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Images Publicitaires: Images Culturelles Author(s): Roland H. Simon Source: The French Review, Vol. 54, No. 1 (Oct., 1980), pp. 1-27 Published by: American Association of Teachers of French Stable URL: http://www.jstor.org/stable/391692 . Accessed: 16/12/2013 13:10 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . American Association of Teachers of French is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to The French Review. http://www.jstor.org This content downloaded from 66.77.17.54 on Mon, 16 Dec 2013 13:10:04 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Images Publicitaires: Images CulturellesAuthor(s): Roland H. SimonSource: The French Review, Vol. 54, No. 1 (Oct., 1980), pp. 1-27Published by: American Association of Teachers of FrenchStable URL: http://www.jstor.org/stable/391692 .

Accessed: 16/12/2013 13:10

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THE FRENCH REVIEW, Vol. LIV, No. 1, October 1980 Printed in U.S.A.

Images publicitaires: Images culturelles*

par Roland H. Simon

Les prejug6s sont les pilotis de la civilisation. Andre Gide, Les Faux-monnayeurs

LA PREMIERE REGLE QUI S'IMPOSE a qui s'interesse a l'image dans un but pedagogique 6ventuel est de savoir d'abord comment et pourquoi elle fonctionne. Et l'image, c'est encore bien trop, car a moins de travailler en equipe, on est siir d'etre

submerge par la masse et la variete des documents. I1 est necessaire d'en isoler des tranches d6finies par leur lieu de manifestation, leur forme, leur emploi, etc., avant d'en entreprendre l'6tude. C'est 1a une premiere definition restrictive d'un

champ qui devra en subir bien d'autres, d'autant que ce qui doit orienter notre

projet, c'est la possibilit6 et la necessit6 de pr6ciser les structures profondes qui gouvernent les phenomenes culturels dans l'image. Le travail pr6sent se propose comme une elaboration de principes semiotiques appliques a l'image publicitaire dans la presse hebdomadaire fran:aise courante. Il s'agira exclusivement de montrer l'importance du phenomene et d'illustrer le role que peut jouer l'analyse de ces images dans notre enseignement, exploration en partie theorique de la

matiere, mais dont seront avanc6es quelques r6alisations pratiques. Nous laisse- rons de cote l'aspect purement technique de la pedagogie, ainsi que l'analyse linguistique du message verbal, qui ont fait l'objet d'excellentes etudes'.

Pourquoi retenir la publicit6 alors que tant d'autres images r6putees plus culturelles nous sollicitent? Parce qu'elle est partout, insidieuse dans sa banalite. Elle forme notre paysage culturel de chaque instant et s'est faite reine du logis sans jamais avoir eu a se faire comprendre, comme s'il allait de soi qu'elle fit

partie int6grante de notre nature sociale. Qu'elle vienne a disparaitre de notre

environnement, et l'on ressent immediatement un effet de "manque". Les gens bien semblent la mepriser, et Marshall McLuhan note, en effet2:

Meme en Am6rique, les gens cultives ont de la difficulte a comprendre les varietes iconographiques du monde de la publicite. On dedaigne la publicite ou on la meprise, on la savoure et on l'6tudie rarement.

Ceux qui s'imaginent que la presse joue le meme role en Am6rique et en Russie, ou en France et en Chine, n'ont pas vraiment compris ce medium.

* The reproduction of illustrations appearing in this article has been made possible in part by a grant from the University of Virginia. The author gratefully acknowledges this support.

1 Cf., en particulier, Anthony Mollica, "A Tiger In Your Tank: Advertisement In The Language

Classroom", The Canadian Modern Language Review, 35 (May 1979), 691-743. 2Marshall McLuhan, Pour comprendre les media, trans. Jean Pare, Collection Points (Paris: Mame/

Seuil, 1968), p. 240.

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Comme a son habitude, McLuhan parait sauter d'une id6e a l'autre sans la moindre marque de transition, passant des formes de la publicite aux roles de la

presse. Mais c'est precisement dans cette apposition surprenante que reside la

pensee de l'auteur: il n'y a pas de diff6rence, selon lui, entre la presse et la

publicite, ou tres peu, a condition de se souvenir cependant qu'a chaque grande unite culturelle (dans le cas present, la nation) correspond une specificite de la communication. En fait, McLuhan dira plus loin3:

Les annonces sont, et de loin, la partie la plus interessante d'un magazine ou d'un journal. Ii entre plus d'efforts et de reflexion, plus d'esprit et d'art, dans la preparation d'une annonce que dans la redaction de n'importe quel article ou reportage d'un journal ou d'un magazine. Les annonces sont des nouvelles. Leur defaut, c'est de toujours etre de bonnes nouvelles.

Or ces bonnes nouvelles peuvent et doivent nous renseigner sur les individus

auxquels elles s'adressent, car elles dessinent, avec beaucoup de raffinements de facture souvent, l'horizon a port6e de la main de leurs fantasmes valorises. La publicit6 entretient avec ses destinataires presumes des rapports equivalents ou paralleles a ceux que 1'establishment propose et impose comme autant de signes de consommation dont le partage signifierait un nivellement (circonstanciel, et donc bien improbable) de la societe au nom d'une certaine "identite culturelle". Le signe de connaissance culturelle, etant un signe de reconnaissance sociale, est aussi bien un signe de consommation ideologique, comme le prouvent le double imp6rialisme bourgeois a l'ecole et dans la rue ainsi que les corporations d'elites. Ce n'est pas une mise en accusation de la societe francaise, c'est un constat. En tant que langage code, la publicite d6finit implicitement une culture dominante, a la fois de l'interieur et de l'exterieur, en occultant les cloisonnements socio- economiques. D'une part, elle contribue a la constitution d'un modele culturel plurivalent dont le caractere permanent est de rester branch6 sur un d6sir sans cesse manipule et renouvele, aiguillonn6 par le miroitement du status. D'autre part, pour mieux s'assurer de la reception de ses messages sans 6veiller l'attention sur ses motifs en tant que discours de conditionnement, la publicite s'impose des contraintes d'ordre socio-culturel telles que l'emploi allusif, connotatif, ou plus rarement denotatif, de r6efrences culturelles de bon ton qui, en recouvrant subtilement l'objet ou le service proposes, lui donnent (ou ajoutent a) sa legitimite de produit a consommer. La publicite fran:aise fait constamment des emprunts de cette sorte aux codes socio-culturels en vigueur.

La publicite est id6ologie. Elle est au cceur des choses, au meme titre que l'histoire et les sciences politiques, ou encore l'universit6 et le mus6e. Selon Mason Griff, c'est une institution centrale, c'est-a-dire4:

Lorsque nous parlons d'une institution centrale, nous voulons designer une institution qui introduit une difference essentielle dans les relations des hommes les uns avec les autres [...] [La publicit6] est centrale, en ce sens qu'elle poss&de un plus grand pouvoir social sur le systeme des institutions que tout autre institution de base d'une societe donnee.

: McLuhan, p. 242. 4 Mason Griff, "La publicite. Institution Centrale de la Societe de Masse", Diogene, 68 (1969).

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Partie integrante et integratrice des syst&mes d'echanges du monde moderne, tout au moins dans le monde industrialis6 sur le mod&le occidental, la publicite doit etre etudiee dans le cadre de l'enseignement des civilisations, afin qu'on apprenne a reconnaitre, d'une soci6ete une autre, la singularite de ses rubriques, de sa grammaire et, si possible, de ses effets. Le sens de la publicite est souvent irreductible a ses formes independamment du lieu dans lequel elle s'epanouit. Au meme signe, fCt-il iconique, ne correspond pas necessairement la meme valeur

signifiee lorsque ce signe passe d'une societe a une autre. S'il est incontestable que les systemes d'objets des nations industrialisees s'alignent actuellement les uns sur les autres a un rythme que les rnmdia 6lectroniques decuplent chaque jour, cela ne signifie pas que les sens portes par ces objets se recouvrent parfaitement: un tel universalisme ne peut etre qu'utopie de publicitaire. Comme le dit Rene La Borderie5:

On comprend l'interet qui s'attache a un type d'6criture iconique (universalit6 au niveau de la lecture des signes-6conomie), mais il serait regrettable de penser qu'un tel systeme d'expression puisse etre dechiffre sans que soient connues pr6alablement des notions exterieures au message lui-meme.

Une voiture ne signifie pas de la meme facon a Chicago et a Bordeaux (document 1), pas plus qu'une bouteille de pastis ou un paquet de cigarettes (document 2). C'est aussi vrai des images d'objets et des discours publicitaires qui les accom-

pagnent en jouant parfois sur les differences culturelles d'un pays a un autre. Dans ce sens, le discours publicitaire est a considerer comme vehiculant une information brute sur les systemes de valeurs d'une societe donn6e, en plus de l'information elaboree dont il enveloppe les objets eux-memes. Autrement dit, l'enveloppe a autant d'interet pour nous, et meme parfois bien plus, que ce qu'elle contient. C'est ce que dit Jean Baudrillard6:

[La publicit6] est discours sur l'objet, et objet elle-meme. Et c'est en tant que discours inutile, inessentiel, qu'elle devient consommable comme objet culturel [...]. Parce qu'elle se designe elle-meme comme tous les systemes fortement connotes, c'est elle qui nous dira le mieux ce que nous consommons a travers les objets.

L'information culturelle que la publicite met a la disposition de l'analyse est a la fois plethorique, complexe et imm6diate. Elle peut tout d'abord etre consideree comme un catalogue desordonn6 d'objets et de services disponibles a la commu- naute. Elle est, de ce point de vue, un systeme de representation du decor que privil6gie la communaute pressentie. D6cor privil6gie, en effet, car il ne s'agit pas de n'importe quels objets: le catalogue differe en substance, en degres et en formes d'une societe a une autre et, aussi, d'un groupe socio-culturel ou ideologique a un autre a l'interieur d'une meme societe. Cela peut etre facilement percu entre des

journaux francais dont on sait qu'ils ne cachent pas leurs divergences d'orientation

' Rene La Borderie, Les Images dans la societe et l'education: Etude critique des fonctions de la ressemblance (Paris: Casterman, 1972), p. 39.

lJean Baudrillard, Le Systeme des objets, Bibliotheque Mediations (Paris: Denoel/Gonthier, 1968), pp. 194-95.

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(Attention! Des fauteuils la stareo, cette voiture est une pure amicaine.)

La nouvelle Chevrolet Citation, r-unit le brio des meiiieures europ6ennes et la uction des plus luxueuses amaricaines. Des moquetptes 6paisses ct confotaies, les sies arritres escamotables, Ia 5" porte, Ie volant basculable, les 4 vitres ectriques, les pneus ta flancs blancs, sans oublier la radio stero

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I SNO.A.( A) (35) 763 6Ot- SRA SBOUr -C tzmano Mdore t88 239.20. X) -TOULOUSE - GT.T (61) 429L . TO - - T G IerO,rt (47) .0256

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I R 6f-j~

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socio-politique, mais au contraire les accentuent souvent jusqu'au parti-pris. Si l'on admet qu'il en est ainsi, on aura, apres recensement de categories ou de families d'objets, la possibilit6 de d6finir grossierement une culture selon la regle du "Dis-moi ce que tu consommes a travers les images que tu en donnes, et je te dirai qui tu crois etre. Enfin, je tacherai de dire qui tu es". La nomenclature que l'on etablira pourra par ailleurs etre g6enrale ou, au contraire, tres detaillee, selon les besoins de l'etude. Dans le cas de l'ameublement, par exemple, on peut vouloir

comparer le nombre de ses occurrences publicitaires a celui des autres ou d'autres

produits durant une certaine periode. On peut vouloir comparer les chiffres d'une

periode donn6e a ceux d'une autre periode a dix ans ou vingt ans d'ecart. On peut aussi, et ce ne serait pas indifferent a certaines analyses, faire des distinctions a l'interieur de la premi&re categorie, selon les styles, la matiere premi&re, l'origine des objets (zone urbaine identifiable ou non, province, pays 6trangers, et lesquels?), ou encore, selon que les images de ces objets sont des dessins ou des photogra- phies, en polychromie ou en noir et blanc, etc. Un seul exemple pourra suffire a illustrer notre propos ici: ce ne sont sans doute pas tant des raisons budgetaires et technologiques qui expliquent que les pages publicitaires du Nouvel Observa- teur sont dominees par le noir et blanc, alors que celles d'un autre hebdomadaire comme Le Point font debauche de couleur jusque dans les offres d'emploi. On se souviendra des reflexions de Baudrillard sur le "serieux" du noir et blanc et l"'obscenite" de la couleur, et l'on en conclura que c'est bel et bien l'id6ologie qui preside a cette radicale difference de presentation.

Encore bien ils pourraient etre exhaustifs, et quelle que soit la valeur de reflet

que nous en pourrons tirer, ces recensements ne sont cependant pas suffisants pour rendre compte d'une culture. Premierement, il y a des produits ou services utilises quotidiennement, et qui d6finissent donc eux aussi une societe et son mode de vie ou de pensee, qui ne font jamais l'objet d'annonces publicitaires ou ne le font que sporadiquement: tabous et "inutilite" se partagent cette censure. Par ailleurs, certains "vehicules" publicitaires sont longtemps interdits dans une societe alors qu'ils sont monnaie courante dans une autre: si la couleur est "obscene" aux yeux d'une certaine classe de Francais, le nu est, semble-t-il, tout a fait acceptable jusqu'a un certain point, alors que ce serait l'inverse dans la presse d'information am6ricaine qui delegue le nu a une presse specialis6e, cette derniere, en raison de son exclusivite, en faisant grand profit. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas 6volution des normes et effacement des distinctions d'une societe a une autre. En fait, si les images nous informent, c'est plus par leurs fonctions (ou fonctionnement) que par leur nature. Ainsi, la photographie d'une bicyclette, un texte d'une page sans la moindre image (si ce n'est que le texte devient lui-meme iconique) portent un certain savoir sur la France actuelle, aussi bien, paradoxalement, que leur absence la oi on avait l'habitude de les voir. C'est surtout par ce qu'elles evoquent, representent ou cachent du cadre culturel dans

lequel elles se placent que ces images nous interessent. "La publicite n'est pas seulement une grosse consommatrice (et productrice) de symboles; elle est aussi fortement impregnee de surcharges connotatives", dit Laurence Bardin7. La pub-

7 Laurence Bardin, Les Mecanismes ideologiques de la publicite (Paris: J.-P. Delarge, 1975), p. 278.

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licit6 imite, incite et impose. Elle ne peut imposer, d'ailleurs, qu'a condition de

pretendre imiter et raffiner un 6tat culturel pr6-existant. Elle parle au pr6sent, elle

parle du present, mais en payant sa dette a l'histoire (histoire des mentalit6s, mais aussi histoire 6evnementielle, histoire des institutions, histoire de la civilisation) (documents 3, 4, 5 et 6). Comme le dit Bardin8:

La publicit6 n'est pas que discours sur l'objet: son propos deborde largement le cadre qui lui est 6conomiquement imparti. Elle "parle de la pluie et du beau temps", alors meme qu'elle ne devrait que vanter l'attrait du parapluie.

Or on sait tres bien que "parler de la pluie et du beau temps" n'est pas une activite culturelle a entreprendre naivement si l'on prend l'expression comme

metaphore de la communication au niveau du quotidien, au meme titre que le

gestuel, par exemple. Du point de vue de l'enseignement de la culture, cela sous- entend que l'on soit arrive a maitriser les fines nuances de la communication ou, pour dire les choses encore plus pr6cisement, des pratiques semiotiques propres a une culture donnee: combien de gestes ou de comportements parfaitement anodins dans une culture ont ainsi provoque des malentendus en traversant leurs

frontieres, comme le d6montre le dernier livre de Desmond Morris, La CeI des

gestes (Paris: Grasset, 1979)? C'est aussi dans ce sens que nous pouvons transposer cette pens6e de Michel Crozier9:

Non que nous soyons si profondement li6s par la terre et par le sang que nous ne puissions nous dissocier de la nation mere. Mais notre culture, notre capacite de raisonnement et meme de critique, notre facon de formuler nos pensees meme les plus nouvelles ont ete fa~onnees et petries a notre insu par un langage et une histoire.

Qu'il s'agisse d'une annonce de Banyuls (document 7) qui se reclame de l'artisanat et r6cuse machinisme et production de masse en assumant certaine

posture du Mouvement Occitan, ou d'une annonce de Honeywell Bull incitant son destinataire a "refuser le paternalisme", a "contester le dirigisme" et a "briser le conservatisme" dans le contexte de la fin des annees soixante (document 8), ou d'une annonce Avis suggerant de "raler" (document 9), ou encore d'une annonce de Carrefour mettant en scene, de dos, deux religieuses en arret allech6 mais econome devant un etalage de fromages dont on ne voit pas la fin, la publicite joue sur la culture, avec tout ce que cela comporte de savoirs conscients et inconscients, pour y pr6parer la place d'une autre. Elle reflete et produit l'ideologie, c'est-a-dire, selon Henri Lefebvre, "ce melange de connaissances, d'interpr6tations (religieuses, philosophiques) du monde et du savoir, et enfin d'illusions qui peut s'appeler 'culture"'10

Pour resumer en des termes emprunt6s a Bardin, nous dirons que la publicite entretient avec la culture trois types de relations simultan6es: 1?) elle est un reflet, et elle peut donc servir au diagnostic d'un certain type de comportement de

8Bardin, p. 18. 9 Michel Crozier, On ne change pas la societe par decret (Paris: Grasset, 1979), p. 7. "' Henri Lefebvre, La Vie quotidienne dans le monde moderne (Paris: Gallimard, 1962), cite par L.

Bardin, p. 22.

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consommation; 2?) elle est un v6hicule culturel dans la mesure ou elle sert de relais et de catalyseur entre une culture definie par l'histoire d'un systeme de valeurs et une culture nouvelle definie par la consommation d'objets arbitraires ou sans rapports de necessite evidents avec la nature et les fonctions de l'homme; 3?) elle est source culturelle et elle exerce son influence par "injection par exemple de nouvelles valeurs ou de nouveaux modeles de comportement, ou de nouvelles formes linguistiques ou artistiques dans la societe'".

Precisons plus avant ce que nous entendons par culture, sans quoi on risque de confondre deux modes d'etre distincts du phenomene, l'un actif, l'autre passif. La culture a d'abord une fonction didactique: elle s'institutionnalise, impose alors des valeurs et s'impose elle-meme comme valeur. C'est ce que nous entendons

par son mode d'etre actif. C'est aussi sa definition au sens courant. Ainsi, dit

1 Bardin, pp. 49-50.

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Refuser le patemalisme informatique, cest refuser que les constructeurs installent

votre entreprise dans la dependance informatique. Contester le dirigise informatique,

c'est contester l'innovation technologique qui se

substitue a l'avantage qu'elle procure. Briser le conservatisme informatique,

c'est briser le concept d'une organisation construite

autour d'un ordinateur mysterieux, inaccessible,

incomprehensible.

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Bardin, "on parle de l'homme cultive. Or, 'l'honnete homme' du XXeme siecle est cultiv6, aussi, par la publicite"12. La culture peut cependant n'etre definie que comme un ensemble de comportements et de savoirs dont la mise en oeuvre et la valeur referentielle n'entraine pas la participation du sujet conscient. C'est son mode d'etre passif, ou sa definition au sens specifique, c'est-a-dire, selon Bernard Cathelat, "systeme de valeurs, d'ideologies, de modes de conduites et de schemas de relations definissant l'originalite d'une collectivite, ici la societe francaise"'3. En nous placant a l'exterieur du champ etudie (en nous y effortant, du moins), nous devons nous preparer, d'un cote, a etudier la culture en tant qu'institution a vocation prescriptive traitant de la definition et de l'histoire de la societe fran:aise; et de l'autre, a recenser les manifestations que cette institution a contribue a uniformiser. Or l'institution culturelle propre a une societe ne peut souvent etre perSue qu'en filigrane dans les objets et les discours publicitaires. En voici un exemple tire d'une publicite concernant une eau minerale14. On y voit un loup conversant avec un agneau auquel il declare, pour en finir: "Mon foie? Connais pas". Nous avons a faire ici a deux types de messages culturels qui se

12 Bardin, p. 36. 1; Bernard Cathelat, Les Styles de vie des Fran?ais 78-98 (Paris/Ottawa: Stanke, 1977), p. 16. 14 I1 m'a et6 impossible de me procurer une reproduction de cette image qui a egaye les rues des

villes de France pendant longtemps il y a quelques annees. Elle etait aussi dans tous les hebdomadaires a grand tirage de l'epoque.

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placent a des niveaux de connotations distincts. L'injonction indirecte, incluse aussi dans le document 10, "Buvez de l'eau XXX parce qu'elle est bonne pour votre foie = systeme", repose sur deux postulats: 1?) les Francais embourgeoises (et qui ne l'est pas quand il est question de sante?) sont de grands consommateurs d'eau minerale. Ils accordent a celle-ci des vertus medicinales confuses qui depassent de loin les possibilites chimiques ou biologiques du produit, le mythe du naturel se greffant au mythe de la longevite, qui lui-meme se greffe au mythe de la vie a la campagne (la verdure, l'air pur, les montagnes en l'occurrence); 2?) les Francais souffrent tous du foie, ou d'un autre organe digestif, mais organe tout aussi mythologique que l'eau minerale et qui ne peut s'expliquer dans la psy- chologie collective que comme le signe d'un complexe de culpabilite complaisant du bien et du trop manger. Puisqu'il existe un imperatif culturel pleinement assume en savoir selon lequel on boit et on mange mieux en France qu'ailleurs, ce n'est d'aucune cons6quence qu'on ne puisse, le cas echeant, se nourrir que d'une pomme de terre bouillie. La maladie, la penurie et l'exces contribuent indifferemment a cette idiosyncrasie nationale. Boire de l'eau minerale, c'est aussi se conforter, en y portant remede symboliquement, dans le manque d'exercice

physique et la non-temperance. Sur un autre registre, le loup et l'agneau de l'affiche sont des signes d'une formation culturelle "bien francaise" qui fait porter a quelques fables choisies de La Fontaine l'essentiel de la morale civique a l'ecole

primaire. Ne pas souffrir de crises biliaires (reelles ou imaginaires), ne pas savoir

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que l'eau minerale est bonne pour le foie, les reins, ou la circulation du sang, c'est etre prive de la possibilite d'imaginer de grands parcs fin de siecle ou se promenent des dames frileuses et des hommes d'affaires en espadrilles auxquels on souhaite secretement ressembler. En outre, ne pas saisir l'allusion a La Fontaine et s'en distraire, c'est etre inculte, rustre comme ce loup au parler poissard.

Nous voyons, grace a cet exemple, que les objets publicitaires se revetent, selon les images qui les representent ou les evoquent, de deux types de signification de

legitimation qui font le probleme de l'analyse. La consommation d'eau min6rale allant de soi pour la majorite des Francais, ainsi que ce qu'ils ressentent comme des signaux de detresse de leur corps, il est peu probable, a moins qu'ils ne soient semioticiens ou publicitaires, qu'ils percevront dans l'image "eau minerale" l'information que nous y voyons sur une psycho-pathologie collective. Ces

significations de legitimation sont a extraire d'une experience en grande partie inconsciente de la communaute ancree dans le temps de quelques g6enrations et

amplifiee par des phenomenes socio-economiques tels que l'accroissement ge- neral du niveau de vie, l'acceleration de l'exode rural, etc. Elles ne seront reperables qu'a partir du moment oii l'on se posera des questions sur le pourquoi et le comment de la consommation de certains produits ou services. A ce propos, il est interessant de noter, pour ce qui est du role de l'eau minerale en France, qu'il est

symptomatique du comportement de l'homme moderne occidental defini par Baudrillard comme un "hypocondriaque cerebral, obsede par la circulation ab- solue des messages". C'est non seulement le passage de l'information qui l'obsede, mais le passage tout court, dans la mesure oi il s'apprehende lui-m&me comme un canal, et Noelle Chatelet evoque a son tour le desir de "purge integrale", desir inconscient de "se defequer jusqu'au bout" qui caracterise l'homme actuel15. L'eau minerale occupe donc pour les Francais la meme place que les laxatifs dont les media americains se font les promoteurs bienveillants. D'une societe a une autre, des objets differents se chargent des memes fonctions, ce qui denonce bien les lacunes de la semantique et l'insuffisance d'une competence linguistique pour comprendre une culture etrangere.

Le deuxieme type de signification de legitimation porte par l'image du loup et de l'agneau n'apparait pas en reponse au pourquoi et au comment de l'objet "eau minerale". Le code se suffit a lui-meme et se prete a un jeu de transposition anthropomorphique facile: le loup a un feroce coup de fourchette et ferait bien, s'il ne veut pas changer de regime, de faciliter le labeur de son foie. Quand on sait aussi que "l'homme est un loup pour l'homme", que les debutants agressifs dans les affaires sont qualifies de "jeunes loups" (document 11), on voit le parti qu'on peut tirer de l'analyse. Cette lecture de l'image, enfin, aussi bien que l'image elle- meme, fait appel a une formation "classique" du destinataire telle que celui-ci, en identifiant son savoir, puisse se sentir privil6gie par un message dont il decrypte immediatement le code. Etablir consciemment (ou inconsciemment) le rapport entre l'image du loup et de l'agneau denotes et les fables de La Fontaine connotees,

' Noelle Chatelet, Le Corps a corps culinaire (Paris: Seuil, 1977), chapitre intitule "Du corps reve...", en particulier.

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c'est mettre en oeuvre un savoir culturel, tout pietre qu'il puisse etre, comme c'est souvent sinon toujours le cas en publicite, qui se signifie comme valeur absolue de la formation scolaire de la collectivite fran:aise. D'oi d6coule cette v6rite

publicitaire: boire de l'eau XXX, c'est consommer de la culture. Ce n'est pas l'information apparente que le discours publicitaire peut vehiculer

sur tel ou tel objet qui nous interesse, cette information 6tant dans tous les cas

accessoire, mais au contraire, la facon dont cette information est vehiculee. Par

cons6quent, il est necessaire de consid6rer formes et contenus publicitaires comme des formes exclusivement, c'est-a-dire des signes et des structures de representa- tion culturelle. En fait, "[...] si la publicit6 a un interet culturel", dit Jacques Durand, "c'est a la purete et a la richesse de sa structure rhetorique qu'elle le doit: non pas a ce qu'elle peut apporter d'information vraie, mais a sa part de fiction"6. Pour reussir, un bureau d'etude publicitaire doit etre inform6 de fa:on tres precise sur la symbolique ou la fiction culturelle de la collectivite a laquelle il s'adresse. La publicit6 vantant les merites d'une 6dition reli6e plein cuir des ceuvres de Victor Hugo ou de Rimbaud differe peu, de ce point de vue, d'une publicit6 pour une marque de motoculteurs qui se sert d'un support iconique imite/parodie de

L'Angelus de Millet'7. Dans l'un comme dans l'autre cas, c'est le message "culture"

qui occupe toute la scene, servant de decor justificatif a l'objet (on pardonnera le

jeu de mots qu'impose l'image du motoculteur, d'autant que les publicitaires qui l'ont creee y avaient sans doute pense avant nous). Pour ce qui est des livres, ils sont deja int6gr6s dans le mus6e culturel en vertu de leur contenu, et aussi de leur reliure "ancienne". Quant au motoculteur, s'il d6tonne par anachronisme, il n'en

revendique pas moins son appartenance a un mode de vie fier de son h6ritage. Le serieux d'une image et l'ironie de l'autre participent de la meme mythologie culturelle des valeurs sures du passe, ce qui ne signifie pas que l'acheteur 6ventuel des oeuvres de Victor Hugo les lisent jamais, ni que celui du motoculteur vive dans le d6cor de ses arrieres-grand-parents. Jacques Berque l'a bien dit: "Le jour ou il n'y aura plus de paysans, nous recr6erons des paysans imaginaires. [...] Nous avons tous notre Larzac interieur"'8. C'est aussi ce que pense McLuhan, de facon plus generale, lorsqu'il d6clare: "Les annonces ne sont pas faites pour la consom- mation consciente. Ce sont des pilules subliminales pour l'inconscient, con;ues pour provoquer une transe hypnotique, sp6cialement chez les sociologues"19.

I1 faut donc savoir de quoi est faite la pilule, de quels ingredients elle se

compose. II y a d'abord l'image, que nous distinguerons du texte, cette distinction reposant sur une necessit6 methodologique plus que sur une difference de nature. Si nous prenons une image publicitaire de type courant dans la presse, nous y pouvons distinguer une partie "illustration iconique" et une partie "commentaire

linguistique", celle-ci etant d'ailleurs souvent verbo-iconique. La formule peut varier a l'infini: soit juxtaposition image/texte, surimposition, ou les deux a la

16 Jacques Durand, "Rhetorique et image publicitaire", Communications, 15 (1970), 70. 17 Cette image est un des documents de l'etude de Pierre Fresnault-Deruelle, "Publicite, peinture et

image de marque", Stanford French Review, 1 (Spring 1977), 123-33. 18 Cite dans Le Nouvel Observateur, N? 782 (5-11 Novembre 1979), p. 70. 19 McLuhan, p. 263.

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fois, avec une grande variete de modes typographiques. Le cas le plus curieux, a notre connaissance, est celui d'un texte d'une page de prose "a la maniere d'un

grand auteur", court recit ou apparait en simple situation d'adjuvant narratif le nom-de-marque-devenu-nom-commun Velosolex, lequel texte encadre une

vignette maintenant familiere aux Francais du chameau hilare de Camel, ce

couplage nous incitant a associer les deux produits par tout un reseau de relations informulees (document 12). C'est la un cas limite qui en dit long sur notre conditionnement presume aux codes publicitaires. En effet, les deux codes, l'iconique et le linguistique, fonctionnent de facon autonome, mais nous sommes tellement habitues a les voir associes que nous cherchons-et allons trouver- dans l'un le support qui manque a l'autre. Par consequent, par effet de juxtapo- sition, le pastiche litteraire valorise culturellement deux objets distincts, en meme

temps que l'image du chameau egaie une page qui, autrement, pourrait etre

suspecte de pedantisme a force de sobriete, dont on sait qu'elle est la vertu commune a l'animal et au velomoteur. La juxtaposition n'est donc pas si arbitraire qu'on peut d'abord le penser: elle fait cohabiter deux modes de consommation (dans les deux sens du mot: produits a consommer et "machines" consommantes) qui se ressemblent sur le plan socio-culturel, en France, naturellement. Etant donne le cloisonnement des classes economiques tel qu'il se perpetue dans une "societe bloquee", il serait difficile d'imaginer le meme jeu d'echange de support

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entre une Peugeot 604 et les cigarettes Camel, aussi bien qu'entre le Velosolex et des cigarettes turques, alors qu'il est concevable, selon la meme logique, entre une petite Renault et des Gauloises. Cette economie de publicitaire a pour effet inattendu de nous renseigner sur ses destinataires, et ce qu'elle demontre, enfin, c'est que ni texte ni image n'ont de fonction directe de promotion a la vente puisque, entre certaines classes d'objets, les supports-codes s'echangent indiffe- remment ou presque. Comme le declare Baudrillard20:

Ni le discours rh6torique, ni meme le discours informatif sur les vertus du produit n'ont d'effet decisif sur l'acheteur. Ce a quoi l'individu est sensible, c'est a la th6matique latente de protection et de gratification, c'est au soin qu' "on" prend de le solliciter et de le persuader [...].

La publicite etablit un climat culturel, un conditionnement propice a la consom- mation, et le jeu entre l'image et le texte se veut representation d'un absolu culturel, d'une valeur toute faite et donc s6curisante. C'est la raison pour laquelle les fonctions imparties respectivement a l'image et au texte peuvent etre de plus en plus 6trangeres a la nature du produit promu qui se trouve ainsi reduit a sa plus simple expression d' tre-la et de pr6texte. Dans leur licence de fiction, image et texte se poetisent, se font art ou savoir, par emprunt ou en eux-memes, comme cet "After Eight. De fines feuilles de chocolate fourrees de menthe fondante" (document 13) qui ferait dresser l'oreille a Roman Jakobson, ou cette cuisiniere electrique sur fond a la Magritte (document 14), ou encore ce proverbe herite de Destouches, a peine transpose: "Laissez faire, votre naturel va revenir au galop [...]". Pour McLuhan, "depuis l'apparition des illustrations, le role du texte publicitaire est un role aussi accessoire et cache que le role de la 'signification' d'un poeme pour le poeme, ou celui des paroles pour une chanson"21. On peut, comme nous venons de le voir, en dire tout autant de l'objet publicitaire. Ainsi, la signification cachee d'une bouteille de champagne est a chercher "entre les lignes" d'une photographie empreinte de solennit6 representant, sous la porte cochere d'une tres "ancienne commanderie de Templiers reconvertie en poste a chevaux, puis transformee en auberge", des hotes en formation hierarchique, souriants mais un peu guind6s dans leurs uniformes et leurs roles de representants dignes et titres de la Haute Gastronomie Franpaise (document 15). C'est la la representation d'un monde siir de son histoire, reste identique a lui-meme a travers les conversions de surface, attache a un mode de vie ou chacun et chaque chose sont a leur place, rassurant au possible pour ceux qui s'y sont fait leur place ou qui tiennent a la securite et a l'identite que leur procure un role a jouer.

Certains produits ou services se pretent plus que d'autres a une charge culturelle. C'est vrai sans doute de ceux qui ont une longue tradition, tels que le logement, le vetement, l'alimentation, encore que les recettes de greffage culturel soient innombrables et recherchent l'inattendu (document 16). Certaines illustrations n'ont qu'un int6ert limite de ce point de vue, dans la mesure oi l'information

20 Baudrillard, pp. 197-98.

21 McLuhan, p. 263.

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After Eit De fnes feues dechocolat furrees de menthe fondrte.

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connotative qu'elles portent sur la culture peut mal etre consideree comme singuliere a la collectivite frangaise. Cela n'est pourtant pas negligeable puisque nous devons tenir compte du processus de nivellement declenche par les media et lui accorder sa part du tableau de la societe francaise. Une culture ne se definit pas que par ses differences, mais aussi par ses points communs avec d'autres, et il est important d'identifier les images et images d'objets, tres rares, somme toute, qui peuvent servir de catalyseurs ou de communs denominateurs entre elles. Si la charge culturelle d'une image paralt nulle ou ne s'explique que laborieusement, on peut compter souvent sur la rh6torique du texte qui l'accompagne pour combler le manque ou le rtduire consid6rablement. Il y a redondance de conno- tation entre l'image et le texte, comme dans l'annonce mentionnee plus haut sur le champagne: un texte d'une page fait pendant a la photographie en couleurs et en donne une "legende" d6taillee. Le texte vise a un effet de saturation, meme lorsqu'il ne consiste que de quelques mots qui paraissent alors charges de sens (document 17), et il a surtout une valeur rassurante dans la mesure oiu il "prend en charge" et enonce clairement un discours que l'image ne nous permet que de pressentir. Ii doit, pour cette raison, etre soumis a une lecture entre les lignes pour qu'apparaissent les valeurs connot6es. Selon Barthes, "[...] le texte a une valeur

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repressive, et l'on comprend que ce soit a ce niveau que s'investissent surtout la morale et l'id6ologie d'une societe"22. Le texte n'est pas une explication de l'image. I1 en est la justification et il en accroit la puissance de declenchement de l'imaginaire. II fait corps avec le code de nos premiers enseignements, il plonge dans notre experience langagiere quotidienne, emprunte au passage a notre musee litteraire, a nos br6viaires et a nos traites, joue avec les lieux communs et les cliches de notre morale sociale. Il seduit et il prescrit.

Dans son ensemble, la publicite est une representation du monde, d' un monde, et "cette representation du monde mise en scene par elle obeit aux grandes categories descriptives de toute cosmologie: la nature, l'espace et le temps, les choses et l'homme", dit Bardin23. L'homme moderne veut se divertir et se renseigner, il veut se satisfaire et se rassurer, il veut se lib6rer tout en restant au sein du groupe, il veut savoir qui il pourrait etre, et il trouve tout cela en pret-a- porter dans la publicite: comportements sociaux modelisants concernant le couple, la famille, l'economie domestique, les classes socio-professionnelles, l'environnement, les loisirs, etc. S'il est vrai, comme l'affirme McLuhan, que "les historiens et les archeologues d6couvriront un jour que les annonces de notre epoque constituent le reflet quotidien le plus riche et le plus fiddele qu'une societe ait jamais donne de toute la gamme de ses activites"24, il n'est pas trop tot pour

22 Roland Barthes, "Rhetorique de l'image", Communications, 4 (1964), 45. 23 Bardin, p. 142.

24 McLuhan, p. 268.

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entreprendre cette archeologie de notre temps et en faire profiter, toutes propor- tions gardees, notre enseignement.

En 1978, dans un num6ro du Franfais dans le Monde consacre aux images dans

l'enseignement du francais, Louis Porcher tracait les grandes lignes d'un renou- vellement des methodes audio-visuelles s'appuyant sur un usage de documents

authentiques. II justifiait ainsi une p6dagogie de l'image et par l'image25:

Les images r6elles, telles qu'elles existent massivement dans la vie sociale, fournissent a l'enseignement du francais langue etrangere d'excellents instruments p6dagogiques, tant sur le plan strictement linguistique qu'en ce qui concerne la "civilisation" (si cette distinction conserve encore quelque signification). Elles incarnent une langue en contexte, traduisent une communication reelle, concretisent les implicites qui caracte- risent la specificite d'une langue et les attitudes langagieres vert6brales de ses locuteurs natifs.

[...] Si la competence de communication ne se reduit pas a une simple competence linguistique, les images s'inscrivent en elle comme une partie vitale, au meme titre que l'expression corporelle, la mimetique, la gestuelle, la prox6mique, etc.

Le champ qu'ouvre Louis Porcher est vaste. On peut se sentir pris au depourvu devant l'ampleur du travail a realiser et la rarete, le ponctuel ou la scientificit6 deconcertante des m6thodes elaborees jusqu'a present; h6siter entre un empirisme de bon aloi mais qui se circonscrit aux intuitions plus ou moins bien inform6es d'un sujet prisonnier de son propre discours, de sa conception de la realite (prevenue par ses appartenances sociale, culturelle, id6ologique, ainsi que par sa formation academique, professionnelle, etc.), et la necessite d'un recyclage de type scientifique qui nous permettrait d'adapter a nos besoins certaines disciplines telles que la sociologie ou les sciences de la communication. Neanmoins, s'inquieter des m6rites d'une observation empirique, a condition qu'elle soit inform6e par un biculturalisme vecu, c'est d6ja faire preuve d'une rigueur qui devrait permettre d'6viter les conclusions hatives, si l'analyse s'appuie sur une documentation sociologique bien fournie et une formation historique solide: dans la salle de classe, l'analyse requiert de la part des eleves un niveau de competence linguistique prealable, ainsi que des connaissances qu'ils auraient acquises, ou seraient en train d'acquerir, dans un cours d'histoire de la civilisation. Certes, le biculturalisme n'est pas a l'abri des partis-pris, mais on se souvient de cette remarque de Roland Barthes dechiffrant une image publicitaire des pates Panzani, comme quoi celle-ci met en branle "[...] un savoir proprement 'francais' (les Italiens ne pourraient guere percevoir la connotation du nom propre, non plus probablement que l'italianite de la tomate et du poivron), fond6 sur une connais- sance de certains stereotypes touristiques"26. Une attitude comparatiste (latente, sinon patente), telle qu'on peut la voir a l'ceuvre chez Hoffmann, Wylie, Zeldin, etc., eclaire des phenomenes culturels invisibles a la plupart de ceux qui les vivent autrement qu'en se tordant le cou.

25 Louis Porcher, "Signes sur des pistes pedagogiques", Le Franfais dans le Monde, N? 137 (May- June 1978), pp. 17-18.

26 Barthes, p. 41.

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L'etude de la culture d'une societe visant a apprendre a reconnaitre ce qui fait sa singularit6, afin de permettre une communication "en toute connaissance de cause", elle doit faire son profit de tous les documents vivants disponibles et, en particulier, de ceux qui se destinent le moins a un usage didactique, car ils en disent pour cette raison autant que des traites, et de facon bien divertissante parfois (documents 18 et 19).

UNIVERSITY OF VIRGINIA

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