !

Nous avons essayé de remédier à tous ces problèmes et dans l'ensemble, je crois

que nous y sommes parvenus. Les clients ne nous en tenaient pas rigueur. Ca

coinçait tout de même un peu lorsqu'ils ne pouvaient pas utiliser les toilettes.

Pour ce qui est des fosses septiques, elles n'ont jamais eu à être vidangées, mais

nous n'avons jamais endommagé la nappe phréatique. Ce dernier aspect était

crucial, car nous pompions cette eau pour les douches, les lavabos, etc. De temps à

autres, nous faisions des prélèvements. A part le fait que cette eau était légèrement

salée, elle ne comportait pas de germe dangereux pour la santé. Chaque bungalow

avait son thermos d'eau douce, exclusivement pour boire. Cette eau était de l'eau de

pluie, dont nous n'avons jamais manqué.

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PANIQUE, LES INSPECTEURS ARRIVENT

Lorsque les travaux furent terminés, nous avons reçu un message de Mahé disant :

« Des inspecteurs viennent voir où vous souhaitez installer les vingt-quatre

bungalows et les bâtiments principaux ». Ils sont arrivés avec l'avion d'Inter Island

Airways, la compagnie d'Aviation de l'époque (qui s'appelle aujourd'hui Air

Seychelles), un bimoteur de neuf places.

C'était la panique, mais nous avions décidé d'avoir l'air très détendu. A leur arrivée,

les inspecteurs eurent un mouvement de recul en apercevant les bâtiments. Ou bien

ils allaient nous ordonner de tout démolir, ou bien ils allaient nous donner leur feu

vert.

Les voilà qui sortent les plans, leur mètre et commencent à mesurer. Bien entendu,

les bungalows étaient exactement là où ils étaient prévus. Les bâtiments principaux

aussi. Nous les invitons à déjeuner et nous leur offrons quelques tee-shirts et cartes

postales. Ils repartent apparemment satisfaits. A l'avenir, nous aurons encore

quelques frayeurs du même type.

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Un exemple : comme le soleil se lève vers 6h15 et se couche à environ 18h30, mon

père pensait qu'il serait plus convivial que les clients se lèvent plus tôt et viennent

dîner à 19h30. Il a donc décidé d'avancer l'heure de l'île Denis. Quand les gens

arrivaient, nous les informions d'avancer leur montre d'une heure. L'idée était géniale

et mon père n'a jamais compris pourquoi les Seychelles n'adoptaient pas cette idée.

Pendant vingt ans, les responsables du gouvernement nous ont constamment

menacés de pénalités dans le cas où nous ne nous remettrions pas à l'heure locale,

mais mon père n'a jamais cédé. Il était comme ça, Tonton Pierre.

LES BUNGALOWS SOUS LES COCOTIERS

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OUVERTURE OFFICIELLE EN DECEMBRE 1977

L'hôtel ouvre officiellement en décembre 1977. J'avais fait faire un Livre d'Or avec

cette date écrite en lettres d'or.

A la fin de mon récit, vous trouverez quelques pages des trois Livres d'Or. Je trouve

amusant de découvrir les mots laissés par des personnes que l'on connaît

personnellement ou dont on a beaucoup entendu parler. Comme je l'ai déjà

mentionné, sont venues les personnalités les plus notables du cinéma (acteurs et

metteurs en scène), du sport, de la télévision, de la musique, de l'édition et du

gouvernement.

L'arrivée des premiers clients s'effectua sans problème : les tour-operators nous

envoyaient leurs clients. A l'époque, les Seychelles étaient très à la mode. Ceci était

dû au Président des Seychelles fraîchement élu, James Mancham. C'était un

playboy, (a)mateur de jolies femmes et poète. Il invitait tous les magazines à faire

des photos de mode à La Digue, où les plages sont vraiment magnifiques. Après le

coup d'Etat de France Albert René en 1977, l'atmosphère changea un peu, mais les

Seychelles restèrent aussi connues qu'un célèbre petit port sur la Côte d'Azur

découvert par Brigitte Bardot.

Notre politique a toujours été de protéger nos clients renommés des paparazzis,

donc nous n'avons jamais accepté de photographe sur l'île.

Un jour, nous avons reçu une demande de réservation d'une famille célèbre qui vit

sur un rocher à Monaco. Ils voulaient réserver tout l'hôtel. Mais Tonton Pierre a

refusé, ne leur réservant que douze bungalows. La réservation fut toutefois

confirmée et c'est seulement la mort accidentelle de l'épouse du Prince, qui entraîna

l’annulation de leur réservation.

Page 46: Ile Denis 2013

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Un autre jour, je me souviens, un chanteur célèbre a voulu réserver un bungalow.

Lorsque j'ai dit son nom à mon père, il m'a dit : « Connais pas ! ». Je lui ai dit : « Mais

c'est PRINCE, il est super important, très célèbre ! ». Il m'a répondu : « Et alors ? ».

Personne n'a jamais impressionné Tonton Pierre ; un trait de caractère assez curieux

et original chez lui.

Sur ce point, sa manière de gérer certaines affaires pouvait paraître totalement

exubérante : lorsqu'il voulait par exemple faire passer un message au Président des

Etats-Unis concernant tel ou tel sujet et qu'il pensait avoir la bonne solution, il lui

écrivait directement. Le plus étonnant est qu'on lui répondait.

Il avait fait ses études de droit avec François MITTERRAND. Il lui arrivait de lui écrire

pour lui faire part de ses idées à propos d'un sujet ou d'un autre. Il n’hésitait pas à lui

donner des conseils.

Par ailleurs, il connaissait bien Valéry GISCARD D'ESTAING, avec qui il avait

voyagé en Union Soviétique quand il était industriel pour y construire des usines de

pâte à papier. En outre, c'était une connaissance proche de certains premiers

ministres et ministres ; cependant, discrétion oblige, je ne peux pas en dire plus.

Pierre Burkhardt en bateau

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QUELQUES ANECDOTES

Le voleur de soutien-gorge : une invitée prenait un bain de soleil sans soutien-

gorge, les yeux fermés. Quand elle les ouvre et cherche son soutien-gorge,

impossible de le retrouver. Elle fait toute une histoire, pousse des cris, affirmant

qu’on lui avait volé son soutien-gorge. « Je cherche partout, j’inspecte les alentours,

raconte Zie, Rien de suspect. Quand soudain, au bord de l’eau, je remarque un bout

de tissu qui surnage avec un crabe au bout. C’était lui le voleur ! ».

Une chute spectaculaire : il fallait couper la branche d’un arbre. Un employé

s’installe à califourchon sur la branche et la scie. Patatra, il tombe avec la branche. Il

s’était assis du mauvais côté !

Bon appétit : « lors du séjour sur l’île Platte, au petit-déjeuner, je remarque quelque

chose de bizarre dans ma tasse, raconte Zie. J’appelle quelqu’un et demande ce que

c’est ». On me répond tranquillement : « ce n’est rien, c’est un scorpion, madame ».

C’est sur l’île Platte, que j’ai dégusté mes premières chenilles frites. Ce n’est pas

mon plat préféré.

Zie Prisonnière : au début de notre installation sur l’île Denis, les W.C. dans une

cabane étaient sommaires. Un jour, impossible d’en sortir. J’avais beau essayer de

toutes mes forces, rien à faire. J’ai hurlé pour qu’on vienne me délivrer. Une énorme

tortue était calée contre la porte.

Trahi par un pschitt : un parfum avait été dérobé dans un bungalow. On interroge,

on cherche, sans succès. Après le dîner, au cours d’une danse, une invitée soudain

s’exclame dans les bras de son cavalier, « Mais, c’est mon parfum ! ». L’odeur l’a

trahi.

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Quel est ce chatouillis ? : « Une nuit où je dormais sur la terrasse, les doigts de

pied en éventail, je sens un chatouillis sur mon pouce, je bouge un peu le pied, ça

passe. Puis, ça recommence. Je re-bouge. Au matin, j’ai réalisé qu’un rat m’avait

grignoté la peau du pouce, deux centimètres environ, sans me faire saigner », se

souvient Zie.

Olivia infirmière : Catherine Deneuve avait pris un gros coup de soleil. Olivia l’a

copieusement badigeonnée de blanc d’oeuf pour apaiser la sensation de brûlure.

Attila es-tu là ? : Attila, c’était le surnom donné à notre D6 Caterpillar. Partout où il

passait avec ses deux grosses chenilles identiques à celles d’un char, la végétation

ne repoussait plus. Dès que nous avons pu, nous nous en sommes débarrassés.

Sauvé par une pirogue : Guy Savy propriétaire de Bird Island prit un jour une noix

de coco sur la tête. Pour le sauver, ses employés le mirent dans une pirogue pour le

ramener à Mahé, car c’était le seul moyen de transport au départ de l’île à cette

époque. Il leur fallut deux jours pour atteindre Mahé et Guy fut sauvé.

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DOMINIQUE : NOTRE ATTACHEE DE PRESSE

Mon père demanda à ma sœur Dominique d'être notre « Public Relation », c'est-à-

dire notre attachée de presse. Les publicités dans les magazines coûtant une

fortune, elle eut alors l'idée de réunir des documents très descriptifs de l’île, des

diapos et des photos, qu'elle remettait par relation à tous les journaux. Avec l'accord

de Tonton Pierre, ils étaient invités à nos frais à venir découvrir l'île. Résultat, les

articles pleuvaient dans tous les magazines. Notre histoire avait l'air de les

passionner. Paris Match et Le Figaro firent un reportage sur « l'Ile aux 6 records du

monde ». Dans Playboy, mon père était sur la même page que Paul-Émile Victor,

Marlon Brando, Christina Onassis et Amanda Lear, avec pour titre : « Quelques

Robinson célèbres » ; Le Figaro Magazine n’hésita pas à titrer : « Ce P.D.G. a tout

plaqué pour une île au soleil ».

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Je crois que toute la presse écrite nationale française a publié, à un moment ou à un

autre, un article sur l'île Denis dans la rubrique tourisme. De nombreux films

publicitaires ont aussi été réalisés en anglais, en italien et en allemand, vantant la

douceur de vivre sur l'île Denis.

Le gotha du cinéma, de la télévision, de l'édition, du sport, du showbiz, se retrouvait

sur cette terre de rêve. Le chanteur Antoine nous a notamment fait l'honneur de faire

un reportage sur l'île, dans lequel il interviewe mon père après l'avoir fait monter au

sommet du phare de l'île Denis. Sur le DVD, on les voit tous les deux en grande

conversation sur le phare, « le paradis de Tonton Pierre ».

C'est à cette époque que les « invités payants » ont passé les vacances les plus

fabuleuses de leur vie. Tonton Pierre se montrait extrêmement généreux. Il invitait

ceux qu'il connaissait personnellement et il leur offrait même le billet d'avion aller-

retour Paris-Mahé-Denis. Certains clients revenaient deux ou trois fois par an ; des

passionnés de pêche pour la plupart, mais pas seulement.

Parmi les formules favorites pour décrire l’ambiance sur l’île, il y en avait de très

amusantes : « Dans notre Eden, venez jouer au bon sauvage » ; « Tonton Pierre ou

Louis XIV ». D'autres évoquaient un idéal de bien-être : « Fais ce que tu veux, à

condition de ne pas déranger les autres » ; « L'île Denis n'est pas un hôtel et n'a ni

la prétention ni le désir de le devenir » ; « Notre seul désir est de vous faire réaliser

pendant quelques jours le rêve d'être propriétaire d'une île perdue au milieu de

l'océan. Accueillis par le propriétaire en personne, vous êtes considérés comme des

invités payants » ; « L'hôtel du bout du monde ».

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PATRICIA : LA REPRESENTANTE DE L’ILE DENIS EN EUROPE

Patricia, ma sœur aînée avait pour mission de nous fournir en pièces détachées et surtout de nous les faire parvenir rapidement de France.

Elle nous représentait aussi dans tous les salons dédiés au tourisme en Europe.

C’est grâce à Patricia que nous pouvions réparer tout ce qui tombait en panne car à Mahé il n’y avait jamais rien. Elle venait nous voir avec Olivia et Elodie ses filles aussi souvent que possible.

Quelques souvenirs de Patricia :

Quand je suis arrivée sur l'île la première fois, mon père m'a demandé de me rendre

utile en faisant l'infirmière puisque j'avais mon brevet de secouriste ! Quelle ne fut

pas ma surprise en enlevant un pansement de voir sur la plaie pédaler un cafard

dans une purée de piment, qui faisait office d'antiseptique !

Quand nous sommes arrivés sur l'île, les cochons, très propres, se baignaient tous

les jours avec nous dans la mer.

Ma mère avait des chiens extraordinaires dont un, Ouistiti, qui pêchait de gros

poissons dans les trous du platier. Il en rapportait tant, que je n'arrivais pas à les

porter dans mon gros sac de jute.

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52

Le 1er Avril, maman et Patricia avait décidé de faire un menu amusant : ragout de chauve-souris (on les déguste aux Seychelles) gratiné d’écureuils des îles c’est comme cela que l’on nommait les rats (écureuils sans poils) scolopendres frits et beignets de requins ! mais personne n’a ri car personne ne savait que l’on était le 1er

Qui se souvient de ces nuits de pleine lune où rentrant d’un pique-nique sur la plage nous partions à la pêche à la carcassaille ? (crabes rouges)

avril !

Tous les samedis : chasse aux poulets ! En pleine nuit, lampe électrique à la main, nous partions débusquer les poulets endormis dans un gros arbre, il fallait les plaquer au sol dès qu’ils tombaient ; on les mangeaient la semaine suivante. Courses et fous rires garantis.

Systématiquement, lors du bal du samedi soir, le kalou aidant, les bagarres éclataient pour un oui ou pour un non, et le lendemain la minuscule prison était pleine à craquer. Les serveuses arrivaient au restaurant pleine de bleus….

Noël était le moment le plus émouvant de l’année. Mes parents avaient fait construire une petite chapelle œcuménique où ils s’étaient d’ailleurs secrètement remariés. Nous partions tous en procession, une bougie à la main, l’alizé menaçant de l’éteindre à tout moment. Papa nous avait fait répéter chacun un texte : « articule » ! disait-il et nous chantions tous des chants de Noël. Neige chantait faux et fort, elle ne savait pas lire tenant son texte à l’envers, fous rires en cape !

Olivia et Elodie préparaient un spectacle pour le jour de l’an avec souvent une ou un partenaire illustre : jean Michel Jarre s’était déguisé en fantôme avec le drap de son lit et Jane Birkin avait chanté en duo avec Thomas leur cousin.

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" MADAME PIERRE ", MA MERE

Qui est la mystérieuse « Madame Pierre », « Petite » « Suzanne » « Zie » ? Madame

Pierre est la femme Tonton Pierre, bien sûr. A cette époque, les années 80, elle a

dans les cinquante ans, Tonton Pierre en a cinq de plus. C'est une jeune femme très

dynamique et sympathique, qui peut se montrer aussi très timide, voire réservée. Elle

ne se livre pas facilement. Pour vous saluer, elle ne vous embrasse pas, mais vous

tend la main. Ceux qui ont connu Tonton Pierre se souviennent que lui ne serrait

jamais la main. Quand il lui arrivait de vous serrer la main, il vous disait : « Je t'ai

serré la main, c'est la première et la dernière fois ».

Elle suivait son mari comme une ombre, et quand il déclarait : «Je vais faire la

sieste », Suzanne lui emboîtait le pas.

Suzanne avait créé une ravissante boutique. Olivia et Elodie, les filles de Patricia,

venaient s'amuser à jouer les vendeuses pendant leurs vacances.

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PIERRE ET SUZANNE BURKHARDT

OU

TONTON PIERRE ET ZIE (ou PETITE)

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TONTON PIERRE : UNE FORTE PERSONNALITÉ

Tonton Pierre n'avait peur de rien ni de personne. Tout ce qu'il entreprit, il le mena à

bien. Il y a quelque chose d'absolument fascinant dans le fait d'avoir été à ses côtés

tout le long de cette aventure.

Il travaillait énormément, écrivait beaucoup, pensait en permanence. Il convoquait

régulièrement les uns et les autres pour leur demander leur avis, qu'il ne suivait

jamais, car il trouvait toujours une autre solution inattendue, bien meilleure.

D'ailleurs, il trouvait une solution à tous les problèmes. L'achat de l'île Denis en est

un exemple parfait. De plus, chaque fois que quelque chose de grave arrivait, il

restait d'un calme impressionnant.

En voici un exemple. Il s'était rendu en Angleterre pour commander un bateau de

pêche au gros sur mesure, avec quantité de modifications. Ce bateau, l'AQUABEL,

était une merveille. Chaque détail avait été étudié. C'était un petit bijou pensé pour la

pêche, bourré d'électronique et tout confort pour les passagers. Lorsque le bateau

est arrivé à Denis, il ne passait pas inaperçu avec toutes ses antennes et tangons.

Un matin, pour une raison inconnue, le bateau avait complètement sombré ; on ne

voyait plus que les antennes émergées hors de l'eau. Je me suis alors précipité chez

mon père pour lui dire : « Papa, papa, l'Aquabel a coulé ! ».

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Calmement, il a tout simplement répondu : « Bon ». Et il a continué, imperturbable, à

boire sa tasse de thé. Il n'a jamais montré un seul signe d'agacement ou de colère.

J'étais sidéré. Pourtant, je suis persuadé que son cerveau devait bouillir comme un

volcan. Un si beau bateau, qui avait coûté une fortune, sur lequel il avait apporté tant

de modifications pour en faire LE bateau idéal pour la pêche. Et pourtant, mon père

n'avait montré aucun signe de contrariété !

L’AQUABELL 33

En fait, j'ai découvert plus tard qu'il pensait toujours à « l'après ». Il avait toujours une

longueur d'avance sur tout le monde, car il anticipait tout dans sa tête, ne laissant

rien percevoir. Il laissait toujours parler les gens sans les interrompre, notait leurs

remarques sur une feuille de papier et quand ils avaient terminé, il répondait

généralement : « Non ». Personne n'avait jamais de meilleure réponse que lui.

C'était vexant, voire même très agaçant.

C'était un visionnaire avec une extraordinaire faculté d'adaptation dans toutes les

situations. De plus, sa simple présence impressionnait beaucoup les gens. Ils étaient

fascinés. Des yeux bleus qui ne vous quittent pas, un petit sourire au bord des

lèvres, une toux de temps en temps pour vous troubler et ça y était, vous étiez sous

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le charme, vous étiez pris dans sa nasse et, à partir de ce moment-là, il faisait de

vous ce qu'il voulait. C'était un homme généreux mais dangereux. Sur l'île, on

l'appelait Louis XIV. Si vous faisiez partie de sa cour, tout allait bien pour vous. En

revanche, si vous essayiez de le contrarier, il vous rejetait pour toujours et ne vous

adressait plus jamais la parole.

Le plus surprenant pour moi est qu'il répétait sans cesse :

« J'ai acheté l'île pour toi et ton frère »

Mon frère Guy a quitté l'île après quelques années pour devenir photographe, grâce

à une cliente avec laquelle il avait sympathisé sur l'île. Il travaillait pour le magazine

SALUT LES COPAINS sous le pseudonyme de Tintin. Par la suite, il entra au Cours

Simon. C'est là qu'il rencontra sa charmante épouse, avec laquelle il eut quatre

beaux garçons. Grâce à son beau-père, il devint gérant d'un petit Shopi avec sa

femme, « épicier », disait mon père. Ils connurent une réussite exceptionnelle. Ils

finirent par vendre leurs quatre supermarchés et vivent actuellement une vie dorée

bien méritée.

En fait, tout se passa à peu près bien jusqu'à ce que mon père vienne vivre sur l'île.

En 1981, lorsque François Mitterrand fut élu Président de la République, il se retira

des affaires.

A peine arrivé sur l'île, il me demanda s'il pouvait s'occuper du courrier. Bien

entendu, je ne pouvais le lui refuser. Ensuite, critiquant l'élaboration de mes menus, il

voulut prendre en charge la cuisine. Puis, il commença à s'intéresser aux employés.

Si je décidais par exemple de me séparer d'un employé qui avait bu de l'alcool ou

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volé des légumes au potager ou autre bêtise, ce dernier allait voir mon père, le

suppliant de le garder. Je perdais ainsi mon autorité sur les employés, ce qui me

contraint à me retirer de l'exploitation de l'hôtel.

JE CREE SPORT FISHING CIE

J'eus alors l'idée de revenir aux sources en créant Sport Fishing Cie. Je demandais

d'investir dans trois bateaux de pêche avec fauteuil de combat et tangons pour

proposer la pêche au gros aux clients. Leurs noms : « Bravo Papa », « Oryxa», « Gai

Luron », « Commodore » et « Sakatia ».

La pêche eut un succès énorme. Nous pêchions en moyenne deux cents kilos de

poissons par bateau. Non seulement les clients payaient la pension complète, mais

en outre, ceux qui allaient à la pêche payaient pour pêcher les poissons, qu'ils

mangeaient le soir même.

Nous offrions aussi des pêches gratuites à la palangrotte aux courageux clients qui

le souhaitaient. Je dis « courageux », car le bateau utilisé n'avait pas de taud. Les

bonites utilisées comme appât étaient découpées directement sur le bateau. Il y avait

du sang partout. On pêchait de gros poissons avec des noms comiques, tels que :

jobs (qui se prononce « zob » en créole), bourgeois (dont la chair est aussi tendre et

délicieuse que la langouste), vara vara, Madame Berry, bacsous, vieille babone,

kakatoi, cordonnier, boueter, ainsi que d'autres poissons, qui ont une chair

délicieuse.

Des requins (la plupart du temps tout petits mais s'avérant parfois très gros)

prenaient un malin plaisir à nous couper nos lignes. Il fallait faire très attention à ne

pas se faire couper par le nylon de la ligne que nous tenions sans gant.

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Guy et ses 4 fils 6 records du monde I.G.F.A

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Mon plus beau marlin noir, 180 kgs et 5 heures de combat.

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LES DENTS DE LA MER

Dans chaque bungalow, nous fournissions deux paires de palmes, deux masques et

deux tubas. En prenant leur bain de minuit, beaucoup n'avaient pas idée qu'ils

côtoyaient à ce moment-là une quantité de requins de tailles respectables (ceux-ci

longeaient la plage de nuit). On les voyait très bien par pleine lune. Difficile,

cependant, d'avertir les clients en leur disant : « Ici ce sont les dents de la mer,

surtout ne vous baignez pas ! ».

De plus, quand les bateaux rentraient de la pêche, les clients s'approchaient du bord

pour y décharger leurs centaines de kilogrammes de poissons. Puis, ils nettoyaient

leur boîte de pêche, celle-ci contenant encore quelques dizaines de litres de sang

frais.

Beaucoup de requins femelles (marteau et autres) mettaient par ailleurs bas du côté

du phare. Nous en avons pêché quelques beaux spécimens en secret.

Un soir, une jeune femme me dit qu'elle souhaitait se baigner de nuit. Gentiment, je

lui ai répondu que ce n'était pas une bonne idée, qu'il valait mieux se baigner de jour

et admirer les innombrables poissons qui ornent le récif. Mais elle insistait,

commençait à m'énerver à me prendre pour un imbécile, qui ne raconte que des

bêtises. Alors, je l'ai emmenée au bord de l'eau et lui ai montré les ombres sombres

qui passaient à quelques mètres de nous. Je lui ai dit : « Vous voyez ces formes

sombres, ce sont des requins guitare. Ils ne sont pas dangereux, mais à votre place,

je n'irais pas nager la nuit ».

Voyant qu'elle n'en croyait toujours pas un mot et qu'elle continuait à me prendre

pour un idiot, je lui ai dit : « Ne bougez pas, je reviens ». Je suis allé chercher un

morceau de thon dans le frigo de la cuisine, une dizaine de mètres de nylon, un

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hameçon et une paire de gants et je suis retourné sur la plage. « Mettez ces gants et

tenez fort le nylon », au bout duquel j'avais mis un bâton. J'ai lancé mon morceau de

thon à la manière des cow-boys en le faisant tournoyer au-dessus de ma tête, puis

lui ai donné la ligne. Il n'a fallu que quelques minutes pour que le requin prenne

l'appât. Elle tira de toutes ses forces en reculant. J'étais obligé de l'aider un peu.

Quand le requin est arrivé sur la plage hors de l'eau en faisant des bonds dans tous

les sens, je lui ai dit : « Vous voyez, c'est un requin ». Elle s'est évanouie quelques

secondes.

Par la suite, elle ne m'a plus adressé la parole de tout son séjour. J'étais tout content

de moi.

BAIGNADE DE JOUR DE PREFERENCE

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PECHE AUX REQUINS LA NUIT

La plus belle expérience que j'ai faite au cours de ces années a été de faire pêcher

des requins aux clients de l'île. Je n'ai aucune hostilité particulière envers ces

magnifiques poissons, mais je me disais que proposer aux gens de pêcher un requin

de nuit serait pour eux une expérience inoubliable.

Aussi, le soir, pendant qu'ils dînaient, je passais de table en table pour leur

demander s'ils voulaient aller à la pêche aux requins de nuit. Cette activité, que je

faisais payer très cher, avait un succès extraordinaire. Tout le monde voulait y aller.

La manière dont je procédais pour la pêche de nuit était très particulière. J'attendais

la pleine lune. Dans le noir complet, une telle excursion n'aurait évidemment pas été

faisable. Aux Seychelles, l'air est tellement pur qu'à la pleine lune, on y voit presque

comme en plein jour. Il fallait également que la mer soit calme comme un miroir. A

bord, j'avais un sac rempli d'abats, de thons et autres poissons pour servir d'appâts

et l'odeur était difficilement supportable. Le bateau à l'arrêt se balançait de gauche à

droite ; ceux que la promenade en bateau avait déjà pas mal remués craignaient la

moindre vague.

Je ne crois pas que Tonton Pierre trouvait mon idée de pêche nocturne excellente,

mais il m'a laissé faire. Il y a trois raisons principales pour lesquelles, à mon avis, il

avait des réserves :

1- La première concerne la sécurité : partir dans l'obscurité (seulement éclairés par le

clair de lune), devoir éviter les bancs de coraux, à bord d'un bateau de taille

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modeste, pour se frotter à de redoutables requins était, il est vrai, particulièrement

dangereux.

2- Ensuite, le fait que je parte pour ces expéditions avec des gens très connus

pouvait nous mener à des conséquences financières désastreuses s’il y avait eu un

problème.

3- La troisième raison est que j'avais l'habitude, après la pêche, de suspendre mes

requins au-dessus de la balance, qui se trouvait devant le restaurant. Le matin,

lorsque vous preniez votre petit-déjeuner, il était difficile d'échapper à l'odeur et au

spectacle de ces requins, dont le sang et les tripes couvraient le sable et attiraient

des milliers de mouches.

Pourtant, les clients n'ont jamais eu l'air paniqué. Sans doute se disaient-ils, tout

simplement : « Tiens, ils ont pêché des requins » - ou, en d'autres termes : « Voilà un

requin de moins dans l'océan susceptible de venir nous embêter ». La vue de ces

requins suspendus semblait les rassurer, alors que ceci aurait dû avoir l'effet inverse.

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LA PECHE DU MATIN AU SOIR

J'embarquais donc au minimum deux pêcheurs à bord, voire trois. Par mesure de

sécurité, mon adjoint et ami Jean-Claude Seneque partait sur un second bateau

avec les femmes. C'est vrai, je dois l'admettre, je refusais d'emmener les femmes à

la pêche ; j'étais là pour la pêche et je n'ai rencontré vraiment que très peu de

femmes passionnées pendant toutes ces années.

En voici quelques raisons : de jour, il n'y a pas de place pour bronzer sur le bateau.

De plus, l'odeur du gas-oil est plutôt inconvenante. Et lorsque vous gaffez un poisson

et qu'il vous éclabousse de son sang, ou encore que vous essayez de le rentrer dans

la boîte de pêche et qu'il refuse d'y aller, vous devez l'assommer d'un ou plusieurs

coups de « tranquilizer » (une matraque de bois avec laquelle vous assommez le

poisson pour qu'il meure sans tout casser sur le bateau), tout cela, je l'avoue, peut

ressembler à une boucherie.

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Il est difficile de raconter l'expérience de la pêche au requin. C'est quelque chose qui

se vit. Aujourd'hui, je relâche systématiquement tous les poissons que je pêche en

Méditerranée. Il faut dire aussi qu'ils me font pitié, avec leur modeste quinzaine de

centimètres.

Les bateaux de pêche

Ma passion de la pêche bien assouvie

J'ajouterai cependant que j'étais tellement heureux de faire partager ma passion que

je partais le matin à 8h30 avec certains clients pour aller pêcher des marlins, des

sailfishs, des thons, des dorades coryphènes, des rainbow runners, des dogtooth

tunas, des thons jaunes, des yahoos, ou encore des barracudas. Il existe une telle

variété de poissons aux Seychelles que c'est, à mon avis, le plus bel endroit au

monde pour pêcher. On rentrait avec une moyenne de deux cents kilos de poissons

vers 16h30 ou 17h. Ensuite, je me reposais un peu, dînais et repartais à la pêche

aux requins de 22h30 jusqu'à deux ou trois heures du matin. Et à 8h30, le lendemain

matin, je repartais pour une nouvelle partie de pêche.

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UNE RENCONTRE IMPORTANTE DANS MA VIE

C'est à cette époque que j'ai rencontré Gérard RODRIGUEZ, un homme

exceptionnel, génial, et d'une extrême gentillesse. Il est mondialement connu dans le

monde du nautisme à Cannes, car il vend des yachts de rêve. (Voir page suivante).

Gérard adorait la pêche à la palangrotte. Il a pêché des quantités de poissons

incroyables, entre autres des requins marteaux, le tout à la main ! Mes heures de

pêche à la palangrotte avec Gérard RODRIGUEZ et son neveu Christopher DIXON,

furent les plus beaux moments de ma vie. Son épouse Laurence me sauvera la vie

plus tard, ce que je n'oublierai jamais.

Laurence et Gérard Gérard et son neveu Christopher Dixon

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Mon épouse Isabelle coiffe Gérard

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Gérard est un extraordinaire pêcheur. Le seul capable de pêcher des

langoustes à la main dans les vagues...

30 ans après, Mon fils, Martin est capitaine sur un modèle des yachts vendus par Gérard Rodriguez !

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La pêche au gros se pratique le jour, la pêche aux requins de nuit. J'allais de table en

table au restaurant pour proposer aux clients une petite partie de pêche à la journée

ou la demi-journée. Souvent, ils partageaient le bateau avec d'autres clients.

J'ai fait pêcher KENZO, (couturier très connu), et aussi un homme passionné de

pêche qui a donné son nom aux fameuses huiles LESIEUR. Certains réservaient le

bateau pour dix ou quinze jours. Ils arrivaient avec leur propre matériel (cannes,

moulinets, leurres) et faisaient des pêches d'anthologie.

Je me souviens d'un client extraordinaire, Alain GIGANDON, dont je vais vous

raconter l'histoire.

Alain GIGANDON avait réservé le bateau pour une demi-journée. A peine ai-je mis

les cannes à l'eau qu'apparaissent des espadons voiliers (sailfish) tout autour de

nous. Il est très difficile de ferrer un espadon voilier à cause de son rostre. Ma

technique était la suivante : il fallait d'abord que le sailfish assomme le leurre avec

son rostre, puis le retourne pour qu'il glisse bien dans sa gueule. Le taux de réussite

est de 10 %, car il faut prendre la canne, mettre le moulinet en roue libre, simuler que

le leurre en plastique est un poisson assommé par le rostre, puis ferrer le sailfish en

espérant que l'hameçon soit pris dans sa gueule. Il ne faut pas que la ligne casse.

Ensuite, il faut combattre un poisson qui va faire des sauts de gauche à droite en

secouant la tête pour essayer de retirer cet hameçon piqué dans sa gueule.

Imaginez donc cinq ou six sailfishs derrière vos lignes qui donnent des coups de

rostre dans vos leurres. Sur le bateau, il n'y a que le capitaine et le client, en général

débutant, qui attend dans son fauteuil de combat que vous lui passiez la ligne.

Ce client, Alain GIGANDON, pêcha cinq sailfishs en trente minutes. Je n'avais jamais

vu ça : 100 % de réussite, incroyable ! Et puis, pour couronner le tout, Alain

GIGANDON déclare : « Bon, on peut rentrer maintenant ».

Je n'en croyais pas mes yeux ; c'était la première et la dernière fois que j'assistai à

un tel exploit. Le soir au bar, j'allais voir Alain pour le féliciter de sa pêche

extraordinaire. Il me dit très simplement : « Je sais, j'ai eu beaucoup de chance mais

j'ai l'habitude ; j'ai toujours eu beaucoup de chance dans la vie ». Et ainsi, il me

raconta son histoire.

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ALAIN GIGANDON : UN DESTIN EXTRAORDINAIRE

Il avait commencé sa carrière professionnelle comme apprenti dans un très grand

salon de coiffure. Un jour, une cliente extrêmement riche demanda une coiffeuse

pour l'accompagner dans sa villa de Saint-Jean-Cap-Ferrat pour la coiffer tous les

matins. Personne ne voulait y aller. La direction désigna Alain GIGANDON, qui

accepta bon gré mal gré.

Il descendit donc sur la Côte d'Azur. Tous les matins, il coiffait une certaine Madame

WEISSVELLER et discutait de temps en temps avec son mari. A la fin du mois, il

rentra à Paris et reprit son travail chez CARITA.

Un jour, Mr WEISSVELLER le fit venir à son bureau Rue de Berry. Il y a là le siège

de l'une des plus grandes compagnies pétrolières (dont le logo est un coquillage), Mr

WEISSVELLER en était l'actionnaire principal.

Il dit à Alain: « J'ai un immeuble à vendre, pourriez-vous vous en occuper ? ». Alain

répondit oui, sans vraiment savoir ce qu'il devait faire. Mr WEISSVELLER lui suggéra

de s'adresser aux trois plus grandes sociétés immobilières de Paris, afin de leur

demander de faire une estimation et de revenir le voir ensuite.

Après avoir obtenu les trois estimations, Alain GIGANDON prit rendez-vous avec Mr

WEISSVELLER pour lui donner les estimations. Nous allons dire que les estimations

étaient de trois millions d'euros, de deux millions et demi d'euros et de deux millions

d'euros.

Mr WEISSVELLER dit à Alain de vendre l'immeuble à deux millions et demi d'euros.

Mais Alain ne suivit pas les instructions de Mr WEISSVELLER, car il trouva un client

prêt à acheter l'immeuble pour trois millions d'euros. Alain le présenta à M.

WEISSVELLER. Il reçut mille euros et s'en retourna travailler au salon de coiffure.

Quelques mois plus tard, il fut convoqué par Mr WEISSVELLER une nouvelle fois.

Ce dernier lui passa un savon sévère, lui reprochant de ne pas avoir suivi ses

instructions. Alain, pour se défendre, dit qu'il avait fait cela pour lui faire plaisir,

pensant que Mr WEISSVELLER serait content d'avoir vendu l'immeuble plus cher.

L'entretien se termina ainsi.

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Quelques jours plus tard, Mr WEISSVELLER le convoqua à nouveau pour lui

demander de gérer sa fortune, estimée à des sommes énormes. Alain GIGANDON

accepta. Il n'avait comme diplôme que le certificat d'études. Il apprit comment

fonctionnait la bourse. Il arrivait très tôt le matin pour l'ouverture de la bourse de New

York. On mit sous ses ordres une dizaine de « golden boys », auxquels il devait

donner ses instructions.

Mr WEISSVELLER gagna ainsi beaucoup d'argent. Alain GIGANDON en reçut

également énormément et s'acheta un château dans le Sud de Paris. Il avait comme

voisins la famille P., dont le nom renvoie à ces petites bouteilles qui font des bulles.

A la mort de Mr WEISSVELLER, les enfants de celui-ci demandèrent à Alain

GIGANDON de continuer à gérer leur fortune.

J'ai été vérifié sur place : j'ai apporté moi-même à Alain GIGANDON les cinq rostres

des espadons voiliers qu'il avait pêchés, vissés sur une planche en bois verni avec

inscrit sur une petite médaille : « Denis Island », ainsi que la date de notre excursion.

J'ai pu visiter son château. Il y avait un jardin potager ; pour se détendre, Alain

cultivait des légumes : tomates, salades. C'était un homme simple, « normal ». «

Cool ! », me dis-je, « il n'est pas du tout impressionné par sa fortune ». Il m'avait en

outre montré son passeport sur lequel on pouvait lire : « Occupation : Secrétaire » !

Des histoires comme celle-ci, dans des genres plus ou moins différents, il y en a eu

beaucoup sur l'île.

L'ILE DENIS ATTIRE LES STARS

Romy SCHNEIDER, ANTOINE, Yannick NOAH, le chanteur PRINCE, Catherine

DENEUVE, DALIDA, Robert Hossein, Georges kiejman, Philippe CHATEL, Pierre

PERRET, J.P. ELKABACH, Dominique BAUDIS, Chantal THOMAS, KENZO, Nicole

AVRIL, Marie-France PISIER, Olivier DASSAULT, POILANE, Alain DECAUX, O.

BOUGYUES, M. DEVELAY (FUJI), Guy SCHWED, Francis ESMENARD (Ed. Albin

Michel), REISER, Jean-Michel JARRE et Charlotte RAMPLING, et bien d'autres

séjournèrent sur l'île.

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L'ILE DENIS : UN AVANT GOUT DU PARADIS

Romy SCHNEIDER, merveilleuse et très belle actrice, avait réservé un bungalow

pour un mois. Elle semblait porter un lourd fardeau. Son bungalow était illuminé

d'une dizaine de bougies. Elle ne quittait jamais son bungalow, se faisant servir ses

repas sur place. C'est la seule fois dans l'histoire de l'île Denis que nous avons

accepté ce principe de Room Service.

Elle est décédée peu après son retour à Paris. J'ai beaucoup de regrets, car elle était

très gentille et d'une certaine manière, je n'ai rien pu faire pour elle.

Romy, une fée

J'ai découvert un jour que je me sentais content quand j'aidais les autres à être

heureux. Sur l'île, ce n'était pas difficile de faire en sorte que les gens se sentent

bien. Nous appelions l'île Denis « l'île des gens heureux ». Curieusement, la plupart

des gens qui partaient et que nous accompagnions à l'aéroport, pleuraient. C'était le

mystère de l'île Denis. Il y avait une extraordinaire atmosphère sur cette île, qui a

beaucoup marqué nos clients.

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La devise de l'île Denis était : « Fais ce que tu veux à condition de ne pas déranger

les autres ». (Comme je l'ai précédemment évoqué, ceci était aussi un de nos

slogans publicitaires.)

Les clients se sentaient en confiance, parfois prêts à s'épancher sur les sujets les

plus intimes. Pour illustrer ces dires, voici une anecdote dont ma mère Suzanne me

fit part : « Un jour, je raccompagnais une femme à l'aéroport à la fin de son séjour et

tout à coup, elle se met à me faire des confidences d'ordre privé. Elle s'ennuyait un

peu dans sa vie ; elle avait bien pris un amant, mais il n'était pas assez drôle à son

goût. Elle avait des velléités d'indépendance, songeait à quitter son mari, et me

demandait mon avis. Je lui conseillai de prendre un deuxième amant, de prendre du

recul avant de se décider ; car cette décision pouvait changer radicalement son train

de vie. Elle fut enchantée de mes conseils ».

Les gens adoraient l'île, à la fois pour son cadre et pour son ambiance. Je l'ai dit, il

n'était pas rare de voir revenir les mêmes deux ou trois fois par an. Et pratiquement

tous revenaient chaque année, aux mêmes dates. L'île Denis, c'était leur paradis.

Lorsque vous arriviez sur l'île, vous alliez directement dans votre bungalow, escorté

par de ravissantes hôtesses Seychelloises : Rita, Marilyn, Anna, entre autres, les

plus belles et les plus gentilles.

Ensuite, vous remettiez bijoux, argent, passeport, carte de crédit, montres et billet

d'avion pour que l'on vous les garde au coffre. Vous n'aviez plus besoin de rien.

Les bungalows n'avaient pas de clé. Tout était ouvert. Il n'y eut jamais de vol. Il est

même arrivé une fois qu'une dame oublie une liasse de billets de 500 francs dans

son bungalow. Nous la lui avons renvoyée par l'avion suivant.

Après avoir remis vos objets de valeur et une fois vos valises amenées au bungalow

par le tracteur-remorque, vous pouviez aller vous baigner. L'eau était bleue,

transparente, à 30°C.

Nous ne manquions pas d'informer nos « invités payants », qu'il fallait avancer leur

montre d'une heure. Inutile de les embêter avec le passage à la réception pour les

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formalités. Nous remplissions les feuilles de police avec les passeports qu'ils nous

avaient confiés.

Les bungalows étaient simples, aérés et les ouvertures faites de telle sorte qu’on ne

voyait pas son voisin. Il aurait fallu qu'on passe devant votre bungalow pour vous voir

dans votre lit. Les jardiniers avaient en outre reçu instruction de ne pas ramasser les

petites boules piquantes provenant des Casuarinas, afin de ne pas s'aventurer trop

près des bungalows. Seuls les petits chemins assez étroits qui menaient des

bungalows à la mer étaient donc nettoyés.

vue d'un bungalow

J'ai décrit au début du texte la manière dont les bungalows étaient meublés et

décorés en toute simplicité, mais avec un certain confort. En revanche, pas de

climatisation, pas de radio, pas de télévision... ni internet, bien sûr ! Les oiseaux

venaient vous rendre visite, cherchant toujours quelque chose à manger. Les tortues

se promenaient, nonchalantes, autour des bungalows.

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De 1974 à 1985, l'ambiance était joyeuse, les situations imprévues en général

excitantes ; chaque jour, nous apprenions quelque chose de nouveau et devenions

ainsi des Robinson un peu plus civilisés.

LES ATTRACTIONS : PECHER, CHANTER, DANSER...

La grande attraction avait lieu au retour de la pêche. Nous avions un beau tableau

sur lequel nous indiquions le nom du pêcheur, le poisson pêché, les noms du bateau

et du skipper, ainsi que la date de l'excursion. Toute l'île était au rendez-vous. Quand

nous avions pesé le poisson et fait les photos du pêcheur et de son trophée, nous

effacions le nom du pêcheur et nous laissions le sailfish, thon jaune ou requin pêché.

Combien de clients se sont-ils faits photographier à côté du poisson qu'ils n'avaient

pas pêché. Combien ? Des centaines certainement.

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Cela n'a pas vraiment d'importance, nous faisions cela pour leur faire plaisir. Et puis,

ça faisait de la publicité à Sport Fishing Cie. En fait, ramener un gros poisson, c’était

la certitude d’avoir tous les bateaux réservés le lendemain.

Une fois par semaine, il y avait aussi la soirée Sega, très appréciée. Nous avions

composé un orchestre de fortune avec Rita, la secrétaire, à la guitare. Thérèse, la

responsable des femmes de chambres était à l'accordéon, le conducteur du tracteur

au triangle, un ramasseur de noix de coco au violon et Anselme, un marin, (ou

parfois Bernard) à la batterie et ils nous chantaient de vieilles chansons

seychelloises populaires. Les serveuses du restaurant et les barmen invitaient alors

les clients à danser. Lorsque l'orchestre s'arrêtait, je devenais DJ et mettais des

slows ou les tubes du moment que nous faisions venir de France.

La fin de la soirée était chaude - si chaude même, que plutôt que d'en parler, je vais

vous laisser imaginer.

Si Denis Island Pty Ltd n'a jamais gagné d'argent en raison d’une gestion un peu trop

généreuse avec des menus copieux (chateaubriand béarnaise, frites, fromages), des

salaires un peu trop élevés, une consommation excessive de gas-oil liée à l'utilisation

d'un chauffe-eau dans chaque bungalow, un personnel trop important, une

agriculture peu rentable (vaches, cochons, poules et légumes du potager), un vol

Mahé-Denis très coûteux (nous devions louer l’avion en totalité même pour deux

clients), etc… En revanche, Sport Fishing Cie était on ne peut plus rentable. Et ce,

bien que le poisson pêché ne soit pas revendu à Denis Island Cie.

Comme nous pêchions plus de poissons que nous n'en avions besoin pour le

restaurant et le personnel, l'excédent servait à nourrir les porcs. Ils adoraient ça. La

seule précaution à prendre était d’arrêter de leur en donner quinze jours avant de les

tuer pour que leur viande ne sente pas le poisson.

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Pêche miraculeuse ? Pas du tout, pêche quotidienne

PERSONNEL ET INTENDANCE

Un mot sur les vols Mahé-Denis/Denis-Mahé : lorsque nous avons ouvert la ligne, la

compagnie locale n'a pas voulu affréter des vols réguliers sur Denis. Nous devions

louer les avions. Bien entendu, la ligne était déficitaire au début. Un client montait

parfois, alors qu'aucun ne descendait. Cela nous a d'abord coûté une fortune, mais

nous n'avions pas le choix. A Mahé, nous en profitions pour remplir l'avion avec des

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légumes, des fruits, de la viande et toutes sortes de pièces, dont nous avions

besoin. Il y avait aussi une grosse rotation du personnel ; ils partaient à Mahé pour

leurs vacances ou bien démissionnaient. En effet, lorsqu'ils avaient gagné leur

argent, ils ne pensaient qu'à une chose, aller à Mahé pour le dépenser. Ils ne

revenaient que lorsqu'ils n'avaient plus une seule roupie.

Une fois qu'elle fut rentable, il fallut passer par d'âpres négociations pour garder la

ligne privée. Air Seychelles voulait absolument faire une ligne régulière, ce qui était

de toute manière impossible car l'île étant privée, seuls ceux qui avaient une

réservation pouvaient s'y rendre.

Dans le village, l'ancien système colonial avait été remplacé par des salaires versés

aux employés. Pour se nourrir, ceux-ci devaient se fournir auprès de la boutique du

village tenue par le manager responsable de l'agriculture. Il fallait approvisionner

aussi cette boutique en sel, boissons, riz, pâtes, bière, etc. C'était en fait un petit

supermarché. Dans le congélateur, il y avait bien sûr du poisson, base de la

nourriture Seychelloise. Les employés avaient aussi un petit bateau à moteur à leur

disposition pour aller à la pêche à la palangrotte.

L'entretien constant était assuré par un mécanicien et Jean-Claude SENEQUE, le

mari de Rita, la secrétaire. Les pompes tombaient régulièrement en panne. Il fallait

vidanger l'huile des générateurs. Assurer toutes sortes de réparations. Le «

workshop », comme nous l'appelions, était débordé en permanence, attendant des

pièces détachées de France, d'Afrique du Sud, de Singapour et d'ailleurs. De plus, il

arrivait souvent que nous ne recevions pas les bonnes pièces. L'entretien, c'était en

quelque sorte l'enfer sur terre ; il fallait courir dans tous les sens.

Chaque débarquement de schooner correspondait à un nouvel arrivage de

travailleurs, le bateau repartant avec ceux qui désiraient quitter l'île. Ces derniers

considéraient avoir gagné assez d'argent et ils voulaient à présent retourner chez

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eux pour pouvoir le dépenser - dans la boisson, entre autres. Boire semblait être la

distraction par excellence ; lorsque les employés buvaient, essentiellement les

hommes, les Seychellois n'y allaient pas de main morte. Et très souvent, une fois

ivres, ils se battaient. Le responsable de l'île avait les pouvoirs de police par

délégation et il était autorisé à les mettre en prison, qui se résumait à une petite

cellule avec un banc de deux mètres sur trois. Pour ce faire, il remplissait le livre de

police en y inscrivant le nom de la (des) personne(s) concernée(s) et le motif pour

lequel elle(s) étai(en)t détenue(s) ; ceci lorsque nous réussissions à les capturer,

chose loin d'être évidente.

Malgré cela, nous n'avons eu à regretter qu'un seul drame sur l'île occasionné par

deux frères : Bernard Sanders, complètement ivre, a crevé l'œil de son frère Angelin

avec une bouteille de bière cassée. Angelin put par la suite se rendre en France pour

se faire opérer, un client de l'hôtel lui offrant généreusement l'opération. Il put ainsi

en partie sauver son œil.

Il est vrai qu'il était parfois assez angoissant de s'imaginer qu'un employé

complètement ivre était peut-être en train d'errer sur l'île une grande machette à la

main. Nous n'avons heureusement jamais eu de mort de la sorte. Le seul client dont

nous avons eu à déplorer la mort était un client qui a fait une crise cardiaque en se

baignant. Je parle de « crise cardiaque », car je ne pense pas qu'il ait pu faire une

hydrocution dans une eau à 30°C. Mais je peux me tromper.

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LES SERVEUSES DU RESTAURANT

LES CUISINIERS

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RESERVES ET COMMANDES

Nous avions plusieurs réserves plus ou moins importantes. La première se situait

sous le château d'eau avec une porte en métal et un gros cadenas. Pourquoi tant de

précautions, me demanderez-vous ? Cette réserve abritait le vin et les alcools, ainsi

que les bières. Or une telle réserve pouvait être particulièrement vulnérable, pour les

raisons que vous imaginez.

Il y avait une seconde réserve, celle-ci moins conséquente, qui abritait conserves et

quelques boissons non alcoolisées. Une troisième réserve se trouvait à la cuisine,

ainsi qu'une immense chambre froide. Enfin, nous avions une quatrième réserve au

village.

Pourquoi toutes ces réserves ? Pour une raison bien simple. Lorsque nous

demandions aux cuisiniers s'il manquait quelque chose, on nous répondait toujours :

« N'a pas problème » et quand il manquait un article, on nous disait : « N'a pas ».

Mais on ne nous disait jamais qu'il fallait commander ceci ou cela car nous allions en

manquer bientôt. Cette façon d'appréhender les choses semblait échapper

totalement aux Seychellois ; il fallait donc anticiper, car il était impossible de se

fournir ailleurs sur l'île. Et pour corser le tout, lorsque Mahé était en rupture de stocks

de certains produits, il fallait attendre le bateau suivant pour se réapprovisionner.

Il était donc impératif de passer les commandes de manière extrêmement

consciencieuse. Malgré cela, nous n’étions pas certain de recevoir ce que nous

avions précisément commandé. Loin s’en faut. Parfois, le bureau de Mahé, tenu par

mon frère Guy, nous répondait : « Ok, tu me demandes de la confiture par exemple,

mais à Mahé, 'N'a pas' ». Le bateau d'Afrique du Sud, d'Angleterre ou de France

n'était pas encore arrivé. Ou encore, il ne restait déjà plus rien.

Je me souviens par exemple d'une voiture arrivée sans carburant, de marteaux

parvenus sans les clous, de ruptures de stock de farine, de riz, de pain, de confiture,

ou encore de beurre. Vous pourrez me suggérer qu'il est pourtant simple de

commander, disons, des tonnes de clous en une seule fois. Je répondrai que ce

problème étant le même pour tous, les commandes étaient toujours faites en trop

grande quantité, par tout le monde. Par conséquent, dès l'arrivée du bateau à Mahé,

il y avait déjà rupture de stocks.

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Je reprends l'exemple des clous : lorsque les marchands en commandaient, toutes

les boutiques regorgeaient de clous, mais personne ne les achetait. Et en ce qui

concerne les produits périssables ou les cigarettes (qui moisissent après un certain

temps), la situation était infiniment plus délicate.

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« COCONUT APPELLE POP CORN »

Guy était donc à Mahé, moi sur l'île. Nous nous étions procurés des postes radio

amateurs (de France, bien sûr !) et communiquions ainsi, lui planqué dans sa voiture

au sommet d'une des deux petites collines appelée « la Misère » et l'autre « Sans

souci ». Ces collines portaient vraiment un drôle de nom. Guy nous appelait sur une

fréquence donnée : « Coconut appelle Pop corn, Coconut appelle Pop Corn »,

(Coconut étant le nom de code de mon frère et Pop Corn était le mien, celui de l'île

Denis était « Bravo Papa »). Parfois, la communication fonctionnait, parfois elle ne

fonctionnait pas. Quand une voiture approchait, Guy était obligé de ranger son

antenne à toute vitesse. En effet, nous étions dans l'illégalité totale. Partout dans le

monde, il y a des radioamateurs - des purs et durs - qui scannent les fréquences à

longueur de journée, écoutant toutes les conversations. Ils essaient de communiquer

avec un autre radio amateur situé le plus loin possible. Le bon fonctionnement d'une

communication radio dépend en grande partie des conditions atmosphériques.

A Mahé, ils ont ce qu'on appelle un QSL MANAGER : c'est celui qui fait la police, qui

vérifie que les utilisateurs de fréquences radio ont bien leur licence. Nous étions en

permanence espionnés par la Gestapo locale et devions ainsi sans arrêt les prendre

de vitesse en changeant de fréquence ou d'heure de rendez-vous. Cela pouvait être

assez pénible, mais c’était le seul moyen de communication entre l'île Denis et le

bureau de Mahé.

C'est ainsi que nous passions commande, et nous avions en général un besoin

urgent d'une grande quantité de choses. Lorsque nous avions la possibilité de

recourir à ses services, Aggie Robinson, la femme de Lynn, instructeur à l'Aéroclub

de Mahé, prenait son petit Cesna deux places et nous larguait quelques colis ainsi

que le courrier en rase-motte. Cependant, tout le reste devait arriver par bateau. Et

c'était seulement une fois plein que le bateau repartait pour Denis : c'est-à-dire tous

les huit ou quinze jours - parfois plus.

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Il fallait donc constamment s'adapter, trouver des moyens d'utiliser le temps à bon

escient ; entre autres, nous devions occuper les employés jusqu'au prochain

schooner. Nous fabriquions par exemple les parpaings sur place. Grâce à des

dizaines de moules, nous produisions des parpaings pleins, qui pesaient cependant

trois fois le poids d'un parpaing creux.

Lorsque nous étions à court de ciment, nous faisions creuser des tranchées pour

l'eau et l'électricité. Ou alors on envoyait les employés ramasser des noix de coco.

Une autre possibilité était de leur donner des travaux de peinture.

Lorsque le schooner arrivait enfin, tout le monde mettait en suspens son occupation

du moment, la priorité absolue étant de débarquer les marchandises. Cela prenait

une journée entière, et ce sous un soleil de plomb. Nous comptabilisions toutes les

marchandises débarquées à l'aide de la feuille que nous remettait le capitaine. La

liste correspondait rarement à ce qui était censé se trouver sur le bateau ; soit une

partie avait été débarquée à Praslin, soit on l'avait laissée sur le quai à Mahé, car le

capitaine considérait que le bateau était déjà trop chargé.

Il fallait ensuite tout mettre sous clé dans les différents locaux et réserves pour éviter

qu'une grande partie de la marchandise ne disparaisse dans la nature.

Vous comprendrez que tenir l'hôtel de l'île Denis, nourrir ses cinquante clients et

soixante employés, consistaient en une tâche à la fois sportive et délicate.

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LA STATION BON ESPOIR ET L'ARRIVEE DES AVIONS

J'ai évoqué plus haut les complications auxquelles nous avons dû faire face en terme

de télécommunications. En plus d'établir des liaisons avec notre bureau de Mahé par

le biais de Guy, la radio nous permettait d'être également en contact avec Air

Seychelles.

Légalement nous devions passer par la station de Cable & Wireless, qui avait le

monopole. La station s'appelait Bon Espoir. Comme « bon espoir de pouvoir

communiquer », puisqu'au début, tout ne fonctionnait pas tout à fait comme on

l'aurait souhaité... De plus, les communications n'étaient pas en duplex, ce qui

signifie que nous devions parler les uns après les autres. Comme l'opérateur

communiquait avec d'autres îles (telles que Bird Island), il nous fallait attendre que la

ligne se libère. Il arrivait souvent que l'opérateur se mêle de nos conversations !

TONTON PIERRE EN COMMUNICATION

Nous n'avons jamais eu de radio avec les fréquences de l'aviation, ce qui veut dire

que nous ne connaissions jamais l'heure précise à laquelle arrivait l'avion. S'il n'était

pas au complet, ou encore dans le cas où des appareils étaient en panne, il arrivait

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que le pilote passe par Praslin ou Bird Island. Le pilote pouvait envoyer des

informations ; pas nous.

Alors, nous attendions à « l'aéroport » avec les clients, tendant l'oreille pour savoir si

notre avion arrivait. Lorsqu'il apparaissait enfin, il passait en rase-motte au-dessus de

la piste. Ce, pour plusieurs raisons : premièrement, il fallait que le pilote vérifie l'état

de la piste et sente la direction des rafales de vent ; ensuite, il nous avertissait ainsi

de son arrivée afin que la brigade des sapeurs pompiers se mette en place ; enfin,

de cette manière, il faisait fuir les oiseaux et les vaches qui étaient sur la piste.

Lorsqu'il y avait par exemple des tortues au beau milieu de la piste, nous prenions la

voiture et y chargions ces adorables bêtes qui pèsent plusieurs centaines de kilos,

puis les débarquions au vieux village. En ce qui concerne les vaches, une équipe de

« cow-boys » montait à l'arrière du pick-up, gesticulant dans tous les sens et

poussant des cris, le conducteur faisait hurler le klaxon et roulait en zigzags, afin que

les vaches quittent la piste.

UNE PETITE BETE DE PLUS DE CENT KILOS

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Comme vous pouvez le constater, la vie sur l'île était plutôt pimentée et n'avait rien

d’évident pour le jeune homme de vingt-cinq ans que j'étais. Un jeune homme qui

avait passé sa jeunesse dans un bel appartement du XVIème arrondissement et qui

avait fréquenté le Lycée Janson de Sailly, l'Ecole des Roches, ainsi que la fac de

droit d'Assas.

Suzanne dans sa boutique

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RENE ALPHONSE : UNE FIN DRAMATIQUE

L’équipe de sapeurs-pompiers comptait deux personnes. Ils attachaient une

remorque pleine d’eau avec un tuyau à l’arrière du tracteur. Ils enfilaient une

combinaison de pompiers, juste le temps de l'atterrissage de l'avion. En effet, porter

ces combinaisons dans une telle chaleur était un vrai supplice ; l'avion arrivant en

général vers 14h30, c'était un vrai four et vous perdiez facilement plusieurs kilos en

quelques minutes.

Une fois l'avion arrêté, il y avait un jardinier que j'aimais beaucoup, un type adorable,

qui s'approchait de l'avion pour mettre une cale sous les roues et qui ouvrait à toute

vitesse la soute à bagages pour y extraire une perche métallique qu'il mettait dans la

queue de l'avion, afin que celui-ci ne bascule pas vers l'arrière à la descente des

passagers.

Un jour, le pilote a un peu tardé à couper les hélices. Le jardinier n'a rien vu, habitué

qu'il était à accomplir ces gestes rituels. L'hélice a frappé sa tête. Il est tombé à terre.

Je l'ai pris dans mes bras, lui ai caressé la tête tout en le réconfortant : « Ca va aller,

t'en fais pas, ce n'est pas grave, on va te sortir de là ». J'étais couvert de sang, mais

cela n'avait aucune importance. J'adorais ce type comme j'ai toujours adoré tous ces

Seychellois pour leur gentillesse et leur courage. Toujours disponibles, toujours prêts

à rendre service.

Il est mort comme ça, dans mes bras. Personne n'a bougé, personne n'a osé

m'approcher. Si quelqu'un l'avait fait, je crois que j'aurais hurlé : « Foutez-moi le

camp, laissez-moi tranquille ! ».

C'était mon ami, Il s'appelait René Alphonse. Tous étaient mes amis. Nous vivions

une aventure extraordinaire. Moi, je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite.

C'est avec le recul que je mesure le caractère exceptionnel de l'aventure que j'ai

vécue ; lorsque je suis rentré en France et que j'ai dû vivre comme tout le monde au

rythme du métro-boulot-dodo, c'est là que j'ai su que moi aussi j'avais pris un grand

coup sur la tête et que je ne m'en remettrai jamais tout à fait.

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Air Seychelles : trajet Mahé-Denis

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LES AIDES DE CAMP

LYNN ROBINSON JOSE JUMEAU

Sur l'île, je m'occupais de tout et on me demandait tout. Bien sûr, j'étais aidé par

Lynn Robinson, plus âgé que moi et très compétent. C'était un type formidable, que

rien ne semblait arrêter. Il avait un seul défaut de taille : il s'énervait facilement.

Quand il piquait une crise, il sortait tous les noms d'oiseaux de la terre en hurlant. Il

valait mieux attendre que ça passe, puisqu'il était hors de question de le raisonner.

Tonton Pierre avait aussi engagé un jeune Seychellois blanc, José Jumeau. Il était

très efficace dans les nombreux différends auxquels nous avons dû faire face avec

les employés. Vivre sur une île, c'est un peu comme vivre sur un bateau ou devoir

partager une même pièce. Tout le monde sait tout sur tout le monde, et cette

promiscuité peut rendre les uns et les autres extrêmement susceptibles. José parlant

parfaitement Seychellois, bien sûr, nous était très précieux. Il ne faisait pas grand-

chose à mon goût, mais il était partout. Je le surnommais « le diplomate ». Pour moi,

la raison est qu'il était un seychellois blanc. Même s'il n'y a pas de racisme apparent

aux Seychelles, ce sont les Grand Blancs qui font exécuter les ordres et qui évitent

en général les travaux manuels.

En plus de nous être très précieux, José était toujours de bonne humeur. Tous les

jours, il faisait le tour de l'île en courant, preuve qu'il ne devait pas être trop fatigué.

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Je ne peux pas raconter en détail la construction du Lodge ; comme la pêche au

requin, c'est quelque chose qui se vit et qu'il est difficile de relater. En effet, je ne me

considère pas assez bon narrateur ; moi qui ne lis pas un seul livre par an ! ; pour

moi, la vie est action, elle se vit au quotidien, en restant à l'écoute des autres. Je suis

constamment en train de me demander : « Bon, qu'est-ce que je fais maintenant ? ».

Cela implique que je suis toujours très impatient ; il faut que le problème soit résolu

tout de suite. Lorsqu'il y a un problème, je tente de le régler à l’instant, du mieux que

je peux, tout de suite.

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FAIRE UN ZAPON

Pour me seconder, j'avais aussi un Français, Jean-Claude Seneque, marié à Rita,

une ravissante et adorable Seychelloise. Rita avait constitué un orchestre de variété

seychelloise qui se produisait une fois par semaine. Rita jouait aussi bien de

l'accordéon que de la guitare. La responsable des bungalows et le la blanchisserie,

Thérèse, était également très douée pour ces deux instruments. Reginald jouait du

violon, Bernard Sanders de la batterie sur un tamtam et Medio jouait du triangle.

Tété qui restera 30 ans avec nous

La famille Marzocchi

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Jean-Claude était en charge de l'entretien. Ce qui signifie qu'il devait régler des

urgences 24h/24 et 7j/7. Un travail de fou !

Je l'aidais chaque fois que je le pouvais avec les vidanges, l'entretien des tracteurs

et du pick-up, avec les pompes qui tombaient en panne, les chauffe-eau qui ne

fonctionnaient plus, les générateurs qui s'arrêtaient en cas de surconsommation

électrique, etc. Les lignes électriques avaient parfois été coupées accidentellement

par les jardiniers ou les ramasseurs de noix de coco. Les bateaux tombaient aussi

très souvent en panne. Un jour, nous avons même perdu une hélice sans jamais

comprendre pourquoi. Un gouvernail s'est aussi décroché et est tombé au fond de

l'eau. Il y avait aussi les moteurs hors-bords à réparer, ce qui pouvait facilement

s'avérer être l'enfer puisque sans la pièce adéquate, nous ne pouvions pas faire

grand-chose.

Bref, Jean-Claude était partout. Il était aidé par un mécanicien du nom de Simon. Et

dans le cas où il bloquait sur une réparation, nous faisions venir « le magicien » :

Charlie Marzocchi, cet Italo-Seychellois était marié à Daphnée, une ravissante et

adorable Seychelloise. Il savait absolument tout faire. Rien ne lui résistait. Il était le

champion du monde toutes catégories du Zapon, il trouvait toujours une solution à

tout problème. Il arrivait dans le petit Cesna avec Aggie, quelques pièces sous le

bras et à peine descendu de l'avion, il se précipitait vers le générateur, le D6 ou autre

engin en panne. Tout seul ou presque, il s'attaquait au problème et quelques heures

plus tard, comme par magie, le problème était résolu. Ses interventions étaient très

bien rémunérées, il le méritait. Il nous a apporté son aide un grand nombre de fois.

Sans lui, nous aurions vraiment eu de gros soucis. Merci à toi, mon Charlie !

Jean-Claude Rita

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ENCORE QUELQUES PERSONNAGES

Il m'est en revanche difficile de parler de Jean-Luc Figeat. Je sais que Tonton Pierre

l'aimait beaucoup. C'était un poète, un philosophe. Mais comment avoir un point de

vue objectif sur l'individu étant donné qu'il couchait avec ma femme ? Et ensuite

épousée !

Un autre homme important prit part à notre aventure : Max Frichot. Max venait de

Bird Island et nous l'avions en quelque sorte « piqué » à Bird. C'était un blanc

Seychellois, grand, mince, toujours en train de rigoler avec des expressions bien à lui

telles que « doucement le matin, pas trop vite l'après-midi ». La chanson " il est libre

Max " a été écrite pour lui.

Max Frichot et Charlie Marzocchi à droite

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LA FIN DU REVE

L'hôtel, à cette époque, en 1990, affichait toujours complet. On ne parlait que de l'île

Denis aux Seychelles, c'était « l'endroit où il fallait aller ». Il est vrai qu'on s'y amusait

énormément et que l'ambiance était extraordinaire.

Mon père, Pierre BURKHARDT, alias Tonton Pierre, après avoir mené à bien ce

projet (extravagant ?) d'acheter une île et d'y faire construire un hôtel, continua à agir

comme si tout était écrit d'avance, comme s'il avait déjà vécu les événements qui se

présentaient à lui, jour après jour. Il avait réponse à tous les problèmes, prenait

toujours les bonnes décisions.

Tout au long de cette aventure, sa femme Suzanne l'a suivi, parfois un peu à

contrecœur : la France et sa mère Rosita, plus particulièrement, lui manquaient.

Heureusement, la famille venait à tour de rôle nous rendre visite. Noël était un

moment de communion très émouvant. Nous partions tous ensemble du bâtiment

principal, une bougie à la main, vers la chapelle ; c'était presque irréel, magique.

La raison pour laquelle Tonton Pierre décida un jour de vendre l'île reste un mystère.

Avait-il anticipé la crise mondiale à venir et prévu que les touristes, de ce fait, ne se

rendraient plus aux Seychelles ? Qui sait ?

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QUE RESTE-T-IL DE CETTE AVENTURE ?

Peu de personnes ont eu la chance de pouvoir vivre ce que j'ai vécu. Malgré les

souvenirs extraordinaires que cette aventure m'a laissés, je ne peux m'empêcher

d'avoir des regrets, de me dire que si mon père n'avait pas vendu l'île, je pourrais

encore y être.

J'ai sélectionné une quantité de photos, rassemblé toutes les coupures de journaux

qui ont parlé de « nous »: le Figaro, le Figaro Magazine, Paris Match, Playboy, Gault

et Millau, et tant d'autres. Il est assez amusant de voir que Playboy fait figurer mon

père sur la même page que Paul-Emile Victor, Marlon Brando et Amanda Lear.

J'ai demandé à Chris Martin de photographier toutes les pages des Livres d'Or.

Certains ont écrit des choses si belles, amusantes et, je le crois, sincères, qu'il

m'attristerait de voir autant de signes de reconnaissance tomber dans l'oubli.

J'ai aussi les livres d'entretien du phare de l'île Denis, ainsi que les dates et noms de

ses visiteurs. Ces documents constituent les sources primaires de l'histoire de l'île

Denis.

J'ai précédemment évoqué le rôle de mon frère Guy, notre seul lien avec Mahé avant

l'installation de la station de radio officielle Bon Espoir. Nous avons eu la télévision

des Seychelles en 1995 de 18h à 21h. Nous n'aurons internet que beaucoup plus

tard, en 2000.

J'ai décidé de réunir toutes les photos, diapos et vidéos intéressantes et amusantes

que j'ai trouvées sur un DVD. Cet acte est important pour moi, peut-être parce qu'il

me permet de tourner la page. Parfois, je m'imagine qu'il est possible que toute cette

histoire n'intéresse plus personne d'autres que moi et ma mère. Mais qui sait ? Il me

semble juste d'en faire quelques exemplaires, même si l'île Denis apparaît peut-être

à la plupart d'entre vous comme un bien lointain souvenir.

En ce qui me concerne, vous aurez saisi que cette aventure a laissé sur moi des

traces indélébiles. Il ne se passe pas un jour sans que quelqu'un ne m'en parle.

Le sentiment que j'éprouve à ces occasions frôle parfois l'insoutenable. Je doute que

la douleur associée à ces souvenirs me quitte un jour, c'est pourquoi je ne souhaite à

personne de vivre une telle expérience.

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A chaque fois que j'ai l'occasion de discuter avec quelqu'un qui travaille avec son

père, je le mets en garde : « Evitez de travailler en famille. Soyez ferme, négociez

bien votre participation dans le business de votre père ».

Ma vie fut détruite par ce qui semblait être au départ le rêve de tout homme. J'ai

traversé deux divorces, puis suis reparti à zéro. J'ai été pendant neuf ans chauffeur

de taxi dans le Var à la grande surprise de ma famille. Lorsqu’on leur demandait ce

que je faisais, ils répondaient : « Il a une entreprise de transport ». Sans préciser,

bien sûr : « dont il est le seul employé ». Mon opinion est qu'il n'y a pas de sot métier,

il n'y a que de sottes gens.

Si ce livre a pu vous aider, ou du moins vous changer les idées, j'en suis très

heureux. Loin de moi le désir de nourrir quelque sentiment d'animosité envers ceux

qui, au contraire, auraient trouvé ce récit inintéressant ; je voudrais néanmoins leur

dire que j'ai mis beaucoup de cœur à son élaboration et que cette entreprise s'est

avérée salutaire, au moins en ce qui me concerne.

J'aimerais également rendre hommage aux personnes suivantes, qui ont beaucoup compté dans cette aventure :

Pierre et Suzanne BURKHARDT, Patricia, Dominique, Guy, Gérard et Laurence

RODRIGUEZ, Robert GAUDRAT, Lynn et Aggie Robinson, José Jumeau, Maryline

Faure (qui se mariera sur l'île), Max Frichot, Jean-Claude et Rita Seneque, Anna

D'ARC, Marcel et Corinna Frichot, Robin Furneau, Charly Lepathy et Tété (dont le

destin est lui aussi incroyable, puisqu'elle est toujours avec nous, elle s'occupe

aujourd’hui de ma mère).

Et enfin, je n'oublie pas tous les employés de l'île Denis.

Tous ont, à un moment ou un autre, participé à cette incroyable aventure. Sans eux,

l'île Denis n'aurait jamais été ce qu'elle fut.

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QUELQUES DATES REPERES

L'île Denis a été découverte par Denis de Trobriand, d'où son nom, à bord de la

Flûte en 1773. Bird sera découverte en 1776 par le Capitaine de l'Eagle.

Vers 1895, l'île Denis était devenue une mine de Guano (excréments d’oiseaux qui

servaient d’engrais). On y retrouve même, aujourd'hui encore, des rails et des

chariots, qui servirent à transporter le guano jusqu'à la plage avant d'être chargé sur

des pirogues, puis sur les navires marchants. Si cela vous intéresse, Richard

Touboul a écrit plusieurs livres sur les Seychelles intitulés : Les Seychelles

Aujourd'hui, que vous pouvez consulter si vous désirez en savoir plus.

La construction du bâtiment principal fut particulièrement dangereuse et sportive. En

effet, à l'emplacement du bar actuel se trouve un arbre immense qu'il a fallu planter

dans un énorme trou : le toit a une forme de parapluie et toute la structure repose sur

ce toit. L'arbre est tombé à plusieurs reprises lors de nombreuses tentatives pour le

rentrer à l'intérieur de cette ouverture. Chaque fois qu'il commençait à pencher, nous

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n'avions aucune idée du côté vers lequel il allait tomber ; c'était un peu comme à la

roulette. Nous courrions dans tous les sens, espérant ne pas se le prendre sur la

tête. Fixé à de nombreuses cordes et tiré par des dizaines d'hommes dans un sens,

par le D6 Caterpillar dans un autre sens, et enfin par le tracteur dans une autre

direction, l'effet de tension des cordes variait au fur et à mesure.

Cela pouvait avoir deux conséquences : soit le tracteur s'envolait en marche arrière,

abandonné par son conducteur, soit les hommes et le D6 tiraient trop fort (ou pas

assez), et avec l'effet élastique des cordes utilisées, le tronc immense commençait à

s'affaler, puis se mettait à tourner vers la droite ou vers la gauche pour s'abattre enfin

brutalement à un endroit totalement imprévisible. Pour corser la difficulté, certaines

cordes se rompaient parfois brutalement, ce qui signifiait que l'arbre pouvait repartir

tournoyer dans la direction opposée. Vous pourrez constater par vous-même le

spectaculaire d'une telle situation sur la vidéo.

Le bâtiment principal brûla entièrement en 1998 et dut être entièrement reconstruit.

Nous n'en avons jamais découvert la cause, mais l'incendie était très impressionnant.

Ceux qui avaient construit le premier bâtiment savaient qu'il n'allait pas être facile de

recommencer car, à ce moment là, nous n'avions plus le bulldozer pour nous venir

en aide. En effet, ce dernier faisait tellement de dégâts sur l'île avec ses chenilles

que nous l'avons revendu dès que nous avons estimé qu'il n'était plus indispensable.

L'hôtel a officiellement ouvert en décembre 1977, mais l'aventure avait réellement

commencé le 6 décembre 1975, date de l'achat de l'Ile. Nous avions visité l'Ile Denis

pour la première fois le 26 septembre 1975, le livre des visiteurs de Denis atteste par

ailleurs notre présence à cette date.

Je suis arrivé à Mahé pour la première fois en tant que représentant du propriétaire

de l'Ile Denis avec mon épouse Caroline le 11 janvier 1976. C'était mon cinquième

voyage aux Seychelles (26/10/1974, 3/05/1975, 13/09/1975 et 20/10/1975). En

relisant mes notes de l'époque, j'ai pu me souvenir que les premiers amis à être

venus nous rendre visite étaient Jean-Pierre et Fanchon Fournier (arrivés le 18

janvier 1976) et Michel Colle (arrivée le 20 mars 1976).

L'Ile Denis a été vendue en 2000.

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UNE LETTRE EXTRAORDINAIRE

Mon père nous a adressé en 1990, à mes sœurs, mon frère et moi, un courrier, qui

résume bien son caractère :

« Mes Chers enfants,

J'espère ne pas devenir un vieillard autoritaire, acariâtre et dynamique, mais au

contraire vous rendre la vie aussi douce et aussi belle que possible.

Réciproquement, je souhaite avant de devenir complètement gâteux être traité avec

la plus grande déférence et les plus grands égards. Je souhaite que vous écoutiez

ce que je dis sans m'interrompre ou me contredire inutilement, que vous en teniez

compte non pas à la lettre mais dans l'esprit.

J'admets souvent formuler mes pensées d'une façon si subtile ou si nuancée qu'il est

difficile de les saisir. Je souhaite que vous fassiez un petit effort pour me

comprendre. De mon côté, je m'efforcerai de devenir plus clair sans devenir trop

catégorique.

Réciproquement, je souhaite que vous me fassiez part de vos objections, de vos

ennuis ou de vos difficultés de la façon la plus plaisante, avec le sourire, afin de me

ménager et de me laisser l'impression (au moins l'illusion) que vous dominez la

situation et que cela ne vous empêche pas d'être heureux. Signé : Votre Père »

Suzanne et Pierre Burkhardt

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POSTFACE

Je n'ai certainement pas écrit un best-seller mais au fond de moi, je suis exactement

comme vous quand, disons, vous achetez un flash du Loto. Vous vous dites : «

Pourquoi pas moi ? » et vous commencez à faire des projets : je ferai ceci, je ferai

cela... Vous rêvez, jusqu'au jour du tirage. A ce moment-là, vous n'osez pas regarder

les résultats, tellement vous avez peur de gagner ou de perdre. En général, vous

n'êtes pas si déçu, puisque vous décidez tout de même de rejouer !

Pour ma part, je rêve que la vente de mon livre me permette de racheter une île. Car

cette île me manque profondément. Elle me manque comme on peut manquer

d'oxygène pour respirer correctement. J'ai cru si fort que cette île deviendrait un jour

la mienne. Je lui ai sacrifié vingt ans de ma vie au cours desquels j'ai connu deux

divorces. Depuis, j'ai donné une troisième chance au mariage pour donner de

l'amour à une femme que j'ai rencontrée un peu par hasard.

J'ai travaillé jour et nuit avec toute ma bonne volonté, un peu comme un forçat (sans

week-end ni congés) ; comme le cœur et les poumons qui, sans interruption,

travaillent à faire circuler l'oxygène et le sang à travers un organisme, afin de le

maintenir en vie.

J'espère tout de même vous avoir fait rêver, vous avoir distrait, rire peut-être et

même pleurer ! La meilleure chose que je puisse vous souhaiter, après lecture de ce

livre, c'est de gagner au loto !

Je voudrais remercier tous ceux qui m'ont aidé pour les ébauches du livre. Ils ne

trouvaient rien à changer et me disaient qu'ils avaient les larmes aux yeux en le

lisant.

Mon truc à moi, en revanche, c'est d'écouter les autres afin d'essayer de les aider. Je

me dis : « Que pourrais-je faire pour leur faire plaisir ? ».

Ce livre, je ne l'ai écrit que pour faire plaisir à ma mère. Elle ne m'a pas demandé

d'écrire l'histoire de ma vie, mais plutôt de faire en sorte que l'histoire de l'Ile Denis,

de Pierre et Suzanne Burkhardt et leurs quatre enfants, ne sombre pas dans l'oubli.

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Un point notable de l'histoire, c'est que le grand-père de ma mère est l'illustre

Bâtonnier HENRI-ROBERT et que son grand-oncle est Paul REYNAUD.

Ma mère est pourtant une femme très discrète ; son souci étant aussi d'essayer de

faire plaisir aux uns et aux autres.

Mon souhait est donc que ce livre soit appréhendé non pas comme une

autobiographie auto-satisfaisante, mais plutôt comme un livre d'aventure, 30 ans de

notre vie sur l'île Denis aux Seychelles, dont je voulais vous faire partager les

souvenirs.

Mais si vous avez lu le livre jusqu'au bout, les héros, les aventuriers c'est VOUS...

A quoi pense Tonton Pierre ?

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DERNIERE MINUTE

Cela fait plus de 2 ans que j’essaie d’écrire ce livre sur l’île Denis et je viens de

découvrir que Tonton Pierre, mon père, avait lui-même écrit sa version de son

extraordinaire aventure. Je vous livre donc son récit.

L’ILE DENIS

Pourquoi Les Tropiques ?

Notre goût pour les Tropiques nous est venu aux Bahamas et à Nosy Be. Landegger

s’était fait construire sur l’Ile d’Eleuthéra une superbe maison américaine, deux ou

trois maisons d’invités et une piscine avec barbecue près de la plage. Eleuthéra est

une île très allongée, en bordure de la mer intérieure, avec un vaste plateau corallien

peu profond. Elle est si étroite qu’à un endroit, à marée haute, les vagues passent

d’un côté à l’autre. Les hippies, qui s’exercent au surf, campent sur les plages. A la

pointe, Spanish Wells, grand centre de pêche au gros, on trouve un petit village

européen aux maisons étroites collées les unes aux autres, où pas un noir ne passe

la nuit. Les habitants blancs, type petit blanc, ont un problème de dégénérescence

par consanguinité. Autre particularité des Bahamas, il n’y a pas de taxe sur l’alcool

mais sur la nourriture. Tout le monde n’est pas obligé de boire, mais de manger, oui.

KFL était marié à cette époque à une ravissante chinoise de Taïwan. Les cuisiniers

étant chinois sur l’île, ils faisaient de la cuisine chinoise. Délicieuse mais frugale.

Nous faisions de grandes promenades à cheval. Il y avait quatre ou cinq chevaux.

L’équitation était le seul sport qu’il pratiquait. Il faisait tout très vite, le cheval, le canot

à moteur, la lecture, la photo. Hop, c’était terminé, il passait à autre chose. Dans le

lagon, les coraux étaient superbes, les langoustes abondantes.

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Une île à vendre aux Seychelles

Il était normal que ça résonne à mes oreilles. J’étais sans doute prédestiné. Alors

que je cherchais une maison dans les environs de Paris, j’avais été tenté par une île

sur la Seine. A Nosy-be, au retour de la pêche, nous allions souvent nous baigner

devant une petite île : Sakatia. Elle plaisait beaucoup à Zie à cause d’un merveilleux

flamboyant sur la plage. Mais ce n’était qu’un rocher. Il n’y avait pas d’eau douce.

Aux Antilles, j’avais été à deux doigts de m’associer au meilleur hôtel de la

Martinique, le Bakoua, dans le but d’acheter aux Grenadines une petite île, qui aurait

été un lieu d’excursion et de distraction pour les clients du Bakoua. C’est d’ailleurs ce

qu’a fait le Club Méditerranée à Bora-Bora avec l’immense club de Mooréa. Cette

éventualité d’achat d’une île a donné l’idée à Tom de faire un stage à Bristol dans un

hôtel.

Première visite aux Seychelles

Nous étions venus passer quinze jours aux Seychelles en 1973. L’aéroport

international était ouvert depuis l’année précédente. Avant cette ouverture, les

Seychelles étaient isolées du reste du monde. Tous les deux ou trois mois seulement

un bateau assurait la liaison. Pour annoncer son arrivée, la cloche sonnait. C’était la

fête. Tout le monde descendait au port de Victoria.

Notre but était la pêche au gros. Nous avions loué trois bungalows à Bird Island pour

quatorze jours. Les Seychellois n’en revenaient pas :

- Vous allez vous ennuyer au bout de trois jours.

Jusqu’à présent, les touristes y venaient seulement un jour ou deux pour voir les

oiseaux, qui s’y donnent rendez-vous par centaines de milliers à l’époque de la

ponte. A la tombée du jour, ils noircissent le ciel en tournoyant au-dessus de l’île. Ils

nichent par terre à en marcher dessus. Ils volent à vingt centimètres du visage. Du

vrai Hitchcock ! Les Seychellois sont très friands de leurs œufs, c’est un gros

commerce, aujourd’hui, monopole du gouvernement. Tous les jours, ou presque,

nous allons à la pêche au gros du matin au soir sur le Tega, avec Lynn Robinson

comme skipper. La réputation des Seychelles n’est pas usurpée. A côté des marlins

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et des sailfishs (espadons voiliers très abondants), on trouve un grand nombre

d’autres poissons de sport.

Première expérience, l’île Plate

L’année suivante, nous revenons. Une petite île entourée de récifs très poissonneux,

l’île Plate, qui appartient à un Français, est à vendre à soixante-douze miles au sud

de Mahé. Le passé des Seychelles est français. Ce sont les Français, qui l’ont

découverte ou redécouverte, car les Portugais, sinon les arabes, y sont venus avant

eux et qui l’ont colonisée à partir de l’île de France (l’île Maurice), avant que les

Anglais ne s’en emparent. Ce serait dommage que la présence française

disparaisse. Je me déclare intéresser par l’achat de l’île Plate et je charge de mes

intérêts Aggie, la femme de Lynn Robinson. Un phénomène Aggie, monitrice de

l’Aéro-Club, championne d’acrobatie aérienne, championne du volant, capable de

démonter et remonter n’importe quel moteur. Son animal favori est une énorme truie,

qui vient à son appel et se laisse caresser.

Elle prend pour moi une option sur l’île Plate. Je reviens pour la visiter. Je loue un

bateau. Plate porte bien son nom. Elle apparaît à peine à l’horizon. Le Manager vient

nous chercher en pirogue mue par quatre solides gaillards, les shorts en lambeaux.

C’est un retour de deux ou trois siècles en arrière ! Pas d’électricité, pas de moteur,

pas de pompes, des cochons et des poules partout, ainsi que des mouches,

scarabées, etc. Seule activité : le ramassage des noix de coco et la fabrication du

coprah par une douzaine de travailleurs. Le schooner vient tous les deux ou trois

mois les ravitailler. Il n’est pas venu depuis trois mois. Plus de riz, de sucre, de

cigarettes. Au vu d’une lettre du régisseur, le Manager tue un cochon de lait et deux

ou trois poulets en notre honneur.

Nous allons nous baigner, les cochons nous accompagnent. En sortant de l’eau, ils

traversent la plage au grand galop pour garder leur fraîcheur. A l’appel de la trompe,

un gros coquillage une conque, ils se précipitent pour manger le pounak, résidu du

coprah obtenu après avoir été pressé pour en extraire l’huile.

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La vie avec les Seychellois

La guest-house ne peut nous recevoir tous. Tom, Caroline et d’autres devront

coucher à bord. Les chambres sont séparées par une simple cloison à mi-hauteur.

Sur le lit, un drap, un seul sur la paillasse en laine de coco. Il ne fait pas froid. A la

nuit, la silhouette des Seychellois assis devant le feu pour faire leur cuisine se

détache en ombre chinoise. Quelques jours auparavant, deux travailleurs se sont

battus à coups de machette. Rien ni personne pour les soigner. Ils sont morts tous

les deux.

Toutes ces îles doivent disposer d’une infirmerie baptisée hôpital, d’un bureau et de

deux prisons, l’une pour les hommes, l’autre pour les femmes. Les Seychellois sont

très gentils, un peu paresseux, mais qui ne le serait pas sous un pareil climat ?

Vingt-six à trente degrés toute l’année. Un peu menteurs, héritage de leur ancienne

condition d’esclaves. Ils disent ce qu’ils croient devoir faire plaisir au maître : le

bourgeois. Très gentils, sauf quand ils boivent bière, Guinness, purée ou kalou (un

jus extrait des cocotiers qu’ils laissent fermenter). Ils deviennent alors méchants. Les

disputes commencent toujours par de vilains mots : « il a juré ma mère » est la

suprême insulte. Cela peut mal se terminer et finir par la prison.

On raconte qu’un jour, à Victoria, un homme se baisse pour rattacher le lacet de ses

sandales. Les fesses bien en vue. Un autre passe, c’est trop tentant ! Il lui donne un

coup de pied aux fesses. La bagarre se termine au tribunal. Qui a été condamné ?

L’auteur du coup de pied ? Pas du tout, c’est l’autre, qui a dit de vilains mots.

Sur l’île, ils ne comprennent ni le français, ni l’anglais, seulement le créole, qui est un

patois incompréhensible issu du français. Sur une île éloignée, les célibataires sont

appelés Coqs marrons et accompagnés d’une femme, Poulailleurs. Seul le

représentant du propriétaire, le Manager assermenté, comprend un peu ou fait

semblant. Maître sur l’île après Dieu, il a tous les pouvoirs : patron, policier, juge,

curé, médecin. Il peut condamner à des amendes ou même à la prison.

Page 109: Ile Denis 2013

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Elle est où la mer ?

A Plate, bien entendu, Tom et moi partons à la pêche le lendemain matin. Retour

glorieux avec beaucoup de poissons. Zie fait grise mine :

. Qu’est-ce qui ne va pas ?

. Tu ne vas tout de même pas acheter une île où l’on ne peut pas se baigner ?

. Pas se baigner ?

. Tu es parti à marée haute, tu es rentré à marée haute, mais à marée basse, il n’y a

pas d’eau !

Il faudrait faire plus de deux kilomètres sur le corail pour trouver de la profondeur.

Nous renonçons donc à acheter l’île.

Reliquat sans doute de leur isolement passé, les Seychellois s’intéressent à tout

étranger qui paraît avoir de l’argent. Tous offrent de l’aider. Ils sont désolés d’en voir

partir un.

. Il y a d’autres îles à vendre, nous disent-ils

. Quand c’est raté, c’est raté, je ne cours pas après.

Ils me citent plusieurs îles et pour finir, l’île Denis. Je l’avais vue de loin en pêchant

depuis Bird. Elle est deux fois plus grande. Elle doit être chère. Plate, c’était un jouet,

une plaisanterie. Que ferais-je d’une grande île ? Ils ont insisté.

. Si vous obtenez une option à tel prix, je viendrai la visiter et discuter le prix.

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Première visite sur l’île Denis

Ils obtiennent l’option, je reviens donc voir l’île Denis avec Guy. Première précaution,

nous faisons toute la longueur des plages à la nage et avec nos masques, nous

découvrons les fonds marins. Je suis émerveillé par les coraux, une multitude de

poissons de toutes tailles, de toutes formes, de toutes couleurs, jaune, rouge-argent,

et de minuscules poissons, bleu métallique. Au bord de l’eau, les petits muscardins

argent viennent nous manger dans la main. Un enchantement. L’une des plages est

abritée de la mousson nord-ouest, l’autre du sud-est. Toutes deux immenses. Sur

l’île, la végétation est luxuriante, le paysage change à chaque instant. Des cocotiers,

bien sûr, mais aussi des filaos immenses, des takamakas au bois aussi beau que

l’acajou, des calices du pape et des dizaines d’autres espèces. Le ramassage du

guano a laissé par endroits des creux à fleur d’eau douce du sous-sol où la

végétation se déchaîne.

Partout des oiseaux : des tourterelles qui se laisseraient presque marcher dessus,

sternes blancs à bec noir, cardinaux rouges. Sur les plages, des tourne-pierres.

Dans le ciel, les frégates tournent lentement. D’un côté de l’île, les deux immenses

plages de sable blanc. Sur la côte est, une sorte de lagon peu profond, dont le miroir

bordé par la frange du ressac sur le récif, est seulement troublé par les tortues de

mer, qui viennent pondre sur les plages. Pendant la ponte, rien ne peut les troubler.

A l’éclosion des œufs, les petites tortues se précipitent vers la mer. S’il pleut, elles

s’égarent. Il faut les remettre dans la bonne direction. Sur l’île, il y a une énorme

tortue de mer centenaire. Tous les ans, paraît-il, elle vient à la ferme le jour de Noël.

L’allée Eglise Chinois, allée rectiligne bordée de filaos centenaires, est là pour me

séduire.

Le village (settlement) est en meilleur état qu’à Plate. Pour le reste, c’est exactement

pareil. Pour se doucher, il faut plonger une casserole dans la citerne. La Guest-

House est charmante, elle a beaucoup d’allure. Devant, un banyan tree centenaire

laisse pendre ses racines multiples. Des WC ultra-modernes, incongrus faute d’eau

courante, dont la chasse d’eau est alimentée par un baril sur le toit rempli avec des

seaux au moyen d’une échelle.

Page 111: Ile Denis 2013

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Seule activité : le ramassage des noix de coco pour le compte du propriétaire,

l’arrachage de l’écorce sur un pieu planté sans le sol, le séchage au soleil ou dans le

séchoir appelé calorifère pour en faire du coprah. Une petite quantité est pressée

pour en extraire de l’huile, seule matière grasse pour la douzaine de travailleurs. Le

résidu, le pounak, est l’aliment de base des cochons et des poules qui circulent

librement. La presse à huile est primitive, actionnée par un âne tournant. Il y en a

sept sur l’île, qui assurent aussi le ramassage des noix de coco. La nuit, le braiement

de l’un d’entre eux grimpé sur notre véranda nous réveille en sursaut.

Le prince iranien achète l’île Darros

Sur ces entrefaits, arrive à Mahé un neveu du Shah d’Iran pour acheter l’île Denis.

Pas question d’obtenir la moindre réduction de prix. Les vendeurs, une association

de Seychellois d’origine hindoue, n’ont qu’un seul désir, se débarrasser de moi pour

vendre plus cher au prince iranien.

J’ai une sainte horreur d’être bousculé et de laisser prendre ma place. Je lève

l’option sans obtenir un sou de réduction. Ils vendent au prince une autre île pour un

prix trois fois plus élevé, l’île Darros. Vu d’avion, c’est féérique, deux ou trois îlots

bordent avec l’île principale un petit lagon peu profond. Les variations de couleurs,

de l’ocre du lagon au bleu changeant de la mer et du ciel, sont exceptionnelles. L’île

principale, en revanche, est à peine plus grande que Denis. La seule plage ne vaut

pas l’une de celles de Denis. Peu de végétation en dehors des cocotiers. Elle est à

une heure vingt par avion de Mahé, contre vingt-cinq minutes pour Denis. Pas de

regret.

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L’Archipel des Amirantes, îles lointaines des Seychelles

Est-ce un mirage ? Desroches, Poivre, Tout le monde en parle, personne n’y va.

J’étais dans ce cas, sauf pour Darros. Pas de ligne d’avion régulière. Je loue un

bateau, un voilier bien sûr. Pour faire de la voile, il faut du vent. Nous n’en avons pas

manqué, car au mois d’Août la mousson de Suète (sud-est) ne s’arrête jamais.

Devant l’île Desroches, une grande baie bien abritée du vent nous accueille le

lendemain. C’est sur une remorque tirée par un tracteur que nous visitons l’île.

Epreuve pénible. Eviter le chaos empêche de jouir du paysage. Cocoteraie, fabrique

de coprah, quelques vaches, cochons et poulets, petite scierie primitive. Toutes les

plages de l’île sont bordées d’un platier et d’un récif. Seule la grande baie, où nous

avons mouillé, permet de nager. Elle est très agitée par mousson de Noroît. Une

autre petite baie peu profonde a été envisagée pour construire un petit hôtel. De

chaque côté de la piste d’atterrissage se trouvent des bassins pour produire du sel.

Ils sont abandonnés, ils fuient.

Départ pour Alphonse et Bijoutier, un petit bijou d’île sur les hauts fonds au sud

d’Alphonse. Le vent forcit, nous naviguons au plus serré, la mer est dure. Vers onze

heures du soir, je questionne le skipper :

- Crois-tu qu’il soit vraiment sage de continuer ?

- Je le savais avant de partir, mais j’avais peur que tu croies que je me dégonfle.

Il m’assure qu’étant donné l’orientation du vent, nous ne pourrions pas éviter les

récifs de Marie-Louise. Il faudrait tirer un bord, nous en aurions pour vingt-quatre

heures de plus que prévu. Demi-tour.

Le « 5 Juin », un grand bateau du gouvernement, qui dessert les îles éloignées, est

au mouillage devant Desroches. Les vives lumières nous permettent d’arriver de nuit

à bon port. De nuit, il est superbe. De jour, il aurait besoin d’un sérieux coup de

peinture. Le soir, nous dînons à terre devant la Guest-House très primitive. José

nous fait griller du poisson.

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L’île Poivre

L’île Poivre est séduisante, mais il faut pouvoir venir à terre. Un passage étroit dans

le récif est praticable seulement à marée haute. La Guest-House a un charme

désuet. Du bâtiment d’origine, il reste un pilier au milieu du living-room bordé d’un

immense canapé sous une baie fleurie de bougainvilliers. La maison du régisseur

donne sur une grande cour bordée de bâtiments de la ferme envahie d’une foule de

dindons et de pintades. Je conclus l’échange d’un ou deux couples de dindons et de

pintades contre un verrat de notre élevage. Traités comme des princes, nous nous

sentons tels.

L’île principale est reliée à la seconde par une chaussée seulement praticable à

marée basse. C’est beaucoup plus grand et plus primitif qu’à l’île Denis. Entre les

deux îles, le grand platier de corail est peu profond. Mais ô surprise ! Il est coupé

d’une sorte de chenal d’eau profonde communiquant avec un grand bassin, profond

lui aussi, mouillage idéal protégé de tous les vents. Il suffirait de prolonger ce chenal

à travers la plage voisine sur cent cinquante ou deux cents mètres pour

communiquer avec la mer. On se prend à rêver en imaginant les yachts de passage

tranquillement à l’abri entre les deux îles. Une escale idéale.

La Guest-House est louée à la semaine par des amateurs de plongée et de nature

sauvage. L’île Poivre appartenait à deux autrichiens, deux frères. L’un d’eux est

mort, celui qui était passionné de Poivre. Le survivant ne s’y intéresse guère et

souhaite vendre, paraît-il, depuis longtemps. Pas d’amateurs peut-être. Pour

aménager une île éloignée sans piste d’atterrissage, il faudrait beaucoup de courage

et de sous.

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Notre séjour à Darros

A Darros, les propriétaires, le prince et la princesse, nous reçoivent princièrement.

Deux maisons d’invités somptueuses comprenant un grand living-room et deux

chambres avec de magnifiques salles de bains sont mises à notre disposition. Les

toits en chaume sont doublés en bois verni. Des rondelles de bois de Takamaka

prises dans du ciment blanc forment le sol. La maison du prince due à l’architecte

Couelle (auteur du village la Bastide sur la Côte d’Azur), que nous avions vue en

construction lors de notre première visite, est terminée depuis longtemps. Le toit en

chaume a été remplacé par un toit en cuivre. Les portes et les fenêtres ne

comportent ni lignes droites, ni angles. C’est une question de goût. Le living-room à

plusieurs niveaux est immense et très agréable à vivre.

Il faut rentrer, nos hôtes nous offrent de profiter de leur avion. Nous acceptons. Nous

ne le regretterons pas. Le vent a encore tourné. El Gringo aura une traversée dure.

Le vol nous laisse apercevoir l’île Eagle Island ou Remire du nom de l’immense récif

voisin. C’est paraît-il une toute petite île qui, depuis longtemps, appartient au

gouvernement, petite île mais charmante avec une grande maison aux murs très

épais et un excellent mouillage. Quand les touristes ont commencé à envahir l’île

Denis, que les constructions étaient terminées, j’avais songé à aménager Remire

pour moi. Aujourd’hui, occupée par l’armée, son survol est interdit. Une piste

d’atterrissage a même été faite. Elle ne doit pas laisser beaucoup de terrain pour le

reste, car Remire est toute petite. Plus au nord, African Bank est un simple banc de

sable avec des milliers d’oiseaux, un seul cocotier et peut-être un phare.

Les Amirantes, c’est Poivre, puisque Darros est une île privée. Quand on a vu

Poivre, on a tout vu. Toutes les îles se ressemblent. Il est préférable de louer un

avion pour Desroches à sept ou huit personnes pour réduire les frais. Le schooner

de Poivre vient vous chercher à Desroches. La Guest-House de Poivre peut être

louée à la semaine et recevoir une douzaine de personnes. Personnellement, je

préfère Denis, les plages et les fonds sous-marins tout proches n’ont leur équivalent

nulle part. La végétation est beaucoup plus variée et plus belle.

Page 115: Ile Denis 2013

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L’autorisation de construction se fait attendre

En attendant l’accord indispensable du gouvernement, je suis autorisé à jouir de l’île.

Plusieurs séjours charmants. Vie primitive. J’attends longtemps mon autorisation. Le

prince a déjà la sienne. Après avoir cru levés tous les obstacles, l’opposition vient de

l’agriculture :

- Que voulez-vous ?

- Il faut que vous vous engagiez à développer l’agriculture.

- Comment ?

- Elevez des vaches.

- Combien ?

- Cinq.

L’île Denis pouvait, m’avait-on dit, en nourrir cent.

- D’accord.

Je suis ainsi obligé d’élever des vaches, mais seulement autorisé à obtenir l’accord

du Planning Department, si je veux construire un petit hôtel ! Zie souhaite une

grande et belle maison avec deux ou trois maisons pour des amis ou des pêcheurs

enthousiastes. Tom propose de s’occuper de l’île. Il fait sa deuxième année de droit

à Nanterre. Depuis mai 68, Nanterre ne soulève pas l’enthousiasme. Guy est au

Quartier latin, désireux de tout faire, une licence d’anglais et une de droit. Il se porte

candidat. La maison de papa et maman et l’élevage de quelques vaches paraissent

insuffisants pour leur activité. En revanche, la création d’un hôtel, comme toute autre

création, est une excellente formation pour des jeunes. En avant pour l’hôtel ! La

belle maison de Zie attendra.

Page 116: Ile Denis 2013

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Less Hutchinson

Less, Lynn, des personnalités complexes

Je choisis comme mentor de mes deux fils, Less, un grand américain barbu d’une

cinquantaine d’années, connu à Bord Island, et d’un contact agréable. Hélas, une

fois sur l’île, sa véritable personnalité se révèle. La scie à moteur lui paraît un jouet

amusant. Il se met à tout couper au point de faire tomber les arbres sur les maisons

du village.

- Je ne pouvais pas faire ça quand j’étais jeune, j’en profite.

Je me suis trompé sur son compte. Il n’est, dit-il pour s’excuser, qu’un beachcomber

(vagabond des plages). Pour le remplacer, Aggie me propose Lynn, son mari sur le

bateau duquel nous pêchions. Il se révèle à l’usage un directeur efficace, très

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énergique, trop même. Je surestime l’intelligence de Lynn et sa subtilité. Il me posera

un jour la question :

- Qui est le patron ?

- Moi évidemment.

- Dans ce cas, faites ce que vous voulez, je ne fais plus rien.

Je compte sur Lynn pour former mes deux fils, mais plutôt que d’apprendre à Tom, il

ne lui laisse aucune responsabilité. Tom souffre et ne me dit rien. J’apprendrai plus

tard qu’il m’a écrit une lettre. Je ne l’ai jamais reçue, et pour cause, il ne l’a jamais

envoyée.

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Les travaux débutent

Je dessine sur le sol avec des piquets le contour des bâtiments. Pour obtenir le

permis de construire, il faut présenter un dossier. Un soi-disant architecte seychellois

s’y prend à trois fois pour établir les plans.

C’est incroyable ce qu’on peut faire avec un bulldozer. Rien ne lui résiste. Mais pour

amener un bulldozer sur une île sans port, sans quai de débarquement, sans même

une rampe sur la plage, ce n’est pas une petite affaire. Il faut une barge à fond plat

avec l’avant rabattable pour accoster sur la plage. Le bulldozer est si lourd qu’il doit

venir sur la barge de Mahé (100 kilomètres). La barge ne supporterait pas une mer

agitée, il faut attendre une période de calme en priant le ciel qu’elle dure. Une rampe

de sable est nécessaire entre la barge et la plage. En s’engageant sur cette rampe,

le conducteur hésite, le bulldozer bascule dans l’eau. Nous mettrons trois jours pour

le récupérer. Le conducteur, un incapable, fausse l’arbre moteur. Résultat, trois mois

de retard. Lynn le remplace et fait la piste d’atterrissage en dix jours. Quand Aggie

atterrit pour la première fois, Tom en pleure : jusqu’à présent, pour jouir de l’île, il

fallait le mériter, huit à douze heures de bateau selon l’état de la mer. La seule

liaison était Aggie, qui venait en avion jeter des messages.

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Faire et défaire… Une construction laborieuse

En attendant le permis de construire, Lynn fabrique un bungalow témoin. Nous

l’essayons et apportons vingt-deux modifications pour les suivants. Le permis de

construire est enfin accordé en juin 1976. Lynn met toute la gomme. Il trait à forfait

avec tous les corps de métiers. Ca va très vite. Les charpentiers se font des mois

astronomiques, mais ne terminent pas les charpentes. Les maçons travaillent vite,

mais les murs et les sols se lézarderont au bout de deux ou trois ans seulement.

Nous devrons refaire toutes les toitures des bungalows. Le Latania importé de

Praslin à grands frais devait tenir vingt-cinq ans contre cinq pour les feuilles de

cocotiers. Désormais, nous intercalons une feuille de plastique entre chaque rangée

de feuilles de cocotiers pour éviter que l’âme épaisse de la feuille de cocotier ne

pourrisse.

Le bâtiment principal est une grosse affaire. Le poteau central, amené de l’autre bout

de l’île par le bulldozer, tombe trois fois avant d’être érigé. Il faudra abattre le gros

arbre, dont nous nous sommes servis pour le hisser. Il était tellement fatigué qu’il

risquait de tomber. Les plans sont complètement stupides : des poutres énormes qui

ne supportent rien, des portées énormes sans soutien. Je fais rajouter des poteaux à

la salle à manger, des entretoises par-ci, par-là, un petit toit au bar, qui manquait

d’intimité, enfin et surtout, deux rosaces supplémentaires au poteau central pour

renforcer les solives du toit. Tout le monde admire cette charpente, elle est paraît-il

identique à celle d’un château du douzième siècle aux environs de Paris. C’est une

chance, pur hasard. Pour l’ensemble du toit, il faut six mois, feuille par feuille, à trois

équipes pour le couvrir.

Un entrepreneur de passage a regardé tout cela avec une moue dubitative. Il m’a

vivement conseillé de fixer des haubans à demeure. Quand tout a été terminé, les

haubans de montage sont enlevés. Tout tient tout, le poteau soutient la charpente

qui maintient le poteau. Une bourrasque a soulevé quelques feuilles, la charpente n’a

pas bougé.

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Une délégation du Planning Department vient en inspection. Ils sont venus, me

disent-ils à la fin de leur visite, « un couteau entre les dents ». Pourquoi ? N ‘avons-

nous pas fait du bon travail ? Nenni ! Simplement parce que : primo, nous ne leur

avons pas notifié le commencement des travaux. Secundo, nous avons corrigé les

erreurs du plan sans leur accord. Nous avons par exemple séparé par un vide le mur

des citernes du mur de la centrale électrique que l’architecte avait prévus mitoyens !

des plages de rêve....

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Naufrage du bulldozer

Au début, je ne suis pas sur place en permanence. La dernière année, j’y passe

onze mois. Nous n’avons plus le temps de modifier les erreurs après coup. Je n’ai

pas assisté au naufrage du bulldozer, ni aux trois chutes successives au poteau

principal. Quand on le raconte, ça n’a l’air de rien, mais ceux qui ont fait ou dirigé le

travail ne l’oublieront jamais. Pour le débarquement des trois grosses génératrices, la

remorque est embarquée sur une barge, chaque génératrice déposée sur la

remorque. La barge revient à la plage. La remorque est tirée par le bulldozer sur la

terre ferme. La génératrice est soulevée par un palan et posée à terre pour libérer la

remorque. Et on recommence.

Le bulldozer en mauvaise position

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Des conditions inutilement sévères sont imposées. Les câbles électriques sont

exigés si gros que pour un hôtel de Mahé construit par des Italiens, le diamètre

demandé n’existait pas en Italie. Dans les bungalows, les corps de métier se

succèdent : les maçons, puis les charpentiers, les couvreurs, les carreleurs, les

électriciens, les peintres, et petit à petit, l’un après l’autre, les bungalows sont

terminés. De temps à autre, un corps de métier est insuffisant, tout est paralysé.

Nous ne recevons pas les carreleurs promis, ils sont tous requis par le

gouvernement. Je dois faire venir de France un carreleur espagnol pour apprendre le

travail à mes maçons. Quand ils l’ont su, ils m’ont quitté pour aller travailler ailleurs.

Breakfast sur le lieu de travail

Tous ceux qui l’ont vécu regrettent la vie au village, elle était pleine de poésie. Réveil

à six heures par la cloche. Distribution du travail. Il faut démarrer les tracteurs et le

bulldozer. Cela ne va pas tout seul et ça fait du bruit. Vers neuf heures, c’est l’heure

du thé. Tous les ouvriers abandonnent leur poste. Le temps de revenir au village,

d’allumer le feu, de préparer et de manger le petit-déjeuner, ils perdent une heure.

J’institue un service de petit-déjeuner sur le lieu de travail.

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J’achète un nouveau bateau

Après le déjeuner, si le travail s’effectue normalement, Lynn accepte de nous

emmener faire un tour à la pêche. Il est partagé entre son amour de la pêche et son

sens du devoir. En Angleterre, je lui ai acheté un nouveau bateau tout neuf, superbe

et rapide. Il doit me rembourser par prélèvement mensuel sur son salaire. Avant de

choisir, je l’ai emmené en hiver sur la côte d’Azur. Lynn a emprunté un blazer qu’il ne

peut boutonner et des chaussures. Sur l’île, il porte bien des bottes, mais nous avons

découvert qu’elles n’ont pratiquement plus de semelles. Quand on lui demande sa

religion, il se déclare « Bush Bishop », évêque de la brousse. Quelle n’est pas son

indignation de voir les Marinas pleines de bateaux, qui ne sortent jamais, en

moyenne soixante-dix heures par an ! Lynn, lui, sortait avec des clients jusqu’à deux-

cent-quatre-vingts jours par an, à huit heures ou plus par jour. Nous rencontrons

Alfonso, le mari de Nicole, et allons dîner tous les soirs à l’Escale à Saint-Tropez. Il

fallait voir la tête de Lynn devant les nanas qui lui faisaient de l’œil. Elles se

demandaient qui pouvaient bien être les trois célibataires si dissemblables et quel

était celui qui payait. Toutes les apparences désignaient Alfonso. Non, c’était moi !

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Un quotidien très agréable

La soirée sur la véranda de la Guest-House est pleine de charme. Au début, pas

d’électricité : des lampes Coleman à pression, l’équivalent de deux ou trois cents

watts, et des bougies. La salle à manger entre les deux chambres est transférée

dans une petite maison charmante au milieu de la cour. Les repas sont très gais.

Des amis et des parents viennent nous voir.

Le nouveau Président des Seychelles, France Albert René, vient aussi. C’est surtout

pour la pêche au fond, la nuit, sa grande passion. Il habite le chalet témoin, sa suite

est logée dans les chalets voisins pas encore terminés.

Episode Gérard de Villiers

La visite qui m’a le plus amusé est celle de Gérard de Villiers venu pêcher sur un

superbe bateau de location. Jusqu’à une heure ou deux heures du matin, je l’écoute

développer ses théories tellement conservatrices, racistes et excessives, que sur

chaque sujet, il allait encore plus loin qu’on ne pouvait s’y attendre.

- Tous ces nègres, qui ont dîné avec nous…

- De qui voulez-vous parler ? Lynn est rose et blond comme les blés.

- Tous des nègres !

Il m’explique que tous ceux qui ont vécu longtemps en Afrique ont tous la même

mentalité. Ils ne connaissent et ne reconnaissent que la force. Il me donne un

exemple : deux travailleurs en Afrique sont pour la première fois payés par chèque.

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Le caissier leur explique qu’en présentant le chèque à la banque, ils recevront leur

argent. Devant la banque, l’un dit :

- Va voir et tu me diras comment ça se passe.

L’autre y va, présente son chèque au guichet, l’employé lui demande de signer, il

refuse. A tous les guichets, même réponse, même refus. Au dernier guichet,

l’employé lui flanque une paire de claques :

- Signe !

Il finit par signer et reçoit son argent. Son copain lui demande :

- Alors, comment ça s’est passé ?

- Va tout de suite au dernier guichet, il explique beaucoup mieux que les autres.

Gérard de Villiers tirera de sa visite un livre : « Naufrage aux Seychelles ». Il décrit

avec beaucoup d’humour le skipper de son bateau, qui traite en esclave son

équipière et petite amie. Quant à moi, je suis le « vieux fou », qui construit un hôtel

sur une île déserte.

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Le premier client essuie les plâtres

L’ouverture de l’hôtel est prévue le 1er

Le directeur de l’hôtel craque. Dépression nerveuse. J’aurais dû m’en rendre compte

plus tôt. Je lui ai fait confiance pour commander le matériel pour la cuisine et la

blanchisserie. Ce matériel est surdimensionné, il dépense beaucoup trop de courant.

Nous ne pourrons jamais nous procurer des pièces de rechange.

décembre 1977. Pour un côté seulement :

douze bungalows sur les vingt-quatre, car nous ne sommes pas prêts. Entre les deux

rangées de bungalows, on se croirait sur un parcours de steeple-chase : une

succession de tranchées pour les conduites d’eau et les câbles électriques, quatorze

au total. Avec le futur personnel de l’hôtel, engagé à l’avance, et les ouvriers qui

terminent la construction, il y a quatre-vingts personnes. Des logements

supplémentaires ont été construits pour les loger. Annie, notre femme de ménage de

Beauvallon, que j’ai invitée, apprend aux femmes de chambre à astiquer le

carrelage. Son mari, René, s’amuse à faire les tranchées avec le tracteur. Faute

d’avoir bien pensé le problème, l’eau chaude est produite par des chauffe-eau

électriques individuels. Les génératrices prévues à l’origine ont dû être remplacées

par trois plus grosses. La pression fournie par le très haut château d’eau (Lynn

n’avait pas mégotté) était trop forte, tous les chauffe-eau fuient. Nous devons

installer des réducteurs de pression. Nous retardons l’ouverture à la veille de Noël.

Tom, parti depuis un an à l’Ecole Hôtelière de Lausanne, revient passer les

vacances de Noël à l’ouverture de l’hôtel. Je lui offre de prendre la place du

directeur, la mission de Lynn étant terminée. Il accepte. Il faut assurer l’ouverture.

Notre premier client s’écrie :

- Je vais essuyer les plâtres.

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Il reviendra deux ou trois ans plus tard. Pour l’heure, il paraît que personne ne

s’aperçoit de rien. Je m’en félicite, mais dans les coulisses, nous avons chaud : tout

va de travers, toutes les machines tombent en panne, les génératrices, les pompes,

le fourneau de la cuisine, et j’en passe.

La nourriture est immonde. Formé à l’école anglaise, nos cuisiniers nous servent des

jellies vertes ou violettes, de la viande calcinée, de la sauce à la menthe, le tout à

l’avenant. La veille de Noël, deux ronds de pomme de terre, une ou deux rondelles

de concombres et une olive, sont baptisés salade niçoise. Le steak est archi-brûlé.

C’est irrattrapable, j’ai honte. Je vais m’excuser et promets de me rattraper le soir

pour le Réveillon.

L’Aquabell a sombré

Après avoir, pendant tout le temps de la construction, joué au dictateur sur le

superbe bateau que je lui ai financé, Lynn décide soudainement de me le laisser sur

les bras, préférant rester employé, mais non propriétaire. Ulcéré sans doute de ne

plus être le grand chef, il s’en va au moment de l’ouverture, laissant le bateau au

mouillage. Le matin de Noël, on vient me prévenir que le bateau, l’Aquabell, a

disparu de la surface de l’eau. Seuls apparaissent les tangons et l’antenne radio. Il

est toujours solidement amarré à son corps mort, mais il est au fond. Des soi-disant

experts, qui auraient été mandatés par la compagnie d’assurance, les Lloyds de

Londres, se font forts de le renflouer. Ils se font attendre, ils finissent par arriver avec

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trois bateaux. Ils réussiront tout juste à l’amener sur la plage, grâce à notre bulldozer

et à nos cordages, mais dans quel état. Nous sauverons seulement les moteurs,

dont le prix permettra tout juste de payer les sauveteurs.

Ceci attire les badauds. Traversant la piste d’atterrissage, je croise un grand

monsieur, très distingué :

- Puis-je vous demander ce que vous faites ici ?

- Je suis venu en bateau et je me promène.

- Cette île est privée, il faut une autorisation.

- Vous voulez me fiche à la porte ?

J’apprendrai plus tard que ce monsieur est en fait un super VIP, Président de

l’Automobile Club d’Italie. Nous sommes finalement devenus bons amis. Il nous a

aidés à tirer l’Aquabell à terre. Les fauteuils démontables sont à assembler. Tout est

en vrac, aucune pièce n’est standard. Un vrai puzzle. Les clients se mettent au

travail. Tout le monde veut acheter à la boutique. Mais nous ne connaissons pas les

prix.

Nouveaux arrivés : Jean-Luc, Jean-Claude et Rita

J’engage Jean-Luc du yacht Blue Trout pour épauler Tom. Il surveille les finances et

traite avec l’administration. Comme convenu, il ne s’occupe pas de la direction de

l’hôtel, il la laisse entièrement à Tom. Je pars le 6 janvier et reviens trois mois plus

tard. Tout tourne rond. Tom fait un excellent travail. Le personnel est au point. Il reste

quelques améliorations à apporter, à la cuisine notamment. Je m’en charge. Quand

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je suis sur l’île, Jean-Luc est mon confident. Ce qui manque le plus sur une île, c’est

de pouvoir parler d’autre chose que de la pluie et du beau temps. Jean-Luc m’est

précieux, il est intelligent, très érudit et ne manque pas d’humour. Contrairement à ce

que je croyais, l’hôtel me permet de rencontrer et de bavarder avec des gens, qui

vous apportent quelque chose. Malheureusement, la moyenne des séjours qui est de

quinze jours, c’est trop court pour les connaître mieux.

Musique !

J’engage aussi Jean-Claude et Rita. Un yacht-charter arrivé d’Europe depuis deux

ou trois semaines vient un jour déjeuner sur l’île avec son équipage de convoyage.

Parmi eux, Jean-Claude qui vient d’épouser Rita, une Seychelloise. Il souhaite

trouver un emploi. Je l’engage pour suivre l’entretien des bateaux. Il faut décider

Rita. Elle vient visiter l’île, très grande sur ses hauts talons. Pour Rita, c’est un

changement : employée au gouvernement le jour, elle fait partie le soir de l’orchestre

du Reef Hôtel et du Beauvallon Bay hotel. Elle tient l’orgue à la cathédrale.

Finalement, elle accepte. Rita et Jean-Claude joueront un rôle important dans

l’atmosphère et la réputation de l’île Denis. Rita crée notre orchestre local avec les

employés de l’hôtel, les travailleurs de l’agriculture et les marins. C’était mon grand

désir : un petit orchestre avait existé tout au début, mais Lynn l’avait dissout et

interdit :

- On n’a pas le temps de chanter.

Rita, très musicienne, a une jolie voix. Elle et Jean-Claude jouent tous deux de

la guitare, ils donnent de petits récitals.

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Rita, Thérèse, Anselme et Charlie

Jean-Claude s’occupe de tout ce qui est mécanique, électricité, radio. Il est d’une

intelligence et d’une habileté diaboliques, réparant tout avec n’importe quoi s’il

manque les pièces d’origine. Il est parfois difficile de s’y retrouver après. Rita et

Jean-Claude s’entendent très bien avec Tom. Rita lui sert de secrétaire. Jean-Claude

le décharge de l’entretien et des réparations.

Très cher fuel !

Nous ne cessons jamais d’améliorer, d’ajouter et de construire. D’une part, c’est ma

marotte. D’autre part, je suis perfectionniste. Autant la gestion quotidienne m’ennuie,

autant la construction m’amuse. L’aile nord se termine trois ou quatre mois plus tard.

L’hôtel est officiellement inauguré au mois de mai.

L’année 1978, la première année, fait apparaître une perte importante due en grande

partie aux séquelles de la construction. L’année 1979 nous permet d’équilibrer, à peu

près, nos recettes et nos dépenses sans tenir compte bien entendu des

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amortissements ni de l’intérêt du capital investi. Les frais généraux sont très lourds.

Le fuel pour les génératrices, les tracteurs et les bateaux et pour l’entretien des

machines, absorbe tout le bénéfice brut. Nous essayons de couper les génératrices

la nuit et une partie de la journée. Conséquences : une économie relativement faible,

un inconfort pour nos visiteurs et des chambres froides, qui fonctionnent mal.

Un président chasse l’autre

Chaque année, il se passe toujours quelque chose pour nous empêcher de

progresser. Avant même l’ouverture, en 1976 le coup d’état du Président France

Albert René, alors Premier Ministre, avait été qualifié par certains journalistes,

notamment ceux du Figaro, de main mise des Soviétiques. C’est faux. Certes, le

Président France Albert René a toujours été de gauche, il ne s’est jamais caché

d’être socialiste. Depuis qu’il est au pouvoir, il a beaucoup fait pour les pauvres, les

vieux, les gens modestes. Il leur a facilité l’accès à la propriété de leur logement. Le

Président Mancham, qu’il a renversé, était un excellent public relation pour les

Seychelles, mais comme Président, c’était un rigolo. Il nous a déclaré :

- Aucun souci à se faire pour la procréation aux Seychelles, je suis capable de

l’assurer tout seul !

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James MANCHAM, 1er

Président (Playboy et poète) des Seychelles

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En dehors de cela, il faut avouer qu’il ne faisait pas grand-chose. D’aucuns

reprochent au Président France Albert René d’avoir été un peu trop loin en

supprimant les écoles libres, en régimentant les jeunes à la sortie de l’école, mais

surtout en obligeant les footballeurs à jouer dans l’équipe de leur village sans pouvoir

répondre aux sollicitations d’une meilleure équipe. Ca, c’est grave !

Sur le plan international, il est simplement réaliste et farouchement indépendant. S’il

s’était déclaré partisan inconditionnel des Occidentaux, les Pays de l’Est l’auraient

ignoré et les Occidentaux n’auraient peut-être pas fait grand-chose pour les

Seychelles, puisqu’elles leur auraient été acquises. Le Président France Albert René

s’est déclaré non aligné. Les pays de l’Est sont favorables. Leur aide s’est traduite

d’abord par des envois de livres de l’U .R.S.S. et de professeurs de cuisine chinoise.

Ca n’allait pas très loin. Depuis, l’U.R.S.S. a fait cadeau de quelques milliers de

tonnes de pétrole aux Seychelles, cadeau plus conséquent. De leur côté, les

Occidentaux, et notamment la France, apportent aux Seychelles une aide financière

non négligeable sous forme de subventions et de prêts à long terme. Les Etats-Unis

versent chaque année une forte contribution au budget pour la station de contrôle

des satellites, qu’ils possèdent sur les hauteurs de Mahé.

Pour faire son coup d’éclat, le Président René avait besoin d’armes, dont il ne s’est

d’ailleurs pas servi. Dans ce domaine, les Occidentaux ne sont pas réputés

encourager les guerres civiles, ni les révolutions. C’est donc à l’Est qu’il s’est

adressé. C’est quand même la France qui a fourni une canonnière. Aujourd’hui, dans

la mesure où le Président René a encore besoin d’armes pour se défendre contre

une attaque possible des opposants seychellois, c’est encore l’U.R.S.S. qui les

fournit. Une année, invités pour le 14 juillet sur un bateau de guerre français, en

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logeant le quai, nous nous sommes trouvés par hasard en plein milieu d’un

déchargement de matériel militaire soviétique.

Dans un de ses discours destinés à l’usage des Seychellois, le Président René

développe le thème :

1° - Prenez conscience de votre valeur

2° - Travaillez

Les Seychellois n’ont pas travaillé plus pour autant, mais grisés par leur propre

importance, ils sont devenus moins sympathiques. A Mahé, seulement.

Heureusement, cela n’a pas duré. Une autre fois, le Président René déclare :

« Le tourisme, c’est la confiture. Il nous faut d’abord gagner le pain et le beurre. »

C’était pour l’usage interne. Mais en Europe, les journalistes ont écrit que le

Président ne s’intéressait pas au tourisme.

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La parade ? Contourner une réglementation contraignante

Tom et Caroline occupent Bois Blanc, la maison que j’avais fait construire pour Zie et

moi, sur le modèle de la Guest-House du village, que nous avions continué à habiter

près de six mois après l’ouverture de l’hôtel. C’était très pratique. Suzanne trouvait

chaque jour un œuf sur son oreiller. Mais c’était un peu loin de l’hôtel.

Au début, je rends visite au Président une ou deux fois par an. Ensuite, il est trop

occupé. Les ministres, en revanche, viennent assez souvent. L’administration est

très tatillonne. Une licence est nécessaire pour chaque activité : l’hôtel, le bar, la

boutique, celle du village, la piste d’atterrissage, l’importation des vins, chaque

bateau, sans compter les permis de travail pour les étrangers appelés ici d’un mot

horrible, « expatriates ». Le Président m’a expliqué que les Seychelles ont hérité des

fonctionnaires anglais des réglementations pour justifier leur existence.

- Nous ne sommes pas encore équipés pour les remplacer, il nous faut du temps,

m’a-t-il dit.

De gros progrès ne semblent pas avoir été faits dans de domaine. Au contraire, la

réglementation paraît encore plus contraignante. J’ai trouvé la parade : inutile de

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demander une autorisation, la réponse ne vient jamais. Il suffit d’informer de ce que

nous faisons. Pas de réponse, pas d’objection.

Jean-Luc partira. Son passage ici n’était que provisoire. Il sera dans une certaine

mesure remplacé par Max. Max, une personnalité hors normes. Tous ses frères sont

avocats, comptables ou médecins. Max n’est rien, mais il a tout fait. Le tour du

monde à la voile, le voyage en moto du Kenya à la Place de l’Etoile. Toutes les îles

et propriétés de sa famille, laquelle comprend des opposants au régime, ayant été

expropriées, l’île Denis devient son port d’attache. Il s’absente souvent. Pendant un

an ou plus. Il adore voyager muni d’une valise minuscule, un petit sac en

bandoulière. Il subsiste avec trois fois rien. Il revient sur l’île, généralement amaigri. Il

s’y remplume, mais reste filiforme.

Il joue un peu le rôle de Jean-Luc en ce sens qu’en mon absence, il est un peu le

conseiller de Tom. Moi présent, il est mon confident. Très intelligent, mais sans

aucune culture, il a toujours des points de vue inattendus :

- Que penses-tu de X comme chef d’entretien ?

- Chaque fois que tu introduis une nouvelle tête dans l’équipe, tu vas au devant de

difficultés.

Ce n’était pas la réponse à ma question, mais c’est lui qui avait raison.

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Couvre-feu à Mahé

Alerte aux mercenaires ! Ce n’était pas une fausse alerte, mais cela concernait les

Comores. L’alerte passée, le couvre-feu à partir de 18 heures a été maintenu

pendant près de trois mois. A Mahé, les touristes ont été bloqués dans leurs hôtels

sans pouvoir sortir. Certains touristes arrêtés après le couvre-feu ont passé la nuit au

poste de police. Il y eut peu de cas semblables, mais les rares cas ont eu beaucoup

de publicité.

L’année suivante, l’attaque des mercenaires nous a fait vivre des heures

passionnantes et tendues. Sur l’île Denis, située à cent kilomètres de Mahé, il n’y eut

ni danger ni couvre-feu, mais nous sommes coupés de tout contact avec l’extérieur.

Nos seuls renseignements proviennent de la radio officielle. Nos clients sont bloqués

sur l’île. Certains n’ont plus d‘argent. D’autres, supposés être aux Baléares, ne

peuvent expliquer leur retard. Tous nos appels radio sont refusés. Cela va durer une

semaine. Seul monsieur Spuller, ancien Président de la Confédération Helvétique,

reçoit des appels de Suisse et même des Etats-Unis, de journalistes qui cherchent à

se renseigner. Il refuse de répondre. Les vols internationaux sont enfin rétablis. Il

refuse d’abord de partir avant la fin de la semaine. Air Seychelles vient chercher tous

les touristes. Monsieur Spuller donnera à tous un exemple et une leçon d’éducation

et de sang-froid : il faut séparer un couple, tous refusent d’être séparés, mais lui, le

plus important et le plus vieux, offre spontanément d’être séparé de sa femme.

En fait, démasqués lors de la découverte d’une arme dans le sac du dernier

mercenaire qui passait la douane (tous les autres étaient déjà sortis), les

mercenaires sont tous repartis par avion Air India arrivé dans l’intervalle sans

presque tirer un coup de feu. Avant de partir, ils ont enfermé le personnel de

l’aéroport dans une salle. Ce n’est que vers cinq heures du matin que les otages

découvrent que la porte n’est même pas fermée et qu’il n’y a plus personne, sauf

deux ou trois mercenaires, qui ont pris le maquis. Ils sont rapidement arrêtés.

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La mutinerie est beaucoup plus dramatique. Elle a lieu dans un quartier très peuplé.

Tous les Seychellois sur l’île y ont des parents ou des amis. Les mutins s’emparent

de la radio. Ils lancent appels sur appels au Président, lui affirmant leur loyauté. Le

seul motif de la mutinerie est la brutalité de certains officiers. Pas de réponse. Ils

donnent la parole à tous les Seychellois qui la demandent. C’est captivant. Chacun

dit au Président ce qu’il a sur le cœur. C’est surtout la présence des soldats

Tanzaniens qui les ulcèrent. Le Président est, semble-t-il, absent de Mahé, ou bien il

fait le mort. Certaines personnalités, notamment l’évêque, supplient le Président de

répondre. Seul parmi les ministres, le Dr Ferrari intervient demandant aux mutins de

déposer les armes.

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Les Finances : des hauts et des bas

Sur le plan financier, les prix des hôtels sont bloqués. Les tarifs prudents que nous

avions fixés pour le démarrage ne peuvent être augmentés. En revanche, les

salaires sont augmentés et surtout, la roupie seychelloise est réévaluée de 15 %.

Pour justifier cette décision, le gouvernement explique que les Seychelles importent

davantage qu’elles n’exportent. C’est oublier que le tourisme, c’est de l’exportation et

que toutes les monnaies du monde, ou presque, se dévaluent. Pendant la même

période, l’île Maurice a dévalué sa monnaie par deux fois de 20 %. Le Franc valait

1,40 roupie. Aujourd’hui, en 1985, c’est la roupie qui vaut 1,35 Francs. Les

Seychelles, destination déjà chère en raison des distances et de l’augmentation des

tarifs aériens, deviennent inabordables.

Lors de notre installation aux Seychelles, l’impôt sur les bénéfices était au maximum

de 33 %. Il m’avait été garanti qu’il ne dépasserait pas ce seuil. Mais une taxe sur le

chiffre d’affaires de 10 % est instituée. Elle correspond à un impôt de 33 % sur un

hôtel qui ferait 30 % de bénéfices, ce qui est impossible en hôtellerie. Il faut la payer

même si on ne fait pas de bénéfice. Cette taxe vient d’être réduite à 5 %, mais

généralisée de telle sorte qu’au lieu de payer 10 % sur nos ventes, nous payons 5 %

sur nos ventes, mais également sur nos achats.

Pour couronner le tout, en 1983, le gouvernement Français réduit à mille cinq cents

Francs l’allocation de devises aux touristes. Devant les protestations des agences de

voyage, cette mesure finalement s’appliquera seulement à l’argent de poche, les

frais de transport et d’hôtel ne seront pas limités. Mais le mal est fait, les touristes ne

comprennent pas et on observe un arrêt brutal de l’arrivée de touristes Français.

Diverses nationalités cohabitent sur l’île

Nous recevons beaucoup de monde, plus de deux mille personnes par an, de toutes

nationalités. Au début, beaucoup d’Italiens. Autant, ils sont charmants et bien élevés

quand ils viennent par couples, autant ils deviennent bruyants et sans-gêne quand ils

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sont en groupe. Un jour, un groupe de sept Italiens, à peine le buffet du déjeuner

installé, se précipitent et emportent tous les desserts. Le soir, mon fils Tom ne fait

mettre au buffet que la moitié des desserts. Les Italiens les prennent tous. A la fin du

repas, quand les serveuses apportent la seconde moitié, nos Italiens se précipitent

de nouveau et emportent le tout.

Deux familles sont arrivées d’Afrique du Sud dans leur avion particulier en faisant

escale aux Comores. Ils sont partis à la pêche dès le lendemain matin. A la radio, le

skipper annonce qu’ils sont en panne à environ douze milles d’ici. Nos deux

mécaniciens partent les dépanner sur le bateau rapide. Le démarreur ne marche

pas. Ils démontent tout et reviennent avec un démarreur de rechange à la nuit

tombante. Les Sud Africains n’ont pas voulu quitter le bateau, ils sont restés à bord,

s’amusant comme des fous à pêcher à la palangrotte. Vers vingt-trois heures, je vois

revenir les mécaniciens :

- Alors, tout s’est bien passé ?

- Nous ne les avons pas retrouvés.

- Voulez-vous que j’aille avec vous ?

Offre bien imprudente, car je suis seul sur l’île avec beaucoup de touristes et je ne

laisse pas l’île sans personne à la direction. Ils me répondent « oui ». J’y vais. La

batterie étant démontée, le bateau n’est pas éclairé. Ils ont utilisé de jour en pure

perte leurs fusées de détresse. Quand ils allument le seul feu de Bengale qui leur

reste, je suis à cinquante mètres. Certes, j’ai eu de la chance, mais je suis assez fier

de moi de les avoir trouvés, sans lumière, par nuit noire, à plus de vingt kilomètres

de l’île. Eux sont en admiration. Que je les ai trouvés ? Pas du tout, plutôt que je sois

venu les chercher à minuit ! Ils s’étaient déjà organisés pour dormir, chacun prenant

son tour de veille.

Page 141: Ile Denis 2013

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Très peu de Japonais viennent. Ils n’ont droit, semble-t-il, qu’à dix jours de vacances

par an. Le voyage organisé qui les amène aux Seychelles dure dix jours, dont trois

ou quatre à Paris, deux aux Seychelles. Le reste du temps, c’est le transport en

avion. Pas de temps pour l’île Denis. C’est dommage. Ils sont toujours contents

pourvu qu’ils puissent prendre des photos et manger du poisson cru. L’un d’eux venu

seul ne parlait que le japonais. Quand il ne parvenait pas à se faire comprendre, il

sortait un vocabulaire japonais-anglais et pointait une phrase, toujours la même, «

don’t worry », « ne vous en faites pas ».

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Préserver l’âme de l’île Denis

Mon principal souci est de créer sur l’île une atmosphère de relaxation, de

décontraction, de détachement vers la paix et l’amour, quelque chose de plus que le

ciel bleu et la mer. Comme dit Rudyard Kipling à propos des jardins en Angleterre :

The glory of the gardens lies in more than meets the eyes. « La beauté des jardins

se trouve au-delà de ce que l’œil rencontre ». C’est très ambitieux, je l’avoue, mais

quand je dis créer, je manque de modestie. Il émane de l’île Denis, sans que j’y sois

pour quelque chose, un je ne sais quoi qui vous fait sentir tout petit en même temps

qu’il vous transporte, vous transcende, vous émeut, comme devant une œuvre d’art,

une belle musique, un paysage. Ne pas abîmer l’île fut mon premier soin. Côté cœur,

le laisser s’épanouir, c’est tout ce qui me restait à faire. D’aucuns y sont sensibles

dès qu’ils mettent le pied sur l’île. Pour d’autres, il faut deux ou trois jours. Certains y

sont allergiques et ne veulent pas se laisser séduire. Mais ils sont rares.

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J’espère n’avoir pas failli. Tout ce qui a de l’importance ailleurs, ici, ne compte plus.

Des valeurs nouvelles, inconnues ou ignorées, les remplacent. L’un de nos hôtes

fidèles cherchait à traduire ce qu’il ressentait. « Voyage au bout du rêve » est ce que

nous avons trouvé de mieux. Après être passés ici, beaucoup ne sont plus tout à fait

comme avant. Deux exemples : la fille de mon ami Pierre est venue. C’est une petite

fille modèle. En rentrant à Paris, elle fait à son père en bras d’honneur :

- Je veux vivre ma vie, tout ce qui m’entoure ici n’a pas de valeur.

Heureusement, cette réaction n’a pas duré. Ma fidèle secrétaire m’envoie sa fille qui

ne veut rien entendre ni continuer ses études. De retour à Paris, elle se fait docile, ce

ne sont que :

- Oui maman, bien maman.

Et elle a repris ses études.

Les larmes du départ

Sur la piste d’atterrissage, en attendant l’avion qui les ramènera à la civilisation, les

jeunes femmes portent souvent des lunettes noires. Pour se protéger du soleil ?

Nenni, pour cacher leurs yeux rougis par les larmes. Elles reviennent pour la plupart

sur l’île. Certaines ne sont pas revenues, peut-être dans la crainte de ne pouvoir

supporter le choc du retour et la peine d’un nouveau départ. Nombreux sont ceux qui

tapissent leur bureau de photos de l’île Denis. Encore plus nombreux sont ceux qui

me remercient de les avoir reçus et qui m’apportent des cadeaux quand ils

reviennent. Est-ce la preuve qu’ils ont senti, qu’en plus des services que l’hôtel leur

fournit et pour lesquels ils participent, que nous leur apportons un peu de notre cœur,

un peu de notre joie de les faire participer au rêve permanent que nous vivons ?

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Une personnalité émouvante

Romy Schneider par la sobriété de son jeu suggère plus qu’elle ne décrit. Emu par la

mort de son fils, je l’invite trois semaines. Elle reste plus d’un mois. Un soir, elle

s’absente un moment et revient avec un petit mot exprimant tout ce qu’elle ressentait

dans cette soirée. Elle est morte peu après.

La vérité sort de la bouche des enfants

Les enfants sont souvent bruyants et certains mal élevés. Ils nous réservent parfois

des perles. Dans un concours à qui donnerait les meilleures réponses, certaines

nous ont charmés :

- Si vous deviez réaliser quelque chose d’impossible, que souhaiteriez-vous ?

- Revoir tous ceux que j’ai connus et qui sont morts.

La palme revient à mon petit-fils, Jean-François, trois ans :

- Si vous partiez sur une île déserte et que vous ne puissiez emporter qu’une seule

chose, que prendriez-vous ?

- Ma valise.

- Si vous étiez le propriétaire de l’île Denis, que changeriez-vous ?

- C’est moi le chef.

Plus récemment, il demande :

- Est-ce que je vais bientôt mourir ?

- Non, on ne meurt pas quand on est jeune, on meurt quand on est vieux et qu’on a

des cheveux blancs.

Le soir même, Jean-François avise un monsieur à cheveux blancs :

- Est-ce que tu vas bientôt mourir ?

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Jean-François Robert, Dominique et Luc-Marie Menard

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HISTOIRE ET LEGENDE DE L’ILE DENIS

Trésor et squelette

La découverte de l’île Denis et sa prise de possession au nom du Roi de France se

situe bien après celle des Seychelles.

Dès 1509, les Seychelles sont mentionnées par les navigateurs portugais et figurent

sur leurs cartes sous le nom des Sept Sœurs. Il est possible, sinon probable, que les

navigateurs arabes y soient passés avant, bien que ceux-ci eussent surtout navigué

le long des côtes. La prise de possession de Mahé au nom du Roi de France date de

1756, mais il faudra attendre le 27 août 1770 pour que débarquent du navire le

Télémaque les premiers habitants en provenance de Saint-Malo. Les plus anciennes

cartes mentionnent au nord une seule île baptisée l’île du Nord sans qu’il soit

possible de dire s’il s’agit de Bird Island ou de l’île Denis.

C’est seulement le mercredi 11 août 1773, que Denis de Trobriand, un des

lieutenants de La Pérouse commandant la flûte du roi l’Etoile, découvre l’île Denis

qu’il décrit dans son journal de bord.

Journal de la Flûte du Roi l ‘Etoile commandée par M. de Trobriand pour les Mers

Orientales de 1773 à 17777.

Ce journal, commencé au départ de Lorient, nous conduit à l’Isle de France et à

Bourbon, puis de là aux Seychelles. Il parle des plans de ces îles par Du Roslan

(1770-71) comme très fidèles. Nous n’en copions que la partie intéressant les

Seychelles.

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DECOUVERTE DE L’ISLE DENIS

Mercredi 11 août 1773. – En sortant des Seychelles pour aller à Pondichéry à 4h1/2

après midi, on aperçut du haut des mâts une isle à l’est de nous distante de 5 à 6

lieues. Toutes les cartes tant anciennes que modernes ne nous marquent aucune

espèce de dangers ou d’Isle dans ce lieu. J’ai aussitôt serré le vent le plus près

possible afin d’en prendre une parfaite connaissance. Nous voyons encore en ce

temps l’Isle Praslin du haut des mâts, restant au S. au S.1/4S.E. du compas à toutes

vues. Comme notre estime nous mettait sur l’accord de la partie du Sud du Bane qui

(porte) les Isles Mahé, nous avons sondé pour connaître s’il y avait communication

de fond du Banc cy dessus avec celui sur lequel doit être le banc de notre nouvelle

Isle. Nous avons trouvé à ce point le fond à 35 brasses corail et gravier…….. pris par

la nuit mouillé à 13 b. (brasses).

A 4 heures du matin, je m’embarquai pour aller connaître cette Isle et donné ordre à

M. Le Chat de Framond et Macé officier pratique d’être du voyage.

Sondé…… En approchant du rivage, nous avons aperçu une anse propre au

débarquement dans l’Ouest de l’Isle où nous avons mis pied à terre.

Cette Isle qui est de figure oblongue a environ une lieue et demie de circonférence

formant diverses sinuosités le long du rivage ; elle est généralement cernée de récifs

qui s’étendent un quart de lieue au large, la mer brisant avec force dans la partie du

vent et surtout à La Pointe du Sud où ils s’étendent beaucoup plus que dans les

autres parties. Celle de l’ouest dans laquelle j’ai débarqué, quoique la plus saine, ne

laisse pas d’avoir quelques hauts fonds, mais que la mer ferait connaître dans la

mousson de l’Ouest, et qui n’empêcheraient pas les bateaux d’y aborder. L’Isle a

environ 1/3 de lieue de largeur ; Le sol m’a paru excellent, nous avons trouvé dans le

milieu une terre noire coupée de racines et couverte de feuilles, cette terre n’a pas

moins d’un pied d’épaisseur ; quelques parties de l’Isle sont coupées par des

espèces de prairies dont l’herbe paraît très bonne, quelques autres petites portions

sont d’une terre assez sèche mêlée de sable : environ la moitié de la surface de l’Isle

t (sic) couverte d’assez gros arbres mais dont le bois m’a semblé être trop gras et

trop spongieux pour être propre à la construction des vaisseaux.

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La côte nous a paru fertile en corail d’un très beau rouge, elle est fort poissonneuse

et l’Isle est généralement couverte de tortues de terre et de mer, de vaches marines

et d’oiseaux, dont plusieurs espèces inconnues à ceux de nous qui avons fait des

campagnes rares (sic). Ces oiseaux étaient si peu accoutumés à voir des hommes

que nous en avons pris une très grande quantité dans les arbres et que nous en

avons tué autant que nous avons voulu avec des bâtons.

La seule chose essentielle qui nous ait paru manquer dans l’Isle est l’eau douce,

mais la prodigieuse quantité d’oiseaux de toutes espèces qui y abondent et la qualité

du sol nous persuadent que s’il n’y en a pas, il ne faudrait pas creuser plus de douze

pieds pour en trouver.

Nous n’avons trouvé sur cette Isle aucun vestige qui nous annonce qu’il y est passé

des hommes. En conséquence, nous en avons pris possession au nom du Roi de France, en y arborant son pavillon, y plantant un poteau à ses armes au pied duquel nous avons enfoui une bouteille contenant l’acte de prise de possession sous le nom de l’Isle Denis sous le Ministère de M. de Boïne, le nom du Vaisseau, celui de son état-major, la date de sa découverte avec sa Latitude et Longitude : 3°49’ et 53° 27’. Fin du journal.

Où est la fameuse bouteille contenant l’acte de possession de l’île ?

N’en déplaise à M. de Trobriand, les Portugais y sont passés avant lui, c’est à peu

près certain. Le nom d’Oryxa sous lequel elle est également connue est d’appellation

portugaise ; nous l’avons retrouvé au Brésil, c’est le nom d’une déesse d’origine

bantoue, enfant de Jemango déesse de la mer dans la religion macumba.

Mais la bouteille enterrée par Trobriand au pied du mât, où se trouve-t-elle ? A quel

endroit de l’île, Trobriand a-t-il débarqué ? Il dit avoir débarqué au mois d’août sur

une anse calme à l’ouest de l’île. A cette époque de l’année, le vent souffle du sud-

est, l’anse située à l’ouest est toujours agitée. Les navigateurs consultés par nos

soins sont formels : un navigateur comme Trobriand n’a pu se tromper sur

l’orientation. Suzanne qui se passionne pour cette histoire et voudrait retrouver la

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fameuse bouteille a réussi à découvrir la carte dressée par Trobriand, à Paris, aux

Archives de la Marine (voir photo).

Carte de Trobriand déposée aux Archives de la Marine

Tout grand navigateur qu’il fut, Trobriand avait perdu le nord qu’il situe à l’est. C’est

donc au nord qu’il a débarqué. Sa carte montre que le poteau a été planté et la

bouteille enterrée à proximité du cimetière actuel. Nous les cherchons encore.

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Le cimetière est une maigre source de renseignements. De nombreuses tombes

d’enfants confirment l’absence de soins et le manque d’hygiène. Une tombe porte

l’inscription : « Ci-gît Jean-Jacques Gontier, 10-9-46 (ou 86), âgé de 59 ans ».

Il s’agit peut-être d’un capitaine qui s’est noyé, dit-on, avec deux bonnes sœurs en

débarquant. Sa tombe en effet porte une croix en fer, signe distinctif paraît-il des

tombes de marins.

« Est enterré ici en 1943 Marie Jules Frichot, manager de l’île Denis ».C’était en

pleine guerre. Ni liaison régulière, ni radio, pas de central radio à Mahé, qui a ignoré

sa mort pendant trois mois et ne l’a connue que par l’équipage d’un bateau de guerre

français venu sur l’île un peu par hasard. C’est sa fille âgée de dix-neuf ans

seulement, qui a dirigé l’île après sa mort.

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A l’époque de la marine à voile, les liaisons étaient d’ailleurs problématiques. Les

schooners remontaient mal au vent. Pour peu que le courant s’en mêle, ils mettaient

beaucoup de temps. On raconte que l’un d’eux a mis trois mois pour rentrer à Mahé.

Nous-mêmes en 1976, nous avons recueilli l’équipage d’un petit yacht. En panne de

moteur, il est passé devant Victoria sans pouvoir entrer au port. Trop heureux de

pouvoir mouiller à Denis, ils n’ont jamais voulu partir avant d’avoir reçu la pièce

défectueuse. Sans lumière, sans vivres, ils sont restés un mois. Nous les avons

nourris.

Tout récemment encore, deux jeunes pêcheurs sont arrivés sur l’île, exténués,

assoiffés, affamés et tremblant de froid. Partis de Praslin à la pêche quatre jours plus

tôt, ils ont dérivé jusqu’ici, leur moteur étant tombé en panne. Se servant du moteur

inutilisable comme ancre pour éviter de trop dériver quand ils ne pagayaient pas, ils

ont eu la chance incroyable de pouvoir s’arrêter ici. Après, s’ils avaient continué,

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c’était la mort certaine. Le plus curieux est qu’ils sont les deux frères d’une employée

de l’hôtel.

Suzanne a passé des journées entières aux Archives de Mahé. Seules les minutes

des notaires révèlent quelquefois des détails sur l’île Denis.

En 1815, l’île Denis a été donnée en jouissance à un certain Capitaine Lesage pour

faire le commerce des tortues et du poisson salé et séché, dont les Seychellois sont

friands. En 1829, Madame Veuve Morel Duboil demande à échanger l’île Denis,

deux femmes noires et trois enfants contre cinq esclaves de Mahé. On lui demande

de les amener à Mahé pour vérifier s’ils sont conformes à sa description. Peut-être

s’agit-il d’une descendante de Jean-Baptiste Morel Duboil, français banni de l’île de

France en décembre 1790 comme « calomniateur public et perturbateur du repos de

la colonie ? » (Musée de la Marine).

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Suzanne investigue sur Allée Eglise Chinois

Suzanne n’a pu découvrir qui était Madame Guichard, nom donné sur les cartes à la

pointe ouest de l’île sur laquelle sont construits le bar et le restaurant. En revanche,

Suzanne paraît avoir trouvé l’explication du nom Allée Eglise Chinois donné à tort,

semble-t-il, à l’allée rectiligne de grands filaos au centre de l’île. M. Dauban, un

français, l’un des plus vieux habitants des Seychelles, champion olympique du

javelot en 1905, a vécu sur la plupart des îles et connaît toutes les histoires. D’après

lui, ces filaos avaient été plantés par des travailleurs chinois. Les Seychellois

auraient trouvé que l’allée ressemblait à une voûte d’église, d’où son nom.

Suzanne a recherché ce que Allée Eglise Chinois pouvait signifier en créole : Allée

Eglise Chinois en créole veut dire « aller avec lui chez le chinois ». Un chinois a

effectivement habité sur l’île pour ramasser des holothuries, une sorte d’énormes

limaces marines supposées avoir des propriétés aphrodisiaques très recherchées

par les chinois. Sa maison existe encore, mais sur autre allée, parallèle à la

première, au sud. Cette explication semble corroborée par le fait que sur les cartes,

ce lieu-dit Allée Eglise Chinois figure bien à l’emplacement de la maison du chinois.

Bravo Suzanne ! La fameuse allée église chinois

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Au sud de l’île, près des Caves, un autre lieu-dit La Mère Bœuf signifie La Mare aux

Vaches. La langue créole n’utilise pas le mot vache. Le lait s’appelle Lait de Bœuf.

Ce renseignement et bien d’autres proviennent de Périnel, le doyen de l’île. Il est

venu sur l’île il y a plus de cinquante ans à l’âge de vingt ans. C’est le seul que nous

ayons gardé des employés des anciens propriétaires, qui utilisaient l’île comme

maison de retraite pour leurs vieux employés. Périnel paraît centenaire. Il porte une

boucle d’oreille bleue. C’était le meilleur pêcheur de l’île.

LE PHARE

Aujourd'hui...........................................................et en 1912

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Le phare est, semble-t-il, le plus ancien monument des Seychelles. Son histoire est

abondamment mentionnée dans les archives. Les Postes lui ont consacré un timbre.

En 1881, les Messageries Maritimes, seul courrier régulier, manifestent l’intention de

renoncer à leur escale aux Seychelles. Elles perdent beaucoup de temps à cause de

Bird et de Denis non signalées, qui les obligent à attendre le jour quand elles arrivent

de nuit (lettre de Stewart du 20 mai 1881 et de Desmarais du 27 décembre 1881).

Après avoir hésité entre Bird et Denis, il est décidé de construire en toute hâte un

phare sur l’île Denis.

Le 10 décembre 1881, la tour du phare tombe sur les ouvriers et prisonniers en

l’absence du superintendant des Travaux Publics absent. La chute serait due à

l’emploi de blocs séchés au lieu de blocs de corail et à l’emploi d’eau salée pour le

mortier.

De 1882 à 1909, le phare est plusieurs fois reconstruit. On discute beaucoup. Les

tenants du bois s’opposent à ceux de la maçonnerie. Quatre-vingts tonnes de pierres

à corail sont expédiées de l’île Curieuse, du bois de capucin de Mahé. Le bois

pourrit, la base en corail s’effondre. En 1909 enfin, il est construit en acier par une

société française. Les ouvriers qui l’ont construit jettent leurs outils à la mer en

déclarant qu’ils seraient désormais inutiles. En 1910, les arbres ont grandi, le phare

est rehaussé sous sa forme actuelle, cent pieds de haut, lanterne rotative. Il est

question d‘installer l’ancien mécanisme à Mahé sur les hauteurs de Sainte Anne. Le

projet est abandonné. Motif : les nuages sur La Misère empêcheraient la plupart du

temps de le voir.

A notre arrivée, il a besoin d’un sérieux coup de peinture. Nous avons dû aussi

remplacer quelques marches pourries. Il fonctionne au gaz, les bouteilles sont

changées tous les six mois sans surveillance. Les deux maisons occupées autrefois

par les gardiens devaient nous être cédées par le gouvernement.

Elles sont incluses dans le terrain autour du phare que nous avons donné au

gouvernement.

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Du coton aux cocotiers, les cultures changent

Au dire des experts, l’île Denis et l’île aux Vaches (Bird Island) étaient autrefois très

semblables. Elles servaient de refuge aux vaches marines (lamantins), aux tortues

de terre et de mer, qui continuent à venir pondre sur les plages et aussi à des

multitudes d’oiseaux. Denis de Trobriand en témoigne. Le guano récolté sur l’île

Denis le confirme. Sur l’île Denis, les plantations ont fait fuir les oiseaux migrateurs,

qui abondent à Bird à la saison de la ponte, de mai à novembre.

A l’origine, les Seychelles étaient connues pour leur production d’épices (girofle,

vanille, etc..), mais aussi de coton très réputé. On cultivait également la canne à

sucre, à côté d’autres produits nécessaires aux besoins de la population, patates

douces, arbre à pain, manioc, maïs et fruits tropicaux, papayes, goyaves, citrons

verts, organes, bananes….

L’abolition de l’esclavage votée à Londres en 1807 n’est effective qu’entre 1835 et

1853. La disparition de la main d’œuvre traditionnelle et l’augmentation de son coût,

qui en résulte, font progressivement disparaître la culture des épices et du coton. La

plantation de cocotiers leur succède. Des visiteurs racontent que tout le sud de l’île

était couvert de champs de maïs.

La collecte du guano a pris au début du siècle une très grande ampleur sur l’île

Denis. A notre arrivée, il restait encore des rails à voie étroite et des essieux de

wagonnets. Le guano (déjection d’oiseaux pendant des centaines d’années) était

chargé sur les bateaux au moyen d’un appontement à l’endroit même où Trobriand a

débarqué. On raconte qu’un bateau important avait été acheté à cet effet, mais les

ressources de l’île n’étaient pas suffisantes pour permettre une expédition rentable.

L’extraction du guano a créé au milieu de l’île des creux remplis d’eau douce à

marée haute. L’eau de pluie, en effet, ne ruisselle pas dans la mer comme sur les

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îles montagneuses. Elle pénètre dans le sol et forme une immense poche au-dessus

de l’eau de mer. La différence de densité entre l’eau de mer et l’eau douce fait que

les deux eaux ne se mélangent pas à travers le corail. L’eau des puits est

légèrement saumâtre en bordure des plages, presque pure au milieu de l’île. Elle est

partout abondante à un mètre cinquante du sol et dans les creux provenant de

l’extraction du guano remplis d’eau à marée haute où la végétation se déchaîne. Les

arbres y sont beaucoup plus hauts.

Aujourd’hui, l’extraction du guano a cessé depuis longtemps. Nous aurions souhaité

qu’il en reste un peu, car le sol est très pauvre. Pour faire pousser quelques

légumes, tomates, aubergines, concombres, courgettes et même salades et cresson,

il faut retirer la bonne terre, apporter du sable et remettre la bonne terre par-dessus,

afin de procurer une profondeur suffisante aux racines. Nous avons replanté des

citronniers et des orangers, car un ouvrier mécontent avait tout coupé en partant. Les

papayers abondent. Nous espérons des mangues. Nos essais d’ananas on été

infructueux, les ananas restaient nains, c’est bien connu sur les îles coralliennes. En

ce qui concerne l’élevage, nous ne savons comment réduire le nombre des cochons,

qui dépasse la centaine. Nous avons eu jusqu’à quarante-huit vaches, veaux et

taureaux. Ils sont tous morts les uns après les autres. Personne n’a pu me dire

pourquoi. L’élevage des poulets nous permet d’assurer en grande partie le

ravitaillement de l’hôtel en œufs frais. Nous avons eu dindes et pintades et aussi

quelques canards, anémiques et homosexuels, qui ont fini à la casserole.

Page 159: Ile Denis 2013

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LE TRESOR

La légende veut qu’un trésor soit enterré au milieu du bois malgache, sorte d’arbuste

de cinquante centimètres de haut, sur la côte ouest entre le lieu-dit Bois Blanc et Les

Caves baptisées Muraille Bon Dieu. Une croix brillante et dorée apparaît. Les trois

seychellois qui prétendent l’avoir vue ont tous entendu un craquement derrière eux.

Ils se sont retournés, la croix avait disparu.

En 1881, un bateau anglais commandé par le Capitaine Harrisson s’est éventré de

nuit sur les récifs au sud de l’île. L’équipage, à qui l’on refusait du rhum, n’a pas

voulu aider au déchargement de ce qui pouvait être sauvé. Ce bateau portait une

somme d’or importante, qui est supposée être enterrée au sud de l’île à proximité de

trois cèdres. C’est le Trésor des Anglais.

Peu de temps avant notre arrivée, un bateau japonais s’est échoué de nuit au même

endroit. Il a fini par être renfloué et réparé. Remis en état sous le nom d’Ile Denis, il a

sombré l’année dernière. Pendant des années, le fil de pêche et les hameçons

japonais n’ont pas manqué sur l’île. Ce trésor là a été récupéré.

Depuis que nous sommes ici, l’action de la mer a mis à jour un squelette humain au

lieu-dit Roc Jean-Pierre, à l’extrémité de la piste d’atterrissage. Ce squelette est

manifestement fort ancien. L’extrémité d’une grosse chaîne apparaît, le reste de la

chaine est enfoui au milieu des racines d’un gros arbre. Il est bien connu que les

pirates exécutaient celui qui avait creusé le trou pour enfouir leur trésor. Un morceau

de chaine servait souvent de guide pour le retrouver : les objets enfouis se déplacent

à la longue, dit-on. La chaîne est tellement prise par les racines, qu’il faudrait sans

doute abattre l’arbre et enlever la souche. Avant d’aborder cet énorme travail, nous

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avons apporté un détecteur de métaux en forme de poêle à frire. Il détecte très bien

les capsules de bouteilles de bière, mais paraît très faible pour détecter le métal à un

mètre de profondeur.

Aujourd’hui

Aujourd’hui, l’île n’a pas changé : triple couronne de blanc, de bleu et de vert

émeraude, les plages, la mer, le ciel. Hors des sentiers battus, à dix mètres des

plages, les vingt-quatre bungalows de l’hôtel avec toits de chaume se fondent dans

le paysage. Seul le haut toit du bâtiment principal, qui abrite le bar, le restaurant et la

cuisine, peut être vu de la mer ou d’avion. L’agriculture produit toujours du coprah,

l’équivalent de soixante-dix mille noix de coco par mois, dont les Pakistanais sont

très friands. L’agriculture approvisionne également l’hôtel en fruits, œufs, poulets et

porcs. L’île compte plus de cent cochons et quelques vaches.

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Pêche ou farniente sur la véranda

Les touristes de toutes nationalités parlent de paradis. Leur seul regret est que le

temps passe trop vite entre la plage, les promenades, la planche à voile, l’exploration

des fonds sous-marins, le bateau à fond de verre, le tennis, la voile et la pêche sous

toutes ses formes.

A proximité, sur les hauts fonds, on pêche à la palangrotte des poissons de dix kilos,

les succulents Bourgeois, Croissants et Varavara rouges, des mérous appelés

Vieilles. Un peu plus loin, les Carangues et les Jobs (prononcer Zob).

A la pêche au gros, Barracudas à la mâchoire impressionnante, dorades

coryphènes au front bombé et aux reflets jaunes et verts, le mâle se laisse prendre

seulement quand la famille est capturée. L’île Denis est idéalement située pour la

pêche en bordure du plateau sous-marin des Seychelles. Près des grands fonds,

l’espadon voilier aux sauts vertigineux, les thons jaunes et les thons à dents de

chien, pour lesquels l’île Denis détient cinq records du monde, et le roi des mers,

l’espadon géant, le Marlin Noir, qui peut peser plus de cinq cents kilos et qui ne se

rend quelquefois qu’après neuf heures de combat. Six ou sept bateaux font découvrir

cette variété et ces merveilles au milieu des bancs de dauphins et de petites

baleines, les souffleurs.

Le meilleur, semble-t-il, est encore de s’asseoir sur la véranda avec un livre, qu’on lit

ou qu’on ne lit pas, tant le vert émeraude et le bleu changeant de la mer est un

merveilleux spectacle toujours renouvelé.

A table, le seul reproche est que la cuisine est trop bonne : cure de poissons grillés,

pochés, au four, crus ou fumés sur l’île, fruits tropicaux et les fameux desserts.

Page 162: Ile Denis 2013

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Le charme de l’île Denis, c’est aussi autre chose, une atmosphère, un pèlerinage aux

sources, une retraite, la découverte de valeurs insoupçonnées, que la vie moderne

cache ou ignore, la fraternité des hommes, l’oubli des valeurs surfaites, du culte du

veau d’or.

Rosy, Mary, Marylin, charme et bonne humeur

Pour remplacer Rita, nous avons deux candidates, mary et Rosy. Elles viennent sur

l’île pour l’interview et elles logent dans le même bungalow. A notre stupéfaction,

elles sont engagées toutes les deux. Elles paraissent se compléter et cela se

confirme. Rosy, blanche, grande, s’est révélée très efficace au bureau. Mary, plus

foncée de peau, très sexy, fait le bonheur des clients. Après avoir déployé un charme

quelquefois excessif, elle est toute surprise, sinon indignée, de voir des clients

frapper à la porte de son bungalow. Ca marche très bien, mais ici, ça ne dure pas.

Rosy nous quitte pour rejoindre ses enfants et leur père à Mahé. Mary, un peu plus

tard, pour vivre avec son fiancé sur l’île de Darros.

Page 163: Ile Denis 2013

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Au départ de Rosy, la sœur jumelle de Mary, Marylin, infirmière, abandonne l’hôpital

pour la remplacer. Elle est charmante, toujours souriante. De son expérience

d’infirmière, elle garde un côté maternel. Un peu moins expansive que sa sœur, ce

n’est pas un mal. Mary est remplacée par Anna d’Arc, charmante aussi, mais plus

distante et réservée.

Jean- Marcel ROUGET, le meilleur ami de Pierre Burkhardt

José coiffe tout cela avec bonheur. Il était venu sur l’île pendant la construction. Son

rôle essentiel consistait à tenir compagnie à Lynn, qui n’aimait pas la solitude. Après

l’ouverture de l’hôtel, José est parti pour obtenir son diplôme de pilote commercial, il

est devenu plongeur professionnel. Après une absence de deux ans pendant

laquelle il a un peu plongé (un mois de travail, un mois de repos), il réapparaît. José

a progressivement pris la responsabilité de tout et remplace Marcel avec bonheur.

Page 164: Ile Denis 2013

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Dominique, Tom, Guy et Patricia : chacun son rôle

Tom est revenu, il a donné à la pêche au gros un développement spectaculaire et

une publicité remarquable. Il est reparti. Sa seconde femme, Isabelle, attend un bébé

et elle ne veut pas le voir naître ailleurs qu’en France près de sa famille.

Patricia est en Europe la représentante de l’île Denis. C’est elle qui nous envoie en

temps record les pièces de rechange et tout ce dont nous avons besoin, qu’il est

impossible de trouver aux Seychelles. Elle participe aux Salon du Tourisme en

Suisse, en Allemagne, et ailleurs. Elle renseigne ceux qui veulent venir sur l’île.

Depuis la parution des articles dans le Figaro Magazine et Paris Match, elle ne peut

faire face à la demande.

Dominique a fait un fabuleux travail d’attachée de presse. Elle n’a plus de temps à

consacrer à l’île Denis, mais son action a encore des retombées aujourd’hui.

Page 165: Ile Denis 2013

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Suzanne a manqué un peu d’occupation au début. Elle s’est lancée dans l’élevage

des poulets avec succès. Elle a même voulu se charger de superviser l’agriculture.

Elle a tout laissé tomber progressivement. L’éducation et les soins de trois petits

chiens l’absorbent entièrement. Elle continue néanmoins de s’occuper de la boutique

avec des théories curieuses comme par exemple celle de garder pour elle toutes les

robes qu’elle préfère.

Ca fait beaucoup rigoler notre petit dernier, Guy. L’ex-futur acteur est devenu un

expert en grande surface. Il vient de démarrer un second supermarché, dont le

lancement lui donne quelques soucis. A part cela, il est l’image même du bonheur

avec une femme charmante et deux jeunes fils, les premiers Burkhardt. Il vient

même d’acheter un petit château ravissant pour loger sa famille actuelle et future.

Quant à moi, ici, mon rôle se borne à aller à onze heures à la radio, au cas où il y

aurait une décision rapide à prendre et à faire la correspondance, car personne n’est

volontaire. En-dehors de cela, je suis consulté sur les dépenses importantes et les

problèmes épineux. José, Marylin & Co, se débrouillent très bien quand je suis

absent, mais disent préférer que je sois sur l’île.

- Quant tu n’es pas là, ce n’est pas la même chose.

Les habitués expriment la même opinion. Ma présence n’est donc peut-être pas

inutile.

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166

Des habitués… trop habitués

Les habitués nous posent parfois problème. Ils se sentent tellement chez eux, qu’ils

deviennent incontrôlables. Ils s’attendent à bénéficier de tous les avantages que j’ai

pu leur accorder et ils sont surpris de devoir payer certaines choses, qu’ils ont eues

un jour gratuitement. Il leur arrive même d’oublier de payer ce qu’ils doivent. J’ai dû

suggérer à certains, que par ailleurs nous apprécions, de changer de temps en

temps de lieu de vacances. Mais cela nous fait de la peine.

La vie sur l’île use. Nous vivons en circuit fermé, comme sur un bateau. Autant les

Seychellois sont gentils avec nous et avec les clients, autant ils se disputent entre

eux. Pour un rien, une peccadille, ils se disent des vilains mots, « il a juré ma mère »

et « font la guerre ». Pas une semaine ne se passe sans que nous ayons à arbitrer

ces disputes. Ce sont nos seuls problèmes.

Noël sur l’île : procession et bougies

Désormais nous passons presque toujours noël sur l’île Denis. Au début, nous

passions un Noël sur deux en France pour les enfants. Maintenant, c’est eux qui

viennent. La Messe de minuit n’a été célébrée qu’une fois par un prêtre de passage

aux Seychelles, il n’avait pas de paroisse. En l’absence de prêtre, nous célébrons

Noël à notre façon. Après le dîner, tout le monde se rend à la chapelle, une bougie à

la main. La procession du village rejoint celle de l’hôtel à la chapelle illuminée par

toutes les bougies des participants. Les chants de Noël sont préparés à l’avance.

Chacun reçoit le texte dactylographié. Les chants sont coupés par la lecture du récit

de la naissance de Jésus dans la bible. La cérémonie, tendre et émouvante, se

termine par le Notre Père.

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Pour le 31 décembre, le personnel prépare des danses et des numéros variés. Mes

deux petites-filles, Olivia et Elodie, ont fait un numéro. Tout le monde danse jusque

tard dans la nuit.

Suzanne et moi, nous allons trois fois par an en France. La deuxième quinzaine de

janvier aux sports d’hiver avant la foule des congés scolaires. Nous louons un

appartement à Courchevel. Les enfants, les parents ou les amis, se succèdent. C’est

très sympa. Les séjours à Paris, une semaine en rentrant, une semaine avant de

partir, sont un peu gâchés par l’empressement de tous ceux qui veulent nous voir,

parents et amis proches, même si cela nous fait plaisir. Si nous n’y mettions pas un

frein, tous nos déjeuners et dîners seraient pris par les invitations. A Beauvallon, la

visite des enfants, parents et amis, font que nous ne sommes jamais seuls.

Le drame, c’est que nous sommes bien et heureux partout. Nous souffrons lorsqu’il

faut quitter l’île Denis ou lorsque le séjour à Beauvallon prend fin. Nous trouvons

même trop courts les séjours à Paris maintenant que les ennuis ont disparu ou se

sont atténués avec le temps comme pour le fisc. L’idéal serait d’être partout à la fois.

Il faut secouer cette torpeur.

Notre villa " Les Sarraques " à Beauvallon dans le Golfe de Saint Tropez

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Dans l’avenir ne craignez-vous pas ….. ?

- Ne craignez-vous pas d’être exproprié ?

Cette question m’est souvent posée.

- Je ne crains rien.

Telle est ma réponse. Mais si l’on me demandait :

- Ne risquez-vous pas … ?

Je répondrai :

- Peut-être.

- Dans dix ans vous ne serez plus ici, m’avait-t-on dit il y a quelques années. Des

esprits chagrins avaient même précisé :

- Dans deux ans.

A cette époque, le gouvernement semblait désirer qu’il n’y ait pas d’île privée aux

Seychelles. Il a repris presque toutes les îles. Seules, à ma connaissance, Darros,

Poivre, Bird et Denis restent des propriétés privées. Plusieurs hôtels ont également

été nationalisés, le motif invoqué étant que ces îles étaient peu ou mal exploitées, et

que la gestion des hôtels laissait à désirer.

Depuis, le but du gouvernement semble avoir un peu évolué. Il s’est rendu compte

que l’exploitation du coprah sur les îles éloignées n’était pas tellement rentable. L’île

d’Aldabra, paradis des tortues de terre, a été confiée à un organisme international de

protection de la nature.

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L’Hôtel Mahé Beach a été cédé à un organisme de voyages à bon marché, qui

assure par ses propres avions un vol par semaine. Simple coïncidence ? British

Airways et Lufthansa ont supprimé leurs vols d’Europe. Le gouvernement a dû créer

sa propre ligne internationale avec un vol par semaine, bientôt deux. Il se semble

pas que la présence de l’organisateur à bon marché se soit révélée très bénéfique

pour l’économie seychelloise, d’autant plus que « ces touristes misère », ainsi

baptisés par l’humour seychellois, ne dépensent rien en-dehors de l’hôtel, ils ne

prennent même pas le taxi. Le gouvernement lui a retiré la gestion du Beauvallon

Bay Hôtel. La direction de tous les hôtels exploités par le gouvernement est

désormais confiée aux hôtels Méridien.

Le risque d’expropriation semble avoir disparu. Si le gouvernement avait eu

l’intention de nous déposséder, il ne nous aurait pas demandé de lui céder une

parcelle et les maisons autour du phare. A ma connaissance, le gouvernement n’a

manifesté aucune intention de reprendre Poivre qui est à vendre.

S’il le voulait, le gouvernement n’aurait à l’évidence aucune difficulté à le faire. La loi

seychelloise permet au ministre de procéder à une expropriation s’il juge que c’est

dans l’intérêt général. Reste le problème de l’indemnité. L’exemple de Silhouette me

rassure. Les quatre-vingt-trois actionnaires de Silhouette ont été indemnisés grâce

au prêt consenti aux Seychelles par le gouvernement français.

Les hautes sphères de Mahé ont eu quelques difficultés à comprendre ce que j’étais

venu faire ici. Trois questions avaient été posées :

- Est-ce que Pierre Burkhardt va continuer à couvrir les pertes de l’île Denis ?

- Est-ce que Pierre Burkhardt va créer sa propre compagnie d’aviation ?

- Quand il parle de demander l’indépendance, est-il sérieux ?

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J’ai continué à couvrir les pertes. Je n’ai pas créé de compagnie aérienne, Dieu m’en

garde. En ce qui concerne l’indépendance, cela m’a donné l’idée d’écrire au

Président pour la lui demander. Je n’ai pas encore reçu de réponse. La création aux

Seychelles du plus petit état indépendant du monde aurait de quoi attirer les visiteurs

et l’installation d’une succursale des banques suisse aussi. Le Président n’avait-il

pas projeté de faire des Seychelles un paradis fiscal ?

Une idée : dresser des dauphins

D’autres idées me sont venues pour attirer les visiteurs aux Seychelles. Le skipper

d’un yacht de passage a un métier peu commun. Il est dresseur de dauphins. « Les

dauphins sont dressés, m’explique-t-il, soit pour faire le clown, soit pour des besoins

militaires ». Reconnu inapte au rôle auquel les militaires le destinaient, un dauphin

libéré recherche la compagnie des hommes. Les exemples sont nombreux. C’est

ainsi qu’un couple vivant au bord de la mer a adopté un dauphin venu jouer avec leur

petite fille. Le dresseur en question me propose de dresser des dauphins à s’ébattre

librement avec les baigneurs. Idée fantastique ! Il faut un bateau rapide spécial pour

les capturer, un bateau pneumatique pour les transporter, un parc en mer, une

piscine à terre, un hôpital pour les soigner et le personnel nécessaire. Je suis prêt à

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réaliser cette idée, mais compte-tenu de l’investissement important, j’écris au

Président René pour lui demander s’il approuve ce projet et s’il est prêt à en faciliter

la réalisation. Le Président est paraît-il enthousiaste et transmet le dossier pour

exécution à son ministre compétent, à l’époque le Docteur Ferrari. Celui-ci ne veut

pas prendre la décision sans consulter un expert. Il ne connaît pas d’expert en

dauphin.

L’expert es-baleine répond être complètement opposé à mon projet. Mais, il va venir

aux Seychelles, je pourrai ainsi m’expliquer avec lui. J’attends toujours. Cette

absence de réponse, cette hésitation à trancher, à prendre une décision, si fréquente

ici, s’explique certainement par un manque de confiance en soi. Rentrés brutalement

en relation avec le reste du monde, les Seychellois se sont trouvés confrontés à des

problèmes, dont ils ne soupçonnaient pas l’existence quinze ans plus tôt.

1, 2, 3 puis 4 maisons

Depuis l’avant-dernier départ de Tom, nous habitons Bois Blanc.

- Pas question de mettre tes outils et tes cannes à pêche dans ma chambre, déclare

Suzanne.

Je me fais une petite maison.

- Et mes petits-enfants, quand ils viennent sans leurs parents ?

Je construis une troisième maison.

- Quand j’ai des invités, pour regarder un film et que tu te couches et que tu ronfles,

c’est gênant.

Quatrième maison. J’aurais tort de me plaindre. J’adore ça. J’ai ma petite maison

avec mes cannes à pêche et mes outils, dans laquelle je me réfugie pour lire ou

écrire. Je suis très fier de la dernière, inspirée de mon passage à Poivre et à Darros,

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elle est baptisée Maison Blanche comme The White House du Président des Etats-

Unis.

Je ne vois pas très bien ce que je pourrais encore construire. Pas question

d’agrandir l’hôtel, j’aurais plutôt tendance à le réduire. Je me contente d’améliorer, de

perfectionner ce qui existe déjà. Pas de construction prochaine tant que je ne pourrai

pas faire de l’île Denis un paradis fiscal avec banques suisses.

Réflexions sur le statut de retraité

Le drame du retraité, dit-on, c’est l’aspirateur qui le repousse d’une pièce à l’autre : «

il faut bien faire le ménage ». Je ne peux pas juger ici, car il n’y a pas d’aspirateur,

mais c’est sûrement vrai. S’il n’y avait que cela, ce ne serait pas grave. Il y a pire.

Lorsqu’il est actif, le chef de famille est respecté. Il procure aux foyers les finances

indispensables. Quand il rentre de son travail harassant et un peu mystérieux, il n’a

plus qu’à s’asseoir dans son fauteuil ou à table. Tout le monde est aux petits soins

pour lui : « ne faites pas de bruit les enfants, votre père est fatigué ».

Retraité, le chef ne bénéficie plus de l’auréole du travailleur productif. Il n’a plus de

mystère. Il est visible. Disons que, sur le plan moral, il est moins respecté. Ce n’est

pas bien grave. Dans le quotidien, sur le plan pratique, il est ou doit être disponible.

Le chef actif, s’il reste à ne rien faire, réfléchit à ses importantes affaires. S’il lit le

journal, c’est pour se tenir au courant. Quand le retraité ne fait rien, c’est choquant. Il

faut l’occuper. « Peux-tu sortir le chien ? », « Il n’y a plus de pain, veux-tu aller à la

boulangerie ? », « Si ma mère téléphone, dis-lui que… », « Peux-tu me conduire

chez le coiffeur ? », etc… Le pire est que cela devient une habitude. Quand le

retraité lit un livre ou son journal, on peut l’interrompre, il a tout le temps de faire ça à

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un autre moment. Après la profession du père, le coiffeur était la chose la plus

importante. La profession disparue, le coiffeur a pris sa place. C’est sacro-saint.

Quand il travaillait, le chef n’était pas disponible pour sa famille. Elle l’était pour lui.

Ce sont les gens qui n’ont rien à faire qui n’ont jamais le temps. Ceux qui travaillent

trouvent toujours le temps. Il avait des « déjeuners d’affaires », souvent avec un

copain ou une charmante personne, à qui il faisait la cour. Personne ne lui

demandait des comptes. Il pouvait passer tout son après-midi à Roland-Garros.

Retraité, il est sous haute surveillance. S’il s‘absente pour déjeuner : « Où va-t-il et

avec qui ? » Il est en régime de liberté surveillée.

Bien entendu, je plaisante. Ce que j’en dis, c’est pour les millions de retraités et de

chômeurs qui souffrent d’être désœuvrés. Tout ce qui précède ne s’applique pas à

moi. Sur une île, je ne vais pas déjeuner dehors. Je ne suis pas un vrai retraité, je

supervise la gestion de l’hôtel même si cela ne rapporte rien. D’ailleurs, sur l’île, il n’y

a pas de coiffeur, il n’y a pas d’aspirateur. Evidemment, mon activité, n’a pas de

mystère. Toute ma famille me donne des conseils ou me fait des critiques, dont je ne

suis pas obligé de tenir compte. Je reste quand même le patron. On m’appelle

quelquefois Louis XIV…

L’île Denis m’aura peut-être permis d’apporter un peu de bonheur à mes

semblables : nos hôtes et les travailleurs de l’île m’appellent plus souvent Tonton

Pierre.

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LETTRE DE PIERRE GAGNIER

Mon vieux Pierre,

Tu me demandes de t’écrire ce que je pense de toi et de ce que tu racontes

dans tes mémoires. Je reconnais bien là ton amour du sport et du risque !

Dans nos discussions religieuses, je n’ai jamais très bien su ce qui était à

mettre au compte de ta foi ou de tes doutes, ce qui n’est pas forcément

contradictoire, ou de ton esprit de contestation, ce qui était sérieux et ce qui était jeu,

ce qui venait d’une profonde recherche ou de ton envie de m’asticoter. Ce que je

sais, c’est qu’un jour, à l’Oflag VI A, c’est toi qui a fait la lecture biblique et la prière

du soir, c’est qu’à l’île Denis tu as voulu une chapelle œcuménique, et que le jour de

sa dédicace, c’est Suzanne et toi, qui y avez solennellement déposé la Bible, le plat

et la coupe de Communion, c’est que, m’as-tu-dit, quand il n’y a à l’horizon, ni prêtre,

ni pasteur, il t’arrive d’y lire toi-même une page de l’Evangile. Voilà, ce que je sais.

Quant à une certaine suffisance, que j’avais trouvée un peu trop affichée dans

la première version de tes mémoires que tu m’avais communiquée, tu semblais y

considérer toi-même quelque part qu’elle faisait plus ou moins partie de ton

personnage. Après tout, ceux qui ne l’affichent pas sont peut-être seulement un peu

plus hypocrites que les autres. N’a-t-on pas eu quelque raison de prétendre parfois

qu’une certaine modestie pouvait être une forme d’orgueil plutôt que d’humilité ? Et

je souhaite de tout mon cœur que le regard de tes mémoires sur ton passé

n’empêche pas un regard heureux sur l’avenir.

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LETTRE DE LORRAIN CRUSE

Ces pages résument la vie d’un homme heureux. Les hommes heureux se font

rares et plus rares sont ceux qui se proclament tels. Le bonheur est démodé et il

faut plonger dans la bibliothèque rose pour être sûr de trouver les romans qui, après

les sanglots, se terminent bien.

Pierre Burkhardt a, sans doute, eu de la chance. Mais son talent a été de la

saisir quand elle passait et de la provoquer lorsqu’elle l’ignorait, ce qui demande

sens de l’opportunité, goût du risque et patience sans la détermination.

Je connais Pierre depuis quelques soixante ans. Je le sais pragmatique,

capable de friser le cynisme, s’il n’était tempéré par un respect inné ou acquis des

valeurs morales. Je le sais aussi bon vivant et toujours fidèle compagnon. Il a su

happer au passage les gens, les choses et les idées qui lui plaisaient. Il a démarré

sans philosophie précise. Puis, il l’a découverte sans le savoir ni le vouloir, au gré de

sa vie familiale, professionnelle et de ses fantaisies. C’est pourquoi, sans doute, il

me fait parfois sourire, quand il veut justifier par les motivations de sa maturité ses

impulsions juvéniles.

Il arrive ainsi à Pierre de redécouvrir des vérités premières. Mais, parti sans

idéologie préconçue, il donne à ces vérités l’éclairage d’une invention qui les

rafraîchit. Ce qui pourrait être naïveté devient ouverture à l’encontre de ceux qui

naissent, vivent et meurent, coincés dans les immuables formules de la tradition ou

de la révolution.

Pierre termine par deux interrogations :

Qu’adviendra-t-il de l’île Denis ? C’est très juste si Pierre ne pense pas l’avoir

créée. Mais objectivement, il l’a façonnée comme un Robinson qui aurait disposé de

centrales électriques et de plusieurs Vendredi. S’il se prend donc parfois pour Dieu le

Père, prêt à se reposer le septième jour, il n’a pas de prétention à l’éternité. La

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contemplation satisfaite du passé et du présent lui permet d’affronter sereinement un

avenir incertain, espérant que d’inévitables orages ne tourneront pas après lui au

déluge. Et même alors, il y aura bien une colombe.

La deuxième interrogation est plus mystique. Comment traduire concrètement

pour lui et son prochain un certain sens de la vie issu de son expérience ? Le fait

même d’une recherche est revigorant. Bien d’autres réfléchissent et tâtonnent dans

la quête d’un impossible absolu, hésitant à admettre qu’une éthique se construit sur

des compromis.

Pierre est content de lui et il a des raisons de l’être. Mais il a la modestie de

remplacer le point final par une série de points de suspension…

22 décembre 1986

Douceur de la tombée du jour

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EXTRAITS DU LIVRE D’OR

Francis Esménard (Albin Michel) à écrit lors de son troisième séjour sur l'ile Denis

112/1/1981 : " La première fois, nous avons évoqué comme tout le monde l'île Denis

et son paradis. La deuxième, j'ai ironisé sur Tom est les taons, ce qui ne nous a pas

empêché de revenir puisque voici la troisième fois : le bonheur. Et puis la

catastrophe! Arrive de manière inattendue et imprévisible, mon ami Guy

Schoeller...Heureusement il y a Ghislaine. Nous partons encore un peu plus triste

que d'habitude. Merci Tom et Isabelle. Merci de nouveau à tous et pour tout. »

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Guy Schoeller le 6/2/81 : Heureusement Esménard est parti. Alors le rêve avec

toute la famille : Tom, Jean-Claude, Rita, Marcel, Corinna.

Et enfin la divine surprise, Pierre : 60 ans d'amitié - bien sûr - mais la même. Alors je

reviens dans un mois dans un an. No problem, comme dit Tom.

Pas trop de pêche, pas trop de soleil, pas trop de nage et surtout pas du tout

d'ennuis. Enfin, le bonheur.

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Gérard et Laurence Rodriguez

"Encore une fois. C'est la quatrième et ce n'est pas la dernière et c'est toujours

mieux."..........................

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Mr Jean-Louis BRETON (4/8/81) possédait des thoniers aux Seychelles.

Il a écrit un texte extra....ordinaire:

Denis, douce vision tropicale et fugace d'un rêve et d'un désir encore inassouvis, je

me surprends parfois, quand la vie trop m'agace, à évoquer, songeur, la magie de

tes nuits.

Ami, pour un instant, abolissons l'espace, et le temps, et l'ambiance qui nous fait

prisonniers.

Sens-tu le vent du sud qui doucement déplace, les verdoyantes palmes au front des

cocotiers?

Comme à l'accoutumée, tropicale et subtile, la nuit était tombée sur l'îlot corallien,

quelques sternes isolés, se hâtaient vers le gîte, striant d'un vol rapide un ciel

couleur d'Airain.

Les ténèbres prenaient possession du rivage, le lointain horizon restait teinté de

sang, le lent déferlement des vagues sur la plage transmettait le message du flot se

retirant.

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J'étais ému, saisi par la beauté des choses, mon cœur bouleversé battait

intensément et, muet, je contemplais en cette apothéose les étoiles apparaître au

sein du firmament.

La mer, ce soir là, était étrange et belle. Nous nous étions compris tous les deux à

mi-mots, et j'écoutais son chant rythmé comme un appel estompé par l'écran des

puissants filaos.

Puis le temps s'écoula, au firmament nocturne, la lune était venue disposer son

croissant et la sourde rumeur du jusant sur la dune était un fond sonore à l'effet

obsédant.

Voluptueuse, alanguie, lascive sur sa couche, Denis dormait enfin offerte à l'alizé

dont le souffle léger venait frôler ma bouche d'une caresse exquise capiteuse et

poivrée.

L'immense pulsation de la houle marine se frayait un passage au milieu des coraux

et sa plainte rythmée déployait en sourdine le diapason voilé de son lointain écho. La

barre du récif blanchissait sous la lune pensif je contemplais l'océan respirer et la

clarté spectrale inondant la lagune auréolait d'opale les coraux émergés.

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Christian Millau, Arlette: 22/1/82 : Adieu la plage, Adieu les arbres, Adieu beaux

soirs et vent si doux.

Le temps est venu de partir. Adieu, adieu, merci pour tout.

Le temps est venu de partir. Adieu, adieu, merci à vous

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Jean-Pierre Coffe, restaurateur de la Ciboulette : 7/02/1982

Son copain Philippe dit de lui: "Après dix jours de bonheur, de calme, surtout de paix,

tu refuses de faire le moindre effort pour signer le livre d'or ».

Jacques et Michèle Debetz

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JEAN-PIERRE ELLKABACH 29/71983 Il n'y a pas de folie qui résiste à la détermination et à l'action de l'homme, n'est-ce

pas Pierre, je l'ai toujours su: il a suffi du défis d'orgueilleux d'un seul, de la confiance

d'une poignée pour déplacer la montagne. Que cette île épargnée par le diable pour

ses plaisirs et les nôtres demeure ce qu'elle est: le lien fermé, privilégié, et

RECULERA à la rencontre avec soi-même.

DOMINIQUE BAUDIS (1 au 6 juin 1977) avec Isabelle Saia (ex-journaliste à Salut)

"Pour ma seconde vie, j'ai décidé de devenir tourtereau dans l'île Denis"

MICHEL AUDIARD : Nicole Avril qui s'y connaît un peu en satanisme n'a t'elle pas

poussé la diablerie jusqu'à épouser Elkabbach? Elle ne se trompe pas.

Le bon dieu et son paradis n'ont absolument rien à voir avec Denis Island ou des

péchés capitaux aussi notoires que la paresse, la luxure et la gourmandise se

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pratiquent en toutes saisons dans l'impunité la plus suave...le plus souvent avec la

bénédiction extravagante de la chère famille Burkhardt.

NICOLE AVRIL environ 1980 : Quitte à contredire les illustres hôtes de ces lieux qui

ont déjà couché leurs noms sur ce livre, je ne ferai pas rimer île Denis avec paradis,

mais plutôt avec diablerie.

Du diable, elle tient sa beauté et ses charmes. Du Diable, ses rives brûlantes et les

remptères de ces nuits de pleine lune. Du diable, la fournaise de ses piments. Du

diable enfin, le rythme de la Sega, qui affole les gens et les cœurs de ses musiciens

et danseurs.

Et puis, sous la houlette de monsieur Pierre, n'y a t'il pas sur cette île des diables

d'hommes et des diablesses de femmes?

Le fruit défendu est toujours le meilleur.

MIOU-MIOU : C'est le paradis sur terre, merci de votre gentillesse. J'espère à une

autre fois.

Philippe et Monique LABRO : Les mots les plus simples sont les seuls à utiliser

pour décrire votre île, et votre personnalité: la vie, le sourire, la sérénité, la vérité, le

bonheur, les autres.

A très bientôt,

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DALIDA

Pascale, Marcel et Corina Frichot

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Jean-Michel JARRE et Charlotte Rampling, Anne Maulandi

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Michel Colle, notre ami indéfectible

Jean-Pierre et Fanchon Fournier

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Fanchon, une amie extraordinaire et Corinne, sa copine

Robert Gaudrat

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Pierre Perret

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Catherine Deneuve

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Rosita HENRI-ROBERT, la mère de Suzanne

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OLIVIER ET BRIGITTE BOUYGUES le 23/4/1984

A bord de Bravo Papa du ban de l'est au ban de l'ouest en passant par le drop off,

nous avons pu découvrir et dominer de magnifiques poissons et de temps en temps

les tenir au bout du fil sans arriver à en mettre dans le bateau.

Cela ne fait rien, car nous avons découvert un endroit merveilleux, où nous avons

largement apprécié "l'amitié" et la "gentillesse" de Pierre, Tom et Isabelle.

Il est l'heure de nous quitter, mais ce n'est que partie remise. En effet, nous

comptons beaucoup revenir en novembre et peut-être d'ici là d'avoir l'occasion de

nous revoir à Paris ou quelque part dans le monde.

A bientôt donc,

Amitiés,

Olivier et Brigitte Bouygues.

MICHEL ET KARINE DEVELAY Fuji France - amis des Bouygues. 23.3.84

Si nous étions en voyage de noces peut-être que divorce il y aurait eu!! Michel

disparaissait aux aurores pour ne revenir qu'à marée haute (n'a pa, n'a rien) Vite une

douche et le bridge avec Brigitte et Olivier. Mais dépêchez-vous, c'est l'heure du

dîner !!!

Allez les filles, venez, que nous finissions de vous mettre une "raclée". Oui mais

toujours les filles gagnaient. Enfin dans le bungalow...

Mais non, lui épuisé par la pêche, elle par le soleil, dormaient du sommeil du juste.

"Michel réveille-toi, il est 7h".

Et bien, que croyez-vous qu'ils décidèrent au moment des valises ??

Nous reviendrons en novembre pour pêcher bien sûr !!!

Alors merci à Tom qui nous a fait atteindre "la pace dei pensi" pour redécouvrir ceux

de la mer, du soleil, et du rien faire.

Karine Develay

Et Michel à répondu: "Il faut faire des choix dans la vie…

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Simone et Pylo (Pierre Henri-Robert, frère de Suzanne)

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Fanchon, Rita, Jean-Claude, Rosita et Caroline

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Christian et Martine PRUNEL, les plus amoureux de l’Ile Denis Isabelle, la maman de mon fils Martin

Bob Pinsard, ami de Suzanne

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Olivia, Patricia, Elodie et Alain SPRUNG

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Ile Denis, perle de l'océan indien

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Déchargement du fioul

Bungalows et végétation florissante

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Le platier à l'Est de l'Île

Sable blond et mer turquoise à perte de vue

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Gérard et Hélène Doux, Guy, Eva, Mapie assis devant, ses 4 fils: Arthur, Alexandre, Raphaël et William.

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Babeth, Michael 16 ans, Justine et Martin, 26 ans

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Un grand merci particulier à Chris qui m'a beaucoup aidé ainsi que Brigitte Paihles.

Chris et Olivia

Justine

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Mon petit prince, Bosco Junior, son père et sa grand-mère

Olivia, Elodie, Bosco, Babeth et Patricia

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Aujourd'hui certains se demandent peut-être ce que je suis devenu.

J'ai 60 ans. Nous sommes en 2012 et Tonton Pierre est décédé en 2004 à l’âge de 87 ans, Suzanne a 90 ans et vit à Paris. Je travaille actuellement dans l'immobilier de luxe dans le golfe de Saint Tropez, vendant à de riches étrangers des villas somptueuses valant de 2 à 10 millions d'Euros après avoir été taxi dans le golfe de Saint Tropez ou j'ai eu le privilège de transporter toute l'équipe de " Sous le soleil" (Bernard Montiel, Malaurie Nataf, Adeline...).@ J'ai aussi, grâce à Caroline Cellier et Madame Jacqueline Cormier (productrice de " la cage aux folles" ), eu la chance de transporter Pierre Arditi et son épouse Evelyne Bouix, ainsi que sa fille Salomé Lelouch, Jeanne Moreau, Anthony Delon, Patrick Bruel, Pierre Palmade, Muriel Robin, Madame Meurisse, Bernard Murat et bien d'autres, sans jamais révéler mon secret.

Grâce à Daniel DOREL, un ami, j'ai aussi été le taxi de Régine, Marie Drucker, Jean-Claude Camus (l'ancien producteur de Johnny Hallyday et de beaucoup d'autres vedettes du petit écran, du grand écran et des chanteurs.

Un jour en vacances, j'ai rencontré Marie Drucker dans un 4**** à Courchevel, et elle s'est demandé ce que je faisais là. C'était trop drôle.

Un jour je devais aller chercher Thierry ROUSSEL à l’aéroport. Thierry était mon meilleur ami quand nous étions en pension à L'Ecole des roches à Verneuil-sur-Avre. Il parait qu'il a plusieurs yachts et que c'est un Seychellois qui gère la flotte. Drôle, n'est ce pas ? J'ai refusé la course, car j’aurais préféré déjeuner avec Thierry…….c’était l’humour de la vie

Si vous souhaitez d'autres exemplaires de ce livre ou la vidéo, vous pouvez m'écrire à:

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Téléphone: 04.94.96.76.37

Villa les lauriers

boulevard de Guerrevieille

83310 - GRIMAUD

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photos est strictement interdite.

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